8e art magazine • été 2017
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8 e art magazine • été 2017
8e art est une publication trimestrielle de 350 avenue du Prado 13008 Marseille Numéro ISSN : 2267-4837 Dépôt légal : Juin 2017
MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE Retrouvez nous sur :
WWW.8EARTMAGAZINE.COM
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Eté 2017
Directeur de la publication : Frédéric Azibert f.azibert@8eartmagazine.com Rédactrice en chef : Emmanuelle Gall e.gall@8eartmagazine.com Direction artistique : Jonathan Azeroual j.azeroual@8eartmagazine.com Ont collaboré à ce numéro : Julie Bordenave, Maeva Da Cruz, Fred Kahn, Olivier Levallois et Sophie Passage. Service commercial : René Zemmour 06 34 17 06 19 r.zemmour@8eartmagazine.com Conception et réalisation : Média Print La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution.
LEÇONS AFRICAINES Par Emmanuelle Gall, rédactrice en chef
Ç
a a commencé avec Afriques Capitales à la Villette, en mars. Puis, il y a eu Art Paris Art Fair 2017 au Grand Palais, Art/ Afrique, le nouvel atelier à la fondation Vuitton et l’opération Africa now aux Galeries Lafayette… Depuis le début de l’année, et pas seulement dans la capitale, les manifestations dédiées aux arts et cultures d’Afrique s’enchaînent à un rythme soutenu. Cet été, Avignon s’autoproclame « capitale de l’art africain contemporain » et son festival affiche un « focus Afrique subsaharienne » en collaboration avec le Festival de Marseille. La Villa Arson vit à l’heure de Cotonou et Africa Fête rend hommage à son fondateur, Mamadou Konté… Simple phénomène de mode, nouvel eldorado des spéculateurs et du marché de l’art, bonne conscience passagère ? Il y a un peu de tout cela dans cet « été africain », qui a déjà suscité son lot de polémiques. Il offre néanmoins l’occasion de se mettre à l’écoute des artistes africains. À l’instar d’Italo Calvino évoquant dans ses Leçons américaines (Aide-mémoire pour le prochain millénaire) les cinq « valeurs littéraires » qui lui tenaient à cœur – légèreté, rapidité, exactitude, visibilité et multiplicité –, on pourrait profiter de ce voyage estival pour méditer un peu sur cinq des vertus cardinales des arts africains : recyclage, mémoire, solidarité, spiritualité et métissage.
En couverture :
Kifouli Dossou, Les Animaux. Oeuvre de l'exposition Stop Ma Pa Ta, à la Villa Arson (lire p. 28-31) Photographe : Philippe Herbillot Courtesy Galerie Vallois - Jean-Yves Augel
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SOMMAIRE
MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE
#39 Été 2017
26 DOSSIER 1
13 ESCALES DE
06 21
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LA RENCONTRE
Marseille intime, Sophie Bertran de Balanda
24
En route pour le Bénin, via la Villa Arson
ACTUS
32
Une seule collection, mais deux voyages
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TRIBUNE / Théâtre et danse :
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Le « théâtre » des migrations selon Brett Bailey
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Rendez-vous au Tram 83
un touktouk au musée
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Dorothée Munyaneza, le corps mémoire du Rwanda
L’ENDROIT
44
Bienvenue à Kalakuta Republic !
46
Répertoire et avant-garde
48
Africa Fête, l’Afrique sans frontières
51
Du théâtre Silvain à la Cour d’honneur
54
PORTFOLIO
66
L’ÉVÉNEMENT
68
SCÈNES
72
MUSIQUES
76
EXPOS
80
ENFANTS
les grands oubliés de l'été
18 20
21
22
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ART CONTEMPORAIN
28
12
17
4
L’ETE AFRICAIN
L’OEUVRE / Triporteur du Caire,
OÙ, ici et là, une aventure ! LE SITE
15-38 Réseau Méditerranée, l’information sans frontière
THÉÂTRE
DANSE
MUSIQUE
L'ARTISTE
Les Pas Perdus, l’imagination au pouvoir
La Colombie aux Rencontres d’Arles
L'OBJET
Mon cupcake fait des bulles
23
LE RESTAURANT
24
LA BALADE
Maison Matthieu, fumerie provençale
La villa E-1027,à l’ombre de Le Corbusier
Cinq continents, des voyages et un hommage
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LA RENCONTRE
MARSEILLE INTIME,
EN COMPAGNIE DE SOPHIE BERTRAN DE BALANDA ET MARCEL RONCAYOLO
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© Jacqueline Lepetit
Propos recueillis par Julie Bordenave
Sophie Bertran de Balanda
«
La ville est toujours la ville de quelqu’un », aime à constater le géographe Marcel Roncayolo, qui a fait de sa Marseille natale son « animal de laboratoire » une carrière durant. Dans l’ouvrage Le Géographe dans sa ville, il s’affranchit de l’objectivité du scientifique pour plonger dans sa mémoire subjective d’habitant. À ses côtés, l’urbaniste Sophie de Balanda livre des dessins croqués sur le vif, faisant coexister une ville ancienne et une ville nouvelle, qui « se surimpriment plus qu’elles ne se succèdent ». Ses aquarelles agissent comme un révélateur, faisant émerger souvenirs d’enfance, usages révolus et transformations architecturales : animaux du Jardin zoologique de Longchamp, rétive rue de la République, bastides de SainteMarthe... Récit d’une collaboration.
LA RENCONTRE
Comment a germé l’idée de cet ouvrage ? Notre parcours commun a commencé dans les années 90. J’avais demandé à Marcel Roncayolo de faire partie d’un jury pluridisciplinaire sur Martigues, car je trouvais très novatrice sa manière de mettre ensemble les différents enjeux de la ville. Nous avons tiré de cette collaboration l’ouvrage Martigues, regards sur un territoire méditerranéen en 1999, comme un premier croisement entre scientifiques, architectes et artistes. Le projet du Géographe dans sa ville a démarré en 2002, par son regard sur mes dessins faits sur le vif : j’ai toujours un carnet dans la poche, je dessine comme on pratique l’écriture automatique. Plutôt que les gens ou le mouvement, j’y restitue la permanence de la ville, le tracé des rues, les détails… Sûrement une déformation due à mon métier ! Attablé dans un bar de son quartier, il m’a dit : « quand je regarde tes dessins, je vois la ville de mon enfance. » Par défi, nous avons alors décidé de refaire les chemins de son enfance, pour faire le lien entre la mémoire de ces lieux et la ville actuelle. Quel a été votre protocole de travail ? Toucher à la notion de ville natale a amené Marcel Roncayolo à être le sujet de sa propre recherche. Cette démarche montre comment le scientifique est aussi nourri d’impressions familiales, de ses trajets d’enfance… Un héritage qui participe à la formation, au même titre que l’apprentissage dans des grandes écoles. Nous avons pratiqué une recherche-action reposant sur le dialogue. Pendant nos balades (à pieds, en bus, en train, en tramway, en métro…), nous avons échangé, le dessin amorçant le déclic du souvenir. Puis nous avons mené des séances de travail à la table, à partir de plans de la ville pour réfléchir sur la transformation des tracés, ou encore en étudiant un annuaire de 1930 pour y recenser les activités d’époque de la Canebière… L’ouvrage s’étoffe d’un précieux matériel iconographique, sur la première moitié du XXe siècle. Nous avons croisé les archives personnelles de Marcel Roncayolo et des documents sur la manière 8e art magazine • été 2017
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LA RENCONTRE
Sophie Bertran de Balanda
« TOUCHER À LA NOTION DE VILLE NATALE A AMENÉ MARCEL RONCAYOLO À ÊTRE LE SUJET DE SA PROPRE RECHERCHE. » dont la ville s’est transformée : les grands chantiers du début du XXe siècle, l’émergence du quartier Bourse, la formation de la rue Foch… La force de l’ouvrage tient aussi à la manière très créative dont les éditions Parenthèses sont intervenues, notamment Varoujan Arzoumanian. Le livre est scindé en deux parties : une première partie mémorielle, dans laquelle Marcel Roncayolo se livre à un travail d’analyse à partir de mes dessins. Lesquels sont concentrés dans la deuxième partie, qui retranscrit douze de nos balades. Une réflexion subtile qui, je l’espère, facilite l’entrée dans l’ouvrage. De quelle manière pensez-vous que cet ouvrage puisse agir sur la lecture de la ville ? Pour une urbaniste, avoir la chance de dialoguer sur un territoire pendant plus de dix ans, c’est formidable ! Le processus enrichit aussi la réflexion sur la recherche, en présentant au lecteur une autre facette de la personnalité de Marcel Roncayolo, via une écriture moins complexe. Il permet aussi de se questionner sur la manière dont notre propre ville natale nous a orientés et sensibilisés. Nul besoin 8
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d’être grand romancier comme Julien Gracq, ou scientifique comme Marcel Roncayolo : nous avons tous des souvenirs d’enfance dans des lieux précis, même s’ils n’existent plus. Le seul fait de s’en souvenir et de leur rendre un hommage, c’est les faire revivre et avancer soi-même. Ce livre n’est pas un pensum, il a été construit pour que tout le monde puisse y rentrer.
Marcel Roncayolo et Sophie Bertran de Balanda, Le Géographe dans sa ville, 272 pages, éditions Parenthèses, 2016, 26 €,
WWW.
editionsparentheses.com
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ACTUS
Publi-communiqué
DES LIVRES ET DES STARS Né à Aix-en-Provence en 2015, le festival du livre des célébrités s’installe à la Vieille-Charité, les 24 et 25 juin. L’occasion pour les lecteurs marseillais d’aller à la rencontre d’une vingtaine de stars – et de leur plume.
«
Ce festival est un rendez-vous littéraire artistique et culturel, qui rassemble, le temps d'un week-end, une vingtaine de personnalités, dans une ambiance festive et conviviale. Une occasion rare de les réunir autour d'une même passion, l'écriture, et de la partager avec leurs lecteurs », résume la journaliste Françoise Smadja, fondatrice du festival Des Livres et des stars. À l’origine de ce projet, l’envie non pas de se contenter de « réunir des people », mais « de mettre à profit leur notoriété, pour aborder tous types de sujets » et de favoriser le dialogue avec le public, grâce à des conférences, débats et rencontres animés par des journalistes. Pour sa troisième édition, le festival déménage d’Aix-en-Provence à Marseille et du couvent des Oblats à la Vieille-Charité, mieux à même de recevoir un vaste public, selon les organisateurs. Après Michel Drucker et Laurent Gerra, c’est au tour de Stéphane Plaza de parrainer la manifestation. L’auteur de Net Vendeur ! se dit « plus qu’enchanté » de participer à l’aventure avec « un bon peloton de célébrités ». Pas moins de 24 stars, venues de tous les horizons, ont en effet répondu présentes : d’Aure Atika à Jacques Weber, en passant par les comédiens Guy Bedos, 10
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« UNE OCCASION RARE DE RÉUNIR LES STARS AUTOUR D'UNE MÊME PASSION, L'ÉCRITURE, ET DE LA PARTAGER AVEC LEURS LECTEURS. » Fiona Gélin, Gérard Jugnot ou Laetitia Millot, les chanteurs Alain Chamfort, Sheila et Stone, les animateurs Michel Drucker, Pierre Ménès… pour ne citer que les plus célèbres. Pendant deux jours, dans la chapelle de la Vieille-Charité, au cinéma Le Miroir et au café littéraire, sont prévues une douzaine de conférences, animées par des chroniqueurs et journalistes des grands médias nationaux. Un ou plusieurs invités se prêteront au jeu des questions et des réponses autour leur propre livre ou d’une thématique, telles « Face à la
vie » (avec Aure Atika et Natasha Saint-Pier), « Les feux de la rampe » (avec Dominique Besnehard et Olivier Minne), ou encore « Ce qui nous rassemble », réunissant le journaliste Patrick de Carolis et Abdellah Boussouf (secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger) qui représente le Royaume du Maroc, partenaire de la manifestation. Enfin, Des livres et des stars, c’est évidemment aussi l’occasion de se faire dédicacer des livres et même, paraît-il, de recueillir des autographes.
Les 24 et 25 juin, 10h-19h. La Vieille-Charité, 2, rue de la Charité, Marseille, 2e. Entrée libre
WWW.
deslivresdesstars.fr 8e art magazine • été 2017
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Yes we camp © Foresta
ACTUS
UN PARC MÉTROPOLITAIN À FORESTA Tout le monde connaît cet espace en friche au pied des lettres « Marseille », qui caracolent sous la cité de La Viste en toisant la Méditerranée. Si le site arbore toujours un air de terrain vague, son visage pourrait changer bientôt. Résiliance y a en effet racheté en 2015 les 26 hectares entre Grand Littoral et la tuilerie Monier : le promoteur immobilier prévoit d’y édifier un centre de grossistes du textile (MIF 68) sur 10 hectares, et s’est adressé au collectif Yes We Camp pour activer les 16 hectares restants. Forts de l’accompagnement de la coopérative d’habitants Hôtel du Nord et du Bureau des guides du GR 2013, Yes We Camp y mène une démarche de coconstruction avec les riverains des quartiers voisins : « nous prenons le temps de rencontrer les habitants, découvrir les usages et comprendre ce territoire, afin de mieux évaluer ce qu’on peut – et ce qu’il est nécessaire d’– y faire », détaille Léa Ortelli, chargée de partenariats chez Yes We Camp. À terme, le parc Foresta se destine à accueillir un hameau de ferme, des installations culturelles et sportives… Objectif : travailler à partir des ressources locales, naturelles et humaines, via 3 000 m² de maraîchage, des ateliers coopératifs de céramique, textile ou pâtisserie, une vente directe de légumes, miel et artisanat… C’est une première pour le collectif, qui, après des occupations temporaires de sites, de l’Estaque (Marseille Off 2013) à Paris (Les 12
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Grands voisins, 2015-2017), s’attaque via Foresta à une opération pérenne. « Nous mettons en place un outil au service des habitants, qui vise à une gestion participative », précise Léa Ortelli. Pour l’heure, le montage financier public-privé est en cours de bouclage, et la demande de permis de construire sera bientôt lancée. Après deux journées festivalières, en octobre et juin derniers, des activations sont aussi prévues durant l’été : balades avec Hôtel du nord, ateliers « Jardinez la ville » avec le collectif SAFI et l’association Espigaou… J.B.
www.yeswecamp.org
ACTUS
© Jean-Marie Perrot
Cinéma
TOILES ET ÉTOILES Comme chaque été, le cinéma se pratique en extérieur et gratuitement. Entre Marseille et Aix, plusieurs programmations conséquentes aux identités propres déploient leurs écrans dans des lieux patrimoniaux ou emblématiques, à ciel ouvert. Ciné PleinAir, propose ainsi une vingtaine de films grand public et familiaux, sans sacrifier à la qualité, dans une dizaine de sites de Marseille. Belle et Toile, transforme tous les dimanches soirs le convivial toitterrasse de la Friche en cinéma avec vue panoramique, pour une programmation exigeante, concoctée par le Gyptis. Enfin, Instants d’Eté invite à (re)voir des classiques et des films primés dans divers lieux de la ville d’Aix. Chaises, longues, plaids, pique-niques sont vivement conseillés. O. L.
Ciné Plein-Air Marseille
Du 23 juin au 16 septembre, 21h30-21h45 www.cinetilt.org Belle et Toile
Friche La belle de Mai, Du 2 juillet au 27 août, à la nuit tombée www.lafriche.org Instants d’été
Du 2 juillet au 31 août, à la nuit tombée www.aixenprovence.fr
© AIS
HOLYDAY CAMP, ÇA TOURNE ! Pendant les vacances scolaires, les Ateliers de l’Image et du Son ouvrent leurs portes aux lycéens et étudiants désireux de s’initier aux techniques audiovisuels dans un cadre professionnel. Quatre ateliers d’initiation sont proposés : réalisation, jeu d’acteur, enregistrement sonore en studio, photographie. Au programme : écriture de scénario, storyboards, pratique de la caméra, montage, direction d’acteurs, interprétation, prise de son, enregistrement et mixage en studio, éclairage, initiation aux logiciels de mixage, montage et retouche photographique… Ces ateliers conviviaux, encadrés par des professionnels, sont aussi l’occasion de rencontrer d’autres jeunes passionnés de la région et d’envisager des projets communs… parce qu’après les holyday camp, c’est toujours les vacances. O.L. À partir du 17 juillet. Ateliers de l’Image et du Son,
40, rue Borde, Marseille, 8e. 04 91 76 23 64. Réalisation (10 jours) 690 €. Autres (5 jours) 390 €. www. ais-formation.com/stages 8e art magazine • été 2017
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Pêle-mêle © Elodie Gaillard
ACTUS
AU VERGER ! Après l’expérience Aux Tableaux !, menée dans l’ancienne école SaintThomas-d'Aquin à l’été 2015, l’association Juxtapoz réitère dans l’ancien Couvent Levat, à la Belle de Mai. La Ville de Marseille, qui a acquis le site — de 1,7 hectare avec prairie, bois classé et potager — pour en faire un jardin public à horizon 2021, en confie la gestion au collectif pour trois ans. L’expérience s’intègre dans le projet urbain « Quartiers Libres Saint-Charles – Belle de Mai » visant à réhabiliter le secteur autour de la culture et de la recherche en développement urbain. En prévision : une cité d’artistes écoresponsable, mêlant résidences permanentes et temporaires (arts visuels, musique, théâtre, design urbain…), et transformant l’ancienne chapelle en lieu de diffusion. Depuis janvier dernier, Juxtapoz mène des travaux de mise aux normes en vue d’une grande exposition d’art contemporain urbain en 2018. Une ouverture progressive au public est envisagée courant 2017. J.B. Atelier Juxtapoz. Ancien Couvent Levat,
52, rue Levat, Marseille, 3e. www.atelier-juxtapoz.fr
Tout juste rentrée de Colombie, où elle est partie transmettre Le Malade imaginé à la compagnie Cofradia Teatral, l’équipe de l’Agence de Voyages imaginaires prépare sa désormais traditionnelle Exploration polaire. Chaque année depuis cinq ans, à l’approche de l’été, Philippe Car et ses compagnons donnent rendez-vous à leurs amis artistes et spectateurs pour une soirée folle, dans leur repère de l’Estaque. L’occasion, pour ceux qui ne la connaissent pas encore, de découvrir cette fabrique artistique unique en son genre et la chaleur humaine de ses habitants, mais aussi d’assister à une foule de concerts, performances et autres entre-sorts. L’année dernière, plus de 1000 spectateurs ont fait le voyage jusqu’au Pôle Nord ! S.P. Le 30 juin, 19h-2h. Pôle Nord,
117, traverse Bovis, Marseille 16e. 04 91 51 23 37. Adhésion : 5 €. www.voyagesimaginaires.fr 14
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© Elian Bachini
EXPLORATION POLAIRE
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TRIBUNE
Festivals
THÉÂTRE ET DANSE : LES GRANDS OUBLIÉS DE L'ÉTÉ
L’écosystème artistique s’appauvrit exactement comme les espèces animales et végétales disparaissent. Sous couvert de normalisation, de rationalisation, d’innombrables aventures de l’esprit se retrouvent marginalisées, menacées d’extinction. Texte : Fred Kahn
L
es festivals, qui participent à l'attractivité touristique, prolifèrent en juillet et août. Comme chaque année, la programmation musicale (toutes les musiques sont d'ailleurs représentées) est particulièrement dense et pratiquement chaque village de Provence offre (souvent gratuitement) moult animations culturelles festives, populaires et ludiques. Mais point de théâtre ou de danse contemporaine. Pourquoi ? La raison est évidente. Ces arts ne sont pas assez « populaires ». Or, il fut un temps, pas si lointain que ça, disons une dizaine d’années en arrière, où le territoire était émaillé d’un florilège (festival des îles, festival de théâtre de Martigues, Danse à Aix, festival de danse de Châteauvallon…) de propositions scéniques associant le souci de l’excellence et celui de l’accessibilité au plus grand nombre. Ce théâtre et ces danses se jouaient dans des sites souvent remarquables, dans la proximité et la convivialité. Profitant d'une disponibilité si particulière, qui est le privilège des vacances, des formes habituellement réservées à des publics connaisseurs touchaient ainsi une population plus vaste de non initiée. Désormais, dans toute la Provence, il n’existe plus qu’une seule immense vitrine internationale pour les arts de la scène contemporains : Avignon. Ajoutons les festivals, plus modestes, de Marseille et d’Uzès... Partout ailleurs sévit le désert théâtral et chorégraphique. Rien, sinon quelques pièces sans véritables enjeux artistiques, de préférence comiques et très consensuelles. Les associations qui portaient des projets exigeants ont été laminées par les pouvoirs publics. Pas assez rentables, trop « prises de tête »… Combien de dramaturgies, de récits poétiques, d'univers gestuels ainsi avortés ? Pour les décrédibiliser, il suffit de les taxer d’élitistes. Une offre raréfiée assèche forcément la demande. Au lieu de tenter d’exciter la curiosité des gens, les populistes, c'est-à-dire ceux qui méprisent le peuple en parlant en son nom, affirmeront que l’audace créatrice n’intéresse personne.
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Triporteur du Caire
L'OEUVRE
Tricycle motorisé de récupérateur de rue , vue de l’exposition Vies d’ordures, section III.
UN TOUKTOUK AU MUSÉE
Acquis par une équipe de chercheurs du Mucem, à l’occasion d’une enquête-collecte au Caire, ce triporteur est devenu la mascotte de l’exposition Vies d’ordures.
R
Texte : Emmanuelle Gall
amadan, 22 ans, fait partie de la communauté des ferrailleurs ambulants appelés bikia (de l’italien roba vecchia, « vieilles choses »), pour la plupart originaires de la région du Fayoum. L’année dernière, alors qu’il rendait visite à des cousins au Caire, à bord de son triporteur flambant neuf, il a croisé le chemin des commissaires de l’exposition Vies d’ordures, venus étudier le système de collecte des déchets en Égypte. « L’idée, avec les enquêtes-collectes, c’est d’aller chercher des objets encore en usage, qui nous renseignent de façon précise sur les sociétés contemporaines », raconte l’ethnologue Yann-Philippe Tastevin. « Alors que nous avions à l’esprit l’image des ferrailleurs du Caire traînant une charrette, nous avons pu constater sur place que les choses étaient très différentes, et nous avons découvert ce touktouk. » C’est ainsi, qu’après négociation avec le jeune homme, le Mucem est devenu le nouveau propriétaire d’un « tricycle de récupérateur de rue » motorisé et customisé. En attendant de rejoindre le reste de la collection au CCR de la Belle de mai, l’objet trône au milieu de la troisième salle de l’exposition Vies d’ordures, consacrée aux « gestes des déchets ». Outil de travail, témoignant de l’évolution d’un métier, il raconte aussi la personnalité et le goût de Ramadan, son « auteur ». En Égypte, les bikia parcourent les rues en criant : « bikia, bikia, ruba bikia », comme les vitriers et rémouleurs d’antan
en Europe. Ils rachètent aux particuliers les appareils et objets hors d’usage. Équipés depuis 2010 de triporteurs à moteur made in China, associant un train avant de moto et une benne supportant jusqu’à une demi-tonne de marchandises, ils les entretiennent et les décorent avec un soin tout particulier. Outre son système de sonorisation high-tech, le touktouk de Ramadan a été entièrement recouvert d’images et de calligraphies. Photos personnelles ou d’idoles découpées dans des magazines, frises aux motifs floraux ou géométriques alternent avec des proverbes et extraits de chanson ou du Coran. Selon Yann-Philippe Tastevin, « les citations font l’éloge de la beauté, content les épreuves de la vie, la trahison des amis, les affres de l’amour. Elles expriment la peur du mauvais œil, qui cohabite avec la foi en un Dieu tout-puissant et protecteur… Ce triporteur, pour Ramadan, est à la fois un outil de travail et un outil de séduction ! »
Jusqu’au 14 août. Mucem, Esplanade du J4, Marseille, 2e. 04 84 35 13 13. 5-9,5 €.
WWW.
mucem.org 8e art magazine • été 2017
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L'ENDROIT
OÙ
OÙ, ICI ET LÀ, UNE AVENTURE ! OÙ est un archipel, une famille, née de l’aventure amoureuse et artistique partagée par Axelle Galtier et Richard Baquié. Depuis son ouverture, il y a seize ans, OÙ « lieu d’exposition pour l’art actuel » a fait des « petits », à Marseille et ailleurs.
U
Texte : Emmanuelle Gall • Photos : Axelle Galtier
n papillon est né. Émue, Axelle Galtier le photographie : « C’est le premier ! » Avec l’enthousiasme et le « sérieux d’une enfant », elle pulvérise les cocons de l’installation de Thierry Liégeois : Hybristographie. Vivants ou épinglés (après leur mort) sur des portraits de criminels, les Bombyx eri donnent le ton de l’œuvre : une réflexion poétique et politique autour des bagnes français. « Les pierres sur lesquelles sont reproduits ces tatouages viennent des carrières des Monts d’Or, où l’État continue d’envoyer des prisonniers. Elles servent à la construction des administrations françaises », explique Axelle Galtier. Elle défend avec passion les œuvres des artistes qu’elle expose rue Jean de Bernardy. Ouvert symboliquement le 1er mai 2000, « dans la rue d’un résistant », OÙ occupe une place particulière sur la scène marseillaise, liée à son histoire et à la personnalité de sa présidente. Après la mort prématurée en 1996 de son compagnon, l’artiste marseillais Richard Baquié, Axelle Galtier crée une association avec des amis, d’abord destinée à diffuser et res18
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taurer son œuvre. Deux ans plus tard, décidée à ne pas se cantonner dans « le rôle de la veuve de Richad Baquié », elle entreprend de prolonger leur travail commun, dans la lignée de leurs années d’enseignement aux Beaux-arts de Paris. L’association choisit le jour de l’anniversaire de l’artiste pour ouvrir OÙ, en souvenir de l’œuvre Ici ou là (1991). Depuis, la structure enchaîne les expositions de jeunes (ou moins jeunes) artistes et s’affirme comme un terrain de jeu expérimental. « Ceci n’est pas une galerie », déclare Leslie Compan dans le texte d’introduction sur le site Internet : un ovni numérique, à l’image du projet. Rue Paradis, en revanche, Axelle Galtier a choisi d’appeler « galerie », la chambre de bonne dans laquelle Richard Baquié travaillait dans les années 90 sur les Intégrales : des paysages à la croisée de la photographie, la sculpture et la peinture. Ici, depuis trois ans, elle a confié le commissariat des expositions à l’artiste Denis Brun. Dans cette pièce de 5,5 m2, qu’il a rebaptisée Galerie EdOÙard, il présente des expositions collectives effrontées, qui se moquent des codes.
De gauche à droite : Marion Albert, Thierry Liegeois et Axelle Galtier prenant la pose, rue Jean de Bernardy. Rue Paradis : à l’entresol, les Tasses à café de Richard Baquié et, au 6e, la galerie EdOÙard.
OÙ OCCUPE UNE PLACE PARTICULIÈRE SUR LA SCÈNE MARSEILLAISE, LIÉE À SON HISTOIRE ET À LA PERSONNALITÉ DE SA PRÉSIDENTE. Pour le visiteur, d’abord surpris par la taille réduite du lieu et sa vue exceptionnelle, l’expérience est réjouissante. Quand Denis Brun dit aspirer à « un monde de l’art plus sympathique et généreux, plus expérimental aussi, car on peut faire bien sans moyens », ce ne sont de vaines paroles. Au 152, rue de Paradis, la générosité est aussi au rendez-vous à l’entresol, dans l’appartement où vit Axelle Galtier et que l’on peut visiter, sur rendez-vous. Une vraie maison d’artiste, peuplée d’œuvres, avec son cabinet de curiosité. Axelle ne se contente pas de montrer les œuvres de Richard. Compagne de vie et de création, elle en parle comme personne ! L’hommage se poursuit dans le XIIIe arrondissement, place des Cèdres. En 1988, en réponse à une commande publique, Richard Baquié y installa L’Aventure, une œuvre monumentale qui, faute d’entretien, s’est dégradée avec le temps. Le parallélépipède de ciment qui subsiste – seul – de l’installation est devenu, en 2013, « un espace de diffusion artistique s’inscrivant dans l’espace public avec des expositions et des déambulations urbaines ». Sur ce nouveau terrain de jeu, rendez-
vous des artistes, des amateurs et des habitants du quartier, Axelle Galtier a affiché durant l’année 2016 plusieurs séries de dessins préparatoires et documents de travail de Richard Baquié. D’autres artistes vont prendre le relais, en collaboration avec Marion Albert. Certains profiteront, au passage, des résidences créées par Axelle Galtier rue Jean de Bernardy ou à Capbreton… Une autre aventure ! OÙ LIEU D’EXPOSITION POUR L’ART ACTUEL
58, rue Jean de Bernardy, Marseille, 1er. OÙ GALERIE PARADIS
152, rue Paradis, Marseille, 6e. OÙ ET L’AVENTURE
Place des Cèdres, 58 bis, boulevard Bouge, Marseille, 13e. 06 98 89 03 26
WWW.
ou-marseille.com marseilleexpos.com 8e art magazine • été 2017
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LE SITE
15-38 Réseau Méditerranée
INFORMATION SANS FRONTIÈRES
Lancé conjointement à Marseille et Alger en février dernier, le site 15-38 entend faire évoluer notre regard sur la Méditerranée comme sur l’information. Texte : Emmanuelle Gall
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5-38, ce sont les coordonnées géographiques du centre de la mer Méditerranée, c’est aussi le titre d’un nouveau site Internet qui se définit comme « le premier réseau d’information » sur le bassin méditerranéen et ambitionne de devenir une plate-forme communautaire, réunissant chercheurs, artistes et citoyens, sur la toile et dans la vraie vie. À l’origine du projet, quatre jeunes journalistes et documentaristes professionnels, passionnés par leur métier, mais insatisfaits de la manière dont on leur demandait de l’exercer jusque-là. Leïla Beratto, Hélène Bourgon, Coline Charbonnier et Justin de Gonzague se sont connus à Beyrouth. Après avoir fait leurs armes comme correspondants pour de grands médias nationaux, ils ont décidé de créer un support à leur mesure, proposant une information « sans frontières », à la fois « globale et approfondie » parce qu’ils estiment, par exemple, qu’on ne peut « parler de l’accueil des réfugiés syriens, sans analyser la situation libanaise » ni « lutter contre la pollution maritime sans comprendre quelles sont les législations au Maghreb ». Concrètement, le site 15-38 propose chaque mois un dossier thématique (Migration, Syrie, Drogues, Violences contre les femmes…) constitué d’une bonne douzaine d’articles, abordant le sujet dans différents pays et selon divers angles. « Nous travaillons avec des collaborateurs de choix et peu 20
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médiatisés : journalistes, chercheurs, photographes pour les diaporamas du dossier, dessinateurs pour les caricatures », résume Hélène Bourgon. En page d’accueil, le menu propose en outre plusieurs rubriques : l’internaute peut ainsi « apprendre », grâce à des cartes très parlantes, des interviews de chercheurs ou des conseils de lecture, participer au « souk », un espace de partage où il est possible de créer sa propre page, ou encore suivre l’activité de 15-38 « en direct », en consultant les vidéos ou pastilles audio mises en ligne par l’équipe et en découvrant les événements qu’elle organise. Associé au Collège de Méditerranée, créé en novembre dernier dans le cadre des Rencontres d’Averroès, le site 15-38 rend compte de son cycle de conférences. Il propose également des rencontres mensuelles autour des dossiers thématiques de la rédaction, dans différents lieux marseillais. Une initiative originale et courageuse de la part d’un jeune média indépendant, dont les fondateurs travaillent, pour l’heure, bénévolement ‒ et comptent sur l’engagement de leurs lecteurs.
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1538mediterranee.com
L'ARTISTE
© Les Pas Perdus
Les Pas Perdus
Depuis les années 90, le collectif de plasticiens sème de l’art et de la fantaisie aux quatre coins de Marseille et du monde. En juin, il s’installe à la Joliette. Texte : Emmanuelle Gall
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ontrairement aux politiciens, les Pas Perdus ne promettent rien et font beaucoup. Dans la seule ville de Marseille, ils ont initié une bonne douzaine d’aventures artistiques qui ont durablement changé ‒ et enchanté – le quotidien de ceux qui ont croisé leur chemin, à la Belle de Mai (leur quartier), Fonscolombe, la Cité radieuse… Derrière l’appellation « Pas Perdus » se cache une équipe constituée de trois artistes très polyvalents (Guy-André Lagesse, Nicolas Barthélémy et Jérôme Rigaud) et sept compagnons de route et de travail. Ils expérimentent une méthode sans équivalent dans le monde de l’art contemporain. La plupart de leurs projets reposent en effet sur une collaboration artistique entre le collectif et les habitants des quartiers où ils interviennent. Ces « occasionnels de l’art » volontaires sont invités à cocréer des œuvres avec eux, en toute simplicité et fantaisie. Prônant « l’art de peu » et le recyclage, les artistes réalisent avec leurs complices du moment des œuvres sans prétention – mais pas sans invention : des Meubles en hyper bouture ou Œuvres de balcon, un Jardin des souhaits bricolés, un Paysage perché…
Du 15 au 18 juin. Devant le théâtre Joliette-Minoterie, Place Henri Verneuil, Marseille, 2e. 04 91 90 74 28. Entrée libre.
© Guy-André Lagesse
L’IMAGINATION AU POUVOIR
LA JOLIETTE DES SONGES Arrivés au théâtre Joliette-Minoterie en décembre 2015, dans le cadre d’une longue résidence, les Pas Perdus se sont intéressés au potentiel poétique du quartier. En construction et mutation permanente depuis le lancement du projet Euroméditerranée, la nouvelle Joliette se présente sous les traits d’un quartier d’affaires et de bureaux, flanqué de deux centres commerciaux. Il en faudrait plus pour décourager les Pas Perdus ! Équipés d’un Studio volant, ils sont allés à la rencontre des passants, avec une proposition originale : « Chacun de nous a une bonne raison de traverser le quartier... Et il y a toujours un coin qui me rappelle… une place qui m’évoque... une façade qui me fait sourire... un passage qui me fait songer... Ce songe, au lieu de le garder pour soi, parlons-en plutôt ensemble ! » Une quarantaine de personnes se sont prises au jeu : elles ont partagé leur songe et se sont fait photographier dans le studio avant de participer à la création d’une œuvre plastique. Le 15 juin, ces songes s’afficheront sur des Colonnes Verneuil diffusant un concert de bruits de bouche. À la mode des Pas perdus, l’événement ne se limite évidemment pas à une exposition. Sont également prévus pendant ces quatre jours : un « apéro week-end starter », un « déjeuner des songes », un « bal à fond…
www.lespasperdus.com 8e art magazine • été 2017
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Savon de Marseille
© Savonnerie Pop
L'OBJET
MON CUPCAKE FAIT DES BULLES
Le savon de Marseille se paie une nouvelle jeunesse. Composés à base d’ingrédients végétaux, les cosmétiques de Lison se drapent de couleurs acidulées. C’est simple, on en mangerait ! Texte : Julie Bordenave
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ne pâtisserie qui mousse sous l’eau et laisse la peau soyeuse ? Moins vert et plus coquet que son vénérable aîné, ce (faux) cupcake est bel et bien un savon né à Marseille, de l’imagination fertile de Lison Minarie-Pagnier. Lassée des produits de beauté industriels, la blogueuse s’est lancée dans le cosmétique fait maison. Sa ligne Savonnerie Pop est confectionnée selon un procédé de saponification à froid, méthode traditionnelle permettant de conserver les vertus hydratantes de la glycérine. Vendus dans de jolies boîtes en carton ajouré, les savons de Lison se déclinent en plusieurs gammes : Gourmandise, au fumet d’antan (tarte au citron, framboise, cerise, fleurs de figuier…), Festive, dont les camaïeux acidulés rappellent le tutti frutti ou le soleil couchant, ou encore Noir fantaisie, comme des petits bonbons au réglisse. Composés d’huiles et beurres végétaux (coco, cacao, pépin de raisin, tournesol et babassu), ces produits sentent bon les vacances et sont éthiquement irréprochables : 100 % biodégradables, non testés sur les animaux. Savonnerie Pop propose aussi les Shampop : de drôles de donuts qui font 22
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du bien à vos cheveux : au contact de l’eau, ce shampooing solide révèle ses bienfaits – et s’avère idéal pour se glisser dans les bagages. Pour le corps, le baume fouetté Chantilly concentre beurre de karité et huile de coco dans une texture étonnamment aérienne. Et dans le bain, des sels de Guérande fondent en dévoilant des parfums gourmands (monoï, amandes, fruits rouges). En préparation : des coffrets cadeaux pour Noël et, peut-être bientôt, des ateliers pour préparer soi-même ses cosmétiques. Quand le rituel de beauté remplace la pause goûter !
Prix de vente : de 1,50 € (15 g.) à 5 € (80g.), 4 € le sachet de « chutes et loupés » (150 g.) Point de vente à Marseille : L’Alternative Concept Store, 21 rue de la République, 2e.
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savonnerie-pop.com
Maison Matthieu
LE RESTAURANT
FUMOIR MÉDITERRANÉEN Si vous n’avez pas encore goûté, ici ou là, un poisson fumé par la Maison Matthieu, vous n’avez plus d’excuse : elle livre même à domicile. Texte : Emmanuelle Gall • Photos : Annabel Maestre
L’ASSIETTE Saumon, truite arc-en-ciel, muge, cabillaud, espadon ou noix de Saint-Jacques, fumés au bois de cerisier, d’abricotier, de pêcher ou de pommier… C’est selon les ventes et les goûts. D’après le chef, le bois de pêcher confère curieusement « un léger goût de noyau d’abricot » au poisson, tandis que le parfum de l’abricotier est « plus rond et sucré », celui du cerisier « plus acide ». Chaque semaine, la Maison Matthieu propose une série de produits à la vente sur le site Internet Temps gourmand, de manière à ne se procurer (notamment auprès de l’élevage écossais Loch Duart), puis saler – à la main et au sel de Camargue –, sécher ou « affiner » et fumer « à la ficelle » que la quantité de poisson commandée. C’est une question de goût, garanti par la fraîcheur. Tous les vendredis, les commandes sont livrées chez des partenaires de la Maison Matthieu. Ils sont 10 à Marseille, 3 à Aix, et il en existe jusqu’à Montpellier. On peut aussi se faire livrer à domicile (moyennant 25 € par colis). Le principe de la vente directe permet de pratiquer des prix raisonnables, entre 50 et 55 € le kilo. C’est un peu plus cher que le bas de gamme du supermarché, mais tellement meilleur !
« lutter contre la malbouffe et à remettre au goût du jour l’excellence des produits artisanaux », l’entrepreneur et son associé, Folco Julien, ont lancé en novembre 2015 une campagne de financement participatif pour donner l’ampleur et l’équipement nécessaires à leur atelier nîmois. Opération réussie !
LES CHEFS Matthieu, c’était le grand-père de Stéphane Chevé : « un homme dont le degré de compromission était proche de zéro » et dont il aime à se souvenir quand il travaille. Décidés à
Renseignements : 07 82 05 49 46
LE CADRE On peut savourer son poisson Matthieu sur sa terrasse, en pique-nique à la plage ou chez des amis. On peut aussi aller à la rencontre des chefs, à l’occasion d’une dégustation chez un de leurs collègues gourmands : Dame Farine, l’Enoteka, la Cave de Baille ou de Grignan… Leur site et leur page Facebook recensent tous ces rendez-vous et proposent des recettes très sympathiques : œufs mimosa aux noix de Saint-Jacques fumées, makis de crêpes au saumon fumé, cabillaud fumé au safran et légumes printaniers…
MAISON MATHIEU
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maisonmatthieu.fr facebook.com/maisonmatthieuprovence 8e art magazine • été 2017
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© Manuel Bougot FLCAdAgp, paris 2015
© Manuel Bougot
À L’OMBRE DE LE CORBUSIER
En restauration depuis dix ans, la villa E-1027, construite en 1927 par Eileen Gray au cap Martin, est ouverte au public, dans le cadre d’une visite conçue par l’association Cap Moderne. Texte : Emmanuelle Gall
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ieux vaut emprunter le train pour se rendre à Roquebrune-Cap-Martin : la « gare culturelle », point de départ de la balade, fait également office de centre d’exposition et de documentation. La villa E-1027 est située à quelques centaines de mètres de là, accessible par le seul sentier des douaniers, qui longe la voie ferrée. C’est le chemin qu’Eileen Gray empruntait il y a quatre-vingt-dix ans, pour accéder au terrain qu’elle venait d’acquérir face à la mer et où elle projetait de construire sa première villa, en collaboration avec son compagnon, l’architecte Jean Badovici. Aujourd’hui baptisé promenade Le Corbusier, le chemin mène ensuite à L’Étoile de mer : la propriété de Thomas Rebutato, un plombier niçois qui ouvrit là un restaurant en 1949 et accueillit Le Corbusier, puis son Cabanon et ses Unités de camping. Inscrites (au même titre que l’ensemble de son œuvre architecturale) sur la liste du Patrimoine mondial par l’UNESCO en juillet dernier, les deux constructions attirent un nombre de visiteurs croissant. Venus pour Le Corbusier, la plupart découvrent, avec émerveillement, la villa E-1027. De leur côté, les admirateurs d’Eileen Gray mesurent à quel point Le Corbusier, mort sur la plage voisine le 27 août 1965, hante l’ensemble du site. L’architecte a peint plusieurs fresques, chez lui comme chez ses voisins. Il a en effet séjourné
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à plusieurs reprises entre 1937 et 1939 dans la villa E-1027 avec, disait-il, « une furieuse envie de salir les murs ». Envie qui, semble-t-il, ne fut pas du goût d’Eileen Gray. À l’époque, elle avait quitté la villa (et Jean Badovici), pour se construire « une maison à soi », sur les hauteurs de Menton. Un « paquebot immobile », icône de l’architecture moderne La visite guidée, emmenée par Elisabetta, permet de faire le tour du propriétaire de ces architectures extraordinaires en deux heures et demie. Le temps d’abord de mieux connaître Eileen Gray : une aristocrate irlandaise née en 1878, tombée amoureuse de Paris lors de l’Exposition universelle de 1900. D’abord peintre, laquiste, designer proche des mouvements d’avant-garde des années 20, elle se tourne vers l’architecture à quarante-neuf ans, après sa rencontre avec Jean Badovici. Architecte de formation et directeur de publication de L’Architecture vivante, ce dernier l’encourage et lui propose de concevoir une « villa pour un homme sportif, où l’on puisse aussi travailler ». Eileen Gray jette son dévolu sur cette langue de terrain en restanques face à la mer, plantée de citronniers et d’oliviers. Un parti-pris un peu fou, compte tenu de sa configuration comme de sa situation. Du coup, il faudra trois ans pour construire la villa,
Villa E-1027
LA BALADE
« CETTE TOUTE PETITE MAISON CONCENTRE DANS UN ESPACE RÉDUIT TOUT CE QUI PEUT ÊTRE UTILE AU CONFORT, AIDER À LA JOIE DE VIVRE. » A gauche : Vue d’ensemble du site désormais baptisé cap Moderne. En arrière plan, la promenade Le Corbusier (ancien sentier des douaniers) et la voie ferrée vers Nice et l’Italie. A droite : La pièce principale avec le mobilier et le tapis conçus par Eileen Gray, et la peinture murale de Le Corbusier.
baptisée E-1027 en jouant sur la position des initiales croisées des amants dans l’alphabet (E pour Eileen, 10 pour J de Jean…). En 1929, L’Architecture vivante consacre un numéro à cette « Maison en bord de mer », présentée comme un manifeste. « Cette toute petite maison (120 m2 tout de même, NDLR) concentre dans un espace réduit tout ce qui peut être utile au confort, aider à la joie de vivre. Nulle part, on n’a cherché une ligne ou une forme pour elle-même… », déclarait Eileen Gray. Sa sensibilité féminine et artistique, conjuguée au fonctionnalisme de son temps, a fait des miracles. On la retrouve dans les pièces baignées de lumière et ouvertes aux éléments, comme dans les meubles fixes ou mobiles, de « style camping », et jusque dans les moindres détails, tels ces mots « Beau temps », « oreillers », « chapeaux » ou « Entrez lentement »…, inscrits sur les murs. « Cette recommandation située devant la porte d’entrée était surtout adressée à Jean Badovici, au tempérament très méditerranéen… », précise Elisabetta. Parce qu’elle est née ici, que sa famille a connu tout ce beau monde, la jeune conférencière mêle à son exposé historique et architectural une foule d’anecdotes piquantes. Nul doute qu’Eileen aurait apprécié une telle invitée.
VILLA E-1027
Promenade Le Corbusier, Roquebrune-Cap-Martin. Visite sur réservation uniquement 06 48 72 90 53. 18 €.
WWW.
capmoderne.com
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QUAND CÉLIA RENCONTRE EILEEN Auteure du très remarqué Gil (P.O.L., 2015), Célia Houdart a publié, aux éditions (marseillaises) P, un petit livre intitulé French Riviera et sous-titré « Promenade autour de la villa E-1027 ». Née du « coup de foudre » ressenti en 2013, lors de sa visite de l’exposition Eileen Gray au Centre Pompidou, sa fascination pour l’œuvre et la personnalité de l’artiste l’a amenée à se rendre à la villa E-1027 l’été suivant. French Riviera est le récit, à la première personne, de sa balade et de sa rêverie autour de la maison. Une approche, au sens large du terme, de l’architecture et de sa créatrice, de leur destin respectif… écrite par une autre artiste, sur un mode mineur et d’une extrême sensibilité : « J'aimerais parvenir à comprendre ce qui me séduit tant dans l'œuvre d'Eileen Gray et dans cette villa fermée que je n'ai pas même pu visiter, mais autour de laquelle je me suis promenée. M'en éloignant finalement (en allant sur la plage et en consultant des livres), la faisant longuement tourner devant moi comme une petite sculpture géométrique, la plaçant dans la lumière, pour mieux la voir. » Célia Houdart, French Riviera,
collection Les Contemporains, Éditions P, octobre 2016, 44 pages, 5 €. www.editions-p.com 8e art magazine • été 2017
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© Charles Placide
Vue de l'exposition Stop Ma Pa Ta : oeuvres de Aston, Le Voilier des temps, 2016, Prince Toffa, Omi , 2015 et Psycoffi, Corpulence Humaine, 2017.
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DOSSIER 1
13 ESCALES DE
L’ETE AFRICAIN
Deux expositions et un parcours de sculpture, une installationperformance, une lecture, quatre spectacles de danse et autant de concerts… Nous avons sélectionné 13 événements dans la foule de propositions africaines qui jalonnent l’été dans la région et mettent à l’honneur la danse et la musique, des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Sud. Une répartition artistique et géographique certes inégale et discutable, mais qui offre l’opportunité d’une avancée notable sur le terrain de la (re)connaissance.
v Dossier réalisé par Emmanuelle Gall, Olivier Levallois et Sophie Passage.
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DOSSIER
L'ÉTÉ AFRICAIN ART CONTEMPORAIN v
EN ROUTE POUR LE BÉNIN, VIA LA VILLA ARSON Cet été, la villa Arson présente les travaux de quatorze artistes béninois contemporains, en collaboration avec le Centre Arts et Cultures Lobozounkpa. Un partenariat à la fois inédit et exemplaire, qui permet à la fois de découvrir des œuvres d’une grande diversité, créées hors des circuits habituels du marché international, et de saisir les préoccupations de leurs auteurs, pour la plupart installés au Bénin. Éric Mangion, directeur artistique de la villa Arson et commissaire de Stop Ma Pa Ta (« Ma matière première n’est pas ta matière ») avec André Jolly, revient sur la genèse de l’exposition et ses enjeux. Propos recueillis par Emmanuelle Gall
Les arts africains n’ont jamais été aussi exposés, à Paris comme dans la région. Institutions publiques et privées, festivals… tous affichent cette année leur « focus africain ». Comment percevez-vous ce phénomène ? Éric Mangion : L’art africain est à la mode. On ne compte plus depuis le début de l’année les expositions qui célèbrent le continent. On constate parallèlement que, malgré les conflits et les crises politiques qui vont et viennent, un grand nombre de pays africains connaissent des taux de croissance importants. L’Afrique devient un marché, elle est donc bankable. Ce constat est certes un peu cynique, mais il a pour but de rappeler que l’Occident n’a toujours pas fini d’entretenir avec l’Afrique des relations ambiguës. Ce que l’on nomme conceptuellement « postcolonialisme » pourrait aussi se résumer plus prosaïquement par « colonialisme tardif ». Il est donc difficile d’organiser une exposition d’artistes africains sans avoir toutes ces idées en tête. Comment éviter la carte de la fausse candeur, l’exotisme sympathique, les discours manichéens ou tout simplement les jugements raccourcis, qu’ils soient sociologiques ou esthétiques ? 28
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Cette exposition est le fruit d’une collaboration avec le Centre Arts et Cultures Lobozounkpa de Cotonou. Pouvez-vous nous parler de ce lieu et de son fonctionnement ? É. M. : L’exposition est avant tout un hommage aux artistes béninois et au Centre Arts et de Cultures Lobozounkpa de Cotonou. Ce dernier développe depuis 2014 un véritable travail de terrain par la formation dans un pays où il n’y a aucune école d’art. Il ne s’agit pas de reproduire les modèles occidentaux et académiques de l’enseignement. Le Centre invente ses propres méthodes en mettant notamment l’accent sur la production in situ et sur le dialogue avec des artistes étrangers lors de résidences de production. Le public peut aussi y découvrir une collection de récades, ces objets/symboles de l’autorité dans la tradition politique et culturelle du pays. Cette collection s’est constituée grâce au soutien du galeriste Robert Vallois et du Collectif des Antiquaires de Saint-Germain-des-Près qui ont offert au Centre une quarantaine de pièces. Ce don prend un sens particulier quand on sait que la France a refusé au mois de mars dernier la restitution d’œuvres d’art béninoises spoliées par le
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Richard KORBLAH, Des ponts, pas des murs, 2015.
© Loïc Thebaud - Villa Arson
Technique mixte, dimensions variables sur une base de 300 x 300 cm. Courtesy : Galerie Vallois, Paris
« LE CENTRE INVENTE SES PROPRES MÉTHODES EN METTANT NOTAMMENT L’ACCENT SUR LA PRODUCTION IN SITU ET SUR LE DIALOGUE AVEC DES ARTISTES ÉTRANGERS LORS DE RÉSIDENCES DE PRODUCTION. » colonialisme ou par toutes sortes de pillages commerciaux. L’argument défendu par le ministère des Affaires étrangères est que ces biens mal acquis font désormais partie de collections publiques et sont donc inaliénables. L’artiste béninois Romuald Hazoumé estime quant à lui que les musées de son pays ne sont pas assez structurés pour accueillir un tel patrimoine. Quoi qu’il en soit, on aurait préféré que l’État français réponde de manière moins formelle et ouvre un dialogue plus structurant sur cet épineux sujet. La France a décidément bien du mal à se pencher sur son passé colonial ! Ce geste de Robert Vallois et de ses amis est donc plus qu’une action de mécénat. C’est un geste politique. Les artistes réunis dans cette exposition ont des parcours très divers. Leurs travaux et leurs démarches présententils néanmoins des traits communs ? É. M. : La plupart des artistes qui travaillent au Centre développent une réelle acuité sur leur histoire, mais aussi sur leur époque. Le titre de l’exposition Stop Ma Pa Ta est emprunté à celui d’une œuvre de Benjamin Déguénon qui
représente avec ironie la manière dont les grandes compagnies industrielles occidentales, russes ou chinoises exploitent les ressources minières africaines dans le plus grand mépris des peuples locaux. Mais au-delà de l’exploitation économique, c’est le trafic humain qui préoccupe le plus les artistes. Quatre sculptures en forme de bateaux ponctuent le parcours de l’exposition. Cette référence récurrente à l’immigration n’est bien sûr pas innocente pour un pays qui fut à partir du XVIIIe siècle l’un des principaux réservoirs de l’esclavage. Inutile de dire que les esprits de ses habitants en sont durablement marqués. Leur art s’en ressent. Le passé rôde et l’actualité des flux migratoires entre l’Afrique et l’Europe ‒ les conflits et les drames qui en découlent ‒ réveillent les vieux et les mauvais souvenirs. Le Bénin est aussi le berceau du vaudou qui est loin d’être le folklore que les Occidentaux ont érigé en seule obsession de la mort. Le vaudou (ou vodoun au Bénin) désigne l'ensemble des dieux et des forces invisibles dont les hommes essaient d’apprivoiser la puissance ou la bienveillance. Il est l'affirmation d'un monde surnaturel, tout comme 8e art magazine • été 2017
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Ci-contre :
Euloge Glélé, Bonheur ?, 2015 terre cuite, bois, bouteilles, métal et pièces de monnaies, 68 x 30 x 30 cm et 75 x 30 x 30 cm. Courtesy : Galerie Vallois, Paris.
Ci dessous : Vue de l'exposition Stop Ma Ta Pa.
Daavo, Tomiton (Notre pays), 2016 (technique mixte, 65 x 250 x 250 cm)
et quelques-unes des photographies réalisées par Charles Placide, entre 2016 et 2017,
© Loïc Thebaud - Villa Arson
dans les cérémonies traditionnelles du culte des Vodoun dans différentes villes du Bénin (Abomey, Ouidah, Godomey, Allada) et au Togo.
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© Loïc Thebaud - Villa Arson
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« CE QUE L’ON DÉFINIT SOUVENT COMME UN ART DU BRICOLAGE ET DE LA RÉCUPÉRATION EST RÉELLEMENT CONÇU COMME UNE CRITIQUE DE LA SURCONSOMMATION. »
l'ensemble des procédures permettant d'entrer en relation avec celui-ci. Il est surtout vécu comme un héritage, une philosophie, un langage, une musique, une danse, une médecine, une justice, un pouvoir, une tradition orale et des rites. La plupart des œuvres de l’exposition Stop Ma Pa Ta ‒ à commencer par les photographies de Charles Placide – sont irriguées par cette culture revendiquée comme un rapport animiste au monde, où les « choses sont toujours derrière le pouvoir des choses » (Euloge Gléglé). Cette spiritualité n’empêche en aucun cas une prise de conscience par les artistes de leur quotidien. Ce que l’on définit souvent comme un art du bricolage et de la récupération est réellement conçu comme une critique de la surconsommation. Cela peut paraître paradoxal pour un pays qui ne possède pas le même niveau de richesses qu’en Occident et qui donc « consomme » moins que nous. Et pourtant, le Bénin est abreuvé aujourd’hui par la Chine de petits objets inutiles, de faible coût, rapidement utilisés et tout aussi rapidement abandonnés ici ou là. Il en est de même pour une urbanisation croissante et sauvage qui menace l’agriculture traditionnelle (et fondamentale). Plus qu’un souci environnemental et économique, il s’agit pour les artistes d’un double symptôme inquiétant pour une société qui se construit depuis son indépendance sur une dualité constante entre ses valeurs ancestrales et sa volonté de modernisation ‒ incarnation du double de l’homme béninois contemporain, parfaitement représentée par les figurines Ibeji de Dominique Zinkpé : jumeaux partagés entre des désirs contraires.
STOP MA PA TA
Richard Korblah, Edwige Aplogan, Aston, Benjamin Déguénon, Daavo, Kifouli Dossou, Euloge Gléglé, Prince Toffa, Charles Placide, Psycoffi, Gérard Quénum, Julien Vignikin, Didier Viodé et Dominique Zinkpé. Jusqu’au 17 septembre. Villa Arson, 20, avenue Stephen Liégeard, Nice. 04 92 07 73 73. Entrée libre. www.villa-arson.org
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UNE SEULE COLLECTION, MAIS DEUX VOYAGES Pour la première fois depuis sa création en 2004, la fondation Blachère, dédiée à l’art contemporain africain, propose deux expositions simultanées, à domicile et hors-les-murs. Fuir réunit des dessins sur le thème des migrants. Au Palais des Papes et dans trois musées avignonnais, 73 sculptures et installations jalonnent le parcours des Éclaireurs.
© Olivier Levallois
Texte : Olivier Levallois
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our découvrir la fondation Blachère, il faut se rendre dans une zone industrielle en périphérie d’Apt, siège de l’entreprise Blachère-illumination (leader européen de l’illumination évènementielle). Là, depuis douze ans, un ancien hangar réhabilité en centre d’art reçoit chaque année une dizaine d’artistes en résidence et 20 000 visiteurs. À l’heure où l’art contemporain africain suscite un brusque engouement, il est important de rappeler la démarche pionnière de la fondation et de ses deux pères : l’industriel Jean-Paul Blachère et son ex-directeur artistique Pierre Jaccaud. Les deux hommes ont parcouru des années durant le continent africain afin de bâtir une collection et favoriser la promotion de son art contemporain. Aujourd’hui, cette collection unique compte pas moins de 1800 pièces (peintures, dessins, sculptures, photographies, vidéos, installations). Composée d’une trentaine d’œuvres réalisées par 10 artistes originaires de 7 pays africains, l’exposition Fuir évoque l’exil : exil physique et géographique de ceux qui tentent d’échapper à la misère, à la guerre ou aux persécutions, et l’exil intérieur, moral et psychologique qui lui est
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subséquent. L’exposition est remarquable à plusieurs titres, à commencer par sa focalisation sur le dessin. Rares sont en effet les accrochages d’art contemporain africain privilégiant ce médium. Les artistes, par leur diversité même, démontrent la capacité de cette technique « classique » à traduire une réalité contemporaine, tout y en insufflant une fragilité, une sensibilité inhérente à la pratique même. C’est notamment le sentiment ressenti face aux portraits de fumée de la sud-africaine Diane Victor. Ses dessins captent frontalement l’expression de peur et de désarroi de personnages se noyant (physiquement ou psychiquement) sous nos yeux. Sur des grandes feuilles blanches, l’artiste crée – au moyen de dépôts de carbone provenant de la fumée de bougies – des images dont la vulnérabilité physique fait écho à celle des individus qu’ils représentent. Un peu plus loin, un triptyque du sculpteur et dessinateur Mamady Seydi, résume les trois temps de l’exil – le départ, le trajet, l’arrivée – en montrant des migrants bloqués par la police, sautant les grillages, montant dans des trains et des avions, arrivant en Europe ou aux Etats-Unis. Des situations qui font la une des médias, mais traduites ici dans l’univers fantasmatique
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Vue de l'exposition Fuir, avec les oeuvres Identity d'Ephrem Solomon, Soly Cissé et Mohamed Lekleti.
CHAQUE ŒUVRE DE L’EXPOSITION DÉPLACE NOTRE REGARD SUR UNE RÉALITÉ QUE L’ON CROYAIT CONNAÎTRE.
et universaliste de l’artiste sénégalais dont les personnages mi humains-mi animaux, (hyènes, chiens, buffles…) rappellent ceux d’une autre œuvre et d’une autre oppression : Maus, d’Art Spiegelman. Chaque œuvre de l’exposition déplace notre regard sur une réalité que l’on croyait connaître. Comme souvent à la fondation Blachère, les installations sont disposées et éclairées avec un réel souci de valoriser leur dimension esthétique tout en respectant leur identité et leur signification propre. Un souci que l’on aurait aimé retrouver davantage du côté des Eclaireurs au Palais des Papes. Des Éclaireurs peu éclairés Sur le parvis, qui a accueilli en 2010 le pachyderme équilibriste de l’Espagnol Miquel Barceló, se dresse – telle une figure de proue – La Prière universelle du sculpteur sénégalais Ndary Lo. La silhouette de fer longiligne tend ses bras vers le ciel dans un geste mêlant louange, dévotion, supplique, affirmation existentielle… Dans le cloître Benoît XII, on rencontre d’autres créatures filiformes de l’artiste, dont trois Marcheurs, et La Grande muraille verte : une forêt
de fer dont les arbres aux branches tortueuses évoquent des corps humains. Le dialogue attendu entre les œuvres et la majesté du lieu semble s’amorcer. Mais, en entrant dans la salle du Consistoire où se trouve réunie la majorité des œuvres, la magie s’évanouit. On éprouve la désagréable impression de pénétrer dans une exposition encore en préparation ou accrochée en urgence, sans autre préoccupation que celle de réunir le maximum de pièces dans un minimum d’espace. Certaines de ces créations n’en sont pas moins remarquables, telle la Femme calebasse de Moustapha Dimé ou le Masque métallique et tribal, en matériaux de récupération, de Joseph Sumegne. Mais les œuvres se parasitent, sont éclairées avec peu de sensibilité, certaines coincées près d’un écran de visite du Palais ou en partie cachées par de gros cartels posés devant – et parfois même sur – elles. Dans d’autres salles, moins généreuses en œuvres, où l’accrochage est mieux senti, l’émotion revient. C’est le cas devant ce tourbillon de verre bleuté, de néons lumineux et d’ailes en polyester immaculées s’élevant vers les arches de pierre des plafonds gothiques, dans la cuisine haute. Il s’agit de Solipsis (dans sa version 7.2) : une installation onirique 8e art magazine • été 2017
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L'ÉTÉ AFRICAIN ART CONTEMPORAIN
© Gregory Quittard
© Catherine-Marie Laloux
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De gauche à droite : Ousmane Sow, Le Lanceur zoulou, 1990-1991, résine, matériaux divers, 230 x 250 x 105 cm.
El Anatsui, Confluences, 2008, bandes d’aluminium et fils de cuivre, 410 x 550 cm.
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LA DIVERSITÉ ET L’AMBIVALENCE DES SENTIMENTS PROVOQUÉS CHEZ LES ARTISTES PAR L’HISTOIRE DE LA RELATION COMPLEXE ENTRE L’AFRIQUE ET L’OCCIDENT.
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du sud africain Wim Botha. De même, dépliée au centre de la chambre antique du camérier, Confluences, une immense tapisserie métallique créée à partir de capsules de bouteilles par El Anatsui est une merveille. Au fil des œuvres, on ressent la diversité et l’ambivalence des sentiments provoqués chez les artistes par l’histoire de la relation complexe entre l’Afrique et l’Occident. Particulièrement éloquente à ce propos, Egg Fight est une installation de Yinka Shonibare constituée de deux mannequins sans tête, figurant des soldats britanniques du XVIIIe siècle en train de tirer sur un mur d’œufs : une référence au Voyage de Gulliver de Jonathan Swift et à l’absurdité des guerres idéologiques. Le parcours se poursuit ensuite au musée du Petit Palais, avec Une saison au Sud Soudan, de la franco-sénégalaise Diagne Chanel, constituée de quatre gisantes en bronze représentant les femmes victimes de conflits au Soudan et ailleurs, en écho aux gisants des papes. Au musée Calvet, le puissant Lanceur zoulou de Ousmane Sow, sculpture de la série Zulu et figure de la résistance au colonialisme européen, côtoie les bronze et marbres classiques. La visite s’achève au Musée lapidaire, avec Wounded Elephant du Sud Africain Andries Botha : un jeune éléphant blessé en lamelles de bois. Issus d’une quinzaine de pays africains,
tous ces artistes témoignent de la grande diversité des regards et des pratiques de l’art contemporain sur le continent. Cependant, en bâclant une partie de l’accrochage et en privilégiant l’esthétique, sans doute dans le but de s’adresser en priorité aux touristes estivaux, la fondation Blachère et son partenaire Avignon tourisme ont malheureusement réduit la portée de manifeste politique, social et culturel qu’aurait pu revêtir un tel événement.
FUIR
Jusqu’au 6 janvier 2018. Fondation Blachère, 384, avenue des Argiles, ZI les Bourguignons, Apt. 04 32 52 06 15. Entrée libre. www.fondationblachere.org LES ÉCLAIREURS
Jusqu’au 14 janvier 2018. Palais des Papes et plusieurs musées, Avignon. 04 32 74 32 74. 9-11€ www.palais-des-papes.com
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L'ÉTÉ AFRICAIN THÉÂTRE v
LE « THÉÂTRE » DES MIGRATIONS SELON BRETT BAILEY
Invité pour la deuxième année consécutive au festival de Marseille, Brett Bailey présente une œuvre en forme de labyrinthe, croisant les points de vue de migrants et d’Européens autour de la notion de sanctuaire. Texte : Emmanuelle Gall
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ls se prénomment Françoise, Karam, Magd, Ian, Nidal, Sandrella, Lionel et Muna. Ils vivent à Marseille, Athènes, Hambourg ou Milan, sont de nationalité française, syrienne, grecque, kenyane, allemande, italienne... Certains sont des réfugiés, d’autres des militants associatifs ou des artistes. Tous les huit ont été recrutés par l’artiste sud-africain Bret Bailey et le dramaturge américano-syrien Eyad Houssami pour devenir les protagonistes de Sanctuary : une performance-installation consacrée à la crise migratoire européenne, dont l’élaboration a nécessité plus de deux années de recherches. Comment aborder aujourd’hui la question des migrants, dans un contexte saturé d’images et de discours ? Brett Bailey, qui a déjà eu l’occasion de travailler sur la xénophobie de ses compatriotes face aux réfugiés venus des pays voisins, a souhaité poursuivre sa réflexion et se concentrer sur la situation en Europe. De la jungle de Calais aux camps de réfugiés athéniens, il a voyagé à la rencontre de migrants, de membres d’ONG et d’associations d’aide aux réfugiés. Il a auditionné une soixantaine de personnes avant de sélectionner huit d’entre eux et de leur proposer de créer un personnage à partir des scènes qu’il a imaginées. « Des gens fuient 36
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différentes parties du monde, en particulier le Moyen-Orient et l’Afrique, pour trouver un sanctuaire et certains Européens ont l’impression que leur sanctuaire, leur identité nationale et leurs moyens de subsistance sont menacés par cet afflux de personne », résume-t-il. Les performeurs amateurs ou professionnels ont travaillé autour de cette notion de sanctuaire, les rêves, espoirs et peurs qui lui sont attachés. Mis en scène dans un labyrinthe, inspiré par le mythe du Minotaure, Sanctuary déploie donc huit scènes emblématiques, que le spectateur découvre au fil d’une déambulation. Classé dans la catégorie « théâtre » par les organisateurs du festival de Marseille, Sanctuary est qualifié par Brett Bailey de « performance-installation immersive » : un genre plus répandu chez les Anglo-Saxons qu’en France, qui invite le spectateur à circuler dans un espace et à se confronter – seul et sans la distance théâtrale – au spectacle. L’artiste est familier du genre, qu’il a déjà expérimenté avec Exhibit B (« pièce à conviction B »), créé à Vienne en 2010. Dans une scénographie rappelant les zoos humains à la mode dans l’Europe du XIXe siècle, se succédaient douze tableaux vivants et muets, évoquant « les atrocités commises par les Européens en Afrique au nom de la civilisation ». Le procédé,
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Photographie de Nicky Newman, extraite de la série "Place of water", choisie par Brett Bailey pour illustrer la notion de sanctuaire.
plaçant successivement les spectateurs en tête-à-tête avec un performeur ou une performeuse incarnant la Vénus noire, une odalisque dans la chambre d’un officier français, un Africain menotté au siège d’un charter…, n’a pas manqué d’émouvoir, voire de choquer. Au point qu’en 2014, à la suite d’une polémique accusant l’œuvre et son auteur de racisme, certaines institutions ont renoncé à la programmer. Pourtant, à l’origine, les intentions de Brett Bailey étaient sans équivoque. Il en va de même pour Sanctuary : « J’ai cherché un moyen de restituer l’humanité de ces personnes, qui est lissée par les images médiatiques, et de condenser la complexité de cette situation ».
COMMENT ABORDER AUJOURD’HUI LA QUESTION DES MIGRANTS, DANS UN CONTEXTE SATURÉ D’IMAGES ET DE DISCOURS ?
SANCTUARY
Du 16 au 21 juin. Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin, Marseille, 3e. 04 91 99 02 50. 10 €. www.festivaldemarseille.com
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L'ÉTÉ AFRICAIN THÉÂTRE v Répétition de Tram 83, lors d’une résidence de recherche aux Récréâtrales de Ouagadougou en 2016.
ET AUSSI ...
RENDEZ VOUS AU TRAM 83
Très remarqué lors de sa publication en 2014, le premier roman de Fiston Nasser Mwanza Mujila monte sur les planches, dans une adaptation de Julie Kretzschmar. Texte : Emmanuelle Gall
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rand absent de la programmation du 71e Festival d’Avignon, le théâtre africain est néanmoins mis à l’honneur par le cycle « Ça va, ça va le monde ! », orchestré par Radio France Internationale. Le rendez-vous annuel, destiné à faire « entendre l’actualité du monde avec les mots du théâtre », propose cet été six lectures associées au « focus Afrique subsaharienne ». Parmi elles, Tram 83 est une adaptation par Julie Kretzschmar du roman de Fiston Nasser Mwanza Mujila, qu’elle perçoit comme « un tableau choral de la République Démocratique du Congo, le récit éclaté et chaotique de ce “beau monde cassé” plus vaste que la géographie dans laquelle il s’inscrit ». Dans le roman, Tram 83 est le nom du bar de nuit où convergent une foule hétéroclite et notamment les héros, Lucien, un écrivain idéaliste, et son ami Requiem, trafiquant cynique, tous deux embarqués dans une virée aux allures de western. Après deux résidences en Afrique, à Ouagadougou puis à Kinshasa, la metteure en scène présente une nouvelle étape de travail à Avignon (et à Marseille), avant la création de la pièce en septembre. Incarnée par cinq acteurs (l’auteur, l’escroc, l’éditeur européen, la prostituée, la diva) et structurée en quatre « tableaux » (la musique, la nuit, la mine, la littérature), sa version de Tram 83 s’attache tout particulièrement à la question « de la langue, des langues, et peut-être plus encore de cet espace intermédiaire que crée la littérature, un espace linguistique qui “traduit” le pays de l’auteur ».
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« LE RÉCIT ÉCLATÉ ET CHAOTIQUE DE CE “BEAU MONDE CASSÉ” PLUS VASTE QUE LA GÉOGRAPHIE DANS LAQUELLE IL S’INSCRIT »
Le 9 juillet, 14 h. Théâtre des Bernardines, 17, boulevard Garibaldi, Marseille, 1er. 04 91 99 02 50. 5 €. www.festivaldemarseille.com Le 17 juillet, 11 h. Jardin de la rue de Mons, Rue de Mons, Avignon. 04 90 14 14 14. Entrée libre. www.festival-avignon.com
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DOROTHÉE MUNYANEZA, LE CORPS MÉMOIRE DU RWANDA À partir du génocide Rwandais qu’elle a fui à l’âge de douze ans, Dorothée Munyaneza a créé deux spectacles programmés cet été à Marseille et Avignon : Samedi détente et Unwanted. Deux bornes mémorielles encadrant l’avant et l’après de cette tragédie.
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ntre les mois d’avril et de juillet 1994, s’est déroulé au Rwanda le génocide le plus rapide de l’histoire. En cent jours, à l’instigation du gouvernement hutu, près de 800 000 Rwandais, pour la plupart tutsis, ont été massacrés. Dorothée Munyaneza a douze ans, ce printemps-là, quand elle réussit à fuir la capitale Kigali pour rejoindre sa mère à Londres. Elle s’y installe puis y étudie les sciences sociales et ses passions d’enfance : la musique et le chant. En 2004, à vingt-deux ans, elle compose et interprète la bande originale du film Hôtel Rwanda de Terry George. Deux ans plus tard, elle danse pour la première fois dans Sans Retour de François Verret, avec qui elle partage le goût de l’interdisciplinarité. La jeune femme multiplie les expériences avec d’autres chorégraphes prestigieux, tel Alain Buffard. En 2011, alors que ce dernier demande à ses interprètes de raconter une histoire personnelle, Dorothée Munyaneza a une révélation : « Alors, j’ai senti le Rwanda remonter en moi et j’ai parlé de ce que j’ai vécu en 1994 ». Ce récit lui inspire l’écriture d’un texte puis le désir de fonder sa propre compagnie, Kadidi, en 2013. Elle décide de retourner dans le pays de son enfance : « Voici vingt ans qui
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© José Caldeira
Texte : Olivier Levallois
ont passé, vingt ans que j’ai vécu loin de mon pays, vingt ans que j’ai eu le temps de reprendre goût à la vie, de grandir, de réfléchir, et enfin, de pouvoir écrire. » L’artiste se confronte à des questions délicates : comment raconter l’indicible ? comment parler des circonstances durant lesquelles elle a dû quitter un jour, en cachette, le nid de l’enfance tant aimé, pour prendre des routes jonchées de corps ? « On a tellement peu parlé de ce génocide. Et quand on en parlait, on en parlait mal. Je voudrais mettre un accent artistique sur un sujet historique, dont il reste encore beaucoup à dire », explique-t-elle. Corps de bataille En 2014, sa première création, Samedi détente, évoque le monde de son enfance juste avant qu’il ne bascule dans l’horreur. Le titre et son insouciante légèreté révèlent a posteriori l’inconcevable violence sur le point d’advenir. Il est emprunté à une émission de radio diff usant, à l’époque, des chansons que les enfants apprenaient par cœur avant de s’affronter dans des joutes pendant la récréation. Souvenir d’un passé aimé et disparu, Samedi Détente
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Dorothée Munyaneza etet le danseur gabonais Amaël Mavoungou, dans Samedi détente.
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rappelle avec pudeur que les chiffres spectaculaires du génocide rwandais, avec sa masse de morts, renvoient à des individus bien réels, leurs vies fragiles, leurs caractères et leurs sentiments. Avec ce spectacle, le style Munyaneza se précise : le texte, la parole, la musique, le chant et la danse s’associent pour restituer la mémoire individuelle et collective de l’innommable tragédie. Avec, au centre de ces réminiscences et du dispositif scénique, le corps. Le corps qui imprime la trace des violences à même la chair ou qui les enfouit secrètement en elle, dans des plis de douleur, de honte et de pudeur. Le corps qui murmure, devient cri, puis chant, ou se fige, mutique, submergé. Puis, il se relève et danse, affirmant malgré tout sa résistance, son désir irrépressible de vivre. Mais, au-delà de la forme même de la scénographie, c’est la volonté de rendre visibles et audibles ces existences brutalisées qui fonde la démarche de l’artiste : « Je veux parler au travers des yeux qui ont vu. Je veux partager la parole de ceux qui y étaient. » Unwanted, dont la première aura lieu pendant le festival d’Avignon, est la deuxième création de Dorothée Munyaneza. Son propos ne concerne plus l’avant, mais
« JE VEUX PARLER AU TRAVERS DES YEUX QUI ONT VU. JE VEUX PARTAGER LA PAROLE DE CEUX QUI Y ÉTAIENT. »
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L'ÉTÉ AFRICAIN DANSE
© Bruce Clarke
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DERRIÈRE CHACUNE DE CES HISTOIRES, LA MÊME QUESTION VITALE : COMMENT S’ACCEPTER ?
l’après-génocide et ses conséquences pour les femmes qui ont vécu les traumatismes de la violence. Le corps encore, comme champ de bataille. L’une de ces « conséquences », ce sont les 2000 à 5000 enfants nés des 100 000 à 250 000 femmes violées. Des enfants qui ont aujourd’hui vingt-deux ans : l’âge du génocide. « Je veux parler d’elles et d’eux, enfants de bourreaux et de victimes » raconte Dorothée Munyaneza. Et de poser, derrière chacune de ces histoires, chacun de ces portraits, la même question vitale : comment s’accepter ? Unwanted met en scène le mouvement, la transformation des luttes intimes, de ces vies traumatisées qui cherchent à se déployer. La chorégraphe est accompagnée sur scène de la chanteuse afro-américaine Holland Andrews dont les capacités vocales exceptionnelles vont du lyrisme le plus limpide à la profondeur gutturale la plus âpre. Une voix sans cesse en transformation, qui traduit de manière bouleversante, dans une composition en live, le mouvement même des émotions traversant ces femmes chez qui le silence, le cri et le chant se confondent.
SAMEDI DÉTENTE
Le 20 juin, 20h30. Le Merlan, Avenue Raimu, Marseille, 14e. 04 91 99 02 50. 10 €. www.festivaldemarseille.com UNWANTED
Du 7 au 13 juillet, 18h. Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, 8, rue de la République, Villeneuve-lès-Avignon. 04 90 27 66 50. 10-29 €. www.festival-avignon.com
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Dorothée Munyaneza pendant les répétition de Unwanted.
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BIENVENUE À KALAKUTA REPUBLIC ! En rendant hommage au légendaire père de l’afrobeat et à l’activiste musical, Fela Kuti, le danseur burkinabè Serge-Aimé Coulibaly exprime l’irrépressible désir de liberté de la jeunesse africaine d’aujourd’hui.
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n 1970, Fela Kuti déclare son indépendance visà-vis de la dictature militaire nigériane et décrète que sa propriété-forteresse, accueillant sa famille, les membres de son groupe, son studio d’enregistrement et une clinique gratuite, située à Mushin, banlieue populaire de Lagos, devient la République de Kalakuta (« gredin »). Bientôt rasé sur ordre du gouvernement, ce territoire artistique et politique utopique aura une existence éphémère. Le symbole, lui, perdurera. Avec sa neuvième chorégraphie crée en mars dernier au festival Sens Dessus Dessous de la Maison de la Danse à Lyon, Serge-Aimé Coulibaly invoque la figure politique de Fela qui fut, à travers sa musique, sa lutte pour la liberté et ses harangues à l’encontre de la dictature, le porte-voix charismatique de toute une génération. « C'est une figure qui m'inspire », déclare le chorégraphe, « il est le condensé de toutes les contradictions d'une société. Je joue de ces contradictions dans mon spectacle ». L’invocation passe d’abord par l’afrobeat, rythm’n blues funky, africain et lancinant, dont des extraits sont samplés et remixés dans la première partie de l’œuvre. Sur scène, un canapé fatigué, quelques draps accrochés, un tapis décrépi et six jeunes danseurs. Des corps (en) noir (cinq) et blanc (un), marqués d’un trait épais de maquillage au
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©Doune Photo
Texte : Olivier Levallois
visage, rituel emprunté à Fela. D’abord immobiles, sur les premières mesures, ils sont bientôt tirés de leur léthargie par un septième danseur, Serge-Aimé Coulibaly, torse nu sous un costume de ville, figurant la double figure du musicien et du chorégraphe. Une fois cette première impulsion nourrie par la musique effrénée du Nigérian, une énergie irrépressible prend possession des corps, qui tremblent, se heurtent, tournoient, se déhanchent dans une urgence à agir et à vivre. L’œuvre se poursuit plus intimement, avec une seconde partie à l’atmosphère flottant, enfumé et décadent, évoquant le Shrine (« sanctuaire »), cette boite de nuit mythique et mystique de Lagos, mi-temple mi-club où Fela Kuti, après avoir prié avec ses spectateurs, jouait et faisait de la politique. « Ici, il parlait de changer de monde. C’est un espace de liberté. Je voulais voir la beauté derrière la laideur », commente le chorégraphe. Les danses se font dès lors plus sensuelles, érotiques, les corps ondulent lascivement, dans le mouvement lent d’une ivresse troublante, tandis que l’on plonge dans les pensées du musicien à travers quelquesunes de ses déclarations projetées sur les toiles suspendues : « You always need a poet. One day I’ll be the president of this country » (« Vous avez toujours besoin d’un poète. Un jour, je serai le président de ce pays »). Explosion de vitalité traversant des corps puissants et sensuels, l’énergie poétique
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Serge-Aimé Coulibaly et ses danseurs, dans Kalakuta Republic.
et politique de Kalakuta Republic est communicative. À 44 ans, Serge-Aimé Coulibaly vise, comme Fela hier, à ouvrir les consciences : « Fela est un prétexte pour évoquer ce qui se passe aujourd'hui dans le monde : les guerres, les réfugiés, les traumatismes, l'espoir né des révolutions et ses lendemains si difficiles ». À travers cet hommage au musicien-prophète de Lagos, le danseur interroge sa propre place et responsabilité dans le monde : celle d’un artiste et de son engagement.
« FELA EST UN PRÉTEXTE POUR ÉVOQUER CE QUI SE PASSE AUJOURD'HUI DANS LE MONDE... L'ESPOIR NÉ DES RÉVOLUTIONS ET SES LENDEMAINS SI DIFFICILES. »
KALAKUTA REPUBLIC
Le 9 juillet, 21h30. Mucem, Esplanade du J4, Marseille, 2e. 04 91 99 02 50. 17-20 €. www.festivaldemarseille.com Du 19 au 25 juillet, 22h. Cloître des Célestins, Place des Corps Saints, Avignon. 04 90 27 66 50. 10-29 €. www.festival-avignon.com
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ET AUSSI ...
RÉPERTOIRE ET AVANT-GARDE
Pilier historique du Festival de Marseille, la danse occupe également cette année une place centrale dans le « focus Afrique subsaharienne » du Festival d’Avignon et bénéficie d’un partenariat entre les deux manifestations.
THE LAST KING OF KAKFONTEIN
© Lungile Cekwana
Textes : Sophie Passage
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é à Soweto en 1970, Boyzie Cekwana est un chorégraphe profondément engagé et largement reconnu sur la scène internationale depuis une quinzaine d’années. Repoussant les frontières entre danse et performance ou théâtre, il multiplie les médiums artistiques pour aborder des sujets aussi épineux que les politiques publiques face au SIDA, les réserves alimentaires mondiales… dans des pièces radicales et provocantes. Son prochain spectacle, créé conjointement à Marseille et Avignon, dénonce la montée des populismes dans les démocraties et les abus en tous genres exercés par des dirigeants pourtant élus par leurs concitoyens. Inspiré par les personnalités de Donald Trump et Jacob Zuma (le président sud-africain), Boyzie Cekwana met en scène la chute d’un « tyran démocratique » errant dans un palais de carton et chantant ses louanges « comme le sang suinte d'un corps meurtri ». Un sujet d’une actualité brûlante, pas seulement en Occident.
Les 8 et 9 juillet, 18 h. KLAP, Maison pour la Danse, 5, rue Rostand, Marseille, 3e. 04 91 99 02 50. 5-10 €. www.festivaldemarseille.com Du 17 au 23 juillet, 18 h. Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, 8, rue de la République, Villeneuve-lès-Avignon. 04 90 27 66 50. 10-29 €. www.festival-avignon.com
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Boyzie Cekwana, chorégraphe et performeur de The Last King of Kakfontein.
© Margo Tamiza
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LES PRIX RFI DÉCOUVERTE © Yassine Medeb Hamrouni
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our sélectionner les artistes africains invités cette année au Festival d’Avignon, l’équipe organisatrice s’est notamment rendue à la triennale Danse l’Afrique danse !, programmée à l’automne dernier à Ouagadougou, autour du thème « mémoire et transmission ». Elle en a rapporté trois pièces fondatrices et emblématiques du répertoire de la danse contemporaine africaine, dont le point commun est d’avoir reçu le prix RFI découverte et d’être aujourd’hui transmises à de jeunes interprètes. Récompensé en 1997, Figninto (« L’oeil troué » en bambara) est une œuvre des chorégraphes Salia Sanou et Seydou Boro, les directeurs artistiques de la 10e édition de la triennale. Ils ont choisi de transmettre cette pièce sur la fragilité de la condition humaine contemporaine à trois jeunes danseurs chorégraphes qu’ils ont eux-mêmes formés. Sans repères, créée en 2000 par Béatrice Kombé, est une pièce intégralement féminine, nourrie de culture urbaine. Elle est aujourd’hui reprise en hommage à la chorégraphe ivoirienne, disparue en 2007, par les danseuses Nina Kipré et Nadia Beugré, qui l’interprétaient déjà à l’origine. Enfin, Ti Chelbé, dont le titre créole évoque le machisme, est un duo de Kettly Noël, qui a obtenu le prix RFI en 2003. La chorégraphe d’origine haïtienne, installée à Bamako, y explore le regard de l’homme sur la femme et leurs rapports de force. TiChèlbè est aujourd’hui dansée par Ibrahima Camara et Oumaïna Manaï.
Extraits de Figninto et Ti Chelbé avec Oumaïna Manaï.
Du 9 au 15 juillet, 15 h. Théâtre Benoît-XII, 12, rue des Teinturiers, Avignon. 04 90 27 66 50. 10-29 €. www.festival-avignon.com
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AFRICA FÊTE, L’AFRIQUE SANS FRONTIÈRES La 13e édition marseillaise du festival Africa Fête rend hommage à son fondateur, Mamadou Konté, disparu en 2007 : un travailleur immigré devenu producteur militant de la culture africaine et officier des arts et lettres. Textes : Olivier Levallois
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endez-vous annuel du début de l’été, le festival Africa Fête a eu plusieurs vies et au moins déjà une mort, tout comme son fondateur Mamadou Konté. En 1965, à vingt ans, le jeune Konté quitte le Sénégal pour la France. Devenu ouvrier, logeant dans les foyers Sonacotra à Paris, il apprend à lire auprès de militants de gauche. Après avoir lutté pour améliorer les conditions de vie dans les foyers, il s’investit dans une action sociale et culturelle qui le conduira à créer en 1978 la première édition du festival Africa Fête, à l’Hippodrome de Pantin. Les artistes africains partagent alors la scène avec des chanteurs français engagés comme Claude Nougaro, François Béranger, Bernard Lavilliers... L’objectif est de dresser des ponts entre les cultures et d’élargir la sensibilité musicale du grand public. Précurseur, Konté fait ainsi découvrir à la France puis au monde, des artistes majeurs tels Youssou N’Dour, Touré Kunda, Manu Dibango, Salif Keita. Durant cette période, il est à la fois découvreur de talents, manager, agent, producteur et organisateur de festivals. Sa rencontre, au début des années 90, avec Chris Blackwell, le fondateur du label Island Records (Bob Marley, Fela Kuti, Amy Winehouse, PJ Harvey, U2…) lui ouvre les portes de l’Amérique du Nord, où il exporte ‒ avec succès ‒ son festival sous une forme itinérante. Il organise de grandes tournées et révèle aux États-Unis des artistes comme Oumou Sangaré, Papa Wemba ou encore Femi Kuti. Vingt ans après sa création,
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le festival parisien connait des difficultés financières. Une nouvelle édition, au Sénégal en 2001, semble être son chant du cygne. Mais en 2004, Africa Fête renaît à Marseille, la ville qui a vu débarquer du Sénégal, quarante-deux ans plus tôt, un jeune homme étranger et démuni, loin de soupçonner le destin exceptionnel qui l’attendait en France. Matières à danser et à penser
Pour rendre hommage à cette personnalité extraordinaire, le festival organise, le 7 juillet, la Nuit Konté de Mamadou : une soirée sous le patronage artistique de l’octogénaire Manu Dibango et de quelques autres compagnons d’aventures (le pianiste congolais Ray Lema, le Malien virtuose du clavier Cheick Tidiane Seck et les frères de Touré Kunda). Un Bal de l’Afrique enchantée ouvrira cette soirée spéciale. D’autres concerts se dérouleront tout au long de la semaine mêlant la « génération Konté », à la nouvelle génération : la chanteuse Pépé Oleka, DJ Ivor, Balani, Show Bizness de Bamako et leur rap, accompagné par des instrumentistes traditionnels. Une autre soirée exceptionnelle est prévue le samedi 8 juillet, avec le passage de la Caravane du festival au désert au théâtre Silvain (lire page 59). Si la musique est centrale dans le festival, elle n’est pas seule. Le septième art est également de la partie, avec un hommage à l’écrivain et cinéaste Ousmane Sembène, disparu la même année que Mamadou Konté. Deux films sont projetés pour l’occasion
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Mamadou Konté, le père d'Africa fête, photographié par Antoine Tempé.
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POUR MAMADOU KONTÉ, MUSIQUE, CULTURE, MILITANTISME, RÉFLEXION ET RAPPROCHEMENT DES COMMUNAUTÉS ALLAIENT DE PAIR.
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DOSSIER
L'ÉTÉ AFRICAIN MUSIQUE v
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© L.Vincent
Manu Dibango, parrain de la Nuit Konté de Mamadou, le 7 juillet.
au Vidéodrome et au café associatif Dar Lamifa. Guelewar (1992) traite d’un conflit entre deux communautés religieuses dans un village autour d’un enterrement. Camp de Thiaroye (1990) rappelle le massacre tragique de tirailleurs sénégalais par l’armée française durant la démobilisation de 1944. Un autre film de fiction et deux documentaires sont aussi programmés : Félicité d’Alain Gomis, le portrait d’une mère courage de Kinshasa, Caravan Touareg de Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman, qui évoque la difficulté des Touaregs à trouver leur place dans le Mali contemporain, et Afrique, la pensée critique en mouvement, avec lequel JeanPierre Bekollo nous emmène dans les coulisses des Ateliers de la pensée, un colloque ayant réuni en octobre 2016, à Dakar et à Saint-Louis, une vingtaine d'intellectuels et artistes du continent africain. Le désir d’amorcer une réflexion collective constitue l’un des autres attraits du festival. Cette année, trois rendez-vous vont permettre d’aborder les sources et influences de la musique afro-américaine, l’état de la création en Afrique ainsi que son potentiel artistique et économique. Africa Fête n’est donc pas un simple festival musical, c’est aussi un lieu pour penser l’Afrique contemporaine. Au vu de cette programmation militante, des artistes et des intervenants invités, on comprend que l’hommage du festival à Mamadou Konté se réalise aussi dans cette capacité des organisateurs, et de son actuel directeur Victor Faye, à prolonger la vision originelle de son fondateur. Pour Mamadou Konté, en effet, musique, culture, militantisme, réflexion et rapprochement des communautés allaient de pair.
AFRICA FÊTE
Du 30 juin au 8 juillet. Divers lieux à Marseille. 04 95 04 96 36. 0-25 €. www.africafete.com
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AFRICA FÊTE N’EST PAS UN SIMPLE FESTIVAL MUSICAL, C’EST AUSSI UN LIEU POUR PENSER L’AFRIQUE CONTEMPORAINE.
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ET AUSSI ...
DU THÉÂTRE SILVAIN À LA COUR D’HONNEUR
Cet été, la musique partage la vedette avec la danse dans les festivals, et en particulier à Avignon, dont les organisateurs ont choisi de privilégier les musiques africaines (au détriment des textes) et des valeurs sûres. De son côté, Africa Fête invite le Festival au Désert, nomade depuis 2013. Textes : Olivier Levallois
Le groupe de bues rock touareg Terakaft
LA CARAVANE DU FESTIVAL AU DÉSERT
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n janvier 2000, parallèlement aux grandes fêtes traditionnelles de Kidal et de Tombouctou, les associations touarègues Efès et Aitma créent le Festival au Désert. Célébrant la paix et l’échange entre les communautés, la manifestation présente pendant trois jours et trois nuits, différents aspects de la culture touareg : le chant, la danse, la musique, les courses de chameaux et de chevaux. Organisé à l’origine sur les dunes de Tombouctou, le festival est d’abord repoussé par la guerre sur les berges du fleuve Niger, à Bamako, avant de prendre une forme itinérante. On le retrouve alors en Mauritanie, au Niger, au Burkina Faso ainsi que dans quelques pays européens. Pour cette première en France, la caravane débarque avec trois hôtes de marque : le Ali Farka Touré Band qui, depuis la disparition de l’immense guitariste malien, continue de faire entendre son répertoire, sublime fusion de musique traditionnelle et de blues ; Terakaft, groupe de blues rock touareg, cousins proches par l’esprit comme par la musique
de Tinariwen, avec qui ils partagent souvent scènes et musiciens ; et Justin Adams, guitariste et producteur londonien (de Tinariwen justement). La caravane convie aussi sur la scène magique du théâtre Silvain, les festifs Marseillais de MaClick (trois Marocains, un Camerounais et un Français d’origine tchèque), pour fusionner sans complexe le reggae, le ska, l’ethiojazz, les mélodies orientales, la guitare araboandalouse au rythme des gnawas. Un groupe à l’image de cette soirée, qui rend un peu plus poreuses les frontières, avec pour seul passeport, le groove.
Le 8 juillet, 20h. Théâtre Silvain, Pont de la Fausse Monnaie, Marseille, 7e. 04 91 99 02 50. 5-24 €. www.festivaldemarseille.com www.africafete.com
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DOSSIER
L'ÉTÉ AFRICAIN MUSIQUE
© Danny Willems
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DREAM MANDÉ-DJATA
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réé pour le Festival d’Avignon, Dream Mandé-Djata se situe à la croisée du théâtre et de la musique. La chanteuse et compositrice malienne Rokia Traoré a choisi de raconter, jouer et chanter, en compagnie de Mamah Diabaté au ngoni et Mamadyba Camara à la kora, l'épopée de Soundiata Keïta. Héros à la fois historique et légendaire de l'Afrique de l'Ouest, il unifia et pacifia l'empire du Mandé au XIIIe siècle. « Ce n’est pas tant l’interprétation de ces chants classiques griots que toute la dramaturgie naturelle intense et profonde de cette tradition qui m’intéresse, ditelle. J’ambitionne de transcrire un récit griot en dehors de la langue mandingue, mais en préservant le sens de chaque geste, chaque mot, chaque croyance originelle. »
©Sonia and Mauro
Du 21 au 24 juillet, 21h, Cour du musée Calvet, 65, rue Joseph Vernet, Avignon. 04 90 27 66 50. 10-29€. www.festival-avignon.com
La chanteuse et compositrice malienne Rokia Traoré.
FEMME NOIRE
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pectacle de clôture de la 71e édition du Festival d'Avignon, le seul du « focus Afrique subsaharienne » à avoir droit à la Cour d'honneur, Femme noire est également une création, réunissant la chanteuse béninoise Angélique Kidjo et le comédien ivoirien Isaach De Bankolé autour du poème éponyme de Léopold Sédar Senghor. Accompagné par le saxophoniste camerounais Manu Dibango, le guitariste congolais Dominic James et le jeune représentant de l'afro trap MHD, le spectacle est annoncé comme un hommage à la Femme africaine, naviguant « de la poésie à la chanson, de la chanson à la musique improvisée, de la musique à la parole la plus lettrée, la plus fiévreuse, la plus amoureuse… » Les 25 et 26 juillet, 22h, Cour d’honneur du Palais des Papes, Place du Palais des papes, Avignon. 04 90 14 14 14. 10-20 €. www.festival-avignon.com
Angélique Kidjo, une des stars de Femme noire.
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PORTFOLIO
Rencontres d'Arles
LA COLOMBIE AUX RENCONTRES D’ARLES Texte : Emmanuelle Gall
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n 2016, Les Rencontres d’Arles anticipaient – avec plusieurs expositions marquantes ‒ la mode africaine qui s’est depuis emparée de nombreuses institutions publiques et privées. Le focus sur l’Amérique latine proposé par la 48e édition du festival aura-t-il le même impact ? Il a en tout cas le mérite de mettre sous les projecteurs une scène artistique tout aussi méconnue des Français. S’associant à la vaste programmation à venir de L’Année France-Colombie, Sam Stourdzé et son équipe ont donc décidé de « colorer » les Rencontres avec un panorama de la photographie colombienne, décliné dans trois expositions. À l’Espace Van Gogh, Pulsions urbaines revient sur un demi-siècle de photographie latino-américaine sur le thème de la ville, en présentant plusieurs centaines de clichés issus de la collection de Leticia et Stanislas Poniatowski : une référence en la matière, qui a déjà fait l’objet de nombreuses expositions dans le monde. Autre collectionneur, le Britannique Timothy Prus, fondateur des Archives of Modern Conflicts, possède près de 4 millions d’images. Pour La Vache et l’orchidée (en hommage aux deux symboles nationaux), il a sélectionné des photographies vernaculaires, illustrant la diversité des paysages colombiens et l’âme d’un pays qui « au même titre que la photographie, n’est jamais ce qu’il prétend être. La comédie y est omniprésente et se teinte parfois de tragédie… » Enfin, dans un nouveau lieu baptisé La Croisière, la curatrice colombienne Carolina Ponce de León présente 28 artistes colombiens contemporains : « Les projets sélectionnés explorent les mutations du paysage culturel, social et politique des identités, des valeurs et des croyances, et interrogent les notions de classe, d’identité, de survie économique, ainsi que l’histoire du conflit armé qui a duré soixante ans et qui a alimenté le trafic de drogue. »
Pulsions urbaines - Photographie latino-américaine, 1960-2016 Espace Van Gogh. La Vache et l’orchidée - Photographie vernaculaire colombienne La Croisière. La Vuelta - 28 photographes & artistes colombiens Chapelle Saint-Martin-du-Méjean. Du 3 juillet au 24 septembre, Arles. 04 90 96 76 06. Tarifs divers.
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Sam Stourdzé et son équipe ont décidé de « colorer » les Rencontres avec un panorama de la photographie colombienne, décliné dans trois expositions.
Baranquilla, vers 1894. Attribuée à Ernesto Duperly. Photographie sur papier albuminé.
Two Wrestlers (Deux lutteurs), Bogota, 1956. Photographie argentique. Avec l’aimable autorisation de Manuel H.
Vicki Ospina, Bambuco, 1977. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Anonyme, Prize Cow Competition (Concours de vaches), Colombie, annĂŠes 1980.
Anonyme, Colombian Street Photograph (Photographie de rue en Colombie), annĂŠes 1980.
Oscar Muñoz, Juego de las Probabilidades, 2007. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Mor Charpentier, Paris. 62
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Juan Pablo Echeverrí, Hulk, série Supersonas, 2011. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. 8e art magazine • été 2017
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P.66 L'ÉVÉNEMENT P.68 SCÈNES P.72 MUSIQUES P.76 EXPOS P.80 ENFANTS
© JC Carbonne
AGENDA
CU LTU RE L
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SORTIR
MARSEILLE, CAPITALE DU HIP-HOP Le Mucem sort de ses réserves le meilleur de sa collection « hip-hop », débutée dans les années 90. Les pièces historiques s’exposent au M.A.C et les plus récentes sont réunies au Mucem, pour évoquer les scènes les plus actives du bassin méditerranéen. Texte : Julie Bordenave
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our se rafraîchir la mémoire, mieux vaut commencer par le musée d’art contemporain, qui revient sur la dimension historique du mouvement, des USA à l’Europe. Sur l’axe « Hype & low » (« branché et contemporain »), l’exposition convie la dimension pluridisciplinaire du phénomène (graff, rap, breakdance…), de manière chronologique. L’analyse du contexte sociologique qui a favorisé l’éclosion du mouvement aux États-Unis dans les années 70 est précieuse. Comme souvent, c’est un urbanisme dévastateur dans les quartiers populaires qui a fédéré les énergies : ici, la construction de l’autoroute, qui éventre littéralement le Bronx en 1948, incite vingt ans plus tard les minots à se regrouper pour revendiquer un territoire et une identité. Les très belles photos de Martha Cooper, enseignante du coin, témoignent de l’effervescence de l’époque : block partys sauvages, premières battles dans les rues… Au début des années 80, l’Internationale hip-hop, sanctifiée en 1973 par Afrika Mambaata sous la bannière de Zulu Nation (« Peace, Love, Unity and Havin’ fun »), s’exporte outre-Atlantique. En France, c’est l’arrivée de Sydney à la télé. Sur le terrain, les premières battles s’organisent à La Chapelle, à Paris, sous la houlette de Dee Nasty. Dans la deuxième moitié des années 80, le hip-hop explose dans les rues, mais commence aussi à entrer dans les galeries, via Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring. Les années 90 verront les grands groupes se faire un nom, et le rap marseillais connaître son âge d’or. Au fil des décennies, le mouvement perd de sa hargne, gagne les ondes les plus mainstream, jusqu’à devenir sirupeux avec l’étalage bling-bling de la West Coast et la multiplication des produits dérivés. Le M.A.C. fait aussi la part belle au matériel de l’époque – notamment les platines des DJ et MC–, et au tag. Le long texte de Normal Mailer, La foi du graffiti, publié en 1974 dans Esquire Magazine, résonne comme une profession de foi, autour des notions d’identité, de propriété et de vie
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COMME SOUVENT, C’EST UN URBANISME DÉVASTATEUR DANS LES QUARTIERS POPULAIRES QUI A FÉDÉRÉ LES ÉNERGIES. urbaine : « Je passe toute la journée à regarder passer mon nom [sur les trains] », y témoignait notamment, non sans forfanterie mais aussi désœuvrement, le tagger Super Kool ! Plus anecdotique, le volet présenté au Mucem, dans la petite Salle des collections, puise dans le fonds du Musée des Arts et Traditions Populaires lié aux cultures urbaines. Les objets exposés résultent des plus récentes enquêtes de collecte effectuées autour du bassin méditerranéen. Le cheminement muséal s’articule autour du processus de création d’un graff, de l’ébauche aux divers modes de monstration (fanzines, fresques, stickers…), en partant de l’intime des graffeurs, de l’Espagne à l’Italie, en passant par le Maroc et la Tunisie. Devant notamment le coût élevé des bombes de peinture, le street art maghrébin utilise davantage les réseaux sociaux pour répandre ses messages, ou encore les affiches, à l’image de celles de Jaye en 2011-2012 : « République Islaïque de Tunisie » ; « Niqab ni soumise ».
Graff en Méditerranée Jusqu’au 8 janvier 2018. Mucem, Esplanade du J4, Marseille 2e. 04 84 35 13 13. 5-9,50 €. www.mucem.org Hip-hop, un âge d’or Jusqu’au 14 janvier 2018. M.A.C., 69, avenue de Haïfa, Marseille, 8e. 04 91 25 01 07. 3-5 €. www.culture.marseille.fr
L'ÉVÉNEMENT
DR
© Lisa Leone
Wyclef Jean and Lauryn Hill des Fugees, East Harlem, New York City, 1993.
MUSA, train miniature graffé, 2010, peinture sur plastique, collection MuCEM.
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VIVE UZÈS DANSE ! Engagement, découverte et approche internationale sont les maîtres mots de ce festival méconnu. Loin de l'entre soi, les spectacles investissent les rues et les jardins de la ville. Un corps-àcorps sensible avec l'espace urbain qui participe d'un double mouvement d'enchantement et de démocratisation de l'acte de création. Et cette relation aux gens n'est pas artificielle, puisqu'elle se construit toute l'année par le biais d'actions artistiques et culturelles qui favorisent la rencontre avec les œuvres. Chaque édition, un spectacle est même coconstruit avec une école de la ville. Au programme de cette 22e édition : deux pièces de l'imprévisible David Wampach, qui cible les sensations les plus extrêmes. Urge nous entraînera sur les pentes glissantes du désir et de la pulsion. Veine confrontera les danseurs à des états de transe, mais revisités par le biais de la transgression. Ceux qui ne connaissent pas encore le travail de Christophe Haleb doivent découvrir cet imaginaire d'autant plus puissant qu'il est en prise directe avec le
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monde. Les autres savent à quel point il est difficile de définir un univers aussi passionnant et polymorphe qui emprunte autant à la danse qu'à la performance, au théâtre et aux arts plastiques. On ne saurait trop conseiller également Danya Hammoun et sa sensualité troublante, dans la maîtrise comme dans le lâcherprise, la retenue et le débordement. Quant à l'esprit de liberté de Martine Pisani, il est absolument addictif. Pour le reste, soit une dizaine de propositions alléchantes (Malika Djardi, Paula Pi, La Zampa, Gaëlle Bourges, Laurent Pichaud, Rachel Garcia, Lea Moro, Alexandre Roccoli…), la curiosité est de rigueur et il y a fort à parier qu'elle sera récompensée. F.K. Du 10 au 17 juin. Jardin de l’Évêché, église Saint-Étienne, lavoir et jardin médiéval, Uzès. 04 66 03 15 39. 10 € . www.uzesdanse.fr
© Alois Aurelle
SCÈNES
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© JC Carbonne
SCÈNES
© Clementine Crochet
LA FRESQUE
COMPAGNIE, COMPAGNIE Jérôme Bel est un chorégraphe reconnu, les plus grandes scènes internationales se l'arrachent et pourtant, dans son dernier spectacle, Gala, il joue contre l'excellence artistique et mêle danseurs professionnels et amateurs. Présentée en 2016 sur la scène de la Criée, la pièce revient cet été dans une version courte, destinée à l’espace public. Comme son titre l’indique, elle revisite ce moment festif, populaire, a priori sans aucun enjeu artistique. Rien d'anodin pourtant
dans cette proposition qui rencontre un immense succès partout où elle est diffusée. Tous les interprètes ont la même consigne : reproduire un certain nombre de mouvements de l’histoire de la danse, puis transmettre aux autres leurs propres danses. L'émotion jaillit d'une immense vulnérabilité, d'un regard sans jugement à mille lieues de la standardisation, de la normalisation de la danse. Une fois l'engagement débarrassé de la virtuosité ne subsiste que l'émotion. F.K.
Les 24 et 25 juin, 19h et 18h. Parc Henri Fabre et La Canebière, Marseille. 04 91 99 02 50. Entrée libre. www.festivaldemarseille.com
Deux voyageurs fatigués trouvent refuge dans un temple où un vieil ermite les guide vers une fresque sur laquelle de très belles femmes dansent. L’un des voyageurs, fasciné par la mélancolie de la plus jeune, va entrer dans l’image et faire de la femme son épouse. Sur scène, cinq hommes et cinq femmes nous font pénétrer dans la dimension fantastique et fantasmée de la fresque, à travers une succession de tableaux où temps et mouvements se ralentissent. Dans cette adaptation d’un conte traditionnel chinois (La Peinture sur le mur), le chorégraphe Angelin Preljocaj interroge le pouvoir des images et la frontière entre réel et représentation, dans une mise en scène moderne, où la musique est signée Nicolas Godin (Air) et les costumes Azzedine Alaïa. O.L. Le 14 juin, 19 h, du 15 au 17, 20h00. Théâtre de la Criée, 30, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. 04 96 11 04 61. 12-35 €. www.theatre-lacriee.com
LES OISEAUX
© Polo Garat
Pisthétairos et Evelpidès, deux citoyens d'Athènes las de vivre dans une cité corrompue par les démagogues, vont trouver les oiseaux à qui ils proposent de construire entre la terre et l’Olympe, Coucouville-les-Nuages, une cité aérienne idéale. Les postulants citoyens rappliquent, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, l’utopie tourne bientôt court. Cette fantaisie, écrite il y a 2400 ans par Aristophane, trouve une résonance très actuelle. Entre théâtre et opéra, avec son chœur antique d’hommes-oiseaux et sa vingtaine de comédiens, la mise en scène baroque et ardente de Laurent Pelly ranime la verve féroce du père de la comédie ancienne. Satire malicieuse de la politique et de la démocratie, ces Oiseaux nous rappellent que nos problèmes contemporains sont atemporels. O.L. Du 13 au 17 juin, 20h30, le 14, 19h. Théâtre du Gymnase, 4, rue du Théâtre Français, Marseille, 1er. 08 20 13 20 13. 9-35 €. www.lestheatres.net
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SCÈNES
© Takuma Uchida
© Jan Versweyveld
SORTIR
ANTIGONE
DE MEIDEN (LES BONNES) Katie Mitchell ne laisse personne indifférent. Certains la traitent de vandale, d'autres de génie. Pour notre part, nous avons adhéré à l'atmosphère, pesante mais fascinante, du Pelléas et Mélisandre qu'elle a présenté, en 2016, au Festival d'Aix. Invitée du festival d'Avignon, elle s'attaque aux Bonnes de Jean Genet. Une pièce particulièrement perverse et qualifiée par l'auteur de « suicide déclamatoire ». Deux sœurs, Claire et Solange, sont au service de « Ma-
dame ». Elles élaborent l’assassinat de celle qui les emploie. Mais, elles ne parviennent pas à convertir leur dessein imaginaire en réalité. Et ça finira mal ! Katie Mitchell met toutes les chances de son côté puisqu'elle dirige les acteurs virtuoses du Toneelgroep d'Amsterdam. Et son approche esthétique est toujours aussi tranchée. Pour preuve, le personnage de Madame sera joué par un homme. La mise en abyme jusqu'à l'outrance chère à Genet ? F.K.
Du 16 au 21 juillet, 15h, et 22h le 17. L’autre scène du Grand Avignon, Avenue Pierre de Coubertin, Védène. 04 90 14 14 14. 10-29 €. www.festival-avignon.com
L'ouverture du festival d'Avignon devrait sacrément nous surprendre. Certes l'Antigone de Sophocle est totalement intégrée à notre patrimoine théâtral, mais l'adaptation proposée par Satoshi Miyagi a toutes les chances de renouveler notre regard sur l'œuvre. Le metteur en scène japonais n'en est pas à son coup d'essai. Il est encore méconnu du grand public, mais, en 2014, il avait enchanté le festival avec son Mahabharata. Cette fois-ci, il dépayse complètement la tragédie antique avec une scénographie obéissant aux codes du théâtre indonésien. L'action se déroulant sur l'eau, la Cour d'honneur, méconnaissable, sera donc noyée... par l'émotion, espérons-le. F.K. Du 6 au 12 juillet, 22h. Cour d'honneur du Palais des papes, Place du Palais des papes, Avignon. 04 90 14 14 14. 18-39 €. www.festival-avignon.com
UNTIL OUR HEARTS STOP
© Iris Janke
Depuis plus de vingt ans, la chorégraphe américaine Meg Stuart explore les limites de la représentation. Avec Until our hearts stop (« jusqu'à ce que nos cœurs s'arrêtent »), elle offre en partage aux spectateurs du festival de Marseille une performance très physique. Six danseurs (et trois musiciens), en perpétuel mouvement, s'adonnent à un rituel intriguant. Beaucoup de contacts, d'empoignades, de souffles et même de morsures. Pas de violence, plutôt une démonstration brute de tendresse qui s'achève par un cabaret absurde, une fête à laquelle le public est convié. La règle du jeu nous échappe, mais pas la finalité : une expérience sensorielle intense. F.K. Le 5 juillet, 20h30. Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin, Marseille, 3e. 04 91 99 02 50. 20-24€. www.festivaldemarseille.com 70
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© Elian Bachini
SCÈNES
SUR LE SENTIER D’ANTIGONE
L’Agence de Voyages Imaginaires prend ses quartiers d’été au Mucem, pour y présenter Sur le sentier d’Antigone. Parti pris de la compagnie : un théâtre de troupe généreux et coloré, qui pimente les classiques de son grain de folie. La comédienne Valérie Bournet endosse ici le rôle Séraphin, clown attachant et irrévérencieux, pour nous conter le mythe fondateur d’Antigone : la ténacité d’une sœur meurtrie, qui brave les tabous et défie le pouvoir afin de donner une sépulture à son frère. Épaulé par ses deux anges gardiens (comédiennes, musiciennes et manipulatrices), Séraphin ose les décrochages et mises à distance, pour instaurer une complicité avec le public. Au cœur de la mise en scène de Philippe Car, l’acte de résistance : « résister, étymologiquement, c’est se tenir debout. » Le spectacle a d’abord été créé sous forme de « théâtre forum », il y a quelques années, au Burkina Faso. Comme toujours, l’Agence a su ramener l’énergie des pays traversés entre les murs de la salle. Et, selon la coutume de l’Agence de Voyages Imaginaires, le spectacle est suivi des Tables nomades, un repas cabaret en musique, « pour que la rencontre se prolonge au-delà du spectacle » ! J.B. Les 20 et 21 juillet, 19h30. Mucem, Esplanade du J4, Marseille 2e. 04 84 35 13 13. 11-15 €. Réservations Tables Nomades : 06 81 29 30 75 www.mucem.org
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MARSEILLE JAZZ DES CINQ CONTINENTS Après la disparition de son directeur artistique Bernard Souroque en 2015 et le passage éclair de son successeur Stéphane Kochoyan, le Marseille Jazz des Cinq continents répond bien présent pour sa 18ème édition. Si le cœur du festival bat toujours aux jardins du Palais Longchamp, trois autres lieux sont investis pour ces dix jours. Du jazz donc, mais pas seulement. Que l’on aime la musique vintage ou expérimentale, le groove dansant ou le blues méditatif, le programme semble, cette année encore, suffisamment riche et diversifié pour combler les attentes des 35 000 personnes attendues. La soirée d’ouverture investit le toit terrasse de la Friche la Belle de Mai au son caribéen du quartet londonien des Sons of Kemet. Ambiance plus classique au théâtre Silvain, avec la formation du Brandford Marsalis 4T et son invité, le crooner Kurt Elling. Soirée plus latine avec le pianiste cubain Roberto Fonseca dont les virtuoses mélodies sont entrainées par d’efficaces rythmes afro-cubains. Les nouveaux talents s’épanouissent, eux, au MuCem, tels le saxophoniste
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ténor et expérimentateur Guillaume Perret ou le très cohenien chanteur et guitariste Piers Faccini, découvert en première partie de Ben Harper. Des artistes confirmés sont aussi au rendez-vous telles que Norah Jones abolissant depuis quinze ans – et son premier succès mondial Come Away with me – les frontières entre country, folk, rock, et jazz. Et enfin des légendes (bien) vivantes complètent cette belle proposition estivale: Georges Benson, Herbie Hancock, ou encore Tony Allen (mythique batteur de Fela rendant hommage à une autre légende de la batterie, Art Blakey). Du jazz des cinq continents donc, mais dans des métissages infinis. O.L
Du 19 au 29 juillet. Divers lieux, Marseille 04 95 09 32 57. 0 -43 €. www.marseillejazz.com
© Arien Chang
MUSIQUES
SORTIR
© Callie Barlow
MUSIQUES
© Sonja Werner
MARSATAC
CARMEN
« Tu crois le tenir, il t’évite. Tu crois l’éviter, il te tient […] » En ouverture de Carmen, la habanera explorant les ramifications complexes de l’amour parvient à créer d’emblée ce sentiment de drame, indissociable du caractère volcanique et insaisissable et de la cigarière. Cette nouvelle production est signée du metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, dont le travail précieux parvient à révéler toute la singularité d’œuvres dont tant se sont emparé(e)s. La mezzosoprano Stéphanie d’Oustrac incarnera le rôle-titre, accompagnée par l’Orchestre de Paris sous la direction du chef espagnol Pablo Heras-Casado. Dans le rôle de Don
José, le déserteur passionné, amant puis bourreau de Carmen, le ténor Michael Fabiano formera avec la soprano Elsa Dreisig (évoluant sous les traits Micaëla) le triangle amoureux et mortifère. Dressant le portrait d’une femme libre, troublée par ses sentiments, guidée par son désir d’indépendance autant que par le rejet des conventions et obéissant aux principes structurels de l’opéra-comique, Carmen n’avait pas pour ambition de révolutionner le genre, mais conserve toujours la même aptitude à dépeindre la contestation comme résultant directement d’une forme d’oppression « […] que nul ne peut apprivoiser ». M.D.C.
Du 4 au 20 juillet, 19h30. Grand Théâtre de Provence, 380, Avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence.08 20 92 29 23. 9-270 €. www.festival-aix.com
Majeur depuis un an à peine, le festival de musiques électroniques et urbaines déménage encore. Il investit pour la première fois un Parc Chanot entièrement dédié à l’événement, avec quatre scènes et plus de trente concerts sur deux jours et deux nuits. Il va y avoir du beau monde, à commencer par quelques pontes du hip-hop old school tels la Fonky Family (reformée pour l’occasion), les légendaires De la soul et les Irlando-Américains d’House of Pain (qui n’a pas sauté sur « Jump around » n’est pas humain !). Côté musique électronique, on retrouve également des talents éprouvés : le très rare (sur scène) Nicolas Jaar, jouant son sublime album Siren ou, dans un genre plus dépouillé, Ali Shirazinia alias Dubfire, orfèvre de l’électrominimalisme depuis trente ans. C’est le début de l’été, on dormira plus tard. O.L. Les 23 et 24 juin. Parc Chanot, Rond-point du Prado, Marseille, 8e. 04 91 24 35 24. 38-64€. www.marsatac.com
CARAVANSÉRAIL
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Dans la tradition des pays arabes, le caravansérail est une vaste cour où les caravanes de diverses provenances font halte pour se reposer : un lieu d’échange, de communication et de partage donc. Ici, dans ce nouveau festival orchestré par la Cité de la Musique, pas de caravaniers, mais des musiciens de régions proches ou lointaines, qui se côtoient le temps d’un week-end sur la scène à ciel ouvert du théâtre Silvain. Alerte Rouge (cornemuse écossaise, bourrées, mazurkas et farandoles), Rebetiko project (fado, jazz manouche et chants des Balkans), Ruben Paz (airs et rythmes afro-cubains), Crosswind (country, blues, folk), ou encore Tchoune Tchanelas (rumba et flamenco), nous convient à cette fête ou régionalisme ne rime pas avec nationalisme. O.L. Les 16 et 17 juin. Théâtre Silvain, Corniche Kennedy, Marseille, 7e. 04 91 39 28 28. 12-25 €. www.festival-caravanserail.com
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MUSIQUES © Samuel Cortès
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DON GIOVANNI La traditionnelle nouvelle production mozartienne du festival d’Aix-en-Provence est cette année Don Giovanni, opéra créé à Prague en 1787 sur un livret de Da Ponte, œuvre subtile et raffinée ayant exercé, avec La Flûte enchantée, une influence considérable sur les compositeurs de la période romantique. Dirigé par Jérémie Rhorer, mis en scène par Jean-François Sivadier et servi par une distribution prestigieuse (Nahuel di Pierro, Eleonora Buratto, Pavol Breslik ou encore Julie Fuchs), cet opéra intemporel, mêlant au drame la force comique de son héros, le très libertin Don Juan arguant plus de mille conquêtes (incarné par le baryton Philippe Sly), est intimement et historiquement lié à l’histoire du festival et demeure un des plus grands chefs-d’œuvre de l’art lyrique, qualifié par Wagner d’« opéra des opéras ». M.D.C.
Ancré dans le paysage musical estival, le festival de la Roque d’Anthéron s’attache à proposer une programmation éclectique, mêlant classique, baroque, musique de chambre et musiques actuelles, jeunes talents et pianistes de renommée internationale. Cette 36e édition réunira notamment Nelson Freire qui interprétera des pièces de Schumann, Chopin et les Dix variations sur « Unser Dummer Pöbel Meint » K.455 de Mozart, Adam Laloum dans un programme entièrement dédié à Beethoven et le jeune prodige Lucas Debargue, lauréat du 4e prix du concours Tchaïkovski 2015, qui
jouera le concerto pour piano et orchestre n° 1 en si bémol mineur Op.23 de Tchaïkovski aux côtés de l’Orchestre National de Lettonie dirigé par Andris Poga. Une Nuit du piano consacrée à Chopin verra Nelson Goerner partager la scène avec le Sinfonia Varsovia, dirigé par Lio Kuokman. Evgueny Kissin donnera un récital Beethoven/Rachmaninov et l’on retrouvera les pianistes Nicolas Angelich et Claire Désert, le trio Karénine, les quatuors Girard et Ardeo ou encore David Kadouch et le HongKong Sinfonietta. M.D.C.
Du 21 juillet au 19 août. Parc du Château de Florans, La Roque d’Anthéron. 04 42 50 51 15. 13-55 €. www.festival-piano.com
ORCHESTRE DES JEUNES DE LA MÉDITERRANÉE
© Vincent Beaume
Créé à l’initiative de la Région et du ministère de la Culture, l’OJM réunit chaque année une centaine de jeunes musiciens talentueux originaires du bassin méditerranéen, recrutés sur audition, en leur offrant la possibilité de se représenter la vie en orchestre à laquelle certains peut-être se destinent, tout en leur permettant de travailler auprès d’un chef de renommée internationale. Depuis 2010, l’OJM s’est ainsi associé au festival d’Aix pour créer une « académie-orchestre », en collaboration avec le London Symphony Orchestra (LSO). Clôturant leur session d’été à La Criée, l’OJM inscrit sa formation dans un profond souci d’amorcer un dialogue interculturel, en donnant à voir et à entendre l’aboutissement d’un véritable échange musical. M.D.C. Le 21 juillet, 20h30. Théâtre de la Criée, 30, quai de Rive neuve, Marseille, 7e. 04 96 17 80 00. 6-13 €. www.theatre-lacriee.com
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© Alix Laveau
FESTIVAL INTERNATIONAL DE PIANO
Du 6 au 21 juillet, 21h30. Théâtre de l’Archevêché, Place des Martyrs de la résistance, Aix-en-Provence. 08 20 92 29 23. 9-270 €. www.festival-aix.com
MUSIQUES
© Didier D Daarwin
© Snowdrops
VOTEZ MIMI Pour sa 32e édition, le festival Mimi, l’un des rendezvous musicaux les plus singuliers et attachants de Marseille, se fait aoûtien. La programmation, bien installée dans les ruines de l’Hôpital Caroline des îles du Frioul, propose comme l’année passée quelques escales à terre : le toit terrasse de la Friche la Belle de Mai, l’U. Percut et, en clôture, le PIC-Télémaque. Le calibré, le balisé, l’habituel, le familier, le lounge trouvent peu de place dans le menu de ces dix jours de fin d’été. Quels que soient les genres, le festival reste un refuge unique et jubilatoire pour l’avant-garde musicale d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, parmi une quinzaine d’artistes, le DJ et producteur Creestal triture son hip-hop sophistiqué avec des samples jazzy. Section AzzuRa, duo de rap-dub-punk-rock, rappelle les premiers albums généreusement foutraques des Beastie Boys. Enfin, la pianiste et spécialiste des ondes Martinot (collaborant avec Yann Tiersen, Dominique A, Jean-Philippe Goude, Tindersticks, Têtes Raides, Noir Désir… ) Christine Ott et le pianiste Mathieu Gabry, formant le duo Snowdrop, nous plongent dans les paysages évolutifs d’un jazz onirique et hypnotique. Une fois encore, chez Mimi, on vient autant écouter de la musique que vivre une expérience scénique. O.L Du 19 au 29 août. Divers lieux, Marseille 04 95 04 95 50. 0 à 28 €. www.amicentre.biz
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EXPOS
LAST BUT NOT LEAST
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La galerie Gourvenec Ogor fermera définitivement ses portes le 24 juin, après six ans d’existence et, a-t-on envie d’ajouter, de bons et loyaux services à l’art contemporain. Didier Gourvenec Ogor a montré qu’il était possible d’ouvrir une galerie ambitieuse à Marseille, de défendre le travail de douze artistes à l’échelle locale et internationale, tout en offrant au public (et pas seulement aux collectionneurs) un accueil aussi instructif que chaleureux. Présent – et remarqué – dès l’exposition inaugurale de la galerie en septembre 2011, Timothée Talard y a présenté son premier solo show deux mois plus tard, est revenu en 2014, avec une surface d’exposition doublée (grâce à l’annexion du garage voisin) et se voit consacrer le dernier accrochage de Didier Gourvenec Ogor rue Duverger. L’artiste donne à voir, pour l’occasion, deux séries de « quasi monochromes » (sur toile ou papier) et un néon au titre ouvert : Forget it. Depuis la voiture calcinée et les scènes d’émeutes à l’aquarelle de ses débuts, le jeune artiste a considérablement évolué, vers une forme de minimalisme très personnel, toujours plus épuré. Lors de
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l’exposition de 2014, des monochromes « changeants » (selon la position du spectateur) ou « ratés » (parce que peints à l’eau) cohabitaient encore avec des mots et des phrases taguées. Ils ont disparu du paysage, comme le souligne le néon, pour laisser la couleur prendre tout l’espace, dans des textures complexes, réfléchissantes, produisant de subtiles nuances et irisations. La composition chimique de la peinture et son application capturent l’œil et imposent le silence, pour laisser place à la contemplation. E.G.
Jusqu’au 24 juin. Galerie Gourvennec Ogor 7, rue Duverger, Marseille, 2e. 09 81 45 23 80. Entrée libre. www.galeriego.com
Courtesy Galerie Gourvennec Ogor
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© Bridgeman
© Ettore Sottsass
EXPOS
L’APPEL DU LARGE A l’initiative de Bouches-du-Rhône Tourisme, huit musées se fédèrent autour du rapport entretenu par Marseille à son littoral. Volet historique tout d’abord, autour des majestueuses épaves antiques des musées d’Histoire de Marseille, des Docks Romains et d’Arles Antique. Vient ensuite, au Mucem, le temps de la conquête, du VIIe au XVIIe siècle : peur archaïque de la mer, apprivoisement via la cartographie, laissant peu à peu place au désir du large. Parallèlement, le Musée de la Légion étrangère d’Aubagne propose un focus sur la présence militaire maritime de la France depuis le XIXe. Volet artistique, ensuite : autour de sa « petite
mer » de Berre, Martigues accueille les peintres séduits par la Provence (Ziem, Renoir, Picabia, Camoin...). Au Musée Regards de Provence, 80 toiles des XIXe et XXe siècles témoignent de l’attrait des romantiques, réalistes, néo-impressionnistes ou fauves pour les villes littorales, de Collioure à Naples en passant par Cassis ou Alger. Plus tard dans la saison, la Vieille Charité fera la part belle à l’épopée de Jack London dans les Mers du Sud, sur les traces de ses héros Melville et Stevenson. L’écrivain y déchanta, constatant les méfaits de la colonisation, mais y rédigea aussi son chef-d'œuvre : Martin Éden. J.B.
Musée Ziem, Mucem, Musée Regards de Provence, Musée d’Histoire de Marseille, Musée des Docks Romains, Musée départemental Arles Antique, Centre de la Vieille Charité. www.myprovence.fr
UNE MAISON DE VERRE Pour fêter les trente ans du Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA), installé à Marseille, le musée Cantini présente une sélection de 60 pièces, émanant de 16 artistes ayant œuvré dans les ateliers de la rue de la Joliette depuis 1986. Quelques pièces fortes émaillent le parcours : Le Petit Ange rouge aux faux airs de mandala de James Lee Byars ou le mobile de disques orange translucides de Giuseppe Caccavale prennent toute leur ampleur dans les salles lumineuses de l’hôtel particulier. La visite se complète d’un riche documentaire présentant la démarche du CIRVA, qui met le savoir-faire de ses artisans verriers au service des artistes et de leurs visions. Parmi eux, Bob Wilson expose aussi ses Solid Glass dans le hall de la Criée jusqu’au 27 juillet. J.B. Jusqu’au 24 septembre. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille, 6e. 04 91 54 77 75. 3-5 €. www.culture.marseille.fr
© Culturespaces - Erik Venturelli
BOSCH, BRUEGHEL, ARCIMBOLDO Spécialisées dans les expositions immersives, les Carrières de Lumières s’équipent pour la première fois de vidéoprojecteurs à technologie laser pour cet événement. Si l’aspect son et lumière paraît parfois pompier – ce final sur Stairway to heaven de Led Zeppelin… – l’immersion dans le monde grimaçant de Bosch ou la vie paysanne flamande époque Brueghel est tangible. Réel aussi, le plaisir de découvrir les toiles en format géant, via plus de 2 000 images numériques projetées au sol ou sur les murs de vieilles pierres. À ne pas manquer, dans la salle Cocteau : le film documentaire de 16 minutes dédié à l’artiste, évoquant notamment sa fascination pour le site où il tourna en 1959 son atemporel Testament d’Orphée. J.B. Jusqu’au 7 janvier 2018. Carrières de Lumières, Route de Maillane, Les Baux-de-Provence. 04 90 54 47 37. 10-12 €. www.carrieres-lumieres.com
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EXPOS © Hélène David
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VIANDES FORAINES Avec leur faible hauteur sous plafond et leurs gaines d’aération omniprésentes, les plateaux de la Tour de la Friche la Belle de Mai sont loin des whites cubes muséaux et parfois problématiques. Si l’exposition Viandes foraines y semble autant dans son élément, c’est que le projet des quatre artistes réunis pour l’occasion par Sextant et plus / Group relève du sur-mesure. Delphine Reist, Laurent Faulon, Jean-Baptiste Sauvage et Thomas Teurlai ont travaillé en résidence dans les ateliers Sud Side de la Cité des arts de la rue, à l’origine notamment de la fameuse Parade des Lumières en 2013. Ils en ont rapporté des œuvres radicales et diverses, en résonnance avec les questions du travail, de la fabrication à la chaîne et en série, dans un contexte actuel de désindustrialisation et de démantèlement. Le propos est juste et l’accrochage très réussi ! S.P. Jusqu’au 30 juillet. Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 95. 3-5 €. www.lafriche.org
PHOTOMED Liban, Maroc et Algérie sont à l’honneur. Dans le Var, le focus se porte sur les rapports de l’homme à son environnement et à sa cellule familiale, à travers notamment les clichés d’Hélène David (Noces ou les confins sauvages, à Sanary-sur-Mer), ou de Sophie Zénon sur la Sicile (Au-dessous du volcan, sur l’île de Bendor). A Toulon, Le Liberté se consacre à une plongée dans l’intimité d’un intérieur algérois, tandis que la lumière crue de la Méditerranée ressurgit sous le regard de Bernard Plossu à l’Hôtel des Arts. J.B.
Jusqu’au 18 juin, Hôtel des Arts, Toulon. Jusqu’au 27 juillet, Le Liberté, Toulon. Jusqu’au 13 août, Villa Méditerranée, Friche la Belle de Mai et FRAC PACA, Marseille. Entrée libre. www.festivalphotomed.com
© Alfred Sisley - Musee national de Catalogne
SISLEY L’IMPRESSIONNISTE
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Le ciel, la lumière, son reflet changeant sur l’eau… Bien qu’éloigné géographiquement de la Méditerranée, Alfred Sisley partageait bon nombre de sujets et de préoccupations plastiques avec ses collègues du Sud. Il est néanmoins resté presque toute sa vie en Île-de-France, jamais loin de la Seine et ses affluents. À Louveciennes ou Marly-le-Roi puis aux Sablons et à Moret-sur-Loing, où il mourut en 1899, à l’âge de 59 ans, il a peint presque exclusivement des paysages, sur le motif, fidèle aux principes de l’impressionnisme qu’il a contribué à fonder. La dernière exposition française consacrée au peintre, à Lyon, remonte à 2002. L’hôtel de Caumont accueille une soixantaine de toiles de l’artiste, issues de prestigieuses collections publiques et privées, en majorité américaines, françaises et anglaises. S.P. Jusqu’au 15 octobre. Hôtel de Caumont, 3, rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence. 04 42 20 70 01. 10-14 €. www.caumont-centredart.com
© J.C. Lett
Pour sa 7e édition, le festival Photomed élargit son berceau originel sanaryen aux territoires marseillais et toulonnais. Ce nouveau rayonnement est l’occasion pour le festival à vocation méditerranéenne, installé aussi depuis quatre ans à Beyrouth, d’affiner les propos et focales de sa vingtaine d’expositions, autour de thématiques fortes. Marseille s’axe ainsi sur la ville méditerranéenne : à la Villa Méditerranée, Jardin d’essai de Maude Grübel renouvelle le genre documentaire en y distillant un aspect expérimental ; à La Friche,
Courtesy of Bibliothèque nationale de France, Département des monnaies, médailles et antiques, Paris/Tahnee Cracchiola
EXPOS
LE LUXE DANS L’ANTIQUITÉ
© Didier D Daarwin
Le Trésor de Berthouville rentre en France, après un séjour dans les ateliers de restauration du Getty Museum de Los Angeles et une exposition itinérante dans plusieurs institutions américaines. Prosper Taurin labourait son champ, le 21 mars 1830, quand le soc de sa charrue se heurta à une tuile. Il déterra successivement 128 objets en argent massif : statuettes, cruches, plats et autres éléments de vaisselle. L’homme avait ainsi mis à jour le trésor d’un sanctuaire galloromain dédié au dieu Mercure, enfoui vers la fin du IIe siècle pour être protégé des envahisseurs ou des voleurs. Acquis à l’époque par le cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) pour la somme de 15 000 francs, l’ensemble lui appartient toujours et constitue le point d’orgue de l’exposition Le Luxe dans l’Antiquité présentée par le musée bleu cet été. Complété par un focus sur les exceptionnelles fresques découvertes à Arles en 2014 et plusieurs « trésors » de la collection permanente, l’accrochage s’attache à montrer « comment et à quelle fin les élites romaines s’entouraient d’objets de luxe ». S.P. Du 30 juin au 22 janvier 2018. Musée départemental Arles antique, Presqu’île du Cirque romain, Arles. 04 13 31 51 03. 5-8 €. www.arles-antique.cg13.fr
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ENFANTS © Succession Antoine de Saint-Exupéry 2017
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LES MERCREDIS DU PORT
Comme chaque été, le Centre national des arts de la rue le Citron Jaune lance ses « Mercredis du Port » à PortSaint-Louis-du-Rhône. Cette 8e édition est consacrée aux « Arts de la rue et saveurs de la mer » : cirque, danse, théâtre, musique et entresorts se mêlent aux effluves des daurades ou bars grillés des restaurateurs locaux… À dévorer dans une assiette en carton devant les bateaux, en mirant les spectacles. À ne pas manquer : le récital forain et clownesque du Duo Bonito le 5 juillet ; une représentation de la tauromachie sur la piste circassienne (Cie Antipodes, le 12 juillet), ou encore les constructions en bois hypnotiques de Joan Catala, le 19 juillet. Des ateliers cirque sont également proposés aux plus jeunes. J.B. Les 5, 12, 19, 26 juillet, à partir de 19h. Quais de Port-Saint-Louis-du-Rhône. 04 42 48 40 04. Entrée libre. www.lecitronjaune.com
Grand Littoral se met à la culture ! Sur une volonté de son directeur Pierre-François Duwat, le centre commercial accueille l’exposition Petit Prince, qui connait ainsi sa première halte en terre marseillaise, après sa création à Versailles. C’est en découvrant des dessins inédits de Saint-Exupéry dans les recueils de La Pléiade que Guillaume Pahlawan, à la tête de l’agence Even BD, a eu la volonté de rendre hommage à l’auteur. Pour donner des clés de lecture du conte allégorique, un parcours retrace le cheminement du héros, de planète en planète. Sur
la vingtaine de planches grand format, les extraits du texte original se doublent d’un sous-texte explicatif. Une alcôve est dédiée à la présentation des personnages-clés, qui apparaissent aussi grandeur nature : figurine du Petit Prince, rose sous cloche, renard géant en peluche et même carton troué pour le mouton ! On apprend aussi que Saint-Ex a vraiment tenté d’apprivoiser un fennec lors d’une mission au Sahara, ou encore que la fin du Petit Prince (le 2e livre le plus traduit au monde après la Bible) a d’abord été refusée, jugée trop triste… J.B.
Jusqu’au 30 juin. Grand Littoral, Porte 4 niveau haut, Marseille 16e. Entrée libre. www.club-onlyou.com/Grand-Littoral
© Jouni Ihalainen
LES 70 ANS DU PETIT PRINCE
© eVenti Verticali
FESTIMÔME
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De nouveau à Aubagne, trois jours pour les plus jeunes consacrés au cirque, à la musique et aux arts de la rue. Le parc Jean Moulin accueille des compagnies locales (Cirk biZ’arT), européennes (Andréanne Thiboutot), mais aussi asiatique. L’association Phare Ponleu selpak, unique troupe de cirque cambodgienne créée il y a vingt ans dans un camp de réfugiés à la frontière thaïlandaise, présente son délicat Chills, bercé de tradition animiste. Accessibles en journée : le Manège, un carrousel construit à partir d’éléments de récupération, des ateliers cirque tout public, et un Festiminimôme dédié aux moins de 5 ans. La soirée de clôture, en présence de l’humoriste Nicole Ferroni, marraine du festival, s’achèvera sur la première française de Wanted par la compagnie italienne eVenti Verticali, adepte de la danse sur façades. J.B.
Du 20 au 22 juillet. Parc Jean Moulin, 713, avenue du 21 Août 1944, Aubagne. 04 42 72 75 51. 3-4 €. www.festimôme.fr
© Michael Wolf
© Jean-Louis Fernandez
ENFANTS
LES RENCONTRES EN FAMILLE
PINOCCHIO La création mondiale de cet opéra en ouverture du festival d’art lyrique d’Aix-enProvence est une grande fierté pour son directeur, Bernard Foccroulle : « Cela faisait longtemps que je voulais que Joël Pommerat, qui fait des pièces magnifiques s'adressant aussi bien aux adultes qu'aux enfants comme Le Petit chaperon rouge, Cendrillon et Pinocchio, fasse pour nous un opéra tout public. Et il y a fort à parier que l’adaptation lyrique par Joël Pommerat de sa pièce créée en 2008 (photographiée ci-dessus avec les comé-
diennes Maya Vignando et Florence Perrin), sur une partition de son compagnon de route Philippe Boesmans, se jouera à guichet fermé. Parce que chaque fois qu’il se plonge dans l’univers des contes traditionnels, le metteur en scène parvient à en extraire toute la beauté et la vérité, tout en se l’appropriant et le réactualisant. Dans une veine plus proche du néoréalisme magique de Comencini que de Walt Disney, ce Pinocchio initiatique, sombre et profond, ne s’adresse évidemment pas aux plus petits. S.P.
Du 3 au 16 juillet, 20h ou 17h. Grand Théâtre de Provence, 380, Avenue Max Juvénal, Aix-en-Provence. 08 20 92 29 23. 9-270 €. www.festival-aix.com
On connaît les stages photo des Rencontres d’Arles, moins la richesse de l'offre pédagogique associée à la manifestation. Les ateliers jeune public permettent aux parents de visiter tranquillement les expositions pendant deux heures (14h30-16h30), tout en offrant à leurs enfants (de 6 à 12 ans) la possibilité de s’initier à la photo en compagnie d’un médiateur. À chaque jour de la semaine, sa thématique : le lundi, c’est « cadavres exquis », le mardi, « brise le cadre », le mercredi, « vues de villes », en relation avec l’exposition de Michael Wolf à l’église des Frères prêcheurs (cf. illustration ci-contre), le jeudi, « jeux d’échelles » et le vendredi, « photo expression ». Il est même possible d’organiser un atelier sur mesure. Dans tous les cas, il est indispensable de réserver. S.P. Du 12 juillet au 1er septembre. Bureau du festival, 34, rue du docteur Fanton, Arles. 04 90 96 76 06. 13 €. www.rencontres-arles.com
© Lena Durr
PATREM
Initier des lycéens à l’ethnologie, les former à la méthode de l’enquête de terrain, leur permettre ensuite de la mettre en pratique en réalisant des portraits et, enfin, exposer le résultat dans un musée de société : tel est l’enjeu du projet PATREM (pour Portraits d’Acteurs des Territoires Ruraux Et Maritimes). Depuis 2014, près de 300 lycéens de la région PACA ont participé à ce dispositif initié par le pôle « agriculture & alimentation » du Mucem et réalisé par Guylaine Bouvÿ-Thabourey, chargée de collections et de recherches. Le musée des Alpilles accueille aujourd’hui les portraits (vidéo et photo) de pêcheurs, éleveurs, agriculteurs… réalisés par des élèves en collaboration avec des artistes, associés à des objets puisés dans les collections du Mucem. Un projet exemplaire ! E.G. Jusqu’au 30 septembre. Musée des Alpilles, Place Favier, Saint-Rémy-de-Provence. 04 90 92 68 24. 3,5-5 €. www.musees-mediterranee.org
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LES
ADRESSES MARSEILLAISES
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CAFÉ - BRASSERIE
LE COLOMBIA
Après un un réaménagement complet , le Colombia vous accueille dans une ambiance cosi "bistrot ", que ce soit pour un café un déjeuner, une crêpe l'après midi ou un apéro endiablé, la nouvelle équipe se fera un plaisir de vous recevoir 7/7 ! Infos & Réservation : 04 91 22 55 74
572, rue paradis • 13008 Marseille
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CHAMBRE D'HÔTES
LA CASA ORTEGA
Une chambre d'hôtes pas comme les autres, qui cultive le goût du détail et le sens de l'hospitalité. Idéalement située dans une petite rue face à la gare Saint-Charles de Marseille, cette confortable guest house propose un hébergement qui allie les services d'un hôtel au charme authentique d'une maison d'hôtes à l'ambiance internationale. Accueil attentif et déco stylée, découvrez cinq chambres d’hôtes lumineuses au mobilier XXe chiné au fil du temps. Le petit déjeuner vous fera re découvrir l’ odeur du pain grillé, le délice d’ un yaourt maison et la saveur d’un bon café. Infos & Réservation : 09 54 32 74 37
46, rue des petites Maries • 13001 Marseille • www.casa-ortega.fr
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BRASSERIE - RESTAURANT
LE DAVID
La situation de la célèbre brasserie Le David, à deux pas de la plage, est idéale. Dans l'assiette, le chef vous propose, pour commencer : terrine de foie gras, chutney de fruits exotiques et pain d'épice... Puis côté plat : suprême de poulet fermier au coulis d'écrevisses ou encore un plateau de coquillages. Mais Le David, ce n'est pas qu'un restaurant, vous pourrez également venir dans cette brasserie à toute heure de la journée pour vous déguster un cocktail, vue sur mer.
99 Promenade Georges Pompidou • 13008 Marseille 04 91 79 99 63
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RESTAURANT
ESPLAÏ DU GRAND BAR DES GOUDES
Ce restaurant propose des produits de la mer issus d'une pêche locale. Poissons grillés, bourride et bouillabaisse sont les spécialités de la maison. Une ambiance marseillaise où il fait bon vivre !
Infos & Réservation : 04 91 73 43 69 29 rue Désirée-Pellaprat - 13008 Marseille
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RESTAURANT • BAR • RÉCEPTION
LE COMPTOIR MARSEILLAIS
Installé sur la Corniche avec vue sur la mer de la terrasse ou de la salle. Enrichit du savoir-faire du chef de renom, Bruno Cordesse, le restaurant vous propose une cuisine bourgeoise, des vins à choisir dans une magnifique cave en verre. Le week-end, coquillages et brunchs viennent compléter notre carte. Un nouvel espace pour vos apéritifs ou digestifs, sur une terrasse bâchée, chauffée avec des tables hautes et des amuses bouches maison. Pour un long ou court instant, pour les grands et les petits budgets. Le Comptoir Marseillais, Un lieu, une Atmosphère !!! Infos & Réservation 04 91 32 92 54 • www.lecomptoirmarseillais.com
5, Promenade Georges Pompidou • 13008 Marseille
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RESTAURANT TARTINERIE SALADERIE & BRUNCH
LE CHERCHE MIDI
Les brunchs du Cherche MIdi par Camille et Betty, le concept : une tartinerie à base de pain «Poilâne» qui se situe entre le restaurant et le salon de thés, des produits frais, du fait maison et des desserts à tomber du chef patissier Franck Charvose. Le lieu est cosy-chic, la cuisine délicate et raffi née, un bon moment sur fond de jazz dont vous pourrez profiter désormais un dimanche par mois pour les brunchs de Camille et Betty. 1er brunch, le dimanche 18 janvier 2015, sur réservation : 06 12 92 12 32 Infos & Réservation 04 91 71 20 76 / 06 59 21 71 11
33 boulevard Edouard Herriot • 13008 Marseille
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