LE MENSUEL I # 16 I DÉCEMBRE 2011-JANVIER 2012 I BEST OF 2011
LE MENSUEL # 16 DÉCEMBRE 2011-JANVIER 2012
12 QUESTIONS CLÉS POUR 2012
SPÉCI A BEST L OF
l’année explosive Printemps arabe // Fukushima // Ben Laden // Affaires DSK // Indignés // Crise de l’euro // Kadhafi // Steve Jobs // Primaire PS
BEL : 4,50 € – CAN : 8,00 DC – CH : 7,80 FS
M 01511 - 16 - F: 3,50 E - RD
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Irradiés ?
Le 11 mars, un séisme suivi d’un tsunami fait plus de 20 000 morts au Japon. Au désastre, qui transforme des villes entières en tas de débris, s’ajoute, les jours suivants, un accident nucléaire majeur, le plus grave depuis Tchernobyl : une série d’explosions dans la centrale de Fukushima. Une mÈre tente de parler À sa fIlle, ÉvacUÉe dU pÉrImÈtre de sÉcUrItÉ de fUkUshIma, le 14 mars. photo © YurIko NAkAo I reuters
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BEST OF 2011 I JANVIER I fÉVRIER I mARs I AVRIl I mAI I JuIN I JuIllEt I AoÛt I sEptEmbRE I octobRE I NoVEmbRE I dÉcEmbRE I
11 mars, Japon
MARS I tÉmoignage
Fuir Fukushima Simon, 47 ans, veut « aller le plus loin possible » de la centrale nucléaire près de laquelle il a vécu dix ans. rencontre. Recueilli par Sophie verney-caillat i Photo audrey cerdan i Rue89 i 1er octobre
U
ne riveraine de Rue89, Yasha, photographe japonaise installée à Paris, débarque à la rédaction pour nous présenter un « irradié » réfugié à Paris et désireux de raconter la « vérité » sur Fukuhima. Au début, on se méfie forcément : « Il a trois bras ? » « Il va te contaminer ? » Voici les réactions autour de moi quand j’annonce que je vais
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rencontrer un « rescapé » de cette catastrophe loin d’être terminée. Simon ne parle pas français, un peu anglais, mais il sait utiliser le langage des images : comédien professionnel, il a tourné quelques vidéos, notamment cette rencontre qui avait dégénéré le 19 juillet entre les autorités et les citoyens (voir double page suivante). Simon habite depuis dix ans à Fukushima City,
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à 60 kilomètres de la centrale, bien au-delà du rayon d’exclusion – de 20 à 30 kilomètres. Il se souvient des suites du séisme du 11 mars : « Le gouvernement a parlé de dégâts sur la centrale, mais pas de problèmes de radioactivité. Quand il y a eu l’explosion d’hydrogène le 14 mars, je me suis dit que c’était loin, mais je commençais à douter des autorités, qui ne cessaient de dire que tout était sous contrôle. » Un jour d’avril, vêtu comme un travailleur du nucléaire, il a entrepris un « road trip » avec un ami. Sans compteur Geiger, avec la peur au ventre. Il s’est approché jusqu’à 7 kilomètres de la centrale, sans sortir de la voiture. Les territoires, magnifiques, sont aussi déserts
qu’inquiétants. Sur les images qu’il nous a montrées (et qu’il garde pour un documentaire), on voit des animaux errants, chiens, vaches, cochons, des feux rouges arrêtés et quelques policiers aux check-points. Comme le décrypte Simon, la radioactivité est un « piège » : « Elle ne se voit pas, c’est comme s’il ne s’était rien passé, le tsunami a touché les côtes, mais à l’intérieur c’est une panique silencieuse. Les gens ne veulent pas savoir. Moi-même, je ne ressens rien dans mon corps, mais j’aurai peut-être un cancer dans dix ans. » La prise de conscience de Simon, avec d’autres citoyens japonais, met plusieurs semaines à se formaliser. Début mai, il rejoint l’association Kodomo Fukushima, dont le but est de protéger les enfants des radiations. « Une centaine de membres sont actifs, estime-t-il. C’est peu ». A 47 ans, Simon veut tourner la page Fukushima. Il laisse derrière lui son appartement, son travail, ses amis, et restera en France les trois mois que lui autorise son visa de touriste. Puis, peut-être l’Angleterre, ou l’île d’Okinawa, « un peu les Antilles du Japon, le plus loin possible de Fukushima ». Son idée ? Faire analyser la dose de radioactivité qu’il a reçue. Il a entendu parler du Whole-Body Counter, un appareil qui détecte les radionucléides contenus dans l’organisme. Mais pour avoir accès à la seule machine disponible près de chez lui, il lui en coûterait « presque 1 000 euros ». « A Fukushima City, raconte-t-il, seulement cinq personnes ont pu l’utiliser : ils tournaient une émission télé, et c’est la chaîne qui a payé. Officiellement, les résultats sont normaux, mais une contreexpertise est en cours par des citoyens qui se sont formés à la radioactivité. » Les analyses d’urine, bien moins chères, ont été réservées aux enfants. Pendant la semaine qui a suivi l’accident, Simon est sorti en combinaison de ski, masque et lunettes, « de la science-fiction », se souvient-il. Puis, il n’a eu qu’à croire les propos toujours rassurants du gouvernement, qui a relevé la limite d’exposition de 1 à 20 millisieverts (mSv) par an, soit la dose prévue pour les travailleurs du nucléaire
MARS I tÉmoignage
en France. « Sinon il aurait fallu évacuer, commente-t-il. On se bat pour la faire redescendre. J’ai acheté un compteur Geiger sur Internet, je fais des mesures moi-même et je le prête. Souvent, je détecte une radiation largement supérieure à la norme. » Avant de partir, il essayait de faire attention à la nourriture : « Au supermarché, il y avait beaucoup moins de choix, les produits frais venaient d’autres préfectures. Mais je sais que la récolte de riz, en ce moment, mélange le riz venu de partout. C’est scandaleux, mais c’est vrai. » Comme beaucoup de Japonais, il a trouvé indécente la campagne du ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche qui clamait : « Mangeons la nourriture des zones sinistrées afin de les soutenir et d’aider à la reconstruction. » Une campagne à l’image de toute la propagande véhiculée par le lobby nucléaire. « Les gens veulent de l’information et de l’argent », résume-t-il. Pour l’instant, seules les personnes habitant à 10 kilomètres de la centrale ont été indemnisées par Tepco, opérateur de Fukushima Daiichi, pour la perte définitive de leurs biens, explique Simon. « S’il n’y avait pas de difficulté à évacuer beaucoup de monde, c’est sans doute ce qu’il faudrait faire », concède Alain Rannou, expert à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Pour lui, la limite de 20 millisieverts par an fixée par le gouvernement « augmente le risque de cancer de 0,1 % », ce qui « n’est pas considérable ». L’expert reconnaît toutefois qu’« il n’est pas normal que les gens n’aient pas d’informations sur leur exposition à la radioactivité, qu’ils puissent décider de partir en toute connaissance de cause ».
La radioactivité ne se voit pas, c’est une panique silencieuse. Je ne ressens rien dans mon corps, mais j’aurai peut-être un cancer dans dix ans. 36 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I # 16 I
Les habitants de Fukushima demandent l’évacuation des zones contaminées et des analyses d’urine pour leurs enfants. Les autorités japonaises se montrent incapables de répondre à cette attente. Dans cette scène choquante filmée par Simon (voir page précédente) lors d’une réunion avec les
habitants, Akira Sato, responsable local de la sécurité nucléaire, oppose indifférence puis mutisme aux demandes pressantes. Il finit par s’enfuir dans les couloirs, poursuivi par les habitants furieux. Un père s’interpose devant l’ascenseur, le suppliant d’emporter le flacon d’urine de son enfant. Le fonctionnaire s’en va sans un mot.
Les 5 articles les plus lus de mars 1 Nucléaire : encore des questions que vous n’osez pas trop poser Quinze jours après l’explosion de la centrale nucléaire de fukushima, Rue89 répond aux riverains sur la catastrophe japonaise. 271 844 visites 2 Lettre ouverte à mon (ex-)ami Eric Zemmour Jean-philippe moinet s’adresse au journaliste, poursuivi pour incitation à la haine raciale après sa sortie xénophobe sur les Arabes et les Noirs. pour son ancien collègue, Zemmour est un nouveau dieudonné. par Jean-philippe moinet. 270 636 visites
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TOp 89
AVRIL I afrique
La Françafrique ressuscitée TRIBUNE i Par anicet djéhoury i Essayiste ivoirien i 21 avril
La Françafrique est ressuscitée. A Abidjan, avait promis que c’en était fini de la Fran- elle occupe l’aéroport international de Portçafrique. Juré, c’était la fin du rôle de gen- Bouët – du nom de l’ancien commandant frandarme de l’Afrique. La fin du mythe çais chargé de conclure des traités avec des qui prêtait à la France la « faculté chefs côtiers. A Treichville – du nom de Treichde redresser les situations, de recher- Laplène, premier administrateur colonial de cher ses intérêts économiques… et d’être la Côte d’Ivoire –, la Françafrique exporte déjà capable d’assurer la stabilité ou de créer le cacao vers l’Union européenne, alors que les l’instabilité dans un pays ». C’était en victimes de quatre mois d’affrontements ne juin 2006 à Cotonou, au Bénin, Sarkozy sont pas toutes enterrées. était candidat à la présidentielle. Une fois élu, Sarkozy s’est éloigné à une vitesse Aussi loin qu’on puisse remonter, il supersonique de cette profession de foi. n’existe aucune trace d’une seule démocratie Le discours de Dakar, la révocation de Jean- installée ou soutenue par la Françafrique. Le Marie Bockel (qui voulait signer l’acte de décès temps est désormais compté en Côte d’Ivoire. de la Françafrique), l’influence de Robert Oubliées, ces milliers de victimes civiles. CerBourgi à l’Elysée, figure de la Françafrique… taines, des centaines, sont tombées sous les autant de signes qui montrent bombardements de la commuque, rattrapé par la realpolitik, a cotonou, nauté internationale. Sacrifiées Nicolas Sarkozy a tourné le dos sur la base d’une résolution cenle candidat sée les protéger. à ses promesses électorales. A Abidjan, réfugiés derrière le Sarkozy avait Le regard est détourné. Et des paravent onusien, les soldats promis d’en milliers de partisans de Laurent français ont participé à l’arres- finir. A Abidjan, Gbagbo sont traqués de Duékoué tation du président Gbagbo. C’est, (où des massacres auraient fait le Président nous dit-on, « un signal fort aux plus de 800 morts, selon la dictateurs » de la région. Ils ne a enterré sa Croix-Rouge) à Abidjan. Bou« devraient plus mépriser » la voix promesse. chées sont les oreilles pour ne des peuples qui réclament des pas entendre le bruit des exécuélections libres et justes. tions sommaires. Fermés sont les yeux pour Quelques mois plutôt, au Gabon, une inversion ne pas voir les traitements dégradants et pure et simple du résultat présidentiel a été humiliants infligés aux patriotes ivoiriens. encouragée au profit du fils Bongo. La vox Le western abidjanais est terminé. Mission populi gabonaise était certainement inaudible. accomplie pour les Bérets verts français. Les A Ouagadougou (Burkina Faso), où le président journalistes peuvent désarmer leur plume, Compaoré n’est pas loin de subir le même sort porter leur caméra vers d’autres théâtres d’opéque Ben Ali et Hosni Moubarak, les forces rations. Les Ivoiriens ne les regretteront pas. spéciales françaises s’activent déjà sur le ter- L’actualité est brûlante ailleurs. Kadhafi utirain. Il faut sauver le soldat Compaoré, inciter liserait des armes lourdes contre ses populales Burkinabés à supporter celui qu’ils ont tions. Il ne faut plus attendre. Vite, une nouvelle « plébiscité » au dernier scrutin présidentiel. résolution du Conseil de sécurité. 42 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I # 16 I
© ÉRIc GaIllaRd/REUTERs
La main sur le cœur, Nicolas Sarkozy
Les 5 articles les plus lus d’avril 1 Musulmane nue dans « Playboy » : buzz ou islamoféminisme sila sahin, célèbre actrice de séries télé outre-Rhin, a posé nue pour la une de l’édition allemande de Playboy. le blogueur mouloud Akkouche s’interroge sur les intentions de la jeune musulmane. 126 241 visites
2 Sonia, 40 ans, enseignante dans le privé, 1 140 euros par mois son porte-monnaie aux rayons X. par Joce Hue. 125 246 visites 3 Quatre infiltrés racontent à quoi rêvent les fachos sur Facebook Quatre étudiants ont créé le compte facebook d’une facho imaginaire pour une plongée dans l’extrême droite des réseaux sociaux. par mathieu deslandes. 116 261 visites
4 Que se passe-t-il dans la tête des gynécologues mecs et hétéros ? laurent, Edouard et Gérard, gynécos, parlent de leurs relations aux patientes, de leur propre sexualité et cassent quelques clichés. par Renée Greusard. 112 858 visites 5 A l’anniversaire de Sarkozy, Carla chante : « N’y retourne pas » la première dame de france demande en chanson à son mari de ne pas se présenter à la présidentielle de 2012 : un poisson d’avril de Rue89. par mathieu deslandes, Zineb dryef, Nolwenn le blevennec et cerise simet. 98 218 visites
QuESTiOnS pOur 2012
Faut-il légaliser le shit? Par david doucet i Journaliste i 18 avril
Gatignon, le maire de Sevran, dit oui. Qu’en pensent les dealers ? Devant le porche d’un hall d’immeuble de la cité Rougemont à Sevran, en Seine-Saint-Denis, cinq jeunes se relaient pour guetter et dealer depuis le début de l’aprèsmidi. La nuit tombée, les clients affluent. En l’espace d’une heure, une trentaine d’entre eux viendront acheter leur barrette de shit aussi naturellement qu’une baguette de pain dans une boulangerie. Ici, la légalisation semble déjà entrée en vigueur depuis longtemps… Prenant acte de l’échec de la politique répressive et du coût qu’elle fait peser sur la collectivité (un montant annuel de 3 milliards d’euros selon le think tank Terra Nova), Stéphane Gatignon souhaite aujourd’hui un « changement de paradigme ». Dans un livre coécrit avec Serge Supersac (ancien flic de terrain), le maire de Sevran propose ainsi d’en « finir avec les dealers » et l’insécurité générée par le trafic en légalisant le cannabis. La fin de la prohibition permettrait, dit-il, d’économiser 1,5 milliard en dépenses carcérales et de lutter plus efficacement contre les gros dealers. Mais, dans son
analyse, l’ancien communiste distingue bien les « petits dealers de rue », à qui il propose un vaste plan de réinsertion sociale, des semi-grossistes et gros revendeurs, plus difficilement récupérables. A quelques kilomètres de la mairie, les cinq dealers qui « tiennent le hall » dans la cité Rougemont réagissent avec scepticisme à cette proposition, comprenant rapidement l’impact qu’aurait la légalisation sur leur business. « C’est pas bon, ça va détourner notre clientèle », craint Saïd (les prénoms ont été modifiés). Accoudé à la rambarde de l’escalier, Nadeem rétorque : « Faut pas croire ce que les médias racontent, c’est déjà très dur de vendre aujourd’hui. » Assis sur une chaise, l’air absent, Michaël, le plus âgé de la bande, a quitté le circuit scolaire et deale depuis plus de quatre ans. Un brin fataliste, il déclare : « Le shit, c’est notre culture et ici, c’est notre territoire, et c’est pas prêt de changer. [...] On ne se laissera pas prendre notre marché. » « S’ils légalisent le “teushi”, on ira braquer des banques », répond Sofiane. Même si ses camarades ne le prennent guère au sérieux, ils peinent à imaginer une vie sans le deal. A l’image d’une chanson du groupe de rap local RGT, le « bizness » conditionne la vie sociale de ces jeunes dealers de rue. I # 16 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I 43
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septembre I explicateur
Kara… qui? Leurs noms sont associés à l’affaire Karachi. Pourquoi ? et qui risque quoi ? Séance de rattrapage pour ceux qui ont raté un épisode. Par augustin Scalbert i Rue89
© ReuTeRS
l’attentat le 8 mai 2002, vers 8 heures, les employés français de la Direction des constructions navales en poste à Karachi, où ils participent à la conception de sous-marins Agosta vendus par la France au Pakistan, partent au travail. Comme chaque matin, un bus de la marine pakistanaise est passé les prendre dans leurs hôtels respectifs. Alors que la porte se referme sur les passagers montés au Sheraton, un kamikaze fonce sur l’autocar au volant de sa Toyota rouge. L’explosion est « si violente qu’une phalange est retrouvée à près de 70 mètres de là », écrit L’Express à l’époque – 14 personnes, dont 11 Français, sont tuées, 12 sont blessées. Le jour même, à Paris, le gouvernement Raffarin prend ses fonctions. Les autorités françaises et pakistanaises annoncent dans la foulée soupçonner Al Qaeda d’être responsable de l’attentat. Personne ne revendique la tuerie.
82 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I # 16 I
L’affaire Karachi s’est nouée en deux temps: l’attentat de 2002 contre des ingénieurs français travaillant au Pakistan (lire cicontre) pourrait être la conséquence de malversations liées à un contrat de vente de sous-marins signé en 1994 par le gouvernement Balladur (lire page de droite). Au centre de ce volet financier, on trouve l’homme d’affaires francolibanais Ziad Takieddine, soupçonné d’avoir facilité la signature du contrat de 1994, ce qu’il nie. Les juges l’ont mis en examen le 14 septembre 2011 pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux ». Takieddine, qui aurait touché pour ses services d’intermédiaire 33 millions d’euros (avec un autre intermédiaire libanais, Abdul Rahman el Assir), en aurait reversé une partie sous forme de rétrocommissions destinées à du financement politique occulte. La semaine suivante, deux autres personnes sont aussi mises en examen : Thierry Gaubert pour « recel d’abus de biens sociaux » et Nicolas Bazire pour « complicité d’abus de biens sociaux ». C’est ici que l’affaire devient inquiétante pour Nicolas Sarkozy, car ces hommes sont très proches de lui, surtout le second. D’autres hommes politiques de droite sont cités. Bref Who’s Who de l’affaire Karachi. edouard balladur. Premier ministre de 1993 à 1995, battu à la présidentielle de 1995 par Jacques Chirac, il
n’est pour l’instant pas inquiété par la justice dans cette affaire. Mais c’est le financement de sa campagne qui serait, indirectement, à l’origine de l’attentat. Il a toujours affirmé que tous les fonds utilisés étaient légaux. A l’époque, le Conseil constitutionnel avait validé ses comptes. Mais l’instruction Karachi a montré fin 2010 qu’ils avaient été sous-évalués de plus de 13 millions de francs. François Léotard. L’instruction des juges montre que le ministre de la Défense de l’époque a, à travers son collaborateur renaud donnedieu de vabres, imposé Takieddine comme intermédiaire juste avant la signature du contrat. Auditionné fin 2009 par une mission d’information de l’Assemblée nationale, Léotard déclare que, selon lui, l’attentat s’explique par « une vengeance de personnes n’ayant pas touché leur part de commissions ». Thierry Gaubert. L’ex-femme de ce conseiller de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly puis au ministère du Budget, Hélène de Yougoslavie, l’accuse de s’être rendu en Suisse en compagnie de Ziad Takieddine pour récupérer des mallettes remplies d’argent liquide, avant la présidentielle de 1995. Accusé d’avoir fait pression sur elle, Gaubert a été mis en examen pour « subornation de témoin » en novembre. nicolas bazire. Directeur de cabinet d’Edouard Balladur à Matignon puis directeur de sa campagne
L’affaire présidentielle, il est accusé, toujours par l’épouse de Gaubert, d’avoir reçu l’argent rapporté par ce dernier et Takieddine. Ami de vingt ans de Nicolas Sarkozy, dont il fut le témoin du mariage avec Carla Bruni. nicolas Sarkozy. Ministre du Budget et porte-parole du gouvernement Balladur, il devient ensuite porteparole de la campagne du candidat. L’Elysée affirme aujourd’hui – non sans inexactitude – qu’il n’avait pas connaissance du financement de la campagne. Or, outre qu’il en était l’un des principaux conseillers politiques, il a aussi donné son accord à la création de deux sociétés offshore au Luxembourg, Heine et Eurolux, par lesquelles une partie de l’argent de la commission de Takieddine a transité. brice Hortefeux. A l’époque chef de cabinet de Sarkozy au Budget, ce vieil ami du Président s’est aussi occupé de l’organisation des meetings de campagne de Balladur – là où ce dernier affirme que des fonds ont été récoltés, en liquide, auprès des militants. Affaire dans l’affaire : ses coups de fil à Thierry Gaubert, l’avertissant que sa femme « balançait »
alors que son audition par Van Ruymbeke n’avait pas encore été rendue publique. L’ancien ministre a-t-il bénéficié d’informations indues en marge de la procédure ? Fin septembre, une enquête pour « violation du secret professionnel » a été ouverte. Jacques chirac. Une fois arrivé à l’Elysée, celui que les médias donnaient vaincu face à son « ami de trente ans » Balladur a décidé de cesser le versement des commissions aux officiels pakistanais, soupçonnant les balladuriens de toucher des rétrocommissions issues de ces fonds. dominique de villepin. Secrétaire général de l’Elysée après l’élection de Chirac, c’est lui qui, selon l’instruction, a mené les négociations menant à l’arrêt du versement des rétrocommissions aux Pakistanais, et donc aux balladuriens.
Post-scriptum : après les déclarations de Takieddine en audition, les juges d’instruction explorent la piste de la poursuite du versement des rétrocommissions au profit des chiraquiens.
Le 11 mai 2002, trois jours après l’attentat, le patron du parquet antiterroriste de Paris est à Karachi. Une instruction est ensuite ouverte par les juges Bruguière et Ricard, qui suivent la piste d’Al Qaeda. en 2008, les juges Trévidic et Jannier leur succèdent. En juin 2009, l’un d’eux déclare aux familles des victimes que la piste d’un imbroglio politique autour du contrat de vente des sous-marins est « cruellement logique ». Le 17 octobre, de nouveaux éléments confortent cette hypothèse d’un différend autour du versement de commissions occultes entre la France et le Pakistan, tout en enterrant la piste islamiste. La tuerie trouverait en fait son origine dans la signature, le 21 septembre 1994, du contrat de vente des sous-marins par le gouvernement Balladur. Des rétrocommissions auraient servi à financer la campagne présidentielle de l’ex-Premier ministre. en décembre 2009, des familles de victimes déposent plainte pour « corruption » contre l’association de campagne d’Edouard Balladur, puis le parquet ouvre une enquête préliminaire visant d’éventuels abus de biens sociaux. en septembre 2010, une instruction est finalement confiée aux juges Van Ruymbeke et Le Loire. C’est le « volet financier » de l’affaire Karachi, celui qui dérange le pouvoir. I # 16 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I 83
BeST Of 2011 I JANVIER I fÉVRIER I mARs I AVRIl I mAI I JuIN I JuIllEt I AoÛt I sEptEmbRE I octobRE I NoVEmbRE I dÉcEmbRE I
© MEDIAPART
Même pas mouillé. Chiraquien en 1995, JeanFrançois Copé n’est soupçonné d’aucun rôle dans le financement de la campagne de Balladur. Mais l’actuel patron de l’UMP (ici dans la piscine de Ziad Takieddine) a reconnu s’être fait offrir des vacances et une Rolex par l’homme d’affaires aujourd’hui mis en examen.
« Un tIgre et hUIt seIns », la photo qUI vaUt À aI weIweI d’Être poUrsUIvI poUr « pornographIe ». photo © reuters
Novembre, Chine
Le Parti mis à nu par Ai Weiwei Pour le Parti communiste chinois, cette photo est « pornographique ». Les autorités de Pékin veulent poursuivre l’artiste Ai Weiwei, qui pose gentiment nu avec quatre femmes, pour avoir posté cette image sur son site. Par solidarité, des dizaines d’internautes chinois ont eux 100 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I # 16 I
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I # 16 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I 101
NOVEMBRE I provocation
aussi posé nus, dans un happening virtuel joyeux et impertinent. Ai Weiwei, l’un des artistes contemporains les plus connus (une rétrospective de son œuvre est prévue en février à Paris, au Jeu de paume), vient de passer près de trois mois en détention. Condamné à payer 15 millions de yuans (1,4 million d’euros) pour « fraude fiscale », il a reçu des milliers de dons du public en petites coupures, et proposé de verser la moitié de la somme, ce que les autorités ont refusé. L’étape suivante du harcèlement de ce détracteur du régime communiste est cette affaire de « diffusion de matériel pornographique »,
102 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I # 16 I
à propos de cette photo drôlement intitulée Un tigre et huit seins. Son assistant, Zhao Zhao, qui a pris la photo, a été convoqué pour interrogatoire par la police, qui a qualifié le cliché d’« obscène ». Sur le site Shanghaiist, qui rapporte l’histoire, il raconte : « Je n’ai rien pu dire, ils avaient déjà décidé que c’était de la pornographie. » En réaction, des artistes, intellectuels et de simples internautes ont commencé à poster sur Internet des photos d’eux nus.
La dimension politique du harcèlement contre Ai Weiwei ne fait aucun doute. Paradoxe : le Parti communiste chinois et ses
Les 5 articles les plus lus de novembre 1 Une féministe s’affiche nue sur le Web pour la liberté Aliaa Elmahdy publie sur son blog sa photo, nue, suscitant un vaste débat dans la société. Par Tarek Amr. 129 486 visites 2 Charb après l’attaque de « Charlie Hebdo » : « Les vrais musulmans n’incendient pas les journaux » Un cocktail Molotov à l’origine de l’incendie du siège de l’hebdo satirique, rebaptisé Charia Hebdo. Par Pierre Haski et Sophie Verney-Caillat.
dirigeants affectent une étonnante pudibonderie, dans une société qui a basculé depuis longtemps dans la libération des mœurs et des codes. Mais, comme toujours en Chine, il y a ce qui se fait et ce qui se dit. On peut vivre dans une société qui compte plus de prostituées que de soldats de l’Armée populaire de libération, des maîtresses par millions pour la classe des nouveaux riches et des bureaucrates du Parti, une véritable pornographie en ligne ou underground contre laquelle le pouvoir fait mine régulièrement de sévir. Mais un artiste qui pose avec des femmes nues par posture artistique, c’est trop ! L’avocate Li Tiantian, qui a participé à cette opération dérision en posant elle aussi nue, explique au Guardian : « C’est une manière de montrer notre soutien à Ai Weiwei, et notre mépris et notre colère vis-à-vis de l’attitude du gouvernement chinois. » Il y a pire, évidemment, en matière de violation des droits de l’homme en Chine. On est plus dans le registre de la dérision. Et c’est comme cela que les Chinois ont réagi, avec un humour hautement subversif.
Sur les nombreuses photos de nus postées en soutien à Ai Weiwei dans un joyeux chahut, les internautes chinois ont joué avec les symboles. Plusieurs utilisent un portrait de l’artiste comme « feuille de vigne ». Le fameux blogueur Zola a posé en « David » de Michel-Ange (au centre). On reconnaît un rasage dessinant le « t » de Twitter, un « caonima » en peluche (dont le nom se prononce comme « nique ta mère »)… Bref, un bras d’honneur festif et parfois très explicite, adressé à un régime qui tente de réprimer les aspirations à la liberté de la société.
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3 46 000 francs (suisses), la suite qui colle aux basques de Sarkozy
En pleine crise financière, le tabloïd anglais The Sun affirme que le président français a dépensé 32 000 livres pour une nuit dans un hôtel cannois pendant le G20. L’Elysée dément. Par Alix Debeunne. 104 312 visites 4 DSK, une « demoiselle », des « soirées coquines » : les mots pour le dire
L’épisode du Sofitel de New York est une histoire sans paroles. L’affaire dite du Carlton de Lille en regorge. Lexique, par Blandine Grosjean. 103 419 visites 5 Données persos : le piratage a visé le groupe UMP à l’Assemblée. Les numéros de téléphone de 1 000 cadres du parti présidentiel ont été mis en ligne par des hackers agissant au nom des « victimes de l’UMP » . Par Martin Untersinger. 88 590 visites
Sélections présentées par alix debeunne I # 16 I dÉcembre 2011-Janvier 2012 I 103
BESt oF 2010 I JANVIER I féVRIER I mARS I AVRIL I mAI I JuIN I JuILLEt I Août I SEptEmbRE I octobRE I NoVEmbRE I décEmbRE I
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