AnnÊe 11 - n° 231 www.ledireetlecrire.com
23 novembre 2018
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Le dire et l’écrire
Les « Bouillons » d’Angers
L’agenda Tous les événements
Des expositions
Le
11 décembre 2018 avec
Maylis de Kerangal
Théâtre, Cinéma Télévision
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Le dire et l’écrire
Livres Frère d’âme David Diop
Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l'attaque contre l'ennemi allemand. Les soldats s'élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d'Alfa, son ami d'enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s'enfuit. Lui, le paysan d'Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l'effroi. Au point d'effrayer ses camarades. Son évacuation à l'Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité dont la convocation fait figure d'ultime et splendide résistance à la première boucherie de l'ère moderne.
François, portrait d’un absent Michaël Ferrier
Une voix blanche, surgie au milieu de la nuit, annonce à Michaël Ferrier la mort de son ami François et de sa fille Bahia. Dans la dévastation, la parole reprend et les souvenirs reviennent : comment deux solitudes, jeunes, se rencontrent, s’écoutent et se répondent ; les années d’études, d’internat ; la passion du cinéma, de la radio : la mémoire se déploie et compose peu à peu une chronique de l'amitié, un tombeau à l’ami perdu. Entre France et Japon, Michaël Ferrier redonne vie aux fantômes, aux absents, aux disparus. Il confère aux choses et aux êtres une sombre beauté, celle de la passion de l’amitié.
Quel soulagement : se dire « j’ai terminé » Virginia Woolf Qu’est-ce qui distingue le journal qu’a tenu Virginia Woolf de tant d’autres journaux intimes ? On le lit comme un roman, car il est bien écrit. Comme un roman policier, car le suspense est là : année par année, on assiste sur le vif à la naissance de ses livres. À partir de quelques mots… Presque rien. Ensuite, on l’accompagne dans la plus belle des aventures artistiques. Jusqu’au dénouement, Oh, quel soulagement, se réveiller et se dire : « j’ai terminé ». Comme dans une série on a envie de vivre les prochains épisodes. Heureusement il y en a. La Chambre de Jacob, Mrs Dalloway, Vers le Phare, Orlando… De plus on n’est jamais lassé car Virginia Woolf en dit beaucoup – et on a l’impression que c’est à nous, lecteurs, qu’elle le dit – sur elle, ses hésitations, sa confiance dans les mots, les bonheurs qu’elle sait nous faire partager, son angoisse au moment de la publication, qui la rend littéralement malade. Et en parallèle, elle écrit des centaines de lettres où, là encore, elle dévoile inlassablement les secrets de son travail. C’est le journal d’un écrivain et, plus encore, le journal d’une vie. Qu’elle a poursuivi jusqu’au mot fin de cette vie.
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Livres Les livres de Jakob ou le grand voyage
A son image Jérôme Ferrari Par une soirée d’août, Antonia, flânant sur le port de Calvi après un samedi passé à immortaliser les festivités d’un ma-riage sous l’objectif de son appareil photo, croise un groupe de légionnaires parmi lesquels elle reconnaît Dragan, jadis rencontré pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Après des heures d’ardente conversation, la jeune femme, bien qu’épuisée, décide de rejoindre le sud de l’île, où elle réside. Une embardée précipite sa voiture dans un ravin : elle est tuée sur le coup. L’office funèbre de la défunte sera célébré par un prêtre qui n’est autre que son oncle et parrain, lequel, pour faire rempart à son infinie tristesse, s’est promis de s’en tenir stric-tement aux règles édictées par la liturgie. Mais, dans la four-naise de la petite église, les images déferlent de toutes les mémoires, reconstituant la trajectoire de l’adolescente qui s’est rêvée en photographe, de la jeune fille qui, au milieu des années 1980, s’est jetée dans les bras d’un trop séduisant militant nationaliste avant de se résoudre à travailler pour un quotidien local où le “reportage photographique” ne sem-blait obéir à d’autres fins que celles de perpétuer une collec-tivité insulaire mise à mal par les luttes sanglantes entre clans nationalistes. C’est lasse de cette vie qu’Antonia, succombant à la tenta-tion de s’inventer une vocation, décide, en 1991, de partir pour l’ex-Yougoslavie, attirée, comme tant d’autres avant elle, dans le champ magnétique de la guerre, cet irreprésentable. De l’échec de l’individu à l’examen douloureux des apories de toute représentation, Jérôme Ferrari explore, avec ce roman bouleversant d’humanité, les liens ambigus qu’entre-tiennent l’image, la photographie, le réel et la mort.
Une note de lecture critique de Stéphanie de Saint Marc sur le site d’En attendant Nadeau
Olga Tokarczuk Hérétique, schismatique, Juif converti à l’islam puis au christianisme, libertin, hors-la-loi, tour à tour misérable et richissime, vertueux et abominable, Jakób Frank a traversé l’Europe des Lumières comme la mèche allumée d’un baril de poudre. De là à se prendre pour le Messie, il n’y avait qu’un pas et il le franchit allègrement. Le dessein de cet homme était pourtant des plus simples : il voulait que ceux de son peuple puissent, eux aussi, connaître la sécurité et le respect d’autrui. Il voulait l’égalité. La vie de ce personnage historique, qui fut considéré comme le Luther du monde juif, est tellement stupéfiante qu’elle semble imaginaire. Un critique polonais, saluant la réussite absolue de ce roman de mille pages, dit qu’il a fallu à Olga Tokarczuk une « folie méthodique » pour l’écrire. On y retrouve les tragédies du temps, les guerres, les pogroms et la ségrégation, mais on y goûte aussi les merveilles de la vie quotidienne : les marchés, les cuisines, les petits métiers, les routes incertaines et les champs où l’on peine, l’étude des mystères et des textes sacrés, les histoires qu’on raconte aux petits enfants, les mariages où l’on danse, les rires et les premiers baisers. Ainsi que le dit le père Chmielowski, l’autre grand personnage de ce roman, auteur naïf et admirable de la première encyclopédie polonaise, la littérature est une forme de savoir, elle est « la perfection des formes imprécises ». ...
A l’occasion de la parution du livre en France ⧫
Une conférence au MAHJ : La vidéo
⧫
Le son
Un article de Jean-Yves Potel sur le site EAN
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Notes de lecture A propos du livre
A propos du livre
A son image
Portrait d’un absent
de Jérôme Ferrari
de Michaël Ferrier
Note de lecture parue le 15/11/2018 sur le blog de Pierre Ahnne et reproduite ici avec l'aimable autorisation de l'auteur
Note de lecture parue le 10/11/2018 sur le blog de Pierre Ahnne et reproduite ici avec l'aimable autorisation de l'auteur
On le sait depuis ce Sermon sur la chute de Rome (Actes Sud, prix Goncourt 2012), qui l’a fait connaître : Jérôme Ferrari a le goût des rites et des pompes. Ceux, surtout, de l’Église catholique et romaine. Un goût que l’on retrouve dans ce roman-ci, lequel est, à y bien regarder, le récit d’un enterrement. Antonia est encore jeune, elle est photographe, elle est corse. Un soir, à Calvi, elle retrouve, devenu légionnaire, un ancien combattant de la guerre de Yougoslavie, qu’elle a couverte. Ils passent la nuit à parler de l’absurdité du conflit, de la violence, des pièges de l’Histoire. Le matin, elle prend le volant pour rejoindre son village natal et sa famille. Accident ? Suicide ? Le roman laisse le choix : « Les premiers rayons vinrent illuminer le visage d’Antonia. Elle se laissa éblouir un instant et ferma les yeux »....
Bonne saison pour les prix : le lendemain de l'attribution du Goncourt à Nicolas Mathieu pour Leurs enfants après eux, le prix Décembre est venu couronner ce François, portrait d’un absent, qui n’est pourtant pas un roman.
[La note de Pierre Ahnne]
On y voit Michaël Ferrier apprendre, fin 2013, la mort de son ami François Christophe, documentariste et réalisateur de radio. Lui et sa fille de onze ans, Bahia, ont été emportés par une vague, sur une plage des Canaries. L’auteur de Sympathie pour le fantôme (Gallimard, 2010) entreprend, sous le titre d’un des documentaires du défunt, Thierry, portrait d’un absent, d’écrire pour lui ce qu’on appelle un tombeau. C’est-à-dire, en fin de compte, le contraire d’un tombeau, s’il est vrai que « dans sa fragilité même, le papier est supérieur au marbre », et que l’écriture doit ici « extraire » des ténèbres et « sort[ir] du gouffre du temps » les disparus.... [La note de Pierre Ahnne]
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Des blogs Des sites
Nous reproduisons parfois partiellement ou en totalité des articles parus initialement sur d’autres sites ou blogs. Nous commençons avec ce numéro de la LETTRE à en faire la présentation.
« Dans un monde où tout s'accélère, il faut savoir prendre le temps de lire et de réfléchir. Fort de ce constat, le collectif d’En attendant Nadeau a souhaité créer un journal critique, indépendant et gratuit, afin que tous puissent bénéficier de la libre circulation des savoirs ». Ce journal est en fait un site libre d’accès et de copie, pourvu que vous citiez vos sources. Il traite de littérature, mais aussi des idées et des arts. En cela il est bien le digne continuateur de La Quinzaine Littéraire de Maurice Nadeau. Il prouve que le net n’est pas obligatoirement synonyme d’articles bâclés, mais au contraire aussi longs que nécessaire pour exposer, défendre différents points de vue.
Appel du collectif d’ En attendant Nadeau Nos lecteurs sont les seuls garants de l’existence de notre journal. Par leurs dons, ils contribuent à préserver de toute influence commerciale le regard que nous portons sur les parutions littéraires et les débats intellectuels actuels. Rejoignez-les, rejoignez-nous !
Mais qui est ce Nadeau ? Maurice Nadeau (1911-2013) a été tout d’abord enseignant, puis écrivain, critique littéraire, éditeur, journaliste. Il a été également engagé dans son siècle : au PCF pendant 2 ans avant de s’en faire exclure pour avoir douté de la politique du Petit Père des Peuples ; contre l’internement dans les camps des réfugiés espagnols en 1939 ; résistant pendant la guerre où il participe au TA (Travail Allemand) consistant à infiltrer l’armée allemande ; contre les guerres coloniales (il sera un des 121 appelant à l’insoumission) ... Mais c’est aussi un intellectuel de premier rang, qui fréquenta Aragon, Breton, Gide, Prévert. Par ses articles dans le journal COMBAT il fera connaître Georges Bataille, Jean Genet, René Char, Henri Michaux, Claude Simon, Henry Miller, Il éditera entre autres Michel Houellebecq. En écrivain sérieux et libre, il écrira à propos de Céline dans un article paru en 1960 ("Céline et l'Apocalypse", in France Observateur) :« Je n'ai pas de sympathie pour l'homme », mais, dans le même article il lui reconnaît un immense talent littéraire. Ce n’était pas évident 15 ans seulement après la guerre. Pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs !
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