5 minute read

Décryptage: les impacts de la guerre en Ukraine sur le secteur agricole

La guerre a généré de fortes craintes pour l’approvisionnement, ce qui conduit depuis fin février à des prix records sur les marchés des matières premières agricoles. Le colza a ainsi dépassé les 1000 €/t sur Euronext fin avril.

GUERRE EN UKRAINE Les principaux impacts sur le secteur agricole

Déclenchée le 24 février par le président russe Vladimir Poutine, l’invasion de l’Ukraine perturbe fortement le secteur agricole compte tenu du poids majeur à l’export des deux pays, et du rôle de la Russie dans la production d’engrais et d’énergie, engendrant des répercussions à tous les niveaux…

1Des exports bloqués et une production compromise

La quasi-totalité des ports ukrainiens sur la mer Noire et la mer d’Azov sont bloqués depuis le début du conflit, ce qui empêche le pays d’exporter sa production agricole par voie maritime. Les transports de marchandises mis en place avec les pays voisins par le rail risquent de s’avérer peu efficaces, et il pourrait rester à l’Ukraine près de 5Mt de blé, plus de 15Mt de maïs et plus de 3Mt d’huile de tournesol exportables à la fin de la campagne de commercialisation. La nouvelle campagne de production est, de son côté, compromise par les combats et par la pénurie de main-d’œuvre, d’intrants et de carburants.

2Une envolée inédite des cours des grains et des huiles

La guerre a généré de fortes craintes pour l’approvisionnement, ce qui conduit depuis fin février à des prix records sur les marchés des matières premières agricoles. Le colza a ainsi dépassé les 1000€/t sur Euronext fin avril, quand l’Indonésie a décidé de suspendre ses exportations d’huile de palme. Le cours du blé a atteint 438,25€/t à la clôture

du marché européen, après l’annonce de l’embargo de l’Inde sur ses exportations, et le maïs est monté jusqu’à 370€/t.

3Un discours politique en faveur du « produire plus »

Réactualisé à la lueur de la crise sanitaire, le concept de souveraineté alimentaire a pris encore plus de sens avec le début du conflit et la crainte de pénuries, la Russie et l’Ukraine étant de gros producteurs de céréales et de tournesol. En réaction, la Commission européenne a autorisé, le 23mars, l’utilisation des surfaces déclarées en jachères dans la campagne Pac 2022, pour accroître la production. La France a par ailleurs demandé que des objectifs de production soient fixés pour l’agriculture de l’Union européenne (UE).

4Les prix de l’énergie et des engrais explosent

La guerre russo-ukrainienne a renforcé la volatilité des prix de l’énergie, déjà à la hausse depuis début 2021. De fait, la Russie est le deuxième exportateur mondial de pétrole brut, et fournit 40% du gaz consommé par l’UE. La flambée des prix du gaz dope les coûts non seulement de séchage, de transformation, mais aussi de fabrication des engrais azotés. Ceux-ci ont augmenté de façon exceptionnelle en mars, d’autant plus que le gouvernement russe a recommandé aux producteurs d’engrais de suspendre les exports. L’urée départ port atteignait ainsi 1060€/t le 25mars. Les prix ont décliné ensuite, tirés à la baisse par une chute de la demande, une reprise de la production européenne et un surplus d’offre au Maghreb et au Moyen-Orient.

5Les prix du matériel et des emballages flambent aussi

En lien avec la flambée des prix de l’énergie, les prix des emballages ont poursuivi une forte hausse de l’ordre de +20%, alors qu’ils avaient déjà grimpé en 2021. Pour les agriculteurs, la hausse se répercute par exemple sur le prix du film d’enrubannage. Du côté du matériel agricole, au-delà de la pénurie de certains composants, liée aussi à la reprise économique qui a suivi les confinements, l’augmentation du prix de la tôle (plus de deux fois le prix de janvier2022, et de trois fois celui de janvier2021) fait logiquement grimper le prix des tracteurs et équipements.

MALGRÉ LES SANCTIONS, LA RUSSIE CONTINUE D’EXPORTER

En réaction à l’invasion de l’Ukraine, les Occidentaux ont mis en place toute une série de sanctions visant à pénaliser l’économie russe. Fermeture des ports et restrictions à l’importation d’engrais et de gaz ont ainsi été décidées, sans pour autant dissuader la Russie de faire du commerce: Moscou réserve en grande partie ses engrais et productions agricoles aux « pays amis » qui n’ont pas condamné son action militaire, comme la Chine, et fait transiter ses marchandises via la Turquie et l’Iran.

LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES ROUVERTES JUSTE APRÈS LEUR CONCLUSION

ADOBE STOCK En parallèle, le gouvernement français a, dès le début de la guerre russoukrainienne, ouvert des négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs afin de prendre en compte l’explosion des charges et de la répercuter équitablement au sein de la filière. Néanmoins, les hausses de prix ont du mal à passer, malgré la signature d’une charte d’engagement par les différentes parties prenantes, ce qui ne garantit pas aux agriculteurs la prise en compte totale de l’explosion de leurs coûts de production. Si la hausse des cours des matières premières risque d’entraîner une inflation des prix à la consommation, l’amont de la filière soutient la proposition d’un chèque alimentaire à destination des plus démunis.

Les hausses de prix pèsent sur le pouvoir d’achat des consommateurs: en France, l’étude menée par Allianz estime que le budget alimentaire par personne pourrait bondir de 224 € en 2022.

6Le coût de l’alimentation animale sous tension

La flambée historique des prix des grains et des huiles a entraîné dans son sillage ceux de l’alimentation animale. Le tourteau de soja a dépassé les 600€/t au mois de mars et celui du colza les 500€/t. Les mesures prises en réponse au conflit (embargo américain sur le pétrole russe, restrictions à l’export de palme en Indonésie…) ont alimenté cette envolée, qui a poussé certains éleveurs à modifier leur stratégie d’approvisionnement.

7Inflation de l’alimentation humaine

Si les hausses des prix de l’énergie et des matières premières pèsent sur les prix alimentaires, elles pèsent également sur le pouvoir d’achat des consommateurs. En France, une étude de l’assureur Allianz estime ainsi que le budget alimentaire par personne pourrait bondir de 224€ en 2022. Cette estimation se base cependant sur l’hypothèse que les distributeurs répercuteraient sur leurs prix de vente 75% de la hausse des prix qu’ils paient aux industriels du secteur agroalimentaire. Dans le monde, la situation fait craindre des crises alimentaires à venir. En mars2022, tiré par la flambée des prix des céréales, l’indice FAO des prix alimentaires a battu son record absolu depuis sa création en 1990. ■

This article is from: