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EDITO
En couverture. Carnages de François Cervantes (voir p.81). Photo © J. Hierholzer / C. Raynaud de Lage
8e art est une publication bimestrielle des Editions Bagatelle 19, avenue de Delphes 13006 Marseille 09 81 80 63 79 Directeur : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr Directeur de la publication : Frédéric Guerini f.guerini@8e-art-magazine.fr Rédacteur en chef : Sandro Piscopo-Reguieg 06 71 62 49 81 s.piscopo@8e-art-magazine.fr Conception graphique et direction artistique : Jonathan Azeroual 06 62 58 79 71 j.azeroual@8e-art-magazine.fr Webmaster éditorial : Léa Coste l.coste@8e-art-magazine.fr Ont collaboré à ce numéro : Joël Assuied, Fabienne Berthet, Emmanuelle Gall, Fred Kahn, Alexandre Lévêque, Antoine Pateffoz. Service commercial : 09 81 80 63 79
# 23 JAN. - FÉV. 2013
MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE
L
ongtemps, l’année 2013 résonnait comme un horizon vague et lointain, sur lequel la cité phocéenne projetait tous ses espoirs. Depuis 2008 et l’obtention du label européen, acteurs politiques, économiques, ou culturels nous renvoyaient, systématiquement, quel que soit le sujet, à cette date fatidique : « En 2013 », on allait voir ce qu’on allait voir ! Et l’année s’annonce d’autant plus « capitale » depuis que le gouvernement a décidé de faire de Marseille une question « d’intérêt national ». « En 2013 », donc, on aura une capitale culturelle, mais aussi, une « grande métropole ». « En 2013 », la ville sera constellée de nouveaux équipements culturels d’envergure, et ça tombe bien, car « en 2013 », on attend aussi dix millions de touristes. « En 2013 », grâce à eux, et grâce aux retombées médiatiques de la capitale culturelle, Phocée la sauvage, la débraillée, la faussée, pourra redorer son blason, apparaître, aux yeux de l’Europe comme une métropole ambitieuse et dynamique... De quoi attirer de nouvelles forces vives et booster le développement économique d’une ville sur le déclin depuis un demi-siècle. Bref, 2013 ou l’horizon indépassable des ambitions phocéennes… Le programme culturel de Marseille-Provence 2013 a - en partie - été pensé pour répondre à ces enjeux : faire l’ouverture du JT de TF1 tout en subjuguant le critique de Télérama. Car, pour que Marseille entre enfin dans le XXIe siècle, il s’agira, d’abord, de réussir la fête. Espérons que les discours officiels n’aient pas à souffrir de leurs accents trop lyriques. Pour l’heure, le spectacle commence…
Sandro Piscopo-Reguieg
Tirage : 20.000 exemplaires Impression : Azur Offset Acropolis - 171 bis, chemin de la Madrague-Ville - 13015 Marseille 04 91 52 53 54 La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution. 8e art magazine
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SOMMAIRE
N°23 / JANVIER-FÉVRIER 2013
SOMMAIRE
JANVIER-FÉVRIER 2013 08
ACTU
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MÉDIAS
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CONSO
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L’ENTRETIEN Bernard Latarjet
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MP2013 Week-end d’ouverture
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MARSEILLE 2013 OFF Le banquet de Platon
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ÇA OUVRE Le J1
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EXPOSITION Méditerrannées
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ÇA OUVRE La Friche Belle de Mai
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EXPOSITION Ici, ailleurs
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DÉBAT Le buste du Rhône, un imposteur ?
60
PATRIMOINE La station sanitaire Pouillon
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RENCONTRE Agnès Varda
68
VISITE Le FRAC
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EXPOSITIONS Ulysses
75
CIRQUE EN CAPITALE Festival Cirque en corps
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SPECTACLE El Cid
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DÉCOUVERTE Košice 2013
90
PORTFOLIO Les chercheurs de midi
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SORTIR
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104 L’ÉVÉNEMENT Abou Lagraa 106 SCÈNES 114 MUSIQUES 122 EXPOS
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ACTU
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DÉTOURNEMENT DE CANEBIÈRE En 2013, la Canebière traversera le Palais de la Bourse… A moins qu’il ne s’agisse d’un « mensonge urbain », mis en scène à l’occasion de la capitale européenne de la culture ? Si cette photo est bien un montage, elle annonce un vrai Détournement de Canebière, trompe l’œil monumental qui habillera la façade du Palais de la Bourse à partir du 12 janvier. « La technique de la toile imprimée grand format et des sculptures quasi identiques au sujet provoque une distorsion qui renforce l’étrangeté de la confrontation entre rêve et réalité », explique l’artiste Pierre Delavie, qui a conçu cette œuvre avec la complicité de la Chambre de commerce et d’industrie, de l’association Marseille-Provence 2013 et du centre national de création Lieux Publics. « Tentative de déstabilisation perceptuelle » et remède à la « paresse ophtalmique », cette métamorphose urbaine en annonce bien d’autres… A découvrir durant toute l’année capitale.
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ACTU
EN BREF
PERMISSION DE MINUIT
MP2013 : L’OM EN ATTAQUE
« Marseille a peu d’objets de dimension mondiale… L’OM en fait partie. Quant à Zidane, on n’a pas encore pu le faire signer ! » C’est avec son sens de l’humour caractéristique que le président de la Chambre de commerce et d’industrie Jacques Pfister a commenté, le 25 novembre, l’officialisation du partenariat entre l’association Marseille-Provence 2013 et l’Olympique de Marseille. Avec sa puissance médiatique, le club se pose en « ambassadeur de la capitale culturelle » et mettra à disposition ses réseaux sociaux forts de « deux millions de fans sur Facebook et 460 000 followers sur Twitter » pour relayer les événements « les plus populaires de 2013 ». Le contrat porte aussi sur cinq projets labellisés MP2013, présentant tous la particularité de mêler foot et culture. Parmi eux, celui de la romancière Maylis de Kerangal, prix Medicis 2010, qui a été accueillie en résidence durant plusieurs jours à La Commanderie. De cette expérience, elle a créé une nouvelle, à découvrir durant le mois de janvier dans le quotidien La Marseillaise sous la forme d’un feuilleton en quatre épisodes.
Métro jusqu’à 1h du matin, 50 % de bus en plus en soirée, développement de la navette maritime, « Pass transport » sur tout le territoire de MP2013, navette électrique autour du Vieux-Port, renforcement des fréquences… Ce sont les mesures annoncées le 29 novembre dernier par MPM pour renforcer l’offre en matière de transports à Marseille. Il convient de préciser que l’élargissement des horaires du métro en nocturne a été décidé suite à la mise en ligne d’une pétition rédigée par un collectif de Marseillais nommé les « Marmottes », demandant la levée du « couvre-feu instauré à Marseille ». Deux jours et 1 300 signatures plus tard, MPM s’exécutait. Grâce aux Marmottes, les piétons marseillais auront leur permission de minuit en 2013. Et après ?
CAPITALE DU SPORT ? En 2017, Marseille sera peut-être capitale européenne… du sport. C’est la nouvelle ambition de la ville, officialisée le 10 décembre 2012 lors du dernier conseil municipal de l’année. Sur proposition de Richard Miron, adjoint au maire délégué aux sports, la cité phocéenne a en effet décidé de se porter candidate à ce « prix » délivré chaque année par l’Union européenne. « Il s’agit de renforcer le choix stratégique d’une politique du sport pour tous, de poursuivre et d’amplifier l’attractivité de la ville, de maintenir le positionnement de la ville bien au-delà de 2013 en affirmant, de nouveau, sa capacité à accueillir de grands événements internationaux », dit le communiqué de presse de la mairie de Marseille. Depuis 2001, 14 villes, dont Glasgow (2003), Milan (2009) ou Dublin (2010) ont obtenu ce label censé « proposer des politiques sportives pour le développement d’infrastructures et des modèles de gestion qui favorisent le sport, afin de faciliter le développement de processus d’intégration sociale des groupes les plus défavorisés : personnes handicapées, personnes âgées, adolescents en situation difficile et immigrants. » Seules les villes de plus de 500 000 habitants sont habilitées à concourir. Pour l’heure, Marseille est la seule candidate française. Le verdict sera connu en 2014. 10
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360 PAGES
Il fallait bien ça, pour compiler les 900 projets au programme de Marseille-Provence 2013. C’est donc une petite bible de 360 pages qui a été présentée le 16 novembre 2012, à l’occasion de la venue de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti dans la cité phocéenne. Celle-ci a d’ailleurs promis de revenir le 12 janvier 2013 pour la fête d’ouverture de l’année capitale. Elle ne sera peut-être pas seule : il se murmure que le président de la République François Hollande fera aussi le déplacement.
ACTU
EN BREF
PRUDENT « Si nous doublons les rames de dixhuit TGV jour, nous pouvons transporter 20 000 personnes pour certains weekends événementiels. Nous estimons que la hausse de fréquentation se situera entre 5 et 10 %, mais il ne s’agit que d’estimations », déclarait le président de la SNCF Guillaume Pépy le 7 décembre en marge de la signature d’une convention de partenariat avec l’association MP2013. Celle-ci se traduira par une aide de 500 000 euros en nature (campagne de communication dans les gares et quota de billets réservés aux artistes et personnels de MP2013). Rappelons que la ville de Marseille attend 10 millions de visiteurs pour l’année 2013.
2013 DANS LA POCHE
GROSSE HALLU
Peut-être l’avez-vous aperçu sur la terrasse de la gare Saint-Charles ? Ou au centre commercial Bonneveine, voire aux Réformés ? Ce facétieux éléphant rose se balade dans la ville au rythme des « trips artistiques » du Théâtre du Merlan, dont il est la nouvelle mascotte et dont il porte la devise : « Have a nice trip in Marseille ». Car « 2013 est une invitation au voyage, faite d’escales poétiques et parfois hallucinantes », explique Nathalie Marteau, directrice de la scène nationale basée dans les quartiers nord, qui profitera de l’année capitale pour investir de nouveaux lieux dans la ville. « Circus trip », « Magic trip », « Dance trip », les grands événements du Merlan ont ainsi été imaginés comme autant de voyages (ou « trips » en anglais), et cet éléphant rose de quatre mètres suivra le théâtre au gré de ses vagabondages. Prochaine étape, le Pavillon M (place Villeneuve-Bargemon), au mois de janvier.
A L’ANCIENNE
Il a connu l’époque où La Canebière était encore une grande artère bourgeoise et un haut lieu de la vie nocturne marseillaise… Alors qu’il fêtera ses 90 ans en 2013, le Théâtre de l’Odéon a fait peau neuve. Après deux saisons hors les murs et de longs mois de travaux (toiture refaite, façade rénovée, création d’un bar et d’un étage supplémentaire pour les bureaux et loges), il a rouvert ses portes le 13 novembre 2012. La Canebière retrouve ainsi ses bons vieux airs d’opérette et autres « Ciel ! Mon mari ! ». Car la programmation, elle, n’a pas vraiment été rénovée.
L’application MP2013 est disponible en téléchargement gratuit sur App Store et Google Play depuis le 8 janvier 2013. Développée par Orange (partenaire officiel de MP2013), elle permet d’avoir accès au programme de l’année capitale et de suivre l’actualité de la manifestation en temps réel. Les utilisateurs ont aussi la possibilité de trouver et localiser un événement ainsi que les « bars, restos, boutiques et lieux remarquables du territoire ». Cette application devrait enfin être complémentaire de certains grands projets comme Transhumance (on pourra géocaliser les troupeaux en direct) et le GR2013 (avec le tracé des 360 km de ce sentier de grande randonnée).
FAN DE T-shirts, mugs, magnets, agendas, coques de smartphones, ballons, boules de pétanque, sacs, lampions, huile d’olive, canistrelli… Les plus grands fans de MP2013 peuvent désormais manger, boire, jouer et s’habiller aux couleurs de la capitale culturelle. La boutique est en ligne depuis le 7 janvier sur www.mp2013.fr. 8e art magazine
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ACTU
EN BREF
ÇA OUVRE !
ASSOCIATION DE GRAFFITEURS Un white cube ? Pas tout à fait. Ici, deux murs se font face : sur l’un - blanc -, les œuvres sont exposées sous cadre. L’autre est voué à être entièrement repeint par l’artiste invité. Comme dans la rue. « La fresque murale fait partie de l’exposition, explique Romain Lombardo, le galeriste. Chaque artiste exposé aura la possibilité de peindre ce mur à sa guise. Ça fait un peu mal au cœur de savoir que l’œuvre actuelle va bientôt disparaître, mais l’éphémère est partie intégrante du street art. » La galerie Association d’idées a ouvert ses portes le 6 décembre 2012. Elle se consacre essentiellement à l’art urbain : pochoirs, collages, mosaïques et graffitis. « C’est un lieu d’expérimentation. Au fur et à mesure, on pourrait se diversifier pour montrer, aussi, de l’art contemporain », nous dit ce jeune galeriste de 27 ans, qui a fait ses premières armes à la maison de ventes Leclere. Il annonce une exposition par mois avec, en janvier, le graffeur et rappeur parisien Grems. Galerie Associations d’idées. 56, rue Sainte, Marseille, 1er. www.associationdidees.fr.
ON VA SE JETÉE ?
© Philippe Ivanez
« L’ancien bar s’est arrêté. On nous a alors proposé de reprendre ce lieu. Une galerie et un bar dans un cinéma d’art et essai, c’est intéressant ! » Depuis novembre 2012, le cinéma Les Variétés, sur La Canebière, accueille en son ventre « La Jetée ». Un projet développé par Les Jnoun (Philippe Ivanez et Nadia Lagati), duo d’artistes aux pratiques variées : photographie, graphisme, design, gastronomie… A La Jetée, elles se voient allègrement mêlées au sein d’un même espace. Car en plus d’avoir entièrement transformé les lieux, Les Jnoun sont aux fourneaux et proposent une restauration légère à petits prix, largement tournée vers les cuisines du monde (taboulé oriental, cake au curry, poulet thaï…). Autour d’une table vintage customisée par Philippe Ivanez, on goûte à quelques créations culinaires, avant d’aller jeter un œil à l’expo du moment, puis de terminer par un film au ciné. « Pas un bar pour bobos et cultureux », jure Ivanez. Mais bon, ils sont les bienvenus quand-même... La Jetée. 37, rue Vincent Scotto, Marseille, 1er. www.lesjnounfactory.over-blog.com.
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MÉDIAS
TÉLÉRAMA MISE SUR MARSEILLE
Télérama ne pouvait passer à côté de la capitale européenne de la culture : durant toute l’année, le « blog 2013 » suivra, pas à pas, la mise en œuvre de Marseille-Provence 2013 à travers une série de reportages, enquêtes, interviews et portraits, postés chaque semaine sur le site Telerama.fr. Il s’agit, à ce jour, du seul média national à avoir mis en place un tel dispositif. « On a voulu éviter de faire les Parigots qui descendaient deux jours par an à Marseille, explique Olivier Granoux, rédacteur en chef Web et pilote du projet. Il s’agit de donner une vraie vision éditoriale et journalistique de l’événement. Pour cela, on s’appuie sur une équipe de journalistes marseillais. Ils sont sur place, ils connaissent bien le tissu culturel local et nous font régulièrement remonter leurs infos. » Le blog 2013 se consacre à l’analyse du making-of de l’année capitale. Les critiques de spectacles et d’expositions sont, elles, toujours consultables sur l’agenda en ligne www.sortir.telerama.fr. A noter, aussi, que le 30 janvier, un supplément « Télérama Sortir Marseille » sera offert avec l’hebdomadaire papier : un « mini-Télérama » entièrement consacré à l’actualité culturelle des Bouches-du-Rhône.
DU WEB AU GONCOURT ? Toute jeune start-up marseillaise, Book Story travaille à concilier édition numérique et classique. « Après signature d’un contrat d’édition avec un auteur, le livre est mis en ligne sur notre site Internet quand nous estimons qu’il peut être présenté à un éditeur ‘‘papier’’, explique Guillaume Fournier, le créateur du projet. Nous choisissons les ouvrages à soutenir en fonction des avis émis par les internautes qui les ont téléchargés. Ensuite, nous faisons les démarches nécessaires auprès des éditeurs. » Bookstory compte à ce jour une dizaine d’auteurs « maison ». C’est le cas de la Marseillaise Agnès Olive, déjà publiée chez Stock, mais qui a choisi cette voie pour quelques-uns de ses manuscrits : « C’est la solution idéale pour ceux qui se sentent démunis dans la jungle que peut représenter le monde de l’édition, et un bon moyen de faire sortir certains livres des tiroirs ». A suivre sur www.bookstory.fr.
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GRAS BON LA BROUSSE
« Revue culinaire et sauvage avec de vrais morceaux de Marseille dedans. » C’est ainsi que se présente La Brousse, nouveau fanzine dont le premier numéro est sorti le 7 décembre : seize pages en noir et blanc, et autant de petites surprises. Car La Brousse n’est pas rédigée par des journalistes, et tant mieux : elle s’affranchit des règles de la presse traditionnelle pour proposer un véritable OVNI éditorial. Ainsi, dans ce numéro 1, « spécial snack », on trouve, pêle-mêle, une enquête sur les sauces préférées des Marseillais (c’est la mayo qui gagne), un lexique du vocabulaire gastronomique local (« Gras : adv. Beaucoup, très. ‘‘Il est gras bon ce kebab’’), un roman photo complètement barré, et même une « carte mondiale des camions pizza de Marseille ». Le tout avec une maquette, certes un peu bordélique, mais toujours hyper créative. La Brousse est gratuite et diffusée à 500 exemplaires dans les librairies, magasins et « débits de denrées » marseillais. Il reste encore du rab sur : www.weshlabrousse.tumblr.com.
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MÉDIAS
V MARSEILLE
DU NOUVEAU DANS LES KIOSQUES En vente depuis le 4 janvier, V marseille est un nouveau mensuel « indépendant ». Décryptage.
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Par Sandro Piscopo-Reguieg
‘‘V marseille’’ pour ‘‘Regardez Marseille’’. On traite de l’actualité économique, politique, et culturelle, avec en plus, dans chaque numéro, un gros plan sur un quartier. Nous avons choisi la formule du mensuel afin de pouvoir prendre le temps de nous arrêter sur le territoire, de nous poser afin de mieux le décrire… » C’est ainsi que Raphaël Tual, rédacteur en chef de V marseille, décrivait ce nouveau projet lors de la soirée de présentation du magazine, qui s’est tenue le 19 décembre au Club Pernod. Ironie du sort, on apprenait, au même moment, la nouvelle du rachat de La Provence par Bernard Tapie… « Il n’y a personne derrière nous ! », prévenait ainsi Eric Besatti, directeur de publication. « Nous nous sommes associés en Scop, le magazine appartient aux journalistes à 100 %, ce qui garantit l’indépendance du média. » Ils y ont mis leurs économies. Pour tenir, V marseille s’appuiera essentiellement sur les ventes au numéro, l’abonnement annuel et la publicité. Quant aux politiques, ils « SI D’ICI LE PRINTEMPS, ON NE VEND PAS PLUS DE 2 000 peuvent dormir sur leurs deux oreilles : EXEMPLAIRES, CE NE SERA PAS LA PEINE D’INSISTER » V marseille n’ira pas fouiner dans leurs « affaires ». « On ne va rien révéler », admet Besatti, qui dit privilégier « l’info à l’actu ». Pas un pavé dans la mare, donc. Mais vu l’état de la tivement, on a quand même jeté un œil sur le « numéro 0 », presse locale, ce nouveau journal est le bienvenu. présenté le 19 décembre. Découpé en cinq « actes » (« parce que Marseille est un théâtre »), le magazine de 80 pages 4 mois. « On va apporter notre savoir-faire et notre expé- s’ouvre par un entretien avec l’historien Gabriel Chakra et rience de journalistes », promettent les cinq membres de se termine par une page consacrée à l’OM (« car il faut bien la rédaction… âgés de 21 à 24 ans. Ils débarquent tous de vendre ! »). Entre temps, des portraits, des « indiscrets », un Bretagne. « On s’est rencontrés à l’IUT de Lannion, dans les papier sur MP2013, une « enquête » sur le marché aux puces, Côtes d’Armor, raconte Eric Besatti (qui précise avoir officié un dossier sur Endoume, une rubrique « quartiers nord » au journal satirique Le Ravi et à LCM). On avait envie de (« qu’on s’interdit de traiter sous l’angle des faits divers »), un monter un projet ensemble, les autres m’ont donc rejoint. Ils portfolio, et un agenda « culturel et citoyen ». Diffusé à 5 000 sont sur le terrain depuis six mois. » Un peu juste, pour cerner exemplaires, V marseille est en kiosques depuis le 4 janvier les subtilités de la cité phocéenne ? « Lisez-le ! », répond le (3,50 €). « On se donne quatre mois. Si d’ici le printemps, on directeur de publication de 24 ans, qui demande à « n’être ne vend pas plus de 2 000 exemplaires, ce ne sera pas la peine jugé que sur ce qui est écrit ». Sans avoir pu l’examiner atten- d’insister. » On leur souhaite bonne chance.
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CONS
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EBOY (RE)PIXELISE MARSEILLE !
Oui, il s’agit bien de Marseille. Regardez de plus près… Vous reconnaîtrez la Bonne Mère, la tour CMA-CGM, le Silo, la Cité radieuse, le fort Saint-Jean, le Palais Longchamp, le Mucem, Marseille-Provence 2013 et sa Transhumance, l’OM, quelques cagoles… Ils sont parfois bien cachés, mais c’est tout l’intérêt de cette création graphique à la dimension ludique assumée, entre « Où est Charlie ? », Légos, et Sim City. Une réalisation du collectif allemand eBoy (Svend Smital, Kai Vermehr et Steffen Sauerteig), virtuose du « pixel art », où l’art de créer des images numériques pixel par pixel. Il s’étaient déjà attaqués à Marseille en 2009, et avaient réalisé une affiche - très remarquée -, éditée par Marsdesign. Cette version « 2.013 », réactualisée, se veut un miroir de la cité phocéenne à l’heure de la capitale européenne de la culture. Version affiche : 40
Version laminée : 200 €
www.eboymarseille.fr
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CONSO
DESIGN
AÏE DESIGN
UNE ARAIGNÉE SUR LE MUR Il dit s’être inspiré de ces insectes épinglés sous verre, typiques des cabinets de curiosités où, de la Renaissance au XIXe siècle, aristocrates et notables exposaient leurs collections d’objets extraordinaires. Ce mobilier d’angle en bois courbé est la dernière création de Maxime Paulet, jeune designer installé à Marseille depuis 2007 sous la bannière « Aïe Design ». Un projet réalisé pour le salon de coiffure Flatmates, logé dans un hôtel particulier de la fin du XVIIIe siècle (37, cours Franklin Roosevelt). « Les coiffeurs-associés, soucieux de respecter cet espace étonnant, souhaitaient une étagère murale pour présenter la gamme de soins en vente dans le salon », raconte Maxime Paulet, avant de résumer la commande : « Une ligne délibérément décalée et élégante, en bois, en référence au ‘‘design scandinave’’. Dans l’angle ? Pourquoi pas... » Ce « pourquoi pas » a, dans l’esprit du designer, résonné comme un défi. www.aie-design.com
BECBUNZEN
UNE NOUVELLE ASSISE La boutique de Becbunzen ? On la visite uniquement sur le Web. Passionnée de brocantes devenue spécialiste de la restauration de mobilier industriel et vintage, Nathalie Van Hulst a choisi d’exposer ses réalisations dans les restaurants, bars, et lieux de vie de Marseille. « Un autre mode de distribution qui passe par l’itinérance, décrit la créatrice. C’est un choix de ne pas avoir, pour l’instant, de boutique dédiée, une façon de s’installer dans la ville autrement, de pouvoir consacrer davantage de temps à la sélection et à la restauration des pièces. Beaucoup nécessitent un travail important, ce qui permet ainsi de rester dans des gammes de prix accessibles. » On peut actuellement découvrir les tables, chaises, et bureaux des années 50 à 70 auxquels Becbunzen a donné une nouvelle vie à La Jetée, le nouveau bar du cinéma les Variétés. www.becbunzenboutique.com
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LIVRE
HISTOIRE D’UNE VILLE : MARSEILLE SOUS LA DIRECTION DE RÉGIS BERTRAND CRDP-Ville de Marseille
DVD
CHERCHER LE GARÇON DE DOROTHÉE SEBBAGH Shellac Sud
Enfin un ouvrage susceptible de réconcilier le (très) grand public avec l’histoire : bien que réalisé par une rigoureuse équipe scientifique, ce livre s’avère particulièrement accessible grâce à sa maquette colorée, riche de plus de mille illustrations, cartes, plans et documents d’archives (dont quelques inédits)… Grâce à la frise chronologique qui parcourt chacun des dix chapitres, on ne perd jamais le fil de ces 2 600 ans d’histoire… Idéal pour les plus jeunes, donc, mais aussi très utile à ceux qui croient déjà tout savoir sur « leur » ville.
Emilie, trentenaire, cherche un garçon… Enfin LE garçon. Inscrite sur un site de rencontres, elle multiplie les partenaires d’un soir : le romantique, le narcissique, le pervers… Chaque aventure est l’occasion, pour l’héroïne, de se déplacer dans son désir, mais aussi dans Marseille. D’un café du Vieux-Port à la calanque de Callelongue, chacun joue sa prestation dans un cadre différent. A l’horizon, se tient, comme une promesse, l’île du Frioul, où la jeune femme a juré de se rendre, une fois son prince déniché... Proche des comédies de Julie Delpy (Two Days in Paris), ce film possède un charme délicat qui doit beaucoup à l’interprétation naturaliste de Sophie Cattani. Son personnage poursuit sa quête avec une curiosité d’étymologiste pour la gent masculine et une autodérision qui font qu’en dépit d’un propos léger et d’une construction répétitive, on ne s’ennuie jamais. LIVRE
FERNAND POUILLON MARC BÉDARIDA Editions du Patrimoine
Les fastes de sa vie privée et ses démêlés judiciaires ont défrayé la chronique. Fernand Pouillon (1912-1986) est assurément la figure la plus romanesque de l’architecture française du XXe siècle. Mis au ban de la profession, il a démontré, en Provence d’abord, puis en Algérie, dans la région parisienne et en Iran, la compatibilité de la construction en pierre de taille et du logement de masse. Cet ouvrage accorde une large place à ses réalisations marseillaises : la reconstruction du Vieux-Port, l’Evêché, la station sanitaire, le Building Canebière… Vous pourrez désormais parcourir la cité phocéenne et y chercher les « Pouillon » qui se cachent, ça et là, au détour d’une rue !
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100 CRIMES CONTRE L’ART KARIN MÜLLER L’Ecailler
Qui a pissé dans l’urinoir de Duchamp ? Quelle est cette malédiction qui frappe une toile de Rembrandt ? Quel prestigieux musée n’avait assuré aucune de ses œuvres ? Ce sont quelquesunes des cent histoires que nous raconte la galeriste Karin Müller dans cet ouvrage édité par la maison marseillaise L’Ecailler. Mais ce qui aurait pu être une bonne idée devient une insipide et soporifique accumulation de faits – on le sent – sélectionnés non pas pour leur intérêt historique ou éditorial, mais bien pour tenir la promesse annoncée en couverture. Dommage.
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L’ENTRETIEN
BERNARD LATARJET
BERNARD
LATARJET SES VÉRITÉS
Il est le « grand architecte » de la capitale culturelle. L’homme qui a porté la candidature et élaboré les bases du programme : de 2006 à 2011, MP2013 avait un visage, celui de Bernard Latarjet. Si depuis, il a renoncé à son poste de directeur général de l’association, il reste encore investi dans le projet, dont il suit attentivement la mise en œuvre… dans l’ombre. Alors bien qu’il nous rappelle qu’il n’est « plus le patron », Bernard Latarjet demeure une personnalité incontournable pour qui s’intéresse à l’événement. Rencontre. Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg
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Durant la phase de candidature, vous avez bâti un projet largement tourné vers la rive sud de la Méditerranée… Marseille-Provence 2013 est donc la capitale « euroméditerranéenne » de la culture ? L’enjeu de coopération artistique entre l’Europe et les pays de la Méditerranée est le fondement même du projet. C’est en fonction de cet aspect méditerranéen que Marseille a été sélectionnée parmi les autres villes françaises pour remporter le label. Nous sommes partis du constat qu’au sein des coopérations entre l’Europe et la Méditerranée, les échanges culturels (notamment la création contemporaine) étaient un maillon faible. Marseille doit devenir une plateforme d’accueil et de partage pour les artistes vivants du pourtour méditerranéen, et ce, dans l’ensemble des disciplines artistiques. Tout le programme repose sur cette idée de « Partage des midis », qui est en quelque sorte le « sous-titre » de la capitale, le fil rouge qui traverse toute la programmation : les expositions, les spectacles, les commandes aux artistes, les ateliers participatifs… C’est donc très concret !
Quelle est la part des acteurs culturels locaux dans la programmation ? Lorsque vous étiez encore directeur de l’association, certains craignaient de voir naître un projet « technocratique » et « parisien »… Une capitale européenne de la culture, c’est d’abord la mobilisation des acteurs locaux. Ce n’est pas quelque chose qui vient se plaquer sur l’activité culturelle courante d’un territoire, ce n’est pas quelque chose qui est conçu par une équipe extérieure qui viendrait rajouter son grain de sel, ce n’est pas des financements qui viennent s’ajouter sans aucune concertation avec l’action des acteurs locaux. On travaille avec les musées et avec les moyens des musées, on travaille avec les théâtres et avec les moyens des théâtres, de même avec les festivals, les associations… Il s’agit donc de permettre à des acteurs de territoire de faire des projets qu’ils n’auraient pas pu développer sans la capitale, du moins de façon aussi importante, et d’essayer de les rapprocher, sinon de les fédérer, ce qui n’est pas toujours simple. Vous connaissez l’individualisme forcené des acteurs culturels, et pas seulement ici…
On le vérifiera dès les expositions inaugurales… Méditerranées, présentée au J1, est une exposition historique. On en a voulu quelques-unes, quand même, pour replacer la Méditerranée dans son histoire, et Dieu sait qu’elle est riche et qu’elle imprègne aujourd’hui la création contemporaine et l’ensemble des activités culturelles du bassin. En même temps, on aura l’exposition consacrée aux photographies réalisées par Josef Koudelka dans les ruines des grands sites antiques grecs et romains. Parallèlement, seront présentées les expositions Cadavres exquis au musée Granet, et Ici Ailleurs à la Friche la Belle de Mai, qui sera un panorama de la création contemporaine en Méditerranée. Nous avons donc, au mois de janvier, quatre grandes expositions d’ouverture : deux expositions historiques et deux expositions d’art contemporain. C’est cohérent.
Rétrospectivement, quel est votre regard sur l’appel à projets lancé en 2008 aux acteurs locaux ? Beaucoup le considèrent comme une grosse erreur. C’est une équation insoluble. Quand on en reçoit beaucoup, c’est bon signe, cela veut dire que les gens sont mobilisés, mais en même temps, quand on a tous ces projets, on est bien ennuyés ! Car la sélection est dure. Et on fait beaucoup de mécontents. Au contraire, s’il n’y a pas d’appel à projets, ça devient une programmation technocratique, plaquée par une équipe extérieure, et ça, ce n’est pas possible. Donc, satisfaire à la fois le besoin de mobilisation des acteurs locaux – leur force de proposition et leurs moyens – tout en assurant une certaine cohérence dans la programmation, c’est une équation impossible. Il faut jongler avec ces impératifs contradictoires
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L’ENTRETIEN
« MARSEILLE DOIT DEVENIR UNE PLATEFORME D’ACCUEIL ET DE PARTAGE POUR LES ARTISTES VIVANTS DU POURTOUR MÉDITERRANÉEN » et le résultat n’est, de toute façon, jamais parfait. Et puis ne pas faire d’appel à projets n’aurait rien changé ! On les aurait reçu quand même ! L’appel à projets a été fait pour préciser les critères de choix. Au départ, nous avons diffusé une note méthodologique approuvée par le conseil d’administration : là encore, ce n’est pas un exercice technocratique fait dans le seul secret de mon bureau ! Cette note disait : voilà les règles du jeu, voilà comment les projets seront sélectionnés. Ce n’est pas de l’arbitraire ou du copinage. La candidature a défini un certain nombre de grands axes, de thèmes et d’engagements que nous avons pris vis-à-vis du jury et, dans ce cadre, la liberté de propositions était très grande. De fait, on a reçu plus de 2 000 projets et on en a retenu un peu plus de 500, qui seront cofinancés. Sans compter les projets labellisés. Justement, comprenez-vous que les porteurs de ces 350 projets « labellisés » mais pas financés aient un sentiment d’amertume ? Il n’y a pas de différence de qualité ou d’importance entre les projets coproduits et les projets labellisés. Tous figurent dans le programme… Mais on ne pouvait pas donner de l’argent à tout le monde. Et certains n’en avaient pas besoin. La preuve, c’est qu’ils vont se faire quand même. Pas tous, certes…
BERNARD LATARJET
Vous en êtes fier de ce programme ? Oui, j’en suis fier, et je pense que cette fierté est partagée par toute l’équipe. Mais ce qui confirmera ou pas ce sentiment, c’est le résultat final. Comment le juger ce résultat ? Comment dirons-nous si cette capitale a marché ou pas ? Dans toute capitale européenne de la culture, il y a un chantier d’évaluation imposé, à juste titre, par Bruxelles. Un dispositif indépendant qui va suivre la capitale au regard d’un certain nombre d’indicateurs et qui nous dira quel est le résultat à la sortie. Au delà de ça, il y a des critères plus « qualitatifs », non mesurables. On parlait de fierté. A Lille 2004, l’une des marques du succès fut le sentiment de fierté de la population. Y compris des habitants qui n’étaient pas allés voir d’expositions ou qui n’avaient pas assisté aux spectacles, mais qui étaient fiers de ce que leur ville avait réalisé. C’est un critère très important. Mais il y en a d’autres. Je cite souvent cette phrase du président de la CCI de Lille, M. Bonduelle, qui disait : « La capitale nous a fait gagner dix ans ». Dix ans de notoriété, d’attractivité, de réputation, d’image… Ce n’était pas une évaluation sérieuse sur un plan scientifique, mais elle provenait d’un leader économique qui n’est pas un poète, et qui ne dit pas n’importe quoi ! C’est d’ailleurs lui-même qui a demandé à la maire de Lille de continuer, après la capitale, en relançant cette dynamique avec un nouveau projet, « Lille 3000 ». Et puis, enfin, il y a les critiques de la presse. J’ai été très frappé, au lendemain de Liverpool 2008, en voyant le press-book de l’année capitale : si la presse généraliste était très enthousiaste, la presse spécialisée « arts et culture » fut, elle, beaucoup plus critique sur la qualité de la programmation. Quel est votre sentiment sur l’échec de la grande exposition qui devait être consacrée à Albert Camus, à Aix-en-Provence ? Camus était une figure importante de la candidature, car il est 8e art magazine
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L’ENTRETIEN
BERNARD LATARJET
24 février 2011. Bernard Latarjet se charge lui-même de présenter le préprogramme de Marseille-Provence 2013 à la Cité des arts de la rue face à plus de 2 000 élus, journalistes et acteurs culturels. Quelques semaines plus tard, il annonçait sa volonté de quitter la direction de l’association MP2013…
selon moi un personnage emblématique des relations euroméditerranéennes. De plus, en 2013, ce sera le centenaire de sa naissance... Sur l’échec de ce projet, nous sommes tous coresponsables. Pour des tas de raisons. Ce n’est pas la faute de M. Stora, ni celle de la mairie d’Aix, ni celle de Catherine Camus, ni celle de MP2013, c’est la faute de tout le monde. C’est clair. Ce n’est pas la peine d’en dire plus. On s’est plantés. Dont acte. A la tête de l’association MP2013 depuis la phase de candidature, vous décidez de vous mettre en retrait en 2011 pour devenir « conseiller du président et du directeur général »… On vous a peu entendu sur les raisons qui vous ont amené à faire ce choix. Au début de l’année 2011, j’avais prévenu le président de l’association qu’après un peu plus de quatre années, et compte tenu de mon âge avancé de 70 ans, je n’assurerai pas à temps plein la phase de mise en œuvre de la capitale. Mes responsabilités familiales, notamment, ne me le permettaient pas. Il fallait donc envisager un relais, et c’est moi qui ai proposé Jean-François Chougnet, car je le connaissais très bien : il avait été directeur général de La Villette, à Paris, lorsque j’en étais le président. Le conseil d’administration a validé ce choix. C’était donc un passage de relais parfaitement transparent, derrière lequel, évidemment, comme toujours à Marseille, on a fabriqué des fantasmes de mille natures qui n’avaient pas lieu d’être. Lorsqu’on parle de fatigue, de lassitude, et de tensions dues au contexte local, c’est du fantasme ? Le travail de mise en œuvre d’une capitale européenne de la culture est un travail très fatiguant, et pas seulement à Marseille. Très peu de capitales gardent leur directeur du début de la candidature à la fin de l’année capitale. C’est un exercice très éprouvant, il est normal que l’équipe évolue en cours de 26
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« SI J’AVAIS EU 45 ANS, JE SERAIS PEUT-ÊTRE RESTÉ JUSQU’AU BOUT, MAIS À 70 ANS… » parcours. Et en ce qui me concerne, n’oubliez pas mon âge ! Si j’avais eu 45 ans, je serais peut-être resté jusqu’au bout, mais à 70 ans… Et puis ma famille est parisienne… On vous a justement reproché de ne jamais vous être installé à Marseille. On dit d’ailleurs que vous n’aimez pas cette ville. Je n’ai pas été candidat à cette fonction. C’est le maire de Marseille qui m’a sollicité, et je ne m’y attendais absolument pas. Je n’ai jamais caché que j’étais Parisien, que je retournais à Paris chaque week-end… Je n’ai jamais prétendu être Marseillais. Quant à dire ensuite que je n’aime pas Marseille… Je me suis consacré à cette tâche et à ce territoire sans mesurer mon énergie. Comme vous l’avez souligné, faire appel à Jean-François Chougnet pour vous succéder était un gage de continuité. Il s’est attaché à mettre en œuvre le projet dont vous aviez défini les grands axes… Oui, mais à sa manière, car il n’y a pas deux patrons ! C’est lui le chef et c’est lui qui décide, il n’y a pas d’ambiguïté. Il n’est pas trop fatigué ? Apparemment, non. D’abord il est beaucoup plus jeune que moi et puis il est là depuis moins longtemps. Il est tout neuf, encore !
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WEEK-END D’OUVERTURE
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L’OUVERTURE EN 36 HEURES CHRONO Un parcours d’art contemporain à Aix, une grande fête à Marseille, une centaine de chasses au trésor dans tout le département et un spectacle pyrotechnique à Arles… Le week-end d’ouverture de Marseille-Provence 2013 sera rythmé de quatre temps forts, à vivre durant 36 heures non-stop. Pour les plus motivés, un vrai marathon culturel… Top départ le 12 janvier. Par Emmanuelle Gall
SAMEDI 12 JANVIER, 11H
BALADE ARTISTIQUE À AIX
C’est à Aix-en-Provence que revient l’honneur de lancer les festivités. Fidèle à son image un brin élitiste, la ville s’apprête à dévoiler, dès 11h, un parcours d’art contemporain baptisé L’Art à l’endroit. Répartie dans les sites les plus prestigieux de la ville (et même au-delà, puisqu’elle investit également l’abbaye de Silvacane), cette exposition à ciel ouvert réunit douze stars internationales de l’art contemporain. Parmi eux, la Japonaise Yayoi Kusama, qui habille les platanes du cours Mirabeau de ses pois caractéristiques, le Français Xavier Veilhan, dont les sculptures monumentales et monochromes (photo ci-contre) sont installées dans la cour de l’Hôtel de Ville, ou encore le Suisse Ugo Rondinone, qui plante l’un de ses arbres en aluminium place Saint-Jean de Malte... Ce parcours d’art contemporain se poursuit aussi dans les airs : à partir de 13h, la Patrouille de France survolera le territoire de la capitale et conclura sa prestation par une série de chorégraphies aériennes au-dessus d’Aix-en-Provence. Après ça, direction Marseille.
UNE EXPOSITION À CIEL OUVERT RÉUNIT DOUZE STARS INTERNATIONALES DE L’ART CONTEMPORAIN
© DR
L’Art à l’endroit. Un parcours d’art contemporain dans les rues d’Aix-en-Provence visible jusqu’au 17 février.
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WEEK-END D’OUVERTURE
CINQ MINUTES DE HURLEMENTS, NOTES, SONS ET BRUITS EN TOUS GENRES POUR « FAIRE DISJONCTER LA VILLE » !
SAMEDI 12 JANVIER, 17H30
DIMANCHE 13 JANVIER, 10H
OUVERTURE DE LA CHASSE
La nuit a été courte ? Tant pis, car il faudra se lever tôt pour partir à la « Chasse au 13’Or », qui débute dès 10h. La règle du jeu est simple : muni d’un carnet de route, on part à la recherche d’un bâton de sourcier magique... Pour cela, il faudra réunir en chemin trois indices – obtenus en résolvant des énigmes et en relevant des défis. Le « coffre au 13’or » une fois déniché, les concurrents n’ont plus qu’à glisser à l’intérieur un coupon avec leurs coordonnées, pour participer au tirage au sort qui désignera les gagnants. Ces derniers remporteront des places pour les spectacles et expositions prévus dans le cadre de MP2013. Chaque parcours, d’une durée estimée à une heure et demie, relie des lieux de vie et des espaces culturels, tels le Palais Longchamp à Marseille, le viaduc de Martigues, les fontaines d’Aix-enProvence, le canal de la Durance, l’étang de Berre… Avec 112 parcours répartis sur 20 communes, il y aura forcément une chasse au trésor près de chez vous. Les plus courageux pourront toutefois opter pour un rallye en Camargue, une randonnée sur la Sainte-Victoire ou une expédition dans les collines d’Aubagne...
Le programme marseillais s’annonce très chargé, le timing sera serré. Rendez-vous à 17h30 sur le parking du centre commercial Grand Littoral (rebaptisé « Balcon des mondes ») afin d’admirer la « Parade des lumières » : ce cortège de véhicules extraordinaires rejoindra une grande roue située en contrebas, dont l’illumination sera le signal du lancement officiel de l’année capitale. A ce moment, un concert de cornes de brumes, de sirènes, de cloches et autres « sons de ville » annoncera la « Grande clameur » qui retentira à 19h précises : cinq minutes de hurlements, notes, sons et bruits en tous genres pour « faire disjoncter la ville » ! Vingt-quatre clameurs différentes sont prévues dans tout le centre. Libre à vous, donc, de rejoindre celle qui vous chante : clameur « pétaradante » au Dock des Suds, « lyrique » à l’Opéra, « antique » à Belsunce, « glamour » au Théâtre du Gymnase… On parle même d’une « catastrophe sonore » à La Criée ! A 19h09, c’est le « black-out ». Plongée dans le noir pendant une trentaine de secondes, la ville se rallume progressivement au rythme des feux d’artifice. La fête peut enfin commencer. Ou plutôt les fêtes, car là encore, on prévoit une bonne vingtaine de bals, performances, concerts, et autres spectacles de rue, dans un centre-ville pour l’occasion ouvert à tous, sauf aux voitures.
© DR
© Patrice Terraz
PARADE, CLAMEURS ET FÊTES À MARSEILLE
MUNI D’UN CARNET DE ROUTE, ON PART À LA RECHERCHE D’UN BÂTON DE SOURCIER MAGIQUE...
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WEEK-END D’OUVERTURE
Š Thierry Nava - Groupe F
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UN SPECTACLE PYROTECHNIQUE POUR CLORE LE WEEK-END À COUPS D’ILLUMINATIONS MONUMENTALES
ET AUSSI‌
EXPOSITIONS INAUGURALES t .Ă?EJUFSSBOĂ?FT, au J1. t *DJ "JMMFVST, TourPanorama, La Friche la Belle de Mai.
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RÉVÉLATION FINALE À ARLES
À VOIR OU À FAIRE DURANT LE WEEK-END D’OUVERTURE. TOUT EST GRATUIT.
JOURNÉES PORTES OUVERTES t .VDFN esplanade J4. t .VT�F 3FHBSET EF 1SPWFODF avenue Vaudoyer. t '3"$ boulevard de Dunkerque. t + place de la Joliette. t 5PVS 1BOPSBNB Friche de la Belle de Mai.
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DIMANCHE 13 JANVIER, 18H30Â
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t -F US�TPS EFT .BSTFJMMBJT ,PVEFMLB 7FTUJHFT Centre de la Vieille-CharitÊ. t $�TBS FU MFT TFDSFUT EV 3IÙOF ABD Gaston Defferre.
4 CONCERTS GRATUITS A L’OPÉRA LE 13 JANVIER 11h : Concert de musique de chambre, Quatuor Syrah. 12h : Concert de l’ensemble Des Êquilibres. 15h : RÊcital du Cnipal (art lyrique). 17h30 : Concert de l’Orchestre philharmonique de Marseille.
Le dernier Êpisode de ce week-end d’ouverture est aussi le premier d’une sÊrie de six  RÊvÊlations  commandÊes au Groupe F. Cette Êquipe d’artistes artificiers installÊs en Camargue parcourt le monde avec des spectacles pyrotechniques hallucinants, à la croisÊe des arts de la rue, de la performance et du land art. Pour Marseille-Provence 2013, ils ont imaginÊ une saga au fil des eaux. Le 13 janvier, les RÊvÊlateurs, une tribu  d’hommes-lumières , dÊbarqueront sur les berges du Rhône pour explorer les quais puis la ville, à coups d’illuminations monumentales. On les retrouvera ensuite dans les calanques de Cassis (le 18 mai), le long des canaux de Martigues (du 6 au 8 juillet), à l’embouchure du Grand Rhône à Port-Saint-Louis (les 9 et 10 aoÝt), au Château d’If (du 4 au 7 septembre), aux abords des fontaines d’Aix-en-Provence (du 14 au 16 novembre) et, pour le dernier Êpisode, à Istres, le 31 dÊcembre. Ce jour-là , le Groupe F signera la clôture de Marseille-Provence 2013. Pour l’heure, à Arles, il va s’agir de clore, en beautÊ, le week-end d’ouverture.
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MARSEILLE 2013 OFF
LE BANQUET DE PLATON
LE BANQUET DE PLATON
L’OUVERTURE, CÔTÉ OFF Le coup d’envoi de Marseille 2013 Off sera lancé le 11 janvier, soit la veille de celui du In, avec un « Banquet de Platon » en présence de quelques divinités locales comme Rudy Ricciotti, Julien Blaine et Gérard Traquandi. Ici, pas de « Grande clameur », mais une série de grandes déclamations…
© Antonin Doussot
Par Sandro Piscopo-Reguieg
Replacer l’artiste marseillais au centre de la capi- National qui, pour le coup, se verra « magnifiée », annonce tale culturelle. » On connaît la chanson. C’est Stéphane Sarpaux : « Il y aura des lumières partout, du velours le grand projet de Marseille 2013 Off, la raison rouge, des sculptures… En poussant la porte, vous en prendrez d’être de cette capitale alternative… Mais si la plein la gueule ! » Prix d’entrée ? « Un euro, soit l’adhésion à formule fait plutôt référence aux artistes dits « émergents » Marseille 2013 Off ! » (associatifs, amateurs, oubliés du In), le Off a aussi su faire Comme dans l’œuvre de Platon, et selon l’illustre tradition appel à quelques gloires locales : l’architecte Rudy Ricciotti, antique, ce banquet sera l’occasion, entre bon repas et bon vin, le poète Julien Blaine, le réalisateur Philippe Carrese, les de méditer sur les discours de quelques éminents orateurs. Le peintres Gérard Traquandi et Jean-Jacques Surian... Ils ont Off a en effet demandé à ses parrains de faire, chacun à leur faaccepté d’adouber cette petite bande d’agitateurs culturels en çon, un éloge de Marseille. Celui-ci prendra, selon les auteurs, devenant les « parrains » du Off, des formes diverses : des textes et seront donc tous présents lors pour Philippe Carrese et Rudy de la fête d’ouverture ! Alors que Ricciotti, des toiles pour Gérard « NOS PARRAINS, C’EST UN PEU d’aucuns s’étonnent que le In n’ait Traquandi et Jean-Jacques SuNOTRE MUCEM À NOUS ! » pu attirer de grands noms dans sa rian, un mix pour le Dj d’IAM programmation, le Off peut, grâce Imhotep, une photographie pour à eux, jouer les fanfarons. « Avoir de tels artistes avec nous, ça Serge Assier, ou encore, une « intervention culinaire et musidonne une autre ampleur à notre événement, se réjouit Sté- cale » pour le chef Yvan Cadiou. Quant à Julien Blaine, il va, phane Sarpaux, membre actif du Off. Nos parrains, c’est un selon ses propres mots, « foutre le bordel » avec un haïku de peu notre Mucem à nous ! » deux lignes… « Les parrains seront réunis autour de la table de banquet, comme sur une scène, et qui le souhaite pourra Eloges. Allez savoir pourquoi, mais le Off s’est brusquement venir faire ses doléances ou leur baiser les pieds, raconte Sarsouvenu des racines grecques de la cité phocéenne, et s’est mis paux, jamais avare d’un bon jeu de mot. Ce sera entre la cène en tête d’organiser un « Banquet de Platon » en guise de soi- christique et la scène mafieuse… Ce sont des parrains, quoi ! » rée d’ouverture. Il se déroulera dans une friche du boulevard Après ce florilège de happenings, direction le dancefloor (le 32
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EN FÉVRIER
48H KINO
« Faire bien avec rien, faire mieux avec peu, mais le faire maintenant ! » Ce pourrait être la devise de Marseille 2013 Off… C’est celle de l’association Kino Fada, regroupant une trentaine de cinéastes amateurs et débrouillards, spécialisés dans le court-métrage réalisé dans l’urgence. Le 22 février, ils vous convient à leur « Kino Kabaret » dans le cadre de Marseille 2013 Off : une soirée cinéma où l’on ne verra que des films n’excédant pas huit minutes, tous écrits, tournés et montés en moins de deux jours, durant la semaine précédente. Le « Kino », c’est presque un sport olympique. « C’est un mouvement international né à Montréal, raconte Jeanne Curtenaz, secrétaire de l’association. L’idée, c’est créer en s’imposant des contraintes. On tire un thème au sort et chaque participant a deux mois pour faire son petit film. Ensuite, on organise une projection et on découvre le résultat. Pour le Off, on a choisi de condenser le tout en deux jours. » Mais l’esprit reste le même. « C’est le système D, la mutualisation des compétences et des savoirs. Le plus souvent, nos films sont faits par des amateurs, sans argent, sans matériel incroyable, mais juste avec une petite camera et pas mal d’énergie. Faire des films ensemble, ça permet de dépasser les contraintes. » Avis aux amateurs, donc. Le In invite le grand public à faire des photos pour les présenter dans le cadre d’une vraie expo ? Pfff… Avec le Off, vous pouvez carrément tourner un film ! Kino Kabaret Ferrari, Marseille, 5 e Off a débauché les Djs de Radio Grenouille), jusqu’à très très tard dans la nuit… « On espère être bien fatigués pour n’être réveillés, le lendemain, que par la ‘‘Grande clameur’’ du In ! » Underground. Rappelons que le Off promet un temps fort
par mois durant toute l’année. Après ce Banquet de Platon, le mois de février sera celui du « Kino Kabaret » (voir encadré), et le mois de mars mettra à l’honneur 31 lieux « labellisés » (restos, hôtels, boutiques...) censés proposer, chacun et chaque jour, leur événement. Pour la suite, le Off travaille toujours au montage de ses grands projets : le camping artistique se cherche encore un lieu pour l’été (le pied de la tour CMACGM ou l’Estaque), et le festival Phocéa Rocks devrait s’inviter dans les garages de la rue Consolat… Il est aussi question d’une exposition d’art contemporain dans une piscine municipale, et même d’une grande fête dans une station de métro… Ce serait un joli coup, pour cette capitale « underground ».
LE BANQUET DE PLATON
Le 11 janvier, 19h 34, bd National, Marseille 1er - Tarif : 1€
WWW.
marseille2013.com
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LE J1
J1
MAISON AVEC VUE… SUR LE LARGE C’est un monstre d’acier et de béton posé sur les quais de la Joliette. Rénové pour l’année 2013, le J1 accueillera de grandes expositions dans sa partie terminale. Mais pour y parvenir, il faudra d’abord cheminer à travers les différents espaces de l’Atelier du large, où tout un chacun est invité à créer et même à exposer ses œuvres, comme un vrai artiste. Par Sandro Piscopo-Reguieg
© Akram BELAID
J » pour « Joliette ». « 1 », car à l’origine, ils étaient cinq : J0, J1, J2, J3, J4. Edifiés en 1930 sur les quais du port - « peut-être sur des plans de Castel », nous dit-on -, ces hangars maritimes ont été démolis entre 1998 et 2006. Du J4 ne reste que le nom, désignant aujourd’hui cette grande esplanade où Mucem et Villa Méditerranée seront bientôt inaugurés. Seul bâtiment à avoir été conservé (avec le J0, juste en face), le J1 a gardé sa vocation portuaire : il fait aujourd’hui office de gare maritime pour les voyageurs arrivant ou débarquant de Tunisie et d’Algérie. En 2013, les bateaux continueront d’accoster de part et d’autre de cette monumentale architecture industrielle. Le J1, interface entre ville et port, constitue un lieu symbolique de l’ancrage méditerranéen de la capitale culturelle. C’est bien pour cette raison que, dès 2008, l’association Marseille-Provence 2013 a tenu à l’investir avec l’ambition d’en faire le futur « centre névralgique » des festivités (voir encadré p. 36). Grâce à un accord avec le Grand port maritime de Marseille (GPMM), le deuxième étage du J1, en partie inutilisé, sera mis à disposition de l’association durant toute l’année capitale. Quatorze mois de travaux et près de 8, 3 millions d’euros (4,4 M. par le GPMM, 3,9 M. cofinancés par l’Etat, la ville, la région et MP2013) auront été nécessaires pour rénover cette imposante friche et la métamorphoser en un centre culturel « populaire et convivial ». Désormais munie d’une vaste aire d’exposition, de trois galeries, d’un restaurant et d’une librairie-boutique, la « maison de MP2013 » ouvrira ses portes le 12 janvier. Une maison avec vue… sur le large. Tous acteurs. L’entrée s’effectue par le futur boulevard du Littoral, à deux pas de la place de la Joliette. Là, un ascenseur nous mène directement au deuxième étage, sous la grande charpente métallique, où se déploie un plateau de plus de 6 000 m2. On peut diviser les lieux en deux parties bien distinctes : tout au fond, un espace de 2 600 m2 est réservé à l’exposition Méditerranées, des grandes cités d’hier aux hommes d’aujourd’hui (voir pages suivantes). Pour y par-
L’ATELIER DU LARGE EST DÉDIÉ AUX PROJETS ARTISTIQUES IMPLIQUANT LA PARTICIPATION D’AMATEURS - JEUNES OU VIEUX, DOUÉS OU PAS venir, le visiteur devra d’abord cheminer à travers « l’Atelier du large » et ses innombrables propositions, toutes dédiées aux projets artistiques impliquant la participation d’amateurs. Il s’agit, en somme, de « rendre le spectateur, acteur de la capitale ». On connaît la formule. Au J1, elle se verra très concrètement mise en pratique. De plusieurs façons. L’Atelier du large s’organise autour d’une longue coursive centrale : de chaque côté, on croise galeries ouvertes et petits espaces clos. Ces derniers, au nombre de deux, accueillent le studio photo, où tout un chacun pourra venir se faire tirer le portrait puis repartir avec son cliché, et l’atelier graphique mené par l’association Fotokino. Ici, on dessine, on colle, on crée, en compagnie de graphistes professionnels. « On ne s’adresse pas spécifiquement au jeune public, l’idée, c’est mélanger les genres et mélanger les gens, précise Jean-Pierre Moulères, chef de projet chez MP2013. Il poursuit : Il ne s’agit absolument pas de faire de la pédagogie, mais plutôt de la création. » L’affaire est d’importance. « On veut justement montrer qu’il n’y a pas ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. A partir de ce qu’il est, chacun peut composer quelque chose qui a une valeur en déployant son savoir-faire et son savoir-être. » Cette philosophie, Jean-Pierre Moulères l’applique à l’ensemble des projets conçus pour l’Atelier du large. On pourra le vérifier au sein des trois galeries, situées face aux ateliers. Tous photographes. Dans la galerie des Quais, seront présentés une dizaine de projets nés d’ateliers participatifs menés par des écoles ou des associations. La galerie La Jetée sera quant à elle réservée à de jeunes artistes ayant choisi 8e art magazine
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© Philippe Piron
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INTERFACE ENTRE VILLE ET PORT, LE J1 CONSTITUE UN LIEU SYMBOLIQUE DE L’ANCRAGE MÉDITERRANÉEN DE LA CAPITALE CULTURELLE
de travailler autour du thème de la photo de famille. Entre les deux, se trouve l’espace d’exposition principal, réservé au projet emblématique de l’Atelier du large : la galerie des Chercheurs de Midi. C’est là que seront montrées les photographies réunies suite à la grande collecte lancée début 2012 par MP2013 auprès de tous les habitants des Bouches-du-Rhône : réalisées avec un téléphone portable, un Reflex numérique, ou un appareil jetable, réussies ou pas, les images ainsi rassemblées sont censées constituer un immense « portrait fragmenté du territoire ». Une idée de Jean-Pierre Moulères. « Lorsqu’on m’a demandé de travailler sur des projets participatifs impliquant un grand nombre de personnes, la photo m’a paru évidente. On en fait tous, on en a tous à la maison… La photo, ça concerne tout le monde. De fait, suite à la collecte, on en a reçu plus de 5 000. Et ça continue ! » Rassemblées en trois catégories - « portraits », « usages », et « paysages », « soit l’ensemble des pratiques de la photographie » -, elles feront l’objet d’autant d’expositions d’ici le mois de mai. En janvier, on commencera ainsi par découvrir 300 paysages maritimes, champêtres ou urbains (voir notre portfolio p. 90 à 100), sélectionnés par Moulères et son équipe. « Ce qui nous intéresse, ce n’est pas la qualité de la photo, mais la qualité du regard. Les photos ratées, je prends ! » Alors qu’on discute, notre œil est immanquablement attiré par les façades vitrées du J1, laissant apparaître une vue - sublime - sur la mer et la digue du Large. A quelques mètres de nous, un ferry vient 36
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PAS DE CLIM’, PAS DE J1 ? Il a longtemps été présenté comme le futur QG de la capitale culturelle : « Un lieu de rendez-vous majeur conjuguant expositions, accueil des artistes, informations des publics, soirées populaires, relations publiques », pouvait-on lire en 2008 dans le dossier de candidature de MP2013. C’est finalement le Pavillon M, édifié par la Ville de Marseille sur la place Villeneuve-Bargemon, qui assumera ce rôle. Car, entre temps, l’association MP2013 a dû revoir ses projets. L’année dernière, on apprenait en effet que le J1 serait fermé de mai à octobre 2013, soit durant toute la saison touristique. bien que l’aménagement du J1 ait été décidé en 2008, on se serait rendu compte quatre ans plus tard qu’il ne pouvait être climatisé. Les coûts auraient été beaucoup trop importants pour ce lieu éphémère, dont nul ne sait ce qu’il deviendra l’année prochaine. clim’, serait une fournaise, affirme-t-on du côté de chez MP2013. Au GPMM, on chuchote pourtant que l’argument est exagéré... A vrai dire, rigueur budgétaire oblige, MP2013 a peut-être tout simplement profité de ce coup de chaud pour faire des économies.
d’accoster. Immense et majestueux. On pourrait presque le toucher. On défie quiconque de ne pas être subjugué par le spectacle. D’ailleurs, un banc a été installé ici, en fin de parcours. Comme une invitation à se laisser bercer par le dernier paysage de l’exposition.
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Place de la Joliette, Marseille, 2e - Entrée libre
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mp2013.com
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C’est Byzance. Photogramme extrait du court-métrage d’animation réalisé par Dimitri Stankowicz (voir p.41).
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EXPOSITION
MÉDITERRANÉES
L’ODYSSÉE DES
MÉDITERRANÉES
De Troie à Marseille en passant par Tyr, Athènes, Alexandrie, Rome, Al-Andalus, Venise, Gênes, Istanbul, Alger et Tunis, l’exposition Méditerranées, des grandes cités d’hier aux hommes aujourd’hui, fait étape dans tous les temps et tous les lieux, pour nous conter, sous la conduite d’un « Ulysse contemporain », une histoire vraie. Par Sandro Piscopo-Reguieg
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es Arabes l’appellent « mer blanche du milieu ». Probablement par ironie, note l’écrivain Tahar Ben Jelloun, pour qui la Méditerranée serait plutôt « rouge et agitée », du sang et des conflits qui n’ont jamais cessé de consumer les terres qui bordent cette mer au « bleu magnifique ». Blanche, rouge, bleue… La Méditerranée est multiple, insaisissable. Rive sud et rive nord, Orient et Occident, mondes grec, latin, chrétien, ou musulman ; son ambivalence s’exprime aussi bien dans ses paysages que dans les cultures et civilisations qui s’y sont façonnées au gré des échanges, pacifiques comme conflictuels. « Puisqu’elle est mille chose à la fois, Méditerranées ne peut s’écrire qu’au pluriel », résume Yolande Bacot, commissaire d’une exposition tout aussi plurielle, car elle ambitionne de nous mener « des grandes cités d’hier aux hommes aujourd’hui ». Et ce, en passant par 8e art magazine
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MÉDITERRANÉES
© Institut du Monde Arabe
EXPOSITION
tous les temps et tous les lieux : Troie, Tyr, Athènes, Alexandrie, Rome, Al-Andalus, Venise, Gênes, Istanbul, Alger et Tunis, Marseille... Plus de 3 500 ans d’histoire, racontés en onze étapes, onze villes portuaires, onze « Méditerranées ». L’histoire. C’est dans le hangar du J1, bâtiment situé sur les quais du port - entre terre et mer -, que le scénographe Raymond Sarti a recréé, sur près de 2 600 mètres carrés, une Méditerranée faite de containers. Assemblés, découpés, superposés, aménagés, repeints, ces containers seront autant de « boîtes au trésor » qui accueilleront les 171 objets et œuvres d’art qui constituent le cœur de l’exposition : chefs-d’œuvre de la statuaire antique, manuscrits médiévaux, toiles de maîtres… Chaque étape, chaque ville, aura son lot de pièces prestigieuses, prêtées par les musées et institutions des quatre coins de la Méditerranée. A Troie, entre deux amphores attiques, on contemple un émouvant fragment de sarcophage représentant Ulysse embrassant son père Laërte (IIe siècle av. J.-C.) ; à Tyr, parmi vases, perles et statuettes, des tablettes d’argile portent les premiers témoignages de l’écriture alphabétique que nous ont légués les Phéniciens (1600-1100 av. J.-C.) ; à Rome, mosaïques, amphores, ainsi qu’un monumental buste de
Al-Andalus. Astrolabe « carolingien » dit Destombes, XIe siècle.
l’empereur Auguste évoquent le temps où la « mare nostrum » était unie autour d’une culture et d’un art de vivre communs (Ier- IIIe siècle) ; à Al-Andalus, manuscrits, astrolabe et globe céleste symbolisent les lumières de la culture arabo-andalouse (IXe-XIIe siècles) ; à Gênes, des tableaux de la Renaissance font revivre les grandes figures du XVIe siècle comme Charles Quint, François 1er ou encore l’amiral Andréa Doria, dont on découvre le visage sur une toile anonyme présentée pour la première fois. Enfin, à Marseille, aquarelles, dessins et peintures nous donnent à voir les visages de ces « négresses » et autres « Arabes » issus des colonies qui, aux XIXe et XXe siècles, convergeaient vers la « Porte de l’Orient », alors quatrième port mondial. Un remarquable buste de Charles Cordier, La Capresse des colonies, à la peau de bronze et au réalisme confondant, constitue la pièce majeure de l’étape marseillaise. 40
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© Musée Benaki, Athènes
3 500 ANS D’HISTOIRE, RACONTÉS EN ONZE ÉTAPES, ONZE VILLES PORTUAIRES, ONZE « MÉDITERRANÉES »
Troie. Ulysse et Laërte, IIe siècle av. J.-C. Fragment de sarcophage en marbre.
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Al-Andalus, l’Orient en Occident. Photogramme extrait du court-métrage d’animation réalisé par Sylvain Derosne.
UNE EXPO ANIMÉE A chaque étape du parcours his- la e naissance de l’alphabet à Tyr, Rome et la civilisation de « l’otium », la torique de l’exposition, un courtmétrage aussi drôle qu’inventif fait revivre l’iconographie propre à la période évoquée : tablettes phéniciennes, mosaïques romaines, enluminures médiévales, tableaux de la Renaissance ou affiches de grandes compagnies maritimes marseillaises, s’animent sous nos yeux pour nous « raconter »
IV croisade menée par Venise, l’invention du capitalisme moderne par les Génois, la Marseille coloniale… Si l’esthétique est ludique, le commentaire reste, lui, toujours très sérieux. Ces petits bijoux d’animation ont été réalisés par Paul Bourgois et un collectif de sept jeunes réalisateurs issus de l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris.
Marseille est une belle ville. Photogramme extrait du court-métrage d’animation réalisé par Paul Bourgois.
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© Brian Griffin
EXPOSITION
© Brian Griffin
Les poses sont guerrières. Les regards, em- DOCKERS VS CONTAINERS retour au réel. « Dans un univers où l’humain plis d’une certaine émotion. Entre « supers’efface derrière la marchandise », Griffin s’est héros » et « Dieux du stade », ce sont les dockers du hub de Fos-sur- intéressé à ces labyrinthes de containers, qu’il restitue « avec des couMer, que le photographe britannique Brian Griffin a magnifié dans la leurs désaturées pour montrer leur côté froid, sans vie, sans sève ». série Retour à quai, qui conclut l’exposition. En effet, après le parcours Par contre, pour Matthieu, Alain, Johan, Nicolas et les autres dockers historique en onze étapes, cette douzième séquence, fruit d’une com- ayant accepté de se prêter au jeu, le photographe a choisi le noir et mande passée par MP2013, s’intéresse « à l’envers du décor de notre blanc « afin de représenter symboliquement quelque chose qui fera société mondialisée et consumériste ». Un Retour à quai, comme un bientôt parti du passé ».
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Ulysse. Fil rouge de l’exposition, un Ulysse contemporain va de port en port pour venir à la rencontre des Méditerranéens d’aujourd’hui. Un film de Malik Bensmaïl découpé en dix séquences de cinq minutes.
METTRE EN PERSPECTIVE PASSÉ ET PRÉSENT, HISTOIRE ET ACTUALITÉ Cette histoire de la Méditerranée envisagée du point de vue des échanges, des déplacements et des grandes cités portuaires qui en furent les pôles, accorde une place toute particulière à la navigation. Chaque étape du parcours s’ouvre ainsi par une maquette ou un objet d’époque représentant une embarcation caractéristique de la période évoquée : trière athénienne, galère vénitienne, galion espagnol, chebec ottoman, barquette marseillaise… Car la Méditerranée peut se concevoir comme un ensemble de routes maritimes. Et les bateaux qui la sillonnent, comme autant de « vecteurs de civilisations ». Le présent. « Comment sommes-nous devenus Méditerranéens ? Qu’est-ce qu’être Méditerranéen aujourd’hui ? En d’autres termes, de quoi sommes-nous les héritiers ? » Yolande Bacot nous avoue s’être trouvée face à « un abyme de perplexité » lorsqu’elle a commencé à s’interroger sur les enjeux que devait soulever l’exposition d’ouverture de la capitale culturelle. En effet, pour que ce panorama des civilisations méditerranéennes soit vraiment complet, il fallait mettre en perspective passé et présent, histoire et actualité. « La Méditerranée est actuellement en pleine reconfiguration, explique la commissaire. Il était donc nécessaire d’entendre, par exemple, des Egyptiens ou des Tunisiens nous exposer les enjeux auxquels sont confrontés leurs pays. Pour cela, nous avons imaginé une fiction autour du personnage d’Ulysse.
Non pas l’Ulysse homérique, mais un Ulysse contemporain qui, de nos jours, voyagerait dans les lieux qui correspondent aux étapes historiques que nous avons retenues. » A chaque séquence de l’exposition, un court métrage de cinq minutes (mis en scène par le réalisateur Malik Bensmaïl) montre les pérégrinations de cet Ulysse des temps modernes (interprété par Manolo du Théâtre du Centaure) qui devient ici un harraga, du nom que l’on donne en Afrique du Nord aux migrants clandestins. De port en port, à Athènes, Beyrouth, Rome, Istanbul et partout où il fait halte, il recueille les paroles de ses contemporains qui lui diront leurs espoirs ou angoisses face aux réalités d’un monde qui se réinvente : crise économique, flux migratoires, révolutions arabes… Une façon de raconter les Méditerranées d’aujourd’hui.
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Du 12 janvier au 18 mai J1, place de la Joliette, Marseille, 2e (5-9 €)
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LA FRICHE BELLE DE MAI
FRICHE LA BELLE DE MAI
OPÉRATION PANORAMA La Friche poursuit sa mue. En charge de la réhabilitation du site depuis 2001, l’architecte Matthieu Poitevin vient de livrer les Magasins, la Tour et le Panorama. Soit de nouveaux locaux pour les 70 associations résidentes de cette « fabrique artistique », ainsi que de nouveaux espaces d’exposition à la mesure des ambitions de ce pôle dédié à la création contemporaine, sans équivalent à Marseille. Par Emmanuelle Gall
‘‘Architecte frichier’’, comme on dit ‘‘bouchercharcutier’’, c’est-à-dire, artisan de l’architecture. » Ainsi se présente Matthieu Poitevin, 47 ans. L’homme qui déclare remporter des concours parce qu’il est « moins cher que les autres » a le sens de l’humour, de la formule et de la provocation. Digne héritier en cela de son père, Christian Poitevin, alias le poète et performer Julien Blaine. Chez les Poitevin, la Friche est d’ailleurs une affaire de famille. En 1992, le père, alors adjoint à la Culture (de Robert Vigouroux, maire de Marseille de 1986 à 1995, NDLR), confie à des artistes l’ancienne manufacture de tabac de la Seita, fermée depuis peu. Dix ans plus tard, le fils y réalise ses premières « performances » d’architecte, à la demande de Jean Nouvel, puis de Patrick Bouchain, les deux maîtres d’ouvrage successifs du projet. Depuis 2003, Matthieu Poitevin (avec son agence ARM Architecture) a d’abord transformé la Cartonnerie en salle de spectacle, puis installé les fameux Algécos colorés, signé le restaurant Les Grandes tables, ainsi que le skatepark et, plus récemment, la crèche, dans l’ancien réservoir à eau. Aujourd’hui, « l’architecte des bâtiments de la Friche », comme il aime à se définir, livre les Magasins, la Tour et le Panorama : un chantier à 23 millions d’euros. Après dix-huit mois de travaux, les premiers accueillent déjà les résidents de la Friche et les seconds sont prêts pour l’exposition Ici, ailleurs, l’un des premiers grands événements programmés dans le cadre de Marseille-Provence 2013. Inauguration le 12 janvier.
LE PANORAMA EST LE « POINT D’EXCLAMATION » DE LA FRICHE !
Magasins pour résidents. Depuis l’été dernier, la majorité
Poitevin, qui marche aussi vite qu’il parle, on débouche sans s’en rendre compte dans la « Tour », nom de baptême inadéquat pour désigner cette grosse bâtisse en fonte et meulière du XIXe siècle. Les associations qui l’occupaient ayant déménagé, elle abrite désormais des salles d’expositions sur cinq niveaux, soit une surface totale de 4300 m2. Ici, l’architecture intérieure est on ne peut plus sobre : dalle
des 70 associations hébergées à la Friche ont commencé à investir leurs nouveaux ateliers, bureaux ou studios, aménagés dans les anciens magasins de la manufacture, jusquelà réduits à l’état de parkings. La métamorphose est telle qu’on a du mal à reconnaître les lieux : le bâtiment de 125 mètres de long et 75 de large est devenu, aux yeux de l’archi44
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tecte, un véritable petit quartier, avec ses rues et ses espaces publics. « C’est un projet qui s’est fait à l’envers, explique Matthieu Poitevin. D’habitude on vient construire des murs pour emprisonner la lumière, ici on fait des trous pour la faire entrer. » Au fil de la visite, on peut constater que certaines associations comme Le Dernier cri ou Astérides ont déjà pris possession des lieux. Plus loin, on aperçoit les nouveaux locaux de la compagnie du chorégraphe Georges Appaix… Quand certains résidents ont déjà sorti les chaises longues, d’autres ont obturé leurs fenêtres, et certains critiquent encore l’enduit des façades, trop grossier à leurs yeux. De quoi faire râler l’architecte, sans pour autant entamer son enthousiasme : il est habitué à frayer avec ces locataires exigeants, « qui entretiennent une relation affective et possessive avec les lieux ». Tour et Panorama pour les œuvres. En suivant Matthieu
© ARM Architecture
Chantier. Les cinq étages de la Tour (à gauche) accueilleront des expositions d’art contemporain, tout comme le Panorama, cube blanc de 475 m2 posé sur les Magasins, où ont été relogées les associations résidentes de la Friche.
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© ARM Architecture
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3 QUESTIONS À...
ALAIN ARNAUDET, directeur de la Friche la Belle de Mai
« D’HABITUDE ON VIENT CONSTRUIRE DES MURS POUR EMPRISONNER LA LUMIÈRE, ICI ON FAIT DES TROUS POUR LA FAIRE ENTRER »
de ciment, gaines apparentes… Les plateaux, aujourd’hui transformés en labyrinthes pour la scénographie de l’exposition Ici, ailleurs (voir pages suivantes), pourront changer de fonction au gré des projets. Depuis le quatrième étage, on accède au toit-terrasse de 7500 m2 : une « place publique » avec vue à 360 degrés sur Marseille et la mer. C’est l’une des fiertés de Matthieu Poitevin, tout comme le Panorama : un cube blanc de 475 m2 posé en porte-à-faux sur le toit des Magasins, réalisé en bardage industriel recouvert de polycarbonate blanc, « parce qu’on n’avait pas un rond » (le coût est inférieur à 700 € le mètre carré). Avec une hauteur sous plafond de 14 mètres, le volume va permettre de présenter des œuvres monumentales qu’aucun autre musée marseillais n’aurait pu contenir. Seule véritable nouvelle construction du chantier, puisque les autres opérations relèvent de la requalification, il est, selon l’architecte, « le point d’exclamation », « le phare » du site. Translucide, le Panorama illuminera les nuits de la Belle de Mai.
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41, rue Jobin, Marseille, 3e
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Décrivez-nous cette Friche nouvelle… De nouveaux espaces d’exposition, une crèche pour les habitants du quartier (et de Marseille), un accueilbilletterie, une librairie, une terrasse splendide sur le toit… Tout cela sera prêt pour le mois de janvier. Puis viendront une aire de jeu pour les enfants et des jardins ouvriers au printemps, deux nouveaux théâtres en octobre, et l’Institut méditerranéen des métiers du spectacle en 2014. La Friche est vivante et en mouvement ; c’est très réjouissant ! Jusqu’ici, les expositions étaient souvent gratuites, quelle sera votre politique dans ce domaine ? Je ne suis pas favorable à la gratuité de la culture. Je suis pour son accessibilité, ce qui n’est pas pareil. Le prix d’entrée de chaque exposition ne sera pas élevé et il y aura bien entendu des tarifs réduits et la gratuité pour certains publics, notamment les plus jeunes. Les expos seront ouvertes du mardi au dimanche de 13h à 19h avec une nocturne les vendredis. A l’heure des révolutions arabes, l’exposition Ici, ailleurs est en prise avec l’actualité brûlante. Comment abordez-vous les polémiques ou débats qu’elle pourrait susciter ? J’espère bien qu’elle va susciter débats et polémiques ! La création contemporaine parle du monde en mouvement et aborde, souvent avec une certaine impertinence, voire une certaine virulence, les questions politiques, sociales, économiques… Le Caravage, Malevitch ou les Fauves ont en leur temps déchainé les passions…
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EXPOSITION
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Youssef Nabil. Self-portrait, Marseille 2011 (dĂŠtail)
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REGARDS SUR LA MÉDITERRANÉE D’AUJOURD’HUI
A l’heure des révolutions arabes, 38 artistes posent un regard sur le monde méditerranéen à travers une centaine d’œuvres contemporaines venues des quatre coins du Bassin. L’exposition inaugurale de Marseille-Provence 2013 a valeur de manifeste. Par Emmanuelle Gall
Production Marseille-Provence 2013 © ADAGP Paris 2012 / Courtesy of the Artist and Nathalie Obadia Gallery, Paris/Brussels.
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ux yeux de ses concepteurs, MP2013 sera « euroméditerranéenne » (ou ne sera pas). Alors, pour inaugurer dignement l’année capitale – et la nouvelle Friche de la Belle de Mai –, ils ont rêvé d’une grande exposition d’art contemporain, en parallèle à l’exposition historique proposée au J1 (voir p. 38). L’occasion non seulement de renforcer la coopération artistique entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, quasi inexistante aujourd’hui, mais aussi, à plus long terme, de faire de Marseille une véritable plateforme d’échanges culturels.
POUR QUE CETTE EXPOSITION PUISSE FAIRE DATE, ELLE DOIT ÊTRE CAPABLE DE RIVALISER SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Lorsque Juliette Laffon est arrivée dans la cité phocéenne, en septembre 2010, avec le titre de conseillère pour les arts plastiques auprès de Bernard Latarjet (alors directeur général de MP2013, NDLR), elle s’est retrouvée face à un cahier des charges pour le moins conséquent. La conservatrice parisienne, qui a longtemps travaillé au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, s’est fixé un double objectif : évoquer la Méditerranée d’aujourd’hui et avec ambition. Car, pour que cette exposition puisse faire date, elle doit aussi être capable de rivaliser sur la scène internationale. Ainsi, parmi les trente-huit artistes sélectionnés, la très grande majorité jouit d’une large reconnaissance dans le monde de l’art. Aux côtés des « stars » (Annette Messager, Sarkis, Orlan, Yannis Kounellis…), figurent des artistes moins réputés en 8e art magazine
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Production Marseille-Provence 2013 © Kader Attia, courtesy collection privée et Gallerie Krinzinger, Vienne, ADAGP Paris 2012
EXPOSITION
Kader Attia. Following the modern genealogy, 2012
France, mais dont les œuvres ont déjà été présentées dans de grandes manifestations d’art contemporain, telles la Documenta de Cassel ou les biennales d’Istanbul et de Sharjah.
« L’EXPOSITION N’A SOUFFERT D’AUCUNE CENSURE »
38 artistes, d’ici et d’ailleurs. Pour autant, la commis-
saire se défend d’avoir voulu proposer « un panorama de la création contemporaine dans le Bassin méditerranéen », et ce, bien que l’expression soit employée ici et là pour définir cette exposition. Présenté comme tel aux artistes, le projet n’aurait pas emporté leur adhésion, à une époque où rares sont ceux qui se définissent en termes d’identité nationale ou régionale. Nomades, les créateurs d’aujourd’hui ne vivent pas toujours dans leur pays de naissance et revendiquent davantage une expression individuelle de portée universelle. Originaires de Beyrouth, Gaza, Casablanca ou Istanbul, ils travaillent à Paris, New York ou même Marseille, comme Ymane Fakhir et Yazid Oulab. Ce qui ne les empêche pas de parler de leurs origines ou d’exil. La commissaire d’exposition a d’ailleurs privilégié, dans sa sélection, des artistes qui travaillent autour des notions de voyage, de déracinement, de rapport à l’autre : « Le titre, “Ici, ailleurs”, rappelle que l’on est toujours d’ailleurs et que l’on évoque sans doute mieux ses racines dès lors que l’on est ailleurs, que l’on jouit de la distance nécessaire. » Si la doyenne de l’exposition, la 50
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Libanaise Etel Adnan, a aujourd’hui 87 ans, les artistes choisis sont en majorité nés dans les années 60-70. Et parmi eux, certains, comme Zineb Sedira ou Kader Attia, sont des enfants français de parents immigrés. Portant sur la scène de l’art contemporain les questions identitaires de leur génération, sur un mode sensible, ils invitent la société française à se poser un certain nombre de questions qu’elle préfère souvent éluder. On se souvient ainsi qu’une vidéo de Zineb Sedira, dans laquelle sa mère évoque sa vie pendant la guerre d’Algérie et prononce le mot « Harkis », avait été censurée à Vallauris en 2010, avant de tomber malencontreusement en panne à Marseille, l’année suivante… Enfin, l’exposition va également permettre de découvrir, en France, le travail d’artistes qui ont vécu, en direct, les
Production Marseille-Provence 2013 en collaboration avec la galerie Carlès Taché, Barcelone ©Andres Suner courtesy of the artist
EXPOSITION
Javier Pérez, Virgo Mater, 2012 ICI, AILLEURS
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Production Marseille-Provence 2013 © Inci Eviner / Courtesy of the artist and Galeri Nev Istanbul, 2012
EXPOSITION
Inci Eviner. Nursing Modern Fall, 2012
révolutions arabes. C’est le cas de l’Egyptienne Lara Baladi. Très impliquée dans les événements de la place Tahrir, elle a modifié en cours de route son projet pour l’exposition : « Au départ, elle avait imaginé réaliser une boule de neige, métaphore de la fin de l’Egypte ancienne, explique Juliette Laffon. Son œuvre sera finalement une ceinture de chasteté en fer forgé, monumentale, intitulée La liberté viendra. »
« L’ÉGYPTIENNE LARA BALADI VA PRÉSENTER UNE CEINTURE DE CHASTETÉ EN FER FORGÉ, MONUMENTALE, INTITULÉE ‘‘LA LIBERTÉ VIENDRA’’ »
Paroles. Comme Lara Baladi, les deux tiers des artistes
Mais c’était le prix à payer pour concevoir une exposition à la fois vivante et inédite, « au spectre thématique et formel très large » et qui, assure Juliette Laffon, « n’a souffert d’aucune censure ».
ont créé une œuvre ou une série d’œuvres pour Ici, ailleurs. Une façon, pour la commissaire, de les inciter à s’impliquer davantage. « Il n’était pas question de demander aux artistes d’illustrer une thématique, je voulais leur donner la parole, à chacun, afin de leur offrir la possibilité de réaliser une œuvre répondant à leur nécessité du moment. » Un parti pris rare, qui suppose des budgets de production conséquents, une certaine confiance entre les différents partenaires et, disons-le, qui oblige à naviguer à vue. « Beaucoup ont pu faire le voyage à Marseille et visiter la Friche. Nous avons construit l’exposition ensemble, au gré des propositions et des revirements éventuels », raconte la commissaire qui se félicite de la latitude dont elle a pu bénéficier, tout en reconnaissant les difficultés matérielles que cela a entraînées, en terme de communication et de circulation des œuvres. 52
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Du 12 janvier au 31 mars Friche la Belle de Mai, Tour-Panorama 41, rue Jobin, Marseille, 3e (3-6 €)
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Production Marseille-Provence 2013 © Sébastien Normand, 2012
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Mona Hatoum. Cellules (détail)
L’ART EN CAGE Pour marier le métal et le verre, Mona Hatoum a travaillé à la fois avec l’entreprise de métallurgie et chaudronnerie aubagnaise Arnoux, et avec le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (CIRVA), basé à Marseille. Elle y a réalisé huit structures en forme de cage, à taille humaine, contenant chacune une ou plusieurs bulles de verre rouge soufflé à la main, déformées par l’empreinte des barreaux qui les contiennent. Des cœurs, des organismes piégés, mais semblant prêts à se glisser hors de leur prison ? Née dans une famille palestinienne contrainte de s’exiler à Beyrouth, puis à Londres, l’artiste a le sens de la métaphore. Elle aime à traduire la violence, la guerre et l’oppression dans des formes apparemment inoffensives.
ARTISTES D’AILLEURS, CRÉATIONS D’ICI Parmi les 38 artistes participant à l’exposition Ici, ailleurs, certains ont conçu leurs œuvres à Marseille, Aubagne, ou Salon, dans le cadre des Ateliers de l’Euroméditerranée. Gros plan. Par Emmanuelle Gall
Production Marseille-Provence 2013 - Production déléguée Les Écrans du Large © Zineb Sedira - archive Baudelaire / Fond Detaille
MÉMOIRES DU PORT
Révélée au public marseillais par une rétrospective présentée au MAC en 2010, Zineb Sedira y montrait déjà un film, Middle Sea, tourné entre les ports d’Alger et de Marseille. Elle y est retournée, en résidence cette fois, entre octobre 2011 et mai 2012, puis cet été, pour réaliser une nouvelle installation vidéo à partir d’archives, comme de ses rencontres avec des salariés et des retraités. La question de la mémoire est au cœur de sa démarche artistique. Plusieurs de ses vidéos confrontent les mémoires individuelles et collectives, les souvenirs et l’Histoire. Il semble que le port de Marseille, par où a transité sa famille en provenance d’Algérie dans les années 60, soit pour elle une source intarissable d’inspiration puisqu’elle vient également d’y réaliser une série de photographies pour une exposition programmée au J1 en novembre.
Zineb Sedira. Port de mémoires
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Waël Shawky, The Path to Cairo
LES CROISADES VUES D’AUBAGNE
MON TEXTE, LE SAVON Entre avril et juin 2012, l’artiste palestinien Taysir Batniji a séjourné à la savonnerie Marius Fabre (Salon-de-Provence) pour y créer une sculpture intitulée L’Homme ne vit pas seulement de pain #2. Réalisée en pains de savon de Marseille dans lesquels l’artiste a gravé des lettres, l’œuvre cite l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » En 2007, pour une première version de la pièce, Taysir Batniji avait fait mouler cette citation en chocolat suisse. Deux matériaux éphémères, voués à la disparation, au gré des aléas de l’histoire…
Production Marseille-Provence 2013 © Mohamed Bourouissa Courtesy Galerie Kamel Mennour et Mohamed Bourouissa
Taysir Batniji, L’Homme ne vit pas seulement de pain #2 (détail)
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LES HOMMES DU XXIE SIÈCLE Mohamed Bourouissa a installé un camion équipé d’un scanner et d’une imprimante 3D en face du Pôle Emploi de la Joliette. De janvier à mai 2012, il a proposé aux demandeurs d’emploi de poser pour lui… Ces derniers se sont ainsi vus représentés sous forme de figurine en résine polyester d’une dizaine de centimètres. Inspiré par le photographe allemand August Sander, qui a publié dans les années 1920, Les Hommes du XXe siècle, un livre rassemblant des portraits d’hommes et de femmes classés par archétypes sociaux, Mohamed Bourouissa entend donner une statue – et un statut – à « des gens qui ne sont pas visibles, qui n’ont pas d’existence dans notre société, qui sont laissés à la marge, car ils n’ont pas de travail ». Mohamed Bourouissa. L’Utopie d’August Sander
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Production Marseille-Provence 2013 © Taysir Batniji / Courtesy de la galerie Sfeir-Semler et galerie Eric Dupont / ADAGP Paris 2012
Production Marseille Provence 2013 © Ludovic Alussi
Projet pharaonique, le film de Waël Shawky est le fruit de plusieurs collaborations. Pour réaliser cette adaptation – pour marionnettes – de l’ouvrage d’Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, l’artiste égyptien a travaillé à Aubagne avec des santonniers et des céramistes professionnels, mais aussi avec des étudiants des métiers du son de la SATIS, qui ont participé au tournage du film dans la chapelle des Pénitents noirs. L’œuvre, qui questionne par le biais d’un cabaret de marionnettes les motivations socio-économiques des prétendues « guerres saintes », a déjà remporté un vif succès à la prestigieuse Documenta (13) de Cassel et au FID de Marseille, l’été dernier.
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LE BUSTE DU RHÔNE, UN IMPOSTEUR ?
FALLAIT-IL RENDRE Après avoir conquis Arles, puis le Louvre, le « buste de César » s’attaque cette année à Marseille : il sera exposé durant près de trois mois aux ABD Gaston Defferre. Si cette pièce archéologique fascine les foules, certains scientifiques ont de sérieux doutes : pour eux, on se serait un peu trop rapidement empressé de rendre à César ce qui ne lui appartenait pas… Décryptage. Par Sandro Piscopo-Reguieg
Putain, mais c’est César ! » Le cri du cœur de Luc Long résonne encore dans l’esprit de tous ceux qui, depuis ce jour d’octobre 2007, se pressent pour étudier la découverte de l’archéologue et confirmer - ou non - cette identification pour le moins spontanée. En effet, ce n’est que quelques instants après avoir sorti des eaux du Rhône « cette belle, puissante et expressive tête de marbre », qui reposait au fond du fleuve depuis plus de deux millénaires, que Luc Long y a reconnu le visage du vainqueur des Gaules... Comme une évidence. « Ensuite, nous avons consulté les plus éminents spécialistes de la statuaire antique afin d’être certains qu’il s’agissait bien d’un portrait de Jules César, rapportait un peu plus tard Michel L’Hour, directeur du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM), en charge des fouilles. A l’unanimité, les chercheurs ont confirmé l’authenticité du portrait. » L’information, longtemps gardée secrète, pouvait donc être officialisée. Par la ministre de la Culture elle-même. Le 13 mai 2008, Christine Albanel annonçait ainsi que « la plus ancienne représentation connue de Jules César » avait été découverte à Arles. Une nouvelle qui, aussitôt, fait le tour du monde : partout, on se prend de passion pour « le vrai visage » de César. Rarement une pièce archéologique aura suscité un tel emballement médiatique. Pourtant, très vite, certains chercheurs émettent des doutes : on se serait un peu trop rapidement empressé de rendre à César ce qui ne lui appartenait pas forcément... Débat. Parmi les sceptiques, le directeur de l’Institut ar-
chéologique allemand de Rome, Paul Zanker. Une référence. Il affirme que ce buste n’est pas un portrait de Jules César, mais celui d’un anonyme qui aurait souhaité être représenté selon les traits du dictateur. Un pavé dans la mare… De plus, Paul Zanker n’est pas isolé. Beaucoup le rejoignent pour contester la thèse « officielle ». Si bien que la communauté scientifique apparaît, dès lors, divisée. « Un certain nombre 56
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de chercheurs - entre 60 et 80 % d’entre eux (sic) - considère qu’on a là un véritable portrait de César, mais d’autres, tout aussi respectables, estiment que ce n’est pas le cas », résume Claude Sintes, le directeur du musée de l’Arles antique, qui voit toutefois « davantage de raisons sérieuses de penser qu’il s’agit bien de César. » N’allez surtout pas lui dire qu’il en va de son intérêt, le buste du Rhône ayant rejoint les collections de son musée. « Je suis avant tout archéologue ! Le musée d’Arles est un lieu de sciences, nous devons la vérité à ceux qui viennent chez nous. » Soit. Au musée de l’Arles antique, le cartel du buste désigne un « portrait présumé de César ». A vrai dire, le seul élément qui permettrait de trancher définitivement la question serait la découverte du socle du buste. « S’il s’emboîte avec la tête et qu’une inscription y mentionne le nom de César, alors on aura la preuve absolue, explique Claude Sintes. Mais il n’y a qu’une chance sur un million pour qu’un jour, on retrouve ce socle ! » En attendant, ne restent qu’hypothèses… Que nous allons tenter de résumer. Pro-César. Les « partisans de César » attirent d’abord notre
attention sur les monnaies représentant le dictateur (de profil), frappées quelques mois avant son assassinat : seuls supports associant une effigie, une légende et une titulature, elles constituent d’utiles sources d’identification pour les
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© S.P-R
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chercheurs. « La ressemblance entre le César du Rhône et les portraits visibles sur les monnaies ne fait pas de doute, juge Sintes, qui reconnaît la même calvitie naissante, une pomme d’Adam développée, les trois rides très marquées au niveau du cou, et une fossette supra-thyroïdienne, caractéristique rare qu’on ne rencontre que chez une personne sur 25 000. Ce qui correspond aussi à la description qu’avait faite Suétone. » Ainsi, « personne ne remet en cause le fait que le buste du Rhône ressemble à César, même ceux qui estiment qu’il ne s’agit pas de César ! » L’autre argument des « pro-César » est qu’il s’agit là… d’un chef d’œuvre. « C’est un portrait d’une extrême qualité, visiblement réalisé par un artiste très habile, de très haut niveau, qui plus est, avec un marbre provenant de loin, de Phrygie, dans l’actuelle Turquie. » Lorsque l’on sait que la colonie d’Arles avait été créée en 46 av. J.-C. par un certain Jules César, « il n’est pas irréaliste de penser que ces Arlésiens de la première heure aient souhaité honorer leur ancien général, alors maître de Rome, par un portrait qu’ils auraient exposé dans l’espace public », avance Claude Sintes, rejoint par son
confrère Daniel Roger, conservateur au Louvre : « Il est vrai que cette pièce est singulière par sa qualité. Ce devait déjà être un objet très rare à l’époque, réalisé pour une personnalité qui devait être exceptionnelle pour cette jeune colonie. Qui pouvait être cette personne, durant cette période, à Arles, à part César, son fondateur ? » La démonstration est habile, on a envie d’y croire… Mais d’autres ont des arguments. Au moins tout aussi convaincants. Anti-César. Comment identifier et dater un portrait an-
tique ? Ici, pas de carbone 14, pas d’ADN : les chercheurs ont défini une méthodologie reposant sur l’examen rigoureux de l’ensemble des sources disponibles, soit les différentes représentations d’un même homme. Se rapporter seulement aux monnaies n’est donc pas suffisant. Il est nécessaire, aussi, de confronter le buste du Rhône aux autres portraits sculptés du dictateur afin de comparer leurs caractéristiques physionomiques et typologiques et dégager - ou non - des correspondances. Dans le cas de César, les sources ne sont pas légion : il n’existe qu’une dizaine de portraits sculptés, tous réalisés 8e art magazine
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Le buste de Turin.
Le buste de Chiaramonti.
après sa mort (voir encadré). Ils reproduisent de manière très précise deux types iconographiques (qui ont chacun fait l’objet de copies trait pour trait, mèche à mèche). « Or le portrait du Rhône ne reproduit aucun de ces deux types, observe Emmanuelle Rosso, maître de conférences à l’Université de Paris IV - Sorbonne. Il a certes des traits césarisants, mais les ressemblances sont trop génériques… » Cette spécialiste en archéologie et en histoire romaine, chef de file des sceptiques, a rédigé plusieurs articles très remarqués sur le sujet. Elle nous résume son hypothèse : « Comme la tête du Rhône n’est pas une réplique des types connus et assurés, et que beaucoup de simples particuliers ressemblent tout autant à César que lui, il est méthodologiquement plus prudent et statistiquement plus probable que l’on soit en présence d’un exemple de ‘‘visage d’époque’’, et donc du portrait d’un membre des élites arlésiennes ou même d’un magistrat de l’époque d’Auguste. » A l’instar de l’Allemand Paul Zanker, Emmanuelle Rosso suppose que le buste du Rhône pourrait avoir été commandé par un notable local ayant souhaité reprendre l’allure de César. C’est ce que les historiens nomment « visage d’époque » : un phénomène de mimétisme très en vogue durant cette période. Pour les pro-César, cette thèse n’est pas recevable. Car à la fin de la République, « il n’y avait pas, à Arles, de classe sociale assez riche ou de personnalité suffisamment puissante pour être susceptible de se payer un tel marbre et le meilleur sculpteur de Rome », comme l’exprime Claude Sintes. C’est l’argument majeur. Mais là encore, Emmanuelle Rosso n’est pas du tout d’accord. « Premièrement parce que le marbre du Dokimeion n’est pas un grand marbre statuaire 58
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particulièrement recherché, ensuite parce qu’on a conservé des inscriptions de bases de statues qui montrent par exemple que des Arlésiens de l’époque d’Auguste pouvaient ‘‘s’offrir’’ des statues en bronze, qui étaient beaucoup plus coûteuses. Par ailleurs on sait que plusieurs familles arlésiennes étaient particulièrement influentes et opulentes et avaient des possessions et des intérêts en Asie Mineure, d’où vient le marbre... (…) On est tout de même dans une colonie romaine d’une province très anciennement et très profondément romanisée, Arles n’est pas une bourgade reculée... » Convictions. Si pour les sceptiques, le buste du Rhône pré-
sente bien trop de disparités avec les deux types de portraits connus pour pouvoir légitimement être attribué à César, les partisans de l’identification ne s’avouent pas vaincus pour autant : ces différences s’expliqueraient tout simplement par le fait que le buste du Rhône est antérieur à la création de ces types. Il aurait été réalisé entre la fondation de la colonie
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© Rémi Bénali
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TROIS PORTRAITS, UN MÊME HOMME ?
Il n’existe qu’une dizaine de portraits sculptés assurés de Jules César, se rapportant tous à deux modèles initiaux, dont ils reproduisent les traits et la coiffure : le buste de Turin, réalisé peu avant (ou peu après) la mort du dictateur, et celui de Chiaramonti, portrait idéalisé créé quelques années plus tard, au début du règne d’Auguste. Pour identifier le supposé « César d’Arles », il faut donc le comparer à ces deux « têtes de séries » afin de relever d’éventuelles correspondances. Mais force est de constater que le buste du Rhône n’appartient à aucun de ces deux groupes. Si le type de Turin présente un visage long, un nez droit et des pommettes hautes et saillantes, le portrait du Rhône a, lui, un visage plus large, des joues aplaties et un nez busqué. Quant au type de Chiaramonti, ses traits rajeunis, sa frange et son léger rictus ne se retrouvent guère dans l’effigie arlésienne. Enfin, différence essentielle, la forme de la tête est beaucoup plus ronde sur le buste du Rhône que sur les autres représentations. Pour les sceptiques, ce n’est donc pas le même homme… Même si ces derniers reconnaissent un certain « air de famille » liant le personnage d’Arles aux autres portraits. Le buste du Rhône.
d’Arles (46 av. J.-C.) et la mort du dictateur (44 av. J.-C.). C’est pourquoi il est présenté comme « la plus ancienne représentation connue de Jules César », la seule créée de son vivant. Une « pièce unique », qui ne peut nullement être rattachée à une quelconque série. « Mais si c’est une pièce unique, on ne peut formuler à son sujet de raisonnement scientifique, qui ne peut être, en archéologie, que fondé sur des comparaisons ou des croisements entre différentes sources », rappelle Emmanuelle Rosso, avant de poursuivre sa démonstration : « On ne peut reconnaître quelqu’un que si on le connaît : si on a une pièce unique, qui ne ressemble pas vraiment aux autres, comment être sûr qu’il s’agit bien de lui, quand sa physionomie a été la plus imitée de son temps ? Ce n’est plus un problème d’archéologie ou d’histoire de l’art, c’est une question de pure logique. » Quid de la datation invoquée par les partisans de César ? « Pour eux, prouver que ce portrait est antérieur à 44 av. J.-C. est la seule condition pour que l’identification soit défendable. Or il est impossible d’arriver honnêtement à une datation aussi précise. Pas un spécialiste d’histoire de l’art ne vous dira qu’on peut donner à partir du style une fourchette plus précise qu’une vingtaine ou au mieux une quinzaine d’années (…) Ce portrait n’échappe pas à la règle : il ne se date pas entre 46 et 44, à moins de postuler par avance que c’est César. Il se date entre l’époque de César, dont il imite les traits, et le début de l’époque augustéenne qui commence immédiatement après. Donc il se place, si on veut être honnête, entre 50 et 30, ou entre 45 et 25. Le reste, c’est de la foi, de la croyance, de la conviction, de l’intuition, mais pas un raisonnement scientifique. » Les propos sont durs. Mais Rosso
est visiblement remontée : « L’hypothèse des pro-César me semble davantage guidée par un a priori qu’à un raisonnement historique et scientifique. (…) L’identification, présentée comme une intuition immédiate, a précédé toute étude. On a posé l’identification, et ensuite on a cherché à la justifier a posteriori. » Flemming Johansen, Christian Goudineau, Paolo Moreno et les autres « éminents spécialistes » ayant examiné le buste du Rhône après sa découverte auraient-ils été influencés par l’intuition de Luc Long ? L’emballement médiatique qui a suivi l’annonce de la ministre de la Culture a-t-il rendu impossible toute marche arrière ? Alors que le débat faisait rage (du moins, entre les spécialistes) l’exposition César, le Rhône pour mémoire, présentée d’octobre 2009 à septembre 2010 au musée de l’Arles antique, a battu tous les records, attirant 400 000 visiteurs (contre 80 000 entrées annuelles en moyenne). Face à un tel engouement, la rigueur scientifique invoquée par les sceptiques paraît bien impuissante.
CÉSAR ET LES SECRETS DU RHÔNE
Du 12 janvier au 23 mars ABD Gaston Defferre 18, rue Mirès, Marseille, 3e (3-5 €)
WWW.
culture-13.fr
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PATRIMOINE
LA STATION SANITAIRE POUILLON
MUSÉE REGARDS DE PROVENCE
PROCHAIN ARRÊT, STATION POUILLON La Fondation Regards de Provence investira son nouvel espace muséal au mois de février. Son écrin ? La station sanitaire dessinée en 1948 par l’architecte Fernand Pouillon afin de prévenir les risques d’épidémie à Marseille. D’ici quelques semaines, elle va propager la culture provençale dans toute la ville. Par Antoine Pateffoz
L
e mistral s’infiltre partout. Il faut dire que l’ancienne station sanitaire Pouillon est en travaux. La visite laisse un goût de poussière, d’embruns, et des oreilles en berne. Mais les fuites devraient être rapidement colmatées car les 12 et 13 janvier 2013 (lors du weekend d’ouverture de l’année capitale), le rezde-chaussée sera accessible au public, avant mise à feu effective le 10 février. Avec ce musée, Regards de Provence s’offre un espace triplé par rapport à son ancien lieu : 1 200 m2 de salles d’exposition (sur 2 300 au total). Active depuis 1998, la Fondation promeut « le patrimoine artistique et culturel de Marseille, de la Provence et de la Méditerranée, passé et contemporain ». Cela au travers de 43 expositions présentées au Château Borély (de 1998 à 2004) et au Palais des Arts (place Carli) depuis 2005. Désormais implantée face au môle J4, à deux pas de la Major, voisinant avec le Mucem et la Villa Méditerranée, elle se retrouve en plein cœur du nouveau pôle culturel édifié sur le littoral marseillais, au carrefour d’Euroméditerranée et de Marseille-Provence 2013. Pierre Dumon, président de la Fondation, est ainsi plutôt optimiste quant à sa future fréquentation, encouragé en cela par les pronostics de son puissant voisin, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée : « Nous tablions sur 70 - 80 000 visiteurs par an, mais l’équipe du Mucem nous conseille de multiplier ces prévisions par deux. » Le grand musée national ambitionne en effet les 250 000 visiteurs annuels. De quoi permettre à la Fondation de faire connaître encore davantage sa vaste collection de peintures provençales des XIXe et XXe siècles à travers les expositions qui rythmeront l’année 2013 (voir interview p. 62). De ce fait, elle écrira un nouveau chapitre - inattendu - de l’histoire du lieu. Etrange destinée en effet que celle de la station sanitaire. Ce bâtiment dit « prophylactique », conçu en 1948 par l’architecte Fernand Pouillon et ses collègues Champollion et Egger (que l’on a un peu tendance à oublier), était destiné
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« NOUS TABLIONS SUR 70 - 80 000 VISITEURS PAR AN, MAIS LE MUCEM NOUS CONSEILLE DE MULTIPLIER CES PRÉVISIONS PAR DEUX »
à accueillir voyageurs et immigrants au départ et à l’arrivée des voies maritimes et aériennes, afin de diagnostiquer les éventuels cas suspects risquant de provoquer une épidémie - notamment de peste, choléra, variole, fièvre jaune et typhus. Marseille a en effet subi plusieurs fléaux de ce type tout au long de son histoire. Afin de s’en prémunir, on avait construit, aux XVIIIe et XIXe siècles, des lazarets pour désinfecter les voyageurs, un port de quarantaine au Frioul, ainsi que l’hôpital Caroline. La Station sanitaire s’inscrivait dans cette lignée. Machine. « Réalisation architecturale de grande qualité,
pensée comme une réponse fonctionnelle à la question de la lutte sanitaire », la station Pouillon permettait l’accueil et la désinfection des passagers, le dépistage et la prise en charge des malades. Les architectes ont tenté de contrebalancer le côté « machine de contrôle » sanitaire - avec ses douches et chambres à gaz, résonnant sinistrement en 1948 -, s’efforçant de travailler l’hospitalité et le confort. Finalement la station sanitaire n’a que très peu fonctionné. « Son rôle restera limité à la prise en charge de personnes vivant dans des conditions insalubres ; la chambre à gaz recevra surtout des matelas. » Entretenue jusqu’en 1970, elle sera ensuite laissée à l’abandon.
PATRIMOINE
LA STATION SANITAIRE POUILLON
De la ruine au musée. A l’abandon depuis les années 1970, promise à la démolition, la station sanitaire est sauvée in-extremis en 2009 grâce à la mobilisation d’un comité de sauvegarde. Edifié en 1948 par l’architecte Fernand Pouillon, ce bâtiment labellisé Patrimoine du XXe siècle abrite désormais le musée de la Fondation Regards de Provence, qui ouvrira ses portes en février 2013.
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LA STATION SANITAIRE POUILLON
© Jean Bernard
PATRIMOINE
3 QUESTIONS À...
PIERRE DUMON, président de la Fondation Regards de Provence.
ENTRETENUE JUSQU’EN 1970, LA STATION POUILLON SERA ENSUITE LAISSÉE À L’ABANDON
Promis plusieurs fois à la destruction dans les années 2000 (malgré son label « Patrimoine du XXe siècle »), le bâtiment a été épargné grâce à l’action d’un comité de sauvegarde et à la Fondation Regards de Provence, qui a habilement mené sa barque dans sa quête d’un lieu pérenne, en y installant ce qui sera l’un des plus importants équipements culturels privés de la région. Mais avant cela, il a fallu sérieusement déblayer. Voiture calcinée, détritus en tous genres, murs tagués et recouverts de suie… La station n’a plus grand-chose de prophylactique lorsque Pierre Dumon et son équipe y pénètrent en 2010. Mais, à la lueur des lampes-torches, les volumes qu’ils découvrent éveillent instantanément leur attention. Désormais, les travaux, entamés en décembre 2011 vont bon train. De l’ancienne station, redessinée par les architectes Guy Daher et Thierry Durousseau, subsisteront quelques vestiges : des escaliers, un bout de carrelage et, surtout, les étuves, sorte de machines à laver. C’est d’ailleurs ici, dans la « salle des étuves », que la Fondation présentera, dès son ouverture, une exposition dédiée à la Mémoire de la station sanitaire…
MUSÉE REGARDS DE PROVENCE
1 rue Vaudoyer, Marseille, 2e 04 91 42 51 50
WWW.
museeregardsdeprovence.com 62
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Comment avez-vous acquis la station sanitaire et quel est le coût de l’opération ? Nous visions auparavant les voûtes sous la Major. En 2010, nous avons obtenu un accord de principe, mais nous avons refusé car le contexte avait changé : le musée se serait retrouvé au milieu du futur espace commercial… Puis Euroméditerranée nous a proposé la station. Rachetée à l’Etat (qui voulait s’en débarrasser), elle nous a été revendue au même prix (10 000 euros) en janvier 2011. Le coût des travaux s’élève à 4,2 millions d’euros pour la partie musée (financés à 65 % par la Fondation et ses partenaires privés, à 20 % par les collectivités locales, le reste par le mécénat d’entreprise). Et 2,2 millions d’euros sont amenés par la Fondation et ses partenaires pour la partie commerciale. Comment se présente le musée ? Nous disposerons de trois salles d’exposition principales (190 m2 au rez-de-chaussée, 350 m2 et 190 m2 au 1er étage), auxquelles s’ajoute la salle des étuves, ainsi qu’une boutique, une librairie, un restaurant et une grande terrasse de 100 m2 couverte et vitrée. Qu’allez-vous y montrer ? Dans la salle des étuves, une exposition permanente racontera l’histoire du lieu (avec film, photos, etc.), du contrôle sanitaire, de la peste, des lazarets… Le rez-de-chaussée accueillera des œuvres de notre collection, en commençant par l’expo inaugurale (du 15 février au 17 mai 2013), Reflets de Méditerranée. L’étage supérieur abritera du 6 juin au 6 octobre l’exposition Cassis, port de la peinture au tournant de la modernité (1845-1945). Enfin, du 25 octobre 2013 au 24 février 2014, une exposition sera consacrée à La Provence, ses artistes et ses auteurs.
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RENCONTRE
AGNÈS VARDA
AGNÈS VARDA
« À MARSEILLE , JE M’AMUSE ! » C’est en plein mois de novembre que nous avons croisé Agnès Varda dans les rues de Marseille. Elle a accepté, pour nous, de se prêter au petit jeu de l’interview… Elle s’amuse, Agnès… Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg
Qu’êtes-vous venue faire à Marseille ? Dans le cadre de Marseille-Provence 2013, le conseil général des Bouches-du-Rhône m’a passé une commande en vue d’une exposition dans sa galerie d’Aix-en-Provence. J’ai proposé un double projet : pour le premier, qui sera une vidéo, j’ai voulu jouer avec « les Bouches-du-Rhône ». On verra donc une grande image du Rhône, que j’ai filmé en hélicoptère, et aussi, des bouches ! Pour le second, qui sera un projet photographique (car l’idée est de pouvoir faire circuler ces images dans tout le département), j’ai décidé d’aller dans les quartiers et d’y faire des portraits de groupes. Par exemple, à la Rose, j’ai apporté des roses. Et on les offrait aux gens, après qu’ils aient posé avec. Pareil à la Pomme, où j’ai apporté des pommes ; à La Criée, où tous les gens sont en train de crier, ainsi qu’au Panier, au Merlan, au Cabot... On joue, hein ! Je n’ai rencontré que des gens gentils, vraiment aimables, gracieux. Mais avec moi, tout le monde est gentil… Pourquoi ce choix ? La photographie est souvent triste et vide. Il y a une mode de la photo « inhabitée »… Je me suis dit que si je faisais une dizaine de photos de groupes, j’allais faire venir 150 personnes dans cette galerie. Il y aura donc beaucoup de monde à cette exposition… Au moins sur les images ! Et ça me fait très plaisir ! Ce travail se situe dans la tradition du portrait de groupe, mais en se basant sur les noms amusants des quartiers… On est allé au Cabot pour trouver des chiots ! On joue sur les mots, mais vous savez, la poésie, c’est le plaisir des mots. Vous n’avez donc pas photographié la ville ? Mais c’est pas la ville, ça ?! Il y a la ville et il y a ceux qui sont dedans. A Marseille, j’ai choisi de m’intéresser aux personnes, aux habitants de sept ou huit quartiers. J’ai voulu jouer sur le sourire qui permet d’amener des pommes à la Pomme. Je me suis amusée... Mais je m’amuse toujours dans ce que je fais. Même dans les choses tristes. Et quand vous arrivez avec des pommes à la Pomme et que vous demandez aux gens de venir poser, on nous répond (elle mime l’accent marseillais) : « C’est rigolo votre idée, c’est sympathique ! » 64
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« IL Y AURA BEAUCOUP DE MONDE A CETTE EXPOSITION… AU MOINS SUR LES IMAGES ! »
Comment trouviez-vous vos « modèles » ? C’est mon métier ! J’ai été documentariste, photographe… Je leur parle, je leur explique ce que je fais. J’ai rencontré des Marseillais de conditions différentes, d’âges différents, qui ne se connaissaient pas, mais qui étaient regroupés par mon choix. On fait la photo, on prend leurs noms, leurs adresses, et après, s’ils veulent bien, on leur envoie des tirages de leurs photos. C’est une gentillesse minimale, une sorte de minimum syndical de la gentillesse envers les gens qui sont gentils avec nous. Au Panier, on est allés dans une épicerie, avec des paniers pleins de nourriture. Là, des gens m’ont dit qu’ils avaient vu une photo que j’avais prise dans le quartier, autrefois… Mais je ne m’en souvenais plus, c’était il y a cinquante ans ! Quels sont les souvenirs qui vous lient à Marseille ? Ma grand-mère était une demoiselle Fraissinet, une famille très marseillaise, de la grosse bourgeoisie locale : ils étaient dans les assurances, les bateaux… Mais elle a épousé un pasteur protestant. Il lui a fait douze enfants, dont ma mère. J’aime venir dans cette ville, j’aime les gens du Midi. Je me souviens avoir passé ici quelques jours, en 1939, en famille, vers le port. Le 1er septembre, ma mère m’avait envoyé acheter des tomates et sur le chemin du retour, en passant devant le quai des Belges, j’entends que la guerre est déclarée. Maintenant, je ne peux plus passer à cet endroit sans me rappeler ce moment.
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Julia Fabry © ciné-tamaris
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© Agnès Varda
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La terrasse du Corbusier. 1956
Racontez-nous l’histoire de cette photographie prise sur la terrasse de la Cité radieuse, dans les années 50… C’était en 1956, j’étais envoyée par la revue Réalités pour photographier l’immeuble de Le Corbusier qui, alors, était relativement récent. La Cité radieuse, je trouvais ça formidable ! A l’époque, la réflexion portait sur ces immeubles avec beaucoup de gens : on se demandait ce qu’il fallait faire pour que cela reste vivable… Et dans la Cité radieuse, il y avait des magasins, une crèche, un petit théâtre, un gymnase, et bien sûr, la terrasse, où se déroulaient des spectacles… La réflexion sociale de Le Corbusier fait partie de son talent. En 1956, j’ai donc fait cette photo sur la terrasse… J’y suis d’ailleurs revenue cette année pour photographier les « citoyennes radieuses » de cette Cité radieuse.
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« J’AI VOULU JOUER SUR LE SOURIRE QUI PERMET D’AMENER DES POMMES À LA POMME. »
aura duré huit jours. La première avait eu lieu en octobre.
Cette photo de 1956 vous a aussi inspiré un autre projet, que l’on verra lors de votre exposition à la Galerie d’art du conseil général… Il y a trois ou quatre ans, en regardant les personnages de cette image, je me suis demandée : qui étaient ces gens ? Que faisaient-ils là ? J’ai donc inventé une petite fiction de quatre minutes, qui pourrait être ce qui a amené cette photo. Au fond, c’était peut-être deux familles qui se rencontraient. J’ai essayé d’imaginer ce qui suit le moment magique que Cartier-Bresson appelle « l’instant décisif ».
On vous avait d’ailleurs croisé à la Vieille Charité lors du vernissage de l’exposition de Bernard Plossu… Qu’en avez-vous pensé ? Je suis fidèle aux gens que j’ai connus il y a longtemps. Mais cela ne veut pas dire que je suis fanatique de tout ce qu’ils font. On ne peut pas dire que l’exposition de Plossu regorge de vitalité et de population. Mais il est un photographe de la finesse, du coup d’œil silencieux ; il apporte une grisaille, qui est le contraire du Marseille rigolard, souriant et ensoleillé. Il nous fait découvrir une ville à rebours de l’image habituelle, officielle, touristique. Il a fait le choix d’habiter un Marseille, absent, brumeux… C’est particulier, mais intéressant.
Combien de temps avez-vous passé à Marseille pour travailler sur cette commande ? J’ai fait deux semaines discontinues, mais bien pleines ! Aujourd’hui (le 15 novembre, NDLR), je finis la seconde, qui
Qu’avez-vous vu d’autre durant ce séjour marseillais ? Je suis allée voir une exposition à la savonnerie du Fer à cheval, dans les quartiers nord. Une installation d’un jeune artiste, Luc Dubost. Je ne le connaissais pas mais cette exposition
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© Agnès Varda
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Citoyennes radieuses sur la terrasse de la Cité radieuse. 2012
m’a fait plaisir… J’aime découvrir de nouveaux artistes, j’en découvre tout le temps ! Dans mon grand âge, j’ai au moins gardé ça : la curiosité. Tiens, ce soir, je vais assister au nouveau spectacle de Macha Makeïeff, je la suis depuis les Deschiens. Ce qu’elle fait à La Criée est magnifique : ce théâtre est devenu un lieu de rendez-vous où l’on se retrouve pour manger avant ou après les spectacles… Vous savez, la culture ce n’est que de l’échange. Comment percevez-vous l’événement Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture ? C’est une grande chose pour Marseille. D’abord pour les chantiers et tous les événements culturels proposés, dont je ne suis qu’un tout petit maillon. C’est une incroyable opportunité pour cette ville, de se faire remarquer, au bon sens du mot, de se faire apprécier dans sa diversité et de casser un peu cette image... C’est vrai qu’il y a des problèmes ici. Les problèmes d’une jeunesse qui n’a pas de travail et qui n’est pas éduquée… Vous n’avez pas envie de prendre un peu de repos, parfois ? Il y a des gens de mon âge qui savent encore travailler, bien sûr... Mais peu gardent l’envie de s’exciter sur ce genre de projet. Moi, je m’amuse à voir un projet se construire ! Mais en même temps, photographier des gens, c’est très sérieux, ce n’est pas juste de la rigolade. Il est vrai que je suis fatiguée, physiquement. Mais j’aime tellement ce que je fais… C’est si magnifique de transmettre des images, des films, des paroles… En ce moment, pour ce projet, je travaille non-stop ! Mais après Aix-en-Provence, c’est décidé, pas d’expo, je me calme un peu…
VARDA EN TOURNÉE Après Raymond Depardon en 2005 et Bernard Plossu en 2008, le conseil général des Bouches-du-Rhône poursuit sa politique de commandes artistiques à des cinéastes et photographes de renommée internationale avec cette carte blanche à Agnès Varda. Du 25 janvier au 17 mars 2013, une exposition présentera, à Aix-en-Provence, le fruit des pérégrinations de l’artiste dans les différents quartiers de Marseille ainsi que dans tout le département. « Ensuite, on fera tourner une partie de cette exposition dans les Bouches-du-Rhône, précise Véronique Traquandi, chargée de mission arts visuels au conseil général, à l’initiative du projet. Ce dispositif permet aux petites communes qui n’ont pas les moyens d’une telle commande d’approcher le travail de ces grands artistes. » Une partie des œuvres sera ensuite versée au fonds photographique des archives départementales.
AGNÈS VARDA EN BOUCHES-DU-RHÔNE
Du 25 janvier au 17 mars Galerie d’art du conseil général 21, cours Mirabeau, Aix-en-Provence 04 13 31 13 13 - Entrée libre
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VISITE
LE FRAC
FRAC PACA
PHARE DE L’ART CONTEMPORAIN A la Joliette, le nouveau bâtiment du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) compte parmi les chantiers les plus spectaculaires nés de la dynamique de Marseille-Provence 2013. Un « phare » à la façade recouverte de 1 500 pixels de verre, dont les lumières offriront une visibilité nouvelle à la création contemporaine. Par Emmanuelle Gall
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près le report de l’ouverture de la Villa Méditerranée, on apprenait, en décembre, celui de l’autre chantier porté par la Région PACA : le nouveau bâtiment du Fonds régional d’art contemporain (FRAC). Prévue pour janvier, son inauguration a été retardée au 22 mars, une date choisie en fonction des agendas de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti et du président du conseil régional, Michel Vauzelle. Les édiles auront ainsi l’occasion de faire d’une pierre deux coups et les grands travaux de la Région bénéficieront d’une bien meilleure visibilité que s’ils avaient ouvert leurs portes pendant le weekend d’ouverture de Marseille-Provence 2013 et ses multiples opérations portes ouvertes... Autre point commun entre la Villa Méditerranée et le FRAC : tous deux se revendiquent comme des chefs-d’œuvre de l’architecture contemporaine, avec des chantiers respectivement estimés à 70 et 25 M. d’euros. Conçue par Stefano Boeri, la première, tel un plongeoir immergé tourné vers le large, se distingue par une spectaculaire avancée en porte-à-faux. Tandis que le second, recouvert d’une enveloppe de plus de 1 500 « pixels » de verre dépoli, semble un vaisseau futuriste dont
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Enjeu. En plein cœur d’Euroméditerranée, le nouveau FRAC, dessiné par l’architecte japonais Kengo Kuma, a vocation à participer à l’animation d’un quartier d’affaires, pour l’heure, quelque peu désenchanté.
la proue regarde vers la tour de Zaha Hadid (CMA-CGM). Il est l’œuvre de l’architecte japonais Kengo Kuma, qui a remporté le concours en 2007, grâce à sa capacité à inscrire la totalité du cahier des charges sur une surface de 1 300 m2. Modeste, pour un équipement de ce type.
UN VAISSEAU FUTURISTE DONT LA PROUE REGARDE VERS LA TOUR CMA-CGM
1 500 Pixels. La parcelle dévolue à la construction du nou-
veau FRAC, située en cœur d’îlot urbain, entre le boulevard de Dunkerque et la rue Leblanc, n’a en effet pas facilité la tâche de l’architecte. Son emprise au sol s’avère assez faible par rapport à la surface globale du bâtiment : 5 400 m2 répartis sur neuf niveaux. Kengo Kuma, habitué à construire dans les très denses villes japonaises, est justement parti de cette contrainte : « La forme complexe de la parcelle m’a intéressé. Elle était tout à fait propice à la construction d’un bâtiment qui ne serait pas une boîte : très étroit et encerclé par des rues très vivantes. » Pour « retrouver la lumière des rues méditerranéennes, multipolaire et multi facettes », l’architecte a imaginé une façade habillée d’une multitude de « pixels » de verre (63 x 126 cm) aux degrés d’opacité différents et inégalement inclinés, de manière à fragmenter la réflexion du soleil. Débutée au CIRVA (le Centre interna-
tional de recherche sur le verre et les arts plastiques, situé à Marseille), la recherche préalable à la fabrication de ces pixels, problématique, n’est pas étrangère au retard pris par le chantier. Il a finalement fallu s’adresser à Emmanuel Barrois, artisan verrier de Haute-Loire, pour trouver la solution. Et il est certain qu’à l’avenir, cette façade « transparente » va marquer les esprits et devenir un symbole. « Nous avons pensé le bâtiment comme un signal dans la ville pour donner une visibilité à l’art contemporain », explique Kengo Kuma. Un parti pris qui réjouit Pascal Neveux, le directeur du FRAC, décrivant sa nouvelle maison comme « un véritable phare ouvert sur la ville », voué à « jouer un rôle majeur pour favoriser la rencontre entre le public et la création contemporaine ». 8e art magazine
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3 QUESTIONS À...
PASCAL NEVEUX, directeur du FRAC PACA
UN MUSÉE CONÇU COMME « LA MISE EN ESPACE DE RUES SUPERPOSÉES »
Musée sans murs. Il est vrai que, comparé au FRAC « historique », installé dans un ancien couvent du Panier depuis 1982, le nouveau bâtiment est exceptionnel, et pas seulement en terme d’image. Il dispose d’immenses réserves en sous-sol (plus de 1000 m2, situés à 19 mètres de profondeur), de quatre salles d’exposition (de 80 à 420 m2), dont un plateau expérimental équipé pour des présentations multimédias. S’y ajoutent un centre de documentation de 400 m2, deux studios de résidence pour les artistes invités, un vaste atelier pédagogique, et même un restaurant au rez-de-chaussée. Dès l’entrée, le visiteur ne peut qu’être impressionné par l’ampleur des volumes. C’était l’autre objectif de Kengo Kuma : réaliser « la version tridimensionnelle du “Musée sans murs” d’André Malraux », un musée conçu comme « la mise en espace de rues superposées ». Très marqué par sa visite de la Cité radieuse du Corbusier dans les années 80, l’architecte dit avoir été influencé par « cette expression nouvelle de l’architecture, très liée aux déplacements dans le bâtiment ». Et l’on se déplace en effet comme dans une ville du futur sur les passerelles qui relient les différents espaces « utiles » du FRAC, répartis entre la proue et le corps principal du bâtiment. Une ville de béton et de verre, d’une sobriété extrême. C’est l’une des marques de fabrique de l’architecte qui prône « l’effacement de l’architecture » et livrera, l’été prochain, le nouveau Conservatoire d’Aix-en-Provence.
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20, boulevard de Dunkerque, Marseille, 2e
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Prévue le 12 janvier, l’inauguration du FRAC a été reportée au 22 mars. Comment vivez-vous ce retard et êtes-vous confiant par rapport à cette nouvelle date ? On a effectivement eu quelques semaines de retard qui nous ont amenés à jouer la carte de la prudence et à procéder en deux temps : une ouverture sans exposition pour une découverte architecturale du bâtiment lors du week-end de lancement de la capitale, puis une inauguration officielle de la première exposition La Fabrique des possibles, le vendredi 22 mars. Quel impact ce retard aura-t-il sur la programmation, très dense, que vous avez prévue pour 2013 ? Elle ne subira aucune modification. Nous avons simplement ajusté notre nouveau calendrier, en ouvrant la première exposition en mars et programmant la suivante, consacrée à Yazid Oulab, entre fin mai et début juin. Hans Op de Beeck démarrera en septembre. Le projet Ulysses, se déclinant sur l’ensemble du territoire de MP2013, ne subit quant à lui aucun changement. Jusqu’à présent, le public avait accès au FRAC gratuitement quatre heures par jour. Quelle sera votre politique dans le nouveau bâtiment ? Nous travaillons sur une amplitude horaire du mercredi au samedi de 10h à 18h, le dimanche de 14h à 18h, et une nocturne le troisième jeudi du mois jusqu’à 21h. Le mardi sera réservé à l’accueil de groupes. L’autre changement, c’est la mise en œuvre d’une politique tarifaire très modique, avec de nombreux critères de gratuité et de tarifs réduits. L’objectif étant avant tout de fidéliser nos publics et de les accueillir dans les meilleures conditions, avec de nouvelles modalités d’accompagnement et de nouveaux outils pédagogiques.
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EXPOSITIONS
ULYSSES
ULYSSE EN PROVENCE Avec près de 70 expositions sur l’année, le projet Ulysses, porté par le FRAC, est une véritable Odyssée contemporaine à travers la région. Zoom sur les premières étapes d’un périple qui passera par la Camargue, le pays d’Aix, l’étang de Berre, le Var, le pays d’Aubagne, et Marseille. Ça commence tout de suite. Par Emmanuelle Gall
L
e retard pris par le chantier du FRAC et le report de son exposition inaugurale La Fabrique des possibles auront au moins eu le mérite de mettre en lumière l’autre vocation de cette institution. Créés en 1982 sous l’impulsion de Jack Lang, les Fonds régionaux d’art contemporain étaient en effet, dès leur naissance, destinés non seulement à constituer des collections, mais aussi à les diffuser à l’échelle de leur territoire. Ainsi, le FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur a tissé, au fil des années, une foule de partenariats avec des structures publiques ou privées dans les six départements qui constituent la région ; un périmètre qui dépasse donc largement celui de Marseille-Provence 2013. A l’occasion de la capitale culturelle, l’institution se devait d’imaginer un événement à la mesure de son rayonnement. Le mythe d’Ulysse tombait à pic. Au cœur de la logique méditerranéenne de Marseille-Provence, il est, pour le commissaire général de la manifestation, Pascal Neveux, un « formidable réservoir d’imaginaire » : « Matrice d’une grande partie de la littérature occidentale, texte à l’origine d’innombrables reprises, le voyage d’Ulysse permet des approches multiples et interdisciplinaires. Ce thème permet d’envisager différentes formes d’écritures artistiques et d’aborder nombre de notions à la fois culturelles, philosophiques, religieuses, spirituelles, politiques et sociales. » Concrètement, dès le week-end d’ouverture de Marseille-Provence 2013, vont successivement être inaugurées neuf « escales », thématiques ou géographiques (Marseille, Camargue, pays d’Aix, de Martigues, d’Aubagne, Var…), constituées chacune de plusieurs événements et expositions. Hatoum à Aubagne. Affichant une liste d’artistes com-
parable au générique d’une superproduction cinématographique, le projet Ulysses remporte la palme de la plus grosse manifestation d’art contemporain de Marseille-Provence 2013, avec sept vernissages prévus pour le seul mois de janvier. Le jeune artiste marseillais Rémy Rivoire ouvre le bal à l’Espace Prairial de Vitrolles, dès le 7 janvier, avec une installation de cordes noires baptisée Réseaux, inspirée du langage cartographique. Le 12 janvier, Mona Hatoum enchaîne à la chapelle des Pénitents noirs à Aubagne : l’artiste d’origine palestinienne a choisi d’exposer une trentaine d’œuvres sur les thèmes de l’exil, de l’identité et de la guerre, qui irriguent son travail depuis les années 80. Le même jour, à Aix-en-Provence, La Non-Maison lance une série d’expositions mensuelles au72
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tour du Marin de Gibraltar de Marguerite Duras, perçu par Michèle Cohen, la directrice de ce micro-centre d’art, comme « une version contemporaine du mythe d’Ulysse, revisité par une femme et un écrivain de génie ». Et c’est une autre femme, la photographe Françoise Nunez, qui inaugure ce projet. Le 13 janvier, à Arles, la chapelle Sainte-Anne accueille une installation de Barthélémy Toguo : l’artiste camerounais installé en France, rendu célèbre par ses créations monumentales évoquant les mouvements migratoires, a conçu une œuvre à l’échelle de la chapelle, intitulée Dérive(s).
LA PLUS GROSSE MANIFESTATION D’ART CONTEMPORAIN DE MP2013 Lieux insolites. De l’Espace Prairial à la chapelle Sainte-Anne,
la diversité des lieux et des propositions est extrême. Avec près de cinquante partenaires dans la région, le FRAC a réussi à fédérer autour d’un même projet, des structures traditionnelles de diffusion, mais aussi des lieux nettement plus insolites, tels l’Ordre des avocats de Marseille, le site archéologique Saint-Blaise ou la cave viticole du Château Calavon à Lambesc. Chacun s’est emparé de la thématique à sa façon. Pour Karina Bianchi, qui assiste Pascal Neveux dans la coordination du projet, « il était très important de laisser à nos interlocuteurs la possibilité de s’approprier le projet, voire de porter eux-mêmes le commissariat de leur exposition ». L’association MP2013 a versé une enveloppe globale de 750 000 euros pour le projet Ulysses, et chacun a participé selon ses moyens. « Nous avons mutualisé les budgets et chaque partenaire a reçu une subvention en proportion de son projet. Le FRAC assure en outre la communication et une partie de la logistique des expositions. » Un guide de 140 pages, recensant la totalité des propositions, devrait être diffusé dans tous les lieux partenaires. Indispensable pour ne pas se perdre sur les traces d’Ulysse.
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fracpaca.org
ULYSSES
© Jörg von Bruchhausen. Courtesy Galerie Max Hetzler, Berlin
EXPOSITIONS
Mona Hatoum, Globe, 2007.
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CIRQUE EN CAPITALES
FESTIVAL CIRQUE EN CORPS
2013, EN CORPS ET ENCORE
LE CIRQUE RESTERA-T-IL CAPITAL POUR MARSEILLE ? Premier temps fort de Marseille-Provence 2013, Cirque en capitales se déploie dans tout le département à travers plus de 200 représentations. Un nouveau festival a même été créé pour l’occasion dans la cité phocéenne : Cirque en corps, porté par la compagnie Archaos, compte bien s’installer durablement dans le paysage culturel local. Un défi insensé par ces temps de crise ? Guy Carrara en a vu d’autres… UtoPistes © Christian Ganet
Par Fred Kahn
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réer un festival de cirque de dimension internationale à Marseille ? L’exercice s’avère hautement acrobatique. Produire et diffuser du cirque coûte en effet très cher, surtout à l’échelle d’une grande métropole, qui plus est économiquement très pauvre. Comment un projet aussi ambitieux peut-il se développer alors même que dans les autres disciplines, les artistes et les opérateurs parviennent à peine à survivre ? Certes, un temps fort cirque est programmé dans le cadre de Marseille-Provence 2013. Mais, une fois la capitale européenne de la culture achevée, la dynamique impulsée sera-t-elle suffisante pour pérenniser un événement qui coûte plusieurs centaines de milliers d’euros ?
Rien n’est moins sûr. Pourtant, Guy Carrara, le directeur artistique de la compagnie Archaos, est persuadé que son festival « Cirque en corps » est né pour durer. Cet artiste a déjà relevé des défis paraissant impossibles. N’oublions pas qu’il a été à l’initiative de l’une des aventures artistiques les plus marquantes de la fin du XXe siècle. Guy Carrara fut en effet l’un des précurseurs du « nouveau cirque », qui a su métamorphoser une pratique poussiéreuse en un art extrêmement contemporain. Ces explorateurs (Archaos, mais aussi Cirque Plume, Cirque Baroque, Cirque Aligre, Zingaro…) ont pris bien des risques, avec pour seule fin, de prouver que les limites étaient simplement faites pour être dépassées. 8e art magazine
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FESTIVAL CIRQUE EN CORPS
© Johan Stomberg
CIRQUE EN CAPITALES
Cirkus Cirkör. Cette compagnie suédoise promet de changer le monde en “tricotant pour la paix”.
Flashback. En 1986, Guy Carrara a déjà bien bourlingué
quand il rencontre Pierrot Bidon, un saltimbanque - pour ne pas dire un marginal - qui, comme lui, trace la route avec roulotte et chevaux. Ensemble, ils vont créer la compagnie Archaos et faire entrer le cirque dans une autre dimension. The Last Show on Earth, Bouinas, BX-91, Metal Clown… Autant de jalons dans l’avènement d’une poésie « destroy » qui entremêlait les corps et les machines. Archaos deviendra rapidement l’une des plus grosses entreprises de cirque d’Europe. « En 1991, se souvient Guy Carrara, nous avions deux spectacles qui tournaient simultanément sur toute la planète. Tous les mois, nous éditions trois cents fiches de paie. Cette année-là, nous avons vendu pour l’équivalent de dix millions d’euros de billets. » Et visiblement, le public en avait pour son argent : « Nous inventions une enveloppe scénographique spécifique à chaque projet. Par exemple, pour 76
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CRÉER UN FESTIVAL DE CIRQUE À MARSEILLE ? L’EXERCICE S’AVÈRE HAUTEMENT ACROBATIQUE
Métal Clown, nous avions conçu une structure de soixante mètres de long sur quarante mètres de large. Elle était traversée par une rue goudronnée afin de permettre à des semiremorques d’entrer sur scène. Cent artistes de treize nationalités différentes participaient au spectacle. En tournée cela représentait un convoi de cinq kilomètres ! » On comprend mieux pourquoi l’implantation d’un festival (aussi ambitieux soit-il) à Marseille ne fait pas peur à Carrara. Mais ne
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FESTIVAL CIRQUE EN CORPS
© Di Stefania Ciocca
Karakasa Circus. Qui a dit que dans le cirque, on ne faisait pas marcher sa tête ?
le prenez pas pour autant pour un mégalomane. Archaos a petit à petit délaissé les formes monumentales pour se concentrer sur la recherche et la transmission. La compagnie a d’abord abandonné le chapiteau pour le spectacle en salle et, depuis, elle jongle beaucoup plus intimement avec le théâtre, la danse, les arts visuels ou la musique. Pierrot Bidon a quitté l’aventure et Raquel Rache de Andrade est devenue codirectrice artistique. Puis, en 2001, Archaos s’est implanté à Marseille et s’est doté d’une « maison » dans les quartiers nord : le Creac (Centre de recherche européen des arts du cirque) est rapidement devenu un lieu de résidence particulièrement prisé. Cet équipement, conçu par des artistes pour des artistes, répond aux exigences d’une profession un peu folle. Car ces gens-là ne sont pas tout à fait comme les autres. « Le cirque est une discipline extrêmement contraignante. Elle réclame une pratique quotidienne, explique Guy Carrara. Les artistes ne peuvent jamais tricher. Il faut s’exercer pendant dix ans, se faire vraiment mal au corps, avant de prétendre jouer son premier spectacle. Et tout ça pour quoi ? Pour quelques applaudissements. » Et comme la prouesse physique ne suffit pas à faire sens, le Creac se positionne aussi en tant que laboratoire de recherche ; une démarche indispensable au renouvellement des esthétiques. Le festival Cirque en corps s’inscrit dans la suite logique de ce travail. En 2013 ou jamais. La capitale européenne de la culture
était une opportunité à saisir. L’équipe de Marseille-Provence 2013 se devait de créer des événements nouveaux avec les forces vives du territoire. Or, le cirque à l’énorme
CES GENS-LÀ NE SONT PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES…
avantage de proposer des formes à la fois contemporaines et grand public. Cet art semble en effet particulièrement adapté à l’imaginaire populaire de la deuxième ville de France. MP2013 s’est donc approprié l’idée de Guy Carrara et a fédéré, sous l’intitulé « Cirque en capitales », un nombre assez considérable d’autres structures. A tel point que le projet d’Archaos se retrouve aujourd’hui quelque peu noyé au milieu d’une programmation pléthorique : plus de 200 représentations explorant toutes les esthétiques circassiennes, notamment l’univers du clown et de la magie. Que restera-t-il de toute cette profusion en 2014 ? Guy Carrara se dit tout à fait prêt à travailler avec les opérateurs du territoire. La dynamique de 2013 lui a déjà permis de constituer un « Pôle national des arts du cirque Méditerranée » avec le Théâtre Europe de La Seyne-sur-Mer (et son festival Janvier dans les étoiles). Cirque en corps bénéficie donc, dès sa première édition, d’un effet de synergie non négligeable. A terme d’ailleurs, les festivals varois et marseillais pourraient bien fusionner. Dès lors, pourquoi ne pas agréger, encore, d’autres énergies ? Nous n’en sommes pas encore là. Pour l’instant, le défi immédiat est de fédérer le grand public. Le succès de cette première édition sera déterminant pour la pérennité de Cirque en corps. 8e art magazine
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FESTIVAL CIRQUE EN CORPS
Morosov. Ou les sentiments fusionnels entre un porteur et sa voltigeuse.
Programme. A compter du 24 janvier, une quinzaine de
spectacles vont se succéder pendant un mois. A la Seynesur-Mer, d’abord, puis à Marseille, sur la scène du Creac et au parc Chanot (sous chapiteau). Certaines propositions seront présentées dans les deux festivals, mais chaque manifestation défend une ligne de programmation spécifique. Guy Carrara et Raquel Rache de Andrade se sont plus particulièrement focalisés sur le langage corporel. Ils nous invitent à découvrir des « corps de cirque » qui vont défier les lois de l’apesanteur, jongler avec les sentiments, glisser sur le fil de l’existence, se tordre et se contorsionner, pour trouver leur juste place dans le monde. Le festival débutera avec un spectacle interdit au moins de 16 ans : Rose de Cahin-caha. Gulko, directeur artistique de cette troupe marseillaise, aime par dessus tout les situations limites et l’hybridation des formes. Avec Rose, l’artiste d’origine américaine renoue avec l’esprit cabaret, c’est-à-dire « des lieux éphémères, indomptés, vitaux, car voués à disparaître ». Gulko nous promet même un retour à l’essence du cirque, « dangereux, courageux, sensuel et bouleversant ». Les autres propositions partagent le même souci de provoquer des émotions signifiantes. Les compagnies Anomalie (Marseille) et Dorina Fauer (Bruxelles) s’engagent même à mesurer l’amplitude de nos pleurs et de nos rires. La réunion de ces deux imaginaires devrait déboucher sur un dispositif spectaculaire mêlant approche scientifique, théâtre et acrobaties. Quant au Cirque InExtremiste, il se joue de nos peurs et nous invite à en rire. Il faut dire qu’au rayon délirant, Bertrand Landhauser et Yann Ecauvre sont de véritables virtuoses. Leur sens de l’équilibre est douteux, mais 78
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DES « CORPS DE CIRQUE » VONT DÉFIER LES LOIS DE L’APESANTEUR, JONGLER AVEC LES SENTIMENTS, GLISSER SUR LE FIL DE L’EXISTENCE, SE TORDRE ET SE CONTORSIONNER…
hilarant. D’ailleurs, signe des temps, un certain nombre de spectacles nous donnent à voir des univers où règne le désordre. Certains ont toutefois su bricoler des remèdes revigorants, à l’image de Karakasa Circus : cette troupe, qui réunit des artistes italiens, russes et roumains, saute allègrement au-dessus du malheur et danse euphoriquement avec la vie. Enfin, les tchèques de Cirk la Putyka ont, eux, poussé le risque jusqu’à l’accident… Toutes ces performances nous renvoient toujours à la même interrogation : qu’est ce que peut un corps ? Il ne s’agit bien évidemment pas de répondre, mais d’éprouver la question.
CIRQUE EN CORPS
Du 24 janvier au 24 février Créac – Parc Chanot, Marseille
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mp2013.fr
© Milan Szypura
CIRQUE EN CAPITALES
CIRQUE EN CAPITALES
SÉLECTION
CIRQUE EN CAPITALES
TOUR DE PISTE
Avec 50 spectacles et plus de 200 représentations, la crème des clowns, équilibristes, acrobates et magiciens va envahir la capitale culturelle durant tout un mois. Zoom sur quelques propositions à ne surtout pas manquer.
© Tom Neal
© Jean-Pierre Estournet
Par Fred Kahn
ACROBATES UTOPISTES
DANSE SUR LE FIL
Acrobate hors pair et poète de la scène, Mathurin Bolze investit le Théâtre de La Criée. Avec la complicité du collectif d’acrobates XY, il a conçu un long enchaînement de figures de voltiges. Ces « Utopistes » traceront un cheminement depuis le quai face à La Criée jusqu’aux fauteuils de la grande salle. Le tout rythmé par des improvisations musicales... Quelques jours plus tard, à Aix puis à Rousset, ce même Mathurin Bolze présentera A Bas Bruit, création aux frontières du cirque, du théâtre et de la danse. Une entreprise de détournement de tout un bric-à-brac d’objets, d’images et de sons pour faire le tour de nos mondes intérieurs…
Le Bal des intouchables ou une symphonie aérienne composée par des trapézistes, funambules, fildeféristes et autres musiciens-chanteurs. Tous ces corps en mouvement ridiculisent la violence d’une société qui n’accepte pas la différence. A la baguette, un équilibriste, Antoine Rigot. Ce dernier évolue en fauteuil roulant. Suite à un accident, il ne danse plus sur le fil. Mais cet empêchement n’a fait que décupler son refus de tout immobilisme de la pensée et des corps. On pense alors aux mots de Chesterton : « Si les anges volent, c’est parce qu’ils se prennent eux-mêmes à la légère. »
UTOPISTES
Les 24 et 25 janvier, 20h30, le 26 janvier, 20h, le 27 janvier, 17h. Festival Janvier dans les Etoiles, La Seyne sur Mer. Du 9 au 23 février, 20h30, les dimanches à 15h, relâche les lundis et jeudis. Théâtre du Gymnase hors les murs. Espace chapiteau du Parc Chanot, Marseille. 6-20 €.
Les 26 et 27 janvier, 18h30. Théâtre de La Criée, Marseille. 6-12 €. A BAS BRUIT
Les 1er et 2 février, 20h30, le 3 février, 15h. Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence. Les 6 et 7 février, 20h30. Salle Emilien Ventre, Rousset. 5-10 €.
LE BAL DES INTOUCHABLES
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CASCADE DE CATASTROPHES
Acrobate, danseur, comédien et musicien, Camille Boitel parle avec son corps. Une langue toujours en mouvement, universelle et à découvrir sous de multiples formes. Il nous offre ici plusieurs créations mêlant interventions, installations et autres débordements poétiques. L’Immédiat (photo ci-contre) porte bien son nom puisque ce spectacle est une ode à l’instant présent, une invitation à ne jamais regretter nos défaillances. Une cascade de catastrophes, un univers fragile et désuet, où personne ne maîtrise rien... Mais rarement accidents auront paru aussi désirables. Et si Boitel construit un Cabaret, ce dernier s’avère tout aussi bancal. Quant à ses Conférences, elles sont forcément décalées (mais hautement jubilatoires). Enfin, le dispositif interactif de sa Machinajouer nous immerge dans un jeu à la règle implacable qui consiste à détourner tous les règlements. L’IMMÉDIAT. Du 29 au 31 janvier, 20h30.
Théâtre du Merlan, Marseille. 3-20 €. LA (CONFÉRENCE SUR LA) JUBILATION.
Le 1er février, 18h, le 2 février, 11h. Parcours dans Marseille, proposé par Le Merlan. Le 5 février, 19h. Seconde Nature, Aix-en-Provence. Gratuit. LA MACHINAJOUER. Les 2 et 3 février, 15h
à 19h. Parcours dans Marseille proposé par Le Merlan. Les 8 et 9 février, 18h. Théâtre du Bois de l’Aune, Aix. Le 14 février, 17h. Théâtre de Fontblanche, Vitrolles. Le 15 février, 17h. La Galerie, Fuveau. Gratuit. CABARET CALAMITEUX. Du 8 au 15
février. Aix, Lambesc, Vitrolles, Fuveau. 5-10 €.
© Vincent Beaume
CAPITALE MAGIQUE
© La Grosse Collection
Depuis plusieurs années la scène nationale du Merlan s’est entichée de magie. Le lien avec l’art ? Les illusions, une fois créées, deviennent tout ce qu’il y a de plus réel. On en fera l’expérience durant toute une semaine, avec ce « Magic Trip », qui se glissera dans plusieurs théâtres et lieux publics de la ville. Au programme, spectacles de « magie nouvelle » ou de « magie mentale », tours de prestidigitation, dîner magique à La Criée, soirée de gala au Gymnase… Et de drôles de Brigades magiques risque de débouler, sans prévenir, au détour d’une rue… Pour « magicaliser » notre quotidien.
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MAGIC TRIP. Du 16 au 23 février. Théâtres du Merlan, de La
Criée et du Gymnase, Marseille. Et au Palais de la Bourse, au centre urbain le Merlan, au Vieux-Port...
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SÉLECTION
UNE FÊTE COLLECTIVE D’abord, il y a Catherine Germain, comédienne littéralement habitée par son personnage de clown. La contempler sur scène représente une expérience saisissante. A partir de ce matériau de chair et de sang, mais ô combien malléable et vibrant, François Cervantes sculpte des dramaturgies et des mises en scène qui ont certainement à voir avec l’enfance de l’art. Sa dernière création, Carnages (photo ci-dessus), convoque une ribambelle d’autres clowns. Ils sont sept sur scène. « Ces personnages nous redisent que plus nous avons besoin de nous rassembler, plus il nous faut aller profondément dans notre solitude. » Dans la même soirée
(du 5 au 8 février seulement), sera présenté le fruit d’une collaboration entre François Cervantes et le metteur en scène égyptien Hassan El Geretly, là encore, autour de la figure du clown (inexistante dans la culture égyptienne). Le Prince séquestré fait écho à la crise que traversent les pays arabes. Ce spectacle conte la rencontre cruelle de deux amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps et qui, dans un monde déchiré, ne se reconnaissent plus. CARNAGES. Du 29 janvier au 23 février. LE PRINCE SÉQUESTRÉ. Du 5 au 10 février. Friche La Belle
© Johann Hierholzer / Christophe Raynaud de Lage
CIRQUE EN CAPITALES
de Mai, Marseille. 5-7 €.
CLOWNS, SAUVEURS DU MONDE
Le Daki Ling prend les clowns très au sérieux. Pour preuve, la salle de spectacle de la rue d’Aubagne organise chaque année un festival autour de cette « auguste » figure. Et en cet hiver 2013, « Tendance clown » penche même du côté de la création avec Apocalypse et résurrection, une première production maison. Que serait le monde s’il était refaçonné par six curieuses créatures, seuls témoins d’une civilisation désormais réduite à néant ? L’humanité doit être sauvée. Oui, par des clowns ! © Daki Ling
APOCALYPSE ET RÉSURRECTION. Les 22 et 23 février, 20h30. Daki
Ling, Marseille. 8-13 €.
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SPECTACLE
EL CID
AGENCE DE VOYAGES IMAGINAIRES
LES TRIBULATIONS DU CID, DE SÉVILLE AU PÔLE NORD Sur les planches depuis trente ans, Philippe Car a longtemps monté ses propres créations avant de se mesurer aux classiques… à sa façon. Après Le Malade imaginaire, Le Bourgeois gentilhomme et Antigone, il s’attaque cette fois au Cid. Sa version décalée, fruit d’un périple de trois mois en Espagne et au Maroc, sera créée au théâtre du Gymnase le 8 février. En route ! Par Emmanuelle Gall
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n hiver, le « Pôle Nord » porte bien son nom. Les jours de mistral, il fait un froid glacial dans cette ancienne usine de pièces détachées, à deux pas de la gare de l’Estaque, investie depuis peu par l’Agence de voyages imaginaires. Qu’importe ! Les comédiens répètent emmitouflés dans leur écharpe et avec des pulls sous leurs costumes, arrivés le jour même. Trop heureux d’avoir enfin les clés de ce lieu qu’ils convoitent depuis 2007 : l’année où Philippe Car et cinq de ses camarades ont quitté « Cartoun Sardines Théâtre » pour voler de leurs propres ailes. Au Pôle Nord, la compagnie dispose enfin d’un vaste plateau de répétition, d’ateliers pour la fabrication des décors, de bureaux et même d’espaces suffisants pour accueillir d’autres artistes en résidence. C’est à la fois une véritable maison et une fabrique de théâtre, un « phalanstère » à l’image de cette troupe qui compte désormais douze membres, tellement atypique que certains la classent dans la famille du cirque ou du spectacle de rue. L’aventure d’El Cid, la prochaine création de Philippe Car, dont les répétitions ont commencé par un long voyage, ne les démentira pas. Le sens du voyage. Au fil des années, c’est devenu la règle
du jeu pour l’Agence de voyages imaginaires : chaque nouveau projet débute par un « voyage d’études ». « Quand on est en création, on cherche quelque chose qu’on ne connaît pas, il faut se confronter à l’inconnu, à d’autres cultures », explique la comédienne Valérie Bournet. Après le Japon et la rencontre avec les marionnettes Bunraku pour Le Bourgeois gentilhomme, puis le Burkina Faso et le travail en brousse pour Antigone, la compagnie a décidé de faire voyager la « caravane du Cid » dans les lieux évoqués dans la pièce. Et, cette fois, le voyage a pris une ampleur sans précédent. Entre juin et septembre dernier, les douze artistes se sont déplacés, en convoi, de Marseille à Los Santos de Maimona (dans la région de Séville), puis à Agadir, Oujda et Tétouan. A chaque étape, les artistes ont installé un véritable campement, avec leur chapiteau, leurs tentes et cuisine nomade, 82
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LA COMPAGNIE A FAIT VOYAGER LA « CARAVANE DU CID » DANS LES LIEUX ÉVOQUÉS DANS LA PIÈCE
pour une durée de trois semaines. Le temps d’accueillir et rencontrer des personnages très variés : de la professeure espagnole, qui les a aidés à traduire des extraits de la pièce, au balayeur municipal d’Agadir, leur demandant chaque matin comment se passaient leurs « vacances ». « Notre but, c’est de travailler, en public et avec le public. Nous agissons ainsi pour être influencés, et chaque rencontre nous permet d’avancer », résume Philippe Car. Le Maroc et sa tradition de conteurs lui ont inspiré le profil d’Alonzo, le narrateur, joué alternativement pas les cinq comédiens de la pièce. L’Espagne et la musique arabo-andalouse ont influencé la partition musicale de Vincent Trouble et laissé plusieurs traces dans l’adaptation du texte, à commencer par le titre : El Cid. Revisitée par Philippe Car et le dramaturge Yves Fravega, la tragi-comédie de Corneille, située dans le royaume de « Costille », s’est vue sérieusement dépoussiérée. Le texte a été allégé et modernisé quand c’était nécessaire, sans perdre de vue le questionnement central autour des valeurs (honneur, gloire…) et du sacrifice. Les auteurs y voient également un « thriller » : « Il y a du sang, de la sueur et de l’amour. Dans Le Cid, il y a du Shakespeare, du Hitchcock et du Tarantino… » Dans El Cid, il y aura aussi un manège constitué de quatre sujets tournants : le taxi d’Alonzo, la caravane de Chimène, le palais-piano du roi et la tente de Rodrigue. Un autre souvenir du voyage et des nuits parfois difficiles passées sous la tente, en même temps qu’un clin d’œil aux « Indignés ». Le goût de la fête. Une fois monté sur la scène du Gym-
nase, ce décor forain, tout comme les costumes modernes et
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EL CID
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SPECTACLE
« IL Y A DU SANG, DE LA SUEUR ET DE L’AMOUR. DANS LE CID, IL Y A DU SHAKESPEARE, DU HITCHCOCK ET DU TARANTINO… »
colorés, vont nettement trancher avec le cadre de ce théâtre à l’italienne et son atmosphère bourgeoise. « On va exploser le Gymnase ! », annonce Valérie Bourne, « chaque fois qu’on y joue, on investit entièrement le théâtre et on refait la déco du hall, avant de faire danser le public à la sortie. » Avec l’Agence de voyages imaginaires, le spectacle est une fête qui commence avant la représentation, et se prolonge bien au-delà. Cette tradition est loin de déplaire à Dominique Bluzet, le directeur du Gymnase, puisqu’il a luimême soufflé à Philippe Car l’idée de monter Le Cid pour Marseille-Provence 2013. Et, pour l’occasion, l’Agence de voyages imaginaires va déployer un dispositif inédit. Invitée à exposer les souvenirs du périple de la « caravane du Cid » à la Maison de la Région (sur La Canebière), la troupe va s’y installer du 1er février au 9 mars. On pourra y découvrir les images rapportées par le carnettiste Victor Coste et le photographe Elian Bachini, mais aussi les prototypes des éléments de décor, une cartographie du voyage et une foule d’objets hétéroclites mis en scène du sol au plafond. Pour le scénographe Lucas Linarès, « l’exposition doit rendre compte du laboratoire qu’a été la création du Cid, pour partager cette expérience et ce voyage avec le public, et faire connaître ce mode original de création ». C’est également à la Maison de la Région, au premier étage, que la compagnie installera ses « Tables nomades », une autre de ses habitudes : chaque fois que les théâtres le permettent, la troupe invite le public à partager un repas à l’issue des représentations. Pour 11 euros, les spectateurs ont droit à un dîner complet et du vin 84
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à volonté, autour d’une grande tablée. « Le cabaret que l’on propose après le spectacle, c’est notre liberté, explique Valérie Bourne. On continue, mais autrement : notre cuisinière prépare un bon repas et chacun chante à son tour. » Fabee, la cuisinière, est un membre à part entière de la compagnie, comme les Tables nomades constituent une part importante de son identité. Elles participent d’une certaine vision du théâtre. Philippe Car et ses compagnons de route forment une famille, une troupe de saltimbanques héritière d’une tradition millénaire. En voie de disparition.
EL CID
Du 8 au 16 février Théâtre du Gymnase 4, rue du Théâtre Français, Marseille 1er (8-34 €) Exposition du 1er février au 9 mars Maison de la région 61, La Canebière, Marseille 1er Tables nomades les 9, 13 et 16 février à l’issue des représentations. (11 € sur réservation)
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KOSICE, L’AUTRE CAPITALE En 2013, Marseille ne sera pas la seule capitale européenne de la culture. Elle partagera le label avec la ville slovaque de Košice. 8e art se charge de faire les présentations. Par Alexandre Lévêque
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écs, Tallinn, Maribor… Supposé « rapprocher les peuples », le label de capitale européenne de la culture a au moins le mérite de nous faire découvrir de nouveaux noms « barbares », celui de ces villes d’Europe de l’Est que peu d’entre nous - il faut bien l’avouer -, serions capable de situer sur une carte. En effet, depuis 2009, la commission européenne désigne chaque année non pas une, mais deux capitales culturelles : l’une à l’Ouest, l’autre à l’Est, afin de représenter les Etats ayant rejoint l’UE après l’élargissement de 2004. Avec Marseille, c’est donc la cité slovaque de Košice (240 000 habitants) qui est capitale européenne de la culture pour l’année 2013. Une façon, pour cette ville au lourd passé sidérurgique, d’affirmer encore davantage le virage économique entrepris il y a quelques années, lorsqu’elle a décidé de miser sur les industries créatives - les nouvelles technologies notamment -, avec l’ambition de créer en Slovaquie orientale une véritable « Silicon Valley » de l’Europe de l’Est. Košice veut croire que le label européen marque, en quelque sorte, le début d’une nouvelle ère. Sa devise pour 2013 ? « We support creativity » !
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JAMIROQUAI POUR L’OUVERTURE ET UNE EXPO CONSACRÉE À ANDY WARHOL DANS LA FOULÉE Interface. Ville multiculturelle située au carrefour entre la
Hongrie, la Pologne et l’Ukraine, soit aux frontières de l’espace de Schengen, Košice a justement axé son dossier de candidature sur la notion d’« interface » : c’est en affirmant sa volonté de devenir une plateforme d’échanges artistiques entre Est et Ouest qu’elle a remporté le label européen. Avec le projet « Interface 2013 », la ville slovaque assume pleinement son rôle de « porte d’entrée » vers l’Europe de l’Est, porte largement ouverte aux talents, artistes, entrepreneurs, et tout ce que le monde compte d’idées neuves et créatives. C’est à ce titre qu’a été créé, dès 2011, l’emblématique projet KAIR (Košice Artist In Résidence), programme de résidences artistiques en lien avec plusieurs pays dont l’Ukraine, la Moldavie, la France et l’Allemagne. Par ailleurs, pour peser davantage à l’international, Košice a (elle aussi) profité de la capitale culturelle pour
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Cathédrale Sainte-Elisabeth. Haut lieu touristique situé dans le centre historique de Košice, cette cathédrale gothique a été rénovée pour accueillir concerts et festivals de musique sacrée en 2013.
CAPITALES SŒURS Malgré leurs évidentes différences, Košice et Marseille, capitales « sœurs » pour l’année 2013, ont su se trouver des affinités et s’associer sur plusieurs projets communs. Le photographe Antoine d’Agata et l’artiste Sylvie Réno, tous deux Marseillais, seront par exemple accueillis en résidence dans la cité slovaque pour élaborer, chacun à leur façon, un projet sur la question des frontières et des flux migratoires, une thématique forte pour ces villes situées à la périphérie de l’Europe. A l’occasion du festival slovaque Use the City, consacré à l’intervention artistique dans l’espace public, des échanges et collaborations seront noués avec le réseau européen In-Situ, coordonné par la structure marseillaise Lieux Publics. Toujours à Košice, une rétrospective consacrée à Robert Guédiguian sera présentée dans le cadre du festival de cinéma Febio Fest. Enfin, on parle d’un train rempli d’artistes qui relierait (au sens propre !) la ville slovaque à la cité phocéenne… Il devrait être sur les rails au mois de septembre.
s’engager dans la voie de la coopération métropolitaine : le projet « Pentapolitana » - en référence à la ligue formée par les cinq villes royales de Slovaquie orientale au XVe siècle -, veut réactiver les liens que Košice a entretenu par le passé avec ses voisines de Presov, Bardejov, Levoca et Sabinov. En 2013, elles organiseront, ensemble, plusieurs manifestations vouées à la valorisation de leur patrimoine historique et culturel commun, tout en affirmant leur soutien à la scène artistique locale. « Un équilibre entre tradition et innovation. » La formule peut s’appliquer à l’ensemble du programme culturel de Košice 2013, fort d’une centaine de propositions, parmi lesquelles, 25 grands événements. Forces créatives. Košice 2013 mettra le paquet dès la céré-
monie d’ouverture, puisque le 20 janvier, c’est un concert du groupe Jamiroquai qui lancera l’année capitale. Dans la foulée, la ville slovaque enfoncera le clou avec une exposition consacrée à Andy Warhol, Repent and Sin No More, qui présentera, en février, près de 60 photographies grands formats réalisées par l’artiste américain sur les thèmes de la spiritualité et de la religion. L’autre grande exposition de l’année s’inté-
ressera à l’avant-garde slovaque des années 1920, période où Košice était, nous dit-on, au centre de la vie artistique de l’Europe orientale. Ce qui sera à nouveau le cas en juin 2013 avec Return Water to the City, vaste projet associant plasticiens, philosophes, architectes et créateurs de toutes sortes autour du thème de l’eau, qui donnera lieu à une série d’expositions, spectacles, concerts, et même, une performance artistique de… 24 heures. Autre manifestation notable, la Nuit blanche, conçue selon le modèle parisien : le 5 octobre, le centre-ville de Košice sera jalonné de centaines d’œuvres, installations et autres hallucinations visuelles, à contempler jusqu’au lever du jour. La ville attend, ce soir-là, 500 000 noctambules. On ne détaillera pas l’ensemble de la programmation. Comme dans toute capitale culturelle, il y en aura pour tous les goûts : festival de poésie (Ex Komiks, en avril), de musique de chambre (Convergences, en juin), de théâtre (Tempus Art, en septembre), de danse contemporaine (New Dance Days, en octobre)… « Notre programme est très ample, mais présente plusieurs niveaux, du grand projet de dimension internationale au petit spectacle issu de la scène locale, commente Vladimir Beskid, directeur artistique de Košice 2013. Nous avons fait 8e art magazine
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SPOTs. En banlieue de Košice, d’anciennes chaufferies collectives datant de la période communiste sont métamorphosées en centres culturels à la vocation sociale assumée.
beaucoup d’efforts pour que tout le monde se sente concerné. Car la capitale culturelle doit permettre aux acteurs locaux de nouer de nouvelles collaborations à l’international, d’apporter à la ville de nouvelles forces créatives et, globalement, de transformer Košice et toute la Slovaquie orientale. » Ambitieux.
A KOSICE, PAS DE MUCEM, MAIS DES FRICHES...
Friches. En 2013, Košice n’aura ni Mucem, ni Frac, ni Villa
européen pour revaloriser le riche patrimoine architectural de son centre historique. La cathédrale gothique Sainte-Elisabeth est ainsi au cœur d’un vaste programme de restauration qui devrait lui permettre d’accueillir plusieurs manifestations, dont un festival de musique sacrée et un concert du Catalan Jordi Savall. Châteaux, églises, parcs, amphithéâtre… A l’orée de 2013, c’est toute la ville qui est en chantier pour se refaire une beauté. Et si Košice se prépare à 365 jours de spectacles et de grandes fêtes, elle a, à vrai dire, le sentiment que le plus dur a été fait. « Nous avons déjà réussi ! affirme Miroslava Grajciarova, membre de l’équipe Košice 2013. Alors qu’il y a quatre ans, les gens quittaient une ville sans perspective et meurtrie par le chômage, on voit désormais affluer énormément de jeunes, d’artistes, d’architectes, de designers… Ils viennent à Košice et ils ont envie d’y rester ! » L’effet capitale, déjà ?
Méditerranée. Si la ville slovaque dispose d’un budget de 60 millions d’euros pour ses projets d’aménagement urbain (alloué par l’Union Européenne), elle n’a pas souhaité investir dans la construction de nouveaux équipements culturels : Košice a préféré rendre vie à ses friches, nombreuses, dans cette cité post-industrielle. Ainsi, d’anciennes chaufferies collectives situées en périphérie de la ville ont été métamorphosées en centres culturels à la vocation sociale et participative assumée : c’est le projet SPOTs, qui a pour objectifs d’ « irriguer la culture vers les banlieues, revitaliser des quartiers entiers, et associer activement leurs habitants aux manifestations de 2013 ». Situés au pied des cités, les six centres culturels du projet SPOTs (dans six quartiers différents), aux allures de MJC à la Slovaque, ont chacun leur spécialité : arts urbains, multimédia, céramique... Depuis peu, les lieux de culture se multiplient à Košice. Et ce, dans des sites toujours plus inattendus. Non loin du centre-ville, le projet « Kasàrne » transforme des casernes militaires désaffectées en « Creative factory », lieu de création artistique pluridisciplinaire largement ouvert au public. Avec « Kunsthalle », c’est cette fois une ancienne piscine couverte qui se voit désormais dédiée à l’accueil de spectacles et d’expositions. Enfin, Košice a aussi profité du label 88
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LES CHERCHEURS DE MIDI
LES CHERCHEURS DE MIDI
L’EXPO DONT VOUS ÊTES LE HÉROS Ces photographies ont peut-être été réalisées par votre voisin, votre petit frère, voire même votre grand-mère ! Les “Chercheurs de Midi”, ce sont ces Marseillais, Aixois, Aubagnais, et autres habitants du territoire ayant répondu à la grande collecte d’images lancée l’année dernière par MP2013 : les photographies ainsi rassemblées feront l’objet de plusieurs expositions présentées au J1 (voir p. 34 - 36). La première est consacrée aux “Paysages”. Portfolio.
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Pub d’antan Par Dominique Marlet Place des Cardeurs, Aix-en-Provence, 5 juillet 2009
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Marseille vue du Frioul Par Martine Viton Frioul, 12 septembre 2009
Friche Par Claudine BarrĂŠ Arles, 2 septembre 2012
La porte d’Aix Par Fabyle Marseille, juillet 2010
Mise en perspective Par Julie Cutaia Marseille, 2005
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Impasse Graff Par Philippe Marc Marseille, octobre 2010
Le passĂŠ et le prĂŠsent Par Miguel Teixeira Marseille, 23 juin 2012
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Le chantier du Mucem, Par BenoĂŽt Valentin EntrĂŠe du Vieux-Port, Marseille, 2011
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Stairway to heaven Par Andrianina – déposé par Rija Rasoamanana Euroméditerranée, Marseille, juillet 2011
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L’ÉVÈNEMENT
DANSE
ABOU LAGRAA CHORÉGRAPHIE SES RACINES Pour ouvrir la saison 2013, le Grand théâtre de Provence a voulu frapper fort et juste : le chorégraphe franco-algérien Abou Lagraa présentera sa nouvelle création en première mondiale. Une façon, aussi, pour le GTP, de s’inscrire dans la dimension méditerranéenne de Marseille-Provence 2013, « au carrefour des civilisations occidentales et orientales ». Par Emmanuelle Gall
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ABOU LAGRAA OPÈRE UNE SYNTHÈSE SENSUELLE ET HARMONIEUSE ENTRE LE HIP-HOP, LES DANSES CLASSIQUES ET CONTEMPORAINES
Miroirs. En résidence au Grand Théâtre de Provence depuis le mois de novembre, Abou Lagraa et ses quatorze danseurs, issus de sa compagnie française et du Ballet contemporain d’Alger, explorent « la culture musulmane (et non le culte musulman) dans toute sa dimension originelle de générosité, de partage et de fraternité. Plus exactement, El Djoudour est l’expression du regard que je pose sur le corps dans cette culture orientale, et de l’organisation sociétale qui en découle entre les hommes et les femmes. » Lors des répétitions publiques – belle 104
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© Eric Boudet
ar son histoire personnelle et sa carrière, Abou Lagraa est l’homme de la situation. Né à Annonay (Ardèche) de parents algériens, il a grandi « dans l’échange perpétuel avec différentes communautés », avant d’entrer au prestigieux Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Le danseur collectionne les prix d’interprétations, devient chorégraphe et fonde sa compagnie, La Baraka, en 1998. Douze ans plus tard, après un voyage en Algérie en quête de ses origines et de son passé, il fonde, avec sa compagne et assistante Nawal Ait Benalla Lagraa, le Ballet contemporain d’Alger. Une première dans un pays où, jusque-là, seules les danses traditionnelles et folkloriques étaient enseignées, et où les jeunes danseurs se forment au hip-hop en regardant les chaînes de télévision étrangères. Fruit de ce parcours, sa nouvelle création, El Djoudour (« les racines »), constitue pour le chorégraphe « une véritable étape de vie, autant qu’une étape artistique ».
Abou Lagraa.
initiative du théâtre et du chorégraphe –, on a pu assister au cheminement de la création avec ces quatorze jeunes gens venus d’horizons variés, et aux origines très diverses (algériennes, indiennes, françaises, camerounaises, suédoises, comoriennes). Abstraite, située dans un décor épuré à l’extrême, la chorégraphie d’Abou Lagraa opère une synthèse sensuelle et harmonieuse entre le hip-hop, les danses classiques et contemporaines. Encouragés dans leurs initiatives, les danseurs nourrissent de leur personnalité et de leur énergie
©Agnès Meillon
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©Tanné Uddén
propre, les duos ou scènes collectives, accompagnés par la création musicale, elle aussi métissée, d’Olivier Innocenti. Pour El Djoudour, Abou Lagraa a voulu associer la partition contemporaine du compositeur à la voix d’Houria Aichi : « Avec Olivier Innocenti, nous avons choisi le piano, source selon nous d’apaisement de l’âme et de douceur, accompagné des vibrations des cordes, fils symboliques tendus entre les hommes et l’univers. La chanteuse algérienne Houria Aichi, quant à elle, fait référence au sacré et au passé. » Syncrétique dans toutes ses dimensions, l’œuvre d’Abou Lagraa propose une vision inédite de la culture musulmane, « un miroir dans lequel on peut se regarder pour regarder l’autre ». Du 16 au 19 janvier, 20h30. Grand Théâtre de Provence, 380, avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence. 08 20 13 20 13. www.lestheatres.net. 8-20 €.
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SCÈNES
IPHIS ET IANTE Inaugurer la saison 2013 du Gymnase avec, selon Jean-Pierre Vincent, « une pièce au titre imprononçable d’un auteur inconnu », ne manque pas de culot ! Le metteur en scène jubile, car il s’apprête à créer – en plein débat sur le « mariage pour tous » – cette comédie du XVIIe siècle, relatant les aventures d’une jeune fille élevée comme un garçon, amoureuse d’une autre fille, mais aussi aimée par un garçon qui sait qu’elle est une fille. Simple ironie du sort, car le metteur en scène garde la pièce d’Isaac de Bensérade dans ses cartons depuis plus de dix ans, et espérait bien la monter l’année dernière. Il l’a découverte lors de sa publication – et exhumation – en 2000, par deux universitaires. Jamais représentée depuis sa création en 1634, elle lui a fait le même effet que Les prétendants de Lagarce ou Les Faiseurs de théâtre de Thomas Bernhard : « Vous entrez dans le texte et vous vous dites que c’est pour vous, que c’est un ami. »
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Restait à trouver les comédiennes, deux de ses élèves de l’école supérieure d’art dramatique de Strasbourg (Suzanne Aubert et Chloé Chaudoye), et le parti pris de mise en scène. Comment monter aujourd’hui une pièce préclassique, inspirée d’une métamorphose d’Ovide tirée d’un mythe grec ? JeanPierre Vincent a opté pour « des silhouettes anciennes habillées de manière moderne », comme dans la peinture de la fin de la Renaissance. Une manière de souligner l’originalité de cette œuvre abordant, au-delà de l’anecdote, « la violence et la frustration des amours adolescentes, l’inextricable mélange entre l’amour, la sexualité et l’appartenance sexuelle ». E.G. Du 15 au 19 janvier, 20h30, le 16 janvier, 19h. Théâtre du Gymnase, 4, rue du Théâtre Français, Marseille, 1er. 08 2013 2013. www.lestheatresnet. 8-34 €.
© Michel André Didyme © John Nollet
J’AVAIS UN BEAU BALLON ROUGE L’affiche de cette pièce italienne d’Angela Dematté, inédite en France, est pour le moins séduisante. Pour incarner la révolutionnaire Margherita Cagol et son père, le metteur en scène Michel Didym a choisi Romane et Richard Bohringer, trop heureux de pouvoir enfin jouer ensemble au théâtre. Cette distribution est habile, car les deux comédiens incarnent des personnages très éloignés de leurs rôles habituels. Richard, le révolté, est un père de famille petit bourgeois, opposé aux choix politiques de sa fille. Et la sage Romane est Mara, la femme du fondateur des Brigades Rouges, Renato Curcio. Parce qu’elle se situe à la croisée de la grande et la petite histoire, du politique et de l’intime, la pièce relève à la fois du témoignage sur les années de plomb et du drame psychologique, opposant le bon sens à l’idéologie, les sentiments aux utopies. E.G. Du 5 au 9 février, 20h30, le 6 février, 19h. Théâtre du jeu de Paume, 17-21, rue de l’Opéra, Aix-en-Provence. 08 20 13 20 13. www.lestheatres.net. 8-34 €.
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DON QUICHOTTE DU TROCADERO
La nouvelle création du chorégraphe José Montalvo nous offre une vision pour le moins insolite de l’œuvre de Cervantès. Transposé dans un univers urbain, Don Quichotte prend les traits de l’acteur Patrice Thibaud et se voit entouré de treize danseurs, pour un dialogue décomplexé entre théâtre, danse (classique et contemporaine), hip-hop, flamenco, comique de gestes... Une façon, selon Montalvo, de « réactualiser le genre de la Commedia dell’arte », en confrontant et métissant les esthétiques « dans la volonté de créer de nouvelles formes d’expression artistique et de découvrir de nouveaux territoires chorégraphiques ». Un pari ambitieux ? A la Don Quichotte, quoi. A.L.
Dans un supermarché, un marginal ouvre une canette de bière, la boit, mais est découvert par des vigiles qui l’amènent à l’arrière du magasin et le tabassent à mort. La nouvelle de Laurent Mauvignier, inspirée d’une histoire vraie, a fasciné Angelin Preljocaj, qui en a fait la matière de sa dernière création : « C’est une unique phrase, dit le choré-
graphe, une longue phrase interminable qui imbrique le jeu des corps et la structure littéraire de façon radicale. J’ai pensé que la danse pouvait s’emparer du sujet, en mettant en perspective le récit, et en déployant une écriture chorégraphique qui lui serait spécifique. » Car, pour Preljocaj, « la danse peut dire à travers les mots ce qu’il y a derrière les mots ». A.L.
Du 15 au 22 janvier, 20h30, et le 16 janvier, 19h30. Pavillon Noir, 530, avenue Mozart, Aix-en-Provence. www.preljocaj.org. 10-25 €.
H2O – MÉMOIRES DE L’EAU
Le chorégraphe Jean-Charles Gil joue les alchimistes et mêle la force tellurique de six danseursbreakers marocains à la fluidité des douze danseurs du Ballet d’Europe, comme oxygène (atome lourd) et hydrogène (atome plus léger) fusionnent au sein de la formule H2O, symbole de l’eau. De ces corps moléculaires, on glisse vers les corps de la statuaire antique lorsque Gil nous amène vers la seconde phase du spectacle, les Mémoires de l’eau. Un ballet de Vénus, d’Hermès et d’Apollons, inspiré des recherches menées dans l’embouchure du Rhône par l’archéologue Luc Long : parmi les statues découvertes au fond du fleuve, aux côtés du fameux « Buste de César », se trouvait, aussi, un danseur… S.P-R. Le 8 février à 14h30 et à 20h. Le Silo, 35, quai du Lazaret, Marseille, 2e. www.silo-marseille.fr. 23-35 €.
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CE QUE J’APPELLE OUBLI
Du 14 au 16 février, 20h. Théâtre de La Criée, 30, quai de rive-Neuve, Marseille, 7e. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €.
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TEMPÊTE SOUS UN CRANE
LES LIAISONS DANGEREUSES SUR TERRAIN MULTISPORTS Parmi les très nombreuses adaptations à la scène du roman de Choderlos de Laclos, la version d’Edith Amsellem est certainement la plus drôle et la plus impertinente. Pour sa première mise en scène en solo, elle a choisi de faire évoluer les personnages sur un terrain de sport et de figurer leurs courriers par des balles de tennis. Une interprétation, pas si fantaisiste, du duo Merteuil-Valmont, « chacun dans son camp, pour un match à la vie à la mort ». Filée jusqu’au
bout, la métaphore fonctionne d’autant mieux que les comédiens sont parfaits (de la sulfureuse Anne Naudon à l’ingénue Amandine Thomazeau), et le texte exigeant. Car Edith Amsellem ne se contente pas de faire rire, elle entend aussi « observer la femme agir masquée dans la nuit de l’hypocrisie imposée par l’inégalité des sexes, et questionner l’évolution (?) de la parité homme/femme ». E.G.
Le 12 février, 17h. Salle Raymond Reyneau, Quartier de la gare, Roquevaire. www.reseau-chainon.com. 5 €.
Dans cette adaptation théâtrale et musicale des Misérables, une poignée de comédiens incarne tous les personnages. C’est le pari du metteur en scène Jean Bellorini, qui a tenu à rendre un hommage « épique et joyeux » au roman le plus célèbre de Victor Hugo. Mais qu’on se rassure. Il ne s’attaque pas à l’intégralité de l’œuvre, seulement à la nuit où Jean Valjean se voit confronté à un dilemme cornélien : se dénoncer ou laisser partir un innocent au bagne ? Il lui faudra près de quatre heures (avec entracte) pour choisir. A.L. Du 29 janvier au 1er février, 19h. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive-Neuve, Marseille, 7e. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €.
COOKING WITH MARTINES SCHMURPFS
Martine Schmurpfs a une foi indestructible dans la science. Persuadée que l’avenir de l’homme est inhumain, cette savante-gourou entraîne ses disciples dans des expérimentations de plus en plus folles. Ce spectacle, pour le moins décalé, de Clara Le Picard, nous donne autant à rire qu’à réfléchir sur les dérives de la société contemporaine. La forme même de la proposition s’annonce vertigineuse. Comment le théâtre, art du réel, de l’ici et maintenant, de la présence physique, peut-il se frotter aux mondes virtuels et désincarnés sans y perdre son âme ? La dimension interactive et multimédia n’est pas le moindre défi de cette « leçon de cuisine » réalisée avec des ingrédients résolument contemporains. Une programmation de la Minoterie au Théâtre des Bernardines. F.K. Les 20 et 21 février, 19h30. Le 22 février, 20h30. Théâtre des Bernardines, 17, Boulevard Garibaldi, Marseille 1er. www.minoterie.org. © Renaud Vercey
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SCÈNES © Mario Del Curto
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QUARTIER LOINTAIN
Adapté sans grand succès au cinéma en 2010, le manga culte de Jirô Taniguchi monte sur les planches. Pari difficile, puisqu’il s’agit de mettre en scène un voyage dans le temps au Japon. Un matin de 1998, après une soirée trop arrosée, Hiroshi se réveille dans un train qui le ramène dans la ville – et à l’époque – de son enfance. Dans le corps de ses quatorze ans, le père de famille (joué par Mathieu Delmonte) revit son adoles-
cence, marquée par la disparition de son père. Mis en scène par Dorian Rossel, ce parcours initiatique conserve la sobriété de la ligne claire et la dimension onirique de son modèle. Il aborde les questions existentielles sur un mode parfois burlesque et comique qui lui permet de toucher un public très large, de 10 à 90 ans. E.G.
© Christophe Loiseau
Le 31 janvier, 20h30. Théâtre des Salins, 19, quai Paul Doumer, Martigues. www.theatre-des-salins.fr. 8-15 €.
4.48 PSYCHOSE
4.48 Psychosis ou l’histoire d’une femme définitivement inadaptée à notre monde et donc condamnée à sombrer dans la folie. Cette langue-là relève de l’expérience au sens littéral du terme puisqu’elle nous ouvre un accès à des territoires qui nous sont autrement inaccessibles. Sarah Kane, l’auteure, n’a pas eu le choix ; elle a mis fin à ses jours à 28 ans, quelques semaines seulement après avoir terminé l’écriture de la pièce. Pour faire entendre une telle incandescence, il est indispensable de trouver la juste distance. Thomas Fourneau a choisi une approche musicale. Il a confié cette partition à deux actrices, Rachel Ceysson et Marion Duquenne. Le trouble de l’identité n’en est que plus vertigineux. La scénographie accentue encore la sensation d’éclatement du moi. Ce projet continuera par la suite à évoluer avec d’autres comédiennes, grecques puis portugaises. Il se métamorphosera lentement en un nouveau spectacle qui sera créé en 2014. F.K. Le 18 janvier à 20h30 et le 19 janvier à 19h30. Théâtre des Bernardines. 17, Boulevard Garibaldi, Marseille 1er. www.theatre-bernardines. org. 3-12 €.
UCCELLINI
Face à nous, une grande toile blanche… Une peintre réalise, devant le public, son autoportrait : Isabelle Hervouët interprète ce drôle de spectacle pour le jeune public, où peinture et théâtre ne forment plus qu’un seul tout. Comme une danse, son art se déploie sur la toile, et bien au-delà : « C’est de ce matériau gestuel que nous sommes partis, explique-t-elle. C’est le désir de nous adresser aux tout petits qui nous a conduits à la source, celle de notre naissance et celle de la naissance d’une peinture. » Car Uccellini raconte « l’art comme force vitale ». Et c’est le portrait d’une rencontre qu’elle dessine devant nous. Suspendu aux gestes de l’artiste, chacun se prend à rêver la suite du tableau… A.L. Du 17 au 19 janvier. Théâtre de Lenche, 4, place de Lenche, Marseille, 2e. www.theatredelenche.info. 6-8€.
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MUSIQUES
FESTIVAL PRÉSENCES
ALBERT CAMUS, LE MÉDITERRANÉEN En cette année capitale, Présences, le festival de musique contemporaine de Radio France, s’exporte exceptionnellement à Aix-enProvence. Cette 23e édition, qui prendra place au Grand Théâtre de Provence, sera centrée sur les compositeurs du bassin méditerranéen. Au programme, cinq soirées et neuf concerts, parmi lesquels Mythes et religions de la Méditerranée (avec Zad Moultaka), L’Orient d’Ibrahim Maalouf et David El Malek (accompagnés par l’orchestre philarmonique de Radio France), et Albert Camus, Le Méditerranéen, qui présentera trois créations musicales liées à l’œuvre de l’écrivain. Ce soir-là (le 24 janvier, 20h30), entre Nubes (par Marco-Antonio Perez-Ramirez ) et
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La Peste (avec Roberto Gerhard), le comédien Robin Renucci se fera la voix de Camus, et lira quelques passages de Retour à Tipasa, sur la musique éponyme du compositeur marseillais Henri Tomasi (1901-1971). « Retour à Tipasa est tiré de L’Eté, publié en 1954, explique Renucci. Ce texte, écrit avant la guerre d’Algérie, est prémonitoire : on sent un Camus apaisé, qui se réconcilie avec lui-même en retournant sur les lieux de son enfance, en Algérie, et notamment dans les ruines de la ville antique de Tipasa, au bord de la Méditerranée. En 1966, Henri Tomasi a composé une œuvre sur ce texte en suivant ce désir de conciliation de Camus. Et en conciliant la musique et les mots. » De quoi cé-
lébrer dignement le centenaire de la naissance de l’écrivain, alors que « l’affaire Camus », l’été dernier, a entraîné l’annulation de la grande exposition qui devait se tenir à Aix-en-Provence. « Je le regrette, confie Rennucci. La censure est une erreur. Je me suis interrogé : fallaitil venir ? Ne pas le faire aurait, quelque part, participé de cette censure. Et il fallait rendre à Camus sa place au sein de Marseille-Provence 2013, sans se soucier de ce contexte belliqueux. » S.P-R. Festival Présences. Du 23 au 27 janvier. Grand Théâtre de Provence, 380 av. Max Juvenal, Aix-en-Provence. www.lestheatres.net. 15 €.
© Michel Legault
FESTIVAL REEVOX
Reevox ou le nouveau rendez-vous des musiques et arts électroniques à Marseille. Cinq soirées durant, matières sonores et organiques vont s’entremêler. Des dispositifs plastiques et numériques nous feront douter de nos sens. Qu’est ce que l’oreille voit ? Qu’entendent nos yeux ? Après une entrée en matière au GMEM, où la voix de Natacha Muslera se verra « machinée » par un appareillage multi-tactile (Chœur tactil, le 5 février), le festival se poursuit au Klap : Pôm Bouvier B. et David Merlo nous entraîneront dans une expérience vibratoire qui devrait affecter notre perception de l’espace et du temps (La théorie des cordes, le 6 février). Christophe Ruetsch créera, lui, un lieu électro-acoustique, « un espace durablement contaminé situé en bordure du monde » (Atomic Radio 137 Live, le 7 février). Le chorégraphe Michel Kelemenis, qui a toujours été très sensible aux univers sonores, entrera en conversation avec des compositions de Christian Zanesi (That side conversation, le 7 février). Nous pourrons également pénétrer dans la Chambre des machines (photo ci-dessus), un improbable instrumentarium mécanique et synthétique créé par Nicolas Bernier et Martin Messier (le 8 février). Le périple se terminera à la Friche la Belle de Mai, au Cabaret aléatoire pour être précis. Au programme de cette soirée de clôture (9 février), d’abord, L’Invisible tour du Chapelier fou, délicate mise en contact de l’univers classique et de la sphère électro. Puis, place à Arnaud Rebotini et sa techno conceptuelle mais chaude, autant accélératrice de neurones que de battements du cœur. Alors, le dancefloor ne cessera plus de trembler, jusqu’à l’aube, avec le set survitaminé de Yuksek que certains n’hésitent pas à comparer à Justice. F.K. Du 5 au 9 février. Gmem, Klap, Cabaret Aléatoire. www.gmem.org
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LILLY WOOD AND THE PRICK Ils se sont rencontrés dans un bar, un soir, tard... Quelques heures après, Nili Hadida et Benjamin Cotto composaient leur premier morceau. Lilly Wood and The Prick est né comme ça, d’une aventure en fin de soirée… Après leurs premiers sets dans l’underground parisien, le duo sort un premier album : Invincible Friends. A première vue, il s’agissait d’un énième groupe de pop anglaise... Mais la voix éraillée de Nili, mêlée à une musique d’une extrême finesse, devient le porte drapeau d’une jeunesse désenchantée : disque d’or, Victoire de la musique… Oui, Lilly Wood est décidément invincible. Aujourd’hui, le groupe remet son titre en jeu avec un nouvel opus, The Fight. Et vous donne rendez-vous sur le ring du Moulin. L.C.
KENDRICK LAMAR
m.A.A.d city, son second album (sorti en octobre), est une œuvre rare, rappelant le meilleur du rap US de ces vingt dernières années : le syncrétisme entre West Coast et East Coast, entre « thug » et « conscious », réalisé par le « fils » de 2 Pac et Nas. A.L.
Le 27 janvier, 19h. Cabaret aléatoire, la Friche la Belle de Mai, 4, rue Jobin, Marseille, 3e. www.cabaret-aleatoire.com. 26,90 €.
©DR
Désigné « nouveau roi de la West Coast » par Snoop Dogg, The Game et Dr Dre, Kendrick Lamar ne fait pourtant ni dans le bling bling ni dans le gangsta. Originaire de Compton, ce phénomène de 25 ans rappe avec l’assurance discrète de ceux qui n’ont pas besoin d’en faire trop : un souffle paisible au milieu des coups de feu. Good kid,
Le 1er février, 20h30. Le Moulin, 47, boulevard Perrin, Marseille 13e. www.lemoulin.org. 25€.
SAVAGE REPUBLIC
Formé à Los Angeles dans les années 80, Savage Republic est aujourd’hui un groupe culte, comme c’est le cas, d’ailleurs, pour la plupart des formations punk de l’underground américain de cette période. Pourtant, Savage Republic s’est imposé, dès ses débuts, pour son anticonformisme musical : leur style, très personnel, emprunte aussi bien au hardcore qu’à l’indus, le tout, sur des percussions presque tribales. Depuis, le groupe a certes évolué vers une musique plus contemplative – et essentiellement instrumentale -, mais c’est en live qu’ils retrouvent une énergie punk, digne de leur nom. A.L. ©DR
Le 13 février. Poste à Galène, 103, rue Ferrari, Marseille, 5e. www.leposteagalene.com. 10 €.
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JOHN CALE
LE CABINET DU DR. CALIGARI Immense monument du cinéma muet, Le cabinet du Dr. Caligari (1919), devient, avec Thierry Zaboitzeff, une œuvre opératique. Le musicien n’en est pas à son coup d’essai. Par le passé, il a déjà créé plusieurs ciné-concerts (notamment Nosferatu et Faust de Murnau) avec le groupe Art Zoyd. Cette fois, Thierry Zaboitzeff est seul sur scène mais, entouré de tout un arsenal
high-tech, il semble se démultiplier. Sa musique ouvre un espace supplémentaire pour les sens des spectateurs. A l’histoire dans l’histoire, qui est le nœud dramaturgique du film de Robert Wiene, s’ajoute encore d’autres strates de sensations, d’autres pistes pour mieux se perdre dans les méandres de ce cabinet expressionniste. F.K.
Moins connu que Lou Reed, John Cale fut tout aussi essentiel dans l’aventure devenue mythique du Velvet Underground. Ce multi-instrumentiste a ensuite continué à explorer les chemins de traverse de la pop. Il a même été touché par la grâce. Avec l’album Paris 1919, sorti en 1973, John Cale atteignit l’apogée de son art. Non seulement il composa neuf mélodies absolument lumineuses, mais il su les magnifier en les baignant dans un climat sonore tour à tour baroque, brumeux ou carrément orageux. Certes, ses autres albums ne peuvent pas tous prétendre à un tel sommet musical. Dernièrement, il s’était même égaré dans l’emphase orchestrale et le superflu. Son dernier opus, Shifty Adventures in Nookie Wood est, quant à lui, une excellente nouvelle : John Cale a trouvé le juste équilibre entre chaos et beauté. C’est ce que l’on appelle un grand retour. A confirmer sur scène. F.K. Le 8 février, 20h30. Espace Julien, 39, cours Julien, Marseille 6e. www.espace-julien.com. 30€.
Le 15 janvier, 21h. Théâtre Toursky. 16, promenade Léo Ferré, Marseille 3e. www.toursky.org. 3-26€.
© DR
TRIO PHILLIPS, ZEKRI, COMPAORÉ
Attention, événement : la rencontre entre le contrebassiste américain Bare Phillips, le guitariste Camel Zekri et le batteur marseillais Ahmad Compaoré risque bien de donner naissance à quelques moments rares, comme seule l’improvisation free jazz peut en créer. Ces trois-là ont en commun un goût affirmé pour l’expérimentation et savent composer un langage musical qui leur est propre… Mais que les mélomanes en quête d’expériences artistiques singulières sauront instantanément comprendre. Car à ce niveau, la fusion au vocabulaire le plus complexe devient espéranto. S.P-R. Le 7 février, 20h30. Le Cri du Port, 8, rue du Pateur Heuzé, Marseille, 3e. www.criduport.fr. 10-12€.
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MUSIQUES
© Christian Dresse
© Caroline Doutre – Naïve
NIKOLAÏ LUGANSKY
ELEKTRA
Après son retour de la Guerre de Troie, Agamemnon est assassiné par sa femme Clytemnestre et son amant Egisthe. Elektra, sa fille, vit dans la névrose engendrée par le désir de vengeance… Première œuvre issue de la collaboration entre Strauss et Hofmannsthal, Elektra est aussi l’une des plus révolutionnaires. Le compositeur poursuit son processus de déconstruction de l’opéra romantique. Ici, ni prélude, ni ouverture : le drame est
présent dès les premiers déchaînements de l’orchestre. L’œuvre est condensée : un seul acte pour quatre-vingt dix minutes de violence et d’obsession, durant lesquelles aucun répit n’est laissé au spectateur. L’opéra n’est plus une succession d’arias entrecoupée de récitatifs, mais devient conversation symphonique, flot ininterrompu qui, dans un immense crescendo, mène au climax quasi insoutenable. Avec Jeanne-Michèle Charbonnet dans le rôle titre. A.L.
Les 7, 13 et 16 février, 20h30 et le 10 février, 14h30. Opéra de Marseille, place Ernest Reyer, Marseille, 1er. www.opera.marseille.fr. 13-77 €.
Spécialiste incontesté de Rachmaninov, qu’il considère comme son père spirituel, Nikolaï Lugansky est de passage dans la région pour deux concerts, à la Criée, puis au Grand Théâtre de Provence. A 40 ans, le pianiste russe s’est depuis longtemps imposé sur la scène internationale, au point d’être comparé à Richter et Horowitz. Les amateurs vont donc devoir faire face à un choix cornélien : entre Liszt, Wagner et Medtner à Marseille et Schubert à Aix, sachant que le pianiste jouera une sonate de Rachmaninov et une suite de Janacek lors des deux concerts. Alors que privilégier ? L’acoustique – parfois critiquée – du GTP ? Ou le label du festival de la Roque d’Anthéron pour le concert marseillais ? Bien évidemment, les fans ne trancheront pas et profiteront de l’aubaine pour s’offrir les deux. E.G. Le 15 janvier, 20h. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €. Le 1er février, 20h30. Grand Théâtre de Provence, 380, avenue Max Juvénal, Aix-enProvence. www.lestheatres.net. 10-42 €.
AHMAD JAMAL
© Jacques Beneich
A 82 ans, Ahmad Jamal est considéré, avec Keith Jarett, comme le plus grand pianiste de jazz vivant. Même Miles Davis le donnait en exemple à ses propres musiciens. Son secret ? Jouer peu de notes, mais les bonnes. Pourtant, l’artiste ne s’est jamais économisé. Et il est toujours en pleine possession de ses moyens. Le dernier album du maître, Blue Moon, rappelle ses plus grandes heures. Brillantes compositions et relectures des mythes américains (le film noir, Broadway, les grands espaces…), chacun des neuf morceaux donne l’impression de réinventer le swing. Le pianiste vient nous offrir cet opus sur scène. Il sera entouré de son fidèle Manolo Badrena aux percussions et de deux musiciens de la Nouvelle-Orléans : Reginald Veal à la contrebasse et Herlin Riley à la batterie. Avis de vertiges mélodiques. F.K.
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Le 5 février, 20h30. Grand Théâtre de Provence, 380, avenue Max Juvénal. Aix-en-Provence. www.lestheatres.net. 8-42€.
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EXPOS Philippe Ramette. Contemplation irrationnelle, 2003
Courtesy de l’artiste et Galerie Xippas, Paris
Courtesy de l’artiste et Galerie Marian Goodman
Galerie Xippas
Christian Boltanski. Les Fantômes de Varsovie (La Chanteuse), 2002
Yvon Lambert, Kamel Mennour, Emmanuel Perrotin, Thaddaeus Ropac, Daniel Templon… Si ces noms ne vous disent rien, sachez qu’ils comptent parmi les plus grands galeristes parisiens et sont les invités de Didier Gourvennec Ogor pour inaugurer sa saison 2013. Fraîchement élu président de l’association Marseille expos, le galeriste a en effet décidé de convier l’autre capitale à investir ses 175 m2 marseillais. Fort de son expérience parisienne dans les années 2000 et de son large réseau, il a proposé à douze prestigieuses galeries de lui prêter une œuvre, avec pour seule contrainte « un format à taille humaine ». Non seulement ses collègues parisiens ont répondu présents, mais ils ont joué le jeu, car les œuvres proposées ont parfois même dépassé ses attentes. A commencer par Go mental, une installation conséquente – et très fragile – de Claude Lévêque. 122
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Les douze artistes présents, de Christian Boltanski à Jacques Villeglé, sont pour la plupart des stars internationales et l’ensemble constitue un éventail très représentatif de la création contemporaine, tous médias confondus. La Lettre de non motivation de Julien Prévieux côtoie des pâtes à modeler sur toile de Richard Fauguet, et la vidéo de Mircea Cantor, une photographie de Philippe Ramette. Excepté à la Fiac, il est rare de voir réunies de telles pièces (à vendre) issues de galeries concurrentes. Seule ombre au tableau, aucune femme n’a été sélectionnée, y compris par Marian Goodman, la galeriste de la liste. Machos, les Parisiens ? E.G. Du 11 janvier au 16 mars. Galerie Gourvennec Ogor, 7, rue Duverger, Marseille, 2e. 09 81 45 23 80. www.galeriego.com. Entrée libre.
Courtesy de l’artiste et Thaddaeus Ropac
CAPITALE(S)
Marian Goodman Gallery
Jean-Marc Bustamante. Trophée Japon 3, 2008 Galerie Thaddaeus Ropac
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CADAVRE EXQUIS
Au musée Granet, comme au musée Cantini, l’année 2013 s’ouvre sous le signe du surréalisme. L’exposition conçue par la critique d’art Evelyne Artaud et le conservateur Bruno Ely est inspirée du principe du « cadavre exquis », ce jeu littéraire invitant chaque participant à réagir au dernier mot de son prédécesseur. A l’origine, leur projet prévoyait la création d’une « suite méditerranéenne », associant quinze artistes, à partir d’une œuvre de Philippe Favier. S’il s’est révélé techniquement impossible de suivre, à la lettre, cette règle du jeu, les commissaires ont choisi de privilégier, dans l’accrochage, la surprise née de la rencontre des médiums et des inconscients. Venus de quatorze pays du bassin méditerranéen, les écrivains, plasticiens et musiciens invités ont ainsi composé la partition d’une œuvre sinon collective, en tout cas, polyphonique. E.G.
BLAINE & GUIGNOL CIRCUS
(POSTERS & MANIFESTI ÉCLABOUSSÉS DE SPERME) Plutôt qu’un ennuyeux développement théorique sur une exposition que nous n’avons pas vu, laissons Julien Blaine nous évoquer son nouveau projet. Le poète a même rédigé un manifeste… S.P-R.
«
» Julien Blaine Du 15 janvier au 15 février. Vernissage le 15 janvier, 18h. Galerie Jean-François Meyer, 43, rue Fort-Notre-Dame. 04 91 33 95 01. Entrée libre.
C.Fort/Musée Granet CPA © Ilias Poulos
Du 13 janvier au 13 avril. Musée Granet, Aix-en-Provence. www.museegranet-aixenprovence.fr. 2-4 €.
Ilias Poulos. Memosis, 2012
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EXPOS
© Josef Koudelka / Magnum Photos
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KOUDELKA VESTIGES 1991-2012 Les photographies de Josef Koudelka ont fait le tour du monde, notamment sa série sur les « gitans », d’une puissance d’évocation rarement égalée. Depuis vingt et un ans, le photographe d’origine tchèque (et par ailleurs membre de l’agence Magnum) développe un autre projet, au croisement de l’archéologie et de l’art : représenter les grands sites de l’antiquité grecque et romaine. Il a donc arpenté 19 pays du pourtour méditerranéen et, grâce à sa sensibilité toute
particulière, a su capter la poésie de ces ruines. La première rétrospective de ce travail gigantesque est présentée à la Vieille Charité : Koudelka a imaginé un dispositif d’exposition qui « incarne » une promenade dans ces lieux sources de notre civilisation. Comme l’explique l’artiste, l’agencement des œuvres « reflète la conjugaison de l’horizontal (les forums, les places) et du vertical (les colonnes, les frontons), caractéristique des grands sites (antiques) ». F.K.
Grèce, Athènes, 1994. Temple de Zeus Olympien.
Atlas nautique de la Méditerrannée, 1665 Alcazar-Fonds Rares et Precieux
Du 12 janvier au 15 avril. Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité, Marseille 2e. www.culture.marseille.fr. 5-8€.
LE TRÉSOR DES MARSEILLAIS
Le « Trésor des Marseillais » ? Ni or, ni argent, ni pierres précieuses ; il s’agit d’un édifice consacré par la cité de Massalia (l’actuelle Marseille) entre 530 et 500 av. J.-C. dans le sanctuaire d’Athéna Pronaia, à Delphes (Grèce). Sur ce petit monument en forme de temple se trouvait une frise sculptée représentant une « Amazomachie » (le combat des Grecs face aux Amazones) : ce sont les vingt-huit fragments de cette frise, classés « trésor national » par la Grèce, qui seront présentés dans la chapelle du centre de la Vieille Charité. Face à elles, le visiteur pourra découvrir la reconstitution 3D - à taille réelle - du monument qui les accueillait. Ce « Trésor » témoigne de la spectaculaire expansion démographique et économique de Massalia entre sa fondation, vers 600 av. J.-C., et l’offrande faite à Delphes, moins de cent ans plus tard. La cité phocéenne avait déjà, alors, des allures de capitale. S.P-R. Du 12 janvier au 15 avril. Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité, Marseille, 2e. www.culture.marseille.fr. 5-8 € (billet combiné avec l’exposition Koudelka).
MÉMOIRE DES RIVES : CARTES ET PORTULANS DE MÉDITERRANÉE Les « portulans », ce sont ces cartes nautiques manuscrites, servant essentiellement à repérer les ports et les dangers qui pouvaient les entourer (courants, hauts-fonds...). Bien que souvent grossièrement dessinés, ils constituent aujourd’hui de précieux témoignages de la façon dont les hommes de la Renaissance se représentaient le monde. Cette exposition présente un large panel de documents (de la fin du Moyen Age au XVII e siècle), en accordant une place toute particulière à l’école marseillaise. A.L. Du 11 janvier au 27 mars. Bibliothèque de l’Alcazar, 55, cours Belsunce, Marseille, 1er. www.bmvr.marseille.fr. Entrée libre.
© Maud Mulliez (ArScAn-CNRS), Léonard Gugi (MAP-CNRS)
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EXPOS
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Ancien parking du Cours d’Estienne d’Orves. Atelier Photographique de la Ville de Marseille tous droits réservés.
MATTA, DU SURRÉALISME À L’HISTOIRE
Alors que le débat sur la création d’une structure métropolitaine déchaîne les passions, l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (« Agam », association qui effectue un rôle de conseil auprès des institutions), nous assure que cette exposition n’est en aucun cas supposée rajouter de l’huile sur le feu. Décidée il y a plusieurs mois, elle s’est trouvée de fait confrontée à l’actualité brûlante, quand le gouvernement a soudainement décidé de s’investir dans la cause métropolitaine… L’exposition n’en est que plus utile. Elle fait la lumière sur cinquante ans d’évolution urbaine de l’aire mar-
seillaise à travers schémas, statistiques, études, chiffres, photos, films et vues aériennes de la ville prises en 1969, 1984 et 2009. Le propos est beaucoup trop complexe pour être exposé ici. Et pour être « exposé » tout court, est-on tenté de dire, tant on est noyé sous le flot des informations. On salue donc la démarche de l’Agam, mais on conseille au visiteur qui ne dispose pas de quatre heures pour examiner l’ensemble des panneaux de cette expo décidément très (trop ?) complète, de se procurer plutôt un bon bouquin sur la question. S.P-R.
Du 15 février au 19 mai. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille 6e. www.culture.marseille.fr. 2-8 €.
© Adagp, Paris Crédit photo : Ramuntcho Matta.
DE LA VILLE À LA MÉTROPOLE
Le musée Cantini flambant neuf (et désormais climatisé) inaugure 2013 avec le peintre chilien Matta. Le choix de cet artiste, dont c’est la première exposition personnelle en France depuis 1985, s’inscrit dans la thématique surréaliste chère au musée marseillais et très présente tout au long de l’année capitale. Avec une cinquantaine de toiles et presqu’autant de dessins, venus des quatre coins du monde, l’exposition entend retracer l’itinéraire emblématique d’un artiste du XXe siècle, « des voies de l’automatisme surréaliste à une interprétation métaphorique de l’Histoire ». Comme le Picasso d’après-guerre, Matta a les yeux rivés sur le monde. Eternel exilé, il est solidaire de tous les combats contre la barbarie, qu’il évoque dans un langage symbolique, parfois à la limite de l’abstraction. E.G.
Jusqu’au 9 mars. Hall Castel, DDTM/Dreal, 16, rue Antoine Zattara, Marseille, 3e. www.agam.org. Entrée libre.
Matta. Le Poète, 1945
Collection Ramuntcho Matta.
GÉRARD RONDEAU
LES COULISSES DU MUSÉE
Pendant quinze ans, à la faveur d’une commande publique, Gérard Rondeau a photographié les musées français et leurs grandes expositions. Le portraitiste et grand reporter, célèbre du monde, a choisi de promener son Leica dans les réserves des musées ou durant les accrochages. Il a capté les espaces et les moments d’ordinaire soustraits au regard du public. Il s’est attardé sur des statues reposant à l’abri des regards, emballées comme des œuvres de Christo, mais aussi sur des détails et des scènes qui échappent au visiteur trop pressé. Tout ce « hors cadre » que seul l’œ il de l’artiste sait voir. E.G. 18-20, rue Mirès, Marseille, 3e. www.archives13.fr. Entrée libre.
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EXPOS
L’INVENTION DU SAUVAGE
MATTHIAS OLMETA
Du 1er février au 30 juin. Chapelle du Méjan, www.lemejan.com. Entrée libre.
Du 12 janvier au 23 mars. Galerie Hélène Detaille, 5 rue e . www.galeriedetaille.com. Entrée libre.
Venue du musée du Quai Branly, où elle a accueilli plus de 250 000 visiteurs l’année dernière, l’exposition présentée à Arles en est la version itinérante et réduite. Ce n’est pas une raison pour bouder cette approche scientifique, très documentée, de ce qu’on a longtemps appelé les « zoos humains ». Fruit d’un commissariat partagé entre l’ex-footballeur Lilian Thuram, l’historien Pascal Blanchard et l’anthropologue Nanette Snoep, L’Invention du sauvage retrace l’histoire de ce
phénomène, très en vogue au XIXe siècle et jusque dans les années 1930. Son propos est pédagogique, destiné, selon Lilian Thuram, à montrer « comment le racisme scientifique est devenu culturel à travers les zoos humains (…), comment se sont mis en place des préjugés autour de la couleur de peau », et surtout, « pourquoi certaines pensées racialistes existent encore dans nos sociétés ». E.G.
VOLUPTÉ
RÊVES DE SILENCE Matthias Olmeta ne travaille pas avec un appareil photo dernier cri. Au contraire, il délaisse la haute technologie au profit d’un procédé archaïque, l’ambrotype. Il cherche ainsi à renouer avec une certaine magie de la photographie, cet art qui permet d’arrêter le temps, de capter la matière dans l’espoir de percer son secret. L’artiste ne fixe pas des sujets sur une pellicule, il révèle leurs qualités vibratoires. Très fortement influencé par les expériences chamaniques, il a voyagé au Pérou et en Amazonie. Il compose des « portraits » de fleurs, de vanités et d’objets divers. Ces images semblent nimbées d’une aura, imprégnées du caractère sacré du monde et de ses mythes. F.K.
Alors que débute l’année capitale, c’est un cycle qui s’achève, pour Marseille expos : après Luxe, puis Calme, la fédération de galeries marseillaises présente la dernière exposition de son triptyque baudelairien à la Galerie du 5 ème : Volupté se veut « voyage initiatique » à travers les œuvres de 19 artistes. Parmi eux, João Vilhena, qui nous rend témoin d’un châtiment corporel – une fessée érotique – inspirée des photos et cartes postales coquines des années 1920. Et oui, car ici, tout est permis, comme l’explique Santi Oliveri, coordinateur artistique de la galerie Vol de nuits et à ce titre l’un des neuf commissaires de cette expo qui nous ramène « au cœur de la puissance créative de l’art » : « Cupidité, envie, gourmandise, liberté sexuelle, passion, précision maniaque du détail, formes et couleurs séduisantes et tentatrices sont délivrées de toute stigmatisation morale : vices qui s’élèvent au rang de vertus, illustrés par l’allégorie eidétique de l’art pour le plaisir de nos yeux. » Ça devait être dit. A.L. Du 8 janvier au 30 mars. Galerie du 5ème, Galeries Lafayette, er . www.marseilleexpos.com. Entrée libre.
João Vilhena, (détail), W2, 2012 Saffir Galerie nomade
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DESTINATION - LENS
LE LOUVRE-LENS
co - auteurs du Musée du Louvre-Lens : (c) SANAA / Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa IMREY CULBERT / Celia Imrey et Tim Culbert - MOSBACH PAYSAGISTE / Catherine Mosbach - Photographie (c) Hisao Suzuki
Le prestigieux musée parisien a ouvert, le 4 décembre, sa nouvelle antenne dans le Nord. Un espace de 20 000 m2 fort de 205 chefs-d’œuvre.
C
C’est un bâtiment de verre et de lumière, d’un blanc pur, délicatement posé sur un ancien carreau de mine. Rectiligne, de faible hauteur, ce Louvre-Lens est plus qu’une antenne provinciale de la maison mère. « C’est le Louvre même, explique Henri Loyrette, patron de l’institution parisienne. Le Louvre dans toutes ses dimensions et toutes ses composantes, dans son amplitude géographique et chronologique de musée universel. Nos collections sont ici présentées de façon transversale, réunissant ce qui, à Paris, est séparé en départements, en écoles, en techniques. » Le Louvre-Lens est une nouvelle aile du Louvre où tout devient possible.
CE SONT LES PLUS GRANDS CHEFS-D’ŒUVRE ET LES PLUS GRANDS ARTISTES PRÉSENTS AU LOUVRE QUI SONT EXPOSÉS À LENS
205 œuvres. La « Galerie du temps » est l’épine dorsale
Lumières, Néoclassisimes, etc.). Ce sont les plus grands chefs-d’œuvre et les plus grands artistes présents au Louvre qui sont exposés à Lens. Parmi les fleurons, on compte La Liberté guidant le peuple de Delacroix, une Vierge à l’Enfant de Botticelli, un Saint Sébastien du Pérugin, le célèbre Portrait de Baldassare Castiglione de Raphaël, Ixion, roi des Lapithes de Rubens, Saint Matthieu et l’ange de Rembrandt, La Madeleine à la veilleuse de La Tour, Mariana Waldstein de Goya, Louis-François Bertin d’Ingres…
du musée. Elle s’inspire de la Grande Galerie du Louvre. 205 œuvres sont exposées sur une surface de 3000 m², dans un parcours décloisonné. Un panorama de l’histoire de l’art et des civilisations en trois séquences : Antiquité (Mésopotamie, Egypte ancienne, Grèce classique, Empire romain, etc.), Moyen Age (Empire Byzantin, chrétienté d’Occident, Orient islamique, Europe gothique, etc), et Temps modernes (Renaissance, Europe baroque,
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Photographie © Musée du Louvre-Lens / Philippe Chancel
Photographie © Musée du Louvre-Lens / Philippe Chancel
Effet Guggenheim. Avec ce nouvel outil culturel, la ville
de Lens espère bien réussir ce que Bilbao, cité espagnole durement touchée par la crise de la sidérurgie, a obtenu avec le musée Guggenheim, qui a relancé l’économie de toute une region. L’exemple de sa voisine Lille, capitale européenne de la culture en 2004 est également cité. Mais, comme l’assure Henri Loyrette, « c’est une chance pour Lens, mais aussi pour le Louvre. Une occasion de rayonnement et de renouveau. En présentant les œuvres différemment, nous off rons une expérience pour les habitants du bassin minier, mais aussi pour ceux qui ont déjà visité le Louvre, qui verront autrement des collections dont ils peuvent être familiers ». Le Louvre-Lens attend 500 000 visiteurs par an. www.louvrelens.fr
Photographie © Musée du Louvre-Lens / Philippe Chancel
L’aéroport de Lille-Lesquin est le plus proche de Lens (moins de 30 minutes). Vol direct au départ de l’Aéroport Marseille Provence à partir de 49 € www.airfrance.fr
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RESTAURANT
AU BOUT DU QUAI
Encadré de son nouveau décor floral, le Bout du quai affiche une inédite terrasse estivale. Moderne, design, et cosy à la fois, elle est à l’image du restaurant et de sa décoration contemporaine. Spécialiste de la pêche, l’équipe du Bout du quai réserve sa plus grande place sur l’ardoise aux poissons frais et arrivages alléchants tout en restant dans l’authenticité de nos recettes marseillaises. Simple, goûtu et copieux, le Bout du quai est tout simplement une adresse dans l’air du temps.
1, avenue de Saint-Jean 13002 Marseille
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RESTAURANT
LE COMPTOIR MARSEILLAIS
Installé sur la Corniche avec vue sur la mer de la terrasse ou de la salle, Le Comptoir Marseillais, vous reçoit pour déguster une cuisine Bourgeoise. Les cartes évoluent au gré des saisons pour vous proposer à midi un déjeuner simple et rapide et le soir un diner plus élaboré, des vins à choisir dans une magnifique cave en verre. Le dimanche le brunch vient compléter la carte. Et tous les soirs des apéritifs ou digestifs dans notre espace bar. Si vous avez besoin d’un lieu pour vos évènements : www.lecomptoirmarseillais.com
5 Promenade Georges Pompidou
RESTAURANT
L’INSOLITE
UN LIEU, UNE EXCEPTION… A découvrir absolument ! Niché au fond d’une allée à 50 m de la préfecture, dans un cadre exceptionnel. Nous vous attendons pour déguster nos pizzas au feu de bois, et découvrir notre cuisine gourmande et colorée. Repas de groupe - Privatisation du restaurant sur demande.
5 rue d’Italie 13006 MARSEILLE
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RESTAURANT
VA PIANO
Entre l’ambiance décontractée d’un restaurant de quartier et le cadre soigné d’un lieu où il fait bon dîner, VAPIANO conquiert le territoire marseillais à un rapport qualité-prix imbattable. Voici donc un nouveau concept en France, déjà présent en Europe et en Amérique du Nord avec plus de 100 établissements VAPIANO au décor italien à la fois moderne et chaleureux. Venez découvrir la fraîcheur des produits, la préparation sous vos yeux par nos Vapianisti – avec le sourire! - de la composition que vous avez choisie, que ce soit une pizza, une sélection parmi onze types de pâtes fraîches et vingt recettes différentes, ou encore votre grande salade garnie. Tout ceci en totale liberté, vous pouvez prendre votre temps, manger rapidement, ou emporter votre repas. Votre carte individuelle VAPIANO consignera ce que vous avez dégusté, que ce soit au bar, ou sur les pôles de restauration Pizzas, Pâtes, et Salades.
20 Avenue du Prado 13006 Marseille
RESTAURANT
LA VILLA
L’établissement chic et reconnu logé rue Jean Mermoz s’affirme comme le lieu de rendez vous pour les habitués du quartier. Restaurant au charme atypique, lieu de quiétude, une vaste terrasse jardin, ombragée l’été et chauffée aux jours frisquets. Sa cuisine offre un large choix avec une mention spéciale pour les poissons grillés au feu de bois. Une touche originale pour la présence d’un kiosque à coquillages de l’automne au printemps ainsi qu’une sushi women japonaise à demeure. Une large carte des desserts permet de terminer ce moment agréable par une touche sucrée.
04 91 71 21 11 136
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HÔTEL-RESTAURANT
PIOLINE
Cessez de cherchez un lieu différent... Venez ! Aujourd’hui, la mémoire du passé subsiste dans cette élégante demeure, au sein de l’hôtellerie de luxe et traditionnelle de la ville d’Aix en Provence. Hôtel 4*, Restaurants, bar et évènementiel
04 42 52 27 27
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