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L’actu

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La Cité—Scènes Depuis 2019, le label October Tone soutient un projet expérimental de concert augmenté, porté par un collectif de musiciens, performers, comédiens et artistes visuels. Ce qui les a motivés ? L’envie de tout fabriquer et de faire ensemble. Au fil des résidences de création, elle prend forme.

Par Cécile Becker / Photo Christophe Urbain

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En roue libre

Projet X (le nom n’a toujours pas fait consensus), En janvier 2022 à Strasbourg (lieu à déterminer) octobertone.com Salle des Colonnes, Hall des Chars à Strasbourg, avril 2021. On se souvient d’un sol jonché de dessins, d’affiches gribouillées d’expressions incompréhensibles. De costumes clinquants, de talons hauts, de morceaux joués vite et, surtout, de beaucoup de doutes. Au plateau : Théo Cloux (T/O, Hermetic Delight), Marlon Saquet (Partout Partout), Clément Grethen (T/O, Ippon), Adrien Moerlen (BBCC), Delphine Padilla (Hermetic Delight), Laura Sifi (artiste et photographe), Antoinette Marchal (performeuse et danseuse), Yrvan Charpentier et Jérôme Rich (comédiens et auteurs du collectif Noun). Avec, en prime, le photographe et vidéaste Christophe Urbain qui documente le processus de création et Hugo Barré, ingénieur du son. Un concert participatif à grande échelle ? Plus que ça. Cette résidence au Hall des Chars, la cinquième, signe l’arrivée en grande pompe de la question scénographique dans le spectacle, dont la forme éclatée remet en question son appellation même : théâtre, concert, danse et performances flirtent peut-être avec le music-hall (sans le côté kitsch). Jérôme concède : « On a démarré cette création par la musique, on sort à peine de ça. » Difficile de s’improviser créateurs d’un spectacle total…

L’impulsion vient du festival Summerlied en 2019, et d’une carte blanche dont Théo et Laura se sont saisi pour créer « un concert augmenté », et ont convié des artistes avec l’objectif de tout faire eux-mêmes, même les décors. La première année fut mouvementée : durant les premiers mois, il y aura eu des défections. Deux membres sont partis désarçonnés par la disponibilité que demande le projet, son fonctionnement ou les outils, comme l’application Discord sur laquelle échange le collectif. « C’est assez facile de se décourager, d’autant que le processus de création est très fragile, analyse Adrien. Dès lors que quelqu’un émet un doute, ça se propage comme un virus. Il faut ajouter à ça l’humain, les envies qui évoluent… » Tous les membres sont déplacés de leur rôle habituel : les musiciens performent, les comédiens jouent aussi de la musique, les performers chantent, tout le monde participe à l’écriture musicale ou narrative ; la roue tourne et ne s’arrête jamais (c’est d’ailleurs un élément de décor). Sans hiérarchie aucune. En tout cas, c’était l’idée de départ. «  Laura et moi avions en fait le rôle de chefs d’orchestre, sans le vouloir, raconte Théo. Côté musique, je coordonnais tout, c’était trop de responsabilités sur mes épaules. C’est à ce momentlà que Laura a proposé que chacun crée sa saynète, son morceau. On a imaginé le spectacle comme un minifestival : chacun fait son truc mais fait appel aux autres pour l’aider. Ça replaçait la responsabilité sur l’individu tout en gardant l’esprit de groupe. » Ils se sont alors dégagés de la cohérence globale pour la retrouver plus tard en se réunissant pour écouter les propositions musicales de chacun. « On s’est rendu compte que tous les morceaux, plutôt joyeux, finissaient en dégringolade, ça nous a donné un fil rouge. Après, il a fallu travailler sur la chorégraphie », explique Jérôme.

Lorsque Delphine rejoint le projet en septembre 2020, son regard extérieur permet au collectif de se remettre en question  « C’était du fun du fun du fun, il y avait tout un tas d’envies qui s’accumulaient, sans prise de décision, et des votes pour à peu près tout. Il a fallu faire beaucoup de réunions et des points spécifiques pour faire des choix. En bref : combiner le fun à la structure. » Depuis, ils ont défini des pôles avec, chaque fois, un responsable : costume, « mise en corps », musique, décor, etc. « Le responsable maîtrise sa partie, explique ses contraintes et ses choix, on accepte, sauf veto. En fait, la base de tout c’est la confiance », analyse Théo. « On a aussi appris à accepter de ne pas pouvoir tout faire, de ne pas avoir la maîtrise complète, qu’il faut en passer par les erreurs et incompréhensions, accepter que tout prend du temps, et surtout le temps de se connaître », confie Laura.

Quelques mois plus tard, en résidence en juillet 2021 à L’Autre Canal à Nancy (qui co-produit la création avec le festival Summerlied), c’est une autre histoire : les éléments de décor ont bien avancé, la partie musicale est maîtrisée, les déplacements pensés, bref… la sauce commence à prendre. Pour la première présentation publique devant une vingtaine de professionnels, quelque chose a changé : le collectif a pris confiance et tout se tient. La narration et la scénographie servent la musique et vice-versa. « L’idée principale de la narration, c’est qu’on cherche tous notre place, notre place au soleil », explique Jérôme. Comme une mise en abîme du collectif. « Ça se matérialise dans le décor construit comme une île de vacances. » Delphine complète : « En apparence, c’est un monde où tout va bien, avec un soleil artificiel – une boule à facettes –, mais où tout peut basculer. Au fil du spectacle, on ne sait plus très bien dans quel monde on est. » Faire ensemble mais dans l’idée de partage : une scène centrale autour duquel le public peut tourner et se déplacer à sa guise. Une « fête ring ». La boucle est bouclée.

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