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Culture
from Zut Strasbourg n°47
by Zut Magazine
La Cité—Culture Cet automne, on peut explorer tour à tour le monde du dedans et celui du dehors, aller à la rencontre des autres ou de soi… Voici notre sélection de l’actualité, tout en paradoxes et en frictions. Par Sylvia Dubost
Corps et âmes
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Visuels : Barcelone, 1987 Les Anges, Deauville, 1986
Mondes intérieurs
— Art
Au fil d’une vie | Dolorès Marat L’œuvre de la photographe française est de celles qui nous touchent immédiatement et irrémédiablement. En découvrant l’exposition, il nous semble que ce sont les tourments de notre âme qui s’accrochent ici aux murs de la galerie. Imprimés sur un papier traité au charbon selon la technique Fresson, qui les rapproche de la peinture, les contours liquéfiés et les surfaces tremblantes des personnages et des lieux semblent sortis de nos rêves et nos pérégrinations, de nos souvenirs et des tourments de notre âme. Pourtant, c’est bien le monde qu’elle regarde. Dans ses photographies si reconnaissables, on croise des ruines, des animaux, des individus souvent solitaires, des vagues et des oiseaux, des ciels tourmentés et des couloirs sombres, des scènes souvent banales, et quelque chose nous serre le cœur. Dolorès Marat pratique une photographie instinctive et intime, elle déclenche lorsque quelque chose la touche et l’émeut. Sans doute parce que ses émotions sont universelles, ses images nous sont familières. Jusqu’au 14 novembre à La Chambre la-chambre.org
Les Ailes du désir — Photo Agathe Poupeney J’aime — Photo Laure Werckmann par François Berthier
— Danse
Les Ailes du désir | Ballet du Rhin Als das Kind Kind war, wußte es nicht, daß es Kind war, alles war ihm beseelt, und alle Seelen waren eins*. Tous ceux qui ont vu le chef d’œuvre de Wim Wenders ont dans la tête le poème de Peter Handke qui ponctue le film. En écho aux doutes existentiels de l’ange Bruno Ganz, amoureux de la trapéziste Solveig Dommartin, et aux douleurs des adultes, il évoque le rapport de l’enfant au monde avec lequel il ne fait qu’un. Cette désunion progressive est tout le sujet du film, qui explore cet interstice qui persiste néanmoins et où se logent les vibrations de la vie. L’élévation et la chute, le ciel et la terre, le noir et le blanc, l’enfance et l’âge adulte, le corps et l’âme : pour Bruno Bouché, chorégraphe et directeur artistique du Ballet du Rhin, les oscillations entre ces paradoxes sont l’essence de la vie – et de la danse –, et c’est pourquoi il a voulu rendre un hommage au film de Wenders. Sa nouvelle pièce reprend d’abord le synopsis du film et ses scènes les plus marquantes, avant de se détacher de la narration dans une deuxième partie moins réaliste, où les danseurs évoquent de manière certes abstraite mais avant tout charnelle le goût de vivre. Ces Ailes du désir, comme le film de Wenders, nous parlent d’incarnation, là où l’interstice se comble, où le corps et l’âme s’interpénètrent. Incarnation sans laquelle il n’y a, de toute évidence, pas de vie, et encore moins de danse. Dans une scénographie inspirée par la vue aérienne de Berlin, les danseurs sont tour à tour anges et humains, portés par une bande son aussi terrienne que céleste, où se croisent Olivier Messiaen, Einstürzende Neubauten, Jean-Sébastien Bach et Steve Reich. Le paradoxe, c’est la vie, on vous dit. Du 30 octobre au 4 novembre à l’Opéra onr.fr
* Lorsque l’enfant était enfant, Il ne savait pas qu’il était enfant. Tout pour lui avait une âme et toutes les âmes n’en faisaient qu’une.
Portraits — Photo Gilles Rondot
— Théâtre
J’aime | Laure Werckmann En 2006, Nane Beauregardt publie chez POL son premier roman, J’aime. Une seule et longue phrase sans ponctuation, où les pensées se bousculent, où comme dans un seul souffle une femme dit ce qu’elle aime chez l’homme qu’elle aime. Et, à travers lui, ce qu’elle aime des choses de la vie. Elle dit la beauté du monde, de l’amour, des jours qui passent. Elle dit la complexité des êtres et leur simplicité, met en mots l’insaisissable. Elle est elle et elle est nous tous. La metteure en scène et comédienne Laure Werckmann, installée à Strasbourg, s’empare de ce texte singulier, qu’elle interprète seule en scène. Elle lui construit un écrin, s’entourant d’une équipe artistique de haut vol : Philippe Berthomé à la lumière (il a lui-même dessiné et soufflé les ampoules), Christian Lacroix aux costumes, Olivier Mellano à la musique… Voilà qui laisse présager un petit bijou intimiste et ciselé. Du 16 au 20 novembre au TAPS-Laiterie taps.strasbourg.eu
— Danse
Portraits | Étienne Rochefort Ça aurait pu s’appeler Les Rêves dansants, mais le titre était déjà pris. La nouvelle création du chorégraphe s’appuie sur les portraits de quatre Strasbourgeois qui dansent, pratiquent des styles différents, dont ce n’est pas forcément le métier mais dans la vie desquels cet art occupe une place essentielle. Artiste associé à Pole-Sud, il a pris avec eux le temps de la rencontre, de la découverte, et les a accompagnés dans la production d’une petite fiction autobiographique, un portrait vidéo projeté dans le spectacle. En parallèle, sur scène, des danseurs prennent corps, paraissent sortir de l’écran, accompagnent ces portraits, les prolongent, dédoublent-redoublent le récit. Et le tout, par la magie du montage, crée une nouvelle histoire, une nouvelle fiction. Avec Portraits, Étienne Rochefort tient à révéler des personnalités et l’énergie qui les porte, quelle que soit la pratique. Lui qui revendique un chemin riche d’influences aussi diverses que le hip hop, les arts graphiques ou le skateboard, poursuit ici sa recherche artistique sur les liens entre cinéma et danse. Pour la première fois, l’écran apparaît sur scène, lui permettant de creuser de manière organique ce qui se joue entre la chair et l’image, la réalité, la fiction et l’autofiction, porté par l’amour et la nécessité de la danse. Les 16 et 17 novembre à Pole-Sud pole-sud.fr
Le monde de dehors
— Théâtre
L’Étang | Gisèle Vienne Ce qui ne laisse pas de nous séduire chez Gisèle Vienne, c’est la grande finesse et la grande beauté de son œuvre, qu’elle construit, spectacle après spectacle, avec une cohérence impressionnante. Convaincue qu’une émotion peut amorcer la pensée, elle revendique le choc visuel et émotionnel comme vecteur de sens. Ses spectacles sont tantôt des atmosphères, tantôt des coups de poing, souvent les deux. Entre théâtre, danse et arts plastiques, ils sont des tableaux vivants d’une inquiétante étrangeté, où, souvent, les corps des marionnettes ressemblent à des acteurs, et inversement, pour mieux créer le trouble, mettre en doute nos perceptions et notre compréhension. Si on pouvait tenter un rapprochement audacieux : Gisèle Vienne déploie des sujets lynchéens et une esthétique wilsonienne, dans des objets artistiques pourtant à nuls autres pareils. Avec L’Étang, elle s’empare d’un court texte de Robert Walser, drame familial où un enfant qui se sent mal aimé par sa mère simule le suicide. On y retrouve ses thèmes favoris : les adolescences fracassées, en tout cas fragiles, le trouble identitaire et celui des sentiments à une époque où tout se construit et peut s’effondrer, la violence « instituée », intrinsèque à la société, la norme. Et comme souvent, c’est dans le vide béant qui s’ouvre entre deux paroles qu’elle s’engouffre et creuse. À cet égard, le texte de Robert Walser, offert par l’écrivain suisse à sa jeune à titre privé, semble écrit sur mesure pour la metteure en scène. « Cette pièce de théâtre, qui n’en est peutêtre pas une, malgré cette forme, m’apparaît plutôt comme la nécessité d’une parole si difficile à exprimer sous une autre forme. Je la lis aussi comme un monologue à dix voix, une expérience intérieure bouleversante. L’espace possible de l’interprétation et de la mise en scène, ouvert par l’intertexte et le soustexte que propose cette écriture, est vertigineux. » Les deux comédiennes Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez y glissent d’un personnage à l’autre, et vice-versa, accentuant le trouble, la contradiction dans la compréhension du monde, auxquels contribue encore la bande son viscérale du génial Stephen F. O’Malley. Encore une pièce prodigieuse dans l’œuvre de Gisèle Vienne. Du 24 au 27 novembre au Maillon maillon.eu
— Musique
Piano au musée Würth
En écho à sa nouvelle exposition, « Bestia. Les animaux dans la collection Würth », le musée Würth consacre son week-end musical dédié au piano à l’évocation de la nature. Et l’on découvre que bien des compositeurs français, de Rameau à Poulenc, ont mis en scène voire imité dans leur musique les sons des animaux. On connaît bien sûr Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns (mort il y a tout juste 100 ans), on sait moins que Olivier Messiaen était un ornithologue reconnu et que son œuvre est traversée par le chant des oiseaux. Ses œuvres seront interprétées tour à tour par Clément Lefebvre (lauréat du Concours International Long-Thibaud-Crespin 2019) et Virgile Roche (Piano Campus d’argent 2020), accompagnées par des pièces de Rameau et Ravel, Dukas, Bonis, Messiaen, Glinka, Moussorgski. L’ensemble du Conservatoire de Strasbourg interprètera quant à lui Saint-Saëns et des musiques sud-américaines. Tous les solistes se régaleront de jouer sur le magnifique piano Steinway & Sons dont dispose le musée dans son auditorium. Un beau moment à coupler avec une visite de l’exposition, pour un week-end 100% nature et culture. Du 11 au 14 novembre au musée Würth à Erstein musee-wurth.fr
L’Étang — Photo Estelle Hanania
En haut : Exposition Perspectives #01 — Mahmoud Darwich En bas : Piano au musée Würth — Claire D. par Jean-Baptiste Millot
— Poésie
Hommage à Mahmoud Darwich
Dans le cadre du festival Strasbourg-Méditerranée, la Bibliothèque Nationale et Universitaire rend hommage à l’immense poète palestinien Mahmoud Darwich. Décédé en 2008, il fut une figure majeure de la création poétique contemporaine et un artiste politiquement engagé. Il a laissé derrière lui une œuvre exigeante, riche de plus de 20 volumes de poésie, marquée par une quête éperdue de liberté, pour les vers comme pour les hommes. La soirée débutera par la projection du documentaire de Simone Bitton Mahmoud Darwich : et la terre, comme une langue, et se poursuivra par un hommage en lectures et en chant, avec l’écrivain Hubert Haddad et le musicien Issam Azzi. Le 3 décembre à 18h à la BNU bnu.fr
— Art
Frac Alsace | Perspectives #01
En cette rentrée, au Frac comme ailleurs, on célèbre les nouveaux arrivants. Avec Perspective #01, le Fonds régional d’art contemporain d’Alsace présente une sélection des œuvres acquises en 2019 et 2020. Créé en 1982 dans une perspective de décentralisation, comme dix des autres Frac (il y en a désormais 23), sa collection compte aujourd’hui plus de 1000 œuvres. Les dernières acquisitions s’inscrivent dans le projet artistique « Natures » défendu par la directrice Felizitas Diering, où il s’agit d’observer (entre autres) le corps, l’extérieur et l’intérieur, la biodiversité, le tout dans une perspective interdisciplinaire qui met en lien l’art avec la science, l’écologie, l’économie et la culture populaire. On retrouve dans la sélection beaucoup d’artistes installés dans la région, ce qui nous réjouit toujours : Florian Tiedje, Léa Barbazanges, Fernande Petitdemange ou Capucine Vandenbourk. Rendez-vous début 2022 pour le 2e volet de la présentation. Jusqu’au 14 novembre frac.culture-alsace.org
Jean-Jacques Henner, Idylle, 1872 — Collection Musée d’Orsay Alexandra Uppmann, I Skogens Namn, Au nom de la forêt, 2021
— Art
Jean-Jacques Henner. La chair et l’idéal
Lorsqu’on habite en Alsace, on est forcément familier de la peinture de Jean-Jacques Henner (1829-1905). On connaît surtout ses paysages et ses nus idylliques, moins son travail de portraitiste et ses peintures religieuses. À Strasbourg, on l’a finalement assez peu vu. La rétrospective présentée au Musée des Beaux-Arts répare cette injustice en rassemblant pas moins de 90 tableaux et 40 œuvres graphiques, éclairant toutes les périodes de son œuvre. Avançant de façon chronologique, elle révèle aussi l’influence qu’ont exercé sur lui Titien et Le Corrège, celle qu’il exerce à son tour sur les poètes parnassiens. Elle met en exergue les contrastes et les paradoxes qui sont ici à l’œuvre, formellement dans sa maîtrise du clair-obscur, et thématiquement dans ses allers-retours entre réalisme et onirisme. Elle révèle aussi l’intensité poétique de son travail, qui nous apparaît notamment dans ces corps diaphanes aux contours dilués, sortis d’un rêve, particulièrement troublants. Jusqu’au 24 janvier 2022 au musée des Beaux-Arts musees.strasbourg.eu
— Art
Sélest’art
Parce que les rapports avec le vivant en général et le végétal en particulier préoccupent de plus en plus les penseurs et les citoyens, la Biennale d’art contemporain Sélest’art s’est choisie comme thème Forêt dans la ville (aussi parce que le Frac Alsace, sis aussi à Sélestat, construit son projet artistique autour d’un thème voisin, voire cousin, comme indiqué ci-après). Huit artistes ou groupes d’artistes installés dans la région se sont approprié la question, et leurs œuvres nous invitent à questionner ce besoin de désir de nature que le 1er confinement a indubitablement révélé. La sculpture Le Messager de Camille Bellot et François Pottier évoque ainsi les rencontres entre homme et nature pendant cette période, où des animaux surgis au cœur des villes semblaient venir d’un autre temps, d’un autre monde, laissant entrevoir un espoir de réconciliation. L’installation Brutaliste Brume de Jésus s. Baptista nous invite ainsi à pénétrer dans une structure architecturale évoquant la forêt, à la ressentir physiquement, quand Unedo de Gaëtan Gromer nous alerte sans détours sur la rapidité et l’ampleur de la déforestation. À travers les artistes, la biennale nous invite à prendre conscience des sensations et des émotions intenses que nous procure la nature, sa grande fragilité, et à envisager avec elle une relation renouvelée, à l’image d’autres cultures qui ont su conserver ce lien. Jusqu’au 1er novembre dans les rues de Sélestat Selestat.fr
Danubia – miroir des eaux Les Châteaux en l’air
Les voyages forment la jeunesse, dit-on, et aussi, c’est un fait, la création. Entre le printemps et l’été 2021, avec leurs deux enfants, la performeuse Ramora Poenaru et le comédien Gaël Chaillat aka Les Châteaux en l’air descendent le Danube en bateau. Un périple de plus de 100 jours, parsemé d’écluses mais surtout de rencontres, de conversations, de surprises et de découvertes. Qu’est-ce qui nous unit, au fil de ces 2888 km, nous qui habitons tous l’Europe dans des réalités si différentes ? Quelle image ce miroir des eaux renvoie-t-il de nous ? Accompagnés d’un musicien, les deux artistes nous immergent désormais dans un dispositif multimédia aussi mouvant que le fleuve, où l’histoire commune est autant à apprendre qu’à construire. Du 24 au 28 novembre au TJP tjp-strasbourg.com
— Cinéma
Augenblick
On n’a pas pu faire ce qu’on voulait en 2020 à cause de ce satané Covid ? Hé ben on va se rattraper, tiens ! Le festival Augenblick, qui met à l’honneur le cinéma de langue allemande, est comme nous : il est tenace, et entend rendre à Hanna Schygulla, l’égérie du réalisateur Rainer Werner Fassbinder, l’hommage prévu l’année dernière. Le public pourra revoir certains de ses films et aura deux occasions de dialoguer avec la comédienne : le 13 novembre au cinéma Star Saint-Exupéry et le 14 au musée d’Art moderne. Côté compétition, six longs métrages inédits sont en lice, dont Next Door, premier long métrage du comédien Daniel Brühl, également sélectionné à la Berlinale (gage de qualité). À noter aussi, un focus Documentaires et un autre consacré au génial Fritz Lang, avec ses trois derniers films, dont les improbables et rocambolesques Le Tombeau Hindou et Le Tigre du Bengale avec Debra Paget en danseuse vêtue de voiles et de brillants. On garde un œil sur les séances spéciales, les films de jeunesse, et on utilise le site et sa grille de séances pour voir quel film sera projeté près de chez vous. Car enfin oui, Augenblick c’est dans tous les cinémas indépendants d’Alsace. Du 9 au 26 novembre dans toute l’Alsace festival-augenblick.fr
Seule la joie de Herika Kull