ROK

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d e 1 9 6 0 à n os jours 5 0 ans d e m usique élect ri fi ée e n Br etagn e Tome 1 - 1960 / 1989

Les Éditions de Juillet

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d e 1 9 6 0 à n os jours 5 0 ans d e m usique élect ri fi ée e n Br etagn e Tome 1 - 1960 / 1989


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ne gueulez pas

sur le patron, la patronne s’en charge Musicalement, on a stoppé les frais à 18 ans et on a repris du service à 30. Cela veut quand même dire une chose : on est vieux. On est vieux et donc on est censé avoir un chouia de recul par rapport à la question : pourquoi la musique ici est tellement vitale par rapport à cet étrange liquide qu’est la France ? Pas besoin de contorsions intellectuelles pour balancer une réponse : le bistrot. Ici, tous les groupes, les destins, les envies sont nés et se sont parfois fracassés sur un comptoir. Et les comptoirs, on sait ce que c’est : mieux vaut la bière d’ici que l’au-delà, ne gueulez pas sur le patron, la patronne s’en charge, etc. Le bistrot a créé toutes sortes de communautés, cet esprit plus ou moins solidaire, cette volonté de fonder des groupes. C’est-à-dire d’exister un peu plus et surtout de partager. Ayant traîné un peu partout dans cet étrange figure géométrique qu’est l’Hexagone, on est sûr d’une chose : en Bretagne, question chaleur humaine, on ne mégote pas. Du coup, aujourd’hui, même si on se fait vieux et qu’on ne carbure plus qu’à la bière sans alcool et au vin « Bonne Nouvelle », on traîne toujours dans les rades. Et on touche du zinc pour que ça continue parce que le rade, c’est bourré de notes et de mots. En conclusion, un seul mot d’ordre : qu’on sauve, de la mort programmée par l’État, nos bistrots-concerts et qu’on achève à coups de marteau les bars lounge. Jusqu’au dernier.

Christophe Miossec


C’est Rock Frank Darcell

C

’est une question que tout le monde se pose un jour ou l’autre... C’en est, ou c’en n’est pas ? Il faut se décider... Ici, on s’est dit que cela avait d’abord à voir avec l’électricité, cette histoire de rock. Pas d’électricité, pas de rock... C’est un peu abrupt, mais c’est comme ça. Mais même comme ça, ce n’est pas simple. Parce que dans le folk le plus pur, le musette le plus académique, la chanson à texte la plus moite, il finira bien par se glisser un peu d’électricité, ne serait-ce que par un micro négligemment ouvert. On a imaginé ensuite qu’une guitare électrique ferait la différence, que ce serait une base à toute discussion. Ils ont une guitare électrique ? On peut donc commencer à les envisager. Mais ça ne suffisait pas bien sûr, parce qu’il y a manière et manière de la maltraiter, cette machine. Et ce n’est pas une question d’attitude. Ne nous parlez surtout pas d’attitude ! L’attitude rock, c’est pour les zozos, les new yéyés... L’attitude, c’est en surface, ça ne suffisait pas pour entrer dans Rok. Nous n’étions pas plus avancés ceci dit. Nous nous sommes alors demandé à partir de quoi c’était fait, ce rock, pour mieux comprendre, départager plus sûrement. On s’est aperçu qu’il fallait de l’eau, bizarrement beaucoup d’eau, des océans si pos-

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sible. Afin qu’il puisse y avoir une West coast music, une East coast vibe, un Delta blues. Un New-York punk rock, un Seattle grunge, un Chicago blues des Grands Lacs... Pour qu’il y ait des Îles Britanniques tout simplement. Pas des eaux très chaudes souvent. Là, la Bretagne était pas mal placée du coup. Pourtant, nous ne l’avons pas inventée cette musique, c’est certain. Nous l’avons prise dans la figure plutôt, et puis nous avons copié... Ce qui n’est pas bien, mais très tentant. De toutes les manières, pour l’inventer, en plus de l’eau, il fallait un mélange de cultures particulières. De ce genre de melting-pot que nous n’avions pas sous nos latitudes. Les Anglais, restés sur leur île, non plus vous me direz. C’est vrai, mais il nous manquait un troisième élément, cette chose qu’ils partagent avec les Américains. La langue tout simplement, celle de Shakespeare. Là, on était de la retourne. Pour de bon. Les Anglais ont bien été en Bretagne de temps à autre par le passé, ont donné des petits coups de main pas désintéressés quand on se bagarrait contre les Français. Mais ça remonte à loin et ils n’ont pas pu rester. Ils avaient à faire, et nous, on a été avalés... De fait, pour le rock, on était mal parti. En même temps, dans ce mélange de cultures particulières qui a permis l’alchimie idéale, du côté du Delta, en plus des chants d’esclaves, il y avait un vieux fond de ballade irlandaise, un soupçon de chœur gallois. Là, cela


k ça ? nous remettait un peu en course. Ça nous parle, c’est le genre de choses qu’on sait ressentir. Alors on a même essayé le rock en breton, et ça passe plutôt bien ! Mais ce qui nous a permis de ne pas être définitivement disqualifiés, nous a aidé à nous en sortir pas trop mal jusque-là, tout en espérant faire mieux, et qui nous autorise à affirmer, non sans fierté, que la Bretagne est bien plus rock que n’importe quelle autre partie de l’Europe continentale, ce sont, au-delà de nos racines celtiques, nos échanges constants avec les Anglo-saxons, nourris d’un voisinage certain, mais aussi de cette aptitude au voyage, de notre soif de nouveaux mondes... Nous sommes de la famille au fond, un peu Britto-Anglo-Américains ! Ah bon ? Eh oui ! Kerouac par exemple, il est bien breton à la base, et même s’il s’intéressait surtout au jazz, il n’en est pas moins un des représentants de la nombreuse diaspora bretonne des USA, à laquelle on s’intéressera d’ailleurs dans ce livre. Ainsi, il se pourrait qu’il y ait plein de Bretons, ou de fils et filles de, dans des groupes de rock aux États-Unis, dans les studios... Une preuve ? Tina Weymouth, la bassiste des Talking Heads, est de Paimpol par sa mère. Elle est même une descendante d’Anatole le Braz ! Alors ? Si cela ne vous éclaire pas, nous ferons remarquer par ailleurs que quand des Français ont réussi à faire swinguer leur

langue à peu près correctement sur la musique du diable, ils avaient souvent du sang breton... Cela vaut pour Ronnie Bird, mais aussi Alain Bashung, ou Michel Polnareff si on cherche bien. Pas mal, non ? Et quand Léo Ferré est un peu fatigué de la chanson et qu’il veut faire du rock, il prend un groupe breton, les Zoo... Tant qu’à faire ! C’est tout aussi naturellement que Dan Ar Braz intègre le prestigieux Fairport Convention en 1976. La même année, lorsque Bowie a besoin d’un batteur pour « The Idiot » d’Iggy, disque qu’ils enregistrent pourtant en Normandie, eh bien, il embauche un Breton d’adoption, en la personne de Michel Santangeli, passé comme Dan par l’aventure Stivell. Plus récemment, lorsque James Chance, le pape new-yorkais de la no wave, a monté des Contortions européens pour sillonner le monde, il a trouvé les musiciens en Bretagne. On pourrait rallonger à volonté la liste des mélanges édifiants. Car cela marche aussi dans l’autre sens, et nous sommes une terre d’accueil ad hoc, un refuge prisé des affidés de la cabale binaire. Demandez à Jim O’Neill, Robin Guthrie ou encore Loran des Bérurier Noir ce qu’ils en pensent. Si cela ne suffit toujours pas à vous faire comprendre que la Bretagne est intrinsèquement Rok (ah oui, on a enlevé le c pour aller droit au but, relocaliser à la volée), au-delà des festivals prisés, des belles aventures humaines et groupusculaires que nous allons vous conter dans ce livre, je ferais remarquer juste une chose, toute simple, si simple que nous n’y faisons même pas attention : dans Grande-Bretagne, il y a le mot Bretagne. C’est une évidence, mais c’est important. Et ça remonte à très très loin. Nous nous y intéresserons également. Et le choix alors ? Ah oui, c’est de là qu’on est partis... Ça s’est fait à l’instinct finalement, parce que c’est juste une question de foi, au fond.

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Olivier Polard & Frank Darcell

Le quartier de Maurepas en construction Ă Rennes, 1957

Au commencement ĂŠtait

la ville Olivier Polard & Frank Darcell

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> À la fin des années cinquante, la France est un pays moderne en perpétuelle mutation, qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était vingt ans plus tôt. Le pouvoir d’achat s’est sensiblement élevé, la reconstruction a modifié l’aspect physique de bien des villes et l’essor de la toute nouvelle société de consommation a apporté progrès et modernité. Apparaissent alors les premières télévisions, des voitures accessibles à tous, les réfrigérateurs ou autres transistors qui sont perçus comme les bienfaits de la civilisation occidentale.

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es jeunes générations, issues du baby-boom, décident de faire entendre une voix discordante. Il faut dire qu’en 1960, les 15-25 ans sont une entité importante et ces jeunes ­­­aspirent avant tout à affirmer une identité propre, non-conformiste, caractérisée par le rejet des valeurs des générations précédentes dont ils se sentent de plus en plus éloignés. Ce contexte est extrêmement propice à l’introduction du rock en France. Et même si cette musique est d’abord considérée comme l’énième mode éphémère venant des États-Unis, dans les faits elle est très vite perçue par la jeunesse comme le maillon central d’une nouvelle culture qui se répand dans la totalité du monde occidental.

chran. La presse spécialisée naît en France en 1961 avec Disco Revue qui, sans publicité et sans soutien, atteint rapidement un tirage de 40 000 exemplaires. Le fait d’habiter une ville facilite alors la réception des informations, permet l’accélération du bouche à oreille et la propagation de cette nouvelle musique, en Bretagne comme ailleurs. Mais surtout, pour passer de l’écoute à la reproduction, l’accès aux instruments adéquats va se révéler fondamental et seules les villes d’une certaine importance possèdent des magasins proposant les précieux sésames, ces fameuses guitares, basses électriques et amplis, qu’on n’a pas encore pu toucher jusque-là, en dehors de quelques modèles destinés au jazz et déjà électrifiés. En Bretagne, l’exception rurale vient des établissements Sévénéant à Gourin qui proposent, dès 1962, guitares et amplis américains de marques renommées. Mais ces instruments en provenance des pays anglo-saxons sont la plupart du temps hors de prix. Heureusement, des modèles plus abordables, parfois de simples copies des guitares américaines, ne tardent pas à venir d’Allemagne (Framus, Höfner, Hoyer ou encore Hopf), d’Italie (Eko, Bartolini) et, dans une moindre mesure, de France (Jacobacci). Les instruments ne sont pas toujours en exposition et les commandes se font parfois sur catalogue, au look et sans avoir la possibilité d’essayer préalablement ces drôles de machines. Ce qui entraîne forcément des surprises, puisqu’aucune méthode, aucun professeur, ne sont à même d’indiquer comment on les dompte.

Catalogue d’instruments,

Le rock débarque dans l’Hexagone à la fin des années 1950 par le biais du cinéma, avec Graine de violence (Blackboard Jungle, de Richard Brooks, sorti en 1955 aux USA). Un film dans lequel Bill Haley et ses Comets interprètent leur fameux « Rock Around The Clock ». Ce titre, premier vrai tube rock’n’rollien, répand en fait le virus du rock à travers le monde. Le 17 octobre 1959, Europe n° 1 lance Salut Les Copains, une émission dédiée au rock dont le succès est immédiat. Le rôle de SLC dans la diffusion de cette musique en France est primordial. Un public de plus en plus nombreux se fidélise, et voit dans cette émission phare la seule possibilité de découvrir les chanteurs américains, d’Elvis à Ricky Nelson, de Gene Vincent à Eddie Co-

À Nantes, Brest, Rennes, ou Gourin, c’est bien au travers des détaillants d’instruments de musique, autant que par les disquaires, que le virus peut se propager en profondeur. Pourtant, dans cette première partie des années 1960, ces magasins ne se spécialisent pas encore et on trouve chez les uns de quoi jouer du musette ou du rock, et chez les autres presque tous les styles entendus à la radio, même s’il faut parfois attendre très longtemps avant d’obtenir le disque de rock espéré, surtout s’il est en import. L’absence de formatage indique qu’on n’imagine pas, à ce moment-là, que cette mode est partie pour durer.

1962

Quand les instruments restent définitivement trop chers, il faut recourir à la fabrication maison, à partir de fournitures hétéroclites. Ainsi, les premiers rockeurs nantais, brestois ou rennais, doivent faire de sérieuses économies ou rivaliser d’ingéniosité avant de plaquer leurs premiers riffs. Et il faudra attendre encore de longs mois avant qu’un rock de bonne facture ne se fasse entendre en Armorique.

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Le rock’n’roll circus

s’installe en

bretagne Olivier Polard & Frank Darcell

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Atlantique toute Les premiers groupes de rock apparaissent en Bretagne dès 1961, notamment à Nantes, qui semble être la tête de pont de ce maelström qui finira par emporter toutes les jeunesses. Suivie de près par Brest. Et le Pays Bigouden sera rapidement balayé également ! Il faut noter que l’axe Nantes, Lorient, Quimper, Brest semble être en première ligne pour succomber au jeune rock’n’roll. Et que Rennes et les Côtes-d’Armor (Côtes-du-Nord en ce tempslà) ont un petit retard à l’allumage. Comme si le rock, à son avènement, était vraiment un phénomène atlantique, plutôt que Manche ou Argoat. En tous les cas, partout où s’immisce le nouveau son, l’accordéon est vite détrôné dans le cœur des ados par cet instrument si sexy, plus simple à utiliser en apparence et désormais amplifié, qu’est la guitare. En 1962, plusieurs formations font parler d’elles en Armorique : les Robots, les Devils, les Sunset, les Rockers, les Rapaces, Willy Spring Day pour Nantes, les Loups Noirs et Eddy Dan et Les Daners à Brest, autant de groupes sous forte influence Chaussettes Noires et Shadows. À Rennes, ce sera l’école Shadows pour les Atlas également, alors que les Spirales se réclameront rapidement des Stones. L’instinct est aux commandes, les looks soignés, mais les amplis en berne... À l’instar de leurs modèles, la plupart de ces groupes portent des costumes, petites vestes cintrées et fines cravates. Les lunettes à écailles sont aussi de mise pour les fans des Shadows. Le niveau technique est encore bien frustre, mais l’enthousiasme captive un public qui n’a jusqu’ici jamais pu apprécier un groupe de rock sur scène. L’amplification laisse à désirer et bien souvent les groupes ne peuvent se payer qu’un seul ampli, sur lequel tout le monde joue. Ce qui est fascinant dans cette contamination, c’est la vitesse de transmission d’une envie urgente de jouer qui se moque des données techniques ou des barrières linguistiques. On veut rejouer ce que l’on a entendu, deviné, entr’aperçu, sans avoir forcément compris comment cela fonctionnait, pas plus théoriquement que mécaniquement, sans avoir pigé la moindre parole souvent... Comme si le rock venait s’adresser à quelque chose d’enfoui dans l’âme de ces jeunes, en Bretagne ou ail-

leurs, comme si cette électricité, à peine domptée, avait réveillé une part d’universelle sauvagerie teintée de joie et de désir, en chacun d’eux. Projetant des centaines de musiciens débutants comme des papillons vers la lumière, éructant en yaourt, éblouis mais tellement convaincus ! En terrain conquis Nul doute, en revanche, qu’en Bretagne plus qu’ailleurs, ce nouveau rite, d’essence païenne certainement, a trouvé rapidement écho. Sur une terre où l’on pratiquait la danse collective et tribale depuis la nuit des temps, et où surtout les harmonies celtiques restaient suffisamment à la surface pour qu’on les reconnaisse parfois dans la texture de cette musique venue de l’autre côté des mers. Les formations locales, subjuguées, mais pas encore forcément convaincantes, ne trouvent d’abord que de petits concerts dans des cinémas, des kermesses, ou à l’entracte entre deux tours d’accordéon. Pourtant, bien vite, le rock sera plébiscité et certains de ces jeunes musiciens auront la chance de pouvoir graver un 45 tours. Ce sera possible au studio Technique Art Sonore à Brest et au Scriptone à Nantes, tous deux spécialisés dans la réalisation de publicités sonores pour les cinémas locaux. Oh, bien sûr, les tirages sont limités ! Mais les machines à graver fonctionnent encore... Pas pour longtemps puisque, dès 1966, il semble qu’elles s’arrêtent et les groupes, malgré une augmentation considérable du pouvoir d’achat, mettront longtemps à pouvoir à nouveau se payer le plaisir du passage au vinyle. C’est un peu frustre, but they like it... Si les Rapaces sont les premiers en Bretagne à graver des 45 tours, aux pochettes artisanales, les Loups Noirs leur emboîtent le pas, suivis d’autres Brestois comme les Blue Shades ou les Strollers. À Nantes, ce seront Willy Spring Day ou Pierre et Gérard qui passeront l’épreuve initiatique. À Rennes, seuls les Atlas, en 1964, convertiront leur talent en vinyle chez le fabricant DMF. Il est donc possible de se faire une idée de la musique que jouaient ces groupes et, à l’écoute de ces documents exceptionnels, on constate que les défauts de jeunesse des musiciens et le manque d’expérience des techniciens sont compensés par une foi inébranlable. Malgré le chant plus ou moins en yaourt, les prises de son difficiles, ces premiers essais discographiques portent souvent la marque d’un vrai talent.

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sixties 60 > 68

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des salons mauduit

la base Américaine

nantes

à

de saint-nazairE Laurent Charliot

L

’histoire officielle du rock à Nantes commence dans l’atmosphère feutrée des Salons Mauduit, rue ArsèneLeloup, le soir du 29 avril 1962. Au milieu des tables rondes aux nappes immaculées, la bourgeoisie locale danse sur des airs de musette. Elle est venue assister au douzième concours d’accordéon, organisé par le magasin d’instruments Simon Musique. Tout à coup, après les traditionnels accordéonistes, retentissent les premiers riffs de guitare électrique ! Un concours de guitare et de chant s’ensuit. Six groupes régionaux s’affrontent : les Rockers, les Atomic Boys, les Rapaces, les Pagdells, les Djets et Willy Spring Day, tous émules des Chaussettes Noires ou des Shadows. Pour chacun d’entre eux, il s’agit de la première représentation en public. Les Rapaces se font alors un nom sur la place en remportant l’épreuve. En ce début sixties, la joie de vivre retrouvée, les Nantais aiment à se réunir pour danser dans des salons et brasseries de la ville. Les orchestres de variété, de musette et de jazz reprennent les tubes de la radio, et certains, comme ceux de Paul Terrien, André Mahé ou Tejero, acquièrent un vrai succès régional. Mais la déferlante rock gronde. L’émission Salut Les Copains règne sur les ondes d’Europe n°1 et Johnny Hallyday enflamme chaque ville de province, suscitant dans tout l’Hexagone un vent de passion et de folie pour cette nouvelle musique si proche des aspirations des jeunes. Nantes ne fait pas exception à la règle lorsque Johnny investit le Champ de Mars.

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À l’origine de ce mouvement régional, Simon Musique, le premier magasin d’instruments de la ville à commercialiser des guitares électriques, dès 1961. Dans sa boutique installée au n°1 de la rue Jean-JacquesRousseau, Monsieur Simon, qui jusqu’à ce jour proposait à sa clientèle traditionnelle accordéons, banjos et autres instruments de fanfare, met en rayon des guitares électriques, et conseille aux jeunes adeptes de l’acoustique de changer leur fusil d’épaule... C’est ce même Monsieur Simon qui les incite à se produire aux Salons Mauduit, le 29 avril 1962, faisant d’eux les pionniers du genre. Très vite, beaucoup de jeunes leur emboîtent le pas... Mon royaume contre une guitare... Ils sont en effet de plus en plus nombreux à se rendre dans les deux seuls magasins d’instruments de la ville, Simon Musique et Violin Musique. Ce dernier, créé en 1928, quitte en 1961 ses locaux historiques, allée des Tanneurs, pour s’installer à quelques pas du premier, rue de la Fosse. La concurrence est rude, chacun redouble d’efforts pour courtiser ce nouveau public, proposant ici un crédit, offrant là le matériel de sonorisation pour une kermesse ou un bal, histoire de séduire et fidéliser. « Les musiciens venaient au magasin, essayaient les guitares pendant des heures et cela se finissait parfois en véritable bœuf impromptu... se souvient Jean-Yves Violin, petit-fils du créateur de Violin Musique et actuel responsable du magasin nantais. C’est dans la boutique que les musiciens se rencontraient et que les groupes se formaient ! »

« Je me souviens de la première Stratocaster que nous avons vendue, explique Jean-Yves Violin, c’était une occasion. Un type nous l’avait laissée pour acheter un autre modèle, nous étions en 1962. » En 1963, un article dans Presse Océan fait état de 2 000 pratiquants de la guitare à Nantes. L’instrument, très en vogue cette année-là, supplante largement les violons et accordéons. Elles s’écoulent au rythme de soixante-quinze unités par mois dans le seul magasin Simon, dont une vingtaine d’électriques. L’importation étant longue et délicate, la plupart sont achetées sur catalogue. Les prix varient alors entre 180 et 2 500 francs, voire 3 000 pour une Fender, soit jusqu’à 5 fois le salaire minimum mensuel ! « Les amplis sont rares et hors de prix, se souvient Jean-Yves Violin. Les produits américains ne sont pas encore disponibles. Il faudra pratiquement attendre les années 66-67 pour voir les premiers Vox en rayon. On choisit alors entre RV, la marque française, Corland fabriqué en Italie, Stimer ou Garen. Les premiers modèles de sonorisation Meazi, en 1961, avec 4 entrées, 6 watts de puissance et une chambre d’écho intégrée, font rêver de nombreux musiciens qui passent au magasin. À défaut, ces musiciens usent du système D, branchant leur guitare ici sur un poste radio, là sur un pick-up.

Les Devils

Les deux boutiques s’affrontent également pour équiper les grands orchestres nantais, de Terrien à Mahé en passant par Tejero, conscients que ces références les aideront à courtiser les amateurs. Si les « belles américaines » ne sont pas encore légion dans les rayons de nos deux commerçants, compte tenu des difficultés d’importation, on commence en revanche à y trouver de nombreuses marques européennes : allemandes, françaises et italiennes. Les Japonais font également leurs premiers pas sur le vieux continent, avec la marque Kent, de qualité très moyenne.

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des salons mauduit à

la base Américaine de saint-nazairE « Quant aux basses, elles sont quasi absentes des rayons en ce début de décennie, alors certains musiciens bricoleurs et motivés décident de fabriquer eux-mêmes leurs instruments. Nous vendions de nombreuses pièces au détail. Je me souviens notamment des barres de tons, ce que nous appelons frettes aujourd’hui, que nous proposions au mètre... » Il faut attendre 1962 pour voir en magasin les premières basses, des Framus. Ensuite seulement arriveront les basses Fender. Cet instrument attire les guitaristes qui optent souvent, par facilité, pour des modèles de basses à six cordes. La première basse Gibson à quatre cordes est vendue en 1964 chez Violin. « Son prix, 3 500 francs environ, était tellement important que le client nous l’a payée par acomptes successifs de 200 francs... »

Les Sunset

Jack Moriarty Guitariste des Panthers USA de Saint-

pour l’américaine, « par allégeance en-

Nazaire, Jack Moriarty est un fils de

vers mon père, confie-t-il, sans vraiment

militaire américain, qui participa au

savoir ce que je faisais. Mais aussi parce

débarquement en Normandie, et d’une

que les États-Unis étaient le berceau

mère française. Après le départ des

de la musique rock et du blues. » Après

Américains, il reste en France, où il

quatre ans dans l’armée américaine, il

accompagne les plus grands, comme

s’installe en Californie où il accompagne

Frank Alamo, Johnny Hallyday, Vince

de nombreux groupes internationaux,

Taylor ou encore Chuck Berry, lors de son

puis devient guitariste de studio free-

passage à l’Olympia à la fin des années

lance. Aujourd’hui, Jack enseigne la gui-

1960. À l’âge de dix-huit ans, en 1965,

tare dans une petite ville américaine de

Jack est contraint de choisir entre ses

l’État de Rhode Island.

deux nationalités, et opte finalement

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Les Américains débarquent ! Le deuxième concours de guitare est organisé en avril 1963 au cinéma le Paris par « un groupe de jeunes soucieux de faire connaître aux Nantais le vrai rock », dixit l’article de presse diffusé la veille du concert. Pour cette deuxième édition, plus de quinze groupes se présentent : les Lory Jazz, les Diplomates, les Boucaniers, les Insurgés, les Messagers du Diable (de Saint-Nazaire), les Vagabonds, les Précieux, les Devils, les Titans, les Insolites, les Teen-Agers, les Sparks, les Rockers et enfin les Robots et les Panthers USA qui remportent le concours à égalité. Les Panthers USA, qui joueront également sous le nom des Earthshakers, réunissent quatre lycéens, fils de militaires américains de la base de Saint-Nazaire : Jack Moriarty (guitare), Dan Johnson (guitare rythmique), Roger et Denis Hill (respectivement batterie et basse). Le père de ces derniers, le lieutenant-colonel Hill, dirige cette base de Saint-Nazaire. Le matériel du groupe, Jaguar, Precision Bass, Fender Stratocaster, laisse rêveurs le reste des participants. Alors que les Français alignent des amplis d’une dizaine de watts, les leurs en offrent plus de quarante... « Nous avions peu de contact avec eux, se souvient Jean-Yves Violin, car ils sortaient rarement de leur ville. Les distances étaient importantes à l’époque. Et puis ils étaient là pour travailler, pas pour se balader. Cependant, lors des rares


rencontres, ils nous faisaient découvrir leur matériel et venaient avec leurs disques US sous le bras. Leur façon de jouer nous impressionnait et nous influençait, nous tentions de les copier... » Entrée dans les mœurs Petit à petit, le rock prend ses quartiers dans différents lieux de la ville. En 1964, celle-ci accueille les quarts de finale des championnats nationaux de guitare électrique, toujours au cinéma le Paris. Une dizaine de formations régionales s’y affrontent pour décrocher une finale au Golf Drouot. Parmi elles, les Robots, les Deans, les Devils, Les Stormers et les Y’s représentent la Cité des Ducs. Les Robots remportent l’épreuve et participent aux demi-finales à Rennes. Les amateurs de rock se retrouvent aux Salons Mauduit pour des soirées organisées par des étudiants ou dans les cinémas de l’agglomération pour des festivals et concours. C’est le cas à l’Odéon, près de Beauséjour, au Paris, mais aussi au Vox et au Moderne, à Chantenay. Le rock investit également la rue ou les salles municipales, profitant des foires, des bals de quartiers et de villages ou des fêtes d’associations

pour placer d’énervés rythmes binaires. Les salles de patronage et paroissiales, comme Sainte-Thérèse ou Saint-Félix, font aussi place à de nombreux concerts. « Certains guitaristes plus fortunés viennent avec leurs amplis dont la puissance excède rarement les 10 watts... Pour les autres, ils sont branchés sur les sonos Bouyer, chantent sur le micro du présentateur de soirée et sont donc amplifiés au seul son de ces porte-voix de 15 watts accrochés dans les arbres... » commente en souriant Jean-Yves Violin. Les groupes commencent à jouer à demeure les samedis soir, les dimanches après-midi et parfois même en soirée, dans les restaurants, les salles, les kermesses et sur des parquets, détrônant un à un les joueurs de musette qui y siégeaient. Le parc de Procé, lors de la fête des écoles publiques, la mi-carême, la fête des Jonquilles de Saint-Étienne-de-Montluc, la fête du Cidre au Temple de Bretagne ou la fête des Vendanges dans le Sud-Loire sont autant d’occasions pour les groupes locaux de sortir les guitares. « Il y avait beaucoup de concerts type “radio-crochet”, se souvient Noël Terrones, guitariste des Robots, car c’était bien souvent le meilleur moyen pour l’organisa-

Compte-rendu du concours de guitares au cinéma le Paris, 1964

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des salons mauduit à

la base Américaine de saint-nazairE Les musiciens se retrouvent au Café de l’Europe, place du Commerce (l’Amicale des musiciens y siège tous les mercredis soir depuis le milieu des années cinquante), au Café du Cycle place de la Bourse ou au Picadilly, un bar situé entre la place du Commerce et celle de la Bourse, tenu par un certain Béru. Ils s’y échangent des « tuyaux » techniques sur les nouveaux morceaux américains ou anglais. Il faut dire que les tablatures sont inexistantes, les partitions rares et la plupart d’entre eux ne jouent qu’à l’oreille. On parle musique, on s’échange des disques, des noms de nouveaux groupes... La radio et le bouche à oreille sont encore les seuls et uniques moyens de découvrir les artistes. Si les quelques ondes nationales restent très classiques, certains se branchent sur la BBC anglaise ou la fameuse Radio Caroline, dont certains prétendent qu’elle émettait jusqu’à Nantes. Quant aux magazines musicaux, ils n’ont pas encore fait leur apparition.

Les Rockers

teur de motiver les groupes qui n’étaient pas payés... Au mieux, on repartait avec un bon d’achat chez Simon Musique et au pire... avec un panier garni ! » Des clubs nantais proposent également aux orchestres de venir jouer. Tony Cano et son orchestre se produisent alors tous les soirs dans ce qui deviendra plus tard la discothèque la Galerie. À la Coupole, place de la Bourse, salle gérée par des étudiants, on joue tous les jeudis, samedis et dimanches après-midi. Bon nombre de groupes nantais y font leurs armes. On joue également aux Salons Laheux (à Saint-Sébastien, à la place de la discothèque le Bliss) ou au Tourbillon, boulevard Dalby. Mais la véritable consécration pour les groupes locaux consiste à jouer au Chalet Suisse, place Émile-Zola, où l’un des plus grands orchestres de rock du moment, les Sparks (venus du Mans), se produit déjà régulièrement. Pour accompagner l’essor de la nouvelle musique, une antenne locale de Radio France, implantée rue Deshoulières, diffuse parfois des séances live de groupes nantais.

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Les groupies viennent elles aussi au Picadilly pour y croiser leurs idoles locales, ne faisant pas toujours d’ailleurs la distinction entre les stars de la télévision et ces « vedettes de kermesses du Vignoble »... Enfin, tard dans la soirée, tout le monde se retrouve au P’tit Club, rue de l’Héronnière, un bar de nuit. Le rock, repos des guerriers d’Algérie Pour bien comprendre l’épopée vécue par ces pionniers et les difficultés rencontrées pour former et pérenniser un orchestre, il est bon de rappeler que la plupart d’entre eux ont passé de longs mois en Algérie. L’armée est un passage obligé de 18 mois, les permissions rares. La période est incertaine et les études beaucoup plus courtes que de nos jours... Enfin, l’achat d’une guitare est un luxe et le marché de l’occasion encore inexistant. De quoi décourager plus d’un débutant... Pourtant, jour après jour, l’histoire du rock nantais se construit et les orchestres fleurissent dans toute la ville. Les pages qui suivent en dressent un inventaire non exhaustif, regroupant les formations vedettes ; celles que tout le monde réclame et qui semblent, aux yeux de tous, les plus convaincantes.


Les groupes phares LES ROCKERS Créés dès 1961, les Rockers sont véritablement le premier groupe de rock nantais. Le plus coté également. Avec Philippe Bourget à la guitare solo (et un poste radio en guise d’ampli...), Jacques Roy à la rythmique, Yvon Rivoal à la basse et Bernard Morellec à la batterie. Ce dernier débute sa carrière avec seulement une caisse claire, une cymbale et devra attendre l’arrivée d’un tom basse pour enfin pouvoir reprendre le début d’« Apache », des Shadows... Il devient rapidement le spécialiste nantais du solo de « Little B. », toujours des Shadows, et reste vraisemblablement l’un des meilleurs batteurs du moment. Aucune basse n’étant disponible à cette époque sur la place de Nantes, Philippe Bourget en construit une artisanale avec des cordes rapportées d’Angleterre par Monsieur Violin, patron du magasin d’instruments du même nom. Ils écument avec succès kermesses et soirées étudiantes avec un répertoire puisé chez les Shadows. En 1962, ils sont les « vedettes » de la fête de la Jeunesse qui a lieu au Champ de Mars, devant 6 000 personnes. Cette manifestation est organisée dans le cadre des festivités préparées pour les reines de la mi-carême. L’occasion leur est donnée ce soir-là de jouer sur le matériel et la scène installés pour de grands orchestres de bal. Leur passage (deux reprises des Shadows, dont le fameux « Apache ») déclenche une telle furie dans le public que les organisateurs mettent plus de vingt minutes avant de réinvestir la scène pour lancer la pièce de théâtre qui doit succéder à leur prestation... Fort de ce coup d’éclat et d’une renommée croissante, le groupe donnera plus d’une soixantaine de représentations, de Paris à Calais, tout en écumant la région, où on leur demande d’ailleurs de ne plus participer aux concours afin de laisser une chance aux autres formations. Le groupe cesse finalement toute activité au cours de l’année 1963. LES RAPACES Dès 1961, les Rapaces, orchestre de rock, se réunissent en reprenant le répertoire de Johnny, Gene Vincent ou Elvis Presley. Il est alors composé de Jack

(Jean-Claude Bompais) à la guitare solo, de Dean (Michel Brodeur) à la guitare d’accompagnement, de Danny (Daniel Barbier) à la basse, de Nad (Bernard Hervé) au chant et de Tony (Michel Arrivé) à la batterie. « Un répertoire, se souvient Jean-Claude Bompais, que nous répétions inlassablement chaque jeudi dans les locaux du centre de jeunesse SNCF du Vieux Doulon, à quelques encablures du Blottereau, ce cinéma où nous fîmes notre première prestation publique. Équipés d’un bon matériel (guitares Ohio, Royal et Framus), nous misions beaucoup sur notre jeu de scène, assez débridé, voire sauvage, en parfaite corrélation avec notre style musical. Complétée par des costards violets, acquis chez Jacquot et Mémé aux puces de Clignancourt, à Paris, la panoplie du parfait rocker paradant était chatoyante, mais engendrait parfois quelques quolibets douteux.

Engagés en attraction au célèbre dancing le Laurier Fleuri à Vertou, nous animions des intermèdes entre deux sets de groupes de baloche. Bien vite, notre public se fédéra, jusqu’au jour où l’orchestre de variété ne put remonter sur scène après notre prestation musclée... » En avril 1962, les Rapaces décrochent le premier prix du concours de guitare avec chant aux Salons Mauduit. Le vent en poupe, ils enregistrent leurs quatre titres au studio Scriptone, rue de la Barillerie, à Nantes, studio spécialisé dans la réalisation des publicités sonores pour cinémas locaux.

Les Rapaces

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des salons mauduit à

la base Américaine de saint-nazairE

Les Rapaces

« Un petit studio qui gravait à l’unité, se souvient des espérances de montée à la capitale. En 2002, le Jean-Claude, à l’identique du Kiosque d’Orphée ou du magazine des collectionneurs de disques Jukebox Triomphator, des labels parisiens cote le vinyle des Rapaces à peu onéreux, régulièrement cités « M. Simon nous 150 euros ! à l’époque dans la presse des Jean-Claude Bompais se faisait crédit. Copains. » souvient  : «  Le premier Il y avait un foutoir disque que j’ai écouté, c’est Tiré à une poignée d’exemplaires “King Creole” d’Elvis Presley pas possible, pour les amis et la famille, ce 58. J’avais quatorze ou dans ce magasin... » en disque au diamètre peu convenquinze ans... Et bien sûr, les Jean-Claude Bompais, les Rapaces tionnel (20 centimètres) s’écoute premières boums, c’étaient en 33 tours. Les pochettes sont réalisées de manière Bill Haley et “Rock Around The Clock”. On avait aussi la artisanale. Le choix des titres est tout à fait collégial possibilité d’avoir quelques disques de rock’n’roll avec et révélateur des influences du moment avec les la base américaine de Saint-Nazaire, puis mes parents standards « What’d I Say », « Be-Bop-A-Lula » et des m’ont acheté une guitare et je me suis retrouvé avec adaptations : « Hey Pony » et « En avant l’amour ». l’instrument entre les mains, sans savoir si j’allais en Pour les Rapaces, quelques dissensions et le pasjouer vraiment... Cette première guitare sèche, j’ai tout sage à l’armée sonnent, en 1963, la fin de l’envol et de suite voulu l’électrifier. J’ai acheté un petit micro qu’on adaptait dans la bouche. La première fois, sans mode d’emploi, je l’ai branché directement sur le 220, au lieu de le relier à l’ampli. J’aurais pu y laisser ma peau ! « Plus tard, en 1962, c’est M. Simon qui a instauré la fameuse “coupe de rock”. Dans son magasin, on a commencé à acheter les premiers micros adaptables et ensuite sont apparues, chez lui et chez Violin, les premières guitares électriques. C’étaient quelques petites Egmond, Klira, Framus, Höfner. La “coupe des guitares électriques” arrivait à point pour les écouler. Et ça a marché ! Moi j’ai pris une Ohio, et Michel a choisi la Royal, qui était fabriquée par Jacobacci. J’avais vu des photos et des films avec les Fender et les Gibson, les fameuses guitares américaines, mais elles étaient hors de prix, et je trouvais que ma guitare, elle était moderne quand même... Elle n’était pas donnée non plus, par rapport aux Klira, par exemple. « J’avais 50 francs d’argent de poche par mois et M. Simon nous faisait crédit. Il avait un cahier sur lequel il mettait une petite croix au fur et à mesure, 50 francs par 50 francs. Des fois, il oubliait. Je ne sais pas comment il s’y retrouvait. Il y avait un foutoir pas possible dans ce magasin. Je ne sais pas si je l’ai payée complètement, ou plus cher...

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Les Rapaces

« Les amplis, on les louait à un autre magasin de pianos tenu par un aveugle. Ce n’était pas facile de communiquer avec lui. Il avait peur que le matériel soit abîmé. On louait nos amplis, des Garen ou des Stimer. Pour un petit concert, une petite kermesse, on allait les louer la veille. Ce n’était pas très cher, mais c’est vrai qu’à coups de 80 ou 100 francs, on aurait pu s’en acheter. On a eu par la suite une petite sono fabriquée sur mesure par l’oncle du chanteur, qui travaillait chez Philips à Paris. « Notre répertoire était fait uniquement de reprises, en français mais aussi en anglais. On aimait bien Gene Vincent et Elvis. Sauf lorsqu’il y a eu ce concours de rock, où là, on avait comme impératif la création d’un morceau... Le titre, c’était “Rapaces Twist”. Un twist, parce que ça commençait à sortir. À cette occasion, on a intégré une copine, qui est devenue notre danseuse de twist : Yannicke. Et puis on s’est rendu compte après quelques concerts que le batteur chantait mieux que le chanteur... On a inversé ! Quand on a fait cette coupe de rock, on avait une note pour la tenue sur scène. Il fallait des fringues spéciales... « On était toujours bien sapés. Mon père étant cheminot, je prenais le train et j’allais aux puces de Clignan-

court, à Paris, faire mon marché. Je ramenais cinq vestes, cinq manteaux en cuir, cinq pantalons pattes d’éléphant ou avec la petite bande de soie sur le côté, cinq chemises avec les nœuds papillon ou une petite cordelette blanche. J’avais la taille des mecs, et le résultat était vraiment classe... » LES DEVILS C’est après avoir assisté à une répétition des Rapaces que Michel Corbeau (basse) et Danny Oheix (guitare solo) décident, fin 1961, de monter à leur tour un groupe. Ils démarrent sous le nom des Rangers et sont rejoints par Diego de Haro à la rythmique et Lucien Bonhomme à la batterie. Ils prennent alors le nom de Devils. Pour leurs premières répétitions, le Curé de Pinsec leur prête une salle. Rapidement, le groupe se forge un répertoire de reprises et participe aux éliminatoires d’un tremplin, rue du Chapeau-Rouge, pour accéder à la finale au cinéma le Paris. Ils y rencontrent d’autres musiciens plus chevronnés (les Robots, les Requins des Sables) avec qui ils échangent quelques tuyaux. En finale, les Panthers USA, les fils de militaires américains de la base militaire de Saint-Nazaire, feront baver l’ensemble des autres participants avec leur matériel tout droit venu des States... Danny Oheix achète, cette année-là, une des premières Fender

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Stratocaster neuves vendues à Nantes par Simon Musique pour 2 200 francs. Jean-Claude Capitaine remplace ensuite Michel Corbeau à la basse. Puis, comme de nombreux groupes à cette époque, l’armée oblige la formation à se disloquer. Au retour du service, Danny Oheix reforme les Devils en compagnie de Jean-Claude Masson à la guitare et d’Hervé Bizeul à la basse. La dernière formation des Devils réunira, autour de Danny, Roger Pradeau à la batterie, Jacky Gadal à la basse, Loïc Rousseau à la guitare rythmique et Alain Dorlet au chant. Roger Regor (Durandière, de son vrai nom) les manage. Ils joueront ensemble jusqu’en 1964. Les Devils font partie des groupes nantais qui parcourent les salles de spectacles de toute la région à un rythme effréné. Du Bon accueil, rue de la Convention, où ils ont élu résidence, aux kermesses et autres soirées, ils ont donné près d’une centaine de représentations, collectionnant les prix lors des tremplins. LES SUNSET L’histoire des Sunset démarre en 1961 lorsque les deux frères Bonnet, Daniel « Minus » à la basse et émile, guitare et chant, se joignent à Jean-Luc Hallereau, autre guitariste, pour faire quelques reprises des tubes américains du moment. Daniel joue alors avec une basse fabriquée maison avec des éléments de guitare. Ce n’est que l’année suivante qu’il achète une basse Fender. Cependant, armée oblige, les Sunset ont du mal à conserver leur line up et ne prennent leur véritable envol qu’en 1964. Minus et Jean-Luc Hallereau sont alors rejoints par Gérard Trevignon à la batterie et Michel Brodeur, un ex-Rapaces, à la guitare d’accompagnement. Enfin, Noël Terrones vient remplacer Jean-Luc Hallereau. Tout démarre alors véritablement lorsque Monsieur Braud, propriétaire du restaurant la Chaumière à Clisson, décide de tester une formule spectacle du samedi soir dans son établissement et propose aux Sunset de s’y produire. Pour cette première séance, le restaurant clissonnais fait salle pleine et décide aussitôt de les engager à l’année. Ils s’y produiront tous les

samedis soir, puis rapidement le dimanche après-midi également. Ils acquièrent très rapidement une solide réputation dans la région, enchaînant prestation sur prestation, week-end après week-end. Ils jouent alors les morceaux de Gene Vincent, d’Eddie Cochran, des Stones ou des Shadows, devant parfois plus de 2 500 personnes venues pour danser et écouter de la musique sur des parquets montés pour l’occasion.

> Ci-dessus et page ci-contre Les Devils

émile Bonnet se souvient des virées du samedi soir : « Nous partions faire nos représentations tassés dans la 403 du père de Gérard Trevignon. Les bonshommes et le matériel à l’intérieur et la batterie sur le toit. Le père Trevignon ne dépassait pas la seconde, de Nantes à Clisson, de peur de faire chauffer son moteur... » Il évoque également ce retour de Brest où le moteur de la vieille Versailles les lâche, tombant sur la route. Après plus de 250 représentations dont un passage au Golf Drouot, l’orchestre se sépare en 1966, victime des modes et de l’arrivée des nouvelles musiques et notamment de la Beatlemania. À la fin des Sunset, Gérard Trevignon deviendra régisseur de spectacle. Il dirigera ensuite Dispatch, une très importante société de sonorisation. Quant à émile Bonnet, il rejoindra l’orchestre de Daniel Gardin puis celui de Pierre Joly dans les années 1970. Noël Terrones jouera dans quelques groupes (comme le Gaby Blues Band) avant de créer la boutique de disques Fuzz

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dans les années 70. vertes de caoutchouc. Elle sera constituée par la suite LES MARTIENS d’une caisse claire et d’une cymbale. Après le départ Les Martiens, nés en 1962, sont composés des frères de notre guitariste rythmique, Gérard réussit à achePierre (dit Teddy Clark, au chant) et Gérard Leuren ter une guitare électrique Kent à deux micros, ce qui (guitare solo), de Georges Blanchedent (guitare d’acest alors un grand luxe. Quant à Mike, le bassiste noucompagnement) et de Jack veau venu, il joue, faute de Puaud (batterie). Le groupe vraie basse, sur une grosse « La batterie débute avec un répertoire de guitare Egmond à un micro. reprises (« Elle est terrible », Le plus souvent sur place de nos premières «  Viens danser le twist  », nous utilisions la sono de la répétitions était etc.) et quelques compos. fête, il n’y avait qu’à brancher composée d’une Après seulement quelques les guitares, mais pour le mois passés ensemble, boîte de Petits LU. » chanteur, les retours étaient l’équipage se voit totalement pourris voire inexistants. Et il Jack Puaud, les Martiens remanié. Jack est rejoint par fallait s’estimer heureux si tu Mike et Jean-Paul, tandis que ne prenais pas une décharge Pierre devient l’imprésario... Jack prend le micro sous avec le micro... » Le groupe participe en 1963 à de le nom de Chris Mitchell (d’après Long Chris des Dalnombreux spectacles et bals comme la fête du Lait tons et Eddy Mitchell, ses deux chanteurs préférés). du Douet à Saint-Sébastien. « Les concerts se rédui« C’est en fait la seule place où j’étais à la hauteur, saient pour les Martiens aux fêtes locales, kermesses, mettant un point final à mes exploits particulièrement puis une fois par an au festival de Rock de Nantes au faibles en tant que batteur... » commente Jack. Tout Paris, grand-messe bordélique où il était difficile de se est en place pour faire un vrai groupe et se prendre produire et de jouer dans une salle chauffée à blanc, enfin au sérieux... avec parfois des bagarres dans les travées de fauteuils... » se souvient Jack. « Notre motivation de départ était avant tout notre Après le départ de Chris, parti rejoindre les Mercepassion pour le rock, confirme Jack Puaud. Mais cela naires à St-Nazaire, le groupe change de nom et designifiait aussi secrètement pour chacun d’entre vient les Stormers, ensemble plus électrique. nous une possible réussite sociale et surtout des conquêtes féminines. LES ROBOTS « Pour le premier point, d’autres à peine moins mauFormés en 1963, les Robots réunissent Noël et Chrisvais que nous montraient le chemin au niveau natiotian Terrones, respectivement à la basse et à la guitare, nal, quant au deuxième volet, c’était déjà une réussite Lemy le Hecho à la batterie (décédé par la suite dans complète ! De plus, l’ambiance à Nantes était très un accident et remplacé par Jacky Mainguet, ex-Insurbonne. Il y avait de temps à autre des bagarres, mais gés) et Jean-Claude Masson à la guitare solo. Daniel rien de bien méchant ! Il n’y avait pas de drogue, juste Oillic assurera l’intérim pendant le service militaire un peu d’alcool parfois.  de ce dernier. Les Robots sont vraisemblablement, à l’époque, le meilleur groupe de rock de la région nan« Au commencement, notre matériel est entièrement taise. Ils remportent régulièrement les concours et acoustique. Il faut dire que nos familles ouvrières sont deviennent la référence locale pour tous les jeunes modestes et ne peuvent acheter du matériel moderne. musiciens. On leur envie leur technique, leurs cosLa batterie de nos premières répétitions était compotards, mais vraisemblablement leur matériel... sée d’une boîte de Petits LU sur laquelle je jouais avec Ils seront également les premiers à utiliser sur la ville des baguettes dont les extrémités étaient recouune distorsion sur les guitares, comme les Rolling Stones sur « Satisfaction ».

> Page ci-contre Les Sunset

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BREST

le rock débarque

dans la ville du

Nico Luiz des Loups Noirs

ponant Olivier Polardv

> Au début des années soixante, Brest s’est à peine remis du cauchemar de la guerre. Le cataclysme provoqué par les bombardements intensifs de l’été 1944 a provoqué une profonde blessure dans le cœur des habitants. De ce qui fit Brest pendant des siècles, celui vanté par Pierre Mac Orlan, construit par Vauban et Choquet de Lindu, croqué par les frères Ozanne ou Pierre Péron, il ne reste rien. Ou si peu...

L

a ville de Brest va se relever en un temps record mais ne sera plus jamais la même. La pierre a laissé place au béton. On parle désormais de « Brest la Blanche ». Les Brestois ont dû s’adapter, vivre provisoirement dans des baraques en bois, improviser des fêtes dans des endroits improbables. Et si l’enfer s’est abattu sur la ville, la vie, coûte que coûte, a vite repris ses droits. Brest reste avant tout une cité ouvrière. Elle peut paraître froide et sans âme aux personnes de passage, c’est pourtant une ville fascinante. L’état d’esprit qui règne ici est profondément influencé par le poids de l’histoire, la Royale, le supposé danger anglais, le bagne et les bordels. De tout cela, le Brestois a gardé un état d’esprit unique. On est Ti Zef : fier de ses origines, même si elles sont modestes... ou surtout parce qu’elles sont modestes ! Car pour le Ti Zef, Rennes et Nantes sont de grandes bourgeoises... Si l’on veut comparer Brest à d’autres villes, il faut la rapprocher des ports du Havre, de Liverpool ou de Manchester. Il y a ce même pragmatisme lié au chômage, à l’isolement de ce bout de terre, coincé entre la mer et la campagne, entre

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l’émigration et l’enracinement. Et le choix est difficile. Si aujourd’hui, le Brest dur et fier-à-bras tend à s’adoucir, la ville garde sa spécificité, comme un trésor unique qui se façonne dans les bars et les salles de concerts, et sous le crachin. Il y a assez de vécu dans cette ville pour éviter d’avoir à s’inventer des histoires. Une tradition d’orchestres de danse Brest possède dans les années cinquante un tissu musical important, composé d’une trentaine d’orchestres, essentiellement amateurs, qui se produisent trois ou quatre fois par semaine dans des bals de noces ou dans les matinées et soirées dansantes. Les dancings sont nombreux dans la région (cinq rien qu’à Saint-Renan !). Brest propose quelques lieux phares comme La Guinguette et Chez Bastard au Vieux Saint-Marc, le Petit Jardin à Recouvrance, le Prado au Moulin Blanc, la Gavotte à Kérinou ou encore la Redoute et l’Hermitage en centre-ville. La région compte aussi un certain nombre de salles de spectacle, en particulier le Palma au Conquet, le Tabago à Landivisiau, la Tocade à Ploudalmézeau, le Glazennou à Saint-Renan, le Cosmos à Bourg-Blanc ou encore le Nevada à Logonna-Daoulas. À Brest, la salle des fêtes

néral une centaine de fois par an. Le chef d’orchestre est considéré comme un véritable chef d’entreprise se chargeant de négocier les bals, gérer les déplacements, les costumes, etc. Pour les représentations en dehors du département, il passe par l’intermédiaire d’un organisateur de tournées. Un bal est rémunéré aux alentours de 100 ou 120 nouveaux francs par musicien, un tarif particulièrement élevé puisqu’un ouvrier ne gagne que 350 francs par mois, mais justifié par les frais de déplacement et surtout les cinq ou six heures non-stop de présence sur scène. Il est à l’époque possible de jouer trois fois par semaine (sans compter les mariages), le samedi soir, le dimanche après-midi (« en matinée ») et le dimanche en soirée. Pendant les bals, les orchestres alternent souvent l’interprétation de classiques (dans l’ordre : paso doble, valse, boléro, samba, tchatcha, slow et jazz bop) et un répertoire de nouveautés. Généralement trois morceaux lents avec lumières tamisées s’enchaînent avec trois morceaux plus rythmés. Les amplificateurs n’existent pas, seuls les chanteurs utilisent les petites sonos Bouyer dont la qualité médiocre leur vaut le surnom de sono « bouillie » ou « bourrier ».

située sous les halles Saint-Louis, pourtant inadaptée et malodorante, permet néanmoins d’accueillir un public nombreux aux grandes occasions. L’utilisation de certaines de ces salles est facilitée par la Compagnie Armoricaine de Transport qui organise des lignes spéciales pour ceux qui veulent se rendre dans les différents bals de la région. La plupart des musiciens répètent sur le tas et se produisent beaucoup, en gé-

Le rock modifie les règles du jeu L’arrivée du rock marque un changement dans la façon d’aborder la musique. La difficulté principale est d’abord de se procurer des instruments car aucun magasin ne vend de matériel adapté. Guitares et surtout amplis sont des denrées rares. Face à cette carence, Jean Gillet, fameux accordéoniste, se reconvertit dans la vente et ouvre Paris Musique. Il importe surtout du

> De gauche à droite Les Kingstones Les Welsons Eddy Dan et les Daners

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le rock débarque

dans la ville du

ponant

> De gauche à droite Les Welsons Les Loups Noirs

matériel italien et allemand de qualité moyenne, mais plus abordable que les produits américains. On peut désormais acheter des guitares Eko ou Welson, ainsi que des amplis Davoli ou Garem, trois entrées avec leur chambre d’écho. Certains tentent de se fabriquer des guitares par leurs propres moyens en commandant micros et mécaniques. Les moins fortunés vont même jusqu’à utiliser des câbles de frein ou récupérer de petites sonos d’église, voire de vieux postes TSF qu’ils trafiquent. Le manque de moyens amène souvent à se brancher à trois ou quatre sur le même ampli. Mais en fin de compte, ce qui importe c’est d’avoir l’attitude. Pratiquer un instrument est à la limite subsidiaire. Le niveau technique est d’ailleurs assez faible partout en France. En 1961, les frères Luiz, Nicolas et Henri, jouent dans l’orchestre de variété Argentina, mais leur vraie passion, c’est le rock’n’roll. L’argent des cachets leur permet d’acheter du bon matériel et de se lancer dans l’aventure sous le nom des Loups Noirs. Ils font leur premier essai l’été 1961 à la Guinguette. La patronne du lieu, Madame Le Duff, sait à peine ce qu’est le rock et se demande à quoi servent ces boîtes carrées qu’ils installent sur scène ! Lorsqu’ils commencent à jouer « Last Night », l’indicatif de Salut Les Copains, devant une salle encore déserte, les jeunes Brestois présents sur la grève voisine affluent en masse. Pour

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bon nombre d’entre eux, qui ne connaissaient le rock que par les ondes, c’est une véritable révolution. Pour la première fois, il est enfin possible de voir et d’entendre cette musique en direct ! Dans les mois qui suivent, d’autres formations se créent comme Eddy Dan et les Daners, les Black Suns ou encore les Criquets. Tous répètent sur du matériel de fortune. À la différence des Loups Noirs, ces formations ne tournent pas dans les bals, mais dans des kermesses ou à l’entracte des cinémas et restent proches de l’amateurisme. L’atout essentiel des Loups Noirs est de pouvoir jouer, en plus du rock, tous les types de musiques nécessaires aux bals grâce à une formation musicale plus complète. En novembre 1962, les responsables de la Guinguette organisent la « Grande nuit des copains » avec Nico Luiz et ses Loups Noirs, qui dominent désormais la scène rock locale, voire régionale, devenant rapidement semi-professionnels. Leur impact sur les musiciens en herbe est évidemment très grand. Autour des Loups Noirs, de plus en plus de passionnés s’activent et tentent de promouvoir le rock et les groupes locaux. C’est dans cette optique qu’est organisé, au mois de mars 1965, le « Grand festival des jeunes » à la salle Saint-Louis, qui permet à de jeunes groupes comme les Blue Shades de se faire connaître.


Les Welsons

Les Blue Shad es

Les Rangers

ers es Dan l t e n a Eddy D

es Les Kingston

Dan Ar B raz

avec les R ebelles

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le rock débarque

dans la ville du

ponant C’est aussi dans ce but qu’est créé en octobre 1965 par Alain et Christian Leroux (Aldo et Chico) le Rocking Fans Club, première association brestoise à promouvoir le rock’n’roll. Ils s’installent dans des locaux provisoires à l’emplacement actuel de la faculté des Lettres. La mairie interdit la présence des filles pour éviter toute bagarre. Une annonce est passée dans le magazine Disco Revue dès le mois de décembre : « Le Rocking Fans Club, club 100 % rock de Brest, vous invite chaque samedi soir de 20 h 30 à 23 h 30 à écouter les meilleurs orchestres et disques ». Les Loups Noirs, les Blue Shades ou des groupes du département comme les Rangers, les Sparks, les Jerrys ou les Cratères viennent y jouer gratuitement pour un petit public d’initiés.

Les Loups Noirs

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Pour être crédibles, les musiciens se doivent de ressembler à leurs idoles, chorégraphier leurs prestations, se rouler par terre en jouant au milieu du public et irrémédiablement, suer à grosses gouttes ! Les Loups Noirs ont parfaitement compris les règles du jeu et s’y prêtent totalement. Très vite, tous les patrons de salle se les arrachent, notamment Antoine Muzy qui accueille le rock avec enthousiasme dans sa salle baptisée la Redoute. La plupart des aînés sont désorientés. Ils ne comprennent pas l’engouement pour cette musique et jalousent son succès auprès du jeune public.

Le rock, comme un coup de poing  Les premiers rockeurs brestois sont essentiellement issus des classes populaires. Ils se réunissent souvent en bandes de quartier, certains bars deviennent leurs QG comme le Moderne et l’Épée, en bas de la rue de Siam. Les juke-box y sont remplis des disques d’Elvis ou d’Eddie Cochran et, à partir de 1962, du premier 45 tours des Loups Noirs. L’ambiance est électrique et le week-end, c’est généralement l’étape obligée avant le bal. Les bagarres sont monnaie courante, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Dans les dancings, les videurs n’ont pas le temps de s’ennuyer. Les abords de la chapelle du Vieux Saint-Marc ou la grève du Moulin Blanc sont des terrains d’affrontements très prisés. Il faut reconnaître que les proportions d’alcool ingurgitées chaque soir sont impressionnantes et favorisent d’autres excès. La tenue vestimentaire joue un rôle important. Elle est alors très caractéristique, composée d’un costume cintré, de bottines pointues ou d’une chemise à carreaux et d’un Levi’s serré. Les plus radicaux, appelés « blousons noirs », sont issus du milieu ouvrier (les rares « blousons dorés » désignent les enfants de familles plus favorisées), Gene Vincent et Vince Taylor sont leurs idoles. L’ambiance des concerts est caractéristique de la modification des mentalités. Déjà, à la fin de l’année 1959, un concert à la salle Surcouf dégénérait. Fauteuils cassés, bagarres. On sentait un courant se développer. Ce n’était pourtant pas encore du rock mais un gala d’André Révélioti qui pratiquait le jazz à la manière de la Nouvelle-Orléans, avec ce rythme binaire sous-jacent qui annoncait le rock. Le besoin de se défouler se faisait donc sentir pour toute une classe d’âge. Cette jeunesse se sentait réduite au silence et la musique réveillait déjà des pulsions jusqu’alors réprimées. Le premier rocker « officiel » à venir à Brest est Richard Anthony, considéré alors comme un jeune prince du rock’n’roll, lors d’une tournée de galas avec Dalida en février 1961. Il chante en province pour la première fois. Mais c’est la venue des Chaussettes Noires en février 1962, au cinéma le Celtic, qui déclenche une effervescence sans précédent à Brest.


brest

Les lieux à la mode

L

es amateurs de rock disposent bien entendu de leurs lieux de prédilection. C’est ainsi que la jeunesse dorée passe ses après-midi à danser chez Bastard, fuyant par les fenêtres donnant sur la grève lorsque la maréchaussée vient vérifier si tout le monde a bien 16 ans. Le succès de la salle tient surtout à la démarche des patrons qui n’hésitent pas à aller chercher leurs disques sur Paris afin de proposer les dernières nouveautés. La Chamade à l’Octroi, les Tritons au Moulin Blanc et la Clé des Champs à Plougastel sont aussi des boîtes à la mode, ouvertes aux plus jeunes les jeudi et samedi aprèsmidi. La Cave, sorte de squat autogéré au bourg de Kerhuon, organise régulièrement des concerts. Cependant, le lieu le plus remarquable de la région brestoise reste la Redoute. L’initiative en revient à Charles Muzy, un Corse de Porto-Vecchio qui possédait en 1940 plusieurs hôtels à Brest dont celui du Cheval Blanc, derrière la poste centrale. Les bombardements ayant réduit l’hôtel en poussière, il fait construire en 1950 l’hôtel Vauban au titre des dommages de guerre. Cette année-là, la fermeture de la guinguette des halles Saint-Louis lui donne l’opportunité d’aménager une salle de spectacle dans ses sous-sols. L’hôtel est l’un des plus cotés de la ville et accueille la plupart des stars de passage comme Mistinguett, Édith Piaf, Charles Trenet, Bourvil, Gilbert Bécaud ou encore Sidney Bechet. Ce n’est qu’en 1960 que la salle de bal ouvre officiellement ses portes, après qu’un parfum de scandale ait secoué le conseil municipal de la ville. De couleur jaune poussin, elle était destinée à engager des tournées de strip-teaseuses ! Bien vite repeinte, la Redoute se contente en définitive d’accueillir des groupes de bals, trouvant rapidement sa place dans le circuit des dancings de la région.

En 1964, Antoine Muzy dit Tonio, le fils de Charles, prend la direction de l’hôtel. C’est un passionné qui se démène pour faire marcher son affaire. C’est surtout un grand amateur de rock qui n’hésite pas à annoncer dans la presse les groupes qui se produisent chez lui en les affublant de pseudos qui sonnent anglais et de superlatifs du genre : « Le groupe qui lance un défi aux formations anglaises » voire « un trio vocal superbe, un volcan de puissance et un batteur exceptionnel », ou encore « Partout l’on en parle... est-ce de la venue de Johnny Hal-

lyday ? Non, mais du formidable et extraordinaire orchestre les Sparks. » La salle est pleine tous les week-ends. Les meilleurs groupes de Bretagne y jouent régulièrement. Si les musiciens ne sont pas assez bons, ils sont hués puis remerciés. La Redoute fait

office de Golf Drouot breton. Outre les Loups Noirs, on retrouve régulièrement les Jerrys, le Cratère, les Welsons, les MK Gods, les Blue Shades, les Shouters, les Sphinx ou les Strauss. Deux festivals « Rock et Blues » y sont même organisés en 1966 et 1969. L’ambiance est survoltée, il n’est pas rare de voir des bagarres éclater pour des broutilles. Deux videurs assurent tant bien que mal la sécurité : une armoire à glace ayant fait l’Indochine et un chef de bande ayant pour manie de coudre des lames de rasoir dans le col de sa veste !

Les Cratères à la Redoute en 1966

Le succès de la Redoute n’est pas du goût de tous. Le chef de la police en particulier fait tout son possible pour nuire à l’établissement d’Antoine Muzy, qu’il rend responsable des troubles à l’ordre public au centre-ville, des bagarres et des déambulations d’ivrognes. Antoine subit régulièrement contrôles, surveillances, tracasseries administratives. Tous les moyens sont bons pour réduire le nombre de ses clients et il est souvent obligé de cacher les plus comateux ! La salle de la Redoute reste véritablement le temple du rock à Brest jusqu’en 1971. À cette date, l’accumulation des années passées à se démener comme un fou, ainsi que de nouvelles normes de sécurité drastiques, amènent Antoine Muzy à fermer sa salle. Son fils Charles rouvrira l’endroit dix ans plus tard

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le rock débarque

dans la ville du

ponant La rue Jean-Jaurès est noire de monde et des cars de CRS sont dépêchés sur place pour éviter tout débordement. Les autorités commencent à se méfier de cette jeunesse turbulente. Le scénario se répète lors de la venue de Gene Vincent en 1963. L’ambiance est survoltée. Moustique et Franck Adams débutent le gala. Gene Vincent, accompagné par les Sunlights, est épuisé après une tournée marathon mais assure le show. Beaucoup de jeunes restent à l’entrée. La police quadrille les rues et arrête de nombreux rockers en herbe surexcités. Quelques mois plus tard, pour le concert de Vince Taylor, les Loups Noirs sont engagés en ouverture de soirée. Ils jouent quatre morceaux avant de céder leur place aux Spoutniks. Vince Taylor, encore auréolé de son passage cataclysmique au Palais des sports, a du mal à réintégrer ses loges en revenant d’un bar tout proche, la maréchaussée brestoise voulant l’embarquer avec d’autres blousons noirs trop turbulents... Le concert a finalement lieu et recueille, là encore, un véritable triomphe. Les Blue Shades

Mais les concerts de rock ont désormais mauvaise réputation et sont suspendus pendant plusieurs

années. Les préfectures civile et maritime préfèrent éviter les troubles. Brest se doit d’être une ville calme et respectable, concentrée sur son activité militaire.

Les Loups Noirs Les Loups Noirs peuvent être considérés comme la toute première formation rock de Brest. Nico Luiz et son frère Henri, dit Ricky, commencent à jouer à la fin des années cinquante. Leur père, « Papa Loup », fait partie de la musique de la flotte et les pousse à monter un orchestre. Il sert de manager, conduit le fourgon et intervient même sur scène de temps en temps. Les deux frères débutent en 1958 sous le nom d’Argentina, jouant les classiques de l’époque, tchatcha, paso doble, valse, samba... Mais ils sont déjà branchés sur la musique américaine, attirés par le jazz swing de Duke Ellington ou Count Basie, qu’ils jouent en fin de bal. Lorsqu’en 1960 le rock commence à arriver en France, ils s’intéressent immédiatement à ce nouveau genre musical et en deviennent fanatiques. Ils ont l’avantage de ne pas être des débutants et peuvent l’appréhender rapidement. Ils investissent leurs cachets dans du matériel électrifié de bonne qualité qu’ils doivent commander chez Jean Gillet. C’est donc sur ampli Vox et guitares américaines qu’ils s’essaient à jouer leurs premiers rocks à la Guinguette fin 1961. Ils connaissent d’emblée un succès incroyable auprès des jeunes. Personne n’avait jusque-là entendu du rock ailleurs que dans un poste de radio. Ils produisent pour beaucoup une sorte d’électrochoc et leur réputation va se développer rapidement. Rebaptisé les Loups Noirs pour mieux coller à cette nouvelle mode, le groupe se compose, outre les frères Luiz, de Michel Runavot (basse, chant), Charles Qzamenasek (guitare) et Marie France (chant, accordéon). Malgré leur goût marqué pour le rock’n’roll, ils continuent à jouer de tout. Marie France est là pour les passages musette et les reprises de Françoise Hardy ou Sylvie Vartan. Dès qu’ils le peuvent, ils ne font que du rock, mais c’est encore assez rare. Le nombre de titres en

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stock est assez hallucinant : une bonne centaine, qu’ils jouent pendant cinq ou six heures sans interruption. Les Loups Noirs reprennent les standards de l’époque, Elvis Presley, Gene Vincent, Ricky Nelson et quelques Français comme Johnny ou les Chaussettes Noires. Le succès ne se dément pas, on les demande de plus en plus. Ils surenchérissent au maximum, jouant dans des positions impossibles, au milieu d’un public qui n’en croit pas ses yeux. Un noyau de fans fidèles commence à les suivre. Leur QG, le Moderne, est un bar de la rue de Siam qui possède le juke-box idéal.

le jazzman Bill Coleman. Michel Runavot et Charles Qzamenasek, débauchés par d’autres orchestres, sont remplacés par Gérard Lostec et André Baron. Le registre évolue avec de nouvelles influences, Beatles, Rolling Stones ou Kinks, mais la base reste bien ancrée dans le rock’n’roll. Le tournant arrive en 1965 lorsque Nicolas et Henri Luiz partent au service militaire. Le groupe continue tant bien que mal avant d’arrêter définitivement l’année suivante, se sentant désormais trop en décalage avec la pop music alors en vogue.

En 1962, les Loups Noirs jouent donc en première partie de Vince Taylor à la salle le Paris devant un public sous très haute tension. À la fin de l’année, ils enregistrent un premier 45 tours pressé à mille exemplaires, sans pochette, et vendu pendant les bals. Un deuxième 45 tours est réalisé quelques mois plus tard. Ils sont à ce moment, l’orchestre le plus populaire de Brest et sa région. En mars 1964, ils ouvrent pour

En 1970, Nico Luiz, de retour après une longue absence, tente de reformer les Loups Noirs mais la plupart des salles qu’il connaissait ont été transformées en boîtes de nuit. Il préfère se reconvertir et entame une carrière de disc-jockey. Les Loups Noirs font partie des orchestres régionaux les plus mythiques des années soixante. Ils ont eu un rôle essentiel dans la diffusion du rock à Brest et dans toute la Bretagne et ont ouvert la voie à bon nombre de jeunes musiciens,

Les Loups Noirs

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rennes

comment réveiller

la bourg Frank Darcel avec Claude Andrieu

O

n prend vite conscience, lorsque l’on observe les premiers frémissements du rock en Bretagne, que Rennes réagit un peu plus tard, mais également beaucoup plus timidement que Brest ou Nantes. On peut avancer quelques hypothèses pour expliquer ce retard à l’allumage. Brest est un port et Nantes est proche de celui de Saint-Nazaire ; la diffusion de ce nouveau courant musical a ainsi pu être facilitée. Le rock, souvent issu du prolétariat anglo-saxon, reçoit peu d’écho dans une ville sans véritable tissu industriel, où la classe ouvrière est absente. S’il n’en reste que deux Rennes, tout au long des sixties, sera principalement la base de deux groupes de rock’n’roll : les Spirales et les Atlas. Deux groupes au propos légèrement différent mais qui, du fait probablement de leur sentiment d’isolement, finiront par sympathiser et échanger des musiciens.

Les Atlas Les Atlas doivent leur naissance à l’arrivée sur Rennes d’un jeune pied-noir, Jean-Pierre Boyer, né à Alger le 5 mars 1947. À la fin de la guerre, en 1962, il débarque en Bretagne avec sa famille, sans y avoir d’attaches particulières. Le jeune homme est déjà un passionné de musique. Il faut d’ailleurs remarquer que les pieds-noirs, d’une manière générale, ont eu une grande influence sur le rock français de l’époque. Jean-Pierre a son idée sur la question : « L’Algérie était un creuset de cultures, Arabes, Juifs, personnes ori-

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geoisie ? ginaires de France, d’Italie, d’Espagne mixaient leurs apports, dans un pays où la tradition musicale était forte. Beaucoup de films en provenance d’Égypte étaient chantés, et le climat se prêtait aussi à des rencontres en plein air, dans lesquelles la musique tenait une place très importante. » Là-bas, alors que son frère s’entiche du bel canto de Mario Lanza, Jean-Pierre s’enflamme pour Little Richard. Certains magasins de disques, en ce début des années soixante, sont plutôt « branchés » à Alger. En dehors des singles de sa première idole, le jeune Algérois se procure également un disque de Ray Charles, puis s’extasie à l’écoute des premiers titres des Shadows. Un groupe qui le marquera pour la vie. Mon fusil contre une guitare À l’écoute de ces disques, Jean-Pierre se passionne rapidement pour la guitare. Son père décide, alors que les événements d’Algérie se profilent, d’échanger un pistolet qui dort à la maison contre l’instrument d’un voisin. C’est sur cette guitare acoustique à la marque inconnue qu’il jouera ses premiers riffs à la Hank Marvin. Une guitare qui l’accompagnera dans la traversée de la Méditerranée, et qu’il a toujours en sa possession. Son Teppaz et trois disques des Shadows constitueront le reste de son viatique. À l’arrivée, il se sent prêt à faire partager son savoir et sa passion aux Rennais. Jean-Pierre entre au lycée Chateaubriand à Rennes, en 1962. Cet établissement, baptisé par la suite Émile Zola, sera fréquenté, quelques années plus

tard, par Étienne Daho, Pascal Obispo ou encore les Popopopop’s. L’intégration du jeune pied-noir se fait très facilement, et la musique n’y est pas pour rien. Il rencontre là, entre autres, Camille Buteault, autre guitariste en herbe, avec qui il commence à jouer. Très vite, ils montent le groupe les Atlas, référence aux montagnes du Maghreb. La première guitare de JeanPierre ne suivant plus le rythme, son père lui propose, s’il obtient son BEPC, une « vraie guitare électrique ». Jean-Pierre potasse et obtient le précieux sésame. Boulevard de la Liberté Il peut alors se rendre aux établissements Duros, situés à l’époque boulevard de la Liberté, pour acheter sa Parker. Jean-Pierre n’a pas encore approché de Fender, pour la bonne raison qu’elles n’étaient pas arrivées jusqu’à Rennes. On peut voir sur la photo de la page 37 l’un des premiers concerts des Atlas. Jean-Pierre tient la fameuse Parker, Camille a une Eko. Le bassiste, Alain Belan, joue sur une basse fabriquée par Jean-Pierre d’après les cotes copiées chez Duros sur une guitare inabordable, à l’aide d’un mètre de menuisier. L’électronique et les mécaniques ont été achetées à part mais les jeunes artisans musiciens ont fabriqué le manche et les frettes. On retrouve ce genre de bricoleurs à Nantes et Brest à l’époque, cela n’en constitue pas moins une sacrée gageure ! Le quatrième membre des Atlas est le batteur Luc Ressaussière. Le groupe se produit alors essentiellement dans les MJC locales, mais aussi au foyer des

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L’un des premiers concerts des Atlas

jeunes travailleurs de la Marbaudais à Maurepas, où se réunissent les premiers rockers rennais, le temps d’un concert. Un lieu qui est également le quartier général de l’autre groupe de l’époque, les Spirales.

se souvient avoir payé, l’année précédente, la Parker 250 francs. La Strat coûte 2 200 francs ! De nos jours, une guitare « jouable » est très abordable ; dans les sixties elle est hors de prix.

> Page ci-contre Jean-Pierre Boyer en Algérie avec sa première guitare

Un personnage a joué un grand rôle dans la circulation de ces nouvelles musiques dans la ville de Rennes. Il s’agit de Guy Tudy qui, au travers de son « Club des amis de la musique », situé rue d’Antrain, organise des rencontres musicales tous les dimanches matin. Guy a l’esprit réellement ouvert sur ces nouvelles sonorités débarquées d’outre-Atlantique, et il aime la manière de jouer de Jean-Pierre. Ce qui met ce dernier en confiance.

She Loves You En parallèle, les influences anglo-saxonnes continuent de compléter et de formater le répertoire des Atlas. Quand ceux-ci ne jouent pas, ils ont l’oreille collée à la radio pour capter les stations anglaises comme la BBC, mais aussi l’emblématique Radio Caroline. Un jour, à la rentrée des classes de 1963, « She Loves You » des Beatles envahit les ondes. Après les Shadows, ce sera le deuxième grand choc pour JeanPierre, qui désire désormais posséder un instrument digne de ce nom. Le guitariste des Atlas achète sa première Fender Stratocaster en 1964. Jean-Pierre

Les Atlas ne sont pas encore un groupe de bal, et même si la musique produite est plus « mainstream » que celle des Spirales, ils ont la volonté de prolonger, de ce côté de la Manche, ce qui se trame en Angleterre. Mais ici, le public n’est sans doute pas encore prêt, et les structures manquent. Les Atlas parviennent tout de même à sortir un 45 tours, mais vivre du rock’n’roll, le rêve de Jean-Pierre, ne s’annonce pas simple...

Le 45 tours des Atlas, sorti en 1964

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comment réveiller

la bourgeoisie ? LES SPIRALES 1961, la naissance Quelques temps avant que les Atlas ne plaquent leurs premiers accords, un autre groupe rennais a déjà fait parler de lui. Il s’agit des Spirales, dont on peut estimer la naissance à l’automne 1961, très précisément lorsque Claude Andrieu, jeune guitariste, fait la proposition à Louis-Henri Briand, dit Loulou, de monter un groupe. La scène se passe dans le club des jeunes de Maurepas, sis au bas de la Tour 13. Le groupe, qui se nomme au commencement les Rockets, est donc constitué de Loulou Briand au chant, Daniel Hervé et Claude Andrieu aux guitares. Ces deux-là se connaissent depuis

Concert des Spirales à Maurepas, 1962

plusieurs années comme membres de l’aéro-club de Rennes où ils pratiquent le planeur et l’avion. Cela explique le nom des « Spirales » que le groupe prendra par la suite, puisqu’il s’agit d’une figure d’évolution des planeurs. Alain Troussier qui suivait le même cursus que Claude Andrieu à l’école d’industrie du boulevard Laënnec, les rejoint à la batterie, lui qui est par ailleurs un joueur de biniou. Il n’y a donc, dans cette première formule sous le nom des Rockets, pas de bassiste. Après quelques répétitions, le groupe se produit de manière informelle le dimanche après-midi, dès la fin 1961, devant les jeunes du club de la Tour 13, pour se faire la main et tester les réactions, qui furent très positives au sein de ce noyau de fans. Pour les autochtones en effet, le fait que le

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premier groupe de rock rennais ait vu le jour dans leurs murs, avec le populaire Loulou au chant, était suffisant pour adhérer. Les Rockets gagnent ainsi facilement, sur Maurepas, leurs premiers aficionados. 1962, les débuts sur scène Pour son répertoire le groupe s’oriente, dès ses débuts, vers la reprise de standards américains assez basiques et rockabilly. Leurs véritables sources sont alors Gene Vincent, dont ils interprètent « Be-Bop-A-Lula », « Say Mama », Eddie Cochran pour « Summertime Bues », « Come On Everybody », « Twenty Flight Rock ». De Buddy Holly, ils reprennent « Peggie Sue », de

Carl Perkins « Blue Suede Shoes », de Johnny Kid, « Shakin All Over », de Little Richard, « Tutti Frutti », etc. Elvis Presley, qu’ils trouvent englué dans la guimauve, n’est pas aussi prisé. Les quelques titres en français qu’ils se sentent obligés de mettre au répertoire sont surtout empruntés à Dick Rivers et aux Chats Sauvages. Cette petite allégeance yéyé semble incontournable pour décrocher des concerts. Compte tenu de sa configuration, le groupe n’a pas vocation à faire des covers instrumentaux, mais il emprunte quand même « Wipe Out », « Walk Don’t Run » aux Ventures, « Driftin » aux Shadows et « Shazam » à Duane Eddy. La première prestation publique du groupe se déroule à Rennes sur une scène montée place Georges-Bernanos à Maurepas, à l’occasion de la fête de la Saint-Jean, le 23 juin 1962. Une fête traditionnelle qui sera rebaptisée, vingt ans plus tard, fête de la Musique... Peu après, les Rockets deviennent les Spirales,


par référence aux activités aéronautiques de Dany et Claude : « Le nom fut adopté sans problème, en confirmant une orthographe française au détriment de “The Spirals”, et bien qu’il y ait eu débat sur le sujet », explique Claude. 1963, année charnière Le style du répertoire évolue peu en cette année de mise en sommeil du groupe, du fait du départ de Daniel Hervé au service militaire. Il reste axé sur un rock américain (Gene Vincent, Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis « Whole Lotta Shakin’ Goin’ On ») et contient, toujours sans grande conviction, un peu de yéyé français. Quant à l’équipement, on peut se rapporter à quelques photos prises à l’aéro-club de Rennes où Daniel Hervé et Claude Andrieu s’étaient rencontrés quelques années auparavant. L’avion est un Morane Saulnier Rallye MS880... Les guitares sont des Eko et les amplis des RV et Bouyer. C’est dans la salle de ciné le Régent (du Club de l’Avenir), rue Papu, que les Spirales croisent pour la première fois les Atlas à l’automne 1963. Jean-Pierre Boyer, leader des Atlas, est alors reconnu comme le véritable guitar hero rennais. Même si ce n’est pas la loi du genre et malgré une certaine concurrence, les relations empreintes de respect mutuel seront bonnes entre les deux groupes et des collaborations s’établiront plus tard. Pour en revenir à cette soirée rock d’automne 1963 au cinéma le Régent, les autres formations rennaises qui jouent ce soir-là, les Jymys et les Météors, n’ont pas laissé de souvenir marquant. Ceci confirme qu’en cette première moitié des sixties, il y a peu de groupes dignes d’intérêt à Rennes. On est loin du foisonnement brestois ou nantais. C’est malgré tout ce soirlà que les Spirales font la connaissance de leur futur bassiste, Maurice, qui joue dans un groupe débutant, encagoulé style Danny Boy et ses Pénitents, les Myster’s. Il fait acte de candidature, en oubliant de dire qu’il est gaucher. Comme chez les Atlas, la basse sera donc faite maison, puisque les basses pour gaucher ne sont pas arrivées jusqu’à Rennes et que Maurice est menuisier...

1964, les affaires reprennent 1964 sera l’année d’importantes évolutions dans le répertoire. Les Spirales trouvent définitivement leur style dans lequel Chuck Berry et les Rolling Stones occupent une place centrale. Ces évolutions sont liées au retour de Daniel du service militaire et à l’émergence du rock anglais sur quelques stations radio et chez les disquaires locaux. Le groupe se produit en tout début d’année au ciné le Club, rue d’Antrain, lors d’un spectacle de variété organisé dans le cadre d’une tournée d’artistes et groupes locaux. C’est également en ce début d’année 1964

que les Spirales font la connaissance du batteur Alain Le Goff. Certains fans ayant émis quelques doutes sur les performances du batteur originel, Alain Le Goff est discrètement invité à venir faire un bœuf, un dimanche après-midi, au club de Maurepas. « Alain était peu passionné par ses études dans une école de secrétariat, en revanche, c’était un excellent batteur et il avait son matériel ! » se souvient Claude Andrieu. La décision n’est pas facile à prendre, mais il remplace rapidement Alain Troussier. Pour la première fois, le groupe prend contact avec le côté « dur » de la vie de rocker... Après un radio crochet réussi dans le quartier de la Touche, un animateur de club de jeunes, un certain Daniel Boutevillain, décide de les cornaquer. Ayant le goût de l’uniforme, de mise dans certains orchestres plus traditionnels, il fait confectionner par sa femme de belles tuniques en rayonne tirant sur le rose. Seul Loulou, le chanteur, y échappe ! Au printemps, affublés de

Les Myster’s, dont le bassiste rejoignit les Spirales.

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la bourgeoisie ? ces tenues ridicules, les Spirales jouent sur la scène du théâtre de Rennes. Ce jour-là, il y a aussi au programme les Dolmen’s des frères Hervé de Lorient, déjà des pointures qui, quelques années plus tard, créeront le groupe Zoo. Le set des Lorientais rend les Rennais modestes, mais surtout les tenues bizarres sont remisées au placard dans la foulée ! Par la suite, les Spirales se produisent régulièrement les dimanches après-midi dans la grande salle du club du foyer de jeunes travailleurs de la Marbaudais à Maurepas. La scène est montée pour les besoins de pièces de théâtre alors répétées par d’autres jeunes du club. C’est là que sont tous leurs « homeboys »... Parallèlement, alors que le rock anglo-saxon n’a pas du tout été accepté d’emblée en France, en cette fin 1964, les préjugés tendent à s’évanouir. La vague yéyé a sans doute permis à l’Hexagone de s’habituer en douceur à ces ondes profondes arrivant d’outre-Manche et d’Amérique. Ainsi, on en revient progressivement aux fondamentaux professés par les parrains du style et, parallèlement, le rock commence à acquérir ses lettres de noblesse. Les Spirales se trouvent reconnus dans leur rôle de précurseurs à Rennes. D’ailleurs le groupe est de plus en plus sollicité. L’édition de Ouest-France du 17 no-

vembre 1964 annonce la participation des « Spiral’s » (faisant fi de l’orthographe française du nom) à deux spectacles dans une nouvelle salle de Cesson. En décembre, le groupe participe à l’animation d’un dimanche après-midi rue Chicogné (près du boulevard de la Liberté) dans les locaux de la CFDT. Ce syndicat naissant cherche tout naturellement à se doter d’une image attractive auprès des jeunes employés et ouvriers rennais. Le rock est considéré comme un messager fiable et authentique.

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1965, les rois de la place de la Mairie Le répertoire du groupe s’enrichit dans la continuité en reprenant des titres des Rolling Stones « I Wanna Be Your Man », « I’M. A King Bee », et un peu des Beatles « A Hard Day’s Night », « Day Tripper », « Roll Over Beethoven » (reprise de Chuck Berry par les Beatles). Mais les Beatles, « bien qu’extraordinairement créatifs, ne seront jamais la tasse de thé des Spirales », confie Claude Andrieu. Ils repennent également les titres d’autres groupes anglais. Les Kinks pour « You Really Got Me », « All Day And All Of The Night ». Les Yardbirds pour « Shapes Of Things » et The Animals avec « The House Of The Rising Sun ». Quelques emprunts au rock en français chez Ronnie Bird : « Je voudrais dire », « L’amour nous rend fous », « Tu perds ton temps »... En ce début d’année le groupe anime toujours les dimanches au club du foyer de jeunes travailleurs de la Marbaudais, mais déjà l’accès au club pour ces après-midi n’est plus gratuit. Leur ami Pierre « Yptok », doté d’un solide sens des affaires, s’occupe de la caisse dans le hall d’entrée. Le tarif est certes modeste, mais il y a beaucoup de monde... Cette année 1965 voit également les Spirales jouer tous les jeudis soir au Triumph, une boîte de nuit située sous les arcades du théâtre de Rennes. La faune fréquentant ce lieu discret est assez classique : quelques petites notabilités, des voyageurs de commerce, la mère maquerelle qui garde l’œil sur ses quatre filles, quelques étudiants ou autres occasionnels en goguette. « Jamais de bagarre, précise Claude, mais une atmosphère un peu surannée qu’aurait bien pu décrire Simenon... Nous trouvions nous-mêmes notre présence en ce lieu presque incongrue parfois... » Au printemps, le groupe joue un après-midi à Rennes dans la salle Omnisports (le futur Liberté) devant un public de collégiens enthousiastes avant de prendre la route pour jouer le soir-même dans une boîte de nuit à Tours. Relativement proche de la base américaine de Châteauroux, toujours active, la ville de Tours bénéficie d’une culture bien plus américanisée que Rennes, avec de vrais amateurs de rock. Un peu intimidés, les Spirales rencontrent finalement, face à ce public de connaisseurs, un joli succès. Avant un retour de nuit sur Rennes pour reprendre, qui le boulot, qui l’école, dès le lendemain matin ! Ensuite, entre les Spirales et les Atlas, les deux groupes dominant la scène rennaise, les relations s’approfondissent, empreintes d’un respect mutuel. Des amitiés se nouent et, en 1965 toujours, des Spirales feront des remplacements chez les Atlas.


Et vice-versa. Au printemps 1965, il est question, avec un cersodiques du dimanche reprennent au club de la Marbaudais. tain Portal, producteur à la DMF, société qui tirait des disques à Les Spirales se produisent aussi à Maurepas sur la petite place compte d’auteur, d’enregistrer un 45 tours, comme le font les du centre commercial face à l’école de Trégain, sur un car-poAtlas à la même époque (avec un « Spidium, en première partie de Monty, une « Avec la télé rales », Daniel, à la guitare rythmique). vedette yéyé du moment. Peu après, noir et blanc, nous Dans ce but, les Spirales prévoient noc’est le premier passage télévision pour tamment de reprendre un tube des Yard- avions de vraies têtes les Spirales, Claude raconte : « Suite à un birds « Shapes Of Things » ainsi qu’un concours organisé par l’ORTF à la foire exde bandits... » titre de Cliff Richard « Move It ». Mais position de Rennes, nous avons gagné un Claude Andrieu, les Spirales le projet, trop cher, n’aboutit finalement passage à la télévision régionale. À cette pas. Le groupe se produit ensuite en juillet au casino de Saintépoque, avec une télé nationale balbutiante à deux chaînes, Malo. cela constituait un petit événement. Dans la foulée de cette prestation, il leur sera demandé d’animer trois ou quatre dimanches après-midi au café le Chateaubriand, intra-muros. « Le public était surtout constitué de jeunes Rennais et Parisiens, un peu snobinards, qui passaient leurs vacances dans le coin. » À l’automne, les animations épi-

Les Spirales

Lors de la séquence tournée dans les studios de l’ORTF, avenue Janvier, nous avons enregistré “Around And Around” des Rolling Stones et ça a été diffusé le samedi midi. Avec la télé noir et blanc, nous avions de vraies têtes de bandits... Ce qui faisait justement très “Rolling Stones”... Un passage télé réussi ! »

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St-Brieuc

Gilles Le Guen

B

rock’n’roll sur le

légué

ien avant les Wankin’ Noodles, AliveKill, Rafale et que settes Noires... Pour nous, ça a été un choc ! » Même si ces le festival Art Rock ne remplisse Poulain-Corbion et yéyés semblent un peu convenus aujourd’hui, dans la tête des plus, dès le début des années 60, le rock’n’roll avait adolescents de cette époque, c’est un cataclysme « par rapinvesti Saint-Brieuc. En 1962, une jeunesse briochine port à la musique que l’on avait avant ». À ce premier contact en quête de sons nouveaux et de flippers se retrouvait dans avec la musique rock s’ajoutaient les soirées passées devant les lieux à la mode : l’Escale aujourd’hui disparu, l’hôtel les juke-box. « À l’endroit où il y a le magasin de disques Erdu Commerce et la Mère Nouët, devenus respectivement rances aujourd’hui, il y avait un bar, celui de l’hôtel d’Angleterre. le Duguesclin et la Brasserie. C’est là qu’avaient donc élu Et dedans un bowling et un juke-box avec Elvis Presley, Eddie domicile Alain Poilvet et ses amis. C’est là aussi qu’ils Cochran, Gene Vincent, Little Richard et Ray Charles. » Nous feraient leurs débuts sur scène dans un groupe de rock : sommes en 1962, le jeune briochin a 16 ans. « Moi, je ne me les Spectres. Alain ne s’en rappelle plus vraiment mais c’est suis pas posé beaucoup de questions. Je n’avais aucune notion « certainement par hasard » qu’il de musique, mais c’est le rythme qui avait atterri au chant et pris pour m’a tout de suite plu. » Pour acheter « On faisait plus nom de scène Jacky Morgan ! les disques, il faut se rendre au made répèt’ que de De sa retraite, planqué dans la vallée gasin de musique Sainte-Cécile. Côté concerts ! » du Gouëdic, à la veille d’un départ concerts, des choses se passent : Alain Poilvet, les Spectres pour des vacances à New-York, au « J’ai vu les Chats Sauvages au Royal milieu de ses disques et de sa biblioet les Chaussettes Noires au cinéma thèque, l’ancien chanteur de rock dénoue l’histoire. Sans nosle Splendid. J’aimais beaucoup la voix grave de Dick. » Mais le talgie, ni fanfaronnade, modeste, il se défend : « C’était quand plus mémorable, c’est Vince Taylor à Robien : « Dément ! Tout en même assez banal comme histoire... On faisait plus de répèt’ cuir noir, la jambe en avant. » que de concerts ! » Une bande de potes, un son nouveau qui sort des Teppaz et des guitares qui traînent. Pourtant cette Salle comble à Robien épopée de gamins briochins vaut d’être contée. Comme leurs Mais Jacky Morgan a déjà rejoint un groupe d’amis trouvés dans célèbres aînés signés sur les maisons de disques et après une les bars branchés de la ville et animés du même feu. Un nommé Tristan Penndu semble tout désigné pour emmener le gang. Car poignée d’années, la conscription militaire remettra de l’ordre il a une guitare ! Il a aussi le permis... Fils de commerçants vendans cette douce folie 60’s et anéantira quelques rêves de deurs de télés et sonos, il est très bien placé pour approvisionrock’n’roll. ner les Spectres. « Tristan amenait les micros, les amplis et enceintes. Il était plus musicien que les autres. C’est lui qui disait Hôtel d’Angleterre ce que l’on allait faire. » Jean Poilpot prend la basse, Michel Le « Vraiment, le déclencheur a été la musique que l’on entendait Person tient la batterie et il amène un nom de guerre au groupe. à la fête foraine sur le Champ de Mars, se rappelle Alain Poilvet. Au fond d’une impasse, vers les Promenades, la bande s’insTous, ils passaient les nouveautés comme Johnny, les Chaus-

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talle dans la maison d’un nouvel ami, Michel Amice. Ce dernier jouant parfois de la batterie. Il y a un bar dans la cave et les Spectres y font leurs premières prestations pour les amis. Et quand la trésorerie du groupe est basse, Penndu entre en scène : « Il vendait une télé dans le commerce parental et mettait l’argent de côté... » Des surboums, leurs reprises des Chats et des Chaussettes les emmènent rapidement hors du local de répétition. Entre 1963 et 64, les Spectres brûlent trois ou quatre fois les planches de l’Escale, mais aussi celles d’un club de la rue des Trois-Frères-Le-Goff. Le groupe joue pour les fêtes locales. Leur plus gros fait d’armes reste une salle comble à Robien : « La salle était pleine, la réaction très bonne. Les filles, les autographes... ça a été le summum ! » Plus tard, le groupe a même l’opportunité de répéter dans un ancien cinéma au Légué. « ça a été une chance, il y avait une scène ! On pouvait s’entraîner et on avait même un public, les jeunes du quartier ! » se souvient Jacky Morgan. Les Spectres reprennent les tubes : « Dernier baiser » ou « What’D I Say » version Dick Rivers... « Quand on entendait “Daniela” ou “Tu parles trop”, c’était bon. Y’avait pas besoin du certif’ pour faire une reprise ! On n’était pas des lumières. On reprenait simplement ce que l’on entendait », affirme Alain. Côté jeu de scène, « c’était pas violent, plutôt gentil même. On ne se roulait pas par terre ».

Spectres revoit son ami l’ex-Strauss. Le rock n’est plus au centre de leurs conversations ; même si les souvenirs émergent parfois. Comme lorsqu’Alain, alias Jacky, était « descendu dans le Sud avec les Strauss, pour un de leurs concerts du côté de Penmarc’h ». 1965 rime avec service militaire pour le chanteur et sonne la fin des rêves rock. « Après l’armée, en 1967, rien n’était plus pareil, raconte Alain Poilvet. C’était le passage de l’adolescence à l’âge adulte. L’insouciance, c’était fini ! Il fallait penser à gagner sa vie... » L’époque avait changé et la musique avec. Alain avoue avoir « rapidement décroché ». « Dans la pop, ce qui m’a dégoûté c’est quand ça a dérapé avec tous ces gars aux cheveux longs qui cassaient des guitares. Je me rappelle d’un gars à Saint-Brieuc qui avait un poignard sur scène et un soir l’avait planté dans le piano !  » Retour au texte Le chanteur des Spectres était déjà ailleurs et s’intéMais ce qui a surtout marqué ressait aux textes, avec un goût « J’ai aimé le rock le Jacky Morgan d’alors, c’était affirmé pour Dylan et Léo Ferré. parce que c’était un autre groupe rock de la La verve monte dans le parégion : les Strauss. « C’étaient villon de la vallée du Gouëdic. pur. » trois gars de Pléneuf-Val-AnEt Jacky Morgan d’entonner le Alain Poilvet, les Spectres dré. Ils avaient du bon matériel « T’es rock, coco » de l’auteur et c’était un très bon groupe. Ils nous impressiond’« Amour Anarchie ». « J’aurais bien aimé, mais je naient. » Les gars tournaient un peu plus et s’exporn’ai pas trouvé d’opportunité de groupe après le sertaient même au-delà des frontières du département. vice... » La carrière de Jacky Morgan s’éteint sans « J’étais ami avec leur batteur, Louis Morin. On allait regrets ni remords. « C’était un projet de gamins et les voir, ils venaient nous écouter. C’était comme ça. » nous, on s’est bien amusés », assure-t-il. Place à Après l’armée, son ami batteur l’approche pour reune autre phase. La vie active a pris le pas avec des prendre le chant chez les Strauss. Mais ça ne s’est pas engagements d’un autre ordre. La politique, le synfait. Personne ne se rappelle vraiment pourquoi... Le dicalisme, les combats qui en découlent. En ce qui temps a fait son œuvre. Il arrive aujourd’hui que l’exconcerne la musique, Alain Poilvet garde une certitude : « J’ai aimé le rock parce que c’était pur.»

Les Spectres en 1964, dans le hall de la rédaction locale de Ouest-France, rue Jouallan. « Une des deux fois où nous avons eu les honneurs de la presse », se souvient Alain Poilvet.

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Concarneau Gilbert Cariou

Les Jerrys

T

out débute à Concarneau en 1963. Cette annéelà, le propriétaire du Celtic, le cinéma de la ville, met à disposition d’une bande de musiciens en herbe l’arrière-salle de son établissement pour leur permettre d’assouvir leur passion. C’est à la Souricière que les Jerrys vont rencontrer leur premier public : les dimanches après-midi, une centaine de personnes se pressent devant la scène : well... go cat go ! En 1965, un noyau dur se constitue autour de Marc Perru (batterie et chant), Fanch Richard (guitare rythmique et chant), Jean Nin (guitare solo) et Guy Le Dréau (guitare basse). Pour certains sets, ils font appel à un sax, Loïc Hascoët. Ce combo marquera l’histoire du rock cornouaillais dans les années 60. Avec un répertoire composé de classiques (notamment ceux de Chuck Berry), ils balancent aussi des titres des groupes anglo-saxons comme les Rolling Stones, Kinks, Yardbirds, etc. Mais ce sont leurs reprises des Beatles qui font le succès et l’image de marque des Jerrys. Ils passent à plusieurs reprises au dancing le Phare à Concarneau. Le premier festival du Rock du Finistère, organisé à Pontl’Abbé le 27 mars 1966, booste leur carrière. La même année, ils enregistrent un 45 tours comprenant deux standards de Crazy Legs, ainsi que deux morceaux des Fab Four. Succès régional De groupe local, ils prennent une autre dimension qui se confirme quinze jours plus tard à Brest où a lieu le deuxième festival de rock du département. Là, ils se frottent, sous les néons de la Redoute, aux formations nordistes : Loups noirs,

Welsons et Cratères (leurs « rivaux » de Quimper). Cette période faste dure environ deux ans. Les Jerrys tournent dans toute la Bretagne (Loire-Atlantique incluse), surtout dans le circuit des bals. Fin 1966, le groupe éclate. Les études, l’armée... auront raison des Jerrys. Après son service militaire, Guy remet le son avec Jack Thierry. Les autres membres prolongent pendant plusieurs années l’aventure musicale. Jean rejoint les Kelts en 1967, formation de l’accordéoniste Lili Ronarc’h. Ce maître ès musette contribuera à relancer les Jerrys en 1968 avec une formation renforcée et orientée pop music. Jean et Fanch font partie de la nouvelle formule Jerrys. Le groupe compte un autre musicien de renom, le batteur Michel Santangeli (ex-Chausettes noires, Chats sauvages, futur Stivell group...) et un héros de la six cordes en devenir, Daniel Le Bras (Dan Ar Braz). Les Jerrys se taillent une belle réputation et écument tout l’ouest de la France jusqu’au début des années 70. Marc Perru, le batteur initial, mais aussi guitariste de talent et compositeur, quittera quant à lui la région pour poursuivre sa carrière à Paris et au Japon, avec les groupes Cruciferius et Nemo. Il accompagnera un grand nombre de musiciens dont Ronnie Bird, Alan Stivell, Dan Ar Braz, Mort Schuman, ou encore Didier Lockwood.

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Les Jerrys, 1966


rockin’ bigoudénie Gilbert Cariou

> Le rock en Bretagne a bien une histoire et une géographie. Et il n’y a pas que le rock des villes... Nous ne parlons pas ici, bien sûr, de sonorités différentes, comme il existe, aux États-Unis, un blues rural acoustique et un blues urbain électrique.

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e Canal de Nantes à Brest n’est pas le Mississippi et Rennes n’est pas Memphis ! Cependant, la Bretagne des années 60, en dehors de ces métropoles régionales, n’a pas mis très longtemps à se mettre au diapason. On rock’n’rollait, on twistait, on jerkait... partout entre terre et mer. Notamment en Pays Bigouden. Ce petit bout du monde situé au sud-ouest de Quimper entre la baie d’Audierne et l’Odet, un territoire tourné vers l’océan qui cultive avec orgueil sa différence et son identité. Edgar Morin mène l’enquête De 1961 à 1967, s’est déroulée ici la plus importante enquête de sciences humaines jamais menée en France. Une centaine de chercheurs ont investi la région (plus précisément à Plozévet) pour traquer « la modernité » et saisir « l’esprit du temps ». Dans cette tribu nichée au fin fond de l’Armorique, on parle encore beaucoup breton dans la vie de tous les jours. Plusieurs milliers de femmes portent quotidiennement une haute coiffe blanche, devenue aujourd’hui une star médiatique et l’emblème de toute la Bretagne. Parmi ces chercheurs, le sociologue Edgar Morin. C’est lui qui a sacralisé l’expression « yéyé ». Il va ausculter sous toutes les coutures « la planète jeune » bigoudène. Celle-ci s’émancipe et veut davantage de liberté.

Résistance contre la musique des « croulants ». Chansons, contestation... et bientôt révolution ! Mai 1968 n’est pas loin. La vague rock va déferler mais sans pour autant tout balayer sur son passage. Un filon marin peu prolixe Les Bigoudens ont toujours eu le goût de la fête, de la musique et de la danse. Et c’est un clan où modernité et tradition ne sont pas des notions incompatibles. Ainsi, dans les sixties, la guitare électrique a bousculé mais n’a pas éliminé le biniou et la bombarde... On retrouvera cette sainte trinité instrumentale sur la même scène, au début des seventies, au cœur d’un fougueux revival celtique. Dans la grande saga « rock and the city », les ports occupent habituellement une place mythique. Combien de vinyles de rock’n’roll ont été débarqués sur les quais du monde... Mais pas beaucoup ici ! Il faut bien reconnaître que les « matafs » bigoudens qui ont répondu à l’appel du grand large, que ce soit dans la Royale ou dans la Marchande, ont plus fait pour la diffusion du pâté Hénaff sur la planète qu’ils n’ont ramené de « galettes » de Sun Records dans leur paquetage.

Les Wild Things, 1969

Fréquence touriste La découverte d’Elvis et des autres pionniers passera donc par d’autres canaux, comme les touristes, dont le rôle dans la diffusion de la culture rock est rarement

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rockin bigoudénie souligné. Et pourtant... Chaque été, des milliers d’estivants, surtout des Parisiens (dont beaucoup issus de la diaspora bigoudène), affluent sur les côtes. Parmi ceux-ci, un certain Michel Polnareff, dont la grand-mère maternelle est originaire de Loctudy. Ces touristes campaient, prenaient pension à l’hôtel, louaient chez l’habitant, ce qui facilitait les contacts avec les teens bigoudens mordus de rock. Le petit monde adolescent autochtone vivait l’été les yeux braqués sur eux : emmagasinant des histoires plus extraordinaires les unes que les autres sur les lieux à la mode de la capitale : la Loco, le Bus Palladium... Les disques introuvables, les guitares dernier cri, le Drugstore des Champs-Élysées, seul endroit français où l’on pouvait acheter le Melody Maker, l’hebdo musical anglais de référence de l’époque... Sans parler des fringues... Ah ! Les mêmes boots que John Lennon, le même pull Shetland que Mick Jagger, la même veste cintrée à col Mao que Ray Davies... En provenance directe des puces de SaintOuen... Et les minicassettes, merveilleux petits bootlegs enregistrés sous le manteau à l’Olympia lors des Musicoramas d’Europe n° 1, et que l’on écoutait avec eux religieusement sur la plage. Danny Boy et ses Pénitents au cirque Pinder, 1962

À l’oreille Comme partout ailleurs, la culture rock pénètre éga-

lement par la radio omniprésente : Salut Les Copains, le Pop Club, Campus... Une génération transistor qui a aussi ses magazines : Disco Revue, S.L.C., Rock & Folk, Best... et ses émissions de télé : âge tendre et Tête de bois, Bouton rouge, Pop 2... Petits bonheurs de babyboomers qui, avec leur argent de poche, achètent aussi leurs premiers 45 et 33 tours dans les maisons de la presse, librairies ou magasins d’électroménager. Les apprentis guitar heroes bigoudens, dont la plupart étaient autodidactes et jouaient à l’oreille, assimileront tout ça. Et quand un peu plus tard, ils iront se frotter aux groupes de rock de la région parisienne, ils constateront que, tant côté répertoire que sur le plan technique, ils ne sont pas les moins bons. C’est peu dire que le retour des touristes était attendu avec impatience : ils apportaient un startijenn extraordinaire. Les forains rockent ! Quand vient la fin de l’été, d’autres messagers du rock tout aussi importants arrivent chaque année fin septembre à Pont-l’Abbé : les forains de la Tréminou. L’une des plus anciennes et plus importantes fêtes foraines de Bretagne. Beaucoup sur place ont en effet été marqués par la musique qu’ils entendaient à tue-tête, sous une pluie d’étincelles, dans les auto-tamponneuses Chevalier. Une émotion collective proche de celle que l’on ressent dans un concert. Et la loterie Jean-Paul et ses « girls » qui, entre deux ventes de billets, virevoltaient sur les danses dans le vent... et let’s twist again chez les Bigoudènes ! Juke-box et Scopitone Mais pour les fondus de rock, l’attraction phare de la fête, c’est le stand Chabrelot et son merveilleux jukebox. Le premier que l’on verra dans la région. C’est là, quand l’école est finie, que la vie va commencer pour beaucoup d’ados. Entre deux parties de flipper et un tir à l’ours, ils s’agrippent au juke-box qui crache des petites perles rock qui trottent encore dans les têtes des babyboomers, comme « Nobody But You » par les Lafayettes ou « Surfin Bird » par les Trashmen. Et toutes sortes de disques d’import que l’on n’entendait nulle part ailleurs, sélectionnés par Jacky, le proprio des lieux. Une sorte de « Henri Leproux du voyage ». Des centaines d’his-

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pratiquement identique, le nombre de « parquets cirés » se comptait sur les doigts d’une main ou presque !

toires d’amour (et quelques bagarres) virent le jour à la lueur des Wurlitzer et Seeburg de chez Chabrelot. Il faudra attendre encore un peu pour trouver en ville des cafés avec un Scopitone, cet appareil à pièces qui projetait des petits films en couleurs illustrant les chansons. On pouvait voir dans ces clips les idoles yéyé du moment : Clo-Clo, Johnny, Sylvie et compagnie. Au cours de ces swinging sixties, aucune d’entres elles ne viendra chanter au Pays Bigouden. 1962, l’arrivée du rock en live ! C’est le 15 août 1962, que l’un des précurseurs du rock français, Danny Boy et ses Pénitents, s’est produit à Pont-l’Abbé, sous le chapiteau du Cirque Pinder-RTF. Une des dates les plus importantes de l’histoire du rock au Pays Bigouden. Ce show, de celui qu’on surnomme « l’Archange du twist », reste un souvenir irremplaçable ! C’est à lui que bon nombre de teenagers de cette contrée doivent leur première rencontre avec un vrai groupe sur scène. Beaucoup d’ados vont entrer en rock comme on entre en religion après ce concert fondateur. Ce sera le début d’une grande aventure qui ne va pas s’arrêter de si tôt, favorisée en cela par une forte concentration de salles de danse dans la région. Au Pays Bigouden, au milieu des années 60, on dénombre pas moins de 25 salles de danse pour environ 40 000 habitants. À titre de comparaison, à Quimper, pour une population

En passant par les salles de danse Le rock est repoussé vers la côte sauvage, battue par les vents de l’Atlantique. De nombreux musiciens cornouaillais, passionnés par la « musique du diable », n’ont pas fourbi leurs premières armes on stage dans cette ville préfectorale également siège de l’Évêché, mais dans des salles du « deep south » finistérien : le Gai Papillon à Plonéour-Lanvern, la Caravelle à Plomeur, les Anémones à Penmarc’h... Le Sidney au Guilvinec, l’une des plus renommées, pouvait enregistrer l’été jusqu’à 3 500 entrées payantes  en une date ! Des associations aussi diverses que des amicales laïques, des clubs sportifs, des comités des fêtes organisaient régulièrement des matinées ou soirées dansantes au grand bonheur d’une jeunesse insouciante prête à « tirer une piste » à la moindre occasion. Tendres années et jolies gueules de bois ! Sur le tas Outre ces « bals de sociétés », il convient de ne pas oublier les « bals de noces » qui avaient parfois lieu en semaine et étaient ouverts au public. Autant d’occasions pour les graines de rockers de pousser leurs premiers riffs tout en étant, en général, bien payés. La plupart d’entre eux ont ainsi poussé sur ce terreau, certes au départ coachés par d’excellents instrumentistes plus âgés et déjà bien implantés dans le circuit des bals, comme le saxophoniste Alfred Jolivet de Plonéour ou des accordéonistes comme Lili Ronarc’h au Guilvinec et Henri Bechennec, alias Jack Thierry. Ce dernier, musicien pont-l’abbiste, innovera avec son Electrovox, une « boîte à frissons » électronique (petite révolution sonore à l’époque chez les « chatouilleurs de boutons »). Comme Lili Ronarc’h, il mettra aussi le pied à l’étrier à plusieurs guitaristes amateurs et non des moindres, les laissant s’éclater pendant le quart d’heure rock, toujours très attendu après la série de slows. Dan Ar Braz, par exemple, fera son premier vrai bal dans l’orchestre de Jack Thierry à Plomodiern, preuve que l’apprentissage et l’apprivoisement du rock se font principalement sur le tas, à travers des rencontres et des expériences accumulées.

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vannes

Les vénètes Olivier Polard

Premier 45 tours des Vénètes, 1964

L

e groupe se forme à Vannes au début de l’année 1963 autour de quatre lycéens amoureux des Shadows et de Cliff Richard. Claude-Michel Schönberg est celui qui a le plus d’expérience après dix ans de conservatoire de piano. À ses côtés, Alain Legrand tient la batterie, Hubert Robiou la basse et Yves Le Neveu la guitare. Leur professionnalisme dénote pas mal à l’époque, en comparaison des autres formations régionales. Ainsi, ils remportent facilement le premier prix du festival national des Variétés de Rennes en novembre 1963. Leur autre originalité vient du fait qu’ils composent eux-mêmes leurs chansons. Ils font tous en parallèle des études et leurs familles appartiennent à la bourgeoisie vannetaise. Claude-Michel étant étudiant à Rennes, ils se retrouvent tous les week-ends pour répéter dans la vaste demeure d’Alain. En 1964, ils sortent un premier 45 tours quatre titres chez La voix de son maître. Les morceaux, composés et chantés par Claude-Michel, ont des textes en français écrits par J.R. Josselin. Les études de médecine

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suivies par les membres du groupe les amènent ensuite à s’installer sur Nantes, où Claude-Michel fait sensation avec son clavier Wurlitzer, le premier utilisé dans la Cité des Ducs... Leur musique devient alors plus pop, toujours en français, et Jean-Claude Baccetti se joint à eux à la basse. Un deuxième 45 tours sort en 1965. « Tout ce que je sais » s’inspire fortement de Ray Charles. Tout au long de ce rock’n’roll chanté, mené sur un rythme d’enfer, l’antienne revient en leitmotiv. Un excellent titre et un bel hommage au Genius ! Cette fois, c’est le célèbre parolier Frank Gérald (Michel Polnareff, Françoise Hardy...) qui signe les textes. Une version de ces deux 45 tours sort chez Pathé Marconi au Canada. Le groupe se sépare en 1967 après un ultime 45 tours, lorsque Claude-Michel Schönberg part sur Paris après avoir été engagé par Pathé Marconi comme directeur artistique. Il s’occupera des Variations, Triangle ou Wallace Collection, mais aussi de Franck Pourcel qui deviendra son mentor artistique. Il coécrira avec Raymond Jeannot la musique de l’opéra rock « La Révolution française » en 1973 avant d’être n° 1 du hit-parade en 1974 avec le titre « Le premier pas », une suave guimauve qui se vend à un million d’exemplaires ! Six albums suivront dans la même veine, tous produits par Franck Pourcel.


Lorient

Les albatros

Gilbert Cariou

> L’un des premiers 45 tours, sinon le premier, sortis par un groupe lorientais est celui des Albatros, fin 1965, grâce à l’hyperactif club des jeunes de Lanester et à son animateur, André Le Thiesque, graine d’imprésario.

S

i les clubs des jeunes fleurissent un peu partout après-guerre, celui de Lanester restera un exemple de dynamisme, au point que la télévision, en 1965, lui consacre un reportage encore visible aujourd’hui sur le site web de l’INA. On y découvre, entre les baraques du Plessis, une ruche réunissant les jeunes du quartier et des alentours, un local où se retrouver et faire des rencontres étonnantes. On y croise des stars de passage à Lorient, comme Barbara ou Jacques Brel. André Le Thiesque, animateur de la section culturelle, réussit régulièrement à les persuader de venir discuter avec les membres du club, profitant de leurs galas au Royal, salle mythique de la ville. De quoi susciter des vocations ! Il organise également des tremplins et des expéditions en cars vers d’autres clubs. De nombreuses formations locales fréquentent les lieux, comme les Aventuriers (dont le chanteur, Michel Leal Martinez continue encore sa route aujourd’hui), les Cormorans, les Sanders ou encore les Albatros. De retour d’Angleterre... Comme pour tous les groupes d’alors, l’essentiel des prestations a lieu dans les bals, les samedis soir ou les dimanches après-midi, et le répertoire, très éclectique, est fonction de la mission première : faire danser 300 à 400 personnes. À leurs débuts, les Albatros abattent d’entrée de jeu un atout majeur : ils jouent « Please Please Me » avant même qu’il ne sorte en France ! Le jumelage de Lorient avec Bebington, petite commune en face de Liverpool, leur a donné l’occasion de se balader outre-Manche et ils sont tombés sur le premier vinyle d’un jeune groupe local : les Beatles. Autre originalité des Albatros, leur formation. Pas de basse dans le groupe (sauf le jour de l’enregistrement du 45 tours !), un éphémère clavier (Patrick

Le Gouic, fondateur du groupe) mais beaucoup de cuivres. La clarinette ou le saxo de Jean-Pierre Le Canderff dialoguent avec la trompette de Jean-Paul Le Roscoët (remplaçant de Patrick), tandis qu’assurent en arrière-plan Gilbert, batteur, petit frère de Jean-Pierre, et Alain Le Guéhennec, guitariste, le seul autodidacte. Il s’est formé en écoutant les Shadows et a customisé son instrument : un micro adapté sur le manche en deux tours de vis, le poste radio des parents en guise d’ampli. Des parents chauffeurs Des parents investis, qui prêtent aussi leur garage pour les répèt’ et vont jusqu’à jouer les chauffeurs. « Comme on était mineurs, la mère de Jean-Pierre et Gilbert nous trimbalait en journée, se souvient Alain. Mon père, lui, venait avec un oreiller le samedi soir et dormait dans la voiture en attendant qu’on finisse. » Les Albatros enchaînent ainsi suffisamment de dates pour se faire remarquer et décrocher une proposition d’enregistrement. Un rêve vite rattrapé par la réalité : « On a juste fait une première prise de son, brute, ensuite la boîte a fait faillite et il n’y a pas eu de mix ! » 300 exemplaires du disque seront tout de même édités, par DMF, le presseur rennais... Un sacré collector !

André Le Thiesque

Le guitariste des Albatros, Alain, joue toujours aujourd’hui, avec le groupe Skeudoù ar Shads, le temps de concerts hommages à son groupe fétiche, les Shadows. André Le Thiesque, sur sa lancée, est devenu producteur de concerts et manager (Tri Yann, Gilles Servat). La maladie l’a emporté le 25 juin 2010.

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