Le Dire Et L Ecrire 407

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15è année - n° 407

6 juillet 2022

www.ledireetlecrire.com

Pause estivale Des livres pour vos vacances


Bonnes vacances Comme chaque année la LETTRE fait une pause estivale. Sauf événements majeurs, la prochaine LETTRE paraîtra le mercredi 7 septembre. Mais avant de nous quitter temporairement, ami.es rédacteurs et rédactrices vous proposent la lecture de livres récents ou réédités qu’ils ou elles ont aimés. Lire également les propositions de livres de Pierre Ahnne


Dave COVERLY


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Anne Baatard

La poésie dans l’air du temps : une alchimie du quotidien (à propos de cinq livres de poésie) Cet article a été initialement publié le 1 juin 2022 à l’occasion du Marché de la Poésie (LETTRE n°402) Le Marché de la Poésie ? Un rendez-vous de première nécessité ! Faire son marché, voilà qui remet la poésie au centre du quotidien. Et si la poésie n’était pas une discipline savante, presqu’aussi obscure que les mathématiques, si elle s’accommodait de nos vies, de nos fiertés et nos défaites, des fous rires et des rages de dents, des courses à faire, des bouquets sur la table et des silences qui nous encombrent ? Si elle esquivait les territoires du grandiose pour jouer ses coups d’éclats à l’abri de ces jours que l’on dit ordinaires, si elle s’intéressait à tout, à nous ? D’une allée l’autre, découvrons le Castor Astral, La Boucherie littéraire, L’Ourse Blanc, L’Ail des ours, Lettres Vives, Héros-Limite, Le Silence qui roule, Tarabuste, Le temps qu’il fait… je sais bien, il faudrait citer tout le monde. Sous le ciel couvert du marché, je m’aventure un vrai dimanche je fais mes affaires elles sont bonnes au milieu des paniers nombreux comme je ne remplis pas mes yeux Je ne remplis que mon regard qui me change en rêve les idées sous forme d’impensables poissons J’arriverai chez mes amis les mains vides avec une gaieté de rascasse rouge sans parapluie

Valérie Rouzeau, poétesse et traductrice, notamment de William Carlos Williams, explore les formes libres mais aussi, dans Vrouz, le sonnet . Ses mots, ceux qu’elle nomme aussi parfois « mes mots des autres » révèlent les fulgurances secrètes que nous concilions sans relâche avec les petits riens du quotidien. Une discrète alchimie. La poésie comme grand écart. Comment tenir la posture ? Ne pas la tenir, composer avec l’éphémère. Le printemps des ■L’intégralité du texte poètes 2022 nous laisse un beau recueil sur ce thème. Saisir la beauté qui passe, puis rentrer à la au format PDF maison….

■L’anniversaire de la salade ■En l’absence du capitaine ■C’est un beau jour pour ne pas mourir ■Photomatons ■3 trucs bien


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Michèle Cléach

pas vu Maurice - chroniques de l’infraordinaire (Laurence Hugues - Photos de Claude Benoit à la Guillaume) Le livre a la taille d’un carnet, d’un très beau carnet dans lequel ont été délicatement déposés des traces de la vie de Marie consignées dans des carnets qu’elle a laissés derrière elle dans sa maison du Forez ; des traces de la vie de l’auteure, la voisine de Marie ; et les photos des carnets et de ses motifs, celles du village aussi, par le nouveau propriétaire de la maison de Marie. Pas vu Maurice, c’est l’histoire d’une « vie minuscule ». L’histoire d’un lieu, et d’un monde oublié. Pas vu Maurice, ce sont deux écritures qui se répondent, s’interpénètrent, se révèlent l’une à l’autre. C’est une écriture hybride. A la voix de Marie, à ses notations quotidiennes, va répondre la voix de l’auteure : Marie remplit un carnet par an, de 1987 à 2000. Sauf en 1999. Cette année-là, Jean, son frère, est hospitalisé. Ma mère aussi, pour un temps. La voix de Marie, pourtant, est difficile à entendre, tant l’écriture est sobre : pas de phrases, pas de développement, peu de ponctuation, juste des mots pour dire le quotidien brut, les tâches, les activités, les événements d’une vie, et à chaque entrée du carnet, un mot, une ligne sur la météo : Septembre 1991 Un peu de pluie. Manger premières fraises du jardin, tuer un lapin mâle. Fait choux-fleurs, haricots. Laver couleurs, cimetière, arracher herbes choux, semer doucettes, faire emporter clé et lunette d’approche, brosser et ramasser habits chambre, nettoyer cave, changer heure. ...

■L’intégralité du texte de au format PDF ■La fiche du livre ■Entretien avec l’auteure


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Michèle Cléach

555, c’est le titre énigmatique du dernier roman d’Hélène Gestern La plupart des romans d’Hélène Gestern sont des romans à énigme, l’énigme étant mise au jour grâce à un document, lettre, photographie, carnet, email … Dans 555, le document est une partition, trouvée par le premier narrateur, Grégoire Coblence, menuisier de son état, dès le premier chapitre du livre, dans la doublure d’un étui de violoncelle qu’il est en train de réparer. Est-ce une 556e sonate de Scarlatti ?

Outre Grégoire Coblence, quatre autres narrateurs et narratrice, un luthier, une musicienne, un chercheur spécialiste de Scarlatti, un collectionneur, qui ont tous un lien passionnel à Scarlatti et à son œuvre ; chacun leur tour ils vont mener l’enquête car, aussitôt apparue, la fameuse partition va disparaître. Et chacun d’eux va livrer, dans chacun des chapitres dont il est le narrateur, un peu de sa vie et de ses tourments, son point de vue sur les autres personnages et ce qu’il sait de leur vie. Tous les cinq chapitres, la voix d’un autre narrateur, dont le lecteur ignore tout, lui livre quelques indices, lève le voile sur quelques mystères jusqu’au dénouement final, les dernières 47 pages de ce roman qui en fait 449. Ce sont donc six narrateurs, six points de vue, six raisons différentes de s’intéresser à Scarlatti, à sa musique et à cette 556e partition, six personnages qui font de la musique de Scarlatti le « personnage » principal de ce roman choral. Et si l’on ne connait pas ou peu la musique de Domenico Scarlatti, on ne peut lire le roman d’Hélène Gestern sans avoir l’irrépressible envie d’écouter ses sonates. Et pourquoi pas, lire 555 en écoutant les 555 sonates de Scarlatti enregistrées par Scott Ross, enregistrements auxquels fait écho cet extrait du roman, par la voix de Manig Terzian :

La première fois que j’ai enregistré Scarlatti, j’avais trente-trois ans. J’estimais que ma technique était suffisamment aboutie, que mon art avait acquis assez de maturité pour que je me lance dans l’aventure. J’ai joué chacune des sonates, les cinq cent cinquante-cinq, sur scène au moins une fois ; en l’espace de trois ans, j’en ai gravé pas loin de deux cent cinquante au disque. Les critiques ont souligné la précision, le brillant, les couleurs, la vélocité de mon interprétation. À juste raison. J’avais cherché à restituer un Scarlatti virtuose et rapide ; à donner l’impression, comme ceux qui témoignaient l’avoir vu jouer à son époque, que chaque pièce hébergeait mille diables ■L’article au format PDF derrière le clavier. [Page 51]

■La fiche du livre ■Vidéo avec l’auteure


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Jean-Jacques Denizard

Le Pont de Bezons (de Jean Rolin) Rendre visite à la Seine pour un Francilien devrait être peu surprenant. Pourtant la Seine est presque inconnue pour la plupart d’entre nous. Qui pourrait, par exemple, décrire avec précision le rapprochement entre ce fleuve tranquille qui prend le temps de regarder ses habitants et ses habitants qui ne le regardent pas. Jean Rolin est un compagnon de route de mes vacances depuis des années. Ormuz, le Traquet Kurde, l’Organisation. La rencontre proposée avec la Seine nous mène de Meaux à Mantes sans aucune halte dans la capitale. Il faut préciser et peut-être insister, Rolin n’a pas écrit un guide touristique mais un roman.

Le roman commence au pont de Bezons, avec à la page 13, un poème « heureux celui qui a vu le jour se lever sur le Pont de Bezons ». Pour assister à un tel évènement, il passera une nuit à Bezons mais il reviendra comme toujours le long de la Seine. Cette ville a changé car aujourd’hui, le tramway la relie à la Porte de Versailles. Non loin du Pont, il décrit cette fermeture d’un Mac Donald. Tout disparaît, même les bonnes frites. Il reviendra ici plusieurs fois, l’été et l’hiver. Le pont de Bezons ne possède aucune arme exceptionnelle pour se faire aimer. J’avais lu quelques pages du livre dans une bibliothèque et j’ai trouvé rapidement la raison voire l’urgence de plonger non pas dans la Seine mais dans la lecture. En effet, après Meaux en se rapprochant de Villeneuve Saint Georges, tout change. Il va se rapprocher des bords de la Seine par des sentiers de randonnées, le plus souvent par des chemins de terre. La lecture va nous rapprocher des grands moments industriels des bords de Seine. Ce n’est pas à Meaux mais à côté de Bezons que les souvenirs s’allument, voire l’ouverture de notre mémoire avec l’atelier Caillebotte situé juste à côté de celui de Monet où il peignait ses coquelicots. Une rapide balade aujourd’hui suffit pour se convaincre de certains changements. Jean Rolin part vers l’ouest, c’est la rencontre avec un ami ou un historien des friches. Il nous crée des envies de découvrir ces friches. Il est sans doute possible de poser une hypothèse, notre auteur est un naturaliste. Il longe la Seine mais en fait il prend son temps et note sur son bloc pour ne rien n’oublier. Le moment de l’arrivée vers Poissy permet de répondre à un besoin avec l’hôtel Ibis de Poissy. Ce passage du livre est assez étonnant avec des descriptions très précises des friches. Merveilleuses friches, très riches. Nous sommes vraiment dans l’abandon urbain. Ils sont nombreux à habiter ou être de passage le long de la Seine, profitant ou étant obligé de venir s’installer sur ce lieu de résidence. Ainsi vers l’Est, après le départ de Meaux jusqu’à Corbeil, la population est bien diverse avec des Kurdes et leurs cafés, dans des bâtiments qui s’inscrivent dans l’histoire francilienne. Des réfugiés Tibétains qui sont en train de prier ou ■L’intégralité du texte encore des frères assomptionnistes, des Mac Do qui sont fermés sans trop assombrir la journée de l’auteur, en tout cas, la formule employée est ambiau format PDF guë. Ce livre est passionnant car il est multiple, un moment permet de constater l’amas de pylônes, un nombre de lignes SNCF, d’usines, d’entre■La fiche du livre pôts et de plus en plus de lieux en retrait de la Seine mais sans être trop éloignés. ...

■Vidéo avec l’auteur


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Régine de La Tour

Réparer les fêlures (La Patience des traces, de Jeanne Benameur) Peu à peu, Simon avait « appris à écouter chacun de ses patients comme on écoute un chant ». Simon Lhumain, c’est son nom, « un comble pour un psychanalyste » non ? Son temps, il le passe à écouter les autres, au risque de s’oublier, au risque de taire sa propre histoire. Ce matin, son bol, bleu, lui a échappé des mains. Le bol s’est brisé. « Les deux parties ne pèsent pas le même poids » et c’est sa vie qui vient de basculer. Simon va arrêter son travail. « Il a besoin de commencer un autre chemin ». Il va quitter sa ville, son île, son océan. Commence alors un lent voyage à l’écoute des silences. On rencontrera Louise, le premier baiser échangé avec son amoureuse d’adolescence et aussi Mathieu son ami d’enfance, son frère. On rencontrera Mathilde, une jeune consœur qui s’est installée dans l’île il y a un an. Ils ont pris l’habitude de se voir de temps en temps. Il y aura aussi Hervé et leurs rituelles parties d’échec. C’est Hervé qui encouragera Simon à aller au Japon. Et puis il y aura Lucie F., cette patiente « qui ne savait pas « habiter » […] Elle occupait des maisons, des appartements qu’elle achetait. Elle y vivait un peu puis elle mettait en vente, refaisait ses cartons et repartait. » Un jour elle n’est plus revenue dans son cabinet. Maintenant Lucie L. l’obsède. Simon part pour les îles de Yaeyama, au Sud du Japon. Un aller simple pour une terre encore peu connue. Simon part pour se trouver, se retrouver. Il est accueilli par Madame Itô. Elle tient une maison d'hôtes. Elle collectionne des tissus et des vêtements anciens qu’elle range précautionneusement dans une armoire. Parfois l’étoffe a une odeur « légèrement safranée ». Madame Itô parle un « français délicat et presque sans accent ». « Ne soyez pas étonné, j’ai fait des études de lettres à la Sorbonne en mon temps ». Monsieur Itô, Daisuke, son mari, ne parle que japonais. Il est céramiste. Il sublime les cassures et les fêlures avec un fil d’or. Daisuke est maitre dans l’art du kintsugi. « Ces deux-là vivaient du mieux qu’ils pouvaient, de toute leur âme ». La chaleur des journées, la tiédeur de l’eau, marcher, marcher encore, nager jusqu’à l’épuisement, les rencontres, la langue qu’on ne comprends pas, les rituels, les contes mystérieux, les cérémonies, l’art de réparer... La patience des traces explore les facettes de l’intime, invite à l’apaisement, fait avancer doucement et calmement à travers les chemins de traverse, les chemins des souvenirs menant lentement et délicatement à la liberté. Les phrases sont courtes, comme autant de fils qui tisseraient les silences aux mots d’une trame délicate. Tissage poétique, échappée mélancolique. A lire et même à relire ...

■L’intégralité de l’article au format PDF ■La fiche du livre ■L’auteure présente son livre (vidéo)


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Des livres proposés par Catherine Malard

Deux voyages insolites pour l’été, lire Wauters, son dernier roman et ses nouvelles On lit hélas trop peu de nouvelles en France, genre considéré comme mineur alors que la littérature anglaise comme la littérature américaine renferment de grands auteurs qui vont déployer ce genre, lui faisant sauter les frontières, et l’imposant afin qu’il soit aussi prisé que le roman. Il faudra pour ces vacances d’été, partir avec ce précieux recueil qu’est Le Musée des contradictions, ouvrage qui vient de valoir à Antoine Wauters, le Goncourt de la Nouvelle. On parle de plus en plus de ce jeune auteur belge dont la langue musicale et la veine poétique s’emparent des thématiques brûlantes de notre époque avec maestria. Antoine Wauters s’est fait particulièrement remarquer cette année avec Mahmoud ou la montée des eaux, paru aux Editions Verdier, ouvrage qui lui a valu de nombreux prix et tout récemment, le prix du Livre Inter. Le Musée des contradictions brille par ses 12 discours en forme de requête ou de pamphlet. Le genre du discours, celui de la harangue sont rarement usités dans l‘écriture de la nouvelle, d’où la voix si singulière de ce livre et de ce romancier. L’adresse au tu ou au vous nous accroche immédiatement par la manière et le ton avec lesquels il fouille des thèmes à connotation tragique ; ainsi pouvons-nous nous identifier à l’émetteur plutôt qu’au récepteur qui devrait trembler dans cette place inconfortable, et qui se trouve acculé au pied d’un mur où pleuvent des reproches accablants. Il y a souvent des accents épiques dans ce livre choral, on y retrouve comme des airs de tragédie grecque qui soufflent un verbe puissant et musical. Ce précieux ouvrage s’apparente à un Bureau des réclamations des plus hybrides où défilent des personnages de tous âges et toutes catégories, des jeunes fugitifs, des vieux touchés par la maladie d’Alzheimer fuyant l’Ehpad, des enfants battus, des mères qui abandonnent leurs enfants, etc. Ces textes sont souvent noirs, corrosifs, parfois teintés d’humour portant la voix de ceux qui, oubliant d’être désabusés, gardent encore de la vindicte pour tenter de déciller l’abuseur, l’exploiteur ou l’écervelé.

■L’article au format PDF

Tous, revendiquant leurs contradictions, prennent la parole, parole désespérée qu’ils lancent tel un projectile bien ciblé, brin d’espoir au cœur des ruines ou échappatoire à la menace qui gagne. La langue mi-poétique, miprophétique de l’auteur se déploie comme autant de petites victoires sur la misère, face à un avenir désenchanté. Antoine Wauters comme ses personnages, de livre en livre, ne lâche pas, crie toujours plus fort, et on l’entend et l’écoute avec effroi et bonheur, conscient que la volupté éprouvée à la lecture est, elle aussi, pleine de surprenantes contradictions, mais on en redemande !

■La fiche du livre

Le Musée des contradictions

■La fiche du livre

Mahmoud ou la montée des eaux,

■Une note de lecture de DIACRITIK


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Des livres proposés par Paquito Schmidt

Faire de l’étranger un hôte (de Marie Laure Morin) Préface : E. Plenel | postface : G. Jacques Cette présentation est un extrait de la préface d’Edwy Plenel Quand, de retour à Ithaque, Ulysse achève son Odyssée, il prend figure de migrant. D’exilé, de réfugié, de demandeur d’asile. La déesse Athéna l’a voulu ainsi, perclus d’épreuves, vieilli par ses errances, le travestissant en misérable et le déguisant en loqueteux. C’est alors qu’Homère le fait rencontrer un porcher, Eumée, qui vit au milieu de ses bêtes. Lequel lui offre spontanément son hospitalité, sans hésiter ni barguigner, sans réserve ni condition. À Ulysse qui le remercie chaleureusement pour « cet accueil de bonté », étonné que sa pauvre mine ne l’ait pas rebuté, le porcher répond : « Étranger, je n’ai pas le droit, quand même viendrait quelqu’un de plus miséreux que toi, de manquer de respect envers un hôte. Ils sont tous envoyés de Zeus, étrangers et mendiants. Et notre aumône leur fait plaisir, si petite soit-elle. » Puis, régalant son hôte d’un succulent rôti de gorets accompagné d’un « vin fleurant le miel », Eumée rappelle combien « les dieux bienheureux détestent l’injustice : c’est toujours l’équité que le ciel récompense, et la bonne conduite ! ». Edwy Plenel Aux premières pages de son livre, Marie Laure Morin évoque cette figure éthique d’un « Zeus hospitalier » que l’on retrouve dans toutes les traditions spirituelles, tant elle est tissée de l’expérience sans frontières d’une espèce humaine qui, depuis la nuit des temps, n’a cessé de pérégriner. Faisant de l’homme qui se déplace l’envoyé du divin, cette vieille morale nous rappelle que le chemin du prochain passe par l’accueil du lointain, en d’autres termes que le souci de nous-mêmes, de nos solidarités et de nos fraternités, est en jeu dans notre relation aux étrangers qui viennent d’ailleurs. En somme, que l’hospitalité est l’épreuve de vérité de notre humanité. Le problème, c’est que le droit l’ignore. Du moins jusqu’à ce plaidoyer aussi lumiGeneviève Jacques neux que rigoureux pour la promouvoir et l’instituer en droit fondamental. En juriste Présidente de éminente, Marie Laure Morin affronte ici un défi prométhéen : faire tomber la frontière où s’est arrêtée la révolution qu’a constitué, avec la Déclaration de 1948, la La Cimade proclamation de droits universels s’imposant aux États. Car, si son article 13 affirme de 2013 à 2018 la liberté de circulation, elle a laissé en jachère le droit d’immigrer, d’accéder et de s’installer dans un autre pays, qui ne relève d’aucune convention internationale. C’est ce vide que comble brillamment cet ouvrage, facilement accessible aux non spécialistes tant il est nourri d’une pratique sen■La suite de la préface sible du droit, au plus près des réalités et des êtres concernés. sur le site Son inventivité juridique est à la mesure de l’urgence politique. La « Entreleslignesentrelesmots » question des migrations illustre en effet l’inachèvement de la révolution des droits de l’homme. Et cet inachèvement met en péril l’ensemble de l’édifice, lézardant ses ...

■La fiche du livre


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Le dire et l’écrire

Des livres proposés par Paquito Schmidt

Les derniers - Les dessins des camps (Shelomo Selinger par Sophie Nahum)

Shelomo Selinger Né en 1928 en Pologne

Pour beaucoup l’œuvre du sculpteur Shelomo Selinger se résume à son fameux monument érigé à Drancy en 1976 pour rappeler le rôle d’antichambre de la mort que fut le tristement célèbre camp de cette banlieue parisienne. Mais à côté de ses centaines de sculptures, Shelomo Selinger a aussi beaucoup dessiné. Son œuvre graphique compte des milliers de dessins essentiellement à l’encre de chine et/ou au fusain. Malgré les épreuves passées (sa mère, son père et sa sœur cadette assassinés par les nazis, ses neufs camps de concentration, ses deux marches de la mort), il a la vie chevillée au corps. Peut-être aussi parce que la « chance » lui a tout de même toujours souri in extremis : - il a 14 ans à la liquidation du ghetto de Chrzanow et se retrouve avec sa mère dans le groupe des femmes et enfants promis à l’extermination, quand un policier juif du ghetto lui intime l’ordre de retourner dans le groupe des hommes et de dire qu’il a 18 ans ; - il doit être pendu, mais il est le dernier et il manque une corde ; - il doit être battu à mort pour avoir chipé un morceau de papier pour s’en faire une couche supplémentaire contre le froid, mais le kapo, chargé de la punition, lui dit de crier, l’insulte bruyamment, mais se contente de frapper sur les planches et non sur son dos ; - à la libération de son dernier camp, il est jeté parmi les morts, mais un officier médecin de l’Armée rouge qui passe par là remarque qu’il respire encore et le sauve en le transférant d’urgence à l’hôpital militaire. A côté de pages écrites par sa femme Ruthy et par son fils Rami, le livre « Les dessins des camps » est constitué essentiellement de dessins de Shelomo agrémentés d’extraits d’entretiens réalisés par Sophie Nahum. Comme l’écrit son fils « Mon père exprime l’insoutenable de façon soutenable. C’est peut-être cela, le propre de l’art. Il y a dans ses dessins toujours quelque chose d’humain, des regards, des choses très simples qui nous ramènent à la source de l’être humain ».

Le monument de Drancy Les 3 blocs, posés sur la butte pavée, forment la lettre hébraïque shin ‫ש‬ traditionnellement gravée sur la mezouza apposée sur la porte des maisons juives. Les 2 blocs latéraux symbolisent les portails de la mort, le camp de Drancy étant considéré comme « l’antichambre de la mort ».

Sophie Nahum et l’éditeur ont eu la bonne idée de prolonger le livre par 28 vidéos où l’on entend la voix de Shelomo. À 84 ans (les entretiens datent de 2018) l’homme garde une voix jeune, pleine de vivacité et d’humour. Dans sa conclusion Sophie Nahum écrit : « Il tenait absolument, et moi aussi, à ce que l’on voie clairement que la vie, pour lui, avait gagné ».

■L’article au format PDF

■La fiche du livre


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Des livres proposés par Christine Tharel

Ton absence n’est que ténèbres (de Jon Kelman Stefansson ) Lire un roman de l'auteur islandais Jon Kelman Stefansson est une expérience inoubliable, un voyage dont on ressort un peu perdu, bouleversé et poursuivi par les questionnements qui ne cessent de traverser les personnages. Avec Ton absence n'est que ténèbres, prix du Livre étranger 2022, ce conteur hors pair nous entraîne encore plus loin et plus fort. L'histoire se passe dans un fjord entouré de montagnes dans l'Ouest de l'Islande. On est en 2020, un homme se retrouve dans une église sans savoir comment il est arrivé là ni pourquoi. Non seulement il est perdu mais il est amnésique. Il a pour seule certitude d'avoir aimé et de l'avoir été en retour. Tout le monde semble le connaître mais il n'a aucun souvenir de celles et ceux qu'il croise. Toutes les rencontres qu'il fait au cours de cette journée lui parlent de lui et vont l'aider à percer les mystères de son identité. C'est une mosaïque de récits retraçant la vie des habitants du fjord sur 120 ans qui va se déployer et lui redonner une mémoire comme on reconstitue un puzzle. A ses côtés, celui qui l'accompagne tout au long du roman, un étrange « pasteur-chauffeur de bus », l'exhorte à écrire ces histoires qui lui sont relatées. « Je ne suis pas un auteur qui réussit à faire des plans, parce que mes livres se mettent à exister pendant que je les écris » La construction du roman fascine, qui nous fait ainsi naviguer d'un personnage à l'autre, d'une époque à l'autre. Le lecteur voyage avec le narrateur amnésique et est embarqué lui aussi dans cette quête mémorielle. Dans ce roman, Il est question des difficultés de l'existence, de coups de foudre ou d'amours impossibles, de vies laborieuses aux confins du monde, de choix douloureux -partir ou rester ? - de faiblesse et de forces, de responsabilité, de courage ou de lâcheté, d'échecs, et parfois aussi d'improbables rencontres, source de joie et de renaissance. Le propos de l'auteur est universel, empreint d'humanité et on se laisse porter par ces récits de vies si lointaines et finalement si proches des nôtres. Les titres de chapitres ou de paragraphes donnent le ton, intriguent, apportent fantaisie, mystère, poésie et humour. « Vous êtes toujours vous bien qu'entièrement dissemblable – il y a encore malgré tout dans cet univers quelques raisons de rire », « Même les défunts sourient et moi je suis vivant » ou encore « Ce qui échappe à notre entendement rend le monde plus vaste ». Et comme il semble que dans ce fjord, tout le monde écoute de la musique, pop, jazz, rock sont omniprésents. Une Play List intitulée La camarde, accompagne le récit. Les textes des chansons de Léonard Cohen, Nick Cave, Ella Fitzgerald, Les Beatles, Edith Piaf ou encore Tom Watts font partie intégrante du récit qu'elles viennent enrichir de leur tonalité, tantôt nostalgique, tantôt mélancolique ou légère. Ce livre est aussi une hymne à tous ces récits qui irriguent nos vies, nous sont indispensables et nous rendent si précieuses littérature, poésie et musique. «Ecrivez. Et nous n'oublierons pas. Ecrivez. Et nous ne seront pas oubliés. Ecrivez. Parce que la mort n'est qu'un simple synonyme de l'oubli ». ■L’article au format PDF

■La fiche du livre


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Le dire et l’écrire

Notre équipe a publié

Catherine Malard

Pour acheter les ouvrages chez l’éditeur « Petit Pavé »

Michèle Cléach

Pour acheter chez l’éditeur

En collaboration avec Delphine Tranier-Brard Bon de commande Pour acheter chez l’éditeur

Ouvrage dirigé par Annemarie Trekker Marie-Pascale Lescot


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Des livres

Une nouvelle collection de textes autobiographiques À partir de textes déposés à l’APA (Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique), les éditions Mauconduit, pour leur 10è anniversaire, ont créé une nouvelle collection « Vivre | Ėcrire ».

Cette collection est composée de recueils thématiques de textes autobiographiques, réunis et présentés par un chercheur ou une chercheuse : l’exil, l’évasion des prisonniers de guerre, le transfuge de classe, l’amour, les cheminots, les femmes dans la guerre... Quatre premiers volumes sont déjà parus : Amoureux, Lettres d’amour retrouvées, réunies et présentées par Véronique Leroux-Hugon. Femmes dans la guerre, Témoignages 1939-1945, réunis et présentés par Hélène Gestern. Évadés, Récits de prisonniers de guerre 1939-1945, réunis et présentés par Philippe Lejeune. Exilés, Récits autobiographiques, réunis ■La fiche des livres et présentés par Elizabeth Legros Chapuis.

Pour célébrer en 2022 le trentième anniversaire de sa fondation, l’APA vient de publier un livre qui retrace son histoire durant ces trois décennies et qui rassemble des témoignages des membres fondateurs, des personnalités ayant collaboré avec l’APA et des exemples en images des textes du fonds qui détient aujourd’hui plus de 4000 dépôts ... ■Lire la suite ICI ou ICI


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Le dire et l’écrire

Cet été, l’embarras du choix :

rencontres - expositions spectacles - formations

En juillet En août

En juillet En août

En juillet En août

En juillet En août

En juillet

En juillet

Voir aussi les propositions de TELERAMA

Peter Brook 1925-2022


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Le dire et l’écrire

Solidarité Des livresavec les peuples d’Ukraine

La botte russe, une menace pour l’édition ukrainienne Déclaration des éditions Medusa (Kyiv)

Un appel aux dons pour l’impression de livres pour les enfants ukrainiens Pour

et Syllepse (Paris)

faire un don

Et aussi deux numéros spéciaux de la LETTRE

La culture contre l’invasion russe Lire ICI

Mis à jour le 13/06/2022-version n°07

Une sélection de livres de la littérature ukrainienne. Lire ICI


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