le MenSuel I # 12 I ÉTÉ 2011
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le mensuel # 12 ÉtÉ 2011 I Rue89.com
chez les hommes
ras le bol de la performance
parlons
elles sont lesbiennes et féminines
(autrement)
contre la monogamIe
les militants du « polyamour » M 01511 - 12 - F: 3,50 E - RD
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Bel : 4,50 € – can : 8,00 Dc – ch : 7,80 Fs
sexe
les « InvIsIBles »
Iran, syrIe…
l’amour aprÈs DsK
aimer sous Iran, Syrie, laArabie dictature Saoudite
l’avis sexuel Catherine M. m. de catherine toujours permissive
La sociÉtÉ i hÉros de conduite
Le cri pubLic Rencontre avec Gérald Rigaud, qui a endossé le costume de crieur public, place de la Croix-Rousse, à Lyon. Textes Sophie Verney-Caillat I Photos Audrey Cerdan I Rue89
bonjour, ma coLÈre !
chaque dimanche, ça résonne sous les platanes de la place de la croix-Rousse, à Lyon : Gérald Rigaud, « crieur public », harangue une petite foule et fait rire aux dépens du maire. La foule rit aussi quand il lit les messages laissés dans une urne à cette intention: « Quand Sarkozy montre la lune, l’imbécile regarde sa Rolex. » Une fois sa petite troupe bien chauffée, c’est parti pour le coup de colère, « ce truc qu’on n’a plus le droit de mettre dans l’espace public ». Le crieur hurle à pleins poumons, imité par le public : « Bonjour, ma colère ! Salut, ma hargne ! » À la dernière réplique, la petite foule réplique du tac au tac : « Et mon courroux ? » « Coucou ! » crient les badauds. 36 I juILLet-AoÛt 2011 I # 12 I
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La SoCIÉtÉ I hÉros de conduite
crieur. Comédien, Gérald Rigaud a trouvé sa vocation à 29 ans, en lisant un roman de Fred Vargas, Pars vite et reviens tard, dont le personnage de crieur public était taillé pour lui : « Je rêvais d’une agora, que les décideurs viennent et qu’on acte les choses. » Il est devenu « le crieur public de la Croix-Rousse », son quart d’heure de célébrité est arrivé un jour d’avril 2007 où le candidat Sarkozy devait venir visiter une chocolaterie de luxe. « On a lancé un comité de non-bienvenue, j’ai bonimenté, la foule a grossi, la sécurité a paniqué… et la visite a été annulée. » Il y a eu tout d’un coup plus de journalistes, un film documentaire lui a été consacré. 38 I juillet-aoÛt 2011 I # 12 I
boÎte.
Chaque dimanche, le crieur invite son public à revenir pour laisser des messages dans l’urne rouge sur le comptoir d’un café, place de la CroixRousse. Il seront lus, sans faute, le dimanche suivant. Sauf les insultes.
un des problèmes du crieur, c’est qu’il fait monter les prix de l’immobilier en rendant le quartier sympa. Dispositif.
Ce jour-là, Gérald Rigaud lit un message laissé dans l’urne : « Un ami, c’est quelqu’un qui vous connaît… mais qui vous aime. » Ses amis à lui l’ont aidé à monter son dispositif. L’un, ébéniste, lui a fabriqué son pupitre, un autre a bricolé le triporteur, une costumière s’est occupée de son habit, un meilleur ouvrier de France a gravé la plaque de son képi, trouvé dans la rue…
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ÉCO89 I Badine
On ne plaisante pas avec mOranO Nadine Morano fait ses courses au Printemps de Nancy, une employée plaisante, la ministre s’emporte et demande des « suites ». licenciement. Par anthony Cerveaux i Photo audrey Cerdan i Rue89
sourire. Nadine Morano avec de jeunes militants UMP lors d’une université d’été à Royan. 56 I juillet-aoÛt 2011 I # 12 I
l
e 9 avril, un samedi, Nadine Morano, ministre D’emblée, la direction m’a dit que mon comportement de l’Apprentissage et de la Formation profes- avait été inadmissible et que j’avais jeté l’opprobre sur sionnelle, fait des emplettes avec sa fille au le Printemps et la société Kookaï. Ils ont précisé que ça Printemps de Nancy. La présence d’un garde n’avait rien à voir avec l’importance de la cliente, ce dont du corps suscite quelques plaisanteries des je doute fortement. » employés : « Un de mes collègues a lancé qu’il pourrait Joint par Rue89, Kookaï refuse aussi de commenter. le mettre par terre en deux temps, trois mouvements, Albane a été licenciée pour faute grave. Le courrier raconte Albane, 36 ans, responsable du stand Kookaï. mentionne des « insultes et des injures » envers la miJ’ai répondu que pour se mesurer à lui il fallait d’abord nistre et stipule que l’employée a invectivé personnelcasser la gueule à Mme Morano. » L’échange a lieu devant lement Nadine Morano depuis son stand Kookaï. « La une porte de service. Pas de chance : à cet instant, la version rapportée dans la lettre de licenciement est comministre se trouve juste derrière le petit groupe. « On plètement erronée, dit un des témoins. En aucun cas il n’y ne l’avait pas vue, elle n’a entendu que la fin de l’échange. a eu attaque personnelle d’Albane envers Mme Morano. » Elle s’est énervée et a rétorqué : “Allez-y, si vous voulez me Albane constate que sa version des faits n’est même pas casser la gueule, je vous en prie, je suis là.” » mentionnée dans le courrier : « Ils ont seulement repris Aussitôt, Albane s’excuse. « Elle s’est très largement la version de Mme Morano. » confondue en excuses, confirme un témoin. Elle a re- Après la publication de cet article sur Rue89, la ministre connu que, même en plaisantant, c’était une bêtise. Elle a publié sa version des faits dans un communiqué. La vendeuse aurait crié : « Il y a Nadine n’avait pas du tout l’intention d’entrer Morano dans le magasin, si quelqu’un en conflit avec elle. » veut aller lui casser la gueule ! » « ProAlbane reste déconcertée : « Je m’atSi j’avais été choquée par cette interpeltendais à ce que Mme Morano prenne votre employeur vous fondément un peu de hauteur et me dise : “Faites lation menaçante, insultante et blesattention à votre langage.” C’est pour- auriez été licenciée sante », la ministre a alors « demandé quoi j’ai réitéré mes excuses en disant sur-le-champ ! des excuses à cette vendeuse en rappeque je ne voulais vraiment pas perdre lant le droit au respect pour tout client, mon travail. » Selon Albane, la mi- La réplique de Nadine quel que soit son statut ». L’employée nistre lui a alors répondu avec dédain : Morano selon Albane, a « reconnu la gravité de ses propos « Je n’en ai rien à foutre, mademoiselle ! déplacés en présence de la directrice Vous n’aviez qu’à mesurer vos propos. licenciée un mois adjointe du Printemps et a fait part Si j’avais été votre employeur vous plus tard. de ses excuses ». « Les faits en sont auriez été licenciée sur-le-champ ! » restés là », insiste Nadine Morano, Nadine Morano a alors demandé les coordonnées du en précisant que le licenciement de la vendeuse « relève directeur du Printemps, absent ce jour-là. « Elle a égale- de la seule appréciation et de la seule responsabilité de son ment donné sa carte du ministère en disant : “Je vous pré- employeur », avec qui elle n’a eu « aucun contact ». viens, je veux des suites à ce dossier” », indique Albane. Albane a un enfant, et des traites à payer. Elle est Cette dernière a été priée de quitter le magasin afin que aujourd’hui au chômage : « Quand on est responsable de la ministre termine ses achats sans être en contact avec boutique, le nouvel employeur appelle toujours l’ancien l’employée. pour une recommandation. Imaginez, avec ce dossier, Jointe par Rue89, la direction du Printemps de Nancy comment je vais retrouver du travail ? » Elle a décidé refuse de commenter. d’attaquer la société Kookaï devant les prud’hommes Inquiète pour son travail, Albane a immédiatement pour licenciement abusif. contacté la responsable régionale de Kookaï pour lui faire part de sa version des faits, mais elle a été mise P.-S. : Selon Le Canard enchaîné du 18 mai, la ministre à pied deux jours plus tard et convoquée au siège de s’est aussi illustrée en exigeant, dans l’heure, une visite la marque, à Paris : « Je n’ai même pas pu m’expliquer. VIP du Louvre pour sa fille et une amie (coût : 500 euros). I # 12 I juillet-aoÛt 2012 I 57
ÉCO89 I Badine
tRiBuNe. on vous le dit très sérieusement : l’humour au travail est une réaction salutaire pour évacuer les tensions…
vertus du rire au travail Par Marc loriol i Sociologue
J
e ne me prononcerai pas sur la « plaisanterie » adressée à Nadine Morano, je n’ai pas plus d’informations que celles données par Rue89 (lire page précédente). Mais je voudrais faire quelques remarques sur la place de l’humour au travail, notamment dans les métiers confrontés à un public ou une clientèle ; même si traiter sérieusement de l’humour est un exercice délicat qui peut facilement paraître ridicule. Certains lecteurs ont réagi en condamnant la vendeuse, qui aurait dû, à leurs yeux, se contrôler : en aucun cas elle n’aurait le droit de blaguer à propos des clients. Or, quiconque connaît un petit peu le monde professionnel sait bien que rire en travaillant est une réaction courante et bien souvent salutaire pour évacuer les tensions, renforcer la cohésion du groupe, atténuer les conflits. A tel point que certains cabinets de conseil ou gourous du management ont proposé un « management par le rire ». Certes, les vannes échangées au fil de l’eau et au cours de l’activité ne sont pas toujours de très bon goût, certaines pouvant même avoir des relents sexistes – comme les blagues que j’ai pu entendre de policiers à propos de leurs collègues femmes – ou racistes –, à l’instar des piques que se lancent les ouvriers du bâtiment, où le travail est souvent divisé sur des critères ethniques (les Portugais comme chefs d’équipe, les Maghrébins ferrailleurs et les Maliens manœuvres). Mais, dans ce cas, l’humour ne fait que renforcer des formes de domination qui existent par ailleurs. Il joue de plus un rôle d’euphémisation, rendant les rapports sociaux moins âpres, notamment quand une forme de réciprocité est possible, le dominant acceptant en retour les moqueries du dominé. Il ne faudrait pas croire que les salariés qui plaisantent à propos des clients sont tous des incapables ou des 58 I juillet-aoÛt 2011 I # 12 I
je-m’en-foutistes aigris et rongés par le cynisme. Au contraire : ceux qui apparaissent les plus performants, y compris dans les rapports humains, sont souvent ceux qui manient l’humour de façon fine et diversifiée.
Les plaisanteries entre collègues à propos des clients permettent d’apaiser la souffrance et la culpabilité des employés. Peter Blau l’a montré en 1955 dans une étude sur des bureaux d’aide aux chômeurs, un classique de la sociologie des organisations : le rire provoqué par une bonne histoire sur un client chômeur attestait aux yeux du groupe qu’il méritait bien d’être blâmé. Les agents qui n’avaient aucun engagement dans leur travail, aucune empathie pour les chômeurs, n’éprouvaient pas le besoin de plaisanter sur ces derniers. J’ai pu observer la même chose à l’hôpital : les soignants qui pratiquent l’humour de salles de garde, choquant pour les malades et leurs familles, sont généralement des médecins et des infirmières très impliqués dans leur travail, qui ont à cœur de ne pas déshumaniser le malade dans la relation de face-à-face. Une bonne rigolade entre collègues, en coulisses et loin des oreilles des usagers, est souvent un moyen de se remotiver pour repartir avec une énergie renouvelée au service des autres. L’humour avec le client ou l’usager peut aussi être un moyen de réguler les échanges de façon plus souple, de défendre ses droits sans entrer dans un rapport de force stérile et destructeur. Lors de mes observations auprès de policiers dans une patrouille en voiture, nous entendons par la fenêtre ouverte du véhicule une dame BCBG s’adresser à sa fille : « T’embête pas, on va demander aux flics ! » Puis, s’adressant au conducteur sans dire bonjour : « La rue Machin, c’est où ? » Du tac au tac, le policier lui répond : « Ah ! Vous vous trompez, madame, nous c’est la police nationale », avant de redémarrer.
© AudRey ceRdAN
1 459 cOmmentaires De même, les enseignants connaissent bien l’intérêt de l’humour pour remettre à sa place un élève provocateur, à condition de ne pas sombrer dans l’humiliation. Bien sûr, cela n’est possible que dans les métiers encore investis d’un peu d’autorité. Beaucoup de salariés n’ont d’autre choix que de plier l’échine devant le client roi en attendant de pouvoir se défouler un peu dans l’arrière-boutique. Plusieurs fonctions peuvent ainsi être attribuées à l’humour : > offrir une forme d’autodérision et de critique de l’autre capable de faire passer des messages potentiellement agressifs ou gênants sous une forme plus acceptable (car c’est pour rire et l’on accepte aussi de rire de soi-même) ; > créer une connivence entre les interlocuteurs : toute plaisanterie suppose une forme de connaissance tacite partagée (les « private jokes », compriss par ceux qui ont une histoire en commun) ; renforcer la solidarité, le goût du travail collectif ; > permettre des ballons d’essai, des idées novatrices (on pourra dire que l’on n’était pas sérieux), stimuler l’imagination Si tous les et le plaisir au travail. Dans une période où les colsalariés qui lectifs de travail sont mis à mal (affaiblissement du syndicaplaisantent concurrence imposée devaient être lisme, entre salariés, multiplication des intérimaires, CDD, temps renvoyés, partiels imposés, horaires le chômage flexibles…), où le travail perd de exploserait. son sens et n’est plus reconnu, le rire est plus nécessaire que jamais. Nadine Morano, en tant que ministre auprès du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, chargée de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle, serait donc mieux inspirée de se préoccuper de la dégradation des conditions de travail et de vie au sein de l’entreprise plutôt que de poursuivre de sa vindicte une malheureuse salariée dont la principale erreur est d’avoir mal géré la séparation entre les « coulisses » et la « scène » (auprès des clients). Si tous les salariés qui plaisantent sur leurs clients devaient être renvoyés, le chômage et les suicides au travail connaîtraient une explosion encore plus dramatique.
De KOKKinO Question naïve : lorsque Mme M. s’adonne au shopping en famille, ne redevient-elle pas une personne privée ? Il semble que non, vu sa réaction… Je crois me souvenir qu’elle avait déjà, voici un an ou deux, cherché des poux dans la tête d’une internaute qui avait eu l’outrecuidance d’émettre un jugement négatif à son encontre. Ce serait bien de nous tenir informés de ce qui arrive à Albane. Courage à elle !
Pour soutenir Albane et lui retrouver un travail sur Nancy, faites marcher vos contacts.
De ishtar C’est cocasse comme ces élus intransigeants deviennent laxistes quand un des leurs est visé. Combien de fois a-t-on entendu qu’il ne fallait pas s’arrêter à une petite phrase, chez Sarkozy himself (« Casse-toi pov’con ») ou Hortefeux (« C’est quand il y en a plusieurs bla bla… »). L’indulgence est de mise pour tous ces dérapages de membres De JamBalaya du gouvernement. Mais Morano n’est pas ma tasse de thé, mais insulter careful, Miss Morano, car votre employeur, une cliente, ça s’appelle une faute professionnelle, à savoir les Français, peuvent vous virer tout simplement. et, sur-le-champ ! Pour quand on commet une peu qu’ils se rendent faute professionnelle effectivement compte de ce genre, on risque que ces employés de le licenciement. Où est l’etat que sont les le scandale ? ministres font leur boulot de manière pitoyable. De Xavier denamur Cette triste histoire est De JiemO encore une illustration Un référentiel métier de la connerie immuable de 23 pages avec de ces puissants dont on devrait définitivement camembert et stats sous PowerPoint va vous être se débarrasser. présenté par M. Kiri, en ce qui concerne le DRH, et commenté par licenciement d’Albane M. Leclown, consultant pour faute grave avec animateur. Des ateliers mise à pied, il est plus thématiques vous que léger. S’il n’y avait seront proposés afin pas de faits similaires antérieurs à lui reprocher qu’ensemble nous puissions trouver un (rien n’est mentionné process de production sur ce sujet dans la de zygomatiques lettre de licenciement), détendus en flux tendus. son employeur devrait Deux trombones sans l’ombre d’un doute perdre aux prud’hommes. et deux élastiques vous permettront Ne pouvant pas ignorer d’afficher votre joyeuse la jurisprudence en appartenance à notre la matière, la société formidable entreprise. Kookaï a décidé de faire (l’élastique autour de du zèle pour faire plaisir chaque oreille maintient à la ministre. Un boycott total de cette marque me le trombone crocheté à chaque commissure semble la seule sanction de lèvres). citoyenne juste.
[sÉlectiOn]
rue69 I sexe & amour
homo/hétéro sexualités sexisme amour sexe sex x
quoi de neuf sur rue69? Depuis quatre ans, notre blog Rue69 explore tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe et que vous osez souvent demander : nouvelles pratiques, fantasmes, blocages, etc. Parce que, comme disait Gainsbourg, « l’amour à la papa, dis-moi, dis-moi, dis-moi ça ne m’intéresse pas ».
Illustrations jean lecointre pour Rue89
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rue69 I sexe & amour
Françoise Simpère, auteure d’Aimer plusieurs hommes :
Vive le polyamour Propos recueillis par Sophie Verney-Caillat i Rue89
Françoise Simpère, journaliste et auteure de romans, notamment érotiques, est tombée dans le « polyamour » (ou « pluriamour ») par hasard dans les années 1970. Elle en est devenue la théoricienne, avec Aimer plusieurs hommes, publié en 2002 et republié après augmentation en 2009, et le Guide des amours plurielles (Pocket). Joueuse, cette croqueuse d’hommes et mordue de la vie a inventé le terme « lutinage », un art d’aimer au pluriel qui est aussi une invitation à s’aimer soi-même. Elle n’est pas à la tête du « mouvement » du polyamour, qui se développe notamment sur Internet, mais reste sa meilleure communicante. Comment êtes-vous venue au « polyamour » ?
C’était deux ans avant mon mariage, il y a trente-cinq ans. Lorsque mon mari a été tenté par une autre, j’ai réalisé que je n’étais pas jalouse. J’ai trouvé logique qu’il puisse avoir d’autres élans et n’ai pas pensé une seconde que ça pourrait changer l’amour qu’il avait pour moi. J’ai été élevée dans une famille classique, monogame. Quand j’ai eu ma première relation hors mariage, par pur désir, je me suis dit : « Qu’est-ce qui m’arrive ? », et en même temps j’étais 80 I juillet-aoÛt 2011 I # 12 I
ravie. Depuis, c’est devenu naturel : si on rencontre quelqu’un qu’on trouve intelligent, pour lequel on a de l’affection, ça peut arriver aussi qu’on ait du désir. Pourquoi mettre une barrière ? Il ne faut pas sousestimer le sexe (les relations qu’on a avec quelqu’un avec qui on ne fait pas l’amour ne pourront jamais être les mêmes qu’avec quelqu’un avec qui on fait l’amour) ni le surestimer (quand une relation dure, le sexe passe au second plan). Qu’est-ce que l’amour pluriel ?
C’est le fait d’aimer de façon affective, sexuelle et intellectuelle plusieurs personnes à la fois. Ce sont des relations apaisées et égalitaires. Un « pluri », on peut lui sauter au cou sans qu’il baisse son pantalon ni que sa copine vienne vous écorcher. est-ce un mouvement large dans notre société ?
Quand j’ai écrit Aimer plusieurs hommes, j’ai reçu énormément de courriers de gens tentés par ce mode de vie. Je vois de plus en plus de jeunes concernés maintenant. Je suis ravie de ne plus être la seule porte-parole de ce mouvement, car je saturais un peu. Pour moi, le pluriamour est une réponse dans la vie privée à ce qui se passe dans la vie publique. J’aimerais que les valeurs véhiculées par les pluriamoureux, l’écoute, l’échange, la tolérance, remplacent celles de cette société capitaliste dure et possessive.
Vous dites que l’idée selon laquelle si on va voir ailleurs, c’est qu’on n’aime plus son partenaire, est à la fois « périlleuse et sexiste ». Pourquoi ?
Un couple solide est un couple qui partage un projet de vie. Mais ne pas avoir envie d’aller voir ailleurs est terrifiant, ça veut dire que, le jour où je rencontre quelqu’un, je ferme mon regard, mes oreilles. C’est l’amour aveugle ! Personne ne peut tout vous apporter, et je suis ravie de pouvoir déléguer certaines missions à d’autres. Par exemple, beaucoup d’hommes ont besoin viscéralement qu’on les brosse dans le sens du poil, et je ne sais pas le faire. Néanmoins, comment ne pas faire souffrir l’autre ?
Ça n’est jamais facile car ça va à l’encontre des valeurs dominantes de la société. Parfois, on n’assume pas, alors on arrête. Moi, je suis restée avec mon mari même si j’ai parfois eu envie de le fuir. Cependant, il y a des choses que j’ai envie de vivre avec certains hommes et pas avec d’autres, pourquoi blesser les uns en racontant ce que je fais avec les autres ? et comment assumer face à la société ?
D’abord, on n’a pas besoin de raconter sa sexualité à tout le monde. Moi, je ne l’ai pas cachée car je suis journaliste et j’avais envie de faire connaître ce mode de vie. A un moment, je me
Jules et Jim. Et plus si affinités.
suis demandé si c’est moi qui étais folle ou les autres. Je suis allée voir un psy, qui en six mois m’a fait comprendre que j’étais comme ça, et les gens pensent ce qu’ils veulent de moi.
© RAyMond CAuChEtIER /RuE dES ARChIvES
le polyamour peut-il faire durer le couple ?
Je crois que oui car beaucoup de gens divorcent lorsqu’ils font une autre rencontre, alors qu’ils aiment encore leur partenaire officiel. Je leur dis : ne faites rien avant un an, le temps que la passion hormonale soit passée. Quand des hommes veulent quitter leur femme pour moi, je leur dis : « Doucement, on en reparle dans six mois ». Aucun n’a divorcé. Je connais des femmes qui ont des enfants avec deux hommes, des hommes qui vivent seuls et à qui ça fait plaisir que d’autres hommes s’occupent de leur amoureuse… Il faut accepter de n’être pas unique. le polyamour est-il universellement partagé selon vous ?
Je pense que nous sommes faits pour aimer plusieurs personnes. Jamais personne n’a su me répondre à la question « Pourquoi serait-il mieux de n’en aimer qu’une seule ? ». Le pluriamour est libertaire, anarchiste et révolutionnaire, au sens où
il s’agit d’organiser soi-même sa vie, en faisant super attention à l’autre. J’ai rencontré quelques pluri chez les « indignés », preuve qu’on se retrouve dans une contestation du monde. Quand je suis à des « cafés poly » je me dis que, si les gens en couple monogames s’interrogeaient autant sur le lien qu’ils ont avec leur époux, il n’y aurait pas de divorce. le sexe est-il différent chez les polyamoureux ?
Le pluri dédramatise les relations sexuelles en général. Il est moins frustré et moins obsédé. En payant dans un club échangiste, le couple monogame achète le droit de coucher avec d’autres devant son partenaire. Moi, je n’aurais pas forcément envie que tout le monde me voie jouir avec tout le monde ! Nous, les pluri, vivons la sexualité comme un jeu formidable. Il y a des délires sexuels qu’on a envie de faire avec certains, et puis on est content de rentrer à la maison. Avoir plusieurs amoureux, c’est avoir plusieurs sexualités avec chacun, découvrir des choses de soi. Je suis plus dans le registre de l’amitié amoureuse que dans la passion charnelle et dévastatrice. Je peux
avoir des amants depuis plus de vingt ans que je ne vois que deux fois par an. Pensez-vous qu’on est tous des polyamoureux qui s’ignorent, mais que la morale nous empêche de franchir le cap ?
Pour le monogame, il n’y a qu’un seul modèle possible. Le pluri peut être monogame de temps à autre. On peut vivre tout selon les périodes de la vie. C’est beaucoup une question d’acceptation sociale. Dans les années 1960, les divorcés ont été mis à l’index… comme les pluri aujourd’hui. Mais, dans cinq ou dix ans, si le monde change comme je l’espère, ce ne sera plus hors norme. Comment sait-on qu’on est pluri ou pas ?
On se sonde, on essaie, ce n’est pas un chemin facile, mais quand on voit les gens qui y sont arrivés, qu’on les voit apaisés, sereins, joyeux, sensuels, ça donne envie. Maintenant, c’est la monogamie qui me semble bizarre, je me demande pourquoi on impose ça alors que ça ne marche pas dans un cas sur deux. Aimer plusieurs hommes par Françoise Simpère. En vente sur le site des Editions Autres Mondes, 243 p., 17 ˜. I # 12 I juillet-aoÛt 2011 I 81
la culture I thÉÂtre
l’amour cachÉ de paul claudel
Rose, le premier amour de Claudel et la clé de son œuvre, fait son entrée dans la Pléiade. Comment est-elle restée au secret pendant un siècle ? Par jean-Pierre thibaudat i Journaliste
I
l en va des écrivains comme des hommes politiques : il arrive que leur vie privée empiète sur leur domaine d’élection, au point de créer des imbroglios allant du non-dit à l’allusif, de la périphrase au déballage. Paul Claudel a eu une fille (avant son mariage), Louise, qui n’a jamais porté son nom. Cette Louise aurait pu rester dans le domaine réservé de la vie privée, la compréhension de l’œuvre de Claudel n’en aurait pas vraiment souffert. Il en va tout autrement pour ce qui est de la mère de Louise, Rosalie Vetch, le grand amour de Claudel, celle qui partage la vie de l’auteur en deux et lui dicte, si l’on peut dire, Partage de midi – Ysé, c’est elle –, avant de hanter Le Soulier de satin – Prouhèze, c’est encore elle. Cette articulation affirmée entre l’œuvre et la vie est l’un des apports principaux de la nouvelle édition du Théâtre de Claudel dans la collection de La Pléiade et de l’album qui l’accompagne. Une première édition avait été publiée en 1947, deux autres allaient suivre, la dernière « revue et augmentée » en 1967 par Jacques Madaule et Jacques Petit. A l’exception de deux courts textes, le corpus de la nouvelle édition, sous la direction de Didier Alexandre et de Michel Autrand, est identique aux éditions précédentes, à ceci près que l’ordre adopté est celui de la chronologie de l’écriture. La nouveauté est dans les gros appendices, qui multiplient les textes autour des œuvres, dans les notes bien plus nombreuses, dans la synthèse qui est faite du dernier Claudel, celui qui se tourne vers l’acteur, la scène et réécrit ses pièces en conséquence. Bref, dans tout l’habillage qui fait la réputation de La Pléiade. A commencer par la chronologie de la vie de l’auteur. Là, mieux qu’une amélioration, c’est une révolution.
106 I juillet-aoÛt 2011 I # 12 I
Le nom de Rosalie n’apparaît pas dans la chronologie de 1967. Il est dit qu’à la « fin 1900 ou début 1901, Claudel part pour la Chine à bord de l’Ernest Simons ». Suit cette maigre mention : « Rencontre d’Ysé. » Sans autre explication. Les auteurs savent qu’il s’agit de Rosalie Vetch, mais le lecteur, que peut-il comprendre ? Ysé est le nom du personnage féminin de Partage de midi, pièce que Claudel publiera beaucoup plus tard (lire ci-contre). Le lecteur est laissé dans la confusion. Rien de tel désormais. La chronologie de la nouvelle édition, tout en précisant en préambule que « les événements de la vie privée sont réduits au minimum » (comprendre : ce qui va être dit doit être dit), évoque, sans détour et sans fard, la rencontre de Claudel avec le couple Vetch et leurs quatre enfants sur le bateau qui vogue vers la Chine. Et ce qui s’ensuivit : un amour fou. Il est clairement dit que Rosalie « va devenir la maîtresse de Claudel », consul à Fou-Tchéou, que tout cela ira beaucoup plus loin puisqu’en 1903, lit-on dans cette nouvelle chronologie, « le Quai d’Orsay s’émeut de la situation scandaleuse créée par l’association de Claudel et de Francis Vetch dans des projets économiques, par l’adultère de Claudel et de Rosalie Vetch, et par l’installation de cette dernière dans la maison consulaire ». Une enquête est diligentée. Philippe Berthelot, diplomate chargé d’une mission en Extrême-Orient, étouffe l’affaire. Une durable amitié naît entre Claudel et lui. années 1920. Paul claudel est ambassadeur de France à tokyo et travaille à l’écriture du Soulier de satin, hanté par le souvenir de rosalie (Prouhèze). Photo the GRanGeR ColleCtion nYC/Rue des aRChives
chronologIe d’une passion
Fin 1900, Paul Claudel, jeune consul de France en Chine, regagne son poste à Fou-Tchéou (aujourd’hui Fuzhou, face à Taïwan) à bord du paquebot Ernest Simons. Il a 32 ans, il est puceau, et amer. Converti au sortir de l’adolescence à la poésie et au catholicisme, il vient de se voir refuser l’entrée dans un monastère. Sur le bateau, une femme flamboyante attire les regards : Rosalie Vetch, épouse d’un homme d’affaires bordelais, mère de quatre enfants. Claudel lui parle d’abord durement, puis en tombe follement amoureux. Rosalie, qu’il appelle Rose, vient s’installer dans la résidence du consul. Leur amour passionné dure quatre ans. en 1904, Rose est enceinte. Pour échapper au scandale, elle rentre en France, où elle donne naissance à une fille, Louise. Elle se remarie avec un autre homme, rompt avec le poète, qui se sauve du désespoir par l’écriture. Claudel met quatre ans à écrire Partage de midi, mais refusera de laisser jouer cette pièce autobiographique (elle est Ysé, il est Mesa) pendant quarante ans. Seul Jean-Louis Barrault lui fera changer d’avis, en 1948.
la culture I thÉÂtre
Enceinte de Claudel, Rosalie Vetch quitte la lui écrit après treize ans de silence (dans Le Soulier Chine en août 1904 et ne donnera plus de nouvelles pendant treize ans. Elle lui renvoie ses lettres, Claudel vit ce silence comme une trahison : « Et voici que, comme quelqu’un qui se détourne, tu m’as trahi, tu n’es plus nulle part, ô Rose ! » C’est à cette période que germe l’idée de Partage de midi, et c’est au lendemain du départ de l’être aimé que Claudel commence à tenir son journal. Premières lignes : « Son départ – 1er août 1904. Commencé à FouTchéou, septembre 1904. Naissance de Louise : 22 janvier 1905 [ligne ajoutée plus tard bien sûr, ndlr]. Fendre la muraille (du cœur humain). » Ce Journal paraît en 1968 dans La Pléiade, et le nom de Rosalie n’est toujours pas mentionné. Il est vrai que Claudel use souvent du nom d’Ysé pour évoquer Rosalie-Rose tant l’être et le personnage sont inséparables. « Ysé sait qu’elle est séparée de Mesa [Claudel] pour toujours », lit-on dans l’introduction, qui amalgame la vie et la fiction comme dans un roman. Quand Rose
Années 1890. Paul claudel est consul de France à Shanghai. photo Rue des aRchives
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de satin, une lettre à Rodrigue met dix ans à arriver), Claudel mentionne son nom dans le Journal, mais La Pléiade le remplace étrangement par un « sic ». Prudence ou pruderie ? En 1968, les éditeurs du Journal savaient. Pas tout, mais ils savaient. Jean Amrouche savait, lorsqu’il s’entretenait avec Claudel en 1951 pour des Mémoires improvisées. Il y vient avec mille précautions : « Vers 1900, ou entre 1900 et 1905, voici qu’il ne s’agit pas de la Femme, mais d’une femme, voici qu’il ne s’agit seulement de l’Amour, mais d’un amour, est-ce exact ? » questionne-t-il. « Oui », répond le catholique Claudel avant de digresser, pour ne pas en dire plus. Amrouche revient à la charge : « Je ne voudrais pas être indiscret… », mais, de pas de côté en circonvolutions, il ne fait que tourner autour du pot. Sans rien dire. Et Claudel ne dit rien. Autre temps, autres mœurs. Dès 1905, cependant, dans une lettre au poète Francis Jammes, alors qu’il écrivait Partage de midi , Claudel ne cachait rien : « Vous savez que je fais un drame qui n’est autre que l’histoire un peu arrangée de mon aventure. Il faut que je l’écrive. J’en suis possédé depuis des années, et cela me sort par tous les pores. » Entre écrivains… Au fil des décennies, on passe du non-dit au murmuré puis au dit. Je me souviens des répétitions du Soulier de satin à Chaillot en 1987. Le premier jour, Antoine Vitez avait invité Renée Nantet-Claudel, fille légitime. Les jours suivants et tout au long des répétitions, il parla de Rose, qui le fascinait. A Ludmila Mikaël, qui jouait Prouhèze et qui avait joué Ysé, il offrit un bouquet de roses… roses. Pendant les représentations à Chaillot, Vitez retrouve la trace de Louise, la fille illégitime : « Elle a près de 83 ans. Elle vit à Vézelay. Je lui ai téléphoné. Elle viendra voir Le Soulier de Satin en décembre » (Journal de bord, d’Eloi Recoing, Le Monde Editions). Ces dernières années, plusieurs ouvrages ont été consacrés à Rose, née Rosalia Scibor-Rylska à Cracovie, d’un père polonais et d’une mère écossaise. La récente édition Folio de Partage de midi ne l’ignorait plus. L’entrée dans La Pléiade est l’apothéose de Rose. Au cimetière de Vézelay, une croix de fer orne la pierre tombale de Rosalie. Elle porte ces mots : « Seule la rose est assez fragile pour exprimer l’éternité. » Ils sont extraits de Cent phrases pour éventails, de Claudel. Lequel avait choisi que soient gravés sur sa tombe ces seuls mots : « Ici reposent les restes et la semence de Paul Claudel. »
Dernière conversation avec l’écrivain, qui s’est éteint le 7 juin.
semprun, pour mémoire par Pierre haski i Rue89
Lorsque j’ai sonné à l’interphone de « Il y a eu amnistie et amnésie. L’amnistie,
© ReuteRs
Jorge Semprun, un jour de janvier dernier, il m’a répondu qu’il venait m’ouvrir, mais que je devais être patient. De longues minutes ont passé avant que la lourde porte de cet immeuble ancien du VIIe arrondissement de Paris s’ouvre, et que je comprenne. Jorge Semprun souffrait atrocement du dos, et c’est quasi cassé en deux qu’il se déplaçait, son chemin en attendant une opération chirurgicale dont croise la il espérait le salut. Résistance, Malgré la souffrance, il avait accepté de me Buchenwald, recevoir, assumant dignement son rôle de le communisme, coparrain du festival « Un état du monde… et la littérature, du cinéma », dont Rue89 était partenaire, au le cinéma. jorge semprun Forum des images de la ville de Paris. a beaucoup fait Une conversation avec Jorge Semprun – car pour alimenter ce fut une conversation plus qu’une interview, en raison de sa souffrance – emportait avec le fleuve de elle toute l’histoire du XXe siècle, l’histoire du la mémoire. cinéma et de la littérature, des considérations politiques récentes ou lointaines, et quelques souvenirs personnels parfois piquants. Cet homme a tout connu, la Résistance en France, le camp de Buchenwald, l’engagement et la rupture avec le communisme, un parcours reconnu dans la littérature et le cinéma, et même une participation active aux années de construction de la démocratie dans son pays, l’Espagne, en tant que ministre de la Culture de Felipe González. Sa mémoire était celle du siècle, celle de l’Espagne d’abord, où s’est joué le premier round de la Seconde Guerre mondiale. Vivant à Paris, il était très attentif aux débats politiques dans son pays natal, et se félicitait du réveil d’une mémoire volontairement enfouie à la mort de Franco, prix à payer pour une transition démocratique très particulière :
c’est évident, ça passe par la loi, mais l’amnésie, ça ne se légifère pas. On ne peut pas dire, comme dans l’édit de Nantes : “Il est interdit de rappeler les troubles du passé.” Ça a trop duré en Espagne, et c’est un signe de bonne santé démocratique qu’on puisse aujourd’hui se permettre le luxe de retrouver la mémoire. » Jorge Semprun avait présenté au festival un documentaire dans lequel il figurait : Les Chemins de la mémoire, de José-Luis Peñafuerte. Il m’avait interrogé sur la Chine, qu’il connaissait mal et qui le fascinait par sa tentative de faire glisser sous le tapis tout ce qui gênait dans son histoire : « Peut-on maîtriser le processus de croissance que connaît la Chine sans évoquer à un moment ou à un autre le passé ? Il y aura un jour un film ou un roman qui ouvrira les vannes… » Jorge Semprun a beaucoup fait, dans sa vie, pour alimenter le fleuve de la mémoire. Dans ses livres, mais aussi dans des scénarios. Il a travaillé avec le réalisateur grec CostaGavras, un autre exilé d’une dictature européenne réfugié à Paris, pour produire trois films majeurs : Z, L’Aveu et Section spéciale. Jorge Semprun se désolait qu’on ne puisse « plus faire de films politiques » aujourd’hui : « Mai 68 a créé un public pour des films politiques. Il y a un vocabulaire, des phrases qu’on n’emploierait plus de nos jours. Aujourd’hui, on ferait un film sur un couple de 25 ans, apolitique… » Pas de nostalgie, juste le constat du passage du temps, du changement d’époque, une époque dans laquelle il avait le sentiment d’avoir de moins en moins sa place. Jorge Semprun s’est éteint le 7 juin à Paris, à l’age de 87 ans. Son œuvre immense lui survit. I # 12 I juillet-aoÛt 2011 I 109