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C’est une blague
2020 commence bien mal pour le général. Voilà que son état-major lui annonce qu’il n’a pas les moyens de recruter les effectifs prévus, et c’est pire pour les femmes. Le général s’énerve, cette histoire est très mauvaise pour son image. Alors il ordonne : « S’il n’y a pas de moyens, faites preuve d’imagination ; je veux 2.100 nouveaux pour la fi n de l’année, dont une bonne proportion de fi lles ! »
Dans les couloirs de la grande fourmilière d’Evere, les petits soldats ont entendu le général. Personne ne veut l’ennuyer, c’est mauvais pour la carrière. Alors on fait preuve d’imagination, comme il a dit. Le problème c’est qu’on a déjà presque tout essayé mais dans le privé, ils ont en même temps l’imagination et les moyens d’engager du monde. Qu’à cela ne tienne, cette fois, on imaginera plus fort ! Un plan se dessine au sein de l’imaginaire collectif du bloc H.
Au fond de la salle de réunion silencieuse, un nouveau qui a peur de le regretter lève timidement la main : « On pourrait abaisser les critères ? » Du bout de la table, le patron lassé de toujours répéter la même chose, répond : « Ben non, ça fait déjà un moment qu’on fait ça ! On accepte déjà n’importe quoi : les étrangers, les M, les F et les X, les accros au GSM, les blafards avides de jeux électroniques, ceux qui ne font pas de sport, qui sont en décrochage scolaire et tous les anciens militaires qui acceptent la PVE ! » Le nouveau est vraiment suicidaire : « Euh, je voulais dire d’abaisser les critères de réussite une fois qu’ils sont engagés, pour en perdre moins… » Silence. Il faut un temps pour que tout le monde comprenne. Le plus important, ça a toujours été les chiffres du recrutement. Ce qui se passe après, on s’en tape. Mais bon, les temps sont durs, tout est bon pour se faire mieux voir du général. « Ok, vous pensiez à quoi au juste ? » Le nouveau, fi er comme Artaban, se lance : « J’ai vérifi é ; si on délibère les épreuves à 30% au lieu de la moitié des points, on gardera plein de candidats en plus ! » Le patron est content, en voilà au moins un qui fait preuve d’imagination : « Bonne idée ! Accepté ! ». À sa droite, un autre participant, encouragé par le succès du nouveau, s’enhardit : « Et si on acceptait les camés ? On aurait au moins un tiers de candidats en plus ! »…
Shopping Center
La réunion a été prolifi que. Un seul offi cier a dû être muté d’offi ce
à Arlon. Comme il se tape Neufchâteau - Bruxelles depuis quinze ans, aucun risque qu’il fasse de l’esclandre. À y repenser, le patron a d’ailleurs un doute : est-ce qu’il l’aurait fait exprès… ? En revanche, un commandant ‘fi n de carrière’ a eu une idée géniale : on va recruter des meufs dans les centres commerciaux. Alors ça, c’est original ! Tout le monde sait que les jeunes femmes entre 18 et 25 ans passent leurs journées à faire du shopping ! En plus c’est le profi l dont rêvent tous les vrais militaires : des blondes aux faux ongles, qui ne vont pas à l’école et qui ne courent pas trop vite (diffi - cile avec les hauts talons et la jupe moulante). Vraiment parfait !
Du côté de la Composante Air, un plan secret a émergé à l’insu de tous. Pour recruter des jeunes qualifi és, on va diffuser tranquillement un pamphlet pour soudoyer les militaires. Tout spécialiste ‘bleu’ qui pourra convaincre deux candidats à se présenter pour un poste de technicien avion à l’Open Campus Day de Saffraanberg aura droit à un jour de dispense de service et - tadaaa ! - son nom au ‘Wall of Fame’ de Saff : i-r-r-é-s-i-s-t-ib-l-e !
Les moyens de ses ambitions
Comme beaucoup de collègues, les dirigeants du syndicat militaire ont d’abord eu le réfl exe de vérifi er leur calendrier : le temps passe vite quand on s’amuse bien, on doit donc être le 1 er avril ? Hélas, ces initiatives datent bien de février. Alors quoi, c’est une blague ? Non ? Un ‘fake news’ alors ?!? Bon, puisque c’est bel et bien vrai, il ne nous reste qu’à apporter la mauvaise nouvelle : « Mon général, si vous voulez recruter plus de femmes, inutile de miser sur Hunkemöller, Veritas ou Zara. Donnez-leur plutôt des avantages spécifi ques quand elles tombent enceintes, l’accès à une crèche, à un logement abordable, un travail adapté proche de chez elles avec des horaires fi xes, et surtout, surtout : une carrière solide sur laquelle elles peuvent compter, au lieu d’un contrat à durée déterminée proche du salaire minimum. Et vous savez le plus beau ? Ce dernier critère est valable pour tous les candidats militaires, M, F et même X ! Puisque vous aimez les stéréotypes, sachez qu’on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Si vous n’avez pas les moyens de vos ambitions, ayez au moins le courage d’admettre que vos ambitions dépassent vos moyens. »
N’importe quoi
Quant à accepter ‘n’importe quoi’ au sein de l’armée, c’est un vrai sabotage ! On manque déjà cruellement d’instructeurs compétents pour former assez de jeunes, alors désormais chaque place compte. La remplir avec un individu dont on sait dès le départ qu’il n’a pas le niveau, c’est compromettre tout l’effort de recrutement, saper le moral des anciens et mettre en péril la sécurité du personnel. On a déjà assez de soucis avec le Covid-19… Enfi n, au lieu de soudoyer des militaires pour amener des candidats, essayez plutôt de regagner leur confi ance. On dit que la richesse d’une armée ne tient pas dans ses armes mais dans son personnel. À force de négliger celui-ci, vous avez perdu sa confi ance. Posez-vous donc cette question : est-ce que VOUS recommanderiez à VOTRE enfant de s’engager comme temporaire pour 1.657€ mensuels ? Et travailler tout le week-end pour quelques dizaines d’euros ?
Si vous voulez refaire des militaires, de VOS militaires, des ‘ambassadeurs de la Défense’, alors il est grand temps de les soigner correctement. Fini l’imagination, les rêves et les délires : maintenant il faut du concret !
Humour noir
Rassurez-vous, l’ACMP-CGPM n’a rien contre les recruteurs dans les centres commerciaux, ni contre les offi ciers ‘synthèse’ d’Evere, ni même contre les généraux. À notre avis, les premiers méritent une médaille et on peut les remercier de faire ce boulot pas évident. Quant aux seconds, ils font de leur mieux pour sauver les meubles et nous sommes reconnaissants de leurs efforts dans le climat apocalyptique qui règne à la Défense. Vous l’aurez deviné, nous n’en avons pas contre les collègues qui tentent de colmater les fuites avec des bouts de fi celles, mais bien contre le système et les décisions aveugles de la classe politique. Ah, et si d’aventure vous êtes un(e) X accro à l’internet, blonde aux faux ongles, militaire en PVE ou si le carnaval d’Alost vous choque, comprenez qu’il faut prendre ce texte au ‘deuxième degré’ et avec un brin d’humour. Noir…