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CONCLUSION

Nous avons pu voir plus haut comment, du fait d’une convergence d’opportunités et d’intérêts, j’ai pu me retrouver au sein d’un groupe professionnel dynamique porté par de grandes ambitions, un groupe en perpétuelle recherche d’une meilleure façon de comprendre, construire et conduire les projets architecturaux, en collégialité, avec des équipes d’architectes et d’ingénieurs réunis au même endroit. La méthodologie employée est originale et efficace. Cependant, pour penser la conception architecturale des espaces urbains de Mayotte et les enjeux liés à ces derniers, il est d’abord nécessaire de s’implanter physiquement dans cette île et d’essayer de comprendre son fonctionnement, ses tensions et ses espoirs de l’intérieur.

Territoire abîmé par des mains hâtives et incertaines qui ont pensé sa construction au fil des décennies, Mayotte souffre de bien de maux (concentration de sa population en zone urbaine, malfaçons sur les bâtiments…) que l’architecte peut traiter : en restaurant un lieu, en donnant vie à un espace souhaité, en redynamisant un quartier ou une ville par un projet structurant. Le SAR, document phare du Département qui oriente l’aménagement du territoire, parle de « réparer » ces espaces malmenés. D’autres documents stratégiques précisent l’ampleur des « réparations » à effectuer. Et pour atteindre cet objectif, ainsi que celui du développement territorial, les pouvoirs publics (Etat, collectivités, structures privées) joignent leurs forces et leurs moyens en associant les professionnels du territoire à leur réflexion et à leur action.

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L’architecte-réparateur joue donc un rôle déterminant : certes, il matérialise une vision du monde (ici le microcosme insulaire) et répond au besoin de maîtriser un espace pour mieux rentabiliser celui-ci mais il donne surtout un cadre de vie restructuré à la population locale ; et il permet un point de départ vers un environnement sécurisé ou une formation d’avenir.

Il y a de cela 20, 30 voire 40 ans, seules les collectivités publiques, ou assimilées comme la SIM, faisaient appel à ses services. Le film de Jérôme MAISSE et Philippe BRIMAUD, Hodi..., met avant tout en scène le visage d’un architecte bâtisseur ou compagnon, soucieux du bienêtre de toute une population qui apprend à rêver progressivement un nouveau lieu de vie, un lieu de vie plus solide et plus sécure face à un environnement fluctuant et une acclimatation parfois rude.

D’après ce film, les Mahorais.es (la population locale) ne recouraient pas aux services de l’architecte car ils en ignoraient l’existence. Aussi, c’est plutôt l’architecte qui partait à leur rencontre dans les villages jusqu’à ce que des liens de confiance se nouent entre eux et que la Mahoraise ou le Mahorais ait le réflexe de venir le solliciter de nouveau pour avancer dans son/ses projet.s.

Cette relation de confiance doit être recréée, au travers d’une prise en compte de la Culture locale et des Cultures en présence. Le film montre bien que l’usage de la langue mahoraise permet plus facilement à l’architecte de s’intégrer dans le village, puis d’être approché sans peur par la suite, hors village. Il faut donc continuer à faire connaître l’architecture, le métier d’architecte en lui-même, avec ses potentialités, et donner une visibilité à ce travail en informant les publics sur ce métier.

Pour commencer, afin de bâtir Mayotte dans le respect des règles sociales et culturelles comme dans celui des lois de la République, il convient dans un temps premier d’accompagner la progression et la montée en compétences des entreprises locales qui détiennent une pratique, un savoir-faire technique mais auxquelles il manque globalement des outils pour comprendre et exécuter les commandes des maîtres d’ouvrage. De la maîtrise de ces outils dépendent leur survivance économique, leur intégrité professionnelle et leur développement. De leur compréhension et de leur exécution des commandes dépend aussi la crédibilité des maîtres d’œuvre.

Pour bâtir Mayotte, il convient dans un temps second de définir un cap, une orientation dans le domaine de la construction et de s’y tenir, en plus des documents stratégiques existants ou en cours d’élaboration tels que le SAR : c’est la résurgence de la filière BTC avec ce qu’elle amène de redynamisation économique et de lien identitaire à constituer.

Ce lien identitaire peut se retrouver en l’habitat, secteur qui a évolué trop vite et généré des besoins nouveaux, dont la satisfaction est encore plus coûteuse. Les Mahorais.es courent après la chimère du béton pour fuir un passé architectural débordant de carences et d’indigence. Mais la solution ne réside pas nécessairement dans le renoncement. Elle est dans l’adaptation d’une vision de la vie au milieu ; elle est dans la conscientisation du lieu d’origine, avec ses aspérités et ses ressources, de même que dans le juste équilibre entre cette représentation et l’individu.

N'est-ce pas là où l’architecte a toute sa place, en se positionnant comme chef d’orchestre, à condition qu’il cherche à maîtriser toutes les gammes de la symphonie ?

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