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Cinéma Un apéro avec... Valeria Bruni Tedeschi

La Culture  Cinéma Valeria Bruni Tedeschi nous plonge dans ses eighties et celles du théâtre Les Amandiers dirigé par Patrice Chéreau avec un film effervescent, un brûlant bouillon de culture où la jeunesse se frotte à Tchekhov, aux drogues dures, au sida et la mort. Par Emmanuel Dosda / Photo Teona Goreci

Un apéro avec Valeria Bruni Tedeschi

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Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi (avec Nadia Tereszkiewicz, Louis Garrel, Micha Lescot), actuellement aux Cinémas Star. À quoi carburez-vous ? Au sport : le yoga, la course, la natation…

Des drogues saines… Oui, mais j’en ai vraiment besoin, sinon je suis comme en manque car elles me procurent un plaisir physique et psychologique très fort.

Dans Les Amandiers, les jeunes comédiennes et comédiens foncent tête baissée et cœur blessé en grillant les feux rouges et cramant leur vie. Un comportement nécessaire pour

exercer ce métier ? Non, c’est une vision romantique ! On peut avoir une grande passion pour ce travail et le faire merveilleusement bien sans avoir besoin de frôler la mort. Certains artistes le vivent de cette manière : je les respecte et les comprends, mais personnellement, j’aime « la bonne santé »… Je préfère chercher l’équilibre parfait dans ma vie pour pouvoir être pleinement déséquilibrée dans mon art.

La frontière entre fiction (répétitions, représentations…) et réalité des jeunes est très

mince dans votre film… L’école de Chéreau nous apprenait en effet à investiguer cette zone, cette limite. C’était sa méthode.

Au début du film, lors du casting pour la troupe de Chéreau, Clara Bretheau, qui incarne un personnage inspiré par Eva Ionesco, dit qu’elle veut faire duthéâtre pour pouvoir « parler avec les mots des autres ».

C’est votre cas ? C’est une idée de dialogue de Noémie Lvovsky qui a cosigné le scénario avec Agnès de Sacy et moi. Noémie a cette conception au plus profond d’elle : l’acteur, surtout de théâtre, a la possibilité de s’exprimer avec des propos appartenant à d’autres, souvent très beaux lorsqu’il s’agit de textes classiques. Ce sont des remparts : contre le désespoir, l’envie de mourir, les chagrins qui viennent de l’enfance… Ensuite, il faut apprendre à utiliser ses propres mots, comme lorsque j’ai fait mon premier film, Il est plus facile pour un chameau... (2003). Je pousse tous les jeunes à écrire, réaliser, faire du théâtre, du cinéma, de la musique… Il faut ouvrir le champ des possibles !

Je vois votre film comme un huis clos gigogne : nous passons de la boîte noire à d’autres, encore plus étriquées, qui sont l’endroit de tous les drames : la cabine téléphonique où l’on attend des résultats de tests de dépistage, la voiture qui grille les feux rouges à toute allure, les toilettes où l’on fait une overdose ou même un confessionnal où l’on s’envoie en l’air. Est-ce pour renforcer l’impression d’enfermement ?

Je cherche surtout à créer des environnements qui décuplent les émotions, l’intensité. J’aime beaucoup les cabines téléphoniques : je voulais parler des années 1980 rien que pour pouvoir retourner dans l’une d’entre elles. [Éclats de rires] J’adore aussi le fil des téléphones : dans mon film Les Estivants (2009), je fais expressément mon personnage casser son portable pour pouvoir utiliser un vieux téléphone, avec son fil torsadé.

Les Amandiers aurait pu être monté sur un

plateau plutôt que projeté dans les salles ? Je n’ai pas le courage ou la légitimité de mettre en scène du théâtre, mais la réponse est oui. Chéreau n’a eu de cesse de vouloir casser cette fracture entre théâtre et ciné. Avec lui, pour la première fois, une école intégrait les tournages de films. C’est là que j’ai découvert le cinéma.

Dans votre film, la troupe travaille sur Platonov de Tchekhov, un texte sur « la jeunesse qui s’enfuit », dit Chéreau aux élèves…

Depuis mes vingt ans, j’ai toujours la sensation que jouer est une façon d’arrêter cette inexorable fuite du temps… même à mon âge.

« Les jeunes, comme vous me donnez de l’espoir, du courage », dit Chéreau à ses élèves dans Les Amandiers. Vous avez confiance en la nouvelle génération ? Oui et en l’être humain en général, en mes enfants… Les jeunes gens de mon film sont les nouveaux visages du cinéma. En fait, on peut choisir d’avoir confiance ou non : c’est un peu comme le pari de Pascal qui préfère y croire plutôt que de ne pas avoir la foi.

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Note de la rédaction : cet entretien avec Valeria Bruni Tedeschi a eu lieu avant la mise en examen de l’acteur Sofiane Bennacer pour accusations de viol et violence sur conjoint.

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