14 minute read
ENTRETIAN AVEC FRANCOISE GILOT
’artiste française, l’avant-dernière compagne de Pablo Picasso, s’est éteinte à l’âge de 101 ans dans un hôpital de New York, où elle résidait.
La Gazette l’avait rencontrée en 2021, à l’occasion de la rétrospective que le musée Estrine, à Saint-Rémy-de-Provence, consacrait à son œuvre, méconnu en France.
Advertisement
Pas facile d’être à la fois peintre et femme d’un géant du XXe siècle.
Mais bien avant #MeToo, cette cavalière émérite a su tourner casaque : en quittant Picasso, Françoise Gilot a quitté son statut de muse, et du même coup la France, pour exposer outre-Atlantique.
Cet entretien inédit, accordé en 2009 dans son atelier parisien, retrace ses combats pour devenir une créatrice accomplie.
L’artiste Françoise Gilot estelle née avant ou après sa rencontre avec Pablo Picasso ?
Quand j’ai connu Picasso, j’avais 17 ans.
Au même âge, j’ai commencé à peindre à l’huile et ai rencontré Endré Rozsda, un peintre hongrois avec lequel j’ai eu un long compagnonnage artistique.
J’ai existé avant et après Picasso, mais je ne renie rien de cette période de ma vie. Quelle importance a eue pour vous le peintre Émile Mairet, proche de votre famille ? Ce peintre postimpressionniste était l’ami de ma grandmère.
Enfant, sa silhouette tout de noir vêtue m’avait impressionnée.
Quand on m’a dit qu’il était artiste, j’ai pensé que ces êtres-là étaient plus intéressants que les autres.
À 11 ans, j’ai eu un coup de cœur pour l’une de ses toiles grises, qu’il m’a gentiment offerte.
Il aurait dit ensuite à mon père : «Votre fille sera peintre. Je n’ai jamais vu un enfant aimer les gris.»
Vous croisez aussi le graveur Jacques Beurdeley : son art vous tentait-il autant que la peinture ?
J’aime voir les autres graver, mais je ne suis pas passionnée de gravure.
En revanche, j’ai fait beaucoup de lithographies. Les femmes étaient-elles nombreuses à travailler chez le maître imprimeur Fernand Mourlot ?
Non, j’ai été la seule. (suit page 18)
(suit de la page 17)
Un jour, alors que je m’en étonnais auprès de lui, Mourlot m’a répliqué : « Ça dérangerait nos ouvriers imprimeurs. Vous, on vous connaît, ce n’est pas la même chose !» Lorsque l’artiste américaine June Wayne, qui m’a invitée dans son atelier de lithographie dans les années 1970, a voulu en faire chez Mourlot, on l’a immédiatement orientée chez Marcel Durassier, un maître imprimeur connu pour son caractère infernal… C’est tout dire. De quelle façon s’est manifesté votre désir d’indépendance ?
Disons que je refusais toute dépendance.
Votre rencontre avec Matisse a-t-elle été décisive ?
En 1937, j’avais vu ses toiles au palais de Chaillot.
Cela a été une révélation.
Idem pour Bonnard, le maître de la couleur : en 1946, la fille de Maurice Denis, Pauline, m’a proposé de lui rendre visite au Cannet.
Moi, j’étais aux anges, mais Picasso m’a dit aussitôt : «Il n’en est pas question. Je déteste la peinture de Bonnard!»
Devant ma déconvenue, il s’est empressé d’ajouter : «Je vais vous faire un autre cadeau. Je vous emmène dans l’atelier de Matisse !»
Quelques jours plus tard, nous sommes allés le voir. En me présentant, Picasso a parlé de moi comme d’une jeune peintre et Matisse a proposé de faire mon portrait. S’en est suivie une sorte d’amitié silencieuse. Matisse avait le sens inné de l’équilibre des lignes alors que chez Picasso, c’était la volonté de puissance qui l’emportait. Autant vous dire que je me sentais plus proche d’un Matisse…
Où trouviez-vous des toiles et des couleurs pendant la guerre ?
J’allais aux Puces, où je dénichais de vieux tableaux.
Je les retournais et peignais de l’autre côté.
Le plus drôle est que plus tard, des collectionneurs ont cru que les motifs au verso de ces toiles étaient de moi !
Comment en êtes-vous venue à travailler pour Line Vautrin ?
En 1941, à 20 ans, je l’ai rencontrée avec sa mère dans leur boutique de la rue du Faubourg-Saint-Honoré.
Je leur ai proposé de faire des boutons en céramique. Elles m’ont répondu de faire des prototypes et que s’ils leur plaisaient, elles en achète- raient. J’ai réalisé une première série, et cela a marché !
Vous avez connu Nicolas de Staël : quel souvenir gardez-vous de lui ?
Je l’entends encore me dire : «Soit c’est l’abstraction qui vous intéresse, soit c’est le figuratif.
On ne peut pas faire les deux à la fois.»
Je lui ai répondu du tac au tac : «Vous avez 32 ans, moi 21. Mes dessins figuratifs m’aident à comprendre la relation entre lignes et couleurs. Je ne vois pas pourquoi je m’en priverais.»
À ces mots, De Staël a cassé l’une des rares chaises qui se trouvaient à sa portée.
Il avait très mauvais caractère, moi aussi.
Mais il a fini par revenir à la figuration, d’où l’aspect très significatif de cette scène. Ensuite, on ne s’est plus revus, alors qu’il est le peintre auquel je dois le plus.
Et Sonia Delaunay ?
Je l’ai rencontrée quand se formait le groupe des Réalités nouvelles, avec des artistes comme Magnelli, Atlan, Schneider… Lors de nos réunions, Sonia Delaunay était présente. Elle était la générosité même.
Le milieu artistique a-t-il changé, selon vous ?
Ce n’est plus du tout la même chose.
Jusqu’à la fin des années 1950, il existait une «République des arts et lettres».
Il suffisait de faire partie d’un groupe pour en rencontrer les personnalités, connues ou non. À partir de 1960, Paris n’a plus été une capitale artistique.
Je passais alors au moins deux mois de l’année aux ÉtatsUnis, mais je n’ai pas cherché à rencontrer les peintres new-yorkais : je n’avais plus besoin des autres pour exister.
Je n’en étais plus là… Vous avez vécu avec deux peintres. Est-il difficile pour deux artistes de vivre ensemble ?
Avec Picasso, c’était sans doute moins difficile en raison de notre grande différence d’âge.
C’est à lui que je dois mon retour au figuratif, car il ne supportait pas l’abstraction totale. Avec Luc Simon (épousé en 1955, ndlr), c’était différent. Sous son influence, je me suis débarrassée de tics stylistiques qui me venaient de Picasso.
Je peignais alors d’après nature. Ensuite, nos relations se sont tendues.
Je disais volontiers du bien de son travail même si je ne le pensais pas, et lui me critiquait ouvertement, même s’il ne le pensait pas non plus. Cela étant dit, il est impossible pour deux peintres vivant ensemble de ne pas parler peinture.
Fort heureusement, nous ne partagions pas le même atelier !
Selon vous, peut-on parler en art de parité homme-femme ?
On en est loin.
Les femmes défendues en galerie ont longtemps été minoritaires.
Je me souviens fort bien de la réaction d’un galeriste lorsque je lui ai parlé de Geneviève Asse. Il défendait une dizaine d’artistes et comme par hasard, j’étais la seule femme.
Lorsque j’ai évoqué son nom, il m’a regardée d’un air stupéfait : «Mais enfin, m’a-t-il répliqué, le quota est déjà rempli !»
En galerie, le quota en question était d’une femme peintre pour neuf hommes.
Sur le coup, j’ai cru à une blague…
Il n’est qu’à voir ce qui se passe chez Sotheby’s, où les œuvres féminines sont noyées dans une marée de réfé- rences masculines, pour s’en rendre compte. En ce qui me concerne, j’ai obtenu toutes mes expositions à la force du poignet.
Cela ne nous vous a pas empêchée de faire carrière aux États-Unis…
Si j’étais restée en France, je n’aurais pas évolué. Mais je ne me suis pas contentée d’exposer à New York : j’ai montré mon travail dans quasiment tous les États américains. Vous vivez quelques mois par an en France.
Comment avez-vous choisi votre atelier parisien ?
Je l’ai longtemps cherché. Je voulais un atelier éclairé par la lumière du nord, avec suffisamment de volume pour entreposer mes toiles.
Je l’ai finalement trouvé dans un immeuble de 1930.
Pour moi qui aime l’art déco, c’est l’endroit rêvé pour continuer à créer, un lieu à l’image de tous les beaux moments que j’ai vécus à Paris.
«Françoise Gilot. Les années françaises», musée Estrine, 8, rue Estrine, Saint-Rémy-deProvence (13), tél. : 04 90 92 34 72, Jusqu’au 23 décembre 2021. www.musee-estrine.fr www.gazette-drouot.com/article/francoise-gilot-itineraire-d-une-femme-libre/ ous avons pu constater, en lisant les merveilleuses histoires des nombreux amis qui se sont succédés sur ces pages, que notre photographie se caractérise toujours par un parcours fluctuant.
De cela nous ne connaissons que le point de départ, il ne nous est pas donné de savoir cependant quel sera le point d’arrivée.
En fait, chaque fois que nous croyons en avoir identifié un, nous ressentons immédiatement le besoin supplémentaire d’innover.
Dans ces moments, lequel suivre par rapport à tous ceux qui nous précèdent, est souvent suggéré par une rencontre éclairante plutôt que par un éclair.
L’invité d’aujourd’hui, Aldo Larosa, représentait les deux choses pour moi.
Il a été ma première référence, mon premier professeur.
Il a soixante-huit ans, marié à Maria Teresa et père de Claudia.
Originaire de Calabre, il vit désormais dans la capitale depuis de nombreuses années.
Il a travaillé jusqu’à sa retraite pour la Direction générale de la FS.
Sa passion pour la photographie est née dans les années 1950, alors qu’il était fasciné par la «magie» que cet art, pratiqué par les photographes de sa ville, Melicuccà dans la province de Reggio Calabria, suscitait chez l’enfant qu’il était à l’époque.
Cependant, il a fallu attendre les années 1980 pour qu’il aborde personnellement la photographie.
Il commence à photographier avec un Pentax qu’il garde encore jalousement aujourd’hui.
De plus, il a remis en service cet appareil et ses objectifs depuis quelques mois, en effet sa grande passion pour la photographie l’a amené à s’inscrire à l’Ecole Professionnelle d’Etat de Ciné-TV
«Roberto Rossellini»: admis en troisième année, il a suivi le cours du soir pour l’obtention du diplôme d’études secondaires en photographie, qui, espérons-le, arrivera avec l’examen d’État à l’été 2019, alors qu’il approchera les soixante-dix ans !
J’ai rencontré Aldo il y a plusieurs années comme c’est souvent le cas aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux.
Au fil du temps, j’ai eu l’occasion d’apprécier les impor- tantes compétences photographiques et les innombrables qualités humaines.
J’ai aussi réussi à consolider cette précieuse relation, ayant la chance de le connaître personnellement.
J’ai partagé avec lui diverses expériences passionnantes au cours desquelles j’ai appris à apprécier les valeurs profondes qui l’animent. En fait, il n’est pas concevable pour moi d’identifier des points de repère s’il n’y a pas une forte estime personnelle à la base. Sanguin comme tous les hommes du Sud, Aldo n’a qu’un mot, toujours gentil entre autres.
C’est un homme d’une autre époque, galant, perspicace et qui s’est illustré au fil des années comme photographe minimaliste, devenant une référence certaine pour la grande catégorie des photographes amateurs présents sur les réseaux sociaux.
Il a aidé et soutenu la croissance de beaucoup d’entre nous, assurant un confort continu.
Dans les années 80, au début de ce monde, il ignorait totalement de quels genres et de combien de genres la photographie est parsemée.
Il photographie tout, mais avec parcimonie, sachant que pour les tirages il s’adresse à des laboratoires spécialisés. L’un de ses reproches est qu’il n’a jamais eu l’occasion de développer et d’imprimer chez lui.
Le minimalisme vient par accident.
Il y a une quinzaine d’années, il a pris une photo lors de vacances dans sa maison de plage.
La composition comprend quatre balais, tous avec des poils et des manches de couleurs différentes, préalablement lavés et mis à sécher. Il les trouve posés sur un mur d’un blanc pur, décalés et les poils tournés vers le haut. Ce fut, sans le savoir, sa première photographie minimaliste.
En effet, publié sur Panoramio, le site de partage de photos de Google récemment fermé, ses amis le classent d’emblée comme appartenant au genre.
Ainsi commence pour lui l’étude de cette façon fascinante de produire des photographies.
Il aime toujours rappeler à ceux qui racontent son histoire un passage qu’il considère fondamental pour sa formation ; la présence assidue dans un groupe Facebook bien connu dans le panorama des réseaux sociaux et minimalistes de la première heure, Only Minimal.
Fondé en 2012 par Biancamaria Bini, ce groupe a en effet forgé de nombreux auteurs qui se sont approchés de ce genre. Ses images, en plus d’être merveilleuses, sont toujours reconnaissables, elles ont ce qui se définit comme un code stylistique. Sa photographie est essentielle, toujours originale et ses compositions sont toujours un exemple de justesse.
Ses œuvres témoignent d’un besoin presque extrême de lignes épurées et de l’impérieuse nécessité d’une composition rigoureuse et précise. Une caractéristique qui distingue Aldo de manière particulière est celle de savoir décontextualiser les détails de leur contexte naturel, les rendant non immédiatement attribuables à lui.
Il a la capacité rare de pouvoir voir des similitudes et des analogies entre un objet connu et le détail capturé, rendant ce dernier, à travers une composition précise, difficile à contextualiser.
Il s’amuse alors à stimuler l’observateur, (suit page 22)
(suit de la page 19) l’invitant à comprendre ce qu’il en est réellement.
Sa production photographique substantielle va du minimalisme géométrique au minimalisme abstrait.
Une autre particularité importante de toutes ses œuvres est l’absence totale de post-production telle qu’on l’entend communément aujourd’hui.
En fait, il se limite à quelques retouches sur la «coupe» à apporter à la composition dans laquelle il joue souvent aussi sur l’inversion du sujet filmé.
Il le fait pivoter sur son axe horizontal plutôt que vertical, modifiant ainsi sa position naturelle.
Ce jeu lui permet de désorienter l’observateur en le poussant à une lecture plus précise de l’image.
Au fil du temps, il a développé une technique manuelle très fine qui déjà dans la phase de prise de vue lui permet d’avoir ce dont il a besoin dans la composition, en accordant une extrême attention au respect des lignes et des géométries.
En effet, comme il l’admet franchement, «je ne sais pas utiliser les nombreuses fonctionnalités que Photoshop met à disposition, mais même si je savais comment le faire, je préférerais toujours m’efforcer de produire la photo à travers une plus grande attentiomn à créer la composition plutôt que de m’aider avec un logiciel».
De sa photographie, dit Maria Privitera – Professeur d’histoire de l’art : « Quel plaisir, quel goût de faire défiler vos minimals, au milieu de tant de pollution visuelle que vos silences racontent sans crier.»
Un voyage dans un minimalisme rigoureux et sévère qui m’a fait revivre de belles sensations, presque un retour aux sources, à une photographie conçue et jamais improvisée, qui tient compte des prescriptions rigides d’un genre peutêtre aujourd’hui à la dérive. Je conclus par une pensée d’Aldo, une de celles que je l’ai souvent entendu répéter : « Dans tout ce qui est observé avec l’intention de le photographier, il y a possibilité d’obtenir au moins un cliché du genre minimaliste : la capacité réside dans le trouver».
Luigi Coluccia
https://artevitae.it/aldo-laro
sa-minimalismo/
Les tous petits
Imprimés brodés (juillet 2019)
Pietrina Atzori (artiste de la fibre), Rosaria Straffalaci (peintre informel)
Aldo Larosa (photographe minimaliste)
Dimensions : 13 x 18 cm
Pièces num. 16
Technique : photographie, mobileart, broderie sur papier «Les petits» sont une série d’imprimés brodés qui naissent d’une action artistique partagée, menée par Rosaria Straffalaci et Pietrina
Atzori actives dans la recherche de contamination artistique voir la vidéo https://vimeo.com/350052129 l’occasion de l’exposition «minimAldo», tenue en juillet 2019. dont la photographie minimaliste d’Aldo Larosa était la protagoniste, les deux artistes, commissaires de l’exposition, imaginent un scénario d’installation et dans ce scénario, avec le consentement et la complicité de Larosa, commencent leurs recherches. Après avoir sélectionné quelques plans minimalistes, les deux artistes commencent à interagir et interviennent chacune avec leur propre langage expressif.
Le premier niveau est celui du mobileart, à travers lequel les plans minimalistes sont habités par d’autres présences, souvent le visage d’une femme avec des références au monde des figures féminines dans la peinture la plus connue. Dans une étape ultérieure, le langage du fiberart s’insère, à travers des broderies et des insertions textiles, chargées parfois de souligner des passages visuels, d’autres fois dans un dialogue ouvert avec l’image. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Aldo Larosa et j’étais charmé par ses images, que je n’appellerais pas minimalistes, mais plutôt une manière de produire de l’abstraction avec des images de la réalité figurée et qui avec un zoom arrière apparaitrait comme figurative d’une réalité que nous nous efforçons de capter, comprendre, interpréter, saisir, tout comme la peinture dite abstraite c’est un moment éloigné de la figuration de l’univers qui nous entoure, Dernièrement, mais c’était il y a cinque années presque au même moment où j’ai connu Aldo, j’ai interviewé Tonino Casula, peut être le plus grand artiste sarde vivant à l’époque, qui depuis des années travaillé justement sur la perception en arrivant juste à produire ce qu’il appelé du «cinéma abstrait».
En fait des images composée de figures géométriques de base qui me rappellent plutôt les exercices de géométries descriptive de mes année à l’Institut pour Géomètres, cela me fait tout de suite penser au peintre Cézanne et à ces simplifications justement en élément géométriques basiques de sa réalité visible e transcrivible sur une toile.
Enfin de n’importe quel coté on veille aborder la question de savoir comment nommer le photographies de Aldo Larose, je trouve qu’elle sont tout simplement belles et sans appeler au secours Freud, la mythologie grecque ou n’importe quelle élucubrations syntagmatique chacune d’elle est empreinte d’une grande sérénité et semble nous dire que finalement non seulement tout est bien simple, mais par dessus beau et il suffit donc de prêter attention à ses clichés qui nous poussent à mieux regarder autour de nous et surement découvrir les beautés caché même dans l’alignement de trois balais de couleurs différentes.
C’est finalement une très bonne nouvelle et une preuve d’optimisme qui nous manque terriblement en ces temps chagrins.
Vittorio E. Pisu
’enfance dont on ne se débarrasse pas si facilement, jamais.
Prenez Jack Vettriano, un peintre écossais qui est l’un des plus aimés du public et – ça va sans dire – l’un des plus détestés par la critique. Le succès, l’argent (à la pelle) et les thèmes de ses œuvres semblent vouloir à tout prix s’affranchir d’un début de vie assez complexe. Au lieu de cela, comme dans la chanson «Samarcanda», Vettriano fuit ses fantômes pour les retrouver rapidement dans les plis de ses peintures. Pensez-y : Jack est né en Ecosse dans une famille de mineurs immigrés, si pauvre que son père l’a envoyé travailler à l’âge de dix ans et lui a fait interrompre ses études à seize ans. Le peintre Vettriano peint de manière obsessionnelle des scènes de luxe et d’érotisme brillant qui semblent provenir d’un film noir des années 1950, précisément l’époque où il mourait de faim et où il ne pouvait peut-être voir que certaines choses au cinéma. Ou imaginez-les. Loin de l’écrivain faisant de la psychanalyse bon marché, mais l’imaginaire très critiqué de Jack semble se référer précisément aux stéréotypes inaccessibles de sa jeunesse écossaise. Il veut s’éloigner si résolument de son passé, Vettriano, qu’il adopte le nom de famille italien de sa mère au lieu de ce Hogan qui doit lui rappeler des moments pas exactement heureux. Quand il prend les pinceaux il a vingt et un ans, pas vraiment un enfant prodige, et quand il reçoit les premiers retours, le nôtre frôle la quarantaine. La technique autodidacte est plutôt incertaine, le style renvoie aux intérieurs du grand Hopper – il faut le dire, sans même s’approcher de loin de la classe d’Edward – et de Walter Sickert, ses plages mélancoliques mais quelque peu banales rappellent celles d’Eugène Boudin.
Les critiques se sont moqués de lui pendant des années, mais le public est tombé sous le charme de ses sketchs à partir du célèbre «The Singing Butler». Vettriano devient le peintre le plus utilisé pour les cartes de vœux, les cartes postales, les calendriers et les couvertures de livres.
Le gros argent vient de là, plutôt que des commissions. Les pontes boudent le nez, il s’assied à la caisse, compte les billets et rigole. Des millions affluent dans ses poches et il peut s’offrir des voitures de luxe et des vêtements qu’il ne pouvait auparavant que peindre. Pas mal pour un fils de mineur prolétaire.
Le «Daily Telegraph» dit de lui qu’il peint des scènes «porno soft mal conçues», pour «Vainty Fair» son «érotisme sans cervelle», le «Guardian» ne le considère pas «même pas comme un artiste» et Sandy Moffat, directeur du dessin et de la peinture à la Glasgow School of Art, dit qu’il «ne peut pas peindre, il peint juste».
Alice Jones écrit dans «The Independent» que Vettriano est un chauvin dont «les femmes sont des objets sexuels, souvent à moitié nues et vulnérables, toujours en bas et talons aiguilles».
Tout vrai, s’il vous plaît. Les scènes érotiques du peintre sont en réalité risibles, résultat d’une imagerie datée et dépassée, avec une femme au service de l’homme alpha, perpétuellement dans des costumes élégants qui semblent tirés des «Intouchables» sinon en uniforme.
Les femmes semblent souvent être des engins conçus uniquement pour consoler les hommes de leurs responsabilités écrasantes : oui, eh bien. Un peu de trucs de boomer, si vous voulez.
Et pourtant, quand Vettriano ne se laisse pas emporter par le démon kitsch qui s’agite en lui, des éclairs de magie jaillissent de ses toiles. Ses femmes solitaires, réfléchies, déprimées ou déterminées, toujours en clair-obscur entre des lumières, des ombres et un rideau à peine secoué par le vent, semblent presque envoyer un message à l’observateur.