Rue89 Le Mensuel : extraits du numéro 4

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trois raisons d’aimer Mad Men

Le sport ne fait pas maigrir

4

dÉcourageant

n

é ° veautualit u c no l d’a Lesue en m

Le mensueL I # 04 novembre 2010

sÉrie classieuse

diplÔme blues

Le mensueL I # 04 novembre 2010 I rue89.com

ingénieure bac+5, elle bosse chez mcDo

excLus De La procrÉation assistÉe, iLs tÉmoignent reportage mortel

La vie au cimetière 20 millions d’amies

Bel : 4,50 € - can : 8,00 dc – cH : 7,80 fs

Le business marc Levy

j’ai fait un bÉbÉ hors la loi

provoc

niqabitch secoue le débat 1

quand les politiques se justifient

cumul des mandats : le concours de mauvaIse foI T 01511 - 4 - F: 3,50 E

I juin 2010I# 01


inventaire SUBJECTIF

Photo porcelaine ovale entre 150 � (noir et blanc) et 180 � (couleur)

lEpÈrElaChaISEEnChIFFrES

Ouvert en 1803 Plus de 1 mIllIon de PersOnnes enterrÉes Plus de 2 mIllIonS de vIsIteurs 72 emPlOyÉs oUvErT ToUS lES JoUrS sauf en cas de vents fOrts et de neIge 5 POrtes 44 hectares 70 000 tOmbes 5 000 arbres en 2009, 200 cOncessIOns et 575 cases de cOlOmbarIum vendues 70 tOurnages Par an 70 cOmmÉmOratIOns et cÉrÉmOnIes OffIcIelles Par an 2 500 lettres Par an.

14 I novembre 2010 I # 04 I


le pÈre-lachaise

vie d’un cimetiÈre Reportage Zineb Dryef I Photos Audrey Cerdan I Rue89

Le Père-Lachaise ressemble à Paris : vivant, dense, secret. rue89 s’est promené autour du cimetière et dans ses allées pour vous raconter ce qu’y font les vivants. visite dans les coulisses des pompes funèbres, rencontres au pied des tombes hantées par des passionnés. La mort est un flot de larmes, de paperasse et de milliers d’euros dépensés pour ceux qui restent, mais « elle n’est rien pour nous », disait epicure.

chiffre d’affaires des pfg 520 millions d’euros par an

Dans la boutique des Pompes funèbres générales, en face du Père-Lachaise. L’entreprise traite 170 000 décès par an en France. Elle a eu le monopole communal sur la mort jusqu’en 1993.

16 000 monuments posés dans les cimetières de France 145 000 par an

cercueils produits par an

Fleurs en plastique « dessus de cercueil » 213,20 ¨

I # 04 I novembre 2010 I 15


inventaire i Le PÈre-Lachaise

dernier shopping Plaque 13 �

1 franÇais sur 5 organiSe Son propre enterrement via un contrat obSÈqueS. la dÉpenSe eSt Souvent pluS importante.

pour 9 �, on peut ajouter un « inter » (« A ma mère »). personnalisées, elles sont plus chères (150 à 300 �).

urne 80 �

On ne peut plus mettre les cendres dans différentes urnes ou les éparpiller n’importe où, mais la loi est mal faite parce qu’il n’y a aucun contrôle possible. Je me souviens d’un motard qui voulait être dispersé le long du périph. J’ai dit à la famille que ce n’était pas possible, mais je n’ai aucun moyen de vérifier. Une employée des pompes funèbres

Bouquet de roses artificielles 70 � Autrefois, les couronnes en porcelaine décoraient les tombes. Aujourd’hui, on achète de vraies fleurs pour les enterrements et des fleurs en plastique pour les tombes.

eS mP Les Po S S familles choide le S a l r i sissent sur catalogue Ue nÉ rc GÉ puis viennent ici. Tout ce reS S e b est fait pour ne pas se e d nÈ ll FU projeter ou projeter Sa

le défunt dans le cercueil.

Porte-monnaie inhumation : 3500 � minimum crémation : 600 €. La concession à perpétuité (le terrain nu) coûte 11 306 € dans les 20 cimetières parisiens. les concessions pour dix, trente et cinquante ans sont moins onéreuses et renouvelables. Les concessions cinéraires (urnes) coûtent entre 352 € (dix ans) et 1 660 € (cinquante ans). par manque de place, il n’est plus possible de réserver une concession à l’avance ; seules les urgences sont traitées. Les pompes funèbres proposent des facilités de paiement (échelonnement, prise en charge par la mutuelle), mais pas de crédit. la famille est autorisée à prélever jusqu’à 3 500 � sur le compte du défunt pour le paiement des obsèques.

Cette année, les gens ont moins dépensé pour les ornements et la cérémonie. Un employé des pompes funèbres

Selon leS pompeS funÈbreS, leS cercueilS coÛtent entre 450 � (pin) et pluS de 3 700 � (chÊne, orme maSSif). le prix moyen : 850 �

pour Éviter de dÉnaturer le cimetiÈre, claSSÉ en totalitÉ, leS bÂtimentS de france valident chaque nouvelle poSe de monument funÉraire, mÊme pour la pluS Simple deS pierreS tombaleS. danS certainS carrÉS, il n’eSt poSSible de poSer que du granit ou du marbre. un monument moyen coÛte entre 3 200 � et 5 000 �. Le moins cher : 980 �

les services funéraires sont soumis à un taux de tva de 19,6 %, contrairement aux autres pays de l’ue.

On est victimes d’un impôt sur la mort. Il y a eu des mouvements sociaux, mais nos moyens de pression sont limités : on ne vas pas défiler en corbillard sur les Champs-Elysées. Un employé des pompes funèbres


aLbuMS DIffuSÉS DanS La MaISon funÉraIre : source de lumiÈre – voix d’espÉrance arbre de paix – voix d’espÉrance souffle d’amour – voix d’espÉrance

4 ouvriers d’une entreprise de pompes funèbres enlèvent une pierre. le client, mécontent, exige qu’ils en reposent une « à la bonne taille ».

plus ent les Ils n’y sont rs fleuriss i s De visiteu enzo bellin

Des millier ria Callas, De vinC ois Corps tombes De ma no rossini, mais les tr . hi et De GioaCC mÉs il y a Des DÉCennies ont ÉtÉ exhu

« Inter » 9»

Mattei Dogan, sociologue vivant Sa tombe est érigée depuis 1990. Je ne voulais pas laisser une charge à mes successeurs, alors j’ai commandé ce livre de 2 tonnes. La mort n’est pas du tout présente dans mon esprit. En vingt ans, je suis allé deux ou trois fois sur ma tombe pour la montrer à des amis. On me dit que la foule qui visite Balzac s’arrête sur ce gros livre.

ÉpItaphes * Enfin seul ! * Passant, médite ces mots. Egoïsme, jalousie, causes de tous nos maux.

topracteur Joaquim Lopez, thana me d’autres en religion, il prépare un doctocom o nat nter « ThanatopracEntré dans la tha sur le sujet. Son projet : mo rat et un documentaire ntières » parce qu’« on parle beaucoup d’aide teurs du monde sans fro times de catastrophe, mais cela passe d’abord psychologique pour les vic rs morts ». Soins : 1 h 30 à 2 heures par corps. par le respect apporté à leu

*  Nous te répétions souvent : tu seras un homme, mon fils. Hélas, tu n’es que poussière, mais tu restes dans nos souvenirs. *  Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ceux qui tuent l’âme. * Ce qui semble mourir ne fait que se préparer à revivre.

Les Pompes funèbres générales conservent des milliers de clés. Ce sont celles, confiées par les familles, des chapelles du PèreLachaise.

* Pfff… * Toujours présente dans les pensées de son mari plus âgé. *  Il n’y a point de ténèbres. Les morts ne sont pas moins réels que les vivants.


inventaire i le pÈre-lachaise

ÉternitÉ

Je suis là par curiosité, je regarde les photos surtout et j’imagine la vie qu’ils auraient pu avoir. Ce qui nous passionne, c’est la nou-

veauté. On essaie de résoudre des énigmes en aidant les familles à retrouver un ancêtre oublié. On retrouve des gens, comme Zubaloff, un donateur majeur du Louvre, ou le Dr Gachet [celui de Van Gogh, ndlr], que plus personne ne vient voir. En lisant les noms sur les tombes, on retrouve aussi les liens de famille entre personnalités du monde politique, artistique… Rendez-vous compte : 65 sur , , s s . s le nnÉ x an gil 280 inventeurs français sont et assio is deu r vie s p pu au Père-Lachaise, et au moins oli neur es de 370 personnes enterrées ici ont donme tomb o r s p e nt l né leur nom à une rue de Paris. nse

, ur ne e m ro des ines r ,p a eu cteu um i th ire es h a d M urc

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e rec

Martine visite une ou deux fois par mois la tombe de ses grands-parents et de ses frères. C’est surtout les femmes de la famille qui viennent. Mes frères étaient enterrés porte de Pantin. Je me suis dit qu’il valait mieux que la famille soit réunie au même endroit. J’apporte des fleurs et j’arrose les plantes. C’est du respect pour ceux qu’on a aimés. Je ne les laisse pas tomber même s’ils sont partis.

tombe de Balzac Un panneau indique : concession en reprise administrative aux fins de sauvegarde. Si aucun membre de la famille ne se manifeste, la tombe, à l’état d’abandon, sera reprise par la Ville.

columbarium A proximité de l’unique crématorium de Paris, environ 38 000 cases funéraires. Par manque de place, impossible d’avoir une case perpétuelle. environ 352 8 pour 10 ans.

e ag oy t n t ne tie es ic re ur Ér ent ult d É p fr ets sÉ de

Une quarantaine de tombes fleuries et nettoyées tous les jours.

tombe de Félix de Beaujour plus haut monument des cimetières parisiens, cette tour de 16 mètres est visible depuis Montmartre. Œuvre de l’architecte Cendrier, elle a été érigée avant la mort du diplomate, en 1836. Désormais cadenassée, elle aurait abrité de curieuses cérémonies.

tombe air France les monuments collectifs (crashs, guerres) contiennent rarement des corps. Ainsi celui du vol rio-Paris : aucun corps, aucun nom. Le terrain a été offert par le maire de Paris.


s Morrison, un arbre, de du Près de la tombe de Jim ère erb rév ue niq l’u et barrières, un gardien e caméra de surveillance. cimetière : en fait, un

ue s iq ir ut ven o b ou s de

Produits les Plus vendus : les cartes postales, le tee-shirt et le buste de Jim morrison (29 ¸)

marnie, 16 ans, écrit : « Light my

fire. »

Une copine : Je veux me faire enterrer ici. luc, visiteur, écoute de la musique

Ici, je sens les feuilles mortes et j’entends les oiseaux. Tu sais, je suis allé en Inde avec des gens que j’ai rencontrés sur la tombe de Jim, c’est mieux que le café du coin.

On vient ici entre les cours. C’est calme et c’est beau.

Jackie, guide non officielle, 8 ¸ la visite : Je fais les personnalités importantes, mais on m’en demande souvent qui ne sont pas là : Debussy, Hugo, Chaplin ou Darry Cowl. Chaplin, c’est un homonyme. Hugo, c’est son père, et Debussy a été transféré ailleurs. [Darry Cowl a aussi été déplacé, ndlr].

guides oi, un des deux thierry Le r -L, 8 ¸ la visite : ions, officiels du Pvois des vols ou des dégradats je ur e te Lorsqu t des ac lieu ervation. On es j’avertis la conslieu. Je suis là pour mettre le r. ni du ve ts re an de rt ns po ge im a nner envie aux en valeur et doc’est un endroit vivant. Il n’y s , re out de iè rt su nt so Un cimet s te , mes visi u. rien de morbidestiques et historiques du lie ti ar s he oc pr ap

Altiz, diseur de bonne aventure installé devant l’entée du cimetière : Un monsieur est venu après avoir visité une tombe, d’autres vont voir Allan Kardec, le père du spiritisme, mais les questions ne sont pas liées aux défunts ou à la mort.

vu & entendu Une joggeuse mise dehors par un gardien : « On ne court pas ici. » La vitesse est limitée à 20 km/h. Sur la tombe d’Auguste Maquet, le nègre d’Alexandre Dumas, les titres des œuvres auxquelles il a contribué. « Les chats ont disparu. Avant, ils remontaient parfois avec un os. Il reste Garfield, le chat mélomane. Il aime beaucoup Chopin. » Une dame pleure sur la tombe de son mari, mort en 1984 : Mon mari, je ne l’oublie pas. Ce monument m’a coûté cher mais c’était son argent, il le méritait.

restauratrice le patrimoine funéraire est préservé par la ville de Paris. ici, des retouches à la chaux sur la tombe d’Anton reicha, compositeur.

I # 04 I noveMbre 2010 I 19


la sociÉtÉ i masque et plume

le magistrat bloguait la nuit

Le rapporteur de la chambre régionale des comptes moquait sur son blog la gestion désastreuse du maire. Qui parle d’un nouveau complot ourdi contre lui. Le blog est fermé. Par Camille Garcia I Rue89 I Illustration mathilde Aubier

l

es Spiripontains n’en sont toujours pas revenus. Oui, les Spiripontains : habitants de Pont-Saint-Esprit, Gard. Cette charmante petite commune vit depuis des années un vaudeville politico-financier dont il est devenu impossible de résumer les multiples péripéties. Dernière en date : l’auteur anonyme qui tenait un blog satirique dirigé contre le maire, Gilbert Baumet, a été démasqué. C’était un magistrat de la chambre régionale des comptes. Le blog s’appelait Le Journal de Gilbert B. – toute ressemblance avec « Le journal de Carla B. » du Canard enchaîné serait fortuite. Gilbert Baumet est maire de Pont-Saint-Esprit depuis trente-neuf ans. Un long règne pour cet ancien ministre délégué au Commerce et à l’Artisanat de Bérégovoy, passé du gaullisme au Parti radical en passant par le PS et l’UDF. Un parcours presque aussi étourdissant que l’état des finances de sa commune, dont l’endettement s’élevait en 2009 à 20,7 millions d’euros. Plus de 2 000 euros par habitant, puisque la commune en compte 10 000. Depuis dix ans, la situation de la commune est pointée par la chambre régionale des comptes du LanguedocRoussillon, qui multiplie les avis, jusqu’à un rapport d’observations définitives daté de 2008 : mauvaise gestion, clientélisme électoral et folies pyrotechniques… Pour redresser la situation, la préfecture du Gard exige de fortes hausses d’impôts. La grogne monte parmi les Spiripontains, et l’opposition se déchaîne. Trois retraités sont blessés lors d’un rassemblement de contribuables. Le maire démissionne, puis se rétracte. C’est là que « Gilbert B. » fait son apparition. Propos grinçants, satire, le blogueur sait porter la plume dans la plaie. Le Journal de Gilbert B. (fermé depuis) a ses fans. Les proches du maire, on s’en doute, n’en font pas partie. René Stéfanini, directeur des services de la municipa-

30 I novembre 2010 I # 04 I

lité, accuse le blogueur masqué d’être responsable, par des mots « utilisés en connaissance de cause », d’« actes de violence morale et physique à l’encontre des élus » (qui ont reçu des tomates). En juillet, Stéfanini porte plainte contre X pour diffamation. Une enquête est ouverte. Le 17 septembre, surprise, on apprend que Jean-Paul Saleille, rapporteur de la chambre régionale des comptes du Languedoc-Roussillon, a été mis en examen en tant que présumé administrateur du Journal de Gilbert B.

un homme cagoulÉ agresse le maire pendant son jogging Gilbert Baumet triomphe, lui qui dénonçait depuis le début les erreurs du rapport de la chambre régionale des comptes. Il faut dire que M. le maire a été (jusqu’en 2008) professeur de finances locales à l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. « Il y avait dans le rapport de M. Saleille des erreurs magistrales que même un de mes étudiants ne ferait pas. » Erreurs magistrales ? Le président de la chambre régionale des comptes, Nicolas Brunner, estime qu’« une erreur de comportement ne discrédite pas le travail de toute une cour ». Il souligne que « le rapporteur n’effectue pas un travail solitaire » et que « les rapports sont établis en fonction de ce que lui donne la commune ». Depuis 2007, le travail de la cour a permis de réduire le déficit budgétaire de la commune de plus de 10 millions d’euros. Nicolas Brunner maintient que la hausse des impôts était inévitable et qu’un autre rapporteur n’aurait pas fait autrement vu la situation financière de la commune. Ce serait mal connaître Gilbert Baumet que de croire qu’il peut se ranger à ces arguments. L’édile est combatif. En pleine affaire, il a été agressé pendant son jogging par un homme cagoulé, qui serait « surgi de l’ombre » armé


d’un bâton, et a aussitôt porté plainte contre X. Plusieurs fois par le passé, il a déjà été victime d’agressions. En 1980, une bombe a explosé à son domicile et, en 1994, il a reçu une balle de revolver dans la jambe. Aucun des auteurs n’a été retrouvé. Aujourd’hui encore, Gilbert Baumet est persuadé d’être victime d’un complot : « Je suis effaré, c’est un drôle de scandale. Celui qui a fait ça, soit il est incompétent, soit il est couvert, mais il y a eu combine. » Il envisage de demander l’annulation des hausses d’impôts « injustes et

inutiles », qui ont été « fatales pour les Spiripontains ». Il promet d’obtenir la mise en examen du préfet et menace : « Je crois qu’on peut s’attendre à d’autres coups de théâtre, j’irai jusqu’au bout. » Quant au magistrat présumé justicier, il risque, outre une sanction pénale, une procédure disciplinaire de la Cour des comptes pour avoir enfreint son devoir de réserve. Jean-Paul Saleille travaille désormais à la chambre régionale des comptes de Toulouse. Selon son secrétariat, il ne souhaite plus s’exprimer sur l’affaire. I # 04 I novembre 2010 I 31


rue69 I genres

coUp De gUeULe. sur les portes des toilettes, des panneaux qui font mauvais genre.

machos

pictos

Selon la blogueuse canadienne marissa, la façon dont sont séparés femmes et hommes aux WC trahit notre perception des sexes. Par marissa I Blog « This is Hysteria » I Traduction marion Cerdan

Rien de plus banal que les décider qui a le droit à l’un ou à pictogrammes indiquant où se trouvent les toilettes pour hommes et celles pour femmes : on tombe dessus presque à chaque fois qu’on se rend dans un lieu public. Pour beaucoup de gens, la séparation hommes/femmes et les dessins utilisés pour les distinguer semblent anodins et nécessaires. Les transsexuels savent qu’il peut y avoir des débats compliqués pour

88 I novembre 2010 I # 04 I

l’autre côté des toilettes [le problème s’est posé par exemple au Parlement italien pour la députée transsexuelle Vladimir Luxuria, ndlr]. Quand on se penche sur le sujet, on découvre que la séparation des toilettes publiques est en fait l’une des façons les plus courantes de renforcer la dualité homme/femme. C’est pourquoi les indicateurs utilisés sont très révélateurs de la

façon dont nos sociétés conçoivent le genre. Ils identifient bien souvent l’homme comme l’universel et la femme comme sa variation. Ils expriment aussi ce qu’on attend d’un genre, et associent presque toujours genre et sexe. J’ai donc recueilli, classifié et analysé pour vous quantité d’écriteaux posés sur des portes de toilettes, que j’ai classés en différentes catégories.


L’humain, c’est Le mÂLe, la femme n’est qu’une varIante Parmi les piliers de la domination masculine, il y a l’idée selon laquelle l’homme peut représenter l’humanité tout entière, le genre humain, alors que la femme ne peut représenter que les autres femmes. Par exemple, en politique, les « enjeux féminins » sont séparés des enjeux de tout le monde. Les panonceaux qui indiquent les toilettes sont une bonne illustration de ce principe. Ils représentent l’homme avec le pictogramme le plus simple, et la femme comme une sorte d’homme, en plus élaboré. Le jeu de mots sur les deux portes ci-contre (« WO-MEN ») en est un beau symbole. Les deux pictogrammes les plus couramment utilisés, comme ceux figurant page de gauche, encadrant le titre, en sont un autre exemple. Concrètement, ces signes représentent les hommes comme des personnes, et les femmes comme des personnes en jupe. En Iran, les hommes sont des personnes, et les femmes sont des personnes en jupe et voilées.

I # 04 I novembre 2010 I 89


rue69 I genres

Parfois, les hommes sont des personnes, et les femmes sont des personnes avec des hanches. Cette façon « genrée » de voir les corps est un peu absurde parce que, bon, les hommes aussi ont des hanches… Parfois, les hommes ont un torse, tandis que les femmes, désincarnées, ont des seins qui flottent, et un tentacule qui leur sort de leur tête.

l’homme-triAngle vs La femme-triangLe

Ceux qui font Le tri selon le genre

Il y a une autre série de pictogrammes, qui, bien que basés sur le classique les-hommes-sont-despersonnes, les-femmes-sont-despersonnes-en-robe, ne rentrent pas totalement dans cette catégorie. Ces signes sont ceux des hommes et des femmes « triangles ». L’un n’est pas élaboré à partir de l’autre ; ils sont tous les deux de simples triangles. Ces signes restent tout de même problématiques puisqu’ils conçoivent l’homme et la femme comme fondamentalement opposés. Ils supposent également que le visiteur comprenne que le triangle représente dans un cas de larges épaules, et dans l’autre une jupe.

On retrouve de façon récurrente un amalgame entre le genre (avec sa dimension sociale et culturelle), le sexe (dans sa dimension biologique) et la sexualité. Ainsi, beaucoup de signes ne font pas du mâle le symbole de l’humanité, mais jouent sur notre manière de percevoir la féminité ou la masculinité, ce qui est une façon de déterminer leur essence, ce qui fait qu’on est homme ou qu’on est femme. La plupart du temps, la différence se fait grâce aux vêtements. Au point que ce sont parfois les vêtements tous seuls qui font l’homme et la femme (voir le pictogramme en haut de cette colonne). Il y a aussi des dessins où les personnages prennent des poses correspondant aux comportements que l’on attend d’un homme et d’une femme : les femmes réservées et soumises, les hommes dominants ou exhibant leur force physique.

BizArre bizarre

Pour finir, voici des signes que j’ai tout simplement trouvés déroutants. en Allemagne, les femmes sont représentées par le feu et les hommes, par l’eau, alors qu’au Brésil le feu représente les hommes, et les femmes sont des fleurs. Certains concepteurs s’amusent à décliner leur vision des genres dans le monde des insectes. Le message : les scarabées sont naturellement masculins parce qu’ils ne sont pas beaux, les papillons sont naturellement féminins parce qu’ils sont beaux.


shopping

Ceux quI font le trI selon les attributs sexuels

Un peu comme le font ceux qui ne supportent pas les transsexuels, certains panneaux se focalisent non pas sur les vêtements, mais sur ce qu’il y a en dessous. Ces signes plus explicites mettent tous de côté les personnes transsexuelles et les personnes avec des organes sexuels atypiques. Il existe trois variantes : 1 • Les hommes ont un pénis, les femmes ont des seins. Les seins des femmes ont été sexualisés dans notre société : les voilà considérés comme comme l’équivalent féminin du pénis.

2 • Moins courant : les hommes ont un pénis les femmes on un vagin (voir le picto en tête de colonne). 3 • Pipi debout/pipi assis.

D’autres signes se contentent de poser très directement la question au visiteur : « Faites-vous pipi assis ou debout ? »

football

PourquoI des toilettes sÉparÉes ? Ce modèle est un résumé de tout ce qu’on a vu jusqu’ici. Dans la bulle du personnage féminin : « shopping ». Dans la bulle du personnage masculine : « football ». 1 • L’homme comme l’universel, la femme comme la variation : il a une silhouette simple ; elle, une robe et une bouche pour le rouge à lèvres. 2 • La distinction anatomique : il a un pénis minimaliste, elle a un vagin minimaliste. 3 • L’expression du genre : il pense au football, elle pense au shopping. Que le concepteur graphique ait pensé que l’on puisse avoir besoin de tant d’éléments distinctifs paraît presque grotesque… C’est aussi intéressant parce que ça montre combien l’assimilation du sexe et du genre est totale, et combien la dichotomie résultante est rigide. Les femmes doivent faire preuve de féminité. Les hommes ne peuvent pas porter du rouge à lèvres ou aimer faire du shopping. Et ils ne peuvent certainement pas avoir un vagin… Il y a quelque chose d’absurde dans ce pictogramme. On ne sépare pas les toilettes parce que leurs utilisateurs ont des centres d’intérêt différents. Ni pour leurs choix vestimentaires, puisque de nos jours les femmes portent souvent des pantalons. Et, comme le montre le panneau ci-contre, proposé par Utilikilts, un fabriquant de kilts, ce n’est pas im-

possible pour un homme de porter une jupe. On sépare les toilettes à cause du sexe, à cause de l’intérêt sexuel présumé du sexe opposé, et donc à cause de la sexualité. Et en particulier à cause de l’hétérosexualité masculine, qui est perçue comme prédatrice. Disons-le carrément : elle est non seulement considérée mais aussi acceptée comme prédatrice, au point qu’on en plaisante (picto ci-dessus). C’est injuste pour beaucoup d’hommes, et ça devient une excuse pour les hommes qui sont effectivement prédateurs. La séparation des toilettes présume que les usagers sont hétérosexuels, que parmi eux les hommes sont des agresseurs potentiels et les femmes, des êtres passifs et vulnérables.

I # 04 I novembre 2010 I 91


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