8e art magazine n°34

Page 1


2

8 e art magazine • été 2015


8e art est une publication trimestrielle de ZAC St Martin - 23, rue Benjamin Franklin 84120 PERTUIS Tél. 04 90 68 65 56 Numéro ISSN : 2267-4837 Dépôt légal : Juin 2015

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE Retrouvez toutes nos actus sur :

WWW.8E-ART-MAGAZINE.FR

# 34 Été 2015

Directeur de la publication : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr Rédactrice en chef : Emmanuelle Gall e.gall@8e-art-magazine.fr Direction artistique : Jonathan Azeroual j.azeroual@8e-art-magazine.fr Ont collaboré à ce numéro : Julie Bordenave, Cédric Coppola, Fred Kahn, Fred Lanan et Olivier Levallois. Service commercial : 06 18 35 69 32 Conception et réalisation : Média Print La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution.

En couverture.

Le Hameau des Baux, au Paradou (lire p.47) Photo : Anne van der Stegen

LA VALSE

DES FESTIVALS Par Emmanuelle Gall, rédactrice en chef

O

n s’en souvient, l’année dernière, la grève des intermittents du spectacle avait entraîné l’annulation de nombreux spectacles dans la région. Cet été, même s’il est encore trop tôt pour faire le compte exact, on peut d’ores et déjà annoncer une nouvelle hécatombe, liée à la baisse des dotations de l’État (11 milliards d’euros sur trois ans). Alors que l’on prévoit officiellement l’annulation d’une centaine de manifestations en France, sans compter le nombre de festivals écourtés, Emeline Jersol, une médiatrice culturelle travaillant au Centre national des Arts de la rue du Boulon, a eu envie de « matérialiser » la situation sous la forme d’une « cartocrise culturelle ». « Malheureusement toujours en construction », selon les mots de sa conceptrice, cette carte hébergée depuis le mois de janvier par la Plateforme libre OpenStreetMap recense, en temps réel ou presque, les festivals, structures et associations supprimées depuis mars 2014. Au mois de mai, elle comptabilisait près de 200 « points noirs »…


SOMMAIRE

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE

#34

44

14

Été 2014

DOSSIER

23

06

9 BALADES

LA PHOTO

ARTY

Pèlerinages au MuCEM

08

ACTUS

14

LA RENCONTRE

Apolline Quintrand, « un sentiment de plénitude »

32

Plaisirs de la table et des yeux

CHÂTEAUNEUF-LE-ROUGE

L’OEUVRE

Amphore massaliète Musée des Docks romains

41

20

L’ENDROIT

46

Fresques de lumière

50

Tranches de vie

24

Villa Alliv L’ARTISTE

John Deneuve, chercher la femme

LES BAUX-DE-PROVENCE

55

NÎMES LES SAINTES-MARIES DE LA MER Polyphonies au château

L’OBJET

Le Bionic Bird, drone d’oiseau

AVIGNON

60

Collection réelle et musée imaginaire

64

Festival migrateur

Le Fantôme arménien, la grande et la petite histoire

68

De nouvelles rencontres ?

30

LE RESTAURANT

72

À la découverte d’un continent

32

LE FESTIVAL

26 28

8 e art magazine • été 2015

36

18

23

4

SÈTE

Des transports peu communs

LE SITE

Made in Marseille

CAMARGUE ARLES

LE BANDE DESSINÉE

Place Lorette

Quatuor d’idées pour les Cinq Continents

76

AIX-EN-PROVENCE

PORTFOLIO

Argilla voyage en terres italiennes


8e art magazine • été 2015

5


© MuCEM IDEMEC Manoel Penicaud

LA PHOTO

Manoël Pénicaud, Notre Dame qui fait tomber les murs, Bethléem, 2014, MuCEM / IDEMEC.

PÈLERINAGES AU MUCEM En ces temps pour le moins troublés, marqués par la montée des intolérances, le MuCEM a la bonne idée d’emmener ses visiteurs à la découverte des Lieux saints partagés. Conçue par une équipe d’anthropologues, l’exposition entend briser les préjugés et montrer que «même si les dogmes des trois religions monothéistes semblent incompatibles, elles partagent en réalité des figures bibliques, des saints et des lieux. » Parmi eux, cette icône émouvante et désormais célèbre, écrite sur le mur qui sépare Israël de la Palestine, non loin du checkpoint de Bethléem. Jusqu’au 31 août, MuCEM, Esplanade du J4, Marseille, 2e. 04 84 35 13 13. 5-8 €.

www.mucem.org

6

8 e art magazine • été 2015


8e art magazine • été 2015

7


ACTUS

cinéma

INSTANTS D’ÉTÉ À AIX Un projecteur, un écran, un parc, un plaid, un piquenique, telle est la formule, aussi simple que magique des Instants d’été. Ces rendez-vous cinéma particulièrement conviviaux investissent, à la nuit tombée, les parcs et jardins aixois. La programmation, populaire, mais de qualité, marie films musicaux, comédies, grands classiques, dessins animés... Le premier dimanche du mois d’août est toujours réservé aux courts métrages (en collaboration avec le festival Tous Courts). Des soirées spéciales sont également proposées, dont deux Nuits d’Opéra, retransmises en direct du Festival d’Aix. L’occasion de voir Le Songe d'une nuit d'été et L'Enlèvement au sérail gratuitement ! F.K. Du 5 juillet au 30 août Divers lieux à Aix-en-Provence 04 42 91 99 19. Entrée libre.

www.aixenprovence.fr

8

8 e art magazine • été 2015

Chaque année avec l’arrivée des beaux jours, le cinéma prend ses quartiers d’été délaissant les salles obscures pour les écrans extérieurs. Ciné Plein-Air fête ses vingt ans avec non pas 20, mais 29 films projetés dans une dizaine de lieux patrimoniaux et emblématiques de Marseille. L’esprit de la programmation reste le même : à la fois exigeant et convivial, mêlant films de répertoire, d’auteurs, grand public, et cinéma du monde. On pourra ainsi voir (ou revoir), entre autres, le toujours envoutant, Peau d’âne de Jacques Demy au Château Borély, The Grand Budapest Hôtel, l’un des films les plus réussis de Wes Anderson et l’inoxydable comédie de Blake Edwards The Party, sur la place du Refuge au Panier, Invictus de Clint Eastwood dans le jardin Guy Azaïs à La Capelette, ou, pour les plus cinéphiles, Métropolis de Fritz Lang et 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans la cour de la Vieille-Charité. Mais cette édition étant aussi celle des cent-vingt ans de la naissance de Marcel Pagnol, ce dernier est à l’honneur. Sa célèbre trilogie (Marius, Fanny et César) fraichement restaurée sera projetée fin août, là où elle est née, au Vieux-Port bien sûr. O.L. Du 26 juin au 19 septembre Divers lieux à Marseille 04 91 91 07 99. Entrée libre.

www.cinetilt.blogspot.fr

DR

TOILES ESTIVALES


8e art magazine • été 2015

9


festivals

© Gullick

ACTUS

PREMIÈRE ÉDITION DE L’ÉDITION Difficile, aujourd’hui, de se faire une place au soleil (couchant) pour les festivals consacrés aux musiques tendance. Be Fort, Believe in Marseille, Rock Island… beaucoup, à coup d’anglicisme, de coin VIP et de vedettes internationales s’y sont essayés sans forcément marquer les esprits. Dernier en date à tenter sa chance, l’Édition festival pourrait bien tirer son épingle du jeu par sa volonté de construire un parcours urbain fait de découvertes sonores au sein de lieux inattendus pour ce genre de rendez-vous…. Tout en promettant de ne pas se la jouer « bling-bling ». Particularité du projet : avoir à sa tête quatre structures dont la Sas Concerts de Xavier Decleire. Question organisation d’événements et connaissance artistique, l’homme est incontournable. Il est membre du comité de sélection du Printemps de Bourges, directeur artistique de La Maroquinerie à Paris et a fait venir Rihanna ou Alicia Keys à Marseille… Associé aux Franciliens de The Talent Boutique, aux locaux de la coopérative internexterne chapeautée par Frédéric Nevchehirlian et à la structure Borderline, connue pour ses Apéros du bateau, le mix est suffisamment complémentaire pour être gage de qualité. Le programme s’annonce dense et sans temps mort, avec plusieurs groupes à l’affiche de chaque soirée. Parmi eux, l’électro de Para One, beatmaker remarqué par sa BO du film Bande de Filles, enflammera sans nul doute la piste du Cercle des Nageurs, les compositions planantes de Ghost Culture, le « crooner du IIIe millénaire », seront de rigueur sur le Rooftop R2 des terrasses du Port et le grand retour de Neneh Cherry devrait séduire le théâtre Silvain. En guise de final, une micro-croisière musicale embarquera notamment à son bord Get a room !, anciens blogueurs connus, eux aussi, pour composé une musique de long métrage, en l’occurrence La Crème de la crème. Bon présage ? C.C.

Daniel Avery et Ibeyi à l'affiche les 12 et 13 juin.

Du 11 au 14 juin, Divers lieux, Marseille. 20-25 €.

© Flavien Prioreau

www.ledition-festival.fr

10

8 e art magazine • été 2015


8e art magazine • été 2015

11


ACTUS

Marseille 3013

Après ses hauts faits d’armes durant l’année capitale européenne de la culture, l’équipe du Off rempile pour... mille ans ! Mutée depuis le début de l’année en Marseille 3013, elle compte à sa manière « continuer de secouer le paysage culturel marseillais pour faire émerger de nouveaux projets originaux, participatifs et accessibles », en commençant par inaugurer son lieu. A l’issue d’une campagne de financement participatif, le local 3013 ouvrira ses portes le 20 juin, au 58 de la rue de la République : 150 m2, destinés à accueillir des résidences d’artistes (à commencer par Manyoly durant l’été), des soirées festives, un espace de travail partagé, un artyshop éphémère... Première exposition à partir du 1er juillet : des clichés de Détroit, pris par le collectifs de photographes marseillais à-vif(s), parce que « quand on vise une cité utopique, il est normal de scruter une cité qui doit se réinventer ». Et si les appels à projets sont d’ores et déjà lancés sur le site marseille3013.com, l’activisme continue aussi hors les murs, à l’image des Session 3013, concerts filmés live en caméra embarquée, dans des endroits insolites rendant grâce aux sites de la région (Abbaye de Pons à Gémenos, quai de l’Estaque...). À suivre à la rentrée : le 17 septembre au Mucem, un colloque de la Société Savante de Marseillologie (sic), conviant universitaires et auditeurs à inventer de nouvelles définitions aux mots clés de la ville (« populisme, clientélisme... »), qui seront ensuite jetés en pâture sur des grilles de loto le 20 septembre, à l’occasion des Journées du patrimoine. Comme toujours, il s’agit de « mélanger le monde intello avec une tradition populaire », commente Stéphane Sarpaux, membre de l’équipe. Bref, ça ne chôme pas. JB 58 rue de la République, Marseille, 2e.

www.facebook.com/marseille3013

12

8 e art magazine • été 2015

© à-vif(s)

UNE MAISON ET DES PROJETS


8e art magazine • été 2015

13


© Yohanne Lamoulère - Picturetank

LA RENCONTRE

APOLLINE QUINTRAND, « UN SENTIMENT DE PLÉNITUDE »

© Yohanne Lamoulère

Propos recueillis par Cédric Coppola

14

8 e art magazine • été 2015


Apolline Quintrand

À

l’aube de sa vingtième et dernière édition à la tête du Festival de Marseille, Apolline Quintrand revient sur les principaux temps forts de l’événement, de sa genèse à son envol, sans oublier d’aborder le concept d’itinérance. Donner une âme à un festival : c’est un travail difficile qui ne peut s’inscrire que sur la durée ? Tout est une question de sincérité, d’engagement et d’éthique. Ce n’est pas un hasard si, au cours de ces vingt années, j’ai énormément cité d’écrivains, de philosophes… non pas par posture ou pour étaler mon savoir, mais simplement car j’en avais réellement besoin pour asseoir mes pensées et expliquer que la réflexion n’a de sens que si elle est liée à un contenu, une colonne vertébrale autour de laquelle on construit des choses. La lucidité permet de ne jamais faire de pacte faustien et de savoir précisément où on se situe. Il faut ensuite procéder par des petits ajustements, intimes, délicats. L’envie de proposer un festival non pas seulement lié à la danse, mais aussi aux arts multiples étaitelle présente dès le départ ? Si la réussite du Festival de Marseille est celle d’une équipe, l’inscrire dans la pluridisciplinarité est une intuition personnelle, que j’ai eue il y a vingt ans. L’envie était d’avoir un axe principal, en l’occurrence la danse, et d’y greffer des composantes plurielles propres à la cité phocéenne. Élargir le champ des possibles était une nécessité : la présence de Roland Petit – un homme de très grand talent que je respecte – vampirisait la discipline. Sa main mise sur la danse a empêché Marseille d’accueillir Pina Bausch et le grand répertoire contemporain… Cependant, une mutation avait lieu. Il naissait un mouvement à la fois hybride et pur, fait de chorégraphie, d’arts visuels et appuyé par une forme inédite d’écriture. J’ai suivi cette voie.

LA RENCONTRE

Quels ont été les moments clés permettant au festival d’évoluer et de grandir ? Le festival est né en 1996, et trois ans plus tard, la rencontre avec le politique communiste Guy Hermier a été fondamentale. Marseille est une cité tellement étendue, avec des séparations et des ruptures tellement complexes qu’il fallait se rapprocher de ses parties isolées, dont les quartiers nord, en veillant à conserver la même qualité d’accueil du public et des œuvres proposées. Ensemble, nous avons œuvré pour décloisonner la programmation et aller au théâtre de la Sucrière. Un terrain moins confortable, mais fort dans l’enjeu sociétal. Cette démarche a permis d’identifier le festival tel qu’il est dans sa forme actuelle. Il est, j’en suis persuadée, en harmonie avec sa ville, ses actions pédagogiques, envers le handicap… Une autre étape charnière fut la douleur de perdre cet endroit merveilleux avec vue sur la mer. On s’était alors rabattu sur le Hangar 15 pendant une année. De cette expérience est née l’envie de ne pas sacraliser de lieu, mais plutôt de voyager, d’être nomade… Mes proches me définissent même comme une itinérante du spectacle ! Les directeurs de grandes institutions culturelles ont souvent besoin de défis pour continuer l’aventure. Dominique Bluzet avouait récemment avoir songé à quitter la tête de ses théâtres après 2013, mais avoir trouvé une énergie nouvelle avec le projet Gymnase / Bernardines. À l’inverse, vous annoncez votre départ. Plus rien ne pouvait vous donner la motivation de poursuivre l’aventure ? Dominique Bluzet est plus jeune que moi et si mon énergie est intacte, il faut croire que les priorités évoluent avec le temps. J’ai toujours la même passion, mais j’ai pensé qu’il serait bon de donner la parole à quelqu’un d’autre pour qu’il y ait un souffle différent. J’ai sans cesse recherché ce renouveau chez les artistes et il aurait été mal venu que je me nécrose au sein de ma propre structure. Ce départ, j’y pensais déjà en 2013, mais l’enjeu de la Capitale culturelle était tel qu’il était hors de question de laisser mon équipe en plan face à ce grand rendez-vous. Aujourd’hui, cette décision s’est imposée naturelle8e art magazine • été 2015

15


LA RENCONTRE

Apolline Quintrand

© Léo Ballani

Guests, par le groupe Grenade, programmé le 12 juillet.

ment. Fêter les vingt ans du Festival de Marseille est un instant magnifique, l’occasion à la fois de faire le bilan et de construire une belle programmation. J’ai donc organisé ma passation et tout s’est effectué dans la sérénité. Il y a un sentiment de plénitude. Cette succession prend les traits du Belge Jan Goossens qui a notamment rendu accessible le KVS (le théâtre royal flamand de Bruxelles). Il est d’ailleurs curieux de voir, après l’arrivée du duo Greco-Scholten au BNM que la relève de la danse à Marseille vient du nord de l’Europe… Jan Goossens s’investit énormément dans ses projets. Sa nationalité n’est pas le critère le plus important, mais l’esthétique et l’écriture propres aux artistes belges m’ont toujours interpellé. J’ai suivi le parcours de Jan pendant des années, en notant une continuité et une transversalité dans son travail. Qui plus est, il a su composer avec les spécificités de Bruxelles, qui est, comme Marseille une ville multiculturelle avec un important flux d’immigration. Je pense que son adaptation en sera grandement facilitée. Il assurera d’ailleurs seul la programmation 2016. Cette dernière sera, comme je m’attache à le faire depuis vingt ans, non pas élitiste, mais exigeante. Pour en revenir au présent, cette vingtième édition s’inscrit dans la continuité des précédentes, avec des propositions d’artistes locaux et (inter) nationaux. À aucun moment n’est venu le souhait de faire un best of ? Quel intérêt de se retourner en arrière lorsque le renouveau frappe à la porte ? Avoir vingt ans c’est 16

8 e art magazine • été 2015

« FÊTER LES VINGT ANS DU FESTIVAL DE MARSEILLE EST UN INSTANT MAGNIFIQUE, L’OCCASION À LA FOIS DE FAIRE LE BILAN ET DE CONSTRUIRE UNE BELLE PROGRAMMATION. » beau, c’est joyeux... À cet âge, on a à la fois de la maturité et la vie devant soi. Cette année, on accorde donc une large place aux jeunes compagnies et beaucoup de premières. Et lorsqu’il y a un retour vers le passé, il s’inscrit dans l’avenir ! Je fais référence par exemple à Josette Baïz. En 1996, elle créait Grenade, une petite forme et on la retrouve, en 2015 avec le répertoire de Lucinda Childs, Wayne McGregor, Alban Richard…. Cette édition suit cette logique et permet de redécouvrir des artistes qui n’ont pas cessé d’avancer et d’innover, en même temps que nous. Ce chemin parcouru ensemble est une fierté.

FESTIVAL DE MARSEILLE : DANSE ET ARTS MULTIPLES

Du 14 juin au 17 juillet, Divers lieux, Marseille. 04 91 99 02 50. 10-31 €.

WWW.

festivaldemarseille.com


8e art magazine • été 2015

17


L'OEUVRE

Amphore massaliète

FIÈRE D’ÊTRE MARSEILLAISE © Ville de Marseille - Cliché Vialle-Almodovar

Bien avant le pastis ou le savon, il y eut l’amphore marseillaise. Plusieurs spécimens du genre sont conservés, quasi in situ, dans le méconnu musée des Docks romains. Texte : Emmanuelle Gall

C

ette amphore, dite « Bertucchi 1 » et datée du VIe siècle avant Jésus-Christ, est l’une des plus anciennes connues à ce jour. La présence de mica dans sa composition signe son identité marseillaise et l’on peut imaginer qu’elle a été cuite dans le four retrouvé dans l’ancienne rue Négrel. Certes moins pratique que la boîte de conserve, dont elle est l’ancêtre, elle est autrement plus esthétique. Fuselées, sphériques, piriformes ou ovoïdes, à lèvres, à facettes, à fond plat ou pointu… les amphores antiques avaient peu ou prou les mêmes fonctions que les bricks et autres canettes d’aujourd’hui : le stockage et le transport du vin, de l’huile, mais aussi du raisin ou des poissons. C’est la raison pour laquelle, la rade de Marseille et les fonds du Rhône autour d’Arles regorgent d’amphores. Car, quand elles n’étaient pas réutilisées, comme élément de maçonnerie ou cercueil pour enfant, elles étaient jetées, souvent à l’eau. Pour la plus grande joie des plongeurs et archéologues contemporains. À ces derniers, elles apportent une foule de renseignements sur le commerce et l’économie dans l’Antiquité. Branche récente de l’archéologie, l’amphorologie a permis d’établir une typologie et une chronologie précises. Nommées et numérotées en fonction de leur origine ou du chercheur qui les a étudiées, les amphores ont été baptisées « africaines, puniques, étrusques, italiques »… ou encore « marseillaises ». Inspirées de leurs cousines grecques, ces dernières se distinguent par leur teinte claire, leur contenance (entre 18 et 23 litres) ou encore l’équivalence de leur poids à vide et de leur volume. Elles ont largement circulé dans le Bassin méditerranéen occidental entre le Ve et le IIIe siècle avant Jésus-Christ, avant d’évoluer à l’époque romaine. D’une contenance supérieure, désormais à lèvre en bandeau, panse arrondie et fond plat, la « nouvelle » am-

18

8 e art magazine • été 2015

Amphore massaliète, VIe s av. J.-C., épave Bon Porté, Dépôt DRASSM.

phore marseillaise semble avoir été créée pour relancer la commercialisation du vin marseillais face à la concurrence étrangère. Au musée des Docks romains qui, comme le Jardin des vestiges, a le mérite d’être aussi un site archéologique, les amphores marseillaises sont conservées dans une vitrine à proximité des dolia, les énormes jarres dans lesquelles on transvasait leur contenu après leur débarquement des bateaux. À l’époque, la place Vivaux était au bord de la mer et les lieux servaient d’entrepôt. Découverts après le bombardement du quartier par les Allemands en 1943, ils ont été transformés en musée vingt ans plus tard. Rénové en 1987, le musée des Docks romains conserve un charme un peu désuet, loin des accrochages high-tech de son grand frère du centre Bourse.

MUSÉE DES DOCKS ROMAINS

10, place Vivaux, Marseille 2e. 04 91 55 36 00. Entrée libre.

WWW.

marseille.fr


8e art magazine • été 2015

19


L'ENDROIT

Villa Alliv

IT’S ALIVE

Tapie au milieu d’arbres centenaires, au bout du cossu boulevard de Tunis, la Villa Alliv a ouvert ses portes en octobre 2014, et se présente comme « une retraite créative » pour artistes en résidence. Texte : Julie Bordenave • Photos : Aliv

U

ne villa de 450 m2 au charme désuet, 4 000 m2 de parc arboré, une vingtaine de pièces... et du street art à tous les étages ! La Villa Alliv (prononcer « alive ») se présente comme un rêve de résidence d’artistes, au calme et au vert, dans la quiétude des arbres centenaires du 8e arrondissement. À sa tête, un triumvirat qui a fait ses preuves dans le réseau des galeries d’art et des nuits marseillaises : Sébastien Fritsch (On-Off Galerie Books), Tito (Backside Gallery) et la structure Rough Dandies mutualisent aujourd’hui leur savoir-faire. Ici, tout est pensé pour les artistes : « Ils ont la possibilité d’investir toute la villa pour en faire leur jouet, commente Julien Guillome de Rough Dandies. On met à leur disposition un atelier pour la peinture et le dessin, un garage avec l’outillage nécessaire pour poncer, souder et découper, l’ancienne maison de gardien pour l’hébergement... Ainsi que notre savoir-faire, en conseil artistique et montage de projets. » Les artistes accueillis ? Ils constituent la crème de la scène des arts urbains et ont pour nom Brusk, Gris1, Heng, Rensone, 20

8 e art magazine • été 2015

Tabas, Toma L, Sowat ou encore Pantone. Ils s’en donnent à cœur joie sur les murs décatis – ou récemment repeints de noir ou d’un élégant gris plomb –, jusque dans les jardins, à l’instar de cet arbre qui se dote de plusieurs paires d’yeux, ou de ces balles de tennis immaculées qui jonchent le sol. Sans oublier la piscine, récemment remise en eau par Chris, alias Doc, ingénieur spécialisé qui a établi ses bureaux dans une serre attenante : « elle nous sert d’outil d’expérimentation pour tester des éclairages sous-marins, explique Julien. Doc est un ami de la mer, il bosse avec des voileux, la Comex... Des artistes ont aussi des idées pour l’investir. » Cette vivacité créative est aussi une ode à l’éphémère : car, si les fresques murales sont appelées à tourner, régulièrement recouvertes par les résidents successifs, la Villa Alliv aura, ellemême, une durée de vie limitée. Louée à ses occupants pour une somme modique au regard de sa situation, elle appartient à un riche mécène « qui préfère rester discret », et se destine dans un ou deux ans à accueillir un projet immobilier. D’ici


CETTE VIVACITÉ CRÉATIVE EST AUSSI UNE ODE À L’ÉPHÉMÈRE : CAR, SI LES FRESQUES MURALES SONT APPELÉES À TOURNER, LA VILLA ALLIV AURA, ELLE-MÊME, UNE DURÉE DE VIE LIMITÉE. là, Tito, Sébastien et Julien espèrent faire leurs preuves pour attirer l’attention des collectivités territoriales, et pouvoir prétendre être accompagnés financièrement. Car le lieu fonctionne pour l’instant sur leur bonne volonté – huit mois de travaux ont été nécessaires pour défricher les lieux, envahis par le bois et la vigne vierge, jusqu’à... enfermer les crapauds dans des vivariums, pour éviter les nuisances sonores de voisinage ! – la présence de quatre stagiaires, et une solide dose d’inventivité pour financer les résidences artistiques : événementiel sélect et locations à des privés (soirée Vice Magazine, vente aux enchères Damien Leclère...), partenariat avec Pébéo et Fédrigoni pour les fournitures (pinceaux, peintures, toiles, papier...), sans oublier le loyer versé par quelques structures résidentes (agence Twotimes, label La dame Noir...). Avec davantage de moyens, l’équipe espère pouvoir plus largement contribuer au rayonnement culturel encore timide du 8e arrondissement : « Nous ouvrons au public seulement pour les vernissages et les expos. Nous aimerions avoir une programmation plus régulière, proposer des visites aux groupes et aux écoles alentour... Marseille devient plus touristique, le Pullman voisin serait prêt à effectuer des passerelles avec nous, le Mamo d’Ora Ito n’est pas loin non plus. » Pour l’heure, le trio prépare l’ouverture d’un concept store estival sur l’esplanade du Fort-Saint-Jean, en partenariat avec le Mucem, une soirée pour la fête de la musique le 21 juin et une exposition estivale.

VILLA ALLIV

21, boulevard de Tunis, Marseille, 8e.

WWW. alliv.fr

8e art magazine • été 2015

21


22

8 e art magazine • été 2015


John Deneuve

CHERCHER LA FEMME

L'ARTISTE

Il est plus facile pour moi de chanter devant deux mille personnes que de communiquer avec une seule.

Artiste polyvalente, aux identités et activités multiples, John Deneuve a trouvé un nouveau terrain de jeu : les Galeries Lafayette. Texte : Emmanuelle Gall • Photos : John Deneuve

C

omme son nom l’indique, il ne faut pas se fier pas aux apparences. John Deneuve n’est en effet ni un homme, ni de la famille de Catherine Deneuve. Ce pseudonyme qui fait la nique au machisme et, peut-être, au « star-system » du milieu de l’art contemporain, n’est en outre que l’une des multiples identités de cette native de Nancy, qui est venue chercher le soleil à Marseille à sa sortie des Arts décoratifs de Strasbourg en 2001. Impossible d’en savoir plus sur la vie privée de John Deneuve. En revanche, sa vie artistique est pour le moins intense et débridée. Elle forme notamment, avec un certain Doudouboy, le duo déjanté Sugarcraft que les scènes du moment s’arrachent autant pour leurs costumes extravagants que pour leur musique, qu’ils qualifient de « progressive joyeuse et dansante, saturée de sons synthétiques Lo-Fi, où se pose un chant punk rythmé ». Audace, une autre formation à laquelle participe John Deneuve, vient de sortir un album. En la rencontrant, on peine à imaginer cette jeune femme timide et réservée, affublée d’un collant résille rose vif sur la tête, en train de mettre le feu au Palais de Tokyo. « Il est plus facile pour moi de chanter devant deux mille personnes que de communiquer avec une seule », avoue-t-elle. Pudeur ou nouveau pied de nez ?

Jusqu’au 31 juillet. Galerie du 5e, Galeries Lafayette, 38, rue Saint-Ferréol, Marseille, 1er. 06 95 19 80 60. Entrée libre.

WWW.

SPECTRE NORMAL

Invitée à investir la Galerie du 5e par Caroline Hancock, la commissaire d’exposition associée à l’édition 2015 du Printemps de l’Art Contemporain, John Deneuve y présente une exposition aux apparences tout aussi trompeuses que son nom. Elle convoque la figure de Wonder Woman et les Barbapapas, installe des sucettes géantes, sème des paillettes et des couleurs acidulées. Puisant dans une imagerie enfantine et girly, dans l’univers de la fête foraine, John Deneuve a créé une série de pièces aux airs faussement inoffensifs et aux connotations nettement plus adultes et sexuelles. Construite à la manière d’un cadavre exquis, où chaque œuvre entraîne la suivante, la proposition se joue habilement des contraintes du lieu (plafond bas, omniprésence des conduits de climatisation) qu’elle détourne à son avantage et transforme en un petit « théâtre de la cruauté » aux multiples lectures.

marseilleexpos.com 8e art magazine • été 2015

23


L'OBJET

Bionic Bird

DRONE D’OISEAU

Sa silhouette gracile et son poids plume en font la coqueluche des férus de loisirs connectés : le Bionic Bird, ou drone oiseau, est né à la Pointe Rouge. Texte : Julie Bordenave

S'

il ne peut rivaliser avec la puissance vocale de nos furieux gabians, cet oiseau-là peut se targuer d’être plus futuriste, bien qu’il agisse comme une madeleine chez les quarantenaires. C’est en effet par quasi atavisme qu’Edwin Van Ruymbeke a inventé le Bionic Bird : dans les années 60, son père Gérard avait donné naissance au TIM, ce volatile qui se propulsait dans le ciel par la grâce d’un élastique, et qui a ravi les enfants sur tous les littoraux d’ici et d’ailleurs (20 millions d’exemplaires vendus à travers le monde). Devenu ingénieur en aéronautique, Edwin imagine, dans les années 2000, les Avitron : des oiseaux télécommandés, destinés prioritairement aux enfants. À l’issue de quatre ans de recherches, bénéficiant des dernières avancées en matière de téléphonie mobile (micro batteries, micro moteurs...), il monte d’un cran dans la prouesse technologique : avec son associé Marc Zeller, Edwin met au point une quatrième génération d’oiseau en polypropylène et carbone, au sein de son entreprise XTIM. Plus léger, plus maniable, mais aussi plus élégant (un noir de jais a remplacé le plumage coloré des TIM et des Avitron), ce Bionic Bird se fait une place dans l’azur marseillais. D’une taille de 17 cen24

8 e art magazine • été 2015

timètres et d’un poids – plume – de 9,20 grammes, ce drone contemplatif se pilote via l’application FlyingApp, téléchargeable gratuitement, pour atteindre une vitesse de vol de 20 km/h. Sans oublier le détail qui fait mouche : son chargeur USB prend la forme d’un œuf ! Son vol, gracieux, s’inspire du mouvement des vrais oiseaux – qui s’y trompent parait-il ! – et lui permet de planer en cas de problème moteur. Actuellement à l’étude, une nouvelle version de Bionic Bird prévoit d’améliorer son autonomie (8 minutes) et sa portée (100 mètres), mais aussi d’inclure une caméra embarquée, et de permettre vols stationnaires comme acrobaties aériennes. Edwin mise sur une campagne de crowdfunding pour financer ces nouvelles recherches. Avis aux ornithologues 2.0 !

BIONIC BIRD

Prix de vente : 119 euros

WWW.

mybionicbird.com


8e art magazine • été 2015

25


LE SITE

Made in Marseille

I LOVE MARSEILLE

Première bonne nouvelle : un nouveau site d’information est né à Marseille. Deuxième bonne nouvelle : il ne donne que des bonnes nouvelles. Texte : Olivier Levallois

U

n site d’actualité disparaît (Marsactu en mars dernier), et un autre voit le jour, confi rmant l’adage populaire selon lequel « la nature a horreur du vide ». Première différence notable, le nouveauné (en novembre 2014) n’a pas le caractère polémiste et trouble-fête de feu son aîné de cinq ans. Avec pour devise « le premier magazine régional d’actualité positive », Made in Marseille se veut résolument de bonne humeur. Derrière ce positivisme annoncé, on trouve Julia Zecconi, ex-urbaniste reconvertie dans le journalisme, déjà responsable de projets-architecte-urbaniste.fr, une référence dans le milieu de l’urbanisme national avec ses 300 000 visiteurs par mois. « Le traitement des médias locaux donne plus d’importance aux informations négatives. J’ai voulu prendre le contrepied et montrer qu’il y a une alternative aux visions péjoratives sur Marseille ». En visitant les pages du magazine, ont découvre en effet une information qui ne relaie pas les habituels dysfonctionnements de la cité phocéenne (trafics, corruptions, règlements de compte…), mais les bons plans, inaugurations diverses, rénovations urbaines, festivités, activités associatives ou manifestations culturelles. Outre son caractère positif, la 26

8 e art magazine • été 2015

ligne éditoriale se veut transversale, répartie suivant une petite dizaine de rubriques (culture, économie, sports, écologie, technologie, bons plans…). « Le magazine reste ouvert dans ses sujets tant qu’il y a cette idée de construire un territoire plus intelligent ensemble », précise Julia Zecconi. Cette ouverture revendiquée s’étend aussi aux lecteurs, qui peuvent suggérer des sujets, voire devenir chroniqueurs d’un jour ou plus. Mais l’éditrice ne cache pas non plus l’intérêt économique de son choix à l’heure où la presse traditionnelle dépérit. « Être dans une ligne éditoriale constructive est plus vendeur que d’être dans la critique permanente. Marseille a une réputation particulière et ce genre de média est très attendu si on occulte les aspects négatifs, sans se mettre des œillères non plus. C’est une sorte de thérapie. » Avec déjà 100 000 visiteurs par mois, la thérapie semble avoir trouvé ses patients.

WWW.

madeinmarseille.net


8e art magazine • été 2015

27


LA BD

Le Fantôme arménien

LA GRANDE ET LA PETITE HISTOIRE

Le texte de Laure Garcia et Guillaume Perrier, mis en image par Thomas Azuelos, relève de l’exploit. Tout en respectant la mémoire du génocide arménien, ce « documentaire » est également traversé par une subjectivité fictionnelle, courageuse et assumée. Texte : Fred Kahn

C

omment se confronter au génocide arménien, l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle, sans sombrer ni dans le didactisme ni le pathos ? Comment, tout en assumant une part inévitable d’interprétation, rester le plus fidèle possible aux faits ? Cette juste distance est bien évidemment toujours une question de point de vue. Où et comment se situer ? Le Fantôme arménien est un récit au jour le jour. Nous suivons, quasiment pas à pas, Christian Varoujan Artin et sa femme Brigitte, un couple de Marseillais d’origine arménienne qui effectue un véritable pèlerinage en Turquie, sur les lieux d’un crime de masse dont ils portent l’indélébile trace dans leur chair. Ils se confrontent à cet héritage maudit, d’autant plus impossible à liquider que le gouvernement turc reste toujours arc-bouté sur une posture négationniste. Mais la terre, les pierres et les murs qui, eux, n’ont rien à se reprocher, hurlent une vérité qu’il devient de plus en plus impossible de ne pas entendre. Christian et Brigitte interrogent aussi ce qui reste de la « communauté arménienne » en Turquie, ils creusent les questions d’identité. Bref, ils cherchent à comprendre ce qui dépasse l’entendement. La narration de Laure Marchand et Guillaume Perrier restitue avec une grande clarté des situations extrêmement complexes. Les auteurs tirent – sans jamais les embrouiller – les deux fils de la grande Histoire et de l’histoire personnelle. 28

8 e art magazine • été 2015

Quant à Thomas Azuelos, bien plus qu’un témoin attentif et honnête, il est un artiste. Il traduit, avec sa sensibilité et ses outils, ce moment où la tragédie rencontre la destinée humaine. Son dessin emprunte autant au réalisme qu’à l’expressionnisme et, ainsi, il donne vie aux situations et chair aux personnages. Son dessin exprime des sensations, des sentiments, des émotions qui échappent aux mots. Et même quand il faut représenter l’irreprésentable, Thomas Azuelos ne se dérobe pas. Il ouvre avec des aplats de couleurs un abîme vertigineux dans lequel le regard se perd. Bien sûr, Christian et Brigitte n’obtiendront pas les réponses qu’ils étaient venus chercher. Mais ce retour aux sources, aussi douloureux soit-il, les aura finalement apaisés. Ils auront en quelque sorte vaincu la fatalité. C’est sans doute à cet endroit-là, profondément paradoxal, que cette très « belle » histoire nous concerne tous.

LE FANTÔME ARMÉNIEN,

Laure Marchand, Guillaume Perrier et Thomas Azuelos, 128 pages. Édition Futuropolis, 19 €.


8e art magazine • été 2015

29


LE RESTAURANT

Place Lorette

LA CLASSE MAROCAINE Sarah Nawi a puisé dans ses racines l’inspiration de Place Lorette : un salon de thé féminin, raffiné et savoureux. Texte : Emmanuelle Gall Photos : Frédéric Presles et Alexandre Allouetto

L’ASSIETTE À chaque jour sa spécialité : le jeudi c’est couscous, le vendredi « burger façon kefta »… et le dimanche rime avec brunch. C’est le must de la maison, recommandé par une foule de guides, remarquable par son audacieux mélange de saveurs : des traditionnelles crêpes marocaines (baghir et m’semen) au cottage cheese aux crevettes saumon et ciboulette, en passant par la pastilla au poulet. Mais les habitués ont également un faible pour les coucous et tagines de Place Lorette comme ses pâtisseries maison, servies dans une très jolie vaisselle. LE CHEF Sarah Nawi, qui a fondé Place Lorette en 2013, en est la chef d’orchestre. Native de Vitrolles, elle a vécu à Paris, New York et même en Chine, avant de trouver sa voie au Maroc, à l’occasion d'un séjour en famille. En (re)découvrant le savoir-faire des artisans, elle a également trouvé sa vocation : créer des meubles qui revisitent les traditions. Rentrée au bercail marseillais, elle a jeté son dévolu sur une carrosserie abandonnée du Panier. Dix-huit mois après sa première visite, et des travaux pharaoniques, elle y invente Place Lorette : un espace offrant le meilleur du Maroc, à commencer par sa cuisine, préparée par les femmes de la famille. 30

8 e art magazine • été 2015

LE CADRE Le lieu ne manque pas d’atouts, cumulant une vaste terrasse ombragée et un intérieur digne d’un palais. La décoration et les meubles de ce vaste salon marocain sont évidemment l’œuvre de Sarah Nawi. Le choix des couleurs et des matières, toutes en noblesse, élégance et sobriété, donne au cadre un cachet particulier et unique à Marseille. Bonne nouvelle : dès la rentrée de septembre, on pourra admirer à loisir (et acheter) les créations de Sarah Nawi dans la boutique voisine du salon de thé.

PLACE LORETTE

3, place Lorette, Marseille, 2e. 09 81 35 66 75 Ouvert du jeudi au samedi, 11h-18h, et le dimanche, 11h-16h. Plats à partir de 15 €, Brunch 24 €.

WWW.

place-lorette.fr


8e art magazine • été 2015

31


LE FESTIVAL

MJ5C

QUATUOR D’IDÉES POUR LES CINQ CONTINENTS Le « Festival de Jazz des Cinq Continents » change de logo et de nom pour devenir… le « Marseille Jazz des cinq continents ». Soucieuse de s’inscrire davantage dans le territoire, cette quinzième édition apporte, sans bouleverser les habitudes, son lot de changements. Décryptage en compagnie de Régis Guerbois, cofondateur du festival. Texte : Cédric Coppola

P

lusieurs thématiques se dégagent de cette édition 2015, dont une importante présence féminine : « Beaucoup de chanteuses circulent dans le monde du jazz. Par contre, on note une arrivée massive de demoiselles instrumentistes, leaders de leur formation. Il est normal de témoigner de ce phénomène, de montrer leur sensibilité ». Au programme : Lisa Simone / Hiromi (le 17) et Anne Paceo Circles / Mélody Gardiot (le 21). Les organisateurs ont également souhaité (re)mettre à l’honneur les talents locaux, à l’image de la présence de Radio Babel Marseille (le 18) et redonner carte blanche à un artiste, cette fois Erik Truffaz (le 20), pour un bœuf endiablé en compagnie des partenaires de son choix. Un exercice dans lequel avait brillé, l’an dernier, Ibrahim Maalouf. Hors sujet Le festival de jazz aime varier les styles et élargir la gamme des spectateurs dans l’enceinte du palais Longchamp. Les habitués se souviendront des venues d’Earth Wind and Fire en 2012 ou 32

8 e art magazine • été 2015

de Nils Rodgers l’année suivante. Cette fois, la scène sera laissée à Charlie Winston : « Sa présence montre une volonté de brasser le public et de le rajeunir. De favoriser la découverte aussi, puisque la pianiste aixoise Perrine Mansuy se produira en première partie et permettra au public venu pour le second concert de découvrir une autre forme musicale ». De quoi contraster avec la soirée de clôture, marquée par la rencontre de deux icônes brésiliennes : Caetano Veloso et Gilberto Gil (le 24). Déambulation Le MJ5C mue dans sa présentation. Exit les afters à La Criée et place à des partenariats encore plus nombreux. Le théâtre national lancera la première soirée (le 15) avec un set de Raphaël Imbert, « qui jouera avec ses complices jusqu’au bout de la nuit », puis le festival passera par le MuCEM, « sur un format gratuit et original, permettant aux visiteurs de découvrir de nombreux artistes qui joueront sur toutes les esplanades et dans la cour du fort Saint-Jean », et l’auditorium


© FPT LR © Daryan Dornelles and Fernando Young

en plein air du théâtre Silvain, avant de rejoindre le traditionnel palais Longchamp. Atmosphère Assis dans l’herbe près de la scène, à l’espace restauration ou à l’écart, avec des amis, les shows se savourent de différentes manières, au point de donner parfois l’impression que l’esprit prédomine sur la partie musicale. Les organisateurs n’ont pas l’intention de renoncer au concept : « On a construit le festival de la sorte. L’écoute s’effectue sans contrainte, dans des conditions simples et agréables. Cet état d’esprit fait partie de l’ADN du festival. Les gens tiennent comptent de l’affiche, mais viennent surtout pour passer une bonne soirée ».

Parmi les stars, Gilberto Gil et Caetono Veloso (le 24 juillet) et Melody Gardot (le 21 juillet).

« L’ÉCOUTE S’EFFECTUE SANS CONTRAINTE, DANS DES CONDITIONS SIMPLES ET AGRÉABLES. CET ÉTAT D’ESPRIT FAIT PARTIE DE L’ADN DU FESTIVAL.»

FJ5C

Du 15 au 24 juillet 2015, Divers lieux à Marseille. 04 95 09 32 57. 9-49 €.

WWW.

marseillejazz.com 8e art magazine • été 2015

33


DOSSIER

9 BALADES

ARTY Dossier réalisé par

Julie Bordenave, Emmanuelle Gall, Fred Lanan et Olivier Levallois.

La Bouteille d’Abraham Poincheval fera sa première apparition, le 25 juillet, sur la plage Napoléon à Port Saint-Louis du Rhône en Camargue, dans le cadre du festival des Envies Rhônement (lire page 64).

34

8 e art magazine • été 2015


8e art magazine • été 2015

© Abraham Poincheval

Cet été, c’est décidé, on quitte Marseille. Pas parce qu’il n’y aura rien à voir, les expositions estivales des musées marseillais ne manqueront pas d’intérêt, mais pour le plaisir d’associer expériences artistiques et plaisirs du voyage, de rappeler que culture et vacances peuvent aller de paire. Plutôt que de faire l’aller-retour à Nîmes, Arles ou Avignon dans la journée, pourquoi ne pas rester y dormir et/ou manger ? Aux neuf meilleures expos de l’été, nous avons choisi d’associer des hôtels, maisons d’hôtes ou restaurants aussi divers que possible, en termes de prix et de confort. Cette sélection subjective repose sur des critères d’ambiance et d’esprit. Elle privilégie donc évidemment des lieux où l’art est le bienvenu ou dont les hôtes sont, à leur manière, des artistes.

35


DOSSIER

9 balades arty

SÈTE

DES

TRANSPORTS PEU COMMUNS

Le Musée International des Arts Modestes (MIAM) réinterprète à sa manière Véhicules, la première biennale thématique organisée l’hiver dernier par la Collection de l’Art Brut de Lausanne. Texte : Olivier Levallois • Photos : Pierre Schwartz

D

émarrée avec les 5000 œuvres d’art brut que Jean Dubuffet donna à Michel Thévoz en 1975, La Collection de l’Art Brut de Lausanne compte désormais plus de 60 000 œuvres. C’est dans cette foisonnante réserve que Sarah Lombardi, la directrice du lieu, a puisé les quelque 200 « véhicules » de 42 artistes pour son exposition, témoignant de la fréquence et de la diversité du sujet. En relayant au MIAM le projet et le propos, le commissaire de l’exposition Norbert Duffort ne manque pas d’y insuffler ses propres réflexions, à travers un accrochage sans classement et l’apport de créations d’artistes contemporains notamment. Rappelons que le MIAM est un musée buissonnier comme il existe des écoles buissonnières. On y quitte les voies balisées de l’art contemporain pour prendre des chemins de traverse dans des territoires encore peu cartographiés nommés arts bruts, singuliers, populaires. L’espace d’exposition aux murs noirs, sans fenêtre, supprimant tout lien avec l’extérieur incite à une coupure d’avec nos repères, nos habitudes, nos étiquetages et notre temporalité commune. Les œuvres, en l’occurrence les Véhicules auto, moto, vélo, train, avion et BATEAU qui ont fait le voyage de Lausanne à Sète, comme aperçus dans la nuit, conservent une force et une ambivalence empreinte de la nécessité vitale qui les a fait naître. Les véhicules ont toujours été des prolongements de nos désirs, de notre volonté de puissance, de nos insuffisances, de nos limitations et de nos peurs (voler, traverser les mers, explorer…). Ils sont issus de nos rêves. Sans démonstra-

36

8 e art magazine • été 2015

tion appuyée ou dispositif spectaculaire, cette exposition nous le rappelle, rendant à ces objets devenus si quotidiens et réduits à leur usage pratique, leur dimension originelle symbolique, voire magique. Source d’enchantement et d’évasion pour les uns, comme pour François Burland et sa maquette hétéroclite et burlesque du bateau Tanger-Mogador, ou encore le Papavor de l’artiste contemporain Panamarenko, mini-dirigeable en papier rouge ; cause de danger et de menace pour d’autres, tels Georges Widener et son Titanic de bois brûlé ou les ex-voto exposés dans l’entrée ; objets fascinants chargés d’une puissance fantasmée, quasi magique, dans le dessin de la Voiture NKOYI du Congolais Ingénieur Vancy ou la sculpture du Béninois Théodore Dakpogan, capot-fétiche d’inspiration tribale… Le singulier territoire dessiné par ces avions, bateaux, astronefs, voitures, bus, peints, en carton, en bois, plastique ou métal aux formes à la fois familières et étranges, dotés de pouvoirs (puissance, vitesse, transport…) est souvent celui de nos inconscients collectifs. Art ? Jeu ? Obsession ? Magie ? Sublimation ? Religion ? Médecine ? Rituel ? Ici, les classifications perdent de leur superbe, les frontières se mêlent, se superposent. Et la mise en relation des œuvres dites d’art brut avec celles issues de l’art contemporain le confirme. On retrouve indifféremment dans les deux modes de création, un même goût pour l’usage des techniques mixtes et des matériaux de récupération, une même propension à fétichiser l’objet, voire une même tendance à creuser dans la névrose et l’obsession.


Au premier plan :

Michel Gondry et Sylvain Arnoux, PQ ville, 2006,

décor du film La Science des rêves, Collection Musée International des Arts Modestes.

Au mur :

André Stanton, Anzere.rest. Du pas=de.maimbre. Alt.2400m / Ford avec l’ABS / Leukerbad / Poly-Life, ca. 19861991, stylo-bille, feutre,

peinture et collage sur papier, Collection de l’Art Brut, Lausanne.

De gauche à droite : Thierry Agnone, Ta mer, 1996, peinture sur mousse synthétique, Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur ; Bepi Donald, L’Arche de Noé, ca. 2000, technique mixte, Collection Nicolas Dubreuil ; Pépé

Vignes, Sans titre, 1975-1985, mine de plomb, crayon de couleur, feutre sur papier, Collection de l’Art Brut, Lausanne.

8e art magazine • été 2015

37


DOSSIER

9 balades arty

De gauche à droite : Les frères Linares, Barque aux squelettes, 2000, papier mâché peint et vernis, Collection MIAM ; André Stanton, Bateau sombrant, ca. 1986-1991, pastel et gouache sur papier, Collection de l’Art Brut, Lausanne ; Guillaume

Pujolle, Le Lutetia, /Les phoques / Toujours plus vite / La Normandie / Bateau torpille / Normandi, ca. 1938-1939, aquarelle, produits de laboratoire, encre et crayon de couleur sur papier, Collection de l’Art Brut, Lausanne.

Ainsi les cinq bicyclettes de Tutta la famiglia de Richard Fauguet, entièrement recouvertes de cadenas, n’ont rien à envier aux classifications compulsives du japonais Motooka Hidenori qui recense, en les dessinant avec la méticulosité d’un agent administratif, tous les trains qu’il connaît. Autre réappropriation de l’espace urbain colonisé par les véhicules, celle de Martial Richoz filmé par Michel Etter. Recalé au poste de chauffeur de Trolleybus, le jeune homme a sillonné les trottoirs de Lausanne durant des années aux manettes d’un véhicule sur roues de son invention, reproduisant le poste de conduite du véhicule, émettant les divers bruits du bus (portes à soufflets, changement de vitesse, klaxons), et faisant monter et descendre des passagers invisibles dont il poinçonne les tickets. Le véhicule comme sens d’une existence. Une œuvre d’une grande beauté évoque ce caractère existentiel du moyen de transport qui nous entraîne d’une rive à une autre de nos vies : la Barque aux squelettes des frères Linares, barque de pêcheurs-squelettes (suivant la tradition des calaveras Mexicains) tirant leurs filets pleins de poissons colorés (vivants pour quelques brefs instants). Tout l’éphémère et le dérisoire de nos existences est dit dans cette sculpture de papier mâché peint. MIAM, MUSÉE DES ARTS MODESTES

Jusqu’au 20 septembre 23, quai Maréchal de Lattre de Tassigny, Sète. www.miam.org 38

8 e art magazine • été 2015

LE MIAM EST UN MUSÉE BUISSONNIER. ON Y QUITTE LES VOIES BALISÉES DE L’ART CONTEMPORAIN POUR PRENDRE DES CHEMINS DE TRAVERSE.


© Olivier Levallois

+ OÙ DORMIR ?

DES YOURTES ENTRE VILLE ET MER Nichées sur les hauteurs du mont St-Clair à Sète, elles se cachent dans le jardin fleuri et arboré d’une villa lorgnant sur un bout de mer. À première vue, on pourrait penser avoir affaire à l’un de ces concepts d’hébergements insolites à la mode, mais pour Émilie Salvados et Sebastien Benyoucef, la yourte est avant tout une histoire de passion. Respectivement « architecte de yourtes » et ébéniste, c’est leur habitation depuis sept ans dans les Cévennes. À Sète, ils ont créé trois « yourtes d’hôtes » de belle dimension, conciliant l’élégance, la sobriété et la quiétude de cet habitat traditionnel avec l’exigence du confort moderne : prises électriques encastrées, minibar, terrasses, literie de qualité, cabine de douche et de toilettes privatives. Le caractère écologique de leur projet (toilettes sèches, savons neutres, phytoépuration des eaux usées…) participe pleinement de leur philosophie. Tout comme l’accueil à la fois chaleureux et soucieux de la quiétude de leurs visiteurs. Une adresse éthique, romantique, au charme discret. Mira Ceti Yurt

805, chemin des Pierres blanches, Sète. 06 03 13 60 87 Yourte à partir de 130 € la nuit www.facebook.com/miracetiyurtsete

OÙ MANGER ?

EN DIRECT DE LA CRIÉE A Sète, les restaurants ne manquent pas. Reste à distinguer celui qui conciliera le bonheur d’une terrasse sans passage de voiture ni musique tonitruante, un sens du service sympathique et compétent, et bien sûr la fraîcheur et la qualité de la cuisine. Pour gagner du temps, rendez-vous directement à Oh Gobie, face à la criée, qui cumule tous ces mérites avec décontraction. Sur ses deux terrasses, dont l’une au bord du canal, on vous sert des poissons et fruits de mer impeccables (loups, dorades, crevettes et sardines grillées, couteaux à l’ail, gambas à la plancha, huitres de l’étang de Thau, fritures…). Une carte alléchante pour une cuisine très honnête accompagnée d’excellents vins de domaines. Oh Gobie

© Matthieu Boyé

9, quai Maximin Licciardi, Sète. Ouvert de 10h à 23h. 04 99 02 61 14 Repas à partir de 15 € www.facebook.com/pages/OH-GOBIE/248511661957760

8e art magazine • été 2015

39


DOSSIER

9 balades arty

CHÂTEAUNEUF-LE-ROUGE

PLAISIRS

DE LA

TABLE ET DES

YEUX

Vous restez pour dîner ? La proposition estivale de Christine Courbon au musée d’art contemporain ARTEUM est alléchante et témoigne d’une volonté partager l’art contemporain avec le plus grand nombre. Texte : Emmanuelle Gall • Photos : Claire Le Goff

A

RTEUM, le musée d’art contemporain de Châteauneuf-le-Rouge est installé au cœur de la cité, au deuxième étage d’un château du XVIIe siècle reconverti en mairie. Rares sont les communes de moins de 2500 habitants à pouvoir se targuer de posséder un tel établissement. Créée en 1985, à l’initiative du peintre Paul Allé, l’association ARTEUM a d’abord présenté des artistes locaux avant de se tourner plus résolument vers l’art contemporain, depuis l’arrivée en 2012, de Christine Courbon à sa tête. En choisissant de tisser des liens privilégiés avec l’École d’art d’Aix-en-Provence et des institutions locales, tel le Fonds Régional d’Art Contemporain ou Paréidolie, le jeune salon international de dessin basé à Marseille, cette dernière affiche une ambition nouvelle, mais n’oublie pas les Nègreliens ni ce qu’on appelle le « grand public ». À peine franchi le porche du château, dans le grand escalier qui mène au musée, une foule de photos très variées rappelle que l’invitation à « rester dîner » en compagnie des quinze artistes exposés a été accompagnée d’un appel à participation. Les photos collectées, « de moments partagés en famille autour des plaisirs la table, qu’il s’agisse de la préparation de recettes de famille, de repas familiaux à l’occasion d’événements marquants, de séances en cuisine (…) ou de simples déjeuners dominicaux », sont venues prolonger l’exposition dans la mairie et les vitrines des commerçants

40

8 e art magazine • été 2015

du village. Ce genre d’initiative, on a pu le vérifier en 2013 avec l’opération Chercheurs du Midi, donne aux spectateurs l’occasion de s’impliquer, mais aussi de se confronter à la thématique et d’en explorer les enjeux, avant de découvrir le travail des artistes. Ici, elle constitue également une agréable et instructive mise en bouche, avant la découverte des tables (vides) « dressées » par Dominique Angel dans la première salle. Le menu concocté par Christine Courbon se poursuit sous le signe du Déjeuner sur l’herbe, ou des « plaisirs » de la table, puis aborde le genre de la nature morte et de la vanité, à travers des œuvres d’une grande variété. De la très classique toile de Louise Germain, peintre de l’entourage de Cézanne, à l’œuvre à croquer du jeune duo Absinthe & Paprika, en passant par le film réalisé par Laurent Védrine à l’occasion de l’exhumation du tableau-piège de Daniel Spoerri enterré en 1983, l’exposition envisage la nourriture dans ses aspects les plus esthétiques ou sensuels comme les plus triviaux voire morbides. Réparties dans les différentes salles du musée, les pièces métaphoriques de Cynthia Lemesle et Jean-Philippe Roubaud, réalisées à partir d’oiseaux naturalisés et d’aliments vrais ou faux, constituent une sorte de fil rouge ou fil d’Ariane du parcours, invitant le spectateur à se méfier des apparences et à voyager dans l’histoire de l’art. Elles sont également emblématiques du parti-pris de la commissaire d’exposition :


© Claire Le Goff © Claire Le Goff

Dominique Angel, Pièces supplémentaires, 2015.

Cynthia Lemesle & Jean-Philippe Roubaud, Post oitium anima triste, 2012.

8e art magazine • été 2015

41


DOSSIER

© Claire Le Goff

9 balades arty

Absynthe & Paprika, Déjeuner sur l'herbe 2.0, 2015.

donner à voir, à ressentir et à penser en offrant plusieurs niveaux de lecture. L’amateur éclairé se réjouira devant les œuvres référencées et un brin ironiques de Jérémie Setton, qui invite à sa table le pinceau de Paul Cézanne, les motifs de Niele Toroni et la Gelée anglaise de Damien Hirst, tandis que le spectateur non initié se laissera hypnotiser par la vidéo d’Ymane Fakhir, Handmade, montrant les gestes ancestraux de mains de femmes triant les grains de blé et pétrissant une boule de pâte. Parmi les enfants qui se régaleront avec les Hommes de Panurge en sablé, qu’ils auront pris soin de tremper dans une mangeoire de glaçage rouge sang, certains penseront peut-être à l’acte cannibale qu’ils sont en train de commettre. D’autres y verront aussi une critique de l’esprit grégaire et consumériste de notre société. L’accrochage aéré des œuvres dans les salles du château, tirant parti des contraintes architecturales (cheminées, réduits, couloirs…), contribue à rendre le parcours fluide et souple. On reste ainsi d’autant plus volontiers dîner à ARTEUM, en famille ou entre amis, que les artistes sont bien servis et qu’il y en a pour tous les goûts.

ARTEUM – MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN

Jusqu’au 18 juillet Le Château, RN7, Châteauneuf-le-Rouge 04 42 58 61 53. Entrée libre. www.mac-arteum.com

42

8 e art magazine • été 2015

ON RESTE D’AUTANT PLUS VOLONTIERS DÎNER, EN FAMILLE OU ENTRE AMIS, QUE LES ARTISTES SONT BIEN SERVIS ET QU’IL Y EN A POUR TOUS LES GOÛTS.


© Leonard Parli

+ OÙ DORMIR ? OÙ MANGER ?

LE FESTIVAL DE LA GASTRONOMIE PROVENÇALE C’est désormais une institution. Chaque année, près de 10 000 visiteurs se donnent rendez-vous à Châteauneuf-le-Rouge, le premier dimanche du mois de juillet.

Ceux qui auront la bonne idée d’aller visiter l’exposition d’ARTEUM le 5 juillet pourront inscrire leurs enfants à un atelier artistico-culinaire et faire durer le plaisir, en famille, en profitant des nombreuses animations proposées toute la journée par le vingt-troisième festival de la Gastronomie provençale. Chaque été, la ville invite des chefs renommés et/ou étoilés à venir proposer à la dégustation une sélection de leurs meilleures recettes, à un prix très raisonnable, variant entre 3 et 10 �. On se sert dans les différents stands et on déjeune tranquillement sur les tables dressées à l’ombre des platanes. Cette année, les 9 chefs invités proposeront également des démonstrations dans la cour du château. Il s’agit de Marc de Passorio, le chef fraîchement étoilé de L’Esprit de la violette (Aix-en-Provence), invité d’honneur de cette vingt-troisième édition, Jean-Marc Eyherabide (La Maison du Château, Châteauneuf-le-Rouge), Jean-Luc Le Formal (Le Formal, Aix-en-Provence), Sylvain Robert (L’Aromat, Marseille), Ludovic Aillaud (L’Epicurien, Aix-enProvence), Annaïck Czizek et Richard Lepage (Le Grand Puech, Mimet), Vanessa Robuschi et Adel Dakkar (Question de goût, Marseille), le couple vedette de la dernière saison de Top chef. Le festival, c’est aussi un village des vignerons, regroupant une quinzaine de propriétaires récoltants (Coteaux d’Aix-en-Provence et Côtes de Provence Sainte-Victoire), des artisans proposant leurs spécialités (huile d’olive, glaces, miel, nougat, café…), différents ateliers et des animations proposées par la chroniqueuse culinaire Anne Limbour. Place Félix baret, Châteauneuf-le-Rouge. 04 42 12 41 13. Entrée libre. www.chateauneuflerouge.fr

8e art magazine • été 2015

43


Les Madones de Léonard de Vinci et Raphaël.

44

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

LES BAUX-DE-PROVENCE

FRESQUES DE LUMIÈRE

Consacré à la Renaissance italienne, le nouveau spectacle des Carrières de Lumières cherche, une fois encore, à concilier sensibilité artistique et spectacle grand public. Texte : Olivier Levallois

D

ifficile d’imaginer un cadre et un dispositif technique plus spectaculaire ! Avec ses immenses parois de calcaire blanc, ses 5000 m2 de dédales et ses larges piliers s’élevant à 14 mètres, cette ancienne carrière fermée en 1935, qui servit de décor au Testament d’Orphée de Jean Cocteau, est aujourd’hui dotée de la plus grosse installation multimédia de France, avec 100 vidéoprojecteurs diffusant des images sur plus de 7000 m2 de surface et une trentaine de haut-parleurs. La « formule magique » des Carrières de Lumières a trouvé son public, atteignant un record d’affluence avec 450 000 entrées en 2014 pour Klimt et Vienne, un siècle d'or et de couleurs. Elles sont exploitées depuis 2012 par Culturespaces, une filiale de GDF Suez spécialisée dans le tourisme culturel et la gestion de monuments, musées ou sites historiques, tel le Château des Baux-

de-Provence, les Arènes et la Maison Carrée de Nîmes, le musée Jacquemart-André à Paris ou encore le Théâtre d'Orange. Alors qu’elle vient d’ouvrir au public l’Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence (lire page 75), la société aborde sa quatrième saison aux Carrières de Lumières, avec une immersion dans les œuvres des « géants » de la Renaissance italienne : MichelAnge, Léonard de Vinci et Raphaël. Tandis que l’on déambule librement dans les larges allées de l’ancienne carrière, les toits de Rome avec leurs multiples coupoles s’étendent tout autour de nous, bientôt remplacées par les célèbres mains se touchant de La création d’Adam de MichelAnge pour la voute de la Chapelle Sixtine. Puis se succèdent les sept séquences structurant la projection de trente-cinq minutes. Apparaissent tout d’abord les majestueuses madones de Raphaël et Léonard de Vinci, puis deux des créations majeures de ce dernier, L’Annonciation (vers1472) et La Cène (1495-1498), ainsi que des pages manuscrites de carnets de notes, complétées de dessins, de schémas d’architecture ou d’esquisses d’anatomie. Ensuite, se déploient tout autour de nous les portraits de cour des deux peintres (où l’on retrouve La Joconde et son énigmatique sourire). Les statues de Michel-Ange se démultiplient soudainement sur les parois calcaires. Son David (1501-1504) de plus de quatre mètres y gagnant encore de la hauteur. Le tourbillon d’image se poursuit avec les fresques du Vatican : celles de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine, et celles de Raphaël dans les appartements pontificaux. Nous quittons un instant les œuvres sacrées de celui-ci pour découvrir la commande qu’il exécuta pour la villa Farnesina d’un riche 8e art magazine • été 2015

45


© G.Iannuzzi, M. Siccardi, G.Napoleoni

Anges et putti de Raphaël.

banquier romain, notamment Le Triomphe de Galatée (1513). Enfin, le voyage pictural s’achève par des images du Jugement dernier à la Chapelle Sixtine. Le calcaire des parois répond au marbre des sculptures, les Carrières de Lumière aux carrières de Carrare, et les fresques avec leurs vieux crépis craquelés et leurs fissures relient le passé au présent. Gianfranco Lannuzzi, l’un des réalisateurs du film avec Renato Gatto et Massimiliano Siccardi explique avoir joué sur ce lien dans la mise en scène, car il s’agit dans les principes de la tempera comme de projection de créer des images sur des murs. La projection est soutenue par une bande-son constituée de grands classiques (Stabat mater de Pergolèse, Carmina Burana de Carl Orff, Agnus Dei de Samuel Barber…) et de compositions plus récentes, sans souci de contemporanéité particulière avec la Renaissance. La musique est au service de la dramatisation, incitant les visiteurs à la contemplation, à l’allégresse ou à l’exaltation. Difficile de résister à l’envoûtement de cette immersion qui cumule les vertus. La première étant de nous permettre d’admirer ces chefs-d’œuvre d’une saisissante beauté dans une intimité difficile à obtenir autrement. Il nous donne aussi l’occasion de découvrir des détails impossibles à observer habituellement (certains dessins du plafond de la Chapelle Sixtine, notamment) et de souligner la comparaison entre des artistes d’une même période. Cependant toutes les œuvres ne passent pas sans dommage ce traitement nécessitant agrandissement, coupes, montages, superpositions, voire effets de détour et d’animation. Si les visions vibrantes de Van Gogh d’inspiration provençale, et son trait de pinceau épais ont « fonctionné » admirablement en 2012, on comprend qu’il est difficile de sampler à la manière des musiciens contemporains, des œuvres moins allégoriques ou crées à l’origine pour des lieux spécifiques, supposant un point de vue in situ des visiteurs, dont la composition et l’harmonie sont tributaires. 46

8 e art magazine • été 2015

LE CALCAIRE DES PAROIS RÉPOND AU MARBRE DES SCULPTURES, LES CARRIÈRES DE LUMIÈRE AUX CARRIÈRES DE CARRARE. Durant les trente-cinq minutes de la projection, on vit quelques instants magiques, mais l’on se surprend aussi à ressentir une certaine saturation. Trop d’effets de montage et d’animation et pas assez de temps de contemplation, de silence, d’instants suspendus ? On soupçonne une tentation de surenchère spectaculaire. Comme si les auteurs doutaient déjà que la majesté unique du lieu et la force originelle des œuvres puissent suffire à garantir l’émotion. Entre projet artistique et spectacle grand public, à chaque saison et pour chaque œuvre, la formule doit être ajustée.

CARRIÈRES DE LUMIÈRES

Jusqu’au 3 janvier 2016 Route de Maillane, Les Baux-de-Provence. 04 90 54 47 37. 8.5-10 €. www.carrieres-lumieres.com


+

OÙ DORMIR ?

© Anne van der Stegen

LUXE, CALME, VOLUPTÉ… ET SIMPLICITÉ Ouvert depuis l’été dernier, ce concept-hôtel s’adresse à une clientèle lassée des offres classiques. Dissimulé sur la commune de Paradou, voisine des Baux-de-Provence, il est entouré de 5 hectares de nature au pied du parc des Alpilles, tel un fantasme de paysage provençal. Le mirage se poursuit dans le hameau lui-même, bâti sur le modèle d’un village typique, avec placette flanquée d’une fontaine de pierre et de platanes centenaires, café, terrasses, food truck (modèle Citroën HY), terrain de boules, jardins, oliviers... La vingtaine de chambres et de suites aux noms évocateurs (La chapelle, La bergerie, Le moulin, l’atelier, Le pigeonnier, L’école et l’étude…) sont réparties entre la bastide centrale, la grange et les huit mazets. Un bal musette est même prévu chaque vendredi soir. Mais que l’on ne s’y trompe pas, cette apparente ruralité dissimule le confort de maisons d’hôtes de luxe et les services d’un palace : restauration haut de gamme orchestrée par le chef José Maréchal, piscine, tennis, soins, location de cabriolets de collection… Le moindre détail ou élément de décoration, chargé d’évocations multiples, a été choisi avec un soin rare. Le mobilier au design vintage (années cinquante, soixante et soixante-dix) est d’ailleurs proposé à la vente. Autre spécificité du lieu : des artistes contemporains investissent les chambres et la galerie, allant jusqu’à créer des objets originaux, tels les sucriers de la céramiste Maryvonne Boffo. Cette année, outre ses clients, le Hameau accueille les toiles abstraites de Patrick Georges et Nicolas Galtier ainsi que les céramiques de Stéphanie Dastugue dans ses murs, et les sculptures en acier de Klaus Meister dans le parc. Le hameau des Baux

Chemin de Bourgeac, Le Paradou. 04 90 54 10 30 Chambres à partir de 140 € la nuit. « Grignotage » à partir de 7 €, plat du jour : 24 €. www.hameaudesbaux.com

8e art magazine • été 2015

47


© ADAGP Paris

Thomas Schutte, Mohr’s Life : The Sculptor, 1988-1999.

48

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

NÎMES

TRANCHES DE VIE

Fière de son festival de la biographie, dont la quatorzième édition s’est déroulée en janvier dernier, Nîmes accueille cet été une ambitieuse exposition d’art contemporain intitulée Formes biographiques. Texte : Emmanuelle Gall

N

on, la biographie n’est pas l’apanage de la littérature, même si cette dernière semble a priori le véhicule le mieux à même de rendre compte du déroulement d’une vie. Et, de même que les (auto)biographies ou autofictions ne se réduisent pas non plus à des témoignages linéaires et/ou véridiques, les plasticiens ont depuis toujours puisé dans leur vie les sujets et matériaux d’œuvres extrêmement diverses. L’historien de l’art et essayiste Jean-François Chevrier, qui signe l’exposition Formes biographiques au Carré d’art de Nîmes, travaille le sujet depuis plusieurs années. En 2013, il proposait au musée Reina Sophia de Madrid une première approche de la question, baptisée Formas biograficas. Tandis que cette première exposition offrait « un panorama des expériences et expérimentations biographiques dans l’histoire de l’art moderne », le volet nîmois se focalise sur la période contemporaine en présentant une soixante d’œuvres créées depuis les années cinquante. Son choix s’est surtout porté sur des pièces souvent inédites en France et des artistes peu connus. À une époque où les expositions estivales semblent le plus souvent destinées à attirer les touristes, avec leur lot de « stars » et des thématiques rebattues, Formes biographiques fait le pari de la réflexion et de la nouveauté. Quitte à dérouter. En se proposant d’interroger le « modèle constructif de la biographie », l’exposition présente les différentes voies

explorées par les artistes d’aujourd’hui, à travers des médiums allant de la sculpture à la photographie en passant par le dessin ou l’installation. Si la formule « je est un autre », lancée par Arthur Rimbaud dans sa « Lettre du voyant » en 1871 est largement passée à la postérité, on connaît moins celle de Gérard de Nerval : « je suis l’autre », notée en 1854 sous l’un de ses portraits gravés sur le frontispice d’une monographie que lui consacrait Eugène de Méricourt. Il constitue le point de départ historique de « l’enquête biographique » de Jean-François Chevrier, avec un autre document, intitulé Généalogie fantastique : un manuscrit présentant un arbre généalogique fantasmé dessiné par Nerval en 1841. Dans le sillage du poète, de nombreux artistes vont élaborer au cours du XXe siècle ce que la critique a appelé des « mythologies individuelles », puisant dans leur histoire personnelle les éléments d’une vie rêvée. Ainsi les Demeures d’Étienne Martin, réalisées à partir du schéma de sa maison natale dans la Drôme. Selon Jean-François Chevrier, dans les arts visuels, la « matière » biographique est « également spatiale, géographique : les lieux comptent autant que les événements ». Et de nombreuses pièces représentent des espaces-clés pour les artistes ou en prennent la forme. De même, certains choisissent de mettre en scène les « éléments biographiques » sous la forme de petits théâtres de la mémoire, articulant les objets, per8e art magazine • été 2015

49


© ADAGP Paris

Martin Honert, Foto (Klein-Martin am Tisch), 1993

FORMES BIOGRAPHIQUES FAIT LE PARI DE LA RÉFLEXION ET DE LA NOUVEAUTÉ. QUITTE À DÉROUTER.

sonnages et souvenirs d’une vie. C’est le cas de plusieurs pièces énigmatiques au premier abord : Le Dramaturge de Peter Friedl, Foto (Klein Martin am Tisch) de Martin Honert ou encore Mohr’s Life : The Sculptor de Thomas Schutte, métaphore de la carrière de l’artiste, constituée entre autres d’une étagère remplie de ses propres chaussures. En passant en revue les différents traitements que les artistes font subir aux « éléments biographiques » de leur propre vie ou de celle des autres, en abordant également les dimensions documentaires ou collectives de certaines pratiques, celle de Marc Pataut, et Santu Mofokeng notamment, Jean-François Chevrier donne au spectateur l’occasion d’envisager la question sous un jour à la fois exhaustif et inédit. Et sans doute l’invite-t-il également à examiner sa propre « construction » biographique.

Jusqu’au 20 septembre Place de la Maison Carrée, Nîmes. 04 66 76 35 70. 0-5 €. www.carreartmusee.com 50

8 e art magazine • été 2015


© Hôtel Imperator

+ OÙ DORMIR ?

HISTORIQUE IMPERATOR Hôtel officiel des toreros et passage obligé des aficionados pendant la féria, l’Imperator fait partie de ces lieux mythiques, aujourd’hui un brin décadents, qui abritèrent leur lot de stars et d’écrivains. En témoignent le Bar Hemingway et sa collection de portraits de Papá ainsi que les plaques affichées sur les chambres qui abritèrent Ava Gardner, Pablo Picasso et Jean Cocteau. Construit en 1929 par la Compagnie des Wagons-lits, il est un beau spécimen de bâtiment art déco qui a su échapper à la standardisation des rénovations successives. Le hall carrelé et ses expositions temporaires, le majestueux ascenseur en bois et le jardin paisible à l’ombre d’un imposant ginkgo biloba ont conservé un indéniable cachet. Quant aux chambres, la nouvelle direction promet d’en respecter la personnalité et les rénove progressivement. Pour maintenir vivante la vie culturelle de l’établissement, cette dernière organise également, tout au long de l’année des « Belles rencontres », autour du jazz, de la littérature, de la tauromachie, de la gastronomie et du vin. Hôtel **** Imperator

15, rue Gaston Boissier, Nîmes. 04 66 21 90 30 Chambres à partir de 115 € la nuit. www.hotel-imperator.com

OÙ MANGER ?

CASA BLANCA Mieux vaut visiter la Casa blanca en sortant de l’exposition qu’avant. Avec son joli patio, son salon cosy, son bar, sa longue liste de tapas et son ambiante caliente, la maison ne manque pas d’arguments pour retenir ses hôtes jusqu’à l’aube. Même en dehors des férias, il y règne une ambiance festive et conviviale, liée à un service décontracté et une large clientèle d’habitués. Une décoration hispano-baroque très créative, mais sans prétention et un bon rapport qualitéprix de la charcuterie (jamon, lomo, pata negra…) comme des plats cuisinés sont à l’origine du succès de l’établissement qui laisse, sans supplément, l’impression d’avoir passé une soirée en Andalousie. La Casa blanca

© Casa Blanca

9, rue Fresque, Nîmes. Ouvert du mercredi au samedi, midi et soir. 04 66 21 76 33 Assortiment de tapas à partir de 22 € www.facebook.com/pages/La-CASA-BLANCA/308282773293

8e art magazine • été 2015

51


DOSSIER

9 balades arty

SAINTES-MARIES DE LA MER

POLYPHONIES AU CHÂTEAU

Le château d'Avignon accueille cet été le second volet du Domaine des murmures : un parcours d'art contemporain qui fait la part belle à la création sonore. Texte : Olivier Levallois

E

n 1893, le riche négociant en vins et spiritueux marseillais Louis Prat-Noilly (1845-1932) fait l'acquisition de la propriété viticole du château d'Avignon, bâtie par la famille d’Avignon au XVIIIe siècle et devenue l'un des plus grands domaines du delta du Rhône. Il transforme cette bastide classique en pavillon de chasse, en accord avec la philosophie hygiéniste et le positivisme industriel de son temps. Avec sa station de pompage et d’assainissement de l’eau reliée au Petit Rhône, ses turbines génératrices d’électricité et sa chaufferie, le château ainsi que les dépendances sont dotés d’équipements d’avant-garde : eau courante, salles de bain à tous les étages, chauffage central, lumières électriques… Autant d’installations modernes dont les nombreux vestiges sont encore parfaitement visibles aujourd’hui. Louis Prat Noilly meurt en 1932, mais le domaine reste propriété de sa famille jusqu’à sa vente au Conseil général des Bouches-du-Rhône en 1984 par le Comte Pierre Pastré, son arrière-petit-neveu. Il sera classé au titre des Monuments Historiques en 2003. Le domaine et ses multiples espaces (prairie, jardin, cour) et bâtiments (basins de décantations, lavoirs, chaufferie, etc.) typiques des propriétés de la grande bourgeoisie de la fin du XIXe siècle donnent aux parcours artistiques qu’ils accueillent une dimension unique. Le visiteur chemine dans des espaces aux multiples échos mêlant intimement l’histoire et la technique, la fantasmagorie à l’utilitaire, la

52

8 e art magazine • été 2015

fiction au réel. L’an passé, Domaine des murmures # 1 avait investi, à la même saison, le parc et les dépendances du château en multipliant des dispositifs sonores et visuels (installations, sculptures sonores, vidéos, performances…) majoritairement créés in situ, par douze plasticiens. Le domaine des murmures # 2 prolonge l’expérience avec, cette fois, quatorze artistes, dont certains déjà présents lors de la précédente édition. Chacun a été invité à installer une œuvre dans un lieu spécifique du domaine dans le but de créer une interaction, un dialogue singulier entre la sensation produite par l’œuvre et l’identité du château. De fait, chacune de ces créations délivre un sentiment différent quant à la place du son dans notre appréhension de l’environnement. Ainsi les Cives, un ensemble de cymbales en verre soufflé conçues par Dominique Blais, oscillant légèrement sur leurs fils au centre de la tour néo-médiévale, produisent une note singulière qui sollicite une écoute recueillie. Un peu plus loin, dans la pénombre du lavoir nord Pierre-Laurent Cassière a tendu le faisceau lumineux de son The Blue Ray. Suivant l’intensité des nappes de brume artificielle qui s’échappent du lavoir, l’enveloppent et le révèlent, le rayon produit une vibration variable, entêtante, évoquant un mystérieux phénomène tellurique et hypnotique. Immersion et contemplation garantie. Si quelques-uns de ces artistes transforment la perception sensible que l’on a des lieux investis par leur scénographie,


© Mathias Isouard

Mathias Isouard, Water Percussions, 2013, production de Voyons voir, art contemporain et territoire.

Laurent Gongora, Paradis perdu, 2015 (pendule à coucou, programme électronique), collection de l’artiste.

© Yann Monel

LE VISITEUR CHEMINE DANS DES ESPACES AUX MULTIPLES ÉCHOS MÊLANT INTIMEMENT L'HISTOIRE ET LA TECHNIQUE, LA FANTASMAGORIE À L'UTILITAIRE, LA FICTION AU RÉEL.

8e art magazine • été 2015

53


DOSSIER

© David Giancatarina

9 balades arty

Dominique Blais, Sans titre (les cives), 2014, réalisation et production Cirva / Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Marseille), collection Cirva.

d’autres prennent plus trivialement comme sujet et source d’inspiration l’identité touristique actuelle du château. L’ouïe l’ouvre, de Marie Chéné et Pascal Messaoudi, prolonge ici leur expérimentation de la précédente session, en jouant avec le concept même de visite guidée. Leur détournement de l’audioguide transforme dans un nouveau montage (sur le modèle de la technique du cut-up cher à William Burroughs), son commentaire pédagogique originel en un récit surréaliste. Ainsi, le temps de traverser le parc, la salle de la pompe, la chaufferie, le château d’eau et les lavoirs, nous sont contés, des histoires pleines de drame, de folie et de dérision. Comme si, en proie à de constants lapsus sonores, la voix de l’audioguide laissait soudainement entendre l’inconscient du château. Il y a donc le son mystérieux perçu par nos sens troublés, dont la source énigmatique nous révèle un monde caché, puis celui qui nous propose une autre lecture du réel, et il y a aussi le son ludique que l’on produit. C’est ce son-là, sollicitant notre interaction, que nous invite à expérimenter le Belge François Cys dans la prairie du château, avec son installation de Cyclophones. Le dispositif est composé de trois vélos (Vélorgue, Cycloscope et le Vél’eau), instruments de production sonore mus par la force musculaire. Chacun d’eux actionne une mécanique propre de pédaliers et de roues, produisant des sonorités diverses (claquements, sifflements, percussions…). Le principe consistant 54

8 e art magazine • été 2015

à trouver un équilibre, une harmonie entre notre geste et la création sonore. À pratiquer seul ou en groupe. Sur ce parcours singulier, le visiteur croise près d’une dizaine d’œuvres plastiques et sonores (instruments étranges, vidéos, installations interactives, captations, sculptures, chambre d’écoute…), le reliant au château par son architecture, sa géographie, son usage passé ou contemporain et son histoire, telles les réminiscences sonores de Bertrand Gadenne révélant un écho fantôme de la vie antérieure du lieu. Tout au long de sa déambulation, le marcheur est lui-même transformé par les ondes, artistiques celles-là. Il est parfois le spectateur d’étranges paysages sonores, puis le sujet de déformations du réel ou de jaillissements mémoriels du château, ou bien l’acteur-créateur des machines sonores qu’il manipule. Plus que d’une balade, il s’agit donc d’un voyage, dans l’espace et le temps, au fil des sons.

CHÂTEAU D’AVIGNON

Du 20 juin au 4 octobre. Route départementale 570, Les Saintes-Marie-de-de-Mer. 04 13 31 94 54. 2-4 €. www.chateaudavignon.fr


© Domaine Sainte-Colombe

+ OÙ DORMIR ?

OUT OF CAMARGUE Depuis la route de Générac et ses vignes à perte de vue, le domaine Sainte-Colombe demeure insoupçonnable. Puis l’on passe, hésitant, la borne de pierre « Sainte Colombe » sur le chemin rocailleux pénétrant dans l’exploitation. Le paysage se met alors à plonger soudainement, révélant, comme dans un conte oriental, une oasis de verdure, un vallon caché typique du maquis provençal avec ses pins parasols, genêts, chênes, cystes et arbousiers, puis une prairie avec des chevaux et, au milieu, un mas majestueux accolé à une chapelle du XIIe siècle. Si l’on peut louer, dans ce paradis discret, de très confortables mas ou une ancienne bergerie, l’expérience de cette proximité avec la nature (et les nombreux oiseaux) est redoublée dans l’un des quatre lodges installés sur la colline. Le propriétaire des lieux, Jean-Claude Mirabel, a imaginé un campement de luxe, à partir de tentes de l’armée canadienne augmentées d’une vaste terrasse et très confortablement aménagées pour quatre personnes. Un gîte plus spacieux que les cabanes dans les arbres, mais bénéficiant du même panorama à couper le souffle. Domaine Sainte-Colombe

© Domaine Sainte-Colombe

9001, route de Générac, Saint-Gilles. 04 66 81 81 81 Lodges à partir de 170 € la nuit. www.domaine-sainte-colombe.com

8e art magazine • été 2015

55


Edouard Bernard DebatPonsan, Un matin devant la porte du Louvre, 1880,

Huile sur toile, Musée d’Art Roger Quillot, ClermontFerrand.

Marina Abramovic, Balkan Baroque, 1997, Photographie, Collection Antoine de Galbert, Paris.

56

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

AVIGNON

COLLECTION RÉELLE

MUSÉE

ET

IMAGINAIRE

Avignon, la théâtrale, ajoute une nouvelle corde à son arc. Quinze ans après sa création, la Collection Lambert inaugure, le 3 juillet, son nouvel espace et une collaboration inédite avec le festival, sous la forme d’une exposition consacrée à Patrice Chéreau. Texte : Emmanuelle Gall

L'

été dernier, la Collection Lambert réussissait un coup de maître. Fermée en raison des travaux d’agrandissement de l’hôtel Caumont, elle s’était délocalisée dans l’ancienne prison SainteAnne, le temps d’une exposition baptisée La Disparition des lucioles. Son commissaire, Éric Mézil, qui est également le directeur de la Collection, remportait haut la main un pari, pourtant risqué : accrocher 250 œuvres d’art contemporain dans les couloirs et les cellules désaffectées, sans trahir les artistes ni la mémoire des lieux. Le succès critique s’est doublé d’un succès public : 80 000 visiteurs, un record pour la Collection Lambert, qui avait jusque-là bien du mal à équilibrer ses comptes. De quoi argumenter auprès des collectivités locales pour obtenir une rallonge – indispensable – des subventions, mais aussi donner envie de découvrir la nouvelle proposition d’Éric Mézil. En annonçant l’ouverture d’une surface d’exposition doublée (passant de 1800 à 3600 m2) le 3 juillet, pour accueillir ses collections et sa prochaine exposition temporaire baptisée Patrice Chéreau, un musée imaginaire, la Collection Lambert confirme ses ambitions et attise les curiosités. Si les amateurs d’art ont déploré la décision d’Yvon Lambert de fermer sa mythique galerie parisienne l’hiver dernier, ils devraient pouvoir se consoler à l’idée de découvrir sa « Collection 2.0 ». Depuis la donation exceptionnelle par le galeriste de 556 œuvres à l’État en juillet 2012, l’Hôtel de Caumont était devenu trop petit. L’adjonction de son voisin, l’Hôtel de Montfaucon, jusque-là occupé par l’école des

Beaux-Arts, permet non seulement de doubler la surface d’exposition, mais aussi d’améliorer la visibilité des œuvres. Estimé à 14 millions d’euros et confié à l’agence d’architecture, Berger & Berger, le projet prévoit notamment la création de salles « sur mesure », adaptées à la variété des médiums présents dans la collection : vidéo, photographie, sculpture, installation, peinture. Entièrement dédié à l’art contemporain, le fonds constitué par Yvon Lambert depuis les années 60 fait la part belle à des œuvres qui s’accommodent mal d’un accrochage à l’ancienne. La première sélection présentée cet été dans l’hôtel Montfaucon permettra ainsi de découvrir des pièces que l’ancien bâtiment ne pouvait accueillir, un ensemble de pièces minimales et conceptuelles dans un espace de 600 m2 conçu pour elles, ou encore les grands formats de Jean-Michel Basquiat, Julian Schnabel et Miquel Barceló dans une salle de 8 mètres sous plafond, à l’éclairage zénithal. En outre, le nouveau bâtiment s’enrichit d’un auditorium, d’une salle de réception, de deux cours extérieures et d’une « project room » destinée à présenter des spectacles ou performances. L’hôtel de Caumont, pour sa part, est désormais consacré aux expositions temporaires, en l’occurrence à Patrice Chéreau, disparu en octobre 2013. Après lui avoir dédié La Disparition des lucioles l’année dernière, Éric Mézil a été contacté par la directrice de l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC), dépositaire des archives de l’artiste : « Patrice Chéreau s’est invité tel un trublion qu’il aurait probablement adoré être dans cette ville qu’il connais8e art magazine • été 2015

57


DOSSIER

© Collection Lambert

9 balades arty

Lawrence Weiner, Down and Out, Out and Down, Down and Out, Out and Down, 1971, vinyle, installation permanente pour l’Hôtel de Caumont, Avignon.

DEPUIS LA DONATION EXCEPTIONNELLE PAR LE GALERISTE DE 556 ŒUVRES À L’ÉTAT EN JUILLET 2012, L’HÔTEL DE CAUMONT ÉTAIT DEVENU TROP PETIT.

sait bien : son Hamlet joué par Richard Desarthe en 1988 fait encore date dans l’imaginaire collectif avec ce décor sombre et si original de Richer Peduzzi. Alors, nous avons chamboulé notre programmation pour notre plus grand bonheur… » Fort des carnets, croquis préparatoires, photographies et lettres prêtés par l’IMEC et du soutien de Richard Peduzzi, compagnon de route pendant quarante ans de Patrice Chéreau, Éric Mézil a imaginé un « Musée imaginaire » à la manière de Malraux. Plus de soixante-dix artistes, de tous les temps, ont été invités à dialoguer avec les archives de Patrice Chéreau et retracer son parcours de cinéaste et metteur en scène, au théâtre comme à l’opéra. De La Reine Margot à Elektra, son ultime création au festival d’Aix en juillet 2013, ses chefs-d’œuvre résonnent avec ceux de Francis Bacon, Georges De La Tour, Cy Twombly… venus de France, d’Europe et des États-Unis. Ses compositeurs et auteurs de prédilection, de Shakespeare et Wagner à Koltès et Guibert sont eux aussi de la partie, à travers des archives sonores et visuelles. Enthousiaste, Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon, a décidé pour sa part de projeter, en écho, les spectacles montés par Patrice Chéreau à Avignon dans l’église des Célestins. COLLECTION LAMBERT

5, rue Violette, Avignon. 04 90 16 56 20. 8-10 €. www.collectionlambert.fr 58

8 e art magazine • été 2015


© Olivier Levallois

OÙ DORMIR ? OÙ MANGER ?

LA BASTIDE ROSE, UNE AFFAIRE DE FAMILLE ET D’ART Loin de l’agitation estivale avignonnaise, mais à une quinzaine de kilomètres seulement, la Bastide rose offre bien mieux que le gîte et le couvert aux amateurs d’art.

Bienvenue chez Poppy Salinger, la veuve de l’éminent journaliste et compagnon de route des frères Kennedy, dans un domaine bucolique qui abrita jadis une minoterie, puis une marbrerie. Depuis 1998, elle en a fait une maison de famille unique en son genre, qui cumule les fonctions de boutique-hôtel, restaurant et musée. Dans la bastide, elle a décoré chaque pièce avec ses meubles, tableaux et photos personnelles. De la bibliothèque aux chambres et suites, les photos du couple Salinger en compagnie des grands de ce monde ou de leurs enfants, les tableaux peints par la grandmère, élève d’André Lhote, ou offerts par des amis, ainsi qu’une foule de souvenirs hétéroclites témoignent autant du destin extraordinaire de la maîtresse de maison que de sa générosité, son sens du partage. Ici, on dort parmi les œuvres de sa collection et on peut, à loisir, feuilleter les livres et albums de Pierre Salinger, qui aurait eu quatre-vingt-dix ans cette année. Dans la cour, le musée qui porte son nom honore sa mémoire et sa volonté d’œuvrer pour l’amitié franco-américaine. Cet été, s’y côtoient une exposition sur Les Triplés, la bande dessinée créée par Nicole Lambert, il y a trente ans, et une sélection de dessins politiques et humoristiques américains issus de la collection de Pierre Salinger. « Après les événements du mois de janvier, j’ai eu envie de quelque chose de gai et d’optimiste », déclare Poppy Salinger, jamais à court d’idées. Du 15 juin au 30 octobre, elle invite également dix-sept sculpteurs à investir le

parc et son île, ceinte par la Sorgues, autour d’une thématique inspirée par Kandinsky : « De la ligne au point ». Après avoir accueilli, chaque année depuis 2004, des monographies d’artistes aussi prestigieux que Nikki de Saint-Phalle, Keith Harring ou Bernar Venet, Poppy Salinger privilégie désormais les expositions collectives, réunissant des artistes de générations et de nationalités diverses. L’un des avantages de la Bastide rose, c’est que l’on peut y prolonger sa visite bien au-delà du temps réglementaire, en restant déjeuner ou dîner en compagnie des œuvres. Au Gusto, la table d’Emmanuel, chef autodidacte, créatif et esthète, jouit d’une vue splendide sur le parc et propose une cuisine gastronomique en harmonie avec le lieu. Le fils de Poppy Salinger est un personnage : ingénieur des arts et métiers, designer, clown à ses heures, il crée ses menus au gré des saisons, des paniers qu’il rapporte du marché, mais aussi des désirs de ses hôtes. Voilà pourquoi il est indispensable de réserver sa table avant de venir. Au passage, on peut en profiter pour réserver une des cinq chambres ou deux suites de la Bastide rose, pour avoir le plaisir de se réveiller en compagnie des sculptures et de cette famille extraordinaire. La Bastide rose

Chemin des Coudelières, Le Thor. 04 90 02 14 33 Chambres à partir de 150 € la nuit. Au Gusto

Ouvert tous les soirs et le dimanche midi Réservation : 06 32 64 83 17 Menus à partir de 30 € www.bastiderose.com

8e art magazine • été 2015

59


Les Wind Violins de Ronald van der Meijs joueront au jardin d’Été à Arles.

60

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

CAMARGUE

FESTIVAL

MIGRATEUR

Tel un oiseau migrateur, le festival des Envies Rhônements vient nicher tous les deux ans en Camargue. Levez les yeux, tendez l’oreille, l’art est partout... Texte : Julie Bordenave

DR

U

n bout de terre entre ciel et mer, Rhône et Méditerranée, monde industriel et réserve naturelle : c’est à Port-Saint-Louis-du-Rhône que la compagnie Ilotopie, parmi les pionnières du théâtre de rue en France, a élu domicile au début des années quatre-vingt, lançant le pari un peu fou d’emmener l’art où il n’était a priori pas attendu. Quelques paires d’années plus tard, en 1992, l’équipe y bâtissait Le Citron Jaune, lieu de résidence et de fabrique pour les artistes travaillant en espace public, labellisé en 2005 Centre National des Arts de la Rue par le ministère de la Culture. Parmi les actions culturelles menées ici à l’année (sorties d’ateliers, festivals Mercredis du port en juillet et Carrément à l’ouest en octobre...), l‘expérience la plus inédite est offerte tous les deux ans, au mitan de l’été : biennale d’art en espaces naturels, les Envies Rhônements proposent une expérience insensée au spectateur, le conviant à arpenter les arides terres du delta du Rhône pour y dénicher installations plastiques et spectacles vivants. Du Bois François au cœur de ville d’Arles, du Château d’Avignon aux Marais du Vigueirat, chaque site est transfiguré de manière éphémère. Certains sont exceptionnellement ouverts au public pour l’occasion, à l’image de la Tour du Valat, centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes. Ces partenariats multiples se sont tissés au fil du temps, dans une ambition partagée : « inventer ensemble, de nouveaux mythes, de nouveaux usages et de nouvelles pratiques de nos territoires, commente Françoise Léger, directrice du Citron Jaune. L’idée du festi8e art magazine • été 2015

61


« L’IDÉE DU FESTIVAL EST DE FAIRE ÉVOLUER L’IMAGE D’ÉPINAL DE LA CAMARGUE, AFIN D’INSCRIRE LE TERRITOIRE DANS UN IMAGINAIRE CONTEMPORAIN. »

© Citron jaune

Le projet TAMBO ART from Japan to Camargue réalisé en 2013, d’après un dessin de Pierre Dubat.

val est de faire évoluer l’image d’Épinal de la Camargue, afin d’inscrire le territoire dans un imaginaire contemporain ». « Nous voulons démontrer que l’on peut avoir des usages différents sur un milieu, tout en favorisant la biodiversité », complète Nicolas Beck, chef de projet de La Tour du Valat. Au fil des éditions, le spectateur en goguette a pu croiser sur sa route la mémoire contée des cabanoniers de Port-SaintLouis, moins connus que leurs voisins de Beauduc ou Piémanson, un rara haïtien déambulant toute une nuit sous la lune, un dessin évolutif réalisé à base de riz coloré, des conférences conviant artistes et scientifiques... Quelques installations plastiques sont désormais pérennes, telle cette insolite machine à bulles, conçue par la compagnie Tricyclique Dol et quatre élèves du Lycée technique Louis Pasquet d’Arles, qui provoque un geyser inopiné quand le marcheur franchit le petit pont de bois émaillant le sentier « Homme et Nature » des Marais du Vigueirat. Les installations éphémères de l’été se focalisent cette année sur l’écoute du paysage : neuf violons et de grands arbres vibrant à l’unisson, dans le jardin d’été d’Arles (Wind Violins, Ronald van der Meijs) ; une prière muette délivrant des messages d’adieu, à déchiffrer via une longue vue posée dans le Musée Réattu d’Arles (Fare thee well !, Dries Verhoeven). Ou encore la Dérive sonore de Will Menter (sculptures sonores à base de bois, plaques d’ardoise, coquilles d’escargot...), amenée à rester sur le site du Bois François... jusqu’à son auto-biodégradation. Ou comment l’œuvre d’art fait corps avec le contexte, au sens strict du terme !

LES ENVIES RHÔNEMENTS

Du 4 juillet au 2 août Divers lieux en Camargue. 04 42 48 40 04. Entrée libre. www.lecitronjaune.com 62

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

+ OÙ DORMIR ? OÙ MANGER ?

ET AUSSI

© Dennis van Tilburg

SUR LES ROUTES DE CAMARGUE

ENVIES NOCTURNES Les Envies Rhônement, c’est aussi quatre soirées de spectacles vivants entre le 30 juillet et le 2 août.

Outre les installations à picorer à son rythme durant la journée, le festival propose des spectacles nocturnes, incluant « siestes paysagères », « entresort la tête dans les nuages » et autres performances aquatiques... À ne pas manquer : l’autofiction dansée et militante de La Débordante compagnie (le 30 juillet, à la Tour du Valat) ; la « spéciale nocturne pour pleine lune » de Champ harmonique, et ses délicieux instruments activés par le vent (le 1er août, aux Marais du Vigueirat) ; la Danse pour canopée de Studio Éclipse (le 2 août au Château d’Avignon) ; les instruments biscornus de Décor Sonore, à base de fleurs lianes ou réverbérophones (du 30 juillet au 1er août, aux Marais du Vigueirat) ; ou encore, les très ponctuelles 8 minutes de poésie visuelle de Merel Kamp, déliant trois kilomètres de fils entrelacés dans deux peupliers et un pin (le 30 juillet, à la Tour du Valat). Mais le buzz de l’été, ce sera sans conteste Abraham Poincheval, et sa Bouteille venue de la mer, qui contient non pas un message, mais... un être humain ! Par étapes successives, cette bouteille remontera le Rhône, de la plage Napoléon au parc de la Révolution à Port-Saint-Louis. Du 30 juillet au 2 août

www.lecitronjaune.com

Ventre affamé n’a pas d’oreilles, c’est dire combien il est important de bien se restaurer avant d’aller écouter le paysage. A La Chassagnette, on mange bio, et on se promène dans le jardin potager ! C’est le chef étoilé Armand Arnal qui concocte une cuisine gastronomique, à base de produits de saison (85 € le menu découverte). Pour les bourses plus réduites, Joaline vous accueille à Port-Saint-Louis-du-Rhône, pour composer votre plateau de fruits de mer et coquillages, à déguster sur place ou à emporter (à partir de 14,50 €). Enfin, si vous êtes dans les parages plus tôt en juillet, ne loupez pas les Mercredis du port, soirées de spectacles programmés par Le Citron Jaune sur le port de Port-Saint-Louis-du-Rhône. On y déguste de fameux poissons grillés, et une collaboration est prévue cet été avec de grands chefs... Le soir venu, c’est un vrai secret qui s’offrira à vous en faisant escale aux Cabanettes, établissement aux faux allures de motel le long de la départementale 572. Construit en 1967 par l’architecte nîmois Armand Pellier, tout en pierres du Pont du Gard, l’édifice – labellisé Patrimoine du XXe siècle - n’a rien à envier aux constructions corbuséennes : 29 chambres réparties le long d’artères en arc de cercle, mobilier vintage, piscine en forme de poisson... Sans oublier les fauteuils sur mesure en vrai poils de taureau ! Voyage dans le temps assuré, et accueil à la bonne franquette réservé par les adorables patrons, Alexandre et Suzette Boucard, qui sauront vous narrer les souvenirs d’époque. Enfin, si vous avez l’esprit aventurier, gardez aussi à l’esprit que pour la dernière année, la plage de Piémanson tolère le camping sauvage... A bon entendeur. La Chassagnette

Route du Sambuc, Arles. 04 90 97 26 96 www.chassagnette.fr Joaline Coquillages

8, avenue de la 1ère division française libre, Port-Saint-Louis-du-Rhône. 04 42 86 01 90. www.joalinecoquillages.fr Les Cabanettes

Route départementale 572, Saliers, Arles. 04 66 87 31 53 Chambres à partir de 88 €. www.hotel-cabanettes.fr

8e art magazine • été 2015

63


Sandro Miller Pierre et Gilles / Jean-Paul Gaultier (1990), 2014.

Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Catherine Edelman Gallery, Chicago.

64

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

ARLES

DE

NOUVELLES

RENCONTRES ?

2015 est une année particulière pour les Rencontres photographiques d’Arles : la quarante-sixième édition de la manifestation est aussi la première d’un nouveau directeur artistique : Sam Stourdzé. Texte : Emmanuelle Gall

N

ommé en avril 2014 et après avoir officiellement pris ses fonctions en septembre, Sam Stourdzé est évidemment attendu au tournant de cette édition. À quarante-deux ans, il a quitté le musée de L’Élysée de Lausanne, qu’il dirigeait depuis 2010 pour venir s’installer à Arles. Une initiative qui n’est pas pour déplaire aux Arlésiens. En quelques mois, sur le terrain, Sam Stourdzé a acquis une réputation d’ouverture d’esprit et de simplicité qui est venue s’ajouter à un solide curriculum vitae de curateur – on lui doit notamment les grandes expositions Chaplin et Fellini au Jeu de Paume, à Paris. Reste que succéder à François Hébel, qui avait réussi, en treize ans, à décupler le public des Rencontres et à y attirer des stars internationales de la photographie n’est pas chose facile. C’est sans doute la raison pour laquelle le programme de l’édition 2015 s’inscrit plutôt dans la continuité. Lors de sa première présentation officielle, Sam Stourdzé a introduit son discours par une longue série de chiffres sans doute destinés à rassurer, en ces temps de réductions budgétaires. Avec « 20 lieux patrimoniaux, 2 kilomètres de murs d’expositions, 4500 litres de peinture destinés aux cimaises de 35 expositions, réunissant 250 artistes et 3500 œuvres », l’édition 2015 affiche certes 200 œuvres et 15 expositions de moins que la précédente, mais entend donner « une place accrue » aux curateurs et apporter quelques innovations. En son temps, François Hébel avait créé l’événement en confiant l’identité visuelle des Rencontres aux crayons de l’affichiste Michel Bouvet. Ses drôles d’animaux, fruits et

légumes, volontairement décalés par rapport au contenu de la manifestation, étaient devenus les mascottes d’Arles, déclinés en mugs, sacs et gadgets, omniprésents dans la ville de juillet à septembre. Ce n’est sûrement pas le hasard si l’un des premiers changements annoncés par Sam Stourdzé concerne justement les affiches, réalisées cette année par ABM Studio, une agence familière des grandes institutions culturelles françaises. Selon lui, cette photo de famille amateur renversée « rappelle ce qu’ont toujours été les Rencontres d’Arles : un festival qui nous bouscule, nous met la tête à l’envers… tout en adressant un clin d’œil aux caméras obscuras et aux premiers appareils photo. » L’autre nouveauté de cette édition 2015, c’est la volonté – revendiquée par de nombreux autres festivals en France – de faire dialoguer la photographie avec les autres arts et de jouer la carte de la transversalité. L’architecture, la musique et le cinéma seront donc présents cet été à Arles, à travers une dizaine d’expositions. À l’atelier des Forges par exemple, Total Records retracera « la grande aventure des pochettes de disques photographiques » et présentera une dizaine de réalisations signées par Lucien Clergue dans les années 60 et 70. Disparu en novembre dernier, le photographe arlésien cofondateur des Rencontres, sera le grand absent de la manifestation, qui lui est dédiée. Deux expositions associant Louis Chédid et Martin Parr à l’église des Frères-Prêcheurs ainsi que John Malkovitch et Sandro Miller à l’abbaye de Montmajour témoignent du désir de la nouvelle équipe dirigeante de toucher un public élargi 8e art magazine • été 2015

65


Boz scaggs Middle Man, Columbia FC 36106, États-Unis, 1980. Photographie de Guy Bourdin. Avec l’aimable autorisation de The Guy Bourdin Estate, 2015.

L’ÉDITION 2015 AFFICHE MOINS D’EXPOSITIONS QUE LA PRÉCÉDENTE, MAIS ENTEND DONNER UNE PLACE ACCRUE AUX CURATEURS ET APPORTER QUELQUES INNOVATIONS.

et sans doute rajeuni. L’acteur américain incarnant les modèles de quarante photographies mythiques a toutes les chances d’attirer du monde. D’autres initiatives de Sam Stourdzé vont dans le sens d’une « démocratisation » des Rencontres : une trentaine de photographies réalisées par l’artiste associé au mouvement des Nouveaux réalistes, Raymond Hains, vont être exposées chez des commerçants du quartier de la Roquette et La Nuit de l’année aura lieu le 9 juillet à Trinquetaille, sur le site des anciennes Papeteries Étienne, appelées dès 2016 à remplacer une partie des espaces récupérés par la fondation Luma au Parc des ateliers SNCF. Pour l’heure, ces derniers restent le centre névralgique des Rencontres, accueillant outre les traditionnels Prix du livre et Prix Découverte, un nouvel espace (gratuit) dédié au livre : le Cosmos-Arles Books, réunissant 75 éditeurs au Magasin électrique du 6 au 11 juillet. Parallèlement, un nouveau prix, intitulé Dummy Book Award, récompensera la meilleure maquette de livre photographique. Les bibliophiles devraient apprécier ces innovations. Les fidèles, eux, se réjouiront sans doute de retrouver des pointures telles que Walker Evans ou Stephen Shore, de voyager au Japon ou en Terre de Feu avec Martin Gusinde, de découvrir les paradis fiscaux photographiés par Paolo Woods et Gabriele Galimberti ou ce qu’Ambroise Tézenas appelle le « tourisme de la désolation ».

LES RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES D’ARLES

Du 6 juillet au 20 septembre 34, rue du docteur Fanton, Arles. 04 90 96 76 06. 0-37 €. www.rencontres-arles.com

66

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

+

OÙ DORMIR ?

Étant donné le nombre d’expositions estivales à Arles, qui dépasse largement le chiffre annoncé par les Rencontres si l‘on y ajoute la programmation de Voies off, une journée ne saurait suffire pour en faire la tour. Et lors de la semaine d’ouverture du festival, il serait dommage de rater les très nombreuses manifestations nocturnes. Pour profiter pleinement de son séjour, il est donc impératif de rester dormir (en veillant à réserver sa chambre au plus tôt). Fondée en 2006 et baptisée L’Atelier du Midi, en hommage au rêve de van Gogh de constituer une communauté d’artiste à Arles, la maison-galerie de Laurence et Patrick Ruet a tous les atouts pour séduire les inconditionnels des Rencontres. D’abord parce qu’elle apporte sa contribution à l’effervescence photographique en présentant chaque année plusieurs expositions, et plus précisément cet été (en juillet et en septembre), une rétrospective de Graziano Arici. Le photographe vénitien installé à Arles possède une collection de plus de 850 000 clichés réunissant, outre ses propres travaux, des séries de provenances très diverses. Pour cette

© Atelier du Midi

L’ATELIER DU MIDI, UNE GALERIE-CHAMBRE D’HÔTES

nouvelle exposition, il entend faire dialoguer ses images avec son fonds vénitien sur les deux niveaux de la galerie qui occupent une partie du rez-de-chaussée et la cave de cette maison du XVIIIe siècle, construite sur les vestiges de la palestre des thermes de Constantin. Dans l’escalier, les trois chambres d’hôtes et le salon, sont exposées d’autres photographies, issues de la collection personnelle de Laurence et Patrick Ruet, constituée au fil des expositions de l’Atelier du Midi. Baptisées « Gauguin », « Van Gogh » et « Picasso », les chambres de la maison possèdent un charme oriental, que l’on retrouve également dans la cuisine marocaine et sur la terrasse où sont servis, chaque matin, les petits-déjeuners. L’atelier du Midi

© Atelier du Midi

1, rue Sauvage, Arles. 04 90 49 89 40 Chambres à partir de 60 € la nuit. www.atelierdumidi.com

8e art magazine • été 2015

67


DOSSIER

9 balades arty

AIX-EN PROVENCE

À LA

DÉCOUVERTE

D'UN

CONTINENT

Cet été, le musée Granet présente Icônes américaines : une quarantaine d’œuvres venues du San Francisco Museum Of Modern Art et de la collection Fisher. Où l’on découvre que les États-Unis sont aussi le pays d’une certaine austérité radicale. Texte : Fred Lanan

N

e vous fiez pas au titre, ces Icônes américaines sont, pour la plupart, inconnues en France. Et elles n’ont rien de glamour. Au contraire, elles semblent toutes partager la même aversion pour le clinquant et la séduction facile. Certes, le mythe américain est plusieurs fois évoqué au fil de l‘exposition, mais pour mieux être déconstruit. Le parcours débute d’ailleurs par le travail particulièrement ambigu d’Andy Warhol. Face au premier tableau, le visiteur aura peut-être, à tort, l’impression d’être en terrain familier. Il aura vu l’affiche de l’exposition (comme un produit d’appel) et il aura certainement déjà aperçu les célébrissimes portraits sérigraphiés de Liz Taylor. De fait, la star ainsi « immortalisée » semble ne représenter rien d’autre qu’une glorification de la société du spectacle. Pourtant, l’œuvre a été réalisée à partir d’une photo qui capte l’actrice alors même qu’elle vient de frôler la mort. Le visage parfait, sans une ride, et la chevelure noire d’encre se découpent sur un fond rouge profond. La puissance du contraste n’a rien d’innocent. Les lèvres sensuelles de Liz sont également très soulignées, comme trop saignantes. Mais c’est surtout la bande de maquillage sur sa paupière droite qui détonne, ce dérapage pourtant assez discret laisse deviner une faille existentielle immense. Il n’en faut pas plus pour instiller dans notre esprit un doute pernicieux qui ira crescendo à mesure que l’on découvrira les autres œuvres du maître du Pop art. Avec National velvet, Warhol prend toujours Liz Taylor pour modèle, mais la photo en noir et blanc de la star est reproduite des dizaines

68

8 e art magazine • été 2015

de fois sur la toile et sa présence se fait de plus en plus ténue, évanescente. De même, les sérigraphies de Jackie Kennedy et de Marlon Brando n'ont rien de séduisant. Elles explorent plutôt le côté obscur et tragique de la gloire. Le ton de l'exposition est donné. La deuxième salle nous confronte au besoin de toujours repousser les limites de la représentation. Carl André investit les murs et le sol avec des matériaux que l'on s'attendrait à trouver dans une usine et non dans un musée. Deux « empilements » de Donald Judd nous confrontent à deux états antagonistes de la matière : la transparence et l'opacité. Les interventions lumineuses de Dan Flavin sculptent le vide. Sol LeWitt va encore plus loin. Ses tableaux sont si minimalistes que l’œuvre finit par se confondre avec le mur. Certains crieront à la supercherie d’autres seront stupéfaits de constater que l’aura indéniable d’une œuvre n’est peutêtre qu’une vue de l’esprit. Un minimum d'intervention pour un effet maximal, telle semble être aussi l’obsession d'Agnès Martin. Toutes ses toiles sont construites sur une combinaison vertigineuse de lignes parallèles et perpendiculaires. Un peu plus loin, trois œuvres de Brice Marden nous prouvent que l'on peut peindre à la fois dans le temps et dans l'espace. Envoûtant pour qui accepte de se laisser saisir. Avec le tableau d’Ellsworth Kelly intitulé Red White, le choc est beaucoup plus immédiat : une forme au summum de son évidence rencontre la couleur et, ensemble, au-delà de toute signification rationnelle, elles happent le regard. De l’émotion à l’état pur. Sans doute, l’acmé de l’ex-


Andy Warhol Liz [Early colored Liz], 1963, encre sérigraphique et peinture sur toile de lin, 101,6 cm x 101,6 cm.

8e art magazine • été 2015

69


Dan Flavin “Monument” for V. Tatlin, 1969, lampe fluorescente blanc froid, hauteur : 243,8 cm. The Doris and Donald Fisher Collection at the San Francisco Museum of Modern Art.

Cy Twombly Untitled (Bacchus 1st Version IV), 2004, acrylique et crayon gras sur bois, 265,4 x 200,67 x 5,08 cm. The Doris and Donald Fisher Collection at the San Francisco Museum of Modern Art.

position. Dans un tout autre registre, on sera frappé par les « portraits » de Chuck Close et sa capacité à construire sur la toile des visions focalisées et globales, totalement dissociées et pourtant parfaitement complémentaires. Après un détour par Roy Lichtenstein et son art d’utiliser l'imagerie populaire dans une mise en abyme autant esthétique que critique, l’exposition nous permet de découvrir Richard Diebenkorn et Philippe Guston. Ces deux peintres sont peu connus en France, alors même que leur production très abondante semble innover à la fois du côté de l’abstraction et de la figuration. Le parcours s’achève avec Cy Twombly. Ici, l’artiste conquiert sa liberté en transgressant les règles du « bon goût ». Son trait évoque parfois des griffonnages, des graffitis à la limite de l'obscénité. Choquant ? Son œuvre Bacchus, par sa référence explicite à la mythologie grecque, nous livre une clé essentielle pour nous débarrasser de nos préjugés : dans l’Antiquité, la véritable Beauté était toujours, a priori, repoussante, voire effrayante. La plupart de ces Icônes américaines ébranlent ainsi nos certitudes esthétiques. Pas toujours « aimables », mais déstabilisantes comme toutes les véritables expériences sensibles.

ICÔNES AMÉRICAINES

Du 11 juillet au 18 octobre Musée Granet Place Saint-Jean de Malte, Aix-en-Provence 04 42 52 88 32. 6-8 €. www.museegranet-aixenprovence.fr 70

8 e art magazine • été 2015


DOSSIER

9 balades arty

ET AUSSI

UN PALAIS POUR CANALETTO Non loin du musée Granet, l’Hôtel de Caumont fraîchement rénové abrite désormais un « centre d’art et de culture ».

Ce joyau architectural du XVIIIe siècle a été entièrement restauré par la fondation Culturesespaces. Les jardins, les différents salons et chambres ont été réaménagés avec goût. Ici, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme… Et comme le lieu se veut aussi un centre d’art, il présente également des expositions temporaires. Pour son inauguration, l’Hôtel de Caumont a rassemblé une quarantaine d’œuvres de Canaletto. Les toiles luxuriantes du maître italien ne déparent pas dans un cadre aussi fastueux. Cette rétrospective très complète permet de suivre les pérégrinations de l’artiste à Venise, Rome et Londres. Les tableaux impressionnants sont portés par un indéniable sens de la poésie. Ce peintre a su élever l’illustration au statut de « grand » art. Et, juste retour des choses, de nombreux auteurs de bandes dessinées ont certainement longuement regardé Canaletto. Caumont centre d’art

3, rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence 04 42 20 70 01. 8, 5 -11 €. www.caumont-centredart.com

+ OÙ MANGER ?

AUTHENTIQUE ET NORMAND Pour une pause déjeuner, entre deux expositions, sachez qu’Ô Panier normand offre sans doute le meilleur rapport qualité-prix d’Aix-en-Provence. Son plat du jour (9, 80 €), à base de produits de qualité, est toujours cuisiné avec soin et avec un indéniable savoir-faire. Qui dit mieux ? Selon les jours, Éliane, l’attentionnée maîtresse des lieux, vous propose boudin ou andouillette artisanale, cassolette de poison, gratin, hachis parmentier, grillades… Tout est frais et goûteux. Rajoutez 4 € (dessert + café), et laissez-vous tenter par le délicieux fondant au chocolat ou la tarte aux pommes maison. Le soir, la carte monte encore en gamme, avec des spécialités normandes mijotées à des prix qui restent très abordables (15 € le plat). Ô Panier normand 20, rue des Cordeliers, Aix-en-Provence.

Ouvert du lundi au samedi. 04 42 29 36 19. Formule midi à partir de 9, 80 €. www.opaniernomand.fr Canaletto Venise, le Palais des Doges et l‘escalier des Géants, vers 1744, huile sur toile, 43 x 31 cm, Collection particulière.

8e art magazine • été 2015

71


PORTFOLIO

ARGILLA VOYAGE EN TERRES ITALIENNES Texte : Emmanuelle Gall

D

epuis 1991, tous les deux ans, « le plus grand marché de la terre » investit le centre-ville d’Aubagne, avec son lot d’animations et d’ateliers. Forte du succès remporté en 2013, avec une fréquentation estimée à 100 000 visiteurs et un chiffre d’affaires dépassant les 500 000 euros, la manifestation continue de grandir et accueille cette année 207 exposants venus d’une quinzaine de pays, et en particulier d’Italie. L’invitée d’honneur de cette édition a elle aussi sa biennale de céramique, créée en 2008 et baptisée Argilla Italia, basée à Faenza, la ville qui a donné son nom à la « faïence ». Une trentaine de céramistes italiens seront donc présents à Aubagne les 8 et 9 août prochains, avec des pièces réparties dans les cinq sections de la manifestation : bijoux, instruments de musique, poterie du quotidien, déco de la maison et du jardin, œuvres et objets d’art.

Les 8 et 9 août Divers lieux, Aubagne. 04 42 03 49 98. Entrée libre.

WWW.

agglo-paysdaubagne.com

72

8 e art magazine • été 2015


Francesca Antoniotti, Italie


Mia Llauder, Espagne


Muriel Lovo, France



Sara Dario, Italie


Willy Van Bussel, Pays-Bas


Fisca Boggi, Italie


Umi Amanuma, Italie


Ivana & Saura Vignoli, Italie


LES

ADRESSES MARSEILLAISES

82

8 e art magazine • été 2015


PUBLICITÉS

RESTAURANT

L’INSOLITE

Un lieu, une exception à découvrir absolument ! Niché au fond d’une allée à 50 m de la préfecture, une terrasse sur les toits les pieds dans la pelouse vous attend pour déguster nos pizzas au feu de bois, une cuisine gourmande et colorée. Possibilité de privatiser le lieu.

5 rue d’Italie 13006 Marseille Infos & Réservation 04 91 43 91 51 Facebook : resto.linsolite www.restolinsolite.com 8e art magazine • été 2015

83


PUBLICITÉS

BRASSERIE - RESTAURANT

OM CAFÉ

Située face au vieux port, la brasserie du port "OM café " vous accueille pour déguster une cuisine fraîche et raffinée. Si les spécialités méditerranéennes sont à l'honneur le chef vous propose également chaque jour des suggestions différentes. Restauration de 11h à 15h et de 19h à 22h30. Ouvert 7/7 de 7h à minuit. Infos & Réservation : 04 91 33 80 33 •25 quai des Belges - 13001 Marseille

brasserieomcafe@gmail.com • www.labrasserie-omcafe.fr

84

8 e art magazine • été 2015


PUBLICITÉS

CHAMBRE D'HÔTES

LA CASA ORTEGA

Une chambre d'hôtes pas comme les autres, qui cultive le goût du détail et le sens de l'hospitalité. Idéalement située dans une petite rue face à la gare Saint-Charles de Marseille, cette confortable guest house propose un hébergement qui allie les services d'un hôtel au charme authentique d'une maison d'hôtes à l'ambiance internationale. Accueil attentif et déco stylée, découvrez cinq chambres d’hôtes lumineuses au mobilier XXe chiné au fil du temps. Le petit déjeuner vous fera re découvrir l’ odeur du pain grillé, le délice d’ un yaourt maison et la saveur d’un bon café. Infos & Réservation : 09 54 32 74 37

46, rue des petites Maries • 13001 Marseille • www.casa-ortega.fr

8e art magazine • été 2015

85


PUBLICITÉS

BRASSERIE - RESTAURANT

LE DAVID

La brasserie le David, véritable institution marseillaise, vous reçoit dans un cadre exceptionnel en bord de mer. À toute heure de la journée ou de la soirée, vous pourrez y prendre un verre entre amis ou vous restaurer en appréciant la fraîcheur des produits, la qualité de la cuisine du chef, et l’accueil toujours souriant du personnel.

99 Promenade Georges Pompidou • 13008 Marseille 04 91 79 99 63

86

8 e art magazine • été 2015


PUBLICITÉS

RESTAURANT

LE BOUCHON PROVENÇAL

Installé sur la place aux huiles, notre chef vous proposera une cuisine aux saveurs du sud uniquement à base de produits frais et de qualité. Venez profiter de notre terrasse ombragée, notre équipe saura vous faire passer un agréable moment. Tous les soirs de nouvelles suggestions en plus de notre carte comme le « pavé de turbot rôti, sauce vanille gingembre » ou encore « émincés de seiches en persillade ». Ouvert tous les jours sauf le dimanche. Maître restaurateur : Lajoinie Mathieu. Infos & Réservation : 04 91 33 44 92 • 6 place aux huiles - 13001 Marseille instagram : @bouchon.provencal • www .lebouchonprovencal.com

8e art magazine • été 2015

87


PUBLICITÉS

RESTAURANT

LA VILLA

L’établissement chic et reconnu logé rue Jean Mermoz s’affirme comme le lieu de rendez vous pour les habitués du quartier. Restaurant au charme atypique, lieu de quiétude, une vaste terrasse jardin, ombragée l’été et chauffée aux jours frisquets. Sa cuisine off re un large choix avec une mention spéciale pour les poissons grillés au feu de bois. Une touche originale pour la présence d’un kiosque à coquillages de l’automne au printemps ainsi qu’une sushi women japonaise à demeure. Une large carte des desserts permet de terminer ce moment agréable par une touche sucrée. Infos & Réservation 04 91 71 21 11

113 Rue Jean Mermoz • 13008 Marseille

88

8 e art magazine • été 2015


PUBLICITÉS

RESTAURANT

VILLA ROCCA

A la Villa Rocca vous dégusterez de délicieux plats de produits frais aux teintes italiennes : supions, pizzas ou encore aubergines à la parmesane, et les desserts "maison" concoctés par les chefs Franck Lagziel et Pierro. Le tout, dans une ambiance chaleureuse et un décor raffiné. Sans oublier l'agréable terrasse, parfaite pour les repas estivaux. Infos & Réservation 04 91 22 61 59

20, rue François-Rocca • 13008 Marseille

8e art magazine • été 2015

89


90

8 e art magazine • été 2015


8e art magazine • été 2015

91


92

8 e art magazine • été 2015


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.