Rencontre avec un éditeur de livres turcs SOCIETE05
Mondial : le choix des supporters turcs
Le vrai visage de Soliman
SPORT15
CULTURE12
20 – 26 JUIN 2014 N° 320 Prix : 2,5 €
WWW.ZAMANFRANCE.FR
L’IRAK EN PLEINE TOURMENTE DJIHADISTE Erdogan, favori des Turcs de l’étranger -
Le candidat de l’AKP aux prochaines élections présidentielles, qui sera très probablement le Premier ministre turc Erdogan, devrait recevoir environ la moitié des votes des Turcs de l’étranger, ce qui augmentera les chances pour Erdogan d’être élu. «Le Premier ministre pourrait recueillir environ 50 % des votes s’il se présente comme candidat aux présidentielles», affirme Ayhan Kaya, directeur de l’Institut européen à l’université de Bilgi. -TURQUIE AYDIN ALBAYRAK 06
TURQUIE 08
L’EEIL, groupe djihadiste à l’origine de l’enlèvement de 95 citoyens turcs en Irak, poursuit son avancée vers Bagdad, après s’être emparé des villes de Mossoul et de Kirkouk.
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L’Etat islamique en Irak et au Levant contrôle des zones en Syrie et en Irak. En Syrie, il a pris les villes de Rakka et de Deir az Zohr. En Irak, Mossoul et Kirkouk sont tombés. Autrement dit, le groupe contrôle d’immenses champs pétroliers et est déjà devenu l’organisation terroriste la plus riche du monde. Groupe d’extrémistes salafistes qui
EDITO EMRE DEMIR
veut fonder un Etat islamique sur un territoire qui s’étend de la Syrie (Levant) à l’Irak, l’EIIL dispose de 6 000 militants en Syrie et 10 000 en Irak. La plupart de ses combattants viennent de l’étranger. Fondé en 2003 sous le nom «Tawhid et Djihad» (Unicité et Combat), il est actuellement dirigé par Abu Bakr al Baghdadî. -INTERNATIONAL 10-11
Le musulman face à la barbarie des djihadistes... -02
Les «valeurs conservatrices» de l’AKP FRANCE 03 Ramadan 2014 : la crainte d’une nouvelle querelle CULTURE 13 Nâdir Shâh Afshâr, le «Napoléon persan»
L’OPPOSITION TURQUE UNIE DERRIÈRE IHSANOGLU SAMI KILIÇ PARIS
L’opposition turque a enfin trouvé son candidat idéal contre Tayyip Erdogan pour l’élection présidentielle d’août prochain. Il s’agit d’Ekmeleddin Ihsanoglu, l’ancien secrétaire général de
l’Organisation de la Coopération islamique (OCI). Intellectuel de haut vol, Ihsanoglu est cependant un novice dans le monde politique. Un défaut rédhibitoire qui pourrait le laisser désarmé face à la virulence de la politique turque. Turquie 06
Zaman Okur Hattý: 01 42 00 19 36
02 FRANCE Le conflit social s’enlise à la SNCF 20 – 26 JUIN 2014 ZAMAN FRANCE
EDITO EMRE DEMIR
La grève des cheminots qui est entrée dans sa seconde semaine illustre la persistance des problèmes auxquels la société ferroviaire française doit faire face. Le gouvernement prévoit de son côté une nouvelle loi pour réformer le statut de la SNCF.
Le musulman face à la barbarie des djihadistes...
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La grève à la SNCF est entrée mercredi dans sa deuxième semaine sans l’indice d’une sortie de crise, alors que les députés poursuivent l’examen du projet de réforme ferroviaire contesté par la CGT et Sud-Rail. Le taux de grévistes, dont certains se radicalisent, était tombé mardi à 14%, soit moitié moins qu’au début du mouvement, selon la direction de l’entreprise. «Le droit de grève est un droit constitutionnel qui ne peut pas être pris dans des conditions qui aujourd’hui sont incompréhensibles pour une grande majorité de nos concitoyens», a dit mardi Manuel Valls à l’Assemblée. Le Premier ministre défend une réforme «indispensable» tout en réaffirmant que le gouvernement est ouvert au dialogue. «Ce gouvernement fait semblant parfois de comprendre ce qu’on lui dit, mais en bout de course, quand on regarde le projet de loi tel qu’il est déposé à l’Assemblée nationale, quand on regarde les propositions qu’on a pu faire, on s’aperçoit que pratiquement aucune de nos propositions n’a été prise en compte», a réagi mercredi Thierry Lepaon sur France Inter. «Tout a été fait de notre côté pour éviter ce conflit auquel nous avons dû recourir. Comment on en sort ? On en sort par la négociation, c’est la seule solution», a ajouté le secrétaire général de la CGT, appelant à des négociations «véritables» avec la direction de la SNCF et l’Etat.
UN TEXTE POUR SORTIR DE LA GRÈVE «Notre objectif, ce n’est pas d’avoir des gagnants ou des perdants», a assuré Thierry Lepaon. Les syndicats grévistes souhaitent un retour à la situation d’avant 1997, soit un seul établissement public, et la reprise de la dette ferroviaire de 44 milliards d’euros par l’Etat. Le projet de loi prévoit la création d’un groupe public industriel intégré nommé «SNCF» qui chapeauterait «SNCF Réseau», le gestionnaire d’infrastructure – l’actuel Réseau ferré de France (RFF) – et «SNCF Mobilités», qui
exploitera les trains. Quant aux revendications «sociales» des syndicats du rail (augmentations salariales, emploi, etc...), la direction de la SNCF les juge «hors sujet». Les grévistes comptent poursuivre la mobilisation au moins jusqu’à la fin de la semaine. La réforme est soutenue par les socialistes, les radicaux de gauche et les écologistes. Le Front de gauche, opposé au texte en l’état, défendra une soixantaine d’amendements. L’opposition de droite est pour sa part divisée. Le gouvernement entend appliquer la réforme au 1er janvier 2015. PHOTO DE LA SEMAINE
Des touristes visitent une maison renversée dans la ville ancienne de Fengting, au sud de Shanghaï en Chine, le 1er mai 2014. Cette attraction touristique a été meublée et équipée comme une vraie maison.
...ET UNE MAUVAISE
UNE BONNE...
Une start-up lance un véhicule électrique Made in France
75 % des Français ne bougent pas assez
La start-up lyonnaise Courb créée en 2007 lance après sept années de recherche la première voiture électrique «France Origine Garantie», la C-Zen, dont plus de 80 % des composants sont fabriqués en France. Ce petit véhicule utilitaire de deux places aux allures de buggy est mû par une batterie au lithium installée sous le châssis qui lui permet une autonomie de 120 kilomètres, une vitesse de 90 km/h et une tenue de
Selon un sondage, 75 % des Français ne bougent pas assez. Les 18-24 ans serait les plus touchés par cette tendance. D’après l’Eurobaromètre 2014 sport et activité physique paru en mars et réalisé l’année dernière, le nombre de personnes qui déclarent ne faire aucune activité physique et sportive est passé de 39 à 42 % depuis 2009. L’Organisation mondiale de la
route performante. La C-Zen, qui se recharge en «plug and play» revient six fois mois cher à l’exploitation qu’un diesel. Courb vise essentiellement le marché des très petites et moyennes entreprises, ainsi que des collectivités et des institutions, avec un prix de vente affiché à 14 600 euros pour les professionnels, déduction faite de la TVA et du bonus écologique, et à 18 500 euros pour les particuliers.
Santé (OMS) explique qu’il faut en moyenne faire 10 000 pas par jour pour être en bonne santé et que 75 % des 18-64 n’y arrivent pas. La pratique des jeux vidéo et l’utilisation des smartphones, des tablettes et des ordinateurs sont en cause. D’après l’enquête, les jeunes passent 4 heures, voire plus, devant un écran, ce qui réduit significativement leur activité physique.
NOUVELLE
Le monde musulman – s’il existe vraiment – semble traverser une période sombre qui annonce déjà une nouvelle spirale de violence. Nous sommes face à une barbarie inédite. Au nom d’une religion, on pille, on tue, on massacre. Les djihadistes, dont la spécialité est de détester ceux qui ne pensent pas comme eux, pensent détenir la vérité absolue en matière de dogme. Les autres, des égarés, sont des mécréants et n’ont pas, à ce titre, droit à la vie. Une approche qui, bien évidemment, n’a rien d’islamique. Ou alors, nous ne partageons ni le même corpus coranique ni les mêmes références prophétiques. Le contexte international a joué un rôle non négligeable dans l’émergence de cette «scorie» au sein du monde musulman. L’occupation américaine de l’Irak en 2003, la dictature du Baas en Syrie et la pression du Hezbollah au Liban a attiré les djihadistes du monde entier vers la région. Le salafisme djihadiste a trouvé un terreau fertile parmi les sunnites d’Irak, de la Syrie et du Liban. Trois pays où les tensions entre les sunnites et les chiites étaient déjà bien présentes. Le djihadisme triomphe aux portes de la Turquie. La responsabilité ne se limite pas aux États-Unis et à l’invasion de l’Irak en 2003... Des puissances régionales voisines de l’Irak et de la Syrie ont mené des guerres par procuration dans ces deux pays. L’éternel bras de fer entre les leaders sunnites et chiites. L’Iran, qui entend préserver par tous les moyens l’axe chiite, se comporte en «grand frère» naturel des chiites. L’Arabie saoudite a adopté la même posture pour pouvoir mener la danse dans le monde sunnite. La Turquie a eu une politique ambiguë. Elle a hésité longtemps avant de prendre ses distances avec les mouvements djihadistes. Au nom de la lutte contre al Assad, les autorités turques ont été bienveillantes à l’égard des groupes extrémistes du Front al Nosra et de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Les tribus sunnites d’Irak et de Syrie ont également misé sur ces organisations au nom de cette vieille maxime « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Résultat : un fiasco et du sang versé. Les instances internationales qui devraient avoir un mot à dire dans cette tragédie comme l’Organisation de la Coopération islamique (OCI) et la Ligue arabe se cherchent toujours une position. Les grands savants musulmans se sont murés dans un profond silence. Or, ne sont-ils pas les premiers à dire à tout bout de champ que l’islam n’est qu’un « vernis » pour les radicaux ? Voilà l’état du monde musulman. Qu’en est-il du musulman lui-même ? A l’approche du mois sacré du Ramadan où il est strictement interdit de faire la guerre, les bains de sang ou les perspectives de bains de sang se multiplient. Des groupes qui se présentent comme plus musulmans que les autres violent les règles de base de l’islam. Les paradoxes sont devenus la marque de fabrique du monde musulman. Plutôt que de chercher des coupables et de se réfugier dans des théories du complot, les musulmans doivent se remettre en cause pour clore une fois pour toute leurs divergences qui, in fine, concernent les affaires de ce bas monde plus que la béatitude éternelle. Les structures, les instances, les pontes ont tous démissionné. Le musulman, celui qui croit sincèrement que Muhammad n’est pas le prophète de la haine, n’a plus qu’un refuge : sa propre conscience. e.demir@zamanfrance.fr
Les syndicats de grévistes de la SNCF réclament une meilleure protection de leurs avantages professionnels.
03 FRANCE Ramadan 2014 : la querelle des Anciens et des Modernes recommence
20 – 26 JUIN 2014 ZAMAN FRANCE
La création d’un Observatoire lunaire des Musulmans de France relance une fois encore le débat sur la méthode privilégiée pour définir les dates de début et de fin du ramadan. Entre observation et calcul, les tenants et les aboutissants de cette vieille querelle risquent de perdurer encore longtemps. En 2013, Dalil Boubakeur avait annoncé, successivement, deux dates différentes pour le début du mois de jeûne.
FOUAD BAHRI PARIS En 2013, les annonces du début du ramadan avaient été un fiasco, deux dates différentes ayant été données successivement. Ce couac institutionnel, puisque Dalil Boubakeur président du Conseil français du culte musulman avait incarné cette double annonce, est resté dans les esprits, beaucoup de fidèles ayant été marqués. Pour y remédier, un groupe de musulmans a donc lancé cette année la création d’un Observatoire Lunaire des Musulmans de France, composé de 10 personnes, réparties sur 5 sites d’observations, (Paris, Bayonne, La Rochelle, Toulon et Clermont-Ferrant). Sauf que cette nouvelle initiative vient compliquer davantage la géographie des positions adoptées par les institutions du culte musulman.
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UNE VIEILLE TRADITION DE L’OBSERVATION En effet, un consensus s’était dégagé en faveur de l’adoption par le CFCM du calcul astronomique pour déterminer le début et la fin du ramadan. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF) et le CCMTF (Comité de coordination des musulmans turcs de France) font partie des défenseurs de cette méthode au sein du CFCM. Ils estiment que l’adoption de cette méthode permettra d’unifier la pratique du ramadan et d’éviter les désordres et les dissensions qui devraient être absentes de ce mois de dévotion. Mais la position du calcul reste minoritaire en France. La plupart des associations musulmanes de rite malékite sont depuis longtemps adeptes de l’observation de la nouvelle Lune avec le fameux rituel de l’annonce officielle faite généralement depuis la Mosquée de Paris où se trouve un observatoire.
L’UNITÉ DES MUSULMANS AVANT TOUT Répondant sur le site Islam info à un article de l’astrophysicien Nidhal Guessoum critiquant la méthode de l’observation, l’OMLF a dégagé une série d’arguments dont l’hétérodoxie de la notion d’esprit du texte et le fait que l’observation à l’oeil nu fut conservé même à l’âge d’or de la science islamique. «La notion de lettre à dépasser pour atteindre l’esprit du texte est une notion étrangère à l’islam. Elle trouve son origine dans la littérature chrétienne (l’épître de Paul aux Corinthiens).
Cette grille de lecture n’est pas celle des érudits de l’islam (...) Les musulmans n’ont donc pas eu recours au calcul astronomique bien qu’ils aient eu la possibilité de le faire. La nature accessible à tous de la détermination par la vision demeura la règle», a répondu l’Observatoire. De son côté, l’UOIF regrette cette nouvelle polémique et rappelle par la plume de Fouad Alaoui, que l’unité des musulmans de France est une priorité. Une manière de conjurer le spectre de la division qui semble déjà se profiler à deux semaines du mois sacré.
Projet Aladin: une soirée dédiée au rapprochement des cultures EMRE DEMIR PARIS Le Projet Aladin a organisé à l’Assemblée Nationale un dîner de gala dédié au rapprochement des cultures en présence de Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, Christiane Taubira, Garde des sceaux et ministre de la Justice, Gerhard Schröder et ancien Chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Trois prix ont également été remis à dix étudiants allemands, britanniques, français, israéliens, marocains, palestiniens et turcs de la première université d’été du Projet Aladin pour récompenser les projets de recherche qu’ils ont menés collectivement en 2013. Le prix de la recherche a été remis à un groupe de trois étudiantes pour une étude intitulée «Le Front National de Jean-Marie à Marine Le Pen : les stratégies de "dédiabolisation" et d’exclusion». Gerhard Schröder, a plaidé pour une politique européenne de «tolérance zéro envers l’antisémitisme et le racisme». Jack Lang, Président de l’Institut du Monde Arabe, a remis le prix « Dialogue des cultures 2014 » au professeur Nasser David Khalili, philanthrope juif d’origine iranienne et principal donateur de l’exposition « Le Hajj » qui a lieu en ce moment à Paris. Enver Yucel, le président de l’Université Bahçeşehir
Une salle de sport condamnée pour avoir interdit le voile
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De gauche à droite, Nasser David Khalili, Christiane Taubira, Jack Lang, Claude Bartolone et Gerhard Schröder.
d’Istanbul a souligné le rôle et l’implication de la Turquie dans le projet Aladin. En juillet 2013, le première Université d’été organisée par l’association Projet Aladin a réuni 53 étudiants de 16 universités européennes, américaines, israéliennes et arabes à l’Université Bahçeşehir d’Istanbul. Lancé sous le parrainage de l’UNESCO en mars 2009, le Projet Aladin est une associa-
tion internationale de droit français, dont le but est de lutter contre le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme et la xénophobie. L’association est soutenue par de grandes personnalités politiques, telles que Jacques Chirac, Simone Veil ou Gerhard Schroeder. Elle s’est donnée pour tâche d’élargir leurs connaissances des conséquences du racisme et de l’antisémitisme.
Le responsable d’une salle de sport de Moselle a été condamné mardi à 500 euros d’amende avec sursis par le tribunal de Thionville pour avoir interdit l’accès à une femme musulmane qui refusait d’ôter son foulard, a-t-on appris auprès du parquet. Les faits se sont produits en 2008 alors que la jeune femme de 34 ans, qui avait fréquenté le «Body Best» quelque temps auparavant, sans porter le voile, prenait son premier cours après une nouvelle inscription. Le gérant, Laurent Gassmann, s’était justifié devant le tribunal correctionnel en invoquant un règlement intérieur qui imposait aux adhérents de porter «une tenue propre et correcte sans signe extérieur d’opinion politique, religieuse ou raciste», selon un article du Républicain Lorrain. «C’est un règlement intérieur qui n’a pas lieu d’être dans la mesure où la salle est ouverte au public», explique Sophie Debas, substitut du procureur, qui avait requis 2000 euros d’amende dont 1000 avec sursis.
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20 – 26 JUIN 2014 ZAMAN FRANCE
«Le viol est un crime social qui dépend des hommes et des femmes. Parfois, c’est légitime, parfois, c’est injuste» Ces propos signés Babulal Gaur, un député indien, membre du parti du Premier ministre, ont scandalisé l’Inde, qui déplore une nouvelle affaire sordide survenue dans l’Etat de l’Uttar Pradesh : deux adolescentes ont été retrouvées pendues à un arbre, après avoir été violées.
Coup de gueule des auteurs de BD Cela fait plus d’un mois que les contestations s’élèvent suite à une lettre adressée à la Ministre de la Culture. Et non ce n’est pas de la grève des cheminots ou des enseignants, mais celle des auteurs de bandes dessinées.
SUHEDA ASIK PARIS Beaucoup ne s’en doutent pas, mais, en France, les auteurs de BD ne roulent pas sur l’or, et pourtant, la cote de la BD ne cesse de grimper. Une grande majorité des auteurs ont des revenus «bien en dessous du SMIC» et, à cela, s’ajoute la mauvaise nouvelle de la réforme : «Le RAAP [Régime des Artistes et Auteurs Professionnels] vient de nous annoncer abruptement, par simple courrier et sans consultation d’aucune sorte, qu’à compter de janvier 2016 nous allions devoir cotiser à hauteur de 8 % de nos revenus pour financer notre retraite complémentaire obligatoire. Actuellement les auteurs peuvent cotiser à cet organisme privé en ne versant qu’une cotisation minimale de 200 euros par an.» Alors que les auteurs de BD sont déjà confrontés à une situation difficile d’un point de vue financier, cette réforme ne fait que les fragiliser. «Ceci représente l’équivalent de presque un mois de revenus, alors que la plupart d’entre eux ne gagnent pas assez pour payer des impôts et peinent à boucler leurs fins de
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mois» disent-ils dans une lettre ouverte adressée à la Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Sachant que les auteurs de BD ne bénéficient pas des avantages du régime général (chômage, congés payés, 13e mois), ils expriment leur indignation : «Dans quel autre métier inflige-t-on des baisses de revenus aussi importantes à des travailleurs déjà fragilisés ?» Certains auteurs, même connus comme Bruno Maïorana, dessinateur des séries Garulfo et D, avaient ainsi abandonné leur métier pour des raison financières. Peintre et scénariste de BD, Tarek explique sur son blog : «Ce constat amer que je faisais à l’époque n’a fait que se vérifier ces derniers mois, puisque des collègues (Bonnifay, Maïorana et d’autres moins connus qui ont jeté l’éponge dans l’indifférence la plus totale) annoncent mettre un terme à leur carrière». Il ajoute que cette réforme du RAAP a créé l’électrochoc dans le milieu de la BD, permettant ainsi une mobilisation pour dire «Non». Avec une déclaration signée par 748 auteurs, dont certains très connus tels que Gotlib ou Enki Bilal, les auteurs
Des policiers du Val-de-Marne font une «soirée négro» DIJAN CETINGOZ PARIS En fin de semaine dernière, l’Inspection générale de la police nationale (l’IGPN, également appelée la «police des polices») a ouvert une enquête administrative après que le Cran, le Conseil représentatif des associations noires de France, eut dénoncé le comportement raciste de plusieurs personnes lors d’une soirée privée. Selon une source proche de l’enquête, il reste «à vérifier qu’il s’agit bien de policiers» et «si c’est avéré, ces faits sont graves». Les «policiers», qui habitent au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), auraient «mimé des Noirs dans la vieille tradition raciste des spectacles «black face», ces caricatures théâtrales de Noirs» explique l’association dans un communiqué.
de bandes dessinées continuent à faire parler de cette situation avec le soutien de leur syndicat, le SNAC BD (Syndicat National des Auteurs Compositeurs).
RÉPONSE À LA LETTRE OUVERTE Le président du RAAP et de l’IRCEC (Institution de Retraite Complémentaire de l’Enseignement et de la Création), Frédéric Buxin, a répondu par une Lettre aux auteurs de BD incitant les auteurs de BD à ne pas se « tromper d’objectif » tout en défendant point par point la réforme et les raisons pour lesquelles elle a été mise en place. Face à l’inquiètude des auteurs la Ministre de la Culture avait, elle, répondu sur Twitter le 11 juin dernier qu’elle était «en train de chercher une solution à ce problème».
SOUTENIR LES AUTEURS DE BD Rassemblant déjà plus de 14 500 personnes depuis le 11 juin, une page de soutien Facebook intitulée Je lis de la BD et je veux que ses auteurs en vivent a été créée. Celle-ci s’adresse aux lecteurs de BD et «entend mettre en avant les spécificités du métier d’auteur de BD et les différences de conditions de vie et de travail», voulant ainsi dépasser la simple mobilisation pour la réforme du régime des retraites des auteurs. Pour mobiliser les auteurs, la page organise une opération «Une planche, Une lettre, Une Ministre.», qui consiste à envoyer avant le 23 juin, par courrier papier, une planche d’un auteur que l’on aime et une lettre (préécrite) à la Ministre de la Culture.
ILS «VOULAIENT JUSTE S’AMUSER» Une des participantes avait partagé des photos sur son compte Facebook. Assis avec des bananes sur les genoux, l’un d’eux se gratte sous le bras. Sur une autre les sourires sont exagérés de manières à montrer des dents blanches. Choquée par ces clichés, une amie de la policière a directement contacté Claudy Siar, l’ancien délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. «Une personne que je connais m’a signalé l’existence de ces photos sur le compte Facebook d’une amie à elle» explique-t-il à BFM. «Devant moi, elle l’a appelée et lui a fait part de son choc. Prise au dépourvu, son amie a minimisé les faits, arguant qu’ils «voulaient juste s’amuser» entre amis, et faire «une soirée négro». Elle a immédiatement retiré les photos mais les captures d’écran avaient déjà été faites. Convaincu qu’il ne s’agissait pas là d’un canular, j’ai décidé de les diffuser». L’ancien délégué a posté sur son propre compte ces clichés et a immédiatement prévenu le Cran. Louis-Georges Tin, le président de l’association, déclare que «si les policiers à qui incombe la lutte contre le racisme sont plus occupés à se moquer des Noirs qu’à les défendre, en effet, cela pourrait expliquer pourquoi les choses n’avancent guère dans ce domaine». Dans son communiqué, l’association a demandé à être reçue par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. «Les Noirs de ce pays ne sont pas disposés à accepter le délit de faciès le jour et le blackface le soir» explique le Président du Cran. Les participants de cette soirée devraient être prochainement convoqués par l’IGPN.
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20 – 26 JUIN 2014 ZAMAN FRANCE
Patrice Rötig, un ambassadeur de la littérature turque en France
© CENTRE FRANCE
Patrice Rötig est un ambassadeur «turc», mais de ceux que les chancelleries ignorent. Pour une raison simple : il véhicule par son travail d’éditeur quelques-uns des grands noms de la littérature turque contemporaine, symbole à ses yeux de liberté et de modernité. Dans un entretien passionnant qu’il a accordé à Zaman France, il relate ses années d’enfance, ses premières publications et le sens qu’il donne à son métier d’éditeur.
Les Arts turcs s’installent en Auvergne Patrice Rötig (à droite) est l’éditeur de Bleu autour.
FOUAD BAHRI PARIS D’où vous vient votre intérêt pour la littérature turque? Je suis né conscient à Istanbul. Mes premiers souvenirs sont dans cette ville où j’ai vécu entre l’âge de trois ans et sept ans. J’ai 61 ans. C’est un souvenir marquant. Je n’y suis retourné que 35 ans plus tard, en 1995. Au retour d’Istanbul, je me suis lancé dans l’édition avec la création de Bleu autour dont l’axe est l’exil. L’exil est la géographie intérieure des auteurs. Notre première collection s’intitule «D’un lieu, l’autre». La littérature d’auteurs qui sont situés entre deux ou trois cultures m’intéresse, notamment la littérature turque contemporaine.
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Comment se sont passées vos retrouvailles avec Istanbul et la Turquie ? Cela a été un moment déterminant. En y retournant, je me suis retrouvé confronté à l’enfant que j’étais. C’est très troublant. Mon père était ingénieur. Il travaillait pour la banque ottomane. Quant à moi, j’étais rentré dans les bagages de mes parents, à Paris. Ma volonté, à mon second retour d’Istanbul, était de créer une maison d’édition qui traduise cette géographie multiple d’auteurs inscrits dans une dualité. Que symbolise pour vous la littérature turque contemporaine ? J’ai traduit des auteurs classiques du XXe siècle turc et des auteurs contemporains majeurs. Le point commun de ces littérature est le «Je», l’individu, plus exactement la cause de l’individu plus que la cause du peuple. Ce n’est pas que je n’ai pas d’intérêt pour la littérature de Nazim Hikmet ou Yasar Kemal par exemple. Mais cette littérature là était déjà introduite en France. Longtemps, les lettres turques en France étaient gérées par des personnes proches de ces auteurs, exilés politiques pour la plupart. Des auteurs majeurs comme Ohran Veli n’étaient traduits que dans des revues. Nous avons donc traduit plusieurs auteurs contemporains dont plusieurs auteur(e)s turcs féminins. La littérature turque contemporaine est très moderne, très tournée vers l’Ouest, très cosmopolite également. Bon nombre d’auteurs comme Nedim Gürsel ou Orhan Veli sont francophones et très tournés vers la littérature française
La maison d’édition compte parmi celles qui ont traduit le plus d’auteurs turcs en français.
Estimez-vous que la littérature turque est suffisamment bien connue en France ? Etes-vous vous-même un ambassadeur de cette culture ? Nous sommes la maison d’édition qui, ces dernières années, a le plus traduit d’auteurs du turc avec Actes sud. Je veux faire passer une image exacte de la littérature turque, celle d’une grande littérature moderne, empreinte d’une grande liberté, une littérature de la révolte dans la laquelle la jeunesse stambouliote ne peut pas ne pas se reconnaître. Je pense que la littérature turque est en train de se faire sa place au sein de la littérature étrangère depuis une dizaine d’années, actuellement dominée par la littérature anglosaxonne. Vous organisez actuellement et jusqu’en août une exposition picturale de l’oeuvre de F. Tülin, peintre turque. Comment cette rencontre s’estelle déroulée ? Très simplement. Notre maison d’édition est un acteur culturel local important et nous collaborons souvent avec la Maison de la lithographie. Nous trouvions intéressant de coupler peinture et littérature dans la mesure où son ouvrage La toile blanche sera publié en automne, comme nous le faisons dans notre revue. Des gens viennent de loin pour assister à ces manifestations culturelles qui font ressortir la grande modernité de la culture contemporaine turque. F. Tülin est présente dans de très grandes productions stambouliotes privées et publiques. J’ai eu l’occasion de voir une exposition privée d’elle dans une grande galerie d’Istanbul. Certaines de ses toiles sont également au Musée moderne d’Istanbul. Vous vous rendez régulièrement en Turquie. Quel regard portez-vous sur ce pays qui a connu de nombreux changements ces dix dernières années ? Je regrette que l’Union européenne ait claqué la porte de l’adhésion au nez de
la Turquie. Je suis opposé en cela aux hommes politiques français qui ont soutenu cette décision, en particulier le précédent président de la République. Je le regrette d’autant plus que durant les dix dernières années, la Turquie a connu tout un train de réformes pour intégrer l’UE. Je regrette aussi la dérive autoritaire du pouvoir actuel en Turquie. La littérature que nous défendons est une littérature turque de la liberté, et la Turquie, c’est aussi cela. La Turquie est un grand pays. Le faire connaître par sa littérature c’est faire connaître l’idée d’une Turquie européenne aussi.
FOUAD BAHRI PARIS Dans la commune de Saint-Pourçain-sur-Sioule, un petit air stambouliote souffle depuis ce matin. Dans cette ville de l’Allier, les habitants vont pouvoir découvrir un aperçu de la production artistique de la Turquie. Une exposition de la peintre turque F. Tülin y est présentée dès aujourd’hui jusqu’au 23 août, d’après une information de nos confrères de La Montagne. C’est à la Maison de la lithographie et d’art moderne que l’artiste a choisi d’exposer son travail orienté sur le thème du noyau de pêche. «Ce qui continue de tant m’obséder, m’émerveiller, m’impressionner dans le noyau, c’est le mouvement perpétuel qu’il crée», confie-t-il au quotidien régional. Cet évènement est le produit de la collaboration de la maison d’édition de Patrice Rötig, Bleu autour, avec l’association «Les amis de Frédéric Charmat». Côté littérature, les habitants de Saint-Pourçain-sur-Sioule auront le plaisir de découvrir l’un des ouvrages de Bleu autour intitulé Istanbul-sur-Sioule. Ce livre est un récit du parcours littéraire de Patrice Rötig à travers la littérature turque, de sa passion pour cette production à la fois moderne et contemporaine, avec une réflexion en légères teintes sur l’avenir de la France, après la victoire du Front national dans plusieurs communes proches de Saint-Pourçain-sur-Sioule. Patrice Rötig est un amoureux de la Turquie. Avec son épouse d’origine turque, Elif Deniz Ünal, il a fondé trois collections différentes au sein de Bleu autour avec au total une trentaine d’ouvrages publiés à son actif.
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UNE CONFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE TURQUE L’une des trois collections, D’un lieu l’autre, fait la part belle à la littérature turque avec des traductions d’auteurs aussi connus que Sait Faik Abasıyanık ou Nedim Gürsel. Mentionnons au passage que cette collection a obtenu, avec l’ouvrage Notre Chanel de Jean Lebrun le Prix Goncourt de la biographie 2014. Ce 12 juin au soir, à l’occasion de la sortie du livre de F. Tülin, La toile blanche, l’écrivain turc et fondateur des éditions Yapi Kredi, Enis Batur, donnera à 18 heures à Saint-Pourçain une conférence sur la modernité de la littérature turque contemporaine et sa proximité avec la littérature française. L’exposition Au-delà du noyau est ouverte jusqu’au 23 août à la Maison de la lithographie de Saint-Pourçain, au chevet de l’église Sainte-Croix, du mardi au samedi de 14 heures à 18 heures. Pour tout renseignement, envoyer un message à l’adresse électronique suivante : jean-marc.laurent@centrefrance.com.
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Et Ekmeleddin Ihsanoglu devient le candidat de l’opposition... SAMI KILIÇ PARIS L’opposition turque a enfin trouvé son candidat idéal contre Tayyip Erdogan pour l’élection présidentielle d’août prochain. Il s’agit d’Ekmeleddin Ihsanoglu, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI). Intellectuel de haut vol, Ihsanoglu est cependant un novice dans le monde politique. Un défaut rédhibitoire qui pourrait le laisser désarmé face à la virulence de la politique turque. A l’aise en Orient et en Occident. Voilà le condensé de la personnalité d’Ekmeleddin Ihsanoglu. Un bon profil pour un futur président de la République turque, héritière d’un empire oriental qui rêve occidental. Né en 1943 en Egypte, Ihsanoglu est le fils d’Ihsan Bey, un Turc originaire de Yozgat qui est allé étudier à la prestigieuse Al Azhar et qui fondera plus tard le département de la langue et de la littérature turques de l’Université Ain Shams. Le petit Ekmeleddin baigne dans une ambiance intellectuelle. A l’aise en arabe, il fait son doctorat à Exeter au Royaume-Uni. Physicien de formation (il est professeur d’université), il se spécialise en histoire des sciences. Directeur de l’IRCICA, il est élu secrétaire général de l’OCI en 2005, poste qu’il a gardé jusqu’en 2013.
Erdogan, grand favori des Turcs de l’étranger ? AYDIN ALBAYRAK ANKARA Le candidat de l’AKP aux prochaines élections présidentielles, qui sera très probablement le Premier ministre turc Erdogan, devrait recevoir environ la moitié des votes des Turcs de l’étranger, ce qui augmentera les chances pour Erdogan d’être élu. «Le Premier ministre pourrait recueillir environ 50 % des votes s’il se présente comme candidat aux présidentielles», affirme Ayhan Kaya, directeur de l’Institut européen à l’université de Bilgi. L’image d’Erdogan comme «combattant de rue» défiant les pays occidentaux l’a rendu populaire parmi les Turcs les moins éduqués de l’étranger, qui représenteraient environ 40 % des expatriés turcs, selon Kaya. «Etant donné que le discours de défi du Premier ministre s’accorde bien avec la réaction des immigrants face à la montée du racisme en Europe, il y a même la possibilité que le Premier ministre reçoive plus de 50 % du vote», déclare Kaya.
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qu’Erdogan pourrait bénéficier d’un soutien relativement plus fort de la part des Turcs de l’étranger.
PLUS DE 90 % DE TURCS DE L’ÉTRANGER POURRAIENT VOTER CETTE ANNÉE Pour les élections présidentielles de cette année, la Turquie va pour la première fois élire son président au suffrage universel direct. Quant aux Turcs de l’étranger, ils pourront voter directement de chez eux. Lors des dernières élections, quelque 7 % des Turcs de l’étranger pouvaient voter mais cette fois, ce chiffre devrait passer la barre des 90 %. Malgré le déclin du soutien du public turc depuis les manifestations de Gezi, Kaya pense
DES VOIX MOINS OPTIMISTES Environ 2,8 millions de Turcs de l’étranger peuvent voter, d’après les chiffres de la Direction des Turcs de l’étranger et des communautés relatives, ce qui fait environ 5 % de l’électorat total en Turquie. Lors des élections législatives de 2011, l’AKP a reçu 59 % des votes effectués au niveau des douanes. «On peut dire que les 59 % de votes recueillis par l’AKP en 2011 pourraient très bien descendre à 50 % ou moins à l’étranger», pense Seyfettin Gürsel, directeur du centre de recherche économique et sociale de l’université de Bahçesehir. Cette diminution s’explique par le discours autoritaire adopté par le Premier ministre turc après les manifestations de Gezi. Faruk Sen, président de la Fondation turco-européenne pour la recherche éducative et scientifique est moins optimiste quant aux chances de l’AKP à l’étranger. «D’après mes études sur les Turcs en Europe, le soutien électoral du parti au pouvoir en Europe pourrait être de 40-45 %», affirme Sen. Il y aurait 1,5 million de citoyens turcs pouvant voter en Allemagne et 85 000 aux Etats-Unis. L’Allemagne est le pays abritant le plus grand nombre de Turcs de l’étranger (environ 3 millions). La France arrive en deuxième position avec plus de 600 000 Turcs, les Pays-Bas en troisième (450 000), l’Autriche en quatrième (270 000) et la Belgique la suit avec 200 000 Turcs.
LES ÉLOGES ET LES DOUTES Kemal Kiliçdaroglu, président du CHP (parti de gauche kémaliste), qui faisait des missions exploratoires depuis des jours, n’a pas tari d’éloges à son sujet : «nous proposons une personne en me-
sure d’être acceptée par tout le monde, une personne très respectable, très intègre et une personne qui, par son expérience, peut être un modèle pour tout le monde», a-t-il dit après sa rencontre avec le leader du MHP (droite nationaliste), Devlet Bahçeli. Celui-ci a salué «une très bonne personnalité pour notre peuple». Reste que la personnalité très lisse d’Ihsanoglu peut lui jouer des tours. En effet, le président de la République est désormais élu par le peuple. Les candidats devront donc
faire campagne, se présenter devant les électeurs et polémiquer si besoin. Il aurait donc été l’homme parfait pour occuper le poste de chef d’Etat protocolaire. Sauf que, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, est également dans le jeu et c’est un... un bulldozer verbal. Pas si sûr qu’Ihsanoglu, qui avait été élu à la tête de l’OCI grâce à Erdogan, puisse répondre au tac-au-tac à un chef du gouvernement bon orateur. Un sage, dans tous les sens du terme. Une qualité humaine, une tare en politique.
«Je suis honoré d’être au centre de cet accord entre le CHP et le MHP»
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Le candidat commun de l’opposition turque à l’élection présidentielle, Ekmeleddin Ihsanoglu, a fait sa première déclaration après la révélation de sa candidature : «L’entente entre le CHP et le MHP est sans aucun doute un pas important vers la paix et la stabilité de notre pays. Je suis honoré d’être au centre de cet accord. C’est avec respect et remerciement que j’accueille cette décision commune», a-t-il écrit dans un communiqué. «Je ferai un piètre politicien» avait avoué le désormais candidat à la présidence de la République lors d’une interview en mars 2013. Ironie de l’histoire, il est pour l’heure le seul candidat déclaré.
LE CHP SE DIVISE Le candidat, dont la belle-famille (Bilgiç) est engagée de longue date au centre droit et dans la droite na-
tionaliste, semble faire consensus au MHP. En revanche, le courant kémaliste du CHP a commencé à hausser le ton. Melda Onur, députée CHP d’Istanbul, a estimé qu’il ne correspondait pas au profil que les instances dirigeantes avaient dessiné. «On s’est fait avoir», a-telle lâché. Nur Serter, autre députée d’Istanbul et grande figure du kémalisme, a été on ne peut plus claire : «J’ai honte, le CHP a reçu un poignard en plein cœur, il a mis de côté le combat qu’il mène depuis 90 ans en présentant ce candidat qui court dans le même couloir que celui du Premier ministre». L’AKP semble dans l’expectative même si quelques piques ont déjà été lancées. Ainsi, Samil Tayyar, député de Gaziantep, n’y est pas allé de main morte : «Le putschiste a trouvé le putschiste sur la voie de Cankaya [palais présidentiel]. Le copain
d’Assad et de Sissi, Ihsanoglu est le candidat commun ! Je félicite d’ores et déjà le Premier ministre pour sa victoire annoncée», a-t-il écrit sur Twitter. Ertugrul Günay, ancien ministre AKP de la culture qui avait démissionné de son parti, a décidé de soutenir l’ancien Secrétaire général de l’OCI : «Monsieur Ihsanoglu est un savant respectable et un bon administrateur qui saura apporter de la qualité à la course présidentielle. Je lui souhaite de réussir», a-t-il indiqué sur Twitter également. Hasip Kaplan, figure du parti pro-kurde HDP, a quant à lui estimé que le CHP et le MHP «voulaient envoyer ce candidat à Cankaya pour se débarrasser d’Erdogan». «C’est nous qui allons faire la surprise. Les sociaux-démocrates croient qu’ils vont remporter l’élection en présentant un islamiste face à un islamiste», a-t-il poursuivi.
Deux journalistes du quotidien Star licenciés sans les extrêmes : un plaidoyer musulman -Star pour la liberté
Sedat Laçiner.
Mustafa Akyol.
, quotidien turc pro-gouvernemental, a licencié deux de ses chroniqueurs critiques, Sedat Laçiner et Mustafa Akyol. Les deux journalistes étaient connus pour avoir soutenu le gouvernement par le passé. Ils ont annoncé sur leurs comptes Twitter samedi que le journal leur avait demandé d’arrêter d’écrire pendant un certain temps. Akyol, qui travaille également pour le New York Times, a remercié le journal et a dit qu’il continuerait à écrire selon ses convictions. Bien que connus pour leur position pro-gouvernementale, les deux journalistes ne se sont pas retenus de critiquer de nombreuses politiques du gouvernement. Akyol, démocrate-libéral et auteur de L’islam
, a déclaré que le quotidien avait censuré l’un de ses articles il y a quelques mois. Il a partagé l’article censuré avec ses lecteurs sur Twitter. Laçiner, célèbre analyste de politique étrangère qui a présidé le think tank «International Strategic Research Organization (USAK)» (organisation internationale de recherche stratégique), a violemment critiqué les politiques récentes du gouvernement. Le quotidien conservateur Star, de même que d’autres journaux pro-gouvernementaux, a licencié des dizaines de chroniqueurs et de journalistes l’année dernière, le gouvernement ayant accru ses mesures de restriction de la liberté de la presse.
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Au cours des trois premiers mois de l’année 2014, une SARL sur quatre en Turquie a été créée par des Syriens, d’après un communiqué publié par le ministre des douanes et du commerce, Hayati Yazici.
Drapeau turc : l’armée sous le feu des critiques Le décrochage d’un drapeau turc par un militant kurde dans une caserne près de Diyarbakir a provoqué la colère de la classe politique turque dans son ensemble. Du Premier ministre aux leaders de l’opposition, tous appellent l’armée turque à s’expliquer sur son inaction.
C’est après une cérémonie funéraire le samedi 8 juin qu’un jeune homme a décroché le drapeau turc dans une caserne près de Diyarbakir
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Depuis qu’un militant du PKK a décroché un drapeau turc de son mât dans la caserne militaire du district de Lice à Diyarbakir, l’armée turque est devenue la cible des critiques. Le Premier ministre turc Erdogan a en effet reproché aux commandants de l’armée leur absence d’intervention, en déclarant que l’armée aurait dû «descendre la personne qui a décroché le drapeau». C’est après une cérémonie funéraire le samedi 8 juin en l’honneur de deux personnes qui ont été tuées dans des affrontements avec la gendarmerie à Lice que plusieurs manifestants ont réussi à accéder à la tour d’observation au sein du second commandement tactique aérien de Diyarbakir et qu’un jeune homme a décroché le drapeau turc.
DES MILITAIRES DANS LE COLLIMATEUR D’ERDOGAN Devant le groupe parlementaire de son parti, Erdogan a déclaré que les militaires
qui se trouvaient à la base auraient dû faire descendre le jeune homme. «Vous [en s’adressant aux militaires] devez faire ce qu’il faut. Les militaires n’ont pas d’excuse [pour ne pas être intervenus] ici». Le Premier ministre a accusé les soldats de la caserne de ne pas être intervenus, soi-disant pour ne pas entraver le processus de paix en cours entre le leader du PKK et le gouvernement turc. Il a ajouté qu’une action judiciaire aurait lieu contre les officiers en mission le jour de l’incident, notant que des enquêtes administratives avaient déjà été lancées contre les fonctionnaires de la caserne.
LE MHP APPELLE LE CHEF D’ÉTAT-MAJOR À DÉMISSIONNER Les forces armées turques (TSK) ont publié une déclaration lundi concernant l’incident : «Etant donné que la personne qui a décroché le drapeau avait moins de 18 ans, les forces de sécurité se sont abstenues d’intervenir et ont préféré tirer un coup d’avertissement en l’air». Le président Gül, le vice-Premier ministre Bülent Arinç ainsi que le ministre de la Justice, Bekir Bozdag ont également vivement critiqué les commandants de l’armée. Le leader du Parti du mouvement nationaliste (MHP) a, lui, appelé le chef d’état-major,
Soma : la Turquie a besoin d’une nouvelle réglementation La catastrophe de Soma a mis en lumière les lacunes de la réglementation et le manque de règles spécifiques en matière d’industrie houillère et d’inspections strictes, ont déclaré des experts de mines à Reuters. Ali Riza Alaboyun, le député AKP qui préside la commission parlementaire, a noté que la nature très complexe des mines de charbon avait besoin d’une réglementation spécifique. «Ainsi, nous pourrons instituer un cadre spécialement pour les inspections et les formations relatives aux mines de charbon», a affirmé Alaboyun lors d’une visite à Soma. Huit suspects, dont le directeur général de la mine de Soma, ont été accusés provisoirement d’avoir «provoqué de nombreux décès par négligence». L’entreprise a rejeté toute négligence de sa part. La Turquie utilise une grande partie de son charbon pour produire de l’énergie. Elle a renforcé ses efforts pour accroître la production de charbon à l’échelle nationale afin de réduire sa dépendance à l’importation de gaz naturel.
MANIFESTATIONS À TRAVERS LA TURQUIE Le gouvernement a régulièrement rappelé que ses directives minières étaient en phase avec celles de l’Union européenne. La norme européenne en question, une directive de 1992 concernant les industries d’extraction de minerai, est un document de 20 pages contenant des recommandations de base et des prin-
L’entreprise rejette toute accusation de négligence dans le drame de Soma.
cipes généraux que chaque pays de l’UE utilise ensuite pour élaborer ses propres réglementations et directives. La catastrophe a entraîné des manifestations à travers la Turquie contre les directeurs de mines accusés de faire l’impasse sur la sécurité au nom des profits et le gouvernement d’Erdogan considéré comme trop proche des directeurs d’entreprise et insensible face à l’accident. Erdogan a déclaré souhaiter poursuivre les responsables de la catastrophe. Un pre-
mier rapport sur les potentielles causes de l’accident, cité par les procureurs, indiquait que l’incendie pourrait avoir été provoqué par l’incandescence du charbon qui a dégagé du monoxyde de carbone dans la mine. «Les incendies ne se produisent pas d’un coup, il y a dû y avoir un signe avant-coureur. C’est un accident... qui n’aurait pas dû arriver», a dit Bahtiyar Ünver, professeur à l’université Hacettepe. La commission a quatre mois pour accomplir son travail.
le général Necdet Özel à démissionner, le tenant responsable de l’incident. «Le commandant du second commandement aérien tactique posté à Diyarbakir et le chef d’état-major veulent-ils bien se montrer honorables et démissionner ?», s’est interrogé Devlet Bahçeli lors de la réunion parlementaire de son parti mardi 10 juin. Quant à la co-présidente du Parti démocratique du peuple (HDP), Sebahat Tuncel, elle a fait écho aux propos du leader du PKK, Abdullah Öcalan, en qualifiant l’acte de «provocation» et a dit que son parti ne manquait pas de respecter les valeurs des citoyens turcs.
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Taha Akyol :
«L’AKP utilise les valeurs conservatrices comme bouclier politique» Ces dernières années, l’une des questions les plus débattues en Turquie est celle de savoir si le pays devient de plus en plus conservateur ou religieux. Depuis que l’AKP a associé les deux concepts de «démocratie» et de «conservatisme» pour se décrire, on a toujours évalué ses politiques par rapport à leur relation au conservatisme et à la démocratie. Pour Taha Akyol, intellectuel, chroniqueur et journaliste, le public turc tend à assimiler, à tort, conservatisme et religiosité. SELMA TATLI ISTANBUL Beaucoup pensent que conservatisme et religiosité sont synonymes en Turquie. Le conservatisme est un concept associé à la modernisation. Il soutient le fait que les valeurs et institutions historiques doivent être préservées et être libres de se développer au fil de l’évolution. Le conservatisme n’est ni le statu quo ni un comportement réactionnaire. Quant au lien entre le conservatisme et la religion, il est très fort à la fois dans notre pays et en Occident, dans le monde entier en fait. Mais ce n’est pas la même chose. Une personne peut avoir un point de vue laïque tout en défendant l’idée d’une continuité, disons, des arts calligraphiques ottomans ou tout en étant attachée à l’architecture ottomane. C’est une attitude conser-
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«Les soi-disant conservateurs n’ont aucun mal à construire des gratte-ciels qui endommagent la silhouette d’Istanbul» vatrice. De plus, il arrive que la religiosité s’oppose au conservatisme. Les conservateurs peuvent considérer comme irrespectueux par rapport aux valeurs historiques de construire une mosquée en béton qui éclipserait les mosquées Süleymaniye ou Sultanahmet. C’est uniquement de l’apparat et non pas du conservatisme, que de construire une mosquée gigantesque en béton à Çamlica avec des techniques de construction modernes pour rivaliser avec les mosquées Süleymaniye ou Sultanahmet. Qu’est-ce que font les conservateurs ? Les conserva-
L’intellectuel, chroniqueur et journaliste Taha Akyol.
teurs ont beaucoup d’estime pour Mimar Sinan [architecte ottoman NDLR]. Ils peuvent produire de nouvelles formes en s’inspirant de lui. Ils ne sont pas contre celles-ci. Si certains se disent religieux et conservateurs en même temps, on devrait alors vérifier à quel point ils respectent les valeurs historiques et le développement naturel de ces valeurs. S’ils n’ont aucun respect pour ces valeurs, ils sont considérés comme religieux mais pas conservateurs. Aujourd’hui, de nombreux Turcs assimilent le conservatisme à la religiosité. Mais les soi-disant conservateurs en Turquie ne voient aucun mal à construire des gratte-ciels qui endommagent la silhouette d’Istanbul et veulent éclipser les chefs-d’œuvre de Mimar Sinan. L’AKP a-t-il changé en termes de conservatisme ? Ce qui a changé avec l’AKP, c’est la deuxième partie de la définition qu’il se donne, c’est-à-dire l’aspect «démocratique». Par le passé, l’AKP louait l’Etat de droit. Aujourd’hui, il le méprise. C’est donc l’identité démocratique et non conservatrice de l’AKP qui s’est transformée. Seymour Martin Lipset disait qu’existait la règle générale selon laquelle dans une société où la démocratie n’est pas totalement établie, les partis au pouvoir deviennent d’autant plus autoritaires qu’ils restent longtemps à la tête du pays. Et cela n’a rien à voir avec le conservatisme. Avant les élections de 2011, je disais que le troisième mandat de l’AKP allait être très problématique. Et aujourd’hui, on constate que c’est le cas. Peut-on dire que le conservatisme de l’AKP lui permet de rester au pouvoir ? Il est vrai que l’AKP devient de plus en plus autoritaire afin de renforcer son pouvoir. Cet argument est aujourd’hui régulièrement soulevé. Je disais que l’AKP devenait de plus en plus autoritaire et que cela créerait de la tension en Turquie. Cela reflète la soif de pouvoir. Cela n’a rien à voir avec leur conservatisme. Certains intellectuels de gauche disent que le conservatisme est autoritaire et antidémocratique par nature, mais je pense qu’ils ont tort. Les attitudes politiques d’Erdogan et d’Abdullah Gül sont très différentes. Mais ne sont-ils pas tous deux conservateurs ? Des actions de corruption ont émergé ces 12 dernières années alors même qu’un parti politique qui se définit comme démocratiqueconservateur est au pouvoir... Ce que nous appelons corruption se produit généralement pendant la phase d’urbanisation où les liens avec les anciens modes de vie et les traditions sont coupés. Mais déménager en ville ne veut pas forcé-
ment dire adopter les valeurs urbaines. Il est vrai que la société turque souffre de la corruption. Mais il est faux de n’attribuer la corruption qu’à la politique. Il faut prendre en compte des facteurs sociologiques aussi. Les valeurs traditionnelles ont perdu de leur influence pendant la phase d’urbanisation. La corruption se produit en grande partie à cause d’elle. Alors oui, le parti au pouvoir peut être critiqué pour son usage rhétorique des valeurs conservatrices. Mais celles-ci doivent être défendues et mises en avant pour ce qu’elles sont. Le gouvernement utilise les valeurs conservatrices comme un bouclier dans sa lutte politique. Comment interpréter l’utilisation de plus en plus fréquente d’arguments religieux sur la scène politique ? La politisation de l’islam a pour effet de vider le religieux de son contenu. Politisée, la religiosité commence à être perçue comme une attitude politique. Et si l’appauvrissement moral et culturel de la religiosité des hommes politiques continue en Turquie, la société turque deviendra une communauté très sécularisée où les valeurs religieuses n’auront plus d’influence, comme c’est le cas en Europe. Dans notre cas, les hommes politiques religieux cherchent à obtenir des profits et des avantages même s’ils doivent les légitimer avec une fatwa. Mais les livres religieux poussent les gens à contrôler leurs ambitions. Une religion qui n’est qu’apparence et politique est vide de toute substance. En Turquie, la religiosité monte et est accompagnée d’une sécularisation de plus en plus forte. Les gens religieux mènent une vie de plus en plus sécularisée, mais pas de manière hypocrite. Ils donnent une nouvelle interprétation à la religion pour se dire que leur vie n’y est pas contraire.
Si la religiosité peut être définie comme une conformité aux règles religieuses, n’est-il pas évident que la société turque est en train de s’éloigner de la religiosité, surtout que les statistiques montrent une hausse du taux de criminalité ? La consommation d’alcool est en hausse, alors que l’assiduité aux prières prescrites est sur le déclin. De moins en moins de personnes jeûnent. L’AKP met en place des politiques économiques en faveur d’un mode de vie sécularisé en Turquie. «Nous élèverons des générations religieuses», disent-ils, mais seuls 30 % de la nouvelle génération votent pour l’AKP. Si environ 40 % des électeurs turcs soutiennent l’AKP, seuls 30 % des personnes qui pouvaient voter aux dernières élections ont voté pour l’AKP. Il y a eu une montée de la religiosité ou du conservatisme pendant le mandat de l’AKP, mais ce dernier est devenu plus sécularisé en substance. La sécularisation peut être décrite comme le processus dans lequel on accorde plus d’importance aux «valeurs terrestres». De nombreuses écoles Imam Hatip (écoles de formation pour imams, ndlr) sont en train d’être créées, même si les personnes qui ressortent de ces écoles avec un diplôme en poche choisissent de se tourner vers la médecine ou le droit. Ils choisissent des professions qui leur permettront d’avoir une meilleure qualité de vie plutôt que de participer aux services religieux. Un environnement où les gens ont beaucoup d’estime pour les valeurs dites terrestres favorise la sécularisation. Cet environnement consiste en un développement et une prospérité économiques, comme le pouvoir de posséder une plus belle maison ou une plus belle voiture. Max Weber estimait que ces dynamiques avaient mené à la sécularisation de l’Europe. C’est ce que la Turquie est en train de vivre.
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Des cadres supérieurs de la Banque centrale licenciés Plusieurs cadres supérieurs de la Banque centrale de Turquie ont été licenciés, parmi lesquels deux directeurs généraux ainsi qu’un secrétaire privé d’Erdem Basçi, gouverneur de l’organisme.
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Les sources qui ont déclaré ces licenciements mercredi dernier n’ont pas donné de raison à ces licenciements ni n’ont dit qui en était à l’origine. La Banque centrale ellemême n’a pas souhaité commenter. Le départ de ces cadres arrive au moment où les craintes qu’une pression politique ne menace la crédibilité de la Banque centrale en tant qu’institution indépendante se font de plus en plus vives. Le Premier ministre Erdogan a régulièrement accusé l’organisme de ne pas en faire assez pour réduire les taux d’intérêt. Seulement, parmi les personnes licenciées, se trouvent le directeur général chargé des affaires étrangères et son adjoint, ainsi que le directeur général chargé des systèmes de paiement. Or, aucun n’est directement impliqué dans les décisions de politique monétaire, rapportent les sources. Des dizaines de responsables d’organismes comme les régulateurs des banques et des télécommunications et de la télévision publique ont été licenciés depuis le début de l’année. Ces décisions sont vues comme la volonté du gouvernement de mettre un frein à l’opposition et à la dissidence politique. La plupart de ces représentants licenciés ont été accusés d’être des sympathisants du mouvement Hizmet.
DES DOUTES SUR L’INDÉPENDANCE DE LA BANQUE CENTRALE «S’ils sont avérés, [les licenciements de la Banque centrale] seraient décevants et de nouveau, soulèveraient des interrogations sur l’indépendance de la Banque centrale», a déclaré Timothy Ash, responsable de la recherche sur les marchés émergents à la banque Standard à Londres.
La Cour constitutionnelle n’annulera pas la loi sur les dershane
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La Cour constitutionnelle turque a rejeté la demande qu’avait formulé l’opposition sur l’annulation de la loi sur l’éducation qui prévoit notamment la fermeture des instituts de soutien scolaire privés. Le texte, qui a déclenché un débat d’ampleur nationale, avait été porté à la juridiction suprême par le CHP qui espérait le voir annulé, en avril dernier. Le gouvernement de l’AKP a décidé en novembre 2013 de fermer les instituts de soutien scolaire privés chargés de préparer les étudiants aux examens d’entrée au lycée et à l’université. Le texte, qui comprend des amendements à la loi n°5580 sur les instituts scolaires privés, a été introduit par l’AKP en octobre dernier et transmis au bureau du président du Parlement en février. Il a été soumis au vote et adopté par le Parlement le 7 mars lors d’une session, à laquelle 90 députés du parti au pouvoir n’ont pas participé, avant d’être promulgué par le président Abdullah Gül le 12 mars. La loi prévoit que les dershane pourront continuer leur activité jusqu’au 1er septembre 2015. Tous les cours préparatoires seront ensuite fermés une fois que cette date sera passée.
«Espérons que la Banque centrale reste une méritocratie et laisse de côté les croyances et convictions politiques», a-t-il ajouté. Ash a noté que la Banque centrale pourrait finir par choisir de dire que ces changements font partie de la procédure et n’ont rien à voir avec une pression
politique. La Banque centrale, qui a augmenté ses taux d’intérêt en janvier, notamment dans l’objectif de protéger la livre turque, les a abaissés pour la première fois en un an le mois dernier malgré l’inflation, des semaines après qu’Erdogan l’a appelée à le faire.
Erdem Basçi, gouverneur de la Banque centrale de Turquie.
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7 questions/réponses sur l’Etat islamique en Irak et au Levant Le groupe a été fondé en 2003 sous le nom «Tawhid et Djihad» et visait à organiser une résistance contre «l’occupation américaine» après la chute de Saddam Hussein.
Alors que la Turquie apprenait la semaine dernière l’enlèvement par l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) de 80 de ses citoyens à Mossoul – 49 membres du personnel consulaire, dont le Consul général, et 31 conducteurs de poids lourds – le groupe djihadiste a réitéré, en enlevant mardi 17 juin 15 ouvriers et ingénieurs turcs près de la ville de Tikrit. Retour sur ce groupe extrémiste qui avance vers Bagdad et dont la cruauté est devenue proverbiale. SAMI KILIÇ PARIS
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QUE VEUT L’EIIL ?
Il s’agit d’un groupe d’extrémistes salafistes qui veut fonder un Etat islamique sur un territoire qui s’étend de la Syrie (Levant) à l’Irak. Les militants sont appelés «djihadistes» en référence au «djihad», la guerre sainte dans l’islam, mais également «insurgés» en référence à leur opposition aux gouvernements irakiens et syriens, d’obédience chiite et alaouite. Le chef de file du groupe s’appelle Abu Bakr al Baghdadî, un Irakien en passe de surpasser la réputation d’Oussama Ben Laden.
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4 QUE CONTRÔLE L’EIIL ?
L’EIIL contrôle des zones en Syrie et en Irak. En Syrie, il a pris les villes de Rakka et de Deir az Zohr. En Irak, Mossoul et Kirkouk sont tombés. Autrement dit, le groupe contrôle d’immenses champs pétroliers et est déjà devenu l’organisation terroriste la plus riche du monde.
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QUAND A-T-IL ÉTÉ CRÉÉ ?
Le groupe a été fondé en 2003 sous le nom «Tawhid et Djihad» (Unicité et Guerre sainte). A l’origine, il visait à organiser une résistance contre «l’occupation américaine» après la chute de Saddam Hussein, président de l’Irak renversé par une coalition militaire menée par les Etats-Unis. Abu Moussab al Zarqaoui, le chef du groupe à l’époque, a fait allégeance à al Qaïda en 2004 et tranformé le nom en Al Qaïda en Irak (ou Al Qaïda en Mésopotamie). A la mort d’al Zarqaoui en 2006, Abu Omar al Baghdadî prend la relève et nomme le groupe «Etat islamique en Irak». A sa mort en 2010, c’est Abu Bakr al Baghdadî qui lui succède.
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geance à Ayman al Zawahiri, le successeur de Ben Laden à la tête d’al Qaïda. Ce dernier demande à l’EIIL de se retirer de la Syrie et de se concentrer sur l’Irak, demande rejetée par l’EIIL. Des accrochages entre les deux groupes commencent à partir de cette date.
QUEL EST LE LIEN AVEC LE FRONT AL NOSTRA ?
Le Front al Nostra (Front pour la Victoire) a été fondé en 2011 par Abu Mouhammed al Joulanî en tant que filiale d’al Qaïda en Syrie. En 2013, Abu Bakr al Baghdadî annonce la fusion des deux groupes et annonce la création de l’«Etat islamique en Irak et au Levant». Al Joulanî refuse ce fait accompli et réitère son allé-
QUELS SONT SES EFFECTIFS ?
L’EIIL dispose de 6 000 militants en Syrie et 10 000 en Irak. La plupart de ses combattants viennent de l’étranger.
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POURQUOI L’EIIL CONNAÎT-IL UN TEL ESSOR ?
L’autorité centrale irakienne n’est plus capable de protéger l’intégrité territoriale du pays. D’ailleurs, à l’approche des insurgés, les troupes régulières ont fui. En Syrie, le président Bachar al Assad laisse faire, c’est un prétexte pour dénoncer la sauvagerie des «terroristes» qui veulent le renverser et mettre en garde l’Occident.
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POURQUOI LES SALAFISTES S’EN PRENNENT-ILS AUX CHIITES ?
Le chiisme est un courant de l’islam à côté du sunnisme. Les divergences entre les deux tendances sont surtout historiques et politiques. Les salafistes, qui ont une lecture littérale des textes religieux, estiment que les chiites sont des hérétiques qui doivent disparaître afin de fonder un califat islamique homogène.
Comprendre la mosaïque ethno-religieuse de l’Irak SAMI KILIÇ PARIS L’Irak est un pays multiethnique et multiconfessionnel. A côté des Arabes, vivent des Kurdes, des Turkmènes (ou Turcomans) et des Assyriens. Le pays est à majorité musulmane, il existe également des chrétiens et d’autres minorités comme les yazidis, les sabéens-mandéens et des juifs. Les musulmans sont eux-mêmes divisés en sunnites ou chiites, un élément clé pour comprendre les sanglantes violences interconfessionnelles. Retour sur les particularités sociologiques de l’Irak.
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L’IRAK COMPTE 33 MILLIONS D’HABITANTS. Les Arabes représentent 75 % de la population, les Kurdes 20 % et les Turkmènes et les Assyriens, 5 %. Les chiites représentent environ 60 % de la population, les sunnites 37 % et les chrétiens et les autres minorités religieuses, 3 %. Les Arabes sont en majorité chiites (75 % contre 25 %), les Kurdes sont à majorité sunnites (80 % contre 20 %) tout comme les Turkmènes (60 % contre 40 %). Les chiites sont implantés entre Bagdad et Basra. Les sunnites restent concentrés au centre et au nord alors que les Kurdes sont plutôt au nord-est.
La Turquie appelle les Turkmènes à quitter l’Irak -
Le Bureau de la crise en Irak mis sur pied par le ministère des Affaires étrangères turc vendredi dernier après la prise par des militants de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) du Consulat turc de Mossoul la semaine dernière, a appelé les Turkmènes d’Irak à quitter le pays le plus tôt possible. Dans un communiqué publié lundi, le Bureau a précisé que les efforts de la Turquie pour assurer la libération des Turcs enlevés étaient toujours en cours.
LES INCIDENTS RISQUENT DE PRENDRE LA FORME D’UN CONFLIT INTERCONFESSIONNEL Selon le communiqué, la violence déployée affecte plusieurs zones irakiennes et les affrontements entre les militants de l’EIIL et les forces armées irakiennes continuent. «Il n’y a pas eu d’amélioration en termes de sécurité dans le pays. Nous avons appris que l’EIIL avait intensifié son action sur le quartier de Tall Afar à prédominance turkmène à Mossoul la nuit dernière et qu’il l’avait fina-
lement pris. Les incidents violents du pays risquent de se transformer en conflit interconfessionnel à grande échelle», disait le communiqué.
QUITTER LE PAYS LE PLUS TÔT POSSIBLE Le Bureau a appelé les Turkmènes résidant à Mossoul, Kirkuk, Anbar, Diyala et Bagdad à prendre les précautions nécessaires afin d’assurer leur sécurité et les a exhortés à quitter le pays le plus tôt possible. La
déclaration recommandait également aux Turkmènes d’éviter de se déplacer près de ces villes. Le Bureau a indiqué que des vols Turkish airlines vers la Turquie étaient toujours prévus depuis les aéroports de Bagdad, Basra, Najaf, Souleimaniye et Erbil. «Les Turkmènes souhaitant quitter l’Irak peuvent s’inscrire auprès du Bureau pour obtenir de l’aide ou se rendre à l’ambassade de Turquie à Bagdad ou dans les Consulats turcs de Basra et Erbil», a déclaré le Bureau.
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Quand les Turcs rêvaient de Mossoul... La deuxième ville d’Irak était une ancienne possession ottomane. Elle est également considérée comme le berceau des Turcs d’Irak, appelés Turkmènes ou Turcomans. Une croyance populaire persistante donne le droit à la Turquie d’intervenir dans son «pré-carré». La chute de Mossoul et l’enlèvement de diplomates turcs ont ravivé cette idée. Alors, l’an prochain à Mossoul ? SAMI KILIÇ PARIS Turgut Özal, ancien Premier ministre (1983-1989) et président de la République turque (1989-1993) en rêvait. Créer une fédération avec le Nord de l’Irak et prendre la revanche sur l’Histoire. En effet, Kirkouk et Mossoul, deux villes irakiennes à majorité kurde mais à forte concentration turkmène, sont depuis des décennies le «near abroad» des Turcs. La zone qui appartient à un autre mais qui est tellement proche qu’on se croit légitime pour tirer des plans sur la comète.
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LE «MISAK-I MILLI» La réalité historique est moins romantique, évidemment. Lors de la Première guerre mondiale, les troupes ottomanes doivent se retirer de Mossoul en juillet 1918, laissant la place aux Anglais. Il n’en reste pas moins qu’en janvier 1920, l’Assemblée de l’Empire ottoman, qui s’est réunie une dernière fois à Istanbul, adopte un texte appelé «Misak-i Milli» (Pacte national) dans lequel elle affirme, entre autres, que Mossoul fait partie de l’Empire. Dernière lubie d’un Etat qui sombre... Lors des négociations de paix à Lausanne, la délégation turque essaie de rappeler ses droits sur Mossoul mais les Anglais font de la résistance. Ismet pacha (le futur Ismet Inönü), le bras droit de Mustafa Kemal, est le chef de la délégation. Face aux réticences de Lord Curzon, le représentant de la Grande-Bretagne, il doit se résigner à renvoyer les discussions à un autre forum. Mustafa Kemal, l’homme fort du nouveau régime, pense également qu’il faut laisser le règlement de l’affaire à la Société des nations (l’ancêtre de l’Organisation des Nations unies). Finalement, le 16 décembre 1925, cette dernière décide sans grande surprise de céder ce territoire à la Grande-Bretagne. Le 17, la Turquie riposte en signant un traité d’amitié avec la Russie soviétique. Première bravade d’un Etat qui naît... L’AMBITION DES TURCS Mais le réalisme l’emporte. En 1926, un traité bilatéral entre la Turquie et la Grande-Bretagne entérine cette décision et prévoit de verser pendant 25 ans à la Turquie 10% des produits issus des champs pétroliers de Mossoul. Une clause qui sera honorée jusqu’en 1951. En 1952, un jeune inspecteur des finances, Cahit Kayra (aujourd’hui 96 ans), estime que l’Irak, dont les revenus pétroliers ont doublé à la suite d’une renégociation des conditions financières avec les sociétés d’exploitation, doit également doubler son versement. L’arriéré se monte à 100 millions de livre turque selon ses calculs. Il est envoyé à Bagdad pour les négociations. L’Etat irakien, indépendant depuis 1932, propose de verser la moitié de la somme, proposition qui est rejetée par la Turquie. Le ministre du Budget de l’époque, Hasan Polatkan, a peur de passer pour un corrompu : «si on accepte les 50 millions alors qu’ils nous doivent 100 millions, le peuple va penser qu’on a fait main basse sur les 50 millions restants» ! En 1958, un coup d’Etat change la donne en Irak. Tant mieux, le ministre Polatkan trouve là une occasion de ne pas être payé... Certes mais le budget national continuera d’indiquer cette somme due jusqu’en 1986. A cette date, Saddam Hussein demande à
Turgut Özal, le Premier ministre turc, de mettre fin à cette fiction. Cela faisait bien longtemps que la Turquie n’exigeait plus rien. Ca tombait bien, l’Irak n’avait pas l’intention de payer. Un signe de bonne volonté et surtout de réalisme d’un Etat sûr de lui, pensait Özal. Celui-là même qui, en 1991, rêve de faire main basse sur la ville lorsque
Saddam déclenche la Première guerre du Golf. Objectif : agir préventivement pour éviter la création d’un Etat kurde. Obsession d’un Etat qui craignait le séparatisme. Aujourd’hui, la donne est autre : Massoud Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan irakien, qui a déjà pris possession de Kirkouk, n’a pas dit son dernier mot...
La Turquie et sa frontière sud, carte en langue turque.
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Vatin : «Soliman n’était pas cruel, il a fait son métier de sultan»
Suivie durant trois ans par des millions de personnes en Turquie, dans le monde arabe ainsi qu’en Europe de l’Est, la série turque Muhtesem Yüzyil (le Siècle magnifique) avait fait polémique avant même sa diffusion en 2011. Elle retraçait en effet la vie du sultan Süleyman (Soliman le Magnifique) sous un angle plutôt sensuel. Le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, était monté au créneau pour dénoncer une «mauvaise représentation de nos ancêtres».
SAMI KILIÇ PARIS A l’occasion de la fin de cette série, nous avons voulu en savoir plus sur la vie du sultan Soliman, de son épouse Hürrem (Roxelane) ainsi que sur des thèmes controversés comme la loi du fratricide et le harem. Pour ce faire, nous avons rencontré l’un des plus éminents spécialistes de l’histoire ottomane : Nicolas Vatin. Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), ancien pensionnaire de l’Institut français d’Etudes Anatoliennes (IFEA) à Istanbul, Nicolas Vatin est le co-auteur avec Gilles Veinstein (décédé en 2013) du livre Le Sérail ébranlé. Essai sur les morts, dépositions et avènements des sultans ottomans, XIVe-XIXe siècle (Fayard, 2003).
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Nicolas Vatin. Directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE). Le sultan Soliman (1494-1566) a fait tuer deux de ses fils (Mustafa et Bayezid) et six de ses petits-fils. Beaucoup se sont demandé si Soliman n’était pas cruel ? Non pas du tout, il a fait son métier de sultan. Dans les deux cas, pour Mustafa et Bayezid, il considère qu’ils se sont rebellés. Par conséquent, on peut estimer humainement que le châtiment est violent pour un père mais de son point de vue de sultan, c’est un châtiment mérité donc c’est un acte de justice, pas du tout un acte arbitraire.
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«Dire que Selim II s’est enfermé dans le harem avec ses bouteilles, c’est faux» Les deux fils lorgnaient effectivement son trône… Est-ce que réellement Mustafa avait l’intention de prendre le trône, cela peut se discuter mais le sultan Soliman l’a certainement cru. Pour Bayezid, c’est beaucoup plus simple, il a pris les armes, il a mené la guerre civile contre son frère Selim, il a refusé les ordres de son père, il s’est enfui auprès du Shah safavide d’Iran, il était clairement en rupture de ban. En fin de compte, à sa mort en 1566, il ne reste plus que Selim pour lui succéder. Selim II, dit «le Blond», et que la série dépeint comme alcoolique, un şehzade (prince) qui était loin d’être le plus vaillant… Il est probable que Selim II buvait un petit peu trop mais il n’était pas pour autant une marionnette. Il était un homme mûr quand il est arrivé sur le trône, il avait eu le temps de réfléchir à ce qu’était son métier de sultan. Il avait des idées assez précises sur ce qu’il voulait faire mais il n’a pas pu. Par exemple, il voulait, sinon briser les reins des
Scène extraite de la série Muhtesem Yüzyil.
janissaires, du moins leur montrer qui était le maître, il est apparu que c’était plus compliqué que cela. Il voulait réduire les frais, voulait venir avec sa maison et ses hommes mais il a été convaincu ou contraint par le grand vizir Sokollou Mehmed Pacha de travailler avec les collaborateurs de son père. Donc, c’est quelqu’un qui n’a peut-être pas réussi à acquérir le pouvoir personnel qu’il aurait souhaité mais de là à dire qu’il s’est enfermé dans le harem avec ses bouteilles, c’est faux. On voit les princesses ottomanes en train d’intriguer sans arrêt pour assurer la survie de leurs fils et in fine sauver leurs propres peaux. Il n’y a pas de place à la naïveté dans le palais, semble-t-il… Celles qui donnent un fils au sultan s’inquiètent effectivement du sort de leurs fils. Jusqu’à Hürrem, l’idée est une femme, un fils. Ça change avec Hürrem qui devient la femme de Soliman, c’est-à-dire qu’il l’épouse, ce qui n’allait pas de soi et qu’elle lui donne plusieurs fils. Dès lors que les femmes sont à l’intérieur du palais, il y a des jeux d’intrigue, il faut préserver les chances des siens, c’est évident. Et elles n’ont pas vraiment le choix puisqu’il est établi que celui qui montera sur le trône sera dans l’obligation politique de se débarrasser de ses frères et neveux. La célèbre «loi du fratricide»… «Loi du fratricide» est une formule contestable parce qu’il ne s’agit pas que des frères. Mais elle est là. Depuis quand ? Ma conclusion personnelle est qu’elle date soit de Selim Ier (1465 - 1520) soit de Soliman. Selim Ier a essayé de conserver la vie de ses frères mais la situation politique l’a obligé à se débarrasser d’eux. Il a constaté qu’il était impossible de régner avec ses frères vivants. On a toujours dit que cette loi datait du sultan Mehmed II le Conquérant (1432-1481), qu’il l’avait couchée par écrit dans sa Kanunnâme, sa Loi fondamentale… C’est très douteux. La version du Kanunnâme qu’on a ne date pas du XVe siècle. Ça peut avoir été introduit à n’importe quel moment. Mehmed II a bel et bien tué son frère qui était un nourrisson mais en cachette. Bayezid II (1447 - 1512) a tué son neveu mais au bout de 6 mois et également en cachette. On dispose de l’ordre qu’il a envoyé à son homme Iskender Pacha lui demandant de le faire disparaître en toute discrétion. Ce document est à Topkapi. Ce n’était donc pas une loi automatique à l’époque. Selim Ier laisse son frère Korkut aller dans sa rési-
dence de Manisa. Soliman n’a pas eu à le faire puisqu’il était fils unique ; en revanche, on a des textes du temps de Soliman qui montrent que pour tout le monde, il était évident que le successeur de Soliman serait obligé de tuer ses frères. Puisque ça allait de soi, c’est qu’à ce moment-là, la loi existait. Pourquoi cet Empire qui a su si bien gérer d’immenses territoires pendant des siècles n’a-t-il pas pu mettre en place une loi de succession en bonne et due forme ? Les Ottomans sont conscients du problème mais la légitimité vient de ce qu’on appelle le kut, cette baraka, la bénédiction divine qui va directement à un individu de la famille ottomane. Dans la pratique turco-mongole, tout membre de la dynastie a un droit égal au trône. Et celui qui l’emporte, parce-qu’il l’a emporté, devient kutlu. On ne peut pas aller contre la volonté de Dieu. On cesse de tuer systématiquement à partir d’Ahmed Ier (1590-1617) car il a 13 ans et son frère est encore un enfant. La hantise des Ottomans, c’est de ne plus avoir d’héritier au trône. On a donc essayé de conserver le frère, au cas où. C’est à partir de ce moment qu’on passe à un nouveau système de succession… On passe progressivement au système du séniorat. Le plus âgé de la famille (et non des fils) succède automatiquement. Mais petit à petit, la personne du sultan commence à devenir moins importante que la dynastie elle-même. Dans l’Empire ottoman, la politique n’est pas seulement une affaire d’hommes. Hürrem, l’épouse de Soliman, avait un réel pouvoir politique… Le pouvoir de Hürrem passe par son influence sur le sultan. Et elle se bâtit un réseau politique par son gendre, Rüstem, l’époux de Mihrimah sultan. Ça marche parce-que de son côté, Soliman travaille avec Rüstem. Soliman est quelqu’un de fidèle. La plupart de ses grands vizirs sont restés au poste pendant très longtemps. Son amour fou pour Hürrem y était aussi pour quelque chose… Je crois que Soliman était tout sauf fou. Tous ceux qui l’ont rencontré disent que c’était un personnage extrêmement rassis. Le fait qu’il soit resté monogame n’a rien d’étrange. On a d’autres exemples de sultans monogames ou qui voulaient l’être mais qu’on a empêché de l’être pour des raisons institutionnelles. C’est une idée fausse. Beaucoup de ces gens-
là souhaitaient comme la plupart d’entre nous avoir une vie de famille. Le harem est plus une obligation politique qu’un désir des hommes. Une nouvelle série est déjà annoncée sur Kösem, une autre paire de manches… Oui, elle collabore à la destitution de son fils, le sultan Ibrahim, pour des raisons politiques et installe son petit-fils. Quant à la série, c’est vraisemblablement une erreur parce que ça marchera moins bien. Le personnage est moins romanesque. On n’a pas attendu la série Muhtesem Yüzyil pour faire rêver sur la belle rousse et le sultan conquis. Avec Kösem, il n’y a rien de cela. Pourquoi les sultans ottomans ne se marient pas comme en Europe avec des princesses de sang mais choisissent des esclaves ? Pour être totalement indépendants. Ils ne veulent pas de liens qui pourraient les contraindre. Dans un premier temps, ils épousaient des princesses d’autres dynasties, karamanides, byzantines, etc. A partir d’un moment, ils renoncent à cela. Car ils sont au-dessus de tout cela, ils ne peuvent pas être à parité avec d’autres familles. Et il vient un moment, comme toujours chez les Ottomans, où ils se disent «puisqu’on a toujours fait comme cela, c’est qu’on doit toujours faire comme cela».
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AGENDA CULTUREL
CINÉMA
Nâdir Shâh Afshâr, le «Napoléon persan»
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«Stratège de premier ordre, il remporta de nombreuses victoires, parfois à un contre dix» son propre fils. Le grand Nâdir Shâh Afshâr, de son nom de monarque, naît Nâder-qulî Beg, au sein d’une tribu turcique, les Turcomans Afshar (dont il gardera fièrement le nom, devenu shah), en 1688, à Dastgird, dans le nord du Khorassan.
UNE ASCENSION FULGURANTE C’est dans un contexte d’anarchie – les Afghans Ghalzay ont envahi l’Iran – que Nâder-qulî Beg entre au service de Malik Mahmud de Sistan, qui venait de prendre la ville de Mashhad. Mais très vite, formant sa propre armée de Turcomans Afshars, et s’alliant aux Kurdes Camishgazak,
A lire
il défait son maître d’hier et prend à son tour le contrôle de la ville. Ce fait d’armes le fera remarquer par le monarque séfévide Tahmasb Mirza, qui le recrutera en 1726, lui et ses quelques 2000 hommes. Son ascension sera fulgurante. Stratège de premier ordre, il remporta de nombreuses victoires, parfois à un contre dix : contre les Ottomans et les peuples du Caucase (Tchétchènes et Ingouches, notamment), mais surtout contre les Indiens, ses grands ennemis. Fait généralissime (qûrtshî-bashî), il rendra à Tahmasb Mirza la capitale de ses ancêtres, Ispahan, en 1729. Le souverain ne jouira pas longtemps de sa dignité de shah retrouvée : en 1731, Nâdir le fait déposer en faveur de son fils Abbas III, et se fait nommer régent (wakîl ad-dawla, vice-roi). Le 9 décembre 1733, il impose une sérieuse défaite aux Ottomans à Kirkouk (Irak actuel).
RÉTABLIR LE SUNNISME EN IRAN ET RECONSTITUER LE TERRITOIRE SÉFÉVIDE Ayant définitivement bouté les Afghans hors de Perse, il se fera proclamer roi (shâh) en 1736 par la qûrûltây, une assemblée nationale composée de 20 000 dignitaires (chefs militaires, gouverneurs, ulémas). Il pose comme condition le rétablissement du sunnisme en Iran. Dans un traité conclu avec les Ottomans, gardiens des Lieux Saints, il est ainsi stipulé que les Iraniens ayant abjuré le chiisme seront considérés comme appartenant à la
«cinquième école» du sunnisme, le jaafarisme (en référence à l’imam Ja‘far as-Sâdiq)… Dès le printemps suivant, il marche sur Kandahar (Afghanistan actuel). Celui qui s’appelle maintenant Nâdir Shâh Afshâr veut effacer le dernier souvenir de l’humiliation de la Perse, et reconstituer le territoire séfévide perdu : Husayn Sultan Ghalzay, frère de l’envahisseur Mahmud, capitulera en mars 1738. Kaboul, Jalalabad et Peshawar tomberont la même année, suivies par Lahore en 1740. Nâdir Shâh peut maintenant marcher sur l’Inde. L’empereur moghol Muhammad Shah avait fait placer 300 000 hommes, 2 000 éléphants et des centaines de pièces d’artillerie à 120 km de sa capitale, Delhi. Le 24 février 1739, ils étaient mis en pièces par l’armée persane. Le roi défait sera néanmoins réinstallé par son vainqueur sur le trône de l’Hindustan, non sans avoir dû céder à la Perse toutes les régions à l’ouest de l’Indus, et versé une somme faramineuse en réparations de guerre : 700 000 000 de rupies, le fameux Trône du Paon (Takht-i Tâwûs, le trône en or des souverains moghols, qui deviendra donc celui des empereurs d’Iran jusqu’en 1979), ainsi que le diamant Kûh-i Nûr, «Montagne de lumière», aux 66 facettes et aux 106 carats… Souverain aimé, Nâdir Shâh offrira à ses sujets persans une amnistie fiscale de trois années entières. Il mourra assassiné en 1747, après avoir sombré dans la folie.
Turquie : de pays en développement à puissance émergente trente dernières années. Elle a connu une révolution sociale par le bas qui a intégré dans la modernité les populations que l’État kémaliste des années 1920-1950 avait laissées de côté. S’il reste encore bien des défis à relever et des problèmes à surmonter, le pays a changé d’échelle des points de vue géopolitique et économique, passant du statut de pays périphérique en déve-
LECTURE
Accompagnée au oud par Tarek Abdallah, MarieChristine Barrault lit Neige d’Orhan Pamuk (Gallimard). Plusieurs fois primé, lauréat notamment du prix Médicis étranger en 2005, Neige est l’un des chefsd’oeuvre d’Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006.
Hakan Günday
Rencontre avec Hakan Günday. Figure montante de la nouvelle génération d’écrivains turcs, l’auteur des romans D’un extrême l’autre et Ziyan (Galaade), est aujourd’hui traduit dans plus de quinze langues. Le 26 juin à 19h30 Espace culturel Altigone Place Jean Bellières 31650 Saint-Orens de Gameville
Pinar Selek
Sociologue réputée, Pinar Selek est née en 1971 à Istanbul. Engagée pour la défense des droits en Turquie, elle a été condamnée à la réclusion à perpétuité en 1998, une décision annulée récemment par la Cour de cassation d’Ankara. Pinar Selek vit depuis en exil en France. Son premier roman, La maison du Bosphore (Liana Levi) a été salué par la critique. Le 26 juin à 20h30 La Renaissance 1, allée Marc Saint Saens 31100 Toulouse
& à voir...
Réédité au format de poche, et donc à un prix abordable, cet ouvrage collectif est spécialement utile aujourd’hui, à l’heure où semblent se dessiner de nouvelles configurations géopolitiques. La Turquie est, en effet, non seulement un pays pivot entre l’Europe et le Moyen Orient, une puissance régionale, mais aussi le pays européen qui a le plus changé au cours des
Neige, d’Orhan Pamuk
Le 25 juin à 20h30 Pavillon Blanc Médiathèque 4, place Alex Raymond 31770 Colomiers
loppement à celui de puissance moyenne émergente. Réunissant quelques-uns des meilleurs spécialistes de la Turquie contemporaine, cet ouvrage fondamental brosse le portrait d’un acteur devenu incontournable dans sa région et au-delà, et questionne l’expérience turque, souvent citée comme source d’inspiration pour appréhender les sociétés arabo-musulmanes.
La Turquie, d’une révolution à l’autre, sous la direction de Ali Kazancigil, Faruk Bilici & Deniz Akagul, Fayard, 352 pages, 9 €.
TABLE RONDE
SEYFEDDINE BEN MANSOUR LILLE Nader Chah ou la folie au pouvoir dans l’Iran du XVIIIe siècle (éditions L’Harmattan) est le dernier ouvrage consacré au célèbre souverain perse qui a voulu imposer le sunnisme en Iran. L’auteur, Foad Saberan, est un psychiatre franco-iranien qui s’est intéressé au parcours à la fois politique et psychiatrique de ce général extraordinaire – surnommé en Occident «le Napoléon persan» – qui a fait crever les yeux de
Un programme de films courts qui présente une vision intimiste de la Syrie depuis le début de la guerre civile en 2011 : Damascus Rain de Reem Al-Ghazi, Bullet de Khaled Abdulwahed, The Sun’s Incubator de Ammar Al-Beik, La femme aux pantalons et City Lights du collectif Abounaddara, La ville amoureuse de Maryam Samaam, Ibn Al Am online d’Ali Atassi. Le 24 juin à 19h00 Institut des cultures d’Islam 19-23, rue Léon 75018 Paris
RENCONTRE
Islam des mondes
«Bataille de Karnal», 1739. Tableau d’Adel Adili, 1987.
Libres courts
Panorama des littératures turques
Rencontre avec les écrivains Enis Batur, Sema Kaygusuz et l’éditeur Timour Muhidine. Un tour d’horizon en compagnie de trois figures importantes de la scène littéraire turque. Le 26 juin à 20h00 La Préface 35, allée du Rouergue 31770 Colomiers
OPINION14
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Erdogan, bientôt persona non grata en Europe ? Le gouvernement turc semble sur le point de battre un nouveau record dans l’histoire du pays : celui de la création d’ennemis à l’intérieur et en dehors de ses frontières. Les situations déplorables en Syrie et en Irak s’aggravant avec le temps, un refrain se fait aussi de plus en plus entendre en Occident : «Nous ne voulons pas d’Erdogan sur notre territoire».
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Alors que le Premier ministre turc donne à sa campagne présidentielle le prétexte du dixième anniversaire de la formation de l’Union des démocrates turcs européens (UETD), certains pays où il prévoit de se rendre SELÇUK GÜLTASLI ont été clairs sur le fait qu’ils ne voulaient voir aucun discours de polarisation sur leur territoire. Je pense qu’à l’exception des différentes périodes de coups d’Etat qu’a connues la Turquie, aucun de nos leaders n’a été traité ainsi par les Européens. Ce qui est triste, c’est que le Pre-
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«Dès qu’Erdogan dit vouloir se rendre dans un pays, les dirigeants manifestent leurs inquiétudes» mier ministre de la République de Turquie pourrait se transformer en persona non grata. Dans le même temps, on voit que des représentants autrichiens cherchent des excuses pour empêcher le Premier ministre d’un pays comme la Tur-
quie d’organiser un meeting, parce qu’ils craignent qu’il ne perturbe la sérénité du pays.
QUAND KURZ MET EN GARDE ERDOGAN Erdogan, qui devrait se rendre à Vienne cette semaine, a déjà créé la tourmente sur la scène politique autrichienne. Le ministre des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, a clairement mis en garde le Premier ministre turc, comme il est rare de le voir au niveau diplomatique. Seyit Arslan, représentant de Today’s Zaman en Autriche, a rapporté les propos de Kurz : «Je mets ouvertement en garde Erdogan : il ne doit pas apporter ses positions de division dans la société autrichienne. L’intégration est une question sensible et difficile (…) Un discours inapproprié pourrait éloigner tout le monde et finir par provoquer des tensions. Et s’il fait un discours comme celui qu’il a fait en Allemagne, cela affectera non seulement une grande partie de la société mais aussi les Turcs qui y vivent». Ce jeune ministre qui a lancé un avertissement à Erdogan connaît assez bien et admire la société turque. Il est en effet connu pour avoir soutenu l’adoption de
la «loi de l’islam» en Autriche qui institue plus d’égalité constitutionnelle entre les religions. C’est aussi lui qui a beaucoup oeuvré pour aider les Turcs à être plus en harmonie avec le reste de la société autrichienne. Kurz est aussi membre des Démocrates-Chrétiens et n’est pas très favorable à l’idée d’une adhésion turque à l’UE. Mais les autres partis autrichiens sont-ils plus chaleureux envers Erdogan ? L’une des figures les plus estimées en politique autrichienne est Michael Häupl, maire de Vienne depuis 20 ans. Il est membre du parti social-démocrate et a aussi lancé un avertissement similaire à celui de Kurz contre Erdogan. Häupl est un concurrent politique de Kurz mais a tout de même déclaré à la presse autrichienne qu’il soutenait sa position.
LE DÉCLENCHEMENT D’UNE CRISE DIPLOMATIQUE ENTRE L’ALLEMAGNE ET LA TURQUIE Il y a plus que du déjà vu dans cette situation. Dès qu’Erdogan dit vouloir se rendre dans un pays, les leaders de ce pays manifestent leurs inquiétudes. C’est ainsi qu’Erdogan a prononcé un discours polarisant à Cologne le 24 mai dernier, malgré les mises en garde spécifiques qu’Angela Merkel lui avait lancées. Et cela a ouvert la voie à une vraie crise diplomatique entre l’Allemagne et la Turquie. Alors que la polarisation en est arrivée à un point alarmant en Turquie, il serait honteux que ces divisions soient relayées jusqu’en Autriche. Après Vienne, Erdogan doit parler à Lyon. On devrait sans doute s’attendre à des réactions similaires dans la presse française ces prochains jours. s.gultasli@todayszaman.com
L’IRAN, INCONTOURNABLE Au niveau de la dynamique étrangère, nous avons l’Iran, pour qui l’Irak est aussi stratégique que la Syrie. Des groupes sunnites ont gouverné l’Irak pendant des siècles malgré sa population à majorité chiite. Ainsi, partout, les chiites voient le cas irakien comme une responsabilité historique pour protéger le régime chiite du pays. Cette équation va automatiquement faire de l’Iran le nouveau garant des politiques en Syrie et en Irak. Mais comment se fait-il que l’Iran soit aussi puissant ? La réponse se trouve dans la capacité unique qu’a l’Iran de se faire des relations dans tout le Moyen-Orient, dont la Turquie. Aucun autre Etat ne peut rivaliser avec l’Iran en termes de réseaux. En pratique, l’Iran a la capacité de rapidement activer de nombreux réseaux en Syrie, au Liban et en Irak. Cela ne se limite pas à des affinités ou à des liens avec les chiites. C’est aussi un savoir-faire, une expérience et une capacité opérationnelle. La communauté internationale a de plus en plus besoin de l’Iran. Ainsi, deux cartes sont nécessaires pour appréhender la situation iranienne sur ce terrain. Une
première carte territoriale de l’Iran et une deuxième, chiite transnationale, de l’influence iranienne qui s’étend à plusieurs Etats, comme le Bahreïn et la Turquie. Des signes précurseurs indiquent que Téhéran n’est pas satisfait de l’expansion de l’EIIL. Mais il est encore trop tôt pour commenter la stratégie de l’Iran par rapport à l’EIIL. Je ne pense pas que l’Iran ait d’ambition pour tous les territoires irakiens. Tout comme dans le cas syrien, l’Iran se concentrera sur certaines parties de l’Irak critiques pour la géopolitique chiite. Cette approche sélective pourrait pousser l’Iran vers l’adoption de stratégies différentes vis-à-vis de l’EIIL. La crise syrienne a rapproché le radicalisme de l’Occident. Les Etats faillis au Moyen-Orient, de la Libye à l’Irak offrent maintenant une zone d’opportunité au radicalisme. Ainsi, une approche idéaliste qui voudrait détruire l’EIIL peut facilement échouer. Une stratégie alternative plus solide serait de «contenir» le radicalisme. Mais cela ne sera pas facile car cela demande d’intégrer certains acteurs non désirés comme le président Bachar al-Assad. g.bacik@todayszaman.com
Quel avenir pour l’EIIL ? -
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Depuis la fin des années 1990, l’idée d’une division de l’Irak en trois Etats – kurde au nord, chiite au sud et sunnite au centre – est une question majeure dans les débats académiques. Le renforcement récent de l’Etat islaGÖKHAN BACIK mique en Irak et au Levant (EIIL) dans de nombreuses villes irakiennes est aujourd’hui perçu comme la réalisation de ces théories. Mais l’EIIL peut-il survivre ? Etat non reconnu, il remplit toutes les conditions d’indépendance, puisqu’il a un territoire, une population et en quelque sorte une administration, mais n’a pas de reconnaissance internationale. Mais au Moyen-Orient, la reconnaissance n’est pas essentielle pour survivre. Certains groupes et autorités peuvent fonctionner grâce à des liens internationaux efficaces, même en l’absence d’une reconnaissance par les autres Etats.
QUI PEUT STOPPER L’EIIL ? L’EIIL puise principalement son pouvoir du désespoir sunnite. La plupart des sunnites pensent qu’ils sont systématiquement marginalisés, et même
humiliés, dans l’Irak post-Saddam et que seuls les Kurdes et les Arabes chiites jouissent des avantages que leur offre cette ère. Les Kurdes ont une forte autonomie dans le nord et un Irakien kurde est président en Irak. Les Arabes chiites jouissent d’avantages similaires avec le gouvernement du Premier ministre Nouri al-Maliki. Les conséquences de cette équation politique sont la peur et l’humiliation subies depuis plusieurs décennies par de nombreux Arabes sunnites. Ainsi, l’EIIL pourrait facilement transformer cette mentalité sunnite en une immense force politique. Cette dynamique est déjà en place. Qu’est-ce qui peut stopper l’EIIL ? Ou plutôt, qui peut vaincre l’EIIL ? Il faut se pencher sur les dynamiques nationales et internationales pour répondre à cette question. Au niveau national, je pense qu’aucun groupe ne pourra vaincre l’EIIL. Il faudrait, pour vaincre l’EIIL, une sorte d’unité politique et militaire des différents groupes, comme les Kurdes et les Arabes chiites. De fait, la réaction kurde est critique. Les Kurdes – dont les militants du PKK – peuvent maîtriser l’EIIL, mais pour eux comme pour les autres, le vaincre est une tâche très ardue.
15 SPORT
20 - 26 JUIN 2014 ZAMAN FRANCE
Mondial : le choix des supporters turcs RACHEL MOLLMAN ISTANBUL Alors que leur équipe nationale n’est pas parvenue à se qualifier pour le mondial, les fans de football turc suivent leurs joueurs internationaux de la Super Ligue turque dans l’aventure brésilienne. Cette année, pas moins de 28 joueurs originaires de 10 pays différents et ayant participé aux championnats de football de Turquie sont au Brésil. A commencer par Didier Drogba. L’attaquant ivoirien a joué pour Galatasaray cette saison. Il a été rejoint par deux défenseurs qui ont joué sur la côte de la Mer Noire turque contre le Japon dimanche : Sol Bamba, qui joue pour Trabzonspor et Ousmane Viera qui joue pour Çaykur Rizespor. Wesley Sneijder, milieu de terrain de Galatasaray était sur le terrain vendredi soir aux côtés de l’équipe des Pays-Bas, victorieuse. Son camarade issu du club rival Fenerbahçe, l’attaquant Dirk Kuyt, est aussi dans l’équipe néerlandaise.
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CAMEROUN ET BOSNIE, PAYS LES PLUS REPRÉSENTÉS DANS LES CLUBS TURCS Le Portugal, quant à lui, est représenté par trois joueurs de clubs turcs : le défenseur Bruno Alves et le milieu de terrain Raul Meireles qui jouent pour le club champion de la Super Ligue, Fenerbahçe, ainsi que Hugo Almeida, qui joue avec Besiktas et qui fait partie de l’équipe portugaise depuis 2004 avec 19 buts à son actif. Les supporters de Galatasaray soutiendront aussi leur gardien de buts, Fernando Muslera, qui fait partie du club
depuis 101 matches. Depuis 2009, Muslera évolue dans l’équipe nationale de l’Uruguay, qui a joué son premier match de groupe D contre le Costa Rica samedi dernier. Mais c’est surtout le Cameroun et la Bosnie-Herzégovine qui méritent le détour, chaque pays étant représenté par pas moins de six joueurs dans des clubs turcs. Charles Itandje, gardien du club Torku Konyaspor, Aurélien Chedjou et Dany Nounkeu, joueurs de Galatasaray, Eyong Enoh de Medical Park Antalyaspor et Pierre Webo de Fenerbahçe étaient tous sur le terrain pour le premier match du Cameroun vendredi dernier. L’ailier suisse de l’équipe de Bosnie, Izet Hajrovic, a joué pour Galatasaray cette saison. Il a été rejoint par Ognjen Vranjes, Senijad Ibracic, Haris Medunjanin, Edin Visca et Ermin Zec à l’occasion des championnats de Turquie et pour la Coupe du monde.
CÜNEYT ÇAKIR, L’ARBITRE TURC DU MONDIAL Dans l’équipe du Nigéria, Joseph Yobo et Emmanuel Emenike viennent de Fenerbahçe, alors que Godfrey Oboabona est issu de Rize. Surprenant mais vrai, la Turquie a même un joueur américain : Jermaine Jones, qui joue en milieu défensif aux côtés de Besiktas pour la Super ligue. Un autre nom surprenant est celui de l’attaquant grec Theofanis Gekas, actuellement à Konyaspor. Mais n’oublions pas que la Turquie est aussi et surtout représentée par son arbitre, Cüneyt Çakir, qui était chargé d’arbitrer le match BrésilMexique.
Salih Uçan, milieu de terrain du club Fenerbahçe.
Les prévisions de transfert des footballeurs turcs ont commencé
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La Turquie se prépare à la saison des transferts de joueurs de cet été. A noter tout d’abord que l’entraîneur italien de Galatasaray, Roberto Mancini, vient de mettre un terme à son contrat avec le club stambouliote d’un commun accord après une saison marquée par des hauts et des bas. Il avait pourtant déclaré vouloir rester jusqu’à la fin de son contrat de deux ans avec le club, même si son pays d’origine et le football italien lui manquaient. Côté Fenerbahçe, le jeune Salih Uçan devrait passer à l’AS Roma dans peu de temps. Très prometteur, le jeune joueur a néanmoins eu du mal se faire une place parmi les autres joueurs du club lors de cette dernière saison. L’entraîneur de Fenerbahçe, Ersun Yanal, a déclaré que Salih était libre de partir s’il voulait changer de division. Le seul obstacle reste le désaccord sur le prix du joueur entre les deux clubs.
LES JOUEURS NATIONAUX DANS L’OBJECTIF Comme Salih, d’autres joueurs comme Samuel Holmén, Cristian Baroni et Milos Krasic pourraient rechercher un poste ailleurs. Le quota de joueurs étrangers est devenu plus strict en Turquie cette dernière année. Ainsi, les clubs se focalisent sur leurs talents
locaux, ce qui n’a pas aidé les cas du Suédois, Holmén, du Brésilien, Baroni et du Serbe, Krasic. Ainsi, l’attaquant de Tabzonspor et de l’équipe nationale turque, Olcan Adin, est de plus en plus convoité par Galatasaray et Besiktas. Le président de Galatasaray, Ünal Aysal, a dit que le club «avait besoin d’Olcan» mais ne forçerait pas la main de Tabzonspor si le club souhaitait le garder.
BESIKTAS CONVOITE RAMON MOTTA ET GÖKHAN TÖRE Besiktas est également en train de décider du sort de Ramon Motta. Le club avait emprunté le défenseur brésilien du club Corinthians Paulista l’année dernière et souhaite maintenant l’acheter. Les clubs turc et brésilien ne sont pas encore parvenus à une décision. Besiktas a envoyé son directeur général, Önder Özen, au Brésil pour s’occuper de la question. L’entraîneur du club, Slaven Bilic, a aussi exprimé son intérêt pour Gökhan Töre qui joue pour l’équipe nationale turque. Töre a joué avec Besiktas cette saison et les Aigles noirs veulent maintenant le garder, alors qu’il provient à l’origine du FK Rubin Kazan. Les clubs de football auront tout l’été pour décider du sort de leurs équipes.
Didier Drogba évolue dans l’équipe nationale de la Côte d’Ivoire.
L’installation de «piques anti-sdf» fait scandale à Londres DIJAN CETINGOZ PARIS Depuis vendredi, un luxueux immeuble londonien situé à Southwark, au sud de la Tamise est la cible des citoyens anglais. Un dispositif a été mis en place pour empêcher les sans-abris de camper et dormir devant la porte de cette résidence. Cette installation a indigné et mobilisé rapidement les Londoniens qui ont partagé plusieurs photos sur les réseaux sociaux. Une pétition a également été mise en place à l’intention
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du propriétaire de l’immeuble ainsi qu’au maire de Londres, Boris Johnson. Elle dépasse à ce jour les 90 757 signatures. Boris Johnson a exprimé ce lundi son profond dégoût pour ce dispositif sur Twitter et a demandé que ces piques «moches, inefficaces et stupides» soient retirées «le plus vite possible» tout en rappelant la somme des 34 millions de livres que la municipalité avait dépensés cette année pour venir en aide aux sans-abris. Les autorités locales qui sont citées dans la
presse assurent également qu’elles ne sont pas à l’origine de ce projet.
LE «MOBILIER ANTI-SDF» Katharine Sacks-Jones, qui dirige l’ONG Crisis, dédiée aux sans-abris rappelle que depuis 2010, le nombre de personnes dormant dans la rue avait augmenté de 37 %. Malheureusement, ce dispositif n’est pas une nouveauté. Le quotidien britannique The Telegraph explique que ce système existe depuis plus d’une décennie. Installées devant les vitrines et les portes d’immeubles, ces piques empêchent les personnes de camper la nuit devant les bâtiments. Le magasin Tesco a également été la cible des critiques pour avoir installé ce dispositif, mais, les responsables se sont défendus en expliquant que ce système n’était pas contre les sansabris mais contre les personnes qui ont des comportements antisociaux et qui intimident les clients en campant devant la boutique. Le Daily Mail avait déjà pointé ce problème en 2012 en évoquant les piques de béton de 20 cm de haut placées sous un pont chinois pour empêcher les sans-abris de camper dessous. Et un reportage «sur le mobilier anti-SDF» diffusé sur Arte montre que ce dispositif existe depuis 2010 en France.
Le projet d’un étudiant pour nettoyer les océans DIJAN CETINGOZ PARIS Mis en place pour filtrer et extraire les 340 millions de déchets plastiques qui envahissent les océans, le projet écologique de Boyan Slat, un étudiant hollandais vient d’être légitimé par une étude de faisabilité. Des vacances en Grèce changent la vision du monde de ce jeune homme. Surpris de voir plus de sacs en plastiques que de poissons lors d’une plongée sous-marine, il décide de faire des recherches pour trouver une solution à ce problème. Pendant trois ans, il va chercher une idée qui ne soit pas destructrice pour les fonds marins. Boyan Slat abandonne le projet d’un râteau géant pour se tourner vers «l’entonnoir géant», une plateforme assemblant plusieurs tuyaux en bouées à des panneaux immergés de trois mètres. «J’ai décidé de me servir des courants et des vents pour amener le plastique à moi» explique Boyan Slat dans un entretien pour Le Matin, un quotidien suisse. Cet «entonnoir géant» pourrait débarrasser le Pacifique de la moitié de ses ordures en seulement dix ans. En 2013, cet étudiant en école d’ingénieur lance sa fondation The Ocean Cleanup, qui a rassemblé une centaine de volontaires. L’ambition du jeune homme est de récolter 2 millions de dollars en seulement cent jours pour commencer à construire la plate-forme qui devrait être opérationnelle dans les trois à quatre années à venir. La fondation lance un appel au don sur le site de la campagne fund.theoceancleanup.com et a déjà récolté 438 998 euros.
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