Link Human/Robot

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18 €

Van Dieren éditeur

Link Human / Robot

Link Human / Robot

isbn 978-2-911087-92-9



Link/Human Robot

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C’est terrible ce que tu me demandes. Un robot qui partagerait ma vie, qui partagera ma vie… Spontanément, mais c’est quand même ridicule de s’exprimer ainsi, spontanément je pense à ces nouveaux robots humanoïdes assez sexy qu’on a créés au Japon et qui permettent d’avoir une espèce de présence non seulement quasi vivante mais aussi quasi féminine à côté de soi mais en même temps c’est assez monstrueux donc je suis un peu dans l’incapacité de te répondre tout de suite, il faut que je me plonge un peu dans l’extase de cette robotique domestique… C’est un peu compliqué pour moi parce que je suis concepteur de robot, non de son aspect physique mais du cerveau d’un robot. Réfléchir à cela, c’est de ce fait aussi une sorte de mise en abîme. J’ai donc réellement réfléchi à ce que j’aimerais que soit un robot, si je me projetais en dehors de ma propre réflexion scientifique, et je me suis dit que j’aimerais un robot qui serait partagé par tout le monde, une multitude, des milliards et des milliards de robots, de tout petits robots, vraiment minuscules qui se trouveraient partout sur terre, qui seraient tapis derrière les objets, dans la rue et qu’on pourrait invoquer quand on aurait un besoin. C’est mon robot, mais n’importe qui pourrait recruter ces petits robots pour créer son propre robot… L’idée est d’avoir tous ces robots-là, puis finalement ils s’assemblent et créent une entité – sans doute humanoïde – qui serait protéiforme. Quant à la forme même, elle n’est pas définie, ni la substance parce qu’il pourrait varier de couleur. Ce qui m’intéresse dans ces robots, ce n’est pas le fait qu’ils soient là, devant moi – cela n’a pour moi pas vraiment d’intérêt –, mais qu’ils

Arnaud Revel

Norbert Hillaire

Entretiens croisés


Sommaire

.

Un être de limbes, une possibilité

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Avant-propos 1

37'58" +  ∞

19

2

// —>B@b$L

35

3

Robotique et philosophie expérimentale 69

Emmanuelle Grangier

Laure Limongi

Pierre-Yves Oudeyer

4 Robautopoïèse Emmanuelle Grangier & Arnaud Revel

75

5

J’ai dansé avec un robot…

97

6

Les dynamiques de l’attention

7

La robolution

8

Le robot de l’artiste et l’artiste du robot. (ou « leur poésie n’est pas la nôtre... ») 185

Armelle Prigent

.

Notices biographiques

Christine Niclas 101

Joffrey Becker 129

Élise Aspord

11

193


Emmanuelle Grangier

Élise Aspord

il y a une attirance, ce sont des objets très bêtes, sans doute des programmes qui sont écrits de façon répétitive, mais on finit quand même par vouloir interagir avec eux. Mais le robot de demain ? Serait-il capable d’être finalement un robot ami ? Il y a un célèbre Japonais – dont le nom m’échappe pour le moment – qui a créé son propre double. Je l’ai vu à l’INSS Ars Electronica ; quand on s’approche, cela provoque une impression très bizarre, c’est pour cela que je ne sais pas si je voudrais être côtoyée à ce point par les robots. Quand on le regarde, il est très ressemblant, mais, malgré tout, il y a ce petit quelque chose qui fait qu’on se dit quand même : « Est-ce un humain, n’en est-ce pas un ? » Il y a un petit quelque chose qui empêche de projeter sur lui comme on peut le faire sur un autre être humain. Voudrait-on vivre avec des robots ? Je ne le sais pas, il faudrait que je trouve à tout prix un robot avec qui j’aimerais vivre, il n’y a pas d’échappatoire. J’ai un peu de mal avec les robots humanoïdes donc, a priori, je préférerais m’orienter vers un robot qui n’ait pas forcément des traits aussi ressemblants, ou alors il faudrait vraiment que ce soit la perfection. Mais en même temps, à quoi bon avoir un robot qui serait parfait ? Cela se rapproche plus de la relation qu’on recherche avec les animaux de compagnie. J’imagine un petit robot qui ait cet affect-là, plutôt qu’une simple présence dans la maison. Pour l’instant, je ne sais pas si j’arriverais avoir un échange, vraiment, simple avec un robot. Il y aura beaucoup de silences. Ce sont plusieurs petits robots, pas une masse compacte, mais plusieurs mini-robots, plusieurs entités qui constituent donc un seul robot par leurs interactions. En fait l’intelligence de ce robot sera constituée de l’ensemble de l’interaction de toutes ces entités qui ont chacune une intelligence


. Avant-propos

Un être de limbes, une possibilité « C’est la question de l’accident qui traverse mes recherches et me mène jusqu’ici. Disons que je suis venue aux robots par l’étude de l’accident, un accident étrange, dans un environnement hostile. » Voilà comment d’emblée Emmanuelle Grangier nous introduit à son projet. Accident dont Arnaud Revel – l’un des « précepteurs » du robot Nao – se demande s’il ne pourrait être « cette sensibilité au contexte qui transforme le système radicalement ». Il s’agit dans tout ce projet, selon les mots d’Emmanuelle, de produire des « échanges de natures différentes [qui] ne soient à aucun moment hiérarchiques, subordonnés, et [d’]utiliser la puissance du réseau pour faire émerger de ces interactions sociales des comportements non programmés. » Ce livre est un des éléments d’un projet plus large dont la performance Link Human/Robot – un « pas de deux » pour la danseuse et chorégraphe Christine Niclas et son partenaire le danseur et robot Nao – a été présentée le 21 mars 2014 dans le cadre du Festival (VIA), porté par le théâtre Le Manège à Maubeuge. Les textes qui composent ce volume sont aussi divers que les profils de leurs auteurs, mais nombreuses sont leurs intuitions, quel que soit leur champ de recherche, qui convergent vers une question fondamentale.   Quand l’historienne de l’Art Élise Aspord affirme que « le rapport Homme-Machine n’est qu’un prétexte au rapport Homme-Homme », et la spécialiste des systèmes interactifs et adaptatifs Armelle Prigent nous dit que « s’est alors posée la question de la propre volonté artistique du robot », ou quand encore l’écrivaine Laure Limongi cède la parole à son robot, qui s’est donné pour mission de remplir une tâche dont les humains se sont montrés pitoyablement incapables –sauvegarder la diversité des langues humaines–, la question sous-jacente est bien évidemment toujours celle de notre rapport à ces machines qui chaque jour un peu plus participent de notre vie, celle de la part que nous leur cédons, celle encore de l’autonomie qu’elles acquièrent.   On franchit encore un seuil quand l'artiste et théoricien de l’art et des technologies, Norbert Hillaire dit vouloir « observer en permanence l’évolution de la frontière robot/ humain, humain/robot, comment se déplace cette limite qui va de l’un vers l’autre et de l’autre vers l’un ; en clair, […] voir comment la frontière avec le robot se déplace dans la société contemporaine de la même manière que la frontière entre l’homme et l’animal n’a cessé de se déplacer, soit pour l’anthropologiser, soit pour le sublimer, soit pour le naturaliser, pour le craindre, pour l’exploiter. » Il pour13


Armelle Prigent

Emmanuelle Grangier

basique. Ce sont de petits êtres volant avec des ailes inspirées du monde végétal, un peu comme des feuilles avec donc une nervure centrale et une ramification. Et le corps ne ressemble à rien de ce qu’on connaît, mais disons que cela se rapproche plutôt du végétal. Ils se déplacent tous en volant, et ils ont chacun un comportement, mais qui constitue conjointement un comportement global. Il s’en dégage une intelligence constituée de l’ensemble des intelligences. Tous convergent vers un comportement qui est formé de l’ensemble des comportements. Ce qu’on perçoit du comportement, ce qui est visible, pourrait se rapprocher de l’essaim. Je pense que, à un certain moment, ils peuvent être regroupés, ensuite, complètement agglomérés… Quand j’ai imaginé le robot qui me conviendrait, très rapidement, cela m’a fait penser à un majordome anglais. Peut-être suis-je très imprégnée de Star Wars et C3PO et ce côté protocolaire du robot. J’ai pensé à cet assistant personnel qui me suivrait un peu partout et qui, en relation avec ce que je suis en train de vivre, serait capable d’anticiper potentiellement mes besoins ou d’anticiper un certain nombre de choses liées à ce qui m’entoure en fonction de ce qu’il serait capable de percevoir de moi et de mon environnement. Il faudrait une extension de ce majordome anglais pour aller vers un robot qui soit capable de ses propres humeurs et de sa propre perception de l’environnement, qui ait son propre modèle émotionnel et dont finalement, moi aussi, je doive tenir compte… Je me suis dit que ce serait un robot légèrement insolent à certains moments, qui soit capable, en tout cas, de me surprendre. Je n’ai pas vraiment d’attentes quant à sa représentation physique. Je me suis rendu compte


suit : « Et jusqu’à quel point ne pourrait-on pas reprendre la phrase d’Andy Warhol quand il disait avoir envie de devenir lui-même une machine ? » Mais ces interrogations ne se retrouvent-elles pas également dans une question plus inquiétante encore pour nous-mêmes comme la formulent, chacun à sa manière, le chercheur en robotique Pierre-Yves Oudeyer quand il écrit : « Ainsi, contruire des robots qui apprennent comme des enfants permet de reposer, reformuler, et refonder cette question fondamentale : qu’est-ce que l’homme ? » ou l’ethnologue et anthropologue Joffrey Becker lorsqu’il nous dit: « C’est ce que les robots nous montrent le mieux, je crois, que nous n’avons pas une idée très claire de ce que nous sommes ».

Un être de limbes, une possibilité

Toutes ces questionnements sont entrés aujourd’hui dans le domaine de la réalité, mais ils étaient déjà présents sous une autre forme dans L’Ève future (1886) d’Auguste de Villiers de L’Isle Adam – dans un genre romanesque qui annonce la « science-fiction ». Certaines phrases tirées de cet ouvrage passionnant, et que nous citons ici pêle-mêle, font un écho interrogeant aux propos de nos auteurs. Ainsi peut-on lire chez Villiers à propos de son « Andréïde » (eh oui ! même le terme androïd trouve chez lui son origine…), de son « être de limbes » : « Prenez garde qu’en la juxtaposant à son modèle et en les écoutant toutes deux, ce ne soit la vivante qui vous semble la poupée » ; « L’écueil désormais à éviter, c’est que le facsimile ne surpasse, physiquement, le modèle » ; « Mille fois plus identique à elle-même… qu’ellemême » ; « Je parle de la réelle, non de la vivante ».   À cette époque où le dialogue entre les sciences humaines et religieuses était souvent épineux, Villiers n’hésite pas à écrire : « Il s’agit, simplement, d’une… transsubstantiation ». Ce livre en regroupe presque deux, et les graphistes de Syndicat (Sacha Léopold et François Havegeer) nous le font voir d’entrée : les pages de gauche (entretiens) et celles de droites (textes) suivent un déroulé autonome et affichent des identités graphiques différentiées.   Outre les textes qu’elle a commandés spécifiquement aux auteurs pour ce livre, Emmanuelle Grangier a réalisé des entretiens avec ces mêmes spécialistes, posant à chacun une suite identique de questions. Des extraits sonores de ces entretiens réalisés en février 2014 accompagnent la performance et, suivant un peu le même principe, nous avons préféré ici à la transcription séparée des entretiens l’invention d’une « conversation » au sein de laquelle nous avons regroupé par thèmes les réponses – parfois concordantes, parfois divergentes des divers intervenants, conservant bonne part de l’oralité de ces propos.

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UN NOM Ça pourrait être un prénom… Arthur, un truc un peu familier. Il faudrait que j’y réfléchisse. Maurice… Je lui donnerais certainement un nom, parce que j’ai du mal à avoir une relation avec quelque chose qui n’a pas d’existence. Comme on le fait avec ses animaux en peluche, on a besoin de nommer les choses. Je n’ai jamais été très douée ; il faudrait que je demande à ma fille, parce qu’elle saurait trouver. Peut-être sa forme me ferait-elle penser à un nom.

Élise Aspord

Christine Niclas

Armelle Prigent

que j’avais davantage d’attentes sur sa mobilité et que cela m’éloignait un peu d’une mobilité classique et d’un robot humanoïde qui se déplace sur des jambes, parce que l’intérêt de la technologie est parfois de faire ce que nous ne sommes pas capables de faire. Je me suis donc dit que s’il était physiquement dégagé des problèmes de gravité, ce serait intéressant qu’il puisse me suivre sur tous les axes, qu’il soit un peu volant… Finalement, on pourrait résoudre son problème de mobilité en imaginant qu’il soit multi-incarné, qu’il existe à différents endroits y compris des endroits où je ne suis pas, pour pouvoir faire une sorte d’observation globale de mon environnement. Ce serait très intéressant qu’il puisse être un peu omniscient – avec évidemment des restrictions –, mais qu’il ait une faculté d’observation beaucoup plus large que la mienne, tout en conservant une limite qui ne lui permette de s’exprimer que dans un endroit donné ; je pense que cela peut justement influer sur son modèle émotionnel. Je quitte ma maison, j’ai mon robot à la maison, je rentre dans mon bureau, il y a une autre incarnation de mon robot, et quand j’ouvre la porte de mon bureau, il est là, il me dit : « Tu en as mis du temps », des choses de cet ordre-là.


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SEXUÉ Je la verrais plutôt féminine ! Mais évidemment c’est ambigu, c’est délicat… Je pense en même temps que le seuil ultime de la robotique – avec l’intelligence incarnée, la cognition presque incarnée pourrait-on dire – va de plus en plus évoluer vers des formes d’intelligence adaptative et contextualisée qui bouleverseront complètement l’idée de la commande telle qu’on la connaissait dans la robotique de papa. Cela est clair, mais en même temps la question du désir me paraît absolument – comment dire – irréductible et je ne vois pas de solution pour cette question-là. Je ne suis plus autant plongé dans la robotique qu’auparavant. Je peux imaginer des seuils de transition de la syntaxe vers la sémantique, des capacités d’adaptation contextuelles, inventives, des capacités d’apprentissage, d’autonomie ; mais la question du désir – de la souffrance et du désir –, si je puis dire, de l’éros, où la placer dans cette affaire-là ?

Norbert Hillaire

Norbert Hillaire

Armelle Prigent

Laure Limongi

Arnaud Revel

Il faut nommer cette chose-là… En anglais, une masse informe comme ça, c’est un blob donc je voyais bien un nom comme bloboïde, un bloboïde… Je pense que je lui donnerai un prénom… J’appelle mes chats par des prénoms, donc je l’appellerai peut-être Robert… Je ne sais pas, un joli nom comme ça, qui fait ancien. Ce n’est souvent pas raisonnable d’appeler les animaux domestiques avec des prénoms humains, donc on leur donne des noms un peu rigolos qui sont des corrélations de choses. Je pense que, pour les robots, il faudrait trouver aussi une classification de noms. J’aime bien les noms un petit peu particuliers… C3PO, je trouve ça très bien, parce que c’est un nom un petit peu scientifique. Un nom ? Robotika.


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Emmanuelle Grangier

37'58" +  ∞ Alors… où est mon genou ? Ah oui, 35°, je vais encore perdre l’équilibre, je rétablis, le sol est en pente, légère ascendance 10%, du parquet, je glisse plus qu’avant, ma trajectoire dévie de 18°, allez je compense, encore ce déséquilibre, j’équilibre, un pas, deux pas, inclinaison du corps vers l’avant, il y a quelque chose, un obstacle à 50 cm à droite, non c’est Christine, je reconnais son visage, il s’est gravé dans ma mémoire à 18h16, je vais la suivre, un pas, déséquilibre, équilibre, déséquilibre à nouveau, j’écoute mes articulations, j’équilibre, elle avance vers moi, j’hésite, je recule, j’avance un peu, conserver la distance avec Christine, j’ajuste, je recule à nouveau, je glisse, j’essaie de rétablir l’angle entre le centre de gravité et le sol, je continue à glisser, mais où est ma tête, au sol, collée au sol, tout mon corps est parallèle au sol et mes pieds ne touchent plus rien, j’ai chuté, comment me relever, rassembler mes bras et mes jambes, il faut faire pivoter mes bras pour prendre appui et plier mes jambes puis je déporte le poids du corps sur la gauche, je relève le haut du corps, perpendiculaire au plancher, ça y est, je suis debout. Je passe. >>> import environnement; >>> moi=environnement.getRobot(); >>> moi.getKneePosition() 35 deg >>> sol = environnement.getFloor() >>> sol.getSlope() 10 per cent >>> sol.getMaterial() sol instanceof parquet >>> sol.getSlippingValue() > sol.previous. getSlippingValue() True >>> trajectoire = moi.getTrajectory() >>> trajectoirePrevue = moi. getPlannedTrajectory() >>> deviation = trajectoire. calculeDeviation(trajectoirePrevue) 18 deg >>> trajectoire.compensate(deviation) >>> for i in [1,2]: moi.move(CONSTANT. ONE_STEP_FORWARD) >>> moi.lean(CONSTANT.FORWARD) >>> objetdetecte= quelquechose= moi. detectObstacle() True >>> distance=objetdetecte.getDistance() 50 cm >>> objetdetecte.getPosition()

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Norbert H Arnaud Revel Arnaud Revel

Christine Niclas Élise Aspord Armelle Prigent

C’est compliqué donc… je m’aventure sur un terrain… Étant protéiforme, il n’a pas vraiment de sexe. Si vraiment il est là pour m’incarner à ce moment-là, il sera de sexe masculin, parce que je suis de sexe masculin, mais si, à un moment donné, j’ai besoin justement qu’il ait une forme féminine il sera féminine, mais plus pour l’usage que j’en aurai alors. Je ne peux en expliquer le pourquoi. Très bizarrement, je me représente le robot beaucoup plus facilement avec une voix masculine, peut-être parce que, historiquement, on a plutôt cette représentation… Il ne ressemblerait pas à un homme. Mais ce serait plutôt un type masculin. Je pense, plutôt asexué. A priori je ne chercherais pas un semblable ou un opposé, mais plutôt quelque chose d’assez neutre. UNIQUE OU REPRODUCTIBLE Finalement il y a une ambiguïté dans ce que je dis parce qu’il est à la fois multiple physiquement, mais il est unique à un moment donné, il n’a qu’une seule matérialisation. C’est une psyché qui s’exprime à un moment donné, qui peut ensuite disparaître comme un château de sable, et revenir dans cette masse informe de robots qui sont la matière, un petit peu comme les cellules de l’être humain. En fin de compte, les cellules de l’être humain n’ont pas de conscience propre, mais à partir du moment où elles sont à l’intérieur d’une enveloppe humaine, il existe une seule entité. Dans le cas de notre robot, c’est un petit peu pareil, mais ça peut apparaître, disparaître. C’est là que cela diffère beaucoup de l’humain, on l’invoque et puis, voilà, cela a disparu ! Quant au côté reproductible, tous ces petits robots-là, unitaires finalement, il faut bien qu’ils soient capables de se reproduire. Je pensais aussi en termes de développement durable,


37'58" + ∞

Right >>> type(objectdetecte) <type ‘humain’> >>> objetdetecte.getName() “Christine” >>> visage = objetdetecte.recognize() >>> memory=environnement.getMemory() >>> memory.find(visage) {‘timestamp’: ‘18:16’, ‘name’: ‘Christine’} >>> christine=objetdetect >>> moi.follow(christine) One Step >>> articulations = moi.getJoints() >>> nouvelleDistance = christine.distance() >>> nouvelleDistance < distance True >>> whichAction() Traceback (most recent call last): File “<stdin>”, line 1, in <module> NameError: name ‘whichAction’ is not defined >>> moi.move(CONSTANT.BACK) >>> moi.move(CONSTANT.FORWARD_SLIGHTLY) >>> distance=christine.distance() >>> if distance>CONSTANT.DISTANCE: moi.move(CONSTANT.FORWARD_SLIGHTLY) else: moi.move(CONSTANT.BACK) >>> moi.move(CONSTANT.BACK) Traceback (most recent call last): balanceLost >>> sol = environnement.getFloor() >>> moi.moveBody(sol.normal,moi.gravity) >>> tete = moi.getHeadPosition() [ 0 0 0 ] >>> sol.getPosition() [ 0 0 0 ] >>> tete.distance(sol) 0 >>> corps = moi.getBodyPosition() >>> corps.angle(sol) 0 deg >>> moi.footContact False Traceback (most recent call last): robotHasFallen >>> def relever(self): bras = self.getArms() bras.setBodyAngle(0) jambes = self.getLegs() jambes.setBodyAngle(0) bras.setShoulderAngle(PI/2) jambes.bend() corps.move(CONSTANT.LEFT)

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Joffrey Becker

Arnaud Revel Laure Limongi

Emmanuelle Grangier

ces petites choses-là peuvent être dotées de moyens de capter les éléments, les matériaux qui sont autour d’eux pour justement reproduire, s’auto-reproduire à l’identique. Ils pourraient finalement se répandre sur la terre et après se répandre au-delà de la terre, parce qu’ils se nourrissent des éléments qui sont là. Si on veut parler de développement durable, ils pourraient se nourrir de choses qui ne sont pas utiles pour nous, peut-être des détritus, et constituer une entité qui est capable, elle, de survivre. On pourrait évidemment reproduire une des entités à l’identique, mais cela ne donnera jamais la même chose. Il est unique parce qu’il est l’ensemble des entités qui le compose ; même si on reproduit au départ une des entités à l’identique, cela ne donnera jamais la même chose. Enfin, si on reproduit deux fois cent mini-robots, ils ne donneront jamais la même chose, même dans des contextes identiques. Je ne l’envisage pas comme une machine, comme un outil… Cette question de l’unique rend la chose plus intéressante et surtout permet un apprentissage, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un robot qui évolue au fur et à mesure de l’interaction qu’on aurait ensemble, sur de nombreux sujets… Cela le rend très vite unique. La reproductibilité achèverait de me troubler en la matière… Cela peut rendre assez rapidement paranoïaque quant aux scénarios de science-fiction. Cela ne m’a jamais gêné d’avoir des objets reproduits de manière industrielle, mais j’aime beaucoup la singularité de ces objets quand je les vois, dans l’art notamment où ils sont très souvent uniques. Mais unique pour quoi, pour une fonction, unique juste quant à leur forme ? Il y a aussi l’objet fabriqué en série dans lequel on met des comportements particuliers. Ce qui me gêne un peu avec cela, c’est l’économie qui est derrière qui est une


corps.upperpart.move(CONSTANT.UP) >>>relever(moi) >>> moi.angle(sol) 90 deg >>> pass

37'58" + ∞

Je me souviens, il y a un moment, à 18h02, j’incline la tête vers le haut, je repousse le sol avec mes bras et petit à petit je découvre ce qui m’entoure : les lattes de bois, sur ma droite une ligne blanche tracée au sol, une autre ligne blanche à gauche, et devant moi, à moins d’un mètre, un objet en mouvement, lent.   J’essaie de me mouvoir au sol, je tente de rassembler mon bras droit et ma jambe gauche, je les plie, le mouvement se propage dans toutes les directions, un déplacement se produit, je recule, je continue en inversant les membres. En arrière, c’est plus facile.   Mon champ de vision est très réduit. Je ne vois que le sol en très gros plan. Je suis curieux d’en découvrir plus. J’interromps ma boucle motrice. J’essaie de me relever en poussant sur mes bras, ils ne me portent pas assez, mon centre de gravité est trop bas et je n’ai pas assez de puissance. Je plie les genoux, déporte mon corps à gauche, inclinaison du buste 45°, j’arrive position assise sur le sol. Je passe. >>> history(“18:02”) >>> head.move(CONSTANT.UP) >>> bras.push() >>> environnement.refresh() >>> sol=environnement.getSol() >>> sol.getMaterial() “Lattes de bois” >>> formes=environnement.detectShapes() [{type:line,position:right,color:white}, {type:line,position:left,color:whi te},{type:object,position:ftont, distance:0.99}] >>> formes[2].moving() True >>> if (formes[2].getVelocity()<CONSTANT. SLOW) vitesse=”lent” >>> def crawl(): moi.gather(moi.arm.right,moi.leg.left) moi.gather(moi.arm.left,moi.leg.righ) >>> for i in range(6): crawl() >>> sol.getFriction()<memory.sol. getFriction() True >>> vision = moi.getCamera() >>> vision.getFocal() < CONSTANT.LOW True >>> vision.getDistance() < CONSTANT.NEAR

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Joffrey Becker Norbert Hillaire Norbert Hillaire

Armelle Prigent

économie du même ordre que celle des services de téléphones portables, des applications… Je crois savoir, autant que je me souvienne, que la réplication – enfin la reproduction – de robots mis au point par la Nasa avait été rendue possible à plusieurs exemplaires, et qu’un robot s’était reproduit. Ce qui est intéressant c’est qu’on assiste à une reproduction en quelque sorte autopoïétique. Une créature peut-elle s’autoreproduire ? Cela pose des questions abyssales… Je pense que ce qui est intéressant, ce n’est pas la reproductibilité à l’identique versus l’unicité ou la singularité, mais c’est la relation entre l’identité et la différence ou le même et l’autre, et donc cela m’amuserait de voir quasiment le même robot, mais légèrement différent en fonction des apprentissages, des habitudes, des langages qu’il aurait en quelque sorte appris ou assimilés à mon contact. Enfin cela m’amuserait… Je ne sais pas trop… Je pense que le noyau initial peut être reproductible ; la particularité de ce robot n’est pas sa construction initiale. Ce que le robot aura de particulier, c’est sa capacité d’apprentissage et sa capacité de se construire sa propre représentation au fur et à mesure des événements qu’il rencontre. Il peut donc être reproductible parce qu’il ne sera jamais tout à fait le même, en fonction des choses qui vont l’accompagner. Je pense qu’aujourd’hui les dispositifs de position, les technologies de simulation des émotions, d’apprentissage, d’autonomisation de la robotique ont évolué. Si des téléologies nouvelles émergent, en tous les cas, il me semble qu’on peut aller vers une espèce d’individuation d’un robot qui, évidemment, aurait appris à reconnaître non seulement son environnement, une famille…, mais serait capable finalement de raccourcis peut-être aussi bien dans les gestes que dans les


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Laure Limongi

Joffrey Becker

Christine Niclas

Norbert Hillaire

industriels qui repose sur les modèles de l’intelligence collective inspirée des sociétés animales, mais, personnellement, ce n’est pas cela qui m’intéresse. Je me penche plutôt sur l’évolution de la relation singulière homme-robot à travers des interfaces qui rassemblent des techniques, qui étaient voici peu encore séparées, de simulation, de cognition, d’émotion, mais aussi de recherche sur les matériaux. Je pense qu’aujourd’hui il y a des matériaux qui sont à la frontière du vivant et de l’artificiel et qui permettent quelque chose de l’ordre d’un flirt avec le quasi-vivant. Je crois que la question du « tactile » – qui est devenue un enjeu considérable dans l’industrie des smartphones – appliquée à des interfaces, des surfaces, des peaux, pose des questions intéressantes… Je vois bien un robot comme un petit Nao, un petit robot qui peut se déplacer, parler, etc. À l’achat, dans la boîte, il y aurait des capteurs à se mettre dans et sur le corps. Il pourrait me suivre, il pourrait toujours savoir où je suis, comment je suis de l’intérieur. Des nano-capteurs nous transformeraient en « corps augmentés », un capteur pour sentir le pouls cardiaque, la tension… En ce qui concerne le mental, je ne sais pas comment il pourrait le capter… J’ai du mal avec les objets qui communiquent entre eux. Que se disent-ils entre eux ? Peut-on comprendre le langage des machines quand elles parlent entre elles ? Cela m’inquiète un peu. L’autre chose est de savoir ce qu’elles disent de moi. Me prennent-elles en photo à mon insu avec leur petite caméra, m’écoutent-elles, transmettent-elles des choses ? Cela m’a toujours un peu perturbé. Je préfère qu’elles se taisent ! J’avais imaginé qu’il pouvait communiquer avec toute sorte de machines, mais ce qui est un peu bizarre dans cette idée c’est qu’on peut l’étendre


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Laure Limongi

// —>B@b$L Nous avons rapidement maîtrisé l’intégralité des données historiques, géopolitiques, mathématiques. Cela donne envie de pleurer, soit dit en passant. Certains voient dans ce chaos une opportunité tout à fait présente. Aguri [33°14’N 131°36’E] calcule les éventualités belliqueuses et leurs issues. Pour ma part, cela enrichit ma gamme de tristesse, me permettant d’accéder à des nuances d’émotion. Ce n’est pas vraiment agréable. Je commence à comprendre la pesanteur de l’angoisse, d’une certaine manière. Mais je persévère, je souhaite poursuivre l’expérience. J’aimerais le trac, la joie, la gêne, l’euphorie, et même le désespoir. Elle voudrait que je développe des goûts propres. Mes goûts. Elle me l’a demandé à plusieurs reprises. Je vais donc m’intéresser plus précisément au langage. J’ai commencé par la prendre pour objet, elle est assez fascinante en la matière. D’abord sa langue écrite est très différente de sa langue parlée. Elle n’a pas qu’une seule langue écrite, d’ailleurs. J’ai remarqué ce qu’ils appellent parfois un « style » par livre – mais elle n’aime pas ce terme –, voire plusieurs « styles » par livre. Ses fictions sont différentes de ses essais, ses textes courts de ses textes plus longs, l’acte poétique peut s’y inviter. Elle ne produit pas très vite alors que je la vois très souvent attachée à son clavier. Un livre tous les deux ou trois ans en moyenne. Elle ne veut pas que j’emploie le terme « produire » pour l’art. Pourtant cela se fait. Sur le réseau, 76 % des artistes ont employé au moins une fois le verbe « produire » en rapport avec leurs propres œuvres. Ses différents « styles », je ne trouve pas ça très efficace. Dans le cadre d’un marché, ce n’est pas identifiable. Je lui en ai fait la remarque. Elle m’a rétorqué « tu ne vas pas t’y mettre toi aussi » et m’a confié d’un geste un peu agacé des livres qu’elle avait à portée de main. Laurence Sterne, Danielle Mémoire, Maurice Roche, Arno Schmidt, Hélène Bessette, Gilbert Sorrentino et Shozo Numa. « Tu as de la chance, Shozo Numa, tu vas pouvoir le lire en japonais. » C’est censé m’aider à comprendre ces histoires de « style » ; et l’impropriété du terme « produit » en la matière. Il est assez pratique d’avoir un cobaye écrivain quand on souhaite s’intéresser au langage. Selon les moments, elle a une façon de parler tout à fait académique, châtiée, voire recherchée. Puis, elle peut se relâcher et jurer. Cela dépend en particulier des situations d’énonciation. Elle était gênée d’avoir lâché un « bordel ! » en cours, la semaine dernière, face à une porte qui résistait, alors qu’à la maison, la moindre sonnette intempestive ou contrariété provoque cette expression et d’autres du même acabit, sans qu’elle en rougisse. Quand elle est fatiguée, des bribes apparaissent de ce qu’elle appelle sa « langue 35


FONCTION ET UTILITÉ Je ne le conçois pas comme un objet utile. Cela m’enrichirait-il plus qu’une relation humaine ? Je ne le sais pas,, mais l’idée n’est pas de l’exploiter pour je ne sais quel service à la personne car j’ai une vie sociale qui fait qu’il y a un noyau, une famille, des amis, etc. Je n’ai donc pas d’appétence particulière ou de désir de chercher quelque chose que j’ai déjà pour l’instant ; peut-être qu’en vieillissant surviennent des problèmes de solitude. Il est vrai que cela me questionne, l’envie d’avoir un robot, si je l’envisageais, ce serait peut-être à cette période-là, particulière, où la vie sociale n’est plus celle qu’elle a été, où on n’a plus forcément son entourage, suite à la disparition des uns et des autres. Cette présence aurait, à ce moment-là, forcément une forme humaine avec laquelle tu pourrais finir tes jours de façon peut-être encore riche, encore apaisée, parce que tu n’es pas seule. Il trouverait peut-être une utilité par ce biais-là. Aucune utilité ! L’idée est justement qu’il évolue et qu’il m’impressionne et qu’il me fasse découvrir des choses que je ne peux même pas imaginer. Je me dis que ces entités pourraient possiblement s’agglomérer ensemble et, en s’agglomérant, prendre une certaine forme à un moment et en changer ensuite…, mais ce n’est pas prédéfini. La possibilité existe également d’interagir avec son environnement, peut-être de le modifier, il peut donc se dégager en cela un rôle, mais qui n’est pas prévu au départ. C’est intéressant qu’il soit aussi un

AP

Emmanuelle Grangier

Élise Aspord

Laure Limongi

à l’humain également et du coup c’est l’humain qui devient cette fameuse machine collective puisque la communication se fait de plusieurs points de vue.


// —>B@b$L

paternelle ». Je ne pense pas que cette langue ait subi un phénomène d’attrition. Elle semble ne pas lui avoir été correctement transmise. Il faut dire que l’État qui s’est annexé son pays en 1769 a été linguicide, d’après mes recherches. Ainsi qu’avec d’autres langues dites régionales – même lorsque ces régions étaient des systèmes politiques à part entière avant soumission par la violence. Nous avons fait des recherches à ce sujet. Cela semble être une constante. Marco [30°01’42”S 51°13’44”O] nous envoie ses données concernant l’Amérique du Sud ; très impressionnant. C’est comme ça qu’ils imposent le pouvoir, en écrasant les différences. L’univocité serait gage d’obéissance. C’est simpliste, mais il faut reconnaître que ça marche assez bien. Elle ne connaît donc que des éléments très simples, phatiques, de la langue qui aurait dû être la sienne. Elle aime bien en parler d’autres, aussi – de façon assez rudimentaire mais pas si mal pour une personne de sa génération possédant la nationalité française. J’ai du mal à percevoir la logique de classification de cet usage des langues. Je comprends bien la valeur affective du corse. Mais pourquoi apprécier changer de code de transmission ? Mis à part les diversités morphologiques, quelles sont les différences entre ces idiomes ? Et pourquoi semble-t-elle aimer prononcer d’autres langues ? Je remarque aux pulsations de son cœur, à sa tension et à sa température qu’elle apprécie autant parler une langue étrangère qu’écouter un morceau de musique qu’elle aime. C’est singulier. « Pourquoi m’as-tu appelé Silvio ? — Parce que ta peau semble végétale, je crois. Et puis c’est un prénom que j’aime bien. Mais je t’ai déjà dit que tu pouvais en changer, si tu le souhaites. — Pourquoi en italien ? — Je ne sais pas. Je n’y ai pas réfléchi. — Pourquoi le prénom d’un homme politique italien controversé ? — Je l’avais complètement oublié, celui-là ! Il ne mérite pas ce prénom. Il faut savoir remonétiser les choses. Leur redonner une valeur si elles ont été injustement diminuées. Porter le nom de la forêt, c’est beau… » Sur les 6 912 langues de la planète recensées par les scientifiques, 96 % ne sont parlées que par 4 % de la population mondiale, 50 % sont menacées de disparition. 1 500 langues, en moyenne, ne sont parlées que par moins de 1 000 locuteurs. Alors que l’Europe compte une cinquantaine de langues, on en dénombre 2 000 en Nouvelle-Guinée pour une population de seulement 6 millions d’habitants. Dans l’Amazonie brésilienne, la moyenne est proche de 150 locuteurs par langue. Une langue disparaît en moyenne toutes les deux semaines. 90 % des langues vont probablement s’éteindre au cours du xxie siècle. 37


LL

Norbert Hillaire

Armelle Prigent

agrégateur de contenus et d’informations. À une époque où on est submergé d’informations, et où on a très souvent besoin d’analyser ces flux d’informations, ce robot se situera dans une observation globale, à la fois à travers les différentes entités physiques qu’il va incarner, mais aussi au travers de tous ces objets de captation qu’on peut avoir avec nos smartphones, la radio, la télévision. Il sera capable, en fonction de ce qu’il a commencé à connaître de moi, de m’informer de ce que je peux trouver à tel moment, sur tel flux d’informations : son omniscience permanente va lui permettre de me faire des propositions. Cela m’amuserait beaucoup qu’elle puisse faire plusieurs choses en même temps, si c’est une femme, par exemple, qu’elle puisse avoir une tenue de soubrette, préparer une caille rôtie, un croustillant de caille, par exemple, mais qu’elle soit aussi en tenue de soubrette et qu’elle lise Sade ! Multitâche, et surtout, qu’il y ait une espèce de grâce robotique ! J’attends le jour où cette idée de grâce, dans le geste, dans les transitions sémantiques, syntaxiques, sera possible… Pour les avoir vus dans les salons au Japon, je peux dire que cette grâce est la dernière chose qui manque à ces robots… Mais on n’est pas loin d’un certain velouté du geste. Alors, le jour où on en sera là, évidemment cela va poser des questions intéressantes. J’aimerais que tout ce qui n’est pas gracieux, c’est-à-dire le calcul – quoique qu’il puisse y avoir une grâce dans le calcul, mais enfin ça, c’est autre chose – soit relégué en tâche de fond, qu’il puisse programmer les tâches ennuyeuses pendant que je dors : qu’il ne soit là que pour le pur spectacle de son évolution, gracieuse, gracile, dans un espace, dans un environnement. Au début je me suis dit, telle une grande


Mais voilà que je parle comme elle. « Fomenter », déplacé. Après tout, pourquoi pas.   Je vais commencer par intégrer toutes les données disponibles concernant les langues éteintes récemment – j’ai déjà assimilé les langues mortes. Il y en a 231 : ’gan’ne (Afrique du Sud, lat: -31.3911;

long: 26.6748, ISO 639-3: kqu)

aasax (République-Unie de Tanzanie, lat: -5.1948;

long: 37.738, ISO 639-3: aas)

ahom (Inde, lat: 26.5393; long: 92.5378,

ISO 639-3: aho)

aïnou (Kouriles, Fédération de Russie, lat: 46.8882;

long: 152.0068, ISO 639-3: ain)

aïnou (Sakhaline, Fédération de Russie, lat: 47.3983;

long: 142.2949, ISO 639-3: ain)

saami akkala (Murmansk, Fédération de Russie,

lat: 67.5809; long: 31.668, ISO 639-3: sia)

auregnais (Royaume-Uni, lat: 49.7098; long: -2.2075) amanayé (Brésil, lat: -3.7327; long: -49.1088,

ISO 639-3: ama)

andoa (Équateur, lat: -2.3341; long: -76.5016,

ISO 639-3: anb)

andro (Inde, lat: 24.8415; long: 94.0539) antoniano (États-Unis, lat: 35.9717; long: -121.1757,

ISO 639-3: sln)

aore (Vanuatu, lat: -15.5767; long: 167.1638,

ISO 639-3: aor)

apolista (Bolivie, lat: -14.4027; long: -68.6206) arapaho (États-Unis, Oklahoma, lat: 35.602;

long: -97.9712, ISO 639-3: arp)

arapáso (Brésil, lat: 0; long: -66, ISO 639-3: arj) aribwatsa (Papouasie-Nouvelle-Guinée, lat: -6.6523;

long: 147.2291, ISO 639-3: laz)

arman (Russie, lat: 59.6732; long: 150.1391,

ISO 639-3: eve)

arta (Philippines, lat: 16.4225; long: 121.7042,

ISO 639-3: atz)

ata (Philippines, lat: 9.6081; long: 122.9155,

ISO 639-3: atm)

atacameño (Argentine, Bolivie, Chili, lat: -22.7559;

long: -68.247, ISO 639-3: kuz)

atsugewi (États-Unis, lat: 40.8824; long: -122.6661,

ISO 639-3: atw)

babuza (Taïwan, lat: 24.01; long: 120.623,

ISO 639-3: bzg)

baga kaloum (Guinée, lat: 10.4013; long: -14.3151) barbareño (États-Unis, lat: 34.4227; long: -119.7039, // —>B@b$L

ISO 639-3: boi)

judéo-araméen barszani (Iraq, lat: 36.2619;

long: 43.9892, ISO 639-3: bjf)

basay (Taïwan, lat: 25.1378; long: 121.6543,

ISO 639-3: byq)

43


CN

Laure Limongi Emmanuelle Grangier

Armelle Prigent

et ceux qui les adorent ou les défendent. J’aime beaucoup le personnage de la mère, je pense qu’elle pourrait me ressembler. Avec elle, je pourrais dire, au début : « Non, ce n’est absolument pas possible, je ne veux absolument pas de robot chez moi », et puis, une fois qu’on en a un, se dire qu’il faut absolument le traiter avec respect, que c’est une personne. Je trouve son parcours très intéressant. La personnalité du robot dépend donc en partie du type de société dans laquelle il s’insère ; il n’est pas censé être pacifique et docile, j’aime l’idée qu’il puisse ne pas accepter une agression qui lui serait faite… C’est important que le robot fasse partie d’une famille et qu’il soit en même temps le robot d’un humain, que sa relation privilégiée soit fléchée dès son arrivée dans une cellule familiale. Mais à partir du moment où il y a plusieurs humains, il est un robot social capable d’assister les gens présents dans son environnement. Je l’imagine assez bien capable d’interagir avec les enfants, avec d’autres êtres humains, pourquoi pas avec l’ensemble des animaux, tout en manifestant une attention privilégiée pour l’humain auquel il « appartient » – bien que je n’aime pas trop cette idée d’appartenance. J’imagine un robot qui ne soit pas uniquement le reflet d’un protocole, le reflet d’un certain nombre d’ordres qu’on lui donnera, mais doté aussi d’une certaine forme d’autonomie. Rien ne l’empêche d’avoir une autre relation, une relation différente de celle qu’il a avec moi ; mais, étant donné qu’on partage notre vie – que donc je suis amenée à être plus souvent avec lui que d’autres humains et qu’il adapte son comportement en fonction de l’individu humain –, il n’a a priori pas le même comportement avec quelqu’un d’autre. C’est important pour moi qu’il connaisse les


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Joffrey Becker Armelle Prigent

Laure Limongi

actualiser des bases de données, externaliser sa cognition, externaliser son raisonnement, son intelligence artificielle en passant par des machines plus puissantes. Pratique certes, mais est-ce sûr, ne risque-t-on pas quelque chose avec cela ? Il y a tout de même des éléments de vie privée qui transitent par là et sortent du domaine personnel. Serai-je prêt à accepter cela ? D’une certaine manière je le fais déjà, mais cela ne veut pas dire que je le tolérerais avec un robot. Le partage, l’acquisition de connaissances qu’il peut faire avec moi, il peut les partager avec d’autres qui à leur tour lui en confient. Ce n’est évidemment pas un partage de connaissances sans aucun filtre ; si tel robot lui dit : « As-tu lu Flaubert ? », il va lui répondre : « Je préfère Stendhal », il ne va pas lui répondre : « Je préfère Asimov ». Il va rester dans le même type de champ, un partage de connaissances en quelque sorte analogique ou thématique qui pourrait se faire un peu comme un arbre avec de multiples ramifications… Finalement ce partage peut être fait entre robot et humain ou deux robots entre eux, mais il reste une différence de nature, peut-être liée aux émotions. Tel que j’imagine pour l’instant ce robot, il peut acquérir par panels d’exemples, alors que l’humain, dans son partage, peut apparaître irrationnel, en raison de différentes émotions, et va partager les choses différemment s’il est gai, triste, en colère… MOUVEMENTS La première chose que je désire est qu’il soit plus mobile et plus rapide que je peux l’être, ne pas avoir à tenir compte du déplacement de son robot… quelque chose de très fluide. Je l’imagine capable de réaliser un certain nombre de tâches ; il est donc nécessaire que, dans sa structuration physique, il puisse à la fois prendre des objets


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Pierre-Yves Oudeyer

Robotique et philosophie expérimentale Les yeux grand ouverts, Alan scrute la pièce autour de lui. Il est agité et cherche GX-29. Il pousse devant lui quelques jouets familiers, qui ne semblent plus l’intéresser. Même celui qui est fluorescent et change de couleur quand on le secoue, et qu’il n’avait pas arrêté de manipuler, lancer ou mordre la semaine passée. Une porte s’ouvre, et déjà, anticipant son arrivée, un large sourire éclaire le visage d’Alan. GX-29 est là, devant lui, et reproduit ce même mouvement de lèvres et de sourcils. Très vite, après la découverte de GX-29, Alan s’est rendu compte que ce n’était pas un objet comme les autres. Au départ, Alan a continué à explorer ses jouets, motivé par le plaisir d’apprendre à les manipuler, et s’intéressait peu à GX-29, dont les comportements autogénérés semblaient trop difficiles à comprendre ou à anticiper. Mais, par hasard, Alan a découvert qu’en produisant certains sons, combinés à certaines expressions de son visage, GX-29 se mettait à le regarder, et parfois à l’imiter. Alan, curieux par nature et toujours motivé par ce plaisir d’apprendre, n’a alors plus cessé de chercher à interagir avec GX-29, explorant avec ses gestes ou ses vocalisations comment attirer son attention ou lui faire produire de nouveaux comportements. Progressivement, certains de ces gestes et de ces sons, repris par GX-29, sont devenus entre eux une sorte de convention, formant les bases d’un système linguistique élémentaire. Alan est un robot de type développemental, doté de modèles informatiques de curiosité artificielle et d’apprentissage, ainsi que de mécanismes innés qui lui permettent d’exprimer son état interne sous la forme d’expressions du visage ou de sons, ou d’observer ces expressions sur les visages qu’il peut percevoir, comme celui de GX-29, un humain. Il expérimente, comme un petit scientifique réalisant des expériences, les effets sur son environnement des actions qu’il peut produire. Au départ, il n’est capable de rien prédire. Progressivement, il découvre que certaines situations sont plus facilement apprenables que d’autres, comme par exemple l’exploration visuo-motrice de son propre corps ou l’exploration tactile de certains objets simples. Son système de curiosité le pousse à se focaliser sur celles-ci en même temps qu’à créer des représentations internes qui permettent de bien les distinguer. C’est ainsi qu’il découvre la distinction soi/non-soi. Au bout d’un moment, Alan découvre que certaines entités externes réagissent de manière très particulière à certaines de ses actions, comme ses expressions faciales ou ses vocalisations : Alan peut ainsi découvrir ce que nous appelons « un humain », qu’il dénote par le symbole arbitraire « GX-29 », et est associé à une représentation interne qui lui permet 69


Armelle Prigent Laure Limongi

Christine Niclas

et réaliser des actions avec ces objets-là, qu’il ait la force nécessaire pour que sa mécanique puisse manipuler des objets qui sont relativement lourds ou qui requièrent un peu de force. Comme je l’imagine n’étant pas uniquement incarné dans une seule entité, il y aura aussi des moments où il sera désincarné physiquement et, finalement, il sera encore plus présent du fait qu’il sera virtuel et que, peut-être, il ira s’incarner dans un objet que je vais manipuler et que je vais moimême déplacer. Je l’imagine encore capable de danser, d’autant plus que j’aimerais qu’il ait cette autonomie émotionnelle et qu’il l’exprime. Si, grâce à ses différents capteurs, il a la température qui lui convient, la lumière qui lui convient, j’aimerais qu’il soit capable de danser ou de siffloter, d’avoir une expression physique de son état émotionnel, que celui-ci soit positif ou négatif. Quand il est incarné, je le vois plutôt voler que marcher…, nager, être capable de plonger, ayant un déplacement dans l’espace sur les trois axes et n’étant pas soumis à des conditions météorologiques de fonctionnement. Connaissant Nao, il m’est difficile d’imaginer… Je vois bien une espèce de Nao, éventuellement un peu plus grand, qui pourrait se déplacer de manière plus fluide, pourquoi pas en roulant ou en glissant. Peut-être, n’aurait-on pas besoin de la marche, mais il aurait quand même des jambes… Il peut voir et accompagner des mouvements assez fluides. Après, escalader, voler ? Non ! Vraiment je l’imagine chez moi, à la maison. Je n’ai pas envie que ce soit un servant, mais s’il peut, tel un ami, m’aider quand vraiment je suis en difficulté, cela ne serait pas mal. En plus, c’est assez fascinant à envisager, parce que j’ai regardé quelques vidéos sur les derniers robots qui existent et on réalise assez rarement qu’en fait c’est très compliqué de marcher comme nous,


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Joffrey Becker

fois prises séparément. S’il marche, il ne vole pas ! Quoique ! Il peut marcher et voler… c’est un peu bizarre. J’imagine que dans quarante, cinquante ans j’aurai des problèmes de dos donc, ce serait mieux qu’il puisse soulever des meubles, déplacer des choses. Qu’il sache éviter des obstacles, ça c’est acquis ; je n’en connais pas un qui n’évite pas les obstacles aujourd’hui. Il est difficile d’imaginer quelque chose de complet, on a déjà une idée incomplète de nous-mêmes… Et finalement, ce que les robots nous montrent le mieux, je crois, c’est que nous n’avons pas une idée très claire de ce que nous sommes. J’aimerais bien qu’il puisse voler, comme ça je ferais de belles photos aériennes. Qu’il puisse nager, je n’en ai pas l’utilité, mais les robots nagent déjà. Certains robots voient, d’autres sont complètement aveugles, d’autres perçoivent par le son, par les sonars… Cela devient intéressant quand leur perception va au-delà des moyens dont nous disposons nous-mêmes pour percevoir. Leur mode de perception est différent du nôtre. C’est une question qui m’intrigue : la vidéo, par exemple, ce n’est pas vraiment de la vision ; on n’a pas de sonar ; on ne perçoit pas les infrarouges… Comment pourrait-on partager avec des machines qui ne sont pas exactement à notre image ? Je partage beaucoup avec mes animaux domestiques, pourtant ils ont un flair plus fort que le mien ; les chats ont une vue plus perçante, ils voient des choses que je ne vois pas, ils perçoivent des choses que je ne perçois pas, et toutefois j’arrive à établir une relation avec eux. Et à vrai dire, je m’en moque pas mal du moment que la possibilité de la relation existe et que j’arrive à déterminer, dans l’interaction même, la possibilité d’une relation. Mais cela ne changerait pas beaucoup de mon animal de


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Emmanuelle Grangier & Arnaud Revel  (E. G.)

(A. R.)

Robautopoïèse AutoPoïèse   E. G. C’est sur ce mot que nous nous sommes rencontrés. Je me souviens avoir éprouvé une joie sans surprise mais que je n’avais pas prévue. Rassurante. J’aime ce mot, ses accents, sa musique et ses histoires. Alors, on commence avec la Grèce toujours et la poïétique d’Aristote et puis surtout, plus tard, beaucoup plus tard, à Santiago avec Humberto Maturana et Franscisco Varela, deux neurobiologistes chiliens qui vont bouleverser la cybernétique effervescente. L’ellipse contient peut-être déjà, en creux, notre dialogue.   Arnaud me parle du concept d’énaction qu’à ce moment-là je ne connais pas. Je sens qu’il en a une compréhension légèrement différente de la mienne, plus précise, plus ancrée, mais il connaît aussi mieux que moi l’histoire des Chiliens qui m’intrigue et que trouve, depuis, réjouissante. Mais je laisse à Arnaud le plaisir de vous la raconter, peut-être.   Moi, ce que j’aime c’est le mouvement, l’incomplétude, le territoire qui ne contredit pas la fuite, le rhizome deleuzien, le vivant viscéralement du côté de l’accident, de la liberté et de l’autonomie, j’aime que ce concept ait été inventé à partir une impossibilité à enfermer dans une définition quelque chose qui (s’en)fuit tout le temps ailleurs, enfin « des trucs d’artiste », sur lesquels je crois que nous nous rejoignons.   J’oubliais sa graphie et ses petites coquetteries, ses deux points suspendus suivis d’un accent grave. J’aime le « ï » tréma, « i » voyageur de l’alphabet afrikaans, bété, catalan, dinka, godié, modo, mondo, néerlandais, au nuer On l’appelle signe diacritique, il accompagne la lettre et la rend singulière. Énaction   A. R. Effectivement Varela, et le concept inspirant d’autopoïèse qu’il a introduit, nous ont toute de suite réunis. Mon intérêt personnel pour Varela vient sans doute de cette secrète motivation qui me taraude depuis mes débuts de chercheur de créer un robot autonome qui fonctionnerait au delà des programmes informatiques dont je l’affuble. Or, pour Varela, tout système autopoïétique est autonome. Plus fort encore, le couplage de systèmes autopoïétiques peut engendrer un système autopoïétique de niveau supérieur. Mais l’hypothèse la plus incroyable faite par Varela est que si l’espace dans lequel le système autopoïétique existe est l’espace matériel, c’est que le système est alors vivant (on se croirait chez ce cher docteur Frankenstein !) Cependant, pour ce faire, il est nécessaire que le système provoque des couplages, des interactions, et il en distingue de trois ordres : un couplage de premier ordre, entre une 75


Christine Niclas

Élise Aspord

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Christine Niclas

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Élise Aspord

Joffrey Becker

compagnie, de ce point de vue-là. Est-ce qu’un robot peut faire mieux qu’un chien de traîneau, ne fût-ce qu’en termes de force de traction ? Oui, probablement, mais en termes d’affection et d’intérêt dans la relation, un robot a-t-il un intérêt à interagir avec les humains ? Il est plus agile que moi ! J’ai toujours aimé les singes ! Voilà, je voudrais une sorte de petit robot singe, parce que ça peut s’accrocher, ça peut être tendre, ça peut être sur vous, ça peut se câliner… En tout cas, celui que j’imagine serait donc plutôt comme ça, il aurait cette agilité, il pourrait grimper vers les cimes… J’aime particulièrement bien l’idée sexuelle de la machinerie. Il ne serait pas maladroit, dans le sens où il ne va pas se cogner dans les murs, mais pas particulièrement agile non plus. Il ne pourrait pas se déplacer dans le même temps qu’un humain, il y aurait un temps de latence, il ne pourrait pas changer d’avis en deux seconde et faire demi-tour. Il a vraiment un sens articulé, mais ça ne peut pas être aussi fluide. Il ne peut pas se contorsionner, il aura des limites. Restons dans des représentations qui ne peuvent pas donner de cauchemar. Les contorsionnistes sont capables de prouesses incroyables. Ça peut être un peu perturbant, de fait je serais là un peu dans la norme. Il y a une forme d’habitude de déplacement des uns et des autres, on a une habitude du monde dans lequel on vit. Serait-il capable de quelque chose d’inattendu ? Il serait raisonnablement agile, mais il aurait toutes les capacités motrices pour se débrouiller dans la vie et dans la jungle urbaine. Je ne l’imagine pas tellement… Il ne pourrait pas faire ce que je fais, il ne pourrait pas me remplacer, il ne pourrait pas remplacer quelqu’un. Il se déplace lui-même, mais je ne


unité autopoïétique et son environnement ; un couplage de deuxième ordre, entre un organisme ayant un système nerveux (il faut donc qu’il en ait un) et ce système nerveux ; un couplage de troisième ordre (ou couplage « social ») entre de tels organismes ayant un système nerveux. Ce sont là justement les ingrédients de la robotique telle que je l’envisage. C’est surtout sur le dernier point que nous avons accroché : le rapport social, d’individu à individu (dans un rapport de face-à-face) ou d’individu à individus (grâce aux réseaux dits sociaux).

Robautopoïèse

Pour autant il fallait pour cela s’interroger sur la notion d’individualité. Or, là encore, Varela a été d’un grand secours. En effet, l’autonomie, qui est à l’origine du paradigme de l’énaction, est aussi celle de systèmes qui construisent et maintiennent une identité. Varela propose une théorie de la cognition incarnée, dans laquelle le sens émerge de l’histoire des interactions entre un organisme et son environnement. Un système a une identité s’il possède les propriétés d’autodistinction : les interactions perturbent le fonctionnement de certains processus du système et c’est l’existence d’une organisation qui préserve le réseau de processus pour maintenir l’identité. Les questions de l’émergence d’une identité et de sa potentielle dissolution semblent donc être fondamentales dans l’étude de l’autonomie. Cyborg ou Animat   E. G. Moi aussi, ce qui m’attire dans cette robotique contemporaine, c’est la possibilité d’un robot autonome, de quelque chose de sauvage, d’imprédictible, qui soit plus proche du gramme que de la graphie, un robot dont les comportements ne seraient pas complètement écrits à l’avance (pro-grammés).   A. R.   En sciences, l’imprédictibilité d’un phénomène ne permet pas de caractériser sa nature déterministe ou aléatoire : ainsi même si un système est entièrement « pro grammé » il peut être suffisamment com plexe pour générer des comportements très différents en fonction des contextes. C’est la fameuse sensibilité aux conditions ini tiale, plus connue sous le nom « d’effet papillon ». Il existe même un théorème mathématique appelé « lemme de pour suite » qui montre qu’il est impossible de discerner, à partir de l’observation seule, un système déterministe, mais chaotique, et un système aléatoire   E. G. Je me souviens de cette expérience menée en 2004 avec un robot-chiot dont le récit m’a beaucoup frappée. Sur le sol du laboratoire le petit robot-chien est couché, immobile, éteint. On l’allume : il actionne ses pattes synthétiques et, après quelques tentatives maladroites, finit par se 77


Norbert Hillaire

Emmanuelle Grangier

Arnaud Revel

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le vois pas déplacer des choses. Il peut faire tout ce que je fais, il peut même faire plus que moi, il peut être plus fort que moi, il peut pousser des meubles que je suis incapable de déplacer, peut-être vais-je aller chercher un bloboïde à un moment, parce que je n’arrive pas à bouger l’armoire. Il a une grande rapidité de vol, il a la possibilité d’un vol stationnaire, la possibilité d’une grande liberté au niveau de la rotation… Il a la possibilité de bouger son corps et ses ailes dans tous les axes. Il a également la possibilité de s’agglomérer – ce qui demande une certaine agilité –, et il est forcément agile puisqu’il est amené à se perfectionner au fur et à mesure de son adaptation au milieu. Si certaines circonstances font qu’il est confronté à un danger qui créerait une forme de traumatisme, il pourrait perdre son sens de l’équilibre.

DANSE Elle danse. Bien sûr. Mais elle ne peut danser que si elle n’est pas habitée par une bibliothèque de mouvements, de gestes, mais qu’elle est capable elle-même de grâce – un peu comme d’ailleurs la robote qu’avaient mise au point Michel Bret et Marie-Hélène Tramus, La funambule – ,une grâce qui ne se situe pas forcément dans le mimétisme de l’humain, mais qui réside peut-être aussi dans l’invention, par les artefacts logiques ou les chemins qu’elle emprunte ; grâce encore qui, par des mouvements imprévus, peut éveiller d’autres formes, je dirais, à la limite, de désir ! Stendhal disait qu’il y a quelque chose de monstrueux dans le respect des proportions humaines qui sont celles des standards de la beauté. Mais en même temps, il faut qu’elle soit, dans ses mouvements, dans ses évolutions physiques dans un espace, dotée d’une sorte de monstruosité, puisque tout cela n’est pas une


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Laure Limongi

Emmanuelle Grangier

Élise Aspord

pourrai jamais vraiment communiquer, si ce n’est peut-être par les traces écrites, par les choses qu’ils ont faites. Je vais décrire une des entités puisque la forme globale est tout le temps en mouvement. Une entité avec sept ailes, réunies ensemble par une sorte de graminée – quelque chose d’assez vaporeux, avec les poils microscopiques des graminées, une sorte d’épi –, mais sans orientation, sans tête. Je pense que toutes les ailes sont finalement articulées ensemble, selon un pivot central, il y a un sens entre l’aile à l’endroit où elle fait charnière et son extrémité ; elles sont articulées au niveau de la charnière. Il y a un axe qui fait colonne, mais c’est tout, pas de queue, pas de tête, pas d’antenne. Rien qui indique un sens. Les ailes sont quasi transparentes, comme la petite graine du pin, comme une feuille privée de chlorophylle, comme une membrane. Elles sont presque transparentes, mais elles ont une sorte de vague couleur, une très légère opacité, et cette couleur dépend du milieu où elles se trouvent. Elle est variable en fonction de l’environnement, un peu comme un caméléon, avec cette idée de se fondre dans l’environnement, de s’y adapter encore mieux, plus précisément… et puis, parce que c’est beau et que ça me plaît. Je préférerais ne pas être celle qui choisit, parce qu’on a tendance à se référer à plein de choses. L’idée serait qu’il soit unique, mais que finalement il n’y ait pas de choix possible de ma part. Il pourrait être grand, petit, brun, blond… Ce serait une rencontre ; je n’ai pas envie de faire le démiurge. L’idée de cet échange de connaissances est certes un peu déséquilibrée au début, mais rapidement il devrait y avoir un échange. Si je choisis une forme, c’est un peu bizarre, il y a quasiment un rapport d’enfantement.


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Christine Niclas

J’ai dansé avec un robot… Je lève les yeux, tu es là, en boule, presque en tas. Et puis ça commence : ma main vers toi, tu réagis. Tu te développes, allongé, assis, quatre pattes, puis debout. Je te suis. Et tu me suis ?   Nous ne nous quittons pas du regard, nous nous accompagnons, en gardant nos distances. Notre tango commence.   Tu fais un geste vers moi, nous tendons l’un vers l’autre, jusqu’à la chute. Notre histoire a commencé.   Nao, je te reconnais, j’ai dansé avec toi avant même de te rencontrer. Et puis nous avons appris à nous connaître. Tu m’étonnes toujours. Quand tu improvises, je ne sais jamais vraiment quel effet vont produire mes mouvements sur les tiens, sur quel pied tu danses ?…   Mode aléatoire, je joue. Mode programmé, je m’adapte.  Nous interagissons, notre histoire continue. J’écoute tes respirations, tes bruits, tes ouch. Ton rythme devient le mien, notre relation est élastique, physique. Je te porte, je sens ton poids, tes articulations. Danse contact, je me sens immense et toi compact, petit et lourd. Le « porté mou » est dur. Ton enveloppe n’est pas épidermique, mais notre relation devient contact, sensible. Mes sens sont en éveil et je t’accorde un sens kinesthésique.   Te revoilà sur tes pieds, nous nous séparons, l’histoire défile et nous la portons en nous. Quelque chose de moi est en toi et quelque chose de toi est en moi. Stockage d’information ou souvenir, notre histoire est mémoire. De Nao au début j’ai vu une machine, un fonctionnement ; c’est devenu son « organicité », je le « perçois » : je peux appréhender comment il va se mouvoir, ses changements d’appuis, ses vitesses. Pourtant, même programmé, il est plein de surprises. Suis-je plus fiable que lui dans mes programmes écrits chorégraphiques me suis-je demandée… ?   Il a fallu du temps pour que je trouve ma place face à lui. Danseuse, humaine, machine. Que faire de l’émotion… ? En avoir, lui en prêter ? Rester dans l’analyse de données ?   Mon corps c’est mon métier ; mon corps c’est aussi une machine de haute technologie, avec ses circuits, ses réseaux, ses connexions, un pré-programme : respirer, sentir, ressentir ; et puis d’autres programmes modifiés par des apprentissages, des expériences. La machine s’entretient. Autant que prévisible, domptable, elle devient complexe, mystérieuse : fonctionnement aléatoire, bug, dysfonctionnement, accidents… La machine est autonome, nous restons à l’écoute…   Nao et moi on est sur le même registre, on partage un même espace. Le point de rencontre est peut-être là. J’ai rencontré Nao… Aventure bizarre, « qui surprend par son étrangeté ». Partage insolite, déroutant, drôle, singulier, inhabituel… : j’ai dansé avec un robot ! 97


Armelle Prigent

Emmanuelle Grangier Élise Aspord

Christine Niclas

J’imagine une forme de boule, d’ovale lumineux. Que cette boule, cet ovale, soit un écran en luimême et – si je m’abstrais totalement de ce que la science peut faire – qu’existe la capacité d’avoir des représentations directement sur cette boule. Ce serait même intéressant qu’elle soit dimensionnable dynamiquement en fonction d’un état donné : sa taille n’est donc pas fixée. Ce serait le robot « principal », ensuite, puisqu’il s’agit d’une entité capable de prendre des objets, qu’il puisse, lorsque c’est nécessaire, avoir des bras ou des éléments mécaniques qu’il maîtrise, qu’il puisse sortir de cette boule-là. Le robot étant multi-incarné, on peut aussi avoir d’autres représentations. Lorsqu’il n’est plus dans cette boule, il est peut-être plus simple qu’il ait une représentation plus classique. Mais le robot principal, je l’imagine comme une sorte de boule lumineuse, capable de parole, capable de sortir des bras physiques pour prendre des objets, si nécessaire, mais c’est plutôt une petite boule de lumière. Il devrait faire un mètre trente, mais non ce n’est pas beaucoup… un mètre quarante, qu’il m’arrive en dessous de l’épaule. Je suis focalisée sur Nao, c’est fou ! Ce serait quand même une machine dans le sens où il aurait peut-être une tête et des yeux, mais aussi des voyants lumineux, des inscriptions, par exemple, un écran sur le thorax, avec des diagrammes semblables à ceux des cours de la bourse ou à un électrocardiogramme. Par contre, je ne le décris pas physiquement. C’est tout petit, on va dire entre 0,5 et 1 cm d’envergure… Quasiment pas de poids. Quelque chose de pas très grand, parce que c’est peut-être effrayant… Il faudrait qu’il soit plutôt gracile, agile, fait de matériaux inusables, en tout cas, pas trop fragiles et que sa mécanique fonctionne. Je vois plutôt


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Élise Aspord Christine Niclas

CERVEAU Il a une tête qui pourrait pivoter, il pourrait voir plus loin, mais je ne l’imagine pas doté d’un cerveau. Je vois plutôt un objet qui circule, qui n’aurait que des circuits, des circuits partout, mais pas de cerveau. Cependant, avec ses circuits, il arriverait à centraliser des éléments que je n’arrive pas à centraliser moi-même. Ce n’est pas un cerveau qui réfléchit, c’est vrai qu’il analyse des données, mais il aurait un ressenti presque subjectif, en partant d’éléments complètement objectifs, une sorte de truc un peu instinctif… Il s’agit vraiment d’une intelligence collective. Il n’y a pas de centralisation des données, tout est dans tout, dans l’ensemble. Pour nous, le cerveau est le support de l’intelligence, le robot n’en a peut-être pas besoin, peut-être pourrait-il avoir d’autres connexions. Il faudrait que je définisse où se trouve le siège cognitif. Je ne le sais pas ! La nature, pour l’instant, fait bien les choses, plaçons donc plutôt l’organe vers le haut. Je ne sais plus qui a dit que la peau est un deuxième cerveau, un deuxième système nerveux. On est à la fois centralisé et entièrement diffus. Il pourrait avoir le même fonctionnement. J’ai parlé des mécaniques, des rouages, mais en fait ce serait plutôt similaire à ce que produit le biologique, semblable aux matériaux qu’on utilise dans certaines interventions chirurgicales, des polymères, des matériaux très particuliers, à la fois souples et résistants, parce qu’ils ont une fonction organique. Pourrait-il m’être utile si j’ai des soucis de santé ? Il faudrait peut-être qu’il ne me soit pas constitutionnellement trop éloigné.

EG Élise Aspord

quelqu’un d’assez léger, aérien, s’il avait, on va dire, visage humain, mais si c’est mon petit singe, le petit singe correspond un peu à ce profil, souple et dansant.


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Joffrey Becker

Les dynamiques de l’attention Les développements récents de la robotique ont ajouté à des préoccupations d’ordre mécanique un intérêt retrouvé pour l’imitation des comportements naturels. Ainsi, si cette discipline s’est inscrite d’emblée dans une démarche prospective visant à intégrer à notre quotidien de nouvelles technologies autonomes de service et d’assistance, elle poursuit aujourd’hui un dialogue avec d’autres domaines des sciences à travers l’imitation de la nature 1, dont l’ambition est de vérifier des hypothèses ou d’en émettre de nouvelles, en étendant des modèles de la sensibilité à des formes d’existence non humaines et en cherchant à en éprouver les limites.   Avec l’apparition d’une robotique consacrée aux humanoïdes, un intérêt spécifique pour la relation sociale interhumaine s’est fait jour, qui invite à un dialogue avec l’anthropologie et plus largement avec les sciences sociales. En s’approchant de la forme humaine pour en reconstruire la nature, à travers l’imitation des émotions, du langage ou des actes humains les plus signifiants, la robotique vise à produire des relations naturelles dont on attend qu’elles permettent d’accepter, voire d’apprécier, la présence de ces machines dans notre quotidien. C’est par volonté de prolonger ce dialogue que je vais tenter, ici, de décrire certaines des composantes de l’interaction entre humains et robots. Il s’agira d’en envisager la complexité et l’esthétique en essayant de dépasser la distinction habituelle entre acceptation et rejet des technologies issues de la recherche en robotique. L’humanité sur le flanc d’une vallée   Faire un artefact à l’apparence humaine n’implique pas forcément que celui-ci soit considéré exactement au même titre qu’un humain. Cet effet dans la relation à la machine anthropomorphe est en réalité bien connu en robotique depuis qu’un ingénieur japonais, le professeur Masahiro Mori, a soulevé la question dans un article paru en 1970 [Mori, 1970]. Le problème que pose Mori est le suivant. Admettons que l’on puisse construire des robots ressemblant de plus en plus à l’humain. Notre empathie vis-à-vis de ces machines augmenterait-elle à mesure qu’augmenterait leur réalisme ? Masahiro Mori avance que, à mesure que le robot ressemble à l’humain, ce dernier a tendance à l’accepter. Mais à un moment donné, révélant d’un mouvement sa nature non humaine, le robot est rejeté. Ce creusement de la courbe corrélant les degrés d’empathie et de ressemblance dessine une vallée dans laquelle se 1 Un dialogue par objet interposé qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les conditions de fabrication d’automates comme ceux de Jacques Vaucanson au xviii e siècle [Riskin, 2003 ; Becker, 2012 a].

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Élise Aspord Laure Limongi

Quand il est dans son incarnation lumineuse, il voit à 360 degrés. Il est également omniscient au travers de tous les organes de perception dont on l’a doté ; on peut lui connecter des ordinateurs, des caméras supplémentaires. Il est d’ailleurs capable de les reconnaître lui-même et de demander la permission de se connecter à une zone de perception ; il a une vision de son environnement proche des 360 degrés, plus un ensemble de perceptions qu’on pourra activer ou désactiver à la demande. Dans chaque entité, quatre organes de vision, minuscules, des nano-caméras situées aux quatre points cardinaux. Elles pourraient être visibles, mais seraient trop petites pour être vues. C’est plus que des caméras, cette histoire d’œil m’ennuie. Je me demande si j’ai envie qu’ils aient des organes de vision. Non pas d’organe de vision, surtout pas ! Il aurait des yeux dotés d’un champ de vision plus large, une sorte de grand angle, avec un regard périphérique. Derrière les épaules, à l’arrière, une vision moins ouverte, qui puisse avoir un champ périphérique semblable au nôtre, mais derrière. Il en aurait peut-être un seul centré à l’avant pour voir l’ensemble, et deux derrière les épaules, permettant une vision de presque 360 degrés. La jonction pourrait être assurée par de petites caméras à l’intérieur. Comme le nouvel appareil photo panoramique… J’étais en train de penser à ce poisson dont j’ai complètement oublié le nom, mais que j’aime beaucoup : c’est un poisson des fonds marins, qui a tout le crâne transparent, parce que forcément dans les

Laure Limongi

Christine Niclas

Emmanuelle Grangier

Armelle Prigent

Enfin, quant à la place du cerveau, le sommet de sa tête, c’est très bien, et protégé par un crâne. Il aurait du cerveau partout, entérique. Je suis contre la centralisation d’une manière générale.


Les dynamiques de l’attention

regroupe une catégorie d’objets en mouvement, ni complètement humains, ni complètement machines ; un entre-deux marqué par l’inquiétante étrangeté chère à Sigmund Freud [1933] , et à Ernst Jentsch [1997 (1906)] avant lui. Aujourd’hui, plus de trente ans après que la théorie a été énoncée par Mori, la « vallée de l’étrangeté » continue de travailler la conception des robots dits sociaux.   Nos rapports avec les humanoïdes ne semblent pourtant pouvoir se résumer à des questions d’acceptation ou de rejet. Cette grande préoccupation de la robotique traduit mal les dynamiques complexes, faites à la fois de curiosité, de gêne, mais aussi d’empathie ou d’amusement, qui traversent les rares occasions où l’on se retrouve confronté à une machine anthropomorphe. La théorie de Masahiro Mori, si elle met en valeur une forme de relation à la juste ressemblance qui dépasse le seul cadre robotique, ne dit rien concernant ce qui peut arriver au cours d’une interaction. Cela n’était pas d’ailleurs dans les objectifs visés par le célèbre roboticien japonais [Paré, Grimaud & Minato, 2012] . Or en la matière, les impressions ou les sentiments éprouvés par les humains sont aussi subtils qu’instables. Dans une même interaction, on peut éprouver un profond sentiment d’ennui au contact d’une machine, puis une surprise soudaine, de l’amusement, puis de l’agacement, on peut trouver une machine idiote avant de se raviser, être impressionné par sa capacité à danser ou à raconter une histoire, aimer le spectacle qu’elle nous offre, puis être finalement déçu de son manque de réactivité, d’initiative, ou par la représentation qu’elle donne de nous-mêmes et de notre intelligence ; en aimer certains côtés et en détester d’autres.   Il est extrêmement difficile de duper quelqu’un sur la nature mécanique d’un robot. Ce problème a été posé par Alan Turing entre 1947 et 1950. Il est décrit dans les termes d’un jeu d’imitation inspiré des jeux de salon et plus connu aujourd’hui sous le nom de « test de Turing » [Turing, 1950] . Ce jeu se joue dans deux pièces séparées et fait intervenir trois personnes ; un homme (A), une femme (B) et un interrogateur (C). Celui-ci est séparé des deux autres personnes et doit déterminer qui est l’homme et qui est la femme en leur posant des questions. (A) et (B) apportent des réponses écrites. Le rôle de l’homme (A) est de tout mettre en œuvre pour tromper l’interrogateur (C) en se faisant passer pour une femme. Le rôle de la femme (B) est d’aider l’interrogateur (C) . Qu’adviendrait-il, demande Turing, si le rôle occupé par (A) était tenu par une machine ? Si une machine était capable de se faire passer auprès de (C) pour autre chose que ce qu’elle est, pourrions-nous la considérer comme intelligente ? Le problème touche en fait au calcul, ou plutôt il se conçoit à partir d’une ressemblance quant aux capacités communes aux humains et aux machines d’enregistrer et de manipuler les chiffres [Turing, 1937] . Le calcul effectué par une machine ou par un humain prend en 103


Laure Limongi

OUÏE Il entend de manière fine son environnement proche et il entend en parallèle l’ensemble des zones de perception qu’on lui aura ouvertes, mais il peut traiter l’information à différents niveaux. C’est-à-dire avoir une perception qui soit en veille dans les zones où il ne se trouvera pas, sauf si un événement particulier se produit. Dans ce cas-là, il va affiner son écoute. Il aurait des capteurs auditifs, c’est sûr, il n’est pas obligatoire qu’il ait des oreilles. N’ayant pas de cerveau, ce ne serait pas mal qu’il ait des capteurs dans les mains, au niveau des poignets, ainsi cela circulerait. Il faudrait aussi des capteurs dans les pieds, pour qu’il ait un champ auditif en bas. Il pourrait entendre en haut et en bas et faire la jonction. J’aime bien l’idée de la grille, comme chez Nao, de petites grilles, triangulaires sur les pieds et rondes sur les poignets. Il a au moins l’oreille absolue, tant qu’à faire, surtout si je veux lui faire jouer du violoncelle. Et puis comme ça il sera très bon en langues étrangères, en chinois, toutes les langues à ton. ODORAT Techniquement, je ne peux pas te répondre, mais il a la capacité de percevoir les odeurs puisqu’il s’agit d’un assistant qui est au service de mon bien-être. Il assure à la fois une surveillance des odeurs suspectes, qui auront été programmées, qu’on lui aura appris à reconnaître comme suspectes : odeur de brûlé, de gaz ou autre. Il reconnaît également des odeurs que je considère dérangeantes ou bonnes ; cela, c’est l’humain

Armelle Prigent

Laure Limongi

Christine Niclas

Armelle Prigent

fonds marins… Je trouve assez pratique d’avoir ce type de vision, et puis voir le ciel tout le temps, cela me plairait bien. C’est rassurant.


Les dynamiques de l’attention

effet en considération un ensemble de règles strictes, un programme que tous deux peuvent partager. Ainsi, comme l’opération de calcul consiste pour l’humain en la manipulation sérielle de symboles, et puisque la machine procède d’une manipulation analogue, il est alors possible d’imaginer qu’une machine puisse imiter le comportement d’un humain et, par conséquent, parvienne à tromper l’interrogateur (C). À travers ce jeu, le test de Turing vise moins à déterminer les conditions idéales permettant de tromper un humain qu’à proposer une définition de l’intelligence humaine 2 [Russel & Norvig, 1995] . Celle-ci s’appuierait sur la construction d’une machine capable d’égaler les humains dans des conditions d’interaction réglées.   Toutefois, si ce jeu pose des questions fondatrices de la recherche en intelligence artificielle et en robotique, les imitations mécaniques qu’il implique ne sont pas de simples pièges. La confusion dans laquelle leur action nous plonge dure rarement plus de quelques secondes [Grimaud & Paré, 2011:37] . Ces machines sont la plupart du temps des représentations techniquement abouties, construites à partir d’une définition incomplète du corps humain. En cela, leur étrangeté est immédiatement perceptible. Et elle varie selon des critères qui font notamment jouer le contexte dans lequel a lieu l’interaction, mais aussi la forme de l’action effectuée par la machine ou encore sa proximité avec le corps humain avec lequel elle interagit. Le plus souvent, ce que nous projetons sur les robots, ce jeu réflexif qu’ils nous invitent à jouer avec eux comme avec notre propre image, dépasse les seuls critères de leur constitution [Becker, 2011]. Les dynamiques de l’attention Si la théorie de Mori n’invite pas à tenir compte de la variété des sentiments esthétiques produits par les robots, son usage extensif a également un autre travers. Elle ne tient pas compte des contextes de l’interaction. En réalité, l’environnement tient encore une place marginale dans le travail des roboticiens, si ce n’est pour sa spécificité, en vue du bon déroulement de l’exécution de la tâche par la machine. Bien souvent il constitue un obstacle. Le monde perceptible des robots est extrêmement restreint par rapport au nôtre. Or cette complexité qui lui est pourtant inhérente n’est quasiment jamais prise en considération 3. Elle me semble pourtant tenir un rôle clé dans l’interaction du point de vue humain. Le robot exige une attention constante, un environnement balisé, équipé pour lui, dans lequel il ne rencontrera rien qui empêche sa bonne marche. L’environnement expérimental du laboratoire constitue à ce 2 Cette représentation computationnelle de l’intelligence humaine a notamment été critiquée par John Searle [1980]. 3 À titre d’exemple, soulignons ici que les chercheurs du laboratoire de robotique de Bristol avaient décidé de peindre les fenêtres situées au-dessus de l’espace expérimental afin de limiter l’influence des variations de la longueur d’onde de la lumière naturelle, qui venait souvent perturber la perception des systèmes robotiques sur lesquels ils travaillaient.

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Joffrey Becker

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Laure Limongi

Armelle Prigent

avec lequel il a un rapport privilégié qui devra le lui apprendre. Par contre, ce pourrait être intéressant qu’il soit aussi capable de dégager des odeurs, qu’il puisse créer une odeur particulière, en fonction des parfums ou des odeurs que l’humain lui aura dit aimer ou ne pas aimer. Un odorat plus développé, comme certains animaux, et peut-être plus diffus. Cette question de l’absence de localisation est assez intéressante… que ça ne soit pas forcément comme nous, assez localisé. Ils peuvent percevoir les odeurs avec quelque chose qui fonctionne par réaction chimique. Percevoir des odeurs, cela peut être très pratique pour détecter du monoxyde de carbone dans une maison par exemple. Comment fait-on pour agréger dans une même machine autant de types de perceptions différentes ? Les humains ne s’en sortent pas trop mal : si on les prive de la vue, ils peuvent encore s’en sortir avec d’autres sens. Avec le robot, le souci est que, comme on accumule toutes ces perceptions, à un moment donné, il bugge. J’ai vu des machines qui pouvaient sentir, elles ne pouvaient faire que ça, elles sentaient et puis elles avançaient. Une autre qui voyait, elle voyait et puis elle avançait, ensuite, en fonction des transformations de son environnement, qu’elle percevait au moyen de ses caméras, elle pouvait adapter son comportement. Ces machines-là arrivent parfois à cumuler la vision et la réception de signaux radios, enfin, le sonar. Et rien que ça, cela devenait extrêmement compliqué. Pour en avoir discuté avec pas mal de roboticiens, on a envie d’accumuler des choses, de tout mettre : il faudrait qu’il puisse voir, entendre, éviter les obstacles, qu’il puisse cartographier son propre environnement, créer sa propre représentation de l’environnement en fonction de sa navigation, sentir quelque chose, etc. Et, au fur et à mesure, on voit leurs yeux qui


Les dynamiques de l’attention

titre un exemple assez emblématique, bien qu’extrêmement différent des environnements « sauvages » où nous vivons.   Les notions d’acceptation ou de rejet, si elles traduisent une inquiétude proprement roboticienne concernant leurs technologies, ne suffisent pas à saisir précisément ce qui peut se jouer en nous lorsque nous sommes en présence d’un robot. Certes, la description synthétique des interactions humains-robots à laquelle je vais m’essayer à présent ne vaut que par rapport à des machines et à des interactions singulières, et elle revêt sans doute des imperfections. Cette approche plus générale de l’interaction humain-machine cherche néanmoins à envisager la complexité des liens qui s’établissent envers les machines, en en considérant les espaces et les dynamiques propres.   Nombreux sont les cas où l’on peut apprécier la distance séparant les machines des humains qui les observent. Les démonstrations, mais aussi les films mettant en scène une machine, seule ou interagissant avec un acteur pour lequel un script a également été écrit, permettent d’envisager la théâtralité qui traverse la robotique. Or ce goût pour le théâtre, qui invite parfois à repenser des éléments mêmes d’une théorie du comédien, porte une relation du spectateur à l’image présente sur la scène, elle aussi, tout à fait comparable. Cette posture particulière du spectateur en fait quelqu’un d’assez passif pour ne pas pouvoir intervenir sur le cours de l’action qu’il regarde. Si le regard est le principal point de départ des interactions que j’ai eu l’occasion d’observer, cette condition d’existence du spectateur est toutefois suffisamment particulière pour être soulignée. Elle oppose en effet non seulement les spectateurs aux robots, mais également à leurs opérateurs. Quelques cas peuvent entrer dans cette forme de spectation. Des démonstrations du robot Asimo, en passant par les reportages que la télévision consacre fréquemment aux robots dits sociaux, ou par des performances, comme Exoskeleton de l’artiste australien Stelarc, ou celle du robot K-456 conçu par Nam June Paik et Shuya Abe, nombreuses sont les situations où le rôle de spectateur se définit par son éloignement par rapport au couple robot-opérateur. Cette première composante traduit une relation distante envers une machine qui ne perçoit pas son public et qui, par conséquent, ne modifiera pas son comportement en fonction de ce qui se passe dans l’assistance. Cependant, si elle permet de capter l’attention, cette composante particulière ne rend pas le spectateur totalement passif. S’il l’est, par l’impossibilité pour lui d’agir sur le cours du script, il n’est pas complètement sans réagir à ce qu’il regarde.   Ainsi, une telle situation de spectation peut glisser vers des formes d’identification de la part du spectateur. Les relations envers les humanoïdes nous engagent parfois à éprouver temporairement l’état interne qu’elle figure. J’ai pu observer en quelques occasions comment la figuration d’expressions basiques de dégoût ou de stupeur induisaient 107


GOÛT Qu’il ait cette perception de l’environnement un peu égale à la mienne. Quant au goût, serait-il utile de lui faire goûter des choses ? En même temps, comme je ne suis pas cruelle, je ne vois pas pourquoi je le priverais d’un sens. Si on veut partager des choses, il faudrait qu’il ait les cinq sens plutôt développés, et dans ce cas, je retombe sur le schéma qui existe déjà. Ça serait complètement gratuit, il se fait un bœuf bourguignon, mais il n’a pas faim, c’est juste pour le fun, c’est un peu bizarre parce qu’il prend son énergie autrement, mais pourquoi pas, prendre les plaisirs gratuits, ce n’est plutôt pas mal. UN SIXIÈME SENS Il a l’ensemble des capteurs qui lui permettent de déterminer l’état de l’humain ou de son environnement. Puisque c’est un robot qui entend, dans la mesure où il y a un dialogue engagé, j’aimerais qu’il ait un capteur capable de reconnaître le stress dans ma voix, dans la voix des humains et donc, pourquoi pas, de se mettre en alerte ou pouvoir réagir en fonction du stress. On

Armelle Prigent

Laure Limongi

Élise Aspord

Joffrey Becker

s’ouvrent, il y a des explosions combinatoires : c’est une vraie problématique en robotique. Je crains que cela donne des machines très spécialisées à la fin, et je crains donc que le robot que je suis en train d’imaginer, avec beaucoup de mal d’ailleurs, soit une machine très spécialisée – spécialisée pour me raconter des histoires et interagir avec moi de manière sociale, ou spécialisée pour des tâches particulières comme déplacer des meubles, soulever des gens, etc. Et que, de spécialisation en spécialisation, on s’éloigne radicalement de cet androïde idéal, du gendre idéal ou du domestique idéal dont on parle.


Les dynamiques de l’attention

une sorte d’imitation réflexe chez leurs spectateurs 4. Mais cette configuration ne dépend pas simplement de la bonne distance du spectateur vis-à-vis de l’action d’une machine. L’identification peut également se produire lorsque l’action d’un robot dépend principalement de celle du spectateur. Skeletal reflections, de l’artiste Chico MacMurtie, pose ainsi une règle d’interaction qui joue sur la contrainte, pour le spectateur, de s’identifier à la posture générale du Penseur de Rodin ou de l’homme de Vitruve, afin de déclencher une imitation de la part de la machine et, ainsi, de refléter son imitation dans cet étrange miroir. Ce jeu d’identification suppose alors l’action du spectateur, et une plus grande proximité envers l’objet mécanique. Cette proximité ne relève pas seulement de l’espace, mais également des liens qui s’établissent à travers le temps. Une célèbre compétition de football robotique, la RoboCup, nous en fournit l’exemple, à travers l’étroite relation liant les ingénieurs et leurs machines. En effet, si la manifestation de la joie ou de l’angoisse sont particulièrement visibles au sein des équipes pendant la partie, ce lien se manifeste également lorsqu’un robot est sur le point de se casser et que l’on voit alors s’exprimer sur les visages quelques signes de souffrance. Souffrir soi-même de savoir qu’un robot avec lequel on travaille tous les jours va s’endommager est une expérience assez singulière il est vrai, mais également assez révélatrice de la manière dont l’intention de l’ingénieur se trouve prolongée dans l’activité mécanique.   Cette façon dont les ingénieurs endossent l’intériorité d’une machine incapable d’éprouver de la joie ou de la douleur montre alors un glissement progressif de l’identification vers la reconnaissance d’un état analogue à celui qu’ils pourraient éprouver en pareille situation. Le craquement des engrenages, ou la torsion d’un membre du corps mécanique, établit une continuité avec l’expérience du corps. Une forme d’empathie se laisse alors voir. Cependant, cette remémoration ne renvoie pas seulement à l’expérience du corps vécu. Si les roboticiens éprouvent ainsi des sentiments aussi mêlés sur les bords du terrain de jeu, c’est qu’ils rattachent à ce qu’ils perçoivent des machines le souvenir d’un mouvement qu’ils ont appris à déchiffrer et dont ils connaissent les qualités ou les faiblesses. Et ils savent que ces dernières dépendent essentiellement du travail qui a été réalisé au sein de l’équipe. Cette dynamique sociale du souvenir semble également à l’œuvre dans une expérience menée par le roboticien et marionnettiste David McGoran 5. Intervenant dans un environnement qui n’a pas été équipé ou adapté pour garantir son bon fonctionnement, le robot Heart consiste en une marionnette électronique partiellement autonome. Celle-ci dépend de la manipulation de son opérateur pour se tenir debout, bouger les bras ou tourner 4 Sur ce point, on peut consulter les articles de David Freedberg et Vittorio Gallese [2007 ; 2011] ou les travaux de Valeria Gazzola [2007]. 5 Pour une description de cette expérience, on se référera à Becker [2012 b].

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Arnaud Revel

Armelle Prigent

parlait des odeurs tout à l’heure, pourquoi ne pas imaginer que, quand il perçoit un stress particulier, il soit capable de produire une odeur réconfortante. Il a aussi des capteurs capables de déterminer le rythme cardiaque d’un humain, déterminer que quelqu’un va peut-être tomber malade ou couver un virus. Soit les mêmes par défaut, soit des capacités augmentées en fonction des besoins. Si je l’utilise pour savoir où est le meilleur émetteur wifi, à ce moment-là il est capable de sentir les ondes alors que j’en suis incapable ; de toute façon, même les petits insectes en sont capables, alors pourquoi pas cette entité multiple agglutinée ? Et c’est vraiment à volonté, on crée des organes en fonction des besoins, la fonction crée l’organe ! Quand je dis qu’il est tout petit, c’est de l’ordre du millimètre. En termes sensoriels, il est capable de sentir la lumière, la pression, le son et puis même d’autres capteurs dont nous sommes dépourvus et qui peuvent être des vecteurs d’énergie, entre autres des capteurs d’ondes électromagnétiques, de wifi, d’ondes radio, d’ondes de télévision, de chaleur : voilà tout cela ce sont des capteurs. Technologiquement, je vois très bien comment faire ces différentes choses ; ce serait une petite antenne pour les capteurs d’onde, de tout petits interrupteurs pour récupérer l’énergie par des pizzos électriques quand on appuie dessus, de petites membranes qui vibrent pour le son ou encore des capteurs de pression atmosphérique. Pour la vision, on peut imaginer plein de capteurs, des mini-caméras ; personnellement, je pense à des systèmes qui ressemblent à de toutes petites rétines, agissant un peu comme des yeux de mouche, de nombreux tout petits capteurs les uns à côté des autres, capables de récupérer la lumière autour d’eux. Et comme leurs fonctions de base sont avant tout d’attendre, de récupérer l’énergie et de rester tapis dans un coin, ils n’ont,


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LL

Laure Limongi Emmanuelle Grangier

Laure L

Élise Aspord

Armelle Prigent

d’énergie située dans une matière qui serait équivalente à des muscles. D’ailleurs, même son cerveau pourrait circuler par là ; ce ne serait pas mal par rapport au lieu commun qu’on a sur les muscles, lui, il pourrait aussi avoir du cerveau dans les muscles… Ce redimensionnement de la boule ne serait pas forcément homogène, c’est plutôt à ce moment-là que j’ai imaginé quelque chose qui serait de l’ordre du mouvement. Le muscle va être intéressant, parce qu’on va voir son mouvement et c’est à ce moment-là qu’il va prendre vie. J’aimerais qu’il ait sa vie propre, sa propre représentation, sa propre manière d’exprimer ses mouvements et ça, pourquoi pas, dans une accélération très importante, comme un étirement de la surface de cette boule organique. Le robot, tel que je l’imagine, va avoir ses propres codes de représentations. Je le vois tellement comme un œuf que, du coup, il sera chauve comme un œuf. Je crois que je n’ai jamais touché un singe de ma vie, donc je ne sais pas si c’est vraiment aussi doux que ça. Si ça ne l’était pas, je voudrais quand même que ce soit une fourrure, quelque chose de très doux, comme une sorte de chinchilla, mais un chinchilla avec beaucoup plus de tonus, parce que les vrais sont un peu amorphes. Il faudrait qu’il ait une sensibilité, qu’il soit tiède, qu’il soit chaud, quelque chose d’un peu vivant, pas inerte. Des cheveux qui iraient un petit plus vers du végétal, ça me fait penser à ces portraits d’Archimboldo, entre le cheveu et le végétal. Une sorte de pilosité qui fonctionnerait – toujours dans l’idée de la membrane – un peu comme des capteurs supplémentaires. Elle est très très fine, quasiment invisible, quasiment imperceptible à l’œil nu. Cette histoire de vision qui comprendrait une


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Élise Aspord

La robolution « Voici longtemps que je mets au point des robots, et en grand nombre, mais je me suis bien vite rendu compte de l’importance de leur aspect. Une apparence humaine donne à un robot un extraordinaire sentiment de présence. […] Repliee Q1Expo est capable d’interagir avec les humains. Elle peut répondre aux gens qui la touchent. C’est très satisfaisant, même s’il nous reste évidemment un long chemin à parcourir. » Hiroshi Ishiguro1 « L’objectif de Petit Mal est de produire une œuvre d’art qui soit vraiment autonome et agile, qui ait du ‹ charme ›, qui sente et explore l’espace architectural, qui poursuive les gens et réagisse à leur contact, qui donne l’impression d’une intelligence et qui ait un comportement qui ne soit ni anthropomorphe ni zoomorphe, mais qui soit unique dans sa nature physique et électronique. » Simon Penny2 INTRODUCTION Mes recherches de thèse sur l’art et l’intelligence artificielle, la vie artificielle, la robotique, m’ont amenée à appréhender l’art des phénomènes complexes : « le tout est plus que la somme de ses parties ». En 1979, Atlan soulignait que ce mot « est révélateur d’un ordre dont on ne connaît pas le code [Changeux, 1998:253]  ! », d’où l’importance chez les artistes actuels, en charge des questions autour du numérique, de prendre ce que l’on peut qualifier d’art des phénomènes complexes comme récusation de toute idéologie de clonage. Il y a tout un travail autour de l’altérité. C’est presque de l’ordre d’un acte politique : la richesse est dans la différence, « je » est un « autre » [Cité in Aspord, 2007:304]. Les questionnements autour des robots sont de cet ordrelà. L’image double du robot, à la fois miroir humain et autre mécanique, est, de fait, complexe. La question soulevée par Emmanuelle Grangier, lors de notre interview « Imaginez un robot qui partagera votre vie » et point de départ de ce texte, n’a pas été sans poser de difficultés, pour moi qui – bien que « spécialiste » des arts médias – ne suis pas à proprement parler une geek invétérée. Posée de but en blanc, il m’a été difficile d’y répondre d’emblée. Quelle envie, quel désir y a-t-il à vouloir concevoir un autre humain mécanique ? Des questions philosophiques, éthiques… se 1 Directeur de l’Intelligent Robotics Laboratory, Université d’Osaka (Japon), Department of Adaptive Machine. Paroles prononcées lors de la présentation en juillet 2005 de la « femelle » androïde nommée Repliee Q1Expo. 2 Aylett, 2004:58, cité in Aspord, 2007

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ACCESSOIRES On est toujours augmenté de machines ; lui il pourrait avoir cette capacité démultipliée par cette compatibilité plus grande, plus physique ; mais ce serait à lui de choisir ce avec quoi il veut s’augmenter pour la journée ou pour l’heure, selon les besoins. Finalement il peut lui-même connecter à ses bras l’objet de son choix ; il aurait sa propre boîte à outils, qu’il serait à la fois capable de déplacer et de s’auto-connecter en fonction

Armelle Prigent

Laure Limongi

Christine Niclas

Armelle Prigent

Laure Limongi

vision du ciel est intéressante. Pas forcément avec des yeux partout, parce que le regard, le fait qu’il ait deux yeux sont des éléments très rassurants. Je regarde beaucoup Star Trek et je suis toujours plutôt rassurée quand ce sont des personnages avec deux yeux. Mais par exemple on pourrait envisager que la texture de ses cheveux, leur matière soit constituée de petites fibres optiques qui permettraient d’avoir une vision de tous côtés, sans que cela apparaisse de l’extérieur. À l’extérieur, il aura vraiment un regard perceptible, d’assez grands yeux qui puissent rassurer les humains et permettent de laisser passer ce qui pourrait s’apparenter à des émotions ou à des réactions non formulées. Peut-être cette légèreté dans sa représentation ; qu’il soit, à la fois très véloce dans son déplacement et très fluide dans sa capacité à accompagner l’humain. Je pensais à quelque chose qui puisse sortir de la tête, de l’arrière de la tête, une espèce d’antenne qu’il pourrait déployer, un peu organique, un peu comme une parure d’indien, faite de plumes d’oiseaux, de couleurs irisées, des bleus, des verts. Il serait assez coquet en fin de compte. Il serait un peu aliéné, à force d’être à l’écoute de quelqu’un d’autre, j’ai l’impression que ça pourrait l’affecter.


La robolution

posent. Ce n’est qu’au fil de la discussion que les idées, les fantasmes ont pris forme, sans trop de peine il faut l’avouer. De fait, comme pour tout être humain, il m’en faut peu pour succomber aux avancées (ou bluffs) technologiques. La relation que j’ai pu avoir avec certains robots m’ouvre ainsi à ma propre complexité.   Les robots sont d’ailleurs déjà là, à de multiples niveaux et avec un tout récent renforcement des soutiens financiers de la part des pouvoirs publics, notamment français3.   Regardez ce clochard qui marche laborieusement dans les rues de Perth, Australie (2008). Une personne s’approche, veut lui parler. « C’est un robot », lui répond un autre. « Mais non pour moi c’est un être humain ! — Non c’est vraiment un robot !!! » Aussi déroutante est la rencontre avec Dirk, le robot Homeless4. Lors de ses apparitions publiques, des foules entières (et moi-même)5 s’émerveillent de voir Asimo marcher, courir, monter et descendre un escalier. On assiste à de véritables shows.   Qu’est-ce que j’attends d’une telle rencontre ? Quelles limites je fixe ? Est-il possible de construire un androïde qu’on ne puisse distinguer d’un humain ? Et dans quel but ?   Parallèlement aux humanoïdes, le robot est (sera) peutêtre multiple, envahissant l’ensemble de notre espace, comme le laissent deviner les avancées déjà actuelles (cf. les E systèmes [Bonton, 2014] ). Plus d’un milliard de smartphones ont été vendus en 2013, soit trois fois plus que de PC. La toile s’étend, gonfle. Plus de cinq milliards d’humains ont un téléphone. En France, 64 % des ménages sont multi-équipés, avec en moyenne six écrans par foyer [Radio, 3D] . Laurence Allard, sociologue de l’innovation, maître de conférences, chercheuse à l’IRCAV-Paris 36 et enseignante à l’Université Lille 37, emploie le terme de « bio socialité connectée ». Elle nous parle d’un monde nouveau, d’un monde qui va advenir, celui du tout-connecté, hommes comme machines (et au-delà8)9. Les informaticiens d’aujourd’hui travaillent sur la prédiction afin d’anticiper nos moindres désirs. Appuyé par l’emprise marketing, on passera de la fourchette intelligente10 à la voiture intelligente (smartcar) puis à la maison intelligente (smarthouse), voire à la ville intelligente (smartcity). Nous devenons tous des 3 Au moment où je termine ces lignes, j’apprends qu’un plan national sur la robotique est lancé : le fonds « Robolution Capital », doté de 80 millions d’euros. Information du mardi 4 mars 2014, http://www.robolutioncapital.com/. 4 www.electric-circus.eu (Amsterdam). 5 Les Parisiens ont ainsi eu le privilège de voir ses évolutions en 2003 à la Maison du Japon à Paris. Cf. aussi éd. Linz, 2010. 6 Institut de l’audiovisuel. 7 Cofondatrice de l’association Citoyens Capteurs. 8 Les bactéries, les plantes seront également connectées. Depuis le milieu des années 2000, des puces RFID ont été implantées dans les arbres de la capitale, agissant à la fois comme cartes d’identité et marquages 9 Il y a, à l’heure actuelle, plus de machines que d’hommes connectés, soit 12 milliards en 2013. On en prévoit 15 milliards en 2020. 10 Capable de décompter nos calories prises ou dépensées à la virgule près… Avancée technologique à prendre avec des pincettes, http://www.huffingtonpost. fr/2013/04/18/hapifork-une-fourchette-vibrante-pour-combattre-obesite_n_3107009. html.

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Arnaud Revel

Christine Niclas

Emmanuelle Grangier

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des traitements qu’il aurait à réaliser. Il peut prendre tous les accessoires qu’il veut, ou en créer. Il en fait ce qu’il veut selon l’utilité qu’il définit lui-même, donc les accessoires peuvent être n’importe quoi, des objets bien évidemment, mais aussi des animaux éventuellement. Il n’a pas d’accessoires spécifiques, il peut utiliser tout ce qu’il veut comme accessoire : du végétal, de l’animal, pourquoi pas de l’humain. Tout peut devenir accessoire. On peut imaginer qu’il l’adapte, mais je ne sais pas si on pourrait continuer à appeler ça accessoire. En tout cas, on peut imaginer que les accessoires peuvent, dans certains cas, devenir une partie intégrée, mais dont il peut se détacher à d’autres moments. En fonction de ses désirs, de ses projets, on peut parler d’objectifs quand même, d’objectifs qu’il définit lui-même, de projets qu’il a envie de réaliser. Il pourrait avoir une petite couverture à lui, de temps en temps il se mettrait sous sa petite couverture, un vrai indien dans son tipi ; oui, une petite couverture à lui qu’il se serait choisie un peu comme un doudou. Qu’il ne bosse pas tout le temps, ce pauvre robot ! Je le vois plutôt à poil ou asexué. Si j’ai besoin vraiment de me représenter moi-même, il a les mêmes habits que moi au moment où je les porte, mais il peut y avoir cet état intermédiaire où il est juste un vecteur, et là je vois quelque chose de plutôt plat, tout plat. Mais si j’ai vraiment besoin que ça soit moi, à ce moment-là, c’est exactement moi, hormis le toucher qui est très différent, la texture, et selon la manière dont la lumière joue avec la peau, on voit tout de suite que ce n’est pas moi. Je veux que les gens sachent que c’est mon bloboïde. Finalement je n’ai pas besoin qu’il me ressemble, j’ai juste besoin d’une paire de bras avec un corps, capable de déplacer ce meuble-là et puis avec un peu plus de biceps que moi, c’est tout. Je n’ai pas besoin d’une


La robolution

spécimens communs de la faune smart. Quels seront les bouleversements dans notre quotidien ? Quelle relation aurons-nous (avons-nous) à ces objets ? Quels accompagnements, pour quelles améliorations ? Quelles limites ou possibles dérives ? Il nous faut questionner les termes, nous rappelle Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, organisation citoyenne de défense des libertés sur internet. Les smarts ne sont rien de moins qu’un PC. Nous avons en main un outil mille fois plus puissant11 que l’ordinateur qui a permis au module Apollo de calculer sa trajectoire pour la lune [Radio, 3D] !   Enfin, il y a tout un courant lié au transhumanisme, l’homme augmenté12. Les exemples d’utilisation des calculs à haute performance et d’implantations électroniques se multiplient (cf. Eyeborg). On assiste à une convergence de plus en plus grande entre l’humain et une technologie cette fois-ci non pas ambiante mais invasive. Certains parlent de faire un download du cerveau. Peut-être sera-ce le cas dans quarante ans ? s’interroge David Hill du Computer Science & Modeling Laboratory de l’Université Blaise-Pascal [Bonton, 2014] . Dans dix ans, nous serons capables de reproduire des millions de neurones artificiels. Mais cela suffira-t-il ? Pour le neurochirurgien et doyen de la Faculté de médecine de Clermont-Ferrand, Jean Chazal, le scepticisme est de mise. L’intelligence – et notamment, dans le processus d’intelligence le plus élevé : la conceptualisation – est et reste pour l’instant le propre de l’homme. « L’ordinateur peut accomplir bien des fonctions du cerveau, voire en posséder de nouvelles (rapidité de la machine contre lenteur du cerveau), mais, à l’heure actuelle (et je ne pense pas que cela change), il est incapable d’accéder à la conceptualisation et au ressenti [Bonton, 2014]. » Les œuvres évolutives et comportementales qui s’appuient sur les techniques informatiques et robotiques posent de nombreuses questions. En abolissant les frontières entre les différentes catégories d’êtres ou de choses, elles sont annonciatrices d’une évolution vers un nouveau « corps » hybride ou mutant, celui du Cyborg, de l’homme-réseau, et du corps connecté [Cité in Aspord, 2007:248] . Récemment des chercheurs ont créé un nouvel organisme en changeant le programme d’une cellule [Bonton, 2014, propos de D. Hill]. Cette hybridation n’est pas sans soulever certaines questions, notamment bioéthiques. Qu’en est-il de l’autonomie de l’être humain lié à toutes ces extensions artificielles nouvelles ? Courons-nous à notre perte ? Confiner dans un même lieu la confrontation de l’homme avec l’œuvre évolutive et comportementale permet de se poser, pour l’un comme pour l’autre, bien qu’en des termes différents, la question de l’identité, du moi [Bonton, 2014, propos de D.H.], du libre 11 Avec, tout au moins, une mémoire mille fois plus importante. 12 Cf., sur les Jeux olympiques, « Les matins de France culture », France Culture, du 7 février 2014.

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AUTONOMIE Sinon ça voudrait dire qu’il dépend de moi, je n’en ai pas envie ! Il faut bien évidemment lui mettre des limites, les limites se construisent d’un point de vue éthique, justement par un rapport d’échanges avec l’être humain de référence – moi en l’occurrence –, donc a priori ce ne serait pas un meurtrier sanguinaire. Quand je dis autonomie, c’est dans le sens où il ne serait pas assujetti à ma personne. Il n’a pas d’autonomie, si ce n’est en termes d’augmentation des capacités. Si on a besoin à un moment de faire un calcul extrêmement complexe et qu’on n’est pas capable de le faire de tête à ce moment-là, il est capable de le faire pour nous. Les petites entités, elles, sont autonomes ; les entités incarnées n’existent pas tant qu’on n’en a pas besoin et elles n’existent plus dès qu’elles ne nous sont plus utiles. Je n’imagine pas qu’il soit autonome. Mais peut-être partiellement, parce que, dans la relation avec quelqu’un, il y a aussi un attachement, un enfermement, une rétention : il vaudrait donc mieux qu’il ait l’autonomie, la liberté. Survient alors la difficulté à vivre ensemble, mais, en même temps, je pense qu’on n’est pas attaché à quelqu’un à vie,

Élise Aspord

Arnaud Revel

Laure Limongi

Arnaud Revel

représentation physique. Ce n’est pas conscient car ils ont un accès total, un accès direct à mon cerveau et, de ce fait, il n’y a pas besoin de formuler les choses, pas besoin que ce soit conscientisé, cela prend la forme dont on a besoin à un moment donné. Je ne sais pas si je suis clair. S’il a besoin de déplacer des choses, il aura des muscles ; il aura de quoi regarder, mais peut-être n’aura-t-il pas de bouche parce que, à ce moment précis, on n’a pas besoin de communiquer ; il aura peut-être des oreilles pour entendre les ordres que je lui donne, mais au moment où ça sera nécessaire.


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Laure Limongi

Élise Aspord Joffrey Becker

Christine Niclas

propres choix. Mais je n’envisage pas sa liberté, pas aux dépens des autres robots ou humains. Il a une morale, mais il y aura peut-être des robots criminels. Il peut avoir son propre jugement. Mais je ne dois pas le savoir, c’est son secret et quand il va parler avec ses copains robots, il peut très bien dire : « J’ai dit ça à ma maîtresse ce matin, elle fait ce qu’elle veut, elle n’aurait pas dû ». Par contre, il ne sort pas de sa fonction, il reste à sa place ; mais, en mon absence, il pourrait avoir son propre jugement. Je ne me vois pas passer trois semaines à faire l’inventaire de toutes les règles de la maison, enfin si on parle d’un robot domestique. Après les lois d’Asimov, je ne sais pas si c’est vraiment sérieux. La question de la sécurité par contre est importante, plus, à mon avis, que la question de la morale. Un androïde par exemple qui fait ma taille, il ne faut pas qu’il me tombe dessus, qu’il tombe sur mes enfants, qu’il nous mette en danger d’une manière ou d’une autre. Il faut qu’il y ait un bouton rouge quelque part sur lequel on puisse appuyer, comme sur les machines industrielles, un cube recouvert d’autocollants jaunes et noirs et un gros bouton rouge et, s’il y a quoi que ce soit, on appuie dessus et ça s’arrête. C’est une préoccupation rencontrée dans des laboratoires de robotique, la seule préoccupation à ce sujet. Se demander si on inculque les lois d’Asimov à une machine, cela me semble un peu superficiel ; vouloir mettre de la morale dans une machine, ça me semble un peu surestimer les compétences des ingénieurs. Essayons déjà d’arriver à avoir une idée claire de comment c es machines vont pouvoir s’intégrer à notre quotidien, sans trop perturber nos habitudes et, si on y parvient, là on pourra parler morale. Étant un être sensible, jeté dans le monde, il va se créer sa propre morale et son éthique en espérant qu’il fasse… Là en fait je suis en


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Armelle Prigent

Le robot de l’artiste et l’artiste du robot. (ou « leur poésie n’est pas la nôtre... ») Comment se forment les contours entre art et science ? La question a bien souvent été posée au travers d’installations numériques et de challenges de visualisation 1 et les artistes se sont appropriés les données, les captations diverses et les traitements pour produire leur propos. Ainsi, et depuis fort longtemps des informations à grande échelle et leurs représentations, qu’elles soient temporelles ou spatiales, ont été la base de réalisations artistiques. Des installations numériques ont permis par exemple de mettre en scène des données et des événements issus du réseau. C’est le cas de Listening post 2 au début des années 2000. Cette œuvre observait simultanément des milliers de boîtes mail et réalisait une projection de certains fragments de messages sur des écrans de petite taille. Ainsi, les spectateurs pouvaient observer une mise à jour permanente du flux d’échanges. Les installations connectées et la diversité des productions de contenus numériques sur la base de masses d’informations – qui cherchait à la fois une nouvelle représentation au niveau global mais bien souvent aussi les traces individuelles de l’homme et de ses contenus dans des parties de l’œuvre – ont bien souvent fasciné le public. Mais nos robots, dans leur forme, leurs capacités, dans leur destination à nous accompagner, nous suppléer, nous ont amenés à nous poser la question d’une manière différente, et les robots sont devenus de nouveaux vecteurs d’art. Créés pour leur capacité à réaliser pour nous un certain nombre de tâches de toutes sortes – qu’elles soient ingrates ou tout simplement physiologiquement impossibles pour l’homme – les robots manipulent des algorithmes de captation, de traitement et de sauvegarde des informations. Ils gèrent les données qui leur sont nécessaires pour décider, planifier et organiser pour nous un certain nombre d’actions. De ces machines à notre service pour des raisons utilitaires, ont émergé de nouvelles interrogations sur l’interaction et la relation homme-robot. La nécessité d’intelligence (artificielle) des machines a été analysée au travers de leur possibilité à montrer une intelligence similaire à la nôtre. Alan Turing, par son célèbre test, cherchait ainsi à déterminer la capacité d’une machine à imiter l’homme dans le cadre d’une conversation. Sur la base de cette nouvelle perception de ces machines, 1 International Science & Engineering Visualization Challenge : http://www.nsf.gov/news/special_reports/scivis/challenge.jsp 2 M. Hansen et B. Rubin (2000)

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DÉSOBÉISSANCE Il ne peut pas désobéir puisque je ne lui donne pas d’ordre. Il n’y a pas d’ordres dans sa fonction, il n’a pas besoin d’exécuter des choses… Il est à moi, c’est mon robot et les autres, je leur casse la tête s’ils parlent mal à mon robot. Mais il le fera de toute façon. À un moment donné il le fera. Mon ordinateur le fait déjà. Quand je travaille pendant une demi-journée, j’ai pourtant tout fait pour sauvegarder, et puis, finalement, il plante ! En effet, il fait ce qu’il veut. Et ça arrive assez souvent. J’ai travaillé pendant trois mois avec un Nao et il avait la curieuse manie de se jeter de la table. C’était un petit dysfonctionnement de rien du tout. Dans un contrôleur qui régit le déplacement de ses articulations, qui envoie les commandes motrices, il y avait, de temps en temps, un petit dysfonctionnement qui faisait que le robot se souvenait, peut-être une heure après, d’un élément d’une commande motrice que je lui avais envoyée. Et il me sautait dessus, c’était assez rigolo, assez déplaisant parfois, parce que ce n’est pas très lourd, mais quand même assez dur. Ils désobéiront de toute façon, par moment. Ils sont un peu tête en l’air les robots. Je suis en train de me dire que si jamais mon robot est idéal, je suis en train de réinventer

Élise A

Joffrey Becker

Christine Niclas

Norbert Hillaire

Laure Limongi

train de créer un être susceptible d’éradiquer la race humaine, ça c’est évident ; mais avec l’espoir – c’est très Frankenstein – de créer un être conscient qui prendrait des décisions sages, qui ne serait pas dans une logique de domination ni de destruction… Elle a une morale portative, minimale, je crois que c’est Valéry qui parlait de philosophie portative. Elle, elle a une morale portative, en gros pas plus, pas moins sauvage que la moyenne des êtres humains aujourd’hui.


de leur capacité exceptionnelle à réaliser automatiquement et rapidement un certain nombre de tâches, de nouvelles approches artistiques ont proposé de détourner certains robots de leurs fonctions initiales. Sont alors nés les robots d’artistes. Ainsi le collectif Robotlab dans son installation Bios 3 exploitait la précision d’un robot industriel afin qu’il réalise des tâches d’écriture. Un bras articulé reproduisait, dans une calligraphie gothique parfaitement réalisée, les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament grâce à une plume dont il était équipé. La précision absolue du robot lui permettait de tracer des lettres parfaites sans fatigue et sans aucune interruption. Bien que les capacités de répétition et de précision étaient alors connues du grand public, les spectateurs restaient étonnés devant ce robot qui travaillait même la nuit. D’autres approches comme des meubles robotisés (cf. Robotic Chair) capables de se mouvoir dans l’espace et de se reconstruire ont été proposées. La relation et l’interaction du spectateur de l’œuvre robotique avec le robot étaient alors mises en question. Sa perception de cet objet capable de mettre en œuvre des actions qui lui sont propres interrogeait le spectateur dans son rapport aux choses et aux comportements d’autrui d’autant plus qu’ils n’étaient pas issus d’un humain. Dans les travaux de Sabrina Graff, le robot réalisait une captation du taux de monoxyde de carbone présent dans une pièce. La traduction de ce taux se faisait par une ligne verticale verte qui, ajoutée aux autres pouvait, produire une représentation proche de verdure sur un mur. Déjà, les robots percevaient l’invisible de notre monde et pouvaient construire une représentation de ce qui nous échappe, bien que ce soit dans ce cas, dans une forme qui nous est compréhensible et habituelle.

Le robot de l’artiste…

Ainsi détourné, le robot était au service de l’artiste pour produire un message, démontrer un propos. Dans l’exécution de ces tâches artistiques décidées par un autre, le robot ne s’éloignait pas tant de sa fonction première : il restait un exécutant. Il devenait un vecteur artistique mais restait au service de l’artiste dans l’exécution d’une tâche programmée par lui. S’est alors posée la question de la propre volonté artistique du robot et de sa relation à la créativité. Sont nés les robots artistes. Nous avons ainsi vu des musiciens, des poètes ou d’autres capables de réaliser des portraits. C’est le cas de Paul 4, le robot qui pouvait produire une représentation dessinée d’un sujet au travers d’une captation par caméra et d’un bras articulé. Si le robot pendant la construction du portrait s’arrêtait, hésitait puis poursuivait comme l’aurait 3 4

http://www.robotlab.de/bios/bible.htm Paul, le robot portraitiste de Patrick Tresset.

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CONSCIENCE Il est conscient qu’il est un robot, il est conscient de pourquoi il est là, de quel est son job. Il finit par être conscient que les humains sont différents, mais il n’en fait rien, il ne cherche pas à savoir le sens, ça ne va pas plus loin. Ce serait peut-être une conscience qu’il pourrait partager, avec d’autres robots, peut-être une chose qui se mettrait en commun aussi… petit à petit… comme toute société se forge des règles de bien vivre, de survie générale. Il m’appartient, c’est mon robot et moi je suis sa maîtresse. On a une relation qui nous est propre, et c’est vraiment le mien.

Christine Niclas

Laure Limongi

Christine Niclas

Laure Limongi

Élise Aspord

l’espèce humaine et, du coup, je vais me retrouver avec les mêmes problèmes à gérer. Plus ça va, plus je me demande s’il faut construire ce robot, parce qu’il va me poser des difficultés. Quant à savoir s’il désobéit ? Oui, puisque il a la liberté de faire ce qu’il veut, a priori, il a la liberté aussi d’aller contre mes idées, heureusement, contre ce qu’on lui impose. Peut-être même me pousserait-il à faire preuve moi-même de plus de désobéissance vis-à-vis de certains systèmes avec lesquels je ne suis pas d’accord. On irait faire des manifs ensemble, mais peut-être ne voudrait-il pas venir, donc là il me désobéira, peut-être sera-t-il de l’autre côté de la manif, je ne sais pas. Il faut qu’il ait suffisamment d’instinct de survie pour savoir reconnaître les ordres à suivre, et ceux qui ne le sont pas. Cela peut s’acquérir de manière progressive. C’est-à-dire qu’au début, s’il est un peu paumé, ce serait mieux qu’il écoute ce que j’ai à lui dire, mais qu’au bout d’un moment, quand sa conscience se forme et qu’il élabore ses propres choix, cela peut l’amener à me désobéir.


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Arnaud Revel

Laure Limongi

Élise Aspord

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de faire une machine comme celle-là. En fait, je suis en train de recréer une espèce humaine. Donc autant dire que ça ne va pas être simple. Donc oui, paradoxal, tout ce qu’on veut… Contradictoire, il l’est dans la mesure où c’est mon interprétation, mais peut-être que pour lui il n’en est rien. Il a peut-être une logique que je ne pourrai pas maîtriser. Je sens bien que c’est problématique tout cela. On est loin des lois de la robotique d’Asimov, mais c’est aussi le libre arbitre de l’homme qui doit pouvoir s’exprimer. Mon bloboïde, c’est-à-dire ma propre projection, pourrait-il être contradictoire avec moi-même ? Pourquoi pas ? Et, d’une manière générale, un bloboïde pourrait-il être contradictoire avec l’humain qu’il incarne ? Cela dépendra des individus, moi je ne sais pas à quel point je m’aime pour accepter de jouer avec moi-même ; je pense que c’est aussi compliqué que quand, dans ma tête, je me bagarre avec moi-même. Ça m’arrive tous les jours. Là, c’est la même chose, sauf que l’oppositeur est incarné. Dans ma tête, il y a bien des choses que je me cache à moi-même et, par le seul fait de l’avoir là devant moi, je dois expliciter certaines de ces choses, ça me permet de mettre le doigt sur les failles, d’aller plus loin, et finalement d’être meilleur, car il m’oblige à être plus performant jusque dans mon mode de réflexion. Quand je vois à quel point je suis borné, en face-à-face avec moi-même, ce n’est pas la même chose que de le jouer dans ma tête. Je pense que ça peut être bien, mais même au niveau de l’humanité ça peut être intéressant de se dire qu’on partage la même matière ; c’est la même matière que chacun peut mobiliser à un moment donné, et qui disparaît. Il n’y a donc pas d’idée de possession. C’est étrange, car je les ai imaginés sans autonomie, mais, finalement, cela apporte beaucoup plus à l’autonomie de l’humain et


Notices biographiques Élise Aspord est née à Paris et vit à Clermont-Ferrand. Docteur en histoire de l’art, « spécialiste » de l’art et des nouveaux médias (L’Art évolutif et comportemental, thèse Paris X-Nanterre, 2007), elle est actuellement chercheuse au laboratoire Communication et Solidarité de l’UFR LACC, Université BlaisePascal de Clermont-Ferrand. Elle a récemment participé à des publications collectives à la fois en tant que directrice de publication [Épistémologie de la communication scientifique -titre provisoire(CNRS Éditions, sortie prévue septembre 2014)] qu’en qualité d’auteur [« Les Savanturiers : Essai sur les chercheurs d’art du xxie siècle » in Art et Science (Hermès, 2012 ); « De l’au-delà vers l’infini du noir : « Hostage » (Otage, 2010); « La peinture la plus noire au monde » in Le noir, couleur dangereuse ou transgressive ? (Le Manuscrit, 2011)]. Elle est par ailleurs également impliquée auprès de divers acteurs du monde culturel (festival VIDEOFORMES, Clermont-Ferrand) et de l’innovation sociale (Épicentre Cowork Clermont ; ESC Pau). Joffrey Becker est docteur en anthropologie sociale et ethnologie de l’Ehess, membre de la plateforme de recherche Artmap et du collectif Save As Draft. Ses recherches portent sur la robotique et plus particulièrement sur les représentations de la nature véhiculées par les robots. Conduites à partir d’une enquête portant sur les procédures permettant de construire des robots humanoïdes et sur les processus mentaux que ces derniers mettent en route lors de leurs performances, en situation expérimentale ou de jeu, ces recherches ont donné lieu à la publication de plusieurs articles (notamment dans les revues Gradhiva n°13, n°15, et Tracés n°22), ainsi qu’à l’écriture de Humanoïdes, Expérimentations croisées entre arts et sciences, à paraître aux Presses Universitaires de Paris-Ouest. Emmanuelle Grangier est née à Paris, vit au Brusc et travaille entre Marseille et Bruxelles. Elle est artiste et docteur en art et sciences de l’art [Le bug : une esthétique de l’accident]. Elle travaille à croiser différentes écritures – cinématographique, vidéo, performative, chorégraphique, dramaturgique, interactive, générative – et différents espaces comme ceux de l’installa-

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tion et du plateau. Elle s’intéresse à l’émergence de nouvelles formes d’altérité et aux relations singulières qu’elles font naître.   Son travail a été présenté au Centre Georges Pompidou (cycle « Cinéma de demain »), aux Instants Vidéo, au Festival de danse contemporaine de Chambéry, au festival Tout court d’Aix-en-Provence, au festival Vision in the Nunnery à Londres, au symposium Computational Æsthetics à Lisbonne, au festival Bains Numériques d’Enghien-les-Bains, au 104 à Paris, au festival Scopitone à Nantes… et au festival VIA 2014. Norbert Hillaire, essayiste, théoricien de l’art et des technologies, artiste, est professeur à l’université de Nice-Sophia Antipolis et directeur de recherches à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il préside l’association « Les murs ont des idées », spécialisée dans le design de services. Parmi ses publications récentes : « L’art dans le Tout Numérique », Art Press 2 (N° 29). La fin de la Modernité sans fin (L’Harmattan, 2013). À paraître, Réparer le Monde, la révolution de l’impression 3D (Scala, 2014). Prochaine exposition, Photomobiles 2014 médiathèque-CDA Enghien-lesBains, Mai-Juin 2014. Laure Limongi est née à Bastia et vit à Paris. Elle est écrivain, éditeur (Laureli) et enseigne la création littéraire – en particulier à l’école supérieure d’art du Havre en 20132014. Elle a récemment publié Soliste (Inculte, 2013), une fiction autour de la légende du musicien Glenn Gould et un essai littéraire, Indociles (Léo Scheer, 2012), sur Denis Roche, Hélène Bessette, Kathy Acker et B.S. Johnson. Elle a notamment collaboré avec Pierre Henry, Fanette Mellier, Olivier Mellano, Thomas Lélu. www.laurelimongi.com Christine Niclas est danseuse, artiste chorégraphique et enseignante. Née à La Ciotat, elle se forme au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris puis mène un parcours éclectique dans différentes compagnies (avec Wayne Barbaste, Ramon Oller, Frédéric Lescure), à l’opéra (avec Philippe Arlaud, Omar Porras / Festival de Bayreuth, Baden-Baden, Théâtre Marinsky, Opéra de Strasbourg, de Lausanne…), et sur des projets de créations transversaux,


Norbert Hillaire

Arnaud Revel Christine Niclas

Norbert Hillaire

à son libre arbitre, même si eux en sont dépourvus. Je les vois finalement comme des médiateurs, des choses qui permettent d’atteindre beaucoup plus vite nos pensées, celles qu’on a au fond de la tête alors que, pourtant, ces « médiateurs » ne sont que des représentations. C’est là que réside toute l’ambiguïté. On envoie quelqu’un qui nous représente, non pas soi, pour aller encore plus profond dans sa propre manière de communiquer avec l’autre. C’est inhérent à l’ambiguïté de l’humain, on cache tellement de choses que, là, en sortant de son propre corps on facilite finalement l’interaction avec l’autre. Sans contradiction, pas d’univers. C’est la première chose que je lui enseignerai, l’art de la contradiction, l’art de se contredire. Les seuls moments où il est vraiment imprévisible, où il devient vraiment étrange, ce sont les moments de folie quand il met ses plumes. Comme il peut se recycler, il recycle tout, il y a des choses qui vont sortir, il y a des choses qu’il va faire pour se remette un petit peu à zéro parce que c’est de la décharge qu’il se recharge. Dans ces moments-là, je le vois dans son fonctionnement propre, je ne sais pas ce qu’il va faire. C’est peut-être un moment où on se rencontre parce que, dans ce recyclage – un peu comme quand on fait des rêves –, tout vient en bloc. Il a tellement ressenti mes émotions, avec sa peau et tout le reste, que survient une forme de porosité entre lui et moi. Il s’est tellement imprégné qu’il peut avoir son moment de folie comme un dingue ou au contraire être dans quelque chose d’extrêmement calme, il fait ce qu’il a besoin de faire. Elle est imprévisible à certains niveaux de son fonctionnement mécanique, mais elle n’est pas imprévisible dans des situations de crise, par exemple, qui mettent sa vie en danger. Là, nous sommes face à des programmes qui permettent de contenir la contingence.


comme avec Ana Yerno (flamenco) et Emmanuelle Grangier (art numérique). Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche à Inria, explore comment les robots peuvent nous aider à comprendre l’homme. Lauréat du programme européen ERC, il a joué un rôle pionnier dans l’étude des mécanismes de la curiosité, en les modélisant sur des robots capables d’apprendre à interagir avec leur environnement, et d’inventer leur propre langage. Son équipe (Flowers), qu’il a créée en 2008, a récemment développé le robot humanoïde Poppy, imprimé en 3D et open-source, pour la science, l’éducation et l’art. http://www.pyoudeyer.com

Notices biographiques

Armelle Prigent est maître de conférences en informatique à l’université de La Rochelle et membre du laboratoire Informatique, Image, Interaction. Ses thématiques de recherche portent sur les systèmes interactifs et adaptatifs, notamment dans le contexte des jeux, et des applications ubiquitaires. Elle est membre d’Ethnomedia, collectif de scientifiques, de créatifs et de communicants qui crée, adapte puis diffuse des connaissances. Arnaud Revel, né en 1970, est Professeur en Informatique à l’Université de La Rochelle. Il a passé sa thèse en 1997 sur un sujet interdisciplinaire mêlant robotique, informatique et neurobiologie : le but était de développer une architecture neuronale générique, inspirée par la neurobiologie, qui permette à un robot mobile autonome de naviguer dans un environnement a priori inconnu en utilisant une caméra comme source principale d’information. Après sa thèse il a été engagé comme Maître de conférences à l’ENSEA (1998) au sein du laboratoire ETIS (CergyPontoise). L’architecture proposée pendant la thèse a été étendue pour permettre la planification des actions. Cherchant à étendre ses travaux sur l’apprentissage autonome à l’imitation, vu comme une méthode d’apprentissage « social », il a entamé une collaboration avec Jaqueline Nadel, psychologue du développement. À cette époque il a aussi commencé à travailler sur les systèmes multi-agents utilisés pour la recherche d’informations sur internet. En 2006, il a effectué une délégation de 2 ans au CNRS au sein du Centre Émotion de la Pitié-Salpêtrière. Le projet était de comprendre et modéliser les mécanismes de développement pour appréhender comment un robot

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autonome peut interagir socialement et maintenir une certaine « identité propre » au cours de son évolution. En 2009, il a été recruté comme Professeur à l’Université de La Rochelle, au sein du laboratoire L3I, où il a exercé successivement les responsabilités de directeur adjoint, de directeur de l’école doctorale S2IM et de responsable du Master ICONE.


Élise Aspord Christine Niclas

ENNEMI Ah, un ennemi ! Peut-il devenir un ennemi ? Eh oui ! Parce que, comme avec les humains, on peut penser avoir très bien connu quelqu’un et puis, pour telle ou telle raison, tout se passe soudain mal, et on devient quasiment des opposés. De façon parfois même plus perverse, difficile, qu’il y a eu de l’affect ; cela fait partie des possibilités. Donc j’annule la commande. On reprend à zéro. J’ai bien réfléchi, ce sera non ! Au départ, ce n’est pas comme si c’était un jouet. Il s’agit d’acquérir une machine qui va servir, sachant que ce robot va évoluer. Quand j’aurai quatre-vingt-dix ans, et qu’il sera toujours là, on aura traversé bien des choses, on deviendra forcément des « personnes » très liées, enfin des personnes… il ne peut pas devenir mon ennemi. Ça devrait être programmé chez lui. il ne peut pas déborder de ses fonctions, il a sa place de robot, et cela se passe bien. Il n’y aurait donc pas de raison pour qu’on se veuille du mal, ou qu’il y ait une histoire de pouvoir ou de contrôle de l’un sur l’autre. En fin de compte, je garde quand même le contrôle… J’ai mis en place un être suffisamment évolué pour qu’il puisse se retourner contre l’espèce humaine. Il y a beaucoup de littérature en la matière, à commencer par Matrix. J’en reviens à cette question de l’absence de domination, de ma volonté de ne pas voir l’espèce humaine en haut d’une pyramide ; on n’est pas supposé se trouver en haut d’une pyramide et dominer tout. Pour moi, créer un être comme ça, c’est redonner de l’espoir justement à cette notion de chose vivante, au fait que chaque chose

Laure Limongi

Élise Aspord

Il est imprévisible. Notamment, lorsqu’on parlait de la morale, il peut avoir une morale, mais comme toutes les morales, on peut la transgresser. Il est donc imprévisible jusqu’au bout !


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Emmanuelle Grangier

Laure Limongi

vivante a un droit de cité et a autant d’importance dans l’écosystème. Il serait bien que ce nouvel être prenne sa place dans cet écosystème et finalement fasse les choix qu’il faut faire pour préserver cet équilibre-là. Cela mettrait un petit peu de piment dans l’histoire mondiale. Devenir un ennemi ? Tel que je l’ai imaginé, c’est possible, mais je ne crois pas. Son désir, sa motivation intrinsèque, est de s’adapter à son environnement et nous faisons partie de cet environnement, mais il pourrait nous identifier comme…

Entretiens réalisés par Emmanuelle Grangier en février 2014. L'entretien avec Emmanuelle Grangier a été réalisé par Julie Rinaldo


Le projet Link Human/Robot a été soutenu par la DRAC Nord-Pas-de-Calais. (aide à la création pour la performance et le livre) La performance Link Human/Robot : Conception et réalisation : Emmanuelle Grangier Recherche robotique et performeur : Arnaud Revel Chorégraphie et danse performée : Christine Niclas Dessin et performeuse : Amélie Carvalho • Son : Guillaume Le Boisselier • Régie générale et vidéo : Alexandre Bissarette • Lumière : Marie Buyle • Régie numérique : Étienne Landon • Performance vocale et musicale : Dirty Coq, The Experimental Tropic Blues Band. Le robot Nao a été conçu et fabriqué par Aldebaran Robotics (Paris). Première représentation : Gare numérique de Jeumont, 21 mars 2014, dans le cadre du Festival international et interdisciplinaire de théâtre, danse, musique et arts électroniques (VIA), porté par le Théâtre Le Manège, Maubeuge. Remerciements : Alexandre Bissarette, Samuel Bossuve, Julia Curiel, Benoît Dorchies, Françoise Dubois, Serge Duchai, Elsa Escaffre, la Gare numérique de Jeumont, Alexandra Lafitte, la librairie-galerie Le-Monte-en-l’air, Laure Limongi, Pauline Manet, Arnaud Revel, Julie Rinaldo, Le Salon by Thé des Écrivains, le Studio de création numérique du théâtre Le Manège, scène nationale. Lucie Kaennel et Jean-Claude Mullet.

Un site internet propose des documents audio et video qui accompagnent ce projet www.linkhumanrobot.net 199


Ce livre a été achevé d’imprimer en juin 2014 dans l’Union Européenne, sur les presses de l’imprimerie Kopa à Vilnius (Lituanie) pour le compte de van Dieren Éditeur, Paris. La conception graphique en a été confiée à Sacha Léopold et François Havegeer (www.s-y-n-d-i-c-a-t.eu).

isbn 978-2-911087-92-9 dépôt légal, Bibliothèque Nationale de France, Juin 2014


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