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Bon à savoir

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STOCKAGE À LA FERME Un calcul gagnant pour les agriculteurs et les coopératives

L’agrandissement des exploitations et l’augmentation des débits de chantier pendant les moissons stimulent le développement du stockage à la ferme pour gagner du temps. Les coopératives soutiennent cette mutation afin de conserver leurs adhérents, optimiser la logistique et les investissements, et s’assurer de la bonne conservation des grains.

Selon des études réalisées par FranceAgriMer au cours des dix dernières années1 ,les capacités de stockage à la ferme des agriculteurs français sont estimées à 31millions de tonnes en équivalent blé, soit la moitié de la collecte française de céréales. Un agriculteur sur deux disposerait d’un espace de stockage. Environ 50% de cette capacité serait sous forme de cellules métalliques et 50% sous forme de hangars pour le stockage à plat. Le blé représente plus de la moitié des volumes entreposés, suivi par le maïs puis l’orge. La motivation principale en faveur du stockage à la ferme citée par les céréaliculteurs interrogés demeure la souplesse offerte au moment des récoltes vis-à-vis des horaires d’ouverture et compte tenu de l’engorgement des infrastructures de collecte. Ils considèrent en outre que le stockage sur l’exploitation représente un intérêt économique grâce aux primes proposées par certaines coopératives et aux choix de commercialisation différée. Face aux besoins en hausse sur son territoire, le service bâtiments de la chambre d’agriculture de Moselle a mis en place il y a quinze ans un accompagnement technique et administratif spécifique pour la réalisation des projets de stockage de céréales, de la conception à la demande de permis de construire, en passant par le plan, le dimensionnement et le chiffrage. «Pendant une dizaine d’années, nous avons même organisé une journée annuelle sur ce thème avec des visites d’installations, souligne le conseiller Benoît Quéraud. Une quinzaine d’agriculteurs y participaient à chaque fois.»

Acheteurs dédiés aux « départs ferme »

Dans les Pays de la Loire, la coopérative Terrena a elle aussi observé une volonté croissante chez ses adhérents de stocker à la ferme. «Pour gagner du temps aux moissons, certains agriculteurs privilégient la collecte à la ferme plutôt qu’au silo de la coopérative, constate Denis Suire, directeur des achats de céréales. Nous ne pouvions pas laisser ce marché de côté.»

D’après l’enquête Arvalis-Institut du végétal/BVA de 2017, seuls 60 % des hangars de stockage à plat seraient équipés d’un système de ventilation, contre 86 % des cellules métalliques. L’engorgement des silos de collecte au moment des moissons est l’une des raisons poussant les agriculteurs à investir et les coopératives à encourager le stockage à la ferme.

ADOBE STOCK Sur 1,2million de tonnes collectées par la coopérative, environ 100000t sont aujourd’hui entreposées sur des exploitations. Terrena a recruté trois jeunes acheteurs afin de créer une équipe dédiée aux «départs ferme» vers des débouchés portuaires ou alimentation animale. «En tant que metteur en marché, nous portons la responsabilité de la qualité des produits, justifie Céline Majolet, responsable qualité filière végétale. Nous orientons les agriculteurs sur les points de vigilance au stockage pour assurer la sécurité alimentaire. Demain, nous serons peut-être en mesure de leur proposer des contrats de filière, mais nous sommes prudents.» À l’image de son outil Conselio cultures destiné à l’enregistrement des pratiques au champ pour la traçabilité, Terrena a lancé en 2021 Conselio stockage. L’objectif est, d’une part, l’enregistrement par l’agriculteur des paramètres liés au suivi de la conservation des grains (température, en particulier) et, d’autre part, la diffusion de conseils par les silotiers pour piloter, notamment, la ventilation (volet conseil en cours de développement). En mettant en place ces services spécifiques, Terrena compte atteindre au moins 150000t

L'AVIS DE L'AGRICULTEUR

José Godineau, céréalier à Saint-Macaire-du-Bois (Maine-et-Loire)

«Nous commercialisons nous-mêmes à des meuniers locaux»

« Nous cultivons 600 ha à quatre associés et réalisons des prestations pour des exploitations voisines. La réforme de la Pac en 1992 [mise en place d’aides compensatoires pour remplacer le système de protection des prix, NDLR] a été un déclic. Je cultivais alors 200 ha avec mon père, et je ne voulais pas être soumis à un cours mondial inférieur à mon coût de production. J’ai donc cherché des débouchés locaux et qualitatifs, puis démarré la construction d’un silo. Depuis 2005, notre Sarl a le statut d’organisme stockeur permettant de vendre directement aux meuniers et d’acheter la récolte de voisins. Nous avons une capacité de 11000 t en 25 cellules de 150 à 2500 t. Nous collectons 9000 t, dont 5000 t de blé meunier, ainsi que du sarrasin, vendus à huit moulins en Pays de la Loire et en Bretagne. Nous vendons aussi du maïs waxy pour le floconnage, du tournesol pour l’oisellerie, du colza, du millet, du soja. Pour avoir accès à ces marchés qualitatifs, nous nous sommes équipés: nettoyeur-séparateur, dépoussiéreur, humidimètre, infralyseur pour mesurer les taux de protéines et d’huile, deux séchoirs à biomasse pour le maïs, le tournesol et le millet, et bien sûr, un système de ventilation avec thermostat. Nous pouvons descendre à 5 °C pour le stockage long, car notre point fort est de n’utiliser aucun insecticide. Aujourd’hui, nous sommes autonomes et moins exposés au marché mondial. Notre marge est supérieure pour couvrir le travail supplémentaire et les investissements. Environ 50 % de notre charge de travail concerne le stockage et la commercialisation. Notre projet, désormais, est de nous diversifier avec, par exemple, le soja. » stockées chez ses adhérents. «C’est une solution face à l’engorgement de certains points de collecte, reconnaît Denis Suire. C’est aussi un moyen de réorienter nos investissements vers des outils de transformation plutôt que dans le stockage. Enfin, ces services nous permettent de nous développer dans des zones géographiques où nos points de collecte étaient rares ou éloignés les uns des autres.»

Primes au stockage

Dans le Nord-Est, la coopérative Vivescia est passée de son côté de 500000 à un million de tonnes de capacité de stockage à la ferme depuis 2017, soit un tiers du volume de collecte. «Nous observions un développement naturel des investissements de stockage chez nos adhérents, en particulier dans les exploitations en croissance, indique le directeur Jean-Luc Jonet. Après réflexion, le conseil d’administration a pris la décision de soutenir ce mouvement en mettant en place des primes au stockage de 8 à 17€ la tonne en fonction de la durée.» Plusieurs raisons justifient la stratégie de Vivescia. La première, selon le directeur, relève de la mission des coopératives d’apporter de la valeur dans les exploitations agricoles. La deuxième à

À Saint-Macaire-du-Bois (Maine-et-Loire), José Godineau et ses associés ont commencé en 1994 la construction d’un outil de stockage qui a atteint la capacité de 11000 t en 2018. Agréés organisme stockeur depuis 2005, ils commercialisent eux-mêmes leurs céréales.

NATHALIE TIERS

est l’optimisation des flux logistiques au moment des récoltes: éviter l’engorgement des silos, écrêter le pic de travail, limiter le stockage dans des silos intermédiaires générant des coûts de transport. «Nous avons désormais besoin d’une moindre capacité au moment des moissons, ce qui nous a permis d’arrêter l’exploitation de certains silos de collecte, précise JeanLuc Jonet. Nous recentrons nos efforts de modernisation sur les silos dédiés à l’expédition.» La troisième raison est la facilitation de la traçabilité et de l’allotement à l’échelle de l’exploitation, indispensable dans le cadre des démarches de filière. De fait, les adhérents disposant de capacités de stockage ont accès plus facilement à ces contrats plus rémunérateurs. Outre les incitations financières, Vivescia a renforcé les moyens humains pour l’accompagnement technique des agriculteurs-stockeurs. Une équipe de quatre conseillers s’est consacrée à l’information en matière d’équipement

«Certains agriculteurs privilégient la collecte à la ferme plutôt qu’au silo de la coopérative, pour gagner du temps aux moissons. Nous ne pouvions pas laisser ce marché de côté»

DENIS SUIRE, Terrena

et à la sensibilisation aux bonnes pratiques afin de garantir la conservation des grains.

Une plateforme de recherche et de formation

D’après FranceAgriMer, les trois quarts des capacités de stockage à la ferme à l’échelle

Arvalis-Institut du végétal a lancé en 2020 l’outil d’aide à la décision Venti-LIS2 comprenant deux volets: l’autodiagnostic de l’installation de ventilation pour vérifier ses performances, et l’aide au choix du ventilateur.

Arvalis-Institut du végétal dispose depuis 2012 d’une plateforme destinée à la recherche et à la formation sur le thème du stockage et de la conservation des grains. Elle est équipée de six cellules métalliques de 50 t chacune.

française seraient pourvues d’un dispositif de ventilation, en particulier dans le cas des cellules métalliques, davantage équipées que les hangars de stockage à plat. «La ventilation à l’air ambiant constitue un levier d’action prioritaire pour lutter contre la prolifération des insectes par le refroidissement, et contre le développement des moisissures en réduisant le taux d’humidité», explique Marine Cabacos, ingénieure au pôle stockage des grains d’Arvalis-Institut du végétal. Sur sa station expérimentale de Boigneville (Essonne), l’institut technique dispose depuis 2012 d’une plateforme destinée à la recherche et à la formation sur le thème du stockage et de la conservation des grains. Les enseignements issus de cette dernière sont valorisés aussi bien auprès des organismes stockeurs que des agriculteurs stockant chez eux. La plateforme d’Arvalis-Institut du végétal est équipée de six cellules métalliques de 50t chacune et de six boisseaux surélevés de 10t chacun. Ils sont utilisés à

Grâce à son nettoyeur-séparateur installé sur la plateforme de Boigneville, Arvalis-Institut du végétal cherche à évaluer le bénéfice du nettoyage. Le retrait des impuretés améliore les performances de la ventilation en améliorant la circulation de l’air.

À Maisons-en-Champagne (Marne), Cyril et Fabienne Collot ont opté pour un bâtiment de 1600 m² comprenant sept cases pour le stockage à plat, dont cinq équipées de ventilation par caniveaux enterrés.

ARVALIS-INSTITUT DU VÉGÉTAL

NATHALIE TIERS pour entreposer la récolte du domaine de Boigneville et pour mener des essais. Les résultats sont diffusés dans la lettre technique Stock@ge éditée trois fois par an et disponible gratuitement sur abonnement. Ils ont également permis la remise à jour en 2020 du Guide pratique du stockage des grains à la ferme,2 ainsi que la mise au point de l’outil d’aide à la décision Venti-LIS2. Celui-ci comprend actuellement deux volets: la réalisation d’un autodiagnostic de l’installation de ventilation pour vérifier ses performances, et l’aide au choix du ventilateur. Un troisième volet dédié à l’audit de l’installation sera ajouté courant 2022.

VIVESCIA

L'AVIS DE L'AGRICULTEUR

Cyril et Fabienne Collot, Maisons-enChampagne (Marne)

«Beaucoup moins de stress pendant les moissons»

« Mon épouse et moi sommes associés sur une ferme de 380 ha produisant du blé, des orges d’hiver et de printemps, de la betterave sucrière, de la luzerne pour déshydratation ainsi que de la pisciculture. Nous stockons toutes les céréales depuis 2017. L’objectif était d’économiser du temps au moment des moissons. Notre bâtiment est au milieu des champs alors que le silo est à 8 km: il faut une personne de moins sur le chantier. Nous avons investi 450000 € dans un bâtiment de 1600 m2 comptant sept cases de 25 m x 6 m, dont cinq équipées de ventilation, ainsi qu’un espace de stockage non fermé. Nous avons ajouté 160000 € pour des panneaux photovoltaïques. La vente d’électricité ainsi que les primes au stockage proposées par Vivescia, de 8 ou 17 €/t pour du stockage court ou long, permettent un retour sur investissement en sept à huit ans. J’ai signé un contrat avec la coopérative qui s’engage sur la durée d’amortissement du bâtiment. Stocker exige de suivre l’évolution des températures grâce à des sondes connectées et d’être réactif pour piloter la ventilation en fonction des conditions extérieures. Il faut aussi surveiller la présence de rongeurs. Avant les moissons, trois jours sont nécessaires pour nettoyer les cellules et traiter les parois et les gaines de ventilation. Puis, au cours de l’automne et de l’hiver, environ trente-cinq heures sont nécessaires pour charger les grains stockés pour expédition. Nous sommes très satisfaits. Certes, il faut financer le bâtiment et nous verrons l’avantage économique au bout de neuf ans, mais nous avons déjà beaucoup moins de stress pendant les moissons. Stocker nous permet aussi d’avoir accès à des contrats de filières. »

«Nous recentrons nos efforts de modernisation sur les silos dédiés à l’expédition, car nous avons besoin d’une moindre capacité de collecte»

JEAN-LUC JONET, Vivescia

Pas d’insecte ni d’insecticide

Pour Marine Cabacos, l’un des principaux défis à relever en matière de stockage des céréales à la ferme est l’absence d’infestation par les insectes sans employer d’insecticide. D’après une enquête Arvalis-Institut du végétal/BVA de 2018, un agriculteur-stockeur sur cinq y aurait recours aujourd’hui. «Une minorité d’agriculteurs sont équipés d’un nettoyeur-séparateur, observe l’ingénieure. Nous cherchons à évaluer le bénéfice de cette opération, car le retrait des impuretés améliore les performances de ventilation.» Arvalis-Institut du végétal a, entre autres, débuté un essai de cinq ans comparant trois itinéraires techniques: «classique» (traitement insecticide des parois puis deux paliers de ventilation à 20°C puis 12°C), «type bio» (nettoyage du grain, traitement des parois avec de la terre de diatomée, puis trois paliers de ventilation jusqu’à 5°C) et enfin, «sans résidu» (palier de ventilation à 20°C puis fumigation à la phosphine en cas d’infestation). «Nous testons aussi la thermo-désinsectisation à l’aide du séchoir, poursuit Marine Cabacos. C’est efficace mais à doser avec prudence. Nous ne sommes pas équipés pour la ventilation réfrigérée mais nous réalisons des mesures chez les organismes stockeurs. Enfin, nous avons déposé un projet pour tester les micro-ondes déjà utilisées en industrie agroalimentaire.» ■

2 Guide à commander sur editions-arvalis.fr; lettre Stock@ge et outil Venti-LIS accessibles sur ventilis.arvalis-infos.fr.

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