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INTRODUCTION

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BIBLIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE

Mayotte se caractérise par une évolution socioéconomique et institutionnelle quasi atypique au sein de la République française, si on la compare avec les quatre autres Départements d’Outre-mer (DOM), hormis la Guyane avec laquelle elle partage de nombreuses similitudes et des problématiques communes1 .

Cette spécificité est accentuée par l’image négative que les médias régionaux et nationaux véhiculent à son sujet et qui dessert particulièrement son attractivité touristique et économique. Cette image dépeint notamment Mayotte comme un territoire en crise avec :

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- un fort flux d’immigration irrégulière essentiellement issue des Comores, de l’Afrique et de Madagascar ;

- une démographie galopante qui fait d’elle la première maternité de France, avec toutes les conséquences générées par cette situation (l’accroissement de la précarité sociale, la jeunesse de sa population) ;

- des violences sociales qui touchent toutes les catégories sociales jusqu’à créer un sentiment général d’insécurité ;

- des mouvements sociaux récurrents qui paralysent la circulation sur le territoire et qui impactent négativement le fonctionnement des entreprises ;

- des entreprises qui délocalisent leur siège hors territoire par peur d’une faillite éventuelle causée par des crises sociales à répétition.

Tous ces éléments contextuels ralentissent l’essor économique de l’île. Ils en font également un lieu aux tensions régulières et palpables où il faut souvent composer avec des contraintes inhérentes à l’insularité : à titre d’exemple, les matériaux de construction étant globalement importés, leur retard de livraison peut se répercuter sur la bonne avancée des chantiers suivis par les maîtres d’œuvre.

Il faut aussi composer avec les imprévus, en plus de la pandémie de coronavirus, en cours de gestion par le territoire, depuis l’année 2020. Parmi ces imprévus, figurent en particulier : - le blocage inopiné des axes routiers principaux qui peuvent rendre impossibles les visites de chantier prévues par les maîtres d’œuvre, les réunions avec les partenaires et commanditaires, voire les réunions publiques avec la population villageoise ;

- la fermeture illégale des administrations publiques, principales commanditaires des (grands) projets territoriaux, par des grévistes dans le cadre de mouvements sociaux déclenchés par le personnel2 .

Pourtant, le territoire de Mayotte est plein de ressources. Outre sa biodiversité, considérée scientifiquement comme exceptionnelle, et sa richesse culturelle spécifique (croisement des cultures bantoues, arabes, austronésiennes et européennes), c’est aussi un territoire à fort potentiel économique du fait de sa localisation géostratégique dans l’océan Indien, non loin du Canal de Mozambique et de l’Afrique orientale, une région en plein développement.

Dans le domaine de la construction, plus précisément, les projets privés (individuels ou familiaux), comme ceux du secteur public, se multiplient et voient le jour.

D’une part, les familles mahoraises continuent de perpétuer la tradition matrilinéaire en bâtissant une maison pour leurs filles. A défaut, les intéressées, une fois autonomes financièrement, investissent dans un projet immobilier personnel par leurs propres moyens, conjugués ou non avec ceux de leurs éventuels conjoints. Mais de manière générale, les Mahoraises et Mahorais souhaitent investir de plus en plus dans l’immobilier, dans le locatif, indépendamment du contexte socioéconomique tendu, évoqué plus haut. Le but pour eux est de se constituer une source de revenus complémentaire ou d’anticiper sur les revenus dont ils auront besoin lors de leur retraite professionnelle ultérieure, au travers de la rente.

D’autre part, les collectivités publiques, assujetties à la législation en vigueur, en matière urbanistique, environnementale et de gestion patrimoniale, sont amenées :

- à étendre leurs locaux pour notamment mieux installer et recentrer leurs effectifs ;

1 Mayotte et la Guyane ont par exemple un nombre d’habitants quasiment identique, une forte pression migratoire en provenance des pays alentours, une insécurité élevée. 2 Cette liste n’est pas exhaustive.

- à repenser leur implantation physique en vue de contribuer au désengorgement du chef-lieu (Mamoudzou), qui centralise nombre d’administrations – on citera ici pour exemple le projet de « Cité administrative » envisagé par le Département de Mayotte.

Autrement dit, les besoins locaux sont réels et multiples dans le développement de la construction individuelle et dans l’aménagement territorial. Ils nécessitent de faire un lien constant entre l’architecture et la Culture pour allier la technicité requise lors des projets d’édification avec le fonctionnement et les mécanismes locaux, ainsi que l’appréhension des espaces du territoire.

Cela place ainsi l’architecte dans la position d’être sollicité régulièrement pour : proposer, faire, bâtir, à partir d’une commande précise. Dès lors, il se doit d’adopter une posture professionnelle face aux attentes des commanditaires telles que les suivantes :

- être à même de prendre en compte les problématiques de l’île, comme celles mentionnées précédemment ;

- pouvoir « contourner », dans le strict respect de la légalité, les contraintes urbanistiques, environnementales ou autres qui se posent dans le cadre de la réalisation d’un projet donné ;

- aider à la régularisation d’une construction édifiée sans permis de construire (cas répandus) ou à la reprise d’un projet, voire d’un chantier mal ficelé initialement, où le maître d’œuvre antérieur n’a pas su interpréter ou traduire les besoins du maître d’ouvrage.

La question est donc de savoir ici comment exercer le métier d’architecte (en tant que maître d’œuvre) dans un territoire socialement, économiquement et démographiquement en crise, tout en co construisant avec les commanditaires, et quelle.s représentation.s la population ou les maîtres d’ouvrage se fait-elle/ font-ils de ce métier. Cela implique d’identifier et de mettre en place des stratégies afin d’éviter que les problèmes structurels de l’île n’impactent trop négativement la profession d’architecte. Or, cette orientation invite à s’interroger en ces termes : faut-il réinventer la profession pour s’adapter aux évolutions et changements sociaux et culturels, et si tel est le cas, quelles sont les limites administratives et réglementaires de cette adaptation ?

Dans un premier temps, il s’agira de montrer que dans ma vision, bâtir Mayotte signifie avant tout bâtir mon île, un territoire avec lequel je noue une relation affective particulière, une terre natale qui m’était longtemps restée autre, pour ne pas dire étrangère, dont j’en retrace aujourd’hui les aspects, constitutions et fonctionnements au travers de l’exercice de ma profession.

Ensuite, nous verrons que cet exercice professionnel demeure difficile et que les compétences des maîtres d’ouvrage, des maîtres d’œuvre et des entreprises du domaine du bâtiment sont à renforcer, tant chaque projet présente des caractéristiques spécifiques. De même, chaque projet obéit à des enjeux socio-politico-culturels différents qu’il faut prendre en considération pour permettre son aboutissement et la satisfaction des commanditaires.

Enfin, cette manière d’appréhender les projets m’amène à mon objectif : participer à une dynamique de développement durable et économique du territoire, le but étant de valoriser des matériaux locaux à coût moindre, susceptibles de raviver une dimension autre de l’architecture.

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