8e art magazine n°36

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8e art magazine • hiver 2016


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8 e art magazine • hiver 2016


8e art est une publication trimestrielle de ZAC St Martin - 23, rue Benjamin Franklin 84120 PERTUIS Tél. 04 90 68 65 56 Numéro ISSN : 2267-4837 Dépôt légal : Janvier 2016

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE Retrouvez nous sur :

WWW.8E-ART-MAGAZINE.FR

# 36

Hiver 2016

Directeur de la publication : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr Rédactrice en chef : Emmanuelle Gall e.gall@8e-art-magazine.fr Direction artistique : Jonathan Azeroual j.azeroual@8e-art-magazine.fr Ont collaboré à ce numéro : Joël Assuied, Julie Bordenave, Cédric Coppola, Fred Kahn et Olivier Levallois. Service commercial : 06 09 01 66 00 Conception et réalisation : Média Print La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution.

CANEBIÈRE

2016 ?

Par Emmanuelle Gall, rédactrice en chef

A

près la fermeture définitive, le 31 décembre dernier, de l’Espace Culture, au n° 42 de la Canebière, on vient d’apprendre que le nouveau président du Conseil régional, Christian Estrosi, avait décidé de mettre en vente la Maison de la Région, située, elle, au n° 61. Avec la disparition du premier, les Marseillais perdent, au-delà d’une adresse centrale offrant les services cumulés d’un lieu d’information, d’une billetterie et d’un espace d’exposition, un opérateur culturel historique, qui produisait notamment les Rencontres d’Averroès et la Biennale des jeunes créateurs. Si ces manifestations devraient pouvoir survivre en trouvant de nouveaux partenaires, le lieu, lui, ne semble pas destiné à conserver une vocation culturelle. Quant à la Maison de la Région, elle aura programmé, pour le seul mois de janvier 2016, pas moins de 7 conférences, 4 projections, 1 spectacle et 3 rencontres ou ateliers, tous gratuits… À l’heure où la transformation « pôle Canebière-Feuillant » (situé aux 46 et 48, la Canebière) en hôtel quatre étoiles est officiellement annoncée pour 2017, que nous réserve-t-on à la place de l’Espace Culture et de la Maison de la Région ?

En couverture.

Antony Duchêne, Verres à nez, 2015. Série de 60 verres, pièces uniques de dimensions variables réalisée au CIAV de Meisenthal, photographiés par Jean-Christophe Lett. Lire p.23. 8e art magazine • hiver 2016


SOMMAIRE

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE

#36

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DOSSIER

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SPECIAL CUISINE LA RENCONTRE / Angelin Preljocaj,

« l’extension du domaine de la danse »

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LA PHOTO

Avez-vous perdu le Nord ?

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Hiver 2016

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ACTUS

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L’OEUVRE / Marius

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Dans l’atelier d’Emmanuel Perrodin

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Art et cuisine : nourritures spirituelles

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Marie-Jo Ordener, femme-orchestre

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La création, selon Alexandre Mazzia

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Du vin et de l’art

60

Morceaux choisis de la Salle des Machines

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PORTFOLIO

74

L’ÉVÉNEMENT

LE RESTAURANT / Maison Geney

76

SCÈNES

« Salé, sucré, cuisiné » et plébiscité

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MUSIQUES

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EXPOS

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ENFANTS

À la table de Raimu

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L’ENDROIT / Bibliothèque Armand Gatti

Maison de théâtre

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L’ARTISTE / Antony Duchêne

Chasseur-cueilleur d’images

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L’OBJET / La Minotte

La bière de la Bonne-Mère

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L'ART AUX FOURNEAUX

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LE FESTIVAL / Biennale des écritures du réel

Au théâtre de la vie

Eric Bourret / Et l’espace fera de moi un être humain

28 LE FILM / C’est quoi ce travail ?

Le travail, c’est (aussi) de la musique ?

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LA BALADE / Arty balades

Suivez les arty guides à Marseille

Phia Ménard : de l’âpreté d’être humain


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LA RENCONTRE

ANGELIN PRELJOCAJ,

« L’EXTENSION DU DOMAINE DE LA DANSE »

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© Jörg Letz

Propos recueillis par Fred Kahn


Angelin Preljocaj

P

aru cet automne, un livre copieusement illustré revient sur les trente ans de carrière d'Angelin Preljocaj et conclut en beauté cet anniversaire marqué par une riche programmation, bien au-delà du Pavillon noir. Rencontre avec un chorégraphe qui n'a eu de cesse de repousser les limites de la danse et un artiste qui, en toute humilité, cherche toujours à se surprendre... Et ne cesse ainsi jamais de nous étonner. Que ressentez-vous quand vous feuilletez cette biographie ? Ce livre m'apporte du recul. Je le regarde comme un puzzle dont les pièces qui étaient jusqu'à présent éparses prennent forme. Même si le sens global du dessin m'échappe toujours. On me demande souvent mes impressions sur ces trente ans de carrière. Je n'ai pas le sentiment de regarder en arrière, mais plutôt de me projeter vers l'avant. Comme si ce parcours passé m'indiquait une direction. Certaines préoccupations ou thématiques semblent revenir de manière récurrente dans votre travail : la dimension politique, la mythologie, l'univers du conte, l'aspiration à la transcendance, l'érotisme... Et vous mettez ainsi souvent en jeu des matériaux très disparates, a priori incompatibles. Je croise, en effet, des sources d'inspiration très diverses. Je considère par exemple, l'érotisme comme une puissante force créatrice. Quant à la dimension universelle de la mythologie, elle m'interpelle fortement. J'essaie également d'être à l'écoute du monde et ça transparaît forcément dans mes spectacles. Les collaborations avec

LA RENCONTRE

des écrivains, des peintres, des couturiers, des musiciens, sont aussi essentielles pour moi. Du coup, les formes de vos propositions sont très variées ? En effet, certains projets sont très abstraits, parfois âpres et relevant de l'écriture de mouvements purs. Par contre, d'autres spectacles, je pense notamment à Blanche Neige, sont résolument populaires. Mais, souvent, des gens qui viennent voir ces spectacles dits « grands publics » prennent ensuite le risque de se confronter à des propositions beaucoup plus conceptuelles. Et j'ai parfois des retours absolument bouleversants. Cette extension du domaine de la danse me plaît énormément. C'est donc dans les grands écarts que s'inscrit la cohérence de votre parcours ? J'ai besoin de me dérouter. Dostoïevski disait : « Je m’attelle toujours à des sujets qui me dépassent ». Je pense que le grand danger pour un artiste consiste à entrer dans une sorte de routine, de s'autociter, de reproduire les mêmes schémas. Pour éviter cette ornière, il faut se lancer des défis... Même s'ils sont parfois insurmontables. Est-ce une démarche consciente ? Je n'arrive pas à dissocier quelle est la part d'instinct et quelle est la part d'intelligence dans la création artistique. Je pense que les deux approches sont nécessaires et complémentaires. En tout cas, vous n'étiez absolument pas prédestiné à devenir chorégraphe ? Comment avez-vous forcé le destin ? Je suis issu d'un milieu qui était complètement hermétique à la danse. Ce fut la première « obstruction » à laquelle je me suis heurté. Mais les contraintes forcent toujours l'artiste à se remettre en question. En ce qui concerne ma relation au corps, il y avait sans doute une nécessité, une évidence. Je pense aux prisonniers, 8e art magazine • hiver 2016

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Angelin Preljocaj

« J'AI BESOIN DE ME DÉROUTER. DOSTOÏEVSKI DISAIT : JE M’ATTELLE TOUJOURS À DES SUJETS QUI ME DÉPASSENT. » aux gens en état d'incarcération, ils se retournent vers leur corps, car c'est le dernier territoire qui leur reste. Je n'avais aucun outil culturel à ma disposition, alors j'ai utilisé mon corps comme un enjeu d'introspection et de découverte du monde. Le Pavillon noir à Aix-en-Provence, véritable maison de la danse, enracine votre démarche artistique dans le territoire. Il traduit également la dimension sociale de votre projet puisque 63 personnes, dont 24 danseurs permanents, travaillent dans ce lieu. C'est un vrai bonheur de voir tous ces gens travailler pour la culture, pour la danse. N'oublions pas que la moitié de notre budget est apporté par le fruit du travail de la compagnie, la vente de nos spectacles, les coproductions. Sans cette source de revenus, nous ne pourrions pas assurer la programmation artistique du lieu. Car le Pavillon noir ne reçoit pas de subvention pour l'aider à diffuser des spectacles. Vous êtes donc condamné au succès ? Cette responsabilité me dynamise. Elle me donne une forme de clairvoyance sur le monde. Je ne le regarde pas uniquement comme un terrain de rêve, je dois le concevoir tel qu'il est, dans toute sa complexité, avec tous ses ressorts politiques, 8

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économiques, sociaux... Et je dois inscrire mon projet dans cette réalité. Actuellement, vous réalisez un film... Je travaille, en effet, avec Valérie Müller, sur un long métrage, une adaptation d'une bande dessinée, Polina, de Bastien Vivès. Il s'agit d'une œuvre de fiction, avec notamment Juliette Binoche. L'approche artistique est forcément très différente. Mais le film, qui devrait sortir en salle au printemps, se déroule quand même dans l'univers de la danse. Vous continuez donc à explorer des territoires nouveaux ? C'est une question de survie. Sinon, je serais artistiquement mort depuis longtemps.

30 ANS DU BALLET PRELJOCAJ

Préface : Michel Archimbaud Introduction : Paul-Henry Bizon Entretiens de Paul-Henry Bizon avec Angelin Preljocaj Éditions de La Martinières, 256 pages, 49 €.

© Jean-Claude Carbonne

LA RENCONTRE


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© Perrine Détrie

LA PHOTO

AVEZ-VOUS PERDU LE NORD ? Et si en 2016, dans les quartiers nord, quelques rêves pouvaient enfin se concrétiser… Cette image de Perrine Détrie, aujourd’hui exposée au Château de Servières, lui a été inspirée par une longue résidence dans le centre social Saint Gabriel Canet Bon Secours. « En novembre 2014, un appel à projet circule sur la toile marseillaise. “Trem­plins, expressions artistiques en milieu urbain”. Ils cherchent des artistes. Quartiers nord de Marseille, création personnelle, ateliers avec les habitants. L’appel de l’inconnu me happe. Je décide de participer à l’appel à projet malgré l’incertitude de son issue. Je cherche des réponses à toutes mes interrogations : réfléchir à ce qu’un artiste peut apporter à un territoire, comment faire pour rencontrer les habitants, comprendre une population ? Comment nouer des liens, des discussions, faire des expériences ensemble ? Comment produire de l’art contemporain dans ce contexte ? Le grand écart est-il possible ? Quelle légitimité aurai-je à m’exprimer sur ces lieux qui me sont inconnus ? » Un an et quelques mois plus tard, son projet Avez-vous perdu le Nord ? est devenu un livre et partage les cimaises de La Famille élastique, l’exposition à laquelle participe également Aurélien Lemonnier. Jusqu’au 27 février. Château de Servières, 19, boulevard Boisson, Marseille, 4e. 04 91 85 42 78. Entrée libre.

www.chateaudeservieres.org

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ACTUS

en bref

LE DAKI LING SAUVE LES MEUBLES

© Chedlyz

On a eu chaud, mais générosité et mobilisation ont payé. Un temps menacé financièrement, le Daki Ling repart sur de bonnes bases pour 2016. Le soutien de l’automne a porté ses fruits : des artistes ont joué bénévolement, une campagne de récolte de dons a eu lieu sur Internet, banque et collectivités (mairie et département) ont mis la main à la poche pour des rallonges exceptionnelles. Sans oublier deux mémorables soirées de ventes aux enchères, avec des objets gracieusement cédés par des artistes passés par là : string, guitare, bouteille de bière, pistolet factice... Un inventaire loufoque, à l’image de la programmation éclectique et pleine de panache de la salle, qui propose le meilleur du burlesque contemporain, depuis 2001, en plein Noailles. Pierre Pilatte, Caroline Obin, Arnaud Aymard, Michel Dallaire sont passés par là... La saison repart donc de plus belle en ce mois de janvier : stages (clowns, théâtre, écriture...), matches d’improvisation, sorties d’atelier (Maboul Distorsion les 11 et 12 mars ; Cahin Caha le 7 avril). Mais aussi la onzième édition de Tendance Clown, incontournable festival printanier, qui se tiendra cette année du 5 au 15 mai. But Daki Ling still needs you. Deux types d'abonnements existent pour la saison en cours : une carte virtuelle de 50 €, non nominative, qui donne droit à 60 € de spectacles et une formule illimitée à 150 €. Pour que (sur)vive la culture ! Daki Ling, le jardin des muses 45, rue d’Aubagne, Marseille, 1er. 04 91 33 45 14

www.dakiling.com 12

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cinéma

© Vivian Maier/Collection John Maloof/Courtesy Hiward Greenberg Gallery, New York/Les Douches La Galerie, Paris

ACTUS

CINÉ-CITÉ-PHILO « Que devient notre propre identité quand la recherche d'une image optimale produit une icône, un autre que soi-même ? » À l’heure des selfies et de la mise en scène de l’intimité sur les réseaux sociaux, la question mérite d’être posée. Le principe de la manifestation organisée par la bibliothèque Méjanes, l’Institut de l’Image et l’Université populaire du Pays d’Aix est séduisant : elle propose trois rencontres, suivies de trois projections, sur le thème de l’image de soi. Le 15 janvier, le psychanalyste Gérard Bonnet évoquera la « tyrannie du paraître ». Dans la foulée, les spectateurs pourront voir ou revoir Fedora de Billy Wilder (1978). Le 26 février, la sociologue Claudine Sagaert proposera une « histoire de la laideur féminine », suivie de la projection de Passion d’amour d’Ettore Scola (1981). Enfin, le 24 mars, le critique et historien de la photo Robert Pujade donnera une conférence intitulée « Soi-même autant qu'étrange : la photographie dans son rapport à soi ». La soirée se poursuivra avec À la recherche de Vivian Maier, un film de John Maloof, sorti en salles l’année dernière. Les 15 janvier, 26 février et 24 mars, 18h30 et 20h30. Cité du livre, 8-10, rue des Allumettes, Aix-en-Provence. 04 42 91 98 88. 3,5 €.

www. aixenprovence.fr

PRIMED Organisée par le Centre Méditerranéen de la Communication Audiovisuelle (CMCA), une association qui regroupe des organismes de télévision du bassin méditerranéen, la 19e édition du Primed (Prix International du Documentaire et du Reportage méditerranée) s’est déroulée, du 5 au 12 décembre dernier, à la Villa Méditerranée, au MuCEM et à la bibliothèque de l’Alcazar. Le temps pour le jury professionnel, présidé par Reda Benjelloun (de la chaîne marocaine 2M), de visionner et départager les 24 films en compétition. Déjà récompensé par le Prix Albert Londres, Voyage en Barbarie, le documentaire de Cécile Allegra et Delphine Deloget consacré à la traite dont sont victimes les réfugiés érythréens dans la région du Sinaï, a reçu le Grand Prix du Documentaire. Parmi les six autres films distingués, Patience, patience, t’iras au paradis ! de Hadja Lahbib et Speed sisters de Amber Fares ont fait l’unanimité en remportant respectivement deux et trois prix.

DR

www. primed.tv

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à suivre

© theatreducentaure.com

ACTUS

LE THÉÂTRE DU CENTAURE DÉMÉNAGE Le 20 novembre dernier, la première pierre symbolique du futur théâtre du Centaure était posée dans le parc de la Jarre, à la Cayolle. L’emplacement, au cœur d’une zone en phase de rénovation urbaine et aux portes du Parc National des Calanques, est stratégique. Vingt après leur installation à la Campagne Pastré, Camille, Manolo, leur équipe et leurs chevaux se voient offrir par la mairie un terrain viabilisé, sur lequel ils implanteront progressivement leurs roulottes, un « chapiteau-volcan » conçu par l’architecte Patrick Bouchain, des écuries et pavillons en bois réalisés par des charpentiers indonésiens. Entièrement composé de bois de récupération, l’ensemble formera « un palais de bois sculpté », ayant pour vocation de devenir « un lieu d’expériences artistiques et culturelles, ouvert aux habitants, aux acteurs du territoire et partagés avec centaures, poètes, chercheurs, créateurs, scientifiques… » Inauguration prévue à l’automne.

© François Moura

www.theatreducentaure.com

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LE COUP DE CŒUR DES MÉCÈNES DU SUD « L’exposition comme entreprise, comme scénario, comme exposition. » Sélectionné en compagnie de huit autres lauréats pour le prix « Coup de cœur 2015 » du collectif d’entreprises Mécènes du Sud, le projet de Nicolas Giraud (entouré ici de Josée Gensollen, présidente du Comité artistique et de Jean-Marc Prévost, directeur du Carré d’art de Nîmes) a été primé le 10 décembre dernier, à l’issue d’une soirée de présentation au Silo. Comme ses prédécesseurs Moussa Sarr, Mariusz Grygielewicz et Pierre Malphettes, l’artiste bénéficie d’une dotation de 2500 € en plus de l’accompagnement financier et humain que les mécènes lui offrent, ainsi qu’à ses collègues sélectionnés : Wilfried Almendra, Éva Barto, Rémi Bragard, Vincent Ceraudo, Jean-Marc Chapoulie & Nathalie Quintane, Alexander Schellow, Yann Serandour et Benjamin Valenza. Pour suivre les projets de ces artistes et leurs développements, rendez-vous sur la page Facebook et/ ou le blog de Mécènes du Sud. www.mecenesdusud.fr www.facebook.com/MecenesduSud


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Marius

À LA TABLE DE RAIMU Fondé par Isabelle Nohain-Raimu et inauguré par Pierre Richard en septembre dernier, le musée Raimu s’est installé à Marignane. Dans cette villa du XIXe siècle, les meubles, objets et vêtements fétiches du comédien côtoient plusieurs centaines de photos, documents et manuscrits. Texte : Emmanuelle Gall

«

Quand tu me parles sur ce ton, quand tu m’espinches comme si j’étais un scélérat… Je ne dis pas que je vais pleurer, non, mais moralement, tu me fends le cœur… » On connaît la chanson, moins l’étonnante histoire de la fameuse scène de la partie de cartes. C’est Raimu qui parvint à convaincre Marcel Pagnol de la conserver, pendant les répétitions de Marius, au théâtre de Paris en 1929. Il paraît qu’après l’avoir travaillée avec ses collègues, à l’insu de l’auteur qui la jugeait déplacée dans un théâtre parisien, le comédien la joua lors d’un filage et emporta l’adhésion générale. Le même Raimu qui, quelque temps auparavant, avait choisi d’incarner César (et non Panisse) et avait demandé à Pagnol d’étoffer le rôle. Le succès de la pièce fut tel qu’Alexandre Korda tourna, en 1931, le film que l’on connaît, à une époque où le cinéma parlant était encore loin de faire l’unanimité… De la scène culte subsiste aujourd’hui la table, sûrement centenaire, à laquelle s’assirent Raimu, Fernand Charpin (Panisse), Paul Dullac (Escartefigues) et Robert Vattier (Monsieur Brun). Elle 18

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trône au premier étage du musée Raimu, entourée de photographies et de projections d’extrait de films. Ce n’est pas la seule relique du comédien. Au fil des salles, les visiteurs peuvent voir le lit king size que Raimu avait commandé à un menuisier, en raison de son mètre quatre-vingt, le costume de lin qu’il prenait soin de ne pas froisser, ou encore le porte-bonheur qu’il s’était fabriqué pendant la guerre de 14 et qui ne quittait jamais sa poche. C’est l’objet préféré de sa petite fille, Isabelle, la maîtresse des lieux, et dont la présence quotidienne rend la visite d’autant plus émouvante. Passionnée par ce grand-père et mue par une farouche volonté de cultiver sa mémoire, elle multiplie les hommages. Après avoir créé l’espace Raimu à Cogolin en 1989, elle lui a consacré un livre : Raimu, un grand enfant de génie, publié en 2014. Quand le maire de Marignane, désireux de rendre sa ville plus attractive, a proposé de mettre à sa disposition cette villa bourgeoise, autrefois propriété du cuisinier du tsar Nicolas II, elle a décidé de quitter le Var. Prévu pour 2013, ouvert en 2014, inauguré en 2015, le musée célèbrera en 2016 les soixante-dix ans de la disparition de Jules-Auguste Muraire.

MUSÉE RAIMU

27, cours Mirabeau, Marignane. 04 42 41 57 10. 3-5 €.

WWW.

musee-raimu.com

© Cinémathèque française

L'OEUVRE


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L'ENDROIT

Bibliothèque théâtrale Armand Gatti

MAISON DE THÉÂTRE

À la Seyne-sur-Mer, la bibliothèque Armand Gatti œuvre pour le théâtre en faisant acte de conservation mais aussi en accueillant des auteurs bien vivants. Texte : Julie Bordenave • Photos : Georges Perpès

L

a façade est coquette, rose et bleue, en plein centre de La-Seyne-sur-Mer. Elle abrite plus de 12 000 ouvrages consacrés au théâtre (pièces et ouvrages théoriques), accessibles en rayons pour les plus récents. Les réserves abritent des archives remontant jusqu’à 1741, consultables sur place. Particularité : Armand Gatti est une bibliothèque de conservation. « L’édition théâtrale est très fragile, à petits tirages, certains ouvrages sont introuvables, commente Georges Perpès, à la tête du lieu. Depuis 1968, les grands éditeurs type Gallimard ou Seuil se sont peu à peu désinvestis, au profit de petits éditeurs qui apparaissaient en province, comme Actes Sud ou Les solitaires intempestifs. » Le fond du XXe siècle s’étoffe sans cesse grâce à des dons, parfois surprenants : « L’an dernier, une dame nous a fait cadeau d’un tapuscrit sur papier pelure. Il s’agissait d’une copie de travail de Bariona, la première pièce de Jean-Paul Sartre, qu’il avait jouée devant un stalag à Noël 1940 ! » À l’image de son nom, la bibliothèque défend un engage20

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ment et a connu une histoire tumultueuse. Car elle a eu une première vie à Cuers, sous la bannière d’Orphéon Théâtre Intérieur, compagnie de théâtre de rue, que Georges Perpès animait avec sa compagne Françoise Trompette, décédée en 2012 : « Au milieu des années 90, le FN arrive à Toulon, tandis que Cuers bascule à gauche. La mairie nous a alors proposé alors de gérer un lieu culturel, dans l’ancienne caserne de pompiers. En cherchant un auteur vivant pour l’inaugurer, nous avons opté pour Armand Gatti, fils d’immigré, résistant, grand reporter. » Pendant huit ans, la compagnie assure une saison artistique de haute voltige. En mars 2008, une nouvelle bascule politique précipite la fin de l’histoire. « Dix jours après l’élection, deux spectacles de rue ont scandalisé la nouvelle municipalité. Suspension de la saison en cours, puis des subventions, attaque contre la bibliothèque... Cela rappelait certains procédés de Toulon ou Vitrolles quelques années auparavant. » De guerre lasse, malgré un dossier jugé vide par la justice


La façade de la bibliothèque « rose », au gré des résidences et des manifestations.

À L’IMAGE DE SON NOM, LA BIBLIOTHÈQUE DÉFEND UN ENGAGEMENT ET A CONNU UNE HISTOIRE TUMULTUEUSE. a posteriori, la compagnie déménage à La Seyne-sur-Mer, pour y transposer son projet dans la bibliothèque existante. Elle trône sur la grande place Martel Esprit, qui permet à Orphéon de renouer avec son goût pour le théâtre en plein air. Un appartement situé dans l’immeuble permet désormais d’accueillir des compagnies pour des résidences d’écriture, qui s’achèvent toujours par une présentation au public, parfois épique : « Cyril Lévi-Provençal a démarré ici l’écriture de son projet Retour, autour d’Ulysse, en 2012. Il avait ramassé les débris autour du port pour construire un radeau, puis il l’a mis à l’eau et il est parti. Mais comme il a perdu sa rame, il a failli être emmené vers le large ! » s’amuse Georges Perpès, qui est aussi conseiller dramaturgique à ses heures : « Le livre de théâtre ne se lit pas seul. Nos visiteurs sont souvent mandatés par un groupe, pour monter une pièce. Comme des paysans, ils viennent chercher des semences, puis ils plantent ! Nous avons par exemple fourni à Philippe Berling l’édition originale algérienne de Meursault contre-enquête de Kamel Daoud. » Il continue aussi

un travail de fond sur le répertoire théâtral pour la jeunesse, en organisant notamment le « Prix de la pièce de théâtre contemporain » pour le jeune public depuis 2003. À terme, il espère pouvoir disposer d’un budget pour accueillir les spectacles finis, à l’image des Pieds tanqués, de la compagnie Artscenicum : « Je les accueillis ici, quand personne n’y croyait. Parler de l’Algérie et des pieds-noirs dans l’espace public, c’était un problème. J’adorerais pouvoir installer leur boulodrome sur la place ! »

BIBLIOTHÈQUE ARMAND GATTI

5, Place Martel Esprit, La Seyne-sur-Mer. 04 94 28 50 30.

WWW.

orpheon-theatre.org 8e art magazine • hiver 2016

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Antony Duchêne

L'ARTISTE

CHASSEURCUEILLEUR D’IMAGES Texte : Emmanuelle Gall

D

ans un numéro de 8e art « spécial cuisine », on ne pouvait rêver meilleur artiste pour cette rubrique qu’Antony Duchêne. Depuis une résidence décisive chez le chef « terrien » Marc Meneau et sa présence remarquée dans l’exposition inaugurale du FRAC en 2013, La Fabrique des possibles, l’artiste persiste et signe une œuvre qui se nourrit des pratiques alimentaires et culinaires des hommes. Se sentant plus proche de « Rabelais et Jérôme Bosch » que du design culinaire et des formalismes du moment, l’artiste joue désormais avec la nourriture, ses tabous, son langage et ses images, sans hésiter à mettre les mains dans la bou(s)e : « En cuisine, le gras fixe le goût, c'est une formule que j'essaye d'appliquer. » Drôle de virage pour celui qui, dans les années 2000, travaillait presque exclusivement le son aux Beaux-arts de Marseille. En sortant de l’école, il s’est mis au dessin et à la sculpture, puis s’est passionné pour les sciences et, à titre personnel, le vin, avant de trouver cette voi(e)x très personnelle, à la fois anthropologique, poétique et pleine d’humour.

Jusqu’au 29 janvier. Centre d’art contemporain intercommunal, 2, rue Alphonse Daudet, Istres. 04 42 55 17 10. Entrée libre.

WWW.

© Jean-Christophe Lett

En cuisine, le gras fixe le goût, c'est une formule que j'essaye d'appliquer

Le Chancre, 2014, bois mort traité, chêne, vessies de bœuf, pattes de volatiles, homard, crevette, poisson, cigale, ortolan, corde, ficelles, résine et mousse PU, pantalon et paire de chaussures, 120 x 180 x 250 cm.

LE REPAS DES INTERDITS Pièce centrale, à l’origine de l’exposition, Le Chancre donne le ton. Sur les branches d’un arbre (mort) fiché dans un pantalon monté sur des échasses, sont posés (et attachés par un fil) d’étranges volatiles : des homards, crevettes, cigales et autres ortolans à demi engloutis par des vessies de bœuf sur pattes. L’un d’entre eux porte une étiquette : « je n’ai pas donné mon corps à la science ». D’une exécution parfaite, malgré la complexité d’un tel assemblage, la sculpture est aussi drôle que mystérieuse. De nature à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, elle évoque aussi cette pratique asiatique qui utilise des cormorans dont le cou est ligaturé pour pêcher, rappelle qu’en cuisine, « la vessie est l’ancêtre de la papillote », ou encore que l’on mange des ortolans « sous le torchon »… La trentaine d’œuvres réunies à l’occasion de ce Repas des interdits révèlent ce même goût pour l’histoire et les histoires, les jeux de mots et la matière. Dans le cadre à taille humaine du centre d’art d’Istres, Antony Duchêne a créé, au fil des quatre espaces, un parcours allant des « Anthropophages, bousiers et autres esprits putrides », aux « Salles des ustensiles », qui associe à ses pièces, des toiles, œuvres et objets empruntés notamment au musée de la Chasse et de la Nature. Dans un guide gastronomique, Le Repas des interdits serait triple étoilé.

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L'OBJET

La Minotte

LA BIÈRE DE LA BONNE-MÈRE

Elle est pétillante, veloutée, et son design est charmant. Pari de deux potes, la Minotte va faire tourner les têtes. C’est la nouvelle bière de Marseille, brassée au pied de Notre-Dame.

I

Texte : Julie Bordenave

l y avait la Bière de la Plaine, la Sulauze à Miramas... Il faut désormais compter avec La Minotte au rayon des micro-brasseries locales. Son histoire est sympathique : Max Brunet a commencé à brasser dans sa cuisine. Épaulé par son ami Laurent Jaïs, il lève des fonds sur Internet puis contracte un petit crédit à la banque, et l’histoire est lancée. Depuis deux mois, ils produisent 900 bouteilles par semaine. But avoué : viser la clientèle féminine. Et ça fonctionne : bouchons de couleur, logo croquignolet et potache, comme sorti des doigts d’un cancre appliqué, imaginé par la graphiste Marion François. Si la Minotte véhicule un fumet doux (mais sans plus, moins de 6 grammes de sucre par litre) et légèrement régressif, le contenant séduisant n’occulte pas le contenu : elle est franchement bonne. Trois saveurs – brune, blonde, ambrée – s’enrichissent d’une spécialité chaque mois. Celle de janvier, l’IPA 4/3, séduira les plus mâles par sa légère amertume (4 sortes de malt, 3 sortes de houblon), et devrait être amenée à se pérenniser. Pour parfaire le tableau, le local de brassage est ouvert au public depuis fin octobre, sur les hauteurs du Vieux-Port,

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au pied de Notre-Dame de la Garde. Et ce n’est pas un vain mot : dans l’arrière-boutique, la roche de la colline affleure littéralement dans un coin de la pièce ! Cet ancien atelier de peinture, sous verrière au fond d’une cour, accueille des soirées-dégustations le jeudi soir (dernier verre à 21 h 45) autour d’une restauration légère. En journée, n’hésitez pas à passer à l’improviste pour faire les emplettes ou ramener les bouteilles consignées, Max et Laurent seront toujours contents de se fendre d’une explication sur les principes de la fermentation et de l’embouteillage. Ils prévoient d’ailleurs de proposer des cours de brassage le samedi matin.

LA MINOTTE

12, rue Jules Moulet, Marseille, 1er. 09 52 37 78 19 Prix : 3 € la bouteille de 33 cl, 4,50 € la bouteille de 50 cl.

WWW.

minot-brasserie.fr


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Biennale des écritures du réel

AU THÉÂTRE DE LA VIE

Un foisonnement de propositions artistiques, un nombre impressionnant de structures impliquées, pas de doute, cette initiative vise à remettre l’art là où il n’aurait jamais dû cesser d’être : au cœur de la cité. Texte : Fred Kahn

C

ette troisième édition de la Biennale des écritures du réel, organisée par le théâtre de La Cité, ne fait finalement que mettre en lumière une évidence : l’art n’a pas pour fonction première de nous distraire de la réalité. Certes, il emprunte les chemins de la fiction et de l’imaginaire, mais si tous ces « récits » résonnent aussi fortement en nous c’est parce qu’ils nous entretiennent du monde et des autres. Toutes les œuvres programmées lors de cette biennale partagent la même volonté : nous faire découvrir à quel point la vie des autres devient passionnante quand on porte sur elle un regard « sensible ». Ainsi, la metteure en scène serbe Sanja Mitrovic n’hésite pas à manipuler des matériaux qui ne relèvent pas du tout de la sphère artistique. Dans son dernier spectacle, elle nous parle d’amour, mais à travers une rencontre improbable entre des acteurs et des supporters de l’OM. Et beaucoup de projets se cognent encore plus frontalement au réel. Le collectif Chemin faisant réenchante des quartiers populaires que l’on a plutôt tendance à vouloir rayer de la carte. David Lescot, Julien Mabiala Bissila ou encore Jérôme Richer font entendre les voix de ceux qui habituellement sont invisibles. Le metteur en scène Michel André, le poète et performeur Pierre Guéry, travaillent avec des « amateurs ». Grâce à eux, ces « vrais gens » deviennent les acteurs de leur propre histoire. Le chorégraphe

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Jérôme Bel donne chair à l’autobiographie d’un danseur, lui donnant ainsi une incroyable épaisseur politique et sociale. Peter Verhelst nous entraîne dans des paysages africains tellement étrangers qu’ils en deviennent profondément désirables. Julie Villeneuve et Claude Veysset mais aussi Karine Fourcy, montrent le fruit d’ateliers de création menés avec des enfants de Marseille. La Biennale, c’est également du cinéma (en prise directe avec le réel bien sûr) et de nombreux débats. Une école éphémère verra même le jour. Philosophes, chercheurs (Éric Corijn, Marie Pezé, Bernard Brunet, Estelle Zhong, Alain Kerlan…) et acteurs de la société civile questionneront les métamorphoses de notre monde : vers quelles évolutions du travail allons-nous ? Quels dialogues construire avec la jeunesse ? Quel destin commun imaginer ?

BIENNALE DES ÉCRITURES DU RÉEL

Du 2 au 26 mars, dans plus de 20 lieux à Marseille, Aix, Vitrolles, Martigues et Avignon. 04 91 53 95 61.

WWW.

theatrelacite.com

© Sigrun Sauerzapfe

LE FESTIVAL


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C’est quoi ce travail ?

LE TRAVAIL, C’EST (AUSSI) DE LA MUSIQUE ? Luc Joulé et Sébastien Jousse ont posé leur caméra dans l’usine PSA Peugeot-Citroën de Saint-Ouen, emboîtant le pas du compositeur Nicolas Frize.

«

Texte : Julie Bordenave

Filmer le travail vivant, pour le rendre un peu moins facile à tuer » : tel est le credo de Luc Joulé et Sébastien Jousse, qui depuis six ans, filment les travailleurs dans leur biotope. Une démarche quasi atavique pour les réalisateurs, nés de père syndicaliste pour l’un, militant politique pour l’autre. Ils revendiquent de « passer plus de temps sans la caméra qu’avec », pour une réelle « coproduction » avec les travailleurs filmés, qui valident le montage de chaque entretien. Après un premier film sur les cheminots (Cheminots, 2010), ils ont filmé l’usine PSA Peugeot-Citroën pendant dix-huit mois, suivant Nicolas Frize, qui depuis quarante ans, échafaude des spectacles dans des lieux non dédiés tels les prisons, les usines, les hôpitaux... Avec le musicien, les réalisateurs partagent une même éthique : une attention portée à l’individu derrière l’établi, un questionnement sur la marge d’épanouissement et d’appropriation de chacun face à sa tâche, même la plus aliénante. La réalité sensible de l’usine éclate de manière poignante dans de pudiques entretiens réalisés « collés serrés » avec les travail-

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leurs : « des personnes qui disent très doucement des choses extrêmement dures et comment les surmonter », commente Sébastien Jousse. Le film échoue en revanche à établir un parallèle avec le travail artistique de Nicolas Frize (qui a notamment fondé le groupe de réflexion Etre sujets dans son travail, et édite le journal Travails), dont la démarche n’est que survolée. Si ce n’est dans la scène finale : une usine à l’arrêt, toutes portes ouvertes pour accueillir 3 000 visiteurs, qui étaie mieux qu’un long discours son engagement : « ouvrir l’usine au monde, et le monde à l’usine ».

Sortie DVD en avril, Shellac

WWW.

shellac-altern.org

© Shellac

LE FILM


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LE RESTAURANT

Maison Geney

« SALÉ, SUCRÉ, CUISINÉ » ET PLÉBISCITÉ « Fondée avec amour » en novembre dernier, la Maison Geney a déjà ses habitués, trop heureux d’avoir trouvé une cantine qui les traite aussi bien. Texte : Emmanuelle Gall

L’ASSIETTE Servis au comptoir, sur des plateaux en forme de cagettes, les sandwichs, focaccias, soupes, tourtes, salades et plats cuisinés par le chef affichent un rapport qualité-prix presque déconcertant. Moins de 8 € pour un poulet AOC, légumes et jus de viande à l’estragon ou des seiches grillées accompagnées d’un « riz comme un risotto » et d’épinards sautés, il faut le faire ! Et pour la moitié du prix, on peut s’offrir l’une des trois plantureuses focaccias à la carte. Le menu changeant chaque semaine, il est possible de déjeuner quotidiennement à la Maison Geney sans se lasser. On peut aussi y prendre le petit-déjeuner ou le goûter : la dizaine de desserts et viennoiseries rivalisent de créativité. LE CHEF La Maison Geney est une affaire familiale, créée par Manon et Étienne. À 27 ans, ces deux anciens élèves du lycée hôtelier de Marseille n’en sont pas à leur coup d’essai. La Table Appart’, les célèbres brunchs de chez Ouimum’s, c’était déjà eux ! Après avoir fait ses armes dans quelques grandes tables de la région et du Québec, participé à l’émission Top 30

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Chef, puis roulé sa bosse comme chef à domicile, Étienne rejoint Manon dans une « maison » à leur image.

LE CADRE Trois tables jaune citron en terrasse, une double salle pavée de carreaux de ciment octogonaux et un mur de briques peintes en blanc : la maison Geney affiche une déco faite maison, aux accents provençaux, toute en douceur et en simplicité. L’aménagement des lieux a été entièrement pensé pour le confort et le bien-être des clients. Un bar, des tables basses ou hautes, un canapé club (et la wifi) permettent à chacun, selon sa faim et le moment de la journée, de trouver son coin de prédilection.

MAISON GENEY

38, rue Caisserie, Marseille, 2e. 04 91 52 44 82 - Ouvert du mardi au samedi, 8h-19h30. Plats : 3,9-7,9 €.

WWW.

facebook.com/maisongeney


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© Florence Denis Loussier

SUIVEZ LES ARTY GUIDES À MARSEILLE

Une fois par mois, Françoise Siffrein-Blanc, Florence Denis-Loussier et Françoise Oppermann, les trois fondatrices de l’association Lartprendlair joignent le geste à la parole et organisent à Marseille des « arty balades » qui leur ressemblent : curieuses et chaleureuses. Texte : Emmanuelle Gall

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endez-vous à 11 heures au Petit Saint Louis, rue des Récolettes. La brasserie rénovée par l’équipe de La Caravelle et inaugurée à l’automne n’a pas été choisie par hasard. Autour de Françoise Siffrein-Blanc, Florence Denis-Loussier et Françoise Oppermann, les arty baladeurs arrivent en ordre dispersé, des quatre coins de la ville, voire même de beaucoup plus loin. Il y a là des habitués, habillés et chaussés comme pour une randonnée, et quelques nouveaux venus. En tout, une bonne quinzaine d’amateurs, âgés de 15 à 65 ans, ont eu envie de répondre à l’appel de Lartprendlair : « Osez l’art, nous guidons vos pas à Marseille ». Le programme du jour prévoit une visite de l’atelier collectif NAAM, à la Blancarde, et une rencontre avec les artistes de l’exposition D’un rien prolongé à la galerie Art-Cade. Pour leur (au moins) vingt-huitième arty balade, les « 3F », comme elles se surnomment ellesmêmes, ne dérogent pas à leurs principes fondateurs : sortir des circuits habituels de l’art et favoriser les échanges. Actives sur la scène culturelle locale depuis 2009, elles y occupent une place originale. Publié en 2011, leur livre intitulé La Planque, 13 ateliers d’artistes à Marseille est 32

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devenu une référence. Pendant « l’année capitale », les 3 F ont notamment organisé l’exposition des sculptures de Bernar Venet dans le parc du Pharo, puis édité leur premier arty guide, consacré à Marseille : un ouvrage qui tient plus du livre d’artiste que du guide touristique et propose sept itinéraires pour « découvrir la ville comme un terrain de jeu mouvant et surprenant ». En attendant d’exporter leur concept dans d’autres villes européennes, elles continuent de défricher Marseille et de partager, tous les mois, leurs découvertes. Aujourd’hui, le voyage commence à Noailles. Le groupe traverse le marché des Capucins en direction de la station de tramway souterraine. Progressivement, un parfum de fleur d’oranger prend le pas sur les odeurs mêlées de la rue. « C’est ça aussi l’arty balade, confie Françoise Siffrein-Blanc, chaque détail compte. » Dix minutes plus tard, Julie Dawid, Émilie Lamastre, Frédéric Clavère et Luc Jand’heur, bientôt rejoints par Aya Tateishi, cinq des huit artistes qui cohabitent depuis trois ans dans une ancienne salle de sport de la Blancarde, rebaptisée « Nouveaux Ateliers d’Artistes de Marseille », accueillent le groupe. Étape incontournable des arty balades, la visite d’atelier


Arty balades

LA BALADE

ÉTAPE INCONTOURNABLE DES ARTY BALADES, LA VISITE D’ATELIER EST LA BONNE IDÉE DES 3F.

LES PROCHAINS RENDEZ-VOUS Vendredi 22 janvier : ARTYBALADE CIRVA

avec le designer Dove Allouche et Isabelle Reiher, directrice du CIRVA.

© Robert Billsky Bilbil

Samedi 5 mars : ARTYBALADE GALERIES JOLIETTE

De gauche à droite : l'atelier de Frédéric Clavère aux NAAM et les trois arty guides : Françoise Oppermann, Françoise Siffrein-Blanc et Florence Denis-Loussier.

est LA bonne idée des 3F. Les collectionneurs et les amateurs d’art le savent : c’est un moment privilégié, qui permet de découvrir les œuvres dans leur contexte et d’écouter la parole des artistes. Loin des discours théoriques, elle est précieuse, y compris dans ses hésitations. Julie Dawid, qui se lance la première dans la description des œuvres qu’elle a accrochées pour l’occasion, vainc progressivement sa timidité. En feuilletant ses carnets devant l’assemblée, elle livre ses doutes et ses recherches sur le volume, la couleur, son inspiration végétale... Silencieux, les arty baladeurs écoutent avec recueillement, avant de réagir et poser des questions. C’est ensuite au tour de Frédéric Clavère, le pilier du collectif, d’entraîner le groupe dans son atelier du sous-sol. Au mur, les œuvres, en chantier, de sa prochaine exposition : une version très personnelle – à l’ironie mordante et à l’exécution parfaite – des gravures bibliques de Dürer. Pendant les échanges, les 3F se sont discrètement éclipsées pour préparer un buffet sympathique et convivial. L’art, ça creuse ! Après avoir fait plus ample connaissance avec chacun des artistes, les arty baladeurs reprennent le tram en direction de la Plaine et de la galerie ArtCade. Ces anciens bains-douches, à l’architecture si particulière, sont connus des amateurs d’art. En revanche, ces derniers n’ont pas souvent l’occa-

avec Antje Poppinga, Lise Couzinier, Carlo Gloria (pour Espace GT) et Didier Gourvennec Ogor. Vendredi 1 avril : ARTYBALADE LES COULISSES DU MUCEM

avec Marie-Charlotte Calafat, conservatrice, et Corinne Vezzoni, architecte.

sion de visiter les expositions en compagnie des artistes. Martine Derain raconte, sans langue de bois, la genèse de sa nouvelle exposition : D’un rien prolongé. En 2013, comme d’autres artistes locaux, elle a été invitée à imaginer un « Quartier créatif » dans une cité engagée dans un programme de rénovation urbaine. Face à un enjeu aussi complexe, la photographe s’est entourée d’autres artistes, parmi lesquels Raphaëlle Paupert-Borne et Suzanne Hetzel. Pendant deux ans, l’équipe a fabriqué des images et des œuvres en collaboration avec les habitants de la cité des Abeilles à La Ciotat. Aujourd’hui réunis, les toiles, photographies et nombreux films réalisés à l’occasion de cette résidence d’un genre particulier forment un bel ensemble. Le temps passe… trop vite, et à l’heure de se séparer, l’échange se prolonge. Fructueux, à plus d’un titre, grâce à ces trois drôle de dames.

LARTPRENDLAIR

8, boulevard Amédée Autran, Marseille, 7e. 06 18 43 46 06 ou 06 89 76 01 36. 25 € (comprenant transport + déjeuner).

WWW.

lartprendlair.fr 8e art magazine • hiver 2016

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« Oups, j’ai fait tomber la tarte au citron », un dessert inventé par le chef Massimo Bottura, dans le premier des six épisodes de la série Chef’s table, réalisée par David Gelb (Netflix).

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DOSSIER

DOSSIER

L'ART AUX FOURNEAUX Le succès des shows et autres émissions culinaires à la télévision rappelle, certes, l’attachement indéfectible des Français à la bonne chère, mais ne donne finalement, le plus souvent, qu’une vision réductrice de la cuisine : spartiate et compétitive, forcément spectaculaire, pour ne pas dire hystérique. Rares sont en effet les programmes, telle la remarquable série Chef ’s table réalisée par David Gelb pour Netflix, qui suivent le parcours tortueux, long et difficile des hommes et femmes qui ont embrassé cette vocation. Artistes et/ou artisans, ils créent, dans l’ombre de leur cuisine, des plats qui racontent des histoires, résonnent comme des symphonies, donnent à voir des paysages… et se marient ainsi volontiers avec la musique, les arts visuels ou vivants. Pour élaborer ce dossier, dans un esprit plus « slow » que « fast food », nous avons fait appel au chef marseillais Emmanuel Perrodin et à Cécile Cau, l’auteure du blog So Food So Good.

Dossier réalisé par

Cécile Cau, Emmanuelle Gall et Emmanuel Perrodin

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DOSSIER

L'ART AUX FOURNEAUX

DANS L’ATELIER D’EMMANUEL PERRODIN

Connu – et reconnu – pour son parcours remarquable, de 2011 à septembre 2015, aux fourneaux du Relais 50 à Marseille, Emmanuel Perrodin est un chef atypique. Cet historien et économiste de formation est entré en cuisine à l’âge de trente ans. Douze ans plus tard, l’ex-commis puis second chez Péron présente sa candidature à la section arts culinaires de la Villa Médicis et multiplie les projets avec des artistes de toutes les disciplines. Propos recueillis par Emmanuelle Gall

À vos yeux, la cuisine est-elle un art ? Je suis très partagé sur cette question et me méfie beaucoup des discours ambiants, simplistes et réducteurs. On peut considérer la cuisine comme un art, si et seulement si elle est d’abord reconnue en tant qu’artisanat. C’est en effet un artisanat, au sens noble du terme, au service de l’humain, de son développement. La découverte de la cuisson, par exemple, a libéré le corps de la digestion et permis aux hommes de consacrer leur énergie et leur cerveau à d’autres activités. Par ailleurs, même si de nombreux chefs ont un ego d’artiste, la cuisine passe par un oubli de soi, nous sommes là pour favoriser des rencontres, des échanges. Enfin, nous ne sommes pas dans le même rapport au beau que les arts visuels. Aucune cuisine ne m’a procuré une émotion comparable à celle que j’ai ressentie récemment en redécouvrant, au Louvre, les fresques de Botticelli pour la villa Lemmi. Où puisez-vous votre inspiration ? Vos « maîtres » sontils des chefs ou des artistes ? J’ai la chance d’être autodidacte. En cuisine, je ne me suis pas reconnu de maître et je n’en ai voulu aucun. Quand j’ai débuté, au Péron, les premiers temps ont été très durs, 36

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tout m’était étranger, en premier lieu la langue. Un samedi soir de septembre, trois mois après mon arrivée, alors que nous préparions – en silence – nos mises en place et nous apprêtions pour le coup de feu, j’ai vécu un vrai moment de plénitude. J’ai compris, à ce moment précis, que ma vie était là. À la même période, j’ai lu deux interviews qui m’ont beaucoup marqué. Dans la première, Pierre Gagnaire disait que la cuisine peut raconter des histoires et ne doit pas se contenter d’être dans la reproduction. Dans la seconde, Serge Vieira décrivait le plat qu’il préparait pour le Bocuse d’or comme un récit le long du chemin de Compostelle. Le poème de Prévert « La promenade de Picasso » m’a également beaucoup marqué. Picasso passe et croque la pomme : de même, la cuisine ne doit jamais être dans la copie, mais être en prise avec la réalité et le présent. On n’est pas loin du principe bouddhiste de l’impermanence. On produit quelque chose qui est voué à disparaître et on recommence le lendemain… On vole un moment, dans le partage avec les autres. Pour en revenir à la question des maîtres, finalement, je n’en ai qu’un seul, c’est Raymond Dumay : un instituteur bressan, qui a écrit selon moi les plus belles pages sur la cuisine française. En lisant notamment Du Silex au barbecue et Le Rat et


© Joël Assuied

« Mon rêve, c’est de recréer un banquet inspiré de celui imaginé par Léonard de Vinci pour François 1er au Clos Lucé, il y a presque cinq cents ans. »

Emmanuel Perrodin, historien, économiste et chef.

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© Joël Assuied

L'ART AUX FOURNEAUX

l’abeille, j’ai compris qu’en cuisine, tout est possible dès lors qu’on ne ment pas, que l’on peut raconter une histoire à partir de la vérité d’un produit, d’un moment. C’est ce que j’essaie de transmettre aujourd’hui aux plus jeunes.

Séance de répétition avec des élèves et apprentis pour la création Dans la chair du son (lire page 42).

Vous multipliez les rencontres et les croisements avec la musique, la peinture, la littérature… Quel art se marie le mieux avec la cuisine et/ou s’en approche le plus ? Celui qui me vient à l’esprit le premier, c’est la musique, ne serait-ce que parce qu’on travaille souvent en musique. Et puis, la cuisine et la musique partagent beaucoup. Sur le plan du langage pour commencer : on parle de « piano », de « batterie »… Le chef de cuisine est comme un chef d’orchestre. Passionné par la musique d’Arvo Pärt et les polyphonies de la Renaissance, je suis très attaché à l’idée de polyphonie en cuisine : assembler des éléments a priori « dissonants » pour créer une harmonie. C’est le cas par exemple des associations « terre-mer ». Une de mes recettes phares n’est pas par hasard la blanquette de veau à la vanille en coquille. Cela dit, au fil des mes expériences, je suis de plus en plus intéressé par l’idée d’art total, dans la conception qu’en avait Scriabine. À la fin de sa vie, le compositeur projetait de créer une œuvre mêlant sons, couleurs, parfums, mais aussi goûts et contacts. Quelle est votre expérience la plus créative ? C’était une expérience collective, à l’occasion d’un concours avec les chefs de l’association Gourmediterranée. Nous rencontrions des Lyonnais sur la base d’un échange

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Créations d’Emmanuel Perrodin au fil des saisons.

de recettes. Je travaillais sur le gâteau de foies blonds. Il s’agissait de venir avec une recette et de l’améliorer ensuite, avec l’aide des collègues. Alors que, souvent, le travail du chef est solitaire, cette fois, grâce à l’échange et au collectif, j’ai pu aller au bout de mon projet. En confrontant aux autres mes intuitions d’associer aux foies des oursins et des châtaignes (qui sont leurs « équivalents » végétaux), j’ai pris des risques et gagné en confiance, osant servir le plat dans les coques d’oursins. Et votre projet le plus fou ? Mon rêve, c’est de recréer un banquet inspiré de celui imaginé par Léonard de Vinci pour François 1er au Clos Lucé, il y a presque cinq cents ans. Il était, en plus de tous les talents qu’on lui connaît, un des plus grands organisateurs de fêtes de l’histoire. Il s’agirait de proposer une scénographie stimulant tous les sens et faisant appel à la vidéo, la danse, la musique… Je pensais à une composition pour bols tibétains. On ferait aussi appel à des parfumeurs pour créer un lien entre l’odorat et la dégustation. Car, au-delà des applications de l’industrie, il est possible de faire des expériences très intéressantes sur la capacité des parfums à créer de l’appétence ou au contraire du dégoût. De même que les toiles du peintre Lafleur rassasiaient les gens dans la nouvelle « La bonne peinture » de Marcel Aymé…

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L'ART AUX FOURNEAUX

CHAIR SYMBOLIQUE : ART, CUISINE ET HISTOIRE De la Préhistoire à nos jours, de la Provence à l’Orient, la cuisine est un humanisme aux résonnances culturelles et spirituelles. Texte : Emmanuel Perrodin

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out commence il y a environ vingt mille ans, entre Vintimille et Menton, à Balma Grande. Là, des archéologues ont découvert une Vénus callipyge et des restes de saumon. Bien sûr, il n’y a pas de saumon en Méditerranée. On sait qu’il vient de l’Atlantique et qu’il est passé par les Pyrénées pour y être salé. C’est sûrement à ce moment que naît la gastronomie, avec ces premières traces d’un aliment convoqué pour un repas, à l’endroit même où l’on trouve une Vénus et de l’art pariétal. La cuisine s’éloigne alors de sa fonction première : rendre digeste et facile à avaler les produits disponibles. C’est un peu le mythe de la caverne inversé. Voilà dans un même lieu, l’art et la table réunie. Ce n’est pas anodin. Tous deux permettent à l’homme d’ouvrir une parenthèse dans sa vie, de l’extraire de cette « étroite mémoire de soi » qui le contraint. Il y a un vers d’Horace que la cuisine m’a permis de pénétrer : « Exegi monumentum aere perennius » (j’ai érigé un monument plus durable que l’airain). Longtemps, je n’ai entendu que l’orgueil du poète pour son œuvre, sans comprendre qu’il valorisait l’instant, celui passé et partagé à dire ou écouter un poème, à contempler un tableau ou à partager un repas. Peut-on, pour autant, considérer la cuisine comme l’un des beaux-arts, comme a pu le souhaiter Brillat-Savarin ? Bien sûr, elle frappe les sens, elle fait même appel aux cinq. Nul doute d'ailleurs que nos premières rencontres avec le monde, enfants, empruntèrent les chemins culinaires. Bien sûr elle est un art, au sens de métier et de « manière de faire une chose selon certaine méthode, selon certains procé-

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La table est affaire d’imaginaire, l’un des derniers endroits où les hommes côtoient les dieux. dés » (Littré). D’ailleurs, par ses techniques, son expérience et son intuition, le cuisinier peut apprendre à appréhender la matière, le produit, et presque en révéler l’âme. C’est ça ! La cuisine est même – et peut-être surtout – une forme de l’expression humaine, d’autant plus belle pour moi qu’elle est éphémère, révélant ainsi l’un des aspects de la tradition, audace et vitalité sans fin. Nietzsche imaginait l’humanité à venir comme une plage de sable. Les hommes seraient alors bien polis, bien lisses, bien égaux, bien ronds, bien calibrés, exilés d’eux-mêmes. C’est pour cela que j’aime l’art et la cuisine, parce qu’ils sont le refus de ce cauchemar. Pourtant, il y a quelque chose de rassurant, en apparence, avec la cuisine. On la présente comme un refuge, alors qu’elle est tout sauf ça. On voudrait nous vendre l’idée aujourd’hui que la cuisine ne peut s’exprimer qu’à partir d’un terroir. C’est vrai. Mais j’ai la chance de vivre à Marseille depuis quelques années. Et à Marseille, on sait deux choses, sans les dire jamais. La première, c’est que l’on accueille toutes les cuisines du monde, en même temps que ses tragédies – c’est d’ailleurs comme ça que naquit la cuisine française, de la rencontre entre les Phocéens et les Ligures – et la deuxième, c’est que la Cane-


© Musée de la Tapisserie de Bayeux

Scène de banquet extraite de la Tapisserie de Bayeux.

bière est la dernière ligne droite vers l’inconnu. Je veux dire par là que la cuisine n’est terroir qu’au sens où il se révèle, après avoir été bouleversé, malmené et modifié au gré des accidents ou des rencontres. L’univers des treize desserts l’illustre bien. Ainsi les chrétiens orientaux, notamment les Arméniens, ont intégré cette coutume en l’agrémentant de leurs propres recettes, de leurs histoires et de leurs souvenirs. Ils ajoutent des pâtisseries gorgées de miel et d’épices. On pourrait dire qu’elles apportent une touche d’exotisme à la tradition… sauf qu’en regardant de plus près les recettes, on découvre d’étonnantes similitudes avec la pâtisserie provençale. Bien sûr, elles sont sœurs, méditerranéennes, oui, mais surtout descendantes de la cuisine abbasside. Il suffit de lire la table de la plus ancienne anthologie culinaire arabe encore consultable, le Kitâb al-Tabîkh d’Al-Warrâq (publiée au Xe siècle), pour comprendre tout ce que les treize desserts, et bien au-delà, doivent à l’Orient. On y lira les premières recettes de nougats – non ils ne sont pas nés à Marseille ou à Montélimar –, de losanges aux amandes, de brioche à l’huile d’olive, de beignets, de crêpes, etc. Il faudra attendre plus de trois siècles pour pouvoir lire les premières recettes occidentales, lesquelles ne feront d'ailleurs que peu de place au sucré. La Provence se souvient rarement, qu’entre 732 et 975, elle fut aussi une terre de peuplement arabe, plus

qu’elle fut le point de départ de nombre des croisades et du retour de quelques croisés, et que Marseille commerce avec tout le bassin de toute éternité. Mais les treize desserts représentent plus qu’une liste et des recettes. Quand on mange, on mange – aussi et surtout – du symbole. Et, s’il y a bien un temps où cela paraît plus évident encore, c’est celui de Noël, enfin plutôt du solstice d’hiver, si important dans les célébrations gréco-romaines. À Rome, c’était le temps des Saturnales et de Mithra. On y fêtait le dieu des semailles et le soleil invincible. Ce temps était alors considéré comme celui de la promesse du renouveau. C’est aussi celui de l’errance de Déméter, partie à la recherche de Perséphone enlevée aux Enfers, celui où la terre ne donne plus avant d’être prodigue, celui des fruits cueillis et séchés ou confits. C’est une belle coïncidence pour les 13 desserts que le treizième arcane majeur du tarot marseillais soit celui de la mort, c’est-à-dire de la renaissance. On pourrait presque dire que Noël en Provence c’est Eleusis revivifiée. La table est affaire d’imaginaire, l’un des derniers endroits où les hommes côtoient les dieux.

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DOSSIER

L'ART AUX FOURNEAUX

LA SAISON D’EMMANUEL PERRODIN

Toujours en quête de nouvelles expériences, Emmanuel Perrodin participe cette année aux festivals Mars en Baroque et Les musiques. Il rend également hommage à André Masson au musée Cantini.

MARS EN BAROQUE ANTILLES, VISITE À DÉGUSTER Visites commentées, ateliers-débats, mais aussi visites « spectacles » ou « à déguster »… Dans le cadre de l’exposition André Masson, de Marseille à l’exil américain (lire page 86), le musée Cantini multiplie les initiatives originales. Le 26 mars, Emmanuel Perrodin entend créer « un vrai moment de partage, avant et après la visite ». Parce qu’il se sent proche de l’univers de Masson, et notamment son goût pour les métamorphoses et la polyphonie, à l’œuvre dans Antilles, le chef projette d’offrir une dégustation dans une vaisselle créée pour l’occasion avec la céramiste Sylvie Villepontoux, dans l’esprit des banquets grecs : « Les Romains mangeaient, les Grecs buvaient, mais surtout ils parlaient. » Le 26 mars, 11h. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille, 6e. 04 91 54 77 75. 3-5 €. www.culture.marseille.fr

Directeur artistique des « parcours culinaires » du festival depuis 2014, Emmanuel Perrodin a imaginé cette année trois temps forts, en relation avec la programmation musicale (lire page 82). À l’occasion de la soirée d’ouverture, le 3 mars à l’U.percut, il invite Marie Dijon et Girogiana San à proposer de carte de tapas en résonnance avec les musiques, goûts et couleurs de cette nouvelle édition. Le 13 mars, après la matinale de L’Oristeo de Cavalli à la Criée, les Grandes tables « écriront l’acte final de l’opéra : le repas des noces d’Oristeo et Diomeda ». Enfin, le 19 mars, à La Magalone, Emmanuel Perrodin installera sa cuisine dans l’ancienne salle à manger de la bastide, pour préparer Un dîner chez la Baronne, annoncé comme un repas « musical et scénarisé, se confrontant avec les us d’antan et les coutumes d’aujourd’hui ». Les 3, 13 et 19 mars. L’U.percut, Les Grandes tables de la Criée, bastide La Magalone, Marseille. 04 91 90 93 75. www.marsenbaroque.com

DANS LA CHAIR DU SON Initiée par Marie-José Ordener (lire page 48), cette création d’un genre nouveau réunit Emmanuel Perrodin, le compositeur Pierre-Adrien Charpy, le percussionniste Christian Bini et le corniste Vincent Robineau. Mais aussi des élèves des sections musicales et hôtelières des lycées Thiers et Pastré Grande Bastide, qui interprèteront la “partition-recette” composée par Pierre-Adrien Charpy, à partir des sons émis par la préparation d’un menu imaginé par Emmanuel Perrodin pour l’occasion. Après six mois d’ateliers et de répétitions, l’œuvre sera jouée par l’orchestre “culinaro-musical” dans le cadre du festival Les Musiques, le temps d’une soirée ponctuée de la dégustation du repas. Le 26 mars, 11h. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille, 6e. 04 91 54 77 75. 3-5 €. www.culture.marseille.fr

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ART ET CUISINE : NOURRITURES SPIRITUELLES Un chef s’installe dans un musée, un musée travaille le comestible, la musique berce un repas, les liens sont nombreux entre arts et cuisine. Cela ne fait pas des chefs des artistes, mais cela nourrit l’esprit. Texte : Cécile Cau

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éfutons d’emblée l’idée trop souvent véhiculée : cuisine = art. « Un art de la relation », comme l’exprime Pierre Gagnaire, tout au plus, un Eat Art à la Spoerri très certainement, « l’art de faire » à la Marcel Duchamp, mais guère plus. À voir les gens lécher le monochrome de Claire Dantzer (lire encadré, page 47), c’est pourtant tentant ! Ce mur en chocolat de l’artiste marseillaise n’est qu’un exemple parmi d’autres des nombreuses séductions entre la création et la nourriture, éternel objet de la gourmandise des créateurs. L’histoire de l’art est bien sûr traversée de tableaux de chasse, de natures mortes et autres Laitières. Mais, à l’inverse, l’invitation du meilleur cuisinier du monde, Ferran Adrià, à la Documenta de Kassel en 2007 n’autorise que ponctuellement la cuisine à se hisser parmi les artistes. « Les cuisiniers ont tort de se loger dans un espace artistique », affirme l’architecte Ruddy Ricciotti, amateur de chair peu habitué à mettre de l’eau dans son vin, « de la même manière qu’il n’y a pas de lien entre art et architecture, il n’y a pas de lien entre art et cuisine. Tous ceux qui se réfèrent à une posture artistique dans la cuisine sont convoqués au naufrage ». Plutôt que de se réfugier sur une arche de Noé gastronomique, nos chefs puisent leur inspiration dans un quotidien

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nourri de cultures variées. Les passerelles – « la préparation des aliments est un langage », nous rappelle Lévi-Strauss – reliant ces mondes d’auteurs sont multiples. Plus ou moins probantes… Car il ne suffit pas à un designer comme OraIto de poser un chef comme Gérald Passédat sur une île (le projet d’hôtel avec restaurant gastronomique sur le Frioul est à l’étude) pour solidifier les liens entre le pinceau et la fourchette. La fondation Ricard, qui, depuis dix ans « poursuit un mécénat en faveur de la jeune création », s’attache elle aussi à rapprocher les mondes. Chefs, créateurs, cuisiniers, artistes, les uns nourrissent les autres à divers titres. Le décorateur Michel Champsaur et le chef Michel Portos ont réfléchi de concert à l’identité du Poulpe, restaurant du Vieux-Port en bleus et or. Gérald Passédat a échangé de longues discussions avec le designer Christian Ghion avant que son couteau « délicat, très masculin » ne soit posé sur la table du Petit Nice. « Un gros couteau de pêche », décrit le designer, « très fin qui ressemble à un couteau pour la viande, mais qui est fait pour le poisson ». Art et cuisine se font sans cesse de l’œil, la popote du samedi ayant remplacé la peinture du dimanche. Musique, peinture, design, architecture, dessin, histoire colorent constamment l’esprit des toques blanches.


© Laurent Perrier - Ville de Toulon

Musique, peinture, design, architecture, dessin, histoire colorent constamment l’esprit des toques blanches.

Claire Dantzer travaillant à la construction de son mur en chocolat : 40 kilos de chocolat fondu sur une paroi de 6 mètres sur 5.

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L'ART AUX FOURNEAUX

© Laurent Perrier - Ville de Toulon

La vaisselle de Marie Ducaté, exposée dans Délices d’artistes : assiettes et portes couteaux en porcelaine (édition RMN), verres en cristal soufflé émaillé par Jan Janecky (collection de l’artiste).

Plutôt que de se réfugier sur une arche de Noé gastronomique, nos chefs puisent leur inspiration dans un quotidien nourri de cultures variées.

La cuisine, un monde poreux « L’énergie d’une oeuvre d’art peut se répercuter dans ta cuisine », décrypte Pierre Gianetti, ex-chef du Grain de Sel. Cet amateur de graph, de musique électro et de photo, qui a toujours eu en tête de faire de son restaurant une fondation d’art contemporain, a souvent offert gite et couverts à des artistes résidents. Comme une résonnance à ce qui se passe aux fourneaux, « se rendre compte de ce qu’est la création, la souff rance, ça me touche », glisse-t-il. Si tout inspire, « on ne raconte pas pour autant qu’on a eu une illumination au bord du lac d’Annecy ! », tempère Alexandre Mazzia, du restaurant AM, « face au client, on ne se concentre que sur le produit ». Le déroulement d’un service emprunte pourtant bien au théâtre ses dictions, frictions, palpitations, respirations. Le plaisir du convive calé dans son fauteuil se jauge aux mouvements de la salle comme à la douceur de la nappe. Contenant et contenu restent intimement liés. À la tête de la Chassagnette à Arles, Armand Arnal évolue dans un design signé India Mahdavi qui oriente instinctivement sa cuisine de jardin vers une modernité de textures et de produits. « L’atmosphère sonore a elle aussi son importance », confirme Alexandre Mazzia, « la musique, c’est un sujet difficile à caler entre le sentiment d’euphorie 46

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que l’on peut avoir en cuisine et l’ambiance smoothie qu’ils ont à table ». Le nouvel événement mensuel Pop Up Med, qui convie à Marseille pour un dîner unique à quatre mains des duos de chefs les plus en vue du moment, a résolu le problème. La jeune djette marseillaise PéPé est chargée de caler sur les menus une BO sur mesure. Perchée sur ses talons, elle opère une cuisine musicale adaptée à chaque plat : un « Tais-toi Marseille » de Colette Renard avec ses sonorités acidulées sur un veau tigré corse aux oursins et clémentine ou un Ennio Morricone sur un dessert sucré salé. De ces allers-retours incessants naît une gastronomie ouverte et sans tabous, fortement identitaire qui sait nourrir l’esprit autant que le ventre.

Pop Up Med Les 8 février, 7 mars, 4 avril et 2 mai prochain. Le Réfectoire, 9, quai du Lazaret, Marseille, 2e. 04 91 91 79 39. 70 €, hors boissons. www.facebook.com/Pop-Up-Med


© Laurent Perrier - Ville de Toulon

DÉLICES D’ARTISTES Philippe Besacier, Oursin, 140 x 100 cm (collection de l’artiste).

27 convives participent au menu du Musée d’art. Ces artistes contemporains du Midi, issus d’une ligne entre Sète et Nice, ont tous mis le repas ou la nourriture au centre de leurs peintures, installations, photographies. Beaucoup continuent de se nourrir de la peinture classique qui a si souvent évoqué l’alimentaire : les photographies de Saverio Lucariello font écho aux vanités du XVIIe siècle, le travail de Louis Chacallis se réfère à Cézanne, etc. Les déjà classiques du XXe siècle, comme les Tableaux pièges de Daniel Spoerri, qui dans les années 60 innova en la matière, sont eux aussi conviés. Son Eat Art continue d’inspirer aujourd’hui des artistes comme le Niçois Noël Dolla, passionné de pêche, qui intègre biscuits et bonbons dans des Gâteaux Bobo en vue de fabriquer des friandises hameçons. Et puis, après l’évocation de l’épicerie, on va regarder manger, avec Le Grand déjeuner du Sétois di Rosa, la table mise par Marie Ducaté ou un déjeuner en plein air saisi par Bernard Plossu. Mélange de créations appétissantes pour les yeux comme pour l’esprit, Délices d’artistes est un savoureux complément à l’exposition Food qui avait eu lieu à Marseille en 2015, à savourer jusqu’à la maison, puisque le catalogue (10 €) édite des recettes personnelles des artistes. Jusqu’au 10 avril. Musée d’Art, 113, boulevard du général Leclerc, Toulon.04 94 36 81 01. Entrée libre. www.toulon.fr

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MARIE-JO ORDENER, FEMME-ORCHESTRE À la tête des Grandes Tables, dont elle partage la direction avec Fabrice Lextrait depuis 2006, Marie-José Ordener prône « une cuisine du quotidien et de l’extraordinaire ». Un concept décliné à la Friche, à la Criée et au Channel, à Calais. Pour fêter les dix ans de cette aventure culinaire et artistique, l’équipe prépare une foule de réjouissances. Propos recueillis par Emmanuelle Gall

Jadis marionnettiste, vous occupez aujourd’hui le poste de directrice des Grandes Tables. Comment la transition s’est-elle opérée ? En effet, le seul métier que je peux revendiquer, c’est celui de marionnettiste. À Marseille, j’ai longtemps travaillé avec l’équipe du Massalia. Au-delà de ma pratique artistique, j’ai pris l’habitude d’organiser les pots des premières des spectacles en créant des petites installations, puis des rencontres autour de la nourriture. J’ai pu mesurer combien les métiers de la scène et de la cuisine sont proches. Le comédien et le chef sont seuls avec leur trac avant le lever de rideau ou l’envoi d’une assiette. Leurs créations sont éphémères. À l’arrivée, ils créent des émotions uniques, chaque spectateur a son propre avis. Ensuite, je me suis lancée dans un tour du monde culinaire. Quand Fabrice Lextrait m’a appelée, en 2005, j’avais surtout envie de travailler sur la cuisine de rue, en souvenir de mon voyage, et la création d’un marché de nuit, pour permettre aux gens de faire leurs courses en sortant du boulot. Dans le même temps, il a fallu imaginer l’identité d’un restaurant dans un lieu culturel. Ce n’est pas simple, car il n’y a pas d’économie, il faut pouvoir s’adapter et établir un lien fort avec la direction. Le fait 48

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de ne pas être issus du milieu de la cuisine nous a permis, dès l’origine, d’être ouverts à tous les possibles. Toutes les expériences que nous avons menées, que ce soit avec des chefs en résidence, les « Mix en bouche », les « Brigades amateurs »… sont les fruits de rencontres, de personnalités avec lesquelles on a eu envie de créer quelque chose. Puis, à partie de 2012, le projet des carrioles m’a permis d’associer mes deux passions, puisqu’il s’agissait de réunir un artiste et un chef. Les carrioles ont en effet constitué un des projets phares de Marseille Provence 2013. Beaucoup regrettent néanmoins de ne pas les avoir vues plus souvent dans les rues de Marseille… Chaque fois que nous en avons fait la demande, la Ville de Marseille nous demandait 2000 euros par jour pour nous autoriser à installer une carriole. Du coup, nous avons été obligés de ruser et ne les sortons, à Marseille, que lorsque nous sommes invités par une autre structure. Que sont-elles devenues ? Elles existent toujours et voyagent, à Paris, à Apt, pour la fondation Abbé Pierre, par exemple. Dans la région, elles


© Pauline Daniel

Marie-José Ordener aux commandes de la carriole Air plancha, réalisée par Jean-Luc Brisson et David Onatsky, en collaboration avec le chef Fabrice Biasiolo.

« Cette année, nous voulons faire du quotidien de l’extraordinaire… générer du plaisir autour de la nourriture. »

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© Phile Deprez

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Une scène de Cucinema, présenté par la compagnie Laïka, à la Friche la Belle de Mai en 2011.

sortent souvent à l’occasion d’événements privés : Toinou nous emprunte régulièrement la plancha. D’ailleurs, certaines sont actuellement en réparation. Pour fêter nos dix ans, au mois de juin, nous allons organiser une rencontre entre des carrioles et des camions à pizzas. Ce sera comme un match, mais un gentil match. Pouvez-vous nous dévoiler les autres événements prévus pour fêter cet anniversaire ? Si notre projet, depuis l’origine, consiste à faire de « la cuisine du quotidien et de l’extraordinaire », cette année, nous voulons faire du quotidien de l’extraordinaire. Notre objectif n’est pas seulement de faire à manger, mais de générer du plaisir autour de la nourriture. Au lieu d’organiser une grande fête, on va multiplier les événements toute l’année et renouer avec des gens avec qui on a déjà travaillé. Par exemple, la compagnie Laïka, qui a présenté Cucinema et Opera Buffa en 2011 et 2012, reviendra à l’automne avec une nouvelle création : Piquenique horrifique, inspiré du Jardin des délices de Jérôme Bosch. Dès le mois de janvier, nous organisons une série de quatre repas à la Criée, en commençant par un repas littéraire, sous la forme d’un « banquet Louis XIV », en relation avec Trissotin ou Les Femmes savantes. En février, nous proposerons un « atelier conserves » autour du sanglier : 50

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à partir de l’animal, chacun découvre les techniques de découpe et de préparation, puis repart avec son bocal. En collaboration avec le Fonds Épicurien, nous allons décliner le traditionnel marché du lundi soir en quatre grands marchés, sur le thème des saisons. En mai, dans le cadre du festival Les Musiques, nous proposerons une composition sonore et culinaire intitulée Dans la chair du son (lire page 42). Avec la librairie La Salle des machines, nous lançons les « Chroniques culinaires » (lire page 61)… En février 2017, la compagnie Theatro delle Arriette viendra présenter un spectacle inspiré de L’Étranger d’Albert Camus, où le couscous joue un rôle central...

Les grandes Tables de la Friche 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 85 www.facebook.com/Les-Grandes-Tables-de-la-Friche Les grandes Tables de la Criée 30, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. 04 91 33 63 57 www.lesgrandestables.com


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LA CRÉATION, SELON ALEXANDRE MAZZIA Dans son restaurant marseillais, AM, de la chaise au bois de la table en passant par le bruit des couverts et la goutte d’huile sur l’assiette, tout a été pensé. Après dix-huit mois d’ouverture – et déjà une première étoile –, Alexandre Mazzia n’a pas fini de nous émouvoir.

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Texte : Cécile Cau • Photos : Benjamin Bêchet

l est sans cesse en mouvement, ne tient pas sur sa chaise, ferme les yeux, répond au téléphone, remonte le zip de sa veste de survêtement orange sanguine rembourrée de doudou moelleux… Alexandre Mazzia fourmille de projets pour 2016. À commencer par celui qui lui tient à cœur depuis le début : inviter des confrères à partager son restaurant. « Ce qui m’anime, c’est le principe créatif », pose-t-il comme précepte à cette nouvelle aventure. À partir du 6 février, une quinzaine de très grands chefs sont invités à se succéder pour 48 heures en résidence chez AM. David Toutain (Paris VII), Jean-Luc Rabanel (Arles), Mauro Colagreco (Menton), Pascal Barbot (Paris XVI), Tibault Sombardier (Paris VII), Dan Bessoudo (Ventabren)… la crème de la crème de la jeune génération planchera sur une thématique, une matière, une couleur de son choix. Pas la mer ou la Méditerranée, mais plus précisément « l’écume, ou le sable ou la transparence… Je veux extraire le champ lexical, ou le contexte historique ou le produit. On va s‘apercevoir qu’avec le même fil conducteur, les chemins sont différents ». Installé dans ses murs après avoir quitté le lieu magique du Corbusier, le jeune étoilé a voulu un lieu ouvert, transversal du sol jusqu’à l’assiette. Dans 52

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cet établissement vitré du huitième arrondissement marseillais, qu’aucune pancarte ne renseigne, tout participe à la création. « Nourrir l’œil » Dès le départ, Alexandre a fait appel à un designer pour les tables et les chaises, Jérôme Dumetz (le Marseillais remarqué par les Audi Talents Awards qui a exposé au Palais de Tokyo et au Mamo), comme à un architecte, Stephane Reynaud (qui a signé avec Mathieu Poitevin la Tour Panorama de la Friche de la Belle de mai), pour un coffrage mural en béton de 10 mètres de long, à la Tadao Ando. Enfin, le meilleur ébéniste local, Sébastien Mazzoni, un compagnon du devoir installé à Saint-Chamas, lui a fabriqué un meuble central en bois de 135 ans d’âge. « C’est simple, mais singulier », dit-il, « c’est l’antiscandinave. Moi, ce que je veux, c’est nourrir l’œil ». Ce lieu, dans lequel le chef a mis la même minutie dans les détails que dans sa cuisine, veut « rendre hommage à la main de l’homme et à l’artisan ». Mazzia l’a pensé pendant plus d’une année pour une vraie cohérence. Le service, adroitement rythmé, se fait discret et laisse la place aux sen-


© Agnès Mellon

« Je ne fais jamais la même assiette, mais je reste dans la même philosophie : transmettre mes sentiments et mon émotion. »

Alexandre Mazzia, à la tête du restaurant AM depuis dix-huit mois, et déjà étoilé.

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L’aubergine brulée, framboise, harissa, l’une des signatures d’Alexandre Mazzia.

sations : « S’il n’y a pas de rythmique, tu te perds. Si les gens attendent dix minutes un plat, tu es mort. Apporter le pain, débarrasser, ramener un plat, tac tac tac, c’est de la minuterie ! ». Le bois, le champagne (la maison, estimant que les bulles donnent un second souffle au repas, propose désormais 40 références en accords mets-champagne) la lumière, participent au ressenti du client. « L’atmosphère, traduite notamment par l’ambiance musicale, est importante, mais comme personne n’a le même plat au même moment, travailler sur une playlist de menu s’avère compliqué ». La vaisselle est lumineuse, pensée jusqu’à la préhension, les sensations tactiles et le métal brossé de la cuillère. « Je ne veux pas de bruit de crapaud en salle », déclare le chef qui a chiné une vaisselle spéciale antibruit. Dans l’assiette aussi, rien n’est laissé au hasard : « La façon dont tu montes les éléments : le poivre entre ces deux couches-ci plutôt que celles d’après, la goutte d’huile là, car il se forme une ombre sur l’assiette, tout a un sens véritable ». À écouter le chef, on ne mange plus pareil. Un plat iconique de vagues noires tachetées de rouge sang est servi. « L’aubergine brulée-framboise-harissa, quand les gens la voient arriver, ils se disent que ça va être aride, pensent croquant, alors qu’on est dans l’inverse. Les sensations de l’émotion s’avèrent différentes de celles de la dégustation. Le noir, pour moi, c’est toujours inspirant. Mais la couleur pour la cou54

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leur on s’en fiche, ça ne sert à rien. Il faut qu‘il y ait un sens, une émotion plus vive, déstabilisante. L’intensité du plat, son côté organique, luisant, les matières. Ça, ça me parle ». Les plats défilent dans un choc d’assemblages pétards et de juxtapositions explosives jusqu’à l’apothéose sucrée. Le dessert de poudres d’herbes, purées de légumes et fruits est un Pollock. « Je ne fais jamais la même assiette, mais je reste dans la même philosophie : transmettre mes sentiments et mon émotion. Toujours être là, c’est essentiel ». Doisneau, Depardon, la lumière chez Caravage, Canaletto à Venise… « L’art, la musique, la culture ont forcément un impact sur ce que je fais. Ça peut rejaillir indirectement, se traduire sur une matière, dans un produit. Ça n’est pas visible comme ça, mais mes jus sont plus brillants ».

AM par Alexandre Mazzia 9, rue François Rocca, Marseille, 8e. 04 91 24 83 63 www.alexandremazzia.com


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DU VIN ET DE L’ART « Art & vin », « Art en vigne » ou « de vignes »… À voir le nombre exponentiel de manifestations et lieux consacrés à la question, l’accord « arts-vin » inspire plus que jamais les vignerons, les artistes et les organisateurs d’événements. Un mariage qui remonte à l’Antiquité, sous le patronage de Dionysos, le dieu de la vigne, de l’ivresse mais aussi de la comédie, et ne s’est jamais démenti, pour le bonheur de ce qui espèrent mieux que du pain et des jeux.

© Tabas Florian

Textes : Cécile Cau

HORS LES VIGNES Créé cette année, le festival veut imaginer des liens entre vin, table et art à travers des trios de vignerons-chefs-artistes. Un nouveau rendez-vous des goûts et de la création. Forcer la rencontre entre des univers qui se côtoient, mais sans forcément dialoguer, voilà l’ambition d’Hors les Vignes. Ce festival, destiné à se répéter tous les ans, a été initié par InterVins Sud-Est, l’interprofession des vins à Indication d’Origine Protégée (IGP) d’un territoire qui comprend la Drôme, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse ou encore l’Ardèche comme les Alpilles. Une typologique tout aussi hétéroclite que la cuisine, mais « les uns comme les autres effectuent un travail de création, d’assemblage, d’humain », résume Sabine Camerin qui pilote l’événement. Rassemblés aux Docks le temps d’une journée, ces vins identitaires creuseront le champ culturel avec les artistes du cru et les chefs de Gourméditerranée. Sculptures, peintures, performances, musiques, bouchées thématiques… autant de cartes blanches qui ponctueront la journée. Neuf trios de chefs-vignerons-artistes viendront titiller, chacun avec leur vision, la sensation, la boisson, l’odeur, le nez, la bouche… Avec Lionel Lévy, le graphiste marseillais Tabas envisage par exemple cette transversalité à travers « des simulations d’ivresse » : des étiquettes floues, des gouttes en papier s’échappant d’un verre renversé, une nappe salie d’une tâche brodée… L’imaginaire a rendez-vous dans le verre. 56

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Propositions du graphiste Tabas autour du vin.

Le 23 avril. Docks des Suds, 12, rue Urbain V, Marseille, 2e. 04 91 99 00 00 www.intervins-sudest.org


© Larry Neufeld © Gehry Partners et Château La Coste

CHÂTEAU LA COSTE

Art et architecture dans les vignes : (en haut) Drop de Tom Shannon et (en bas) le pavillon de musique de Frank O. Gehry.

Dans cette propriété mi fondation artistique mi domaine viticole, sur les Coteaux d'Aix-en-Provence, tout s’assemble au grand air. Ici, l’art pousse comme le raisin : dans les vignes. Matthieu Cosse, l’œnologue maison, procède avec la même ardeur à la visite du magnifique chai que lui a construit sur mesure Jean Nouvel, qu'à celle des œuvres d’art qui peuplent les rangs. Louise Bourgeois, Calder, Lee Hufan, sauvignon blanc, syrah, rolle… même combat. Dans ce vaste domaine de l’arrière-pays aixois, on porte la même attention au liquide et au marbre, aux bouteilles et à la pierre : « Le Château La Coste est aujourd’hui comme un domaine où les vignes, l’art et l’architecture s’expriment librement ». Artistes et architectes participent à son paysage comme le vigneron façonne son identité. C’est un peu une question de savoir-vivre. Et d’ailleurs l’architecte japonais Tadao Ando a construit en 2011 l’art center qui comprend… un restaurant. Comme si déjeuner dans du béton signé, face au Small Crinkly d’Alexandre Calder, donnait un nouveau sens au manger et au boire. Effectivement, tout cet environnement nourrit l’esprit et enrichit le regard. Dans sa philosophie d'équilibre, l’épicurien ne met pas de barrière. Depuis son arrivée en 2006, Matthieu Cosse pousse vers la transformation en biodynamie. On veut préserver un terroir et c’est peut-être pour cela que l’art peut y pousser mieux qu’ailleurs.

2750, route de la Cride, Le Puy-Sainte-Réparade. 04 42 61 92 92. Visites : 12-25 €. www.chateau-la-coste.com

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© gethan&myles - Voyons voir

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© Miguel de Palma - Voyons voir

DOMAINE DE SAINT-SER

Les oeuvres de Miguel de Palma (à gauche) et gethan&myles (à droite) au domaine de Saint-Ser, en 2013 et 2015.

Depuis 2007, le domaine accueille chaque année des artistes en résidence, le temps d’une création puis d’une exposition à ciel ouvert, l’été, au pied de la Sainte-Victoire. Lorsque Jacqueline Guichot a plaqué sa pharmacie pour ce domaine des Côtes de Provence, « le plus haut sur la SainteVictoire avec un cadre très inspirant, un véritable site », il n’était pas question pas question pour elle de « rester une bouseuse dans son coin ». Quitter Paris oui, mais pas sa richesse culturelle. En 2007, sa rencontre avec l’association aixoise Voyons Voir ouvre son espace viticole de 33 hectares au champ artistique. Chaque année, elle accueille ainsi en résidence un ou deux artistes pour la production d’œuvres in situ. « C’est une nouvelle approche du site, des paysages et des situations », explique Jennifer Labord, chargée de projet à Voyons Voir, « la présence d’artistes permet de faire interagir la création contemporaine avec l’endroit ». Certains s’inspirent de l’ordonnancement du vignoble (Clément Bagot, 2012), d’autres, comme gethan&myles, l’année dernière, travaillent sur la restauration des restanques, les derniers jouent avec la terre. « Certaines œuvres font référence au vin ou au terroir », constate Jacqueline Guichot, « mais si le lieu est investi, honnêtement la vigne, elle, n’est pas très affectée ». Cette aventure humaine imprègne la vigneronne, l’enrichit, mais au même titre que la minéralité du terroir. De là, à retrouver l’art en bouteilles… « La bouteille, c’est mon art personnel », conclut-elle.

Avenue Cézanne, Puyloubier. 04 42 66 30 81. Entrée libre. www.saint-ser.com www.voyonsvoir.org

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MORCEAUX CHOISIS DE LA SALLE DES MACHINES

Depuis qu’elle s’est agrandie et transformée en « café-librairie », il y a tout juste un an, la Salle des Machines a trouvé son identité et son public. On vient y lire en déjeunant, assister à des lectures, des rencontres ou des ateliers… Parmi les ouvrages du rayon cuisine – copieux et pointu – qu’elle a créé, Damaris Bentz a sélectionné pour 8e art quelques perles

HANS GISSINGER « Hans Gissinger réalise des plongées photographiques dans les « rêves et cauchemars » de Marc Meneau, chef de l’Espérance à Vézelay, dans le gras d’une infinie variété de saucissons ou dans le feu et la science complexe de la cuisson par la braise. Ses enquêtes gastronomico-ethnologiques menées avec Gilles Stassart et Gérard Oberlé forment les plus étranges livres de cuisine, les plus crus, mais aussi les plus délectables. » Salami, textes Gérard Oberlé, (première édition Woodstock, 2001) réédition 2002, Le Rouergue/Actes Sud, 2002, 152 pages, 19,30 €. 600 °C, textes de Gilles Stassart, édition Le Rouergue, 2012, 365 pages, 49 €. 60

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SAVEURS SAUVAGES « À la demande de Julien Fouin, 28 chefs livrent leurs secrets de cuisine et leurs souvenirs autour du gibier, illustrés par les portraits et natures mortes de Carrie Solomon, pareils à des tableaux XVIIe. L’ouvrage est introduit par une truculente correspondance entre Gérard Oberlé et Jim Harrison, deux écrivains amoureux de la chasse et de la cuisine. » Saveurs sauvages : 28 chefs cuisinent le gibier, Julien Fouin, Carrie Solomon, édition Le Rouergue, 2011, 160 pages, 35,50 €.


LES ÉDITIONS STERNBERG PRESS « Sternberg Press publie une série de luxueux petits livres, On the Table, consacrée aux relations entre l'art et la nourriture dans l'histoire. Le dernier en date, The Futurist Cookbook de F.T. Marinetti et Fillìa, est une réédition du manifeste de cuisine futuriste de Marinetti et son collaborateur. Regorgeant de recettes expérimentales, le livre constitue une exploration multidimensionnelle des métabolismes culturels, autour de la table à manger... Aux mêmes éditions : The Architecture of Taste, souvenir graphique et textuel d’une performance culinaire du chef Pierre Hermé à la Harvard University Graduate School of Design. » Collection On the Table, Sternberg Press. Pierre Hermé, The Architecture of Taste, édition Sternberg Press, 2015, 96 pages, 12 €.

LES GRANDES CARRIOLES DE LA FRICHE

« Sur la proposition du restaurant Les Grandes Tables de la Friche la Belle de Mai, des chefs et des artistes ont mis en commun leur imaginaire pour créer les Grandes Carrioles : 8 cuisines ambulantes, 8 carrioles de caractère qui sillonnent les routes, offrant une restauration sur le pouce. Cuisson à la vapeur, à la plancha, au wok, friture, grillade, bouillon ou cru, les carrioles proposent une interprétation en version street food des produits et des saveurs de Méditerranée. » Les Grandes carrioles de la Friche, Julia Sammut, Martin Desbat, Pauline Daniel, édition Le Bec en l’air, 2013, 96 pages, 25 €.

MANGER ENSEMBLE « Les Cahiers européens de l’imaginaire sont une publication annuelle, polyglotte, rassemblant les enseignements d’auteurs de référence, les perplexités de jeunes chercheurs et d’autres façons de faire : des poètes, des photographes et des dramaturges. Le cinquième numéro, sous la direction de Michel Maffesoli, invite à évoquer la complexité du « Manger ensemble ». Au-delà du besoin physiologique de se nourrir, il y a dans ce « fait » tout un ensemble de désirs, d’imaginaires, d’esthétiques, constituant les formes fondamentales de tout vivre-ensemble. »

180°C « Avec 180°C, il s’agit de cuisine « authentique, attachée aux saisons ». La revue aborde la cuisine par ses figures, connues ou non, ses produits, ses classiques, ses techniques. Bénéficiant d’une maquette très léchée – illustrations originales, superbes photos –, 180°C propose reportages, recettes et portfolios. Les éditions Thermostat 6 publient également, avec la même minutie, Le Traité de miamologie, « étude des disciplines nécessaires aux gourmands » et Man & Food, aux origines, 7 peuples/7 alimentations primitives… » Revue 180°C : des recettes et des hommes, # 6 (automne-hiver 2015), 20 €. Matthieu Paley, Man & food, édition Thermostat 6, 2015, 240 pages, 30 €.

Les Cahiers européens de l'imaginaire n°5 : Manger ensemble, Michel Maffesoli (sous la dir.), éditions CNRS, 2013, 360 pages, 30 €.

MANGER LA MER : CHRONIQUES CULINAIRES DE CHRISTIAN QUI Les grandes Tables de la Friche et la Salle des Machines préparent avec Christian Qui 4 repas tels des chroniques culinaires pour l'année 2016. Le chef de Sushiqui composera 4 repas-événements autour de ses expériences et de sa relation à la cuisine. Ces repas seront imaginés avec la complicité de producteurs, pêcheurs, maraichers, etc. Chaque dîner sera l'occasion d'un événement qui rendra compte aux convives des rencontres préalables et de l'élaboration du repas conçu par le cuisinier et ses invités. Les jeudis 7 avril, 16 juin, 21 septembre et 17 novembre. La Salle des machines, café-librairie de la Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e.04 95 04 95 95

Programme à suivre sur le site : www.lafriche.org

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PORTFOLIO

Eric Bourret

ERIC BOURRET : PHOTOGRAPHIES 2005-2015

ET L’ESPACE FERA DE MOI UN ÊTRE HUMAIN Texte : Emmanuelle Gall

A

ttention, ceci n’est pas une toile, même s’il s’agit d’un « tirage pigmentaire sur papier coton », monté sur un châssis. Mais ce n’est pas pour autant de la peinture. Éric Bourret fait partie des photographes qui s’inspirent de la matérialité picturale, mais il appartient également à la famille des land artistes et des photographes marcheurs. Sa biographie indique qu’il vit dans le Sud de la France (entre Marseille et La Ciotat) et en Himalaya. C’est là qu’il a parcouru une bonne partie des 2500 kilomètres désormais affichés à son compteur. Depuis les années 90, il a également arpenté les montagnes françaises et italiennes, en particulier l’Etna, en cherchant à « rendre visible le temps parcouru des espaces traversés ». Pour ce faire, il a mis au point un protocole quasi scientifique : « Je m’impose un mode opératoire qui consiste à me déplacer entre chaque prise de vue et à déclencher pour un même motif que je cadre, 6 ou 9 saisies sur le même négatif afin d’obtenir une image photographique. Un feuilleté temporel de la somme totale de toutes les mémoires et expériences vécues ici est rendu visible sur une seule image. » Voilà comment le photographe parvient à faire vibrer ses images et à traduire l’impermanence de la nature. Depuis quelques années, ce « piéton d’altitude », abonné au noir et blanc, s’est mis à la couleur et au voyage en mer : Atlantique et Méditerranée lui offrent un nouveau terrain de jeu, comparable à bien des égards avec la montagne. Invité à photographier Venise, il aborde la ville sur pilotis, sous l’angle des amers et autres pieux de bois qui en constituent la matrice… Pour sa première « quasi » rétrospective dans la région, Éric Bourret est l’invité du musée Ziem, un autre artiste voyageur, dont quelques toiles vénitiennes restent exposées au deuxième étage. Lucienne Del’Furia et son équipe ont particulièrement soigné la scénographie (réalisée en collaboration avec l’artiste), mais aussi coédité un somptueux catalogue et concocté une foule de rendez-vous (gratuits) autour de l’exposition.

Jusqu’au 28 février. Musée Ziem, 9, boulevard du 14 juillet, Martigues. 04 42 41 39 60. Entrée libre.

WWW.

ville-martigues.fr

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Belle-Ile, France, 2014, 130 x 180 cm.


Venise, Italie, 2013, 60 x 75 cm.


Lure, France, 2010, 140 x 110 cm.


Ladakh, Himalaya, 2010, 145 x 175 cm.



Cap SiciĂŠ, France, 2005, 110 x 110 cm.


Zanskar, Himalaya, 2010, 145 x 175 cm.


Ladakh, Himalaya, 2011, 110 x 140 cm.


Sainte Baume, France, 2005, 140 x 110 cm.


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P.94 ENFANTS P.92 EXPOS P.88 MUSIQUES P.80 SCÈNES

© Christophe Raynaud De Lage

P.78 L'ÉVÉNEMENT

AGENDA

CU LTU RE L

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SORTIR

PHIA MÉNARD : DE L’ÂPRETÉ D’ÊTRE HUMAIN Explorant depuis une dizaine d’années la confrontation du corps aux éléments érosifs, Phia Ménard travaille sur la question de l’identité de genre. La Criée rend hommage à cette artiste hors norme à travers plusieurs rendez-vous, dont sa récente création Belle d’hier. Texte : Julie Bordenave

P

hia Ménard aime les présences désincarnées. Sur le plateau, ses artistes peuvent se heurter à des réfrigérateurs motorisés, une turbine géante, des silhouettes figées et encapuchonnées, qui vont modifier peu à peu l’espace de jeu, d’une manière ou d’une autre. Ce goût de l’inattendu, de l’indomptable, du « faire avec » les éléments, lui vient sans doute du cirque. Car dans une première vie, Phia était Philippe, jongleur de son état. Ses spectacles, rugueux, mettaient déjà en scène une confrontation à d’insolites accessoires : jongle avec des pneus, des cactus... Au cours des années 2000, l’artiste opère sa mue vers une féminité tapie pendant plus de trente ans. Ce changement de genre, cette nouvelle identité à apprivoiser, se lisent en filigrane dans son projet I.C.E. (pour Injonglabilité Complémentaire des Eléments) entamé en 2008. P.P.P., et son menaçant plafond de 120 lourdes boules de glaces, explosant par terre de manière aléatoire ; Vortex, et sa tornade artificielle de 4 mètres de diamètre, saturant peu à peu l’air d’un corps de ballet de sacs plastiques, aussi gracieux qu’effrayant... D’une beauté souvent sidérante, les spectacles de la compagnie Non Nova sont des expériences – parfois inconfortables – à vivre pour le spectateur. Saisi dans son empathie, il y trouvera toujours, magie de l’allégorie circassienne, un écho à sa propre condition : ivresse de l’émancipation, triomphe temporaire des contraintes et des empêchements, inéluctable chute. « Jongler avec de la glace est une forme d’utopie, travailler au centre d’une tornade en est une autre. P.P.P. est une quête pour rester debout, Vortex pose la question de l’espace contredit : comment continuer à maîtriser les objets, quand les éléments sont contre soi ? J’invite le public à vivre des combats qu’il sait perdus d’avance », déclare Phia Ménard. Sa nouvelle création, Belle d’hier, la voit s’affranchir des balles, comme de la mise en jeu : Phia n’est plus sur le plateau, mais elle y dirige cinq danseuses. La donnée aléatoire des éléments est toujours là, l’eau se fige cette fois dans des robes congelées, lors d’une magistrale scène d’ouverture : « Je voulais travailler la question du mythe féminin par les robes – de mariées,

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D’UNE BEAUTÉ SOUVENT SIDÉRANTE, LES SPECTACLES DE LA COMPAGNIE NON NOVA SONT DES EXPÉRIENCES – PARFOIS INCONFORTABLES – À VIVRE POUR LE SPECTATEUR. de princesses, de vierges… Je m’amuse à taquiner la légende du prince charmant qu’on assène aux petites filles. Comme il tarde à venir, les robes s’évanouissent au fur et à mesure de la performance, symbolisant la disparition du mythe et l’image du vide. » Belle d’hier évoque, tour à tour, des images d’abattoir et de destruction, d’aliénation domestique et de reprise de pouvoir... Le spectacle mise sur le temps qui s’étire et se répète, sa lecture littérale peut désarçonner, s’éprouver dans la douleur ou la sérénité. Nourrie de lectures anthropologiques (et notamment de Françoise Héritier), Phia continue de remettre en cause la société hétérosexuelle patriarcale, de manière virulente et poétique. La rencontre avec sa prose crue et virevoltante, qui sonne toujours terriblement juste, se reçoit comme un indispensable complément sensible à ses pièces : « La violence se situe au moment où l’on prend conscience que l’on est vivant. Plus l’on s’aventure à essayer de comprendre le monde et ce que l’on est, plus ça devient dur. Chaque écriture de Non Nova parle d’un combat. La grande question est de faire en sorte que ce que nous écrivions soit d’une violence juste. Modestement, pour vous rappeler qu’on est faits d’os, de chair, de sang. » Invasion ! Phia Ménard Jusqu’au 6 février. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. 04 96 17 80 00. 6-24€ (35 € pour le Dîner littéraire). www.theatre-lacriee.com


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L'ÉVÉNEMENT

© Jean-Luc Beaujault


SORTIR

ENTRE-DEUX BIENNALES

Après le succès de la première Biennale de cirque, créée en 2015 dans le sillage de Marseille Provence 2013, le Centre Européen des Arts du Cirque (CREAC) s’investit dans une édition intermédiaire, pour faire patienter jusqu’à 2017. Maître mot : continuer de fédérer les lieux, pour « parler Cirque aux publics du territoire tout au long de l’année ». Dans la programmation, répartie dans six lieux, on retrouve de grands noms du cirque contemporain : tandis que la Criée concocte un temps fort autour de Phia Ménard (lire page précédente), au Merlan, c’est le « distorsionniste » Jean-Baptiste André qui reprend son spectacle fondateur (Intérieur nuit, 2004), suivi de près par les Gandini et leur irrésistible hommage british à Pina Bausch (Smashed). Au Bois de l’Aune, le surdoué Mathurin Bolze réinvestit sa marotte, l’univers d’Italo Calvino, en nous présentant deux créations pensées à treize ans d’intervalle (Fenêtres, 2002 ; Barons perchés, 2015). De son côté, le CREAC assume son rôle de Pôle national du cirque, en soutenant la création émergente et locale (Crash Again, Hêtre...). Le moment iconoclaste du festival, ce sera sans conteste la prestation du flamboyant Gulko (Compagnie Cahin Caha), qui nous fera (re)visiter avec panache le fond cirque du Mucem (au Centre de Conservation et de Ressources), par la voix de son clown Bottom. Irrévérences à prévoir. J.B.

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© Christophe Raynaud De Lage

SCÈNES

Jusqu’au 7 février. Divers lieux à Marseille et dans la région. 04 91 55 61 64. 0-24 €. www.entre-deux.biennale-cirque.com


© Frederic Jean Buisson

© Ingeborg & ÿyen Thorsland

SCÈNES

LES ÉLANCÉES

FESTIVAL PARALLÈLE Après une fin d'année 2015 particulièrement mortifère, pourquoi ne pas démarrer 2016 en partant à la découverte de jeunes artistes internationaux ? C'est ce que nous propose le festival Parallèle, qui ouvre – en grand – une fenêtre sur cette génération de créateurs dits « émergents ». Une quinzaine de propositions, comme un véritable appel d'air, pour nous interpeller sur notre état de conscience, sur notre pouvoir de citoyens, sur nos convictions, nos

croyances, nos icônes, sur les ressorts du conditionnement, sur la façon de détourner les codes... Les approches sont ludiques, poétiques, parfois féroces, ingénieuses. Plusieurs structures de la région (le Merlan, les Bernardines, le Gymnase, la Minoterie, le FRAC, le MucEM, la scène nationale de Cavaillon, le théâtre d'Arles...) s'associent généreusement à cette programmation. Et si finalement, l'année 2016 s'annonçait très prometteuse ? F.K.

Du 27 janvier au 5 février. Divers lieux à Marseille et dans la région. 04 91 11 19 33. Pass « 1 lieu - 1 soir » : 15-25 €. www.festivalparallele.com

Par « arts du geste », les Élancées entendent danse et cirque contemporains ou encore formes hybrides et participatives en espace public, telle la Happy Manif de David Rolland. Parmi les vingt compagnies accueillies cette année, des classiques : Max & Maurice, offrant la dégustation d’un repas avec acrobates et clowns philosophes (Les Grands fourneaux), Baro d’Evel et sa ménagerie (chevaux, perruches, corbeau-pie), les deux acrobates un brin tatillons de Sacekripa. Mais aussi des nouveaux venus prometteurs : les illusions d’optique de la Cie Sisters, les gastéropodes de Kadavresky, ou encore l’univers rock du Cirque exalté. Et toujours, une politique tarifaire basse, pour permettre à tous des découvertes dans des lieux variés (théâtre, yourte, parc, chapviteau...). J.B. Du 29 janvier au 7 février. CornillonConfoux, Fos-sur-Mer, Grans, Istres, Miramas et Port-Saint-Louis-du-Rhône. 04 42 56 31 88. 3-10 €. www.scenesetcines.fr

© Dalia-Khamissy

ANTIGONE OF SHATILA Ce théâtre-là est, au sens le plus noble du terme, politique. Le metteur en scène syrien Omar Abusaada a travaillé avec 17 femmes, réfugiées dans les camps au Liban, notamment celui de Shatila. Il les a confrontées à Antigone, la figure mythique de la résistance au pouvoir arbitraire. Or, toutes ces femmes, comme l'héroïne de Sophocle, ont perdu un être cher, ont été face à l'injustice et à l'oppression. Le spectacle trouve son point d'incandescence à l'endroit où s'entrecroisent tragédie fictionnelle et tragédie réelle. Les 17 « actrices amatrices » transfigurent le mythe, elles y insufflent la vie... Et l'espoir. Ce spectacle, créé au Liban en mai dernier, débute sa tournée européenne par Marseille, dans le cadre du second volet des Rencontres à l'échelle. F.K. Le 29 janvier, 19h30, et le 30, 20h30. Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 91 64 60 00. 10-15 €. www.lesrencontresalechelle.com

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SCÈNES © Simon Hallstrom

SORTIR

KING SIZE

Depuis sa création en 2013, ce « récital de chant » monté par le metteur en scène suisse Christophe Marthalter fait l’unanimité. Parce qu’il parvient à associer, dans un même livret, des compositions allant de Wagner aux Jackson Five, en passant par Éric Satie, Boby Lapointe ou Michel Polnareff. Parce qu’il « parle » de l’amour et du couple sur un ton décalé, avec humour, poésie et nostalgie. Inspiré par la technique de composition musicale appelée « enharmonie », qui transcrit un même son de deux manières différentes (tels, par exemple un sol dièse

et un la bémol), Christophe Marthalter y voit une métaphore des relations humaines. Sur une scène transformée en chambre de vaudeville flanquée d’un lit king size, il fait évoluer quatre personnages : un couple formé par Tora Augestad et Michael von der Heide, un pianiste-chanteur (Bendix Dethleffsen) et une drôle de vieille dame (Nikola Weisse). Chaque moment de la vie quotidienne est prétexte à une chanson, une danse ou un mime, tantôt burlesques et hilarants, tantôt tragiques. Comme la vie. E.G.

EL ORGULLO DE LA NADA Avec le cycle « Objets déplacés », le MuCEM se lance dans une nouvelle aventure : inviter des figures des arts de la scène à créer une œuvre à partir d’objets puisés dans ses collections. Après Kornél Mundruczó et Nacera Belaza, c’est au tour de l’artiste espagnole inclassable Angelica Liddell de proposer El orgullo de la nada (« l’orgueil du rien »), une « installation-performance » inspirée par des coiffes bretonnes, un pain et une roue. « Je n'ai pas visité le musée avec une idée préconçue. Mais, peu à peu, au fil de la visite, j'ai développé une aversion à l'idée de la conservation, à cause du terrible conflit entre l’objet impérissable et l’expiration du corps humain, entre tous ces objets sans esprit qui survivent au corps animé qui, un jour, les avait possédés », confie-t-elle. C’est dans cet état d’esprit qu’Angelica Liddell a choisi ces objets, qu’elle perçoit comme autant de « vanités ». E.G. Le 4 mars, 20h30, et le 5, 16h et 20h30. Auditorium du MuCEM, 7, promenade Robert Laffont, Marseille 2e. 04 84 35 13 13. 11-15 €. www.mucem.org

© Mucem

Du 15 au 18 mars, 20h30, le 16, 19h. Théâtre du Gymnase, 4, rue du Théâtre Français, Marseille, 1er. 08 20 13 20 13. 9-35 €. www.lestheatres.net

SCHITZ

© Danny Willems

Quand une compagnie belge s'essaie à l'humour juif, le résultat est pour le moins décapant. Chez les Schitz, l'argent règne en maître absolu. Et ce dictateur n'épargne rien, ni personne. Dans cette famille-là, tout s'achète et tout se vend, surtout les sentiments. La mise en scène épurée de David Strosberg laisse entièrement le champ libre au jeu des comédiens. Cette absence d'artifice rend encore plus violent le faceà-face avec ces personnages grotesques. Une farce atrocement drôle sur un monde devenu entièrement marchand. F.K. Les 25 et 26 février, 20h, et le 27, 19h. Théâtre Joliette-Minoterie, 2, place Henri Verneuil, Marseille, 2e. 04 91 90 83 70. 3-20 €. www.theatrejoliette.fr

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© Philippe Lebruman

SCÈNES

LES ARMOIRES NORMANDES Quand les Chiens de Navarre s’attaquent à la relation amoureuse, ça déménage… et pas seulement des armoires normandes. Né en 2005, le collectif qui compte aujourd’hui dix membres multiplie les créations et fidélise un public de plus en plus large. Prônant un théâtre « sans texte », dont les auteurs sont les acteurs et où le metteur en scène (qu’il est) ne revendique aucun pouvoir particulier sur un spectacle « jamais figé », considéré comme « prolongement des répétitions », Jean-Christophe Meurisse a proposé à ses camarades d’explorer « pour le meilleur et pour le pire, toutes nos joies et misères affectives ». Le résultat : un enchaînement délirant et souvent hilarant de saynètes, qui commence par une descente de croix iconoclaste et blasphématoire à souhait, se poursuit avec des interviews de couples, un mariage improvisé, une naissance, une séparation, une mort… et s’achève sur un sirtaki dansé par deux créatures à poils (très) longs. E.G. Du 22 au 26 mars, 20h30, le 23, 19h. Théâtre du Gymnase, 4, rue du Théâtre Français, Marseille, 1er. 08 20 13 20 13. 9-21 €. www.lestheatres.net

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Là où son père Jacques Higelin et son frangin Arthur se posent chacun dans leur style, en incontournables de la chanson française à texte, Izia préférait se la jouer en anglo-saxon sur So Much trouble, album rock qui l’avait propulsée en 2011. Comme pour prendre à nouveau le public à contre-courant, celle qu’on pourrait aussi appeler Mademoiselle H a sorti au printemps La Vague, une galette en français ! Pas question toutefois de s’inscrire dans une quelconque lignée familiale, ni de (re)multiplier les saturations de gratte à outrance ou de se tenter à écrire de belles paroles. Non, l’envie est de s’essayer à l’électro pop, façon Christine and the queens. La formule est atypique et… légère, mais semble à l’écoute des neuf titres qui ponctuent l’album, taillée pour le live. Le signe en tout cas qu’Izia a de nombreuses cordes à son arc. À vingt-cinq ans, elle a déjà une décennie de scène à son actif et ses interprétations font souvent mouche. Elle cumule les récompenses aussi bien dans l’industrie musicale (Victoire de la musique), que cinématographique (César du meilleur espoir féminin en 2013), des signes de sa popularité et d’une capacité à dompter la foule hors pair. Car, au fond, peu importe les genres qu’elle brasse, son attitude et l’impression de force dégagée lors de ses tours de chant donnent l’agréable impression que pour elle, tout est à la fois facile et viscéral. À écouter sans Ennuis, comme le suggère un morceau où elle invite à ses côtés, un autre touche-à-tout, en la personne d’Orelsan. Forcément, là encore, la collaboration détonne. C.C. Le 3 mars, 20h. Espace Julien, 39, cours Julien, Marseille 6e. 04 91 24 34 10. 28 €. www. espace-julien.com

© Christophe Raynaud De Lage

MUSIQUES

IZIA, EN VERSION FRANÇAISE


DR

MUSIQUES

© Marc Coudrais

THOMAS DUTRONC

REEVOX

En quatre ans, le festival dédié aux musiques électro-acoustiques organisé par le Gmem (Groupe de musique expérimentale de Marseille) a réussi à se forger une identité, entre musique savante, musique actuelle et pluridisciplinarité (performances, concerts, conférences, arts plastiques…). L’affiche riche et variée de cette cinquième édition confirme l’exigence et l’audace des programmateurs en nous conviant dans des contrées où le son se fait paysage, matière, lumière, souvenirs, musiques ou danses. Ainsi dans Ruines, Franck Vigroux nous plonge dans une exploration sensible des ruines contempo-

raines. Exo nous fait « écouter les étoiles » en temps réel, dans une proposition de la plasticienne Félicie d’Estienne d’Orves transformant l’espace avec ses installations de lumière, sur une musique improvisée par Julie Rousse. Waterbowls et Curved Water de Tomoko Sauvage dirigent nos sens vers l’intimité du son de l’eau, liquide ou glacée. Chacune des propositions de cette vingtaine d’artistes issus d’horizons plastiques et géographiques variés (France, Japon, Liban, États-Unis, Norvège…) stimule notre curiosité et déplace les frontières de nos représentations, pour le plaisir démultiplié de nos sens. O.L.

Du 2 au 6 février. Divers Lieux à Marseille et Aix-en-Provence. 04 96 20 60 16. 6-10 € la soirée. www.gmem.org

Le fils de Jacques s’est d’abord affirmé en revendiquant une autre illustre paternité musicale : Django Reinhardt. Trois albums plus tard, si sa guitare manouche vibre toujours (« Minuit moins le quart », « Qui je suis », « Archimède »), le chanteur navigue dans des paysages plus pop. Une pop d’aujourd’hui (son « Aragon » rappelle Dominique A), mais hantée par la variété des années 60 justement (reprise de « Chez les yéyés » de Gainsbourg). Hommage musical à ses mentors avec, cette fois, le paternel ouvertement invoqué, dans la voix à la désinvolture élégante, comme dans l’écriture ludique de « J’me fous de tout » ou « Je ne suis personne » (en duo avec son père sur l’album). La revendication sereine d’une féconde filiation, à voir sur scène. O.L. Le 4 février, 20 h. Le Silo, 35, quai du Lazaret, Marseille, 2e. 04 91 99 02 50. 38,5-49,5 €. www.silo-marseille.fr

© Tim Deussen

GENERAL ELEKTRIKS Deux bonnes nouvelles d’un coup. La première : le tout beau, tout chaud nouvel album de General Elektriks, To be a stranger, sort le 29 janvier. Depuis 2011 et Parket street, on attendait patiemment que le compositeur et « keyboards-héros » Hervé Salters donne signe de vie. On le retrouve inchangé, avec son gout prononcé pour la Clavinet de Stevie Wonder et autres claviers vintage, les mélanges décomplexés et expérimentaux de funk, hip-hop, rock, soul, et son sens imparable du rythme. La seconde nouvelle, c’est que General Elektriks est en tournée. Ceux qui les ont déjà vus sur scène savent. Pour les autres, une mise en garde : ces shamans funkys excellent dans l’envoutement festif. O.L. Le 17 mars, 20h. Espace Julien, 39, cours Julien, Marseille, 6e. 04 91 24 34 10. 25 €. www.espace-julien.com

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MUSIQUES DR

SORTIR

OXMO PUCCINO

Des concerts, évidemment, mais aussi des spectacles, des conférences, des fi lms et même des « étapes gourmandes (lire page 42) » ! Depuis 2013, Mars en Baroque ne cesse de s’enrichir et de gagner du terrain, déployant, pour cette quatorzième édition intitulée « Le Peuple, le Roi, de l’Église à l’Opéra », une trentaine de propositions dans près de 20 lieux. Si l’on attend avec impatience la recréation de L’Oristeo de Francesco Cavalli à la Criée, jamais repris depuis 1651, il serait dommage de réduire le festival à ce seul événement.

Au fi l des jours et de ses humeurs, on pourra commencer par le cycle de musique sacrées (polyphonies corses et « savantes », chants soufis et musiques arabo-andalouses, compositions de Salomone Rossi pour la synagogue) à la Villa Méditerranée, enchaîner avec des cantates françaises baroques autour des « femmes » d’Ulysse, chantées par la soprano Raphaëlle Kennedy, passer un week-end baroque au château Borély et fi nir en beauté par une journée d’improvisations autour de L‘Off rande musicale de Bach à la Friche. E.G.

Le 19 mars, 20h30. Le Moulin, 47, boulevard Perrin, Marseille, 13e. 04 91 06 33 94. 26-28 €. www. lemoulin.org

Du 3 au 27 mars. 18 lieux à Marseille, 04 91 90 93 75. www.marsenbaroque.com

BERTRAND BELIN

© Ph. Lebruman

Écouter Bertrand Belin, c’est un peu se remémorer les belles heures d’Alain Bashung… tant l’auteur-compositeur-interprète, dont la voix, à la fois grave et suave, emporte l’auditoire dans un univers singulier. Dans un registre folk, avec des successions de mélodies à la guitare sèche, associées à des tonalités électros, il propose un mélange du plus bel effet, qui déconcerte puis envoûte. Surtout que le bonhomme sait jouer sur les boucles musicales et la répétitivité de paroles, profondes et habitées par le spleen. On en redemande. C.C. Le 16 mars, 21h. Cargo de nuit, 7, avenue Sadi Carnot, Arles. 04 90 49 55 99. 12-18 €. www. cargodenuit.com

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© Vincent Desailly

MARS EN BAROQUE

Un peu facilement surnommé « le black Jacques Brel » pour la qualité de ses paroles, Oxmo Puccino se démarque surtout de ses confrères rappeurs par ses flows à tendance jazzy. Tendre et langoureux dans les approches, viril dans le texte, sans tomber dans la grossièreté, le natif du Mali séduit et multiplie les métaphores comme les oxymores. On se souvient, par exemple, du Cactus de Sibérie qu’il plantait en 2004 et de L’arme de paix qu’il brandissait cinq ans plus tard. Aujourd’hui, à quarante ans, il dicte, avec sa Voix Lactée, une Slow life pas si tranquille, où il appelle à prendre Le marteau et la plume. Tout un symbole. C.C.


© François Berthier

MUSIQUES

AARON

© Didier D Daarwin

On a découvert l’univers planant d’Aaron (pour Artificial Animal Riding On Neverland), il y a déjà huit ans. Simon Buret et Olivier Coursier signaient le sublime U-Turn (Lili) : bande originale du poignant Je vais bien ne t’en fais pas… Depuis, le duo frenchy a su imposer ses ballades pops, visuelles, voire cinématographiques, aussi bien en Europe qu’en Amérique, où ils jouent régulièrement à guichets fermés. Lancé par une vidéo mettant en scène John Malkovich, le dernier opus, We cut the night, s’inscrit dans la lignée des précédents. À défaut de révolution, cette envie de « couper la nuit » témoigne d’un souci du détail qui frise l’obsession. De Shades of Blue à Blouson noir, Aaron décline les couleurs, cherche la beauté dans le sombre, l’obscur… invitant à parcourir une Magnetic Road sinueuse, plus proche de l’esprit du Lost Highway de David Lynch que de la Winding Road des Beatles. Avec l’envie, en somme, de décrire un Neverland à soi, loin de celui de Peter Pan, avant de décoller et d’atterrir Maybe on the Moon. Qui sait ? C.C. Le 26 mars, 21h. L’Usine, Route de Fos, Istres. 04 42 56 02 21. 22-25 €. www.scenesetcines.fr

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SORTIR

PLAY : DESIGN POUR LES MARTIENS ET LA RÈGLE DU JEU Avec leur titre ludique et sans prétention, les deux volets de l’exposition Play, accrochés simultanément au château Borély et au Studio Fotokino, réunissent quelques-uns des designers et graphistes les plus créatifs du moment. Au musée des Arts décoratifs, disséminés parmi les pièces de la collection permanente, les objets et textiles d’une douzaine de créateurs (en majorité européens) racontent, sans en avoir l’air, une histoire du design contemporain. Depuis la création du groupe Memphis à Milan en 1980, autour d’Ettore Sottsass, dont on peut voir une série de vases étonnants (réalisés au CIRVA, à Marseille), cette discipline fait preuve d’une imagination et d’un humour que de nombreux jeunes créateurs reprennent à leur compte. Au Studio Fotokino, on retrouve les affiches, documents imprimés, livres et objets de nombreux compagnons de route de l’association. Ce deuxième volet, presque un manifeste, plaide pour une certaine idée des arts graphiques, poétique et artisanale, préférant le dialogue à la communication. En parcourant le Château Borély, plan à la main comme dans un jeu de piste, ou en s’attardant devant les Consonnes de Pierre di Scullio, les Sculptures alphabétiques de Paul Cox et les images tramées de Thomas Couderc et Clément Vauchez, alias Helmo, le spectateur se prend volontiers au jeu et vérifie à quel point les arts dits « appliqués » n’ont rien à envier à leurs homologues « plastiques ». E.G.

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La règle du jeu Jusqu’au 31 janvier. Studio Fotokino, 33, allée Léon Gambetta, Marseille 1er. 09 81 65 26 44. Entrée libre. www.fotokino.org

© Sottsass

EXPOS

Design pour les Martiens Jusqu’au 21 février. Château Borély, 132, avenue Clot Bey, Marseille 8e. 04 91 55 33 60. 3-5 €. www.culture.marseille.fr


© Olafur Eliasson_Ph. Christopher Burke

© Mucem

EXPOS

LE CLOU

J’AIME LES PANORAMAS Coproduite par le MuCEM et le Musée d’art et d’histoire de Genève, qui l’a accueillie cet été, l’exposition imaginée par les conservateurs Jean-Roch Bouiller et Laurence Madeline débute sur la naissance du « panorama » en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle. À l’époque, le terme désignait la rotonde dans laquelle les spectateurs, installés sur une plateforme centrale, étaient littéralement encerclés par une toile représentant un paysage ou une scène historique. Contemporain de la révolution industrielle, de l’expansion colo-

niale et de la naissance du tourisme, le panorama se répand et se développe en prenant diverses formes au XIXe siècle, avant de subir la concurrence du cinéma puis de réapparaître, à la fin du XXe siècle. Répartie en six sections, l’exposition explore, au fil des salles, les enjeux scientifiques, militaires, politiques, économiques et esthétiques du « phénomène panoramique », en confrontant des pièces historiques et de nombreuses œuvres d’art contemporain. Elle dresse ainsi un vaste « panorama du panorama », séduisant et accessible. E.G.

Jusqu’au 29 février. MuCEM, 1, esplanade du J4, Marseille, 2e. 04 84 35 13 13. 5-8 €. www.mucem.org

MuCEM encore, mais dans les locaux du Centre de conservation et de ressources, où des artistes et curateurs sont régulièrement invités à penser des expositions à partir des collections du musée. Damien Airault, commissaire indépendant, a choisi de travailler sur le clou, en raison de son caractère universel comme de la diversité de formes et usages. Sur le modèle revendiqué des expositions surréalistes des années 30, il confronte une forge prélevée dans le Queyras après-guerre, des œuvres contemporaines, un carnet de cordonnier, des faux « clous de la vraie croix », des clous à jambon, du Moyen Âge… et un entretien vidéo avec le psychanalyste Hervé Castanet sur la théorie du Point de Capiton de Lacan. Le résultat, aussi déconcertant qu’intéressant, donne envie d’aller voir le deuxième volet du projet (qui débutera le 4 mars au FRAC). E.G. Jusqu’au 24 juin. CCR, 1, rue Clovis Hugues, Marseille, 3e. 04 84 35 14 00. Entrée libre. www.mucem.org

© Houda Ghorbel et Wadi Mhiri

TRACES… FRAGMENTS II MuCEM toujours… À contre-courant de la tendance actuelle, l’exposition consacrée par Thierry Fabre et Sana Tamzini à la scène artistique tunisienne joue la carte de l’économie. Au risque de décevoir les consommateurs d’images, elle propose une sélection d’artistes resserrée et exigeante, autour de la question de la trace. Le second volet de ce diptyque s’ouvre, comme le précédent, sur une série de plaques de verre d’Abbdelhak El Ouertani, jeune photographe « indigène » disparu prématurément en 1896 et dont l’œuvre est longtemps restée dans l’ombre. Fragiles et émouvantes, ces images du passé dialoguent avec celles de Faten Gaddes, Wassim Ghozlani, Augustin Le Gall, Wadi Mhiri et Houda Ghorbel, écrivant chacun à leur manière l’histoire d’un pays qui cherche à reconquérir son identité après les années noires de la dictature. E.G. Jusqu’au 29 février. MuCEM, 1, esplanade du J4, Marseille, 2e. 04 84 35 13 13. 5-8 €. www.mucem.org

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EXPOS

MITSI, LA GRANDE INVASION

Qui connait le travail de Mathilde Monfreux, sait son penchant pour les matières organiques et les expériences singulières, mêlant danse instinctive et mutation des corps. Associée depuis 2008 à la plasticienne Elizabeth Saint-James, elle met en jeu les mitsis : « module organique inorganique », « concept » autant que « doudou », « partiel » autant que « tout », le mitsi est une sculpture molle en tissu de couleur chair, remplie de micro-billes de mousse. Objets transitionnels par excellence, de formes et de tailles différentes, les mitsis veulent faciliter la so-

cialité des corps et se répandent sur les marchés comme sur les plateaux des théâtres. La Compagnie accueille la première exposition de « pratique mitsi » : une installation pensée comme un terrain de jeu, incitant à franchir les frontières par l’expérience tactile, pour explorer... son devenir mitsi ! À voir également : Next, une performance dansée, du 22 au 24 janvier à la Compagnie, puis le 20 mai à la Friche, dans le cadre du festival Les musiques du GMEM. Et le 3 février, un Sirènes et midi net (avec Lieux Publics), sur le parvis de l’Opéra. J.B.

ANDRÉ MASSON L’intention de cette exposition soustitrée « De Marseille à l’exil américain » est louable. Souhaitant rendre hommage à la ville de Marseille qui a accueilli l’artiste en 1940 et à Varian Fry qui l’a aidé, comme tant d’autres, à échapper à la menace nazie, les enfants d’André Masson ont décidé de prêter une partie de leur collection personnelle au musée Cantini. Seize toiles et une quarantaine de dessins inédits sont donc exposés (en deux temps, à cause de la fragilité de certaines œuvres) dans la grande salle du musée. Malheureusement, à l’exception d’une brève introduction, aucun dispositif ne vient éclairer l’accrochage ou permettre au visiteur de mieux cerner l’évolution artistique d’André Masson et les enjeux de son séjour marseillais. E.G. Jusqu’au 24 juillet. Musée Cantini, 19, rue Grignan, Marseille, 6e. 04 91 54 77 75. 3-5 €. www.culture.marseille.fr

Jusqu’au 20 février. La compagnie, lieu de création, 19, rue Francis de Pressensé, Marseille, 1er. 04 91 90 04 26. Entrée libre. www.la-compagnie.org

PRINTNOIZ

© Yann Taille

Fidèle à son goût pour le trait bruitiste et le magma visuel, le Dernier cri consacre sa nouvelle exposition aux graphzines : des ouvrages autoproduits dérivés des fanzines, au contenu quasi exclusivement graphique. Prêtées par les artistes eux-mêmes ou par des collectionneurs passionnés, les œuvres présentées retracent quarante ans de cette aventure artistique, incluant gravure et sérigraphie. En solo ou au sein de collectifs, ces activistes ont pour nom : Bazooka (qui infiltrèrent les colonnes de Libération en 1977), Apaar, Placid & Muzo, Matt Konture, Y5P5, Bon Goût... J.B. Jusqu’au 27 février. Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 95. 2-3€. www.lederniercri.org

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© Archives comité Masson

© Elizabeth Saint-Jalmes

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© Liechtenstein. The Princely Collections, Vaduz–Vienna

EXPOS

LES COLLECTIONS DU PRINCE DE LIECHTENSTEIN

© Didier D Daarwin

Restauré de manière spectaculaire pour son inauguration en mai dernier, l’hôtel de Caumont accueille, après Canaletto, une quarantaine d’œuvres issues de la collection des princes de Liechtenstein. Depuis le XVIIe siècle, cette dynastie a réuni quelques 1700 tableaux, mais aussi des sculptures, des objets et meubles parmi lesquels le Cabinet Badminton, acheté 24 millions d’euros en 2004 par Hans-Adam II, l’actuel souverain de la principauté. Autant dire que l’homme a les moyens de ses ambitions, comme le confirment les treize œuvres de la première salle : des acquisitions récentes pour la plupart, signées par des grands peintres de la Renaissance, tels Cranach, Massys, Gossaert, Raphaël… Dans les salles suivantes, sont présentés, en alternance, des toiles de grands ou petits maîtres européens du XVIIe au XIXe siècle et divers témoignages du patrimoine princier : diaporama des châteaux, portraits de famille… Un tel parti-pris donne l’impression de voyager autant, sinon davantage, chez les princes de Liechtenstein que dans l’histoire de l’art. E.G.

Jusqu’au 20 mars. Caumont Centre d’art 3, rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence. 04 42 20 01. 8,5-11 €. www.caumont-centredart.com

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ENFANTS

PROJET BATBOUT

Les liens étroits tissés au fil des années entre l’équipe du Badaboum théâtre et le Maroc sont à l’origine de cette nouvelle création, inspirée par la tradition de la halqa (« le cercle »), le mode traditionnel de transmission des contes que l’on retrouve, par exemple, place Jemaâ El Fna à Marrakech. Après avoir longuement enquêté et rencontré plusieurs conteurs de différentes générations, Laurence Janner a choisi de mettre en scène un conte traditionnel baptisé « Les Doigts d’une main ne sont pas semblables. Ainsi en est-il des enfants d’une même famille ».

L’histoire étonnante de cette jeune fille audacieuse, qui lui a été racontée par la conteuse Amal Khizioua, déjoue les clichés machistes comme les préjugés européens à l’encontre de la culture maghrébine. Interprété par Sophia Chebchoub, Samir El Karoui et Anass Zine, qui signe également la musique du spectacle, le conte épouse la forme de la halqa : un espace de jeu circulaire, matérialisé par des bougies, où le narrateur évolue sans décor ni rideau. Pour les enfants, à partir de trois ans, mais aussi leurs parents curieux et clairvoyants. E.G.

BÊTES DE GUERRE Dans la série des expositions consacrées à la Grande Guerre par les musées marseillais, celle du Muséum d’histoire naturelle adopte un point de vue original. Au moyen d’une scénographie inspirée des tranchées, Bêtes de guerre revient sur le sort du règne animal pendant le conflit : qu’il s’agisse des « ennemis intimes » ou parasites qui empoisonnent le quotidien des poilus, de leurs compagnons d’armes (mobilisés pour le combat ou le transport), mais aussi des espèces décimées, victimes collatérales du conflit sur terre et mer. Outre le livret ludique (gratuit) destiné à accompagner la visite, le Muséum propose aux familles, du 17 au 20 février, « Les visites insolites du Professeur Poupon » : des animations déambulatoires et loufoques autour des « bestioles de guerre ». E.G. Jusqu’au 11 juin. Muséum d’histoire naturelle, Palais Longchamp, Marseille, 4e. 04 91 14 59 50. 5-8 €. www.museum-marseille.org

Du 4 au 10 février. Badaboum Théâtre, 16, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. 04 91 54 40 71. 5-8 €. www.badaboum-theatre.com

D’OR ET D’ARGENT La numismatique n’est pas, a priori, une discipline populaire chez les enfants. Mais, les habitués le savent, l’équipe du Préau des Accoules ne manque pas d’imagination pour transformer les sujets les plus ardus en objets de curiosité et d’apprentissage ludique. Les « pièces gauloises et quelques autres » prêtées notamment par le Cabinet des Monnaies et Médailles de Marseille sont ainsi le prétexte à un parcours passionnant dans l’histoire. Histoire politique et économique dans la première salle, histoire de l’art dans la seconde, avec une ingénieuse confrontation de pièces gauloises et de leurs modèles grecs. Au fil des jeux d’observation et de réflexion, les enfants découvrent la valeur symbolique de l’argent et font plus ample connaissance avec la culture si méconnue de « nos ancêtres » les Celtes. E.G. © J-C Lett

Jusqu’au 28 mai. Préau des Accoules, 29, montée des Accoules, Marseille, 2e. 04 91 91 52 06. Entrée libre. www.culture.marseille.fr

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© VdM

© Laurence Janner

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© Vincentd' Eaubonne

ENFANTS

LE MISANTHROPE OU L’ATRABILAIRE AMOUREUX Après Le Malade imaginaire et L’Avare, cette nouvelle adaptation clôt la trilogie entamée par la compagnie Vol Plané autour du répertoire de Molière, régie par une mise en scène sous contraintes : un casting réduit (ici, cinq acteurs pour jouer tous les rôles), peu d’artifices théâtraux (pas de costumes, pas de décor, pas d’effet de lumières). Objectif : se recentrer sur le jeu et la langue, pour faire entendre le texte aux jeunes d’aujourd’hui. Or, trois cent cinquante ans après sa création,

Le Misanthrope nous parle toujours de conventions sociales, et de la représentation qu’on choisit de donner à voir aux autres... Quitte à convoquer les figures tutélaires que sont Kurt Cobain ou Joey Starr, les Black blocs ou la télé-réalité. La troupe s’enrichit de la présence de jeunes comédiens, dans la droite lignée des préoccupations actuelles du metteur en scène Alexis Moati : l’adolescence et la transmission, à l’œuvre notamment dans le Groupe des 15 (lire 8e Art n° 35). J.B.

Le 27 février, 20h et le 28, 15h, du 1er au 5 mars, 20h. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive Neuve, Marseille, 7e. 04 96 17 80 00. 9-24 €. www.theatre-lacriee.com

LE CIRQUE POUSSIÈRE

Comme l’indique le nom de sa compagnie (La Faux Populaire – Le Mort aux dents), le jongleur Julien Candy développe un univers envoûtant et singulier, utilisant agrès et accessoires saugrenus (faux, skate, cerf-volant...). Il se déploie ici dans un cabaret de poche, avec quatre artistes évoluant dans un petit manège en bois. Prenant le contre-pied du rythme effréné auquel nous soumettent les nouvelles technologies, la structure se monte et se démonte à vue, dans la tradition artisanale d’un cirque poétique et intimiste, qui n’oublie pas les performances acrobatiques ! J.B. Les 19 et 20 février, 19h, le 21, 17 h. Grand Plateau de la Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 70. 6-8 €. www.theatremassalia.com

© Odradek Pupella Noguès

ICI ET AILLEURS La genèse du dernier spectacle de la compagnie Pupella-Noguès vient de sa fréquentation assidue des écoles. Avec l’envie d’aborder les questions de l’exil et du déracinement, les artistes ont animé des ateliers dans lesquels ils demandaient à aux enfants d’apporter chacun un objet de leur maison. Au fil des rencontres s’est constitué un véritable musée imaginaire, accompagné de paroles d’une telle intensité qu’il s’est transformé en théâtre d’objet et d’ombre. Aujourd’hui, sur scène, c’est le gardien de ce musée qui raconte, ici, à partir des objets, ces histoires d’ailleurs : « histoires de famille, d’un pays, d’une culture… » E.G. Le 16 mars, 15h, et le 18, 19h. Salle Seita de la Friche la belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e.04 95 04 95 70. 6-8 €. www.theatremassalia.com

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LES

ADRESSES MARSEILLAISES

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CHAMBRE D'HÔTES

LA CASA ORTEGA

Une chambre d'hôtes pas comme les autres, qui cultive le goût du détail et le sens de l'hospitalité. Idéalement située dans une petite rue face à la gare Saint-Charles de Marseille, cette confortable guest house propose un hébergement qui allie les services d'un hôtel au charme authentique d'une maison d'hôtes à l'ambiance internationale. Accueil attentif et déco stylée, découvrez cinq chambres d’hôtes lumineuses au mobilier XXe chiné au fil du temps. Le petit déjeuner vous fera re découvrir l’ odeur du pain grillé, le délice d’ un yaourt maison et la saveur d’un bon café. Infos & Réservation : 09 54 32 74 37

46, rue des petites Maries • 13001 Marseille www.casa-ortega.fr

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CAFÉ - BRASSERIE

LE COLOMBIA

Après un un réaménagement complet , le Colombia vous accueille dans une ambiance cosi "bistrot ", que ce soit pour un café un déjeuner, une crêpe l'après midi ou un apéro endiablé, la nouvelle équipe se fera un plaisir de vous recevoir 7/7 ! Infos & Réservation : 04 91 22 55 74

572, rue paradis • 13008 Marseille

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BRASSERIE - RESTAURANT - GLACIER

NEW CAFÉ DE PARIS

Bénéficiant d'un emplacement idéal sur la jolie place Castellane, Le Café de Paris est une brasserie comme on les aime. Ici pas de chichis : des plats simples, un vaste choix et un service rapide. Une bonne cuisine s’appuyant sur les traditions culinaires provençales : tapas , hamburger maison, pavé de rumsteck ou tartare de saumon.

14, Place Castellane • 13006 Marseille 04 91 37 44 92

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BRASSERIE - RESTAURANT

OM CAFÉ

Située face au vieux port, la brasserie du port "OM café " vous accueille pour déguster une cuisine fraîche et raffinée. Si les spécialités méditerranéennes sont à l'honneur le chef vous propose également chaque jour des suggestions différentes. Restauration de 11h à 15h et de 19h à 22h30. Ouvert 7/7 de 7h à minuit. Infos & Réservation : 04 91 33 80 33 •25 quai des Belges - 13001 Marseille

brasserieomcafe@gmail.com • www.labrasserie-omcafe.fr

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BRASSERIE - RESTAURANT

LE DAVID

La situation de la célèbre brasserie Le David, à deux pas de la plage, est idéale. Dans l'assiette, le chef vous propose, pour commencer : terrine de foie gras, chutney de fruits exotiques et pain d'épice... Puis côté plat : suprême de poulet fermier au coulis d'écrevisses ou encore un plateau de coquillages. Mais Le David, ce n'est pas qu'un restaurant, vous pourrez également venir dans cette brasserie à toute heure de la journée pour vous déguster un cocktail, vue sur mer.

99 Promenade Georges Pompidou • 13008 Marseille 04 91 79 99 63

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RESTAURANT

LA MAISON DU CHÂTEAU

Pour les nostalgiques du Garde et de Tomé de la grande époque… Ne cherchez plus ! Courrez à la Maison du Château ! Au pied de la Sainte Victoire, une dépendance du Château de Châteauneuf le Rouge tient lieu de restaurant. Mobilier design et tomettes au sol, voilà une maison moderne chic et conviviale en pleine campagne aixoise. Un décor signé Anne-Karine Zapata… un petit paradis !

Montée de l'Église, 13790 Châteauneuf le Rouge Infos & Réservation 04 42 64 24 50 - www.lamaisonduchateau.fr

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RESTAURANT

ESPLAÏ DU GRAND BAR DES GOUDES

Ce restaurant propose des produits de la mer issus d'une pêche locale. Poissons grillés, bourride et bouillabaisse sont les spécialités de la maison. Une ambiance marseillaise où il fait bon vivre !

Infos & Réservation : 04 91 73 43 69 29 rue Désirée-Pellaprat - 13008 Marseille

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