c arnet de bains
REGARDS SUR
Les Bains municipaux de Strasbourg n° 2
02—03 Une publication réalisée par 2024 et chicmedias / Rédaction en chef Sylvia Dubost, Louis Lauliac Direction artistique Louis Lauliac/ Design graphique brokism / Photographies Christophe Urbain (p.2-12-18-21-22) / Illustrateurs Benjamin Adam, Lisa Blumen, Eponine Cottey / Couverture Paul Lannes
La SPL Deux-Rives remercie Didier Laroche et Jean-Robert Guirao pour leur aide précieuse, toutes les personnes interviewées pour leur temps accordé et tous les contributeurs pour la qualité de leur travail.
Le chantier des Bains municipaux de Strasbourg en avril 2021. Cette publication est éditée par La SPL Deux-Rives 1, rue de la Coopérative 67016 Strasbourg strasbourgdeuxrives.eu
Tirage : 5000 ex Dépôt légal : juillet 2021 Impression : Modern Graphic Diffusion : Novéa
Les Bains municipaux de Strasbourg L’architecture à Strasbourg traduit son histoire et ses nombreux héritages culturels. C’est un enjeu clair pour notre collectivité : préserver son patrimoine architectural ne se résume pas à conserver des bâtiments mais bel et bien à entretenir et transmettre aux générations futures la mémoire de ces lieux. Après la Grande-Île inscrite en 1988, sanctifiant Strasbourg la médiévale, Strasbourg l’impériale a rejoint en 2017 le patrimoine mondial de l’UNESCO avec l’extension de la Neustadt. Cette reconnaissance mondiale illustre le caractère exceptionnel de ces deux quartiers historiques d’une même ville, très proches et pourtant si singuliers. C’est à la croisée de ces deux héritages qu’ont été bâtis les Bains Municipaux de Strasbourg, en 1908 par l’architecte Fritz Beblo, alors que Strasbourg était allemande. Initialement inscrits en 2000 au titre des Monuments historiques, inscription reconnaissant l’intérêt remarquable d’un monument à l’échelle régionale, les Bains ont finalement été en partie classés en 2017 au titre des Monuments historiques, le plus haut niveau de protection patrimoniale, qui hisse leur enjeu de préservation à l’échelle nationale. Exploités tout au long du XXe siècle et très fréquentés par nous autres Strasbourgeois. es, ils nécessitaient une rénovation respectueuse du patrimoine et de leur histoire, capable de leur assurer une
seconde vie pour permettre à toutes et tous d’y replonger dans de très bonnes conditions. Comment conserver un héritage tout en l’adaptant à de nouveaux usages ? Comment préserver un bâtiment d’hier en le rendant conforme aux normes actuelles ? C’est à ces questions compliquées, essentielles et parfois clivantes que ce projet a dû trouver des réponses. Ces solutions ont pu être proposées et adoptées grâce aux échanges fréquents avec toutes celles et ceux engagés par cette entreprise de restauration ambitieuse, au premier rang desquels les associations de protection du patrimoine, qu’il convient de remercier à nouveau pour leur implication, les associations de quartier, les services techniques de la Ville et Eurométropole de Strasbourg, le groupement à l’œuvre sur ce chantier, les architectes pour leur savoir-faire, la Direction régionale des affaires culturelles et son regard pertinent sur ce projet, sans oublier les ouvriers à pied d’œuvre. Qu’ils et elles soient remercié.e.s. Si le premier numéro des Carnets de Bains portait sur les enjeux de santé que présentent les Bains Municipaux de Strasbourg, ce deuxième numéro nous invite au voyage dans le temps, à la redécouverte de leur histoire et de leur valeur patrimoniale. Anne Mistler Adjointe à la Maire de Strasbourg en charge des arts et cultures
Un chef d’œuvre architectural
Regards d’usagers et d’experts sur les Bains d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Chantal Seguin dans le chantier du Petit bassin.
Vous faites quoi dans vos Bains ?
Chantal Seguin Ancienne directrice des Bains municipaux de Strasbourg
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Le public ne la voyait pas souvent, et pourtant, elle faisait tourner la maison. Pendant ses 18 années passées aux Bains, Chantal Seguin s’est attachée à les faire briller, au propre comme au figuré. « Avec les agents, on a fait vivre les Bains jusqu’au bout ! » Jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à leur fermeture pour travaux, le 22 juin 2018 à 22h. Cette date, Chantal Seguin s’en souviendra sans doute toujours. Comme tous ceux qui sont passés ici, elle s’est profondément attachée au lieu. Elle se souvient que quand le Plan Piscines a été lancé en 2012, avec pour objectif d’adapter l’offre aux nouvelles demandes, beaucoup d’agents ont transité par les Bains avant de se déployer dans les piscines rénovées. « Certains ne voulaient pas venir, puis ne voulaient plus repartir ! Ils se sont attachés au bâtiment, qui appelle cela. C’est vrai que quand les photographes prennent les cuivres qui brillent, on éprouve tous de la fierté. » Mais le plus impressionnant pour elle, au-delà de l’aspect patrimonial, « c’était la mixité sociale. Des usagers attendaient pour les bains romains, où ils payaient le tarif le plus élevé, pendant que les SDF utilisaient les douches juste à côté. Et en bas, les enfants couraient au bord du bassin. Imaginez-vous le tableau ! » Pourtant, on ne la croisait pas vraiment au bord du bassin, plutôt au four et au moulin. Chargée de la gestion de l’équipement (« et c’était très dense ! »), elle a aussi mis le paquet pour faire connaître et comprendre le lieu, des Strasbourgeois et des autres, organisant de nombreux événements. On se souvient de la performance du chorégraphe Jean Gaudin, de l’intervention de l’artiste strasbourgeoise Wonderbabette ou de la projection des Dents de la mer. Il y eut aussi des tournages – Le Temps de la désobéissance avec Martin Lamotte, un clip de Patricia Kaas –, des reportages et d’innombrables visites. Aussi, Chantal Seguin collectionne les anecdotes. « Vers 2001-2003, des agents ont remarqué que des gens venaient se baigner la nuit. Pourtant, il n’y a jamais eu d’effraction. Un agent me parle alors du tunnel entre la chaufferie des Bains et les Arts déco. J’y suis allée et on voyait des traces de passage sur la poussière des tuyaux. J’ai fait changer la serrure. Quelqu’un est alors venu une dernière fois et a déposé sa vieille clé à la caisse ! Puis, plus rien… » Ce qui l’a le plus marquée ? Les trois mois passés ici, seule, après la fermeture des Bains. « J’étais ici pendant 18 ans, et d’un coup c’était le silence… Au fur et à mesure qu’on vidait les pièces, j’ai découvert beaucoup de choses : des moules pour les poignées de porte, les outils pour le charbon de la chaufferie… Je suis heureuse d’avoir vécu ça. Quelle chance ! » Aujourd’hui responsable qualité à la direction des sports de la Ville de Strasbourg, elle n’est pas pour autant nostalgique. « Je ne me suis jamais lassée, mais je ne regrette pas. Il fallait tourner la page, c’était le moment pour moi, pour les Bains aussi. Je suis vraiment contente que le bâtiment soit réhabilité ! »
Olivier Ohresser et François Chatillon Conversation croisée
En matière de rénovation, on a tendance à opposer défenseurs du patrimoine et architectes. Comme Olivier Ohresser, président de l’association des Amis du Vieux Strasbourg, et François Chatillon, fondateur de l’agence Chatillon Architectes en charge de la réhabilitation des Bains aux côtés de TNA Architectes, ils peuvent pourtant s’accorder sur des principes essentiels : maintenir l’usage et l’esprit du lieu. Que représente pour vous le bâtiment des Bains ? Olivier Ohresser Dans les réunions préparatoires, beaucoup d’interlocuteurs disaient qu’ils avaient appris à nager ici, et c’est mon cas aussi ! Il y a une forme d’attachement personnel à ce lieu, de lien sentimental remontant à l’enfance. Un attachement patrimonial aussi. Le bâtiment était très dégradé et il fallait intervenir. C’est d’ailleurs une chance qu’il n’ait pas trop été touché par le passé, car parfois quand on veut bien faire on fait mal. Mais la grande chance, c’est qu’il n’ait pas été détruit ou touché pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il n’existe d’ailleurs plus beaucoup de piscines de ce type en Allemagne. François Chatillon Je ne suis pas Strasbourgeois, mais je connais beaucoup de gens qui connaissent les Bains. C’est un bâtiment qui ne laisse pas indifférent. Quand on le visite, il y a un rapport poétique très clair à l’espace, à la lumière. Il a beaucoup de charme. C’est une construction d’inspiration à la fois antique et néo-régionale. Cet équilibre est fragile et il faut le conserver. Olivier Ohresser parlait tout à l’heure de rénovations malheureuses des années 1960-1970, où on a perdu l’âme de ces piscines. Heureusement, on porte aujourd’hui un regard différent, et on a mieux compris que l’application brutale des normes produit des catastrophes. Mais le combat reste compliqué. Retrouver l’esprit originel du lieu tout en appliquant les normes actuelles : n’est-ce pas la quadrature du cercle ? FC C’est une démarche particulière, et cela passe par le travail et le dialogue. Il ne faut pas être brutal, mais communiquer, expliquer, et avoir face à soi une équipe municipale réceptive. Les Strasbourgeois attendent beaucoup de ce projet et ils ont raison, car les Bains sont à eux, pas à moi, et pas à l’équipe municipale non plus. OO Une rénovation doit être intelligente. Il ne s’agit pas de s’arcbouter sur des positions patrimoniales archaïques. C’est un bâtiment technique, contrairement à un château, et il faut se mettre au goût du jour. Certains voulaient que tout soit figé. Or une piscine utilise 120 à 135l d’eau par usager, là on était à plus de 800l… Il faut le protéger dans son esprit en s’adaptant aux normes actuelles, mais pas bêtement. Maintenant on est repartis pour un siècle. FC J’espère !
Vue projetée du Grand bassin après travaux. Les cabines seront en partie transformées en alcôves pour permettre le recul règlementaire par rapport au bassin. Suite à des découvertes récentes, les portes seront repeintes dans leur
14—15 couleur d’origine, en harmonie avec les carreaux des douches (Visuel : Chatillon Architectes).
Certaines villes ont fait le choix de transformer leurs Bains en musée. N’aurait-ce pas été plus simple ? 00 C’est dommage car ce n’est plus l’usage initial. Je ne vois pas les Bains avec des tableaux… FC C’est malheureusement un réflexe courant que de transformer les monuments historiques en musées. Or, c’est très compliqué, il y a des questions de sécurité, d’hygrométrie… À chaque fois qu’on change l’usage d’un bâtiment, les transformations sont plus importantes. Or une piscine qui reste une piscine, c’est très beau car cela fait appel aux souvenirs des gens. Altérer un bâtiment plutôt que de le restaurer dans sa fonction initiale, c’est un peu une double faute. 00 C’est difficile de faire comprendre l’évolution de l’usage des bâtiments. À l’époque de la construction, peu d’appartements étaient équipés de salles de bains. Il y a la volonté de conserver des douches, mais évidemment que le nombre est diminué… FC Un tel projet remue des visions du monde et de la vie, par essence antinomiques car les gens ne pensent pas la même chose. Certains pensent d’abord aux dépenses énergétiques, d’autres veulent des équipements plus fonctionnels et adaptés à leurs besoins. Et s’il n’y pas de gens exigeants sur le plan patrimonial, les contingences techniques vont prendre le dessus. Notre travail c’est d’arbitrer, tout en pensant qu’in fine les juges de tout cela seront les Strasbourgeois. 00 Je me pose une question : est-ce qu’on restaure les Bains pour nous ou pour les conserver dans la durée ? FC Les deux ! Surtout pour montrer comment d’autres avant nous voyaient le monde. C’est le plus intéressant.
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Qu’attendez-vous de l’ouverture au public ? FC C’est un peu une première, car on est allés très loin dans la préservation du bâtiment. Je pense qu’un regard national pourra être porté sur cela, y compris dans la manière dont cela a été porté par la Ville. 00 Il faudra d’abord que les Strasbourgeois s’approprient les « nouveaux Bains », puis élargir le public au-delà des Strasbourgeois. Il faudrait une communication nationale et internationale, car les Allemands reviendront certainement voir le bâtiment !
Fritz Beblo par son petit-fils Andreas
Fritz Beblo devant la statue du Meiselocker, place Saint-Étienne, en 1932.
Stadtbaurat (architecte en chef) de la ville de Strasbourg de 1903 à 1918, Fritz Beblo a conçu les Bains et a laissé de nombreuses traces dans la ville. Son petit-fils livre quelques anecdotes qui révèlent sa personnalité et son attachement à Strasbourg. Andreas Beblo n’a que 4 ans lorsque son grand-père décède. Tout ce qu’il en sait, c’est sa cousine Christine, élevée dans la maison de Fritz Beblo, qui le lui a raconté, à lui et à sa femme Rosa, architecte et auteure d’un travail de recherche sur son œuvre. Il apprendra ainsi que, contrairement à ce que laisse imaginer sa fonction, Beblo était quelqu’un « de chaleureux et de simple, qui plaçait sa famille au-dessus de tout et ne ramenait jamais son travail à la maison ». Que lorsqu’il doit quitter Strasbourg en 1919, ses amis et collègues français se débrouilleront pour lui transmettre, au fil des années, objets personnels et meubles qu’il avait dû laisser sur place. C’est ainsi qu’Andreas a pu hériter de nombreuses peintures (« Fritz a peint toute sa vie, et hésitait d’ailleurs entre peinture et architecture ») et de quelques meubles, comme le secrétaire qui lui sert encore aujourd’hui de bureau. On comprend que même installé à Munich, où il devient Oberbaudirektor, Fritz Beblo restera toujours très attaché à Strasbourg. « Mon grand-père était vraiment un réconciliateur. Ses anciens amis du service de l’urbanisme lui ont parlé de la statue du Vater Rhein place Broglie, qui devait être démontée. Il a mis en place un échange avec la statue munichoise du Meiselocker [désormais place Saint-Étienne, ndlr] en 1932. » Un geste d’amitié franco-allemande qui intervient alors que sa carrière s’achèvera bientôt, et précocémment. Quelques années plus tard, à Munich, « il se dresse contre Albert Speer [l’architecte en chef d’Hitler, ndlr] et son gigantisme, qui voulait faire passer l’autoroute en pleine ville. Il a été mis en retraite anticipée en 1936. » Andreas Beblo avoue ne pas avoir l’expertise pour analyser l’œuvre de son grand-père. « Ce que j’admire, ce sont les Bains. Savoir que ce bâtiment aura servi pendant 100 ans réjouit mon cœur d’ingénieur ! Aujourd’hui, c’est impossible d’arriver à cela. » Il se réjouit aussi que le nom de son grand-père soit désormais un peu mieux connu. La Grande Percée, l’école Saint-Thomas, celle de la Musau, l’église Sainte-Madeleine, entre autres : « avec le classement de la Neustadt, on réalise enfin l’importance de son œuvre. »
Pascal Broussot s’apprête à incliner l’un des panneaux de verre des vitraux du Petit bassin pour créer une ventilation naturelle.
Portraits des femmes et des hommes à pied d’œuvre sur le chantier des Bains municipaux de Strasbourg.
Attention travaux !
Pascal Broussot Vitrailliste
À Gurgy près d’Auxerre, l’Atelier Art vitrail est spécialisé dans la création et la restauration de vitraux civils et religieux, et intervient dans le grand quart nord-est de la France.
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Il vient de loin pour mettre son savoir-faire au service des Bains. Portrait d’un artisan et d’un métier de plus en plus rare et précieux. Depuis 27 ans, il en a restauré, des vitraux de cathédrales et de châteaux. Même ceux de la chapelle du Château de Versailles. Quand on est vitrailliste, qu’on fabrique ou restaure des vitraux, on œuvre presque toujours sur des chantiers exceptionnels. Pourtant, c’est la première fois que Pascal Broussot intervient dans une piscine. On le retrouve ici sur la plateforme installée dans le Petit bassin, qui permet aux artisans d’atteindre les parties supérieures sans abîmer les murs. Il écarte le plomb entre deux panneaux de verre pour retirer celui qui s’est fendu avec le temps et doit être remplacé. Une affaire qui nous paraît risquée mais s’avère un jeu d’enfant pour les experts. La base du métier, même. On apprendra de lui qu’en vérité, « le verre travaille », qu’il n’est pas si rigide qu’on pourrait le croire. Celui-ci, en l’occurrence, est du verre cathédrale, c’est-à-dire imprimé. Contrairement à ce que son nom sous-entend, c’est le verre le moins noble, celui qu’on utilise aujourd’hui encore dans les salles de bains pour s’abriter des regards. Les parties colorées des motifs sont quant à elles soufflées à la bouche, « comme dans les cathédrales » justement. Pascal Broussot désigne les bulles qui l’attestent, et nous montre aussi les différentes textures des carreaux, qui indiquent que certains avaient déjà été remplacés. « Les verres anciens ont parfois de petits défauts », c’est ainsi qu’on les reconnaît. Si les Bains sont un gros chantier pour lui, car « il y a des vitraux partout », il n’est pas complexe pour autant. « Les vitraux d’église sont plus difficiles à faire, confirme Pascal Broussot, car il y a beaucoup plus de pièces. À l’époque [au Moyen-Âge, NDLR], on ne savait pas faire de grandes pièces. » Son premier chantier, d’ailleurs, était celui de la cathédrale d’Auxerre, « quand [il] était apprenti. C’est le premier panneau qu’[il a] posé. À l’époque de la construction, le patron et les architectes donnaient leur visage aux personnages des vitraux. Personne ne le sait, mais nous, là-haut, on voit tous les détails ! » Ce soir, Pascal Broussot retournera chez lui, dans l’Yonne, avant de revenir sur le chantier la semaine prochaine. Les vitraillistes sont de moins en moins nombreux, et sillonnent l’hexagone au gré des chantiers. « Dans le temps, il y avait au moins un vitrailliste dans chaque département », rappelle-t-il, avant tout pour maintenir en état les églises. À titre d’exemple, « à Dijon, il y avait trois entreprises il y a quelques années, aujourd’hui il y en a plus qu’une. » À 61 ans, lui n’est pas loin de la retraite. Mais pour prendre la relève, les apprentis, « il faut vraiment aller les chercher ! »
Johan Huber Tailleur de pierres
Spécialisée dans la taille de pierre et la maçonnerie, l’entreprise Léon Noël intervient ici sur les parties extérieures et intérieures, restaurant également les fontaines des bassins.
Parler chantiers avec Johan Huber, c’est comme faire un bilan de santé du patrimoine alsacien. Spécialiste du grès, LE matériau local, il ne chôme pas et égrène les petits bobos des monuments. Récemment, il est intervenu sur l’église d’Obernai, « restaurée dans son intégralité », le château du Haut-Koenigsbourg pour une visite annuelle, la cathédrale de Strasbourg, chantier partagé avec l’Œuvre Notre-Dame où il y a toujours quelque chose à faire, en l’occurrence la loge des gardiens de la plateforme et celle de la caisse place du château. Grosse frayeur l’année dernière pour le temple de Mulhouse, où « [l’équipe a] déposé l’intégralité de la flèche et remplacé 80% des pierres. C’était de la très haute technicité au niveau de la taille de pierre. » On veut bien le croire. En comparaison, le chantier des Bains est presque une promenade de santé. Johan Huber intervient essentiellement sur les parties extérieures en grès, soubassements et encadrements de portes et de fenêtres, et assure au fond « l’entretien classique » de ce matériau local et fragile, « qui n’aime ni l’eau ni les intempéries ». « Le grès est du sable comprimé, rappelle-t-il, et il redevient sableux en surface. » Il pointe aussi les veines orangées, des zones ferreuses typiques de cette pierre que l’oxydation fragilise. Idem pour les veines argileuses, « qui sont des points de fragilité ». Pour soigner tout ça, le tailleur de pierre (ils sont cinq en tout) procède avec méthode. « On a fait un état sanitaire de la façade, on marque tout sur un plan qu’on appelle le calepin, on prend les cotes, on envoie au carrier qui nous fournit le bloc », en l’occurrence la carrière Schneider à Bust au nord de Phalsbourg. Comme à tous les endroits du chantier, il s’agit de préserver au maximum. « On peut enlever une partie de la pierre et la restaurer. On la sonde, on estime la profondeur, on ajuste sur place » le greffon, qui aura toujours au moins 10cm d’épaisseur, car en dessous, c’est trop fragile. Si la pierre est en trop mauvais état, elle est intégralement remplacée. Certaines pierres sont plus soumises aux éléments, notamment aux angles, et celles proches du sol subissent les remontées d’humidité. À l’atelier, où elle est taillée, on lui donne aussi ces coups d’outils qui strient sa surface : ce charruage (comme en agriculture) est le traitement classique du grès. « On fait également attention à la couleur de la pierre, plus ou moins bigarrée, plus ou moins rouge. On essaye de rester au plus proche car on ne doit rien modifier. » Ça c’est pour la partie visible. Car derrière, il l’avoue avec malice, Johan Huber et ses collègues cachent volontiers des petits secrets. En espérant que, dans plusieurs décennies, quand il sera temps de soigner à nouveau les outrages du temps, de nouveaux tailleurs de pierre aussi méticuleux et amoureux d’histoire les trouveront.
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Le chef de chantier Monuments historiques est au chevet de la façade, et restaure ce matériau si ancré dans l’histoire de la région : le grès.
Les pierres trop abîmées pour être restaurées sont remplacées, « toujours en respectant l’harpage », c’est-à-dire la disposition originelle des éléments.
Restauration des cabines sur la mezzanine du Petit bassin.
Silamakan Diakité Menuisier poseur
Installée à Paris, Avignon et Lausanne, la menuiserie et ébénisterie d’art Atelier de la Boiserie intervient sur nombre de chantiers prestigieux, comme le château de Versailles.
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Les cabines de change sont peut-être l’élément le plus emblématique des Bains municipaux. Elles aussi sont restaurées dans le but de retrouver leur aspect d’origine. Et cela implique quelques surprises. Au fond de la mezzanine du Petit bassin, un cosmonaute sort de la dernière cabine. « Comme il y a du plomb dans la peinture, je dois me protéger. » Silamakan Diakité vient de découper une des portes. Un morceau seulement, évidemment, là où les différents verrous posés au fil des décennies avaient transformé le bois en gruyère. C’est la première étape avant la greffe : la partie découpée sera remplacée, et l’on retrouvera une porte bien plane, fermée désormais par un aimant plus clément, qui préservera son intégralité et facilitera les restaurations futures. « Toutes les infos sont sur le plan d’opération », que Silamakan déplie. Des croquis détaillent l’état des cabines et les réparations à opérer. Il faudra reproduire les greffes partout où il y avait des serrures, remplacer les bancs-miroir et les patères, et aussi (entre autres) réparer un panneau fendu. « Je vais devoir nettoyer la fissure, utiliser de la colle blanche et serrer les deux parties. » Ne serait-ce pas plus simple de le remplacer ? « Ce n’est pas l’idée. On répare tout ce qu’on peut. Si on doit changer le panneau, alors il y aura discussion. » Et comme c’est le cas pour les greffes, on remettra la même essence de bois, en l’occurrence du sapin. « Un bois un peu dur, précise Silamakan, qui s’adapte à des températures différentes et ne bouge pas. Le chêne est très dur mais rétrécit quand il fait chaud, et doit toujours être sec. Le sapin résiste mieux à l’humidité et la peinture ne l’altère pas. » Idéal, donc, local, en plus. Silamakan est ici depuis un mois, et est en charge de toutes les cabines du haut. Celles du bas, comme dans le Grand bassin, ont été démontées et réparées dans l’atelier à Paris. « Elles étaient beaucoup plus abîmées, à cause de l’eau. » Et d’ajouter : « Il était temps d’intervenir ! » La partie basse des portes et des cloisons a été entièrement découpée, restaurée, puis les cabines ont été repeintes avec les teintes déterminées grâce au travail de stratigraphie de Katia La Grasta (voir Carnet de bains #1), qui a retrouvé leur couleur d’origine en grattant les différentes couches posées au fil du temps. Où l’on découvre qu’au bord du Petit bassin, les portes étaient crème côté couloir (comme on les a en mémoire), et bleues côté eau ! « Et c’est logique, nous confirmera l’architecte François Chatillon, elles sont raccord avec la faïence bleue des douches. » Ces cabines-là sont presque terminées, il reste encore les finitions de peinture, mais « ce sera fait tout à la fin, quand il y aura moins de monde sur le chantier. » On pointe avec malice un panneau pas tout à fait plane, mais Silamakan nous rappelle que « l’idée n’est pas d’effacer tous les défauts. Il ne faut surtout pas que ça ait l’air neuf, mais qu’on ait l’impression que ça a toujours été là. »
Le journal de chantier
Promenade illustrée dans un bâtiment en pleine transformation par Lisa Blumen
Regard sur le projet voisin de Maison du Sport-Santé Démarrage des travaux Juin 2021
L’ancienne Aile médicale poursuit son activité — Adjacente aux Bains Municipaux inaugurés en 1908, l’Aile médicale a été créée dans leur prolongement en 1910. — À l’époque, les pratiques médicales étaient tout autres ! On y dispensait des soins de mécanothérapie, d’hydrothérapie, d’électrothérapie et de luminothérapie. — Demain, une Maison du Sport-Santé continuera d’y accueillir des patients. Ce projet est piloté par le Dr. Alexandre Feltz, adjoint à la maire en charge de la santé et de la rénovation des Bains Municipaux de Strasbourg.
Vous avez dit Maison du Sport-Santé ? — La réhabilitation de l’ancienne Aile médicale en Maison du Sport-Santé est conduite par un Groupement d’Intérêt Public constitué autour de la Ville de Strasbourg. — Ce sera l’un des 500 établissements de France labélisé Maison Sport-Santé. — Sur 1500 m², elle regroupera des missions médicales d’activités physiques pour les malades chroniques, les personnes âgées fragilisées, les enfants en surpoids. Tou.te.s les Strasbourgeois.es pourront également s’y informer sur les pratiques et activités physiques et sportives adaptées à leur état de santé. — Le public s’y informera sur les dispositifs en vigueur. — Un laboratoire développera du matériel sportif et des outils numériques permettant de mieux traiter les malades.
Une autre facette des Bains Municipaux — Le projet de rénovation des Bains Municipaux et celui de la Maison du Sport-Santé sont complémentaires. — Des créneaux prévus pour le Sport-Santé seront aménagés dans les bassins des Bains municipaux. — Avec ces équipements, les Strasbourgeois.es de tous âges et de toutes conditions physiques pourront se retrouver boulevard de la Victoire autour du sport, de la santé, de la détente et du bien-être !
carnet de bains