8e art magazine n°37

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8 e art magazine • printemps 2016


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8e art est une publication trimestrielle de ZAC St Martin - 23, rue Benjamin Franklin 84120 PERTUIS Tél. 04 90 68 65 56 Numéro ISSN : 2267-4837 Dépôt légal : Janvier 2016

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE Retrouvez nous sur :

WWW.8E-ART-MAGAZINE.FR

# 37

Printemps 2016

Directeur de la publication : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr Rédactrice en chef : Emmanuelle Gall e.gall@8e-art-magazine.fr Direction artistique : Jonathan Azeroual j.azeroual@8e-art-magazine.fr Ont collaboré à ce numéro : Julie Bordenave, Cédric Coppola, Fred Kahn et Olivier Levallois. Service commercial : 06 09 01 66 00 Conception et réalisation : Média Print La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution.

En couverture.

Détail d'une planche du prochain album de Brecht Evens, Les Rigoles, à paraître en 2017.

PRINTEMPS AIXOIS Par Emmanuelle Gall, rédactrice en chef

E

n mars dernier, on apprenait quasi simultanément que l’Hôtel de Caumont allait accueillir, à partir du 4 mai, une centaine d’aquarelles et toiles de William Turner et que la ville d’Aix-en-Provence s’apprête à transformer l’ancien collège des Prêcheurs en musée. C’est du moins ce qu’a déclaré, à plusieurs reprises, Maryse Joissains, sans vouloir se prononcer sur la nature dudit musée. D’après le site d’information Gomet’, il pourrait s’agir d’un musée Picasso, destiné à abriter la collection de Catherine Hutin, la belle-fille de l’artiste. Nouvelle aussitôt démentie par l’intéressée dans une interview pour La Provence, où elle reconnaît cependant avoir visité le collège et « rêver » de fonder un musée, « au château de Vauvenargues ou ailleurs. » Une affaire à suivre… Le 1er avril, tandis que le festival de Pâques n’avait pas dit son dernier mot, débutait le week-end BD des Rencontres du 9e art : trois jours de festivités sous le signe de la bande dessinée et des « autres arts associés », se traduisant également par l’inauguration d’une bonne douzaine d’expositions aux quatre coins de la ville. L’occasion notamment de découvrir Le Meilleur des mondes : une rétrospective de l’œuvre de Brecht Evens, jeune maître flamand qui signe également l’affiche du prestigieux Festival d’Art lyrique. Jolie collaboration ! Last but not least, la ville accueillera, du 23 au 27 mai, la deuxième édition des Journées de l’éloquence, le dernier né des festivals aixois, qui entend démocratiser l’art de parole et rendre hommage à la Résistance. Si l’on ajoute à cela une visite au musée Granet pour admirer ses dernières acquisitions, ou bien au 3bis f, pour participer à un atelier animé par l’étonnant duo gethan&myles, il faut bien le reconnaître, le printemps 2016 sera aixois.

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SOMMAIRE

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE

#37

Printemps 2016

06 SPÉCIAL BD

le

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06

s'affiche À AIX, MARSEILLE ET MARTIGUES

LA RENCONTRE / Philippe Pujol,

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Des rencontres, pas un salon !

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LA PHOTO

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Brecht Evens enchante la ville

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ACTUS

Un monde Méroll : les lendemains qui déchantent

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L’OEUVRE / Portrait d’Émile Zola,

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FranDisco, LA rencontre des Rencontres

Quand Paul peignait Émile…

50

Pixels, polars et beaux-arts

L’ENDROIT / Le 3 bis f,

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La Plaine, QG de la BD marseillaise

56

Des écoles pour « buller »

58

BD, comme Bibliothèque Départementale

60

Martigues, ville bédéphile

62

PORTFOLIO

74

L’ÉVÉNEMENT

LE RESTAURANT / Café des Méditerranées,

76

SCÈNES

Les pieds dans… l’eau

80

MUSIQUES

84

EXPOS

88

ENFANTS

20

Broder la ville

Réjouissante étrangeté

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L’ARTISTE / Phil Spectrum,

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L’OBJET / Recyclodrome,

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LE LIVRE / Aux Tableaux !,

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LE SITE / Patrimages

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art

« Enflures à col blanc et enflures à mains noires »

30

4

e

Veuillez rendre LAM...

Mon crayon sent le gaz Imago, portraits photographiques

Prix d’excellence

Patrimoine en ligne

LA BALADE / Dans Marseille,

avec Nicolas Mémain

Rocco, un combat sans vaincu


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LA RENCONTRE

PHILIPPE PUJOL,

« ENFLURES À COL BLANC ET ENFLURES À MAINS NOIRES »

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© Benjamin Geminel

Propos recueillis par Cédric Coppola


Philippe Pujol

S

tyle brut, analyse précise. Pendant une dizaine d’années, Philippe Pujol a couvert l’envers du décor marseillais au service du quotidien La Marseillaise. Plusieurs prix en poche, dont le prestigieux Albert Londres, il navigue désormais en solo et vient de signer La Fabrique du monstre. Il y raconte les trafics des cités, les règlements de compte, le deuil de ceux qui restent souvent dans la misère et, en haut, un système politique redoutable qui entretient méticuleusement les inégalités. Retour, avec l’auteur, sur la fabrique de cette fabrique. La Fabrique du Monstre s’inscrit-elle dans la lignée de votre précédent livre, French Deconnection ? French Deconnection contient une première série d’articles récompensés par le prix Varenne en 2012, « Quartier Shit », qui m’a permis d’obtenir le prix Albert Londres deux ans plus tard, et d’autres papiers sur le trafic de drogues à Marseille. C’est un travail de fond journalistique, sur un sujet précis. La Fabrique du Monstre s’inscrit dans la continuité, mais cette fois, j’ai voulu analyser les dégâts et essayer d’en comprendre les causes. Les argumentations liées à des comportements individuels ne sont pas crédibles. Elles n’expliquent pas pourquoi ces deals s’effectuent dans des quartiers bien ciblés, avec une population bien précise. Mon travail est parti d’intuitions, d’hypothèses, que je suis ensuite allé vérifier sur le terrain. C’est une approche scientifique. En 2011, alors que vous travailliez à la Marseillaise, le préfet de Police vous a fermé les portes du commissariat de l’Évêché. Cet épisode a-t-il été un déclic pour aller davantage vers le journalisme d’investigation ?

LA RENCONTRE

Jusqu’en 2010, le journal La Marseillaise avait une grosse culture du terrain. Depuis elle s’est perdue… Le matin, je passais à l’Évêché, et l’après-midi, je me rendais dans différents lieux, en fonction des commandes. Effectivement, en 2011, le préfet de police Alain Gardère, qui avait mal pris certaines de mes critiques, m’a interdit l’accès à l’Évêché. Ne pouvant donc plus aller recueillir les faits divers, je me suis tourné vers les quartiers. C’est précisément à ce moment-là qu’une série de règlements de comptes à Marseille a provoqué un emballement médiatique et politique national. Je me retrouvais au cœur de ce système, avec la possibilité de décrypter, de l’intérieur, ce que d’autres voyaient de loin. J’ai senti immédiatement que les gens adhéraient à ma démarche. Ensuite, c’est devenu un mode de fonctionnement. On sent chez vous une volonté de ne pas porter de jugement, mais de vous placer en qualité d’observateur… Exactement. Je ne juge pas. Même pas les élus. Je « cartonne » un peu dans le style, mais je me moque aussi des petits guetteurs, comme le « Canard », avec sa voix nasillarde. Je montre aussi bien leurs côtés loufoques que pathétiques et finalement je n’épargne personne… Mais je ne flingue personne non plus ! Je suis dans un entre-deux qui humanise les gens, les situations. En faisant attention à ne jamais être dans la caricature et à m’intéresser à eux. Je traite tout le monde de cette façon, sans classification. Y compris les pires des crapules… Pourquoi ne pas les humaniser ? Leurs clients savent que ces gens ont des côtés sympas. Ils sont dans une situation plus subie que choisie. Quelle est la différence entre une enflure en col blanc et une enflure à mains noires ? Aucune. Ce sont des enflures ou, au mieux, des types pris dans un engrenage et qui le paieront à un moment ou un autre… Et, à ce niveau, les mains noires le payent plus que les cols blancs. Tous ont des états d’âme, des peurs, des émotions. En tant que journaliste, je n’ai pas de raison de les juger. Mon devoir est de me demander comment ces mecs en sont arrivés là. 8 e art magazine • printemps 2016

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LA RENCONTRE

Philippe Pujol

« JE ME RETROUVAIS AU CŒUR DE CE SYSTÈME, AVEC LA POSSIBILITÉ DE DÉCRYPTER, DE L’INTÉRIEUR, CE QUE D’AUTRES VOYAIENT DE LOIN. » Ce milieu est extrêmement fermé. Quelle a été votre technique d’approche ? Il suffit, comme pour tout système, d’en comprendre le fonctionnement et de trouver les portes d’accès. Quand on observe un réseau de stupéfiants, il faut remarquer à quelle heure il ouvre, à quelle heure il ferme, qui en est le chef, où sont placés les gens… Et, en fonction de ces paramètres, il faut exploiter la moindre faiblesse. On est obligé de revenir souvent, à tous les moments de la journée, et il faut accepter qu’on ne nous laisse pas tout voir. Les informations, on les obtient surtout par les mamans qui ont encore un peu la main sur leurs gosses. Je ne suis ni un traître, ni une balance, ni un salopard, je pense qu’elles le ressentent. Par petites touches, j’arrive à obtenir des infos. Le paradoxe, c’est que plus les voyous sont « petits », moins on arrive à les approcher. On reste avec eux une, deux minutes maximum. Les « gros », c’est différent, on les rencontre souvent avec leur avocat, donc on discute plus longuement avec eux. Dans tous les cas, ça demande une méthode, de la compréhension et de la psychologie. La seconde partie du livre aborde la problématique du clientélisme, qui prend différentes formes selon les politiques, de gauche ou de droite… Je pense que tout le monde sait qu’il y a différentes affaires, mais ne connaît pas les rouages exacts. Le livre montre cet écosystème. Le clientélisme fonctionne sur le principe du Ying et du Yang. La gauche fait du clientélisme social, du pauvre ? La droite aussi, dans une moindre mesure. La droite fait du clientélisme bourgeois avec l’immobilier ? La gauche aussi, dans une moindre mesure. La preuve avec les frères Guérini. Il n’y a pas de césures ou d’idéologies marquées entre les deux partis, ça circule et tous ces politiques ne pensent qu’à leur carrière. C’est représentatif de notre époque. Ce système, tellement rôdé et protégé, signifiet-il que nous avons atteint un point de nonretour ? Non, surtout pas. On est dans un système hélicoïdal : ça va, ça vient, et à un moment, les cités 8

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vont s’exprimer autrement. C’est déjà le cas, avec des manifestations. Bien qu’il soit toujours fort, le clientélisme montre des signes d’essoufflement. Conséquence : la citoyenneté va davantage pointer les manquements politiques et on verra, du moins je l’espère, des hommes plus vertueux arriver au pouvoir. Des moments terribles ont marqué l’histoire. La période actuelle est dure psychologiquement, mais, je le répète, il n’y a pas de point de non-retour.

PHILIPPE PUJOL, LA FABRIQUE DU MONSTRE,

janvier 2016. Éditions Les Arènes, 315 pages, 20€.


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LA PHOTO

BRODER LA VILLE « J’exige des mots », « Je veux être au sommet du vide », mais aussi « J’ai peur de mal faire mes rêves » ou encore « Je veux le monde »… Respectivement brodées sur des grillages et autres canevas urbains marseillais, place des Abattoirs, au lycée Saint-Exupéry, dans le parc de Calade ou dans le hall du théâtre du Merlan (porteur du projet), ces phrases anonymes résonnent comme les vers d’un poème visuel géant, à l’échelle de la ville. Des mots et des rêves intimes offerts aux yeux de tous. Leurs auteurs sont des élèves des lycées Saint-Exupéry et Saint-Joseph les Maristes, invités à « verbaliser leurs désirs dans l’espace public », à l’occasion d’ateliers animés par la metteure en scène Édith Amsellem (lire page 76) et la plasticienne Carine Mina. Et parce qu’il n’y pas de raison de se limiter aux quartiers nord, les brodeurs vont bientôt investir le centre-ville. À suivre donc. Photo : Karine Mina 10

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ACTUS

Nuit des musées

MODE D’EMPLOI Cette année, la Nuit européenne des musées aura lieu le 21 mai. Concrètement, la plupart des musées de la région resteront ouverts jusqu’à minuit et proposeront – gratuitement – des visites, ateliers, concerts et/ou spectacles. En outre, la plupart d’entre eux participent au dispositif « La classe, l’œuvre » et donneront, ce jour-là, la parole à des élèves pour présenter au public des œuvres qu’ils ont étudiées durant l’année scolaire. À Marseille, 9 musées municipaux jouent le jeu et ouvriront leurs portes de 19 h à minuit. L’occasion de voir gratuitement les expositions du moment, de suivre des visites commentées, mais aussi d’assister à divers spectacles et performances. À la Vieille Charité, on aura le choix entre des extraits de la comédie d’Aristophane Lysistrata (20h30) dans les salles du musée d’archéologie ou un « point parole » autour de l’exposition d’art guinéen Baga au MAAOA. Le musée d’histoire a invité la compagnie des Rêves urbains à proposer des visites exceptionnelles (20h30 et 21h30). Le château Borély propose deux jeux de pistes dans ses collections (19h et 20h). Au Muséum d’histoire naturelle, on pourra écouter un concert des élèves du conservatoire de Marseille, mais aussi les chauves-souris et les amphibiens du parc Longchamp (21h30 et 22h30). De son côté, le MuCEM ouvrira de 18 h à minuit et l’entrée des expositions consacrées à Picasso et les arts populaires ou Jean Genet, sera gratuite. À Aix-en-Provence, le musée Granet invite les danseurs du ballet Preljocaj à danser autour des œuvres et sur le parvis (à partir de 20h30). Le conservatoire Darius Milhaud propose des « Impromptus musicaux » à la chapelle des Pénitents blancs. Le musée Réattu d’Arles vivra à l’heure des Gitans, avec une exposition des photos camarguaises de Lucien Clergues et de la musique non-stop de 19 h à 1 h du matin. Le programme complet de la manifestation est progressivement mis en ligne sur la page Facebook et le site Internet de la manifestation. www.facebook.com/nuitdesmusees www.nuitdesmusees.culturecommunication.gouv.fr 12

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ACTUS

hors-les-murs

ARL 2016 ARL, c’est le nom de code de l’opération L’Art Renouvelle le Lycée, le Collège, la Ville et l’Université, organisée par le Passage de l’Art, centre d’art associatif installé dans le lycée du Rempart à Marseille. Chaque année depuis 1997, la manifestation propose un colloque et une vingtaine d’expositions dans des établissements scolaires du département autour d’une thématique commune. L’ambition affichée par Lyse Madar, à l’initiative du projet, est de créer, « en dehors de tout clivage, un temps de rencontre, de débats et d’ouverture autour de la création contemporaine » destiné à la communauté scolaire comme au public extérieur. Cette année, élèves, artistes et intellectuels planchent sur les 7 péchés capitaux. Outre la matinée du 31 mars, qui a réuni à l’Alcazar les philosophes Alain Chareyre-Méjan, Philippe Granarolo, Michel Guérin et Maurice-Ruben Hayoun, les vernissages s’enchaînent (depuis le 21 mars et jusqu’au 26 mai) dans 17 collèges ou lycées autour de Marseille et une exposition collective est prévue, à partir du 7 juin, au Passage de l’Art. www.passagedelart.free.fr

BIENNALE MARSEILLELONGCHAMP Jamais à court d’idées, le galeriste Arnaud Deschin lance, en partenariat avec l’École Supérieure d’Art & de Design Marseille-Méditerranée, la première édition d’une biennale d’art contemporain originale, implantée chez les commerçants et dans l’espace public du quartier Longchamp. Prévue du 5 au 28 mai, en même temps que le traditionnel Printemps de l’Art Contemporain (lire page 84), elle exposera les travaux de 36 étudiants et professionnels de l’ESADMM. Ambitionnant de « s’inscrire dans la temporalité d’un quartier, se lier à ses habitants, aux histoires individuelles, favoriser la rencontre, le croisement », la manifestation promet des formats variés, « hors white cube ». www.marseille-match.com

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ACTUS

Aix-en-Provence

LES JOURNÉES DE L’ÉLOQUENCE Heureuse initiative à l’heure où les langues anciennes et leurs orateurs disparaissent progressivement des programmes scolaires : l’éloquence a désormais son festival, à Aix-en-Provence. Créées en 2015 par une poignée d’étudiants et jeunes diplômés de l’IEP, les Journées de l’éloquence entendent remettre cet art à l’honneur, « hors des cénacles académiques ». Après le succès de la première édition consacrée à la Révolution française, la manifestation rend hommage aux voix de la Résistance : Churchill, de Gaulle, Lucie Aubrac, Robert Desnos, Guy Môquet… Du 23 au 27 mai, chaque journée est placée sous le signe d’un héros et d’une thématique : « Les Anglais et la Résistance », « De Gaulle et la France libre », « Les femmes et la Résistance »… Tous les matins, des universitaires et des spécialistes donneront des conférences gratuites à Science Po. Les après-midis feront place au théâtre de rue et radio Londres résonnera dans les allées provençales ou place de l’Hôtel-de-Ville. Quant aux soirées, elles promettent aussi de riches heures. Dès le 21 mai, cours Mirabeau, la soirée d’ouverture reviendra sur les années d’occupation avec le concours du chœur Opus 13 et de la ComédieFrançaise. Enfin, pour clore le festival, les jardins du pavillon Vendôme accueilleront le Concours national d’éloquence, réunissant les grands orateurs de demain devant un jury présidé par Audrey Pulvar. www.journees-aix.fr

TOURISME CULTUREL Amateurs de vacances intelligentes, en quête de nouveaux horizons, sachez que, le salon Tourisme et Patrimoine qui se tiendra les 23 et 24 avril à la Cité du livre, annonce la présence de « près de 200 professionnels du tourisme culturel et traditionnel », mais aussi une foule d’animations : projections de films et reportages, séances de dédicaces, reconstitutions historiques et « conférences animées par des conservateurs de musée, guides-conférenciers et historiens ». Pendant deux jours en effet, dans l’auditorium Armand Lunel, il va être question de destinations françaises telles que la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson (qui sera inaugurée cet été), Fréjus ou le Vivarais méridional, mais aussi plus exotiques : « Le Japon d’hier et d’aujourd’hui », « La Crète de Minos à Venizelos »… www.salonbo2.wix.com 16

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L'OEUVRE

Portrait d’Émile Zola

QUAND PAUL PEIGNAIT ÉMILE

Accrochée à l’occasion de l’exposition 2006-2016, Dix ans d’acquisitions, cette œuvre de jeunesse est la première toile de Cézanne achetée par le musée Granet et une trace unique de sa relation avec Zola. Texte : Emmanuelle Gall

C'

est une petite étude à l’huile, étouffée par un cadre inapproprié, l’ébauche du portrait d’un jeune homme, pensif. Un poète romantique ? Privée de son cartel, l’œuvre ne retiendrait sans doute pas l’attention de nombreux visiteurs. Et pourtant, de l’avis de Bruno Ely, le conservateur du musée Granet, il s’agit d’une « acquisition importante, sans doute la plus importante de ces dix dernières années ». Au-delà des 400 000 euros déboursés par le musée pour son achat en 2011, le Portrait d’Émile Zola, peint par Cézanne dans les années 1862-1864, a une valeur symbolique inestimable. Racontée par Alain Paire (www.galerie-alain-paire.com), l’histoire de cette toile est digne d’un roman. Acquise par le marchand Ambroise Vollard après la mort de Cézanne, reléguée pendant quarante ans dans le coffre d’une banque après avoir été exposée à Paris en 1929 puis à New York en 1936, elle est réapparue, au milieu d’un lot de chefs-d’œuvre, à l’occasion d’une vente chez Sotheby’s France en 2010. Vente historique, qui a rapporté 23 millions d’euros, mais pendant laquelle le portrait (estimé entre 500 et 800 000) n’a pas trouvé preneur. Proposée au musée Granet à « prix d’ami », il a pu être acquis grâce au concours de la Communauté du Pays d’Aix. Si les collectionneurs l’ont boudé, le musée, lui, n’a pas manqué de mesurer la valeur de ce portrait. Parce qu’il est un témoignage unique de l’amitié qui liait Paul Cézanne et Émile Zola. Inséparables depuis le collège, ils se retrouvent à Paris au début des années 1860 et partagent les mêmes années de bohème. En 1862, ils ont respectivement 23 et 22

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Paul Cézanne, Portrait d’Emile Zola ,

vers 1862-1864,

huile sur toile, 25,8 x 20, 8 cm.

ans. Plus fragile que Zola, Cézanne traverse une période de doutes, pendant laquelle il détruit le premier portrait qu’il a fait de son ami. Postérieure, l’étude qui a survécu, en dit sans doute plus long sur son auteur que sur son modèle. Loin du fier Émile Zola peint par Manet en 1868 ou représenté (en compagnie de Paul Alexis) l’année suivante par Cézanne, le jeune homme du portrait n’a pas encore trouvé sa voie/x. Il pourrait être Jacques Lantier, le peintre désespéré de L’Œuvre, dont la publication en 1886 mettra fin à l’amitié entre les deux maîtres.

MUSÉE GRANET

Place Saint Jean de Malte, Aix-en-Provence. 04 42 52 88 32. 4-5 €.

WWW.

museegranet-aixenprovence.fr


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© JC Lett

3 bis f

© JC Lett

L'ENDROIT

RÉJOUISSANTE ÉTRANGETÉ

Centre d’art contemporain, implanté depuis 1983 dans un hôpital psychiatrique aixois, le 3 bis f est un lieu résolument expérimental : résidence d’artistes, galerie, théâtre, et bien plus encore.

U

Texte : Emmanuelle Gall

ne fois entré dans l’enceinte de l’hôpital Montperrin, véritable ville dans la ville construite à la fin du XIXe siècle, mieux vaut suivre les flèches pour trouver le 3 bis f, même s’il est agréable de se perdre dans les allées, entre jardins et bâtiments historiques. À côté des Bains généraux, transformés en archives, le centre d’art occupe un ancien pavillon « de force », jadis destiné aux malades « agitées ». Du temps des asiles d’aliénés, il conserve une curieuse architecture en quart de cercle, dite « panacoustique », enchaînant dortoirs et cellules, mais aussi son nom : 3 bis f (pour femmes). En revanche, sa philosophie et son fonctionnement sont aux antipodes de la psychiatrie de l’époque. Se présentant comme « non thérapeutique a priori » et prônant « la déségrégation », cette résidence d’artistes offre aux créateurs le gîte, un atelier et une bourse en échange du partage de leurs recherches avec le public. Patients, Aixois et curieux de tous horizons sont les bienvenus, le temps d’ateliers, expositions, représentations et autres rencontres ou festivités. « On peut aussi venir au 3 bis f juste pour boire un café », complète

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Oriane Zugmeyer, qui s’occupe de la communication et de la médiation culturelle. Utopie réaliste Aujourd’hui, il y a en effet du monde autour de la table dressée dans le jardin. Un petit groupe est venu suivre l’atelier proposé par le duo gethan&myles : « Shooting the breeze ». Un titre idiomatique qui résume bien leur envie de « photographier le vent, faire chanter l’orage, exposer la neige, écrire les nuages… ». Tous les jeudis depuis septembre, au gré de la météo et de leur humeur, les artistes lancent un nouveau projet. La brise du jour leur a soufflé l’idée de construire des cerfs-volants. Gethan, Myles, leur bébé Zélie et une dizaine de participants partent en quête de bambous dans le jardin. Il y a là des patients, des visiteurs et un infirmier, que rien ne permet de distinguer. En poste au 3 bis f depuis 1992, JeanLuc Pruvost ne porte pas de blouse et ne se lasse pas de ce lieu où il peut exercer « vraiment » son métier, à l’écart de la surmédicalisation. Lui et sa consœur Brigitte Veuillot sont


© Julia Ripert

De gauche à droite : la galerie du 3 bis f, installée dans un ancien dortoir ; le 3 bis f côté jardin, le pavillon des artistes ; Gethan, lors de l’atelier « Shooting the breeze ».

LE 3 BIS F EST UN LIEU « NOURISSANT ET GÉNÉREUX », QUI « SOIGNE » LES ARTISTES ! des piliers de la structure, au même titre que les six autres membres de l’équipe dirigée, également depuis 1992, par Sylvie Gerbeault. Tous partagent le même grand bureau ouvert, les réflexions et les responsabilités. De même que le conseil d’administration de l’association Entr’Acte, porteuse du projet, est constitué – à parts égales – de personnels soignants, acteurs culturels et membres de la société civile. C’est l’une des clés de la réussite du 3 bis f : échapper à toute forme de spécialisation, jeter des ponts entre des mondes qui, ailleurs, s’ignorent et (re)créer du lien. Cette ambition dans l’air du temps, qui figure au programme de nombreuses structures, ne reste pas ici à l’état de vœu pieux. En arpentant les couloirs du 3 bis f, sa galerie ou le bâtiment des résidents, on croise une population étonnamment hétéroclite. Parmi la douzaine d’artistes ou collectifs qui s’y relaient ce semestre, pour quelques semaines ou quelques mois, il y a un clown, des plasticiens, des danseurs, une pianiste, des compagnies de théâtre et même un philosophe. Fabrice Pichat, qui exposera dans la galerie à partir du 28 avril, profite de

l’espace offert par son atelier, un ancien dortoir. Habitué à travailler « dans un sous-sol à Bruxelles », il est en train de faire évoluer son projet initial. Dans l’atelier voisin, Gethan et Myles déposent les créations réalisées pendant l’atelier. Ils ont beau avoir l’habitude et le goût de la création hors des circuits balisés, cette nouvelle expérience les réjouit : « Le 3 bis f est un lieu extrêmement nourrissant et généreux. Quand tu interviens ailleurs, souvent, on te demande d’abord ce que tu peux apporter. Ici, on te demande ce dont tu as envie… » Voilà sans doute l’autre clé du 3 bis f : ici, on « soigne » les artistes !

HÔPITAL PSYCHIATRIQUE MONTPERRIN

109, avenue du Petit Barthélémy, Aix-en-Provence. 04 42 16 17 75. Entrée libre. Ateliers : 4,5-9 €.

WWW.

3bisf.com 8 e art magazine • printemps 2016

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Phil Spectrum

L'ARTISTE

VEUILLEZ RENDRE LAM...

À l’origine, Leda Atomica fut une comète musicale. Plus proche de l’enfer que du ciel, elle traversa la fin du XXe siècle en laissant dans son sillage de longues trainées de poudre et d’acide. Un groupe qui toujours préféra la décadence aux cadences aseptisées du succès commercial.

P

hil Spectrum était l’un des alchimistes de ce rock gothique, chaotique et fulgurant. Comme dans toutes les histoires sans concession, à la fin, il y eut plus de morts que de résurrections. Mais Phil Spectrum a survécu. Il a désormais soixante ans et n’est toujours pas assagi. Sur scène, il impose un visage taillé au burin et une longue silhouette écrasante d’âme damnée ; dans la vie, il est un être pudique et chaleureux qui a su préserver en lui quelque chose de l’éternel adolescent. Son secret réside sans doute dans les élixirs vénéneux qu’il concocte, avec jubilation, comme autant de bains de jouvence, sur ses claviers et autres machines, sonores. Phil Spectrum n’a pas perdu l’esprit de groupe, il a juste élargi la palette et Leda Atomica Musique (LAM) s’est mué en collectif d’artistes et en label discographique (qui a produit plus de vingt albums). Musicien insatiable, il a commis, récemment, en famille (Mother Mina heroes, The Spectrum family) ou en formation réduite (Yes baby avec Clis Gaul) un paquet de morceaux saignants à souhait, dont certains de très haute volée. Pour fêter son anniversaire, il sortira en décembre prochain un album concept intitulé 6o6o6o, « un travail un peu à la Brian Eno », un seul morceau de soixante minutes pour un assemblage de soixante boucles sonores commandées à autant de musiciens amis – et quelques vols à des fantômes complices (Nicolas Zaroff, Wlad Znorko...). LAM s’est largement ouvert au spectacle vivant avec des compagnies qui travaillent sur scène (Richard Martin, Wlad Znorko, Théâtre Nono) ou dans la rue (Générik Vapeur, Ilotopie, Groupe F). L’association crée aussi des formes musicales hybrides : cabaret, ciné-concert, opéra improbable ou foutraque... La carte blanche offerte par le théâtre de Lenche fin mai (lire ci-contre) donnera un aperçu de l’étendue de cette activité créatrice. On croisera également Phil Spectrum, un peu plus tôt (le 17 mai) au théâtre Toursky, dans un concert lyrique déjanté imaginé par l’iconoclaste et talentueux Alain Aubin. Et

© Robert Billsky

Texte : Fred Kahn

CARTE BLANCHE ET POPULAIRE

Tout commencera par un opéra de rue créé à partir de chansons de Bertolt Brecht et Kurt Weil. Ce projet, mis en corps par Aurélien Desclozeaux et mis en voix par Danielle Stéfan et Marie Démon, investira joyeusement et subversivement le boulodrome du Panier. Puis, Alain Aubin et Marie Démon entremêleront leurs « voix citoyennes » de contre ténor et de contre alto pour nous offrir un tour des chants (de Dalida à Purcell, de Ramona à Verdi) qui les ont bouleversés et les ont façonnés. On retrouvera Marie Démon avec Phil et Tom Spectrum dans un cinéconcert rock et bruitiste. Ils interpréteront, improviseront et chanteront la bande-son contemporaine de quelques courts métrages emblématiques des débuts du cinéma. le 24 août, il sera au Château de Lourmarin, aux côtés de son fils, Tom Spectrum, et de la bien nommée Marie Démon. Tous trois, métamorphosés en sorcières prophétiques, interpréteront la partition sonore d’un Macbeth mis en scène par Edward Berkeley : « Horrible est le beau, beau est l’horrible. Volons à travers le brouillard et l’air impur. »

EL KABARET, le 20 mai, au boulodrome du Panier. LES VOIX CITOYENNES, le 24 mai. CINÉ-CONCERT, les 26 et 27 mai. Théâtre de Lenche,

4, place de Lenche Marseille, 2e. 04 91 91 52 22. 2-16 €.

WWW.

theatredelenche. 8 e art magazine • printemps 2016

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L'OBJET

Recyclodrome

MON CRAYON SENT LE GAZ Pot à bougies, à crayons ? Vase ou vide-poche ? Un exemple, parmi d’autres, de l’ingéniosité des techniciens du Recyclodrome, la ressourcerie de Noailles.

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Texte : Julie Bordenave

a forme est gracieuse, son vert profond patiné par le temps, sa tôle d’acier lourde en main. Il charrie avec lui l’odeur de la soudure et du bleu de travail, et sert à accueillir stylos, crayons ou contenu de nos poches – clés, boutons, petite monnaie... – au débotté, quand on s’en déleste le soir sur le pas de la porte. Il témoigne surtout de l’ingéniosité et de l’opiniâtreté des techniciens du réemploi du Recyclodrome : donner une nouvelle vie aux objets, pour éviter coûte que coûte le gaspillage et la création de nouveaux déchets. Car ce pot à crayons (12 €) fut dans une première vie poignée de bouteille de gaz, comme en témoigne en son cœur le petit pictogramme rouge inflammable. « Ces objets insolites sont une manière de sensibiliser au recyclage, l’idée est de sauver un maximum de meubles, quitte à assembler des morceaux parfois hétéroclites. La recherche n’est pas forcément esthétique, on fait avec ce qu’on a sous la main ! », commente Vincent, employé maison. Si l’essentiel de l’activité de la ressourcerie se concentre sur une réhabilitation plus classique des objets récupérés (réparation, remise en état...), de telles réalisations constituent une respiration pour ses employés. « Une partie de nos salariés bénéficient de contrats uniques d’insertion. Durant leurs deux

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ans de présence, on les forme en métallerie et menuiserie, en collaboration avec l’atelier Appel d’Aire, un atelier marseillais de formation, création et insertion. C’est l’occasion de tester des petites fantaisies, de sortir de notre gestion quotidienne du déchet pour le détourner astucieusement », détaille Vincent. Dans cette gamme d’objets made in recyclo, on trouve aussi des abat-jours faits avec des bouées maritimes, des meubles en palettes, des chaises reconstituées... Actuellement en boutiques, deux tables bistrot, avec pied central en métal et plateau stratifié (30 € les deux). La démarche est inspirante : des adhérents ont offert à la boutique de grands robots en plastique de récupération, qui trônent désormais au-dessus de la caisse comme des mascottes.

RECYCLODROME

47, rue d’Aubagne, Marseille 1er. Ouvert tous les mercredis de 10h à 19h, les 1er et 3e samedis du mois.

WWW.

recyclodrome.org


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LE SITE

Patrimages

PATRIMOINE EN LIGNE

En deux clics, le site Patrimages rend accessibles des trésors du patrimoine régional. Un tour dans une villa des années 30 ou une masure des Hautes-Alpes, c’est possible grâce à la numérisation des données de l’Inventaire général du Patrimoine culturel. Texte : Julie Bordenave

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n connait les Monuments historiques, mais beaucoup moins l’Inventaire général du patrimoine culturel, mis en place par André Malraux en 1964. Destiné à garder une trace immatérielle du patrimoine des territoires français, « de la petite cuillère à la cathédrale » selon la formule consacrée, il recense biens mobiliers et immobiliers représentatifs d’un savoir-faire ou d’une identité régionale. Depuis le transfert de la compétence aux Régions en 2004, une équipe de photographes, vidéastes, cartographes et historiens est à pied d’œuvre sur le terrain, pour dresser des typologies et sélectionner les biens à renseigner, en agrémentant, le cas échéant, une documentation préexistante (archives, bibliothèques...). La nouveauté en PACA, c’est l’ouverture à l’automne dernier du site des Dossiers de l'Inventaire : ce nouveau portail valorise la vertigineuse base de données photographique du site Patrimages (en ligne depuis 2007). Des dossiers thématiques guident les recherches et orientent le regard dans ce fond foisonnant, pour (re)découvrir des trésors de la région : patrimoine religieux, militaire, industriel, de villégiature... Aux côtés des classiques savonneries de Marseille, chantiers navals de La Ciotat ou parfumeries de Grasse, on

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peut aussi opérer une visite virtuelle de la très Art déco villa Aujourd’hui au Cap d’Antibes, du fantasque château des Magnans dans les Alpes enneigées, du jardin cubiste de la Villa Noailles, ou encore de l’immeuble Gloria Mansions, qui vient d’être restauré en plein cœur de Nice. On découvre aussi des endroits fantomatiques (usines de tommettes désaffectées à Villecroze) ou désormais métamorphosés (ateliers SNCF d’Arles, village des Salles-sur-Verdon avant le remplissage du lac de Sainte-Croix...). Certaines photos donnent un nouveau cachet à ce patrimoine, lui conférant une beauté quasi abstraite. L’initiative se destine aux chercheurs, enseignants et aménageurs du territoire, mais également au grand public, qui y dénichera de fantastiques idées de balades thématiques. Un formidable outil émancipateur pour passer du virtuel au réel, et inciter à lâcher l’écran !

HTPPS://

patrimages.regionpaca.fr


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LE LIVRE

Aux Tableaux !

PRIX D’EXCELLENCE Six mois après la fermeture de l’exposition Au Tableaux !, un album et un film reviennent sur l’aventure humaine et esthétique de cette résidence d’artistes mémorable.

Texte : Emmanuelle Gall

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ouvenez-vous, l’été dernier, Aux Tableaux ! faisait un carton. Montée en quatre mois, avec des bouts de ficelle et une énergie folle, l’opération consistant à transformer l’ancienne école Saint Thomas d’Aquin en terrain de jeu pour 40 artistes a accueilli pas moins de 43 000 spectateurs et conquis la presse – y compris parisienne. Forte de ce succès, l’association Juxtapoz sort un album souvenir de la manifestation, associé à un film qui en dévoile les coulisses. À l’image du projet et de sa singularité, l’ouvrage autoédité se présente comme un cahier d’écolier grand format, à la reliure cousue et aux coins arrondis. En guise de planches de gommettes et autres bons points, il est accompagné de stickers dessinés par les artistes et de cartes postales reprenant les meilleures photos de l’exposition. En 192 pages, on refait le parcours de l’exposition, salle après salle. Les travaux de chacun des artistes se déploient ainsi sur plusieurs pages, privilégiant l’image sur le texte, et des QR codes permettent de retrouver l’ambiance sonore des espaces. Fidèle à l’esprit de la manifestation, cet album en constitue une trace esthétique et ludique, que le film réalisé par Francesca Berselli complète bien. Tourné pendant les six mois qui ont précédé l’ouverture de l’exposition, il en retrace la genèse, depuis la découverte des lieux par Karine Terlizzi et Charlotte Pelouse jusqu’au vernissage. Mêlant interviews des acteurs 28

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du projet, des artistes, mais aussi des bonnes sœurs, apparemment enchantées que leur école ressuscite, il relate cette aventure collective au quotidien. L’occasion de mesurer la somme d’énergie nécessaire à une telle entreprise et le travail accompli : du nettoyage des 2500 m2, un temps squattés par des hôtes peu respectueux, à leur réfection et leur transformation en œuvre géante. Ce film d’une heure est une jolie réponse à ceux qui sous-estiment ou condamnent le street art. Il donne également la preuve qu’il est encore possible, à Marseille, d’inventer des projets d’envergure en dehors des institutions et du marché. Et, quand le générique de fin s’affiche, on se prend à rêver que l’association Juxtapoz se lance dans un nouveau projet ou que d’autres artistes voient dans ce film un encouragement à concrétiser leurs propres desseins.

AUX TABLEAUX !,

avril 2016, 192 pages. En prévente sur le site jusqu’au 15 mai : 30 € (puis 35 €).

WWW.

aux-tableaux.com


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LE RESTAURANT

Café des Méditerranées

LES PIEDS DANS… L’EAU

La Villa Méditerranée a enfin son restaurant : une bodega élégante, à la cuisine raffinée, mais sans prétention, à l’image de son chef Xavier Zapata. Texte : Emmanuelle Gall

LE CHEF Connu des Marseillais pour avoir tenu de mains de maître Les Pieds dans le plat, cours Julien, Xavier Zapata a été choisi par l’association Cumin, gestionnaire du Café des Méditerranée, pour relever un double défi : promouvoir une cuisine méditerranéenne savoureuse et abordable, dans le cadre d’une entreprise d’insertion. Fils de pieds-noirs aux origines espagnoles et italiennes, qui a enseigné à l’École de la deuxième chance à Marseille dans le passé, l’homme ne manque pas d’atouts dans son jeu. La cuisine méditerranéenne, il ne la théorise pas, c’est son héritage ! L’ASSIETTE Chacun des 8 mezze ou 6 plats à l’ardoise du jour a un parfum de Méditerranée : « Ragoût de seiche, figatelli », « Joue de bœuf, riz noir à l’espagnole », « Dos de maigre, bouillon de couscous, pâte de citron amère », « Rougets de Méditerranée, gnocchis citron-parmesan, pesto genovese »... mais aussi fromage de « chèvre Rove » et légumes locaux. L’autre avantage de cette carte, c’est la possibilité offerte à chacun, selon sa faim et son humeur, d’opter pour un repas gastronomique ou de picorer, sachant que les mezze n’ont rien à voir – en termes de créativité comme de quantité – avec les « tapas » à la mode ailleurs. On peut aussi se contenter d’un Paris-Brest ou d’un fondant 30

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à la crème d’Espelette, à l’heure du goûter, en compagnie d’un café Illy ou d’un verre de vin « propre ».

LE CADRE L’autre atout du Café des Méditerranées, c’est évidemment son cadre. En terrasse comme à l’intérieur, on mange les pieds dans l’eau avec vue, au choix, sur l’église Saint-Laurent, le fort Saint-Jean, le MuCEM ou même le Pharo. Entourée de baies vitrées, la grande salle, toute en longueur, est réchauffée par un imposant comptoir recouvert d’azulejos créés par Valérie Tassara, une céramiste marseillaise. Entre l’architecture hightech de Stefano Boerri et ce clin d’œil aux bodegas espagnoles ou tavernes lisboètes, le Café des Méditerranées est un lieu accueillant, auquel on a envie de souhaiter bonne chance !

CAFÉ DES MÉDITERRANÉES

Promenade Robert Laffont, Marseille, 2e. 06 46 04 58 97 Ouvert du lundi au vendredi, 9h30-17h30. Mezze : 5-10 €, plats : 9-17 €.

WWW.

facebook.com/Café-des-méditerranées


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DANS MARSEILLE, AVEC NICOLAS MÉMAIN

À pieds, en bus ou en bateau, en pleine ville ou en zone périurbaine, Nicolas Mémain guide des groupes de promeneurs qui, le nez en l’air, apprennent à décrypter le paysage. Balade à travers son érudition chantante. Texte : Julie Bordenave

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Rendez-vous est donné, en ce petit matin de février, devant le métro Réformés. Le groupe se reconnaît peu à peu – certains sont des habitués – et s’agrège autour du guide du jour. Tignasse brune, yeux clairs et pantalon orange fluo, vous l’avez forcément croisé dans Marseille. Toujours escorté d’un groupe de visiteurs, Nicolas Mémain arpente inlassablement le territoire, s’autoproclamant « urbaniste gonzo » ou « montreur d’ours en béton ». La balade du jour, elle se fera à la découverte de l’architecture du XIXe siècle, dans le périmètre d’une ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager). Première halte devant une sucette Decaux : « on ne lèche pas le patrimoine », et le convoi s’ébranle. On s’arrête devant les façades, on monte jusqu’à Saint-Charles, on passe par les rues adjacentes au boulevard Longchamp. Puis le cours Julien, La Plaine, le boulevard Chave... On cavale ainsi pendant près de trois heures, à la découverte de façades et d’anecdotes, se familiarisant avec le 32

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vocabulaire architectural : les « acanthes », les « bow-windows »... On traverse des « similis traboules », on découvre d’insoupçonnés dénivelés, on pénètre aussi dans les intérieurs d’hôtes improvisés, autour d’une citronnade et de quelques gâteaux secs. On apprend aussi que le quartier Chave fut créé autour du théâtre éponyme, que le cours Julien fut mûrisserie de bananes avant de se découvrir une vocation culturelle. Mais aussi qu’une tourelle de style Henri II, aperçue au coin d’un immeuble depuis la rue des Trois Mages, abrite en fait des WC initialement sis sur le palier, conférant au trône son sens premier ! Montreur d’ours en béton Après tout, peu importe où nous mènent les pas de notre guide. Car la magie du voyage opère avant tout par ses mots, accrochés à ses envolées lyriques, son flow ininterrompu porté par une douce tessiture, qu’il peut forcer pour couvrir le vacarme du trafic cours Lieutaud : « Les immenses appartements sont vides, car il faut être riche et


avec Nicolas Mémain

Nicolas Mémain, lors d’une balade réalisée en 2015, dans le cadre du workshop Transfigurer la Ville organisé par la Fai Ar.

S’IL SAIT FAIRE DANS LE PATRIMOINE HISTORIQUE, SA FRIANDISE, C’EST LE NON MONUMENTAL, L’ANECDOTIQUE, LE BÉTON BRUT MAL DÉGROSSI. sourd pour habiter ici ! » Qu’il cavale avec des particuliers, des aménageurs ou des artistes, Nicolas Mémain déploie la même érudition chantante, convoquant son sens du détail au service de la lecture de la ville, voire de la métropole. Il adore se balader, traquer le bâti délaissé ou méprisé : « ces brocantes devenues antiquités », dans un rayon accessible car il n’a pas le permis. Comme les tracés du GR2013 qu’il a activement contribué à échafauder, ses destinations se rallient en transports en commun. S’il sait faire dans le patrimoine historique, sa friandise, c’est le non monumental, l’anecdotique, le béton brut mal dégrossi. Quitte à délaisser l’extravagante – mais un brin proprette – Maison Castel (2, rue Croix de Régnier), pour mieux s’attarder sur l’insolite bas-relief de Dominique Turcan moquant le statut d’architecte (1, boulevard Eugène Pierre). Ce qu’on exècre, il l’adule, pouvant se prendre de passion pour une barre de type azuréenne ! Il en rigole : « ce qu’on trouve beau cinquante ans plus tard, ce sont les bâtiments les plus laids à la livrai-

LA BALADE

son, comme le dit mon ami photographe Philippe Piron ! » Comme tous les animaux sauvages, le Mémain est difficile à pister. Site internet, réseaux sociaux ? Très peu pour lui. On aura plus de chances de trouver sa trace vers le Bureau des guides ou la coopérative Hôtel du Nord. Vous le voulez dans votre quartier ? Le Mémain peut se réserver, mais il faudra alors penser à le nourrir, et pas seulement de denrées spirituelles, même s’il déclare : « je lis Marseille comme j’improvise au piano ».

WWW.

bureaudesguides-gr2013.fr hoteldunord.coop/nicolas-memain 8 e art magazine • printemps 2016

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Une planche du prochain album de Brecht Evens, Les Rigoles, à paraître en 2017. 34

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SPÉCIAL BD

le

e

art

s'affi che À AIX, MARSEILLE ET MARTIGUES Festival gratuit et convivial, pointu sans être élitiste, Les Rencontres de 9e art constituent un modèle du genre. À l’heure où l’avenir de la manifestation est entre les mains de la Métropole, on peut espérer que le travail accompli par ses organisateurs pèsera dans la balance des futures décisions politiques. Et incitera les élus à plus de considération pour un art populaire qui doit, le plus souvent, son rayonnement au dynamisme d’une poignée d’individus et d’associations. Dossier réalisé par Julie Bordenave, Emmanuelle Gall et Olivier Levallois.

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SPÉCIAL BD

Le 9e art à Aix-en-Provence

Des rencontres, pas un salon ! Fondées en 2004, les Rencontres du 9e art ont su s’implanter dans le paysage de la bande dessinée française et même internationale. Réputé pour l’exigence de sa ligne éditoriale et son ouverture aux « arts associés », le festival invite chaque année une cinquantaine d’auteurs et déploie des expositions dans toute la ville d’Aix-en-Provence. Tristan Séré de Rivière, l’un de ses organisateurs de la première heure, revient sur son histoire et sa philosophie. Propos recueillis par Emmanuelle Gall

Entre le festival de Pâques et le festival d’Art lyrique, l’identité culturelle d’Aix-en-Provence est plutôt classique. Pourquoi avoir choisi d’y implanter les Rencontres ? Ont-elles toujours été bien accueillies ? Nous n’avons pas choisi de nous implanter à Aix, c’est le contraire qui s’est passé. À l’origine du projet, il y a une « commande » de la Ville à l’Office du tourisme, d’un événement culturel pendant la saison creuse. C’était bien avant le festival de Pâques ou Image de ville. L’idée des Rencontres vient de Michel Fraisset, qui était à l’époque le directeur adjoint de l’Office du tourisme et avait créé un festival de BD à Pertuis dans les années 90. Il s’est associé à Serge Darpeix. Au départ en charge de la technique, ce dernier a rapidement assuré également la direction artistique. Quant à l’accueil, il a immédiatement été positif. Si rien n’a changé dans le principe et si, dès le début, les Rencontres ont proposé de véritables expositions scénographiées, et pas seulement des accrochages de planches de bandes dessinées, on peut considérer que le festival a vraiment « décollé » à partir de 2008. C’est l’année où Stéphane Blanquet a créé le logo et où le Weekend BD s’est implanté à la Cité du Livre. Cette année- là, nous avons trouvé la formule qui nous satisfaisait. 36

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En France, la référence en matière de 9e art reste le festival d’Angoulême. Comment vous situez-vous par rapport à cette manifestation ? Angoulême, c’est un salon. Les éditeurs louent des stands et le public paie l’entrée, pour avoir le droit d’acheter des livres et éventuellement de se les faire dédicacer. Il y a des expositions, mais elles ne durent que quatre jours, à l’exception de celles qui sont accrochées à la Cité. L’implantation du festival n’est pas locale et il n’invite que peu d’auteurs. Soit ils viennent à leur frais, soit ils sont invités par les éditeurs. Les Rencontres du 9e art se définissent comme un festival, c’est-à-dire qu’elles « prétendent » avoir une programmation. Nous n’invitons « que » 50 auteurs, mais à nos frais. Il n’y a pas de stands d’éditeurs ni de fanzines. La vente des livres est assurée par la librairie du festival, constituée par l’association de 4 libraires aixois qui mutualisent leur logistique et leur comptabilité. Enfin, les expositions ne jouent pas un rôle accessoire, elles constituent l’axe principal, avec le week-end de signatures. Quand nous élaborons la programmation des expositions, c’est en fonction des lieux qui les accueillent, de leurs affinités, et en concertation avec les auteurs,


© Jean-Marc Pau

« À Angoulême, le off accueille des démarches alternatives. À Aix, nous les programmons. »

Scénographie de l’exposition Love in Vain (Mezzo et Jean Michel Dupont), accrochée en 2015 à l’Office du tourisme.

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SPÉCIAL BD

© Sylvain Sauvage

© Sophie Spiteri

Le 9e art à Aix-en-Provence

Le Wek-end BD : trois jours de dédicaces, tables rondes, street-art et « murs à dessins »… Ici, Herr Seele à la Cité du Livre en 2015.

considérés comme des artistes associés. Par exemple, cette année, le projet « Vivre à Frandisco » est le fruit d’une collaboration avec la maison d’édition Fremok (qui sort le livre pour le festival), la fondation Vasarely, qui a accueilli en résidence Marcel Schmitz et Thierry Van Hasselt en décembre dernier, mais aussi le Lab GAMERZ, une association aixoise, qui ajoute une dimension numérique à l’exposition. La gratuité des événements et des expositions est l’un des points forts des Rencontres. Pour quelles raisons avoir pris ce parti ? Les restrictions budgétaires actuelles ne risquent-elles pas de vous obliger à le remettre en question ? Faire payer le public, compte tenu des coûts d’implantation d’une billetterie, ne serait pas rentable à moins d’un ticket d’entrée excessif. On préfère rester ouverts, y compris aux passants, et que les spectateurs ne sentent pas limités. Notre fonctionnement repose sur des financements publics et privés, mais aussi sur le partenariat et le troc avec des structures locales. Cette année, la baisse des subventions nous a obligés à réduire la voilure : il y a 13 expositions au lieu de 19 l’année dernière, nous invitons 50 auteurs (au lieu de 60), et le programme est passé de 38 à 20 pages. Le plus préoccupant, c’est que jusqu’ici, notre principal financeur était le Pays d’Aix. Désormais, ce sera la Métropole. Quel sort va-t-elle nous réserver ? 38

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À quand les Rencontres du 9e art off ? Par définition, ce n’est pas à nous de parler du off, car s’il existe un jour, ce ne sera pas de notre fait. Cela dit, c’est comme pour le « parcours des vitrines ». D’habitude, quand il y a un festival de BD, les commerçants se mettent d’eux-mêmes à l’heure de l’événement, avec des propositions inégales. Nous prenons le contrepied, en anticipant et en accompagnant ceux qui veulent participer. En règle générale, si des gens veulent s’inscrire dans les Rencontres, nous sommes ouverts. Par ailleurs, à Angoulême, le off accueille des démarches alternatives. À Aix, nous les programmons.

Rencontres du 9e art. Office de Tourisme, 300, avenue Giuseppe Verdi, Aix en Provence. 04 42 16 11 61 www.bd-aix.com


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SPÉCIAL BD

Le 9e art à Aix-en-Provence

Brecht Evens enchante la ville « Enfant prodige », « petit génie la bande dessinée »… À trente ans, le Flamand Brecht Evens collectionne les superlatifs et les prix. Invité des Rencontres du 9e art, il signe également l’affiche du prestigieux Festival International d’Art Lyrique et se voit offrir une rétrospective, en deux temps, au palais de l’Archevêché. Texte : Emmanuelle Gall

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heveux en bataille, regard pénétrant, Brecht Evens évoque à la fois Le Désespéré de Gustave Courbet et Rimbaud adolescent. Avec son look d’étudiant et son sourire d’enfant, l’artiste prend volontiers la pose, bien qu’il ait du mal à rester en place, sous la bannière du festival d’Art lyrique accrochée à la façade du palais de l’Archevêché : sa création. Il répond aux questions des journalistes et des admirateurs avec la même spontanéité, malgré son statut d’invité « vedette » des Rencontres du 9e art. Depuis le 1er avril, la ville d’Aix-en-Provence vit en effet aux couleurs – éclatantes – de Brecht Evens : il a réalisé une fresque avec des enfants à la Cité du livre, expose les planches de ses albums dans la galerie gothique du musée des Tapisseries et l’affiche qu’il a créée pour le festival d’Art lyrique tapisse déjà les murs de la ville… « J’ai tout donné pour cette affiche ! J’ai déjà fait des images pour des festivals à Paris ou à Bruxelles, mais je n’étais pas content. Cette fois, j’ai travaillé en grand. Pour prendre du recul, je devais m’asseoir sur l’évier… », confie l’artiste. L’image originale, exposée à l’entrée de son exposition au musée des Tapisseries, est une immense aquarelle rehaussée à l’encre et à la gouache. Elle représente une foule de spectateurs installés sur les gradins d’un théâtre en plein air (l’Archevêché), la nuit, éclairée par trois projecteurs. En bas de l’image, à droite, une dame tient à la main le programme du festival d’Aix-en-Provence. On retrouve dans cette image tout ce qui fait le style de Brecht Evens : une figuration qui oscille entre esquisse et caricature, une profusion de détails, par-

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Un univers singulier et inédit, davantage inspiré par les toiles de Jérôme Bosch ou Brueghel que par les maîtres du 9e art.

fois surréalistes, le mélange entre les effets de transparence liés à l’aquarelle et des aplats noirs. À l’opposé de la tradition belge de la ligne claire, l’artiste a réussi à imposer, en trois albums, une bande dessinée expressionniste et picturale, libérée des cases et des phylactères. Au point d’être aujourd’hui considéré comme le chef de file de la nouvelle bande dessinée flamande. Politiquement et picturalement incorrect Le premier volet de l’exposition Le Meilleur des mondes, accroché au musée des Tapisseries, revient sur le parcours fulgurant de Brecht Evens, depuis la parution de son premier album, Les Noceurs, en 2010. La bande dessinée, qui a reçu l’année suivante le « prix de l’Audace » au festival d’Angoulême, est issue de son projet de fin d’études à l’école Saint-Luc de Gand. Il est alors âgé de vingt-quatre ans et, comme le montrent les planches exposées dans la première salle, déjà maître de son art. Au fil des scènes retraçant, à l’aquarelle, le parcours d’une bande de fêtards en quête d’un certain Robbie, le lecteur découvre un univers singulier et


Planche extraite de Panthère, le dernier album de Brecht Evens, paru aux éditions Actes Sud BD, en novembre 2014.

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SPÉCIAL BD

© Nadege Herembourg

Le 9e art à Aix-en-Provence

Brecht Evens, à l’occasion de « l’apéro rencontre » du 2 avril, dans son exposition au palais de l’Archevêché.

inédit, davantage inspiré par les toiles de Jérôme Bosch ou Brueghel que par les maîtres du 9e art. Bosch, Brueghel, mais aussi le Douanier Rousseau, Matisse, David Hockney, les miniatures persanes… toutes ces influences, Brecht Evens les revendique : « Je trouve très sain d’utiliser des choses d’autres artistes et j’aimerais bien, moi aussi, voir les gens utiliser mon approche… » À la peinture, il emprunte également une attitude : « La plupart des auteurs de BD dessinent en continu. Moi, je fais quelques gestes et puis je regarde. » Armé d’un gros pinceau, il travaille, sans filet, à la recherche de « l’accident heureux ». D’où le format de ses planches originales, bien supérieur à celui des livres. Dans Les Amateurs, puis Panthère, respectivement publié chez Actes Sud en 2011 et 2014, Brecht Evens change de sujet, pas de démarche. Qu’il aborde, non sans ironie, le monde de l’art contemporain, ou l’univers fantasmatique d’une petite fille en deuil de son chat, Brecht Evens casse les conventions de la bande dessinée et transforme les pages des livres en œuvres. Et il n’est pas plus politiquement correct que picturalement correct : Panthère est un conte cruel et pervers, qu’aucun parent n’accepterait de mettre entre les mains de ses enfants et dont le héros félin et félon change de forme à chaque apparition. Exposées dans la dernière salle, les planches du prochain album de Brecht Evens, à paraître « sans doute dans un an », laissent entrevoir une nouvelle aventure débridée : Les Rigoles, du nom de la rue qu’il habite désormais à Paris, « est un quartier très festif où les personnages se retrouvent». D’ici là, les fans pourront s’offrir un exemplaire de son carnet de voyage parisien publié dans la très chic série des 42

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Travel Books Louis Vuitton et voir au moins deux nouvelles expositions : la première à la galerie Martel, à Paris, début mai, et la seconde à Aix-en-Provence, toujours au musée des Tapisseries, à partir du 8 juin. Pour découvrir cette fois ses talents d’illustrateurs.

Le meilleur des mondes Etape 1, jusqu’au 21 mai. Etape 2, du 8 juin au 20 juillet. Musée du palais de l’Archevêché, 28, place des Martyrs de la Résistance, Aix-en-Provence. 04 42 23 09 91. Entrée libre. www.bd-aix.com www.festival-aix.com


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SPÉCIAL BD

Le 9e art à Aix-en-Provence

Un monde Méroll : les lendemains qui déchantent Passés maîtres dans l’art du détournement des codes du grand capital, Les Requins Marteaux présentent un nouvel opus de leur saga Ferraille aux Rencontres du 9e art : une exposition du fond d’art de leur mécène, l’illustre Michel-Édouard Méroll. Texte : Julie Bordenave

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l y a vingt ans, naissait en kiosque un drôle de bébé joufflu : Ferraille Illustré jetait un pavé dans la mare de la presse BD qui, à l’époque, se mourait entre un regretté Pilote et un essoufflé Fluide Glacial. Derrière lui, le petit éditeur indépendant Les Requins Marteaux avec, à sa tête, le duo Guerse et Pichelin, qui passait le relais en 2001 au triumvirat Felder, Cizo et Winshluss. Ce dernier n’avait pas encore publié son magistral Pinocchio (primé Meilleur Album au festival d’Angoulême en 2009), ni collaboré au fameux long-métrage Persépolis de Marjane Satrapi. Il nourrissait déjà un talent confondant pour les hommages et parodies, porté par un trait farouchement élégant, entre hargne et mélancolie. Dans ses pages, Ferraille Illustré mêlait auteurs reconnus (Trondheim, Pirus et Schlingo, Blex Bolex…) et talents depuis lors largement confirmés (Ruppert et Mulot, Morvandiau, Bouzard…). Outre son rôle de laboratoire graphique, le vrai génie de la revue, c’était de faire coller le fond à la forme, en esquissant en filigrane la relation nauséabonde entre presse et milieux financiers. Rachetée par le fantasmagorique conglomérat Méroll, fabricant d’« huile de friture et de moteur », la rédaction tenue d’une main poisseuse par Franky Baloney, pantin fictif et moustachu, ne reculait devant rien pour faire fructifier son entreprise : délocalisation dans le paradis fiscal de BamaKhou, transfert de cerveaux de dessinateurs dans des singes pour du rendement à moindre coût… Les pistes de cette mystification parsemaient les pages de la revue, au milieu de romans-feuilletons (Vacances chez les Bohémiens...) ou

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« Ce qui nous intéresse, c’est le cliché, la culture populaire, tous ces trucs désincarnés, ancrés dans l’inconscient collectif… »

de fausses pubs ciselées. « Ce qui était intéressant dans ce projet, c’était de raconter une histoire avec l’objet même du magazine, expliquait alors Winshluss. L’histoire nous a donné raison, puisque maintenant la presse est rachetée par des marchands de yaourts ! » Victime d’une économie chancelante, la revue s’éteint en 2006 pour devenir une légende de la BD indépendante. Les Requins Marteaux lui ont survécu, désormais résidents de la Fabrique Pola à Bordeaux, et continuent d’étoffer leur catalogue. L’entité Ferraille Productions continue quant à elle de développer son pôle événementiel : la formule gagnante du Supermarché Ferraille (et ses inimitables produits : foie gras de chômeur, miettes de dauphin, Subutex Mex...) tourne toujours ; une « one shot » Huiles are the world a été pensée pour le Lieu Unique de Nantes en 2009... Le FMAC Après Buenos Aires et Montreuil, les Rencontres d’Aix accueillent la dernière déclinaison en date : Un monde Méroll rassemble les oeuvres du FMAC (Fonds Méroll pour l’Art


© Winshluss et les Requins marteaux

L’huile « de friture et de moteur », à l’origine de la fortune du mécène Michel-Édouard Méroll. 8 e art magazine • printemps 2016

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SPÉCIAL BD

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Le 9e art à Aix-en-Provence

Scénographie de l’exposition Un Monde Méroll, dans la galerie Zola de la Cité du Livre.

Contemporain), présentant la collection privée du mécène et les actions de sa fondation humanitaire. Aux cimaises, des planches originales tirées du catalogue des Requins Marteaux : Alëxone, Juliette Bensimon-Marchina, Guerse et Pichelin, Bernard Khattou, Antoine Marchalot, Morgan Navarro, Anouk Ricard, Willem. En arrière-plan toujours, la figure tutélaire de Michel-Édouard Meroll, célébrée dans une inventive scénographie pensée par Winshluss pour La Cité du Livre : mur de (faux) produits dérivés, maquette de l’usine Méroll, « réalisée par les ouvriers durant leur temps de pause », bidons d’huile empilés par dizaines, croquettes pour chats « riches en gras », café équitable, car « si un ouvrier travaille mal, c’est toute l’équipe qui est virée », poupée Goutix « qui pleure des larmes d’huile quand on la tape »... Dans une salle noire, un court-métrage d’animation parodie les spots éducatifs pour initier les enfants aux vertus de l’huile Méroll. Attention : ce n’est pas pour tout public ! Mais on ne peut s’empêcher de sourire au grinçant clin d’œil, quand des enfants sortent de l’expo avec un ballon de baudruche à l’effigie de Goutix ! C’est cynique, souvent glaçant, mais aussi très beau : « Ce qui nous intéresse, c’est le cliché, la culture populaire, tous ces trucs désincarnés, ancrés dans l’inconscient collectif, constate Winshluss. Il faut s’en emparer et les utiliser comme des boîtes vides, en plantant une nouvelle idée à l’intérieur. Sans nier le plaisir esthétique 46

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évident qui s’y rattache ! » Car aussi chiadée et mordante soit la mise en abyme, la réalité a de tout temps dépassé la fiction. Des campagnes Leclerc récupérant les codes de Mai 68 dès 2005, à l’huile de tournesol ukrainienne coupée aux lubrifiants pour moteurs en 2008, en passant par les plus récents démantèlements des acquis sociaux ou scandale Panama papers... Désespérant ? « Sublime !, selon Winshluss. La force du capitalisme, c’est de comprendre les attentes ; il est en perpétuelle mutation, comme un virus. Le combat est économique et social. On est entouré de pantins qui gesticulent, mais tout se fait ailleurs, dans l’ombre. On a dépassé le stade de militants ; on attend l’Apocalypse. »

Un Monde Méroll Jusqu’au 14 mai. Cité du Livre, galerie Zola, 8-10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence. 04 42 91 98 88. Entrée libre. www.bd-aix.com www.lesrequinsmarteaux.com


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Le 9e art à Aix-en-Provence

FranDisco, LA rencontre des Rencontres Fidèles à leur promesse d’ouverture aux « arts associés », les Rencontres du 9e art présentent à la fondation Vasarely un projet à la croisée de l’art brut et de la bande dessinée, le fruit d’une belle rencontre. Texte : Emmanuelle Gall

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ous une verrière hexagonale de la fondation Vasarely se déploie une ville de scotch et de carton, une maquette hétéroclite et farfelue baptisée FranDisco. Qu’en aurait pensé le père de l’Op art ? Pour sa part, Marcel Schmitz, le créateur de FranDisco, a apprécié l’univers de Vasarely au point de fabriquer sa version de la fondation aixoise et de l’intégrer à sa ville. Avec son complice, le dessinateur Thierry Van Hasselt, il a également sélectionné des dessins d’urbanisme dans les archives de Vasarely, pour les exposer autour de la maquette, aux côtés de ses propres toiles et des planches de l’album Vivre à FranDisco. Publiée à l’occasion des Rencontres du 9e art, la bande dessinée muette est une sorte de carnet de voyage dans le monde extraordinaire de Marcel Schmitz. À l’origine de ce projet atypique, il y a une belle rencontre, entre un artiste « outsider » et un dessinateur des éditions Fremok, orchestrée par la S Grand atelier. Cette structure, basée dans les Ardennes belges, permet à des artistes handicapés mentaux de travailler avec des professionnels, à l’occasion de résidences. Marcel Schmitz, trisomique, la fréquente assidument depuis 2007. C’est là qu’il a commencé à bâtir sa ville, au moyen de rouleaux de scotch, de morceaux de carton et de feutres. Autour de la cathédrale, centre névralgique, il a placé des monuments comme la tour de Pise, le World Trade Center ou encore l’Atomium de Bruxelles réinterprété, mais aussi une « usine à chicons », un chapiteau de cirque, une piscine, une crèche… Il a peuplé les rues d’animaux, parfois préhistoriques, de femmes en bikini, d’éducateurs et autres membres du personnel de la S Grand

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atelier, telle sa directrice Anne-Françoise Rouche, proclamée madone de FranDisco. Rien n’a été laissé au hasard : chaque personnage ou bâtiment joue un rôle dans le grand scénario de FranDisco. Quand Didier Van Hasselt a été invité à la S Grand atelier, il est tombé en arrêt devant la maquette de Marcel Schmitz. Fasciné par l’œuvre autant que par les récits de son auteur, le dessinateur a décidé de les mettre en images. Depuis plus de trois ans, « mettant Marcel à l’échelle de sa ville », il dessine ses aventures rocambolesques à FranDisco, comme cet épisode où « SaintNicolas débarque en ULM » et où « des infirmiers venus en hélicoptère médicalisé font un shampooing à la madone »… Au fil des mois, la collaboration entre les artistes s’est transformée en amitié et le projet a pris de l’ampleur. Invité à Genève, puis à Paris et à Charleville-Mézières, le duo profite des voyages pour « mener la belle vie » et faire évoluer FranDisco. Voilà pourquoi, désormais, la ville compte également un NH hôtel, un immeuble Agnès b et une médiathèque. La collaboration artistique est devenue un projet de vie, qui a de beaux jours devant lui.

Vivre à FranDisco Jusqu’au 21 mai. Fondation Vasarely, 1, avenue Marcel Pagnol, Aix-en-Provence. 04 42 20 01 09. Entrée libre. www.fondationvasarely.fr


© Thierry Van Hasselt

Rien n’a été laissé au hasard : chaque personnage ou bâtiment joue un rôle dans le grand scénario de FranDisco.

© Sylvain Sauvage

En haut : Planche extraite de Vivre à FranDisco, l’album publié chez Fremok, à l’occasion des Rencontres du 9e art. En bas : Au premier plan, une partie de FranDisco, la ville construite par Marcel Schmitz. Au second plan, les planches dessinées par Didier Van Hasselt.

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Le 9e art à Aix-en-Provence

Pixels, polars et beaux-arts Parmi la foule d’expositions programmées dans le cadre des Rencontres du 9e art, trois propositions ont encore retenu notre attention, entre classicisme et retrogaming, à la bibliothèque Méjanes, l’Office du tourisme et l’Atelier de Cézanne.

© Guillaumit

Texte : Julie Bordenave

L’impertinent monde du travail selon Guillaumit

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Il a de gros cheveux pour cacher tous ses cerveaux », disent de lui les Requins Marteaux, qui l’ont édité. Ces neurones protéiformes ont mené Guillaumit de spots de pubs en vidéos d’animation, en passant par des performances multimédias. Ses personnages enfantins et pixellisés ornent aussi les tramways de Bordeaux ou les affiches de la Cité des sciences. À Aix, il est doublement présent. Avec les élèves de l’institut numérique Inuit Lab, il a construit un scopitone de papier et de carton début avril. Au rayon jeunesse de la Bibliothèque Méjanes, il expose de très malignes installations sur le monde du travail. Tirées de l’ouvrage Au bureau, édité aux Fourmis rouges avec des textes de Paul Martin, ces illustrations prennent vie grâce à des trappes à ouvrir, à la manière de pop-up géants : « Trouve le petit nouveau, celui qui est appelé à grimper, celui qui est mis au placard... » C’est ludique, mais aussi engagé, fidèle à son univers en somme.

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Guillaumit Jusqu’au 30 avril. Bibliothèque Méjanes, 8-10, rue des Allumettes, Aix-en-Provence. 04 42 91 98 88. Entrée libre. www.bd-aix.com


© Jean-Claude Götting

Les polars désabusés de Jean-Claude Götting

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Après le magistral Mezzo l’an dernier, c’est JeanClaude Götting qui a cette année les honneurs de l’Office du tourisme, point de ralliement accueillant le visiteur bédéphile comme le touriste de passage. Comme les années précédentes, la scénographie s’enorgueillit de grands tirages collés sur les baies vitrées de la salle, pour un clair-obscur collant parfaitement aux ambiances crépusculaires de Götting. Les planches originales donnent à voir son trait incomparable : silhouettes enserrées d’un épais trait noir, travail sur les niveaux de gris et les textures, blancs rehaussés à la gouache sur aplats d’encre de chine. Le pitch des BD (La Malle Sanderson, Happy living, le dernier-né Watertown...), mêlant polar, jazz et années cinquante, donne envie de découvrir plus avant l’auteur, prolifique et pourtant encore peu connu du grand public, si ce n’est pour les couvertures des éditions françaises de la saga Harry Potter !

Jean-Claude Götting Jusqu’au 28 mai. Office du tourisme, 300, avenue Giuseppe Verdi, Aix-en-Provence. 04 42 16 11 61. Entrée gratuite. www.bd-aix.com

Typex et les tourments de Rembrandt

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© Typex

our faire lien entre BD et Beaux-arts, l’Atelier de Cézanne accueille des planches de Typex, auteur méconnu en France, mais sommité aux Pays-Bas, au point que le prestigieux Rijksmuseum lui passe commande d’une bio sur Rembrandt lors de sa réouverture en 2013. Le peu conventionnel Typex, rocker motard adulé de Nick Cave, prend l’exercice comme une création sous contraintes, se documente pendant plus de deux ans, et livre un ouvrage mastodonte (300 pages). Une biographie loin de l’hagiographie, qui s’attarde sur le côté irascible du peintre et les aspects tragiques de sa vie, en onze tableaux-séquences révélant la naissance de son trait baroque et tourmenté.

Rembrandt Jusqu’au 28 mai. Atelier de Cézanne, 9, avenue Paul Cézanne, Aix-en-Provence. 04 42 21 06 53. Entrée gratuite. www.bd-aix.com

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Le 9e art à Marseille

La Plaine, QG de la BD marseillaise À Marseille, on peut croiser Pif et Hercule, mais aussi Paf et Hencule. Contribuant à l’esprit arty et décontracté de la Plaine, auteurs, éditeurs et librairies spécialisées sont regroupés dans un mouchoir de poche. Trash, mainstream ou roman graphique, il y en a pour tous les goûts. Texte : Julie Bordenave

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our les aficionados, R.A.B., ce sont les initiales des fameuses Rubrique-à-Brac de Gotlib. À Marseille, le sigle désigne aussi... la Réserve à Bulles, incontournable pour tout bédéphile depuis une dizaine d’années. Spacieuse et lumineuse, la librairie est axée sur les éditeurs indépendants (BD d’auteurs, revues et fanzines) et possède un très joli rayon jeunesse. Ses gérants chapeautent aussi l’association Massilia BD, qui siège au fond de la boutique. Active depuis 2003 et fédérant un joli réseau de professionnels de la BD, elle est souvent sollicitée par les médiathèques et les collectivités pour coordonner des ateliers, des rencontres d’auteurs ou des expositions, telles Ariol à l’Alcazar à l’automne dernier, Et si les super-héros... en cours à la bibliothèque départementale. L’association accueille aussi des résidences ponctuelles d’auteur (Thomas Azuelos y a son atelier permanent), et verse dans l’édition avec parcimonie : deux titres sont prévus pour 2017. « Nous n’avons pas vocation à trop étoffer le catalogue, nous jouons un rôle complémentaire avec les voisins », étaie Peggy Poirrier, cogérante de la Réserve à Bulles. Pour saisir l’esprit qui anime ses membres – pointu, mais détendu –, on écoutera chaque mois le Cri du pulp sur les ondes de Radio Galère (archives podcast sur le site de Massilia BD) : une heure et demie de direct, avec interviews, chroniques et invités. « Le seul deal, c’est qu’ils doivent amener de la musique, et accepter de parler d’eux ! », s’amuse Jean-Régis, président de Massilia BD.

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« Roman graphique, humour, heroic fantasy, SF... Pas de ségrégation, c’est ce qui fait la richesse de Zarmatelier ! »

Aaarg, Même pas mal… À deux pas, c’est l’équipe d’Aaarg qui occupe le pavé. Cofondateur des éditions Même pas mal, le tenace Pierrick Starsky lance en 2013 cette revue de prépublication, pour faire revivre en kiosque un esprit perdu : « On adorait lire les vieux Pilote, Métal Hurlant, À suivre, qui mélangeaient polar, humour et SF. Depuis, tout s’est cloisonné, Fluide et Psykopat font de l’humour, Ferraille et Jade ont disparu... » analyse Kax, membre de l’équipe. Aaarg se donne pour mission de publier des auteurs actuels, confirmés ou émergents – en tête, la star marseillaise Julien Loïs (graphiste de Chinese Man) et ses animaux –, mais aussi brasser les cultures bis et alternatives : reportage sur les traces de Mad Max ou sur le roller derby, nouvelles, critiques cinéma et musique. Après 11 numéros d’une ambitieuse formule en librairie, Aaarg (passé mensuel) a rejoint les kiosques en février dernier, sans renier son (mauvais) esprit, fouineur et décalé. L’équipe fait aussi dans l’édition, et propose de nombreux titres, du petit livre, format carte postale, aux


Creep, un album de Kristian Hammerstad, publié par les éditions AAARG ! en février 2016. 8 e art magazine • printemps 2016

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SPÉCIAL BD

© Peggy Poirrier

Le 9e art à Marseille

Devanture de La Réserve à bulles, 58, rue des Trois Frères Barthélémy à Marseille.

L’APPEL DU 18 JUIN

beaux albums cartonnés. On retrouve ces ouvrages en vente dans la boutique Jolly Rodger, comme ceux des éditions Même pas mal... Qui, elles, sont installées un peu plus loin, rue des Trois rois, et continuent d’étoffer leur catalogue à l’esprit militant et craspouille, comme en témoigne leur slogan : « bandes dessinées et plaisirs coupables ». Elles regroupent ce que la scène underground compte de plus teigneux (Goupil acnéïque, Tanxxx, El Diablo, Pixel vengeur, Terreur graphique...), derrière les fers de lance Paf et Hencule ou Glory owl. Attendu à la rentrée : un Alison Bechdel inédit en France. Dans son petit local carmin, l’éditeur accueille aussi expositions, dédicaces et apéros (soirée autour de David Snug le 28 avril), quand il ne se délocalise pas chez les rockers du coin (Salle gueule, Machine à coudre...). Et les auteurs locaux dans tout ça ? Certains sont regroupés rue Ferrari, au collectif Zarmatelier, créé en 2001 par Bruno Bessadi et Richard Di Martino. L’atelier accueille aujourd’hui Clément Baloup, Eddy Vaccaro, Domas, Julien Cordier, Mohamed Labidi, Renaud Garcia, et dernier arrivé, Yann Madé. Tous sont édités (Soleil, Vents d’Ouest, Delcourt, Bamboo, Paquet, Futuropolis...), condition sine qua non pour rejoindre l’atelier. Ici, pas d’esthétique commune : « roman graphique, humour, heroic fantasy, SF... Pas 54

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Aux beaux jours, la BD bat le pavé : pour sa 18e édition, mi-avril, le festival Des calanques et des bulles a migré de Luminy à l’espace Villeneuve Bargemon. Le 18 juin, BaDam ! prend le pouvoir, dans une rue des Trois frères Barthélémy semi-piétonnisée : accolée à la fête de la rue, l’événement organisé par Massilia BD prévoit animations, dédicaces et rencontres, notamment autour du foot, en présence de Kris (coscénariste de la BD Un maillot pour l’Algérie, à sortir chez Dupuis), en lien avec l’émission Des bâtons dans Guy Roux de Radio Galère. De son côté, le Zarmatelier participera aux Bulles électriques d’Allauch (les 4 et 5 juin) et à Bulles en Seyne, à La Seyne-sur-Mer, les 11 et 12 juin. de ségrégation, c’est ce qui fait la richesse de notre atelier ! », commente Richard di Martino. Lequel ressuscite d’ailleurs le mythique Pif depuis novembre dernier. Quand on se souvient que c’est aussi un Marseillais, Didier Conrad, coauteur des inoubliables Innommables, qui fut choisi par Uderzo en 2013 pour pérenniser Astérix et Obélix, on bombe le torse !

La Réserve à Bulles 56, rue des Trois Frères Barthélémy, Marseille, 6e. www.massiliabd.org Jolly Rodger / Aaarg 76, rue des Trois Frères Barthélémy, Marseille, 6e. www.aaarg.fr Même pas mal 4, rue des Trois rois, Marseille, 6e. meme-pas-mal.fr


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SPÉCIAL BD

Le 9e art à Marseille

Des écoles pour « buller » Forte de son poids économique, la bande dessinée a désormais ses festivals internationaux, ses entrées dans les musées et les salles des ventes, mais aussi, indicateur ultime de son intégration, ses écoles. Visite, à Marseille, de deux formations qui prennent l’enseignement de la BD au sérieux. Texte : Olivier Levallois

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xe Sud au nord du Vieux-Port, les Ateliers de l’Image et du Son au sud : les deux établissements proposent, entres autres formations, un cursus « bande dessinée » qui reflète leur identité. Entre la Porte d’Aix et la Joliette, les locaux d’Axe Sud occupent les trois étages d’un ancien atelier de confection. Le caractère industriel du bâtiment tient lieu de manifeste : ici l’art et l’industrie fusionnent harmonieusement. Parmi les quelque 200 étudiants de l’école, une cinquantaine sont répartis sur les trois années du cursus « Illustration-bande dessinée ». Jacques Lafaysse, son directeur artistique, qui a cofondé l’école avec l’illustrateur François Garcia-Panzani il y a vingt-sept ans, expose leur credo : « Ces filières sont souvent décriées à tort, alors que le marché de l’image ne cesse de se diversifier. Notre obsession est de former des gens pour qu’ils aient du travail ». Les moyens mis en place pour réaliser cette ambition ? Des enseignants qui sont des professionnels en activité, des partenariats avec des entreprises locales (comme les éditions du Soleil ou Mécenes du Sud) et une formation rigoureuse portant sur les fondamentaux techniques du dessin : « Vouloir faire de la BD créative est une noble ambition, mais au-delà, cet apprentissage offre des compétences recherchées sur le marché de l’emploi. L’industrie de l’image manque de bons story-boarders, de coloristes talentueux et de roughmans tous terrains. » Autre point important : la sélection des étudiants se fait à l’issue d’un entretien et d’une présentation de travaux personnels. De quoi estimer à la fois le talent, la technique et la

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« L’industrie de l’image manque de bons story-boarders, de coloristes talentueux et de roughmans tous terrains. »

passion : trois critères indispensables permettant d’évaluer la juste orientation des candidats. Aux Ateliers de l’Image et du Son (AIS), situés à Perrier, le bâtiment moderne, avec ses salles blanches et l’alignement d’ordinateurs en open space, traduit là aussi l’identité pédagogique du lieu. Si l'on enseigne ici l’illustration et la bande dessinée, la finalité est de maitriser des logiciels de création d’animation et d’effets spéciaux professionnels. Le département « Animation 2D/3D-SFX-Illustration-Jeux vidéo » accueille et forme ainsi une petite quinzaine d’étudiants dans le cadre d’un bachelor européen de trois ans. Les murs sur lesquels s’affichent les productions maison (croquis d’étude, color-script, character design, storyboard…) témoignent de la diversité et de la transversalité de la formation. Si le poids de la tradition se fait apparemment moins sentir dans ces pièces remplies d’ordinateurs, de sabre laser en plastique et de figurines de personnages de comics, elle constitue pourtant ici aussi un impératif. « Pendant la première année de tronc commun, les étudiants pratiquent les bases du dessin, de la couleur, de la perspective, de l’anatomie et de la sculp-


© Axe Sud

ture », précise Miguel Viera da Silva, responsable du département. Des cours en commun avec les autres départements de l’école viennent enrichir la culture générale (histoire de l’art, analyse filmique, histoire du cinéma, scénario…). Comme le souligne Jérémy, un étudiant de troisième année, « On reçoit un enseignement assez large autant théorique que pratique, favorisant le dépassement de nos limites techniques. » Autre école, autre enjeu. Avec un nombre d’élèves réduit, la formation fait le pari de développer la créativité personnelle à travers la production de projets individuels.

Près d’un quart des étudiants d’Axe Sud choisissent le cursus Illustration–bande dessinée.

Axe Sud 9, rue Fauchier, Marseille, 2e. 04 96 19 09 10 www.axesud.fr Les Ateliers de l’Image et du Son 40, rue Borde, Marseille, 8e. 04 91 76 23 64 www.ais-formation.com

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Le 9e art à Marseille

BD, comme Bibliothèque Départementale À Marseille, où la bande dessinée navigue traditionnellement plutôt en eaux souterraines ou associatives, la Bibliothèque départementale consacre une partie de sa programmation au 9e art. Au programme, ce printemps : les super-héros. Texte : Emmanuelle Gall

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es enfants qui jouent sur l’esplanade des ABDGaston Defferre (regroupant les archives et la bibliothèque) n’ont plus aucune excuse pour ne pas franchir le seuil du « galet » construit il y a dix ans par Corinne Vezzoni. Néon sur la façade, signalétique omniprésente dans le hall, l’exposition Et si les super héros… bénéficie de gros moyens et occupe les deux espaces d’exposition du bâtiment. Contrairement à Nocturnes, le rêve dans la bande dessinée (programmée en 2015), venue de la Cité internationale de la bande dessinée d’Angoulême, la manifestation est une création, comportant également un vaste programme d’ateliers, conférences, et projections (lire encadré ci-contre). Au risque de décevoir les fans nostalgiques de comic books et autres collectors, l’exposition conçue par Floriane Doury et Boris Henry est davantage une réflexion sur le détournement des super-héros par les artistes et dessinateurs contemporains qu’une exposition de planches. Et le regard porté sur le phénomène est plus sociologique que « bédéiste ». Comme l’indique la condition énoncée dans le titre, les curateurs ont choisi de déplacer les icônes, dans le temps et l’espace. Au rez-de-chaussée, après une galerie de portraits revenant sur les caractéristiques de Batman, Wonder Woman, Spiderman et Superman, les salles enchaînent les uchronies : et si les super-héros « portaient une fraise », « avaient des ancêtres », ou « combattu pendant la guerre » ? Les photographies de Sacha Goldberger plongeant les corps musclés et/ou robotisés dans l’univers raffiné de la peinture

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Les attentats du 11 septembre 2001 ont modifié la perception de l’héroïsme, entraînant une « normalisation des superhéros » et une « héroïsation des individus ». flamande du XVIIe siècle sont d’autant plus saisissantes que réalisées sans trucage. Ce n’est sans doute pas le cas des créations – très drôles – des Marvellini Brothers, deux artistes italiens qui ont fait des albums de famille de héros américains ou japonais leur spécialité, ou encore des montages d’Agan Harahap, intégrant les mêmes dans des clichés historiques. Au premier étage, les super-héros sortent de leurs cases et s’incarnent dans le monde réel. Partant du constat que les attentats du 11 septembre 2001 ont modifié la perception de l’héroïsme, entraînant une « normalisation des super-héros » et une « héroïsation des individus », l’exposition présente les séries réalisées par le Marseillais Benjamin Béchet et la Mexicaine Dulce Pinzón. Je suis Winnie l’ourson et La Véritable histoire des super-héros représentent Spiderman et ses semblables dans les tâches et les situations les plus ingrates, réservées dans la vraie vie aux invisibles (SDF, immigrés, Mexicains aux États-Unis…). Suit un reportage de Pierre-Elie de Pibrac, consacré aux Real Life Super Heroes, ces Américains – costumés – qui s’engagent


© Dulce Pinzon

« Bernabe Mendez, de l'État de Guerrero, est laveur de vitres à New York. Il envoie au Mexique 500 dollars par mois ». Photo de la série La Véritable histoire des Super-héros, réalisée par Dulce Pinzón en 2010.

bénévolement pour lutter au quotidien contre les incivilités et la violence. Des cosplayers au service des citoyens ! Des créations originales, réalisées pour l’exposition par dix dessinateurs français (de Clément Baloup à Lewis Trondheim), dialoguent avec les travaux des artistes et achèvent de faire tomber les masques.

Et si les super-héros... Jusqu’au 4 juin. Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône 20, rue Mirès, Marseille, 3e. 04 13 31 82 00. Entrée libre. www.biblio13.fr

LES ABD À L’HEURE DES SUPER-HÉROS Le programme associé à l’exposition est pléthorique. Outre les visites guidées ludiques (tous les samedis à 14h30 et 15h30), des « super-conférences » (La naissance des comics, le 11 mai à 14h) et des « super-ateliers » (les mercredis de 14 à 17h) ont été prévus pour les enfants. Les adultes ne sont pas en reste, et ont droit, eux aussi, à une série de conférences : Pourquoi notre monde a-t-il besoin de Super-héros ? (le 3 mai à 18h30) et Des Super-héros à Star Wars, petite leçon de philosophie héroïque et intergalactique (le 13 mai à 18h30). Une séance de ciné-philo sera organisée autour des X-Men avec Marc Rosmini (le 23 avril à 17h), puis un Christophe Blanc donnera un ciné-concert (Je suis Super, le 27 mai à 19 h). Enfin, tout le monde est invité à la clôture festive de l’événement, le soir du 3 juin : le Bal des super-héros. Entrée libre sur réservation pour tous les événements : 04 13 31 82 00 ou 04 13 31 82 18 (pour les ateliers).

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Le 9e art à Martigues

Martigues, ville bédéphile Au bout de l’étang de Berre, le dessinateur Yann Madé et une poignée de passionnés cultivent un terreau fertile pour la bande dessinée. À la MJC de Martigues, les expérimentations graphiques s’insèrent dans le tissu culturel de la ville. Texte : Julie Bordenave

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ci, le paysage culturel est vivifiant. Aux côtés d’une riche offre en spectacles vivants (site Pablo Picasso, théâtre des Salins, carnaval inventif), il existe ici un noyau féru de BD. L’actu dessinée se découvre via deux librairies spécialisées, L’Argonaute et L’Alinéa, ou à la médiathèque : un comité BD y sélectionne chaque mois des titres de qualité, mis en avant dans un webzine trimestriel thématique (www.mediatheque-martigues.fr, onglet « Musique/BD »), parfois en lien avec les événements accueillis, à l’instar de l’exposition en cours Paroles de poilus. Il y a aussi des auteurs martégaux, tels Thierry Lamy ou Yann Madé, qui anime depuis six ans un atelier BD à la MJC locale. Soucieux d’aborder la théorie avant la pratique, ce dernier travaille avec les « bibles » du genre (Scott Mc Cloud, Thierry Groensteen, Will Eisner) et prône une approche transversale, pour « élargir la focale à l’art contemporain, la philo ou la psy, comprendre le rapport des super héros au pouvoir, la construction du mythe... » Parmi ses adhérents, on retrouve des ados, mais aussi des adultes, qu’il s’agit d’accompagner dans une (re)découverte de la discipline : « Mon grand plaisir est que les participants retrouvent du plaisir au dessin. On arrête généralement de dessiner à l’adolescence, la BD permet de reprendre confiance. On travaille le lâcher-prise en dessinant sur des post-it, on trouve aussi des astuces : une adhérente a fait des photomontages de poupées Barbie, et expérimente cette année le dessin automatique au stylo bille, dans des sortes de diptyques assez étonnants autour de la nourriture. » L’autre marotte de Yann, c’est la danse, à laquelle il a consacré un album en 2014, Faire danser le golem : « Je vois un

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rapport évident entre les deux disciplines, au niveau du rythme, de l’espace, de l’incarnation de l’idée... Or, très peu d’albums explorent ce lien. Polina de Bastien Vivès est une réussite narrative, mais les postures des corps sont un peu figées à mon sens. À l’inverse, Baudoin ne parle pas du tout de danse, mais certaines séquences de ses BD sont littéralement dansées ! » Dans ses ateliers, Yann convie le théâtre pour des séances de training : « incarner des positions permet aux dessinateurs de comprendre comment les intentions se traduisent dans notre corps, pour mieux les redessiner. » Il expérimente aussi la scène avec ses adhérents, via l’organisation de concerts dessinés, et d’événements réguliers : soirée de soutien aux Fralib l’an dernier, autour de l’auteur marseillais Thomas Azuelos et de l’Arménie le 28 avril, ou encore cycle sur la BD engagée et du graphisme militant le 30 avril, en présence de Vincent Makowski.

Ateliers BD et récits graphiques, le mercredi de 18h à 20h. Soirée Le Fantôme arménien, le 28 avril, 18h30 (04 42 44 30 65). Cycle sur la BD engagée, le 30 avril, 14h30-17h30 (30 €). MJC, boulevard Émile Zola, Martigues. 04 42 07 05 36. www.mjc-martigues.com


© MJC de Martigues

Une séance de concert dessiné à la MJC de Martigues.

« On arrête généralement de dessiner à l’adolescence, la BD permet de reprendre confiance. »

CHER MOKTAR Paru en janvier dernier, Cher Moktar est le troisième album de Yann Madé. Ni manichéen, ni donneur de leçon, l’auteur y livre peurs et questionnements, pour sortir d’une paralysante incompréhension. Son enfance en cité, son installation, jeune parent, dans la cosmopolite Vitrolles... Une traversée fine et sensible de trente ans dans une France versatile, des premières manifs de « Touche pas à mon pote » aux attentats de 2015, à l’aune du sud de la France, baromètre de la montée des extrêmes. On y parle d’ethnopsychiatrie, de Hanna Arendt, de dissolution d’utopies politiques dans le crédit la consommation, et de nécessaires lucidités pour éviter de céder aux instrumentalisations de tous bords. La boîte à bulles, 96 pages, 11€ . www.la-boite-a-bulles.com

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PORTFOLIO

Imago

IMAGO, PORTRAITS PHOTOGRAPHIQUES Texte : Emmanuelle Gall

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ous l’impulsion de sa conservatrice, Pascale Picard, le musée Réattu poursuit l’exploration de son fonds photographique, estimé à plus de 5000 pièces. Après l’exposition Oser la photo en 2015, qui revenait sur la création de la collection en 1965 et son histoire, Imago questionne le genre du portrait. Genre majeur, dès la naissance de la photographie, il est à la croisée de démarches très diverses, documentaires et/ou artistiques. Portraits de stars ou d’inconnus, officiels ou intimes, autoportraits… la centaine de tirages présentés dans l’exposition, en noir et blanc pour la plupart, témoignent de l’obsession des photographes à saisir la figure humaine dans tous ses états. Certains d’entre eux, de Denise Colomb à Jean-François Bauret, ont aimé prendre pour modèles des peintres, écrivains ou même photographes et ont ainsi contribué à faire du portrait d’artiste un genre en soi. Ce portfolio les met à l’honneur et s’ouvre sur une photographie du peintre Bram van Velde, réalisée en 1960 par Jean-François Bauret, auquel le musée Réattu rend hommage à l’occasion d’Imago. Désormais présent dans la collection du musée grâce à un don de son épouse, le portraitiste disparu en 2014 disait entretenir avec ses modèles une relation qui prend tout son sens quand il s’agit d’artistes : « Les gens que je photographie ne doivent pas rester passifs, je fais appel à leur créativité pour qu’ils soient les coauteurs de mes images. C’est une partie de moi-même que j’explore à travers eux, en leur demandant d’exprimer ce que je suis incapable d’exprimer moi-même ».

Jusqu’au 5 juin. Musée Réattu, 10, rue du Grand Prieuré, Arles. 04 90 49 38 34. 6-8 €.

WWW.

© J.F Bauret

museereattu.arles.fr

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Jean-François Bauret, Bram van Velde, 1960.


Š Juliette Parisot

Juliette Parisot, Jean-François Bauret, mai 2011.


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Beaumont Newhall, Paul Strand shopping, 1968, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Dépôt des Rencontres, 2002.


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Julia Pirotte, Picasso, Wroclaw (Pologne), 1948, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Dépôt des Rencontres d’Arles, 2005.


© Willy Ronis / Gamma Rapho

Willy Ronis, Picasso, été 1950, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Don de l’artiste, 1973.


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Georges Tourdjman, Man Ray, 1972, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Don de l’artiste, 1975.


© Photographie Jean Dieuzaide

Jean Dieuzaide, Dali dans l’eau, 1953, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Dépôt des rencontres d’Arles, 2002.


DR

Denise Colomb, Max Ernst, 1954, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Don de l’artiste, 1993.


DR

Gisèle Freund, Pierre Bonnard, Le Cannet, 1946, épreuve argentique, Coll. Musée Réattu-Arles, Don de l'artiste, 1977.


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P.88 ENFANTS P.84 EXPOS P.80 MUSIQUES P.76 SCÈNES

© Sam Taylorjohnson, courtesy white cube

P.74 L'ÉVÉNEMENT

AGENDA

CU LTU RE L

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ROCCO, UN COMBAT SANS VAINCU Dans un spectacle très librement inspiré du film de Visconti, Rocco et ses frères, le Ballet national de Marseille entremêle les univers de la danse et ceux de la boxe. Une œuvre percutante. Texte : Fred Khan

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e public s'installe autour du ring noir où deux boxeurs se font face. Chacun dans son coin attend le gong. Ils sont nimbés par la fumée de leurs cigarettes, preuve que nous sommes bien dans la fiction. Le décalage s’accentue encore quand surgissent deux espèces de Mickey, des « chauffeurs de salle », qui entament une pantomime ridicule, plus proches de Walt Disney que de Mike Tyson. Rocco, le spectacle chorégraphique imaginé par Emio Greco et Pieter C. Scholten, débute ainsi par un prélude assez convenu qui pourrait laisser penser, à tort, que la performance va relever du seul registre comique. Cette entrée en matière peut être comprise comme une mise en garde : toute forme de représentation ne peut échapper à une contamination insidieuse du consumérisme. Quoi qu'il arrive, the show must go on. L'un des nombreux enjeux du combat qui se déroule devant nous concerne la lutte entre l’imaginaire et la marchandisation, semble nous dire les auteurs du spectacle. Et l'imagination va gagner par KO. En douceur tout d'abord. Les deux protagonistes – il pourrait s'agir de deux frères ou de deux amants – sont maintenant au centre du ring. Pris dans un cône de lumière, ils se jaugent. Le « match » relève alors essentiellement d’un jeu de séduction/répulsion réciproque. Contorsions, entrechats, tensions et relâchements du corps, ce round d’observation transpire la sensualité. Les deux artistes dansent en miroir l’un de l’autre. Ils ne vaincront jamais cette altérité qui les maintient à distance. D'ailleurs, ne lutte-t-on pas d'abord contre soi-même ? Le spectacle traversera encore bien des états émotionnels. Dont le rire. Aux éclats même, grâce à un « entracte » désopilant. Mais la représentation basculera aussi (et surtout) progressivement dans la violence…. Symbolique bien

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PAS DE DOUTE, NOUS NE SOMMES PAS DANS LE SIMULACRE MERCANTILE, MAIS, AU CONTRAIRE, DANS UNE TENTATIVE DE DÉPASSEMENT DES LIMITES DE LA REPRÉSENTATION. sûr. Quand deux nouveaux danseurs investissent le ring, l'opposition devient plus âpre. Désormais, les codes de la boxe détournés par la danse évoquent sans ambiguïté la lutte pour survivre. Et cet art de l’esquive et de la résistance aux coups s’incarne dans une gestuelle à la virtuosité assez époustouflante. La chorégraphie nous prend aux tripes, les deux performeurs sur le plateau donnent vraiment l’impression d’être engagés de toute leur âme dans le combat qu’ils livrent devant nous. Pas de doute, nous ne sommes pas dans le simulacre mercantile, mais, au contraire, dans une tentative de dépassement des limites de la représentation. Pourquoi cet affrontement est-il aussi émouvant ? Parce que nos fragilités assumées en ressortent largement gagnantes.

Rocco Le 27 mai, 20h30. Salle Guy Obino, rue Roumanille, Vitrolles. 04 42 02 46 50. 6-10 €. www.vitrolles13.fr


© Thierry Hauswald

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SCÈNES

YVONNE, PRINCESSE DE BOURGOGNE

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Pour sa deuxième mise en scène, Édith Amsellem s’empare de la pièce maîtresse de Witold Gombrowicz, dont l’héroïne – mutique – est livrée à la folie perverse d’une famille royale. Mue par le même désir de travailler avec « la symbolique des espaces publics » qui l’avait amenée à créer Les Liaisons dangereuses sur terrain multisports en 2012, elle a choisi de faire évoluer les comédiens sur les châteaux-toboggans de cour d’école ou de jardin public. Lieux d’affrontement et théâtres de la cruauté, bien plus que terrains de jeux innocents. Dans cette cour de fantaisie, le prince, le couple royal et leur entourage offrent le spectacle, souvent burlesque, de l’arrogance et du cynisme des puissants. Mais la tragédie envahit la farce, au fil des affronts subits par Yvonne, passant peu à peu du statut de catalyseur des pulsions à celui de bouc-émissaire. En écho à la partition allègrement désaxée de Francis Rugirello, les corps s’affolent dans un ballet qui tient de la performance. Parce qu’elle est, à chaque représentation, jouée par une comédienne différente,

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volontairement tenue à l’écart des répétitions, Yvonne change de visage et de personnalité. Marianne Houspie, jouant le double rôle de chambellan et metteure en scène, la dirige en direct. Ce parti risqué, pris par Édith Amsellem dans l’intention de voir les différentes Yvonne « éclabousser de leur passage ce qui a été travaillé, prévu », a également pour effet d’amplifier l’implication du spectateur, jusqu’au malaise. Roturière chez les aristocrates, petite dans la cour des grands, Yvonne est un miroir. E.G. Le 20 mai, 19h. Théâtre Massalia, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 75. 6-8 €. www.theatremassalia.com Le 21 mai, 18h30, et le 22 mai, 17h30. Théâtre du Merlan, avenue Raimu, Marseille, 14e. 04 91 11 19 20. 3-15 €. www.merlan.org

© JM Coubart

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© Sam Taylor Johnson

© Eric Chevalier

SCÈNES

UNE MOUETTE

TENDANCE CLOWN Le clown vous effraie, vous ennuie, vous indiffère ? Le festival du Daki Ling est, chaque année, l’occasion de sabrer les clichés, en constatant que le clown contemporain est toujours beaucoup plus malin et dérangeant qu’on ne peut l’imaginer. Rebelote avec une 11e édition pleine de panache, en présence de monstres sacrés : Michel Dallaire, qui a marqué de ses épais favoris l’évolution de la discipline, commentera un film sur sa carrière, du Cirque du Soleil à l’école du Hangar des mines ; Proserpine, après avoir frayé avec

Catherine Dolto, présentera sa conférence sur le rire ; le grand Boris Arquier baladera errements métaphysiques et beatboxing (Microsillon) dans la fabuleuse école Saint Thomas d’Aquin, rouverte exprès pour l’occasion par l’association Juxtapoz ! Tendance clown, c’est aussi de la magie mentale, du jonglage, du théâtre de rue… Bref, une belle ouverture sur l’actualité des arts de la rue et du cirque, avec focus sur les compagnies locales (L’agonie du palmier, Cirk Biz’art...), pour célébrer dans la joie grinçante l’arrivée des beaux jours. J.B.

Du 1er au 16 mai. Daki Ling et autres lieux, 45A, rue d'Aubagne, Marseille, 1er. 04 91 33 45 14. 6-13 €. www.dakiling.com

Hubert Colas nous invite à pénétrer dans un labyrinthe truffé de miroirs déformants. Non pour se perdre, mais pour participer à la diffraction d'une œuvre déjà mille fois jouée et autant de fois commentée. Le défi ne concerne pas LA Mouette de Tchekhov, mais UNE Mouette réécrite par six auteurs contemporains (Édith Azam, Liliane Giraudon, Angélica Liddell, Nathalie Quintane, Jacob Wren, Annie Zadek). Il sera toujours question du pouvoir de la littérature, d'émotions, de déchirements, de dérision et, bien sûr, d'amour. En somme, comme toujours avec Tchekhov, des situations terriblement anecdotiques qui « traduisent l’état intime des êtres ». F.K. Du 26 au 30 avril, 20h30, le 27, 19h. Théâtre du Gymnase, 4, rue de Théâtre Français, Marseille 1er. 08 20 13 20 13. 9-19 €. www.lestheatres.net

CHTO, INTERDIT AUX MOINS DE QUINZE ANS

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La dramaturge Sonia Chiambretto dit écrire en « langue française étrangère ». Elle tire de sa rencontre avec l’autre la matière de textes à la fois très oraux et très écrits. Chto (« quoi » en russe), rapporte le témoignage de Sveta, une jeune Tchétchène que l’exil a conduite de Grozny à Marseille. À peine écrite, en 2007, la pièce a été montée par Hubert Colas. Elle est aujourd’hui reprise par la comédienne-chanteuse Fanny Avram et le compositeur Frédéric Jouanlong, dans une version où le corps et la voix « prennent le relais des mots », « cherchant à traduire la censure et l’autocensure gravée dans le corps, en transposant les signes du texte par des signes corporels qui imposeraient le silence. » E.G. Le 27 avril, 20h30. Théâtre des Bernardines, 17, boulevard Garibaldi, Marseille, 1er. 08 20 13 20 13. 15 €. www.lestheatres.net

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SCÈNES © Sébastien Laurent

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LE TEMPS DES ENVOLÉES La scène nationale du Merlan a récemment changé de directrice, mais pas de philosophie. Francesca Poloniato mise sur « la présence, l’ouverture et le partage » et cherche, par tous les moyens, à aiguiser notre curiosité. Elle initie ainsi, pendant un week-end, dans et hors les murs du théâtre, un festival de petites formes… sensibles, mais ludiques. Les spectacles vous paraissent souvent trop longs ? Les « danses d’une minute » d’Aline Nari devraient vous ravir. Vous hésitez à franchir le seuil d’un théâtre ? Les « Miniatures chorégraphiques » de la

LA MÈRE Florian Zeller a construit une mécanique théâtrale impitoyable. Et parfaitement amorale, puisqu'elle laisse au spectateur l'entière responsabilité de juger les protagonistes. Catherine Hiegel est éblouissante dans la peau d’une femme vieillissante qui, ayant perdu son rôle de mère, cherche désespérément à donner un nouveau sens à sa vie. La mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, tout en préservant la part d'ombre des personnages, arrive à rendre le jeu des comédiens limpide. L'incertitude devient le ressort principal de cette pièce qui, de rebond en rebond, nous entraîne toujours plus loin dans les méandres de l'âme humaine. Et toujours plus loin d'une vérité univoque et rassurante. F.K. Du 17 au 21 mai, 20h30, le 18, 19h. Théâtre du Jeu de Paume, 17-21, rue de l'Opéra, Aix-en-Provence. 08 20 13 20 13. 9-35 €. www.lestheatres.net

compagnie Pernette et le solo de danse aérienne créé par Fanny Soriano et interprété par Kamma Rosenbeck prennent leur essor dans le cadre du parc de Font Obscur. Michel Kelemenis, lui, offre de précieuses minutes d’écoute musicale dans la galerie marchande du Carrefour. Et si vous avez envie de changer de décor, alors rendez-vous dans les cours d’école du quartier pour découvrir une version « sur château-toboggan » d’Yvonne Princesse de Bourgogne (lire page 76). F.K.

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Le 21 mai au théâtre du Merlan et alentours. Le 22 mai à Klap et alentours. 04 91 11 19 30. Entrée libre. www.merlan.org

DUST Un tel CV éveille la curiosité. Roderick George a déjà collaboré avec quelques-uns des chorégraphes les plus audacieux du XXIe siècle (Marie Chouinard, Peeping Tom, Jiri Kyliàn, Sharon Eyal). Et pour couronner ce parcours assez exceptionnel, en 2014, il a intégré la compagnie de William Forsythe. Aujourd'hui, il endosse à son tour le costume de chorégraphe-performer. Dans ce premier projet, coproduit par le ballet Preljocaj, il développe un concept original alliant mouvement stylistique et compositions musicales d’un Dj. L'enjeu : « Mettre en émoi tous les sens des spectateurs par l’évocation d’une puissance spirituelle, d’un esprit hors d’atteinte ». Une énergie très communicative ? F.K. DR

Les 19 et 20 mai, 20h30, le 21, 19h30. Pavillon noir, 530, avenue Mozart, Aix-en-Provence. 04 42 93 48 00. 8-20 €. www.preljocaj.org

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© Fanny Gonin

SCÈNES

LE JOUR DU GRAND JOUR Le Théâtre Dromesko charrie avec lui tout un pan, déjà mythique, du cirque contemporain. Après avoir participé aux aventures fondatrices des cirques Zingaro et Aligre, Igor et Lily écument les routes depuis vingt-cinq ans. Le couple a su déployer un univers unique autour de campements forains (baraques et chapiteaux pensés avec l’architecte Patrick Bouchain) et d’oiseaux légendaires. Leur Volière (1990) a moult fois fait le tour de l’Europe, avec notamment son inoubliable marabout, élégante apparition ailée, long bec emmanché d’un long cou. Pour sa neuvième création, la compagnie rejoue les cérémonials qui jalonnent un chemin de vie. Mariage, baptême ou enterrement, on s’amuse ici à singer les grands rites sociaux. Pour une immersion totale, le dispositif est bifrontal, permettant au public de se mêler aux artistes, comme dans une salle de fêtes fantasque. Les Dromesko savent donner naissance à des images fortes, à la fois oniriques et très brutes. On ressort toujours un peu secoués de leurs spectacles, pétris d’émotions fortes. J.B. Du 14 au 18 juin, 20h30. Place des Aires, Martigues. 04 42 49 02 00. 8-18€. www.les-salins.net

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Plus que jamais, l’édition 2016 du festival Les Musiques est celle de la fusion. Celle tout d’abord entre le Gmem, dirigé par Christian Sebille, et du Grim de Jean-Marc Montera. Association nouvellement implantée à la Friche la Belle de Mai mais qui, pour l’événement, s’en va vadrouiller dans tout Marseille et même jusqu’à Cassis. Croisement de lieux, de sons et de publics, avec en filigrane, une réflexion posée sur les questions de l’éphémère, de l’immédiateté et de l’improvisation. La transmission et l’échange, figures de proue du festival seront, une nouvelle fois, au cœur d’une quarantaine d’événements (dont huit créations), à découvrir entre des soirées d’ouverture et de clôture alléchantes et aptes à déplacer les mélomanes comme les curieux. On commence donc avec une « Belle expérience » à la Criée, face au Vieux-Port. L’occasion pour le spectateur de choisir librement son parcours parmi trois propositions, mettant en scène les arts sonores sous toutes leurs formes : déambulation, installation, dispositif, jeu, performance… Quant au double final, il sera placé sous le signe du transgenre musical, avec cette autre fusion, entre les sons des Français de 2e2m, reconnus pour leur « musique savante », et les rythmiques électros des Allemands de Zeitrkratzer. Ensemble, ils revisiteront – en version acoustique – le Metal Machine Music de l’éternel Lou Reed. Ces derniers reprendront, le lendemain, les deux premiers albums de leurs compatriotes Kraftwerk, qui avaient donné ses lettres de noblesse au style de la pop électro dans les années 1970. Culte. C.C. Du 14 au 22 mai. Divers lieux à Marseille et Cassis. 04 96 20 60 10. 4-12 euros. www.gmem.org

© David Heerde

MUSIQUES

LES MUSIQUES : EXPÉRIENCES FUSIONNELLES


© Youri Lenquette

MUSIQUES

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BA CISSOKO

KENNY GARRETT

Cela fait plus de dix ans que le griot guinéen fait entendre à Marseille les mélodies de sa kora électrifiée, mêlant la tradition mandingue à la modernité contemporaine. Il revient cette fois avec un nouvel album Djéli, qui traduit musicalement cette relation riche, complexe, parfois douloureuse entre l’Occident et l’Afrique, dont il est autant le témoin que le médium, le conteur que le sujet. Ba Cissoko nous fait voyager à travers l’Afrique d’aujourd’hui entre balades blues (« Loumo »), jazz et scat (« Djoulou Diata »), reggae (« Politiki ») et afro beat (« N’tenlebidgé »). Cette quête musicale traduit la quête d’identité d’un continent qui se cherche un chemin entre avenir mondialisé et héritage ancestral. O.L.

Le 26 avril, 20h30. Théâtre des Salins, 19, quai Paul Doumer, Martigues. 04 42 49 02 00. 15-38 €. www.theatre-des-salins.fr

Le 13 mai, 20h30. Espace Julien, 39, cours Julien, Marseille, 6e. 04 91 24 34 10. 12 €. www.espace-julien.com

De ses débuts, en 1978, au sein du Duke Ellington Orchestra (dirigé par Mercer Ellington, le fils du maître), le saxophoniste Kenny Garret, a conservé un sens certain de la mélodie empreinte d’une indicible nostalgie (« Sing a song of song »). En onze albums et quelques collaborations prestigieuses (Miles Davis, Art Barkley, Marcus Miller entre autres), il est indéniablement devenu l’un des plus grands saxophonistes de ces trente dernières années. Sa musique, nourrie d’influences multiples à l’image de la ville qui l’a vu naître, Detroit, évoque tout aussi bien le lyrisme envoûtant

de Coltrane (« 2 Down and 1 Across ») que les expérimentations rythmiques de Miles Davis (« Pushing the wolds away »). Pour Kenny Garret, le jazz est avant tout prétexte à la rencontre, avec le gospel, le funk (« Wiggins ») ou le rap, mais aussi l’Afrique, l’Asie (« Tsunami song »), ou Cuba (« Chucho’s Mambo »). Et, au-delà, la rencontre avec le public : « Ce qui m’intéresse c’est de voir comment les gens réagissent à ma musique ». L’invitation est donc lancée. O.L.

© Olaf Heine

MODERAT Née en 2002, d’une collaboration entre les ex-Allemands de l’est Modeselektor et le producteur DJ Apparat, l’électro-techno berlinoise de Moderat tient dans un délicat équilibre entre ambiance atmosphérique et efficacité rythmique. Première reconnaissance, en 2012, le morceau « A new error » s’invite sur la BO du film Laurence Anyways de Xavier Dolan. Leurs sonorités à la fois sombres et rondes nous transportent à l’origine de l’électro des années 80, décidément à la mode (Kavinski, The xx…) à la musicalité brute et texturée. On reçoit leurs compositions comme une invitation à danser seul, enfermé en soi, dans une cave, par jour de pluie. Et on se surprend à y prendre du plaisir. Une sorte de grand frère dépressif de M83. O.L. Le 30 avril, 21h. Cabaret aléatoire, 41, rue Jobin, Marseille 3e. 04 95 04 95 09. 15-38 €. www.cabaret-aleatoire.com

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SOIRÉE GRAVITATIONS

« La scène c’est notre came », affirmaientils en 2013, peu avant leur show au Moulin. Eux, ce sont les marseillais de Deluxe, des types décalés et moustachus accompagnés, aux vocalises, de la détonante Liliboy. Depuis, le groupe a parcouru un sacré chemin, enchaînant les concerts à l’international et multipliant les feats en tous genres. Leur dernier opus, Stachelight, les voit collaborer avec M sur le groovy « Baby that’s you » et le remuant « Wait a minute », la reggaeman germano-nigeriane Nneka le temps d’un déroutant « Bonhomme »

et les prestigieux phocéens IAM dans l’éclectique « À l’heure où », qui brasse atmosphère Nouvelle Vague, slam et un refrain aussi entêtant que sensuel. Le signe d’une mixité fédératrice et d’une maturité qui pointe le bout de son nez, chez des artistes qui déclaraient, lors de l’Année capitale, « vouloir livrer des compositions sans message ». Un temps qui semble en partie révolu, tant les apports de leurs invités donnent de l’épaisseur à des morceaux destinés à faire monter d’un cran la température de la prochaine période estivale. C.C.

Le 20 mai, 20h30. Théâtre du Merlan, Avenue Raimu, Marseille, 14e. 04 91 11 19 20. 3-15 €. www.merlan.org

Le 30 avril, 20h30. Dock des Suds, 12, rue Urbain V, Marseille, 2e. 04 91 99 00 00. 22 €. www.dock-des-suds.org

DIDIER SUPER

Responsable du « plus mauvais disque du monde et de tous les temps » selon le Télérama de 2004, ou performeur de génie selon celui de 2006 ? Provocateur cynique et vulgaire, ou chantre inspiré de l’anti-politiquement correct ? Faux outsider ou vrai punk ? Olivier Haudegond alias Didier Super, avec son allure de cas social binoclard engoncé dans d’improbables cols roulés en acrylique, est tout cela à la fois. Depuis seize ans, il tient foutraquement le rôle du fou du roi anarcho-punk d’une industrie du spectacle dont il révèle, in fine, les vrais artifices déplorables par une mise en abime ringardo-sarcastique. On va à un concert de Didier Super pour expérimenter des niveaux jusque-là insoupçonnés de second degré. O.L.

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Le 20 mai, 20h30. Théâtre du Merlan, Avenue Raimu, Marseille, 14e.04 91 11 19 20. 3-15 €. www.merlan.org

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© Marikel Lahana

DELUXE

Impossible de passer à côté de Fred Nevche. À la fois chef de file de la compagnie Internexterne et organisateur d’événements musicaux, l’homme est surtout un artiste talentueux. Entre ses compositions et ses reprises de Prévert, il est difficile de ne pas succomber à son énergie scénique et à son flow de paroles poétiques. En résidence au Merlan (il fait partie de la Bande constituée par la directrice Francesca Poloniato), le Marseillais donnera un aperçu de ses derniers titres, « entre rock, slam et chanson », avant de laisser la scène à son invité, le phénomène Jeanne Added, dont l’univers fait de pop, d’électro et de punk n’en finit plus de déchaîner les foules, des Transmusicales de Rennes à la Cigale Parisienne. C.C.


© Zoriah

MUSIQUES

L’ÉDITION FESTIVAL

© Didier D Daarwin

Lancé l’année dernière, le festival se démarquait de la concurrence en changeant les habitudes des mélomanes. Le concept ? Des lieux atypiques, au soleil couchant, bercés par des concerts hype. La déambulation de cet « an II », toujours organisé par un quatuor de structures (la coopérative Internexterne, Borderline, la Sas Concert et les Parisiens de The Talent Boutique), promet à nouveau d’être fédératrice et de montrer Marseille sous son meilleur jour. En ouverture, les regards se tourneront vers la douce princesse soul Yael Naim au château Borely, tandis que la soirée de clôture offrira le son « synthétique et hypnotique », résolument cold wave, de La Femme. Groupe également réputé pour son look rétro et l’esthétique de ses lives. Le décalage de leurs morceaux débridés avec l’esprit de la Vieille Charité promet d’être tonitruant. À l’image de ces nuits printanières, qui se concluront sur des DJ Sets, si possible en rooftop, histoire de voir toujours plus haut. C.C. Du 26 au 29 mai, divers lieux, à Marseille. 15 – 25 €. www.ledition-festival.fr

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SORTIR

LE PRINTEMPS DE L’ART CONTEMPORAIN

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8 e art magazine • hiver printemps 20162016

Du 5 au 28 mai. Divers lieux à Marseille et Aix-en-Provence. Renseignements : 09 50 71 13 54. Programme complet : www.pac.marseilleexpos.com

© Thomas Teurlai - Photo : Fabrice Gousset

EXPOS

Inutile, cette année, de chercher une destination exotique pour le pont de l’Ascension, le programme du huitième Printemps de l’Art Contemporain offre la promesse de multiples expériences esthétiques et voyages, en Corée notamment. Au fil des ans, la manifestation (qui affiche désormais plus de 45 expositions) ne cesse de prendre de l’ampleur et de l’espace, emmenant les amateurs d’art jusque dans les quartiers nord et même à Aix, au 3 bis f. L’autre nouveauté, c’est la diversité des formats proposés : au-delà des expositions organisées dans les 37 structures du réseau Marseille expo et chez leurs confrères, la programmation prévoit des sorties de résidence, des workshops, des visites d’ateliers, des rencontres, mais aussi des performances et soirées musicales. Au week-end de lancement, réparti sur quatre jours et quatre quartiers, s’ajoute un deuxième temps fort, du 12 au 14 mai, au parc de la Maison Blanche (festival Arts Éphémères), dans les quartiers nord et au Panier, avec la traditionnelle Nuit de l’instant proposée par les Ateliers de l’Image. Enfin, la Corée s’invite à Marseille à travers une dizaine de propositions, allant d’expositions dans des institutions telles que le MAC ou le FRAC au Soup project de Seulgi Lee, « à voir et à déguster » à la galerie HO. Ceux que l’art contemporain intimide ou qu’un tel programme effraie peuvent opter (gratuitement et sur réservation) pour le mode « voyage organisé » : huit « circuits du printemps » de deux heures leur proposent de découvrir, en compagnie d’un guide, quelques-uns des lieux participant à l’opération pendant le week-end d’ouverture. E.G.


Courtesy Meessen De Clercq & Lieven de Boeck

© Hamonic + Masson, Sergio Grazia

EXPOS

VERS DE NOUVEAUX LOGEMENTS SOCIAUX

LIEVEN DE BOECK, IMAGES NOT FOUND L’artiste belge s’amuse des formes et signaux qui émaillent notre quotidien : drapeaux vidés de leurs couleurs (White Flags), injonctions, typologies urbaines... Pour sa première exposition en France, il condense dix ans de travaux, et se livre à des mises en abyme ironiques, comme cette éponyme Image not found, ou ce Défense d’afficher en néon bleu électrique. Une large part est faite au jeu, comme un clin d’œil à l’intenable étau qui enserre l’homme, entre aléatoire et libre arbitre : jeux combinatoires de lettres et de chiffres,

jeux de construction (Série bleue faisant référence aux Légo de notre enfance). Jeux de regard aussi : nombreux objets en verre sculptant la lumière, ciel bleu immaculé projeté sur les murs de l’exposition, comme un appel au dehors en écho à l’architecture sinueuse de Kengo Kuma. Car l’artiste a cette particularité d’être aussi architecte, et ses références en appellent à Neufert comme à Le Corbusier. Jeu dans le rapport à la muséographie enfin, via des performances quotidiennes incitant à nouer une autre relation à l’oeuvre. J.B.

Jusqu’au 5 juin. FRAC PACA, 20, boulevard de Dunkerque, Marseille, 2e. 04 91 91 27 55. 2,50-5 €. www.fracpaca.org

Deuxième volet d’une thématique entamée en 2009, cette exposition (accueillie à la Cité de l’Architecture de Chaillot en 2012) se concentre sur seize projets français novateurs en matière de logement social, du Château social de Borel à Béthune au Tout Beau de Ricciotti à Mérignac, en passant par les Microchirurgies parisiennes de Moussafir et Tachon. Son objectif : cerner les enjeux actuels, entre mixités sociale et d'usage, constructions en centreville ou en milieu rural. Comme tout logement social est une réponse à un contexte, l’exposition propose aussi une analyse historique, un bilan récent, un focus sur le logement étudiant et un panorama européen. J.B. Jusqu’au 4 mai. Maison de l’Architecture et de la Ville, 12, boulevard Théodore Turner, Marseille, 6e. 04 96 12 24 13. Entrée libre. www.ma-lereseau.org/paca/

DÉLICATEMENT BRUTAL

© Nassyo

Installée depuis 2013 au cœur du marché aux puces des Arnavaux, la galerie Saint-Laurent entend jeter des ponts entre arts contemporain et urbain. Après deux éditions du Marseille Street Art Show, la galeriste Catherine Coudert expose huit artistes issus du graffiti, mêlant générations, nationalités et techniques (bombes, pinceaux, crayons, infographie, collages...) : Dire et ses portraits de femmes, El Diablo et sa culture punk hip-hop, mais aussi Méo, Dok, Geb74, Nassyo, Zest ou encore Ripley, désormais reconvertie dans le tatouage. J.B. Jusqu’au 30 avril. Galerie Saint-Laurent, 130, chemin de la Madrague-Ville, Marseille, 15e. 04 91 47 45 70. Entrée libre. www.galeriesaintlaurent.com

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EXPOS

BEAU GESTE, HANS HARTUNG

Considéré comme l’un des fondateurs de l’abstraction lyrique, Hans Hartung n’est pas à la mode. La double exposition que lui consacre, à Aubagne, Fabrice Hergott pourrait bien changer la donne et permettre de (re)découvrir l’œuvre de cet artiste engagé, dans tous les sens du terme. Plutôt qu’une monographie, le conservateur a opté pour deux gros plans sur des périodes décisives de sa carrière. « En venant combattre en France en 1944, Hartung était convaincu qu’il allait mourir. Je crois que l’œuvre de cette époque portait déjà la dimension testamentaire

qu’ont ses dernières toiles…, explique Fabrice Hergott, son art est bout en bout un art de la libération : libération physique, psychologique et mentale, libération de la couleur et du dessin ». Le musée de la Légion étrangère présente ainsi une quarantaine d’œuvres, figuratives pour la plupart, réalisées entre 1939 et 1945, période pendant laquelle Hartung s’engage à deux reprises dans la légion pour combattre les nazis. Au Centre d’art les Pénitents noirs, sont accrochées 17 acryliques peintes, à la veille de sa mort, entre le 11 et le 16 juillet 1989. E.G.

CODY CHOI, CULTURE CUTS Dans le cadre de l’année « FranceCorée », le MAC accueille une rétrospective de Cody Choi, un artiste multimédia (né en 1961) qui a passé sa vie entre son pays d’origine et les ÉtatsUnis, où il a rencontré son mentor Mike Kelley. Cette double appartenance l’a amené à faire de la mondialisation et du « choc des cultures » son sujet de prédilection. Considérant que « malgré d’innombrables échanges culturels, nous avons connaissance les uns des autres, mais nous ne nous comprenons pas. C’est comme si nous mangions de la nourriture, sans la digérer », il revisite et manipule, non sans ironie, les formes et les images puisées dans l’histoire de l’art occidental comme dans les médias. E.G. Jusqu’au 28 août. [MAC], 69, avenue d'Haïfa, Marseille, 8e. 04 91 25 01 07. 5-8 €. www.culture.marseille.fr

Jusqu’au 28 août. Musée de la Légion étrangère et Centre d’art les Pénitents noirs, Chemin de la Thuilière et les aires Saint-Michel, Aubagne. 04 42 18 10 99 et 04 42 18 17 26. Entrée libre. www.hanshartung-aubagne.net

© Carl Andre collection Josee et Marc Gensollen

LES POSSÉDÉS I Premier volet d’un diptyque destiné à « révéler la place de première importance des collectionneurs de la région dans la vitalité de la création contemporaine française et internationale », l’exposition introduit onze œuvres minimalistes dans les collections permanentes du Château Borély. Plaques de cuivre ou d’aluminium de Carl André, néons de François Morellet, monochromes de Claude Rutault ou Jean-Luc Moulène… côtoient donc les meubles, faïences et autres objets d’art – plutôt baroques et rococo – du musée. L’anachronisme est d’autant plus intéressant que ces œuvres appartenant à collectionneurs contemporains dialoguent avec des objets réunis, en d’autres temps, par leurs prédécesseurs Jules Cantini ou Nicolas Zarifi. E.G. Jusqu’au 15 mai. Château Borély, 132, avenue Clot Bey, Marseille 8e. 04 91 55 33 60. 3-5 €. www.culture.marseille.fr

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© Cody Choi

© Hans Hartung

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William Turner - Tate, London, 2015

EXPOS

© Didier D Daarwin

TURNER ET LA COULEUR C’est une grande première ! Une centaine de Turner exposés à Aix-en-Provence, et parmi eux, une série d’aquarelles exécutées par l’artiste dans la région, lors de ses voyages de 1828 et 1838. Si le jaune domine souvent dans les plages et marines peintes par Turner en Angleterre ou dans le Nord de la France, il voit rouge en Méditerranée. À Antibes et Marseille, sa palette prend feu ! Ces aquarelles, inédites en France, ne sont pas les seuls chefs-d’œuvre de l’exposition organisée par l’Hôtel de Caumont, en collaboration avec le Turner Contemporary, une institution anglaise créée en 2011 à Margate, dédiée à l’artiste et sa postérité. À la fois chronologique et thématique, cette monographie a été conçue par Ian Warrell, l’un des plus grands spécialistes du peintre, et bénéficie de prêts exceptionnels de la Tate Gallery comme de collectionneurs privés. Mieux vaut donc ne pas attendre l’été et ses foules de touristes pour aller la voir. E.G. Du 4 mai au 18 septembre. Hôtel de Caumont, 3, rue Joseph Cabassol, Aix-en-Provence. 04 42 20 70 01. 9,50-12 €. www.caumont-centredart.com

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ENFANTS © Brigitte Pougeoise

SORTIR

L’APRÈSMIDI D’UN FOEHN Séance de rattrapage pour les Aixois et/ou ceux qui auraient raté les spectacles de la jongleuse Phia Ménard à la Criée en janvier dernier. L’Après-midi d’un foehn est un ballet pour sacs plastiques, traitant de la perte de la beauté. Animées par le souffle de multiples turbines, les nymphes colorées virevoltent sur la musique de Debussy, volant peu à peu la vedette à l’artiste en scène. À noter : le 23 avril, trois ateliers d’arts plastiques sont proposés à l’issue des représentations. J.B. Du 20 au 23 avril. Pavillon noir, 530, avenue Mozart, Aix-en-Provence. 04 42 93 48 00. 6-9 €. www.preljocaj.org

Ceux qui ont lu la nouvelle écrite par Jean Giono en 1953 ou vu le film d’animation réalisé par Frédéric Back le savent : L’Homme qui plantait des arbres est une perle rare, un manifeste écologique et philosophique d’une grande poésie. Sur les terres hostiles de Haute-Provence, le narrateur rencontre le berger Elzéard Bouffier, un homme solitaire qui trie et plante les glands qu’il ramasse. Au fil des ans, la région reboisée ressuscite. Après un séjour en Haïti, Greta Bruggeman et Sylvie Osman

ont eu envie de raconter cette histoire au moyen de marionnettes à gaine chinoises et d’un décor fait de matériaux recyclés. Porté par deux comédiens marionnettistes, le spectacle fait l’unanimité depuis sa création en 2013. Cerise sur le gâteau, le matin de la représentation, la compagnie propose un atelier « parents-enfants », pour « découvrir le corps de la marionnette à travers le corps de l'acteur-manipulateur et permettre ensuite à ce corps/marionnette d'agir dans l'espace ». E.G.

Le 30 avril, 15h. Théâtre des Salins,19, quai Paul Doumer, Martigues. 04 42 49 02 00. 8-12 €. www.les-salins.net

© Jean-Luc Beaujault

L’HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES

© Nicolas Joubard

PLUS J’AVANCE, PLUS LE CHEMIN S’ÉTIRE

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Basé à Rennes, Hervé Lelardoux a été invité à imaginer le Quartier créatif d’Aubagne en 2013. Au sein de la compagnie du Théâtre de l’Arpenteur, il peaufine depuis quinze ans un travail sur les « villes invisibles », ces « villes qui nous habitent », en hommage à Italo Calvino. Ses parcours immersifs se vivent les yeux fermés, tendant l’oreille aux paroles d’habitants qui esquissent leur cartographie de l’intime. Pensé pour le jeune public, ce nouveau spectacle accessible aux nonvoyants nous guide dans l’imaginaire de Noémie, une jeune aveugle. J.B. Le 23 avril, 19h, et le 24, 17h. Théâtre Massalia, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 70. 6-8 €. www.theatremassalia.com


© Ronan Thenadey

ENFANTS

PEAU D'ÂNE

FESTIVAL DE LA CAMARGUE ET DU DELTA DU RHÔNE La Camargue, ce sont certes les chevaux et les flamants roses, mais c’est surtout un delta à l’écosystème fragile, et de nombreuses zones humides à protéger du réchauffement climatique. Durant cinq jours, conférences, spectacles, dégustations et surtout 120 sorties nature vous permettront de jauger, sur site, de la beauté et de la diversité des paysages : à pieds ou en calèche, en VTT ou en canoë, à la découverte de la faune (reptiles, libellules, castors) et de la flore (marais, sansouire),

au petit matin à l’écoute du chant des oiseaux (le 7 mai) ou au crépuscule à l’affut des chauves-souris (le 5 mai). Au cœur de Port-Saint-Louis-du-Rhône, le Village des kids divertira les marmots (ateliers recyclage, sculpture animalière, construction de nids et de cerf volants...). Pendant ce temps, les parents picoreront débats ou expos photo (dont la prestigieuse Wildlife photographer of the year) au Village de l’Oiseau, et pourront même s’initier au cliché animalier ou au dessin naturaliste. J.B.

Du 5 au 10 mai. Port-Saint-Louis-du-Rhône et une trentaine de sites en Camargue. 06 79 71 44 23. 0-20 €. www.festival-camargue.fr

Grâce à sa baguette magique de metteur en scène, Jean-Michel Rabeux transforme le théâtre en un jeu d'enfant profond et vertigineux. Il prouve à qui en douterait encore qu'un spectacle jeune public peut susciter le trouble. Car Peau d'âne est avant tout une histoire d'inceste ; l'amour outrancier d'un roi pour sa fille. Mais rien de sordide ici. Le rire et le merveilleux l'emportent. L'infante, le roi, la reine, la fée, le prince amoureux, tous les protagonistes traversent, avec jubilation, les miroirs et les siècles. Ils se travestissent et transgressent les interdits : « Du pire on fait du rire, et frémir de plaisir ». Un conte de la folie pas du tout ordinaire, à voir à partir de 8 ans. F.K. Le 10 mai, 19h, et le 11,15h. Théâtre Joliette-Minoterie, 2, place Henri Verneuil, Marseille 2e. 04 91 90 07 94. 6-20 €. www.theatrejoliette.fr

© Laurence Janner

LES DOIGTS D’UNE MAIN… … Ne sont pas semblables, ainsi en est-il des enfants d’une même famille. C’est le titre – et la morale – de la dernière création du Badaboum théâtre qui, à l’occasion de ses vingt-cinq ans, s’offre une série de représentations en plein air, assortie d’ateliers et séances de dégustation, mais aussi d’un concert de fusion marocaine (le 21 mai à 19h30). Inspirée par la tradition de la halqa (« le cercle »), le mode traditionnel de transmission des contes au Maroc, Laurence Janner a rencontré plusieurs conteurs avant de choisir de mettre en scène les aventures de cette héroïne audacieuse qui parcourt le monde. Interprété par Sophia Chebchoub, Samir El Karoui et Anass Zine, qui signe également la musique du spectacle, le conte déjoue avec humour les clichés machistes comme les préjugés européens à l’encontre de la culture du Maghreb. E.G. Du 11 au 21 mai. Théâtre Silvain, 271, corniche Kennedy, Marseille, 7e. 04 91 54 40 71. 8 €. www.badaboum-theatre.com

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LES

ADRESSES MARSEILLAISES

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CAFÉ - BRASSERIE

LE COLOMBIA

Après un un réaménagement complet , le Colombia vous accueille dans une ambiance cosi "bistrot ", que ce soit pour un café un déjeuner, une crêpe l'après midi ou un apéro endiablé, la nouvelle équipe se fera un plaisir de vous recevoir 7/7 ! Infos & Réservation : 04 91 22 55 74

572, rue paradis • 13008 Marseille

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CHAMBRE D'HÔTES

LA CASA ORTEGA

Une chambre d'hôtes pas comme les autres, qui cultive le goût du détail et le sens de l'hospitalité. Idéalement située dans une petite rue face à la gare Saint-Charles de Marseille, cette confortable guest house propose un hébergement qui allie les services d'un hôtel au charme authentique d'une maison d'hôtes à l'ambiance internationale. Accueil attentif et déco stylée, découvrez cinq chambres d’hôtes lumineuses au mobilier XXe chiné au fil du temps. Le petit déjeuner vous fera re découvrir l’ odeur du pain grillé, le délice d’ un yaourt maison et la saveur d’un bon café. Infos & Réservation : 09 54 32 74 37

46, rue des petites Maries • 13001 Marseille • www.casa-ortega.fr

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BRASSERIE - RESTAURANT - GLACIER

NEW CAFÉ DE PARIS

Bénéficiant d'un emplacement idéal sur la jolie place Castellane, Le Café de Paris est une brasserie comme on les aime. Ici pas de chichis : des plats simples, un vaste choix et un service rapide. Une bonne cuisine s’appuyant sur les traditions culinaires provençales : tapas , hamburger maison, pavé de rumsteck ou tartare de saumon.

14, Place Castellane • 13006 Marseille 04 91 37 44 92

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BRASSERIE - RESTAURANT

OM CAFÉ

Située face au vieux port, la brasserie du port "OM café " vous accueille pour déguster une cuisine fraîche et raffinée. Si les spécialités méditerranéennes sont à l'honneur le chef vous propose également chaque jour des suggestions différentes. Restauration de 11h à 15h et de 19h à 22h30. Ouvert 7/7 de 7h à minuit. Infos & Réservation : 04 91 33 80 33 •25 quai des Belges - 13001 Marseille

brasserieomcafe@gmail.com • www.labrasserie-omcafe.fr

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BRASSERIE - RESTAURANT

LE DAVID

La situation de la célèbre brasserie Le David, à deux pas de la plage, est idéale. Dans l'assiette, le chef vous propose, pour commencer : terrine de foie gras, chutney de fruits exotiques et pain d'épice... Puis côté plat : suprême de poulet fermier au coulis d'écrevisses ou encore un plateau de coquillages. Mais Le David, ce n'est pas qu'un restaurant, vous pourrez également venir dans cette brasserie à toute heure de la journée pour vous déguster un cocktail, vue sur mer.

99 Promenade Georges Pompidou • 13008 Marseille 04 91 79 99 63

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RESTAURANT

LA MAISON DU CHÂTEAU

Pour les nostalgiques du Garde et de Tomé de la grande époque… Ne cherchez plus ! Courrez à la Maison du Château ! Au pied de la Sainte Victoire, une dépendance du Château de Châteauneuf le Rouge tient lieu de restaurant. Mobilier design et tomettes au sol, voilà une maison moderne chic et conviviale en pleine campagne aixoise. Un décor signé Anne-Karine Zapata… un petit paradis !

Montée de l'Église, 13790 Châteauneuf le Rouge Infos & Réservation 04 42 64 24 50 - www.lamaisonduchateau.fr

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RESTAURANT

ESPLAÏ DU GRAND BAR DES GOUDES

Ce restaurant propose des produits de la mer issus d'une pêche locale. Poissons grillés, bourride et bouillabaisse sont les spécialités de la maison. Une ambiance marseillaise où il fait bon vivre !

Infos & Réservation : 04 91 73 43 69 29 rue Désirée-Pellaprat - 13008 Marseille

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