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La chronique Caroline Levy
from Zut Strasbourg n°52
by Zut Magazine
femmes like you
Et si vous étiez les témoins de mes rencontres et de mes pérégrinations urbaines de jour comme de nuit. J’ai envie de sentir le poumon de la ville aussi à travers les femmes qui la font vivre et la rendent encore plus belle. Des femmes qui ont choisi de faire bouger les lignes, des héroïnes du quotidien qui osent, s’expriment par leur art ou par le simple fait d’être femme. Embarquez pour un itinéraire 100% girl power.
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Par Caroline Lévy / Photos Teona Goreci
Vendredi 15 h — Galerie Sandra Blum
Depuis quelques mois une toute nouvelle galerie s’est nichée à l’étage en dessous ! Il en existait déjà deux dans mon immeuble, qui ont pignon sur rue. Il y a celle de l’illustre Jean-Pierre RitschFisch, identifiée comme pionnière dans l’Art brut et parmi les plus reconnues au monde. Depuis la rentrée, cette figure locale et internationale a passé la main à Richard Solti. À l’étage, il y a aussi celle dédiée à l’art contemporain et tenue par Yves Iffrig. Je me demande bien pourquoi en ajouter une supplémentaire à la même adresse. Même si j’avoue trouver un certain chic à vivre dans un repaire de galeries, où l’art règne en maître et les vernissages se succèdent. Je suis mondaine, que voulez-vous!
Le début de mon itinéraire commence donc à l’étage en dessous. J’entrouvre la porte sans sonner. Un coup d’oeil sur mon smartphone et je constate que je capte mon wifi. J’entends d’ailleurs toute une vie au-dessus, un ballet de pas lourds, une playlist douteuse qui m’est familière. Sandra Blum, galeriste, nouvelle résidente et voisine, me rassure d’emblée : « On n’entend jamais vos conversations, rassurez-vous ! » Ouf. L’espace est vaste et cossu dans cet immeuble du 18e. Les volumes parfaits pour accueillir des œuvres de toutes sortes. On y découvre l’exposition en cours « Oracles arides » de l’iranien Reza Seyfi Zoubaran, une première en France pour l’artiste qui a posé ses valises à Strasbourg depuis 2017. Des voiles gris à l’encre de Chine, au crayon et au fusain, des dessins aux paysages métaphoriques et mystérieux.
« Je suis sensible au noir et blanc et aux belles techniques. Je fonctionne au coup de cœur et n’ai pas peur de prendre des risques, comme avec cette expo », affirme Sandra Blum, qui a décidé, après avoir fait ses armes pendant 25 ans dans des galeries strasbourgeoises, d’ouvrir son propre lieu dédié à la création contemporaine. Une galerie éponyme – « car on cherchera toujours à connaître l’identité du galeriste derrière la collection » –, incarnée par cette femme à l’élégance naturelle qui sait de quoi elle parle. Un parcours tracé sans fausse note, d’un bac en arts plastiques jusqu’aux études en histoire de l’art.
Sa patte, elle l’exprime à travers sa sélection d’artistes et les expositions qui s’enchaînent depuis plus d’un an, plus récemment avec le travail minutieux de Thomas Henriot ou de RoseMarie Crespin. À mi-chemin entre le passeur et le psy, ce métier d’intermédiaire entre l’amateur d’art et l’artiste la passionne : « Ce que je recherche dans une œuvre à exposer c’est d’aller plus loin que le sens premier qu’elle laisse transparaître. Pour que l’œil ne s’ennuie pas ! »
J’apprends au fil de la discussion de bon voisinage que le premier étage d’un immeuble est considéré comme le plus noble. À l’instar des salles de réception dans les palais. Pour Sandra Blum, cet écrin situé au premier niveau facilite aussi en toute discrétion le passage de certains collectionneurs.
Mais il est temps pour moi de le quitter, direction The Drunky Stork Social Club, pour papoter avec la comédienne Antonia de Rendinger.
6, rue des Charpentiers galeriesandrablum.fr
Vendredi 16 h 30 — The Drunky Stork Social Club
Réussir à croiser l’humoriste strasbourgeoise en Alsace est devenue une vraie gageure, depuis qu’elle se produit à Paris au théâtre du Palais des Glaces chaque semaine, avec son nouveau spectacle Scènes de corps et d’esprit. Plébiscité entre autres par Libé et Le Monde, son nouveau one-woman show peuplé de personnages truculents vient tordre le coup au phénomène du stand-up, qui selon elle, n’a rien de très novateur et a toujours existé !
La nuit s’est déjà installée dans les rues strasbourgeoises et il pleut des cordes. À l’heure du tea time, Antonia de Rendinger a déjà commandé un cocktail sans alcool et sans glaçons. Elle s’excuse de son air fatigué. Mais toute mon attention se porte sur sa jupe en tulle orange. Le choix est détonnant et cette tenue flamboyante vient électriser cette météo maussade et le climat morose qui règne ce jour-là. « J’ai horreur qu’on noie mes cocktails de glaçons ! Je viens d’une famille qui n’avait pas de fric. La peur de manquer tu vois… Pour moi, il faut que les choses soient remplies. Comme un paquet de chips : l’air à l’intérieur, c’est une ineptie ! » Le ton est donné, je ne jouerai pas le rôle de psy, non, mais c’est le moment de revenir sur l’origine de sa vocation, sa rencontre avec le théâtre et plus particulièrement avec l’impro.
Sandra Blum
Antonia de Rendinger
« En CM2, je joue les Précieuses ridicules. Et je n’ai plus de contact avec le théâtre jusqu’à mon arrivée à Strasbourg en 2e année de Lettres modernes. J’avais déjà cet appétit et cette appétence à raconter des choses. C’est une amie qui m’a convaincue de l’accompagner à un atelier d’impro. Je savais en sortant que ma vie ne serait plus jamais la même. » Elle prend alors conscience de sa capacité vitale à faire rire les gens et à s’exprimer et voudra devenir actrice. Le chemin sera long mais finira par payer : « Je suis rentrée dans l’humour parce que j’avais enfoui l’idée d’être actrice. Jusqu’à il y a sixsept ans je n’étais que comédienne, mais les choses évoluent… »
Après plusieurs rôles au cinéma et plus récemment dans la série sur M6 Comme des gosses, où elle incarne le personnage principal, Antonia est à l’aise dans tous les registres et se rêve dans un rôle dramatique. Encore trop marquée humoriste selon elle, la Strasbourgeoise de 47 ans ne désespère pas et se consacre pleinement à son quatrième spectacle, où elle raconte avec justesse le temps qui passe, à travers sa galerie de personnages aussi touchants que comiques. C’est d’ailleurs sur une variation de voix et de postures, résumant la vie d’une femme en une minute, qu’elle entame son show. La vidéo de cette performance est devenue virale [plus de 4 millions de vues, NDLR]. « Je préfère incarner les deux extrémités de la vie, les petits enfants et les très vieilles personnes, parce qu’ils n’ont pas de filtres ! » explique Antonia de Rendinger.
Une ascension au sommet de son art sans délaisser pour autant l’improvisation, son premier amour, qui l’aide à l’écriture et à la construction de ses spectacles : « Quand j’écris, c’est absolument pas un processus intellectuel. Je suis dans un état de transe sur scène, devant du public, et je ne sais pas ce que je vais jouer ! Je pars sur six soirées d’impro que je filme. C’est un crash-texte ! Une fois réécrit et compilé, ça donne un matériau un peu hydrique que je huile un peu. » Elle s’amuse : « Je répète très peu, j’ai horreur de ça. C’est perdre la fougue et la fulgurance ! » Et c’est justement cette fougue qui ne la quitte jamais qu’on aime tant chez elle, qui nous fait passer du rire à l’émotion, avec ou sans glaçons !
Scènes de corps et d’esprit 1er avril 2023 au PréO (Oberhausbergen) @antoniaderendinger
Lundi 19 h — La Maison Kammerzell
Rendez-vous dans l’institution agrandie et rafraîchie de la Maison Kammerzell, qui accueille ce soir-là les acteurs et actrices engagé·e·s dans le colloque qui se tiendra le lendemain pour la lutte contre les violences faites aux femmes.
Cette 12e édition qui aborde le thème tabou de la pornographie divise. Le sujet est lourd et le challenge de taille pour Sophie Clerc, chargée de mission Droits des femmes et égalité de genre à la Ville, qui organise l’événement. L’ambiance est plutôt conviviale, l’élue Christelle Wieder semble satisfaite de cette réunion informelle mais décisive, qui donnera le ton d’une manifestation qui s’annonce déjà clivante. Tout le monde le sait ici. Beaucoup sont en désaccord mais les âmes vont devoir s’apaiser autour d’une bonne choucroute ! Presque toutes les associations féministes locales sont présentes, mais je ne sais pas forcément qui représente qui. Je m’amuse à deviner leur « étiquette » en fonction de leur discours. Certaines sont déjà passées dans l’émission des « Grandes Girls » et je souffle à l’oreille de mon acolyte Kathia le nom de celles et ceux qu’on connaît déjà. Notre jeu préféré ! Avant de s’installer, un moment d’échange à l’abri des regards avec l’organisatrice s’impose. On ira se poser dans ce nouvel espace qui n’est pas encore ouvert au public, sous le regard de portraits de célébrités qui ont fait une halte dans cette adresse mythique. Parmi elles, certaines sont-elles féministes? Pas sûr, s’amuse Sophie Clerc !
L’heure pour nous d’en apprendre davantage sur elle
Son retour aux sources :
« Juriste de formation, je suis Franco-Québécoise. Je suis rentrée en Alsace après y avoir fait mes études 20 ans plus tôt ! J’occupe le poste de chargée de mission depuis décembre 2020. C’est seulement mon 2e colloque ! »
Son engagement féministe :
« Passionnée de développement social, mon militantisme s’est surtout forgé au Québec auprès d’associations féministes, dont certaines figures sont devenues des mentors. Les discours d’Alexa Conradi, autrice féministe et ancienne présidente de la Fondation des femmes du Québec, m’ont déjà mis les larmes aux yeux. »
Sa vision :
« Créer à Strasbourg un dialogue et des espaces entre les associations, loin d’un féminisme trop institutionnel. Un peu comme à la Cité audacieuse à Paris, un lieu inspirant et ressourçant. »
Son mantra :
« Le conflit n’est pas une agression ! »
Sophie Clerc Morgan Spengler alias Champagne Mademoiselle
Mercredi 19 h — Vertical Academy
Dernier stop et dernière rencontre avec celle que je vois comme une véritable diva. L’artiste Morgan Spengler alias Champagne Mademoiselle, la chanteuse, performeuse et effeuilleuse, a fait du burlesque un art de vivre. On se rejoint peu avant son cours hebdo d’effeuillage, qu’elle donne à la Vertical Academy.
« C’est d’abord le film Tournée de Mathieu Amalric, qui montre les coulisses d’un spectacle burlesque qui a attisé ma curiosité », raconte Morgan. C’est à la suite d’un spectacle au Camionneur, où elle assiste à un show qu’elle n’estime pas assez abouti, qu’elle décide de se lancer un défi personnel : faire du burlesque son métier. Depuis 2011, elle a notamment créé le Strasbourg Burlesque Festival, un rendez-vous qui joue chaque année à guichet fermé, invitant les stars nationales et internationales de la discipline. Ce cabaret politique remis au goût du jour se veut parfaitement inclusif, où tout le monde est le·la bienvenu·e. Une safe place permettant à chacun·e d’être à l’aise et de s’accepter. Le cours auquel j’assiste va dans ce sens, les six élèves ont chacune ramené un objet qui les accompagne dans leur féminité. La séance démarre par 32 routines de l’effeuillage, un rituel imaginé par la prof, entre déhanchés sensuels et mouvements façon pin-up.
Qu’importe la morphologie ou la tenue, ici on se sent femme et l’effeuillage permet d’y contribuer et de se réapproprier son corps. Chacune vient y chercher quelque chose de très personnel. Le ballet est beau à regarder. Et l’émotion gagne le studio lorsque chaque élève explique le choix de l’objet. Certaines ont retrouvé leur féminité dans leur sexualité, d’autres ont accepté leur image face à la maladie ou leur corps modifié par la grossesse. « Avec le burlesque, à toi de montrer ce que tu veux. On n’est pas obligé de montrer ses seins ! » rappelle Morgan.
C’est d’ailleurs dans un format hybride de conférencespectacle Les loges de l’effeuillage, que la diva strasbourgeoise propose de revenir sur l’histoire et les fondements de cet art, tout en se questionnant sur la signification même d’être une femme. C’est parti, vous avez 2 h !
Les Loges de l’Effeuillage 12 au 14 janvier à l’Espace K champagnemademoiselle.fr