8 minute read
Dossier
from Zut Strasbourg n°47
by Zut Magazine
La Table—Le dossier Entre amis, en famille ou entre restaurants, ils aiment les choses bien faites et se regroupent par envies et/ou affinités. Dans le milieu de la gastronomie, elles et ils avancent souvent en groupe et se retrouvent autour de bons produits et… d’horaires contraignants. Par Cécile Becker et JiBé Mathieu / Photos Pascal Bastien
Le jeu de cette famille
Advertisement
Ces rencontres le prouvent : c’est souvent l’union qui fait la force, d’autant plus quand elle se noue avec bonne humeur. Entre collègues et poteaux animés par des valeurs communes, autour d’une cellule familiale aux ramures assez larges pour étreindre employés et clients : ensemble, c’est vraiment tout. Un instinct salvateur pour qui avance le nez dans le guidon, et peut-être davantage encore depuis la crise sanitaire. En poussant la porte du Gavroche, du groupe In Vino Veritas Collection et de la Stras Food Family, nous avons souhaité mettre en lumière différentes typologies de tribu s: quand le premier abrite avant tout des liens de sang, le second (quatre restaurants : La Vieille Enseigne, Le Cornichon Masqué, La Cantina et In Vino Veritas) défend une cuisine éthique et responsable ouvrant son sillon à un personnel engagé où l’amitié est de mise. La Stras Food Family, elle, dernière-née, regroupe plusieurs enseignes qui portent haut et fort la solidarité : entre restaurants en cas de panne, ou pour se serrer les coudes. L’humain avant tout alors que le monde de la restauration accuse le coup, cruellement en manque de personnel.
— In Vino Veritas Collection
Le temps des copains
On oublie trop souvent que ce sont les équipes en cuisine et en salle qui fondent l’identité d’un restaurant. Encore mieux lorsque l’atmosphère est guidée par une bande de potes qui trinquent avec le même entrain qu’elle mène ses services. Romain Guichard, directeur de La Cantina depuis son ouverture en 2018, parle d’un cap donné par les deux patrons Cyril Woberschar et Andrea Passone. Il décrit un « fonctionnement très familial, des patrons très exigeants, originaux et très attachants » prolongé par un management fidèle à l’identité singulière des quatre restaurants. Au-delà, Romain se charge notamment du recrutement de son restaurant, et deux critères l’emportent : la passion et le sens du partage. Avec Anthony Girard, également présent à l’ouverture de La Cantina, depuis passé chef de cuisine, ils ont en quelque sorte ouvert la voie. « Je ne crois qu’en les produits frais et artisanaux, hors de question de faire autre chose », assène le cuisinier. Des valeurs partagées avec toutes et tous, d’autant que la carte est pensée et ajustée en fonction des avis et opinions en cuisine et en salle. Un fonctionnement horizontal qui permet d’impliquer et de responsabiliser tous les membres de l’équipe, d’alimenter le collectif. « Notre métier demande énormément de sacrifices : la vie sociale, la vie de famille et les relations amoureuses sont mises à rude épreuve », explique Romain Guichard, qui porte une attention particulière à l’aménagement des plannings pour ménager ses équipes. « Les horaires sont compliqués. » Autant le faire dans de bonnes conditions. Lyse Nippert, qui est entrée dans le groupe par La Vieille Enseigne en 2019 et a depuis rejoint les rangs de La Cantina, résume bien cet esprit partagé : « La cuisine, on la veut comme on la mange et le vin, comme on le boit : propre, sans chimie, sans artifices. » « Je suis resté parce que la cuisine correspond à ce que je souhaite défendre : des beaux produits autant dans l’assiette que dans le verre », complète Pierre Glista, responsable chez In Vino Veritas, chargé également du vin pour le groupe. À la base, il y a donc des convictions profondes, parfois auréolées d’amitiés : le « perso » (repas du personnel), les tablées organisées ou improvisées aux Funambules, au Pont Corbeau et au Café des Sports, les anniversaires, barbecues
et surtout, les verres en fin de service généralement place du Marché Gayot où sont accolés La Cantina et Le Cornichon Masqué. « Parfois, sans s’en rendre compte, ça fait déjà plusieurs heures qu’on est en train de refaire le monde », confie Anne-Lise Mary, au service à La Cantina depuis 2019. Se marrer, boire et manger au boulot, comme à la ville. « Ce qui fait le lien entre le pro et le privé, ça reste toujours une bonne bouffe et du bon jaja, résume Lyse. On n’a pas choisi notre métier pour rien. » Et ce n’est probablement pas pour rien qu’on choisit de pousser les portes de ces établissements.
invinoveritascollection.com
— Stras’ Food Family
Collègues, entraide et solidarité
Quel lien entre les restaurants Acerola, Le Cèdre, l’Olivier, Les Funambules, le Maharadja et Hey Mama ? Vous ne voyez pas ? La Stras’ Food Family, c’est un collectif de professionnels des « métiers de bouche » qui ne jure que par la cuisine du monde et s’est uni pour en faire la promotion. « Chacun bossait dans son coin, raconte Yao Maglo de L’Artisan du Wrap. Nous n’avions rien qui nous élève et nous permette d’aller plus loin ! » Germe alors l’idée de se rassembler dans un pur esprit d’entraide. « On travaille beaucoup. Quand quelque chose ne va pas, on a souvent l’impression d’être seul. » Yao contacte alors des restaurateurs, fédère les énergies et le groupe accouche d’un projet reposant sur une charte de valeurs bien définies : « Pour entrer dans l’association, il faut être un professionnel des métiers de bouche ; il faut surtout partager des valeurs éthiques. » Lancé officiellement le 22 août dernier sous un temps de chien, l’association fait carton plein. Un quai des Bateliers noir de monde pour goûter les bouchées ethniques et profiter de l’ambiance festive de ce voyage culinaire démarrant. « On s’apporte un support technique et humain, de sorte que ce qui était impossible seul devient possible à plusieurs : une machine qui tombe en panne, un serveur malade…, il y aura toujours quelqu’un pour donner un coup de main. » Au-delà du côté débrouille, la Stras’ Food Family, c’est aussi l’envie partagée de faire la promotion de la cuisine du monde ! Dans un esprit d’ouverture et de solidarité. Ainsi naît l’idée de proposer plusieurs événements annuels, à l’instar de la participation, en septembre, à l’offre gastronomique de l’Afrique festival. Pour charpenter cette ambition, la famille s’est élargie aux bénévoles « dans tous les domaines ». Du webmaster au vidéaste en passant par le plombier, l’électricien ou le musicien. « Ils nous apportent leur soutien », afin de pouvoir mettre en musique des événements dynamiques, qui touchent tout le monde « avec une vraie fibre solidaire » assure le promoteur de la SFF qui se voit bien assurer aussi, à terme, des services de traiteur privé. Pour l’heure, la vingtaine d’adhérents alliant cuisine indienne, éthiopienne, italienne, coréenne, palestinienne, libanaise mais aussi étoilée, apprend à se connaître et à travailler ensemble. « Avant de nous ouvrir à de nouveaux membres, nous allons attendre d’avoir pris nos marques. » Preuve que pour la « famille », le cap reste « la qualité, plutôt que de la quantité ».
Facebook : StrasFoodFamily
La Stras’ Food Family comprend Abyssinia, Acerola, L’Artisan du Wrap, Bottega Renzini, Cinnamon, Hey Mama, Jabiru Café, Kei’s Atelier, L’Olivier, Le Cèdre, Les Funambules, Maharadja, O Friends, Paulus Bistrot, Tonton Gâteau.
— Le Gavroche
Famille et autres branches
Passé un certain âge, vivre avec ses parents peut se révéler compliqué. Surtout s’il est question d’exercer ensemble un métier exigeant et chronophage, qui plus est en compagnie de sa compagne rencontrée sur place, dans un lieu exigu comme la cuisine d’un restaurant aussi intimiste que le Gavroche. Neufs tables et lumière tamisée, on imagine déjà le titre : les plombs ont sauté ! Sauf que non. Car chez les Fuchs, les mots famille et tribu se conjuguent avec facilité.
Avec leurs deux enfants et toute l’équipe du Gavroche, Benoît et Nathalie Fuchs perpétuent l’esprit de famille.
L’aventure débute il y a 29 ans, à deux pas de l’adresse actuelle, avec Benoît en cuisine puis son épouse Nathalie en salle. De brasserie exigeante, le Gavroche montera progressivement en grade jusqu’à l’obtention de l’étoile Michelin, en 2013. Lorsqu’en 2018, les parents cèdent l’affaire à Alexy, leur fils aîné, et à son épouse Lucile, celui-ci œuvre déjà en cuisine aux côtés de son père depuis plus de 10 ans. « Depuis l’âge de 5 ans, je ne m’intéresse à rien d’autre ! », dira-t-il. Lui qui après ses années de classes au Crocodile et au Buerehiesel intègre le navire familial dès 2007. « Nous avons des caractères qui se coordonnent, reconnaît Alexy. Mon père est très formateur, il avait beaucoup de choses à transmettre. » Point de vue confirmé par l’aîné : « Je ne suis pas un sanguin. J’ai eu la chance de travailler en Scandinavie. Làbas, même le chef, on ne l’appelait pas « chef » mais par son prénom ! » Lucile, l’épouse d’Alexy et maman de leurs deux enfants, entrée au Gavroche pour un stage de fin d’études en pâtisserie, n’en sera jamais ressortie. « Nous avons agrandi l’équipe », se félicite Alexy, dont le premier fils, Lucien, arpente les cuisines comme lui-même le fit jadis. Une tribu dans laquelle tous s’accordent à englober les employés. « Notre maître d’hôtel, Laurent, est là depuis plus de dix ans et connaît la maison par cœur », confirme Alexy. « Le restaurant n’est pas très grand et nous sommes tout le temps ensemble, poursuit Lucile. Mieux vaut bien s’entendre. » Et pour ça, bien s’entourer. « Il faut savoir se montrer à l’écoute de son personnel », assure le chef qui depuis la reprise ne propose plus qu’un service, en soirée. « L’équipe apprécie d’avoir du temps pour soi. » Et les clients ? Ceux fidèles à la famille depuis 30 ans font aussi partie de la tribu. « Ils me suivent jusqu’à Geispolsheim, où j’ai ouvert une épicerie fine, assure Benoît. C’est que nous valorisons la cuisine familiale. À l’heure où toutes les affaires se font racheter par des groupes, nous ne sommes plus qu’une poignée. » Et cette proximité est appréciée.
Restaurant Gavroche 4, rue Klein restaurantgavroche.com