le mensuel I # 11 I juin 2011
VIE prIVÉE DES poLITIqUES
Ce que l’affaire DSK va changer LE mENSUEL # 11 jUIN 2011 I Rue89.com
Présidente?
M 01511 - 11 - F: 3,50 E
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TUN : 3,7 DTN – BEL : 4,50 € – CAN : 8,00 DC – CH : 7,80 FS
TÉmoIgNAgE ExCLUSIF
Profession : je libère des otages
La poLitique i 2012
20 I juin 2011 I # 11 I
« monsieur normal » en conquÊte A quoi ressemblera désormais la campagne de François Hollande ? Premier test à Dijon, cinq jours « après ». Par Zineb Dryef I Photos Audrey Cerdan I Rue89
o
n se souvient d’un Mitterrand impitoyable en campagne, d’un Sarkozy flamboyant. Mais, lorsqu’à Dijon l’homme « normal » part à l’assaut du pays, à quoi peut bien ressembler la conquête du pouvoir ? On est le 20 mai, cinq jours après l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York. A bien des égards, le troisième déplacement de campagne de François
ombre et sourires. On l’attend sur l’« affaire », Hollande sourit pour la photo avec des sympathisants et son allié Rebsamen.
I # 11 I juIn 2011 I 21
La poLitique i 2012
22 I juin 2011 I # 11 I
Hollande ne diffère en rien de ceux de ses adversaires – qu’il préfère nommer « concurrents » pour certains, nous y reviendrons. Les sourires, les saluts, le pot convivial, et même quelques blagues. On a entendu un jeune homme s’exclamer « Monsieur le Président ! » à son arrivée à la gare de Dijon. Lui et ses copains, 17 ans, ont-ils reconnu l’homme au costume bleu : « Mais bien sûr que oui ! » Autour du nouveau François Hollande, une vingtaine de caméras et de journalistes. Pas dupe, il sait que ce déplacement prévu de longue date n’a de succès que parce qu’il intervient au lendemain de l’inculpation de DSK. Les médias lui font répéter une fois, deux fois… un nombre incalculable de fois les mêmes phrases : « C’est une affaire privée, pas politique. Elle n’implique pas le PS. » Sur Tristane Banon, la jeune journaliste qui affirme avoir été agressée sexuellement par DSK en 2002, il assure qu’il ne savait rien de « sûr » et se scandalise : « Si j’avais utilisé cette rumeur, qu’aurait-on dit de moi ? » La journée se traîne, et François Hollande se moque. Dans les couloirs du Consortium, un centre d’art contemporain en travaux, il interpelle un confrère : « Ça vous intéresse, l’art contemporain ? » Mais il veut prendre de la hauteur alors il se tait souvent. Les vétérans de la presse politique se plaignent. Il était bien plus drôle avant. S’il s’est positionné comme un candidat « normal », ce n’était pas vis-à-vis DSK, mais de Nicolas Sarkozy seul. Un candidat normal, expliquent les élus qui l’accompagnent, c’est un candidat « authentique », « proche des Français », « irréprochable ». Ah, irréprochable…
Le programme s’accélère. Ce sera désormais
Favori.
François Hollande est en tête des intentions de vote à la primaire socialiste. au second tour de la présidentielle, il battrait largement Nicolas Sarkozy.
deux déplacements par semaine. Pourquoi s’être lancé si tôt ? « On a compris que pour gagner il fallait garder le cap, partir tôt. Il faut que ça s’imprègne. » Autrement dit, il faut occuper l’espace. Et les blancs. Face à la curieuse Etoile du baiser, il « raffarine » : « Il y a des hauts, il y a des bas, il y a des fluctuations. Le tout, c’est de prendre l’ensemble de l’espace et de finir sur un haut. » Une grande œuvre du peintre chinois Yan Pei-Ming représente deux tigres, dont on ne sait s’ils badinent ou s’affrontent : « Ces deux tigres savent ce qu’ils ont à faire : s’unir. » Pour l’instant, les strauss-kahnien, privés de leur candidat, ne se sont pas prononcés. Sandrine Mazetier, députée de Paris, grogne de voir Hollande faire campagne « avant même le dépôt des candidatures » et souligne : « Il n’y aura pas d’unité de tous les strauss-kahnien derrière un candidat, nos histoires sont différentes. » I # 11 I juin 2011 I 23
La poLitique i 2012
«a devait Être une journÉe de campagne ordinaire,
qui commence à la gare et s’achève dans le tGV. thème : la culture. Lieu : Dijon, dont François Rebsamen, son allié, est le maire. Mais François Hollande ne s’est pas encore exprimé sur l’affaire DSK, et la question revient presque autant de fois qu’il y a de journalistes. il répond « affaire privée », se tait plus souvent que d’habitude, apostrophe un journaliste : « Ça vous intéresse, l’art contemporain ? »
24 I juin 2011 I # 11 I
Fran«ois hollande s’amuse de tout.
il remarque qu’il pleut sur le quartier de la Fontaine-d’ouche, que l’averse s’arrête à l’instant où il commence son discours et qu’elle reprend quand il le termine. aurait-il déjà des pouvoirs ?
I # 11 I juin 2011 I 25
Le MOnde I rÉvolution
Blog tragique À misrata
Six jeunes Français proches de la mouvance autonome étaient partis en Libye témoigner sur l’insurrection en marche. Pour Baptiste, l’aventure a mal fini. Par nolwenn Le Blevennec i Rue89
l
e 24 avril, un jeune blogueur français est grièvement blessé par balle en Libye. Il s’appelle Baptiste 1 et appartient à un groupe de jeunes Rennais qui a fait, sur Rue89, un récit de la bataille de Misrata, la ville de la côte libyenne où se déroulent les combats les plus acharnés. Six jours plus tard, ses amis tiennent une conférence de presse à Benghazi, où le jeune homme de 25 ans a été évacué dans des circonstances délicates : « Nous marchions dans la rue, et soudain j’ai vu que Baptiste était tombé, raconte l’un d’eux. Il avait été touché au cou. Il y avait beaucoup de sang, et nous l’avons emmené à l’hôpital. » Les jeunes blogueurs pensent que Baptiste a
54 I juin 2011 I # 11 I
été atteint par « une balle perdue des forces kadhafistes » alors qu’il se trouvait dans une zone pourtant éloignée des combats. Ils ajoutent : « Il a connu et nous connaissons avec lui ce que vivent les gens de cette ville depuis deux mois quand ils se déplacent dans la rue. » Comme si le sort de leur ami, qui risque de rester tétraplégique, était un dommage collatéral dans une aventure qu’ils ne pouvaient regretter tant elle était importante. Devant le drame, ce ne sont plus de jeunes blogueurs inexpérimentés et déboussolés : « Soutenir le peuple veut aussi dire assumer les risques qui sont les siens. » Qui sont ces six jeunes blogueurs mystérieux ? Ils ont entre 24 et 26 ans, se sont rencontrés à l’université
© YannIs BehRakIs/ReuteRs
Civils blessés. Service des urgences de l’hôpital de Misrata, en avril.
de Rennes et sont partis en Libye aux premiers jours de l’insurrection, non pour faire du journalisme, mais pour témoigner et apporter « un soutien moral à la révolution ». Quand ils ont contacté Rue89 pour que soit repris sur notre site un article, très complet, sur la situation à Misrata, ils n’ont pas souhaité donner leurs noms et sont restés flous sur leurs motivations, assurant être « de simples blogueurs », « pas des militants appartenant à un groupe » : « Si nous voulons conserver l’anonymat, c’est parce que nous ne souhaitons pas être stigmatisés comme certains l’ont été pour être allés en Afghanistan. On ne sait pas comment cette guerre en Libye sera perçue dans dix ans. » Ils n’ont pas donné de numéro de téléphone. On a finalement appris qu’ils s’appelaient Daphné, Baptripoli tiste, Pierre, Charles, Pierre-Nicolas misrata et Soizic (nous ne mentionnerons pas les noms de famille parce qu’ils ne le souhaitent pas). Il y a chez ces jeunes une méticulosité dans la communication et une résignation quasi religieuse. Libération a identifié sur la page d’accueil du blog collectif « En route ! » (auquel ils collaborent comme d’autres groupes partis en Tunisie et en Egypte) un passage de « L’insurrection qui vient », un texte publié par le Comité invisible en 2007, attribué
par le ministère de l’Intérieur au collectif de Tarnac, notamment à Julien Coupat. Mais la personne qui se trouve en France et édite les articles a assuré à Libération que celui-ci n’a aucun lien avec le Comité invisible.
Le groupe de six blogueurs compte deux filles, Soizic et Daphné, dont les idées sont proches de celles du Comité. Denis (le prénom a été changé) est un familier du « mouvement autonome rennais », qui compte une centaine de personnes. Il réfléchit longuement avant de parler et choisit ses mots avec une extrême prudence : « Soizic fait partie de la tranche radicale, disons celle qui est la plus proche possible Benghazi du texte “L’insurrection qui vient”. Disons que son groupe est de la tendance Comité invisible. » Il explique que Soizic, avec son charisme, a beaucoup d’importance dans le fonctionnement du groupe. Il ajoute : « Je sais qu’il y a une dizaine de Rennais partis dans les pays en révolution. Le travail qui est réalisé là-bas est essentiel, à l’égard de l’opinion publique (information différente) et à l’égard de tous les révolutionnaires qui veulent apprendre des insurrections populaires en cours, des processus mis en œuvre. » I # 11 I juin 2011 I 55
Le MOnde I rÉvolution
Denis a aussi croisé Daphné. C’est une Bretonne connue des services de police. Fin 2007, à l’université du Mirail, à Toulouse, elle a été interpellée et jugée pour avoir fait sauter une petite bombe artisanale sur un terrain vague, avec deux amis. En pleine contestation étudiante contre la loi sur l’autonomie des universités, alors que cette fac est bloquée par des étudiants en colère, les policiers découvrent qu’un trio s’active à la fac (qui n’est pas la leur). Selon La Dépêche, un plan de l’université est saisi ainsi que de l’acide, un détonateur, des explosifs… De quoi fabriquer une seconde bombe. Pour ces expériences chimiques, Daphné a écopé de trois mois ferme. Un avocat rennais, Me Thierry Fillion, qui a défendu l’un de ses deux compagnons à Toulouse : « Le rôle de Daphné dans cette affaire a été volontairement minimisé par les deux garçons. La part idéologique a aussi été réduite au maximum, mais une centaine de gens de cette mouvance ont assisté au procès de Toulouse. » Les deux compagnons de Daphné ont également été interpellés pour une série de braquages à Rennes, en 2007. Un article relatant le procès est recensé sur un blog militant dans la rubrique « Cellule(s) invisible(s) ». Aux assises, en octobre 2010, l’un d’eux a été défendu par Me Thierry Lévy, également avocat de Julien Coupat en 2009. Comment son client lui a-t-il été présenté ? « Je ne ferai aucun commentaire. Cela ne vous regarde pas. » Un parent d’un des deux garçons, une « très bonne famille », ému : « Mon fils ne me dit pas tout, mais je ne crois pas qu’il soit lié au groupe de Tarnac, même si leurs idées peuvent être proches. Je pense que le problème, chez ses jeunes, n’est pas sociologique, mais psychologique. C’est une question de personnalité (qui est entière) et de basculement dans la folie quand il y a passage à l’acte. »
Sur le terrain, Marc Bastian, journaliste AFP à Misrata, a croisé ces six jeunes à de nombreuses reprises. Il confirme avoir eu affaire à des militants d’extrême gauche
en route ! et rue89 Rue89 a découvert l’existence du blog « en route ! » lorsqu’un de ses animateurs a contacté la rédaction pour proposer à notre site de reprendre un article de fond de leur équipe déjà sur place à Misrata. Cet article a été publié le 6 avril. Rue89 n’a pas été associé en amont à l’envoi des blogueurs en Libye, et n’a pas eu de contact direct avec l’équipe sur place. en revanche, Rue89 a facilité les contacts pour permettre l’évacuation de Baptiste lorsqu’il a été blessé.
« très extrême » : des « zozos révolutionnaires, romantiques et sectaires ». Il note que leurs articles, où « tout n’est pas faux, loin de là », ne comportent aucune citation. Il ne s’agit pas de journalisme : ils ont choisi le camp des révolutionnaires (sans prendre les armes). Marc Bastian les a trouvés « complètement inconscients » ; ils sont venus à Misrata en passant par l’Egypte en voiture, « une folie » : « Ils nous ont dit aussi avoir des gilets pare-balles, mais je n’en ai jamais vu un avec, alors que des projectiles volent dans toute la ville. Rien que sur l’immeuble dans lequel j’habite, il y a deux impacts de balles. » Ned Parker, un journaliste américain qui a couvert la guerre en Irak et qui vient de quitter Misrata, a exprimé à l’AFP son admiration pour Baptiste : « C’est un journaliste courageux, qui couvrait l’événement dans la meilleure tradition du journalisme. Il a été touché par une balle perdue, et cela aurait pu arriver à n’importe qui. »
Dans leur récit de Misrata (à lire en intégralité sur Rue89), les jeunes blogueurs racontaient le quotidien effrayant de la ville assiégée par les troupes kadhafistes : « La zone qui s’étend du sud-est de Misrata jusqu’au port Quasr Ahmad essuie continuellement des tirs d’artillerie, des pillages ou des tentatives d’attaque sur les entrepôts de stockage. Elle est devenue le nœud stratégique local puisqu’elle sert encore de grenier à la ville. » Baptiste ou l’un de ses amis avait recueilli cette anecdote : « Il y a une semaine, des habitants s’étaient adressés à des snipers logés dans un immeuble via le minaret. Le message était à peu près celui-ci : “Si vous vous rendez et déposez les armes de vous-mêmes, vous ne serez pas faits prisonniers. Si vous acceptez, tirez trois coups.” Au deuxième coup de feu tiré en l’air, les gens sont sortis dans la rue, pensant avoir remporté la reddition des snipers, mais le troisième coup et les suivants furent pour la foule. » Le drame de Baptiste a mis un terme à l’aventure libyenne des jeunes Rennais. Selon Marc Bastian, il ne restait plus qu’un seul des blogueurs à Misrata lorsque les forces rebelles ont annoncé avoir repris l’aéroport, début mai. Ses compagnons sont rentrés en France. Dans un e-mail, ils ne répondent à aucune de nos questions sur leur passé, mais expliquent encore leur démarche : « Nous ne voulions pas devenir des reporters professionnels, mais être une sorte de passerelle entre la révolution libyenne et le reste du monde. » 1
Nous avons choisi de ne publier que son prénom, pour respecter le souhait de sa famille.
Comment L’Homme révolté éclaire les révolutions arabes
Oui, Camus serait révolté Par Robert Zaretsky i Professeur d’histoire
Si l’auteur de L’Homme révolté, publié il y a soixante ans, était toujours vivant, il dirait que les événements qui se déroulent aujourd’hui dans son Afrique du Nord natale nous rappellent que la Méditerranée a une rive sud dont la jeunesse incarne les principes de son essai : « La plus orgueilleuse des races, nous autres, Méditerranéens, vivons toujours de la même lumière. » En Tunisie, Au début des années 1950, alors que le monde en Egypte plongeait dans les profondeurs glaciales de et en Libye, la guerre froide, Albert Camus ne pouvait des révoltés, trouver de chaleur intellectuelle ni à l’Est ni hommes même à l’Ouest. Son regard était fixé sur la et femmes, Méditerranée, où « la jeunesse du monde se « parient, face trouve toujours autour des mêmes rivages ». à la douleur des hommes, De nos jours, on se souvient surtout de L’Homme révolté pour la querelle spectacupour le laire entre Camus et Jean-Paul Sartre, qui bonheur ». avait violemment critiqué l’essai de son vieil ami en le qualifiant de « pastiche philosophique sans rigueur qui servait d’apologie du conservatisme politique ». C’est tout sauf cela. Dans L’Homme révolté, Camus nous donne les mots pour comprendre les événements qui bousculent notre monde. Le monde, pour Camus, était le théâtre de deux formes d’absurdité : l’absurdité métaphysique, basée sur le refus du monde de donner du sens à une race humaine qui pourtant en réclame ; l’absurdité politique, ou l’obstination d’un Etat à vouloir donner du sens, en certains endroits et à certains moments, à la souffrance injustifiable qu’il inflige à ses citoyens. L’écrivain se révoltait contre ces deux genres d’absurdité, nous avertissant que l’absurde ne libère jamais, mais ne fait qu’enchaîner. […] Camus écrivait évidemment en opposition aux sophismes meurtriers du communisme. Mais
il aurait aussi écrit de la même manière contre les crimes politiques en Afrique du Nord, également sujets à des formes de justifications cohérentes qui sont le plus souvent présentées sous l’étiquette du « réalisme politique ». Les défenseurs de ces Etats autocratiques justifient qu’on fasse passer l’ordre avant la démocratie, le statu quo avant les incertitudes liées au changement, faisant écho au refrain des dirigeants égyptiens même lorsqu’ils étaient mis à la porte : les gens ne sont pas prêts pour la démocratie. Nous ne savons toujours pas s’ils sont vraiment prêts pour la démocratie, mais Camus dirait que cette question est hors de propos. Les révoltés nord-africains réagissent de la même façon que son homme révolté face au « spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible ». Pour les jeunes Egyptiens, dirigés par un raïs octogénaire soutenu par une police meurtrière et par des milliards de dollars d’aide militaire américaine, pour les jeunes Tunisiens, sous l’emprise d’un dirigeant corrompu, dont la famille considère la nation comme un entrepôt à piller, et pour les jeunes Libyens, opprimés par un meurtrier fou dont la domination rivalisait avec celle de Caligula sur l’Empire romain, le temps est enfin venu, comme Camus l’écrit, que « le scandale cesse ». Bien avant l’ère de Facebook et de Twitter, Camus avait reconnu que la révolte passe inévitablement de l’individu à une réponse collective. Dans l’épreuve quotidienne, écrit-il, « la révolte joue le même rôle que le cogito dans l’ordre de la pensée ». En bref, je me révolte, donc nous sommes. […] Traduit de l’américain par Agathe Raymond Carlo. I # 11 I juin 2011 I 57
perso I dÉCryptage
25
minutes pour tuer une rumeur
Le 11 mai, un tweet annonce, par erreur, un accident entre deux rames de métro à Paris. La RATP réagit dix minutes plus tard. Cas d’étude. Par jean-Baptiste Allemand i Journaliste
Mercredi 11 mai, la rumeur d’une collision entre deux rames dans le métro parisien circule sur Internet. La RATP a réagi très vite, identifiant la source de l’information erronée (sur Twitter) et limitant l’impact. Décryptage de la vie et de la mort d’une fausse info sur le Web, ou comment les messages circulant sur les réseaux sociaux sont de plus en plus scrutés par les entreprises.
les faits : Un incident se produit à 18 h 03 à la station Portedes-Lilas sur la ligne 11. Il s’agit d’un « accident voyageur assez classique », comme le racontera un agent rencontré sur place : « Un homme se trouvait entre le mur et les rails lorsqu’une rame est arrivée. Le conducteur a vu l’homme, a ralenti, mais l’homme a été heurté à la tête par l’avant de la rame. Il a été emmené par le Samu, et ses jours ne sont pas en danger. »
86 I juin 2011 I # 11 I
Comment la rumeur est nÉe
Comment la rumeur a enflÉ
1 1 maI 20 1 1 18 : 20
18 : 00 Quand on remonte l’historique des messages évoquant l’accident, on atteint rapidement la source de la rumeur : un tweet provenant d’un compte nommé @deballer. L’utilisateur du compte m’explique : « Une amie qui se trouvait dans la rame m’a prévenu par téléphone. Elle n’a pas vu ce qui s’est passé, elle était assise à l’arrière. Elle a répété ce que disait une personne dans la foule, qui parlait de collision. Elle n’a pas eu le temps d’analyser la situation. Au téléphone j’entendais beaucoup de bruit et d’agitation. » Sûr d’avoir une « information fiable » et dans un désir d’« aider », @deballer publie vers 18 h 10 un tweet – aujourd’hui supprimé – qui affirme que « deux métros de la ligne 11 à Paris se sont percutés ».
00 : 00
De nombreux utilisateurs « retweetent » (reproduisent) l’info. La rumeur est relayée par certaines personnes influentes, comme le blogueur high-tech @captainweb, suivi par plus de 5 500 personnes. Le graphique ci-dessus, obtenu en tapant dans Google Realtime les mots-clés « accident métro », montre qu’elle atteint son paroxysme vers 18 h 20. Certains s’interrogent, demandent à @deballer s’il était sur place. D’autres lui signalent que la RATP, qui ne tarde pas à réagir, contredit l’information. Après avoir appelé la RATP, @deballer supprime ses premiers tweets parlant de collision, « pour ne pas que d’autres personnes relaient de fausses informations ». Mais la rumeur s’est déjà répandue.
Comment la RatP a RÉagi
PouRquoi la RumeuR est moRte si vite
Ce qui s’est PassÉ ensuite
1 1 mai 20 1 1 20 : 10
18 : 00
« On a été mis au courant de la rumeur par les journalistes qui nous appelaient pour savoir s’il s’était vraiment produit une collision, dit un membre du service de presse de la RATP. On a réagi en utilisant aussitôt plusieurs supports de communication pour démentir : le téléphone pour prévenir les médias susceptibles de relayer l’information et notre compte Twitter. Tout a été fait dans la demi-heure. » Google Realtime permet de dégager trois épisodes clés dans la communication de la RATP : > A 18 h 17, sur son site Web et sur les écrans des métros, la RATP publie une information évoquant un « accident grave voyageur ». > Vers 18 h 35, la RATP dément la collision à Europe 1. Un journaliste de la radio tweete l’information. Le nombre de tweets en rapport avec l’accident chute brutalement. > Vers 19 heures, la RATP s’adresse à ses abonnés sur Twitter, mais aussi directement aux personnes ayant initié et colporté la rumeur. Dans les trois cas, les informations sont largement relayées par les utilisateurs de Twitter. L’info « collision » continue d’être propagée par certains, mais après 20 heures très peu de nouveaux tweets évoquent l’accident. La rumeur est morte.
00 : 00
Cette rapidité d’exécution, la RATP la doit à son arrivée (tardive) sur Twitter, qui date… d’avril. Au service de presse, on explique : « Au moment où la rumeur a enflé, on était 4-5 personnes à s’en occuper, dont un attaché de presse spécialisé dans les médias sociaux et blogs. On travaille aussi au quotidien avec des prestataires extérieurs spécialisés, qui ont des outils informatiques plus performants pour détecter la source d’une rumeur, par exemple. En tout, une dizaine de personnes ont travaillé à réduire la rumeur. » La veille sur les réseaux sociaux se fait vingt-quatre heures sur vingtquatre, en raison de la différence de fuseaux horaires entre les 12 pays où la RATP est présente. Résultat de cette contre-offensive rapide : aucun site journalistique n’a colporté la rumeur. Le site du quotidien Métro a joué avec l’idée de collision, entretenant le suspense le temps d’un titre. La RATP a évité l’erreur d’Air France. En mars, après la catastrophe de Fukushima, la compagnie avait tardé à réagir à de nombreuses plaintes concernant des tarifs de billets jugés hors de prix. Des blogs avaient critiqué cette mauvaise gestion, Air France avait dû se justifier.
Une fois la rumeur désamorcée, @ deballer a essuyé des critiques sur Twitter. Il se défend : « J’ai fait ça pour alimenter l’information. Certains ont dit que je voulais gagner des followers [sur Twitter, ndlr]. C’est complètement faux. Franchement, lancer un bad-buzz juste pour ça, je trouve ça plutôt naze. » La RATP, qui a identifié le tweet original source de la rumeur, avait réfléchi à une éventuelle plainte, une possibilité vite abandonnée : « La rumeur n’a pas fait beaucoup de bruit, et on a vite vu que c’était involontaire. La personne a bien réagi, elle a appelé et s’est excusée. Pour nous, c’est classé. Mais on reste vigilant. Si jamais il y a une attaque directe contre la RATP, dans le but de nous nuire, on déploiera notre arsenal juridique. » La RATP met toutefois en garde les utilisateurs des réseaux sociaux de « ne pas faire n’importe quoi » : « Si tout le monde se met à tweeter comme ça à chaque fois qu’il croit voir quelque chose, on ne va plus en sortir. Pour paniquer la population, il n’y a pas mieux. Les personnes qui ont retweeté la rumeur sans la vérifier doivent aussi faire attention, notamment les blogueurs influents. On espère qu’on n’aura pas ce genre de situation tous les jours... » I # 11 I juin 2011 I 87
rue69 I traditions
Bain de latex. Domax produit 80 à 90 poupées gonflables les bons mois. Prix : entre 179 et 609 euros.
la rÉSiStance du latex S’il n’en reste qu’un, ce sera lui : visite dans le Nord chez Domax, le dernier atelier de fabrication de poupées gonflables en latex 100 % naturel. Texte et images Raphaël Lizambard I Journaliste
S
eule contre tous. Basée dans le Pas-deCalais, l’usine Domax continue à fabriquer des poupées gonflables en latex naturel, les seules en Europe. Et résiste ainsi aux fabricants chinois, qui dominent le marché avec des produits à l’aspect plus proche du corps humain. Dans l’atelier de Courcelles-lès-Lens, Dominique Berger travaille sans masque, et c’est sans doute la première chose que l’on remarque tant l’odeur du latex prend à la gorge, aux poumons, au corps tout entier. « Comme ça, je peux fumer en travaillant », dit-il. Il se fout pas mal de savoir si la clope est interdite ou pas. Il est du genre libéral, et il vaut sans doute mieux l’être pour faire ce travail. Dominique fabrique des poupées gonflables. De celles qui servent à assouvir les fantasmes les plus inavouables. En latex 100 % naturel. Du latex provenant de l’hévéa, I # 11 I juIN 2011 I 97
rue69 I traditions
en Malaisie, son principal atout. Il est le seul en France, en Europe même, à procéder ainsi. Là où ses prédécesseurs ont échoué, lui a réussi à maintenir une activité fragile mais pérenne, alors qu’il démarre sa huitième année d’exercice. A l’origine, l’entreprise, basée à Paris, s’appelait Ludix, puis France Latex. Quand cette dernière met la clé sous la porte, faute de commandes ou parce qu’elle a vu trop gros, mal adaptée à une concurrence asiatique trop rude, Dominique Berger la rachète avec le peu d’économies qu’il possède, déménage la chaîne de fabrication dans le bassin minier et la rebaptise Domax.
à mon compte. Je pourrais doubler la production en travaillant deux fois plus, mais je n’ai pas envie. Je fais de l’autofinancement : je ne fabrique que si l’on me passe commande. » Mais cette année, malgré un bon premier trimestre, s’annonce difficile. Le prix du baril de latex a augmenté : en juin 2010, il lui en coûtait 490 euros les 200 litres, 865 euros aujourd’hui. En moyenne, il sort 80 à 90 poupées chaque mois, il stagne à 15 pour le mois d’avril. Alors à quoi ressemble la clientèle de ce genre de produit ? Si Dominique assure qu’elle est variée, faite notamment de couples, Jean-Claude Hus, gérant de l’espace Carré blanc, le plus grand sex-shop de Lille, se veut plus catégorique. Il s’agit surtout de timides maladifs pour qui le contact humain relève de la gageure. Un profil finalement assez éloigné de celui entrevu dans le film Monique, avec Albert Dupontel. La poupée gonflable permettrait ainsi de satisfaire certains fantasmes, évitant que ceux-ci ne se réalisent dans un coup de folie. Un remède aux pulsions parfois trop violentes. Au départ, Dominique Berger avait même vu les choses en grand, espérant que ses poupées servent à des institutions publiques concernées par la misère sexuelle et affective. « Je trouve dommage de n’avoir reçu aucune réponse. Au-delà des seules prisons, la société Domax aurait pu faire du bien à la société en général. »
Le latex naturel, utilisé pour les préservatifs, permet à Domax de se démarquer de l’immense majorité des fabricants, qui utilisent du silicone ou de simples matières plastiques. Les prix sont plus élevés, mais la qualité est meilleure. Thermocollées et sans coutures, ses poupées sont « douces ». Et, visiblement, ça paye : « On revient maintenant sur la qualité et non plus sur la quantité. C’est un petit peu comme les restaurants : à prix égal, on préfère manger mieux que manger plus. » De fait, Domax a passé la crise sans dommages ; l’activité a même sensiblement augmenté sur 2008, 2009 et 2010, avec un chiffre d’affaires s’approchant les 100 000 euros annuels. Dominique n’a pas d’employés, mais s’entoure d’associés, cinq au total : « Je préfère travailler tout seul, 98 I juin 2011 I # 11 I
Diversification. Dominique Berger produit aussi des godemichés pour arrondir ses fins de mois. En haut : face à un gabarit de poupée gonflable.
INFOMIX
sexe
ÉtudedÉbile
Pourquoi le pénis de l’homme a-t-il perdu ses épines ?
libidO
les hommes de pouvoir, des porcs De toutes les couvertures sur l’affaire DSK, la plus forte est peut-être celle de time Magazine. « Sexe. Mensonges. Arrogance. Pourquoi les hommes de pouvoir agissent comme des porcs », il s’agit bien sûr de l’affaire de l’ex-directeur du FMI, mais aussi de celle d’Arnold Schwarzenegger, qui a révélé avoir eu un enfant illégitime avec une employée il y a dix ans.
cactuS © HOLgER ZSCHEygE/FLICKR/CC
chiffre
33 %
des étudiantes et étudiants berlinois sont prêts à se prostituer pour financer leurs études, et 4 % avouent avoir déjà eu recours au sexe dans ce but. A Paris, ils sont 29 % à être prêts à coucher contre de l’argent (Centre d’études de Berlin).
Ces dernières années, des chercheurs de l’université Stanford, en Californie, se sont penchés sur une question pertinente : qu’est-ce que l’homme moderne n’a pas et qui fait justement de lui un homme ? Qu’est-ce qui, dans l’évolution de l’homme, a disparu pour garantir la pérennité de son espèce ? Quand on y pense, c’est très évident, en fait. Réponse : l’absence d’épines sur le pénis. En analysant les régions de l’ADN restées constantes dans l’évolution de plusieurs espèces, mais disparues chez l’homme, les chercheurs ont découvert que l’une des disparitions de fragments d’ADN est liée aux épines sur le pénis. Les épines du pénis humain s’apparentaient davantage à des petites pointes de kératine qu’à des aiguilles de cactus. Elles rendaient le pénis plus rugueux. Quant à leur utilité, les chercheurs ne peuvent pas scientifiquement la définir, mais bien spéculer : elles auraient servi à stimuler l’ovulation ou à nettoyer le sperme laissé par les mâles rivaux passés par le même vagin. La disparition des épines serait liée au développement de la monogamie chez l’homme. En effet, un pénis lisse permettrait une copulation plus longue, caractéristique d’une stratégie de reproduction monogame. Louise Culot
pub l’Épileur ÉpilÉ Lorsqu’on ouvrait ce site Internet, MonMinouToutDoux. com, une chanson se déclenchait. Une chanson qui se terminait par ces paroles : « Quand mon minou est tout doux, il aime être caressé partout. » Ensuite, il y avait un jeu qui consistait à épiler intégralement le « minou ». A la fin, un chat moche à l’air grave inspectait la chatte. Et si le « minou » était mal épilé, la sentence tombait : « Tu as choisi le bon produit, mais le minou aime être plus épilé. Repasse le test du matou. » Un site coloré, clairement destiné à des adolescentes. Des critiques ont fusé un peu partout sur le Web. Veet a retiré la campagne. R. G.
MOtetdÉfinitiOn altruiSMe
Les travailleurs humanitaires, les enseignants, les médecins, les infirmières, les militaires, les gens qui sauvent des vies… C’est avec eux qu’il faut coucher. JaMeS blunt, chanteur. I # 11 I juin 2011 I 99