8e art n°22

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EDITO

# 22 NOV. - DÉC. 2012

MARSEILLE-PROVENCE ART&CULTURE FREEMAGAZINE 8e art est une publication bimestrielle des Éditions Bagatelle 19, avenue de Delphes 13006 Marseille 09 81 80 63 79 Directeur : Nicolas Martin n.martin@8e-art-magazine.fr Directeur de la publication : Frédéric Guerini f.guerini@8e-art-magazine.fr Rédacteur en chef : Sandro Piscopo-Reguieg 06 71 62 49 81 s.piscopo@8e-art-magazine.fr Ont collaboré à ce numéro : Cécile Cau, Léa Coste, Emmanuelle Gall, Fred Kahn, Alexandre Lévêque, Joël Assuied (photographe). Conception graphique et direction artistique : Jonathan Azeroual 06 62 58 79 71 j.azeroual@8e-art-magazine.fr Service commercial : 09 81 80 63 79 Impression : Azur Offset Acropolis - 171 bis, chemin de la Madrague-Ville - 13015 Marseille 04 91 52 53 54 La reproduction même partielle des articles et illustrations sans autorisation est interdite. 8e art décline toute responsabilité pour les documents et articles remis par les annonceurs. Dépôt légal à parution.

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onnaissez-vous Guimaraes ? La troisième ville du Portugal, paisible cité médiévale de 160 000 habitants, est Capitale européenne de la culture pour l’année 2012. Pourtant, il n’est pas exagéré de relever qu’en France, l’événement est passé tout à fait inaperçu. Et l’on ne vous demandera pas si vous avez déjà entendu parler de Maribor, petite bourgade du fin fond de la Slovénie, elle aussi Capitale culturelle 2012, elle aussi dans l’anonymat le plus complet… Dès lors, que penser lorsqu’on nous répète qu’en 2013, Marseille sera « sous le feu des projecteurs » et va subjuguer l’Europe entière, alors qu’ici, aucun média ne daigne s’intéresser aux Capitales culturelles ? Comme si cette manifestation censée « rapprocher les peuples européens » s’avérait n’être, au final, qu’un événement local, dont le rayonnement ne dépasse que très rarement les frontières du pays concerné... Il faut dire que ce label n’est décerné qu’à des villes « moyennes » et pas très sexy (Tallinn, Linz, Vilnius, Pécs...). La Capitale culturelle, c’est un peu les JO du pauvre. Les objectifs sont en effet identiques : il s’agit, dans les deux cas, de permettre à une ville de booster son développement urbain et économique, sa fréquentation touristique et sa notoriété, par une manifestation - culturelle ou sportive - de niveau international. Paris, Moscou, New York, Londres et Madrid étaient candidates aux JO 2012. Marseille, Bordeaux, Lyon et Toulouse au titre de Capitale européenne de la culture 2013… L’ampleur et l’impact médiatique de ces deux manifestations est à la mesure des villes qui concourent pour l’accueillir. Mais à Marseille, rien ne se passe comme ailleurs. La Capitale culturelle 2013 devrait faire couler beaucoup d’encre. Car à la fin de l’été dernier, les rafales de kalachnikov ont résonné très fort et très loin. Si bien qu’aujourd’hui, la presse étrangère est particulièrement intriguée par cette ville sauvage, au folklore délétère, qui dans quelques semaines, devra porter un événement culturel d’envergure. Une Capitale « entre kalach et culture », pour un journaliste, c’est le sujet rêvé. Alors en 2013, ils seront là. Espérons qu’il n’y ait pas trop de casse… et que ceux-ci n’aient que le programme culturel à commenter. Mais des retombées médiatiques, la cité phocéenne en aura. Tiens, au fond, c’est peut-être Marseille qui va permettre de doper la notoriété du label européen… Sandro Piscopo-Reguieg

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SOMMAIRE

N°22 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2012

SOMMAIRE

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2012

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ACTU

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ZOOM

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CONSO

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DOSSIER MP2013

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LES ENJEUX D’UNE CAPITALE

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LA STORY

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LE PROGRAMME

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TOUS ACTEURS

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MINOTS Le Préau des Accoules

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DÉCOUVERTE Le Site-Mémorial du camp des Milles

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IDÉES Les rencontres d‘Averroes

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AVANT-PREMIÈRE Grand Hôtel

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RENCONTRE Didier Gourvennec Ogor

74

ART CONTEMPORAIN Michèle Sylvander

78

PORTRAIT Jean-Marc Montera

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PATRIMOINE La crypte de Saint-Victor

91

PORTFOLIO Christian Lacroix - Picasso

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SORTIR 102 L’ÉVÉNEMENT L’Italienne à Alger 104 MUSIQUES 108 SCÈNES

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114 EXPOS

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ACTU

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L’IMAGE

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CURIEUSE RENCONTRE Le 22 septembre 2012, les habitants de la Bricarde, dans les quartiers nord de Marseille (15e arrondissement), ont découvert une drôle de curiosité, plantée au beau milieu de leur cité. Inaugurée la veille, cette sculpture luminescente a été conçue par le duo d’artistes britanniques gethan&myles, au cours d’une résidence de six mois à la Bricarde dans le cadre du programme « La Cité des curiosités », porté par Marseille-Provence 2013 (avec l’association Sextant et plus). Nommée Fin, cette sculpture indique le

passage du temps en ombres portées sur le sol, à la manière d’un cadran solaire. « Tel un aileron (‘‘fin’’ en anglais) à la surface des flots, sa forme triangulaire émerge des pavés tandis que sa coloration dorée contraste avec le camaïeu beige et gris de l’environnement urbain », décrivent gethan&myles. A l’intérieur, se distingue un cercle composé de 366 dates de naissances, celles des habitants de la Bricarde que les artistes ont croisé durant leur résidence. Un monument aux vivants ? Et pourquoi pas ? 8e art magazine

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ACTU

EN BREF

MISE AU POINT

FRA ANGELI-CODE ?

A 15h, les enchères avaient débuté à 150 000 euros. A 15h15, l’œuvre était adjugée à 445 000 euros. Le samedi 27 octobre, la maison marseillaise Leclere a procédé à une vente historique : un panneau inédit du moine florentin Fra Angelico (1400-1455), jusqu’alors précieusement conservé - depuis le milieu du XIXe siècle - au sein d’une même famille (dans le Sud de la France) et qui n’avait encore jamais été montré en public. Les curieux étaient donc venus nombreux pour découvrir l’œuvre et assister à cette vente spectaculaire. Par contre, ils n’ont pu voir l’acquéreur - un collectionneur français - qui avait choisi d’enchérir par téléphone. Ce panneau est la pièce centrale d’une Thébaïde en six éléments, une composition sans doute morcelée à la fin du XVIIIe avant d’être vendue par petits bouts. Jusqu’à présent, seuls quatre panneaux, conservés dans différents musées, avaient été reconnus comme étant de la main du frère dominicain. Le sixième tableau reste quant à lui introuvable.

UN MAMO EN CADEAU On savait que le designer Ora-ïto avait jeté son

dévolu sur la Cité radieuse de Le Corbusier, dont il a racheté le gymnase-terrasse. Aujourd’hui en travaux, il devrait bientôt être métamorphosé en centre d’art contemporain : le « MaMo » (pour « Marseille Modulor ») sera-t-il un mini-MoMa ? A partir de mai ou juin 2013, il accueillera des expositions monographiques d’artistes « majeurs » (dont Xavier Veilhan) invités à créer des pièces spécialement pour le lieu. Une bonne nouvelle pour la Cité radieuse, qui a fêté son soixantième anniversaire le 14 octobre 2012.

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« Ce n’est pas de la main d’œuvre gratuite, ils ne se substituent aucunement aux emplois salariés », a tenu à préciser le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin à propos des 3 300 personnes s’étant proposées de participer à l’organisation de la Capitale culturelle dans le cadre de l’opération « Tous bénévoles », lancée l’été dernier. L’initiative de la mairie avait en effet suscité l’émoi de certains médias, s’étonnant qu’une ville où le taux de chômage dépasse les 13 % fasse appel à des bénévoles pour des missions d’accueil, de traduction, de transport, de sécurité… « Nous avons voulu répondre à la forte attente des Marseillais qui exprimaient le souhait de contribuer activement à l’événement en 2013 », a ajouté M. Gaudin.

MARSEILLE TOUCHE LES FONDS

C’est en toute discrétion que la Ville de Marseille avait créé, en 2011, deux fonds de dotation dans le but de « dynamiser » le mécénat pour ses projets culturels. Ce qui avait causé une certaine gêne chez l’association MP2013, alors en quête de 14, 7 millions d’euros de fonds privés pour boucler son budget, et qui craignait fort cette concurrence. Aujourd’hui, MP2013 a atteint ses objectifs, le climat est apaisé, et c’est très officiellement, que la municipalité a communiqué les premiers effets de ce dispositif : le fonds « MarseillePatrimoine 2013-2020 » a déjà réuni plus de 9,1 millions d’euros de mécénat pour la restauration et la mise en valeur des musées et autres édifices patrimoniaux de la ville. Dans la perspective de la Capitale culturelle, c’était la priorité. Le second fonds de dotation, « Marseille-Art 2013-2020 », dédié « au soutien de l’art contemporain sous toutes ses formes », s’élève pour le moment à un million d’euros.


ACTU

EN BREF

3 QUESTIONS À...

SÉBASTIEN

CAVALIER Nouveau directeur de l’action culturelle à la Ville de Marseille.

D’où venez-vous ? Je suis nîmois, mais j’arrive de Pékin, en Chine, où j’étais attaché culturel à l’ambassade de France. Ma mission était de développer les échanges culturels entre la France et la Chine afin de faire connaître la diversité de la production artistique française, notamment par l’organisation d’un festival. La culture correspond en effet à l’image d’Epinal qu’ont les Chinois et – plus globalement – les étrangers, de la France.

UN LIEU CAPITALE Il fallait un lieu central susceptible d’accueillir et renseigner les millions de touristes attendus à Marseille en 2013. Ce sera le « Pavillon M », structure éphémère de bois et de verre, installée place Villeneuve Bargemon (derrière la mairie) durant toute l’année Capitale. A partir du 12 janvier 2013, ce vaste espace de 3 000 m2 sera ouvert chaque jour (même le dimanche) pour servir de « lieu d’information multi-

64 000

C’est le nombre de visiteurs reçus à la Vieille Charité pour l’exposition Hundertwasser, le rêve de la couleur, présentée du 27 avril au 9 septembre 2012. « Un réel succès » selon le communiqué de presse de la Ville de Marseille. « Oui, mais ce n’est pas suffisant », juge l’adjoint au maire délégué à l’action culturelle et aux musées Daniel Hermann qui appelle de ses vœux « de plus gros efforts sur la communication », afin que les expositions marseillaises puissent « jouer dans la cour des grands ». Durant la même période, Caravage et le caravagisme européen a attiré plus de 200 000 visiteurs au musée Fabre de Montpellier.

guichet », conjuguant renseignements sur la programmation de MP2013, billetterie, réservation d’hôtels… Une sorte d’office du tourisme « spécial 2013 » en somme, qui sera muni d’un lieu d’exposition dédié à « la valorisation des atouts de Marseille » et où se dérouleront des animations culturelles grand public.

Quel regard portez-vous sur le paysage culturel marseillais ? Le point fort, c’est la richesse et la diversité de l’offre culturelle. A l’extérieur, on n’imagine pas une seule seconde qu’il y a ici autant de lieux, d’artistes, de compagnies… Mais la faiblesse, c’est que Marseille n’est pas encore reconnue comme une ville de culture, ce qui est dommage et injuste. L’opération Marseille-Provence 2013 devrait changer cette perception. Quelles sont vos priorités ? Achever les projets lancés. Dans l’histoire des musées de France, jamais une ville n’a eu la chance d’ouvrir quatre musées durant la même année ! En 2013, ce sera chose faîte avec le musée des Beaux-Arts au Palais Longchamp, le musée des Arts décoratifs et de la mode du Château Borély, le nouveau musée d’Histoire et le musée Cantini. Sans parler du Mucem, du Frac… Ce sont des choix extrêmement forts. Avec MP2013, la culture va attirer l’attention des médias et du grand public sur Marseille. Et cela créera, je l’espère, une nouvelle dynamique pour la ville.

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ACTU

EN BREF

VASARELY À LA RUE A Aix-en-Provence, la Fondation Vasarely est appelée à être l’un des lieux majeurs de la Capitale culturelle. C’est pourquoi elle est actuellement en plein lifting : ayant débuté en novembre, la première phase de travaux devra s’achever au printemps pour accueillir une grande exposition sur l’œuvre peint et architecturé de l’artiste hongrois. Ensuite, en octobre 2013, la Fondation sera l’épicentre du temps fort « Innov’art », consacré aux arts numériques. C’est à cette date que sera inaugurée une œuvre monumentale, qui prendra place de façon pérenne dans l’espace public, quelque part dans la ville d’Aix. Elle sera réalisée par le ou les lauréats du « Prix Victor Vasarely de l’art dans l’espace public », dont l’appel à projets a été lancé en octobre 2012. Les artistes œuvrant dans les domaines des arts visuels, de l’architecture et des nouvelles technologies sont d’ailleurs invités à envoyer leurs projets avant le 17 décembre (le règlement complet est disponible sur le site Internet de la Fondation : www.fondationvasarely.org). A noter que la première édition du Prix Vasarely s’était tenue à Pécs (Hongrie) en 2010. Elle avait récompensé les artistes Dóra Palatinus et Zoltán Makra dont le projet a été réalisé en 2011 dans un quartier populaire de la ville (photo ci-contre).

APPEL À CLAMEURS

Le 12 janvier 2013, à 19 h, le coup d’envoi de l’année Capitale sera donné par une « Grande clameur », celle de tous les Marseillais, qui retentira depuis 25 lieux du centre-ville : la Major, l’Opéra, la Criée, l’Alcazar, la Villa Méditerranée… 25 lieux pour 25 façons différentes de faire du bruit : en chantant du Verdi, en jouant des percus, en criant au mégaphone… Ce « bouquet de clameurs », qui s’éternisera durant cinq longues minutes, est même censé faire disjoncter la ville ! A chacun sa clameur, donc. Pour choisir la votre, direction le site www.mp2013.com. Les plus motivés pourront s’inscrire à des ateliers pour préparer l’événement. Les autres se contenteront de télécharger un mode d’emploi… ou d’une clameur improvisée.

L’ART À LA CHAMBRE

122 candidats, 3 lauréats : Mohamed Bourouissa, Jean Denant et Marc Quer (ci-contre) ont remporté le cinquième « concours artistique » de la Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (CCIMP). Ils ont été désignés le 20 septembre par un jury présidé par Gérard Traquandi. Il est encore possible d’aller découvrir leurs œuvres dans le hall de la CCIMP, où elles sont exposées jusqu’à la fin de l’année en compagnie de sept autres créations retenues dans la « short list ». En 2013, une exposition rétrospective présentera les travaux des précédents lauréats de ce concours ayant déjà distingué Sébastien Wierinck, Laurent Perbos, Lionel Scoccimaro, et Sandra Lorenzi.

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ZOOM

RUDY RICCIOTTI

UN VOILE D’AVANT-GARDE

Après le musée Cocteau de Menton et avant le Mucem de Marseille, l’architecte Rudy Ricciotti s’est attaqué au Louvre : la cour Visconti se drape désormais d’un voile d’avantgarde pour abriter le nouveau département des Arts de l’islam. Par SPR

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ui se souvient du tumulte qui avait accompagné la création de la pyramide de Pei, dans les années 80, sait qu’on ne touche pas impunément au Louvre. Pourtant, le 18 septembre 2012, l’inauguration du nouveau département des Arts de l’islam n’a pas vraiment fait couler d’encre. Et ce, même si la cour Visconti se voit désormais couverte d’une nappe métallique dorée aux allures de tente bédouine... Il faut dire que les réacs ont trouvé leur maître : Rudy Ricciotti a en effet accordé le plus grand soin à « l’intégration sans violence (…) de cette nouvelle aile muséale respectueuse d’un grand musée de la République ». Ricciotti est un tendre. Il fait dans le spectaculaire, mais en toute discrétion. Jeu de séduction. Le nouveau département des Arts de

l’islam est un musée en soi, de près de 3 000 mètres carrés. Il se déploie en rez-de-cour et en sous-sol. Au-dessus, flotte un voile composé de 2 350 triangles de métal doré, comme une aile de libellule, soutenue par le vent. « Nous avons voulu bâtir un voile léger, élégant et poétique qui filtre la lumière en permettant d’apercevoir les façades historiques », décrit l’architecte Mario Bellini, co-concepteur du projet. « Les plis et replis de la couverture forment un drapé soyeux aux 14

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« NOUS AVONS VOULU TENDRE À L’ISLAM UNE MAIN AMICALE, À L’IMAGE DE MONTESQUIEU ACCUEILLANT LE PERSAN EN VISITE A PARIS » reflets facétieux, reprend Ricciotti, de sa verve colorée. Le soir, c’est tout un jeu de séduction qui se déploie ainsi entre les fenêtres de la cour Visconti et la lumière s’échappant du département des Arts de l’islam. Et c’est bien là que réside l’un des choix essentiels du projet : la cour Visconti n’est pas couverte et demeure visible. Moins de pesanteur, davantage de tendresse, ainsi avons-nous voulu tendre à l’islam une main amicale, à l’image de Montesquieu accueillant le Persan en visite à Paris. » Loin d’opposer classicisme et modernité, Ricciotti le maniériste poursuit sa quête d’universalisme. Flottant délicatement entre Orient et Occident, sa verrière, aussi brillante qu’aérienne, est une invitation au voyage… En tapis volant, forcément.


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PLATEAUX LIBRES…

…POUR COMPAGNIES DÉPENDANTES

© Raphael Arnaud

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En attendant 2013, le Grand Théâtre de Provence ainsi que les théâtres du Gymnase et du Jeu de Paume, sont fermés au public… Mais ouverts à une quinzaine de compagnies régionales. Travailler avec des outils performants serait-il devenu un luxe ? Par Fred Kahn

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ette année, le Gymnase, le Jeu de Paume et le Grand Théâtre de Provence, tous trois dirigés par Dominique Bluzet, n’ont pas ouvert leurs portes, comme d’habitude, au mois de septembre. Le directeur de ces trois structures a décidé d’abandonner temporairement le fonctionnement par « saison » pour, de janvier à décembre 2013, proposer au public une pleine année Capitale. Mais plutôt que de laisser les plateaux des trois théâtres vides pendant le dernier trimestre 2012, ces outils ont été prêtés à des compagnies de la région. Elles ont pu répéter librement, c’est-à-dire, en dehors de tout enjeu de diffusion. Opportunité. On n’imagine pas un artisan sans local et

sans aucun instrument de travail. Or, ce qui ne saurait se concevoir pour les autres corps de métiers, la société semble l’accepter pour les artistes du spectacle vivant. En effet,

Fossé. L’initiative de Dominique Bluzet souligne la grave crise que traverse le secteur théâtral. En France, seuls les spectacles produits par les réseaux de salles fortement subventionnés (CDN, scènes nationales, grands théâtres municipaux…) sont créés dans des conditions pleinement satisfaisantes. Mais ces circuits sont fermés. Résultat : dans la région Paca, plusieurs centaines de compagnies n’ont accès, au mieux, qu’à des lieux « intermédiaires », et donc, à des moyens financiers, techniques et humains beaucoup trop limités. Dominique Bluzet n’est pas un mécène, les trois théâtres qu’il dirige sont subventionnés par les collectivités territoriales. Avec Plateaux Libres, il répond à l’une de ses missions de service public de la culture. De plus, il sait qu’il est de son intérêt de « contribuer à faire émerger et grandir le vivier des créateurs régionaux ». D’ailleurs, Dominique Bluzet coproduit quatre

« POUR MA GÉNÉRATION, LES PROJETS DÉBUTENT DANS DES CAVES » la grande majorité des compagnies ne possèdent souvent qu’une boîte aux lettres. Charles-Eric Petit, qui a sauté sur l’opportunité offerte par Dominique Bluzet, résume ainsi la situation : « Pour ma génération, les projets débutent dans des caves. Nous n’avons accès aux théâtres en ordre de marche au mieux que quelques semaines avant la création. Comment, dans de telles conditions, créer une esthétique de plateau ? » Pendant quinze jours, la Compagnie L’Individu a pu expérimenter, au théâtre du Gymnase, des pistes de jeux, de mises en scène et de scénographies. « La présence de l’équipe technique, notamment du régisseur, nous a permis de tester la machinerie du théâtre », poursuit Charles-Eric Petit. Or, cette nécessité est devenue un luxe. Et on s’étonne ensuite du peu d’inventivité des spectacles. 16

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spectacles régionaux en 2013. Mais, lucide, il constate que le fossé ne cesse de se creuser entre lieux institutionnels et artistes locaux. « Pour obtenir des subventions, un metteur en scène est obligé de monter une compagnie. Les projets sont forcément très nombreux et très fragiles. La crise économique accentue cet état de fait. Il est urgent de repenser les modes de production. » Bluzet défend l’idée de regroupements de metteurs en scène, sur le principe des collectifs artistiques. En attendant, Charles-Eric Petit, lui, créera son Songe d’une nuit d’été au théâtre Gyptis (du 9 au 12 avril). Et, il aimerait que Plateaux Libres se transforme en action pérenne. Et pourquoi pas contagieuse ? Qu’en pensent les CDN et les scènes nationales de la région ?


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HERVÉ DI ROSA

UN TRAMWAY NOMMÉ « RENÉ » L’artiste Hervé Di Rosa va « habiller » le futur tram aubagnais. Un moyen de transport en commun peut-il devenir une œuvre d’art participative ? Par Fred Kahn

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egarder passer les bus et les trams déclenche rarement des cris d’émerveillement. La « plastique » de nos transports en commun s’avère particulièrement triste. Cette laideur n’est pas une fatalité. Pourquoi ne pas demander à des artistes d’envisager ces véhicules comme des œuvres d’art ? La communauté d’agglomération d’Aubagne a pris ce risque et a passé une commande à Hervé Di Rosa ; le plasticien va donc « habiller » l’intérieur et l’extérieur des rames du futur tramway qui traversera le territoire en 2014. Le pays d’Aubagne et de l’Etoile n’a certes pas choisi un artiste radical, minimaliste ou conceptuel. Sans doute pour ne pas s’exposer à l’incompréhension, ou pire encore, à un éventuel rejet de la population. Hervé Di Rosa a ainsi dû apparaître comme un bon compromis. Cet artiste qui se nourrit des cultures « populaires » veut toujours ancrer sa production au plus près du quotidien. Il fut l’un des inventeurs, dans les années 70, de la figuration libre et depuis, n’a pas cessé de diversifier sa pratique, explorant de multiples supports (peinture, sculpture, BD, tapisserie…). Il démontre surtout que le bon et le mauvais goût ne relèvent finalement que de préjugés et de postures idéologiques.

LA LAIDEUR DES TRANSPORTS EN COMMUN N’EST PAS UNE FATALITÉ Pédagogique. Hervé Di Rosa a travaillé avec les ingénieurs d’Alstom Transport sur la conception du « nez » du tramway. Bien sûr, l’enjeu était consensuel : il fallait donner au véhicule « un air sympathique et chaleureux, souriant, bienveillant et accueillant ». Puis, l’artiste s’est attaqué à l’habillage proprement dit du tramway. L’agglomération aubagnaise exigeait une dimension participative et Hervé Di Rosa a également su répondre à ces attentes : « Une œuvre publique ne peut s’insérer réellement dans la communauté que si ses acteurs se l’approprient et participent à l’œuvre. Au-delà de la création d’images et de formes qui vont constituer l’univers du tramway, je veux me servir de cette commande pour que la population et les enfants apprennent et comprennent un peu l’art des XXe et XXIe siècles. » Il a donc réalisé une « mallette pédago18

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gique » avec des ouvrages et des éléments de référence sur la création contemporaine. Les enfants vont aussi mettre la main à la pâte et produire des « Renés », ces personnages de bande dessinée au look inimitable, qui apparaissent de manière récurrente dans l’œuvre de Di Rosa. Avec leur œil cyclopéen et leurs lèvres pulpeuses, ils ne peuvent que séduire les plus jeunes. Ces derniers vont donc inventer des histoires de Renés aubagnais... Et Di Rosa les espère particulièrement délirantes. Ces aventures seront éditées dans un recueil et chacun des petits artistes du projet recevra un exemplaire le jour de la révélation de l’habillage de ce tram… à la robe ornée de Renés.


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© Damien Boschi

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Design, mode, arts… Quelques idées cadeaux créatives pour les fêtes.


3 QUESTIONS À...

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« Le carton, c’est solide mais tendre » Développé pour des salons, Module U fait un carton chez les particuliers. Par Cécile Cau

Ce mobilier est-il pour les pros ou la maison ? C’est un détournement domestique d’une commande de mobilier événementiel… Intrigués, les particuliers se sont appropriés ce mobilier initialement scénographique qu’ils trouvent chaleureux et familier... Cloisons, tables, chaises, bancs, ces pièces permettent de grandes modularités créatives qui répondent à tout type de besoin, à des prix très accessibles, avec un montage facile. Les enfants, eux, se régalent avec ce gros légo géant qu’ils peuvent porter ou peinturlurer. D’où vient cette envie de carton ? J’avais très envie de travailler avec le fabriquant de cartonnage marseillais SEP. Le carton, ça intrigue. Sa solidité et son aspect ludique séduisent. C’est doux, étonnamment très agréable et plus confortable qu’un banc en bois. J’aime cet effet de surprise. La souplesse de ce matériau brut qui absorbe les chocs est remarquable. Le carton, c’est solide mais tendre. Pourquoi continuer à travailler à Marseille ? Je pourrais tout à fait faire ça en Pologne ou en Asie. Travailler à Marseille, c’est un coût mais pour moi, c’est surtout me faciliter la tâche. Etre proche de la production afin d’optimiser la fabrication, opérer des modifications en direct, être plus confortable. Je suis attachée à la naissance des choses. Je fais peu de dessins mais beaucoup de maquettes. J’ai donc besoin de voir l’objet tout de suite. Travailler en local m’offre cette possibilité. A Paris, s’il y a plus de clients, il y a aussi plus de designers.

MODULE U

Edité par Aviso Event Carton, craft ou blanc - 70 x 35 x 35 cm / 16-19 €

WWW.

lnboul.com

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© Arnaud leduc

CONSO

CRÈCHE MANGA

AFFICHEZ VOTRE DIFFÉRENCE

Toute nouvelle marque marseillaise, You Art Different (YAD) a demandé à sept artistes de dessiner sept gammes de produits en s’inspirant de leurs propres œuvres : t-shirts, mais aussi chapeaux, robes, bagagerie, déco… Une façon de « rendre l’art accessible au plus grand nombre à travers des supports que tout le monde connaît et que tout le monde peut se payer », explique Alice Honoré, à l’origine de ce projet. Alors même s’il s’agit d’éditions limitées, le prix des t-shirts ne dépassera pas les 45 euros, c’est promis. Quant aux artistes impliqués, ils sont pour la plupart originaires de Marseille. Parmi eux, le pro du pixel art Ced Vernay, le street artist et « human beat box » Joos, ou encore le photographe Philippe Echaroux (ci-dessus). A.L. YOU ART DIFFERENT. 1, rue du Jeune Anacharsis, Marseille, 1er.

www.you-art-different.com. 35-45 €

A la veille de Noël, Manon Legros et Edouard Vincent ont pris les questionnements de leur petite Salomé sur la crèche très au sérieux. Franchement hâtés, les deux designers se sont instinctivement orientés vers une réinterprétation des codes pour ancrer la tradition dans leur vision contemporaine. « Plus manga, graphique, assez cartoon, notre crèche respecte néanmoins toutes les représentations bibliques ». Manon et Edouard ont fouillé l’histoire de l’art, Internet et leurs vieux souvenirs de catéchisme pour appliquer à Marie le nombre correct d’étoiles et à l’objet les personnages indispensables. Et quand Salomé a naïvement résumé l’histoire en jugeant que Jésus était en quelque sorte un être « transparent », le plexiglass s’est imposé comme la matière idéale pour cette crèche provençale décidément très moderne. C.C. www.

200€

BONS PLANS

DE L’ART SOUS LE SAPIN

Offrir une œuvre d’art à Noël sans se ruiner, c’est possible. Il existe meme deux solutions : la « Christmas Art Fair » rassemble une sélection d’œuvres et d’objets d’art choisis par les galeries membres du réseau Marseille expos. Un gage de qualité, pour cette mini-foire accessible à toutes les bourses (les prix varient de 1 à 5 000 euros). Si vous êtes vraiment fauchés, vous pouvez toujours faire un tour à la « Trocade », organisée par Mouv’art et Marseille 2013 Off. Ici, les œuvres sont proposées à l’échange : « Votre sculpture contre mon iPhone 4 ? » ; « Votre tableau contre mon BMX (très très peu servi) » ; « Votre photo contre ma collection de magazines 8e art ? » La Trocade se termine le 8 décembre : vous ne pourrez donc pas échanger vos cadeaux de Noël. S.P.-R. LA TROCADE. Du 6 au 8 décembre. Les Docks de la Joliette,

Marseille, 2e. www.trocade.fr CHRISTMAS ART FAIR. Du 19 au 22 décembre. HLM, 20, rue Saint-

Antoine, Marseille, 2e. www.marseilleexpos.com

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CONSO

A LIRE

3 KILOS DE CULTURE Il manquait un ouvrage de référence sur la culture à Marseille. Les journalistes Jean Contrucci et Gilles Rof l’ont fait. Par SPR

Mosaïque. Sur la couverture, ni Bonne Mère, ni Vieux-Port. Mais une mosaïque. Car la « culture marseillaise », ça n’existe pas. Ici, elle se conjugue au pluriel, comme le suggère le titre de l’ouvrage. La preuve en un peu plus de 400 pages. On y découvre ceux qui font ou qui ont fait la culture à Marseille, et ce, dans tous les champs artistiques : peinture, sculpture, musique, danse, théâtre, littérature, photographie, architecture et design, cinéma. C’est le sommaire. Panorama. Chaque section se voit traitée en profondeur. A travers l’histoire des lieux, des œuvres et des artistes ayant marqué leur temps (César pour la sculpture, Roland Petit pour la danse, Izzo pour la littérature, IAM pour les musiques actuelles, etc.), ainsi qu’une série de portraits ou d’interviews consacrés aux créateurs d’aujourd’hui. Entre patrimoine et création contemporaine, cette véritable somme offre un regard panoramique sur une ville à la culture… kaléidoscopique. Mythes. Marseille culture(s) n’est pas une anthologie. Le regard, bien que panoramique, reste subjectif, préviennent Jean Contrucci et Gilles Rof, les auteurs. Et tant mieux. Ils en ont profité pour immortaliser quelques histoires victimes du « phénomène d’amnésie d’une ville qui n’est pas capable de construire ses propres mythes », comme l’exprime Rof. On se souviendra donc de « l’invention » du cubisme à l’Estaque, de la fascination de Man Ray pour le Pont transbordeur, de la mystérieuse toile oubliée de Keith Haring, et même d’une aventure de Spider-Man à Marseille… Référence. Massif, beau, majestueux, ce pavé de 409 pages (et 3 kilos !) ne vous tombera pas des mains. Les textes, plutôt courts et abordables, sont rythmés d’encadrés, d’entretiens et de très nombreuses illustrations. « Le premier ouvrage de référence sur la culture à Marseille », dit le communiqué de presse. Ce n’est pas une promesse. 24

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MARSEILLE CULTURE(S)

De Gilles Rof et Jean Contrucci, HC Editions, 2012 24 x 31 cm, 409 pages, 50 €


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CONSO

LIVRE

LE DICTIONNAIRE DES MARSEILLAISES SOUS LA DIRECTION DE RENÉE DRAY-BENSOUSAN DVD

CASSOS

DE PHILIPPE CARRESE BQHL Editions

C’est l’histoire d’un mec sans histoires… Mais qui rêve d’assassiner sa femme ! Ce petit assureur de province raté va se transformer en truand aux méthodes radicales et expéditives, au contact d’un voyou avec lequel il va

Editions Gaussen

devoir cohabiter pendant plus d’une heure dans sa voiture. Le premier, c’est Didier Bénureau. L’autre, c’est Simon Astier. Ces deux-là, véritables « cas sociaux », sont les héros de la comédie totalement amorale du Marseillais Philippe Carrese : avec ce premier long métrage, le réalisateur de Plus belle la vie pourrait bien voir sa carrière au cinéma décoller… Il est peut-être là, le vrai « casse du siècle ».

Femmes d’affaires, femmes d’action, écrivains, comédiennes, militantes, révolutionnaires, artistes, empoisonneuses, poissonnières… Puisqu’à Marseille, « un homme sur deux est une femme », ce Dictionnaire des Marseillaises leur rend hommage. En près de 400 pages, on fera la connaissance des innombrables oubliées de l’Histoire (de l’Antiquité à nos jours), et l’on croisera quelques personnalités incontournables comme Désirée Clary, madame de Sévigné, Louise Michel, la mythique Gyptis et, bien évidemment, la fameuse « cagole ».

CD

L’INTÉGRALE DES SONATES POUR PIANO ET VIOLON DE BEETHOVEN CAROLINE SAGEMAN/DAVID GALOUSTOV Lyrinx

Depuis ses premiers vinyles, le vénérable label marseillais Lyrinx, qui a fêté ses trente ans l’an dernier, reste fidèle à une certaine tradition, celle des enregistrements « live ». Cette Intégrale des Sonates pour piano et violon de Beethoven a ainsi été captée au Théâtre de La Criée, en trois concerts répartis sur une année. Un défi relevé par les solistes de « l’écurie Lyrinx », Caroline Sageman et David Galoustov. A découvrir dans ce coffret digipack contenant trois CD et un livret de seize pages.

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DOSSIER SPÉCIAL

MP2013 P. 29 LES ENJEUX D’UNE CAPITALE Comment la programmation de MP2013 répond-elle aux enjeux de la Capitale culturelle ? P. 40 2004-2013 : LA STORY Retour sur les péripéties ayant émaillé l’organisation de MP2013. P. 42 LES 3 SAISONS DE 2013 Coup d’œil sur les principaux temps forts de l’année. P. 48 TOUS ACTEURS Trois façons d’associer activement la population au projet.

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DOSSIER

LES ENJEUX D’UNE CAPITALE

Dans quelques semaines sera donné le coup d’envoi de Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture : 365 jours de spectacles, d’expositions, de grandes fêtes… Mais MP2013 est un défi immense, dont les enjeux dépassent largement les seules questions artistiques et culturelles. En coulisses, c’est l’avenir de la cité phocéenne qui se joue. Vecteur de transformation urbaine et de développement économique, l’événement doit parvenir à inscrire durablement Marseille sur la carte des métropoles culturelles internationales, tout en accordant le plus grand soin à la mobilisation de la population locale. C’est pour répondre à ces objectifs qu’a été pensée la programmation de l’année Capitale : une dramaturgie en trois actes… dont l’épilogue reste encore à écrire.

© DR

Par Sandro Piscopo-Reguieg

« Si j’ai un spectacle formidable dans les locaux de l’hôpital de la Timone, franchement, pour la notoriété de la Capitale de la culture, c’est peanuts ! Alors que si je mets 200 000 Marseillais sur le Vieux-Port, je fais un survol en hélicoptère et on va en parler pendant deux mois ! » A l’été 2010, Jacques Pfister, président de la Chambre de commerce et d’industrie, exprimait ainsi les attentes du monde économique à Bernard Latarjet, alors directeur de l’association MarseilleProvence 2013 (MP2013), qui lui rétorquait, un peu agacé : « Depuis le début, je dis qu’il faut arriver à concilier cette dimension populaire - les 200 000 personnes, l’hélicoptère et les parachutistes - avec la qualité exemplaire de l’atelier artistique à la Timone. Il faut les deux ! » L’échange résume parfaitement les enjeux de la Capitale européenne de la culture. L’événement constitue d’abord une excellente occasion, pour Marseille, de redorer son blason, de se placer sur la scène culturelle internationale, d’attirer deux millions de touristes supplémentaires, de booster son développement économique… Et pour ça, il faut bien faire l’ouverture du JT. Le président de la CCI est donc dans son rôle, lorsqu’il prévient : « On a besoin que ça fasse rêver ! » Aujourd’hui, il sait qu’en 2013, il aura maintes occasions de faire de l’hélico et de nourrir les chaînes de télé d’images spectaculaires... pendant que la plasticienne Ymane Fakhir présentera son

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© Stephen Tanner&Morgan

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La Folle histoire des arts de la rue. Au printemps, la ville de Marseille sera le théâtre d’un florilège de manifestations monumentales. Parmi elles, un ballet de tractopelles sur la plage de David.

exposition de photographies réalisées à l’hôpital de la Timone. Bernard Latarjet l’a assez martelé en son temps : la réussite de la Capitale culturelle résidera dans sa capacité à fédérer le grand public – Marseillais, comme visiteurs internationaux – sans nuire à la valeur artistique de la programmation générale. Il s’agit, en d’autres termes, de « concilier exigence artistique et adhésion populaire ». Pour l’association MP2013, la sentence a valeur de maxime.

« NOUS SAVONS QU’AU DÉBUT, LES MARSEILLAIS SERONT SCEPTIQUES »

Dramaturgie en 3 actes. Le week-end d’ouverture des 12

siasme, il en faudra. Car le défi sera de parvenir à maintenir la flamme 365 jours durant ; faire en sorte qu’un événement aussi long, fort de près de 900 propositions, ne souffre pas d’un essoufflement voire d’une lassitude de la population. Une Capitale banalisée, en somme. C’est pourquoi l’année a été découpée en trois « saisons » (« Marseille-Provence accueille le monde » de janvier à mai, « Marseille-Provence à ciel ouvert » de juin à août et « Marseille-Provence aux mille visages » de septembre à décembre - voir p. 42 à 47). Chaque saison débutera par un temps fort conjuguant inaugurations de nouveaux édifices, grands spectacles, et rassemblement populaires d’envergure : une façon de relancer, deux fois dans l’année, la dynamique de la fête d’ouverture. Le grand récit de l’année Capitale a en effet été conçu selon une certaine « dramaturgie », pour reprendre l’expression d’Ulrich Fuchs, directeur général adjoint de l’association

et 13 janvier sera déjà décisif. L’expérience des précédentes Capitales européennes de la culture montre en effet que c’est de la dynamique populaire et médiatique créée (ou non) lors de l’ouverture, que dépendra la suite des événements. A Marseille, elle a donc été pensée, non pas comme une protocolaire « cérémonie », mais bien comme une « grande fête », à la fois participative et spectaculaire : entre « Parade des lumières » dans les quartiers nord et « sur-illumination » de la Bonne Mère, le top-départ de l’année Capitale sera lancé par une « Grande clameur », acte de jubilation artistique et collectif qui mettra à contribution le plus de monde possible. MP2013 veut marquer les esprits et ne s’en cache pas. Si la Capitale culturelle reste, encore aujourd’hui, une vague idée dans l’esprit du public, c’est à ce moment qu’elle devra susciter fierté et enthousiasme. Et de l’enthou30

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DE LA CAPITALE À LA MÉTROPOLE Depuis la fin de l’été, « le destin de l’agglomération marseillaise est une question d’intérêt national », comme l’a déclaré le Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans son discours du 6 septembre, avant d’appeler de ses vœux la constitution d’une « grande métropole euroméditerranéenne ». Il est intéressant de constater que l’opération Marseille-Provence 2013 s’attache, depuis sa conception, à répondre à l’enjeu territorial. Fédérant 95 communes et cinq intercom« Le gouvernement munalités (Marseille, Aix, Martigues, Arles et Aubagne), le périmètre géographique de la Capitale culturelle correspond à celui de l’aire métropolitaine marseillaise, si bien que MP2013 a longtemps été présenté comme un « laboratoire » voire un « accélérateur » de métropole… Et ce, même si cette collaboration s’est faite dans la douleur (voir p. 41), et que l’horizon métropolitain paraissait flou, voire tout à fait irréaliste… Mais à l’heure où le Premier ministre a annoncé son intention de légiférer sur la question d’ici le mois de mars 2013, l’année Capitale prend, de façon inattendue, une autre dimension. Conséquence logique de cet intérêt soudain pour la cité phocéenne, les services de l’Etat vont s’investir davantage dans l’opération MP2013. « Le gouvernement a affirmé sa volonté d’agir », annonçait le préfet de région Hugues Parant, le 19

MP2013, qui nous dévoile quelques éléments de sa « stratégie » : « Nous avons beaucoup discuté du calendrier. Après la fête d’ouverture, il fallait commencer l’année Capitale avec un projet emblématique, susceptible de plaire au grand public. Nous avons donc choisi de créer un temps fort sur le cirque. C’est une stratégie pour éveiller la curiosité des Marseillais, leur donner envie de découvrir la suite… Car nous savons qu’au début, ils seront sceptiques. Et le cirque, je vous garantis que ça marche bien ! En même temps, en janvier, on aura l’exposition d’art contemporain ‘‘Ici Ailleurs’’. Certes, ce n’est pas vraiment grand public, mais les gens viendront. Ne serait-ce que pour découvrir le nouveau lieu d’exposition de la Friche, le Panorama, qui sera inauguré à cette occasion. » Exigence artistique et adhésion populaire. La maxime est suivie au pied de la lettre. Au printemps, elle se verra même traduite en un seul et même festival avec la « Folle histoire des arts de la rue » et son florilège de manifestations monumentales en plein centre-ville : on nous promet plusieurs moments d’émerveillement collectif, dont une flamboyante inauguration du nouveau Vieux-Port (les 3 et 4 mai), parsemé, à la tombée de la nuit, de milliers de « pots de feu » et « flammes vivantes ». De quoi sortir l’hélico… Et commencer à draguer les touristes.

Territoire. D’Arles à La Ciotat en passant par Salon-de-Provence, Istres, Martigues, Aix-en-Provence, Gardanne, Aubagne et Marseille, le territoire de la Capitale européenne de la culture comprend 95 communes réunies au sein de l’association « Marseille-Provence 2013 ».

octobre, avant de présenter les dispositifs de coordination et d’accompagnement engagés par l’Etat pour soutenir les collectivités et l’association MP2013 dans la préparation de l’année à venir. « Nous allons nous charger des questions qui ne peuvent être réglées de ville à ville », précisait-il, évoquant la sécurité, la communication (hors programmation), et tout ce qui participe à la « mise en tourisme » comme l’accueil, l’hébergement, le contrôle des prix, et la création d’une signalétique commune sur l’ensemble du territoire.

Climax. C’est durant l’été que MP2013 dégainera ses armes

de séduction massive : la saison des festivals (d’Aix, d’Arles, de La Roque d’Anthéron, etc.) verra l’inauguration en grande pompe des équipements du nouveau pôle culturel du J4, Mucem en tête. Dans la foulée débutera l’exposition « Le Grand atelier du midi », présentée en deux étapes : au musée Granet d’Aix et au Palais Longchamp de Marseille… Pour faire profiter la cité phocéenne de l’afflux touristique aixois ? Les plus grandes stars de la peinture (Van Gogh, Cézanne, Renoir, Matisse, etc.) seront à l’affiche de ce véritable « blockbuster », sur lequel seront concentrés tous les efforts de communication. Il sera impossible d’y échapper. Et pour cause. « Les expositions sont le moteur d’un événement culturel, fait remarquer l’ex-directeur des Rencontres d’Arles, Bernard Millet (in Boris Grésillon, Un enjeu capitale, Ed. L’Aube, 2011). Parce qu’elles attirent beaucoup de monde. Entre 300 et 500 000 visiteurs pour des expositions de grande ampleur. Cela veut dire que, pendant trois, quatre ou cinq mois, on a un flux continu de visiteurs. » En 2013 ce « flux continu » durera toute l’année. « Il est vrai que la colonne vertébrale du programme, ce sont les expositions, reprend Ulrich Fuchs. Le DG adjoint de MP2013 admet qu’ une grande partie du budget de production y est réservé. De 8e art magazine

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Près de 900 projets

janvier 2013 à janvier 2014, on a une ligne continue d’expositions sur tout le territoire. Ça ne s’arrête jamais. » Ainsi, alors que la troisième et dernière partie de l’année paraît plus légère (ou plus floue) avec, pour seul vrai temps fort, un festival « entre art et cuisine » à la Friche la Belle de mai, elle se verra renforcée par une exposition sur l’œuvre de Le Corbusier, dont le nom résonne comme un attractif produit d’appel, loin de nos contrées.

Le budget de l’association Marseille-Provence 2013 pour les années 2009-2013 s’élève à 18 millions (20 % du budget) sont consacrés aux frais de fonctionnement de l’association (masse salariale, frais généraux, etc.) et à la coordination institutionnelle. 10 millions (11 % du budget) sont réservés à la communication. 62 millions (69 % du budget) sont consacrés à la production des manifestations culturelles. 6 projets sont financés à 100 % par MP2013 (Le weekend d’ouverture, le GR2013, Transhumance, les deux expositions présentées au J1 et l’exposition Ici, Ailleurs à la Friche). 525 projets sont coproduits par MP2013 (pour des sommes comprises entre 3 000 et 800 000 euros). 350 projets sont labellisés mais pas financés.

Capitale bucolique. Il convient aussi de citer deux pro-

le week-end d’ouverture) associant l’ensemble du territoire de la Capitale sur un même projet : de l’Etang de Berre à Aubagne pour le premier (38 communes), de la Camargue à Cuges-les-Pins pour le second (49 communes). Peut-être estce pour cette raison que l’association MP2013 a dû prendre en charge, seule, leur production… « La caractéristique de Marseille-Provence 2013 est de proposer une programmation unique, non pas pour une ville, mais pour tout un territoire, rappelle Ulrich Fuchs. Lorsque je parle aux journalistes

© Baptiste LANASPEZE

jets majeurs ayant la particularité de s’attacher à la mise en valeur du cadre naturel des Bouches-du-Rhône : le sentier de grande randonnée « GR2013 » (ouvert à partir de fin mars) et « Transhumance », expérience originale qui verra des milliers de cavaliers et d’animaux traverser le département puis la ville de Marseille jusqu’à l’avenue du Prado (ce sera le temps fort d’ouverture de la « saison 2 »). Avec eux, MP2013 fait d’une pierre deux coups : vendre la destination Provence à l’extérieur, tout en invitant la population locale à redécouvrir les sites naturels de la région. Le GR2013 et Transhumance sont aussi les seules manifestations (avec

GR2013. Un sentier de grande randonnée entre ville et nature. 32

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© Antonin Doussot

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LE OFF A DE LA « THUNE »

Marseille 2013 Off. Maintenant que le Off a de la thune, il peut faire le mac.

« SI UNE CAPITALE DE LA CULTURE NE PREND PAS DE RISQUE, QUI PEUT SE LE PERMETTRE ? »

étrangers, ce sont donc les deux projets que je cite comme emblématiques de la Capitale européenne de la culture. » Ce qui n’est pas encore évident pour tout le monde. La culture pour tous ? Parce que la Capitale culturelle se

veut « non élitiste », et même « vraiment populaire », la programmation de MP2013 entend le mot « culture » au sens (très) large, et mise sur des thèmes particulièrement fédérateurs comme le cirque, la nature, la gastronomie… Pour compenser le fait que la programmation manque, disons-le, cruellement de grands noms ? « Il est vrai que nous avons privilégié l’originalité des projets, confirme Ulrich Fuchs. Il ne faut pas oublier que la mission de MP2013, c’est aussi de concevoir un projet euroméditerranéen. Les festivals, par exemple, vont inviter un grand nombre d’artistes algériens, marocains, égyptiens, palestiniens, israéliens… Moi même, je n’avais jamais entendu parler de la plupart d’entre eux ! » L’intention est louable. Mais ne serait-ce pas un peu risqué ? « Si une Capitale européenne de la culture ne prend pas de risques, qui peut se le permettre ? Nous n’avons pas l’obligation de faire des recettes, ou d’avoir un nombre incroyable d’entrées payantes… Nous travaillons sur beaucoup de projets gratuits ou se déroulant dans l’espace public. Car la vocation d’une Capitale, c’est aussi de favoriser l’accès de tous à la culture. » Il serait en effet erroné de résumer 2013 à une armada de blockbusters aux objectifs touristico-économiques. La dimension populaire du projet ne se mesurera pas non plus à l’ampleur des foules rassemblées sur le VieuxPort pour tel ou tel événement. « Une Capitale de la culture, ce n’est pas se contenter de proposer des projets ‘‘offerts’’ que

En 2013, « le premier Off de l’histoire des Capitales de la culture » aura bien lieu. Entre « Banquet de Platon », « Festival international du film chiant » et « camping artistique », il se déclinera en douze manifestations sur l’année, à raison d’une par mois. Porté par une petite bande d’acteurs culturels virtuoses dans l’art du décalage, le Off veut « replacer l’artiste au centre de l’événement, là où MP2013 poursuit manifestement d’autres objectifs, plus économiques et touristiques ». Pragmatiques, les « pirates » de la Capitale culturelle ont, pour y parvenir, dû s’allier… à une banque. Le 26 septembre, le Off annonçait en effet son mariage de raison avec la Banque populaire provençale et corse (BPPC), qui apportera une « dot » de 200 000 euros en sa qualité banque de « partenaire chouchou » (pour ne pas dire « officiel »). « Nous avons pensé que sans le Off, 2013 manquerait d’impertinence », déclarait Christian du Payrat, directeur général de la BPPC pour expliquer un choix pour le moins inattendu. « La thune, on va la chercher là où elle est », se défend quant à lui Stéphane Sarpaux, journaliste et membre fondateur, pour répondre aux critiques de ceux qui se disent plus Off que le Off. L’aide financière de la BPPC vient s’ajouter aux 50 000 euros recueillis auprès du Conseil général des Bouches-du-Rhône et aux 30 000 euros consentis par la Région PACA. « Nous avons aussi reçu l’équivalent de 30 000 euros en matériel de la part de la société Aviso Events, qui mettra ses techniciens à notre disposition sur tous nos événements », précise Stéphane Sarpaux qui indique que le Off recherche encore (idéalement) un million d’euros pour le financement de sa programmation alternative. « Entre 80 et 90 % de l’argent que nous allons récupérer sera redistribué pour produire les douze événements de l’année, sur lesquels près de 50 personnes seront opérationnelles. Le reste, on l’utilisera pour la com’, les assurances et les photocopieuses. » Maintenant que le Off a de la « thune », il se trouve confronté aux mêmes problématiques que le In. « Plus de 200 projets ont été déposés sur notre site suite à l’appel que nous avons lancé en mars 2011, raconte Sarpaux. Certains vont se fédérer à nos douze manifestations. Mais nous avons toujours précisé que le Off pouvait compléter le financement de certains projets, pas les financer à 100 %. Malgré tout, beaucoup n’ont pas été capables d’aller chercher de l’argent ailleurs. En fait, on s’est tapé le sale boulot… »

le public prend ou ne prend pas, résume le directeur général de l’association MP2013 Jean-François Chougnet. Nous voulons être ouverts au plus grand nombre, inviter les gens à participer directement comme indirectement. » C’est pourquoi, depuis 2008 et l’obtention du label européen, MP2013 effectue un travail de fond avec les populations à travers une série de dispositifs (voir p. 48 à 53) comme les « Ateliers de l’Euroméditerranée » (des artistes accueillis en résidence dans des entreprises, associations ou services publics), les « Nouveaux commanditaires » (des commandes artistiques émises par des citoyens), et les « Quartiers créatifs » (des interventions artistiques en zones urbaines sensibles). Aussi, dans le hangar maritime J1, l’un des lieux phares de l’année Capitale, un espace - « l’Atelier du large » - sera réservé à la réalisation et à la présentation de projets participatifs menés avec la population. Ces programmes n’ont rien d’anecdo8e art magazine

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©Akram BELAID

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tique. Mobilisant une grande part du budget de l’association MP2013, ils sont censés constituer les clés de l’adhésion des Marseillais à la Capitale. Surtout ceux qui, a priori, ne sont pas vraiment branchés culture. « En moyenne, entre 7 et 12 % de la population d’une ville consomme régulièrement des événements culturels, commente Ulrich Fuchs. A Linz, Capitale culturelle en 2009, ce chiffre est monté à 20 %. Mais après, il s’agit de continuer. Cette question me tient beaucoup à cœur : comment travailler aussi pour l’après ? Mais je n’ai rien contre l’aspect éphémère d’un projet : un feu d’artifice, c’est très joli. » Suspense. « L’après », c’est justement la grande inconnue.

Pourtant, le label européen n’est-il pas censé donner un nouvel élan à Marseille, et la placer durablement sur la carte des grandes métropoles culturelles ? « Le plus important, c’est le legs, observe Ann Branch, responsable des Capitales européennes de la culture à la Commission européenne, qui suit le projet de très près. Nous pensons que les meilleures Capitales culturelles sont celles qui inscrivent ce label dans une stratégie de développement à long terme. L’image de Marseille va changer, elle aura de nouvelles infrastructures, un secteur culturel devenu plus professionnel grâce 34

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« JE N’AI RIEN CONTRE L’ASPECT ÉPHÉMÈRE D’UN PROJET : UN FEU D’ARTIFICE, C’EST TRÈS JOLI »

aux contacts noués à l’international. Pour vraiment optimiser ce label, il faut continuer à investir dans la culture audelà de l’année 2013. Ce qui nécessite une volonté politique. » Ann Branch cite pour exemple Lille, Capitale européenne de la culture en 2004 qui, depuis, réédite l’événement tous les deux ou trois ans sous l’appellation « Lille 3000 », sorte de mini-Capitale culturelle s’étendant sur un trimestre. Ce qui n’avait pas échappé à Bernard Latarjet : durant la phase de candidature, le grand stratège de MP2013 avait prévu de créer à Marseille « deux nouveaux festivals pérennes, iné-


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J1. La gare maritime du J1, sur les quais du port, sera l’un des lieux phares de l’année Capitale. On ne se contentera pas d’y voir des expos : le public pourra aussi exposer ses propres créations.

dits et de dimension internationale » : « InterMed », « vitrine publique des travaux des Ateliers de l’Euroméditerranée » consacrée à « la création contemporaine méditerranéenne en toutes disciplines », et « Via Marseille », festival des arts de la rue « d’envergure européenne ». Le premier n’est déjà plus qu’un vieux souvenir. Chez MP2013, on se dit même très pessimiste sur l’éventualité de voir les Ateliers de l’Euroméditerranée perdurer après l’année Capitale. Quant au second, renommé « Métamorphoses », il aura bien lieu à l’automne 2013. Sous une forme réduite. Surtout, Pierre Sauvageot, directeur du Centre national de création Lieux Publics et concepteur du projet, indique n’avoir reçu aucune garantie pour l’avenir de son festival. « Il a été rangé dans un placard, constate-t-il, réaliste, mais pas résigné. A la décharge des décisionnaires, il faut bien dire que la période n’aide pas, entre la crise financière et la perspective des élections municipales de 2014. On ne peut pas savoir ce qu’il restera de cette Capitale. La suite devrait être écrite. Elle ne l’est pas. » Epilogue… La cité phocéenne a pourtant l’ambition de suivre l’exemple de ses puissantes voisines, parfaitement repérées à l’international pour leurs manifestations cultu-

relles de prestige : Aix-en-Provence a son Festival d’art lyrique, Arles ses Rencontres de la photo, Avignon son Festival de théâtre… Marseille, elle, se cherche encore. Et regarde du côté de la Friche la Belle de Mai. C’est là qu’aura lieu, au printemps 2013, la première édition du festival « This is (not) Music », qui réunira musiques actuelles, sports extrêmes, et arts visuels sous la bannière des cultures « underground ». Nul ne sait encore si la manifestation sera reconduite, mais il est permis de le penser, tant les investissements consentis pour la rénovation et le développement de la Friche portent à croire que la municipalité a décidé d’en faire le pilier de sa politique en matière de création contemporaine. Mais pour doper la notoriété culturelle de la cité phocéenne, on compte surtout sur les nouveaux équipements actuellement en train de fleurir sur le littoral marseillais, du J4 à Arenc (Mucem, Villa Méditerranée, Frac, etc.). Un ensemble que le pourtant très prudent Bernard Latarjet n’avait pas hésité à comparer au Guggenheim de Bilbao ! Rappelons qu’à Marseille, 600 millions d’euros (financés à hauteur de 40 % par la Ville) ont été investis sur 45 chantiers pour renouveler l’offre culturelle. Ainsi, le « pôle J4 » conjugué au nouveau « parcours muséal » qui mènera du musée d’Histoire au Palais Longchamp (avec un détour 8e art magazine

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© Boeri Studio

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Pôle culturel. Sur le J4, face au Mucem, la Villa Méditerranée sera l’un des fleurons de la Capitale culturelle... Et de la nouvelle Marseille ?

« ON NE PEUT PAS SAVOIR CE QU’IL RESTERA DE CETTE CAPITALE. LA SUITE DEVRAIT ÊTRE ÉCRITE. ELLE NE L’EST PAS »

par le Château Borély) pourra s’avérer particulièrement lucratif, comme le démontre l’adjoint au maire délégué à la culture Daniel Hermann : « Avec ces nouveaux musées, les touristes, au lieu de ne passer qu’un jour et demi à Marseille comme c’est actuellement le cas, resteront un jour de plus. Lorsqu’on sait qu’un touriste dépense entre 80 et 100 euros par jour, c’est très intéressant ! » A Marseille, on n’a pas de pétrole, mais on a des musées. Reste à savoir s’ils auront les moyens des ambitions de la municipalité. Car comme le dit Sauvageot, « les gens ne s’intéressent pas aux équipements culturels, mais plutôt à ce qu’on mettra dedans ! » Et depuis les récentes ouvertures du Silo, du Mémorial de la Marseillaise et du Château de la Buzine, on craint le syndrome de la coquille vide... « Il va falloir être au niveau, et dans la durée, rebondit Jacques Pfister, avant d’élargir le 36

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débat : Il s’agit de transformer la dynamique culturelle grâce à une offre qui perdure. Mais aussi, il faut de la vie, il faut du sang neuf, il faut créer des lieux d’animation, développer la vie nocturne, faire venir des étudiants, avoir un hyper-centre piéton... C’est l’étape suivante. » Espérons que pour régler ces questions, on n’attende pas de décrocher l’organisation des JO.


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BORIS GRÉSILLON

‘‘ IL N’Y A PAS PIRE JOB QUE CELUI DE DIRECTEUR D’UNE CAPITALE CULTURELLE ! ’’ Boris Grésillon est professeur de géographie à Aix-Marseille Université et spécialiste des questions culturelles. Il est l’auteur de l’essai Un enjeu “capitale” Marseille-Provence 2013 (Ed. L’Aube, 2011). Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg – Photos : Joël Assuied

A vos yeux, quel est l’enjeu principal de Marseille-Provence 2013 ? Le premier, c’est parvenir à animer une ville pendant 365 jours. On parle bien ici d’animation sociale, artistique et culturelle. Pour que ça marche, il faut réussir à faire participer les Marseillais et faire venir des artistes de l’extérieur qui auraient à peu près saisi ce qu’est Marseille afin d’avoir un projet intéressant à proposer. C’est l’enjeu principal. Mais cette opération en présente bien d’autres… Economiques, urbains, touristiques… Par quoi commence-t-on ? Qu’on le veuille ou non, Marseille-Provence 2013, comme Lille 2004, et comme toutes les Capitales européennes de la culture, est une opération économique et financière. On ne démontrera jamais qu’un euro investi génère six euros de retombées, comme cela nous a été répété, mais MP2013 représente tout de même près de 800 millions d’euros d’investissements (équipements culturels, aménagement urbain, programmation, etc.). L’obtention du label en 2008 a servi de déclencheur à des projets qui, sans lui, n’auraient jamais pu voir le jour, ou du moins, auraient pris beaucoup plus de temps. Par exemple, ce n’est pas un hasard si on a vu le projet du nouveau Vieux-Port s’emballer : il fallait tout simplement un lieu central pour accueillir les grands rassemblements populaires en 2013. Il n’y en a pas à Marseille ! MP2013 est clairement un « accélérateur de pro-

jets » culturels et urbains. Cette expression, qu’on a beaucoup entendue, ne me paraît pas mauvaise… Car tout prend du temps dans cette ville. Il y a ici des pesanteurs énormes. Et je me demande finalement si l’enjeu principal de 2013 n’est pas là : pour la première fois de son histoire, Marseille va accélérer. L’histoire de Marseille va s’accélérer. Justement, Marseille avait « dix ans de retard » à rattraper en termes d’équipements culturels et d’infrastructures… Sur le plan des équipements culturels, on peut dire que Marseille a largement rattrapé son retard. Ce qui est en train de sortir de terre, c’est énorme ! Le Mucem, le Frac, la Villa Méditerranée, le Silo, les musées rénovés… La ville est en chantier, et si ces équipements fondamentaux sont inaugurés à temps, cela aura été une vraie performance technique ! Mais sur les infrastructures, il y a encore tant de choses à faire… Cela peut s’accélérer durant les derniers mois, mais je crois que la ville restera un sacré chantier. Le Vieux-Port, par exemple, restera engorgé. On a fait dans la demi-mesure, car une piétonisation totale aurait été impossible à faire aussi vite. La semi-piétonisation, c’est déjà pas mal, mais les voitures ne circuleront plus que sur une seule file, et ce sera vraisemblablement l’embouteillage chronique. Il y a d’autres habitudes, à Marseille, qu’on ne changera pas : les taxis sont les plus chers de France et ne sont pas toujours polis. Marseille n’a pas le sens de l’accueil. J’en veux également pour preuve qu’il n’existe pas de succur8e art magazine

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sale de l’office du tourisme à la gare Saint-Charles et que les touristes débarquant à Marseille par le train sont perdus. S’il est impossible de combler un tel retard en si peu de temps, on peut espérer que 2013 permette d’améliorer au moins la signalétique dans la ville, cruellement absente. Les objectifs sont élevés en matière de fréquentation touristique… En 2013, on va parler de Marseille en termes positifs, les médias évoqueront la ville pour autre chose que pour les fusillades dans les quartiers nord… Et tant mieux, car la Capitale culturelle présente en effet un fort enjeu touristique : il s’agit de faire venir deux millions de touristes de plus à Marseille sur l’année. C’est un beau pari. Et là encore, il est question d’accélérateur. Car si ça marche, sur ces deux millions, on peut espérer qu’une toute petite partie reviendra, comme ce fut le cas à Lille. Cet enjeu touristique est très important pour Marseille, beaucoup plus que pour Aix par exemple, où quoi qu’il arrive, il y aura toujours des visiteurs. En 2008, Marseille remporte le label européen devant Bordeaux, Toulouse, et Lyon. Car le point fort de la candidature de Marseille, c’était ses faiblesses… La candidature fut portée par un trio assez intéressant : un politique, le maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, le président de la Chambre de commerce Jacques Pfister, et un haut fonctionnaire venu de Paris, Bernard Latarjet. Leur idée fut de proposer d’emblée une candidature multiple. Pas la candidature de Marseille, mais celle de « Marseille-Provence ». Pour des questions financières d’abord, car cette ville pauvre ne pouvait financer seule un tel événement. Et depuis longtemps, il manque ici un projet métropolitain. Le lobbying de l’équipe de Latarjet à Bruxelles fut très intelligent. Ils ont joué sur le fait que MP2013 était la candidature de la ville « qui en avait le plus besoin ». Une formule très maline, car elle permet de mettre tout le monde d’accord. En effet, Bernard Latarjet n’a jamais 38

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précisé « de quoi » cette ville avait besoin ! D’équipements culturels ? D’équipements socio-culturels ? D’activité économique engendrée par un événement culturel ? De retombées touristiques ? D’un aménagement du territoire boosté ? D’une opération de lifting urbain ? D’un levier métropolitain ? D’une meilleure image ? D’un rayonnement européen que la ville n’a pas ? Et bien oui. C’est de tout cela, peut-être, dont Marseille a besoin. En même temps, Bernard Latarjet a su démontrer que l’Union européenne avait tout autant besoin de Marseille… Exactement. Marseille n’a pas souvent eu de la chance dans son histoire, mais cette fois, il y eut une belle conjonction. Au moment de la candidature se préparait l’Union pour la Méditerranée (UPM), portée par Nicolas Sarkozy ; et en même temps, il était question pour l’Union européenne de relancer le volet 3 du processus de Barcelone, disant que l’Europe devait s’ouvrir à la rive sud du bassin méditerranéen. La candidature de Marseille touchait juste ! Là encore, l’intelligence de Bernard Latarjet et de son équipe fut d’inscrire, auprès de Bruxelles, la candidature dans la perspective de ces deux projets en présentant Marseille comme la plaque tournante des futurs échanges culturels euroméditerranéens et, au-delà du discours institutionnel, comme une vraie chance pour l’Europe. Quel fut le rôle de la Chambre de commerce dans tout ça ? Il a été très important, même s’il a été passé sous silence. Dès 2005, un petit groupe d’entrepreneurs s’est formé autour de Jacques Pfister, le président de la CCI. Un an après, Marseille perdait l’organisation de la Coupe de l’America, il fallait donc rebondir, parvenir à avoir une grande opération, un événement moteur qui permette à Marseille d’entrer dans le fameux « Top 20 » des métropoles européennes, ce qui est la grande ambition de la CCI. Jacques Pfister a eu le mérite de croire dès le début en la Capitale culturelle, et de rassembler autour de lui petits et grands patrons. Il ne faut pas oublier que Marseille-


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« UNE CAPITALE RATÉE, C’EST D’ABORD UNE CAPITALE DONT ON N’A PAS PARLÉ ET QUI A PERDU DE L’ARGENT »

Provence 2013 est parvenue à attirer cinq sponsors à 1,5 millions d’euros chacun. Le monde privé va ainsi amener les 15 millions d’euros prévus au budget de MP2013. Ce qui n’était pas évident en cette période de crise. Depuis que le gouvernement a affirmé sa volonté de créer une grande métropole, la dimension de « laboratoire métropolitain » de Marseille-Provence 2013 prend un sens nouveau… C’est vrai, et la nomination d’un préfet délégué chargé de mettre en place la nouvelle métropole est un signal fort et positif, mais je reste pessimiste. Marseille est une anti-métropole. Une métropole qui se refuse à elle-même, qui devrait exister depuis 40 ans en tant que communauté urbaine comme à Lyon, Lille ou ailleurs, mais qui ne voit pas le jour ! En plus, le drame de Marseille, c’est que toutes les communes et communautés d’agglomération environnantes ne veulent pas s’associer avec elle dans une grande métropole, qu’elles soient de droite ou de gauche. Il y a un véritable blocage sur ce point et je ne pense pas que le gouvernement pourra le lever. Toutefois, après 2013, il y a les élections municipales de 2014. Ainsi, les hommes politiques de la région ont tout intérêt à mettre de côté, pour un temps, leurs ego, jalousies, et querelles de clochers. Pour que l’opération MP2013 ne soit pas présentée par la presse nationale comme un échec, notamment parce que les communes participant au projet n’auraient pas réussi à s’associer... Après l’obtention du label en 2008, on est rapidement passé de l’enthousiasme au désenchantement… Notamment chez de nombreux acteurs culturels locaux, qui regrettent de ne pas être davantage associés à la programmation. A ce titre, l’appel à projets lancé en 2009 fut très mal vécu… Il était difficile de procéder autrement, mais cet appel à projets fut réalisé de façon extrêmement maladroite, sur le principe de l’entonnoir : on accepte tout ce qui vient et on fait le tri. Cela a duré tellement longtemps… Certains ont attendu deux ans pour se voir accorder une labellisation mais sans financement ! Ou si peu… Les acteurs culturels que j’ai pu rencontrer, notamment les petits, sont frustrés. Peut-être fallait-il faire cet appel beaucoup plus tôt, trancher beaucoup plus vite, et de

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manière beaucoup plus dure. Non pas en finançant 500 projets mais plutôt 70 ou 80, mais alors ceux-là, les financer vraiment. Cela dit, je pense qu’il n’y a pas pire job que celui de directeur d’une Capitale culturelle ! On est soit accusé de faire du saupoudrage, soit de faire de l’élitisme ou de ne privilégier que les grosses structures. Et pourtant, il faut produire quelque chose d’original, qui débute le jour J… Ce qui paraît d’autant plus compliqué, lorsqu’on sait que certains grands opérateurs ont dû abandonner leurs projets en cours de route, faute d’être parvenus à trouver un interlocuteur chez MP2013… Au moment du départ de Bernard Latarjet, il y eut un énorme problème dans la mise en production des spectacles. Il y a un moment où il faut dire aux opérateurs culturels : « On vous donne tant d’argent pour tel projet. » Idéalement, deux ou trois ans avant l’événement. Certains directeurs de structures m’ont confié avoir été surpris que la phase de production débute si tard. En attendant, ils étaient bloqués ! Lorsque JeanFrançois Chougnet a remplacé Bernard Latarjet, au printemps 2011, deux directeurs de production ont tout de suite été nommés pour faire en sorte de combler le retard. Mais pour certaines structures, le train était passé. Elles n’ont pu attendre et ont donc dû annuler leurs projets. Une Capitale culturelle ratée, c’est quoi ? C’est d’abord une Capitale dont on n’a pas parlé et qui a perdu de l’argent. Souvent, lorsque c’est le cas, il se trouve que ce fut aussi une Capitale à la programmation artistique inintéressante. Les trois vont ensemble. Les spécialistes considèrent que c’est ce qui est arrivé par exemple à Thessalonique 1997 et Patras 2006. Istanbul 2010, ce fut aussi très moyen. On en attendait beaucoup, mais l’équipe de direction fut quasiment changée à la veille de l’événement. Et sans aucune continuité. Sur le plan culturel et artistique, on en a peu parlé… A ce titre, quel regard portez-vous sur la programmation de MP2013 ? Toute la complexité des Capitales culturelles est de parvenir à réunir grands artistes internationaux et projets locaux. Mais peut-être que MP2013 s’y est pris trop tard pour avoir de grands noms… Ou alors, parce qu’elle n’avait pas assez d’argent et de temps, l’équipe s’est rabattue sur des projets locaux dont elle s’est rendue compte de la qualité. Certains présentent la caractéristique d’être très fortement ancrés dans leur territoire. Par exemple, le projet « Quartiers créatifs » me paraît très intéressant. Il s’agit d’une opération de résidences d’artistes dans des quartiers en difficulté. A Marseille, mais aussi à La Ciotat, Arles... Son intérêt est de faire travailler ensemble, et sur le long terme, artistes et habitants. Dans ce type de projet, la sauce ne prend pas toujours… Mais la possibilité de l’échec est une partie intégrante de l’opération ! Par contre, si ça marche, il en restera quelque chose. Ici, nous ne sommes pas dans le grand projet comme la méga-expo l’Atelier du midi ! On est dans le petit, l’invisible, mais qui peut quand même créer du lien et être durable. Malgré tout ce qu’on peut en dire, j’ai envie de la découvrir cette année 2013… 8e art magazine

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MP2013

LA STORY

2004 - 2013

LA STORY Retour sur les péripéties ayant émaillé l’organisation de la Capitale culturelle (p. 40-41) et coup d’œil sur les principaux temps forts de l’année 2013 (p. 42 à 47). Par Sandro Piscopo-Reguieg

L’AFFAIRE DU « GUICHET UNIQUE »

Par un vote au conseil municipal, la Ville de Marseille décide de se porter candidate au titre de Capitale européenne de la culture pour l’année 2013.

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Marseille-Provence remporte le label européen face à Toulouse, Bordeaux et Lyon.

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Pose de la première pierre du Mucem par Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication. MA

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Lancement officiel de la candidature de MarseilleProvence 2013 et création d’une association indépendante pour piloter le projet. Bernard Latarjet est nommé directeur général.

Premier conseil d’administration de l’association MarseilleProvence 2013. Bernard Latarjet est confirmé à son poste. Une « note méthodologique » définissant les modalités de dépôt, de sélection, de labellisation et de financement des projets est produite.

© Amélie Mauri

« Aujourd’hui, on ne sait pas où aller, on ne sait pas qui fait quoi », déclarait le « délégué spécial MP2013 » Renaud Muselier, le 16 mars 2009, pour justifier la création d’un « guichet unique » par la mairie de Marseille, afin de présélectionner les projets candidats à la labellisation pour 2013. Pourtant, c’est bien l’association Marseille-Provence 2013, dirigée par Bernard Latarjet, qui est censée assurer ce rôle. Ce dernier, fragilisé, accuse le coup. Alors que l’initiative de la mairie (UMP) suscite une levée de boucliers chez les élus de gauche, Jacques Pfister, président de la CCI et de MP2013, calme le jeu en rappelant que « c’est l’association et elle seule qui sélectionne les projets culturels à labelliser » et que Bernard Latarjet en est le « patron opérationnel », tout en signifiant aux politiques que « le ‘‘ jouer collectif ’’ demeure la règle ». La mairie fait marche arrière et évoque un « malentendu ».

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Une nouvelle fois confirmé dans ses fonctions par le conseil d’administration du 6 avril 2009, Bernard Latarjet procède au lancement d’un appel à projets qui permettra « d’enrichir et préciser » la programmation de l’année 2013 ainsi que « d’associer largement les opérateurs culturels du territoire » à la Capitale culturelle.

BERNARD « LA TARGET »

Le visage du directeur général de MP2013 au cœur d’une cible… Une façon, pour le graphiste Stéphan Muntaner, de réagir à l’annulation d’un appel d’offre pour la création du nouveau logo de Marseille-Provence 2013, déclaré « infructueux » malgré la participation de plus de 150 graphistes... L’image, qui a aussitôt fait le tour du web, symbolisait malgré elle une réalité beaucoup plus dure : Bernard Latarjet, « l’homme providentiel » de la victoire en 2008, est désormais la cible des politiques de tous bords, qui ne se gênent pas pour tirer à boulets rouges sur ce haut fonctionnaire parisien décidément trop indépendant…

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MP2013

LA STORY

AIX MENACE, TOULON SE RETIRE

Présentation publique du préprogramme de MP2013 à la Friche la Belle de Mai en présence de plus de 2 000 élus, journalistes et acteurs culturels. Une grand-messe de plus de quatre heures qui viendra à bout de la patience des plus enthousiastes…

Présentation publique des grands axes de la programmation de MP2013 à la Cité des arts de la rue pour répondre aux « impatiences, inquiétudes et critiques », alors que l’examen des projets reçus n’est pas achevé et que de nombreux acteurs culturels jugent le calendrier des labellisations trop tardif.

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Clôture de l’appel à projets. 2197 propositions ont été recueillies.

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Le conseil d’administration de MP2013 valide une liste de 383 projets labellisés suite à l’appel lancé en 2009. Ces derniers, qui ne recevront pas d’aide financière, viennent s’ajouter aux 525 projets coproduits par l’association.

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Depuis déjà quelques mois, il préparait son départ en coulisses… Mais le 20 mars 2011, une fuite dans la presse rend la nouvelle publique : après quatre ans et demi passés à la tête de l’association Marseille-Provence 2013, Bernard Latarjet jette l’éponge, fatigué (à presque 70 ans) par les incessantes critiques, les pressions politiques, les tensions chroniques… Il nomme lui-même son successeur, Jean-François Chougnet, qui fut son adjoint durant six ans à la direction du Parc de la Villette, à Paris. Le changement de casting est officialisé le 18 avril, malgré la grogne de certains élus : vexés de n’avoir été informés du départ de Latarjet, regrettant de n’avoir été consultés sur le nom de son successeur, Maryse Joissains (maire UMP d’Aix) et Jean-Noël Guérini (président PS du conseil général) avaient montré les crocs… Sans suite. Bernard Latarjet ne quitte cependant pas complètement l’association MP2013 : il est désigné « conseiller du président et du directeur général ».

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L’AFFAIRE CAMUS

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Lancement de l’appel à projets du Off de Marseille 2013.

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Il n’a pas échappé à certains élus que MP2013 pouvait constituer un efficace moyen de pression pour protéger les intérêts de leur chère ville. Ainsi, le 10 décembre 2010, lors de la fusion des universités d’Aix-Marseille au sein d’un pôle unique, Maryse Joissains menaçait de suspendre la participation financière d’Aix-en-Provence (7, 5 M d’€) au budget de l’association MP2013 en cas de transfert du siège de la nouvelle université dans la cité phocéenne. « Sinon, nous ferons Aix 2013 ! », déclarait-elle, sans rire, au journal La Provence. Un accord sera finalement trouvé, et l’adhésion de la ville d’Aix et de la CPA à MP2013 sera votée en janvier 2011. Mais pendant ce temps, Toulon se retirait définitivement : « Il n’était pas évident qu’on ait des retombées à hauteur de notre engagement. Marseille aura son Mucem, ici il ne restera rien », justifiait Valérie Paecht-Luccioni, chargée de la culture à Toulon Provence Méditerranée. Cette défection coûtera plus de 6 millions d’euros à l’association MP2013.

Une grande exposition consacrée à Albert Camus était censée se tenir à Aix à l’automne 2013. Le 10 mai 2012, on apprenait brutalement son annulation dans la presse pour d’obscurs problèmes « logistiques ». Ce sont en fait les tensions entre l’historien Benjamin Stora (commissaire de l’exposition), Catherine Camus (fille de l’écrivain) et la mairie d’Aix, qui ont eu raison du projet. Toutefois, le 1er août, le philosophe Michel Onfray annonçait avoir donné son accord pour remplacer Benjamin Stora : l’expo Camus paraissait sauvée. Mais l’affaire a pris un tour politique : on accuse Onfray de faire le jeu de la mairie d’Aix, soupçonnée d’avoir censuré le projet de Stora en raison de divergeances idéologiques... Même la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, exprime son refus de financer l’exposition. La polémique est très violente. Si bien que le 14 septembre, Onfray renonce.

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LE PROGRAMME

JANVIER-MAI 2013

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L’Odyssée du J1 12 JANVIER – 18 MAI

Entre la Major et la Joliette, la gare maritime du J1 a été réaménagée pour constituer l’un des lieux phares de la Capitale culturelle. Sa vue imprenable, son resto et sa librairie, doivent contribuer à en faire un espace convivial, ouvert à tous les publics. Et dans « l’Atelier du large », tout un chacun pourra s’initier à la photo ou au dessin et même exposer ses propres œuvres. Le J1 accueillera aussi de grandes expositions : la première, Méditerranées, sera présentée par un « Ulysse contemporain » qui guidera le public au fil d’un vrai-faux voyage dans le temps à la découverte de l’histoire du bassin, de la guerre de Troie aux porte-conteneurs.

© Thierry Nava - Groupe F

Intitulée « Marseille-Provence accueille le monde », la première partie de l’année sera placée sous le signe de l’ouverture et fera la part belle au cirque, aux arts de la rue, aux cultures urbaines, à la randonnée…

MÉDITERRANÉES

WEEK-END D’OUVERTURE

Une Grande clameur pour faire disjoncter Marseille Pour « accueillir le monde », il fallait au moins tout un week-end. Le samedi 12 janvier, rendez-vous à Aix-en-Provence pour l’inauguration d’un parcours d’art contemporain à travers les rues de la ville, avant de filer à Marseille où se déroulera l’essentiel des festivités. « Attention, ce n’est pas une ‘‘cérémonie d’ouverture’’, nous ne sommes pas aux Jeux olympiques ! », prévient-on du côté de MP2013, où l’on a voulu faire en sorte que « les Marseillais s’approprient l’événement en lançant euxmêmes le top-départ de l’année Capitale, au cœur d’une grande fête ». Ainsi, c’est dans les quartiers nord, depuis l’esplanade du Grand Littoral que l’on pourra découvrir, à la tombée de la nuit, une « Parade des lumières », qui déclenchera l’étincelle de la « Grande clameur », celle de tous les habitants de la cité phocéenne, qui retentira depuis 25 lieux disséminés dans le centre : un assourdissant brouhaha de voix, de notes et de sons de toutes sortes, qui risque fort de faire disjoncter la ville, et la plonger dans un « black-out » total… Puis, place aux jeux d’éclairages et autres feux d’artifices d’usage : la Capitale européenne de la culture est lancée, la fête peut commencer, et 300 000 personnes sont attendues pour déambuler de bals en concerts et de spectacles en expos, dans un grand centre-ville entièrement piétonnier… Le lendemain, dimanche 13 janvier, il faudra quand même vaincre sa gueule de bois pour participer, en famille, à l’une des 111 chasses au trésor organisées dans tout le territoire. Ce week-end marathon se poursuivra à Arles, sur les berges du Rhône, où de spectaculaires « Révélations » pyrotechniques embraseront le fleuve et la cité. Ce sera le bouquet final.

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© Anne Rigot

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CIRQUES EN CAPITALE

Le plus grand cabaret d’Europe DU 24 JANVIER AU 24 FÉVRIER

Le premier temps fort de l’année sera dédié au cirque, avec plus de 200 représentations sur tout le territoire, visibles en salle, sous chapiteau, ou dans l’espace public. Le cœur de l’événement sera constitué des deux manifestations du « pôle national des arts du cirque Méditerranée » : Janvier dans les étoiles (à La Seyne-sur-Mer) et Cirques en corps, nouveau festival (porté par la compagnie Archaos) dont la première édition convie à Marseille (Creac et parc Chanot) la crème des clowns, équilibristes, acrobates et magiciens originaires de toute l’Europe.


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LE PROGRAMME

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« L’œuvre plastique absolue » A PARTIR DE FIN MARS

© Akram Belaid

C’est un parcours de 365 km traversant l’ensemble du département, conçu par l’auteur et éditeur Baptiste Lanaspeze avec un collectif de sept « artistes-marcheurs ». Car oui, la marche peut être un acte artistique. Et le territoire, l’objet d’une contemplation esthétique. Mais si le GR2013 nous invite à « regarder les Bouches-du-Rhône comme s’il s’agissait de la chapelle Sixtine », on ne se contentera pas de s’émerveiller devant la nature grandiloquente. « Nous voulons renouveler la pratique de la randonnée en la transposant en milieu périurbain », raconte Lanaspeze, qui prouvera ainsi que « la nature ne commence pas là où s’arrête la ville », et que « ce paysage modifié, déblayé, remblayé, occupé par des villes, occupé par des gens, pollué, dépollué… C’est l’œuvre plastique absolue ! » Le GR2013 (qui se traverse en 15 jours) trace un sentier au cœur d’un musée à ciel ouvert, créant des points de vue insolites et poétiques. Car il n’y a rien de plus beau qu’une rivière s’écoulant près d’une raffinerie désaffectée…

© Carabosse

THIS IS (NOT) MUSIC

Cultures urbaines en Friche 25 AVRIL – 9 JUIN

Festival monumental DU 3 AU 20 MAI

Les arts de la rue vont chambouler la ville de Marseille avec une série de manifestations monumentales qui risquent bien de faire date. Citons, pêle-mêle, une flamboyante inauguration du nouveau Vieux-Port par la compagnie Carabosse (photo ci-dessus), un ballet de tractopelles sur la plage de David, la révélation d’un « dix-septième arrondissement », l’édification d’un géant de conteneurs de 18 mètres, un parcours d’art contemporain à L’Estaque, une orgie de plaisirs chromatiques colorant le ciel (et les gens) du boulevard de Paris… Pendant ce temps, une dizaine de compagnies sillonneront le département pour débouler sur les places publiques de cinq communes et y conter leurs folles histoires.

© Remed

LA FOLLE HISTOIRE DES ARTS DE LA RUE

Skate, graff, rock, hip-hop, tatoo, street art… Les cultures dites « underground » fusionnent au sein du festival XXL This is (not) Music, qui investira les 40 000 m2 de la Friche la Belle de Mai, ouverte sept jours sur sept durant six semaines. Chaque week-end sera l’occasion d’un temps fort regroupant compétitions de sports extrêmes (des pistes de BMX et « les plus grosses rampes de skate possible » seront installées à la Friche), concerts de grosses pointures internationales de la scène rock, électro, ou hip-hop, ainsi que performances de street art, projections de films, débats… On se baladera sur le toit-terrasse de la Friche, enfin accessible au public, et où est désormais posée une grande boîte blanche, le Panorama, nouveau lieu dédié aux arts visuels. C’est là que sera présentée, durant toute la durée de la manifestation, une exposition plutôt iconoclaste, puisqu’elle mettra en lumière les correspondances entre art contemporain, street art, et objets iconiques de la « board culture »… Selon son succès, This is (not) Music sera appelé à s’inscrire dans la durée : Marseille se cherche une identité culturelle ? L’underground lui va si bien…

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LE PROGRAMME

JUIN-AOÛT 2013

© Lisa Ricciotti

L’art prend l’air dans « Marseille-Provence à ciel ouvert ». Alors que Transhumance invite la nature à célébrer la Capitale culturelle, les festivals se déploient sur le territoire et les grandes expositions ouvrent leurs portes au fil de l’inauguration des nouveaux équipements qui constellent désormais la cité phocéenne.

© Boeri Studio

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VILLA MÉDITERRANÉE

Duel sur le J4 A PARTIR DU 15 MARS MUCEM

Une passerelle euroméditerranéenne A PARTIR DE DÉBUT JUIN

L’ouverture du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) sera l’un des moments forts de l’année 2013, tant ce projet (attendu depuis dix ans) symbolise, à lui seul, la Capitale culturelle et ses enjeux. Posé à l’entrée du Vieux-Port, résolument tourné vers la Méditerranée, le Mucem se veut passerelle entre les deux rives. Au geste architectural de Rudy Ricciotti répond le sobre fort Saint-Jean, dont la restauration et l’ouverture au public constituent un petit événement. Entre nature et culture, ce monument historique, qui offre une vue exceptionnelle sur la rade, sera agrémenté d’un « jardin méditerranéen suspendu » et de galeries d’exposition. A la manière d’un carrefour, il sera muni de deux passerelles qui conduiront – au choix – vers le parvis de l’église Saint-Laurent (et donc vers le Panier) ou sur le toit-terrasse du bâtiment de Ricciotti. C’est là que seront présentées les deux grandes expositions inaugurales du Mucem. La première, Au Bazar du genre (féminin-masculin), questionnera les multiples façons d’être homme ou femme, aujourd’hui, dans l’espace méditerranéen, à l’aide d’objets ethnologiques, films ou installations d’art contemporain. La seconde, Le Noir et le Bleu, un rêve méditerranéen, ne sera, nous dit-on, « ni une exposition historique, ni une exposition d’art et de patrimoine » : ce projet ambitionne d’inventer une « forme nouvelle » associant arts plastiques (peinture, photo, sculpture), documents d’archives (manuscrits, livres anciens, journaux, affiches), fictions et documentaires, dans un parcours à travers les différentes représentations de la Méditerranée, de Napoléon à nos jours.

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Autre prouesse architecturale, le bâtiment imaginé par Stefano Boéri disputera la vedette au Mucem sur le J4. Et comme lui, la Villa Méditerranée (ex-CRM) sera dédiée à « l’expression de toutes les cultures de la Méditerranée », présentées à travers expositions, concerts, conférences et projections cinéma. C’est d’ailleurs ici, dans son agora sous-marine, que se déroulera (du 28 mai au 2 juin) la première édition des « Rencontres internationales des cinémas arabes », nouveau festival conçu pour « encourager les échanges autour des films réalisés au Maghreb, au Proche-Orient et au sein des diasporas arabes ».

La Digue du large

Durant l’été, la digue du Large sera enfin rendue au public. Dans cette « horizontalité linéaire », le plasticien Kader Attia aura posé une installation qui prendra la forme de blocs de béton blanchis à la chaux. Un clin d’œil à Alger, « invitant le spectateur à un voyage poétique vers l’horizon … ».

FRAC seconde génération

Le nouveau FRAC (conçu par Kengo Kuma) ne brillera pas seulement par son emblématique façade « pixellisée ». Avec ce bâtiment, le Fonds régional d’art contemporain disposera d’un espace d’envergure pour y déployer ses vastes collections. Plusieurs expositions collectives et monographiques sont prévues pour 2013, dont celle consacrée au plasticien marseillais Yazid Oulab, au début de l’été.


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LE PROGRAMME

TRANSHUMANCE

Capitale de la nature 17 MAI – 9 JUIN

© Musée Van Gogh

Parties d’Italie, du Maroc et de Camargue, trois transhumances convergent vers la plaine de la Crau pour ne former qu’un seul ensemble, avant de mettre le cap sur Marseille. Tout au long du chemin, les chorégraphies de troupeaux feront l’objet de prises de vues aériennes pour constituer une mosaïque du territoire transformé par le passage de cette grande Transhumance. Des haltes et bivouacs rassembleront populations, bergers, cavaliers et artistes, le temps d’un spectacle ou d’un repas partagé. Chaque personne croisée sur la route sera invitée à suivre ces milliers d’hommes, de chevaux et de moutons, dont l’arrivée à la cité phocéenne – sur l’avenue du Prado – devrait constituer l’un des événements mémorables de l’année. LE GRAND ATELIER DU MIDI

Van Gogh Vs Cézanne © Anne Zorgdrager

13 JUIN – 13 OCTOBRE

EN BREF

Danse en été

Les plus grandes stars de la peinture du XXe siècle seront à l’affiche de l’exposition « blockbuster » de l’année 2013, à découvrir en deux étapes : au Palais Longchamp de Marseille, le musée des Beaux-Arts ira « De Van Gogh à Bonnard », quand le musée Granet d’Aix-enProvence nous amènera « De Cézanne à Matisse ». Au total, plus de deux cents chefs-d’œuvre illustreront les différents mouvements picturaux ayant jalonné l’histoire de l’art de 1880 à 1960, de l’impressionnisme à l’abstraction. Et l’on verra que la Provence a inspiré les peintres au point que la région peut être considérée comme un « grand atelier » à ciel ouvert… Deux expositions monographiques seront proposées en contrepoint. A Aubagne, la chapelle des Pénitents noirs s’intéressera au Picasso céramiste, et le musée Ziem de Martigues documentera les séjours de Dufy dans le Midi.

La saison estivale sera marquée par un temps fort consacré à la danse. Autour du Festival de Marseille se noueront d’originales expériences chorégraphiques, conçues par les principaux animateurs de la discipline (BNM, Klap, Officina, Ballet d’Europe…).

Rodin, l’ombre de l’Antique

A Arles, cent vingt-cinq œuvres de Rodin dialoguent avec autant de pièces antiques, dans un jeu de miroirs soulignant l’empreinte de ces dernières dans l’inspiration du sculpteur (du 6 avril au 1 er septembre).

Daniel Buren à Istres

Le peintre-sculpteur aura carte blanche pour un « travail in situ de grande ampleur dans le centre-ville » qui sera vraisemblablement complété par une œuvre pérenne aux abords de l’étang de l’Olivier. Buren réalisera aussi un projet spécifique pour le nouveau centre d’art de la ville d’Istres.

Nouveaux musées Musée d’Histoire et Château Borély ouvriront tous deux leurs portes à l’été 2013, métamorphosés. Le premier verra ses surfaces d’exposition étendues (6 500 m2) et agencées selon un parcours en 13 étapes retraçant les 26 siècles d’histoire de Marseille. Quant au second, il faudra désormais l’appeler « musée des Arts décoratifs et de la mode ».

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LE PROGRAMME

SEPT. - DÉC. 2013

SAISON 3

© Ludovic Alussi

De la gastronomie aux arts numériques, « Marseille-Provence aux mille visages » va révéler les différentes facettes de la Capitale culturelle et même, pourquoi pas, la métamorphoser.

© Fabien David / Coloco

Grandes carrioles

CUISINES EN FRICHE

Capitale gourmande DU 11 AU 15 SEPTEMBRE

Le temps fort de la rentrée se déroulera à la Friche la Belle de Mai avec la première édition d’un festival « entre arts et cuisine », qui mijotera quelques recettes inattendues à base de théâtre, de musique, ou d’art contemporain, à déguster sous forme de spectacles-repas, goûters-concerts et balades gustatives… Le menu sera particulièrement copieux : entre deux repas partagés sur le toit ou dans les jardins, on participe à des ateliers de démonstration, avant de parcourir un grand marché de producteurs dans une Friche transformée. Enfin, on n’oubliera pas de réfléchir à ce qu’il y a dans nos assiettes lors de débats philosophiques et scientifiques… Mais ça, ce sera pour l’apéro.

A partir du printemps, de drôles de cuisines ambulantes vont sillonner le territoire : les « Grandes carrioles », au nombre de treize, seront chacune menées par un duo formé d’un chef et d’un artiste, qui mettront leurs imaginaires en commun pour inventer de nouvelles saveurs à découvrir en marge d’un spectacle ou d’un festival. Car une autre « street food » est possible : le « tajine de mauve », la « glace au foin » ou la « panisse aux herbes », c’est quand même autre chose que le kebab sauce blanche.

MÉTAMORPHOSES

Zones d’utopies prioritaires Dès le début de l’année, la monumentale façade du Palais de la Bourse pourrait bien devenir un gigantesque miroir déformant. Et au printemps, plusieurs centaines d’instruments de musique devraient être posés aux Goudes, pour former des « champs harmoniques », résonnant au gré du vent… Ce sont les « prémétamorphoses » imaginées par Pierre Sauvageot, le directeur de Lieux Publics, en préambule du temps fort de sa manifestation qui débutera avec l’automne : une vingtaine d’équipes artistiques européennes vont investir trois lieux emblématiques à Marseille pour en 46

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bousculer les usages, et « métamorphoser » notre regard sur la cité. « Ce projet, c’est l’occasion de s’adresser aux milliers d’habitants du centre-ville en les invitant à découvrir de nouveaux lieux de vie, des zones utopiques où l’on invente un rapport à l’autre différent. » Et si on transformait La Canebière en une vaste table de banquet de 300 mètres ? Et pourquoi pas métamorphoser la gare Saint-Charles en « musée d’art contemporain virtuel » ? Ou encore, inviter mille bâtisseurs à construire, place Villeneuve Bargemon, une ville éphémère, toute en carton ?

© Georges Fontaine

20 SEPTEMBRE - 6 OCTOBRE


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LE PROGRAMME

INNOVART

Aix numérique 10 OCTOBRE – 10 NOVEMBRE © Fondation Le Corbusier

Aix-en-Provence ne brille pas seulement pour son patrimoine. On en parle peu, mais elle est aujourd’hui l’une des villes françaises les plus dynamiques en matière d’arts numériques, grâce à des structures de pointe comme l’Ecole d’art, Seconde nature et le festival Gamerz. Dans le cadre du temps fort « Innovart », tout ce petit monde se retrouvera à la Fondation Vasarely, où artistes et scientifiques conteront ensemble leurs « Chroniques des mondes possibles », illustrées par une série d’installations associant création contemporaine et nouvelles technologies. Certaines risquent même de filer en douce pour s’exposer dans l’espace public, au fil d’une « Balade numérique »…

LC AU J1 © Xavier Zimbardo

L’expo du fada 11 OCTOBRE 2013 – 15 JANVIER 2014

JEUNE PUBLIC

En 2013 c’est permis TOUSSAINT 2013

Au J1, la dernière grande exposition de l’année s’attachera à l’emblématique Le Corbusier, dont la notoriété internationale prend sa source avec la réalisation de la fameuse Cité radieuse, sur le boulevard Michelet. D’ailleurs, son surnom - « la Maison du fada » - illustre bien le sentiment ambivalent des Marseillais à l’égard du chantre de l’esthétique dite « brutaliste ». A travers tableaux, sculptures, tapisseries, lithographies, émaux, images fixes ou animées, cette exposition fera la « synthèse des arts » chère à l’architecte et se situera à la convergence des différentes recherches plastiques menées par Le Corbusier de 1945 à 1965.

© Vincent Bourgeau

Dédié au dessin, à l’illustration et à l’animation, le festival Laterna Magica célèbre son dixième anniversaire tout au long de l’année avec expos, spectacles, projections, et ateliers, chaque premier week-end du mois. Mais c’est durant les vacances de la Toussaint que la Capitale culturelle mettra les minots à la fête : du 27 octobre au 8 novembre, le (mini) temps fort « Cahier de vacances » proposera une ribambelle de spectacles aux plus jeunes. Au même moment, la bibliothèque de l’Alcazar et les médiathèques de Vitrolles et de Miramas uniront leurs forces pour présenter une grande exposition qui verra les mondes merveilleux de la littérature jeunesse s’extirper des livres, et se lancer dans d’amusantes « Expéditions imaginaires »…

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TOUS ACTEURS

TOUS ACTEURS Ateliers de l’Euroméditerranée (p.48), Nouveaux commanditaires (p.50), Quartiers créatifs (p.52) : trois façons d’associer activement la population à la Capitale culturelle.

ATELIERS DE L’EUROMÉDITERRANÉE

L’ART, AU BOULOT !

Programme emblématique de MP2013, les Ateliers de l’Euroméditerranée installent des artistes en résidence dans des entreprises, services publics et associations.

Q

Par Emmanuelle Gall

Quel est le point commun entre Pôle Emploi, la Maison des avocats, l’hôpital Salvator et le groupe Daher ? Dans le cadre des Ateliers de l’Euroméditerranée (AEM), ces structures accueillent un artiste en résidence et jouent le rôle de plateformes de production pour alimenter la programmation artistique de Marseille-Provence 2013. Nés d’une triple rencontre (entre le collectif d’entreprises Mécènes du Sud, la Chambre de commerce et l’association MP2013), les AEM ont été mis en place dès 2008, durant la phase de candidature. Ce programme aurait d’ailleurs largement contribué à la désignation de Marseille au label européen.

« LA PRÉSENCE DE L’ARTISTE DANS LES MURS DE L’ENTREPRISE PERMET AUX SALARIÉS D’ASSISTER ET PARFOIS DE PARTICIPER À LA CRÉATION DE L’ŒUVRE »

Caserne, mine et boulangerie. Aujourd’hui, on est loin

elle collaboré avec la Patrouille de France à la conception de plusieurs figures aériennes... Citons encore Célia Houdart et Sébastien Roux, accueillis à Gardanne par les entreprises minières du Puits Morandat : respectivement écrivaine et musicien, ils travaillent à un « petit opéra bruissant et minéral », bientôt diffusé sur la Sainte-Victoire et dans l’ancienne mine de charbon…

des deux cents « Ateliers » annoncés à l’origine : soixantecinq structures sont officiellement engagées dans ce processus inédit de production artistique. Inédit, parce qu’il ne relève ni de la commande, ni du mécénat. « L’entreprise qui reçoit l’artiste participe au financement d’une œuvre sans pour autant en devenir propriétaire. En outre, la présence de l’artiste permet aux salariés d’assister et parfois de participer à la création de l’œuvre », précise Sandrina Martins qui pilote l’opération au sein de l’association MP2013. Elle joue le rôle – pas toujours facile – de coordinatrice entre les différents partenaires : artistes, entreprises et acteurs locaux. Elle veille aussi à répartir les financements puisque l’association MP2013 coproduit les œuvres (à hauteur de 40 % en moyenne). En la matière, aucun modèle n’a été établi, chaque projet a son propre montage et son propre coût : de 15 000 euros pour la création d’un « pain 2013 » par Zareh Sarabian (à la boulangerie aixoise Le Farinoman fou) à 230 000 euros pour la réalisation d’un film par le plasticien égyptien Wael Shawky (en relation avec plusieurs structures aubagnaises). Si les arts visuels se taillent la part du lion et totalisent plus de la moitié des résidences, des écrivains, musiciens et designers ont aussi su séduire les entreprises. La compositrice italienne Alice Berni et l’ensemble Télémaque ont créé et répété, dans la caserne des marins pompiers de Saumaty, une pièce qui sera jouée en 2013. La « chorégraphe de l’apesanteur » Kitsou Dubois a quant à 48

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Aventures. La diversité règne au sein des AEM : diversité

des médiums, des structures, mais aussi diversité relative des zones d’implantation. Marseille accueille naturellement la grande majorité des projets, mais Aix, Gardanne, Martigues, Aubagne, Salon, Arles et Marignane ont chacune droit à au moins un atelier. Et non des moindres, puisque le groupe Daher, basé à Marignane, reçoit Alexandre Périgot, l’une des « stars » des AEM avec le jardinier Gilles Clément, le photographe Antoine D’Agata et les plasticiennes Mona Hatoum et Zineb Sedira. Dans cette longue liste figurent également de nombreux créateurs locaux et méditerranéens. Une initiative louable quand on connaît les difficultés que peuvent avoir certains plasticiens à pouvoir travailler dans la région. Et il y a fort à parier qu’à terme, l’opération peut faire décoller certaines carrières. Car, après avoir bénéficié d’un soutien matériel important, chaque artiste verra son œuvre présentée dans l’une des manifestions de 2013, autrement dit devant un large public, avant de la récupérer en vue de nouvelles aventures artistiques.


TOUS ACTEURS

© Vanessa Santullo

MP2013

L’INDISCRÈTE Par l’entremise de l’association Mécènes du sud, la photographe et vidéaste Vanessa Santullo a passé une année en immersion au sein de la joaillerie Frojo. La première semaine, je venais tous les jours, je faisais les mêmes heures que les salariés, comme si j’étais en stage ! » Sauf que Vanessa Santullo passait ses journées à observer, écouter, papoter… Avec les encouragements du patron. Edouard Frojo a en effet donné carte blanche à l’artiste pour naviguer au sein des différents espaces de la prestigieuse joaillerie familiale et venir à la rencontre de ses salariés. « Le bijou, pour moi, est un prétexte pour interroger le monde féminin », explique la photographe et vidéaste, à l’heure où se conclue sa résidence dans l’intimité d’une maison de luxe dont, auparavant, elle ignorait tout. Explorations. C’est en janvier 2012 qu’elle a débarqué, pour la première fois, au 17, rue Grignan, appareil photo en bandoulière et une foule de questions en tête. « J’ai commencé par m’intéresser au rez-de-chaussée, dévolu à la vente. J’y ai photographié le rapport au client, les vitrines, les bijoux. Je fus très surprise de voir qu’en réalité, Frojo, c’est presque une boulangerie ! C’est plein à craquer, tout le temps ! » Suivre le bal des vendeuses et des clientes dans le petit théâtre de la vente ne suffisait pas à l’artiste. Elle avait l’intuition que l’essentiel se jouait ailleurs. « J’ai donc décidé d’aller voir ce qui se passait dans les étages. Là, il y a notamment les bureaux, dont les portes restent souvent ouvertes. On voit tout, on entend tout. Pour mieux surveiller les salariés ou par souci de transparence ? Ici aussi les femmes sont nombreuses. C’est comme si les hommes géraient ce qui est de l’ordre de la direction et de la finance, et les femmes étaient chargées de ce qui se passe en coulisses (communication, administration...). Mais la secrétaire d’Edouard Frojo m’a un jour dit que contrairement aux apparences, ici, ce sont les femmes qui commandent ! »

Soucieuse de poursuivre son exploration verticale des lieux, Vanessa se faufile telle une petite souris dans les combles. Un autre monde. « Là, j’ai surpris une discussion entre une femme de ménage, un coursier et la personne en charge des stocks. Ils parlaient des élections, de leurs engagements… Ah, si Edouard Frojo savait que tout en haut, on parle politique ! Ces femmes ne sont pas exposées comme les vendeuses, on ne les voit pas, elles ne portent pas de bijoux, mais elles participent de la même réalité. J’ai tout filmé. » Au fil de ses découvertes, le projet de Vanessa Santullo se précise : s’intéresser à toutes celles qui animent cette joaillerie, n’est-ce pas dresser le portrait de la femme d’aujourd’hui ?

ELLE PASSAIT SES JOURNÉES À PAPOTER... AVEC LES ENCOURAGEMENTS DU PATRON

Productivité. Photos, vidéos, sons… Toute cette matière sera bientôt réunie par l’artiste au sein d’une installation multimédia présentée en 2013. Sans attendre, Edouard Frojo estime déjà l’expérience concluante. « Il y a l’œuvre, bien sûr, mais aussi la construction de l’œuvre, à laquelle nous avons tous participé », explique celui qui nous confie avoir été « surpris par le rôle social de l’artiste ». Alors qu’on n’aille pas lui demander si les petites enquêtes de la plasticienne ont pu nuire à la productivité de l’entreprise… « L’écoute que Vanessa a pu avoir envers les uns et les autres a eu des effets positifs sur nos collaborateurs : quelqu’un qui a le sentiment d’être valorisé, ce n’est pas du temps de travail perdu pour l’entreprise, bien au contraire... » S.P-R.

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TOUS ACTEURS

TOUS ACTEURS NOUVEAUX COMMANDITAIRES

A CHACUN SON ŒUVRE ! En offrant la possibilité à des citoyens de commander une œuvre à un artiste, le programme « Nouveaux commanditaires » est devenu l’une des vitrines de MP2013 dans l’espace public. Par Emmanuelle Gall

U

Une sculpture en forme d’Ecume des jours réalisée par Didier Fiuza Faustino sur l’imposante façade de l’Hôpital Nord, des Bancs de sable semés par Olivier Bedu sur la place François Moisson, une cour de récré modulable et colorée aménagée par Krijn de Koning pour les élèves du collège Notre Dame de la Major… Il ne faudrait pas confondre le programme dit des « Nouveaux commanditaires » et les Ateliers de l’Euroméditerranée. Ils associent certes tous deux artistes et société civile, mais chacun dans un objectif différent. Et, comme leur nom l’indique, les Nouveaux commanditaires s’inscrivent dans la tradition millénaire de la commande artistique. Par ailleurs, il s’agit d’un projet que Marseille-Provence 2013 n’a pas initié, mais seulement labellisé et soutenu (à hauteur de 800 000 euros). Genèse. C’est la Fondation de France qui a mis au point,

au début des années 90, ce dispositif imaginé par l’artiste François Hers afin de permettre « à des citoyens confrontés à des enjeux de société ou de développement d’un territoire, d’associer des artistes contemporains à leurs préoccupations en leur passant commande d’une œuvre ». Depuis 1997, le Bureau des compétences et désirs, basé à Marseille, est le médiateur officiel de la Fondation pour la région Grand Sud (PACA, Languedoc-Roussillon et Corse). En quinze ans, il a ainsi accompagné les désirs d’une vingtaine de commanditaires : services hospitaliers, établissements scolaires, municipalités, mais aussi la Villa Noailles, ou encore la Réserve géologique de Haute-Provence. « Concrètement, il s’agit en premier lieu d’aider les commanditaires à circonscrire leurs attentes et à préciser les enjeux de leur demande, puis de leur proposer un artiste dont la démarche puisse dialoguer avec ces objectifs et le contexte du projet », précise Anastassia Makridou-Bretonneau. C’est elle qui pilote les neuf projets coproduits par Marseille-Provence 2013. Son rôle ne se limite pas à la création d’un cahier des charges et à la désignation des artistes : « Cette médiation comporte aussi l’accompagnement et la coordination du projet dans tous ses aspects administratifs, financiers et techniques, autrement dit dans sa phase de production. » Et, au vu de la diversité des commandes, le nombre d’interlocuteurs peut varier du simple au double. On imagine aisément les dif50

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POUR L’HEURE, QUATRE DES NEUF PROJETS LABELLISÉS MP2013 SONT DÉJÀ ACHEVÉS

ficultés administratives rencontrées lors de la réalisation d’une œuvre monumentale sur un bâtiment de l’Assistance publique, les problèmes de voisinages occasionnés par un projet de kiosque à musique sur une place du centre-ville, ou encore les contraintes techniques imposées par la création d’un « observatoire » destiné à initier les pensionnaires d’une crèche au monde des images… Calendrier. Pour l’heure, quatre des neuf projets labellisés

MP2013 sont déjà achevés et, le 13 octobre dernier, était inaugurée la première des cinq fées conçues par les artistes Lucy + Jorge Orta pour l’association Rives & Cultures. Invité à valoriser les berges de l’Huveaune, le tandem s’apprête à installer ses quatre autres sculptures, de la source à l’embouchure du fleuve, d’ici la fin du premier trimestre 2013. Quant aux autres commandes, elles devraient très prochainement entrer en phase de fabrication. Toutes n’aboutiront pas forcément : par le passé, six projets ont dû être interrompus, pour diverses raisons. Par ailleurs, comme le souligne Anastassia Makridou-Bretonneau, « l’action Nouveaux commanditaires est indépendante du calendrier limité de la Capitale culturelle. Nous travaillons ici, à Marseille, mais l’action se développe aussi depuis longtemps sur tout le territoire français, ainsi qu’en Allemagne, Belgique, Italie et Espagne grâce à un réseau de médiateurs européen. Le devenir de l’action, ici comme ailleurs, est un enjeu politique d’une autre échelle ». A suivre, donc…


TOUS ACTEURS

© Berdaguer & Péjus

MP2013

LES FANTÔMES DE L’OPÉRA Sur la place Lulli, à deux pas de l’Opéra, on risque bientôt d’entendre de drôles de voix…

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nfin débarrassée de ses voitures et rendue aux piétons, la place Lulli a retrouvé un visage humain. Pour la rendre plus attractive encore – et éviter qu’elle ne se transforme en parking à scooters –, les commerçants du quartier ont décidé de la parer d’une œuvre d’art. Au terme de plusieurs mois de concertation, la fédération des commerces du centre-ville « Marseille Centre » et le Bureau des compétences et désirs ont choisi le duo d’artistes Berdaguer & Péjus pour mener ce projet. De leur côté, ces derniers se disaient sensibles « au fait qu’une association de commerçants s’engage dans le but de donner une qualité à l’espace public et, cela, dans une ville où les œuvres dans l’espace public sont quasi inexistantes ». En matière de commande publique et/ou privée, le tandem n’en est pas à son coup d’essai. L’année dernière, on a pu voir, à l’abbaye de Sylvacane, son Jardin d’addiction : une installation monumentale réalisée pour le Musée international de la parfumerie de Grasse. Et il vient d’achever la Gue(ho)st House : une sculpture-architecture destinée à abriter l’extension du centre d’art contemporain la Synagogue de Delme, en Lorraine. En habillant un bâtiment désaffecté d’un voile de polystyrène recouvert de résine projetée et peinte d’un blanc immaculé, ils l’ont transformé en maison fantôme, dans la veine de leurs Psychoarchitectures (des maquettes de maisons réalisées à partir de dessins d’enfants répondant à un test psychologique). Résonance. Le kiosque imaginé pour la place Lulli semble lui aussi sorti d’un dessin animé de Tim Burton. Inspiré par le kiosque de la Canebière, il en est une projection fantasmagorique, au sens littéral du terme, comme distordue par

l’effet d’une illusion d’optique. Il en est également une version réduite - à la mesure de la place - revêtue de noir, et… musicale. Pour répondre au souhait des commanditaires de « mettre en résonance » la place Lulli et l’Opéra voisin, les artistes ont décidé de sonoriser le kiosque : « Nous avions remarqué à plusieurs reprises, en passant aux abords de l’Opéra, que les répétitions s’entendaient dans la journée LE KIOSQUE dans les rues avoisinantes, DIFFUSERA, c’est de cette ‘‘ fuite’’ sonore et EN CONTINU de la douceur qu’elle apporET EN TEMPS tait aux passants que le projet s’est construit. » Ainsi, le RÉEL, LES SONS kiosque diffusera, en contiENREGISTRÉS nu et en temps réel, les sons DANS L’OPÉRA enregistrés dans le bâtiment. VOISIN En collaboration avec le GMEM (centre national de création musicale à Marseille), les artistes ont imaginé une « composition » obtenue par la distorsion et le remixage des voix des chanteurs, des paroles des divers corps de métiers au travail, des bruits des machines et des instruments. Jour et nuit, les badauds entendront dans le kiosque la rumeur ou les fantômes de l’Opéra. Un hommage aux kiosques à musique d’autrefois ? « Produire en live du son dans l’espace public était la fonction de ces kiosques, et c’est ce que nous proposons… Les kiosques à musique nous semblent des objets de réflexion intéressants. Tombés en désuétude, ils pourraient dans le contexte actuel (téléchargement, partage de musique…) devenir un espace de partage sonore et social pas si désuet que ça. » E.G.

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TOUS ACTEURS

TOUS ACTEURS QUARTIERS CRÉATIFS

DES HOMMES ET DES LIEUX

Quelle place l’art et la concertation peuvent-ils prendre dans les opérations de rénovation urbaine ? Et si les zones dites « sensibles » devenaient des « Quartiers créatifs » ?

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Par Emmanuelle Gall

Baptisé « Quartiers créatifs », le dernier né des grands projets participatifs de Marseille-Provence 2013 est peut-être aussi le plus ambitieux. Effectif depuis septembre 2011, il invite des artistes à intervenir dans des quartiers engagés dans des programmes de rénovation. Héritière des grandes utopies modernes, l’idée d’introduire de l’art dans l’aménagement urbain n’est pas nouvelle. Ce qui est inédit dans la région, c’est le fait d’engager quatorze équipes artistiques dans autant de lieux : quartiers nord de Marseille, mais aussi Porte d’Aix, Belle de Mai, hauts de Mazargues, ou bien Griffeuille à Arles, la cité de l’Abeille à La Ciotat... Autant de zones qualifiées de « sensibles », et dont les habitants pourraient légitimement se sentir exclus de la dynamique engendrée par la Capitale culturelle. Tandis que les mauvaises langues voient dans ces Quartiers créatifs un alibi ou une manière pour l’association MP2013 de se donner bonne conscience, Anaïs Lemaignan, qui pilote le projet avec Pascal Raoust, ne se laisse pas intimider. « A l’origine, ce programme n’a pas été pensé pour des quartiers en difficulté, mais pour des territoires en rénovation. S’il est vrai qu’aujourd’hui il concerne davantage les premiers, il a au moins le mérite d’exister. Car sans les Quartiers créatifs, il ne se serait rien passé là-bas. » Collectif(s). Pour avoir travaillé dans le passé à la Cité des arts

de la rue (15e arrondissement) puis au Théâtre du Merlan (14e), Anaïs Lemaignan connaît bien le terrain : « Il faut être imaginatif, réfléchir autrement à la question des publics, et ne pas se contenter d’organiser des concerts dans des cités. » Du coup, elle est allée faire un tour à Liverpool (Capitale culturelle en 2008), pour observer comment l’équipe anglaise avait pu répondre aux enjeux de transformation urbaine. Là-bas, comme partout en Europe, il existe de nombreux collectifs spécialisés dans les projets « hybrides » et participatifs, associant les arts plastiques à l’urbanisme, l’architecture ou au design. Leur médium, c’est la ville. A Marseille, Aubagne, Arles, Salon, Istres, Vitrolles, Martigues et La Ciotat, les artistes sélectionnés ont chacun reçu un cahier des charges, réparti en trois étapes sur une durée de dix-huit mois : « immersion - activation - restitution ». Ainsi, le plasticien Jean-Claude Brisson au Plan d’Aou (Marseille, 15e) ou le collectif Les Pas perdus à Arles, ont tous débuté leur intervention par une période d’observation, avant de mettre en place des ateliers ou des rencontres, puis d’envisager les moyens de rendre public le résultat de leur résidence. 52

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« SANS LES QUARTIERS CRÉATIFS, IL NE SE SERAIT RIEN PASSÉ LÀ-BAS »

Prudence. S’il est beaucoup trop tôt pour faire le bilan des

quatorze projets installés sur le territoire de Marseille-Provence 2013, il est déjà possible de relever les nombreuses difficultés et obstacles auxquels tous (ou presque) se voient confrontés. « C’est un programme très expérimental, explique Anaïs Lemaignan, qui suppose une collaboration avec un grand nombre d’acteurs, des bailleurs sociaux aux différents services municipaux. Certains, comme la Logirem, sont familiers de ce type d’expériences, mais ce n’est pas la majorité. » Il faut souvent batailler ferme pour obtenir les autorisations nécessaires : le projet de « guinguette » initié par Jean-Claude Brisson, par exemple, n’a pas reçu un accueil très favorable à l’heure où la municipalité entend lutter contre le tapage nocturne. Dans le domaine des Quartiers créatifs comme dans d’autres programmes, l’association MP2013 cofinance (3 M d’euros) et coordonne : elle est le levier qui déclenche les actions, puis facilite les relations entre les différents partenaires, mettant de l’huile dans certains rouages administratifs. « Pour parer aux refus, on a mis en avant le concept de réversibilité : tout ce qui va être installé au cours de ces projets pourra être démonté, nous ne sommes pas dans l’aménagement durable ! » Expérimentation, réversibilité : deux mots qui résument bien la fragilité de ces Quartiers créatifs. D’ailleurs, sur la question des résultats, la chef de projet reste très prudente : « Dans ce programme, le plus intéressant, c’est le processus, pas la visibilité. On a décidé de ne pas se mettre la pression sur la fréquentation des sites. » Il est néanmoins question de valoriser ces différentes propositions à travers la création d’une rencontre européenne baptisée « Art et transformation urbaine », pour le mois d’octobre 2013. L’occasion de tirer les conséquences de cette expérience en la confrontant à d’autres projets équivalents menés ailleurs en Europe.


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TOUS ACTEURS

DESIGN CITOYEN AUX AYGALADES Dans les quartiers nord de Marseille, l’utopie devient prototype.

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uedi Baur est l’une des stars de l’opération Quartiers créatifs. Le graphiste et designer francosuisse, auquel on doit notamment la signalétique du Centre Georges Pompidou, de la Cité internationale de Lyon ou du nouveau tramway de Reims, a posé ses valises dans les quartiers nord de Marseille, aux Aygalades. Le choix de ce quartier, traversé par une autoroute et coupé du reste de la ville, n’est pas le fruit du hasard, mais d’une longue complicité entre le designer et Christine Breton. Cette ancienne conservatrice du patrimoine, officiant dans les quinze et seizième arrondissements depuis les années 90, est désormais une sociétaire très active de la coopérative Hôtel du Nord. « A travers ses différentes actions, elle a introduit une durabilité des relations absolument nécessaire en préambule à notre initiative », précise d’emblée Ruedi Baur. Avec les étudiants de Civic City, l’institut de « recherche critique en design » qu’il a fondé en 2011 à Genève, il a établi un calendrier de quatre workshops, étalés sur deux ans, ayant pour dénominateur commun « le prototype comme outil de transformation et de dialogue ». Un programme à la croisée du design, de l’architecture et de l’urbanisme, qui n’a rien d’abstrait : « L’idée, c’est qu’au lieu de montrer une idée sous forme d’esquisse, il faut la montrer de façon concrète, en créant un prototype. A taille réelle, de façon expérimentale. Nous allons essayer de l’ancrer dans le quartier. Il y aura ainsi rejet ou acceptation, développement et/ou correction. » A mi-chemin. Les deux premiers workshops, qui se sont déroulés l’hiver dernier et pendant les vacances d’été, ont abouti à deux propositions présentées lors des dernières Journées européennes du patrimoine. La première est un belvédère pourvu d’une table d’orientation (photo ci-dessus), tel qu’il en existe au sommet des cols en montagne. Ici, il est installé en bordure de la cité de la Viste. « C’est un geste symbolique,

l’amorce d’un chemin possible vers le fond de la vallée, faisant apparaître la colonne vertébrale positive du quartier : le ruisseau des Aygalades », explique Ruedi Baur qui espère bien voir ce parcours ouvrir dès l’année prochaine. Son deuxième questionnement, portant sur la possibilité de « relier le quartier à son ailleurs », s’est traduit par une réflexion sur les trois stations de TER qui encadrent les Aygalades : Saint-

S’APPROPRIER UN TERRITOIRE EN DÉSUÉTUDE, PUIS LE DÉVELOPPER, VOIRE LE TRANSFORMER EN RESSOURCE Antoine, Saint-Louis et Saint-Joseph-le-Castellas. Invisibles, souvent mal desservies, elles illustrent bien, chacune à leur façon, l’isolement des quartiers nord et l’échec des politiques urbanistiques passées. Les 14 et 15 septembre derniers, sous l’impulsion de Baur (associé à la compagnie Générik Vapeur et la FAI AR), ces « haltes ferroviaires » sont redevenues des gares. « Notre objectif était de montrer comment on peut s’approprier un territoire en désuétude, puis, dans un second temps, comment on pouvait le développer, voire le transformer en ressource économique. » A mi-chemin de son parcours marseillais, Ruedi Baur n’est pas au bout de ses propositions. Il reste encore deux workshops, deux occasions de faire émerger des questions – et des solutions – à destination des habitants et des pouvoirs publics. Leur contenu va s’élaborer au fil des mois, au gré des rencontres et des discussions. Adepte de « l’utopie de proximité », le designer a bien d’autres ambitions pour les Aygalades : réouverture de la piscine, transformation du cimetière et, pourquoi pas, recouvrement de l’autoroute. E.G.

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LE PRÉAU DES ACCOULES

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TROP COOL, LE PRÉAU DES ACCOULES ! Depuis plus de vingt ans, le Préau des Accoules initie les plus jeunes à l’art et au patrimoine. Chaque année, plus de 10 000 visiteurs découvrent, sur un mode ludique et original, la commedia dell’arte, l’art islamique, le savon de Marseille… ou même le langage des fleurs. C’est le thème de la prochaine expo au Préau. Par Emmanuelle Gall

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ès la rentrée, enseignants avisés et centres aérés ont déjà réservé leur visite. Les habitués savent bien qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde et n’ont pas du tout l’intention de rater Un peu, beaucoup, passionnément…, la prochaine exposition du Préau des Accoules. Il a beau faire figure de « petit dernier » dans la grande famille des musées marseillais, cet établissement né en 1991, entièrement conçu pour les enfants, est sans aucun doute le plus dynamique. Avec près de cinquante expositions à son actif, il s’est forgé une solide réputation en matière de muséographie et de médiation. Le tout dans un somptueux bâtiment de pierres roses, qui abritait au XVIIIe siècle l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Marseille. Aujourd’hui, en poussant la lourde porte du Préau des Accoules, on découvre un univers différent à chaque nouvelle exposition : palais des Mille et une nuits, théâtre italien, bateau de pirates, arche de Noé… A partir du 21 novembre, ce sera un jardin rempli de fleurs.

ENTIÈREMENT CONÇU POUR LES ENFANTS, LE « PETIT DERNIER » DANS LA GRANDE FAMILLE DES MUSÉES MARSEILLAIS EST SANS AUCUN DOUTE LE PLUS DYNAMIQUE

Balade florale. En réalité, ce ne sont pas un, mais trois jar-

Système D. S’il le faut, Laurence Rossellini n’hésite pas à

dins, que s’apprête à « planter » l’équipe du Préau : « La pelouse des jours heureux », « L’allée du temps », « Le bosquet de la beauté ». Une manière de rappeler que, dans toutes les civilisations et à toutes les époques, les fleurs sont associées à la joie, aux différentes étapes de la vie et à la célébration de la beauté. Au fil de la balade, on découvrira, entre autres, une tête couronnée antique, un jupon provençal, une toile contemporaine de Samuel Buri, des papiers découpés chinois, un crâne peint du Mexique, une huile d’Alfred Lombard, une nature morte du XVIIe siècle, une robe de Christian Lacroix, des cartes de vœux… Ces œuvres proviennent, en majorité, des musées marseillais (mais aussi de l’association Amitié Provence Chine). Contrairement à d’autres musées pour enfants, le Préau des Accoules présente des œuvres originales et non des fac-similés. Laurence Rossellini prône une politique muséographique 54

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à la fois ouverte et exigeante. « L’art ne se limite pas aux chefs-d’œuvre consacrés, les réserves des musées de Marseille regorgent de trésors. Ce sont d’authentiques œuvres, à mes yeux plus intéressantes que des reproductions. Par ailleurs, la diversité des musées locaux permet de se tourner également du côté des arts non occidentaux et de l’art populaire. » partir loin de Marseille pour dénicher une pièce… Dans la limite de son très maigre budget. Il est vrai qu’avec moins de 50 000 euros par an, il est inimaginable d’emprunter un Picasso, à cause des seuls frais d’assurance. Un budget qui explique également pourquoi elle cumule aujourd’hui les fonctions de commissaire d’exposition, rédactrice en chef du livret et conceptrice d’une foule de jeux. « Parce que nous sommes une petite équipe, aujourd’hui réduite à six personnes, nous faisons tout nous-mêmes, du travail de documentation jusqu’à la fabrication. » En matière d’emprunts comme de mise en scène des expositions, c’est le système D qui prévaut au Préau. « Chacun travaille selon ses goûts et ses compétences : Danièle, qui est très douée en couture, va créer des fleurs géantes ; Isabelle, artiste de formation, travaillera sur l’ambiance et le décor ; Luc inventera des jeux pour les plus petits ; Soria se chargera des puzzles… »


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LE PRÉAU DES ACCOULES

3 QUESTIONS À...

LAURENCE ROSSELLINI Responsable du Préau des Accoules.

Le Préau des Accoules s’adresse-t-il à une tranche d’âge particulière ? Notre public est, en règle générale, âgé de 5 à 10 ans. Avant 5 ans, les enfants ont une capacité de concentration très courte. Cela dit, nous nous adaptons à chacun des groupes que nous recevons et notre expérience nous permet de concevoir aussi des parcours pour les adolescents ou même les adultes. Des créneaux horaires sont également réservés aux enfants déficients visuels ou auditifs.

PUZZLES, COLORIAGES, JEUX DE CONSTRUCTION, DEVINETTES… ICI, TOUT EST BON POUR INSTRUIRE ET ÉDUQUER EN AMUSANT Souvenir(s). La spécialité du Préau des Accoules est de

proposer, systématiquement, une grande variété d’activités autour des thématiques des expositions. Puzzles, coloriages, jeux de construction, devinettes… Ici, tout est bon pour instruire et éduquer en amusant. « L’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi le thème des fleurs, c’est que les enfants d’aujourd’hui savent reconnaître une foule d’animaux, mais ont bien du mal à nommer les différentes fleurs », explique Laurence Rossellini. D’où l’idée d’un abécédaire, ou d’une liste d’expressions à compléter (« envoyer sur les… », « au ras des… »)... Pendant les visites, les enfants imagineront également des poèmes et découvriront le mythe de Narcisse. Enfin, ils quitteront les lieux en emportant le livret de l’exposition, afin de garder une trace de cette expérience - gratuite et enrichissante.

LE PRÉAU DES ACCOULES

29, montée des Accoules, Marseille, 2e - Entrée libre. 04 91 91 52 06

WWW.

marseille.fr 56

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Les écoles et les centres aérés constituent la majeure partie de votre public. Qu’en est-il des particuliers ? Jusqu’ici, les familles pouvaient venir les mercredis et samedis après-midi, ainsi que pendant les vacances scolaires. J’ai bon espoir qu’en 2013, nous puissions ouvrir le dimanche et proposer, chaque jour, un créneau de deux heures en accès libre. En outre, à partir de l’année prochaine, nous nous limiterons à une exposition par an, pour éviter les périodes – inévitables – de fermeture entre deux expositions. Cela nous permettra d’accueillir plus de monde. Qu’avez-vous prévu pour l’année 2013 ? N’ayant pas été contactés par MP2013, nous n’avons reçu aucun label et ne changerons rien à nos habitudes. Comme souvent dans le passé, nous allons nous associer à la programmation des musées marseillais en proposant « Le Petit atelier du Midi » en parallèle au « Grand atelier » au Palais Longchamp. Nous exposerons plusieurs toiles de l’Ecole de Marseille et travaillerons avec les enfants sur la question de la lumière dans le paysage ; de la lumière dorée et imaginaire de Ziem à la lumière réaliste de Casille. En 2014, nous enchaînerons avec une exposition consacrée aux gri-gris et talismans, en collaboration avec le Mucem et le Museon Arlaten.


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© Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Education


DÉCOUVERTE

LE SITE-MÉMORIAL DU CAMP DES MILLES

LE CAMP DES MILLES

POUR MÉMOIRE ET RÉFLEXION Entre 1939 et 1942, la tuilerie des Milles est devenue un camp d’internement, puis de déportation. Aujourd’hui, après une longue et difficile période de gestation, le site ouvre ses portes au public. Le camp des Milles du XXIe siècle affiche une triple ambition : il est à la fois un musée, un mémorial et un lieu de réflexion. Par Emmanuelle Gall

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vec son imposante façade de briques flanquée d’une vierge, la tuilerie des Milles est un beau spécimen de friche industrielle. Lors de sa construction en 1882, elle a bénéficié des dernières innovations technologiques de son temps : four Hoffmann à cuisson continue, presse à tuiles verticale… Deux hautes cheminées dominent aujourd’hui encore ce site de sept hectares où travaillèrent des milliers d’ouvriers venus de la région et d’Italie. Mais, s’il est désormais accessible au public, c’est moins pour raconter cette histoire-là que pour témoigner des trois années qui ont changé le cours de son destin. À partir de septembre 1939, après la réquisition de l’usine fermée depuis deux ans à cause de la crise économique, 10 000 personnes de 38 nationalités vont être détenues dans ce que l’on nommera désormais le « camp » des Milles. D’abord destiné aux « sujets ennemis », c’est-à-dire aux ressortissants du Reich arrêtés sur le territoire français, il va ensuite recevoir les

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LE SITE-MÉMORIAL DU CAMP DES MILLES

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Salle des peintures murales. Le Banquet des nations, attribué à Karl Bodek, déporté des Milles et mort à Auschwitz.

LE CAMP DE L’ART

Le site a conservé près de 500 œuvres d’art réalisées par des détenus. Le camp des Milles doit largement sa singularité – et sa sauvegarde – à l’art. Il a en effet compté parmi ses internés une proportion importante d’artistes, et l’inscription de la salle dite « des peintures murales » à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques, en 1983, a constitué une étape décisive vers la création du Mémorial. A l’époque, le propriétaire de la tuilerie s’apprêtait à détruire la menuiserie qui avait servi de réfectoire aux gardiens et qui recelait de remarquables fresques réalisées par des internés. Alertée par le sous-préfet, la communauté juive a dû batailler pour sauver cette construction, aujourd’hui restaurée et accessible au public (à l’extérieur, en sortant du bâtiment principal). Die Katakombe. On y découvre un Banquet des nations multiethnique parodiant La Cène, et plusieurs autres fresques qui illustrent avec humour le racisme et la disette frappant cette période. On estime aujourd’hui à près de 500 le nombre d’œuvres réalisées au camp des Milles. Parmi les peintres, il y avait les grands surréalistes, Max Ernst et Hans Bellmer, mais aussi une foule de noms moins célèbres dont les travaux constituent de précieux témoignages. Il s’agit surtout de dessins relatant la vie du camp sur un mode réaliste, ironique ou onirique. Obsédé par l’architecture des lieux, Hans Bellmer a des visions de briques, tandis que Max Ernst dessine les Apatrides, des silhouettes en forme de limes, l’outil de l’évadé. Il a installé son atelier, au sous-sol, dans un four. Dans les premiers temps, l’atmosphère qui règne sur le camp est, sinon propice à la création, du moins tolérante. Un autre four est baptisé Die Katakombe, en hommage à un cabaret berlinois contestataire fermé par les nazis. Des scientifiques, parmi lesquels deux futurs prix Nobel (Otto Meyerhof et Tadeus Reichstein)

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y donnent des conférences, les gens de théâtre (Friedrich Schramm, Max Schlesinger…) y montent des pièces et les musiciens y font des concerts. Un journal est même créé, la Pomme de terre, auquel vont collaborer de grandes plumes, tel Lion Feuchtwanger, qui relatera ensuite ses souvenirs Parmi les peintres, du camp dans Le Diable en les grands France, ou Franz Hessel, père de Stéphane Hessel et héros surréalistes, Max du roman Jules et Jim.

Ernst et Hans Bellmer, mais aussi une foule d’anonymes dont les travaux constituent de précieux témoignages

« Art dégénéré ». Comment expliquer la présence d’un tel nombre d’écrivains, peintres, musiciens et intellectuels au camp des Milles ? C’est qu’au départ, y étaient internés ceux qui avaient fui le régime nazi. Quand l’histoire de l’art salue le dynamisme des mouvements d’avant-garde dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, les nazis, eux, qualifiaient leurs œuvres d’ « art dégénéré ». En 1937, l’exposition organisée à la demande d’Hitler est suivie d’autodafés. De quoi inciter les artistes qui ne l’ont pas déjà fait à quitter le pays. Certains se rendent en France, et notamment autour de Marseille, souvent dans l’espoir d’émigrer. C’est là qu’ils sont arrêtés, moins pour leurs idées que pour leur nationalité - allemande ou autrichienne - jugée « ennemie » par le gouvernement français. La majeure partie d’entre eux a réussi à quitter le camp avant 1941, mais l’un des peintres du réfectoire, Karl Bodek, est mort à Auschwitz, après avoir été déporté au cours de l’été 42.


LE SITE-MÉMORIAL DU CAMP DES MILLES

© Fondation du Camp des Milles - Mémoire et Education

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Etage réservé aux femmes et aux enfants.

« indésirables » (étrangers, Juifs, opposants…) avant de devenir, à l’été 42, une antichambre d’Auschwitz (pour plus de 2 000 Juifs). Soixante-dix ans séparent le départ du dernier convoi et l’inauguration officielle du « SiteMémorial », le 10 septembre dernier : des décennies d’oubli pour les uns. D’attente et de combat pour les partisans de la mémoire, qui ont finalement obtenu gain de cause. Le « seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact » abrite désormais un équipement éducatif et culturel ambitieux. Parcours. « Ce qui est recherché, ce n’est pas que le visiteur,

en particulier le jeune visiteur, sorte du Site-Mémorial accablé devant la noirceur des persécutions mais, éclairé par ce passé tragique, qu’il prenne conscience que chaque homme ou femme peut mobiliser ses qualités de vigilance et de résistance », déclarait Alain Chouraqui, le président de la Fondation du camp des Milles, dans son discours inaugural. Il ne faut pas s’attendre à visiter un camp de concentration (ce que le camp des Milles n’était pas) ni à être confronté à des images insoutenables. Le long parcours qui sillonne les 15 000 m2 du site a été conçu par un conseil scientifique international et pluridisciplinaire, composé d’universitaires et d’acteurs culturels. Leur intention est avant tout pédagogique. Le premier temps de la visite est ainsi consacré à l’information. Films, archives et témoignages situent le contexte historique en Europe et dans la région. La chronologie du site est présentée sur des panneaux entou-

DANS LE SILENCE QUI RÈGNE SUR LES LIEUX, UN CŒUR PORTANT L’INSCRIPTION « LA LIBERTÉ, LA VIE, LA PAIX », GRAVÉ SUR LE MUR D’UN COULOIR, PREND DÉSORMAIS TOUT SON SENS rant une foule de « stèles » audiovisuelles consacrées aux principaux acteurs du camp (artistes, scientifiques, résistants…). Ce premier volet muséal, extrêmement dense et complet, rassemble la documentation accumulée au fil des années par le Mémorial de la Shoah. Le visiteur ne découvre donc, que dans un second temps, les espaces jadis dévolus à l’internement. Le parti pris d’une restauration légère et d’une muséographie minimaliste entend traduire au plus près la configuration du camp. Parce que la tuilerie a repris son activité dès le lendemain de la guerre et jusqu’en 2006, une part importante des traces matérielles de l’activité du 8e art magazine

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LE SITE-MÉMORIAL DU CAMP DES MILLES

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Rez-de-chaussée, aile Ouest, intérieur du four à tuiles, dortoirs.

« TRANSFORMER LA MÉMOIRE-RÉVÉRENCE EN MÉMOIRE-RÉFÉRENCE. POUR AUJOURD’HUI ET POUR DEMAIN » ALAIN CHOURAQUI

camp ont disparu. On visite néanmoins la salle des presses, les fours et les ateliers de fabrication ou de séchage. La première abritait parfois des cérémonies ou des spectacles, les seconds ont connu toutes sortes d’utilisations. Les autres espaces faisaient office d’immenses dortoirs, où les détenus étaient livrés à une extrême promiscuité. S’il est difficile d’imaginer la vie dans le camp, la poussière évoquée par les prisonniers dans leurs témoignages reste omniprésente. Et, dans le silence qui règne sur les lieux, un cœur portant l’inscription « la liberté, la vie, la paix », gravé sur le mur d’un couloir, prend désormais tout son sens. Des graffitis et des inscriptions comme celle-là, l’équipe d’archéologues en a mis à jour plus d’une centaine.

sion sont disséqués un par un. Le parcours s’achève sur la question de la responsabilité individuelle et un « Mur des actes justes », répertoriant divers faits de sauvetage et de solidarité. Car l’objectif d’Alain Chouraqui et de ceux qui se sont battus pour faire exister le Mémorial est « de gagner le pari difficile que l’homme puisse apprendre de son passé et sache transformer la mémoire-révérence en mémoire-référence. Pour aujourd’hui et pour demain. » Le Site-Mémorial du camp des Milles attend 100 000 visiteurs par an, dont 40 000 scolaires.

Mécanismes de l’exclusion. Après le temps de l’émo-

tion, vient celui de la réflexion. L’innovation principale du Mémorial, c’est la création d’un dispositif analysant, au moyen d’un film et de panneaux explicatifs, les étapes qui conduisent de la discrimination au génocide. Dans une approche universaliste, associant la Shoah aux génocides arménien, tzigane et rwandais, les mécanismes de l’exclu62

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SITE-MÉMORIAL DU CAMP DES MILLES

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campdesmilles.org


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IDÉES

RENCONTRES D’AVERROÈS

THIERRY FABRE

« L’HORIZON DÉMOCRATIQUE N’APPARAÎT PLUS COMME L’HORIZON INDÉPASSABLE DE L’HISTOIRE »

« La cité en danger ? » C’est le thème des 19e Rencontres d’Averroès, créées et conçues par Thierry Fabre qui, cette année, nous invite à prendre conscience de la fragilité de la démocratie dans l’espace méditerranéen. L’Europe n’est pas épargnée. Propos recueillis par Sandro Piscopo-Reguieg

« La cité en danger ? »... Vraiment ? Cette question a fonction d’alerte. On a vu qu’à certaines périodes de l’histoire, notamment dans les années 1930, la démocratie avait pu sérieusement vaciller, et même s’effondrer sur elle-même. Or, je sens aujourd’hui une sorte de fatigue démocratique, d’affaissement de nos façons de croire et de penser : la désaffection vis-à-vis de la participation électorale en est le symptôme. Je me dis qu’il y a quelque chose de comparable à ce qui se passait dans les années 1930. Cela se joue aujourd’hui, non pas par rapport au monde juif, mais au monde arabe et à l’islam. Et par rapport à la cité, au fait que l’horizon démocratique n’apparaît plus comme étant l’horizon indépassable de l’histoire. Je crois que le tragique est en train de se rappeler à notre bon souvenir. La cité est fragile. Elle a besoin de citoyens qui exercent pleinement leur citoyenneté. La première table ronde rappellera d’ailleurs que la démocratie est un phénomène relativement récent en Europe méditerranéenne… Il faut en effet se souvenir que la transition démocratique en Espagne, c’est 1975. Et la Grèce des colonels, ce n’est pas si vieux que ça ! Vu les secousses qu’il y a en ce moment dans ces mêmes pays, je crois que tout est possible. Je ne pense pas que l’avenir démocratique soit assuré. Ainsi, nous posons la question : « Fin d’une histoire ou fin de l’histoire ? » Ce qui paraissait acquis durant les années 1990, après la chute du mur de Berlin et ce fameux discours de Fukuyama sur « la fin de l’histoire », l’est aujourd’hui beaucoup moins. Réinterroger ce que l’on a appelé la transition démocratique au vu des enjeux contemporains ne me paraît pas inintéressant. Plus précisément, d’où proviennent ces menaces qui pèsent aujourd’hui sur les démocraties ? On commence à ressentir une certaine usure démocratique. Les citoyens en portent une part de responsabilité, mais les 64

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« A FORCE DE NE PAS DÉFENDRE NOS LIBERTÉS, ELLES DISPARAISSENT » acteurs politiques et les institutions en portent une autre. Ce que j’entends souvent et qui m’inquiète, c’est : « Au fond, c’est pareil ». Beaucoup ont le sentiment que les décisions majeures se prennent ailleurs… Le gouvernement grec a changé, le gouvernement italien a changé, et ces décisions ne sont pas le fait des peuples grecs et italiens mais plutôt des organisations internationales. Je sens une très grande confusion. On a vu des générations prendre la parole dans les places : la place Tahrir, la place Syntagma, la place Puerta del Sol… Là, il ne s’agit plus de démocraties représentatives, mais de démocraties participatives, avec un engagement citoyen dans l’espace public… Quelle est l’ampleur de ces mouvements ? On voit bien que c’est déclencheur d’histoire. Tous ces phénomènes que nous voyons émerger aujourd’hui méritent qu’on les questionne. Le sens des Rencontres d’Averroès, c’est tenter d’y voir plus clair quand la solution est trouble. Car on a besoin d’avoir de la pensée pour essayer d’éclairer notre temps. La seconde table ronde s’intéressera aux technologies de la « civilisation numérique » et à leur impact sur le politique... L’effet de propagation de la révolution numérique est considérable. Ces techniques peuvent modifier notre rapport au monde. On l’a vu avec les soulèvements en Tunisie ou en Egypte… Je ne crois pas à la « révolution 2.0 », comme cela a été dit. Mais chaque époque utilise les techniques disponibles. Au moment de la Révolution française, c’était les libelles, après, ce fut les journaux en rotatives, et puis les radios,


RENCONTRES D’AVERROÈS

© Joël Assuied

IDÉES

TABLES RONDES

A l’auditorium du parc Chanot Le 23 novembre de 15h à 17h. ENTRE DICTATURE ET DÉMOCRATIE. FIN DE L’HISTOIRE OU D’UNE HISTOIRE ? Avec Ahmet Insel (économiste, politologue et professeur à l’université Galatasaray d’Istanbul), Pilar Martinez-Vasseur (professeure en histoire et civilisation de l’Espagne contemporaine au CRINI), Angelo d’Orsi (faculté de sciences politiques de Turin).

les télévisions… Aujourd’hui, les technologies numériques construisent notre relation au monde. Et donc, forcément, notre relation au politique. Avec un effet considérable. Car ces technologies permettent une diffusion de l’information sans commune mesure, et ont la capacité de pouvoir donner à voir ce que le contrôle politique des dictatures, comme en Tunisie, bloquait. Ce qui change tout. Car ce qui est confus et invisible ne suscite aucune réaction. Reste une profonde ambivalence : outils d’émancipation pour les peuples, les technologies numériques peuvent aussi s’avérer liberticides... Ces technologies ont d’immenses capacités d’intrusion dans nos vies privées. Cela s’est fait progressivement, technologiquement, en douceur… Ce monde « orwellien », on ne l’a pas vu venir. Mais il est là, comme si c’était normal. Et l’on voit, partout, dans l’espace public comme sur les lieux de travail, les dispositifs de surveillance et de sécurité se mettre en place, pour notre bien, en toute tranquillité. Je crois qu’il y a là des choses extrêmement problématiques : où sont les contre-pouvoirs liés aux libertés publiques ? Moi-même, qui suis un fervent utilisateur de ces technologies, je me dis que, là aussi, la cité est en danger. Au sens où cette capacité d’intrusion mériterait un contrôle démocratique beaucoup plus grand. Or, on sait bien que la CNIL est complètement dépassée. Ces dispositifs sont censés renforcer notre sécurité et répondre à une certaine attente des populations... Je ne sais pas comment on défend la cité, mais je ne suis pas sûr que ce soit par l’intrusion maximale. A travers votre

Le 24 novembre de 10h à 12h. ENTRE RENAISSANCE CITOYENNE ET TRANSPARENCE POLITIQUE. RÉVOLUTION NUMÉRIQUE OU CONTRÔLE DES LIBERTÉS ? Avec Milad Doueihi (historien des religions, titulaire de la chaire de recherches sur les cultures numériques à l’université de Laval, Québec), Fabrice Epelboin (entrepreneur web, spécialiste des nouvelles technologies et des médias sociaux), Amira Yahyaoui (militante des droits de l’homme et cyberactiviste en Tunisie). Le 24 novembre de 15h à 17h. ENTRE TYRANNIE DES MARCHÉS ET DÉFIANCE DES ÉLECTIONS. LA DÉMOCRATIE PEUT-ELLE SE RÉINVENTER ? Avec Fabienne Brugère (philosophe), Panagiotis Grigoriou (historien et ethnologue), Ziad Majed (chercheur et politologue), Raimundo Viejo Vinas (docteur en sciences politiques et sociales). Produit et organisé par Espaceculture_Marseille. carte Vitale, on peut avoir accès à l’intimité de votre corps, à travers votre téléphone, c’est l’intimité de vos conversations, sans parler des caméras… Le portable, Internet, les réseaux sociaux, tout cela, c’est de l’ordre de la mode, et donc de l’air du temps. Ainsi, ça ne pose pas de question. Mais moi, ça me pose de sérieuses questions ! Sans être paranoïaque, vous ne croyez pas que tout cela mériterait quand même d’être mis en débat ? Le vrai grand sujet de la démocratie, au XXIe siècle, c’est définir quels peuvent être les outils démocratiques, de droit et de respect des libertés publiques, comparables à la puissance technologique qui a été mise en place aujourd’hui. Vous savez, à force de ne pas défendre nos libertés, elles disparaissent. 8e art magazine

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IDÉES

RENCONTRES D’AVERROÈS

« QUE SIGNIFIE UNE DÉMOCRATIE OÙ L’ON VOTE SANS QUE CELA NE CHANGE RIEN ? »

La dernière table ronde fait un parallèle entre ce que vous nommez la « tyrannie des marchés » et la nécessité, pour la démocratie, de se réinventer… Une forme politique est toujours liée à une époque. Celle de l’économie sociale de marché n’est plus celle du capitalisme financier le plus débridé, qui ne prend absolument aucun compte des intérêts publics. Ce capitalisme financier est une forme particulière du capitalisme qui produit une violence qui n’est pas que symbolique. Ainsi, aux Exposition. Avant les tables rondes et jusqu’au 7 décembre, les Rencontres s’écoutent, se regardent Etats-Unis comme ailleurs, se pose la et s’exposent dans le cadre du programme « Sous le signe d’Averroès ». Entre concerts, spectacles et projections, l’exposition Pour mémoire(s), présentée à l’espace Fernand Pouillon (campus Saint-Charles, question de la tyrannie des marchés : 1, place Victor Hugo), met en regard deux fonds photographiques des années 60-70 : le studio Rex, installé qui décide à la place de qui ? Est-ce que Porte d’Aix, et celui de Lazhar Mansouri, en Algérie. Un événement organisé et produit par Espaceculture le fait de voter permet de choisir son avec les Ateliers de l’image et les Bancs Publics. avenir ? Ou celui-ci est-il décidé par des forces sur lesquelles nous n’avons aucune prise ? La cité, là encore, est en danger. On a longtemps expliqué que l’échelle européenne des Etats-nations. Le cœur de l’Europe, la Belgique, est en était une façon de reprendre la main, d’accéder à un meil- train de se fragmenter sous nos yeux. La Catalogne est en leur contrôle de notre avenir, mais on s’aperçoit que ce n’est train de se séparer de l’Espagne, l’Ecosse va peut-être sortir pas du tout le cas. « L’Européanisation » conduit à libéraliser du Royaume-Uni… Alors quelle est la cohésion ? Ça ne peut encore plus les règles qui vont faciliter l’intrusion du marché être le marché, mais une vision du monde commune. Ici, le sur des domaines comme l’éducation ou la santé, sur ce qui, champ symbolique est décisif. On ne peut défendre un projet en somme, relève du bien public. Que signifie une démocratie sans une passion collective. Ce que je constate, c’est qu’il y a un où l’on vote sans que cela ne change rien ? Si tout se décide vrai scepticisme, qui peut déboucher sur du nihilisme. Il faut ailleurs, à quoi bon aller voter ? Le projet démocratique paraît donc mettre de la pensée. La démocratie a été inventée par des vidé de son contenu. Comme si aujourd’hui, le peuple n’était orateurs, des philosophes, des écrivains… La pensée irrigue la plus tout à fait souverain. vie de la cité. Mettre de la pensée dans l’espace public, c’est une façon de réactiver de l’énergie collective. L’élan démocratique peut-il être réactivé ? Ce qui me frappe, c’est qu’on a un désenchantement démocratique, un désenchantement européen, un désenchantement méditerranéen… Ce qui est en train d’apparaître, c’est WWW. de la désagrégation. L’Europe se fragmente à l’intérieur même rencontresaverroes.net 66

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AVANT-PREMIÈRE

GRAND HÔTEL

UNE VISITE À L’HÔTEL GRENADE Josette Baïz danse avec les enfants depuis plus de vingt ans. De cette rencontre est né le « style Grenade » : un langage chorégraphique explosif fondé sur l’énergie et le métissage. L’heure est aujourd’hui à la consécration pour cette compagnie née dans les quartiers nord de Marseille, dont les plus âgés, devenus adultes et diplômés, s’apprêtent à danser Grand Hôtel. Par Emmanuelle Gall

n découvrant les locaux de la compagnie Grenade, situés au-dessus du « Bureau d’information jeunesse » de la mairie d’Aix-enProvence, un constat s’impose. Josette Baïz, qui a fêté l’année dernière les vingt ans de sa compagnie au Grand Théâtre de Provence, avec des chorégraphies signées par les plus grands noms de la danse française, et enseigne à une foule de danseurs amateurs, mériterait un lieu plus vaste et mieux adapté à son travail. Et pourtant, dans cette ruche, défilent sans heurts des dizaines d’enfants et de danseurs professionnels, souriants et prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes pour le filage de Grand Hôtel, la prochaine création de Josette Baïz, qui sera accueillie au Pavillon Noir à partir du 28 novembre. Hôtels. « Il faut imaginer ici un comptoir d’hôtel et, là-bas,

un trampoline, prévient la chorégraphe, car j’ai voulu travailler sur les questions de rebond et de légèreté. Jusqu’où peut-on aller avec ces concepts ? Comment peut-on déjouer la pesanteur afin de ressentir la matière, le temps et l’espace différemment ? » Les dix jeunes danseurs, quatre femmes et six hommes, prennent leurs marques. A deux mois de la première, ils enchaînent déjà la totalité du spectacle. On essaie donc de visualiser la vidéo projetant des cieux, le décor blanc, les costumes immaculés de ces « entités lumineuses »… On se fait tout petit pour ne pas gêner les danseurs qui multiplient les acrobaties à moins d’un mètre. Même sans trampoline, la hauteur du plafond interdisant tout saut de plus de cinquante centimètres, tous volent et virevoltent, comme soumis à une attraction céleste, sur Le Beau Danube bleu de Johann Strauss. Une voix féminine accueille les clients de « l’hôtel intergalactique » en plusieurs langues. Ils ont beau être en survêtement, transpirer à grosses gouttes à cause de la chaleur, les corps jubilent dans cet espace intersidéral. Mais les paradis finissent tou68

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« FAIRE DE L’ART, TOUT EN AYANT LE SENTIMENT DE SERVIR À QUELQUE CHOSE »

jours par être perdus et, lorsqu’un couple se forme puis s’embrasse, les anges sont déchus. L’hôtel devient terrestre. Sur scène, les danseurs enfileront un costume noir à ce moment-là pour signifier le changement de leur condition. Désormais, c’est la pesanteur qui règne et soumet les corps à rude épreuve. Le lyrisme et les élans quasi classiques du début font place à une chorégraphie plus saccadée, souvent proche du hip-hop. Dans l’hôtel un peu désuet, la musique d’ambiance est plus jazzy, remixant des standards ou exhumant quelques vieilles perles. Petit à petit, les danseurs-clients s’individualisent. Au cours de cette seconde partie, souvent burlesque, certains révèlent aussi de véritables talents de comédiens. C’est sur cet aspect que Josette Baïz concentre actuellement son travail. A la fin du filage, après avoir pris des pages de notes, la chorégraphe les félicite : « Vous avez fait de belles propositions. On commence à entrer vraiment dans la matière et vous réussissez à vous lâcher. » Après une heure d’effort intense, les visages sont marqués, mais satisfaits. Josette Baïz a un mot pour chacun, toujours positif et bienveillant. Il faut dire qu’elle connaît plus de la moitié de ces jeunes gens depuis leur enfance. Certains, comme Kader, ont rencontré la chorégraphe lorsqu’elle a débarqué à Marseille, il y a plus de vingt ans.


Š CÊcile Martini

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GRAND HÔTEL

© Léo Balani

AVANT-PREMIÈRE

Métissages. C’est l’époque où Josette Baïz décide de ren-

trer dans sa région natale, après avoir fait ses classes chez Odile Duboc et Jean-Claude Gallotta, puis remporté tous les prix du Concours international de Bagnolet. Invitée par le ministère de la Culture à tourner un film avec des jeunes des quartiers nord de Marseille, elle s’installe à l’école de la Bricarde en 1989. « Le monde entier était là. Les élèves étaient asiatiques, maghrébins, comoriens, gitans… Pour me faire accepter, nous passions un deal : tu m’apprends ton hip-hop ou ton flamenco et je t’apprends ma danse. » Dans le même temps, peu à l’aise avec le milieu de la danse professionnelle, Josette Baïz comprend qu’elle a enfin trouvé sa place : « Faire de l’art tout en ayant le sentiment de servir à quelque chose. » Au fil des années, elle se forge un style unique qui relève du métissage : « En mélangeant les bras du smurf et les grands pliés, les rebonds contemporains avec les ondulations arabes, les dégagés classiques avec les frappés indiens, je tente d’ouvrir des perspectives que la seule danse contemporaine ne permet pas. » Grande famille. Aujourd’hui, sa philosophie n’a pas chan-

gé et si les danseurs de Grand Hôtel ne sont plus des enfants, elle continue à travailler parallèlement avec les petits. Les interprètes des Vingt ans de Grenade, réunissant des pièces – confiées sans contrepartie – par Gallotta, Preljocaj, Maillot, Kelemenis, Decouflé, Lagraa et Bel, sont des danseurs âgés de 10 à 30 ans. Au printemps dernier, le public parisien du Théâtre de la Ville, réputé pour son exigence, a ovationné le spectacle qui poursuit sa tournée jusqu’en 2014. Une difficulté de plus pour certains danseurs de la compagnie, figurant à la fois dans Les Vingt ans et Grand Hôtel. Mais qui ne semble pas coûter à Aurore, Félix, Nordine, Kim ou Kader. Alors qu’ils se sont échauffés une partie de la matinée, ont enchaîné avec le filage de Grand Hôtel, ils s’apprêtent à répé70

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LES DANSEURS MULTIPLIENT LES ACROBATIES (…) TOUS VOLENT ET VIREVOLTENT, COMME SOUMIS À UNE ATTRACTION CÉLESTE

ter, dans deux heures, le duo de Codex, ou Allegoria Stanza d’Abou Lagraa. En outre, certains d’entre eux assistent également Josette Baïz dans la préparation de la contribution de Grenade à Marseille-Provence 2013. Dans le cadre du Festival d’art lyrique d’Aix, cent jeunes danseurs issus des écoles de la ville interprèteront Roméo et Juliette, en compagnie d’autant de musiciens de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée. « J’ai choisi les morceaux les plus dramatiques de Prokofiev, ça va être très sombre. Je ne voulais surtout pas tomber dans la mièvrerie sous prétexte que le ballet est dansé par des enfants… C’est tout le contraire de l’univers comique à la Jacques Tati de Grand Hôtel. C’est d’ailleurs beaucoup plus difficile de faire de la comédie en danse. » Alors que souhaiter de plus à celle qui est désormais à la tête d’un véritable centre chorégraphique, avec ses cours réputés, son répertoire, ses tournées professionnelles… Après ce Grand Hôtel, peut-être une grande maison ?

GRAND HÔTEL

Du 28 novembre au 1er décembre Pavillon noir 530, avenue Mozart, Aix-en-Provence (8-20 €)

WWW.

josette-baiz.com


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RENCONTRE

DIDIER GOURVENNEC OGOR

DIDIER GOURVENNEC OGOR

ÂŤÂ JE NE M’INTERDIS RIEN ! 

Didier Gourvennec Ogor est le nouveau prÊsident de l’association Marseille expos, regroupant 27 structures dÊdiÊes à l’art contemporain. Rencontre. 1SPQPT SFDVFJMMJT QBS 4BOESP 1JTDPQP 3FHVJFH t 1IPUP‍ ڀ‏+PÑM "TTVJFE

e 18 septembre 2012, les membres de l’association Marseille expos, rĂŠunis en assemblĂŠe gĂŠnĂŠrale, ont procĂŠdĂŠ Ă l’Êlection de leur nouveau prĂŠsident, Didier Gourvennec Ogor. Seul candidat, il fut ĂŠlu Ă l’unanimitĂŠ des voix. En effet, tout s’Êtait jouĂŠ en coulisses, il y a quelques mois, lorsque Jean-Jacques Le Berre (par ailleurs directeur de la galerie Porte Avion), avait annoncĂŠ sa dĂŠcision de ne pas se prĂŠsenter pour un quatrième mandat Ă la tĂŞte de cette ÂŤÂ fĂŠdĂŠration  de galeries marseillaises. Certains se sont alors tournĂŠs vers le sĂŠmillant Didier Gourvennec Ogor : Ă peine arrivĂŠ de Paris, ce jeune galeriste avait d’emblĂŠe affichĂŠ un discours particulièrement ambitieux, aussi bien pour son espace de la Porte d’Aix, ouvert en septembre 2011 (ÂŤÂ une galerie de prestige au rayonnement national et international Âť), que pour la scène locale (ÂŤÂ Marseille peut devenir une place de l’art contemporain ! ). On l’a pris au mot. Enthousiaste, volontaire, hyperactif, DGO a le profil idĂŠal pour faire bouger les lignes. Marseille expos a choisi de lui faire confiance. Lui, ne s’est pas fait prier pour accepter. Tout en restant conscient qu’il est attendu au tournant‌ 72

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PrĂŠsentez-nous Marseille expos‌ Didier Gourvennec Ogor : C’est un rĂŠseau fĂŠdĂŠrant 27 galeries et lieux d’art contemporain Ă Marseille. Cette association repose d’abord sur la mise en commun d’outils de communication : un dĂŠpliant bimestriel et un site Internet. C’est la base du projet. Ils permettent au public d’avoir, sur un mĂŞme support, le dĂŠtail des expositions et des ĂŠvĂŠnements organisĂŠs par chacun des lieux membres du rĂŠseau. L’idĂŠe, c’est regrouper les intelligences et les compĂŠtences. C’est aussi permettre aux intervenants extĂŠrieurs de n’avoir qu’un seul interlocuteur pour monter des collaborations comme celle, par exemple, que nous venons de nouer avec les Galeries Lafayette. Au lieu de chercher un lieu d’art contemporain parmi l’offre existante dans la ville, les Galeries Lafayette se sont adressĂŠes Ă Marseille expos pour travailler sur l’ouverture de leur ÂŤÂ Galerie du 5e , dont nous assurons la programmation. Vous qui ĂŞtes Ă la tĂŞte d’une galerie privĂŠe, vous sentezvous lĂŠgitime pour reprĂŠsenter un rĂŠseau dans lequel les structures associatives sont largement majoritaires ? J’ai choisi de me prĂŠsenter avec Mathilde Guyon, qui est donc dĂŠsormais vice-prĂŠsidente de Marseille expos. J’ai une galerie privĂŠe et elle est responsable d’une structure associative, AstĂŠrides. Nous sommes donc complĂŠmentaires et plutĂ´t reprĂŠsentatifs des membres du rĂŠseau. Il n’y aura pas vraiment de hiĂŠrarchie entre nous. Tous deux allons reprĂŠsenter Marseille expos auprès des financeurs, des mĂŠdias... Mais Ă vrai dire, on est tous dans le mĂŞme bain ! Galeries privĂŠes comme associatives, nous souhaitons dĂŠfendre l’image de l’art contemporain Ă Marseille, dĂŠfendre des artistes, leur permettre d’exposer... Ces structures associatives, qui ne vivent pas du commerce de l’art, ne sont pas opposĂŠes au commerce de l’art. Et puis on a le mĂŞme public‌ Sur le fond, sur les objectifs de dĂŠveloppement, d’image et de communication, nous sommes tous sur la mĂŞme longueur d’ondes. Bien sĂťr, il n’est pas facile de coordonner 27 structures, ou de nous mettre d’accord sur des projets communs‌ Mais on y arrive. Quant Ă moi, je ne me sens ni diffĂŠrent, ni au-dessus de la mĂŞlĂŠe. Et si j’avais le sentiment d’être un intrus, je ne me serais pas prĂŠsentĂŠÂ !


« SI J’AVAIS LE SENTIMENT D’ÊTRE UN INTRUS, JE NE ME SERAIS PAS PRÉSENTÉ ! »

N’est-ce pas aussi un challenge personnel pour vous, arrivé à Marseille il y a à peine plus d’une année ? Pourquoi avoir accepté d’emblée une telle responsabilité ? Depuis mon arrivée, je suis super motivé, et un an après, je le suis toujours. Je n’ai pas renoncé à mes ambitions, j’ai la foi en Marseille et en la Capitale européenne de la culture. Ce sera un succès, j’en suis convaincu. A titre personnel, il est vrai que pouvoir m’investir encore plus, devoir être encore plus présent, c’est un beau challenge. Je n’avais pas du tout prévu ça en arrivant ! Mais vous savez, je ne m’interdis rien, jamais. Cet enthousiasme forcené tranche avec le pessimisme ambiant... Malheureusement, la majorité des médias nationaux passent leur temps à casser la ville de Marseille avec le chômage, la pauvreté, la violence… On n’entend jamais parler du positif : les chantiers, le tissu culturel immense et de qualité… On me dit qu’il ne se passe rien à Marseille, mais moi je ne sais jamais où aller car il y a souvent douze vernissages en même temps ! Marseille, j’y croyais en arrivant. Ce que j’ai vu et ce que je vis depuis ne fait que confirmer ce sentiment. Parmi les 27 membres de Marseille expos, certains rayonnent hors des frontières de la cité phocéenne ! Regardez Sextant et plus : actuellement, ils préparent un programme de résidences d’artistes au Maroc. Ils ont une vraie aura, et pas seulement dans leur lieu de la Friche ! Il y

a aussi la Galerie of Marseille, qui a une réputation internationale, et avec son nouveau bâtiment, le FRAC va devenir l’un des plus beaux de France… Quels sont vos projets pour Marseille expos ? Premièrement, nous allons essayer de développer nos outils de communication, notamment leur visibilité auprès du public parisien. Aussi, Marseille expos organise chaque année une manifestation collective, le Printemps de l’art contemporain. Ça se passe généralement lors du week-end de l’ascension : tous les lieux membres du réseau organisent les vernissages de leurs expositions au même moment, durant trois jours, sur trois zones. Ce qui fait trois parcours différents que le public est invité à découvrir. L’année dernière, ça a bien marché avec 8 000 personnes. Mais j’aimerais développer davantage la notoriété et la visibilité de cette manifestation. Enfin, plus globalement, j’ai pour projet de solliciter le monde privé. J’aimerais développer des passerelles entre nos deux univers. Que ce soit pour des financements (car il faut absolument diversifier les sources) ou des partenariats. A ce titre, notre collaboration avec les Galeries Lafayette est un vrai succès.

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marseilleexpos.com

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ART CONTEMPORAIN

MICHÈLE SYLVANDER

MICHÈLE SYLVANDER

FEMME D’IMAGES Arrivée à Marseille dans les années soixante pour entrer aux beaux-arts, Michèle Sylvander y est restée. Dix ans après sa dernière exposition personnelle au MAC, elle présente aujourd’hui ses derniers travaux à la Galerie of Marseille. Si l’artiste aborde les thèmes de la vieillesse et de la répétition, son art, lui, n’a pas pris une ride. Toujours aussi subtil, nuancé et féminin. Par Emmanuelle Gall

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emme, artiste, vivant à Marseille. Michèle Sylvander n’a pas choisi la facilité. Voilà sans doute pourquoi elle n’occupe pas aujourd’hui la place qu’elle mériterait dans le paysage artistique français et, dans le même temps, suscite le plus grand respect chez ses pairs. Après une première carrière de peintre, elle s’est mise à la photographie dans les années 90. Ses autoportraits ont marqué les esprits et l’ont classée parmi les grandes dames de l’autofiction, aux côtés de Cindy Sherman, Valie Export ou Sophie Calle. Depuis, chacune de ses apparitions est d’autant plus attendue qu’elle sait être patiente. À Marseille, sa dernière grande exposition personnelle, Un Monde presque parfait, au MAC, remonte à 2002. Après la mort de son galeriste, Roger Pailhas, elle est entrée à la Galerie of Marseille. Elle en a partagé les murs avec Ymane Fakhir en 2009 et y présente aujourd’hui La Répétition : un ensemble de photographies, dessins et vidéos sélectionnés parmi ses œuvres les plus récentes. chèle Sylvander n’a rien d’une diva. La dame en bleu (yeux, tunique et chaussures) reçoit avec simplicité dans son appartement paisible et lumineux du centre-ville. Elle offre du café (et du chocolat), fait visiter les lieux : le salon et son impressionnante bibliothèque, sa chambre où elle a récemment installé son atelier. « Je viens de passer un an à travailler comme une folle », raconte-t-elle, devant son ordinateur, dévoilant d’un clic ses dernières vidéos. Un Vague désir et La Source, filmés au bord de la mer, proposent de très sensuelles métaphores du sexe féminin. On y retrouve la veine baroque, mais toute en retenue, de l’artiste. Dans Le Pygmalion, on assiste à la destruction d’une sculpture de Michèle Sylvander par un homme. L’autoportrait en plâtre, incrusté de deux yeux de verre, vole en éclats sous les coups de massue. « Cette sculpture était dans mon atelier, ses yeux me faisaient peur, j’ai préféré la détruire. Quand j’ai vu ces images pour la première fois, j’ai éclaté de rire. Chez moi, le tragique n’est jamais loin du

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© Michèle Sylvander et galerieofmarseille

Simplicité. Contrairement à certaines de ses consœurs, Mi-

Image issue de la série Envol, 2012


MICHÈLE SYLVANDER

© Michèle Sylvander et galerieofmarseille

ART CONTEMPORAIN

Un jour mon prince viendra, 2012

comique, je n’arrive pas à rester dans la gravité. » Michèle Sylvander vient d’achever une dizaine de vidéos, renouant ainsi avec un médium qu’elle n’avait pas utilisé depuis près de vingt ans, et a réalisé de nombreuses photographies. Les dernières, toujours en chantier, sont punaisées au-dessus de son bureau. Parmi elles, figure un buste, photographié de dos, avec une fragile et gracieuse natte en forme de couronne. Elle s’intitule Un jour mon prince viendra. Les cheveux de la femme, clairsemés, sont blancs. « La tête traversée d’une natte enfantine ne signale pas tant le temps qui passe, mais qu’il est passé sans qu’on s’en aperçoive », glisse l’artiste. Choisie pour le carton d’invitation au vernissage de la Galerie of Marseille, cette photographie donne le ton : on reconnaît là l’ironie douceamère de Michèle Sylvander, jamais cynique, associée à de nouvelles préoccupations. « Aujourd’hui, je suis naturellement travaillée par la question de la vieillesse et de la mort », ditelle. Parce qu’elle s’occupe de sa mère malade, âgée de 92 ans, l’artiste est d’autant plus sensibilisée à ces questions : « Quand on est vieux, on n’est plus regardé comme un homme ou femme, seulement comme vieux. » Ainsi, la mère de l’artiste occupe aujourd’hui une place centrale dans le travail de sa fille : elle est l’héroïne d’Un jour mon prince viendra et de deux vidéos, placées sous le signe de la répétition, la thématique abordée à la Galerie of Marseille. « Je n’entends pas la répétition au sens

« CHEZ MOI, LE TRAGIQUE N’EST JAMAIS LOIN DU COMIQUE, JE N’ARRIVE PAS À RESTER DANS LA GRAVITÉ »

psychanalytique du terme, mais plutôt philosophique, tel que l’emploie Giorgio Agamben : “la répétition n’est pas le retour de l’identique, le même en tant que tel qui revient. La force de la répétition, la nouveauté qu’elle apporte est le retour en possibilité de ce qui a été”. » Complexité. Ainsi, Michèle Sylvander joue et rejoue avec

sa mère des scènes d’un autre temps. Dans Only you, la première a filmé la seconde, à deux reprises, en train d’écouter la chanson des Platters qu’elle lui a imposée – en boucle – lorsqu’elle était enfant. « Je m’interroge sur l’espace entre ces deux images… Elles sont semblables, mais non identiques », explique-t-elle. Entre les deux femmes règne une belle compli8e art magazine

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MICHÈLE SYLVANDER

Photo : Laure Mélone / © Michèle Sylvander et galerieofmarseille

ART CONTEMPORAIN

cité. La « comédienne » se prête au jeu avec un naturel d’autant plus surprenant qu’elle dit ne pas comprendre les demandes de sa fille. De son côté, celle-ci déclare lui devoir sa vocation : « C’était une femme fantasque, qui s’est remise à dessiner à 80 ans. Elle n’avait pourtant à l’origine aucune culture artistique. » Dans une famille où l’art se transmet par les femmes, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il soit féminin. Mais chez elles, la féminité va de pair avec une grande pudeur et une distance – très précieuse lorsque l’art entre dans la sphère de l’intime. Quand Sophie Calle filme les derniers instants de sa mère ou lit des extraits de ses journaux intimes lors d’une performance à Avignon cet été, Michèle Sylvander filme sa mère, Marie-Thérèse Sasseli, femme et comédienne avant d’être vieille. L’expérience personnelle de l’artiste agit comme une porte d’entrée dans l’universel. Et, au-delà de l’apparente simplicité de ses œuvres, toujours économes en termes de moyens, se révèle une grande complexité. Ouvertes, ses photographies ou ses vidéos refusent la littéralité et les interprétations univoques, comme ce jupon blanc en chute libre devant la façade d’un immeuble marseillais. Un linge décroché du fil d’une ménagère, une évocation du suicide, de la violence faite aux femmes ? A chaque spectateur ses lectures, dictées par ses propres questionnements. Michèle Sylvander suggère, questionne plus qu’elle ne répond. Même attitude quand on l’interroge sur sa perception de Marseille-Provence 2013. Un peu agacée par la « posture » qui 76

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« AUJOURD’HUI, JE SUIS NATURELLEMENT TRAVAILLÉE PAR LA QUESTION DE LA VIEILLESSE ET DE LA MORT »

consiste à attaquer systématiquement la manifestation, elle est nettement plus nuancée que la plupart des Marseillais et préfère se réjouir des rencontres formidables occasionnées par la venue de nombreux artistes méditerranéens. Ses admirateurs, eux, pourront (re)voir La Fautive au Mucem, une série d’autoportraits voilés au Pavillon Vendôme à Aix et découvrir une nouvelle exposition personnelle de l’artiste, en novembre, à L’American Gallery.

MICHÈLE SYLVANDER, LA RÉPÉTITION

Vernissage le 16 novembre, 18h Exposition du 17 novembre au 15 janvier Galerie of Marseille - 8, rue du Chevalier Roze, Marseille, 2e 09 53 10 15 26

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galerieofmarseille.com


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PORTRAIT

JEAN-MARC MONTERA

JEAN-MARC MONTERA

L’HOMME QUI IMPROVISA SA VIE Jean-Marc Montera a fait de l’improvisation un art. Pendant que le guitariste et compositeur joue dans le monde entier, le directeur du GRIM produit et diffuse à Marseille des sons inouïs. Deux facettes d’un même personnage qui a su garder son âme d’enfant. Par Fred Kahn

Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. » Jean-Marc Montera aime citer cette phase d’Eluard. Et, en effet, elle résume assez bien le parcours de ce musicien qui n’a eu de cesse d’emprunter des chemins de traverse. Autant dire que sa voie n’était pas toute tracée d’avance. Comme tous les gamins de son âge, Jean-Marc Montera a commencé, en pur autodidacte, par massacrer les cordes d’une guitare. « Celle de mon grandpère », précise-t-il, en soulignant au passage son hérédité corse. Un héritage doublement populaire et revendiqué : « J’ai également des racines en Italie du Sud, dans les Pouilles. Sinon je suis né et j’ai grandi à Endoume. » A l’adolescence, il aurait pu, comme quelques-uns de ses copains, « basculer du mauvais côté ». Le tournant ? « Des jeunes du Lycée Thiers m’ont proposé de rejoindre leur groupe. Des intellos. Ils m’ont fait découvrir Bartók, Coltrane, la poésie, la science-fiction… En fait, grâce à eux, j’ai pu me construire culturellement. » Cette curiosité et cette soif d’inconnu ne l’ont, de toute évidence, jamais lâché. Il explore depuis plus de trente ans les musiques improvisées et s’emploie à toujours inventer, dans l’instant présent, de nouvelles sonorités. Références. Il paraît que le génie n’est que l’enfance renou-

velée à l’infini. Le secret du compositeur/guitariste se trouve sans doute ici : avoir su préserver son âme espiègle et malicieuse. En tant que musicien, il collabore actuellement avec quatre ou cinq formations. Car Jean-Marc Montera honore tous les rendez-vous que la vie lui propose. Ses yeux verts émeraude irradient, lorsqu’il égrène ces rencontres marquantes. Ces pages ne sauraient suffire à lister tous les artistes qu’il a côtoyés : Noël Akchoté, Daan Vandewalle, Chris Cutler, Arne Deforce, Sophie Gonthier, Raphaël Imbert, Paul Elwood, Fred Frith, Thurston Moore, Lee Ranaldo… Ces références vous sont sans doutes étrangères. A part, peut-être, les deux derniers noms, cofondateurs de Sonic Youth. Vous voulez plus célèbre ? Jean-Marc Montera a joué, en 2008, avec Patti Smith, à la Fondation Cartier. L’anecdote serait trop longue à détailler ici. Il en parle pourtant avec une telle jubilation... « … Je n’avais même pas de guitare… Elle m’a prêté la sienne. Une Gibson, avec

« QUAND PATTI SMITH CHANTE GLORIA À 50 CENTIMÈTRES DE TOI, ÇA FAIT TOUT DRÔLE »

un putain de son… Mais qui vaut un bras… Enfin, quand Patti Smith chante Gloria à 50 centimètres de toi, ça fait tout drôle. » Ce que New York n’a pas. Mais globalement, l’univers artis-

tique de Montera, pourtant foisonnant, ne franchit pas le mur des médias commerciaux. Pendant que les télés et les radios restent enfermées dans des « grilles », lui, transcende toutes les frontières… Et toutes les disciplines, puisqu’il accompagne aussi des performances théâtrales (Hubert Colas, Jean-Claude Berutti, Peter Palitzsch...) et chorégraphiques (Odile Duboc, le collectif Skalen). Et n’oublions pas l’activité développée au sein du GRIM (Groupe de recherche et d’improvisation musicales). Jean-Marc Montera s’appuie sur cette structure de production et de diffusion depuis 1979. « Nous avons programmé des concerts dans énormément de lieux à Marseille, surtout ceux qui n’étaient pas destinés à la diffusion musicale. J’ai dû écumer tous les musées, les galeries d’art, les théâtres… C’est d’ailleurs comme ça que j’ai rencontré Hubert Colas. » Entre le dramaturge/metteur en scène et le musicien/compositeur, le courant est immédiatement passé. Ils ont donc uni leurs forces et leurs quelques finances pour ouvrir Montévidéo, un lieu dédié aux arts (très) actuels. Quand Montera fait visiter cet espace d’effervescence artistique à des New-Yorkais, ces derniers l’envient. Là-bas, la création contemporaine ne bénéficie pas de subvention publique et puis, surtout, le prix du mètre carré est inabordable. Mais si Marseille résiste à la gentrification, elle reste soumise, comme les autres villes, à des réglementations de plus en plus draconiennes. Récemment encore, Montévidéo pouvait accueillir jusqu’à 300 personnes. A cause d’une commission de sécurité tatillonne, la jauge a dû être réduite à 50 personnes maximum. Jean-Marc Montera détaille l’imbroglio juridique : « Il faudrait faire des travaux de mise aux normes. Les collectivités publiques sont prêtes à nous 8e art magazine

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PORTRAIT

JEAN-MARC MONTERA

NUIT D’HIVER

FESTIVAL EN CAGE John Cage aurait eu cent ans cette année. Le festival Nuit d’Hiver rend un hommage fidèle à l’esprit de ce génie, c’est-à-dire en n’hésitant pas « à le contourner ». Que les aficionados du plus zen des créateurs se rassurent, la filiation directe sera assurée par le compositeur Christian Wolff (qui fut d’abord élève puis collaborateur de Cage). Gaston Sylvestre, défenseur acharné des musiques d’aujourd’hui, dirigera également un concert dédié à cette œuvre « aléatoire ». Quant au Cabaret contemporain (accompagné d’Etienne Jaumet du groupe électro Zombie Zombie), il revisitera aussi, mais de manière électrique

accompagner, mais à une condition préalable et compréhensible : avoir la garantie que nous pourrons rester suffisamment longtemps dans le lieu. Nous sommes donc en négociation avec le propriétaire pour signer un bail jusqu’en 2016. » Le directeur du GRIM a surmonté bien d’autres obstacles. Plutôt que d’être dans la complainte, il positive : « Depuis que nous avons réduit notre activité publique, nous augmentons d’autant les résidences d’artistes. » Œuvrer sans partition développe sans doute le sens de l’adaptation. Jamais à bout de souffle. Sans cet optimisme, Montera

n’aurait jamais construit son projet artistique (et de vie) à Marseille. Dans les années 70 et jusqu’au milieu des années 80, la plupart des artistes estimaient ne pas avoir d’autre choix que de « monter » à Paris. Lui, a créé le GRIM et, tout en voyageant dans le monde entier, est resté dans la cité phocéenne. A partir de cet ancrage, il développe des activités tous azimuts. Ne parlons que du dernier trimestre 2012. Il vient de réaliser un coffret vinyle, véritable objet d’art, qui associe treize improvisations musicales (avec la violoniste Fanny Paccoud) et treize tableaux de peintres marseillais (lire 8e art n° 21). Au mois d’octobre, le GRIM était impliqué, avec d’autres associations (dont certaines très jeunes), dans le festival « Chhhhhut », consacré aux musiques noise et bruitistes. Et en décembre s’annonce le point d’orgue de la saison : Nuit d’Hiver. Le concept de cette manifestation pourrait être résumé en un mot : « liberté ». Jean-Marc Montera a lancé Nuit d’Hiver il y a dix ans, « en décembre parce que c’est la période où il n’y a jamais de festival. Nous avions choisi la thématique la plus rébarbative possible ». La première édition était en effet entièrement consacrée à des solos de batterie. « On s’est dit : ‘‘Si personne ne vient, au moins, on saura pourquoi’’. Et comme le public nous a suivi, l’année d’après, on a recommencé. Cette fois, en programmant des solos de guitare… Et, pour ne pas s’enfermer dans un système, nous avons ouvert l’événement à d’autres enjeux. » Pour 2012, Nuit d’Hiver fête, un peu partout dans Marseille et à sa manière, l’anniversaire de John Cage (lire encadré). Comment bâtir

et électronique, l’univers du compositeur new-yorkais. Au rayon des « filiations indirectes », citons Séverine Ballon, Takumi Fukushima ou encore la performance-concert d’Alexander Schellow (avec Jean-Marc Montera). Les autres invités ne se revendiquent pas de Cage, ce qui ne signifie pas qu’ils n’ont pas été influencé par lui : les instantanés de Ghotül, le rock-dada de ZA!, la pop bancale de La Terre Tremble !!!, ou encore les assauts de Talweg évoquant un sabbat païen minimaliste… Autant d’expériences qui ont à voir (et surtout à entendre) avec la recherche de nouveaux potentiels sonores.

« LE PREMIER ACTE DE COMPOSITION DANS LES MUSIQUES IMPROVISÉES CONSISTE À DÉCROCHER SON TÉLÉPHONE » une programmation éclectique mais cohérente ? La recette de Jean-Marc Montera est simple : « Nous partons de nos envies. La cohérence apparaît d’elle même, à la fin. » Les propositions sont, bien sûr, le fruit de rencontres et de complicités artistiques : « Le premier acte de composition dans les musiques improvisées consiste à décrocher son téléphone. » Mais la programmation du GRIM n’est pas pour autant le reflet exclusif des goûts de Jean-Marc Montera. « Je fais entièrement confiance à mon équipe. Je sais que leurs propositions seront défendables, même quand elles ne correspondent pas à mes choix esthétiques. » Vous hésitez encore ? « N’ayez pas peur. Comme le dit Sophocle, tout est bruit pour qui a peur. » Une fois en confiance, nos oreilles peuvent se laisser surprendre… A l’improviste.

NUIT D’HIVER

Du 12 au 21 décembre. A la BMVR, Montévidéo, Où, la Friche la Belle de Mai, La Compagnie, L’Embobineuse, Temple Grignan, Klap.

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ABBAYE DE SAINT-VICTOR

LES CONTES DE LA CRYPTE La crypte de Saint-Victor tient-elle Ă conserver ses secrets ? C’est en toute discrĂŠtion qu’elle a rouvert ses portes, il y a quelques mois, après de longs travaux de consolidation et de rĂŠnovation. L’occasion de redĂŠcouvrir ces lieux oĂš sarcophages antiques cĂ´toient pierres mĂŠdiĂŠvales et autels baroques : un parcours Ă travers 1 500 ans d’histoire. 1BS "MFYBOESF -Ă?WĂ?RVF t 1IPUPT‍ ڀ‏+PĂ‘M "TTVJFE

Ambiance. En 2013, la crypte de Saint Victor devrait ĂŞtre munie d’Êclairages Ă LED soulignant les ĂŠdifices antiques et les diffĂŠrenciant des constructions mĂŠdiĂŠvales. Le tout renforcera l’atmosphère mystĂŠrieuse de ces lieux millĂŠnaires.

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CHAPELLE SAINT-MAURONT

LES SARCOPHAGES D’UN CIMETIÈRE ANTIQUE... L’accès à la crypte de l’abbaye de Saint-Victor s’effectue par un escalier situé au fond de la nef, sous la tribune de l’orgue. Au fur et à mesure que l’on en descend les marches, on remonte dans le temps, pour pénétrer dans ce sanctuaire des premiers temps chrétiens. Les lieux abriteraient, dit-on, la plus vaste collection d’art paléochrétien de la région derrière le musée de l’Arles antique. Dès la première salle, dite « chapelle de Saint-Mauront », le ton est donné : quatre sarcophages viennent nous rappeler la vocation funéraire des lieux. Il faut en effet se souvenir que durant l’Antiquité, les Marseillais n’occupaient que la rive nord du Lacydon. L’actuel quai de Rive-Neuve n’était alors qu’un « désert » de roches calcaires. Le site a d’abord servi de carrière, puis, à partir du IIIe siècle, de cimetière. C’est là, dans des tombes creusées dans la roche que, durant les persécutions romaines, furent enterrés les martyrs chrétiens, dont Victor (mort en 303 ou 304) et ses compagnons. Très vite, le site fait l’objet d’un culte extrêmement puissant et les Marseillais prennent l’habitude d’enterrer leurs morts près de la sépulture

de celui que l’on appelle désormais saint Victor avant de bâtir, au Ve siècle, un premier monument, puis une grande basilique consacrée au martyr. Fondé (selon la tradition) par Jean Cassien, le monastère de Saint-Victor devient dès lors un centre spirituel et un lieu de pèlerinage de première importance, alors qu’au même moment, le cimetière se développe encore. C’est pourquoi les lieux renferment une telle collection de sarcophages. Datés pour la plupart des IVe et Ve siècles, ils étaient destinés à de simples fidèles, mais furent ensuite réutilisés par les moines du Moyen Age pour contenir des reliques, exposées à l’attention des nombreux pèlerins. Il en va ainsi des sarcophages de la chapelle Saint-Mauront : trois d’entre eux (fin du IVe siècle) présentent de riches bas-reliefs aux thèmes bibliques. Le quatrième, dit « de Julia Quintina » (IIe siècle), se trouve enchâssé au centre d’un autel baroque (XVIIe siècle). Ce sarcophage romain a la particularité d’être orné d’une scène païenne (les noces d’Ariane et Bacchus), ce qui n’a pas empêché les moines de Saint-Victor d’y déposer, au VIIe siècle, la dépouille de Mauront, évêque de Marseille.

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CHAPELLE D’ISARN

L’ÉVĂŠQUE GISANT En quittant la chapelle Saint-Mauront, il faut tourner Ă gauche pour dĂŠcouvrir, dans une niche, le gisant de l’abbĂŠ Isarn (mort en 1047) dont le visage hiĂŠratique (et les pieds !) ĂŠmergent d’une majestueuse dalle rectangulaire sur laquelle est gravĂŠe une inscription Ă la calligraphie ĂŠlĂŠgante, faisant tout autant office de dĂŠcor que d’Êpitaphe. Isarn est le vĂŠritable fondateur de la puissance de l’abbaye de Saint-Victor, après les terribles ÂŤ âges obscurs Âť (du VIIe au Xe siècle) ayant vu Marseille subir les assauts des Francs, de pirates grecs et surtout, des Sarrasins. DĂŠtruite, ruinĂŠe, abandonnĂŠe, Saint-Victor renaĂŽt de ses cendres autour de l’an mil avec l’installation de moines bĂŠnĂŠdictins qui, sous l’abbatiat d’Isarn, ĂŠdifient une nouvelle ĂŠglise (consacrĂŠe en

1040) au-dessus des constructions antĂŠrieures qui deviennent alors une crypte. Du XIe au XVe siècle, Saint-Victor rayonne sur toute la Provence et devient le centre d’un vĂŠritable empire monastique qui contrĂ´le la majeure partie de la MĂŠditerranĂŠe occidentale. Durant toute cette pĂŠriode, l’Êglise et sa crypte feront l’objet de travaux quasi permanents. En atteste la peinture murale dite des ÂŤ moines bâtisseurs Âť (XIIe siècle), reprĂŠsentant cinq personnages affairĂŠs sur un chantier, que l’on peut encore distinguer sur une voute situĂŠe en vis-Ă -vis de la pierre tombale d’Isarn (ci-contre). Ce n’est qu’en 1365 que l’Êdifice sera achevĂŠ, après que le pape Urbain V (un ancien abbĂŠ de Saint-Victor), ait reconstruit le chĹ“ur et donnĂŠ Ă l’ensemble son aspect fortifiĂŠ.

DATES CLÉS IIIe siècle : TJUF GVOĂ?SBJSF QSJNJUJG 303 ou 304 : NPSU EF 7JDUPS DĂŠbut du Ve siècle : GPOEBUJPO E VO QSFNJFS NPOBTUĂ’SF QBS +FBO $BTTJFO *M T BHJU QFVU Ă?USF EF M FOTFNCMF DPOTUJ UVĂ? QBS MF NBSUZSJVN FU M BUSJVN Ă?EJ Ä•Ă?T Ă‹ MB NĂ?NF QĂ?SJPEF VIe siècle : TFMPO (SĂ?HPJSF EF 5PVST MB HSBOEF CBTJMJRVF DPOTBDSĂ?F BV NBSUZS 7JDUPS BUUJSF EF OPNCSFVY QĂ’MFSJOT

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VIIe-Xe siècles : QĂ?SJPEF EF UVSCV MFODFT FU EĂ?DMJO EF 4BJOU 7JDUPS 923 : TBDDBHF EF M BCCBZF QBS MFT 4BS SBTJOT Fin du Xe siècle : JOTUBMMBUJPO EFT #Ă? OĂ?EJDUJOT XIe siècle : BCCBUJBU E *TBSO DPOTUSVD UJPO E VOF Ă?HMJTF BV EFTTVT EFT CÉUJ NFOUT QBMĂ?PDISĂ?UJFOT RVJ EFWJFOOFOU BMPST DSZQUFT XIIIe siècle : SFDPOTUSVDUJPO EF M Ă?HMJTF TVQĂ?SJFVSF

XIVe siècle : MF QBQF 6SCBJO 7 EPOOF BV NPOBTUĂ’SF TPO BTQFDU GPSUJÄ•Ă? XVIIe siècle : SĂ?BNĂ?OBHFNFOU EF MB DSZQUF XVIIIe siècle : BQSĂ’T BWPJS Ă?UĂ? TĂ?DV MBSJTĂ?F FO M BCCBZF FTU WFOEVF DPNNF CJFO OBUJPOBM TPVT MB 3Ă?WPMV UJPO FU VOF HSBOEF QBSUJF EV NPOBT UĂ’SF FTU EĂ?USVJUF 1895 : USBWBVY EF SFTUBVSBUJPO EF M Ă?HMJTF QBS M BSDIJUFDUF )FOSJ 3Ă?WPJM


Chapelle Saint-Blaise. A l’ouest de l’atrium, on ne manquera pas de s’arrêter devant cet autel et son retable baroque orné d’un basrelief représentant Saint Blaise en costume d’évêque avec à ses pieds, le sabre avec lequel ce martyr fut décapité. A ses côtés, Saint Laurent est quant à lui muni d’un grill… Au dessus d’eux, un ange porte une croix, symbole de leur béatification.

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MARTYRIUM

L’ANTRE DE LA VIERGE NOIRE Entre des arcades médiévales du XIIIe siècle, est circonscrit un bâtiment beaucoup plus ancien, le « martyrium », édifié au Ve siècle à proximité de la tombe de Victor. Il faut imaginer qu’à l’époque, cet espace se trouvait à l’air libre, contre le front de taille d’une carrière abandonnée. On peut d’ailleurs apercevoir, sous l’autel, deux sépultures creusées dans la roche. Une monnaie de l’empereur romain Dèce (l’auteur de la persécution de 250 ap. JC) retrouvée dans l’une d’elles, peut laisser penser qu’il s’agit là de martyrs. Est-ce leurs noms qui figurent sur l’inscription (aujourd’hui exposée dans la sacristie) évoquant deux personnages décédés de « mort violente » ? Quoi qu’il en soit, les récents travaux archéologiques confirment que ce martyrium (ou basilique de Saint-Victor) aurait bien été élevé vers 450 ap. JC. Sur une dalle est posé un sarcophage d’enfant jadis réutilisé pour abriter les reliques de Jean Cassien, supposé être le fondateur du premier monastère de Saint-Victor au début du Ve siècle. C’est aussi là qu’est conservée, depuis le Moyen Age, la statue de Notre-Dame-deConfession, plus connue sous le nom de « Vierge noire » (fin du XIIe siècle). Elle fait encore l’objet d’une ardente dévotion populaire, notamment à la Chandeleur (2 février), quand elle est portée en procession depuis le port jusqu’à la basilique, puis laissée à l’adoration des fidèles durant neuf jours.

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ATRIUM

MOSAÏQUE DE PILIERS Le vestibule à trois nefs du martyrium introduit vers une salle carrée à l’élévation considérable, « l’atrium ». En levant les yeux sur l’arcature ouest, on aperçoit une mosaïque florale (ci-contre) suggérant que cet espace était, au Ve siècle, pourvu d’une décoration raffinée à la mesure de sa monumentalité. Ce qui permet de penser que nous nous trouvons dans l’élément majeur de la basilique antique : c’est certainement au centre de cette salle que se trouvait le grand autel orné d’une frise, aujourd’hui conservé dans la grande chapelle de l’église supérieure. Enfin, notons que les piliers qui décorent le pourtour de l’atrium ont en réalité été installés en 1803 par le préfet de Marseille, qui avait décidé de prélever les neuf colonnes antiques qui scandaient l’espace depuis le Ve siècle pour décorer les places et jardins de Marseille… Deux d’entre elles, retrouvées au parc Borély, ont tout récemment été ramenées à Saint-Victor : elles sont actuellement déposées dans la sacristie, en attendant de retrouver, un jour, leur emplacement originel.

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CHAPELLE SAINT-LAZARE

A L’ORIGINE DU CULTE Du martyrium, on accède à la chapelle Saint-Lazare qui, selon la coutume, aurait été aménagée autour de la tombe de Victor. Les très nombreux sarcophages empilés à proximité, au fond du boyau rocheux, démontrent que nous nous trouvons ici à l’épicentre du culte paléochrétien de saint Victor. C’est là que tout aurait commencé. A l’entrée de ces « catacombes », une sorte de basilique a été creusée dans la pierre par les hommes du haut Moyen Age. Au dessus de l’un des piliers taillés à même le rocher, on remarque un visage sculpté, surmonté d’une crosse d’évêque. Une représentation certes archaïque, mais fascinante. Et emplie de mystère. Il s’agit probablement de Lazare, archevêque d’Aix au Ve siècle. Les Marseillais préfèrent toutefois y reconnaître saint Lazare, compagnon du Christ guidé par le Saint Esprit vers les rives du Lacydon, et premier évêque légendaire de la cité phocéenne... Ce n’est qu’au XVII e siècle que l’ensemble est réaménagé, grossièrement, à la manière d’une grotte et qu’on y installe un relief (attribué à l’école de Pierre Puget), représentant Marie Madeleine en prière à la Sainte-Baume. Sur l’autel est posé un sarcophage païen dit « des Saints innocents » décoré d’amours forgeant les armes du dieu Mars. De l’Antiquité à l’âge baroque, ce petit espace concentre, à l’image de toute la crypte, les témoignages de plus de 1 500 ans d’histoire.

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LACROIX – PICASSO

REGARDS CROISÉS Au musée Réattu d’Arles, les créations de Christian Lacroix pour le théâtre, l’opéra, le ballet ou la corrida, donnent la réplique aux dessins, gravures et peintures de Pablo Picasso. Portfolio. Photos : Olivier Amsellem

Pablo Picasso, dessins de Mousquetaires, 1971. Collection musée Réattu. Don de l’artiste en 1971 © Succession Picasso 2012.

Christian Lacroix, détail de la robe de « Ménine », 2004. Collection particulière.

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Pablo Picasso, Portrait de Lee Miller en Arlésienne, 1937.

Collection musée Réattu. Dépôt de l’Etat en 1990.

Christian Lacroix, costumes du Matador, de la Danseuse de Sévillana et de la femme du couple Dandy, dessinés

pour le ballet Tricorne, créé en 1919 par la Compagnie des ballets russes et repris en 2009-2010 par l’Opéra de Paris. Collection de l’Opéra National de Paris. © Succession Picasso 2012.


Pablo Picasso, dessins d’Hommes à la guitare et femme, 1971.

Collection musée Réattu. Don de l’artiste en 1971 © Succession Picasso 2012.

Christian Lacroix, costumes des muses de la Poésie, de la Musique et de la Paix pour l’opéra La descente d’Orphée aux Enfers, la Cité de la musique, Paris, 2004. Collection Comédie Française / Centre national du costume de scène, Moulins.


PORTFOLIO

CHRISTIAN LACROIX ET LES PICASSO D’ARLES

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Lucien Clergue, Arlequin, de la série La Grande Récréation, 1955. Collection musée Réattu. Don de l’artiste en 1980.

Christian Lacroix, costume pour la comédie musicale L’as-tu revue, Opéra-Comique, Paris, 1991. Collection Comédie Française / Centre national du costume de scène, Moulins.

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Pablo Picasso, Arlequin, 1971. Collection musée Réattu. Don de l’artiste en 1971. © Succession Picasso 2012.

Christian Lacroix, installation réalisée pour l’exposition le Torero mort d’Edouard Manet , Le Capitole, Arles, 2010. Collection particulière.

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Christian Lacroix, détail du costume de la Duègne pour Cyrano de Bergerac - la Comédie Française, Paris, 2006.

Collection Comédie Française / Centre national du costume de scène, Moulins.

Pablo Picasso, dessins de Mousquetaires, 1971. Collection musée Réattu. Don de l’artiste en 1971 © Succession Picasso 2012

LES PICASSO D’ARLES INVITATION À CHRISTIAN LACROIX

Jusqu’au 30 décembre Musée Réatu, 10, rue du Grand-Prieuré, Arles. 3-7€.

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museereattu.fr


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L’ÉVÈNEMENT

L’ITALIENNE À ALGER

L’OPÉRA À LA FÊTE Pour les fêtes, une irrésistible Italienne sera de passage à l’Opéra de Marseille… Par Sandro Piscopo-Reguieg

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ans les « opéras turcs », c’est toujours la même rengaine : une belle, enlevée lors d’un naufrage, est retenue prisonnière dans un sérail par un fourbe et cruel Ottoman, jusqu’à ce qu’elle soit délivrée par un courageux gentilhomme… Ce coquin de Rossini, lui, a inversé la donne : c’est bien l’impétueuse Isabella qui vole à la rescousse de son amant Lindoro, retenu par le bey Mustafa qui, lui-même, se retrouvera prisonnier de sa passion pour l’Italienne !

L’ABSURDITÉ DU LIVRET N’A D’ÉGALE QUE LA FINESSE DE LA PARTITION

Energie pure. Gioachino Rossini n’avait que 21 ans lorsqu’il

composa, en 1813, L’Italienne à Alger, qui ouvrit la période des grandes créations bouffes du cygne de Pésaro. Est-ce parce que l’œuvre a été écrite dans l’urgence (en moins de trente jours !), que son intrigue extravagante se voit soumise à un tel rythme ? Tourbillon d’énergie pure, énorme farce, L’Italienne à Alger n’a pourtant rien d’une opérette. L’absurdité du livret, quasi surréaliste, n’a d’égale que la finesse de la partition : ici, la folie est organisée, lucide, parfaitement construite. Les fils de l’imbroglio s’emmêlent, les coups de théâtre s’enchaînent, créant une confusion croissante dans l’esprit des personnages, amplifiée par la structure musicale. Ainsi, dans la dernière scène du premier acte, les mots se trouvent réduits à de simples onomatopées, emportées dans un mouvement rythmique de plus en plus rapide, un crescendo d’une précision infernale, une véritable mécanique d’horloger : aux « ding, ding » répondent les « tac, tac » et autres « crôa, crôa » jusqu’au « boum » de l’explosion finale. Pour Rossini, la cacophonie est un art. Chant du cygne. « Musicalement, c’est un feu d’artifice ! », s’enthousiasme Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra de Marseille, fier d’inviter cette si séduisante Italienne pour les fêtes. A la mise en scène de cette coproduction (avec l’OpéraThéâtre d’Avignon), on retrouve le jeune Nicola Berloffa, qui avait déjà sévi sur le mémorable Voyage à Reims, du même Rossini, en 2010 à l’Opéra de Marseille. « Nous avons pensé à lui pour son esprit ludique, un peu décalé, raconte Xiberras. Surtout, il sait dynamiser une équipe, ce qui est très impor102

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tant pour que la sauce prenne dans les opéras de Rossini ! » Une scène pivotante permettra de suivre le rythme échevelé de l’intrigue, alors que des costumes « à la Hergé » mêleront orientalisme fantasmé et esthétique des années folles. « Folles », oui. Rossini oblige... Côté distribution, on attend beaucoup du jeune baryton italien Alex Esposito dans le rôle du pathétique (mais tout aussi drôle) tyran Mustafa, aveuglé par son amour pour l’irrésistible Italienne, qui n’aura de cesse de le mener par le bout du nez… Cette dernière sera incarnée par Marie-Ange Todorovitch. Une prise de rôle, comme un chant du cygne. Ce sera, nous dit-on, la toute dernière prestation de la mezzo-soprano dans ce registre. L’Italienne à Alger. Les 29 et 31 décembre 2012, les 2, 4 et 6 janvier 2013. Opéra de Marseille, place Ernest Reyer, Marseille, 1er. 04 91 55 11 10. 13-90 €. www.opera.marseille.fr


Š Rifail Ajdarpasic

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MUSIQUES

©Thierry Cohen

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POLIUTO Les amours d’une aristocrate romaine et d’un jeune chrétien sur fond de persécutions, supplices, trahisons et actes héroïques. Mais bon, tout cela restera assez anecdotique puisque cette œuvre méconnue de Gaetano Donizetti sera ici présentée en version concertante. Donc ni décor, ni costume, ni artifice… Mais une distribution de haut vol, emmenée par l’impériale Daniela Dessi. S.P-R.

L’INTÉGRALE DES NOCTURNES DE CHOPIN Même pas peur ! La pianiste Marie-Josèphe Jude s’apprête à enregistrer – en direct et en public – l’intégrale des Nocturnes de Chopin dans la grande salle du Théâtre de La Criée, pour le très exigeant label marseillais Lyrinx. Ces vingt-et-une pièces du répertoire romantique, jouées et rejouées par les plus grands, n’ont pas l’air d’intimider celle qui s’est jusqu’ici illustrée avec Brahms, Mendelssohn, Beethoven mais aussi des compositeurs contemporains tels que Maurice Ohana

et Henri Dutilleux. L’artiste précoce, née à Nice en 1968, est entrée à treize ans au conservatoire national supérieur de musique de Paris avant de le quitter, trois ans plus tard, avec un premier prix en poche. Depuis 1993, chacun de ses disques collectionne les « Diapason d’or » et elle a reçu une Victoire de la musique classique en 1995. Sachant qu’elle déclarait récemment « se rapprocher de plus en plus de Chopin », son passage à Marseille ne devrait pas passer inaperçu ! E.G.

Le 19 novembre, 20h. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive-Neuve, Marseille, 7e. 04 91 54 70 54. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €.

Les 24, 27, 29 novembre et le 2 décembre. Opéra de Marseille, place Ernest Reyer, Marseille, 1er. 04 91 55 11 10. www.opera.marseille.fr. 13-72 €.

DESSAY CHANTE LEGRAND

© P-E Rastoin

Si Nathalie Dessay fait des infidélités à Mozart et Verdi, c’est pour retrouver ses premières amours : Les Demoiselles de Rochefort, Les Parapluies de Cherbourg, Peau d’âne… Les musiques de Michel Legrand ont bercé son enfance, et ce, bien avant qu’elle ne découvre les vocalises de La Reine de la nuit. A l’Opéra de Marseille, on verra donc exceptionnellement la soprano se saisir d’un micro. A ses côtés, Michel Legrand, l’accompagnera au piano, au fil d’une vingtaine de chansons, de Demy à Nougaro. A.L.

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Le 10 décembre, 20h. Opéra de Marseille, place Ernest Reyer, Marseille, 1er. 04 91 55 11 10. opera.marseille.fr. 11-35 €.

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© Alain Fonteray

MISS KNIFE CHANTE OLIVIER PY Faux cils, strass et paillettes, la chanteuse de cabaret miss Knife est la créature d’Olivier Py ou plutôt, selon ses propres mots, une « partie » de lui. Le prolixe comédien, écrivain, metteur en scène et futur directeur du Festival d’Avignon l’a incarnée pour la première fois en 1996. C’était à Avignon justement, onze ans avant d’être nommé à la tête du Théâtre national de l’Odéon, puis de se voir privé du second mandat qu’il espérait. Pour faire ses adieux à Paris, au printemps dernier, il a choisi de ressusciter miss Knife. C’est sûrement la pre-

mière fois qu’un directeur de théâtre national monte, sur sa propre scène, sous les traits d’une femme et chante des textes de sa composition. Ce sont des romances déçues, des poèmes tristes à la croisée de Barbara et Juliette, mis en musique par Stéphane Leach. Sur scène, accompagné de quatre musiciens, Olivier Py dévoile un talent de plus. E.G.

Le 27 novembre, 20h. Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive-Neuve, Marseille, 7e. 04 91 54 70 54. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €.

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MUSIQUES © Da Cruz

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THE BEATNUTS

FESTIVAL LATINANDO La première édition de Latinando, tout nouveau festival dédié aux « cultures latinas contemporaines », nous amène au Brésil en plein mois de décembre. Du dance hall explosif de Da Cruz (le 14 au Cabaret aléatoire) à l’électrojazz de Los Negros Soundsystem (le 15 au Café Julien), Latinando fusionne musiques actuelles et traditionnelles

et fait la part belle au choro, au funk, à l’afrobeat, à la samba… Ce festival qui cultive décidément tous les métissages alterne concerts et moments de réflexion, et propose une série de conférences où l’on s’intéressera au bouillonnement social, politique et culturel à l’œuvre de l’autre côté de l’Atlantique. S.P-R.

Du 7 au 15 décembre. La Meson, L’Equitable Café, Cabaret aléatoire, Café Julien, Cité de la musique, Akdemia del Tango. www.sabaprod.com. Entrée libre aux conferences. Concerts : 5-17 €.

Le Cabaret a encore une fois su attirer un mythe du hiphop américain : créé en 1989 à Brooklyn, The Beatnuts a collaboré avec Naughty by Nature et Cypress Hill, avant de sortir le hit Watch Out Now et son beat imparable - un classique - samplé et remixé depuis par des tonnes de Djs. A.L. Le 28 novembre, 21h. Cabaret aléatoire, la Friche la Belle de Mai, 4, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 09. www.cabaret-aleatoire.com. 15-17 €.

MASSILIA SOUND SYSTEM

© Carine Fuentes

Ils se consacrent tous à un ou plusieurs projets solos, mais Gari Greu, Tatou et Papet J n’ont pas oublié Massilia. Et pour fêter la réouverture du Moulin, ils vont rester « tanqués » sur la scène durant deux soirs d’affi lée. Deux concerts pour se replonger dans la « bande-son » de la fameuse movida marseillaise : au début des années 90, on ne parlait pas encore de Capitale, mais tout simplement de culture. S.P-R.

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Les 13 et 14 décembre, 20h30. Le Moulin, 47, boulevard Perrin, Marseille, 13e. 04 91 06 33 94. www.lemoulin.org. 24,80 €.

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KAS PRODUCT

ARNO

Ne faisons pas semblant. Arno n’a pas écrit que des chansons inoubliables. Certes, le bonhomme n’a jamais triché, mais sa générosité débordante, toujours à la limite de la rupture, l’entraîne parfois vers le superflu ou l’anecdotique. Par contre, quand il trouve le juste déséquilibre, il est capable de pondre des morceaux absolument saisissants. Pour son dernier album, Future Vintage, il s’est acoquiné avec John Parish, producteur et accompagnateur de PJ Harvey, Goldfrapp, Eeels, Dionysos, Dominique A… Un sacré coup de fouet : le disque comprend notamment quatre titres bruts,

Ceux qui avaient vingt ans dans les années 80 n’ont sûrement pas oublié Mona Soyoc. A mi-chemin entre Catherine Ringer et Robert Smith, la chanteuse de Kas Product a marqué au fer rouge la new-wave française par son sex-appeal et les miaulements ravageurs de son « Pussycat ». Le duo, formé en 1980 à Nancy par cette diva d’origine argentine et Spatsz, un infirmier psychiatrique devenu claviériste, s’est séparé en 1988, puis reformé en 2005, à l’occasion de la réédition de leurs deux premiers albums. Depuis, ils se produisent périodiquement au gré des invitations et des festivals. Trente ans après leur tube Never come back, ils étaient, déjà, de retour lors de la dernière édition de Marsatac, où l’accueil fut mitigé. On imagine qu’ils seront plus à l’aise dans la chaleur et l’intimité du Poste à Galène. E.G.

en anglais, qui rappellent presque la saveur sauvage des premiers TC Matic. Avec sa voix de bluesman qui racle et qui braille sur des riffs répétitifs et une guitare grinçante, Arno atteint la quintessence de l’esprit rock. Le sale gosse, mal élevé, mais écorché vif, nous gratifie également de chansons en français. Plutôt en belge, car ça rime souvent à rien. Tant mieux. Le natif d’Ostende se définit lui-même comme un « chanteur de charme raté ». A 63 ans passés, il ne s’est toujours pas assagi. Le live s’annonce tendu et brutal. F.K. Le 23 novembre, 21h. Poste à Galène, 103, rue Ferrari, Marseille, 5e. 04 91 47 57 99. www.leposteagalene.com. 14 €.

Le 11 décembre à 20h 30. Espace Julien. 39, Cours Julien, Marseille 6 . 04 91 24 34 10. www.espace-julien.com. 27 €. e

© Azza Béji & Gaith Arfaoui

EMEL MATHLOUTHI De toute évidence, Emel Mathlouthi est une chanteuse arabe de son temps. Dès son premier album, Kelmti Horra (Ma parole est libre), elle a su marier le cri politique et la puissance artistique. Ce disque a été composé alors que Ben Ali dirigeait encore la Tunisie d’une main de fer. Mais ici, l’appel à la révolte se double d’une dimension poétique encore plus universelle. Des sonorités arabes ancestrales débordent sensuellement sur les rivages mélodiques occidentaux. Au chapitre des influences, on pourrait citer Massive Attack, Radiohead, Portishead… Mais, ce bain trip-hop n’a rien de tiède. Il sert d’écrin à une voix d’une pureté envoutante et à un chant qui nous touche au plus profond de notre être. Cette présence prend sûrement une dimension encore plus intense sur scène. L’énergie du public transcende Emel Mathlouthi à tel point qu’elle se risque souvent à l’improvisation. F.K. Le 24 novembre. Concert de clôture des Rencontres d’Averroès. Espace e

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SCÈNES

©Meike Lindek

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FESTIVAL DANSEM Dansem n’a pas attendu le Printemps arabe pour s’intéresser à la création chorégraphique du Maghreb : depuis quinze ans, la manifestation tisse des liens artistiques en Méditerranée. Cette approche sensible s’avère être un excellent moyen pour entrer dans la danse de l’Histoire et nous rendre ses soubresauts moins inquiétants.

Continents. Le festival rassemble cette année des artistes du Liban, de Croatie, d’Israël, de Palestine et de France. Dix-sept propositions, dont quatre créations, présentées en complicité avec un grand nombre d’opérateurs de la métropole marseillaise. Pour les valeurs sûres : Mathilde Monnier, Jean-François Duroure, Georges Appaix, Geneviève Sorin, Thierry Baë… Dansem accompagne aussi des démarches un peu moins reconnues, mais qui ont déjà eu l’occasion de nous remuer l’esprit et les tripes : Manon Avram (qui pour l’occasion sera associée au chorégraphe Thierry Escarmant) ou encore la délicieusement facétieuse Montaine Chevalier qui, avec son spectacle sur le thème de l’assise, pourrait bien nous scotcher à notre fauteuil. La soirée réunissant Khouloud Yassine et Danya Hammoud (photo ci-dessus) s’annonce également particulièrement troublante. Quant à Matija Ferlin, il ne s’est encore jamais produit à Marseille, ce qui ne l’empêche pas d’être considéré comme un chorégraphe extrêmement prometteur. Mais le meilleur est peut-être encore ailleurs. Il y a tant de continents imaginaires à découvrir. A la seule condition de se laisser guider par sa curiosité. F.K.

L’Autre. Un corps qui danse modifie notre perception de l’espace. Il est ici, il bouge devant nous, et en même temps, il évoque un ailleurs. Le plus lointain et le plus proche peuvent ainsi cohabiter dans le même « lieu ». Cette puissance de l’art chorégraphique fait forcément écho à des préoccupations hautement politiques. L’étranger, cet autre qui, tour à tour, nous intrigue, nous fascine, nous attire ou nous effraie, devient ainsi un peu plus familier. Le festival Dansem (Danse contemporaine en Méditerranée) explore ces chemins sinueux, et souvent de traverse, qui mènent à l’Autre. Il s’agit bien de tracer une route, sur le long terme et donc de dépasser la simple dimension événementielle. L’ambition consiste même à construire un pont entre « les deux rives » puisque l’Officina (l’association qui organise Dansem) travaille au soutien et Du 13 novembre au 8 décembre. A Marseille, Aix et Arles. à l’émergence des artistes du bassin méditerranéen. O4 91 55 68 06. www.dansem.org. 2,40-18 €. 108

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POUR TOUT L’OR DU MONDE

TITANIC

Au Pavillon Noir, Olivier Dubois ne danse pas : il performe. Dans Pour tout l’or du monde, le chorégraphe a choisi de s’interroger, à sa façon, sur la fonction de l’interprète : il passe en revue plusieurs registres… en exhibant fièrement son corps grassouillet. Dubois connaît les codes de la danse classique, et son Lac des cygnes n’échappe pas à son lot d’arabesques et d’entrechats. C’est lorsque le port de bras se transforme en bras d’honneur que le danseur évoque d’autres facettes de l’interprétation, dévorante, épuisante, racoleuse. Le costume noir devient slip kangourou, et la douce musique de Tchaikovsky… Rihanna. L.C.

Décidément, le Titanic a la poisse. Prévue pour les chantiers navals de La Ciotat et annulée à cause de l’incendie des décors, la recréation du ballet éponyme de Frédéric Flamand par le Ballet National de Marseille est finalement accueillie à La Criée, à l’occasion du centenaire du naufrage le plus célèbre de l’histoire de la navigation. Le chorégraphe a conçu cette œuvre, en 1992, alors qu’il était en résidence à Charleroi, haut lieu de la révolution industrielle belge. Deuxième volet

d’une trilogie consacrée aux relations entre l’homme et la technologie, réalisée en collaboration avec l’architecteplasticien Fabrizio Plessi, Titanic se situe, selon son auteur, « au cœur même du dilemme prométhéen de nos sociétés modernes où l’art et la technique s’opposent ». On y retrouve tous les ingrédients qui ont fait la renommée de Frédéric Flamand, et notamment la confrontation spectaculaire entre les corps et un décor très sophistiqué. E.G.

Pavillon Noir, 530, av. Mozart, Aix-en-Provence. 04 42 49 02 00. www.preljocaj.org.6-9 €.

© Jacky Ley

Les 18 et 19 décembre, 19h, du 20 au 22 décembre, 20h, Théâtre de La Criée, 30, quai de Rive-Neuve, Marseille, 7e. 04 91 54 70 54. www.theatre-lacriee.com. 9-24 €.

SOIRÉE RÉSONANCE BAGOUET

En hommage à Dominique Bagouet, disparu il y a vingt ans, Michel Kelemenis et le KLAP ont décidé de consacrer cinq soirées (du 10 au 14 décembre) à l’œuvre du chorégraphe : une Résonance, à l’image de l’étonnante aventure des Carnets Bagouet qui avait réuni nombre de ses anciens interprètes pour redonner vie à une grande partie de ses pièces et les transmettre aux nouvelles générations… Le Théâtre des Bernardines a choisi de s’associer l’initiative et propose une soirée Résonance en deux temps. La danseuse Catherine Legrand, accompagnée par Geneviève Sorin à l’accordéon, interprétera Le malaise de Louise, séquence chorégraphique de Meublé sommairement, inspiré à Bagouet par le roman Aftalion Alexandre, d’Emmanuel Bove. La soirée se conclue avec le film Ribatz Ribatz !, de Marie-Hélène Rebois : les danseurs d’une troupe dispersée, après la mort du chorégraphe, tentent de restituer l’une de ses pièces à partir de photographies et de quelques notes… Comme une énigme. L.C. Le 11 décembre, 20h30. Théâtre des Bernardines, 17, boulevard Garibaldi, Marseille 1er. 04 91 24 30 40. www.theatre-bernardines.org. 3-12 €.

© Vincent Pereira

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SCÈNES

LE BOURGEOIS GENTILHOMME

Depuis sa création à Versailles en 1670, la comédie de Molière n’en finit pas d’être montée. Le personnage du bourgeois épris de noblesse, du parvenu cherchant à échapper à sa condition, n’a jamais perdu de son actualité. Récemment, il a été incarné par des comédiens aussi divers que Bigard, Marcel Maréchal, Denys Podalydès et, en l’occurrence, François Morel. L’ex-Deschiens, devenu chanteur et chroniqueur à France Inter, a été choisi par la metteuse en scène Catherine Hiegel

en raison de « sa force comique, toujours authentique et vraie, ses capacités de naïveté et d’étonnement ». Dans une version complète de la comédie-ballet, associant la musique de Lully à des chorégraphies de Cécile Bon, elle réunit une vingtaine de musiciens, chanteurs et acteurs autour d’un François Morel aussi enfantin que maladroit. Sans cynisme ni vulgarité, leur Bourgeois a reçu un accueil unanime lors de sa création à Paris, en janvier dernier. E.G.

Les 29 et 30 novembre, 20h30, le 1er décembre, 20h. Théâtre des Salins, 19, quai Paul Doumer, Martigues. 04 42 49 02 00. www.theatre-des-salins.fr. 15-30 €.

© Jérémie Contino

© ATA

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LE JOURNAL D’UN FOU Andonis Vouyoucas s’attaque à la célèbre nouvelle de Gogol avec une scénographie ultra-minimaliste. Le décor ? Deux tapis. Pour symboliser deux mondes, celui de la solitude de Poprichtchine (incarné par Hervé Lavigne) et celui de la femme fantasmée (la soprano Floriane Jourdain). Et pour souligner la folie de cet illuminé, quoi de mieux que des jeux de lumières ? L.C. Du 20 au 24 novembre, 20h30. Théâtre Gyptis, 136, rue Loubon, Marseille 3e. 04 91 11 00 91. www.theatregyptis.com. 28 €.

© Wilfried Thierry

WONDERFUL WORLD

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Cinq hommes sont venus annoncer une catastrophe. Comme possédés par le besoin d’exprimer cette révélation, ils courent jusqu’à l’épuisement, mais n’avancent pas d’un pouce. Ils hurlent jusqu’à s’époumoner, mais ne sont pas entendus. Ces cinq-là sont complices, mais seuls. Debout, mais meurtris. Veulent-ils s’échapper de la scène ? Ou seulement d’eux-mêmes ? Avec ce spectacle « d’anticipation poétique », la chorégraphe, metteur en scène, vidéaste et plasticienne Nathalie Béasse a su mettre à profit tous ses talents pour dessiner les contours d’un monde, pas si Wonderful que ça. L.C. Les 11 et 12 décembre, 19h. Théâtre de la Criée, 30, quai de Rive-Neuve, Marseille 7e. 04 91 54 70 54. www.theatre-lacriee.com. 9-24€.


SCÈNES

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LES LARMES RENTRÉES

© François Fogel

La lecture de Mars de Fritz Zorn a fait naître chez Laurent de Richemond « un très fort désir d’acteur ». Depuis trois ans, le comédien et metteur en scène travaille à l’adaptation de ce texte mythique, paru en France en 1979. Comment traduire sur scène les mémoires de ce jeune Suisse rongé par un cancer, analysant sa maladie comme la conséquence de son éducation bourgeoise ? Le parti pris de Laurent de Richemond est radical : il joue le personnage assis devant une haute table, dans un décor glacial, couvert de carrelages. A ses côtés, deux femmes enceintes (Edith Amsellem et Anne Naudon) sont invitées – et réduites – à l’écouter. Sous la table, un couple nu, formé par les danseurs Frédéric Pichon et Barbara Sarreau, évolue dans sa propre dimension. Ils sont « ceux du dessous », privés de la parole, « comme un inconscient refoulé et dissimulé aux yeux de celui qui parle ». Plus qu’un témoignage, Les Larmes rentrées est un spectacle sur la parole et ses pouvoirs. E.G.

LES 3 EXILS D’ALGÉRIE Cela fait déjà quelques années que le collectif Manifeste Rien joue ses « Emportes pièces », adaptations théâtrales d’ouvrages de sciences humaines. Car pour eux, « ce qui est prouvé par la recherche doit être éprouvé par le public ». Les livres auront donc une voix et un corps : celui de la comédienne Virginie Aimone, seule en scène. Elle a déjà pu incarner Le Massacre des Italiens de Gérard Noiriel, La Domination masculine de Pierre Bourdieu, ou

encore l’Histoire universelle de Marseille d’Allèssi Dell’Umbria… Cette fois, Aimone et le metteur en scène Jérémy Beschon ont choisi de s’attaquer à une œuvre de Benjamin Stora, Les 3 Exils d’Algérie. A travers le parcours de trois familles, à trois moments historiques différents, ce spectacle nous mène des débuts de la colonisation française à l’indépendance algérienne, « entre quête personnelle et enquête historique ». S.P-R.

Les 20 et 21 novembre, 19h, et du 22 pour la Danse, 5, avenue Rostand, Marseille, 3e. 04 96 11 11 20. www.minoterie.org. 2-12 €.

96 rue de l’Evêché, Marseille, 2e. 04 91 91 52 22. www.theatredelenche.info. Entrée libre sur réservation.

© Maude Grübel

LES RENCONTRES À L’ÉCHELLE Pour sa cuvée 2012, l’événement produit par les Bancs Publics a favorisé des rencontres apparemment improbables entre artistes « d’ici et d’ailleurs ». Julie Kretzschmar et Thomas Gonzalez vont ainsi mettre en espace deux textes incendiaires : La Préface du nègre, de l’Algérien Kamel Daoud et Cicatrices, du comorien Alain-Kamal Martial. Ces deux auteurs inventent une langue, comme on retourne une arme contre la colonisation. Le musicien Camel Zerki et le metteur en scène Thierry Bédar vont, eux, tenter un « corps à corps sonore » avec les écrits de Frantz Fanon. Sans doute plus légère, mais néanmoins très subversive, la proposition de Nicolas Gerber, Christophe Chevalier et Christian Gerber, va nous entraîner dans un jeu de piste surréaliste au cœur d’un immeuble du centre ville de Marseille. Parmi les autres découvertes attendues, citons le travail du metteur en scène égyptien Omar Ghayatt et la performance de la chorégraphe et plasticienne africaine Lenaïg Le Touze. Quant au final, il sera assuré par Natacha Musléra et Catherine Jauniaux, deux « transformistes » de la voix. F.K. Jusqu’au 8 décembre. Les Bancs Publics et divers lieux. 04 91 64 60 00 15. www.lesrencontresalechelle.com. 6-12€.

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SCÈNES © Nicolas Joubard

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VACHE SANS HERBE

Hervé Lelardoux est fasciné par La Ville invisible, le roman d’Italo Calvino. Depuis plus de dix ans, le metteur en scène construit des spectacles dans l’espace urbain en s’inspirant de cette œuvre. Comme le Marco Polo de Calvino, qui s’attache aux liens intimes et imaginaires que les cités tissent avec ceux qui les habitent, les histoires qu’invente Lelardoux nous font découvrir sous un nouveau jour la géographie secrète des villes. Après

avoir déambulé dans les rues, Hervé Lelardoux a décidé « d’habiter » un plateau de théâtre et, cette fois, avec une forme pour le jeune public. L’adresse aux enfants nécessite forcément un langage, non pas de paroles, mais d’émotions. Grâce à cette relation quasi physique, les voyages les plus improbables deviennent possibles. Car comme le dit si bien Calvino : « Les villes invisibles sont des rêves qui naissent au cœur des villes invivables. » F.K.

Le 27 novembre, 19h30. Tout public, à partir de 10 ans. Le Bois de l’Aune, 1 bis, place Victor Schœlcher, Aix-en-Provence. 04 42 93 85 40. www.agglo-paysdaix.fr. Entrée libre sur réservation.

Massalia, la Friche la Belle de Mai, 41, rue Jobin, Marseille, 3e. 04 95 04 95 70. www.theatremassalia.com. 5-7€.

A CORPS PERDUS

La compagnie Lalage mène des ateliers de pratique artistique avec les plus jeunes pour les initier à l’écriture et à l’art de la marionnette, puis réélabore les matériaux ainsi obtenus pour son propre travail de création. Il en va ainsi d’A Corps perdus, spectacle qui « explore la relation de l’enfant à l’espace urbain ». Sur scène, acteurs et marionnettes réinventent la ville, et font apparaître les « génies » des lieux : un doux rêveur qui a perdu sa tête, une femme tiraillée par ses contradictions, un philosophe qui cherche la raison dans les failles des murs qui se dressent partout… A.L. ans. Théâtre de Lenche, 4, Place de Lenche, Marseille, 2e. 04 91 91 52 22. www.theatredelenche.info. 8-16 €. 112

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© DR

VOYAGES EN VILLE INVISIBLE

Juliette rumine de l’intérieur. Ressassant la mort d’un amant et d’un père, elle sort de sa léthargie en sublimant sa souffrance : de ces boules, boules à souvenirs, fruits de sa douleur, qui se sont mises à grossir dans son ventre, elle va faire naître des œuvres d’art. Un spectacle « jeune public » peut aborder des sujets graves. La preuve, avec cette création de la compagnie Senn’ga, qui explore la question du deuil avec humour et fantaisie. A.L.


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EXPOS

LATERNA MAGICA

FRÉDÉRIQUE BERTRAND L’association Fotokino, qui collabore avec Frédérique Bertrand depuis 2005, a décidé de lui réserver une place de choix dans l’édition 2012 du festival Laterna Magica, en lui proposant une exposition au Studio. Dans le domaine de l’illustration, la dame est une star. À 43 ans, elle dessine pour Le Monde ou le New York Times et a publié une bonne trentaine de livres pour enfants, dont les très remarqués Pyjamaramas aux éditions du Rouergue. Cette série d’albums, qui réactualise la vieille méthode dite de l’ombrocinéma (consistant à animer des dessins au moyen d’un calque strié), fait un tabac auprès des enfants – et de leurs parents. Et pas seulement à cause du procédé ! Le génie de Frédérique Bertrand réside dans son style très singulier, alliant un humour non convenu et une extrême simplicité. Et ce, qu’elle s’adresse aux adultes comme aux enfants. Dès les années 90, elle a fait partie de ces pionniers qui ont déniaisé les éditions jeunesse avec des théma114

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tiques politiquement incorrectes et un langage graphique plus proche de l’art contemporain que de l’image d’Epinal. L’exposition du Studio Fotokino est l’occasion de découvrir un aspect plus intime du travail de Frédérique Bertrand : ses peintures, collages ou dessins sur papier carbone, réalisés indépendamment de toute commande. Débarrassée des contraintes, elle va plus loin encore dans le dépouillement et pousse les métaphores dans leurs extrêmes retranchements. Et les fans de ses livres ne seront pas déçus puisqu’ils pourront tous les feuilleter, tranquillement, dans une cabane construite pour l’occasion. E.G. Du 5 au 23 décembre. Studio Fotokino, 33, allées Gambetta, Marseille, 1er. 09 81 65 26 44. www.fotokino.org. Entrée libre.


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FESTIVAL PHOT’AIX Comme chaque année, le festival de la photographie d’Aix-en-Provence s’installe au musée des Tapisseries pour exposer ses « Regards croisés », confrontant cinq artistes français à leurs homologues étrangers. Pour cette édition 2012, c’est la photo cubaine qui est mise à l’honneur : on remarquera notamment les mises en scènes comico-dramatiques

de René Penas (ci-dessus), et les « tableaux photographiques » d’Aimée Garcia, expeintre, mais encore un peu quand même. Phot’Aix, c’est aussi un « parcours » à travers la ville d’Aix, où cinémas, thermes, lycées, et boutiques deviennent lieux d’exposition, pour le temps du festival. A.L.

www.fontaine-obscure.com.

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EXPOS

CÉCILE BORTOLETTI

BERNARD PLOSSU Ce dernier trimestre 2012 prend des allures de « saison Plossu » avec, fait rare, deux grandes expositions consacrées au photographe, au musée Granet d’Aix-en-Provence et à la Vieille Charité de Marseille. La première, La Montagne blanche, est une ode à la Sainte-Victoire, déclinée à travers 107 images, mais sans aucun paysage « typique », ni scène pittoresque. Il en va de même pour Marseille Plossu, qui

présente 230 clichés réalisés par l’artiste au rythme de ses déambulations dans la cité phocéenne durant les vingt dernières années. Ici, ni bleu azur, ni soleil aveuglant, mais une Marseille grise et brumeuse… « Que vont penser les Marseillais de ces images ? », s’inquiétait-il, dans nos pages, à quelques heures du vernissage… Vous avez encore jusqu’au 16 décembre pour lui répondre. S.P-R.

place Saint-Jean de Malte, Aix-en-Provence. 04 42 52 88 32. www.museegranet-aixenprovence.fr. 2-4€. 2, rue de la Charité, Marseille, 2e. www.marseille.fr. 3-5€.

SUR-NATURE La commande passée à Cécile Bortoletti par la Villa Noailles avait valeur de défi : en effet, photographier la nature à Hyères n’est pas une mince affaire. Cette sur-nature aux multiples facettes mélange végétation méditerranéenne et plantes exotiques, et mêle le sauvage au géométrique. Pari gagné pour la photographe : la « méthode bortolettienne » s’attache, à force de petits détails, à rendre l’aspect kaléidoscopique du « grand tout » de la nature varoise. A.L. montée de Noailles, Hyères. 04 98 08 01 98. www.villanoailles-hyeres.com. Entrée libre.

EGYPTE, CLAIRE ET OBSCURE Au Caire, dans le quartier historique des palais et des mosquées, s’ouvre un dédale de ruelles habitées aujourd’hui par une population modeste. Le photographe Denis Dailleux s’est attaché aux scènes ordinaires de la vie Cairote, aux regards, aux portraits, parfois mis en scène dans des tableaux vivants. Du monde de la rue, des fêtes et des cafés, il glisse vers l’obscurité rafraîchissante des maisons, espaces intérieurs et intimes. Puis le temps des déambulations s’arrête. Car déjà, une insurrection commence… De cela aussi, Denis Dailleux s’est voulu le témoin… B.O. 18-20 rue Mirès, Marseille, 3e. 04 13 31 82 00. www.archives13.fr. Entrée libre. 116

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EXPOS © Olivier Texier

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LE MAUVAIS ŒIL # 2

Si c’était de la musique, elle serait plutôt hardcore, punk, bruitiste, expérimentale… Mais nous sommes face à des images produites par un réseau d’illustrateurs, de dessinateurs et de sérigraphes qui se foutent complètement des étiquettes. Bienvenu dans l’atelier du Dernier Cri, l’antre d’un univers graphique qui se situe au-delà du bon goût et de la bienséance. Aux antipodes de la narration et de l’illustration conventionnelle, ces artistes explorent sans ménagement le champ de l’image sauvage. Le résultat est particulièrement déstabilisant

et cru. L’expérience vous tente ? Désormais, chaque mois, les murs de l’atelier sont pris d’assaut par une exposition. Prochain round, avec la présentation des planches dessinées que les frères Guedin ont réalisé pour Punk 103, le nouveau clip de la chanteuse Catherine Ringer. Dans le même mouvement, Dav Guedin et Craoman exhibent aussi des planches et des dessins originaux. Toutes ces choses monstrueuses sont éditées, sous forme de livres ou de BD, par le Dernier Cri. Vous cherchiez un cadeau vraiment original pour Noël ? F.K.

41, rue Jobin, Marseille 3e. www.lederniercri.org. Entrée libre.

MAHN KLOIX

IMAGES MENTALES Artiste et graphiste, Mahn Kloix aime jouer les démiurges en remixant la réalité pour inventer de nouvelles créatures, ou des situations impossibles. Cet adepte de la création numérique ajoute, retire, sample, déconstruit, éclate, pour donner vie à ses Images mentales, compositions à la fois oniriques et bien réelles. A.L La Citerne du Panier, 17, rue Saint-Antoine, Marseille, 2e. 04 88 44 31 72. www.laciternedupanier.com. Entrée libre.

SHUFFLING CARDS Des artistes fouinent dans l’histoire de l’Afrique. En manipulant une matière « objective », ils s’attèlent à la reconstitution d’une mémoire collective. Cette réappropriation des « archives », qu’elles soient visuelles, textuelles, sonores ou même virtuelles, procède d’une véritable stratégie de survie. Car l’Afrique a perdu la mémoire. Ce continent, colonisé, a été dépossédé de toute relation à son passé. Or, sans cet enracinement, comment se projeter vers l’avenir ? A l’invitation de la commissaire d’exposition Cécile Bourne-Farrell, une dizaine d’artistes (Mohssin Harraki, Katia Kameli, Farah Khelil, Grace Nitridu, Otobong Nkanga, Catherine Poncin, Andrea Stultiens, Achraf Touloub et James Webb) font ressurgir des traces enfouies en adoptant le point de vue de « l’autre bord ». F.K. Du 15 novembre au 30 janvier. Galerie des grands Bains douches de la Plaine, 35 bis, rue de La Bibliothèque, Marseille, 1er. 04 91 47 87 92. www.art-cade.org. Entrée libre.

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SORTIR

EXPOS

FESTIVAL CINEHORIZONTES

DANS LE CINÉMA, L’ENFANT SPECTATEUR Le photographe Meyer, invité en résidence à l’Alhambra Cinémarseille, s’est immergé dans la salle de projection pendant les séances scolaires. Les enfants qu’il a photographiés ne regardent pas un film. Ils le vivent. Ils découvrent Charlie Chaplin, Jacques Demy, Tim Burton, Tati… Et, de toute évidence, ils sont en train de traverser

une expérience intense, unique. Meyer a su capter la palette infinie des émotions qui s’échappent de ces visages. Pourquoi nous touchent-elles autant ? Sans doute parce qu’au-delà de leur indéniable qualité esthétique, elles réveillent des sensations habituellement enfouies au plus profond de nous. C’est ça aussi, la magie du cinéma. F.K.

Jusqu’au 31 décembre 2012. Maison des cinématographies de la Méditerranée, Château de la Buzine, 56, traverse de la Buzine, Marseille, 11e. 04 91 45 27 60. www.chateaudelabuzine.com. Entrée libre.

FESTIVAL TOUS COURTS

En novembre, les cinématographies ibériques sont à la fête. Une initiative de l’association Horizontes del Sur qui, depuis onze ans, ouvre cette fenêtre sur le cinéma espagnol. Le festival débute avec Todo es silencio de José Luis Cuerda, sur un scénario de l’écrivain galicien Manuel Rivas. D’ailleurs cette édition zoomera sur la « verte » Galice. L’occasion de rencontrer deux artistes engagés : le réalisateur Enrique Otero et le comédien Luis Tosar. En clôture, CineHorizontes prendra la direction du Chili et présentera La Noche de enfrente de l’immense Raoul Ruiz et No de Pablo Larraín. Deux films qui ont fait sensation à Cannes. Entre temps, pas moins de quarante longs et courts-métrages auront été projetés. Sans oublier l’art de la fête, typiquement espagnol : les échanges se prolongent sous une tente dressée sur l’avenue du Prado ou dans un bus qui, avec les spectateurs, sillonne la ville en musique. F.K. Du 9 au 17 novembre. Au cinéma le Prado à Marseille, et à Aubagne,

Provence. 04 91 08 53 78. www. cinehorizontes.com. 7 €.

Le festival international de cinéma d’Aix-en-Provence fête cette année son trentième anniversaire. Longs et courts, amateurs et professionnels, la manifestation s’attache à mettre en valeur la richesse et la diversité des formes cinématographiques. Au-delà des soixante films sélectionnés en compétition internationale, on ira découvrir des « Courts en liberté » (films d’avant-garde), une « Nuit du court » (le 7 décembre au CinéMazarin) et quelques avant-premières de jeunes réalisateurs ayant tout juste franchi le pas « du court au long ». L.C. 04 42 27 08 64. www.festivaltouscourts.com. 3-5 €. 118

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DESTINATION - PARIS

EDWARD HOPPER

A Paris, la rétrospective Hopper au Grand Palais est l’événement incontournable de cette fin d’année. A travers plus de 120 tableaux, l’exposition retrace le parcours du peintre, à la fois figure emblématique de l’art national américain et destructeur des idéaux portés par cette nation. Par Léa Coste

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« Les peintures d’Edward Hopper ont la simplicité trompeuse des mythes, l’évidence des images d’Epinal », juge Didier Ottinger, commissaire de l’exposition. Mais si cet artiste fascine, c’est parce que chacune de ses toiles s’envisage comme un condensé des rêves que nous inspire l’Amérique, tout en étant porteuses d’un certain mystère. Elles donnent en effet lieu aux interprétations les plus contradictoires : romantique, réaliste, symboliste, et même formaliste, Hopper a été enrôlé sous toutes les bannières. C’est cette complexité, que s’efforce d’éclairer cette exposition.

ROMANTIQUE, RÉALISTE, SYMBOLISTE, ET MÊME FORMALISTE, HOPPER A ÉTÉ ENRÔLÉ SOUS TOUTES LES BANNIÈRES

Continuité. Conçue chronologiquement, l’exposition se

compose de deux grandes parties : la première, consacrée aux années de formation, rapproche les œuvres de Hopper de celles de ses contemporains et de celles, découvertes à Paris, qui ont pu l’inspirer. La seconde partie, celle de la maturité, ira des premières peintures emblématiques de son style personnel à ses œuvres ultimes. Le tout permet d’observer la continuité de son travail. Petit à petit, des obsessions se forment, des motifs se font récurrents, une atmosphère se créée. Dans sa description du monde triomphent ces instants ou l’insignifiant devient énigmatique. Il ne cherche pas à représenter les expressions des personnages qu’il met en scène, mais s’adonne à un réalisme d’atmosphère, dans lequel évoluent des silhouettes anonymes.

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Inspirations. Si son œuvre nous est si familière, c’est parce

que l’angoisse qui transpire de ses tableaux a inspiré, et inspire toujours, grand nombre de cinéastes. Ainsi, House by the Railroad devient, pour Hitchcock, le décor de Psychose, et Night Windows le scénario de Fenêtre sur Cour. Wenders a quant à lui reconstitué Nighthawks dans plusieurs scènes de End of Violence. L’œuvre d’Edward Hopper semble ainsi être une source intarissable d’inspiration, et les standards iconographiques qu’il a lui-même établi, ancrés définitivement dans notre inconscient collectif. Edward Hopper Jusqu’au 28 janvier au Grand Palais

www.grandpalais.fr

www.airfrance.fr


© The Art Institute of Chicago © The Art Institute of Chicago

Nighthawks. Edward Hopper

Room in New Yord. Edward Hopper

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ÉTAPES GOURMANDES

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AU BOUT DU QUAI Encadré de son nouveau décor floral, le bout du quai affiche une inédite terrasse estivale. Moderne, design, et cosi à la fois, elle est à l’image du restaurant et de sa décoration contemporaine. Spécialiste de la pêche, l’équipe du bout du quai réserve sa plus grande place sur l’ardoise aux poissons frais et arrivage alléchant tout en restant dans l’authenticité de nos recettes marseillaises. Simple, goûtu et copieux, le bout du quai est tout simplement une adresse dans l’air du temps.

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LES TROIS FORTS

LA GASTRONOMIE FACE À LA PLUS BELLE VUE DE MARSEILLE Donnez un nouvel horizon à vos rendez-vous professionnels... Dominique Frérard, Maître Cuisinier de France, vous propose une délicieuse interprétation du retour du marché qui bousculera vos papilles en moins de 45 minutes. Menu « Escale Affaires » : entrée - plat - dessert accompagnés d’1/2 bouteille d’eau minérale et d’un café. 50€ uniquement le midi, du lundi au vendredi

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CHEZ MICHEL Où manger une bouillabaisse vraiment authentique ? Question sensible à Marseille, à laquelle 8e art vous répondra sans aucune hésitation : chez Michel ! Sur la rue des Catalans, en face du cercle des nageurs, ce restaurant a été créé en 1946 par Michel Visciano. Depuis 3 générations, la famille Visciano perpétue ainsi la tradition des bons petits plats à base de poisson. Le secret de cette longévité exceptionnelle ? “Amabilité, savoir recevoir et... poisson frais !” selon Michelle Visciano elle-même, héritière des secrets de fabrication d’une cuisine qu’on peut, pour une fois, qualifier sans crainte de vraiment “familiale”.

LE PÉRON Là, nous avons affaire à une véritable institution datant de 1880 ! Depuis la réouverture en 2001 avec une décoration très années 40 (teck, cuivres, acajou et marbre), Peron est resté un lieu d’exception que l’on savoure de génération en génération. Le point fort étant évidemment une vue merveilleuse sur la baie. L’endroit romantique par définition. La carte, haut de gamme, fait évidemment la part belle aux poissons. Un établissement étoilé au guide Michelin en 2008.

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RESTAURANT PIZZERIA DONATELLO Situé Place aux Huiles, à deux pas du Vieux-Port, dans un cadre agréable et une ambiance décontractée, le Donatello vous propose de déguster une cuisine simple et savoureuse de type méditerranéen et d’influence italienne (Viandes au feu de bois, Linguini alle Vongole, Magret de Canard au Miel…), sans oublier ses fameuses pizzas au feu de bois ! Le tout se passe en terrasse (bâchée ou en plein air) ou à l’intérieur sous un lustre tout en délicatesse en contemplant une fresque monumentale représentant le quartier à l’époque du Canal de la Douane.

LA VILLA L’établissement chic et reconnu logé rue Jean Mermoz s’affirme comme le lieu de rendez vous pour les habitués du quartier. Restaurant au charme atypique, lieu de quiétude, une vaste terrasse jardin, ombragée l’été et chauffée aux jours frisquets. Sa cuisine offre un large choix avec une mention spéciale pour les poissons grillés au feu de bois. Une touche originale pour la présence d’un kiosque à coquillages de l’automne au printemps ainsi qu’une sushi women japonaise à demeure. Une large carte des desserts permet de terminer ce moment agréable par une touche sucrée.

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CHÂTEAU DE LA PIOLINE Cessez de cherchez un lieu différent...Venez !

Aujourd’hui, la mémoire du passé subsiste dans cette élégante demeure, au sein de l’hôtellerie de luxe et traditionnelle de la ville d’Aix en Provence. Hôtel 4*, Restaurants, bar et évènementiel

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LA COUR DU PALAIS La Cour du Palais, un moment “parisien” à deux pas du Vieux Port… Repas professionnel, déjeuner en BtoB, lunch entre collaborateurs, dîner d’affaires ou entre amis, Marseille possède désormais son restaurant qui incarne l’esprit brasserie parisienne. Dans une ambiance cosy, épurée et propice aux conciliabules, les hôtes de La Cour du Palais dégustent des mets savamment concoctés par un chef au geste sûr et à l’imagination débridée qui revisite les classiques de la gastronomie.

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