Dévisagez-moi

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Dévisagez-moi 9 782953 254518

15 euros

D é v i s a g e z - m o i

Les Éditions de Juillet


PRÉFACE

A

u lycée Bertrand d’Argentré de Vitré, l’Atelier de photographie fait de la résistance depuis pratiquement dix ans maintenant. De la résistance au tapage outrageant des images en flux continu, à leur banalisation. Il n’est pas apparu par souci d’adaptation au contexte mais pour affirmer que l’atelier, et non pas le club, de photographie martèlerait un message d’attention respectueux envers la photographie comme un art du regard sur le monde, sur soi ; un art où les contingences techniques devaient être recentrées sur sa fonction révélatrice et, pas complaisamment fondues dans le culte vitrifié de la marie-louise et du noir et blanc systématique. Et pourquoi pas le « club » maintenant ? Parce que nous avons voulu que la structure qui collerait le mieux à ce que nous voulions faire en tant qu’éducateurs, devrait, même en son nom, soutenir l’idée de quête et d’ouverture vers l’extérieur, un point de départ pour chacun de ses membres, un lieu de récit fantastique mais surtout pas un lieu d’appropriation ou de transformation de la réalité. Offrir une approche pointilleuse et incarnée du langage, à commencer par l’acte objectif de la photographie face à la réalité : changer l’article du défini à l’indéfini et passer de la réalité à une réalité. Nous avions besoin de refuser le morcellement des mondes pour des gens en quête de légitimité et de repères. Si mutation il devait y avoir, nous attendions fébrilement ce que nous avons toujours considéré comme un des aboutissements de l’Atelier : le passage de l’appréhension de LA réalité à celle de la réalité DE untel ou unetelle. Si avec malice, nous répondions positivement à l’habituelle question de début d’année ou des portes ouvertes : « Est-ce qu’on


apprend à développer ? », c’était pour ne pas préciser quoi. J’emploie le « nous » comme sujet moteur, ce n’est pas une coquetterie rédactionnelle. Ce « nous », je le forme avec Richard Volante. Nous avons tissé d’une complicité informelle un maillage assez précis de ce que l’Atelier devait attendre et offrir en terme d’humanité crue. L’investissement que nous réclamons se nourrit toujours de l’exigence formelle qui oblige à tendre le cordeau de la visée, du point de recul le plus intime possible au sujet. « Photographies sur soi », « un sens aux gestes ? », « le Lycée a ses têtes ! » et, surtout, « Externat-Internat » (1) sont, parmi les projets, ceux qui soulignent par leur titre l’objet systématique de notre travail. Pour « le lycée a ses têtes ! », en particulier, les membres de l’Atelier s’étaient lancés dans la réalisation de portrait en studio des lycéens et avaient exposé ce travail sous forme de frise dans les couloirs de l’établissement. La photographie prenait soudainement sa place en tant que source d’acte commun et montrable. L’art moyen de Bourdieu prenait tout son sens. La photographie comme moyen de reconnaître, de voir d’une manière nouvelle, donc, de découvrir, de réagir et de s’affirmer. Me revient en mémoire la réunion solennelle présidée par Raymond Meur, proviseur à l époque. L’occasion m’est offerte de rendre hommage au travail de cet homme lumineux dont le regard vif balayait le péremptoire et revigorait d’une étincelle de sourire les projets les plus ambitieux en quête de connaissance. Il avait pleinement conscience de l’importance de réunir, autour d’une même table, les personnes concernées ; des conseillères d’éducation aux personnels de maintenance, d’aménagement, d’entretien de l’établissement, les responsables


des systèmes informatiques, Richard et les élèves. Il avait été fondamental de décrire les responsabilités pour ériger le respect en guise de discipline. Le processus de réalisation s’est étalé sur plusieurs mois, en autonomie. L’utilisation des studios revenaient aux photographes lycéens, le respect de l’œuvre finale à tous et la surprise fut de taille puisque l’œuvre exista bien au-delà des murs. « Externat-Internat » correspondait à une démarche plus personnelle de Richard au sein du Lycée. La relation privilégiée qu’il entretenait avec les élèves de l’Atelier avait servi de socle à une démarche de reportage sur leurs lieux de vie et, au final, sur leur lieu de vie commun : le lycée. Cette exposition de toiles plastiques en grand format soulignait aussi, mais sous son regard exclusif cette fois, l’appropriation fondatrice du lieu comme une référence d’avenir. Certes, il était possible de sentir l’adulte en devenir dans ces portraits mais aussi une familiarité domestique touchante envers ce lieu si institutionnel... La Salle du Temple devint pour la circonstance un dédale aérien dont le seul guide de la curiosité incitait à fondre vers un écran posé à même le sol au fond de la salle. Les photographies des adolescents sur leur monde se succédaient doucement à raz de terre, à hauteur d’un foyer de cheminée. Il suffisait de lever les yeux pour se rejoindre en eux, sur les toiles de Richard Volante. Son attention palpable, j’allais dire physique, son sens de l’espace « alvéolaire » autour de son sujet fait de son œuvre photographique ou cinématographique un bouillon de culture d’humanité qu’il est bon de contempler comme on arrose un jardin. Ce projet de 2003 est sûrement pour quelque chose dans celui qui éclot aujourd’hui. Comme l’est aussi l’existence de l’Artothèque de Vitré si-


tuée à quelques encablures du lycée. Les efforts d’Isabelle Tessier et Céline Bouteloup pour ouvrir les jeunes regards à l’autre monde de la photographie : celui de l’œuvre seule et suffisante à elle-même ; elles l’ont porté avec ferveur parfois au milieu de groupes gentiment agités tels des bambins dans une confiserie au détail. Forcément ! l’Artothèque pour un Atelier de photographie... Enfin, il est temps de souligner l’intérêt, le soutien et la volonté toujours conséquente dont Marie-Louise Malidin, encore récemment proviseure du lycée, a fait preuve à l’égard de l’Atelier et de ce livre. Chez elle peu de commentaire, mais des regards puissants et une présence discrète qui auréolaient, d’une authentique noblesse, sa fonction. Alors Johan, Noémie, Juliette, Louise, Solène, Kevin, Gaëlle, Zaïd peuvent vous tendre leurs miroirs percés et nous porter aux yeux leur sens de la présence en chaire et en os, leur plein de vie joufflu, leur monde merveilleux du proche, celui plus âpre de la quête d’identité ; ils savent – j’en suis sûr - que le lycée a œuvré pour les faire un peu plus entrer dans le monde de la visibilité, comme d’autres et grâce à d’autres, poussés par cet art du peu, tellement nécessaire qu’est la photographie. HervéLAMBRECHT (1) Avec l’aide de la journaliste, Christine Barbedet qui anima l’atelier d’écriture.


« L’adolescence commence le jour où, lorsqu’il suit un western à la télévision, un enfant préfère voir le cow-boy embrasser l’héroïne plutôt que son cheval. » (Elison M.) L’adolescence est une période à la con, où nos certitudes sont ébranlées, où nos émotions forment une éponge qui nous encombre et que l’on tente de fourrer dans notre poche, entre paquets de cigarette et chewing-gums à la menthe, pour éviter qu’elle explose ; et où nous nous sentons désespérément paumés. Quoi de plus normal de réagir, et évidemment de faire cette fameuse « crise d’adolescence » dont raffolent tous les adultes qui nous entourent ? Crise de folie serait un terme plus approprié. Tout tourne autour de nous à un rythme effréné, on est pris au piège, mais à un piège délicieux. Partager des instants, des moments, plus ou moins mémorables, à dévisager puis aborder des inconnus croisés au détour d’une rue, d’un concert, d’une soirée, d’un couloir, et qui deviennent pour un temps malheureusement incertain, des connaissances, des « poteaux », sur lesquels on s’appuie, et quelquefois, des amis.

gaelle Période éphémère de notre vie, où chaque instant, chaque émotion est précieuse. On se doit alors de les figer, pourquoi pas sur pellicule, pour se souvenir de ces années « lycées » agitées par de grands débordements que l’on ne sait (mal) heureusement pas encore contrôler. Saisir des regards, énervés, admiratifs, niais, bidons, pleins d’amitié, chacun différent mais tous importants, car lorsqu’on les photographie, c’est nous-mêmes que l’on capture. S’arrêter de tourner juste le temps d’appuyer sur le bouton, pour entendre un « clzvjh » caractéristique nous voler ce que nous voyons, un sourire, un regard, une scène étrange formant notre quotidien d’adolescents débridés.









lens [lènz] n. pl. lens·es : A combination of two or more such pieces, sometimes with other optical devices such as prisms, used to form an image for viewing or photographing. Also called compound lens. Prends quelques instants pour regarder à travers la serrure de tes années lycée. Que verras-tu ? De l’homme à la machine qui prend vie sous vos yeux et capture ces moments unique et les figer en une suite binaire de 1 et de 0. C’est l’histoire d’un voyage... J’ai embarqué un auto-stoppeur. Sur la pancarte qu’il tenait entre ses doigts, quatre lettres étaient inscrites au marqueur noir. « LIFE ». La discussion s’est engagée. Plus elle avançait, plus je remarquais les points que nous avions en commun. Vécu au même endroit, traversé les mêmes rues, rencontré les mêmes gens, discuté des mêmes thèmes... J’ai soudain ouvert les yeux : non, ce n’était pas une ombre inconnue qui avait pris place sur le siège passager mais bien ma propre ombre qui me racontait sa vie, ma vie. Cédant à une impulsion soudaine, j’ai commencé à déclencher l’ouverture aléatoire du diaphragme. Je n’ai plus jamais cessé.

johan

Capturant tantôt des formes, tantôt des couleurs. Ne suivant aucune logique préétablie, je me suis transformé en kidnappeur de vie pour pouvoir me replonger chaque jour dans cette collection d’instants. Ainsi je retrouve les regards, les sourires, les liens tissés et retrouve la place que j’occupais quelques années auparavant. Des dizaines de mois, des centaines de jours, des milliers d’heures et des millions de secondes. Tout ça pour quelques images.









« Photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur » Cartier-Bresson

Chaque photo est un morceau du passé et tous les morceaux du passé sont à conserver qu’ils soient bons ou mauvais. Ces morceaux font partie de nous.

Apprendre la photo, c’est s’apprendre soi-même, un peu plus à chaque ouverture d’obturateur. Alors, ici, nous nous sommes appris nous-mêmes et nous avons appris les autres.

j u liette









Noir comme la mort, blanc comme la vie. Une photo est une partie de blanc déchiré par le noir, Où l’adolescent vit pleinement ces précieux moments Devant l’objectif afin de les immortaliser.

kevin









« Prendre une photo, c’est une excuse pour être badaud. Je me donne l’impression de faire quelque chose donc j’ai moins mauvaise conscience. »

William Klein

lo u ise









Certains écrivent, d’autres dessinent ou bien se taisent. Certains jouent de la musique ou jouent, tout court, d’autres rêvent. A chacun sa façon de faire, de voir les choses, de les dépeindre à sa manière. Et pourquoi pas photographier ? Proposer un monde à travers ses yeux.

Capturer l’instant présent comme on le perçoit, pour qu’il reste encore longtemps. Que cela soit un pétale, un paysage, une personne, ayant tous en commun un quelque chose de particulier. Ici, ce sont les regards qui ont été pris, comme empruntés. Parce qu’un regard sait parler, sans mot. Pas de faux-sourires, pas de poses tordues, pas d’artifices superflus, juste un regard qui sait dire avec vérité. Essayer de faire dans la simplicité des choses en les gardant authentiques. Suspendre le temps que l’on ne peut arrêter, dans un Art propre à soi-même. Photographier. A travers soi, mais surtout à travers les autres.

N oémie









Parce qu’à force de les voir, de les côtoyer jour après jour, il a de ces lieux, de ces personnes, auxquels on ne fait même plus attention. Aveuglé par cette routine, on ne sait plus regarder, apprécier ce qui nous entoure, on en prend plus le temps. Alors une photo... Ou, simplement, parce qu’il y a de ces instants que l’on voudrait éternels, mais que notre mémoire est incapable d’en conserver l’aura, de même que nos mots peinent à la retranscrire. Alors qu’une photo...

S olenn









Les photos présentées sont le résultat de 2 ans de travail sur le thème de l’adolescence. J’ai voulu dans mes photos mettre en valeur les différents états d’esprit de cet âge, par la photo et les regards. Le regard d’un adolescent est quelque chose d’indescriptible, et pouvant être interprété à volonté.

Zaïd









Quand on photographie, on estime souvent qu’il n’est pas nécessaire d’écrire, que les images parlent d’elles-mêmes. C’est peut être pour ça qu’on devient photographe. La photographie est un langage qui ne devrait pas avoir besoin de mots.Pourtant parfois il faut dire. Il faut de dire ce que l’on ne devine pas forcément. En voyant ce travail, il faut rappeler les interrogations et les doutes des premières scéances. Le rituel et la curiosité au fur-et-à-mesure de ces rencontres hebdomadaires. L’urgence et le besoin de faire des images, de les montrer et pour moi, de les voir, les coups de pieds aux culs parfois donnés, l’exigence qui s’apprend petit à petit, l’émotion reçue par ces photographies que j’aurais aimé faire, l’inventivité de ces cadrages insolents, de ces traitements jamais gratuits, les sensibilité à fleur de peaux, l’intimité dans laquelle on vous invite, la discrétion palpable, la générosité enthousiaste, l’exigence du choix... Ils ont tentés d’apprendre à écrire la lumière. Ils racontent maintenant des histoires avec leurs mots. Ils méritent ce livre. Richard Volante


R emerciements à tous les modèles qui ont gentiment de poser pour nous, aux personnes prises par surprise, au Papa Noël qui nous a offert nos appreils, au merveilleux lycée Bertrand d’Argentré, et plus particulièrement à Richard qui nous a supporté tous les mercredis pendant 3 ans.


Les Éditions de Juillet 16, rue du Landrel - 35135 Chantepie www.editionsdejuillet.com Création & maquette : Yves Bigot Achevé d’imprimer sur les presses de Chat Noir Impressions Editeur : 2-952a3336 - ISBN : 978-2-9532545-1-8 - Quatrième trimestre 2009


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