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Georges Dussaud Intuitions photographiques Entretiens et textes de Christine Barbedet PrĂŠface de Jean-Pierre Montier
La photographie selon Georges Dussaud, ou la politique d’un auteur Par Jean-Pierre Montier
Cet ouvrage consacré à Georges Dussaud ne ressemble pas tout à fait à ceux qu’il a publiés auparavant. Ni consacré à un thème particulier, ni commande institutionnelle, il est à la fois un hommage, une synthèse et un legs. Hommage tout d’abord. À des paysages et des personnes. Georges Dussaud est de la race des photographes qui, au terme de leur carrière, auront davantage usé leurs ménisques que leur carnet d’adresses. Outre l’appareil (avec tout de même le boîtier de secours, mais sans batterie d’objectifs), ses instruments de travail sont le sac à dos, les chaussures de marche et la veste aux larges et nombreuses poches. Il est de ceux qui vont chercher les images qu’ils ont en tête là où ils espèrent pouvoir les rencontrer. Certaines, inespérées et magiques, sont des « cadeaux », comme il le dit dans son entretien avec Christine Barbedet. D’autres sont les fruits de ses cueillettes, des instants saisis grâce à son sens des situations : car Georges Dussaud est un homme qui « fait ses gammes » avant d’œuvrer, qui a appris à réduire les incertitudes (pas toujours « glorieuses » !) liées à la captation de l’impondérable. D’autres encore sont improvisées par celles ou ceux qui, conquis par le respect et l’attention qui émanent de sa discrète présence, construisent pour lui une photographie dont ils sont les acteurs. Ce sont alors des « faveurs »… Mais qu’il s’agisse des cadeaux du hasard, ou bien des cueillettes qu’il a su accomplir à maturation, ou encore d’une faveur gracieuse, la générosité est au cœur de toutes les images de Georges Dussaud. Elle est sa marque d’artisan, sa signature d’« auteur » (nous y reviendrons).
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Qu’on ne s’y trompe pas : cette générosité est sans doute l’une des qualités de l’homme qu’on nommera désormais G. D., à la manière dont Baudelaire évoque C. G., qu’il appelle « l’artiste anonyme », Constantin Guys… Que nous importe l’individu, après tout ; c’est de ses images qu’il faut ici parler : elles ont pour point commun d’inscrire la générosité dans leur structure, leur facture. G. D. sait faire paraître de la générosité en ses photographies. C’est là tout son procédé et son unique secret de fabrique. Il a beau avoir tout le métier, la culture, etc. qu’on peut aisément lui reconnaître, la signature de ses images est dans ce qu’elles révèlent d’aptitude à la libéralité, de la part aussi bien de celui qui les a prises que de ceux qui s’y trouvent représentés. Au point que l’on pourrait presque dire que même les paysages — qui devraient, passivement, se contenter d’être observés — paraissent eux aussi avoir quelque chose à donner ! Un comble !… Qu’il s’agisse de sites ou de personnages, G. D. a ressenti le besoin légitime de leur rendre hommage : s’il a beaucoup donné, il a reçu encore davantage ! Synthèse ensuite, ou florilège. Près de trente ans de travaux photographiques valaient d’être rapprochés, confrontés en un opus qui en rassemblât l’essentiel et qui surtout mît à jour une esthétique personnelle. Or, rien n’est plus difficile pour un artiste que de savoir soi-même choisir ses « Préférées », pour reprendre cette jolie expression qu’avait employée Édouard Boubat. Plus difficile encore pour un photographe que pour tout autre artiste. Cela ne tient nullement au fait que la photographie serait un art mineur, moyen ou incertain. Cela relève de la part qu’y tient le temps, sous tous ses aspects, dans le processus d’émergence de la « bonne » image. G.D. sait qu’il en est qui sont parfaites dès la prise, que le photographe saura immédiatement retrouver sur sa pellicule développée. Il ne reste alors plus qu’à photographier pour l’exercice, ou pour laisser des souvenirs aux familles… Mais la plupart doivent être cultivées comme des plantes de serre : il faut savoir les faire venir à maturation au fil des saisons, et c’est en effet sur la planche de contact qu’elle se révèleront, le jour venu. Si l’on sait les voir et mériter leur naissance. La synthèse proposée par G. D. s’est accomplie au fil des livres, des expositions, des réflexions. Il a expérimenté le fait que la photographie (celle du moins qui est faite dans l’esprit humaniste tel qu’il le pratique) est « un art peu sûr » (Barthes). Et que cette sûreté précaire renvoie à la fragilité des ingrédients
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humains dont ses images sont un concentré. Car l’on y projette des souvenirs ; elles sont liées à un contexte qu’il faut laisser s’effacer pour qu’émergent peu à peu les qualités particulières et inaperçues d’abord qui toucheront le spectateur. Bref, il faut que le photographe, après avoir été ultra sensible lors de la prise, laisse s’effacer ensuite tous ses affects pour donner au temps le temps de faire émerger la charge d’émotions et de vérités dont est investie l’image elle-même, et elle seule. En professionnel accompli, G. D. pour préparer cet ouvrage est revenu sur toutes les étapes qui ont depuis longtemps scandé son travail, dans le but de favoriser une ultime révélation, celle d’une œuvre photographique, la sienne. Or, toutes ces étapes ont pour point commun d’installer un rapport varié, dense mais constant avec le temps. L’alchimie photographique consiste à transformer de l’espace en du temps ! Il faut d’abord préparer une situation, parfois aller la chercher, composer avec des distances, des cadres, de la profondeur. Il faut choisir un format de négatif, carré, rectangulaire ou panoramique. Il faut ensuite examiner les clichés sur les planches, choisir d’agrandir certains d’entre eux, afin de les faire parler, de leur offrir une aire d’expressivité. Mais ces tirages de lecture ne sont pas ceux d’une exposition ni d’un livre : alors, le format peut changer du tout au tout la portée d’une même image, qui peut être étouffée par un espace corseté ou au contraire bénéficier de la respiration qui lui était indispensable. Afin que toutes ces questions d’espace finissent par être résolues, il fallait du temps : celui qui a permis à cette synthèse de voir le jour. Ce qui est particulièrement frappant dans le travail de G. D. tel qu’il apparaît aujourd’hui, c’est la conscience aboutie de tout ce que représente, en effet, être « auteur », au sens où, dans les Cahiers du Cinéma, naguère, l’on évoquait une « politique des auteurs ». G. D. n’appartient certes pas à un groupe ni un mouvement, mais comme Truffaut et ses amis s’affirmaient autonomes face à l’industrie cinématographique et à ses routines, G. D. souligne combien il tient à son indépendance au regard de tout système de commande, publicitaire autant que journalistique. Être « auteur » alors n’est pas certifier une originalité ni mettre un ego en avant, c’est se borner, dans un sens très classique de cette notion, à être celui qui, s’étant approprié un héritage, peut dire à son tour : « Voici ce que j’apporte, voilà mon legs. » Bien qu’il n’ait pas d’emblée fait partie
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du cénacle, G. D. a peu à peu appris à tutoyer les plus grands sans la moindre outrecuidance. Sa fréquentation des Cartier-Bresson, des Smith, des Salgado, des Larrain et autres Koudelka est une appropriation patiente et complète non pas de leurs astuces, leurs procédés ou leurs réponses, mais de leurs questions. Si sa culture photographique est tellement vive, si elle n’est pas une érudition vaine, c’est qu’il a conservé de la familiarité entretenue avec toutes ces œuvres la seule chose qui importe : l’art de savoir poser des questions au visible. L’art de l’envisager comme un nœud gordien de problèmes humains et esthétiques. Un nœud qu’il a appris patiemment à dénouer. Question de temps là encore ! Il y a chez lui quelque chose de Montaigne, qui ne parle jamais mieux de soi qu’en devisant des autres et s’appuyant sur eux, et pour lequel philosopher c’est apprendre à mourir. Le mot, si l’on voulait jouer avec lui, irait comme à gant à G. D. : « photographier, c’est apprendre à mourir ! » pourrait être sa devise. Avant que le terme n’échoie — heureusement !—, il lui fallait restituer à d’autres ce qu’il avait reçu de la part de deux ou trois générations de grands photographes humanistes dont son œuvre propre — et sans qu’il soit l’épigone de quiconque en particulier — est à la fois le résumé et la quintessence. Si l’on voulait d’ailleurs filer encore un peu le parallèle avec Montaigne, il faudrait parler de Christine. Un amour est partout, chez Montaigne : celui qu’il avait ressenti pour Étienne de La Boétie, emporté à la trentaine par une foudroyante maladie, après être passé comme un météore dans le ciel intellectuel de la seconde Renaissance qu’il avait illuminée de son Discours de la servitude volontaire. Montaigne, qui était convaincu de n’arriver point à la cheville de son ami, fit de l’ensemble de ses Essais une variation sur ces amours qu’on ne sait pas toujours mesurer quand on pourrait encore les apprécier, celui qu’il avait ressenti pour Étienne, celui aussi qu’il avait porté à son père. Or, partout dans l’œuvre de G. D. sa femme Christine est présente quoiqu’invisible. Sauf à quelques détails : lorsque, décrivant par exemple une expédition, il passe insensiblement du « je » au « nous », trahissant le fait que ses expériences, ses rencontres, ses projets sont portés à deux. Christine n’est pas une « utilité », même si le fait de voyager en couple permet sans doute à des portes rétives de s’ouvrir plus facilement, et s’il est évident qu’une présence féminine rassure, ou rend moins agressif l’acte de photographier. Ce n’est pas empiéter dans le domaine de la vie privée que
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d’affirmer à quel point Christine fait partie de l’œuvre de G. D. La considérer comme une Muse, un être hors de l’ordinaire, serait de l’ordre du cliché. Non, Christine est de ces femmes, bien plus nombreuses qu’on ne croit ou ne dit, dont la présence change la nature même de l’œuvre. C’est parce qu’elle est là que les voyages de G. D. ne sont pas une errance, que ses découvertes sont aussi des histoires d’amour, de partage, et que l’horizon de la connaissance d’autrui que G. D. cherche à repousser sans cesse demeure un horizon à hauteur d’homme. Sur ce plan, notre photographe est plus chanceux que ne fut Montaigne ! Du moins est-il fort judicieux de la part des auteurs de cet ouvrage d’avoir songé à ménager, dans l’un des chapitres, une place à Christine, sans laquelle probablement rien n’eût été ainsi… Cohérent avec lui-même, G. D. ne saurait non plus se penser « auteur » sans que cela implique une politique. Comme nombre d’artistes, il en a une consciente déclarée, et une autre, en léger décalage avec la première, et plus intéressante. La politique déclarée de G. D. est de l’ordre, grosso modo, des positions de la gauche écologiste, assez proche d’ailleurs de celles que professait Henri CartierBresson dès les années soixante-dix. Avec tout de même une particularité : l’accent que G. D. fait porter sur la notion de « communauté », l’éloge qu’il fait des vertus qui émaneraient de la pauvreté, enfin cette forme de nostalgie qu’il exprime envers les sociétés rurales dont les membres étaient soudés par des liens puissants. Évidemment, c’est une manière pour lui de souligner combien notre propre société manque de « solidarité » ou de « lien social ». Mais d’autres que des photographes peuvent tenir ce genre de discours, et en outre G. D. n’a sans doute pas la naïveté de le prendre tout à fait à la lettre. Car quiconque a vécu à la campagne ou bien a lu Maupassant, Giono et tant d’autres sait parfaitement que la « solidarité » (un terme très « urbain » et dont le sens moderne a été inventé par les contre-utopistes de Gdansk en 1980) est très loin des usages les plus constants des sociétés paysannes, lesquelles sont fort couramment cruelles envers les faibles et impitoyables à l’égard des délicats ! Il y a même quelque chose d’historiquement plutôt cocasse à faire des sociétés traditionnelles — qui sont universellement figées, opposées au commerce avec autrui et à l’échange d’idées — des modèles de tolérance et de largeur d’esprit ! L’histoire est assez
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féconde en retournements de ce genre. Qu’on songe justement à la tolérance, valeur voltairienne par excellence, et donc honnie de l’Église, qui est devenue la référence cardinale du catholicisme à la fin du XXe siècle, dès lors il est vrai que cette vénérable religion n’avait plus les moyens d’imposer par la contrainte ses propres dogmes ! On pourrait se demander s’il n’en va pas de même de ces communautés rurales : ne paraissent-elles pas « solidaires » dans la seule mesure où, conscientes qu’elles sont d’être vouées à disparaître, elles n’ont plus la force d’ordonner à leurs membres ce qu’elles leur ont fait subir durant des siècles un peu partout : de l’esclavage au dressage, de l’excision au mariage forcé, de la torture mentale à l’élimination pour « crime d’honneur » ?… Si l’homme n’est pas toujours« civilisé » à Paris ou à Dublin, on ne voit pas par quel miracle il le serait davantage au nord du Portugal ou dans le Kérala, sinon par un effet magique de notre besoin d’idéal aggravé d’une illusion d’optique ! Quant à la retraite sylvestre d’un Henry D. Thoreau ou lacustre d’un John Mac Gahern, pour lesquels G. D. confesse sa légitime admiration, ce sont des actes qui ne peuvent justement être accomplis et compris que par des modernes, quand bien même ils seraient porteurs d’une critique acerbe envers la modernité ! Mais la Modernité admet et même a inventé la critique ; pas ces sociétés traditionnelles !… Fort heureusement G. D. est aussi photographe, et il propose en ses images autre chose que l’anti-modernisme dont raffolent les Bobos ! Qu’est-ce alors qui s’y voit ou s’y joue ? En quoi sont-elles « du Dussaud », précisément ? Il me semble que cela tient à un phénomène que, en lui empruntant l’une de ses propres expressions, j’appellerais « le regard latéral de G. D. ». Effectivement, il ne pratique pas « l’instant décisif », ce qui ne signifie pas non plus que ses compositions manquent de précision ou de géométrie, la question n’est pas là. Mais l’œil du spectateur regardant ses images est rarement attiré et surtout retenu par un sujet exclusif de tout autre, concentré en un instant « i ». Ses photographies suscitent comme de l’écho, non pas d’une photo à une autre, mais à l’intérieur même de chacune d’entre elles. Un objet y répond à un autre, par une rime quelconque, plastique ou sémantique, presque toujours. Ou bien elles proposent des zones latérales qui, à bien y regarder, ne sont pas moins intéressantes que la zone centrale, laquelle devrait pourtant contenir exclusivement le sujet majeur. D’où, forcément, le temps de maturation de ses
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photos, que nous évoquions plus haut. Le phénomène caractérise, bien entendu, les formats 24x36, mais il prend de l’ampleur avec l’utilisation du panoramique, à partir de 1991. Un format très difficile à utiliser, en réalité, alors que G. D. ne lui trouve pas d’inconvénients majeurs, d’autant qu’il requiert justement de porter à son comble ce « regard latéral ». En fait, tout se passe comme si l’adoption du panoramique était dans la logique de ses photographies depuis le début, tant ce format exacerbe les qualités singulières de G. D. À la réflexion, il me semble que ses meilleures photographies sont presque toutes des panoramiques, ou que, lorsqu’elles sont en 24x36, elle paraissent travaillées par la propension à s’élargir. Et pour revenir à la « politique des images » de G.D., je dirais que c’est à force de nous apprendre à regarder dans les à-côtés, latéralement, qu’elles dépassent la nostalgie à laquelle, de prime abord, on est tenté de les associer. C’est dans cette latéralité que, assez loin des discours dans l’air du temps, elles deviennent de véritables expériences visuelles autant que des leçons de vie… Jean-Pierre Montier Juin 2007 Jean-Pierre Montier est Professeur en Littérature & Art à l’Université Rennes 2, Vice-Président de l’Université Rennes 2, chargé de la politique culturelle, de 1996 à 2001 et Directeur du CELAM (Centre d’études sur les Littératures anciennes et modernes, Equipe d’Accueil 3 206), depuis 2003.
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De mai à décembre 2006, Christine Barbedet menait dix entretiens avec Georges Dussaud. L’interview qu’elle propose ici organise un ensemble de propos extraits de ces échanges. Ils mettent en lumière la démarche et l’engagement artistique et humain du photographe globe-trotter. Diplômée des Beaux-Arts (1982), journaliste depuis 1993, Christine Barbedet est rédactrice en chef de Jazzpulsions, magazine des danses jazz. Elle est l’auteur des ouvrages Rennes 1999, éd. du Carabe (2000) ; Jardiniers de la Mémoire, éd. du Petit-Démon/ Rennes-Métropole (2006) ; Erwan Tymen, 19 jardins, éd. la Coop Breizh (2009).
Quelle a été votre première rencontre avec la photographie ? Le premier choc qui a déterminé mon envie d’être photographe, pour moi qui aime voyager, c’est une publication des éditions du Chêne, en 1972, Suite grecque, d’un membre de l’agence Magnum d’origine grecque qui vit aux Etats-Unis, Constantine Manos. Sa vision de la vie quotidienne dans les îles grecques au cours des années 60, avant les grandes mutations touristiques, m’a donné envie de travailler en noir et blanc et de voyager en Grèce. Il a créé une série d’images hors du temps qui exprime la qualité de la vie rurale. Sans doute, cette rencontre a-t-elle préparé le travail au long cours que j’ai commencé, en 1980, dans les communautés montagnardes du Nord du Portugal, le Trás-os-Montes. La photographie est devenue un prétexte pour aller vers l’autre, vers ceux qui par leur mode de vie simple, communautaire et chaleureux, me sont proches.
Cette découverte du Trás-os-Montes a marqué une étape décisive dans votre cheminement ? Je photographiais déjà la Bretagne depuis dix ans mais c’est en effet à partir de cette rencontre que mes recherches sont devenues plus pertinentes. En 1980, nous avons effectué avec Christine, ma femme, un premier voyage au Portugal et, au retour, nous avons séjourné dans le Trás-os-Montes. Nous avons découvert des villages rustiques, des battages joyeux. J’ai souhaité y retourner en hiver pour être saisi par une autre ambiance. Dans le village de Negrões, cherchant une chambre pour nous loger, nous avons rencontré José, un jeune garçon ; il nous
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a présenté sa grand-mère. Pendant vingt années, à raison de trois ou quatre fois par an et en toutes saisons, je retournais là-bas, en compagnie de Christine et parfois de mes enfants. Nous étions hébergés chez cette femme, notre « grandmère du Portugal ». Elle avait un joli nom, Deolinda, ce qui signifie « belle de Dieu ». Elle est morte depuis.
Comment expliquez-vous cette attirance pour cette région du nord du Portugal ? Les hivers sont rudes et les étés brûlants ; nous n’y allions pas pour le climat mais pour rencontrer des gens, vivre avec eux et témoigner d’un mode de vie tellement différent du nôtre. Ces gens hospitaliers et fraternels nous ont ouvert leur maison. C’était un engagement au long cours, une découverte, une aventure humaine qui nous a menés tellement loin.
Cette inscription du regard, en noir et blanc, dans une mémoire communautaire estelle au cœur de vos recherches ? Le noir et blanc est une matière. C’est le naturel des gens capté dans l’instant et la mémoire d’un monde qu’on a pu imaginer et qui, le regard posé, est déjà transformé. La fonction première de la photographie est la mémoire, avec au cœur de la problématique cet enjeu temporel. A peine saisie, la prise de vue s’inscrit déjà dans un temps révolu mais c’est seulement la lecture a posteriori des images qui permet de faire ce constat. Au Portugal, il y a de très bons photographes qui ne se sont jamais vraiment investis sur le Trás-os-Montes. Je suis celui, sans doute, qui a constitué la collection la plus significative sur cette région. Dans ce contexte, il s’agit en effet d’un travail de mémoire mais, en fait, c’est la curiosité et l’intérêt pour les autres qui m’animent. « Une dialectique d’empathie ou, mieux, d’amour… », écrivait Gérard Castello Lopes dans la préface du catalogue d’exposition de mes travaux aux Archives photographiques de Lisbonne. J’ai rencontré Gérard dans un festival qui avait pour thème la photographie portugaise. Il est surtout connu pour ses travaux sur le Lisbonne des années 50. Il m’a fait un très beau compliment : « Si les habitants de Trás-os-Montes que tu photographies savaient photographier, ils le feraient comme toi ». Je me revendique en effet citoyen du monde.
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En évoquant son projet photographique The Americans, Robert Franck affirmait au critique Patrick Roegiers : « Lorsque je photographiais, je me prenais d’affection pour ces gens. Je ne leur parlais pas, je les observais et je volais leur image. Je voulais dévoiler ce qui restait caché, ce qui paraissait ennuyeux et dont personne ne voulait s’occuper. » Il ajoutait : « J’ai toujours eu de la sympathie pour les perdants ». Ce n’est pas tout à fait cela pour moi. Je me prends d’affection pour les gens, oui, mais pour m’intégrer à leur milieu et témoigner de leur vie, si possible en osmose. Les pauvres de l’Amérique étaient « les perdants » ; au Trás-os-Montes, je pourrais dire qu’ils étaient « les décalés ». Ces gens vivaient encore dans une société communautaire qui valait bien la nôtre, plus urbaine. Leur vie quotidienne préservait des qualités d’échange et de solidarité très fortes. Par contre, comme Robert Franck, j’ai photographié ceux que personne ne montre habituellement. Il a photographié l’Amérique aux destins brisés, les failles et les fissures de l’Amérique modèle planétaire de la réussite. Interpellé luimême par les victimes d’une société dure pour les plus fragiles, son travail nous interpelle. Il possède de plus un style photographique spontané, très libre, avec des compositions dynamiques. La photo n’est pas réfléchie, elle est instinctive et liée au choc émotionnel d’une rencontre, d’une découverte. Cette photographie qui capte l’instant a fait école. The Americans, préfacé par Jack Kerouac, publié par Grove Press en 1959, et un an auparavant par Robert Delpire, en France, est un livre fondamental dans l’histoire de la photographie. Je pourrais évoquer un autre Américain qui, comme Robert Franck, a travaillé du côté des laissés-pour-compte. Bruce Davidson était proche de la communauté noire américaine ; il a réalisé un reportage étonnant sur la 100ème rue Est de NewYork, à la fin des années 70. Un travail de longue haleine qui nous fait découvrir la pauvreté et la grande misère de cette communauté mais aussi sa dignité, avec une grande humanité.
Robert Franck affirme travailler « par intuition, pas tellement par réflexion », êtesvous dans cette même veine ? Oui, je revendique d’être le plus intuitif possible. Je me sens proche d’Henri CartierBresson quand il évoque son livre de chevet, Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc d’Eugen Herrigel. L’élève devient un maître lorsque son tir est suffisamment
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intériorisé pour que la flèche touche la cible. Le maître peut alors lui dire : « Vous avez su vous oublier au moment de la plus haute tension, en sorte que votre tir est tombé de vous comme un fruit mûr. » Et l’élève peut lui répondre : « Est-ce moi qui touche la cible ou est-ce la cible qui me touche ? Cela est-il de nature spirituelle lorsqu’on le voit avec les yeux du corps et de nature corporelle lorsqu’on le voit avec les yeux de l’esprit ou tous les deux à la fois, ou ni l’un ni l’autre ? L’arc, la flèche, la cible et le moi, tout cela se confond au point que je ne puis plus le séparer. Même mon désir de le séparer a disparu, car dès que je prends l’arc et que je tire, tout devient si clair, si évident, si ridiculement simple... ». Il y a ce même élan chez le photographe devenu intuitif. Les meilleures photographies, et c’est vrai pour nombre de photographes, ne sont pas réfléchies mais instinctives. C’est une charge émotionnelle forte que nous essayons de capter. Et parce que cet instant est fragile et poétique, il est beau. Une photo peut être plastiquement parfaite comme le sont celles de l’école américaine d’Ansel Adams, Edward Weston… ; des photos à la chambre, soignées, avec des tirages de grande qualité mais il manque cette spontanéité, ce cri. C’est cette fragilité qui fait la différence.
Une fragilité extrême qu’exprime le portrait des deux sœurs de Vilarinho Seco, pris en 1983... Dans cette série, ma meilleure prise de vue est celle de ces deux enfants, protégées par leur cape de feutre. Le temps de changer de film, sous la neige, la scène avait déjà disparu. C’était donc la première et la dernière prise de vue possible. Je n’aurais pas pu la faire s’il n’y avait pas eu la 36A. Instinctivement, je me demande si cette contrainte n’a pas exacerbé ma sensibilité et favorisé une concentration extrême. Je l’ignore. Nous étions en fin d’après-midi, la lumière était faible. En travaillant en vitesse lente, les flocons de neige ont esquissé une trace sur le visage de l’enfant qui donne du mystère à l’image. J’avais d’emblée envisagé que cette scène pourrait être étonnante mais je ne savais pas quel serait le résultat sur la pellicule.
Êtes-vous proche de « l’instant décisif » dans la prise de vue photographique tel que le définit Henri Cartier-Bresson ? Je préfère dire « instinctif » et je ne sais pas si cet instant est décisif. Il y a
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facilement une confusion entre l’instant décisif et la photo réussie. Henri CartierBresson avait une maîtrise spécifique, de par sa personnalité, ses aptitudes à la composition et à la compréhension qu’il avait du cadre. J’imagine pourtant que lui-même travaillait sur les planches contact et que la photo de « l’instant décisif », était aussi celle d’un choix postérieur. Robert Franck dit d’ailleurs à ce sujet « l’instant décisif n’existe pas. Quand on fait la photo, on cherche et c’est regarder la planche contact qui est un bon exercice. On voit ce qu’il y a de meilleur. Et peut-être le meilleur n’est pas l’instant décisif mais ce qu’il y a à côté ou ce qu’il y a avant. »
Dans cette approche distanciée, le travail de laboratoire serait-il cet « instant décisif » ? Passer des heures dans un laboratoire, dans le noir, c’est un processus et une activité d’artisan que j’apprécie malgré sa lourdeur parfois. Il y a d’abord le développement des films sans a priori sur les prises de vue réalisées. C’est simplement une question de rigueur, de temps et de manipulation. Vient ensuite le tirage des planches contact ; un outil fondamental d’abord pour l’archivage et ensuite pour le choix des photos. Il faut souvent laisser une plage de temps, voire des mois avant d’y revenir. Il faut avoir oublié le moment vécu, souvent chargé d’émotivité ou d’affectif, et qui empêche de sélectionner la meilleure photo avec objectivité. Dans la lecture, il faut redevenir détaché et objectif. Cette étape de travail est primordiale. La dite création ne se fait pas uniquement à la prise de vue mais postérieurement sur la planche contact. Je découvre parfois beaucoup plus tard que la « bonne » photo, n’est pas celle que j’ai choisie initialement. C’est pour cette raison que les planches contact sont des traces nécessaires et décisives.
Peut-on parler d’un rituel photographique ? Oui, cela pourrait prendre la forme d’un rituel. Il y a en effet des passages obligés avec l’avant et l’après prise de vue. Il y a le voyage ; le retour et l’état d’esprit dans lequel je me trouve après un voyage de six semaines, en Inde par exemple. Il faut de nouveau apprivoiser la vie quotidienne ; cela signifie que je mets un certain temps pour développer les films et surtout pour tirer les planches contacts
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et les relire. Il n’y a pour moi aucun rapport avec l’actualité donc aucune urgence. Pouvoir prendre le temps de l’attente est un enrichissement.
Comment sélectionnez-vous vos images ? Après un premier regard, à la loupe, je commence en général par tracer un trait au feutre rouge dans le bas de la photo qui m’intéresse. Un deuxième regard attentif, me permet de faire une nouvelle sélection ; j’inscris alors un autre trait rouge au feutre sur le côté des photos que j’estime réussies. Je revisite une troisième fois ma planche contact et les meilleures images, je les entoure. J’effectue un tirage de lecture, en format 18X24, qui me permet de déterminer si je garde ou non la photo. En deuxième choix, elle rejoint une collection conservée dans une boîte. En premier choix, j’effectue un tirage 30X40 ; un format classique très lisible qui entre alors dans un porte-folio, une sélection que je pourrais éditer ou exposer.
Les pastilles rouges et les numéros inscrits à quoi correspondent-ils ? Les gommettes sont des sélections faites pour une exposition ; elles indiquent au tireur les photos qui seront présentées en grand format. Les numéros correspondent au classement de 1 à x centaine que j’effectue par pays. Ici par exemple, la planche contact n°110 est le 110éme film que j’ai réalisé sur le Portugal.
Comment décidez-vous, en seconde lecture, d’écarter une image pré-sélectionnée ? C’est souvent lorsque j’ai déjà rassemblé une cinquantaine de photos sur un sujet donné que je décide d’écarter telle ou telle image. Au final, elle pourrait intégrer un projet ultérieur. C’est aussi la construction de l’image et le climat qu’elle dégage qui retiennent mon intérêt. Pour chacune, c’est un petit bout d’histoire de lieu et certaines le racontent mieux que d’autres parce que formellement mieux réalisées, mieux cadrées. Tout va très vite dans ces moments là et la planche contact est un révélateur.
Robert Franck est l’un des premiers à avoir « révélé » ses planches contacts... William Klein les a aussi publiées. Dans ce sens, il était un photographe important pour avoir rompu avec les conventions de la photographie documentaire. Il a bousculé la photographie, en remettant en question l’école d’Henri Cartier-Bresson
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qui s’appuyait sur la géométrie et « l’instant décisif ». William Klein prenait des photos rapprochées, au grand angle. La proximité de sa présence de photographe, ressentie comme agressive, provoquait de fait une théâtralisation des réactions des personnes photographiées. Il jouait ainsi sur le bougé et le flou.
Le travail que vous défendez n’est-il pas plus près de la notion de tableau photographique ? En tant que photographe, ne pas être enfermé dans une « case » est important. Être catalogué comme photographe de paysage ou photographe urbain ou portraitiste ou autre… est réducteur. Certains prétendent qu’il n’est pas possible de saisir les paysages en étant photographe-reporter. En fait, l’histoire démontre le contraire. Robert Franck et Henri Cartier-Bresson ont réalisé de très beaux paysages mais ne sont pas considérés comme photographes de paysage. En photographie, tout ne fonctionne pas avec la même notion de temps. Lorsque j’ai séjourné à Calcutta, dans le cadre d’un voyage de sept semaines en Inde du Nord, tout était nouveau. C’était un choc visuel, d’atmosphère et une difficulté à être dans ce monde si éloigné de mes habitudes. Me mêler à la foule provoquait en moi d’autres types de réaction. J’ai tenté de capter ces images du désordre, de cette cohue, en les construisant avec des lignes de force. Je n’étais donc ni dans l’habitude ni dans l’imprégnation profonde mais dans le choc. À ce moment là, j’étais proche de William Klein, de la photo urbaine et de foule ; réactif par rapport au théâtre de la rue.
Vous n’étiez pourtant pas dans la provocation mais dans la distance et le respect ? C’est moi qui étais agressé par l’ambiance folle de la rue. Dans la foule, en chemise indienne, avec mon petit Leica, je n’étais plus rien. À Calcutta, c’était une errance libre, sans projet ni but, avec des images qui percutaient mon regard. Il y a par exemple cette arrivée dans un square, havre de repos dans tout ce tumulte. Nous avons croisé un musicien et des enfants sur des balançoires ; d’autres étaient assis sur un muret où étaient peints le lièvre et la tortue. J’ai fait trois photos sur ce thème, une façon sans doute d’assurer ma première prise de vue mais, là encore, la meilleure est la première. C’est une
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composition avec des jambes très longues et pliées qui a retenu mon intérêt ; sur la suivante, nous n’avons plus la même gestuelle. Sur cette même planche, il y a une autre série de prises de vue qui se déroulent autour d’un bassin avec trois enfants qui effectuent un plongeon. Pour cette scène, je n’ai retenu qu’une seule image. Cela tient à un détail. Un des enfants plonge de dos et il sait que je le photographie. Il y a alors un jeu qui s’installe avec l’objectif. L’étape suivante, la même complicité existe mais une femme entre en scène.
Une planche contact est aussi une progression cinématographique qui permet au spectateur de suivre votre démarche ? Oui, c’est le cas dans cette série prise dans l’école de Telhado, en février 1983. Il y a quatre images de la sortie de classe que je présente régulièrement. Sur la planche contact, toute la démarche qui m’a conduit à ces prises de vue, devient lisible. En fait, j’ai commencé par me mettre en relation avec l’institutrice. Je me suis rendu dans la classe et j’ai suivi les écoliers jusqu’à la sortie. Dans la cour, en montant sur un petit muret, j’ai saisi les plans rapprochés d’un petit groupe dont certains enfants portaient la croça, cette cape traditionnelle de paille de seigle. Ensuite, ils se sont éparpillés dans le village. Dans une première sélection, j’ai retenu une photo du groupe avec les parapluies ouverts et, finalement, j’ai préféré celle où le parapluie est penché ; une attitude qui construit l’image de façon plus pertinente. Pour cette autre série prise en 1996, à Wesport, dans le Comté irlandais de Mayo, c’est aussi le film d’une rencontre avec une communauté des gens du voyage, les tinkers. Il y a l’approche de la caravane, le moment où nous pénétrons à l’intérieur. D’un côté, était attablé un groupe d’hommes et de l’autre, des enfants jouaient. Dans cette série, j’ai tiré deux images parce qu’elles révèlent la force d’un contact physique très présent chez les tinkers avec, à chaque fois, la main d’un enfant posée sur une tête. Pour réussir cette composition avec ces expressions de visage, Il a fallu le temps que la relation s’installe mais aussi que j’adopte, d’instinct, une attitude juste. Je savais en la prenant que cette prise de vue serait la bonne ; les autres photos, je les ai faites pour faire plaisir aux familles.
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Dans ce village portugais de Morgade, de la même façon nous accompagnons la déambulation du photographe, un jour d’août 1983 ? C’est le combat de taureaux que nous suivons qui nous mène au village où un mariage d’immigrés est fêté. Il y a une estrade, de la musique et le bal. Là, apparaissent deux petites filles qui dansent. Une photo sélectionnée peut être une prise unique ou faire partie d’une séquence. Ici, c’est la première qui est la meilleure de la série.
Pourquoi alors continuer à photographier la scène ? C’est une question à laquelle je ne sais pas répondre. Dans les clichés suivants, j’accompagne du regard les petites filles, jusqu’à les perdre dans la foule. Mon œil est attiré par un autre groupe sur lequel je m’attarde. A la fin de cette planche contact, il y a une seule prise de vue de l’écrivain portugais Miguel Torga. Je l’ai en effet rencontré le lendemain de cette scène et c’était ma première visite. Pour la planche 63, c’est de nouveau la chronologie d’une rencontre qui se joue . Il y a tout d’abord une scène de battage et au moment d’une pause, un couple qui se met à danser. Évidemment, il ne l’aurait pas fait de cette manière si je n’avais pas été présent. Et c’est tout l’aspect étrange de ce rapport au photographe qui peut parfois déclencher une scène. L’événement se produit alors dans un moment de grâce avec un geste élégant et il finit par se perdre et se diluer dans l’espace.
A contrario, cette séance de massage dans cette école du Kalamandalam est saisie dans un temps concentré et un lieu clos ? Oui, en effet. Cette planche contact ne permet pas d’anticiper le temps d’avant la prise de vue qui a été extrêmement important et décisif. Il y a eu le voyage ; les démarches administratives pénibles pour obtenir enfin l’autorisation de travailler dans cette école. Ensuite, il y a eu ce trajet de nuit jusqu’à Cheruthuruthi, à pied à 4 heures du matin, éclairé par une petite lampe. Les entraînements ont lieu pendant la mousson et la nuit. Ce sont donc des sujets exceptionnels qu’il faut quelque part mériter… Nous sommes dans un concentré de temps assez rare, du petit matin au lever du jour, et dans un lieu fermé, un bâtiment de béton, un kalari. Je travaillais avec des films de 3200 Asa pour prendre mes photos en lumière naturelle. Au flash,
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j’aurais détruit cette ambiance particulière et j’aurais agressé l’intimité du lieu en dérangeant cette séance de massages. Cet artifice aurait gommé les jeux d’ombre et de lumière et je n’aurais pas obtenu autant d’images intéressantes. C’était une chance. J’avais obtenu une bourse d’aide à la création du ministère de la Culture pour réaliser ce projet ; l’aboutissement était donc très important pour moi. Il y avait un véritable enjeu.
Pour cette séance d’entraînement de kathakali, nous sommes dans une même concentration temporelle et spatiale, pourriez-vos nous expliquer votre façon d’aborder cet espace ? Certaines images sont soulignées une fois, d’autres deux. Pour la n°14, la vision d’ensemble est maîtrisée. Il n’y a pas un détail que je n’aie pas visionné avant de déclencher l’appareil. Il y a peu de lumière et deux danseurs sont en mouvement. Au second plan, les différentes scènes et leurs personnages sont nets et organisés dans le champ visuel. C’est un exercice difficile de développer une vision globale de l’espace car l’œil est souvent attiré par un visage, un détail … En fait, pour réussir une photo, il faut que toute la scène entre dans la construction. Il est nécessaire de s’entraîner comme le pianiste qui fait des gammes mais aussi de savoir se concentrer pour capter, dans l’instant, une vision cadrée de l’image. De plus, travailler en panoramique est encore plus complexe ; c’est quasiment une double photo qui requiert un regard latéral pour saisir l’ensemble des informations.
Au fil des années, sur une même planche, pouvez-vous effectuer de nouvelles sélections ? Je prends l’exemple de cette série de paysages panoramiques réalisés en Inde, en 2001, où quelques photos sont prises en mode 24X36. A la relecture, je ne prêtais attention qu’aux panoramiques qui présentent d’ailleurs ici peu d’intérêt. Je n’ai vraiment découvert l’image de l’enfant dans les bras de sa mère, que cinq ans plus tard. Autre exemple : la planche 292. La photo n°8 fait partie des cadeaux. En cheminant, nous arrivons au bord d’une rizière où des enfants jouent. Mon arrivée les interrompt ; ils m’observent et se rapprochent. Le temps d’apprivoiser ma présence et un jeu s’installe avec l’objectif. Ils m’offrent tout-à-coup cette composition que j’ai pu réaliser au bon moment. Dans le village de Morgade, Portugal > 22
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Depuis, dans une lecture plus récente, j’ai sélectionné la n°14. Dans l’angle gauche, en y prêtant attention, il y a un groupe d’individus qui, aujourd’hui, m’intéresse. J’ai aussi ajouté un trait rouge à l’accident photographique qui lui succède. Je présenterai peut-être cette image un jour. Au final, nous ne sommes jamais certains du choix dans une série de ce type. À chaque reportage, de nouvelles images retiennent mon intérêt et quelquefois, elles éliminent certaines que j’avais gardées ; sans doute parce que le niveau d’exigence s’affine. Mon rapport à l’image se modifie inévitablement sans que je m’en rende compte. Je choisissais certaines photos, il y a dix ans, que je ne veux plus montrer aujourd’hui. Il y en a aussi que j’ai faites, il y a vingt ans, que je revendique toujours comme étant les meilleures.
Le choix d’un thème peut-il induire un tri différent ? Oui, bien sûr, parce que certains thèmes transversaux provoquent une autre lecture. C’est le cas par exemple pour le livre Chiens de vie avec des textes d’Yvon Le Men, publié en 2002 aux éditions Terre de brume. J’ai repris l’ensemble de mes planches contact et j’ai, par exemple, sélectionné une image de Calcutta marquée par la présence d’un chien, que je n’avais pas gardée initialement. Dans le contexte du livre, elle devenait évidente.
Vous ne recadrez jamais vos clichés ? C’est extrêmement rare. Une photo pour moi qui n’est pas équilibrée, même en la recadrant, restera déséquilibrée.
La préférence pour tel boîtier et tel objectif devient, dans ce contexte, déterminant ? Il y a l’école du 50 mm prônée par Henri Cartier-Bresson. C’est l’objectif le moins spectaculaire qui donne le moins d’effets, adopté aussi par Raymond Depardon. Pour ma part, je travaille avec un 35 mm, un Leica, qui est le plus proche de notre vision naturelle, de l’angle de notre regard. Dans une approche instinctive de la photographie, je conseille de ne travailler qu’avec un seul objectif et un seul boîtier ; ce que je fais. Je ne suis pas perturbé par des rapports de distance différents parce que je travaille toujours à la même échelle. Avant de porter mon <Shamtivila dans le Kerala, Inde 25
appareil à l’œil, je connais déjà la distance à laquelle je vais cadrer mon sujet. Je n’aime pas être loin de la scène mais immergé, prêt à la toucher ; je n’utilise jamais de zoom. Je refuse de me cacher derrière un téléobjectif et de prendre une séquence de façon indiscrète comme d’utiliser le flash, véritable agression. C’est pour moi une histoire de déontologie. Une position que je peux défendre, parce que je suis un photographe libre. Je peux prendre le temps et je n’ai pas obligation de « produire » des images ; mes contraintes sont donc différentes. Depuis 1991, j’utilise le panoramique pour certaines scènes et paysages. Un intérêt né suite à une commande du ministère de l’Agriculture sur le projet Europe rurale. Il s’agissait d’explorer la limite territoriale, à la frontière de la mer. Le responsable, Eric Perrot, m’avait confié un Widelux, un appareil japonais avec un objectif tournant, pas très pratique à utiliser. J’ai réalisé par exemple cette image de goémoniers, dans le village d’Apúlia, au nord de Porto. C’était au mois de mai, sur une plage banale baignée par le soleil. Un groupe d’enfants et leur monitrice s’y sont installés pour la journée. En fin d’après-midi, la brume de mer s’est levée. La colonie est partie. Les paysans-pêcheurs ont commencé à converger vers la plage pour récolter le goémon. La corne de brume hurlait. C’était une ambiance incroyable, comme dans un rêve étrange voire sinistre, en parfait décalage avec ce que nous avions vécu à notre arrivée sur les lieux.
En introduisant le panoramique dans votre travail votre rapport à la photographie a-t-il été modifié ? Travailler en panoramique permet des ruptures. Les photographes sont parfois tentés de changer de format pour éviter la routine et expérimenter une autre dimension. Cette approche a changé ma pratique et ouvert d’autres horizons. L’appareil avec lequel je travaille désormais est équipé d’un télémètre et il ressemble à un « gros » Leica. Techniquement, il y a donc peu de changement ; le cadre est seulement plus allongé. Il faut, par contre, anticiper ce qui, dans une scène, impose l’usage du format panoramique. Je privilégie souvent le paysage qui se prête bien à cet exercice. Cette vision photographique permet d’élargir le regard pour appréhender l’espace dans sa globalité. J’ai réalisé ainsi, par exemple, un travail sur les sentiers douaniers en Bretagne.
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La dimension finale de l’image détermine souvent son appréhension, comment ressentez-vous ce passage de la planche contact à un tirage en grand format ? J’ai longtemps été limité dans mes étapes de lecture par le format classique, 30x40 ; celui de mon porte-folio que je tire moi-même. J’ai la chance, depuis quelques années, de présenter des tirages grand format. C’est une expérience étonnante induite par un changement de lecture. L’image est magnifiée, à tel point que je me demande parfois si j’en suis vraiment l’auteur. Le repas de battage aux douze assiettes qui symbolise la Cène, pris dans une grange en 1981 à Alturas do Barroso, a ainsi été exposé devant le retable d’une chapelle, au format 4 X 6 mètres. J’ai retrouvé la même sensation qu’en découvrant Jewish Giant at home with his parents de Diane Arbus. Elle présente un couple qui a eu un fils, un géant. Il est tellement grand qu’il est obligé de se courber sur sa canne pour se rapprocher de ses parents. Ces derniers semblent tellement étonnés d’avoir donné naissance à un pareil enfant. Il y a, pour moi, cet étonnement quand je découvre un grand tirage.
Entre un magazine et une exposition dans un centre d’art par exemple, existe-il pour vous une hiérarchie dans votre façon de montrer vos travaux ? Quelle est la meilleure destination des photos ? Un livre, une exposition, un magazine ? Est-ce plus pertinent de faire vivre des travaux dans un espace feutré ou sur la place centrale d’une ville ? La plupart des photographes rêvent d’être exposés dans un lieu où le public ne vient pas spécialement voir une exposition et peut découvrir à ce moment là des photographies. Évidemment, cette présentation ne joue pas le même rôle que celui d’une édition dans un livre ou un magazine avec un texte en écho.
Publier ne permet-il pas de restituer au plus grand nombre sa propre vision du monde ? Oui, c’est l’un des intérêts de la photographie de pouvoir montrer un monde méconnu, à travers des publications à grand tirage. C’est une forme de communication privilégiée faite sur un univers sensible. Aujourd’hui, les magazines sont devenus plus timorés pour publier des reportages. Ils favorisent peu les travaux thématiques d’auteur ou leur investissement sur le long terme. La
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tendance est à la publication de clichés spectaculaires et illustratifs, généralement en couleur, qui magnifient le monde. Des images souvent racoleuses. J’ai la chance d’être resté un photographe libre car si mes photos ne sont pas publiées dans de grands magazines, je peux continuer à vivre. Malheureusement, ce n’est pas le cas de ceux qui sont contraints d’accepter des travaux alimentaires.
Présenter ses travaux, c’est aussi s’exposer au regard de « l’autre »... Est-ce une nécessité ? Oui, il y a cette nécessité de montrer et de confronter ses travaux au regard du public qui peut les apprécier ou pas, les comprendre ou pas. Il serait dommage qu’avec un tel investissement, ce qui représente le défilement d’une vie en images reste confiné dans une boîte. Exposer génère une appréhension mais, en même temps, c’est un plaisir. Choisir de montrer une image et de travailler longuement sur une planche contact, signifie que la personnalité de l’auteur est engagée dans ce qu’il donne à voir. Si seulement quelques personnes entrent dans l’image et en retirent du sens, c’est déjà satisfaisant. Montrer, c’est prendre le risque de ne pas être compris. Chercher à faire une photo qui plaît au plus grand nombre, devient démagogique.
L’utilisation qui est faite de vos images vous questionne-t-elle parfois ? Depuis 1987, je suis représenté par l’agence Rapho qui détient une bonne partie de mes archives. J’ai débuté en présentant une série sur le Trás-os-Montes aux responsables de l’époque. Ils n’avaient jamais vu de clichés sur cette région et ils m’ont accueilli avec enthousiasme. L’année qui a suivi, mes travaux ont été publiés, sous forme de porte-folio, dans de nombreux magazines européens ; en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Hollande… Une année, l’agence m’a contacté à la demande d’une célèbre compagnie d’aviation irlandaise. Cette dernière était intéressée par une image extraite d’une série réalisée sur la communauté des tinkers. Il s’agissait d’un père, un homme imposant, qui tenait dans ses bras un bébé et son chiot. Une photo prise au pied du Croagh Patrick, au moment du pèlerinage. La compagnie souhaitait l’utiliser pour une campagne publicitaire avec l’idée de mettre en avant « une Irlande puissante ».
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Gagner de l’argent avec une prise de vue offerte par un homme qui vivait certainement chichement, me dérangeait. Ceci dit, je pouvais reverser une partie des droits à cet homme. La compagnie me demandait seulement son accord pour la publication. Dans l’impossibilité de le retrouver, le projet n’a pas été concrétisé. J’étais soulagé.
En 1989, avec votre travail sur le Trás-os-Montes, vous avez été finaliste du Prix W.Eugène Smith à New-York. Que représente ce photographe pour vous ? W. Eugène Smith est un photographe modèle, au-delà même du fait qu’il tirait lui-même ses photos par exigence, soucieux de la qualité des gammes de gris. Il défendait les principes d’un engagement social du photographe qu’il poussait à l’extrême dans les sujets qu’il choisissait. Plusieurs travaux m’apparaissent exemplaires. En 1954, il publiait un essai sur le docteur Albert Schweitzer, fondateur d’un hôpital africain pour lépreux, à Lambaréné. Il avait séjourné longtemps dans ce lieu. En 1951, le magazine américain Life publiait Spanish Village ; dix-sept clichés, dont celui aujourd’hui célèbre de la veillée funèbre. J’ai retrouvé au Portugal l’atmosphère de ce travail mené dans ce village espagnol de Deleitosa. Ce sont des images qui ne peuvent être faites que lorsque le photographe sait passer du temps au cœur d’une communauté. Dans les articles de presse consacrés à mes travaux, mes séries sur le Trás-os-Montes ont souvent été apparentées à ce reportage. Le troisième sujet qui m’a bouleversé, est son témoignage photographique sur un village de pêcheurs japonais de la baie de Minamata. Un petit port touché par la pollution au mercure. Je pourrais évoquer la photographie de cette mère baignant sa fille lourdement handicapée, Tomoko dans son bain, prise en 1972. Il a permis aux victimes de se défendre contre l’usine chimique qui, en polluant les eaux de pêche, contaminait la chaîne alimentaire et rendait les enfants infirmes de naissance. En soutenant les villageois dans leur lutte, la puissance de son témoignage photographique était telle, qu’il gênait la logique productiviste d’une usine sans foi ni loi.
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L’engagement d’Eugène Smith est social mais aussi politique, revendiquez-vous cette attitude ? Oui, il y a forcément du politique dans mon travail même si je n’y mets pas d’étiquette. Ce qui est nouveau est très souvent considéré comme meilleur que l’ancien. Une civilisation accomplie devrait s’appuyer sur ce qu’hier offrait de meilleur et sur ce qu’aujourd’hui permet d’améliorer, dans le respect des équilibres humains et environnementaux. Pollution, surproduction, surconsommation … la société actuelle développe un individualisme forcené, destructeur. Il y avait de vraies leçons de civilisation à tirer de la vie communautaire du Trás-os-Montes; des leçons de partage, de solidarité et d’entraide.
Dans cette approche humaniste, le rôle joué par la littérature est-il pour vous une clef d’entrée ? Dans mes sujets photographiques, j’ai toujours cherché à découvrir la littérature liée au pays visité. Ce fut le cas pour le Portugal avec Miguel Torga ; une découverte qui s’est prolongée par une rencontre. Son œuvre m’a nourri, imprégné. Elle m’a permis d’aborder, d’une façon approfondie, la culture du Trás-os-Montes. Il est l’auteur d’un journal qui, au Portugal, dans sa version intégrale, représente une dizaine de tomes. Des extraits de 1933 à 1977 ont été publiés en France par Aubier Montaigne. En franchise intérieure est un livre majeur, de même que Portugal, des textes de référence sur chacune des régions de ce pays. L’écrivain s’est passionné pour les terroirs du Portugal et en particulier pour le Trás-os-Montes. Il était né dans le village de São Martinho de Anta, au sud de cette région. L’auteur a parcouru à pied le territoire portugais. Il le découvrait, au rythme du photographe, à pas lents et en parlant avec les gens. Issu d’une famille paysanne pauvre, il a beaucoup pratiqué en tant que médecin de campagne. Dans son cabinet médical à Coïmbra, il y avait des montagnes de livres et de médicaments. C’est là qu’il écrivait ses ouvrages. Comme tous les Portugais cultivés de cette époque, il était francophone. Nous avons publié ensemble un premier livre, Trás-os-Montes, en 1984, avec une co-édition portugaise qui a été un succès de librairie au Portugal. Pour les gens des villes, de Porto ou de Lisbonne, c’était une terre méconnue.
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Comment réagissait l’écrivain Miguel Torga devant vos photos ? Il était troublé en découvrant, dans mes portraits, des personnages qu’il avait tant de fois rencontrés. Je crois qu’il était athée mais touché par les rituels qui construisent une civilisation rurale. C’était ce type d’images qu’il appréciait ; celle de ce repas de battage aux douze assiettes par exemple. Il nous a invités dans son village natal où nous avons passé trois jours. Avec l’argent de ses publications, il y avait construit une école. Lorsqu’il était de retour au village, les familles sollicitaient des consultations. Il les recevait gratuitement dans sa salle à manger. C’était un personnage exceptionnel. C’est une chance pour un photographe de rencontrer des personnalités de cette trempe qui viennent nourrir un travail.
En Irlande, quel auteur vous a accompagné ? De la même façon, quand j’ai commencé à travailler sur l’Irlande, je me suis intéressé à la littérature de ce pays et j’ai découvert les écrits de John Mac Gahern. A l’occasion d’un voyage, en juin 1995, je l’ai contacté ; il nous a invités à venir le voir et nous a réservé un accueil chaleureux. Il nous avait donné rendez-vous dans le pub d’un petit village voisin de la ferme familiale. Un pub qui vendait des cercueils ; étonnant… très irlandais… Dans cette odeur de bière et d’encaustique, s’est nouée une relation de confiance. Dans le sac de Madeline, sa compagne longtemps photographe à New-York, il y avait le livre En franchise intérieure de Miguel Torga. Une coïncidence qui scellait notre rencontre sous des auspices prometteurs. Ils nous ont conduit chez eux. Nous avons longé un lac avec des cygnes qui nichaient dans les roseaux. Ils habitaient au bout d’un chemin de terre, dans une petite ferme avec quelques vaches ; une vie rustique, simple et rurale qu’ils avaient souhaitée. John Mac Gahern écrivait dans sa cuisine, c’était là qu’il disait être le mieux pour écrire. Madeline faisait de délicieuses confitures. Cet écrivain célèbre qui vivait à Dublin avait trouvé dans ce comté de Leitrim, l’isolement pour se consacrer à l’écriture. En 2006, un entrefilet dans la presse, annonçait sa disparition. L’aspect sociologique de son œuvre est, pour moi, d’un grand intérêt. Cet écrivain relate les traumatismes d’une société marquée par un catholicisme qui a enfermé la jeunesse dans des carcans de valeur ; ce dont lui-même a souffert dans son enfance. Un constat qu’il exprime dans Journée d’Adieu, publié en 1974 ou L’Obscur, en 1980 ou encore Entre toutes les femmes,
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en 1990. Dans La caserne, publié en 1963, il raconte la vie dans une caserne de gendarmerie à travers le regard d’une femme qui lutte contre un cancer. Il n’y avait pas de rapport direct avec les sujets que j’ai photographiés, mais me nourrir de l’œuvre d’un écrivain vivant au cœur des mondes côtoyés me préparait à l’imprégnation.
En Inde, quelles rencontres ont été déterminantes ? En 1993, pour notre premier voyage, Roland et Sabrina Michaud, couple mythique de l’agence Rapho, nous ont initiés à l’Inde. Photographes-voyageurs, ils ont parcouru l’Afghanistan pendant quatorze ans, de 1964 à 1978, avant l’invasion soviétique. Ils ont publié de nombreux ouvrages sur l’Orient. Dans le cadre d’un voyage de six mois qu’ils menaient en Inde, ils nous ont proposé de les retrouver à Delhi. Nous avons parcouru le nord du pays en leur compagnie. Une pérégrination de sept semaines marquée par une étape à Bénarès et Calcutta. Ils nous ont fait partager leur connaissance érudite des civilisations indiennes. Des moments intenses qui ont tissé les liens d’une amitié fraternelle. En Inde, il y a une autre découverte marquante, celle du livre L’odeur de L’Inde de Pier Paolo Pasolini. Il s’agit du récit d’un voyage qu’il effectuait, en 1961, avec Alberto Moravia et Elsa Morante. Aucun n’était jamais allé en Inde. Ils sont arrivés à Bombay et repartis de Calcutta. L’auteur restitue tout ce que l’Inde peut provoquer comme bouleversements et ravissements pour celui qui découvre ce pays pour la première fois. Cette narration a été une trame pour mes voyages. Mon rêve aurait été de publier mes photos de l’Inde avec ce texte de Pasolini.
Vous évoquez les écrits de Pier Paolo Pasolini mais, avant l’écrivain, c’est au cinéaste qu’on pense. Enfant, vous dites avoir été marqué par le film du Livre de la Jungle, version 1942, tourné par Alexander Korda, le cinéma a-t-il influencé votre manière d’appréhender ce pays ? Certainement, il y a huit films documentaires réalisés par Louis Malle, L’Inde fantôme et Calcutta que j’ai souvent visionnés. D’ailleurs Pier Paolo Pasolini a tourné un certain nombre de documentaires non diffusés, qu’il me plairait de découvrir. J’ai eu aussi l’occasion de lire des écrits du maître du cinéma de Calcutta, Satyajit Ray. En 1958, il réalisait un chef-d’oeuvre Le salon de musique. Il a aussi
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rédigé des nouvelles sur le Bengale, la région de mon premier séjour. Satyajit Ray ayant disparu en 1992, nous avons rendu visite à son photographe de plateau, Nemai Gosh, à Calcutta. Il est l’auteur d’une photo-biographie du réalisateur et écrivain, préfacée par Henri Cartier-Bresson. Nous avons passé une soirée avec lui et je l’ai photographié sous le portrait qu’il avait réalisé du cinéaste. Je ne voudrais pas non plus oublier la pensée de Gandhi qui continue de me guider. En fait, j’ai toujours fonctionné par cycles de lecture. Plus jeune, Walden ou la vie dans les bois, publié par l’Américain Henry David Thoreau, en 1854, m’a impressionné. Pour vivre une vie proche de la nature, il s’était installé dans une cabane sans confort construite dans un bois. C’est là, qu’il avait développé sa pensée fondée sur la simplicité, la nature et le réalisme. Il est à l’origine de la désobéissance civile qui a influencé Gandhi et Martin Luther King. A une autre époque, j’ai lu À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust ; une découverte littéraire émouvante pour moi. En effet, je suis né le 4 mars 1934 en Eureet-Loire, dans le petit village de Brou, à 10 km d’Illiers-Combray, lieu d’enfance de l’écrivain et source de ce roman. L’appartenance à cette terre a définitivement imprégné ma sensibilité. Je ressens toujours une certaine appréhension face à la mutation de notre société dans laquelle il nous faut courir tellement vite pour essayer de s’adapter. La société rurale, un monde plus lent avec des règles du jeu plus vite repérables, présente pour moi un mode de fonctionnement rassurant. Dans l’univers des paysans du Trás-os-Montes, il n’y a aucun laissé-pour-compte. Tout le monde est pauvre mais personne n’est misérable et là, est la différence. Si les objets de consommation sont absents, chacun est logé et nourri ; personne ne souffre de solitude et personne n’est abandonné en chemin. Ce sont des valeurs que l’écrivain Albert Camus savait aussi défendre, animé par la révolte.
Vous mentionnez la révolte d’Albert Camus, mais dans vos photos celle-ci ne transparaît pas ? C’est vrai, si mes photos sont douces, je reste un homme révolté par les glissements pervers et une certaine décadence de notre société. Celle-ci est complaisante face à la violence qui devient omniprésente. Je crois que cette attitude est contagieuse et vecteur de dégradation sociale.
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Est-ce pour éviter cette « contagion » que vous ne photographiez aucune scène de violence ? Oui, ces scènes existent mais je me sens proche d’Edouard Boubat que Jacques Prévert surnommait « le correspondant de paix ». Il savait véhiculer la tendresse et le banal merveilleux qui, par leur magie, nous font rêver. Il avait le sens du presque rien qui peut toucher beaucoup. Être positif sur l’humanité n’est pas très marchand car nous sommes à l’ère du choc des photos. Je veux croire en l’humanité. Sebastião Salgado expliquait qu’au cœur même de la violence quotidienne, il existait des instants de bonheur intense. Évoquant sa rencontre avec les réfugiés du Soudan, il disait : « Il y avait des instants très drôles, on riait, les enfants jouaient, oui, même en mourant de faim, j’ai vu des enfants qui continuaient à jouer. J’ai vu une scène d’amour incroyable entre un couple sur le point de mourir, il y avait une intensité de regard et de gestes, et la lumière était aussi belle que le paysage environnant ». L’homme a besoin de tendresse, de douceur et de solidarité surtout dans les pires moments. Sebastião Salgado est un homme très positif qui témoigne des scandales humains tout en gardant la foi en l’homme. Il témoigne des errements, des monstruosités de l’exil ou des formes de travail comme dans les mines d’or de la Serra Pelada, au Brésil. Elles sont spectaculairement belles sur le plan photographique mais terribles humainement. Il montre cette réalité de façon presque biblique, ce qui lui est parfois reproché, mais c’est un témoin rare qui sait montrer, en noir et blanc, différentes facettes du monde.
Il dit ne pas avoir le même rapport au temps que « les équipes de télévision qui partent si vite qu’elles ne peuvent pas voir ce qui se passe ». Cette relation est pour vous essentielle dans la conduite que vous défendez ? Exactement, et c’est pour cela que j’apprécie cette famille de photographes. Lorsqu’ils réalisent un sujet, ils le font de l’intérieur et savent passer du temps pour être dans l’intimité du sujet. Le travail de Sebastião Salgado qui m’a le plus frappé, a été publié dans le livre Autres Amériques, aux éditions Contrejour, en 1986. Originaire d’Amérique latine, il a pris le temps de montrer ce continent. Il faut vivre avec les gens pour prendre ce genre d’images. C’est aussi une très belle leçon d’humanisme. C’est drôle, j’ai aussi, comme lui, souvent photographié des frères, des doubles… Il a cette même fascination pour les fratries.
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« Être photographe, c’est être un peu comme ces anciens voyageurs qui allaient de ville en ville pour raconter des histoires ; ils les entendaient d’un côté et les rapportaient de l’autre. » Êtes-vous ce passeur que décrit Sebastião Salgado ? Oui certainement, dans la mesure où la photographie témoigne d’une situation qui nous trouble et que nous faisons le choix de la montrer dans une exposition ou dans un livre, nous devenons passeur d’un événement que nous transmettons à celui qui regarde. C’est le cas par exemple pour Josef Koudelka. Son premier travail connu traduit le comportement de la population face à l’armée russe occupant Prague, mais c’est celui sur les populations tziganes de Tchécoslovaquie qui l’a fait connaître. Publié chez Delpire, avec un titre très juste, Gitans : La fin du voyage, j’ai souvent regardé ce livre. Lui aussi était frappé par la vie de cette communauté ; un monde d’exclus que la société contemporaine veut gommer dans son particularisme. Vouloir sédentariser les sociétés nomades, c’est détruire ces civilisations. Cette ultime liberté devient difficile à défendre. Les tinkers d’Irlande connaissent cette dure réalité. Classifier les gens par catégories permet de mieux les retrouver. Au milieu des années 70, Josef Koudelka est devenu lui-même nomade. Il partait avec son sac à dos et son sac de couchage. Il a mené une vie d’errance, dépouillée, pour être au cœur des choses. Il a su saisir des moments étranges et rarement présentés, en observant avec une attention infinie et un sens de l’image incroyable. Ce sont des poèmes tristes.
Des poèmes tristes que vous apparentez à l’univers de l’Argentin Sergio Larrain... C’est aussi un photographe de l’agence Magnum, très peu publié. Je ne connais que deux livres, l’un sur Valparaiso et l’autre sur Londres, publiés aux éditions Hazan. Le petit livre de Valparaiso, édité en 1991, est d’apparence très modeste avec une mise en page soignée. Il est accompagné d’un texte de Pablo Neruda ; l’écrivain avec lequel il a souvent arpenté le port, de jour comme de nuit. Sergio Larrain a un sens particulier de l’image, avec un grain très présent. Il travaille souvent dans des lumières difficiles. Ce sont en effet des poèmes tristes… des solitudes de port… des images fortes qui offrent une lecture immédiate puis, une seconde, toute en finesse. Il fait partie des
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photographes qui publient peu mais de façon exemplaire. La force de telles images marque l’histoire de la photographie parce qu’elles sont rares. En fait, c’est comme si ces photographes confidentiels entraient dans notre intimité.
Ce cheminement au cœur des sociétés marginalisées, vous touche particulièrement ? Oui, c’est un rôle de mémoire qui est aussi affectif. Les photographes que je viens d’évoquer ont aimé le monde qu’ils photographiaient, en sachant qu’il était en danger. Il y avait un rapport d’admiration et d’affection, c’est pour moi essentiel. Au début du 20ème siècle, Edward Sheriff Curtis a passé une quarantaine d’années à immortaliser les tribus indiennes et leurs chefs. Il est leur mémoire. Ces images sont une leçon de photographie tant la démarche est poussée à l’extrême comme celle d’Eugène Smith. J’ai lu l’ouvrage Pieds nus sur la terre sacrée, écrit par l’universitaire américain T-C Mc Luhan. Ce dernier a collecté les paroles indiennes. Il aborde la façon dont ces hommes percevaient le monde matérialiste des occidentaux à travers leur propre culture. C’était l’exemple d’une civilisation qui vivait de la nature et en respectait les rythmes et les saisons, en harmonie. L’occident l’a méprisée sans aucune curiosité et l’a détruite sans essayer de la comprendre. Il a fallu des gens de cette trempe pour l’admirer et la réhabiliter.
Cette transmission d’un message est-elle une responsabilité pour le photographe ? Il ne faut jamais tricher mais être sincère et prendre une photo parce qu’elle transmet bien ce qui nous touche. Dans ce cas, il n’y a aucun problème. Je ne peux faire des prises de vue intéressantes que sur des sujets pour lesquels j’ai de l’empathie. J’ai essayé de travailler sur le monde de la chasse en Ille-et-Vilaine et les battues au renard. Comme j’étais en désaccord avec ces pratiques, j’ai préféré arrêter. Je me suis ensuite intéressé à l’entraînement des chiens de garde. J’étais horrifié de voir ces bêtes dressées à l’attaque devant des personnes tenant un revolver pour simuler un agresseur. Je n’ai pas pu photographier ce que je trouvais choquant. D’ailleurs, si j’ai longtemps travaillé sur le Trás-os-Montes, c’est parce que j’ai découvert une société communautaire et solidaire qui savait partager la rudesse de la vie pour la rendre vivable. J’y ai appris beaucoup sur les valeurs de la vie.
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Pourquoi parler de la société rurale du Trás-os-Montes au passé ? Dans mon dernier voyage au Trás-os-Montes, en 2006, j’ai constaté que les villages se dépeuplaient, les écoles fermaient, les fours à pain ne fonctionnaient presque plus. Les champs de seigle qui dessinaient un paysage à l’échelle humaine, étaient abandonnés. C’est une civilisation rurale dans sa globalité qui disparaît. Un phénomène planétaire où la moitié de l’humanité vit dans les villes et est fragilisée du point de vue de l’approvisionnement alimentaire. Nous devenons dépendants des multinationales ; ce ne sont plus des paysans qui nous nourrissent. La destruction écologique fait partie de mes préoccupations et c’est pour cela que le Trás-os-Montes m’a séduit. Nous avions un exemple vivant d’une vie écologique sans que le mot n’existe pour eux. Ils faisaient de l’agriculture biologique sans le savoir ; une agriculture qui respectait les grands cycles de la vie, de la terre et de la chaîne alimentaire. Ce n’était pas de la production marchande mais vivrière.
Continuez-vous à photographier cette communauté rurale en mutation ? J’ai commencé à le faire mais c’est douloureux. Ce sont désormais des mondes sans vie alors qu’auparavant, en toutes saisons, ils étaient animés. Le dernier voyage que j’ai effectué était triste. J’ai fait quelques images mais je ne sais pas quel peut être leur intérêt. Là où j’avais photographié des enfants sortant de l’école, poussent des herbes folles. L’école est fermée depuis dix ans et elle semble minuscule dans ce village désert. Je préfère désormais travailler sur les immigrés de retour car ce thème est encore lié à la vie. Quand il n’y a plus la vie, il ne reste que les souvenirs et c’est dur. Je ne vois pas comment cette société pourrait renaître. Ces villages deviendront peut-être des lieux pittoresques aménagés pour les touristes, à moins qu’ils ne disparaissent définitivement à la mort des derniers habitants. Il semble qu’il y ait une volonté dans la région de créer des lieux d’habitation rurale et touristiques dans des maisons restaurées. Est-ce que cela est bien ? Je l’ignore. La dimension humaine ne sera plus la même. Il y a un texte du peintre Maurice de Vlaminck, « Ceci est mon testament » que je trouve très juste. Un texte d’une grande subtilité, écrit en 1956, deux ans avant sa mort. Il avait alors 80 ans. Il explique : « Je plains ceux qui n’ont pas connu la misère et ceux qui n’ont pas pu s’en sortir par leurs propres moyens ». Il ajoute :
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« La misère laisse une empreinte profonde ». Je pense en effet que la vie matérielle pénible laisse une empreinte profonde. Mario Giacomelli, photographe italien dont je me sens très proche, exprime avec presque les mêmes mots ce vécu qui lui a permis de nourrir sa sensibilité. Ce personnage fascinant nous a laissé quelques beaux ouvrages dont une importante monographie publiée aux éditions Phaidon. Né à Sénigallia en 1925, dans une famille pauvre, il a découvert la photographie par l’imprimerie. Il utilisait un moyen format 6X9, des années 30, avec un cache pour le réduire au 6X8. Il consacrait son temps à saisir des univers singuliers. Il disait « Je ne cherche pas à illustrer, je raconte ». Il a été l’un des premiers à montrer des photos vues du ciel. Il photographiait des paysages de neige en Italie, des champs travaillés par des agriculteurs qui labouraient selon ses indications. Un précurseur du Land Art. Il a aussi abordé le thème de la vieillesse, les maisons de retraite, les fins de vie. Inventif, il a photographié les ballets visuels des séminaristes qui se battaient dans la neige.
« La photo c’est comme une cicatrice, une chair qui a été ouverte et qui s’est ensuite cicatrisée mais pourrait se rouvrir », expliquait Mario Giacomelli. Est-ce cette porosité du ressenti qui nourrit l’image ? C’est une attention, une sensibilité à la peine de l’autre qui ne cicatrise jamais. Il n’existe aucun rempart, aucune défense devant cet autre monde pour celui qui a réussi mais a rencontré, à des niveaux différents, les mêmes obstacles. J’ai gardé cette possible proximité avec des gens de condition extrêmement modeste. Je peux vivre bien dans un monde dépouillé et me sentir à l’aise et proche parce que j’ai connu, un temps, une vie rudimentaire ; avec mes parents déjà. Je sais que cela n’a pas que des inconvénients. Globalement, les gens de condition modeste m’émeuvent plus que les autres ; leur simplicité me touche.
Ce désir d’un monde plus dépouillé, se traduit-il dans votre démarche photographique ? Oui, peut être… mes derniers travaux s’orientent en effet vers plus de dépouillement. Il y a moins de scènes posées. Je m’inscris plus dans la « prise de risque », plus attentif à la rareté de certaines images qui sont aussi plus périlleuses à saisir. J’ai
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parcouru un assez long chemin, en images, et je possède aujourd’hui suffisamment d’archives pour me permettre de revenir d’un voyage avec moins d’épreuves mais de privilégier les plus surprenantes.
« Ce qui est montré ici, c’est la mémoire de ce qui s’est passé devant mes yeux. Ce qui se passe derrière vos yeux est privé et depuis 1974, dans mes dernières photos, j’ai plutôt essayé de montrer ce qui s’est passé derrière mes yeux. », exprimait Robert Franck lors de sa rétrospective, au centre national de la photographie, en 1986. Oui, c’est un peu ça… Au fil du temps, j’ai emmagasiné un grand nombre de travaux documentaires et aujourd’hui, je peux me permettre d’explorer des possibilités de la photographie qui ne reposent pas sur la netteté d’une information mais sur des climats. C’est une disponibilité plus grande à l’imprévu visuel. Inévitablement, en affinant le regard, les cadrages, la maîtrise de la lumière… se fait jour l’envie de créer des images plus abstraites. Parce que ce sont des captures de lumière, des jeux de ligne, le regard glisse progressivement vers un autre état sans en avoir vraiment conscience. Il ne s’agit plus de photographie documentaire mais de photographie, tout simplement.
Cette facette de votre travail est peu connue, est-ce parce que vous ne vous autorisez pas à la montrer ? C’est une étape qui est venue progressivement par surprises photographiques. Dans certaines situations, j’étais tenté de créer ce type d’image. Dans mes débuts, il n’y avait pas ce besoin. Très vite, le photographe est classé comme un « reporter » lorsque ses travaux s’apparentent au reportage. Pour ma part, je revendique d’être un photographe-auteur. Il y a bien sûr un aspect documentaire mais bien autre chose aussi. La photographie permet d’exprimer ses impressions sur le monde. Ce sont des points de vue où le regard peut être ébloui par l’inattendu. Je prends cette image réalisée depuis un rickshaw en Inde, pendant la mousson. Depuis cet espace protégé, à travers un pare-brise mouillé, se dessinent des lignes avec le vol étonnant d’ un oiseau, au-dessus d’un toit à peine esquissé. Cet instant est magique parce qu’improbable et fugitif. C’est un état d’attention, une disponibilité à l’imprévu, à l’instant même où se pose le regard mais c’est aussi un réflexe, celui d’appuyer sur le déclencheur au bon moment… c’est tout !
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C’est quoi pour vous la « bonne », la « meilleure » photo , une notion que vous évoquez souvent ? La meilleure photo est celle qui nous ressemble le plus, en fait. A chaque fois, c’est un autoportrait. Avec le temps, l’instinctif se développe. Il faut simplement maîtriser la technique pour l’oublier, sentir la lumière et avoir un sens du cadrage. Elle est meilleure quand elle n’est pas réfléchie mais ressentie avant même de porter l’appareil à l’œil et de déclencher. C’est sans doute l’expérience qui le permet. Il faut être absolument sincère. Si la photo n’a pas été prise dans un élan de sincérité où le photographe a été lui-même touché par son sujet, son image n’aura que peu d’impact sur le spectateur. Elle sera maniérée, réfléchie, exécutée à la manière de… donc fausse. Il faut simplement savoir lâcher prise ; la pellicule saisit alors ce que l’œil a pressenti.
Ces photographies de l’accident sont des paysages intérieurs ? Ce sont des états d’âme, oui…
Des poèmes tristes ? Oui, et je ne sais pas si cela est rassurant ou réconfortant. C’est en effet mon monde intérieur. Nous ne sommes ni dans la gaieté ni dans l’infinie tristesse mais dans la nostalgie du temps qui passe… oui, certainement.
Sources Propos de Robert Franck et de Sebastião Salgado in : Neuf entretiens avec des photographes de Patrick Rogiers. Ed. Paris Audiovisuel, 1998 Propos de Mario Giacomelli in : - Mario Giacomelli, Vintages 1954-1965, catalogue de la galerie Berthet Aittouares/ Paris, 2001 - Photo-Poche n°19 (2001)
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Enfances agraires L’enfance, un sujet troublant qui fait écho à l’enfant devenu adulte. Être né en Eure-et-Loir d’un père artisan horloger qui nourrissait un ailleurs, une passion pour les perruches d’Australie. Des origines campagnardes plus que rurales dans le petit village de Brou. Dans la lente progression des saisons, autant de repères qui jalonnent un chemin de vie.
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Bestiaire d’hommes Un temps où l’homme et l’animal sont en symbiose. Bestiaire domestiqué ou panthéon honoré… pour l’œil photographique, un fondu enchaîné singulier.
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Chemins d’eau Eau de source, de mer, de pluie… mortes eaux, eaux usées … quelle que soit l’appartenance sociale, chaque journée débute par une goutte d’eau versée.
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Champs et sillons A la recherche d’un temps perdu, cadrage serré et vision panoramique, un voyage photographique en quête d’une simplicité rustique, images d’un monde à hauteur d’homme. Sillonner le terreau des cultures traditionnelles pour questionner le fil des saisons. Apprivoiser du regard les paysages façonnés qui livrent, en héritage, des récits de vie rurale.
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Retrouvailles Simplicité et gaieté des pauses festives calendaires. Des pratiques qui s’effacent progressivement des activités collectives partagées.
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Peaux d’âmes Bénarès, Calcutta… Un premier séjour qui marque. Impressions d’une fin d’après-midi. Un hôtel sommaire, peu attrayant. En surimpression, les images révélées par Mère Teresa. Dans la ville, partout le chaos et le bruit, la foule… des milliers de personnes dorment dans la rue, des familles, des enfants … Le choc qui déroute. Partir ou rester ? Le dilemme ! Errer de découvertes en étonnements. Pourtant, dans la dureté ambiante, la vie sait exprimer sa joie et magnifier le corps jusque dans sa nudité sans tabou.
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Couples en regard Une présence discrète hors du champ photographique. Aux côtés de Georges, le compagnonnage de Christine. Le couple, un duo qui rassure et met en confiance. Les portes s’ouvrent, les liens se tissent. Les histoires se livrent, en regard...
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Intimités A l’intérieur des mondes et mondes intérieurs. Ici, la rusticité rare et somptueuse des maisons où les paysans fabriquaient les objets qui leur ressemblaient. Ouvertures étroites et faisceaux de lumière : la peinture flamande en mémoire. Là, images en pèlerinage.
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Intuitions Évocation, suggestion… trouble de l’instant. Montrer peu mais effleurer par accident le climat des intuitions.
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LEGENDES Enfances agraires P.43- Alturas do Barroso / Trás-os-Montes / Portugal / Décembre 1983 Semaine d’avant Noël. Dans ce village de montagne, « la tuaille » des cochons ou matança do porco. Des cours humides où, dans la brume, se préparent les réserves de l’année. La saisie d’un instant entre plusieurs possibles : le regard d’un jeune berger. P.45- Telhado / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / Février 1983 Au sommet d’une colline, Telhado, « le toit » en portugais. Les enfants sortent de classe. Dans un désordre en mouvement se compose l’image. Sur l’aire de terre battue, une scène villageoise à la Brueghel. P.46- Telhado / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / Février 1983 Des écoliers portant la croça, ancestrale cape de seigle ; dessous, le skaï et le nylon. Des enfants d’Europe, en 1983, qui sortent de l’école. P.47- Vilarinho Seco / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / Décembre 1983 Flâner jusqu’à la nuit tombée, diaphragme ouvert aux rencontres. La première neige installe l’hiver. Sous leur cape de feutre taillée pour le froid, deux paires d’yeux curieux. Beauté simple du vêtement comme une épure. Les flocons impriment leur mystère sur le visage de l’enfance. P.48- Wesport / comté de Mayo / Irlande / Avril 1996 Le seuil domestique de la caravane. Chez les tinkers, la ferblanterie est tradition avec l’étain ou tin. Des hommes attablés devant un verre de bière jouent aux cartes. Un bébé joue sur le lit. Une main posée ; trois petites filles et un sourire d’enfant qui s’incline dans un rayon de lumière blonde. Par la fenêtre embuée, un muret de pierre continue sa route...
P.49- Le Canvey / comté de Mayo / Irlande / Juillet 1994 Travellers plutôt que tinkers, ils délaissent le travail de l’étain pour l’élevage itinérant des chevaux. Au pied du Croagh Patrick, sur l’immense dune de la baie de Clew, campe un rassemblement de tinkers, pèlerins en attente d’honorer le saint patron de l’Irlande. P.50-51- Shantivila / Kerala / Inde / Août 2001 Une chambre d’hôtes tenue par Maryse, Québécoise devenue Indienne par passion des arts. En fin d’après-midi, une promenade dans les rizières et soudain, une envolée d’enfants. P.52- Fafião / Serra do Gerês / Trás-os-Montes / Portugal / mars 1991 « La ruralité et la frontière », une mission confiée par le ministère de l’agriculture français. Sillonner le Trás-os-Montes en compagnie d’une équipe de vétérinaires, en charge de vacciner les ovins. Rassemblés dans l’attente, des hommes et leurs bêtes. Des jambes, des bras et des mains... et soudain, trois générations de bergers réunies. En regard, la main d’un père et d’un grand-père dans la filiation du geste.
Bestiaire d’hommes P.54- Agrelos / Serra do Barroso/ Trás-osMontes / Portugal / Août 1981 Les rues se resserrent entre les maisons de granit où s’agrippe la vigne haute. Par une modeste croisée, une femme fait un signe. Invitation à partager un verre de ce vin âpre. Réflexe de photographe pour une image sollicitée. Sur le lit, mère et fille se posent. Simplement mises, elles offrent en conscience ce qu’elles ont de plus cher : leur noblesse d’âme. P.55- Frades / Serra do Larouco / Trás-osMontes / Portugal / Août 1981 L’ombre de Lewis Caroll sur le portrait d’un
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enfant. Une coïncidence ... la pose offerte de celle qui livre sa grâce habillée avec la complicité timide d’un regard. Gueule ouverte et pattes blanches, un chien presque renard passe. Un de ces chiens sans race qui, le jour, suivent les troupeaux et, le soir, s’allongent près de l’âtre. P.56- Brou / Eure-et-Loir / septembre 2002 Regard photographique du fils. Une scène intime devenue quotidienne se révèle. Assise sur le lit, Edith Dussaud se confie à son chat, compagnon des solitudes. P.57- Calcutta / West Bengal / Inde / Novembre 1993 Un petit matin sur les bords de l’Hoogly, un bras du delta du Gange. Une voie ferrée, communication de la ville à la banlieue. La blancheur embrumée des ghats, rives du fleuve, où s’esquissent les rites d’une immersion matinale. En Inde, cohabitent tous les possibles. P.59- Croagh Patrick / comté de Mayo / Irlande / Juillet 1994 Quarante jours et quarante nuits à jeûner, avec la baie de Clew au pied du mont. Patrick devenait le saint patron de l’Irlande. Le Croagh Patrick est depuis lieu de pèlerinage et de mortification populaire. Chaque dernier dimanche de juillet, des milliers d’Irlandais gravissent les 765 mètres qui les séparent du sommet. Ils avancent pieds nus dans les éboulis avec un bâton de pèlerin. P. 60-61- Guruvayur / Kerala / Inde / Août 2001 Des éléphants soignés pour les usages du temple. En posant sa trompe sur la tête de l’enfant présenté par la mère, il l’adresse à Ganesh. Dieu à tête d’éléphant, fils de Shiva et Parvati, est le protecteur des enfants et du foyer. Il est l’instructeur universel, garant du savoir et de la connaissance.
Chemins d’eau P.64- Nedumpura / Kerala / Inde / Août 1999 La mousson. Humidité plastiquement sensuelle. Un mouillé drapé dans la grâce d’un geste. A la sortie d’un bassin domestique, jeu de l’instant où se révèlent de futures adolescentes, déjà femmes. P.65- Calcutta / West Bengal / Inde / 1993 En Inde, l’eau est présence et l’ablution du matin, rituel. Parfois, à l’écart du chaos de la rue, au détour d’un jardin, un bassin offre des plaisirs rieurs. P.66-67- Apúlia / Minho / Portugal / 1991 Du goémon sur brancard, séché et broyé, amendera les terres sableuses des maraîchers. P.68- Nedumpura / Kerala / Inde / 2001 A bras le corps, dans les mains d’une mère, son enfant. Dans les plis de sa chair potelée, se lit la tendresse du massage. P.69- Nedumpura / Kerala / Inde / Août 1999 Sous un ciel de mousson, le geste délicat d’une enfant s’offre à la nuit tombante. Une feuille de lotus, réceptacle de quelques perles d’eau. P.70-71- Inch / Dingle / comté de Kerry / Irlande / 1992 Scène de pêche au lancer. Des lignes en ponctuation d’ombres sur un sable de lumière. P.72- Pollatomish / comté de Mayo / Irlande / 1992 Un lieu sauvage et en bout de monde, un estuaire. Une mer de ciel offre à l’œil l’illusion d’une courbe qui dessine une pente et devient colline. Au premier plan, des moutons donnent foi à l’image.
Champs et sillons P.75- Vilarinho Seco / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / 1983
A la sortie du village, une chapelle. Les moutons rentrent à la bergerie, dans un mouvement de neige qui grave sur la pellicule une mémoire d’estampe. P.76- Pitões das Júnias / Serra do Gerês / Trásos-Montes / Portugal / 1993 Un village d’altitude qui surplombe une vallée à la frange de la Galice. Au cœur des landes, une terre labourée et la neige en sillage. Seule présence humaine, un arbre, point d’exclamation d’un paysage grandiose. P.77- Serra do Gerês / Portugal / 1993 Fougère, bruyère, landes... un muret à l’abri duquel grandit un champ de seigle blond. Paysage inhospitalier où chaque pierre retirée construit une ligne de vie à flanc de montagne. P.78-79- Herdade das Fontes / Alentejo / Portugal/ Juin 2000 Dans un champ de graminées, la récolte du liège. Par cycle de neuf ans, le chêne est déshabillé. De petites scènes saisonnières composent un paysage humain. P.80- Quinta de la Rosa / Alto Douro / Portugal / Octobre 1988 Dans les terres chaudes du Haut-Douro, coulent les vins de Porto. Une Quinta, ferme de production familiale devenue anglaise. Trois heures de rang, le foulage au pied du moult de raisin. Un air d’accordéon et le chant rituel qui livrent la gaieté d’un corps à corps social. P.81- Jolda / Minho / Portugal / Juin 1991 Le soir, une soupinha en partage... puis des oranges, puis des fleurs. Des champs en terrasse. Le temps des moissons et des labours. Un champ de seigle bordé de vignes hautes. Un homme retourne la terre avec une tchada. Un enfant devant l’objectif. Ce n’est pas un pas de danse... un saut...
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P.82-83 Sillon de Talbert/ Bretagne/ 2002 De Saint-Nazaire au Mont-Saint-Michel, un tour de la Bretagne par les chemins douaniers. La pointe extrême du sillon de Talbert. Un champ de galets. Des monuments miniatures, édifices aléatoires. Des cairns érigés au gré d’une mystérieuse incantation poétique. Défi au temps, au vent, à la pluie et à la mer qui finira par triompher du geste.
Retrouvailles P.86- Fafião / Trás-os-Montes / Portugal / Octobre 1990 Des vignes et des orangers. Un soir de foulage de raisin. Un temps de musique et de danse. En miroir, deux frères, accordéoniste et chanteur. P.87- Agrelos / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / Août 1981 Un éclat de gaieté lyrique sur une terre aride. Le temps des moissons. Une pause où le vin rouge fait cercle. Un homme, une femme et un pas de danse. P.89- Alturas do Barroso / Serra do Barroso / Trás-os-Montes / Portugal / 1981 Repas de battage. Une grange, des lirettes à même le sol et des draps blancs posés. Une vingtaine de convives et douze assiettes dressées. En dessert, du pain trempé dans du vin. La Cène en mémoire pour perpétuer le partage d’un repas. P.90- Meixide / Serra do Larouco / Trás-osMontes / Portugal / Avril 1992 Le café des migrants de retour. Un chauffeur de taxi de Puteaux devenu maire dans le village natal de sa femme. Ils habitent des maisons kitsch fardées d’anecdotes rapportées des pays traversés. Aujourd’hui, sur les façades, les carreaux de salle de bains remplacent les azulezos.
P.91- Morgade / Serra do Barroso / Trás-os-Montes / Portugal / Août 1983 Mariages d’été des immigrés de retour. Repas pantagruélique dans une grange. Un bal sur l’aire de battage. Deux fillettes esquissent un pas de danse.
Peaux d’âmes P.94- Calcutta / West Bengal / Inde / Novembre 1993 Les scènes de la vie quotidienne se dupliquent dans la multitude de Calcutta... le désordre, le bruit, l’anarchie des mouvements opposés, contradictoires. Un autobus bondé, un porteur, une silhouette de femme, une voiture ; un policier signe une improbable régulation du trafic. Lui, marche ...seul, dans un tourment intérieur. P.95- Calcutta / West Bengal / Inde / Novembre 1993 Dans la lumière blanche, une image s’impose, fugitive et instinctive. Un moment de douce intimité et de connivence de deux femmes et un enfant. Une apparition souriante tirée par un de ces hommes-chevaux avec, en arrièreplan, l’architecture coloniale qui se délite au fil des moussons. P.96-97- Sadanam / Kerala / Inde / Août 2001 Dans la campagne isolée, une petite école d’arts traditionnels. Une initiative privée voulue par un compagnon de Gandhi. Entraînements de kathakali au son du tchendra et du madalam pour les jeunes indiens du village. P.98- Bénarès / Uttar Pradesh / Inde / 1993 Un dos sans âge pousse un tricycle. A l’arrière, une banquette où le client prend place. Pénible réalité pour l’Européen de passage. Prendre des bus, marcher de rues en ruelles... et finalement, se découvrir une fascination pour cette ville.
P.99- Chavakkad / Kerala / Inde / 1998 En pleine nature, un temple bordé de cocotiers. Devant l’œil du maître, les élèves s’exercent au kalaripayatt, art martial ancestral. P.100- Cheruthuruthi / Kerala / Inde / 1999 Au Kerala, l’école d’arts traditionnels du Kalamandalam. Du monde entier, les hommes viennent ici s’initier au kalaripayatt et les femmes, au mohini attam. En regard, le dos enduit d’huile de coco d’un élève qui vient d’être massé.
Couples en regard P.104- Taj Mahal / Agra / Uttar Pradesh / Inde / Octobre 1993 P.105- Viveiro / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / 1985 La distance entre deux lieux et la proximité de deux images qui étonnent. Confrontation de regard en vis-à-vis. Un homme et une femme, Pietà à l’enfant. P.106- Quartier de Cleunay / Rennes / Bretagne / Décembre 1981 Une fête du troisième âge dans un quartier de Rennes. Un couple de hasard. Un accordéon et un visage à l’écoute des souvenirs qui défilent. Autour, la foule. Le mouvement des obliques comme une polka. Scène isolée dans l’instant. P.107- Glen / comté de Leitrim / Irlande / Juin 1995 Un appel téléphonique et un rendez-vous fixé. Une première rencontre avec l’écrivain John Mac Gahern et sa compagne, Madeline. Un pub irlandais qui vendait des cercueils ; une odeur de bière et d’encaustique. P.109- Ti Glaz / Bretagne / Mars 2003 Une semaine passée à Ti Glaz, au sud du Finistère, à la table du barde Melaine Favennec et de sa femme, Marie Le Lez, chanteuse et musicienne. La vie simple d’un homme et d’une femme publiques qui oublient l’œil du photographe ami et partagent leur intimité
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sans tapage. Au mur, une peinture de celui qui ne peint que des petits bateaux. P.110- Calle 10 de Octubre / Cuba / La Havane / Janvier 2000 Un séjour d’un mois auprès d’Eric, le fils de Georges et Christine marié à une Cubaine. Le couple vit dans une maison d’un quartier populaire de la Havane. Déambulation quotidienne dans des rues peu fréquentées par les touristes, Leica en bandoulière. De grosses voitures américaines objet de toutes les attentions des bricoleurs qui les réparent. Des poids lourds et des bus à double corps qui crachent des fumées noires et, soudain, l’image fragile d’un père à vélo qui tient sa fille dans les bras.
Intimités P.112- Telhado / Serra do Barroso / Trás-osMontes / Portugal / Août 1983 Une porte s’entrouvre. La lumière apprivoise l’obscurité. La farine dans une huche en bois, un tamis, un linge de gros drap, une assiette en fer... P.113- Alturas do Barroso / Serra do Barroso / Trás-os-Montes / Portugal / avril 1984 Une croix sur une place et une maison. Après plusieurs séjours, oser frapper. Dans le silence d’une paix simple, une femme. Elle épluche des pommes de terre comme le faisait sa mère avant elle ; un même décor pour un mode de vie accepté. P.115- Gokarna/ Karnakata/ Inde / février 2006 Les roues d’un char et le destin d’une vie qui tourne en regard, d’une génération à l’autre. P.116- Karnakata/ Inde / février 2006 La lumière de l’encens qui brûle, le visage d’une femme dans le temple de Mahakuta. P.117- Gokarna/ Karnakata/ Inde / février 2006 Passage de cordon pour l’enfant brahmane.
P.118- Mysore/ Karnakata/ Inde / mars 2006 Aux portes du Chamudi Hill temple.
Intuitions P.121- Nedumpura / Kerala / Inde / Août 2001 La mousson. Un rickshaw. Une averse. A travers le pare-brise, un système électrique rudimentaire dans une vue brouillée et... l’envol d’un pigeon. Finalement, la vision intérieure du photographe. P.122- Vilarinho Seco / Serra do Barroso / Trásos-Montes / Portugal / 1991 Sur le vif, un miroir piqué par l’humidité et l’usure du temps révèle en aquatinte une intimité d’âge sûr. Une histoire de vie contenue dans une armoire que dévoile le reflet d’un quotidien sans tain... une lampe, un pot à eau et un pantalon sur une chaise. P.123- Sunderbans / West Bengal / Inde / Novembre 1993 Delta du Gange. Une nuit passée dans une réserve de tigres qui n’étaient pas au rendezvous. Un bungalow, sur pilotis, éclairé par une lampe à pétrole. Reprendre la route pour Calcutta par le car. Traversée de bassins d’eau. Pièges à lumière et reflets sur la vitre. Un chemin, une course d’enfants et le mouvement d’un corps.
Georges Dussaud Portrait de Richard Dumas
P.124- Killaloe / Comté de Clare / Irlande / Octobre 1996 Une chambre d’hôte, Bed and breakfast dans un village sans cachet. Par la fenêtre, la vision d’un petit matin. Dans la transparence des rideaux, un gazouillis d’ombres et lumières. Des oiseaux prennent leur vol. P.125- Armagh / Comté d’Armagh / Ulster / Irlande / Septembre 1992 Voyage en camping-car. En roulant, une image en mirage. Le trouble sur un paysage de traverse.
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