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I N F L U E N C E S
L’
hôpital Nord, l’hôpital de la Timone, les facultés de médecine et de pharmacie, la faculté des sciences de Saint-Jérôme, le campus de Luminy et son école d’architecture, 150 écoles primaires, le lycée Colbert, le lycée Jean Perrin, le lycée Daumier, l’Hôtel de Police de l’Evêché, le Building Canebière, les plages du Prado… A Marseille, son œuvre est incontournable, monumentale : René Egger (1915-2016) fut l’architecte de la Reconstruction et des Trente Glorieuses. Associé dans ses premières années à Fernand Pouillon, il deviendra « la main » de Gaston Defferre, le « mairebâtisseur », qui façonnera le nouveau visage de la cité phocéenne, faisant entrer la ville dans la modernité (...)
À suivre p.32
Influences est une publication de Media Print Directeur de la publication : Frédéric Guerini / f.guerini@agencefranceweb.fr Conception éditoriale et rédaction : Sandro Piscopo-Reguieg / sandro.piscopo@gmail.com Photographe : Joël Assuied Conception graphique et direction artistique : Jonathan Azeroual / jonathan@beforebigbang.fr Conception/Réalisation : ZAC St Martin - 23, rue Benjamin Franklin 84120 PERTUIS - Tél. 04 90 68 65 56 En couverture : © Mathieu Grapeloup - Destruction du Calypso aux Catalans INFLUENCES
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I N F L U E N C E S
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MARSEILLE 2020 LES 20 CHANTIERS
QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
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10 Panoramas
18 Saint-Just
12 Transports
20 Euromed
14 Cap au sud
22 Marseille 2030
16 Centre ville
24 Marseille 3013 !
Motivé Marseille à la loupe Interview de Mathieu Grapeloup « Un rôle de veille citoyenne »
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Pratique Aux bons conseils de l’archi
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Dossier
René Egger, un héros très discret
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66 Yacine Ouadi
Entre influences et superstitions
Découverte Raphaëlle Segond, la métropole à bicyclette
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64 expos
68 Joel Assuied 70 Clémentine Carlsberg
Connecté Cityscape, le guide archi-contemporain Reportage A Kallisté, Gros sur le cœur
Les fors intérieurs
74 Jacques Sbriglio
Comment exposer Picasso ?
77 Cahier IMMO
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MARSEILLE
2020
LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
Une nouvelle station de métro dans les quartiers nord ? Euromed 1 en voie d’achèvement ? Le centre-ville enfin piéton ? Une calanque à Saint-Just ? Inaugurés dans 4 semaines ou dans 4 ans, ces 20 chantiers qui vont changer la ville, pourraient bien aussi nous changer la vie. Voyage spatio-temporel à travers la cité phocéenne de demain.
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020PANORAMAS LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
L E M O N U M E N T, L I B É R É D E S F U M É E S D E G A Z O L E , A R E T R O U V É U N N O U V E A U S O U F F L E
L’info à raconter pour vous donner l’air intelligent : « Imaginée par le cabinet parisien Bruno Fortier, la nouvelle esplanade de la Major affiche un sol dallé de granit rappelant la bichromie de la cathédrale ».
ETÉ 2016
ESPLANADE DE LA MAJOR : PANORAMA SUR (EURO)MÉDITERRANÉE
LA DIGUE DU MUCEM POUR 2017 Une nouvelle promenade piétonne et un quai pour l’accueil de navettes maritimes : navettes maritimes : au pied du Mucem, les travaux de la digue du J4 ont redémarré cet été et devraient être achevés à la fin du premier semestre 2017. D’ici là, les adeptes de la pêche à la ligne devront se trouver un nouveau spot. 10
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Dernière ligne droite pour les travaux de l’esplanade de la Major avec l’installation, cet été, de 9 500 m2 de dalles de granit et la création d’un banc de 220 mètres. Une quarantaine d’arbres (des mélias) viendront enfin abriter du soleil le promeneur qui pourra, dès lors, y contempler de nouveaux panoramas… Et mesurer le chemin parcouru en 16 ans, quand Euroméditerranée fut désigné maître d’ouvrage des abords de la cathédrale. Un passé lointain, inimaginable pour qui n’a pas vu la Major « d’avant » : cernée par une route, un parking, un rond-point et la fin de l’A55… Le monument, libéré des fumées de gazole (destruction du viaduc autoroutier, report souterrain des voies de circulation), a retrouvé un nouveau souffle. Alors qu’importe si d’interminables fouilles archéologiques, la consolidation des voûtes et l’aménagement des Halles auront retardé de plus d’une décennie la livraison de cette nouvelle agora. Elle marque l’achèvement de la partie sud du boulevard Euroméditerranée, où sur deux esplanades, se tutoient les grandes cathédrales d’hier et d’aujourd’hui.
2017
J1 : RÉOUVERTURE… AVANT REFERMETURE ? C’était le tube de l’année 2013 : rénové à grands frais pour la capitale européenne de la culture, le hangar J1 avait attiré plus de 300 000 visiteurs, tout autant séduits par ses expositions que par les panoramas exceptionnels qu’offre ce lieu suspendu sur la Méditerranée. Après trois ans de flottement, son deuxième étage devrait rouvrir au début de l’année 2017 avec un projet porté par la municipalité. Nom de code : « MJ1 ». Quelque part entre Pavillon M et super office du tourisme, l’espace proposera une exposition permanente mettant en valeur « l’excellence du territoire » ainsi qu’un « guichet unique d’informations générales » à destination du grand public. Restaurant, librairie, espaces de coworking et zones privatisables complètent le dispositif de cette « nouvelle vitrine de la métropole ». Pour combien de temps ? Dans son appel à projets remporté en 2015 par la ville de Marseille, le Grand port maritime de Marseille (GPMM), propriétaire du J1, proposait une occupation éphémère de deux ans. Bien que le lieu soit resté vide durant toute l’année 2016, celle-ci arrivera à terme fin 2017. La ville parviendra certainement à négocier un délai supplémentaire… Mais pas trop long. Car pour le J1, elle a d’autres ambitions (voir p.23).
N O M D E C O D E : « M J1 » . Q U E L Q U E PA R T E N T R E PAV I L L O N M E T S U P E R O F F I C E D U T O U R I S M E
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020TRANSPORTS LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
E N 2 0 18 , O N T R AV E R S E R A M A R S E I L L E E N 10 M I N U T E S
2016-2017
LA L2 : UN RÊVE DE PIÉTON L’histoire (marseillaise) est connue : si le principe de la construction d’une rocade périphérique à Marseille fut pensé dès 1933 (le « plan Gréber »), le premier coup de pioche ne fut donné qu’en 1993... Eternellement retardée, contestée, annulée, espérée, annoncée, abandonnée, promise, bloquée, espérée, fantasmée, la L2 fut longtemps une légende urbaine. Mais cette fois, c’est la bonne : depuis l’automne 2014 et l’entrée en service du partenariat public privé de l’Etat avec le consortium emmené par Bouygues (624 M), Marseille accélère... Et la L2 voit enfin le bout du tunnel. La future A507 permettra à 100 000 voitures par jour de relier l’échangeur des Arnavaux sur l’A7 à l’échangeur Florian (Saint Loup) sur l’A50. Cette longue tranchée de 10 km se divise en deux parties : la L2 Est dont la mise en service est imminente ; et la L2 Nord, dont les travaux devraient durer jusqu’en décembre 2017. A cette date, on traversera Marseille en 10 minutes : un rêve d’automobiliste ! Et de piéton. Car le centre-ville ainsi désengorgé pourra sérieusement envisager son entrée dans le XXIe siècle.
EN 2020, LE SUD EN BUS C’est la priorité de Guy Teissier. Fin 2015, le président du Conseil de Territoire de Marseille (ex-MPM) annonçait l’ouverture du Boulevard urbain Sud (BUS) pour l’horizon 2020. Cette nouvelle rocade reliera sur 8,5 km le secteur de la Pointe Rouge à l’autoroute A50 au niveau de l’échangeur Florian (Saint-Loup) : connectée à la L2, elle permettra d’absorber le trafic des quartiers sud. Le projet, estimé à 290 millions d’euros, est pensé comme un « grand parc linéaire à travers la ville » mêlant voies pour voitures, bus et déplacements doux. 12
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UNE NOUVELLE PORTE D’ENTRÉE NORD À MARSEILLE
2017
GARE MULTIMODALE DE CAPITAINE GÈZE : NOUVEAU PÔLE NORD
UNE STATION ÉCOLO SUR 3 NIVEAUX Le pôle multimodal de Capitaine Gèze se déploie au sein d’un immense bâtiment, dont les différentes fonctions sont étagées en trois strates : métro au sous-sol, gare routière au R1 et parking voitures au dernier niveau. Dans ce territoire historiquement marqué par l’industrie, le bâtiment conçu par l’équipe formée autour de Marc Barani (et Roland Carta) portera le souvenir des hangars et entrepôts appelés à disparaître, en dessinant dans le paysage deux longues figures superposées gris argenté : la structure de poutres en béton, et celle du dernier niveau enveloppé de ganivelles de châtaigniers, retournées en pergolas pour protéger les 630 places de parking. Ces lamelles permettront la ventilation naturelle du site, tout en faisant office de brise-soleil, dont l’énergie sera récupérée par 100 mètres carrés de panneaux solaires.
Le prolongement du métro vers le nord de la ville ? Une première depuis 1987 et l’inauguration de la station Bougainville qui demeura, trente années durant, l’horizon indépassable de la ligne 2 du métro marseillais… Bientôt, son terminus se situera 900 mètres plus au nord, au niveau du boulevard Capitaine Gèze, où le fameux « pôle d’échange multimodal » devrait être mis en service début 2017 (soit avec trois ans de retard). Un peu plus qu’une simple station de métro, l’équipement comprendra une gare routière, un parc à vélos, une zone de stationnement pour motos et une station de rechargement de véhicules électriques, en attendant, d’ici 2020, le prolongement du tramway au départ d’Arenc. À mi-chemin entre les autoroutes A55 et A7, Capitaine Gèze ouvre une nouvelle « porte d’entrée nord à Marseille », selon les termes de la Métropole qui pilote le projet. La gare routière accueillera en effet les terminus des lignes d’autocars départementales et régionales, ainsi que ceux des bus qui desservent les quartiers nord. Un parking relais de 630 places devra quant à lui inciter l’automobiliste à laisser son véhicule pour rejoindre le centre-ville en transports en commun. L’ensemble de l’opération (90 M) suppose enfin la requalification des environs et la construction d’une trémie (ou tranchée couverte) en remplacement de l’actuelle passerelle routière. Accompagnant l’extension d’Euroméditerranée vers le nord (voir p.22), la gare multimodale de Capitaine Gèze est censée créer une nouvelle centralité entre les deux parties de la ville. Elle est peut-être le premier jalon d’une révolution copernicienne dans les représentations de la géographie marseillaise : et si dans 10 ans, on prenait tous le métro direction les quartiers nord, pour passer un dimanche à chiner dans le nouveau marché aux puces ou à buller en famille dans le futur parc des Aygalades ? INFLUENCES
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020CAP AU SUD LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
MARSEILLE EN CHAMPIONS LEAGUE DES CENTRES COMMERCIAUX ?
2017
ROND-POINT DU PRADO : FONTAINE OU ŒUVRE D’ART ? Depuis son inauguration en décembre dernier, le nouveau rond-point du Prado paraît bien vide et dépeuplé : « la cerise sur le plateau » (selon l’expression de Guy Teissier) qui devra faire de ce rond de pelouse le « plus beau rond-point de la ville », se fait toujours attendre. Si les services de feu-MPM avaient envisagé d’y déplacer le Pouce de César (mauvaise idée), le président du CT de Marseille pencherait plutôt en faveur d’une fontaine (moins risqué). Mais pour l’heure, le (rond) point s’avère toujours aussi mystérieux. La Métropole, qui a lancé un concours de maîtrise d’œuvre auquel ont répondu une vingtaine d’équipes, « n’a pas eu l’occasion de statuer », nous dit-on au palais du Pharo. Alors, grande fontaine ou œuvre d’art monumentale ? Le suspense, insoutenable, devrait prendre fin d’ici l’été 2017. 14
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CENTRE COMMERCIAL VÉLODROME : DROIT AU MERCATO Entre hôtels, clinique, bureaux et immeubles de logement, c’est tout un (éco)quartier qui est en train de sortir de terre au pied du stade Vélodrome. Le projet le plus attendu (et le plus discuté) reste le centre commercial « haut de gamme » actuellement en chantier sur le boulevard Michelet. Conçu par les cabinets d’architecte Benoy et Didier Rogeon, le bâtiment doté d’un toit végétal et d’une canopée en verre est pensé « comme une rue piétonne » cheminant sur 5 étages (23 000 m2). Il proposera une cinquantaine de boutiques ainsi qu’un parking de 800 places. Espérons que lors de son ouverture, en octobre 2017, Marseille ne se contente pas de jouer la Champions League des centres commerciaux.
L E C A M P U S D E L U M I N Y E S T L E T H É ÂT R E D ’ U N C H A N T I E R D E R É N O VAT I O N À L A M E S U R E D E S A M O N U M E N TA L I T É V I E I L L I S S A N T E
Le campus de Luminy en 2021. Au premier plan, l’Hexagone. Derrière, le bâtiment d’enseignement TRP2. Et encore au fond à droite, le mont Puget (info touristique).
2018-2021
NOUVEAU CAMPUS DE LUMINY
BHNS : UN SUPERBUS ENTRE CASTELLANE ET LUMINY L’endroit est certes paradisiaque, mais bon : Luminy, c’est un peu le bout du monde. Afin de désenclaver le site et d’améliorer l’accessibilité des quartiers sud, feu-MPM a entrepris la création d’une nouvelle ligne de BHNS (bus à haut niveau de service) reliant le campus de Luminy à la place Castellane. Ce superbus qui empruntera l’actuel tracé de la ligne 21 aura le privilège de circuler (dans la mesure du possible) sur une voie dédiée, qu’il reste donc à aménager. Le coût ? 52,6 millions d’euros pour un linéaire de 9,5 km. Avec, en prime, la requalification (et la végétalisation) des abords. L’opération, échelonnée en 5 phases, devrait s’achever fin 2017. Moins cher que le tramway, plus rapide que le bus : le BHNS… MPM en a rêvé, la Métropole le fait !
Construit en 1966 par René Egger (voir notre dossier), le site universitaire de Luminy est en ce moment le théâtre d’un chantier de rénovation à la mesure de sa monumentalité vieillissante. Si de nouvelles infrastructures ont déjà été livrées (locaux Océanomed 2, gymnase Technosport), l’opération « Campus Luminy 2017 » va révolutionner le site : près de 5 ans de travaux sur 32 000 m2 pour un budget de 72 millions d’euros. A terme, Luminy devrait avoir retrouvé sa superbe. Mené par Bouygues Bâtiment Sud-Est (accompagné des cabinets d’architectes SCAU et Marciano), le projet va démarrer en mars 2017 avec la réhabilitation de l’emblématique Hexagone : cet ancien restau U abandonné depuis des lustres va être transformé en « learning center », voué à être le cœur du futur campus, avec bibliothèque universitaire, salles de conférences, café, etc. Il devrait être livré au début de l’année 2018. La rénovation des bâtiments d’enseignement - répondant aux doux noms de TPR1 et TPR2 s’étale quant à elle de 2017 à 2021. L’ensemble de l’opération revendique une « architecture méditerranéenne réinventée » (murs rideaux, brise-soleil, ventilation naturelle), mêlant approche environnementale et cohérence esthétique : un beau sujet d’étude que les élèves de l’Ecole nationale supérieure d’architecture auront peut-être le temps d’examiner avant que celle-ci ne déménage Porte d’Aix (voir p.21).
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020CENTRE-VILLE LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
PA S S É L’ H Ô T E L D E V I L L E , L A R U P T U R E E S T H É T I Q U E A D E S A L L U R E S D E F A I L L E T E M P O R E L L E
Les bâtiments de l’intendance sanitaire rénovés, les quais réaménagés avec de larges trottoirs, des touristes chinois, et une jolie fille en jupe noire… Les travaux de la phase III du Vieux-Port new look pourraient démarrer en 2018. On a hâte.
2019-2020
VIEUX-PORT : SUSPENSE AVANT LA SAISON III
ADIEU VERDURE, CHAÎNE DES PARCS ET GLACIS VÉGÉTALISÉ Imaginé par le paysagiste Michel Devignes en 2010, le projet de reconfiguration du Vieux-Port prévoyait, pour sa phase ultime, « à l’horizon 2020 », la création d’un « glacis végétalisé » recouvrant le bassin du Carénage entre l’esplanade de Saint-Victor, ainsi qu’une bucolique « chaîne des parcs » sous le palais du Pharo… Le tout, pour 35 millions d’euros. Autant vous dire que pour le même prix, Guy Teissier a d’autres priorités. Il n’a jamais fait de mystère à ce sujet et l’a encore confirmé le 3 juin dernier : « C’est un élément d’esthétisme trop onéreux, nous n’avons pas la capacité financière », tranchait le président du CT en marge de l’inauguration du nouveau quai de Rive-Neuve. Impitoyable. Mais bon, si vraiment, vous avez encore envie d’y croire, vous pouvez toujours rêver, avec Laure-Agnès Caradec (adjointe à l’urbanisme), qui nous invite à considérer le projet Desvigne comme un « plan guide pour les 20 ans à venir »…
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Alors que le nouveau quai de Rive-Neuve a bien été livré pour l’Euro, faudra-t-il attendre les J.O. pour voir aboutir la métamorphose du Vieux-Port ? Il semblerait en effet que les collectivités, qui mettent en avant des finances exsangues, ne soient pas vraiment pressées de boucler le chantier, à quelques centaines de mètres seulement de l’arrivée. Le promeneur l’aura remarqué : passé l’Hôtel de ville, on se retrouve, jusqu’au fort Saint-Jean, comme projeté 5 ans en arrière. La rupture esthétique a des allures de faille temporelle. Adieu le joli pavage en pierre de granit et le large espace réservé au piéton : à l’étroit sur une mince bande de bitume, nous voilà coincé entre la chaussée et les barrières des clubs nautiques, d’où l’on observe, - à l’aise dans leur enclos - quelques plaisanciers retraités et autres pêcheurs d’anisette, dignes représentants de l’art de vivre à la marseillaise ! Le touriste appréciera. Un peu moins lorsqu’il devra traverser les bâtiments de l’Intendance sanitaire sur une voirie douteuse lors de son cheminement vers le fort Saint-Jean. « Il devrait exister une continuité entre Vieux-Port et J4 », admet-on, du côté de la Métropole, où les cassandres préviennent cependant qu’« il n’y a plus d’argent ». Si la dernière phase de la requalification du Lacydon (18 M d’euros) dépend des arbitrages financiers d’AMP, les élus - Guy Teissier et Dominique Tian en tête - se veulent rassurants et annoncent la reprise des travaux pour 2018… « probablement » (1). « La dernière tranche reste notre priorité. Jean-Claude Gaudin a d’ailleurs pris l’engagement de la faire, probablement en 2018, mais nous n’allons pas nous mettre pour autant dans le rouge. Nous lancerons donc les opérations dès que nos finances le permettront. » Dominique Tian, président de la commission Emploi d’AMP et premier adjoint au maire, dans La Provence du 28 mai 2016. (1)
L E G R A N D C H A N T I E R D E L A R É N O VAT I O N D E S A X E S COMMERCIAUX DU CENTRE-VILLE EST EN MARCHE
2018-2020
CENTRE-VILLE : UN PARADIS PIÉTON ? Le grand chantier de la rénovation des axes commerciaux du centre-ville est en marche, depuis l’arrivée du tramway rue de Rome. Après la réfection des pavés de la rue Saint Ferréol (1,1 M), il va se poursuivre avec la requalification de la rue Paradis, lancée par MPM, mais gelée en attendant l’installation de la Métropole. D’ici peu, l’artère so chic va (enfin) s’engager dans la voie de la semi-piétonisation. Le projet (4,5 M) sera soumis au vote du budget 2017 d’AMP. Il concerne les 600 mètres compris entre la place Estrangin et la place du Général de Gaulle, destinés à devenir une longue promenade arborée : les trottoirs seront élargis au détriment de la chaussée (plus qu’une voie de circulation contre deux aujourd’hui), le stationnement de part et d’autre de la rue sera interdit, et il est même question de créer une zone 30, afin de permettre la cohabitation harmonieuse des voitures avec les vélos et piétons. Annoncée en son temps par MPM pour fin 2015, la fin des travaux ne devrait pas intervenir avant 2018. Ce sera alors le moment d’engager la requalification du cours Lieutaud, qui a récemment fait l’objet d’une étude de l’AGAM : comme pour la rue Paradis, il est question de réduire la chaussée (à deux voies de circulation), d’élargir les trottoirs, de végétaliser les lieux, mais aussi d’y créer des pistes cyclables et de revaloriser le patrimoine (lycée Thiers, théâtre des Bernardines, passerelle de la rue Estelle, pont de la rue d’Aubagne, escaliers de la rue Bédarrides)… Le début des travaux sur la première séquence (Baille-Estelle) est espéré pour 2018-2019. Mais nous ne sommes plus à quelques mois près, dans ce quartier qui n’a pas plus été rénové depuis… 1955 !
PROLONGEMENT DU TRAMWAY : DE CASTELLANE À SAINTE-MARGUERITE… OU LE CONTRAIRE. Le prolongement du tramway de la place Castellane vers SainteMarguerite va se faire. Quoi qu’il arrive, et malgré l’imbroglio juridique (« l’affaire » du tunnel Schloesing, dont nous vous épargnerons ici les détails) qui oblige aujourd’hui la Métropole à revoir sa copie. En attendant qu’une issue ne soit trouvée, Guy Teissier a un plan b : les travaux pourraient commencer dès 2017, non pas par Castellane, comme c’était prévu, mais par le terminus de la ligne, à Sainte-Marguerite (à hauteur du collège Sylvain Menu). Ce qui permettrait de relier les hôpitaux sud au métro Dromel. Quant à la suite, et la réalisation de cette ligne de 2,3 km, on nous assure à la Métropole que « l’échéance 2020 paraît encore tout à fait réaliste ». On sait que la traversée de l’avenue Jules Cantini sera l’occasion de requalifier les lieux « dans l’esprit du parc du XXVIe centenaire » voisin. Espérons qu’une fois arrivé à Castellane, le tramway permettra aussi de transformer ce qui n’est actuellement qu’un rond-point en véritable place, élargie et arborée, d’où l’on pourra mieux admirer les courbes qui s’affichent sur la fontaine la plus sensuelle de la ville.
ET LA CANEBIÈRE ? Elle doit redorer son blason, devenir un « Broadway marseillais » ! C’est la croisade de la municipalité, menée par la maire du premier secteur Sabine Bernasconi. Outre le projet Notre Canebière, qui prévoit, un dimanche par mois, d’y déployer spectacles en plein air et manifestations culturelles (à partir de janvier 2017), la revitalisation du secteur dépendra avant tout des deux grands chantiers annoncés de part et d’autre de la légendaire artère. Dans sa partie basse, les travaux de l’îlot des Feuillants ont démarré en mai après une longue période de flottement et devraient s’étaler sur deux ans. Le groupe Fondeville, propriétaire des cinq bâtiments haussmanniens, investit 14 M pour rénover les lieux et y construire un hôtel 4 étoiles, une brasserie et un spa. Luxe, calme et grand standing… dans un univers de sauvettes et de kebabs. On est curieux de voir comment tout ce petit monde va cohabiter. Dans la partie haute de la Canebière, tous les espoirs reposent sur le « complexe cinématographique et culturel » Artplexe, annoncé pour 2018-2020 en lieu et place de l’actuelle mairie des 1er et 7e arrondissements. En face, il est question de l’ouverture, au même moment, d’une brasserie, la Palmeraie, à l’angle de la Canebière et de la rue du Théâtre français. Le projet est porté par le directeur des théâtres du Gymnase et des Bernardines, Dominique Bluzet, qui rêve de voir ici émerger (sans rire) un « quartier latin marseillais ». INFLUENCES
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020SAINT-JUST LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
UNE IMMENSE MURAILLE BLEUE DE 50 M È T R E S D E H A U T, P E R M E T T R A L’ I S O L AT I O N A C O U S T I Q U E E T T H E R M I Q U E D U B ÂT I M E N T
Entre le Dôme, le Bateau bleu et une voie rapide… La Calanque de Jean Nouvel : 480 logements avec vue sur oasis.
2019
LA CALANQUE DE JEAN NOUVEL : UN POUMON VERT (ET BLEU) À SAINT-JUST Eh oui, le vert est dans l’air du temps. A Saint-Just, il se marie de bleu, le dress code du quartier, affiché avec éclat par le siège du Conseil départemental : le « Bateau bleu » verra bientôt se dresser face à lui… une Calanque. C’est le nom du spectaculaire programme immobilier dessiné par Jean Nouvel au sud de la ZAC Saint-Just, à l’angle de l’avenue Flemming et du boulevard du Maréchal Juin. Soit, à deux pas d’une rocade : un enfer urbain dont ce petit havre de paix (30 000 m2) sera épargné, ses 480 logements étant protégés des nuisances par une immense muraille bleue de 50 mètres de haut, permettant l’isolation acoustique et thermique du bâtiment. A l’intérieur, mixité sociale et façades végétalisées dans une oasis de balcons, terrasses et jardinières en décrochés. Les travaux ont déjà démarré et les premiers habitants de la Calanque de SaintJust sont attendus pour 2019. On a hâte de voir ça. Mais pour la baignade, on préférera toujours Sugiton.
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 2020EUROMED LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE EN 2020
Le Parc habité d’Arenc colore de vert la palette urbaine d’Euromed 1.
2017-2021
VERS LA FIN D’EUROMED 1 ? Dernière ligne droite pour Euroméditerranée 1 : « l’opération qui transforme Marseille » n’a plus rien d’un doux rêve de technocrate ou d’urbaniste. Allez donc faire un tour entre fort Saint-Jean et Arenc : la métamorphose est spectaculaire. Dans ce qui n’était autrefois qu’un désert de friches et de délaissés s’élève désormais la (ZAC) « Cité de la Méditerranée ». Du Mucem à la tour CMA CGM en passant par les Halles de la Major et les Terrasses du port, les Marseillais s’approprient, chaque jour davantage, et sans vraiment s’en rendre compte, les flamboyants équipements de ce nouveau centre en chantier perpétuel depuis 20 ans. Si une ville par définition, n’est jamais terminée, il est toutefois permis de penser que l’horizon 2020 verra l’achèvement du premier périmètre de l’opération. Euromed 1, revue de chantier : Le bouquet final sera d’abord visible du côté d’Euromed Center, où le quartier d’affaires se prolonge le long du boulevard de Dunkerque jusqu’aux ABD Gaston Defferre. C’est ici que vont naître d’ici 2018 une nouvelle poignée de bâtiments ultra-modernes aux lignes contemporaines. Signé Massimiliano Fuksas, le programme comprend quatre immeubles de bureaux (dont L’Astrolabe, déjà livré), un hôtel 4 étoiles (le Golden Tulip), une rue piétonne de 2 000 m2, un parking de 580 places et 5 000 m2 d’espaces verts. L’ouverture du fameux multiplexe Besson (14 écrans, 24 M), retardé, encore et toujours, depuis plus de 10 ans est maintenant annoncée pour fin 2017.
D ’ I C I 2 0 21, L E S D E R N I È R E S L I V R A I S O N S D U PA R C H A B I T É D ’A R E N C S I G N E R O N T L’A C H È V E M E N T D ’ E U R O M E D 1
Dans la foulée (2017-2021) seront livrés les dernières réalisations du Parc habité d’Arenc, imaginé par l’urbaniste Yves Lion entre hôpital européen et rue d’Antoine : 2 000 logements et 130 000 m2 de bureaux vont voir le jour dans ce nouveau quartier constellé de jardins qui, derrière la tour Nouvel, veut colorer de vert la palette urbaine d’Euroméditerranée. L’équipement phare sera, ici, l’Université régionale des métiers, qui prendra place en 2019 à deux pas du Dock des Suds dont le déménagement est en discussion et qui, à cette date, sera peutêtre la nouvelle piscine favorite des cadres tertiaires du quartier. En progressant plus au nord, en direction de Bougainville, on arrive, déjà sur le périmètre d’Euromed 2 (à suivre…).
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2018
LA NOUVEL TOUR DES QUAIS D’ARENC Sur la gauche, un peu à l’écart, la tour CMA CGM (2010, Zaha Hadid). Au centre, les Quais d’Arenc : Le Balthazar (2015, Roland Carta) est déjà réalisé et La Marseillaise (2018, Jean Nouvel) arrive. Quant aux immeubles de grande hauteur Horizon (Yves Lion) et H99 (Jean-Baptiste Piétri)… Ils font profil bas.
En 2018, elle s’élancera à 135 mètres : la tour La Marseillaise, signée Jean Nouvel, sera à coup sûr l’un des nouveaux symboles de la cité phocéenne. Elle n’aura pas pour seul mérite d’associer le patronyme d’un starchitecte à celui d’une ville en quête de prestige. Avec ses jardins suspendus (au rez-dechaussée, sur le toit… mais aussi entre les 18e et 20e étages), sa façade de brise-soleil en BFUP (comme la résille du Mucem) et ses effets de lumières kaléidoscopiques, le spectaculaire édifice, qui multiplie les prouesses technologiques, aura quelques arguments pour nourrir la pensée des spécialistes autant que l’album photo de votre compte Facebook. Petite sœur de la CMA CGM (147 m), qu’elle prend soin de ne pas dépasser, La Marseillaise restera, aux yeux de l’Histoire, la deuxième : deuxième tour la plus haute de la ville, et deuxième réalisation des « Quais d’Arenc », la skyline rêvée par Euroméditerranée et Constructa, où deux grands gestes manquent encore à l’appel : H99 et Horizon qui, malgré leurs ambitions bibliques, attendent toujours leur première pierre.
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LA PORTE D’AIX SE MET AU VERT Outre l’aménagement de la bande littorale entre fort Saint-Jean et Arenc, l’autre grand chantier d’Euromed 1 se situe autour de la porte d’Aix : adieu l’autoroute, place aux platanes et au chant des cigales ! Le secteur, libéré de la circulation, accueillera bientôt, au nord de l’arc de triomphe, un parc public d’un hectare le long de l’avenue Camille Pelletan et dans l’ancienne tranchée de l’autoroute. Le monument trônera au centre d’un grand parvis en pierre couronné d’une cinquantaine de platanes. Sur le boulevard Nedelec, un square planté de 300 arbres prolongera la promenade bucolique jusqu’au tout nouveau campus universitaire et à la gare Saint-Charles. Cette tranche sud serait livrée dès 2017 (avec skate parc, mini terrain de foot et jeux d’enfants) et la seconde, l’année suivante. Les 2 000 étudiants de l’Institut méditerranéen de la Ville et des Territoires sont quant à eux attendus pour 2020. A cette date, la rénovation urbaine aura, depuis le carrefour de la Porte d’Aix, rayonné vers les quartiers alentours (Bon Pasteur, Montolieu, avenue Camille Pelletan, place et boulevard de Strasbourg, la Villette, Saint-Lazare), rejoignant ainsi le Parc habité d’Arenc : Euromed 1 aura réalisé la jonction entre ses fronts Est et Ouest… Cela vaut bien un triomphe. INFLUENCES
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LES 20 CHANTIERS QUI FERONT MARSEILLE
MARSEILLE 20/30
L E S 3 G R A N D S P R O J E T S Q U I A U R O N T E N F I N A B O U T I D A N S 15 A N S ( O N E S P È R E ) .
LA VIE EN VERT
EUROMED 2 : UNE ÉCOCITÉ DANS LES QUARTIERS NORD
Services connectés, jardins partagés, et bâtiments économes e n é n e r g i e … a v e c v u e à 18 0 degrés sur la mer
Le parc et le ruisseau des Aygalades. Une forêt urbaine en lieu et place de la gare du Canet ? En attendant que le foncier ne se libère, les travaux de la partie sud du parc (4 ha), à Bougainville, vont bientôt démarrer.
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« Euroméditerranée 2 », c’est l’extension verte de la rénovation urbaine en direction des quartiers nord (169 hectares entre Arenc et Capitaine Gèze). L’opération, labellisée « Ecocité » en 2009 par le ministère de l’Ecologie, se veut « laboratoire de la ville méditerranéenne durable » : il s’agit d’inventer, ici et maintenant, à échelle 1, les standards d’un nouvel urbanisme durable adapté aux spécificités climatiques, culturelles et économiques des villes du sud. Cette cité écolo-futuriste se souvient des techniques de construction traditionnelles (ventilation naturelle, orientations réfléchies, création d’espaces ombragés) pour mieux déployer ses (éco)technologies : boucle à eau de mer, véhicules électriques en auto-partage et e-conciergeries… Une certaine idée de l’avenir. Cette démarche expérimentale est déjà à l’œuvre sur l’îlot « démonstrateur » Allar (rebaptisé « Smartseille »), où Eiffage va livrer ses premiers immeubles de bureaux cette année (logements et équipements en 2017-2018). Services connectés, transports doux, jardins partagés, et bâtiments économes en énergie… avec vue à 180 degrés sur la mer. Ce petit écoquartier de 58 000 m2 (sur 2,4 ha) entend devenir la référence verte de l’urbanisme de demain et aura valeur de feuille de route pour la suite d’Euromed 2. Celle-ci se situe un peu plus au nord, dans le quartier des Crottes, sur l’îlot XXL où d’ici 2023, l’écocité devra se développer sur une échelle beaucoup plus vaste (14 ha), tout en convertissant le marché aux puces aux bienfaits de la ville durable. En bordure de XXL, côté port, l’enfouissement de l’A55 permettra l’aménagement d’une corniche piétonne surplombant la rade sur 2 km : recréer la corniche Kennedy en somme, mais sur le littoral des quartiers nord. « Un projet à l’échelle de 20 ans », calmait toutefois la présidente d’Euromed Laure-Agnès Caradec lors d’un déjeuner de presse en février dernier. Espérons que d’ici là, le parc des Aygalades aura pu être réalisé. Cette longue coulée verte de 14 hectares, sillonnant du nord au sud le périmètre de l’extension, est la pierre angulaire de l’opération Euromed 2. Elle repose sur la résurrection d’un fleuve oublié, le ruisseau des Aygalades dont le cours irriguera cette véritable forêt urbaine. Sa mise en œuvre dépend toutefois du transfert de la gare du Canet vers le terminal de Mourepiane, dossier extrêmement complexe, aujourd’hui bloqué. L’affaire est d’importance : selon une étude menée par Météo France, cet immense parc pourrait contribuer à faire chuter la température de 2,5 degrés en moyenne sur une bonne partie du quartier ! Un poumon vert en réponse au défi climatique… qui donnerait un peu d’oxygène aux cerveaux d’Euromed, en surchauffe.
Le futur casino marseillais tel que fantasmé dans Marseille, la série de Netflix.
L E F U T U R PA R C M A R I N D E L A J O L I E T T E V E R R A I T PA R A D E R YA C H T S E T M É G A -YA C H T S F A C E À U N C A S I N O « D E D E R N I È R E G É N É R AT I O N » E T U N G R A N D A Q U A R I U M
CASINO, MARINA, AQUARIUM…
LE FUTUR PARC MARIN DE LA JOLIETTE
RÉTRO-FUTURISME
NOTRE-DAME-DE-LA-GARDE EN TÉLÉPHÉRIQUE
Ce revival de l’illustre funiculaire démoli dans les années 1960 a toutes les faveurs du maire
Si l’installation d’un nouveau pont transbordeur reliant les deux rives du VieuxPort va bientôt faire l’objet d’un appel à projets (par la Soleam), l’idée est loin de faire l’unanimité (on en parlera encore en 2050)… Surtout qu’un autre projet est actuellement à l’étude et la municipalité le prend très au sérieux : celui du téléphérique reliant le fort d’Entrecasteaux à Notre-Dame-de-la Garde. A la fois « signal architectural fort », élément d’attractivité touristique, et réponse aux problèmes d’accessibilité du site, ce revival de l’illustre funiculaire démoli dans les années 1960 a toutes les faveurs du maire Jean-Claude Gaudin. Le « transport par câble » est dans l’air du temps (Toulouse, Brest ou encore Grenoble ont des projets semblables). Nous, on vote pour. D’autant plus s’il implique (on peut toujours rêver) la requalification complète du fort Saint-Nicolas qui, une fois ouvert au public, deviendrait alors le véritable pendant du fort Saint-Jean. Sans pont ni passerelle.
La volonté politique est claire : Marseille aura son casino… avec vue sur la mer ! Celui-ci prendra place au cœur d’un port de grande plaisance – une marina -, aménagé sur les quais de la Joliette, entre J4 et J1 : un kilomètre de berges et 8 hectares de plan d’eau actuellement inaccessibles car occupés par le Grand port maritime de Marseille (GPMM). La municipalité, qui voudrait aller vite sur ce dossier, se heurte au calendrier du Port. Il faudra en effet attendre encore quelques années pour que celui-ci ne déménage sa gare maritime plus au nord, vers le Cap Janet (la Calade). Le projet est pourtant bouclé et les investisseurs sont prêts : en avril dernier, La Provence révélait l’un des dossiers déposés dans le cadre de la consultation lancée en 2013 pour l’aménagement du J1 et de ses abords. Une fois libéré de ses activités portuaires, l’immense hangar de 34 000 m2 (sur trois niveaux) pourrait accueillir une capitainerie, un yacht-club, des logements locatifs, un centre de congrès, des boutiques de luxe, une discothèque, un musée naval, des bureaux… La liste est non exhaustive. Quant au futur parc marin de la Joliette, il verrait parader yachts et méga-yachts face à un casino « de dernière génération » ainsi qu’un grand aquarium. Soit, un condensé de tous les serpents de mer évoqués depuis 30 ans pour rendre du prestige au littoral marseillais. Le projet, très ambitieux, prendrait place dans le no man’s land qui sépare aujourd’hui le Mucem et les Terrasses du port : il parachèverait, de façon spectaculaire la Cité de la Méditerranée d’Euromed 1. Ce qui rejoint tout-à-fait les ambitions de la municipalité. Pour s’en convaincre, il faut se souvenir de la colère noire de Roland Blum, fin 2014, au sortir d’une réunion du conseil maritime du GPMM où il fut signifié que le bilan de la consultation lancée en 2013 était reporté aux calendes grecques. « Le port nous dit maintenant que tous ses projets de réaménagement du J1 sont renvoyés en 2020-2025 au prétexte qu’il faudrait construire une nouvelle gare maritime et des échangeurs au Cap Janet, regrettait l’adjoint au maire, furibard. L’espace du J1 ne serait utilisé que comme une vague salle d’exposition dont nous n’avons que faire en réalité. Alors qu’au contraire, la ville veut aller au plus vite pour réaménager les abords du Mucem dans le cadre du vaste chantier d’embellissement de la grande Joliette. » (1) Le projet MJ1 (voir p.11), prend ainsi un tout autre sens : une façon d’occuper le terrain et d’entretenir le désir… en attendant la grande plaisance. (1) Le Marin, 4 novembre 2014
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DÉLIRE
E T D A N S 10 0 0 A N S . . .
MARSEILLE 3013 !
Ca ressemblera à quoi Marseille dans… 1000 ans ? Plutôt que de poser la question à des architectes ou à des urbanistes, le collectif Marseille 3013 a demandé à 20 artistes d’imaginer la cité phocéenne du futur. Entre montée des eaux et navettes volantes, leurs créations s’exposent jusqu’à l’été 2017 sur les palissades de la rue de la République… D’ailleurs, vous pensez qu’en 3013 il y aura enfin des commerces à la place de ces palissades ?
La skyline de Marseille 3013... A peine plus fantaisiste que celle d’Euromed !
La rue de la République après l’achèvement de l’opération de rénovation urbaine Euromed 42.
Le réchauffement climatique ? La montée des eaux ? A Marseille, on craint dégun : en 3013, on pourra se baigner dans le Vieux-Port !
Le Mucem et ses passerelles ? Ringard ! En 3013, on s’envole jusqu’au fort Saint-Nicolas ! 24
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MOTIVÉ
INTERVIEW / MARSEILLE À LA LOUPE
M AT H I E U G R A P E L O U P : « UN RÔLE DE VEILLE CITOYENNE » En matière d’urbanisme, d’architecture ou d’aménagement, rien n’échappe à Marseille à la loupe. Cette page Facebook, créée fin 2012, compte déjà plus de 14 000 abonnés. Du grand projet à la moindre balafre dans la voirie, tout y est montré, scruté et commenté. Avec, parfois, quelques débats très animés suscitant l’intervention des élus. Le coupable ? Mathieu Grapeloup, 29 ans, chargé de communication dans une ONG. Un néo-Marseillais passionné, quelque part entre le Robespierre de la flaque de goudron et le ravi de la rénovation urbaine. Rencontre. Propos recueillis par SPR
Comment est né Marseille à la loupe ? J’ai grandi à Roanne, j’ai fait mes études à Lyon, j’ai vécu dans de grandes villes comme Madrid, Boston et Toronto… Et je suis finalement arrivé à Marseille en février 2011. J’ai découvert la ville en pleine métamorphose, dans la perspective de MP2013. Plusieurs projets se réalisaient devant mes yeux : le Mucem et le fort SaintJean, le boulevard Euroméditerranée, le Vieux-Port… Face à cette mutation spectaculaire, j’ai commencé à me poser des questions que je ne m’étais jamais posées avant, des questions liées à l’urbanisme : comment améliorer le cadre de vie d’une ville ? J’ai pris l’habitude de faire des photos de tous ces chantiers, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de partager cela avec les Marseillais que ce sujet intéresse. J’ai donc créé sur Facebook la page Marseille à la loupe, le 4 novembre 2012. C’est le regard d’un néo-Marseillais, et ça se ressent dans mes premiers posts : j’étais sous le charme, je voyais la ville essentiellement sous ses aspects positifs. Et puis j’ai vu les lenteurs, les pesanteurs, les dysfonctionnements… Je suis aujourd’hui plus critique. Qu’est ce qui vous fait râler ? Par exemple, lorsque je vois des trous dans la voirie, creusés notamment par ERDF… Je me demande toujours si les pavés reviendront ! Et puis les projets « fil rouge », régulièrement annoncés, mais qu’on ne voit jamais arriver : la rue Paradis, le multiplexe Besson, l’hôtel des Feuillants sur la Canebière… On a parfois l’impression que les élus nous mènent en bateau ; leurs effets d’annonce créent un sentiment de frustration chez la population. Pourtant, si on leur explique la situation, les citoyens sont capables de comprendre.
« La page est assez équilibrée entre critiques et bonnes nouvelles »
Sabine Bernasconi ainsi que Bruno Gilles, le maire du troisième secteur, sont déjà intervenus sur la page. J’ai pu voir aussi que des conseillers de Guy Teissier « likent » souvent mes posts. Dès lors, pour vérifier mes infos, il peut m’arriver de les contacter et de leur poser directement des questions. La page est assez équilibrée entre critiques et bonnes nouvelles. Ce qui permet de nouer un dialogue avec les élus. Il n’est pas rare que les débats lancés sur Marseille à la loupe permettent de débloquer certaines situations… Le bad buzz le plus emblématique, c’est cette piste cyclable, boulevard Chave, sur laquelle débordait la terrasse d’un restaurant. MPM y a fait installer des potelets, bloquant ainsi le passage des vélos : une aberration ! L’affaire, repérée par le collectif Vélos en Ville, a suscité énormément de réactions sur Marseille à la loupe ; si bien que le maire de secteur Bruno Gilles a dû intervenir sur la page. Trois semaines après, plus de potelets… Mais la terrasse déborde toujours sur la piste.
Un autre exemple ? Pendant 8 mois, je voyais trois barrières de chantier, sur le Vieux-Port, qui ne bougeaient pas. Un jour, j’ai craqué, et je leur ai rendu un hommage humoristique. C’était quelque chose comme : « Bravo à ces barrières qui ont survécu à toutes les Certains élus suivent la page Marseille à la loupe… intempéries et qui sont encore debout aujourd’hui »… Le lenEn effet, il y en a un certain nombre. Je ne sais pas si ce sont demain, elles n’étaient plus là. Il y a des dizaines de cas comme les élus eux-mêmes ou leurs community managers, mais il est ceux-ci, parfois anecdotiques voire loufoques. Mais c’est selon vrai que par exemple l’équipe de la maire du premier secteur moi la preuve que les choses peuvent bouger. 26
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13 juillet 2015. Nouvel aménagement plage des Catalans
PORTFOLIO
27 mai 2015. Fresque au Marché aux Puces des Arnavaux.
ZOOM SUR MARSEILLE À LA LOUPE Chaque jour, Mathieu Grapeloup poste une photo sur sa page Marseille à la loupe, accompagnant ainsi, pas à pas, la transformation de la ville. « Pas à pas », car chaque balade peut devenir prétexte à un post (à moins que ce ne soit le contraire). Armé de son appareil photo, au détour d’une rue, à la vue d’un nouveau chantier, ou de tout autre objet urbain plus ou moins identifié, il fait « clic clac ».
11 octobre 2015. La fontaine des Réformés lors des Journées Consolat.
Photos : Mathieu Grapeloup
12 mars 2016. Destruction du Calypso aux Catalans.
17 janvier 2015. Hommage à Cabu au Cours Julien.
20 décembre 2015. Premier Noël aux Docks Marseille. INFLUENCES
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© Joël Assuied
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Marseille à la loupe pourrait exister à Paris ou à Lyon ? Pas vraiment. Pas de la même manière en tout cas. La ville de Lyon donne le sentiment d’être plus aboutie, même si une ville ne cesse jamais d’évoluer ; j’ai assisté à sa transformation et les aménagements réalisés allaient dans le bon sens, couvraient une bonne partie de la ville. A Marseille, je vois le potentiel, mais je suis frustré par tout ce qui n’est pas fait. Il y a ici des retards énormes. Dans les transports en commun, les pistes cyclables, l’équilibre entre l’espace réservé à la voiture et celui réservé aux piétons ; sans parler du déficit de crèches, d’écoles, de piscines… La volonté des élus, c’est d’attirer des cadres et des classes moyennes, mais pour que ces gens viennent s’installer à Marseille, il faut des services publics de qualité. Quelles sont vos grandes déceptions ? Ce qui a été fait rue Davso par exemple. L’aménagement est minimaliste. L’une de mes revendications sur la page, c’est la piétonisation ou la semi-piétonisation du centre-ville. La Soleam a fait une étude très complète sur le sujet pour le quartier de Noailles. Alors on attend que les élus réagissent… La rue Pollak devait être semi-piétonne en 2014, mais lors de son arrivée à la tête de MPM, Guy Tessier a gelé les budgets aménagement dans un souci d’assainissement des comptes publics. Suite aux revendications du Collectif Noailles relayées sur Marseille à la loupe, nous avons eu des promesses pour fin 2016. Les commerçants se plaignent que les clients se tournent vers la Joliette, les élus commencent donc à s’occuper du centreville. On a déjà la semi-piétonisation de la rue de Rome, celle de la rue Paradis qui arrive, et à plus long terme, je l’espère, la requalification du cours Lieutaud. 28
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L’ u n e d e s r e v e n d i c a t i o n s d e M a r s e i l l e à l a l o u p e , c ’e s t l a p i é t o n i s a t i o n du centre-ville
Est-ce que Marseille à la loupe est devenu un média à part entière ? Avez-vous le sentiment d’effectuer un travail de journaliste ? Le terme de blogueur me correspond bien mais je fais ça sur mon temps libre, sans être rémunéré, ni sans aucune autre contrepartie lucrative. C’est un rôle de veille citoyenne. Je me nourris beaucoup de ce que font les journalistes, dont je relaie les articles. Mais c’est vrai que je n’hésite pas aussi à interroger directement les élus. J’ai d’ailleurs été cité par La Provence, dans un article sur la place Carli, qui était devenue un parking sauvage durant plusieurs mois suite à sa rénovation. Mon post sur la page avait suscité énormément de commentaires, si bien que 2 ou 3 mois plus tard, un mobilier urbain a été aménagé pour empêcher le stationnement. Parmi les réalisations récentes à Marseille, quels sont vos coups de cœur ? Sans tomber dans le cliché, ce qui a été fait entre le Mucem et Arenc est réellement impressionnant. Il en va de même pour le Vieux-Port. Tout cela participe à mon intérêt nouveau pour l’urbanisme : voir d’où l’on part et voir ce que l’on peut faire en termes de transformation de l’espace urbain.
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PRATIQUE
LA BONNE IDÉE (PRATIQUE)
A U X B O N S C O N S E I L S D E L’A R C H I Rénovation, restauration, construction, extension... Quelle que soit la nature de votre projet, des architectes dispensent leurs conseils aux particuliers dans la plupart des mairies du département. Ce service original de proximité est proposé gratuitement par les communes et le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement des Bouches-du-Rhône (CAUE 13). Une bonne raison de ne pas se priver. Par Olivier-Jourdan Roulot
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ette fois, vous êtes décidé ? Après avoir longuement réfléchi, débattu avec passion avec vos proches et mûri votre projet, vous avez enfin pris votre décision ? Vous vous lancez ? A la bonne heure. Pourtant, à ce stade, vous le pressentez : la montagne est maintenant face à vous. Pour éviter qu’elle ne se transforme en pic infranchissable, et que les problèmes qu’il va vous falloir dépasser ne transforment le rêve en cauchemar, mieux vaut aller chercher les solutions et les conseils en frappant de préférence à la bonne porte. Cette porte, c’est celle de votre mairie. Présents dans la quasi-totalité des départements de France, les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) œuvrent depuis quarante ans à la promotion de la qualité architecturale, urbaine, paysagère et environnementale. Filiales des départements, ces organismes assistent à la fois les maires dans la mise en œuvre de leur politique urbanistique et d’aménagement, mais aussi les simples citoyens qui s’apprêtent à déposer une demande de permis de construire, une déclaration préalable ou un permis d’aménager auprès des services d’urbanisme compétents. MODE D’EMPLOI Vous avez de la chance : le département des Bouches-du-Rhône est particulièrement bien loti en matière de conseil aux particuliers. Ça n’a rien d’une évidence, si on compare avec ce qui se fait ailleurs. En effet, si ces missions ont été déléguées aux CAUE dès leur création en 1977, ce type de service public de proximité pour l’architecture du quotidien est en pratique assez rare. A cela, deux explications : d’une part, cette mission a été un peu reléguée au second plan dans certains départements, à côté du conseil délivré aux collectivités. Par ailleurs, si ce service est proposé dans d’autres régions de France, il est souvent centralisé, obligeant de fait les particuliers habitant les communes éloignées à se déplacer jusqu’à la préfecture du département. Dans les Bouches-du-Rhône, rien de tel. La proximité, c’est tout de suite. En début d’année, le CAUE 13 a renouvelé et renforcé son staff d’architectes conseil, composé d’une grosse cinquantaine d’architectes libéraux. Une fois labellisés et intégrés à son réseau, ces professionnels assurent des permanences dans les mairies des communes qui ont passé une convention avec l’organisme. Elles sont de plus en plus nombreuses. Ces dernières années, le CAUE a musclé son maillage du territoire. A
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« Nous ne sommes pas là pour faire de la grande architecture, mais de l ’a r c h i t e c t u r e d u q u o t i d i e n . J ’a i m e b i e n c e t t e i d é e d e l ’a r c h i t e c t e public, au même titre qu’il existe des écrivains publics. » l’exception d’Aix-en-Provence et Marseille, qui possèdent des services d’urbanisme calibrés pour les grandes villes qu’elles sont, son réseau est présent dans quasiment toutes les mairies du département. Au dernier pointage, sur les 119 communes du territoire, 96 sont adhérentes. Dernières recrues en date, Martigues, Fos-sur-Mer, Aubagne et Jouques sont en train d’intégrer le réseau. Que Carry devrait rejoindre très bientôt. RÉGLEMENTATION, DÉMARCHES ADMINISTRATIVES, AIDES FINANCIÈRES… LE CONSEIL SERA LE BON. Ce service public de proximité est proposé dans les mairies, avec une permanence tenue une ou deux fois par mois (une demi-journée). Rémunérés à la vacation, les architectes-conseil sont généralement de bons généralistes. Pour connaître le nom de l’architecte et le jour de sa permanence, il faut se connecter sur le site du CAUE, et appeler le numéro de téléphone indiqué pour prendre rendez-vous. Ses conseils et son accompagnement portent notamment sur l’implantation du bâti, l’aménagement de la parcelle et la volumétrie. Plus dans le détail, il est aussi votre homme (ou votre femme...) pour réfléchir avec vous à la conception du jardin, la création d’une nouvelle ouverture dans votre maison, la rénovation d’une toiture, un ravalement, l’utilisation d’énergies renouvelables ou encore l’amélioration de votre isolation. Réglementation, démarches administratives, aides financières, contacts de professionnels dont vous avez besoin, là aussi le conseil sera le bon. « Nous ne sommes pas là pour faire de la grande architecture, décrypte Jean-Marc Giraldi, directeur du pôle conseil au CAUE, mais de l’architecture du quotidien. J’aime bien cette idée de l’architecte public, au même titre qu’il existe des écrivains publics. » Par ailleurs, c’est à noter, ces bons généralistes de l’architecture sont idéalement placés pour vous éviter les chausse-trappes liés aux autorisations, en fluidifiant la relation avec les services instructeurs de l’administration communale. Ils travaillent avec eux et les connaissent bien, comme les enjeux urbanistiques de la commune. La question de l’insertion dans le site est par exemple souvent un écueil dans un village aux contraintes fortes, destinées à préserver son unité architecturale. Dans ce cas, les échanges et la médiation de l’architecte conseil auprès de la mairie, par exemple pour autoriser un toit-terrasse si le projet a été bien pensé et accompagné par un bon architecte, peut aider à vaincre les réticences du maire.
PAT R IMOINE : DEM ANDE Z L A FICHE ! On connaissait déjà le fish and chips (surtout sa variante localo-marseillaise, notre favorite), voilà maintenant les fichaffiche(s). Evidemment rien à voir – désolé pour ce lancement -, puisqu’on passe de la table au patrimoine architectural du XXe siècle. La fichaffiche, éditée par le CAUE 13, c’est un grand format plié en quatre, qui se déplie : d’un côté, de longs textes signés des meilleurs spécialistes sur un ouvrage, un bâtiment ou un programme (avec photos, plans et infos pratiques), de l’autre, une intervention graphique et/ou plastique, qui sert d’affiche. La collection compte à ce jour 14 unités. L’étrange et fascinant Tétrodon de 30 pieds de l’agence AUA (1972, Fos), le silo de Trets (1932, Georges Salomon), le Planier dans la rade de Marseille (1957, Arbus et Crillon), la résidence Notre-Dame de la Garde à La Ciotat (Vienne, 1971) ou l’hôpital Joseph Imbert d’Arles (Nelson, Rémondet, Devinoy, 1974) ont tous leur fichaffiche dédiée. Dernière en date, celle consacrée à la ligne de chemin de fer de la Côte bleue et ses 18 viaducs a été publiée l’année dernière, à l’occasion du centenaire de la ligne. Trois nouvelles fichaffiches devraient arriver prochainement. L’une d’entre elles s’intéressera aux anciens bureaux de l’Epareb, construits par Jean Prouvé à la fin des années 60 à Vitrolles. Egalement dans les tuyaux, l’opération de logements Les Astragales à Sausset-les-Pins (1968), réalisée par le génial André Bruyère. Bruyère qui aimait dire que l’architecture était « l’art de mouler avec tendresse une forme sur une contrainte »… INFLUENCES
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René
EGGER UN
HÉ R O S
T R È S
D I S C R E T…
L’hôpital Nord, l’hôpital de la Timone, les facultés de médecine et de pharmacie, la faculté des sciences de Saint-Jérôme, le campus de Luminy et son école d’architecture, 150 écoles primaires, le lycée Colbert, le lycée Jean Perrin, le lycée Daumier, l’Hôtel de Police de l’Evêché, le Building Canebière, les plages du Prado… A Marseille, son œuvre est incontournable, monumentale : René Egger (1915-2016) fut l’architecte de la Reconstruction et des Trente Glorieuses. Associé dans ses premières années à Fernand Pouillon, il deviendra « la main » de Gaston Defferre, le « maire-bâtisseur », qui façonnera le nouveau visage de la cité phocéenne, faisant entrer la ville dans la modernité. Décédé en février 2016 à l’âge de 100 ans, René Egger reste pourtant l’un des grands oubliés de l’architecture française. Anonyme, tel ses édifices publics qui peuplent la ville, mais que l’on ne regarde pas. Ignoré, tel ce décor de béton si omniprésent qu’il en devient invisible. Il existe, à son propos, peu d’écrits. Pas même une page Wikipedia ! Influences rend hommage à ce héros décidément très discret. Par Sandro Piscopo-Reguieg • Photos : Joël Assuied
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RÉNÉ EGGER, UN HÉROS TRÈS DISCRET
INTERVIEW THIERRY DUROUSSEAU
« EGGER REPRÉSENTE LA MODERNITÉ DES TRENTE GLORIEUSES À MARSEILLE » L’architecte Thierry Durousseau est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur l’architecture marseillaise du XXe siècle. Parmi eux, Ensembles et résidences à Marseille 1955-1975, 20 années formidables (Bik&Book éditions, 2009) ou Architectures à Marseille 1900-2013 (MAV Paca, 2013). Pour évoquer l’œuvre de René Egger, il nous a donné rendez-vous dans le grand hall de la faculté de médecine de la Timone…
Pourquoi avoir choisi ce lieu ? Il y a une dizaine d’années, pour un entretien avec René Egger, j’avais proposé une rencontre dans ce qu’il considérait comme le meilleur de son œuvre. Il n’a pas hésité, ce sera le grand hall de la faculté de médecine ; cette faculté, c’est un peu sa fac chérie. Il la décrivait d’abord – selon le terme de l’époque – comme étant « fonctionnelle ». C’est un plan « en peigne » : le bâtiment principal, avec la plupart des salles, est très linéaire ; et les bâtiments de recherche sont placés perpendiculairement à cette épine dorsale. Cela permet, avec le temps, d’agrandir et de développer chacune des parties, comme ce fut le cas récemment avec la bibliothèque. Une architecture « modulable » en quelque sorte. René Egger disait aussi que cette faculté était adaptée au climat de Méditerranée, le nôtre : ces bâtiments en épine forment autant de cours ombreuses avec des façades nord-sud qui sont, ici, de bonnes expositions. Quant à la façade principale, ouverte au sud-ouest, elle est rythmée de pare-soleil : cette trame assez serrée de lames verticales en béton que l’on retrouve fréquemment dans son œuvre.
d’autre part ce que l’on appelle aujourd’hui un « modernisme tempéré », qui privilégie les usages, un certain rapport urbain, représenté par Roger-Henri Expert dont René Egger fut l’élève. Toujours est-il qu’Egger adopte les idées les plus courantes de la période. Je crois qu’aujourd’hui, on mesure cette qualité urbaine que peuvent avoir certains édifices qui ne sont pas dans le registre du manifeste. On voit que, même si certaines parties sont plus touchées, cette œuvre a bien résisté au temps, comme sa remarquable salle de spectacles. Je rangerais donc la faculté de médecine dans cette « moderniOù se situe la Faculté de la Timone sur le plan de l’histoire té tempérée » : tempérée par les usages, les adaptations climade l’architecture ? tiques… Quant à savoir ce qu’il apporte à l’histoire de l’archiElle est connue pour être une réussite. C’est l’une des pre- tecture, il faudra attendre encore un peu ; dans tous les cas ce mières grandes facultés de médecine, édifiée en 1958. C’est un n’est pas une architecture héroïque ! programme de son temps, massif et moderne. Après-guerre, le monde de l’architecture était partagé ; moins entre acadé- Egger n’était pas un architecte d’avant-garde, mais il soutemiques et modernes, qu’entre d’une part un modernisme fon- nait les artistes de l’avant-garde… damental autour de Le Corbusier (et sa doctrine du béton) et C’est vrai, il a travaillé avec beaucoup d’artistes dans le cadre 34
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Thierry Durousseau, devant la “fac chérie” de René Egger.
« Une âme charitable raconta à Pierre Donzelot(1) que j’avais gaspillé l’argent de l’Etat. Il me téléphona qu’il venait voir ce scandale… En regardant le hall, il resta silencieux un bon moment puis se tourna vers moi en disant seulement : ‘‘Bravo’’. »
___ René Egger (Avec Gaston Defferre, 2001) (1)
Directeur général des Constructions scolaires et universitaires
FACULTÉ DE MÉDECINE DE LA TIMONE - GRAND HALL
QUE NUL N’ENTRE ICI S’IL N’EST GÉOMÈTRE Ample et lumineux, le hall d’entrée de la faculté de la Timone est scandé d’imposants poteaux porteurs coniques en béton bouchardé, conférant à cet ensemble monumental une certaine majesté mystique, celle d’un temple célébrant un original syncrétisme gréco-moderniste.
« Egger e t Pouillon, il faut le s me t tre au moins à égalit é » du 1% artistique. Pour la faculté de pharmacie, il y a par exemple une pergola créée par Tomasello, un artiste de l’art optique. Elle est encore en état, et offre une douceur agréable, avec ses lames en béton tressées avec des bandes bleues. On peut aussi citer la sculpture de Picasso dans le lycée Daumier, ou encore le très beau stabile de Vasarely dans la faculté de Saint Jérôme. Il y a aussi, à l’Ecole d’art, un grand relief en céramique de Pignon, très fort, en fond de perspective… Sans doute les conseils de François Bret n’étaient-il pas étrangers à ces choix. Malgré la forte présence de son œuvre à Marseille, pourquoi Egger est-il encore si méconnu ? Cela est dû, en partie, à son association avec Fernand Pouillon, association qui a duré assez longtemps, de 1944 à 1958. La redécouverte de Pouillon dans les années 90 a fait qu’Egger a été oublié de la plupart de leurs réalisations communes. Dans leur association, Pouillon était l’homme de la culture et du rêve, l’homme de la communication, du verbe ; un parleur, un sé-
ducteur… Ce que n’était pas René Egger. Lui aussi avait un réseau d’amitiés dont il a su jouer, y compris au niveau national (il fut architecte conseil de l’Education nationale1, familier de Gaston Defferre). Mais Egger était davantage dans la réalisation, plutôt que dans la conception sensualiste de l’architecture comme Pouillon. Il faut au moins les mettre à égalité. Je pense que ce qu’ils ont fait ensemble marque bien cette complémentarité. Prenons les « 200 logements » d’Aix, par exemple. Ces constructions en pierre, avec ces fameuses voutes en briques qui se substituent aux charpentes, et qui ont permis beaucoup d’économies… Cette technique, Egger y avait déjà recouru en Afrique avant la fin de la guerre. Quant à la pierre massive dont ils se servent pour les façades du port, Egger l’utilise systématiquement pour ses fameuses écoles, où il standardise les piliers pré-assemblés. Egger était très attaché à ce système constructif : l’organisation du chantier, le passionnait. Comme beaucoup d’architectes, Pouillon s’approprie culturellement la technique cosa menINFLUENCES
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RÉNÉ EGGER, UN HÉROS TRÈS DISCRET
« S u r E g g e r p l a n e l ’o m b r e d e P o u i l l o n e t c e l l e d e D e f f e r r e » tale : « c’est la brique, c’est la pierre de Méditerranée, etc. ». Il n’a pas tort ! Mais Egger, c’est « la fabrique de l’architecture », la convergence des métiers, des savoirs pour « mettre en œuvre » dans ce que cela a de difficile, de contradictoire… Il fut un des premiers en Europe à recourir aux planning américains. Qu’entendez vous par « la fabrique de l’architecture » ? C’est d’abord ce monde que l’on appelle l’agence ou l’atelier. Ce monde où plusieurs personnes participent à la réalisation d’un projet. C’est l’espace des plans, de la discussion, de la gestion des matériaux : au-delà de la conception d’ensemble, c’est une forme de division du travail. Au XXe siècle, cette division du travail va passer par le calcul : tout va passer par le calcul et notamment dans le béton, qui demande un calcul de tout. Ainsi, à l’intérieur de l’agence, on a ces différents corps de métier qui travaillent avec l’architecte et qui font l’esprit d’atelier. Ce qui donne une production d’atelier, comme on peut le dire des peintres d’atelier : Fra Angelico ne peignait que les yeux, le visage et les mains. Ses assistants s’occupaient du reste… Il y a donc l’esprit d’atelier, l’esprit de la fabrication conceptuelle du projet. Et puis il y a toutes les ressources techniques pour réaliser. Et la question de la fabrique se pose d’autant plus à la période de l’immédiate après-guerre, où l’on doit construire beaucoup, vite, et bien : il fallait que ça tienne ! Et pour cela, il fallait donc mettre au point de nouvelles méthodes de travail. D’où l’intérêt d’Egger pour ces questions. Il fallait inventer de nouvelles méthodes. Des techniques comme la pierre banchée, ou le fait de remplacer une charpente en bois par une voute en brique par exemple. Tout cela permet d’aller plus vite… Pouillon qui avait le sens de la formule, disait pour les fameux 200 logements d’Aix : « Il y aura 200 logements et cela prendra 200 jours ! » Cette modernité, comment fut-elle accueillie par le public ? De façon générale, très bien. Cela allait de pair avec un certain nombre de choses : les gens gagnaient mieux leur vie, ils partaient en vacances, avaient une automobile, étaient mieux logés - en 1975, plus personne ne couchait dehors… Et puis il y avait alors cet optimisme de la modernité : « Tout ce qu’on fait aujourd’hui, nos enfants en profiteront ! » L’architecture – même si décriée, parfois - participait de cette modernité, elle était le signe d’un renouveau du monde. Ce n’était pas vécu comme un fatalisme, mais il « fallait » devenir moderne. C’est d’ailleurs ce qu’on retrouve dans l’art contemporain des années 60, avec la « nouvelle réalité » : les artistes peignent un monde nouveau qui a complètement changé. Que retenir de l’œuvre d’Egger à Marseille ? D’abord elle est massivement présente. On peut noter tout son travail sur le port avec Pouillon : la station sanitaire (aujourd’hui musée Regard de Provence), l’Evêché, l’ensemble de la Tourette… Et toutes les écoles de Marseille (qu’on appelle ici 36
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« écoles Egger », mais qui ont été conçues par Egger et Pouillon), magnifiques, d’une très belle qualité. Tous les quartiers ont été irrigués par ces écoles. On a eu par la suite les lycées, que ce soit au nord ou au sud. Parmi les plus beaux lycées d’Egger, il y a le lycée Saint Exupéry, ligne brisée qui occupe de façon impériale une crête. On y retrouve ces lames de béton qui font pare-soleil avec des rythmes différents, des articulations extrêmement habiles. Citons encore le lycée Colbert (conçu avec Pouillon), le lycée technique de Saint-Tronc… Et bien sûr les facultés, que ce soit Saint Charles, Luminy, Saint Jérôme, la fac de lettres d’Aix-en-Provence, la fac de médecine… En tant qu’architecte conseil de l’Education nationale, Egger a aussi construit des universités à Nîmes ou à Nice. Et côté grands ensembles ? Il en a fait peu. Campagne Lévêque fait partie, dans les années 50, de ce qu’on a appelé le « Secteur industrialisé », toujours dans cette idée de construire vite et bien. Les modèles et les techniques sont conçus par des entreprises et non par les architectes, qui interviennent comme des architectes « de confiance » vis-à-vis des maîtres d’ouvrage ou des ministères. Sur le Parc Bellevue, cette chose terrible à la sortie de Marseille, Egger ne fera que donner sa signature. Il n’a pas mis la main là-dedans, même le plan ne lui ressemble pas… On a simplement saturé le terrain de logements, et on voit aujourd’hui le résultat. Mais Pouillon aussi reconnaît la faillite de la Croix des Oiseaux à Avignon ! Faut il réhabiliter Egger ? Il faudrait déjà réhabiliter ses bâtiments ! Ce qui n’est pas facile car le béton, ça vieillit, c’est un matériau fragile… Quant à Egger, il est vrai que les historiens de l’art se ne sont pas encore penchés sur lui. La question de Pouillon est en discussion avec des ouvrages, des colloques… C’est ce qui fait d’ailleurs de l’ombre à Egger et à son œuvre. Tout comme le fait que ce dernier ait été considéré comme le « factotum » de Gaston Deferre. Certes, dans la deuxième partie de sa carrière, il travailla beaucoup avec lui, mais Egger n’a pas été que l’architecte de Defferre : il a inventé des choses, il a construit à Nice, à Montpellier, à Nîmes… Donc sur Egger plane l’ombre de Pouillon et celle de Defferre… Et ces deux éléments combinés font que l’on ne reconnaît pas vraiment en lui une véritable figure d’architecte. Mais la redécouverte de l’œuvre d’Egger a commencé, grâce à certains architectes contemporains, et ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit ! Corinne Vezzoni par exemple, ou Jean-Michel Battesti qui rappelle qu’Egger a façonné la ville… L’importance de son œuvre fait qu’il représente aujourd’hui la modernité des Trente Glorieuses à Marseille. (1) René Egger fut architecte conseiller technique de l’Education Nationale (à partir de 1942) et Architecte en chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux (1955)
« Cette faculté pour l’époque était très moderne dans ses équipements et sa conception, surtout en comparaison avec locaux vétustes du palais du Pharo. En anatomie, un nouvel agencement fut réalisé (…), un circuit de télévision intérieure en couleur, pour la première fois en Europe, par projecteur trichrome qui, par superposition de trois images, réalise la couleur sur grand écran situé dans un amphithéâtre de 300 places, permettant aux internes en grand nombre de suivre une opération chirurgicale. Le président Krouchtchev voulut voir cette installation, il le dit au maire (…). Beaucoup de visiteurs étrangers, et parmi eux le président tunisien Bourguiba (…) s’intéressèrent à cette faculté. »
FACULTÉ DE MÉDECINE DE LA TIMONE
René Egger (architecte) et Yannic Boudard (collaborateur, chef d’agence) - 1955-1958 Label Patrimoine XXe siècle (2014) Construction « expérimentale », elle est l’une des premières universités françaises d’après-guerre. Monumentale et longiligne, sa façade principale (55 000 m2 sur 6 étages) est rythmée de brise-soleil verticaux préfabriqués en béton brut. Trois ailes perpendiculaires se déploient en peigne à l’est. Alliant modernité et économie, la faculté de la Timone se caractérise aussi par sa rigueur classique évoquant un monde stable, ordonné, rationnel, à la gloire d’Apollon et d’Asclépios : l’antique solennité du serment d’Hippocrate !
___ René Egger (Avec Gaston Defferre, 2001) INFLUENCES
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« J’AI LONGTEMPS HABITÉ SOUS DE VASTES PORTIQUES… » Classicisme encore, mais structure moderne, notamment par ces poteaux si frêles qu’ils étaient autrefois surnommés « allumettes », non sans un certain scepticisme : comment pourraient-ils supporter un bâtiment de 6 étages ? L’écriture massive de ce mur rideau permet d’asseoir la construction, de lui donner un poids visuel. La solidité est apparente, tout cela n’est pas une affaire de poète. La façade de la paroi inférieure est inclinée comme un système défense, comme un château : voilà de quoi fortifier l’architecture !
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MOMENT DE RECUEILLEMENT DOMESTIQUE Contre toute attente surgit, au détour de la promenade, ce claustra prétexte à un joli motif, comme une tapisserie dans un monde minéral. Une présence tactile et domestique… Peut-être la maison du gardien. A noter, les « appareils romains », alternances de bandes de pierre fines et épaisses, que l’on retrouve dans les constructions antiques.
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VISION CORBUSÉENNE La dialectique de la ligne, de la courbe et du béton. Petite douceur d’architecte.
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« Il faut dire que la musique, le soir, alors que les étudiants ont fini leurs cours, créé une ambiance extraordinaire, hors du commun. Des concerts de musique de chambre s’y produisirent régulièrement. » ___ René Egger (Avec Gaston Defferre, 2001)
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LE CLOU DU SPECTACLE Le rez-de-chaussée de la faculté accueille un amphithéâtre-auditorium de 1 200 places. Ici, visible depuis l’arrière, avec ses pare-soleil métalliques qui couvrent sa façade vitrée. Le lieu (à l’acoustique exceptionnelle) fait aussi office de salle de spectacle, où ont été donnés quelques mémorables concerts. De quoi - peut-être - consoler des vocations avortées. « Il y a toujours de bons pianistes chez les élèves médecins », tient à nous rappeler Thierry Durousseau.
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RAYONS DE SOLEIL « Cette photo, je crois que même Corinne Vezzoni n’y avait pas pensé ! », nous souffle le malicieux Thierry Durousseau, pas mécontent d’attirer notre photographe vers ce point de vue dont il nous offre l’exclusivité. Nous sommes à l’entrée de la faculté de pharmacie (toujours signée Egger), voisine de la faculté de médecine, et d’où l’on distingue le nouveau campus dessiné par Corinne Vezzoni. La fameuse pergola « op’art » de Tomasello, toute en tons bleus et reflets géométriques, noue un dialogue coloré avec le pavillon d’or de Vezzoni, dont le jaune moiré de vert se retrouve sur la fac de médecine. Béton brut, fenêtres à bandeaux, poteaux poutres… De la couleur à la structure, un rayon de soleil pour un hommage à Egger, entre ombres et lumières.
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M E S S A G E D ’A N D R É D U N O Y E R D E S E G O N Z A C
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Architecte, André-Jacques Dunoyer de Ségonzac (né en 1915) est notamment l’auteur, à Marseille, de l’hôtel La Résidence (1952, sur le quai du port), de la tour Bel Horizon (1956, elle est visible depuis l’A7 à l’entrée de la ville) et de l’immense Cantini Logeco (1957, 62 avenue Jules Cantini). Ses « disciples » viennent régulièrement lui rendre visite, chez lui, dans les Alpilles.
(Recueilli et lu par Thierry Durousseau lors des funérailles de René Egger)
ené Egger est de 1915, il a passé le siècle, il a passé son siècle ; André-Jacques Dunoyer de Ségonzac est son contemporain de naissance, et de lieu de naissance : le terme de confrère tombe rarement aussi bien. Attristé de la disparition de René Egger il regrette de ne plus pouvoir se déplacer pour son ami et camarade dont nous avons évoqué hier, chez lui dans les Alpilles, leurs communes années de formations. Si leurs carrières ont été très différentes, les souvenirs de condisciples des Beaux-Arts sont remémorés ici. L’admission passée en 1934, ils resteront jusqu’en classe de seconde à l’Ecole Régionale de Marseille, un peu endormie, sous la houlette d’un Gaston Castel par trop occupé. Ils ont 22 ans quand se déroule l’expo universelle de 1937 à Paris, Roger-Henri Expert, auteur des Jardins du Trocadéro, ouvre un atelier au Quai Malaquai. Connu pour son ambassade de France à Belgrade, une architecture moderne tempérée, Expert voit arriver des élèves marseillais : Boyer, Chrysocheris, Dunoyer, Egger, Faure, Hoa, Jourdanet, Margaritis, Nerou, de Vallaurie, qui s’installent rue Saint-Antoine. Il faut alors gagner de quoi vivre : René Egger, bien mis de sa personne - « un beau gars ! » dit Dunoyer (et son épouse) - sera aussi mannequin d’un grand couturier ; il en gardera une certaine aisance dans ses mouvements. Il travaillera aussi à Marseille pour un architecte suisse J. G. Young, auteur du bel immeuble à l’angle de la rue Paradis et Docteur Escat.
« U n e œ u v r e s ’a c h è v e à l a d i s p a r i t i o n d e l ’a u t e u r, d a n s l ’o u b l i q u e n o u s s e r o n s » La légende suisse vient peut être de là et de Nestlé. René Egger est diplômé de l’Atelier Expert en 1941. Rentrés à Marseille en 1940, ils y trouvent Eugène Beaudoin en charge d’un projet d’aménagement de la ville auquel les élèves marseillais prendront part avec ceux, descendus dans le midi comme Zehrfuss, HenriLabourdette ou Zevaco, qui fuient la zone occupée. René Egger est en charge des terrains de sport de la ville, et de l’étude du quartier de la Corderie. Beaudoin lui confie un projet auprès de l’office du Niger à Ségou, où doit passer la ligne de chemin de fer trans-saharienne entre le Maroc et Abidjan. Mission qu’il accomplit avec Guy Lemarchand. A la Libération, dans l’urgence, les projets s’enchaînent : les Dames de France pour l’armée US, La station sanitaire et les constructions de La Cayolle avec les fusées céramiques de Jacques Couëlle. René Egger fait preuve, dans cette période de dénuement complet, d’un sens aigü de l’organisation dans la fabrique de l’architecture, sujet qui lui restera toute sa carrière. Il racontait sa visite à New York de l’agence Skymore, Owings & Merrill pour voir comment ils étaient organisés pour une telle production. Sujet qui lui restera tout au long d’une fertile carrière. Organisateur jusqu’à penser la suite de son travail dans l’association avec l’Atelier Delta : Aveyrous, Bonnel, Dallest et Tarazzi. Une œuvre s’achève à la disparition de l’auteur, dans l’oubli que nous serons. Il reste l’œuvre dont nous côtoyons tous les jours les belles pièces d’architecture qui gardent à Marseille l’empreinte de cet architecte d’importance, acteur de l’histoire de la cité. » A Marseille, le 20 Février 2016 INFLUENCES
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ENSEMBLE LA TOURETTE
Square Protis
André Lecomte (architecte en chef), René Egger et Fernand Pouillon (architectes) 1948-1952 - Label Patrimoine du XXe siècle (2000) C’était, en quelque sorte, la nouvelle « skyline » de Marseille : composé d’une tour, d’une longue barre et deux petits immeubles, l’ensemble la Tourette est la première grande opération de logements d’Egger et Pouillon. Le programme s’inscrit dans cadre de la reconstruction du Vieux-Port, dans un contexte de pénurie de matériaux : le duo déploiera tous ses efforts sur la conception de principes de construction standardisée et industrialisée, sur l’abaissement des coûts et des délais. Si l’utilisation de la pierre ou les éléments de décor (claustras, moucharabieh, et sculptures de Jean Amado) relèvent d’une certaine tradition réinventée ; l’ensemble la Tourette affiche une modernité évidente, par l’utilisation des typologies de la tour et de la grande barre (ici pensée comme un « mur », qui protègerait le Vieux-Port du Mistral). L’Unité d’habitation de Le Corbusier sera livrée au même moment.
La grande barre est ici pensée comme un « mur », qui prot ègerait le Vieux- Por t du Mis tral
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STATION SANITAIRE
1, bis quai de la Tourette
Champollion, Renée Egger et Fernand Pouillon (architectes) - 1948 - Label Patrimoine du XXe siècle (2000) « Il faut sauver la station Pouillon ! » Ce fut longtemps le cri de ralliement d’une poignée de fanatiques de l’architecture du XXe siècle, qui, là où le commun de mortel ne voyait qu’une ruine sans intérêt, criaient au chef d’œuvre en péril. Longtemps promis à la démolition, le bâtiment fut finalement épargné, grâce à l’action d’un comité de sauvegarde et à la Fondation Regards de Provence qui, ayant acquis et rénové les lieux, y a installé son musée en 2013. La « station Pouillon » sauvée, c’est la « station Egger » qui a sombré dans l’oubli. En effet, personne, à l’époque, ne croyait bon de relever que la station sanitaire fut l’une des premières réalisations communes de Fernand Pouillon et René Egger (avec Champollion). Ce projet très particulier fut édifié en 1948 à la demande du Ministère de la Santé Publique afin de prévenir les risques d’épidémies à Marseille. L’épineuse question de l’organisation de circuits séparés présidait à la conception de cet équipement expérimental de prophylaxie, « avec Pouillon, cela nous passionnait, un véritable puzzle », se souviendra Egger. Une complexité qui ne transparait guère à l’extérieur : sur sa parcelle triangulaire, le bâtiment a la ligne d’un navire. La facture de l’ensemble relève d’une modernité rarement affichée avec autant d’ostentation par Egger et Pouillon. Peu utilisée, entretenue jusqu’en 1970, la station sanitaire sera ensuite laissée à l’abandon. On connaît la suite.
L a « s t a t i o n P o u i l l o n » s a u v é e , c ’e s t l a « s t a t i o n E g g e r » q u i a s o m b r é d a n s l ’o u b l i
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« E l l e n ’e s t p a s s e u l e m e n t u n b e l o r g a n i s m e i n d u s t r i e l : c ’e s t a u s s i , d a n s s o n g e n r e , u n e œ u v r e d ’a r t » R E V U E M A R S E I L L E , 19 5 7 USINÉ NESTLÉ
Avenue de la Gare Saint-Menet
René Egger et Fernand Pouillon (architectes) - 1949-1952 - Label Patrimoine du XXe siècle (2000) Ce fut la grande aventure de l’agence Egger-Pouillon en matière de réalisation industrielle. Le projet nécessita le détournement du tracé de l’autoroute Marseille-Aubagne alors en construction, exploit que s’attribue Pouillon et confirmé par René Egger, même si celui-ci rappelle dans ses mémoires que la commande fut attribuée grâce à lui (et à ses relations). L’usine de la société suisse Nestlé sera ainsi édifiée à Saint-Menet, sur le site d’une ancienne bastide. Suivant la volonté de la municipalité de Marseille de préserver le cadre verdoyant de la vallée de l’Huveaune, Nestlé pose le principe d’une « usine verte » incluant site de production (ateliers et services collectifs) et logements patronaux. « Avec Pouillon, nous avons appris notre métier de constructeurs de bâtiments spécialisés à haute performance » auprès des ingénieurs de la firme suisse, reconnaîtra plus tard Egger. Affichant toute une gamme de bétons (lavés, en couleur, etc.) et d’une indéniable qualité d’exécution, l’usine Nestlé sera, à son achèvement, unanimement saluée. « On croirait pénétrer dans l’enceinte d’une grande université moderne. (…) Elle n’est pas seulement un bel organisme industriel : c’est aussi, dans son genre, une œuvre d’art » (Revue Marseille n°31, 1er trimestre 1957).
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E G G E R V U PA R P O U I L L O N « L’affaire Nestlé est à l’origine de la longue mésintelligence qui devait finir par nous séparer, Egger et moi. Lorsque les obstacles se trouvèrent aplanis, Egger se prévalut de ses hautes relations suisses. Sa première nationalité l’intégrait à la création de cette usine. Il aurait voulu participer à l’étude. Je le rencontrais constamment au bureau de dessin où, jusqu’alors, il ne mettait guerre les pieds.
« E g g e r é t a i t t r a v a i l l e u r, b o n o r g a n i s a t e u r, i l a i m a i t l e m é t i e r d a n s l ’e x é c u t i o n e t m a l g r é s e s f a i b l e s s e s , o n l e r e s p e c t a i t . » FERNAND POUILLON Mes deux mousquetaires de l’époque, Pierre et Borel, méprisaient plus ou moins les qualités d’architecte d’Egger, qu’ils ne toléraient que pour moi. L’un s’occupait des bâtiments industriels, l’autre de ceux de l’administration. Notre travail qui avançait, était jalousement surveillé par mon associé dont le caractère s’assombrit du fait de ne point y participer. De plus, sa famille lui reprochait déjà de s’en tenir aux seconds rôles. C’est sans doute à cette période qu’il contracta un ulcère qui le rendit particulièrement odieux aux heures de digestion. Au fond, peu m’importait, cela n’entama pas ma générosité à son égard. Il était travailleur, bon organisateur, il aimait le métier dans l’exécution et malgré ses faiblesses, on le respectait. Sage, sans luxe inutile mais belle par la tenue des architectures, l’usine Nestlé fut une réussite du genre. » Fernand Pouillon, Mémoires d’un architecte (Le Seuil, 1968)
P O U I L L O N V U PA R E G G E R « J’ai connu Fernand Pouillon à l’école des beaux arts, rue Bonaparte à Paris. Une sympathie réciproque nous liait, renouvelée à Marseille, où nous étions tous deux architectes de l’U.S. Army chargés de l’installation des affaires civiles, puis de travaux, pour le ministère des Anciens combattants. Ayant démontré notre efficacité, nous décidâmes de nous associer et réalisâmes de nombreuses opérations, ce qui entraîna fatalement, comme cela était à prévoir, des jalousies mesquines et tenaces. De plus, à la suite d’un accrochage sérieux à propos d’un programme de logements au Pharo dont mon associé avait pris l’initiative personnelle sans
« Gaston Defferre déclara qu’il ne voulait p l u s l e v o i r ! » RENÉ EGGER en parler au maire, Gaston Defferre déclara qu’il ne voulait plus le voir ! Décision très grave mettant en péril notre cabinet qui travaillait essentiellement pour la ville. Enfin, goutte qui fit déborder le vase ! Pouillon eut des problèmes avec le ministère après la terminaison du chantier de la faculté de droit d’Aix, Paris me fit comprendre que notre association n’était plus ‘‘souhaitable’’ (…). Contraints et forcés, nous prîmes donc la décision de nous séparer en toute amitié, et non sans quelques regrets de part et d’autres, contrairement à tout ce qui a été écrit… et inventé. » René Egger, Avec Gaston Defferre (Editions Européennes Marseille Provence, 2001)
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15 0 é t a b l i s s e m e n t s s c o l a i r e s s o n t r é a l i s é s d a n s l a c i t é p h o c é e n n e e n 15 a n s s e l o n l e p r o c é d é m i s a u p o i n t p a r Egger et Pouillon ECOLE PRIMAIRE ABBÉ DE L’EPÉE
12-18 square Sidi Brahim, Marseille (5e)
René Egger et Fernand Pouillon (architectes) - 1952-53 - Label Patrimoine du XXe siècle (2000) Si vous avez grandi à Marseille, il y a de fortes chances pour que vous ayez découvert les subtilités du théorème de Pythagore ou les joies du Plus-que-parfait sur les bancs d’une « école Egger ». C’est ainsi que l’on nomme les 150 établissements scolaires réalisés (en 15 ans) dans la cité phocéenne selon le procédé mis au point par René Egger et Fernand Pouillon (qui pour le coup est ici oublié par la coutume). Peu avant sa séparation, le duo avait en effet conçu un ingénieux système de constructions scolaires à éléments standardisés qui rendra possible, malgré la pénurie de fer et de ciment, le maillage de toute la commune. « Tous les quartiers de Marseille en furent pourvus », se souvient Egger dans son ouvrage sobrement intitulé Avec Gaston Defferre (Editions Européennes de Marseille Provence, 2001). Ce cher maire qui, justement, « tenait à ce que ce soit la même école, au nord ou au sud de la ville. » L’école élémentaire Abbé l’Epée est l’une des premières écoles expérimentales de ce nouveau système : poteaux en pierre de taille, planchers en béton armé, éléments préfabriqués, façades ornées de carreaux de céramique colorés… Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Le modèle devient rapidement une référence, si bien que ministres et édiles multiplient les visites à Marseille. « Cette affaire était populaire et très certainement unique en Europe », poursuit Egger dans ses mémoires, pas peu fier de rappeler qu’en 1958, le général de Gaulle lui-même louera l’excellence marseillaise : « Nous en sommes au progrès, nous en sommes à l’expansion. Cela se rencontre partout, cela se rencontre d’abord à Marseille. Vous êtes en tête du mouvement. Vous l’avez toujours été mais aujourd’hui vous l’êtes plus que jamais. » La grande classe ! 50
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U n e x e m p l e d ’a r c h i t e c t u r e b a l n é a i r e t o u t à f a i t original pour Marseille
« Gaston Defferre ne parlait pas souvent de logements, si ce n’est sous l’angle de la critique. Il n’aimait pas les tours et plus particulièrement celle située devant les jardins du Pharo (1), trop haute pour cet endroit de la ville, disait-t-il. Il se méfiait de ce que certains appellent le geste architectural… “ Qu’est-ce que cela veut dire ? ” me demandait-il, par ailleurs enragé d’être court-circuité ou trompé.“ De mon bateau, je vois des immeubles qui ne me plaisent pas. ” » ___ René Egger (Avec Gaston Defferre, 2001)
RÉSIDENCE L’EOLIENNE
614, avenue du Prado, Marseille (8e)
Yves Boudard et René Egger (architectes) - 1959 Affranchi de Pouillon, Egger crée sa propre agence en 1952. Entre trois universités, deux lycées et un hôpital, il réalisera cette jolie curiosité, la résidence L’Eolienne (du nom d’une villa Art déco de Castel), située à l’extrémité de l’avenue du Prado, en ouverture sur la mer. Le bâtiment à la fameuse façade biseautée, tout en souplesse et élégance, constitue un exemple d’architecture balnéaire tout à fait original pour Marseille : quelque part entre la Côte d’Azur et le modernisme tropical façon Niemeyer.
(1) Il parle évidemment de la Résidence du Pharo, édifiée en 1956 par André Devin, qui fera scandale à Marseille.
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RENCONTRE AVEC RAPHAËLLE SEGOND
LA MÉTROPOLE À BICYCLET TE Raphaëlle Segond a entrepris de redécouvrir la métropole à deux roues. L’occasion de respirer le territoire au plus près en empruntant ses chemins de traverse. Et si, au pays de la voiture, le vélo devenait un outil de la politique urbanistique ? Dans la roue d’une architecte à bicyclette, on peut toujours rêver. Par Olivier-Jourdan Roulot • Photo : Joël Assuied
E
lle s’y est mise sur le tard, un peu forcée, pour rééduquer un genou en sale état. Pour faire mentir les spécialistes, qui lui assuraient que dans trois ans elle n’arriverait « plus à marcher », elle s’est inscrite au club de natation des Dauphins, et a ressorti son vélo. Face à l’impératif de remise en forme dicté par le corps, l’esprit y a aussi rapidement trouvé son compte. Et l’architecte, à travers ces déambulations vélo-cyclistes, l’occasion de nourrir sa curiosité urbanistique : « Si j’ai toujours vécu ici, je n’avais qu’une connaissance étriquée de la métropole, détaille-t-elle, parce que tous ces restes de l’industrie, avec les crassiers, les cités ouvrières, personne ne veut aller les voir. » Depuis le début de l’année, la métropole est passée du statut de projet à celui d’institution. Une réalité, même si son démarrage est - le mot est faible - poussif. « J’avais suivi les études de préfiguration, et je retrouvais dans les propositions qui étaient faites la vision saccadée de la voiture et celle statique du piéton. » Des choses qu’elle connaissait, au fond. Restaient d’autres capteurs sensibles à activer. « Il manquait ‘‘la glisse’’, le lien, la diversité des vitesses et des espaces temps, énumère l’architecte. Il fallait changer d’outil. » Le vélo serait donc cet outil. Il était tout indiqué. Dans son Eloge de la bicyclette, l’ethnologue Marc Augé ne prétend-il pas qu’il apprend à composer avec le temps et l’espace ? Ses parcours, Raphaëlle Segond les prépare sur l’écran de son ordinateur, survolant préalablement les sites grâce aux photos aériennes de Google Maps. Sous la main également, une carte IGN pour affiner le trajet. Objectif de ce repérage : dessiner une promenade de 2h30 maximum aller‐retour, en marquant une boucle entre les points de départ et d’arrivée. Le cahier des charges comprend deux autres impératifs : le parcours doit favoriser une mise en situation la plus ordinaire possible – proche de ce que pourrait être un usage du vélo comme moyen de transport quotidien - et ne pas comporter de dénivelés trop marqués. Désormais, après avoir inventé une bonne dizaine de promenades sur les chemins de traverse métropolitains, l’architecte est mordue. « J’ai les courbes de niveau dans les cuisses et la mémoire gravée dans mes pensées des balcons, des vallées et des vallats », explique-t-elle joliment, n’hésitant pas à parler de « révélation » pour « qui conçoit les villes ». « Penser le territoire avec les muscles et les sens laisse une trace indélébile de la puissance des paysages. »
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AUTOROUTES, FILS BARBELÉS ET RAFFINERIES Chaque week-end, dès que le temps le permet, la voilà partie à la découverte des zones péri-urbaines qui ceinturent Marseille. Pour rallier le chemin de l’aventure, elle prend sa voiture, ou saute dans un train quand c’est possible. Ses promenades, elle les fait parfois seule, parfois accompagnée – par son fils, des amis ou son compagnon. Malgré ses préventions pour ménager des parcours sans trop de difficultés, celui-ci a parfois du mal à suivre quand la pente se fait trop forte. « Il râle un peu, demande pourquoi il faut monter autant », s’amuse-t-elle. Pas crâneuse, elle reconnaît qu’elle se surprend encore au milieu de lieux improbables, voire hostiles, en dépit de l’intérêt qu’elle porte aux monstres qui l’entourent. Quand elle pédale par exemple du côté de La Mède entre... l’autoroute, un mur recouvert de fils barbelés et les cuves géantes des raffineries. « C’est vrai qu’il faut avoir envie d’être là, d’autant que tu ressens beaucoup plus la violence de ces installations à vélo, concède ‘‘l’archicliste’’. Rouler ici c’est dantesque ! Mais j’aime ces échelles et ces vitesses différentes, quelque part incompatibles. » Dantesque, c’est bien le mot. NATURE ET (IN)CULTURE Forte de ces promenades/expérimentation, Raphaëlle Segond en est convaincue : à condition qu’elle soit correctement pensée, la bicyclette peut être une solution forte pour régler la question des trajets et de la mobilité. Entre Gardanne et Luynes, elle assure qu’on « pourrait parfaitement tout faire en vélo », au lieu de « découper des parkings-relais ». « Une fois que les gares sont remises en service, plaide-t-elle, ils vont mettre 30 minutes pour faire le trajet (à cause des embouteillages, ndlr), alors qu’on mettrait 5 minutes en vélo si on fait bien les choses. Il manque juste des petites jonctions aménagées entre des trajets très proches les uns des autres. » Parce qu’ils sont par nature plus lâches que la ville-centre, les territoires de cette périphérie nourrissent la réflexion tous azimuts. Un autre jour, la promenade du côté de Saint Mitre confronte aux questions de la vue, de la nature, du dégagement. « Dans ces quartiers d’entrée de Marseille, il y avait une vraie qualité des paysages, que tu as à Rome sur la voie Appia. Malheureusement, on a densifié sans réfléchir. Et cette espace de nature qui était là, à quelque mètres, et sauvage, a disparu, vaincue par l’inculture. » Raphaëlle Segond profite aussi de ses escapades pour repérer des
« penser le territoire avec les muscles et les sens laisse une trace indélébile de la puissance des paysages. »
Raphaëlle Segond sur le quai de la gare de la Blancarde. Un vélo, des trains régionaux... Aventure garantie pour esprit(s) curieux. Et mollets entrainés.
entreprises et artisans aux savoir-faire anciens. L’occasion de redécouvrir des pépites qui ont failli disparaître. Ainsi de la maison Carmin qui produit de la chaux sur la route de Cassis, et qui est dirigée par la même famille depuis 1785. « Autrefois, il y avait des fours à chaux partout, qu’on alimentait en brûlant des arbres », précise notre architecte aventureuse. Une activité florissante d’ailleurs responsable pour partie de la déforestation autour de Marseille. Pour les enduits et la maçonnerie, on séparait la partie la plus pure, concentrée sur le dessus du four, à 900 degrés. La chaux de la société Polka Talabot, autre fabriquant historique, a été utilisée pour la construction du bâtiment des Docks, à la Joliette. « On retrouve aussi tous ces enduits caractéristiques, marrons, sur les
NOUVELLE CARRIÈRE Ces dernières années, l’activité de la carrière de Fontvieille s’était considérablement ralentie. Passée de mode, sa pierre calcaire n’avait plus que les faveurs de marchés secondaires, de la décoration ou de la fabrication de cheminées. « Si tous ces métiers ont réussi à survivre, ce n’est certainement pas grâce à la construction récente des années 80, ni à ce qu’on trouve chez Point P ou à La plateforme du bâtiment », juge sévèrement miss Segond. Les choses sont peut être en train de changer. Ainsi, Fontvieille semble avoir retrouvé une seconde jeunesse depuis la visite providentielle de Gilles Perraudin, à la recherche de matériaux pour un de ses projets. En même temps qu’il a contribué à faire redécouvrir cette pierre, l’architecte lyonnais a fait une bonne affaire puisqu’il a racheté des blocs stockés (donc déjà découpés) au prix du déchet. « Il y en a tellement que ça ne coûte finalement pas beaucoup plus cher que le béton », confirme Raphaëlle Segond, qui pense utiliser ce matériau de « toute beauté » pour une maison à Ensuès la Redonne, sur laquelle elle travaille actuellement. Désormais revenus à leurs premières amours, l’architecture et l’habitat, les exploitants de la carrière ont développé de nouvelles filières, en travaillant en collaboration étroite avec des ingénieurs. Si l’affaire s’est donc relancée, pas question de prendre le risque de tuer la poule aux œufs d’or. Afin de préserver la ressource pour les générations futures, son exploitation est volontairement limitée : la pierre blanche de Fontvieille est ainsi réservée uniquement à la restauration du patrimoine. Sur la base de ces rencontres et de la matière accumulée depuis des mois, l’architecte a commencé à réaliser une série de portraits. « Ce sont des gens aux parcours assez étonnants, tous ont un passé de compagnon du devoir ou du tour de France, relève-t-elle au sujet de ces artisans. Ils ne savent pas au début pourquoi je viens les voir, mais pour les petites agences comme les nôtres, qui sommes des passionnés, il y a plein de résonances : ils veulent aller plus loin et se lancent des défis. Et derrière, il y a cette idée de la transmission. » Une idée chère à l’ex-enseignante de l’école d’architecture de Luminy. Raphaëlle Segond ne sait pas ce qu’elle fera de cette collection en gestation, qui devrait comporter au final une trentaine de portraits. Elle proposera certainement « quelque chose » au CAUE des Bouches-du-Rhône, dont elle est architecte-conseil, pour donner vie, peut-être, à « un genre de Wikipédia que l’on pourrait continuer à alimenter ». Un outil précieux sur des savoir-faire remarquables pour les professionnels du bâtiment. Une façon de faire le lien comme les guildes d’autrefois, ces associations de métiers où sont nées les architectes, mais sous une forme actuelle. Le passé et le futur reliés, en somme. A bicyclette.
Entre Gardanne et Luynes, on « pourrait parfaitement tout faire en vélo », au lieu de « découper des parkings-relais ». immeubles de Marseille, avec ce ciment un peu brun qui a servi pour les jardins de rocaille. » Autre découverte de l’architecte, les carrières de pierre installées autour d’Arles. Récemment, elle a visité celle de Fontvieille, qui a fourni à Pouillon le matériau pour bâtir ses immeubles, à Alger et sur le Vieux-Port de Marseille. De ces travaux du passé, il ne reste sur place que… du vide : une forme parallélépipède dont le volume, démesuré, donne une idée de l’ampleur des opérations. « Cette pierre a aussi servi à construire le XIXe siècle de Marseille, les immeubles de la rue de la République ou la Canebière, complète l’ancienne collaboratrice de Ricciotti (avec qui elle a signé, en association, le Pavillon noir à Aix). Celle qui était la plus pure, la plus noble, a été utilisée pour la Bourse du commerce. »
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DÉCOUVERTE
LE ROAD BOOK de l’archi à vélo
Textes et photos : Raphaëlle Segond
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PROMENADE #2
DE MARTIGUES À MARIGNANE : L’INHUMAINE On est en décembre, à la gare de l’Estaque. La gare est à l’abandon, quelques morceaux de ferraille rouillés couinent avec le vent, c’est, ou plutôt ce devait être ‘‘joli’’, mais c’est plutôt étrange. Les distributeurs ont remplacé le personnel et en l’absence de guichet, les gens attendent le train à 50 mètres les uns des autres, sans oser se parler.
PROMENADE #1
DE CELONY À ÉGUILLES : L’ENVERS DE LA RN7 « Ça commence comme quand Pierrot le fou tire sur le soleil en décapotable, avec le soleil qui éblouit entre les feuilles d’un platane, en remontant la RN7 vers Paris. La RN7 est un barreau tendu tout droit vers le nord. Entre Célony et Calas, la route est devenue un grand supermarché à l’échelle de la voiture, dont l’entrée est délimité par le totem ‘‘Total’’, au col, à l’entrée de Célony. Se succèdent alors un rayon de poteries, un rayon de cheminées, un rayon de vieilles poutres, un rayon de portails anciens, un rayon de jeeps militaires. A l’envers des enseignes, et au dos des rayons, l’ancienne route de Paris est un chemin qui se profile à flanc de coteaux, à la limite entre l’univers de la nationale et une campagne restée agricole et doucement résidentielle. En cette saison, on a la tête à hauteur de blés. Les épis se meuvent comme des vagues avec le mistral. C’est beau. La structure efficace de cet axe et la limite claire de son aire mercantile rendent cet ensemble acceptable, d’un point de vue paysager. Dense, contenu, limité. Tout ce qui fait défaut aux aires pavillonnaires ou commerciales, qui émaillent en tâches d’huile sans fin les autres territoires de la périphérie aixoise - la Duranne, les Milles… A bicyclette, ça permet de traverser ou de longer des lanières de paysages. Ce qu’on peut faire en allant de l’ancienne route de Paris vers Éguilles, et enfin d’Éguilles vers Célony. Éguilles est un village en balcon qui suit les contours des ‘‘Baous’’ de la grande plaine aixoise. Les bandes habitées sont en terrasses successives, elles disposent de la vue et s’affranchissent du vis-à-vis. C’est extraordinaire, cette structure de village. De loin, la densité bâtie est confondue avec la structure ‘‘en restanques’’. On se demande pourquoi on continue à se répandre dans les plaines (agricoles et nourricières) alors qu’on pourrait densifier les balcons. »
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Le canal de Caronte relie la Méditerranée à l’étang de Berre, sur 6,5 km de long. Il a été creusé par les légions romaines.
Le pont de chemin de fer de Martigues a été inauguré en 1915. Quand des navires dont le tirant d’eau dépasse 25 mètres se présentent, il pivote sur sa partie centrale pour les laisser passer.
Le TER arrive avec son paquet de minutes de retard qui provoque quelques commentaires exaspérés. Il accepte les vélos à son bord. Mon projet initial était de descendre à la gare de Port de Bouc, pour longer le canal de Caronte, traverser Martigues et poursuivre jusqu’au Jai, mais les cheminots en grève ont stoppé le train à Martigues. On ne traversera pas le canal par le pont pivotant, cette merveille de l’ingénierie française et premier exemple du genre : un monument dont le tablier pivote au-dessus d’une grosse pile ronde profilée comme un phare, pour libérer le passage aux pétroliers. La gare est en pleine zone industrielle, au milieu de Lavera. Pour rejoindre Martigues, il faut longer la zone et se diriger vers les piles du viaduc autoroutier, en passant par le quartier d’activités au bord du canal.
Le viaduc autoroutier permet à l’A55 d’enjamber le canal. La rénovation de ce monstre de béton et d’acier est désormais achevée, après plusieurs années d’un titanesque chantier.
La pêche au mulet pour la poutargue. C’est le muge testus dont on prélève les œufs. Depuis quelques temps, l’espèce se fait plus rare. La salinité de l’étang de Berre, de plus en plus forte, serait la cause de cette désaffection. Résultat, les prises sont plus petites, la production réduite d’autant, et la poutargue plus chère que jamais (150 euros le kilo).
Les piles sont la première confrontation colossale de cette promenade. Depuis qu’elles sont là, on a fini par les oublier et les pêcheurs de mulets ont installé leur cabanes tout contre, à la pointe Paradis, sur la rive nord. Posé en 1972 à 50 mètres audessus du sol, le tablier du pont épargne la ville de Martigues du passage de 16 000 véhicules par jour. C’est une aubaine. La route nous fait ensuite traverser le quartier de Jonquières puis la pinède en partie habitée, presque toujours à l’ombre de la cuesta de la gueule d’enfer à la sortie de Martigues, en direction de la Mède. C’est l’ancienne route de Marseille, en balcon entre la cuesta et l’étang et parfois tangente à l’autoroute tout proche, dont on entend le ronflement sourd et permanent. L’arrivée à la Mède est brutale. Le paysage se resserre. La raffi-
L’étang de Berre est le plus grand étang salé d’Europe.
La raffinerie de Provence. Construit
nerie vient défier les maisons du village, au bord de la route. Sur la route, on est entre David et Goliath. C’est violent et fascinant. La toute puissance du pétrole n’a pourtant pas su mâter la famille Gontéro, exploitants de la carrière qui portent leur nom et qui occupe la limite nord du site. Pour se rendre à la carrière des Bouttiers, il faut traverser la raffinerie. On prend alors la mesure de l’épaisseur des colonies de tubes de réservoirs et de torchères : 400 mètres de faille en pente circulable entre deux murs de béton rehaussés de barbelés, que les camions de la carrière et les toupies à béton dévalent avec fracas. Chez Gontéro, on domine le paysage : une tranche de pétrole en tubes, une tranche de cabanons, un filet d’autoroute, un trait bleu pour le canal de navigation et un aplat d’étang jusqu’aux rives de Berre et Vitrolles. Dans ce drôle d’endroit pour une promenade, on est surpris de croiser d’autres cyclistes qui se saluent en souriant, comme pour s’accrocher à un peu d’humanité. Comme nous, à la sortie de la Mède, ils serrent les fesses dans les énormes ronds-points que nos confrères ingénieurs ont aménagés pour les rayons de braquages des semi et des camions citernes, sans se soucier des bipèdes. La route bifurque alors vers l’étang et l’isthme du Jai, qu’on rejoint par un pont qui enjambe le canal de navigation du Rhône. Du haut du pont, on peut suivre la digue qui protège le canal des vagues de l’étang jusqu’à Martigues, d’un côté, et jusqu’à l’embouchure du canal du Rove de l’autre, le long de l’étang du Bolmon : une piste cyclable de rêve à aménager entre deux eaux !
dans les années 30, le site s’apprête à faire sa révolution : d’ici quelques mois, ses cuves seront vidés de toute... goutte de pétrole ! Propriété de Total, la raffinerie ne produira bientôt plus que du biocarburant - fabriqué à partir d’huiles usagées et végétales. La fin d’une histoire.
La carrière des Bouttiers (carrière Gontero) à La Mède fabrique des agrégats pour le béton. Elle grignote la roche du massif de la Nerthe sur une centaine d’hectares. On se croirait dans Le Salaire de la peur, le film d’Henri-Georges Clouzot. Pour un peu, on s’attend à voir débarquer Montand et son marcel au volant d’un camion, au milieu de cette poudre blanche !
Le club nautic médéen. On le voit de l’autoroute avant d’arriver à la raffinerie, dans le sens Marseille/Martigues. Selon les heures de la journée, des pêcheurs lancent leurs lignes depuis la digue qui le borde. Asticot ou pâte, fabriquée avec du fromage et de la chapelure, chacun sa technique. Depuis que la centrale d’EDF Saint-Chamas a été contrainte de limiter ses rejets, les poissons sont plus nombreux : sars, dorades, loups, anguilles, muges, sardines - et même des congres, paraît-il -, il y en a pour tous les goûts.
Le Jai est une longue bande de sable de 3 km partagée en trois : un tronçon de cabanons, avec piste goudronnée, un tronçon plus sauvage (avec piste caillouteuse), à nouveau un tronçon de goudron et de cabanons. La partie sauvage est un spot célèbre pour les planches à voile et les kitesurf, côté étang de Berre, et pour ses très nombreuses variétés d’oiseaux, côté étang du Bolmon.
Le lido du Jaï. Avec les pistes de l’aéroport de Marignane en point de mire, cette sorte de no man’s land dégage une force poétique réelle - celle des endroits en déshérence. C’est le charme des marges, des lieux hors nomenclature, un peu à part. Par jour de vent, le spot est prisé des kite-surfeurs et des véliplanchistes. Ils partent conquérir l’étang depuis cette étroite bande de terre également délimitée par la lagune de Bolmon.
Les cabanons sont d’une laideur simple sans prétention, deux pentes en amiante ciment, peu de fenêtres, une aire de sable et une clôture sommaire. C’est le face-à-face avec le sable et les étangs et la répétition des volumes identiques plutôt bas et trapus disposés ‘‘en rang’’ qui fait l’affaire de ce paysage. Puis survient l’aéroport de Marignane, dont on ne perçoit que les avions en vol et les premières infrastructures imposantes, les deux hangars jumelés construits par l’ingénieur Nicolas Esquillan et l’architecte Auguste Perret en 1950, sur un plan rectangulaire surmonté de magnifiques voiles-coques minces de béton en couverture, qui ressemblent à des structures gonflables. C’est la fin du parcours. »
Raphaëlle Segond
Le tunnel du Rove paraît indifférent au ballet des avions qui décollent à intervalles réguliers, dans un bruit d’enfer. Depuis son entrée bien calée au fond de l’étang de Bolmon, il semble plongé dans le passé. Sa réouverture, prévue en principe pour l’année prochaine, devait permettre d’oxygéner l’étang de Berre avec l’eau de mer pompée dans la rade de Marseille, 7 km plus loin, au-delà de la colline. Aux dernières nouvelles, les travaux - qui devaient commencer en 2014 - n’ont pas démarré.
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CONNECTÉ
L’ IDÉE SMAR T
CIT YSCAPE, LE GUIDE ARCHI-CONTEMPORAIN Après Lyon, Rennes et Nantes, avant Nîmes et Montpellier, Cityscape se lance à la conquête de Marseille. Cette application propose des rencontres architecturales sensibles et documentaires pour partir à la découverte des villes et paysages urbains à travers les bâtiments emblématiques de la production contemporaine. Par Olivier-Jourdan Roulot
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es spécialistes du marketing territorial l’ont compris : pour une ville, l’architecture est le meilleur argument de vente. Si Marseille est présentée régulièrement comme une cité à visiter « absolument » dans le monde par de grands journaux prescripteurs (la presse anglo-saxonne, pour le dire vite), elle le doit largement aux équipements pour la plupart livrés à l’occasion de l’année 2013, celle de la capitale européenne de la culture. Des bâtiments signés par une poignée d’architectes-star dont le nom vaut à lui seul certificat de bon goût - les Foster, Nouvel, Hadid, Ricciotti, Kuma et consorts. Cet élan pour un tourisme d’un autre genre, Cityscape entend l’accompagner, et pourquoi pas l’amplifier. Le 20 juin dernier, Thierry Mercadal était de passage à Marseille pour y lancer son bébé dans la seconde ville de France. « Marseille avait très peu bougé depuis des années, elle dormait, constatait-il en sirotant un spritz à la terrasse de la Résidence du Vieux-Port, et tout d’un coup, il y a ce projet autour du port avec Euromed. Même si c’est architecturalement inégal, c’est intéressant du point de vue urbanistique. On n’attendait pas de l’architecture contemporaine ici. Maintenant que c’est amorcé, le politique sera obligé de continuer dans cette direction. » Téléchargeable gratuitement, Cityscape ignore le patrimoine classique pour se concentrer sur le contemporain. « Ce marché (celui des bâtiments anciens et historiques, ndlr) est sursaturé et surdocumenté, justifie Mercadal, alors que l’appétence pour le design, l’architecture et même l’urbanisme est plus fort que jamais. L’idée de Cityscape est justement de nourrir cet appétit et répondre aux besoins de ce tourisme dont Marseille profite à plein depuis l’ouverture du Mucem, et la livraison du nouveau Vieux-Port. » La version marseillaise propose trois balades, qui comportent chacune 6 à 11 étapes. Au total, une trentaine de bâtiments et de lieux ont été référencés. Depuis son lancement en avril 2015, l’application a été téléchargée plus de 5 000 fois. Avec sa narration transmédia pensée pour offrir une expérience différente, Cityscape permet de préparer ses visites chez soi, et de disposer d’éléments privilégiés une fois sur place : cartes, vidéos, interviews des architectes et concepteurs, textes, plans, photos du bâtiment (extérieures mais aussi intérieures)... Toute une palette d’infos et de
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C i tys c a p e p e r m e t d e p r é p a r e r s e s v i s i t e s c h e z s o i , e t d e d i s p o s e r d ’é l é m e n t s privilégiés une fois sur place : cartes, vidéos, plans, photos… documents qui renseignent sur le bâtiment, sa conception, les matériaux, ses contraintes, les ouvrages voisins, l’histoire du quartier et les ambitions urbanistiques. Mercadal, qui produit des documentaires sur l’architecture depuis une bonne quinzaine d’années, revendique une approche « résolument grand public » : « L’idée est de dialoguer avec le spectateur urbain, confie-t-il. Je ne suis pas architecte, je suis un documentariste qui essaie de donner la parole aux architectes ». Au final, Cityscape s’impose comme un véritable guide interactif de l’architecture des villes. Plutôt ludique dans sa navigation et sa forme, l’application construit une base de données précieuse sur les réalisations qui transforment le paysage urbain. « On est en train de créer de l’histoire architecturale, constate Thierry Mercadal. Alors qu’on n’a rien sur les bâtiments des années 70, qu’il n’existe aucune image sur la démarche architecturale, la connaissance de ces gens-là, nous créons du stock, de l’archive. Il y a la découverte à l’instant T mais ces archives, c’est clairement le patrimoine de demain. »
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REPORTAGE
RÉCIT / GRANDS ENSEMBLES, PUNK ATTITUDE ET POST SOVIÉTISME
A KALLISTÉ, GROS SUR LE CŒUR Mort en début d’année, Claude Gros (1925-2016) est l’architecte du parc Kalliste. Les rapatriés d’Algérie, pour qui ces barres financées sur les dommages de la guerre d’Indochine furent construites, ont laissé place à des populations toujours plus fragiles et désocialisées. Visite guidée de « la plus belle de toutes ». Par Olivier-Jourdan Roulot • Photos : Joël Assuied
N
ous voilà dans le... bain. « Liquide corrosif ! » a immédiatement diagnostiqué Aleksander, le doigt pointé, avec cette façon inimitable de dire les choses même les plus crues avec le sourire. Trop tard : au sol, une substance jaune entoure mon pied gauche... L’odeur ne trompe pas. Ne sachant quelle mine adopter, entre dégoût de circonstance et volonté de ne pas donner l’impression de défaillir au premier particularisme venu, je me contente de lever la patte, avant de la reposer un peu pataud sur la partie du sol restée immaculée. Tout d’un coup, la saillie prononcée quelques secondes plus tôt par Aleksander s’éclaire : « Leur maman ne leur a paaas miiis les cooouuuuuches ! », s’était-il amusé, en forçant la voix. De la cabine d’ascenseur sur le point de nous propulser jusqu’au douzième étage, un grand gaillard lymphatique et en survêtement s’était extrait, l’air aussi peu éveillé qu’aimable. D’origine polonaise, les Rabczuk sont arrivés sur les rives du Lacydon à la fin d’une décennie 80 passée en Algérie. Les valises posées à Marseille, le couple s’installe d’abord Parc Montvert, au-dessus de la Corniche. Les appartements sont agréables au milieu des arbres, la vue sur la rade superbe. Mais le manque de place se fait sentir. « C’était fort beau mais petit », confirme Aleksander. En quête d’un lieu « tout en un », où ils pourraient vivre, travailler et donner de l’espace à leur passion de la peinture et de l’art, Julia et Aleksander mettent le cap vers les collines qui dominent la rade. Naturellement. Julia souffre d’asthme, elle vit mal la chaleur des quartiers sud, il faut prendre de l’altitude (au nord, donc). Les Rabczuk envisagent de s’installer à La Solidarité, avant de renoncer. Edifié dans les années 70 à la limite de Septèmes-les-Vallons, ce grand ensemble bénéficie d’une vue remarquable, l’air y est bon, mais ce sont des HLM. « Il y avait évidemment Le Corbusier, confie le couple, mais il aurait fallu que ce soit beaucoup plus grand, et c’était beaucoup trop cher. » Finalement, ils rachètent deux appartements sur même palier (un T3 et un T4), un peu plus bas dans le vallon, à Kalliste, dans la tour B. Le 17 novembre 1989, ils signent le contrat de vente chez un notaire de la rue Grignan. Contre 180 000 francs (environ 30 000 euros) versés à un marchand de biens, les voilà chez eux. En 1990, ils peuvent lancer les grands travaux.
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D a n s l e h a l l d ’e n t r é e , u n e dizaine de jeunes hommes, gitans pour la plupart, achèvent de désosser une moto volée. « C ’e s t t o n a m i ? » , l a n c e u n g a m i n à A l e k s a n d e r. « O u i , i l s ’ i n t é r e s s e à l ’a r c h i t e c t u r e ! » LA BELLE ÉPOQUE Au départ, l’architecte Claude Gros était une pièce rapportée sur cette opération financée avec des fonds provenant des dommages de la guerre d’Indochine. Gros n’était pas des premières études, et son confrère André-Hugues de Vallaurie était venu le chercher pour lui donner la main. Mais l’invité de dernière minute l’avait attrapée si férocement que c’est son nom que l’histoire et la mémoire ont retenu. L’épreuve du chantier avait livré son verdict : c’était lui et personne d’autre, l’homme de Kalliste. Avec son plan de masse asymétrique et ouvert, le parc Kalliste pose ses 9 bâtiments de 4 à 18 étages (753 logements) à 250 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur un terrain de 7,5 hectares sur les collines de Notre-Dame-Limite. Le groupe d’habitation est livré en 1958. Il comprend aussi un établissement scolaire, un gymnase et un centre commercial. « Ils (les promoteurs, ndlr) avaient fait vite et bon marché, rappelle Aleksander Rabczuk, au sujet du contexte de l’époque. Il fallait construire en urgence : c’était le retour des pieds noirs d’Algérie. » Ce sont ceux-là qui investissent les premiers les barres de Kalliste. Ils arrivent d’Alger, d’Oran, de Constantine, beaucoup travaillent à l’hôpital Nord tout proche, ou pour La Poste. Pour profiter de cette vie en hauteur, ceux qui veulent devenir propriétaires déboursent autour de 140 000 francs (en-
viron 20 000 euros). Ils sont rares. Les appartements sont très majoritairement occupés par des locataires. Un quart de siècle après sa construction, à la fin des années 80, le propriétaire du parc décide de se retirer. Les logements sont vendus soit à leurs occupants, soit à des investisseurs, et l’ensemble passe en copropriété. Fin d’une époque, Kalliste bascule dans un autre monde. Le bonheur va rapidement se déliter, les problèmes s’accumuler : incapacité des propriétaires à assumer les appels de fonds réclamés pour l’entretien, laisserfaire de syndics véreux, situation financière et endettement des copropriétés de plus en plus catastrophique, détérioration des parties communes, sans même parler des vols, trafics en tous genre et voitures qui brûlent au pied des tours. Rapidement, la cité heureuse prend des allures de poudrière sociale. Un engrenage d’autant plus terrible qu’il a tout du cycle infernal : plus les conditions de vie se durcissent et se dégradent, plus la ghettoïsation se renforce. La population se paupérise inexorablement. Chaque nouvel arrivant est toujours plus pauvre, démuni, plus fragile, inadapté à la vie en société, et de fait sans attachement, ni lien solide avec Kalliste. Et ainsi de suite. Jusqu’à « en arriver à l’invivable », comme Claude Gros en fera lui-même le douloureux constat dans un courrier adressé en janvier 2014 au ministre de la Ville.
DÉCLASSEMENT En résumé, l’histoire de Kalliste ces vingt dernières années est celle d’une chute continue. Des propriétaires présents dès le début, il en reste une petite poignée, sur 18 étages et 132 logements. Une vieille dame au 8e étage n’est jamais partie. Avec ses tapisseries un peu lourdes et son mobilier typique, son appartement ressemble à un musée d’une époque révolue. Partout ailleurs, c’est un autre monde. Des squats, de la saleté, des trafics. Dans la cage d’escalier, les petites ouvertures percées à chaque étage pour laisser passer la lumière naturelle du jour ont été murées il y a plusieurs années. Officiellement par crainte qu’elles ne jouent les appels d’air en cas d’incendie, mais plus sûrement pour éviter les intrusions des voleurs. Dans l’entrée, les boites aux lettres défoncées ont oublié qu’il fut un temps où les habitants prenaient plaisir à décorer les parties communes. Les énergies ont fini par s’épuiser. Depuis la décennie 2000, la situation s’est tellement dégradée que les pouvoirs publics - qui ont laissé pourrir les choses, comme Marseille Habitat, désormais propriétaire d’une partie des logements - ont décidé de détruire deux des neuf barres du parc : les tours B et H, en sursis depuis des années. Aux dernières nouvelles le calendrier de leur destruction n’est pas encore arrêté. Mais leur sort ne fait pas de doute, et ses habitants INFLUENCES
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ne se font plus d’illusions... A la place des deux barres rasées, on devrait en principe construire de petites unités. Alors, ces immeubles mal-aimés promis à la démolition, quelle est leur part de responsabilité dans la situation actuelle ? Sontils juste bons à détruire, démolir, raser, dynamiter ? Méritentils d’être réduits à néant, comme s’ils portaient en eux une faute originelle, dès leur conception ? Certains refusent de leur jeter la pierre et prennent volontiers leur défense, sans qu’il soit besoin de beaucoup les pousser. « Le bâtiment a été très bien conçu, constate tout de go Julia Rabczuk, au sujet de la tour B. La structure est très belle, les finitions extérieures aussi, avec la pierre en façade et les petits graviers de rivière. » Des qualités, ce parallélépipède qui
ZONE GRISE Un peu partout où on se promène, l’impression est la même. Celle d’une grande désolation. Tout à l’heure, pour garer nos scooters en lieu sûr, nous avons traversé au pied d’une barre qui s’étale sur la longueur une sorte de terrain vague. Un grand espace vide, désolé et inoccupé. La chaussée est défoncée, avec des trous et des cailloux qui semblent arrachés au sol par on ne sait trop quelle main. « Ici, il y avait un arbre qui servait de... crash test pour les voitures volées, s’amuse Aleksander, qui a vu notre trouble. Alors, on l’a coupé ! » Ainsi va la vie, au parc Kalliste. Il n’y a pas si longtemps, les collines qui entourent la tour B étaient recouvertes d’arbres. Il ne reste rien ou presque de la pinède. La présence de voitures de pompiers stationnées sur place n’a rien dissuadé : les enfants des habitants y mettaient le feu plusieurs fois par jour... Depuis les appartements en hauteur, les fenêtres ouvertes, on s’était habitué à ce crépitement caractéristique. L’autre partie de la pinède, celle qui n’est pas partie en cendres, a elle été découpée par des petites mains pour servir de bois de chauffage. Travail achevé. Décidément, les pompiers ont bien fait d’aller se faire voir ailleurs. Entre les tours B et H, on domine un autre parking sur lequel on distingue une montagne de pneus sagement rangés. Tous les habitants du quartier connaissent cette petite entreprise à ciel ouvert et sans existence légale. Ici, on vient pour changer une roue, à des prix 3 ou 4 fois inférieurs à ceux proposés chez Midas. La matière première est directement prélevée sur des voitures volées, désossées sur place. Du voleur au consommateur. Les premières années où les Rabczuk ont vécu à Kalliste, les Golf étaient à la mode : momentanément stockées au milieu de ce qui était encore une forêt, les pièces détachées partaient ensuite de l’autre côté de la Méditerranée. « Ici, c’est la zone grise, on laisse faire, philosophe Aleksander. C’est une sorte d’économie adaptée au budget des gens. » Activité formidablement adaptable, le désossage se pratique partout. A notre arrivée au pied de la tour B, tout à l’heure, nous avions passé une sorte de barrage filtrant, avant de finir les pieds dans la pisse chaude d’un inconnu. Dans le hall d’entrée, une dizaine de jeunes hommes, gitans pour la plupart, achevaient de désosser une moto volée. « C’est ton ami ? », avait lancé un gamin à Aleksander. « Oui, il s’intéresse à l’architecture ! » Pour vivre à Kalliste, il faut donc s’habituer à ça, et encore à bien d’autres choses. Les sacs et les couches culottes pleines de merde
L’ h i s t o i r e d e K a l l i s t e c e s v i n g t dernières années est celle d ’u n e c h u t e c o n t i n u e culmine à 51 mètres en aligne beaucoup : élévation et hauteur ; luminosité garantie par des sections de 4 à 5 fenêtres par appartement sur toute la longueur des façades avant et arrière ; respiration de plusieurs centaines de mètres entre chaque barre, ménagée par le plan de construction... De quoi vivre tranquillement, sans « voir ce que le voisin a dans son assiette », comme le dit Aleksander. Grâce à ces vues dégagées et sans vis-à-vis, les journées s’étirent incroyablement. Avec un ensoleillement maximum, entre la colline d’un côté et toute la rade de l’autre. Preuve supplémentaire qu’il était un bon architecte, Gros n’a pas négligé un élément qui, à défaut, peut se transformer en redoutable adversaire : sur ces hauteurs, le vent est chez lui. Dans le voisinage, d’autres n’ont pas eu cette sagesse. Un manque de modestie qui se paie cash. Ainsi, sur les façades de l’hôpital Nord, il a fallu renforcer plusieurs fenêtres, exagérément exposées aux caprices du dieu Mistral, et même en condamner certaines ! A Kalliste, rien de tel. La disposition de la tour B a été pensée pour prendre la vie dans le bon sens (du vent). Quand il se lève, le mistral souffle latéralement, jamais en opposition frontale avec les façades principales. Ces jourslà, à peine émet-il un sifflement plus puissant, comme s’il voulait signifier son admiration pour l’œuvre de l’architecte. 60
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Début des années 90, c’est le grand chantier chez les Rabczuk : les cloisons en placo sont abattues, les sols, peintures, tapisseries, le système de chauffage et l’électricité entièrement refaits. Au total, un an et demi de travaux au douzième étage de la tour B, dans une ambiance entre punk et post soviétisme, pour transformer deux appartements en un seul et même espace.
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Vue du quartier NotreDame-Limite, sur le massif de l’Etoile. De bas en haut, les cités Bourrely, Kallisté et la Solidarité.
par exemple, balancés par les fenêtres parce que les WC sont bouchés… Il y a quelques années, le couple Rabczuk avait reçu à dîner des amis américains, de passage à Marseille - des diplomates, avec qui Aleksander avait travaillé, quand il était employé en Afrique du département de sécurité diplomatique US. En découvrant l’adresse de leurs hôtes, les services de renseignement avaient tiqué, inquiets pour la sécurité des visiteurs... Mais ceux-ci étaient repartis enchantés. A table, le consul des EtatsUnis avait tenté une comparaison osée : « Finalement, au Liban ce n’est pas si terrible, s’était-il amusé, lui qui avait exercé à Damas. Il faut juste ne pas être au niveau du premier étage pour les tirs de mitrailleuses, et pas au dernier pour les roquettes ! C’est tout. » Pour pimenter les retrouvailles célébrées ce soir-là au 12e étage de la tour B, des voitures avaient brûlé dans la nuit de Kalliste... Mais les amis diplomates étaient repartis sans dommage. « Ici, on est dans un monde bipolaire et schizophrène, constate Aleksander en observant la baie de Marseille depuis les fenêtres de son beau 130 m2 rempli de livres. Il y a Kalliste, et une demiheure plus tard, je suis à Eurocopter (le constructeur d’hélicoptères franco-allemand, pour qui les Rabzuck fabriquent des objets cadeaux, ndlr) : « Vous voulez un petit ou un gros cadeau ? Le petit cadeau, c’est quand le client achète deux hélicoptères à 5 millions euros ! » « FAIRE VITE ! » Fin 2015, Aleksander avait prévenu : « Il faut faire vite, il n’en a plus pour longtemps ! ». Faire vite ? Nous avions le projet de capter la parole de Claude Gros. L’entretien devait nourrir le récit d’un documentaire pour la télévision. Il n’a pas été mis en boîte. L’architecte de Kalliste s’est échappé, décédé en début d’année. Trop tard. La première rencontre entre Claude Gros et les Rabczuk remonte à 2012. A l’époque, les résidents propriétaires (parmi lesquels les occupants du 12e étage) croisent le fer avec Marseille Habitat, un des bailleurs sociaux de la ville. « On voulait savoir
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pourquoi on nous cassait les pieds (sic) avec un escalier de secours à 1,5 millions d’euros, qu’il fallait construire sous peine de voir démolir le bâtiment. » Entre les enfants de l’ancien bloc de l’Est débarqués dans les quartiers nord et le vieil architecte, le courant passe immédiatement. Chez les Rabczuk, l’architecture est une histoire de famille : Julia a grandi sur la planche à dessin de sa mère, sur laquelle elle traçait enfant des petites fleurs. « A la maison, on parlait du Corbusier, ses réalisations, le modulor, la Cité radieuse », détaille-t-elle. Les voyages, la famille aussi les aborde par l’architecture. Quand ils viennent en France, ils partent visiter la chapelle de Ronchamp. De quoi, forcément, nourrir sa curiosité sur le travail de Claude Gros. « Je ne connaissais pas son œuvre, précise celle qui est ensuite devenue l’assistante de sa mère architecte, en Algérie, mais ça m’intéressait de voir les réalisations de cet homme qui avait réveillé Marseille avec Pouillon. » Photographe d’art, Aleksander avait de son côté traité, quelques années plus tôt, des photos des bâtiments de Gros, à l’occasion d’une rétrospective consacrée à Pouillon. Avec Claude Gros, les échanges sont pointus. Les « problèmes du bâtiment » sont souvent évoqués, mais pas seulement. « On parlait de tout, d’urbanisme, de financement, de politique aussi. » Parfois, la conversation vire à la discussion de spécialistes. « Je lui disais que je trouvais extraordinaire ce qui avait été fait pour l’insonorisation acoustique, avec l’utilisation du gravier de marbre. Il n’y a pas un son d’un étage à l’autre, rien ! » L’architecte marseillais avait sans doute apprécié la pertinence de cette remarque. Ce détail, les Rabczuk le connaissaient pour avoir cassé le sol de leurs deux appartements rassemblés, afin d’y enterrer la tuyauterie du chauffage... A leur arrivée au début de la décennie 90, Julia et Aleksander Rabczuk s’étaient lancés dans de grands travaux pour fusionner les deux appartements. Dans l’idée des concepteurs de Kalliste, les finitions intérieures revenaient aux habitants, charge à chacun d’aménager comme il le souhaitait son chez soi. Contrairement à la structure et l’extérieur, les finitions étaient standard,
« À plusieurs reprises, on disait qu’il viendrait, sourit Julia Rabczuk, installée dans son salon. Après, soit l’ascenseur était en panne, soit il n’était pas en forme, et ça tombait à l’eau. » A croire que le sort s’acharnait pour empêcher l’architecte de revenir sur les lieux où, 60 ans plus tôt, il avait édifié cette cité baptisée du surnom que les Grecs avaient donné à la Corse : « la plus belle de toutes ».
Ces immeubles mal-aimés promis à la démolition, quelle est leur part de responsabilité dans la situation actuelle ? Sont-ils juste bons à d é t r u i r e , d é m o l i r, r a s e r, d y n a m i t e r ?
même plutôt low cost. Un seul exemple : la taille des salles de bains ne permettait pas d’installer une vraie baignoire. A défaut, on en avait posé une en fonte de 50 cm, très peu profonde. Chez les Rabczuk, c’est le grand chantier pendant une année et demie. Ils redéfinissent les espaces, le nombre de pièces, abattent les cloisons en placoplatre, découpent eux-mêmes le béton pour ménager des ouvertures dans des portions de murs maîtres – « l’ingénieur nous avait dit qu’on pouvait faire des ouvertures de 1m30 maximum », précise Julia -, ils jouent de la meuleuse, posent des fenêtres coulissantes à double vitrage, agrandissent la salle de bains et condamnent la porte d’entrée de l’appartement de droite, dans lequel ils créent leur cuisine et le salon. Dans l’appartement de gauche, ils installent une porte blindée et leurs bureaux. Près de trois décennies plus tard, les photos de ce qui fut un joyeux chantier donnent l’impression d’une performance, mélange de punk’art époque post-soviétique (celle de la chute du mur de Berlin) au cœur de la Méditerranée et des quartiers nord de Marseille ! LE RENDEZ-VOUS MANQUÉ Les dernières années, Claude Gros était resté actif. Celui qui était aussi le père du Saint-Georges envisageait de documenter son œuvre. Il avait proposé à Aleksander Rabczuk d’aller avec lui sur tous les lieux où il avait travaillé, partout dans Marseille, armé de son boitier. Mais le poids des années, la fatigue et ses difficultés à se déplacer avaient eu raison de cet élan. Sur la fin, cette relation était devenue essentiellement épistolaire. Et l’état de santé de l’architecte avait imposé quelques adaptations, le vieil homme ayant quasiment perdu la vue. « Il disait qu’il n’y voyait plus, confirme Julia. Alors, j’écrivais mes courriers avec des polices de caractère énormes. » En retour, Claude Gros laissait son jeune confrère et assistant écrire à sa place. En janvier 2014, le ministre de la Ville s’était déplacé à Kalliste pour parler de rénovation urbaine. Sur la photo officielle, pas de trace du concepteur du parc. Et la délégation, composée d’huiles locales et de journalistes ravis de s’offrir ainsi embedded le frisson d’une promenade dans les quartiers nord, avait fait le tour du propriétaire en se passant de ses commentaires. Claude Gros avait pourtant confirmé sa venue aux services du protocole de la préfecture. Cette fois, cette absence incombait à son téléphone portable resté... déchargé.
TUTELLE VS AUTOGESTION Claude Gros avait une idée précise sur la nature du mal dont souffrait son bébé. A ses yeux, la qualité du bâtiment n’était pas en cause. Dans le courrier qu’il avait adressé au ministre quelques jours après le rendez-vous manqué de janvier 2014, il condamnait la façon dont le parc avait été géré arrivé à l’âge adulte, la vraie raison pour lui de ce déclassement. « Pour que cette situation ne puisse plus se reproduire », il suggérait à François Lamy de prendre « une ordonnance visant toute société de logements locatifs ayant été tout ou partiellement financée par l’Etat », afin que ces groupes d’habitation « ne puisse[ent] être récupéré[s] à l’issu du prêt que par un organisme HLM ou équivalent ». Sa religion était donc arrêtée : pour un ensemble de la dimension de Kalliste, nul salut en dehors d’une gestion sous tutelle des pouvoirs publics. A défaut, c’était la chute assurée. Parce que les populations les plus pauvres et les plus démunies sont en réalité incapables de s’autogérer. Quand elle travaillait avec sa mère, architecte pour les Ponts et chaussées à Oran, Julia Rabczuk avait pu observer de l’autre côté de la Méditerranée la façon dont les pouvoirs publics géraient la question des banlieues. Avec une vraie réflexion urbanistique, pour ces quartiers entiers qui avait poussé dans les grandes villes algériennes dans les années 80. Des observations qui font écho aux réflexions de Gros : « Le développement des anciens bidonvilles dans les ceintures des grandes villes était très encadré, on donnait progressivement les parcelles pour que chacun construise son pied-à-terre avec ses petits moyens. Ici, on s’est contenté de mettre les gens dans les immeubles, en voulant les laisser s’autogérer. Résultat, on saccage et personne n’est responsable de son habitat. C’est délirant, on dirait que rien n’a jamais été fait. Pourtant, cette question a été largement étudiée dans les années 60. Dans les magazines d’architecture et d’urbanisme de l’époque, on trouve des numéros entiers sur ce sujet. C’était LE grand sujet urbanistique mondial… » Claude Gros était né en 1925, à une époque où Marseille, plus encore qu’aujourd’hui, était un village. Sur les registres et les livres d’architecture, cette mention figure, en face de son nom : « Mouvement Moderne ». S’il était justement moins connu – nettement – du grand public que celui d’un Fernand Pouillon, l’ancien élève de Castel avait bien été un de ceux qui avaient fait la ville telle qu’elle est aujourd’hui. Le Marseille des tours, des barres, des grands ensembles, des quartiers nord principalement, mais pas seulement. Chez ceux qui avaient vécu cette époque fiévreuse et pressée, ce Marseille de la reconstruction des années 1955-1975 – ces « 20 années formidables », comme Thierry Durousseau les qualifie dans un petit livre essentiel paru chez Bik&Book (Ensembles & résidences à Marseille) –, on aimait dire des architectes comme lui qu’ils avaient travaillé, c’est-à-dire construit, bâti, réalisé, pendant que Pouillon avait vécu. C’était sans doute un peu exagéré, le grand Fernand ayant laissé aussi une trace indélébile, ne serait-ce qu’avec ses immeubles signatures du Vieux-Port. Mais la formule était jolie, et elle comportait aussi une part de vérité. Ces hommes-là avaient quoi qu’il en soit contribué à forger le paysage de la ville. Claude Gros était assurément un des leurs. Il est mort le 26 janvier 2016. Il avait 90 ans. Il a été enterré au cimetière de Saint-Pierre. INFLUENCES
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expos YAC I NE AOUA D I • P. 6 8 JOË L A S S UI E D • P.72 C L É ME N T I NE C A R S B E R G • P.74 P I C A S S O AU MUC E M • P. 8 0
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Des créations constellées de tatouages brodés en trompe-l’oeil... Car le Marseillais Yacine Aouadi a le “13” dans la peau.
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YACINE AOUADI
ENTRE INFLUENCES ET SUPERSTITIONS Dior, Chanel, Soulages… Et les quartiers nord de Marseille. S’il a fait son entrée dans le monde prestigieux des défilés haute couture parisiens, le jeune couturier Yacine Aouadi n’a renié aucune de ses influences. Peut-être par superstition. Plus certainement parce qu’elles constituent l’inspiration de 13’015, sa première collection, présentée cet été au Mucem et au Musée Borély.
«
Photos : Grégory Harris
Cette première collection est véritablement une naissance, survenue après neuf mois de conception et baptisée sous le signe d’un anagramme constitué du nombre de la chance, le 13, et de l’abréviation de 2015 (« 015 »), l’année où tout a commencé, composant ensemble le code postal 13015, celui des quartiers nord de Marseille, où je suis né. » Yacine Aouadi Comme toutes les naissances, celle-ci porte en elle un espoir. Et parce que tout espoir est marqué de mystère jusqu’à sa réalisation, la première collection de Yacine Aouadi est imprégnée de superstitions. Certaines, évidentes, comme le nombre « 13 », d’autres plus subtiles, à rechercher au plus profond de la couleur noire et de ses milles nuances, ou dans les tatouages brodés en trompe-l’œil qui ornent les créations du couturier.
Formé à l’école de mode parisienne Berçot, Yacine Aouadi (né en 1980) a fait ses armes chez Balmain avant de fonder sa propre maison l’année dernière. Fasciné par l’artisanat et les métiers d’art, il choisit de se tourner vers la haute couture. Aouadi Paris présente sa première collection, 13’015, en juillet 2015 : 13 silhouettes d’une ligne féminine urbaine aux accents victoriens, où les robes en drap de laine se voient constellées de tatouages brodés en trompe-l’œil. Une proposition marquée par l’empreinte de l’artiste Pierre Soulages, auquel le créateur a souhaité rendre hommage à travers un travail sur le noir et le ton sur ton.
« Des robes en drap de laine constellées de t a t o u a g e s b r o d é s e n t r o m p e - l ’œ i l » Pour qui veut décrypter l’œuvre de Yacine Aouadi, il est possible, cet été, de mener à l’enquête à travers deux expositions proposées par la Maison Méditerranéenne des Métiers de la Mode (MMMM). Les 13 pièces de sa première collection, 13’015, sont en effet visibles au Mucem (fort Saint-Jean), où sont présentées 8 créations, et au Musée des arts décoratifs et de la mode (au Château Borely), qui en expose 5 autres, en miroir avec les œuvres des grands maîtres qui ont inspiré le Marseillais (Azzedine Alaïa, Christian Dior, Gabrielle Chanel, etc.). INFLUENCES
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DANS L’OEIL DE . . .
JOËL ASSUIED Joël Assuied est actuellement à l’affiche de deux expositions. La première, à découvrir au fil des pages de ce magazine, dont il est le photographe. La seconde est visible jusqu’au 2 septembre à Raboniak (21, rue Edmond Rostand, Marseille 6e). Ci-dessous, le mot de l’artiste.
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Photographe professionnel, j’exerce ce métier depuis plus de quinze ans mais pratique la photo depuis bien plus longtemps. Dans ma démarche personnelle le paysage revient souvent. Naturel ou urbain, local ou lors de voyages, c’est l’un de mes sujets favoris. Pour cette exposition, j’ai réalisé une série d’images de bâtiments. Banals ou originaux, ils prennent une autre dimension lorsqu’on les regarde sous un angle différent. Volontairement, je n’ai pas précisé les noms de ces édifices ou de ces lieux que je laisse au visiteur le soin de deviner. Cette série de photos a été réalisée à Marseille et Paris, deux villes qui offrent une variété architecturale extraordinaire. Il faut simplement prendre le temps de lever les yeux pour découvrir cette richesse insoupçonnée. »
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Monuments d’archives, 2015
Boîtes d’archives papier peint 470 x 640 x 415 cm Réalisé avec le soutien du groupe RAJA
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CLÉMENTINE CARSBERG
LES FORS INTÉRIEURS Sculptures monumentales ou collages méticuleux, les œuvres de Clémentine Carsberg révèlent une architecture aussi complexe que fragile. Accueillie en résidence au 3 bis f, le centre d’art de l’hôpital psychiatrique Montperrin (Aix‑en‑Provence), elle y a créé et exposé, en 2015, Les Fors intérieurs. Un travail que la plasticienne commente et documente aujourd’hui pour Influences, en attendant sa prochaine exposition au Pavillon de Vendôme (Aix-en-Provence) en mars 2017, et le catalogue à paraître dans la foulée chez Bik et Book éditions.
© JC Lett
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Pour, avec, dans… les espaces du 3 bis f, j’ai voulu suggérer des histoires par leurs traces, créer des indices d’architecture, d’archéologie, de ruine, de présences. Associer espace physiquement présent et potentiel imaginaire enfoui. Il y a des boîtes, du parquet, des protubérances, du papier. Les liens de lieu opèrent. Des pièces montées émergent à force de sur place. Construire puis habiter un site de vestiges de monuments (un 6 pièces) ; ou un mono aménagement pour un duo de cellules ; voir ses pièces en personne, et aux détours du monumental, une série de collages, collés contre, au mur. Des hypothèses affleurent au travers des hésitations, du regard à double sens et des multiples temps de la perception. L’espace transpire des traces et des apparitions. Des temporalités, des saisons, réelles ou sensorielles, se mélangent, s’accommodent et cohabitent le temps de l’exposition. »
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Monuments d’archives, 2015
Boîtes d’archives papier peint 470 x 640 x 415 cm Réalisé avec le soutien du groupe RAJA
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Paysage de saison 09/10
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© JC Lett
Papier (affiche de saisons passées du 3 bis f, création L.Garbit) contrecollé sur dibond 91 x 68 x 5 cm
Paysage de saison 07
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© JC Lett
Papier (affiche de saisons passées du 3 bis f, création L.Garbit) contrecollé sur dibond 98 x 70 x 5 cm
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« Imaginer une scénographie a u t o u r d e l ’œ u v r e d e P i c a s s o réclame quelques exigences tant cette œuvre requiert, pour être exposée, un cadre dans lequel aucune extravagance f o r m e l l e n ’e s t p e r m i s e » 74
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JACQUES SBRIGLIO
COMMENT EXPOSER PICASSO ? L’architecte Jacques Sbriglio a signé la scénographie de l’exposition estivale du Mucem Un génie sans piédestal, Picasso et les arts & traditions populaires. Il livre, dans ce texte, les principes qui ont guidé son travail. Photos : Joël Assuied
« Picasso conduisait les spectateurs à examiner la cohérence interne de son art. Au lieu de placer son travail de façon à tracer une évolution d’une période à une autre distincte, il brouillait la trajectoire d’abord en contredisant toute progression simple et en attirant l’attention à la fois sur la consistance remarquable des sujets et sur la variété de ses interprétations… On peut dire que l’accrochage était en soi une œuvre d’art. » Michael Fitzgerald, à propos de la rétrospective Picasso organisée par luimême à la Galerie Georges Petit à Paris en 1932. Cité par Pierre Daix dans Pablo Picasso, éditions Taillandier 2007.
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xposer Picasso à Marseille, et qui plus est, dans le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, recouvre plus d’une signification. D’abord autour de la biographie de ce peintre qui, de Malaga en passant par Barcelone et la Côte d’Azur, aura choisi cette terre d’élection, la Méditerranée et sa lumière, pour y développer une partie importante de son œuvre. Ensuite parce que, comme l’indique Pierre Daix, un lien particulier lie Picasso avec Marseille où en compagnie de Braque il vient, au cours de l’année 1912, visiter les nombreuses boutiques coloniales présentes dans cette ville afin d’acheter des masques africains et autres objets d’art nègre, dont on va retrouver les influences dans la peinture qu’il va mettre en œuvre au cours des années qui vont suivre. Mais au-delà de ce préambule, imaginer une scénographie autour de l’œuvre de Pablo Picasso réclame quelques exigences tant cette œuvre, célébrissime par-delà les années, requiert, pour être exposée, un cadre dans lequel aucune extravagance formelle n’est permise, de même que tout effet de matières ou de couleurs. En effet, la force d’expression de ces œuvres est telle que celles-ci parlent d’elles-mêmes, obligeant ainsi le contenant à s’effacer derrière le contenu. Pour ce faire, la scénographie proposée ici autour du thème « Picasso et les arts et traditions populaires » prend son sens autour de trois idées clefs. La première construit un parcours en résonance avec l’architecture du Mucem connue sur le principe d’une ziggurat reliant le port à la ville. La deuxième séquence se déroule
au fil des différentes sections de cette exposition à partir de la mise en place d’une série d’icônes spatiales définissant le cadre de chacune de ces sections. La troisième organise une sorte de portrait croisé entre les œuvres de Pablo Picasso et les objets référents issus des collections du Mucem, sans que jamais le visiteur puisse les confondre. Quant à l’ambiance lumineuse de cette scénographie, elle exalte le blanc en opposition avec les ambiances crépusculaires des espaces du Mucem mais également en référence à l’œuvre de Picasso qui a parcouru toutes les étapes, et même au-delà, de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’art moderne. Quatre sections rythment la visite de cette exposition. La première, qui correspond à la séquence d’entrée, intitulée : « Picasso et la vie quotidienne : racines », rappelle les liens existant entre l’œuvre de Picasso et les rites et traditions populaires. Elle est symbolisée ici par un espace pensé comme un petit oratoire. La deuxième, « Objets et thèmes fétiches », en référence aux thèmes de la musique, du cirque ou de la tauromachie – si présents dans l’œuvre du peintre –, est dominée par la figure circulaire de l’arène et / ou de la piste qui vient s’inscrire comme le centre de gravité de la composition d’ensemble de cette scénographie. La troisième, nommée « Les techniques et leurs détournements », enchaîne une suite d’espaces ordonnée autour de la céramique, qui constitue, de par le nombre d’objets présents, un des espaces majeurs de cette exposition. Enfin la quatrième et dernière section, « L’objet matériau », se présente sous la forme d’une grande galerie de sculptures, ouverte sur la Méditerranée visible depuis cette salle au travers de la résille de la façade du Mucem, comme un dernier clin d’œil à la mantille, si chère à la mémoire de la culture hispanique.
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PARADIS EN L’AIR MARSEILLE 8 E CARRÉ D’OR
850.000 €
A VIVRE / Architecture début XX°, superbe appartement traversant traité contemporain de 178 m 2 au 7ème et dernier étage avec une vue incroyable. Parti pris noir & blanc, beaux matériaux et prestations haut de gamme, 3 chambres, box en location. DPE NC
ÉMOTION INTÉRIEURE MARSEILLE 6 E PARADIS
680.000 €
A VIVRE / Architecture classique fin XIXe, majestueux appartement d’angle de 246 m 2 perché au dernier étage. Il présente tous les attributs du grand bourgeois et une rénovation contemporaine mais fidèle. 5 chambres, balcon filant, une 6ème chambre sous charpente. DPE C/B
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ARCHIK 50 rue Edmond Rostand • 13006 Marseille Tél. : 04 91 37 39 37 • www.archik.fr 78
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#5
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ÉVASION URBAINE MARSEILLE 6 E VAUBAN
650.000 €
A VIVRE / Architecture vernaculaire, appartement au style bohème en duplex de 135 m2. Havre de verdure et de tranquillité, avec son jardin de 70 m2, sa terrasse suspendue et sa maison en fond de cour. Déco, lumineux et charmant ! 3 chambres, cave et place de parking en sus. DPE B/C
THE COLLECTIONNIST MARSEILLE 4 E
CINQ AVENUES
975.000 €
A VIVRE / Architecture des années 30, belle maison de charme familiale de 270 m² habitables (dont 40 m² de sous-sol aménagé), sur un terrain arboré de 740 m², au calme et à l’abri des regards. Mitoyenne, édifiée sur trois niveaux, elle allie raffinement & design. 4-5 chambres, un abri de jardin, garage, parking 3 voitures. DPE C/D
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ARCHIK 50 rue Edmond Rostand • 13006 Marseille Tél. : 04 91 37 39 37 • www.archik.fr
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ENTRE MER ET VIGNE CASSIS
2.725.000 €
Dominant un vignoble Cassidain avec une superbe vue mer, cette propriété de 4000m² avec son héliport est une véritable invitation au voyage. Elle se compose d’une villa à l’esprit balinais ponctuée de nombreuses terrasses dont une suspendue. D’immenses baies vitrées illuminent la cuisine équipée très haut de gamme ainsi que la vaste pièce à vivre qui se compose d’un salon et d’un espace bureau. Au même niveau se trouvent 2 chambres, chacune équipée de salle de bain avec toilette. La suite parentale se trouvant à l’étage. Par une allée qui longe la maison, on accède à la piscine zen et ses espaces de repos. Lumière, transparence, volumes et évasion caractérisent cette maison. A l’abri des regards se trouve une dépendance de 60 m² avec son jardin sa terrasse et son jaccuzzi ( possibilité de location saisonnière). A proximité du centre ville de Cassis, de son marché, ses commerces et ses plages. Un Bijou dessiné à la francaise au style contemporain & au charme Balinais . Isolée , luxueuse & sublime CONTACTEZ-NOUS
CÔTE & VILLE 10 La Canebière • 13001 Marseille Tél. : 07 82 07 32 18 • www.coteetville.com 80
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COIN DE PARADIS SAINT-CYR
PRIX : NOUS CONSULTER
A deux pas de la plage des Lecques et de la Calanque de Port d’Alon , cette villa d’architecte de 390m² s’ouvre sur un terrain d’environ 5 000 m² boisé et protègé . Création contemporaine amenagée avec soin dans un esprit de Maison de haute couture . Au Rez de chaussée , la villa possède un grand espace à vivre de 170m² avec piscine interieure traitée chauffée et équipée d’un rétroprojecteur . Salon , salle à manger , salle de massage , cuisine travaillée facon brut et une terrasse viennent compléter la premiere partie du Rdc . Deux suites parentales face à la pinède avec 3 salles de bains et 2 wc sont également disponibles de plain pied . Deux autres Chambres accessibles depuis le maison ou le jardin sont situées à l’étage et se partagent un salon intérieur avec Cheminée ainsi une grande terrasse de 160m² avec vue imprenable sur les Falaises de la Cadières . Un studio attenant avec salle d’eau vient complèter le bien . 5 Chambres avec 6 salles de bains et 6 WC . Le bien est classé en résidence de tourisme 5 étoiles et possède donc de nombreux avantages fiscaux ( Il rapporte environ 95 000€ par an en location saisonnière de juin à septembre ) Au calme ABSOLU , sans aucun vis à vis et Isolé . Ce bien est très rare et vous reserve encore de nombreuses surprises . Design By M.Klein CONTACTEZ-NOUS
CÔTE & VILLE 10 La Canebière • 13001 Marseille Tél. : 07 82 07 32 18 • www.coteetville.com 82
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