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Et puis quoi encore ?

Curieux cadeau de Noël : depuis fin 2022 la Défense annonce qu’à partir de la sixième commande BEMILSHOP, des frais d’envoi de 10€ seront facturés aux militaires. Cette mesure trahit en fait les dysfonctionnements inhérents à ce projet d’outsourcing.

Souvenez-vous du ‘bon vieux temps’. Quelques fois par an vous demandiez un véhicule militaire pour vous rendre avec des collègues au MilShop, pendant les heures de travail. Si vous ne trouviez pas votre bonheur, l’article manquant pouvait le cas échéant vous être envoyé par la poste militaire, fin de l’histoire... Jusqu’à l’arrivée du gouvernement ‘suédois’ et l’externalisation imposée par le ministre Vandeput. Dans son collimateur se trouvent entre autres la logistique et les MilShop. Le ‘deal’ est simple : au lieu de payer des dizaines de militaires pour faire un travail de magasiniers, on va payer des magasiniers d'une firme civile. De cette façon, on fait d’une pierre deux coups : on enrichit l’industrie avec l’argent public et on diminue le nombre de militaires ! Pour justifier le choix de l’outsourcing, on démontre que l’outsourcing est moins cher pour un meilleur service, mais bien entendu sans donner de garanties à long terme, par exemple si les firmes augmentent leurs prix. Il est surtout important que l’opération ne gonfle pas le budget du personnel. En effet, pour l’Otan il est important de respecter la sacro-sainte règle des ’50-25-25’ : 50% pour le personnel, 25% pour les investissements et 25% pour le fonctionnement. Or à l’armée belge, la part du personnel dépasse 50%. Pour le ministre Vandeput, il est clair que LA solution n’est pas d’augmenter les deux secteurs en déficit mais bien de sabrer dans les effectifs. Tous les coups sont permis, même si au final quelques dizaines de militaires perdent leur fonction. Accessoirement, l’attribution d’un marché public par la Défense a toujours été une opération potentiellement juteuse et hautement politique. Outre les sommes impliquées, il y a à la clé le développement d’une activité économique et de nouveaux emplois dans l’arrière-cour d’un bourgmestre. Avec un peu de chance, la presse publiera une belle photo de l’élu inaugurant le nouveau site, verre de champagne et ciseaux géants à l’appui. A côté de ça, la mutation de quelques caporaux-chefs fait pâle figure...

Zalando

On avance de quelques années. Le ministre Vandeput n’a pas duré beaucoup plus longtemps que les magasiniers du MilShop mais entre-temps le marché (estimé en 2018 à 14,4 millions par an) a été attribué à la société anversoise Katoen Natie, joyau économique du nord du pays. La construction du tout nouveau complexe logistique à Beringen-Paal (40 millions d’euros quand même) revient à Willy Naessens, un autre géant de l’industrie flamande.

Pour les militaires, les MilShop ont été remplacés par un site de vente en ligne que l’autorité et les journalistes comparent volontiers à Zalando. C’est le 21e siècle : le béret, la ceinture et les chaussettes sont dans le panier de l’élégante boutique en ligne et après paiement, GLS achemine tout cela directement à la maison. On en oublierait presque que les employés des MilShop ont été sacrifiés sur l’autel de l’outsourcing. Leur boulot est maintenant exercé par on ne sait qui, probablement pour un salaire de misère, mais ce n’est plus le problème de la Défense. Vous comprenez, c’est du ‘win-win’…

Gros mensonge

En pratique, à part le contribuable, c’est déjà en partie le militaire qui paie l’outsourcing des MilShop. En effet, chaque commande passée (après les heures de service) sur le site BEMILSHOP, c’est ½ homme-jour épargné pour la Défense, sans parler du véhicule militaire pour se rendre sur place. Intéressant pour l’armée et lucratif pour Katoen Natie, mais ça ne suffit visiblement pas ! Depuis décembre 2022, la sixième commande annuelle passe à 10€ de frais de port. L’argument avancé est que certains abusent du système en se faisant livrer des broutilles et que ça devient impayable. Sauf que c’est un gros mensonge ! Un vent favorable nous rapporte que pour 2022, seules une cinquantaine de ‘clients’ seraient concernés. Faites le compte, on parle ici de quelques centaines d’euros de ‘perte’ par an, une somme qui ne justifie certainement pas tout ce branle-bas de combat. D’autant que d’autres solutions s’imposaient naturellement sans engendrer des frais supplémentaires, comme le dépôt des petits colis dans les casernes. En outre, avec le passage au BDCS il y aura désormais beaucoup moins de commandes BEMILSHOP car les tenues de travail ne s’y trouvent plus.

Le syndicat militaire ACMP-CGPM a bien peur que le but de la manœuvre soit de préparer le terrain en vue d’une offensive de longue haleine : dans quelques temps on passera tranquillement à trois envois gratuits et à terme les militaires paieront les frais de port, tout simplement. D’ailleurs, où sont supposés aller ces 10€ ?

Dans les poches de l’Etat ? Celles de Katoen Natie ?

Quoi qu’il en soit, il est inacceptable que le militaire paie pour l’externalisation. C’est déjà assez grave que le personnel n’ait plus accès à ces fonctions traditionnellement ‘de fin de carrière’. Sans parler du danger de laisser un pan majeur de la logistique militaire à une firme civile. Car les rations de combat, la nourriture et les pièces de rechange sont concernées aussi, à l’exception des armes, munitions et du matériel sensible. Quelle garantie avons-nous en cas de conflit ?

En cas de faillite ou de grève au mauvais moment ?

Savons-nous qui manipule nos pièces de rechange ? Et qui a eu l’idée géniale de tout stocker au même endroit ? Demandez aux Ukrainiens si c’est primordial, la logistique…

Dysfonctionnements

Le ‘cas’ des frais de port n’est qu’un symptôme parmi d’autres des dysfonctionnements de l’outsourcing. Concernant BEMILSHOP, on nous signale encore des abus de la part de la firme, comme l’usage de boîtes disproportionnées par rapport à leur contenu, un truc bien connu pour gonfler les frais de port. Autre ‘astuce’, les articles d’une seule commande sont parfois envoyés en plusieurs colis, un jour après l’autre. Par ailleurs, certains articles ou tailles ne sont pas en stock. Si vous avez besoin d’un pantalon et d’une ceinture, vous n’allez pas risquer d’attendre que le pantalon soit disponible parce qu’entre-temps peut-être que la ceinture ne le sera plus ! Dans ces circonstances, il est compréhensible que le militaire multiplie les petites commandes et il serait malhonnête de lui faire payer la mauvaise gestion des stocks.

Il est aussi déplorable de constater que malgré cette débauche de moyens il est parfois difficile d’obtenir certains articles à sa taille par exemple. Un militaire nous signale ainsi qu’il a attendu six mois pour recevoir ses bottines. Quant aux sous-vêtements d’hiver, ils sont hors stock dans les tailles courantes depuis le début… de l’hiver !

En fin de compte et comme trop souvent, nous constatons que c’est le militaire qui est victime des choix politiques et des erreurs du commandement. Le comble, c’est que maintenant la Défense gère séparément les nouvelles tenue de travail. BEMILSHOP aura beaucoup moins de boulot qu’avant. Espérons que quelqu’un pensera à raboter le contrat… 

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