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Un apéro avec
from Zut Strasbourg n°47
by Zut Magazine
Réalisateur incarné et comédien fétiche d’Arnaud Desplechin.
Par Cécile Becker / Photo Christophe Urbain
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Un apéro avec Mathieu Amalric.
Il a bu : Kollane Lill, pale ale de la brasserie Bendorf
La journaliste a bu :
l’assemblage de Kleinknecht au KeyKeg, Riesling, Sylvaner, Pinot blanc et Gewurztraminer, 2020.
Qui a réglé la note :
les cinémas Star
Propos recueillis au Café des sports le 3 septembre, dans le cadre de l’avantpremière de Serre-moi fort aux Cinémas Star
L’alcool pour oublier, sortir de soi ou les deux ?
Ce n’est pas contradictoire. Dans le film [Serremoi fort, réalisé par luimême, incarné notamment par Vicky Krieps, NDLR], le personnage essaye de faire passer le temps, de s’oublier et de sortir d’elle-même : aller voir la mer, travailler parce que ça aide, et puis, en dernier lieu, il y a l’alcool. Moi euh… oublier, non. Je n’ai pas une relation triste à l’alcool. Ça me fait penser au film des Larrieu [Tralala, ndlr] : « Surtout ne soyez pas vousmême. » C’est un autre danger de l’alcool que j’ai commencé à découvrir. On croit qu’on est génial et en fait, on n’a pas vraiment été soimême. Pour moi, l’alcool est plutôt lié au groupe ou aux rituels que j’ai avec mon amoureuse, Barbara [Hannigan, ndlr], chanteuse soprano. Elle ne boit que du blanc parce que le tanin du rouge ne convient pas à sa voix. Elle travaille énormément et le soir, on a cette bouteille de blanc. Elle les préfère gras : on prend rarement de l’Alsace, tiens, plutôt des Bourgogne.
Un alcool particulier pour se mettre dans un état particulier ?
Je suis peut-être prétentieux, mais j’ai l’impression d’être tout le temps dans un état particulier, et ça me va. Je me souviens de l’école, quand t’es jeune et que tout le monde fume des joints : c’était horrible. Moi, ça me rendait tout vert et j’étais malade, il fallait que je fasse semblant. Je voyais bien quand même que les autres jouaient tous la comédie en disant « Ah putain, c’est bon !!! » Là, je vis en coloc’ avec Rodolphe Burger et Olivier Cadiot, et avec Olivier, on a quelque chose avec le whisky…
L’alcool évoque aussi le rapport à la table. Pour Serre-moi fort, c’est en invitant Vicky Krieps à dîner chez vous que votre collaboration s’est scellée.
On peut vraiment avoir tendance à s’enfermer dans l’art. Comment tu connais l’autre, alors ? C’est vrai que dans une cuisine, il se passe toujours quelque chose. La façon dont tu bouges autour de la table, ça raconte beaucoup. Vicky avait une manière de ne pas rester à table : elle prend des assiettes, pose le poisson, bouge, propose de l’aide. J’ai senti tout de suite qu’on pouvait faire un film ensemble.
Y avait-il une relation de séduction entre vous ?
J’étais intimidé, je voulais l’impressionner aussi. J’avais mes livres, mes carnets, des DVDs posés à côté de moi, l’air de rien. Putain ! Comme avant un rendez-vous amoureux. Elle les a pris, mais ne les a pas regardés. Elle a raison : ça ne passe pas par ça.
C’est quoi, un élan amoureux ?
Alors là… Pour ce film, quand j’imaginais ce couple qui a très peu de scènes ensemble, je savais comment ils font l’amour. Si on ne sent pas, en tant que spectateur, que cet élan brisé en plein vol fait mal, si on ne sent pas le manque physique, on ne pleure pas. J’ai beaucoup pensé à L’Atalante [de Jean Vigo, NDLR], cette scène où ils se caressent en pensant l’un à l’autre : c’est sublime. Je pense aussi à l’élan amoureux dans un couple qui vient d’avoir un enfant, où le désir peut passer sous le tapis. Le corps est modifié, il y a la fatigue… Et les vacances avec des enfants, faire l’amour en douce est un moment qui peut créer un élan amoureux . Ce sont pour moi des souvenirs très précis.
Avez-vous besoin de mobiliser vos souvenirs pour faire un film ?
Quand tu écris le film, tu le joues, parce que tu picores dans des choses qui te sont arrivées. Quand on met en place le plan, j’ai besoin de voir comment donner à manger aux comédiens, aider, pas diriger, mais souffler… partager. Le ressenti, il n’y a que ça. Je n’avais pas envie d’un film désincarné.
Des souvenirs ici à Strasbourg ?
La dernière fois que je suis venu ici, c’était en hiver. Les tartes flambées, c’est un des grands plaisirs. Quand j’étais tout jeune, j’avais une copine qui était au TNS, c’était le temps où le train mettait 5h30 pour venir de Paris. Le Coin des Pucelles, ça a été un endroit où j’ai été tellement heureux !
Roland et Myriam ont quitté le Coin des Pucelles…
Ne m’en parlez pas, c’est horrible quoi… C’était délicieux.