Brochure Rentrée Littéraire ADOS 2023

Page 1

RENTRÉE LITTÉRAIRE ADO !

AOÛT 2023

SOMMAIRE

Nathalie Bernard • La Gardienne de la forêt • 1

Jean-Philippe Blondel • Passager de l’été • 2

Antonio Da Silva • Sol • 3

Michele Montmoulineix • Le Temps des ogres • 4

Julien Dufresne-Lamy • Trois fois rien • 5

Mikaël Ollivier • Premier rôle • 6

Nathalie Bernard

Publiée depuis une vingtaine d’années chez différents éditeurs, Nathalie Bernard a d’abord écrit pour les adultes des histoires de vampires et autres créatures fantastiques. Depuis une dizaine d’années, elle se consacre aux romans jeunesse et jeunes adultes. La plupart sont publiés aux éditions Thierry Magnier. Elle espère apporter à ceux qui la lisent un peu du rêve et du réconfort qu’elle a elle-même ressentis en parcourant certains livres... ainsi qu’une réflexion sur le monde actuel. Elle vit près de Bordeaux.

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Nathalie Bernard a ce talent d’aborder des sujets essentiels sans pour autant faire passer au second plan la construction narrative de ses romans. Dans la droite lignée de Sauvages ou du Dernier sur la plaine, La Gardienne de la forêt nous entraîne aux côtés de son héroïne dans une lutte nécessaire. Révoltée par le terrible destin de Paulo Paulino Guajajara, assassiné en 2019 à l’âge de vingt-six ans alors qu’il tentait de défendre la forêt amazonienne, Nathalie Bernard s’est inspirée de cette injustice pour bâtir ce nouveau récit, faisant résonner en chacun de nous les discours engagés de ce jeune Gardien de la forêt.

Crédit couverture : © Tom Haugomat / visuel provisoire Crédit photo : © Alban Gilbert

La Gardienne de la forêt

Quand son grand-frère Silvio est assassiné par des bûcherons illégaux, Diana, treize ans, n’a qu’une idée en tête : s’engager à son tour, se battre, pour défendre la forêt amazonienne et ses habitants contre la bêtise humaine. Mais aux yeux des Gardiens, Diana est encore trop jeune pour risquer sa vie à leurs côtés.

Qu’à cela ne tienne. Diana a beau être jeune, sa colère et sa révolte sont telles qu’elle trouvera le moyen de se faire entendre et de lutter, à sa manière, pour que le monde ouvre les yeux sur la déforestation sauvage qui lacère la forêt depuis des années.

Des forêts du Brésil aux plateaux de télévision parisiens, le parcours d’une jeune fille en lutte pour une cause universelle qui concerne notre avenir commun.

Roman dès 13 ans – Août 2023 – Format : 14 x 22 cm – 320 pages – Broché – 15,90 € env. ISBN 979-10-352-0653-6 1

Prologue

Ça promettait d’être une belle journée. Lorsque Silvio entra dans la forêt, il remarqua que les feuilles des arbres frémissaient sous le vent. La lumière, tout juste enfantée par la nuit, tremblotait elle aussi. Il tenait son arc tendu, prêt à tirer le gibier qui choisirait de se présenter à lui. Il marchait tranquillement, un pas après l’autre, sans faire le moindre bruit. Dans cette partie encore intacte de la forêt, il respirait avec délectation les odeurs qui montaient de la terre humide. Cette fraîcheur fertilisante était possible grâce aux multitudes de feuilles de la canopée, qui protégeaient le sol de la brûlure du soleil.

À la fin de leur vie, ces feuilles tombaient et, en se décomposant, elles créaient la peau de la forêt. Cette peau que les Blancs ne cessaient d’arracher, de griffer, de brûler…

À l’instar de son père, de son grand-père et de tous ses ancêtres depuis la nuit des temps, Silvio voulait en prendre soin. C’était pour ça qu’il était devenu un Gardien. Malgré la peur, malgré l’angoisse de l’échec, malgré le peu de moyens et d’armes qu’il possédait. Il avait décidé de se battre pour sa fille, pour sa sœur et pour tous les enfants qui naîtraient ensuite.

En vivant dans la forêt, il était impossible d’oublier que les hommes et les bêtes étaient logés à la même enseigne. Il fallait un sol fertile pour se nourrir, de l’eau pure pour étancher la soif, un air sain pour grandir. Les uns comme les autres avaient besoin du couvert des arbres, de la fraîcheur du sous-bois, de la multitude des fleurs médicinales,

EXTRAIT

des indications offertes par les oiseaux, de la chair nourrissante des animaux…

Alors, en dépit des menaces de mort, Silvio continuait la lutte.

C’était une évidence.

Jamais il ne cesserait de se battre.

C’était vraiment une belle journée, ni trop chaude ni trop humide. Le jeune homme s’imprégnait des parfums, s’intéressait au moindre mouvement derrière les feuilles et tendait l’oreille. Emilio, son meilleur ami, marchait un peu en arrière. S’il aimait le savoir derrière lui, Silvio appréciait aussi d’oublier sa présence. D’ailleurs, la nuit dernière, il avait rêvé qu’il se promenait seul dans la forêt. Malgré l’obscurité, il était capable de distinguer les contours des arbres et les buissons alentour. Toute la nuit, il s’était avancé sans crainte, sur une très longue distance, sans jamais tomber sur une saignée, sur une partie déboisée, comme c’était presque toujours le cas depuis sa naissance. Dans ce rêve, il avait retrouvé la grande forêt des anciens, tellement immense que les hommes du monde entier l’avaient crue éternelle… Alors qu’il tentait de se remémorer tous les détails de ce si beau rêve, les pensées de Silvio se figèrent. Il eut à peine le temps de réaliser qu’un homme pointait une arme vers lui. Dans une seule détonation assourdissante, sa conscience s’arrêta en même temps que sa vie. Son corps tomba en arrière, son crâne rebondit sur le sol, du sang coula et se fraya un chemin à travers la peau de la forêt juste avant que son cœur ne cesse de battre.

Plus tard, son grand-père et ses amis viendraient enlever son corps pour le ramener auprès des siens.

Plus tard encore, un jaguar qui passerait par là lécherait longuement la peau de la forêt, comme pour refermer une plaie.

Silvio avait le regard acéré du jaguar et le sourire facile. Il était fort et bon.

Il était rempli d’amour.

À l’abri dans sa maison, allongée dans son hamac, Diana allumait et éteignait sa lampe de poche. Tout en observant le petit cercle de lumière qui apparaissait et disparaissait sur le plafond en feuilles tressées, elle écoutait les allersretours de sa respiration. Cette vie qui coulait en elle lui paraissait soudain étrange. Son frère était là-bas, étendu sur le sol, dans cette forêt qui l’avait vu naître. Il était peut-être entre la vie et la mort, à attendre qu’on vienne le chercher. Son meilleur ami était revenu blessé et il leur avait indiqué où était tombé Silvio. Avant qu’on ne l’emmène à l’hôpital, Emilio leur avait certifié que le frère de Diana était mort. Une balle dans la tête, ça ne pardonne pas, avait-il murmuré. Pourtant, Diana espérait encore… Cette attente était insupportable. Vovõ, son grand père, était parti chercher Silvio avec Otavio et sous la protection de Tiago, le policier. Luisa, leur Cacique, leur cheffe de tribu, avait demandé à la police fédérale de se déplacer et de constater le décès par balles sur place. Elle voulait qu’ils enquêtent et qu’ils arrêtent les meurtriers. Elle voulait que les assassins de Silvio aillent en prison. Mais Diana savait déjà que ça ne se passerait pas comme ça. Même s’ils rattrapaient ceux qui lui avaient tiré dessus, ils ne seraient jamais jugés. La police fédérale écoutait son peuple, ça oui. Le gros Tiago passait régulièrement les voir dans leur village. Il dodelinait de la tête, absorbait sans broncher leurs cris de rage, acquiesçait patiemment à leurs plaintes, posait une main amicale sur leurs épaules, leur donnait parfois des gilets pare-balles et,

1

avant de partir, il inscrivait soigneusement le nom de leurs morts dans un carnet…

Mais cela ne changeait pas grand-chose. La loi n’était jamais de leur côté.

Diana sentit que sa nuque était raide et ses épaules tendues. Elle se redressa, saisit son cahier d’écolière qu’elle gardait dans un repli du hamac et l’ouvrit. Il avait un peu jauni en un an, mais il lui restait encore quelques pages vierges. Elle écrivait dedans tous les jours, pour ne pas perdre ce qu’elle avait appris à l’école de la ville la plus proche. La lumière de la lampe de poche tournée vers la feuille, son crayon bien en main, la jeune fille commença à tracer des lettres. Et ces lettres devinrent des mots, des mots qui, pour certains, lui semblaient encore n’avoir aucun sens.

Silvio G.

Surnommé « Le Jaguar » par ses amis. Grièvement blessé par balles le…

Son crayon se désolidarisa de sa main et roula sur son ventre. Maintenant, son cœur battait lourdement entre ses côtes, comme un oiseau coincé dans une cage trop petite pour lui. Diana aurait voulu filer là-bas avec son grand-père et les deux hommes qui l’accompagnaient. Elle aurait voulu être près de son frère et lui tenir la main pendant le trajet du retour… Mais Vovõ n’avait pas voulu. Il lui avait dit qu’elle n’était qu’une enfant, que c’était trop dangereux, que les bûcherons pouvaient revenir, que les assassins rôdaient peut-être encore dans le coin. Il lui avait demandé de rester dans la maison et d’attendre son retour.

Attendre était le verbe que Diana détestait le plus.

Tout près, Livia caressait les cheveux de Sonia, la petite fille qu’elle avait eue avec Silvio. Dans la pénombre, Diana apercevait le mouvement régulier de sa main. Son visage était à demi mangé par les ombres, mais elle entendait sa respiration bruyante et, même si elle ne pouvait pas voir ses larmes, elle les imaginait couler sur les joues de sa belle-sœur. Sonia, du haut de ses trois ans, ne pleurait pas. Peut-être n’avait-elle pas encore compris ce qu’il s’était passé… Quant à Diana, elle était trop dans l’attente, trop angoissée pour pleurer. Depuis qu’elle avait appris la terrible nouvelle, son corps était dur comme une pierre. Elle aurait voulu planter des moustaches dans ses narines, peindre ses joues et sortir de la maison, sortir du village, courir dans la forêt, trouver ceux qui avaient tiré sur son frère à bout portant et les tuer à l’aide de ses pattes griffues. Si elle devenait un jaguar, elle pourrait les courser jusque dans leurs demeures, elle pourrait planter ses crocs dans leurs cous et les dévorer un à un.

– Diana, arrête ce bruit, tu vas réveiller la petite. La jeune fille se rendit compte qu’elle faisait cogner sa lampe de poche contre son poignet. Maintenant qu’elle les entendait, ces battements la faisaient penser à une cavalcade. Une cavalcade immobile.

– Je sors, décida-t-elle tout haut.

– Ne va pas trop loin, attends Vovõ, lui demanda Livia d’une voix étouffée par le chagrin. Ne va pas trop loin… Attends…

Ces simples phrases se voulaient bienveillantes. Pourtant, elles la mettaient hors d’elle. Combien de fois les avaitelle entendues depuis que les bûcherons illégaux prélevaient des vies dans les tribus ? Elle se mordit la lèvre pour ne pas être désagréable. Livia souffrait déjà bien

assez comme ça. Elle s’extirpa de son hamac, enfila ses tongs en caoutchouc et sortit de la maison. Dehors comme dedans, il faisait nuit. Cette obscurité accentuait son impression d’être en cage. Pourtant, la forêt était là, tout près, et les multiples sons qui s’en échappaient étaient assourdissants de vie… En les écoutant, Diana n’arrivait pas à croire que Silvio, comme l’avait prétendu Emilio, n’existait plus. Elle déglutit. Sa gorge lui faisait mal. Elle se mit à faire les cent pas. Son chien, qui dormait un peu plus loin, vint la rejoindre. Elle l’entendit haleter près d’elle et sentit le contact de ses poils rêches contre sa cuisse. – Dinho…

Diana s’accroupit et entoura l’animal de ses deux bras. D’habitude, quand elle enfouissait son visage dans sa fourrure, elle se sentait mieux. Pendant quelques secondes, elle respirait son odeur de musc et elle oubliait tout. Mais cette fois, cela ne fonctionnait pas. Un bourdonnement dans le lointain la fit se relever. C’était le bruit d’une voiture qui se rapprochait, mais pas n’importe quelle voiture, celle dans laquelle se trouvait son frère, le corps de son frère, vivant ou… mort. Cette idée était terrifiante, irréelle comme un cauchemar. Le bruit s’amplifia et les gros phares ne tardèrent pas à l’aveugler. Diana tendit sa main devant ses yeux pour les protéger de cette lumière trop vive. Elle sentit des picotements dans ses jambes et sa bouche devenir sèche.

Jean-Philippe Blondel

JEAN-PHILIPPE BLONDEL enseigne l’anglais dans un lycée près de Troyes. Son œuvre pour la jeunesse est entièrement publiée chez Actes Sud : Au rebond, Blog (prix NRP littérature jeunesse), (Re) Play ! (prix des ados du salon Livres et Musiques de Deauville), Brise glace (prix des Lycéens autrichiens, prix RTS Littérature ados, prix des lecteurs du Mans et de la Sarthe), Double jeu, La Coloc, Le Groupe, Dancers et Il est encore temps. Depuis 2003, il publie également en littérature générale. Dernier roman paru : Café sans filtre, L’Iconoclaste, 2022.

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Un road trip où s’exprime la plume généreuse et humaniste de Jean-Philippe Blondel, sa confiance dans la jeunesse face aux défis du monde. Ce roman de formation fait écho à l’actualité, la guerre en Ukraine, le phénomène d’été caniculaire, en même temps qu’il dessine les portraits vivants, émouvants, de jeunes Européens.

Crédit couverture : © Germain Barthélémy Crédit photo : © Cédric Loison

Passager de l’été

Son bac et son pass Interrail en poche, Samuel fantasmait sur ses quinze jours à sillonner l’Europe avec son meilleur ami. Mais, au dernier moment, celui-ci lui fait faux bond. Samuel se sent trahi. Tant pis, il partira seul. Sa première étape est Amsterdam. Puis il gagne Hambourg, Copenhague… Des heures passées dans les trains ou à arpenter des villes inconnues. Des nuits en dortoir d’auberge de jeunesse, la galère parfois, des expériences nouvelles, des rencontres impromptues et des amitiés qui se nouent. Comme avec ce couple de jeunes femmes qui l’héberge, ou ce jeune Ukrainien qui, venu compléter ses études et travailler au Danemark, compte repartir défendre son pays. Vient alors l’idée à Samuel d’interviewer et de filmer ces personnes rencontrées pour qu’elles se racontent.

Roman dès 14 ans – Août 2023 – Format : 14,5 x 22,5 cm – 176 pages – Broché – 16 € env.

ISBN 978-2-330-18094-2

2

2 août - 5 h 30

(...) Et là, maintenant, il est cinq heures trente du matin. Tout le monde dort dans la maison. Je vais me lever sans faire de bruit après avoir griffonné sur ce carnet pendant une bonne partie de la nuit. Je vais saisir mon sac dont j’ai déjà vérifié le contenu des dizaines de fois. Checker aussi la banane que ma mère a absolument voulu m’acheter, pour y mettre les papiers, la carte de crédit, les billets et le téléphone. Marcher sur la pointe des pieds jusqu’à la porte d’entrée. Prendre les escaliers et pas l’ascenseur. Descendre jusqu’à la gare – vingt-huit minutes de marche. Le premier train, celui pour Paris, part à six heures et quart.

J’ai une boule au ventre. Je suis terrifié. Mais tandis que dehors les oiseaux s’en donnent à cœur joie et que la ville s’ébroue après la nuit, je sens au creux de moi une montée de joie indescriptible. Je ne sais pas ce qui m’attend. Je crois que c’est la première fois que ça m’arrive. Et putain, c’est tellement bon.

Amsterdam (...) Quand je suis sorti de la gare, le ciel était magnifique. Je crois que c’était la première fois que je prêtais attention à ce genre de détails. Des dizaines de nuages de toutes les teintes, qui semblaient posés sur une toile bleue. Cela faisait des semaines que je n’avais pas vu un ciel aussi chargé. Deux mois que le soleil attaquait dès l’aube et que tu savais que tu allais passer la journée à tenter de t’en cacher. Que tu allais vivre comme une souris dans ta propre maison. Ou alors que tu allais être en eau, parce que t’étais obligé d’aller bosser au restau,

EXTRAIT

histoire de pouvoir te payer des vacances de rêves avec ton meilleur ami.

À l’accueil de l’auberge, j’ai voulu faire le malin. J’ai répété mon “bonjour” et mon “Comment allez-vous ?”

hollandais et, en retour, j’ai reçu un enchaînement de phrases auxquelles je n’ai rien compris. J’ai dû tirer une tête ahurie parce que le mec s’est soudain mis à rire et a recommencé en anglais. Qu’est-ce que je voulais exactement ? Chambre simple, double, dortoir de quatre, de six, de huit ? Prix variant selon le type d’hébergement évidemment. J’ai eu un coup de chaud quand il a annoncé les tarifs, j’ai opté pour le meilleur marché – qui restait quand même cher – et je me suis promis que, la fois suivante, je vérifierais le montant sur les sites et aussi les avis des voyageurs, parce que là, on était quand même au milieu du Quartier Rouge, non ? Le mec s’est présenté. Mattej ou quelque chose dans ce goût-là. La chambre, c’était la 14, au premier étage. Mon lit, ce serait celui le plus proche de la porte, bon, ce n’était pas la meilleure place parce qu’on était tout le temps dérangé, mais avec un masque pour les yeux et des bouchons pour les oreilles, ça ne posait pas de problème. Et puis ce n’était pas comme s’il y avait du choix. J’avais de la chance, au fond. Parce que c’est blindé, Amsterdam, l’été. C’est hyper touristique. Et avec le réchauffement climatique, ça ne risque pas de s’arrêter – jusqu’à ce que la ville soit sous les eaux. (…)

Je suis monté poser mes affaires. Au sol, des sacs à dos qui débordaient de fringues et d’objets divers. Sur les toutes petites tables de nuit, des guides, des romans de poche dans toutes les langues, des barres chocolatées, des briques de jus de fruits. Le lit inoccupé était tout au fond, vers les fenêtres et, par chance, il ne faisait pas

partie d’un bloc superposé. D’un seul coup, je me suis rendu compte que j’y étais. Que j’y étais vraiment. Et que j’avais hâte.

INTERVIEW DE MONICA - HAMBOURG (traduit de l’anglais)

Bonjour, même si je ne sais pas à qui je dis bonjour, à part à celui qui est en face de moi. Donc, bonjour, toi. Tu as vu, je parle en anglais parce que sinon, en allemand, tu vas enregistrer, mais tu ne vas même pas comprendre ce que je raconte. Je trouve ton projet de filmer des gens dans tous les pays que tu traverses intéressant, mais en même temps, c’est une façon de se cacher, non ?

Quand tu dévoiles les autres, tu n’as pas à te dévoiler toi.

Tu m’as demandé mon rapport à ma ville et à mon pays, enfin, comme point de départ, tu as dit qu’après je pouvais dériver. J’aime beaucoup Hambourg parce que c’est un port et que dans une ville portuaire, il y a toujours la possibilité de s’échapper. L’étranger est au bout de la jetée et l’étranger est aussi très présent dans les quartiers. Depuis des siècles. Ici, c’est peuplé de marins qui viennent d’ailleurs et de commerçants qui vendent de l’exotisme. C’est une ville pour moi. Je suis née ici mais mes parents non. Ils viennent au départ du Zimbabwe, puis ils sont passés par l’Afrique du Sud. Ils ont émigré pour trouver une vie meilleure, comme tant d’autres. Comme des millions de gens vont continuer d’émigrer, parfois même d’Europe, parce que leur terre est devenue invivable et qu’ils ne peuvent plus nourrir leur famille ou qu’ils n’ont plus d’espoir. Les Allemands sont plutôt tolérants, surtout dans les grandes villes et particulièrement dans les ports, mais quand même, tu grandis en captant très vite que ta couleur de peau te distinguera

toujours des autres, fatalement. On ne te parlera pas exactement de la même façon. On aura dans la voix soit de la condescendance, soit de la compassion. Ce ne sera jamais neutre. Quand en plus tu grandis en comprenant que tu ne te conformeras ni au modèle dominant de ton pays de naissance, ni à celui du pays d’origine de ta famille, parce que tu aimes les personnes du même sexe que toi, eh bien… (Silence de quelques secondes.) Eh bien, il y a deux possibilités : soit tu décides que c’est important, que tu dois afficher ta différence, que le fait d’être noire et homosexuelle est la définition profonde de ton être ; soit tu t’en fous. Enfin, évidemment, ce n’est pas que tu t’en fous. C’est que ça fait partie de toi, oui, mais en toi, il n’y a pas que ça et donc tu vas vivre ta vie comme tu l’entends, en imposant ta présence sans la revendiquer. Je ne dis pas que l’une des attitudes est meilleure que l’autre. J’oscille encore entre les deux.

(…)

Copenhague

C’est beau, Copenhague. Le Nyhavn, avec ses quais bordés de maisons colorées et les bateaux qui attendent les touristes. Le quartier des palais. Le coin d’Amalienborg. L’île où les entrepôts ont été transformés en stands de street food. Christiana.

Ces derniers jours, j’ai découvert la ville sous toutes ses coutures. En plus, alors que partout ailleurs l’Europe grille et brûle, ici, la température reste très supportable. Et puis les Danois sont adorables. Si tu as l’air perdu, ils te demandent s’ils peuvent t’aider. Ils sourient aussi quand

tu essaies de parler leur langue et te répondent dans un anglais parfait. Partout, des pistes cyclables, comme à

Amsterdam. Le paradis sur terre.

L'enfer. Comme quoi.

Je suis arrivé avant-hier soir, et je me demande ce que je fabrique ici.

Lund (...) Lund, c’est exactement ce dont j’avais besoin. D’abord, c’est tout petit. On en a fait le tour en moins d’une heure. Normalement, il paraît que ça grouille d’étudiants, c’est la plus vieille ville universitaire de Suède, mais là, ils sont tous en vacances et, comme il pleut depuis que je suis arrivé, les rues sont désertes. Cela devrait me déprimer, c’est tout l’inverse.

D’abord, la pluie me lave. De toutes les histoires que j’entends. De tous les visages que je frôle. De tous les souvenirs qui affleurent. De toutes les tragédies du monde, et en premier lieu de cet été insolent qui brûle toutes les forêts d’Europe et nous nargue en nous montrant ce à quoi nous allons être tous confrontés. Je pense à Luka.

Évidemment que je pense à lui. Je ne fais que ça. J’espère qu’il pleut aussi, là où il est. Il n’était pas certain de pouvoir rejoindre Kiev avant la fin de la semaine. Tout dépendra des transports disponibles. Il passera quelques jours en famille et, ensuite, il se rendra dans une caserne ou à la mairie, pour se porter volontaire. Rien que l’expression “se porter volontaire” sonne comme une des dystopies dont on nous gave depuis des années. Katniss

Everdeen dans les Hunger Games. Voilà. Luka, tu es ma

Katniss Everdeen. Sauf que les livres ou les films, en tout cas ceux qu’on nous vend, avec des mecs pleins de super-pouvoirs et des filles déterminées traversant les cercles de feux sans frémir, ça n’a rien à voir avec la réalité.

Cologne

(...) Des gens. Des gens qui tissent des liens. Des gens qui détissent des frontières. Je suis déboussolé. J’aperçois le parc sur ma droite. Des tables sous les arbres. Des groupes assis sur des bancs. Une fille qui chante du Billie Eilish en s’accompagnant d’une guitare sèche. Je sens la chaleur dans ma poitrine. Je fais partie de cette génération-là. Celle de Billie Eilish. Celle qui a traversé le covid. Celle qui connaît pour la première fois depuis soixantequinze ans la guerre en Europe. Celle qui fait face à la sixième extinction de masse. Celle qui va essayer de corriger le tir totalement raté des boomers. Celle qui s’efforce d’y croire encore. Celle qui s’identifie à une adolescente aux cheveux mi-blanc mi-noir qui marmonne des textes à tomber par terre. Je fais partie de cette génération, une des dernières sur Terre, peut-être, et j’en suis fier. Quentin. Son nom qui s’affiche sur l’écran. Cette silhouette qui agite la main de l’autre côté de l’allée. Pendant quelques secondes, je perds tous mes repères.

AUTO-INTERVIEW-SAMUEL

(...) Partager, oui, je crois que c’est ça le mot. Comme vous avez tous partagé un moment avec moi, un moment qui nous a rendus tout à coup tellement proches. Monica, tu restes mon inspiration. Ton mélange de franchise, de bonne humeur et de… de… comment on appelle ça, ta façon de te moquer de ce que les autres pensent, je trouve que c’est libérateur. En tout cas, moi, ça m’a libéré. Pareil pour toi, Clyde. Je… je n’ai pas de mots pour ce que tu m’as apporté. Mais là aussi, ce n’est pas grave, parce que tu passes bientôt par chez moi. Accompagné ou pas. Je

t’attends. Je vous attends tous. J’essaie de ne pas trop employer de grands mots, mais parfois, c’est important, non, les grands mots ? Alors les voilà, les grands mots : vous avez changé ma vie. Complètement. Radicalement. Maintenant, je vais essayer de changer la vie des autres. Merci encore. Et à très vite, surtout. Ici, ou sur la route. Stay safe.

Antonio Da Silva

Antonio Da Silva est né en 1967 dans le Nord du Portugal. Enfant, il est tombé au fond d’un bibliobus comme si c’était une marmite de potion magique, il en est ressorti avec des histoires plein la tête. Il vit actuellement en Auvergne Rhône-Alpes où il explose des livres et écrit des pierres… à moins que ce ne soit l’inverse. Il est l’auteur de plusieurs romans ado aux éditions du Rouergue dont Sortie 32.b (sélection prix Utopiales jeunesse 2020) et Azul (sélection grand prix jeunesse de la SGDL 2022 et lauréat du prix roman ado Millepages en 2021).

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Jusqu’à présent j’avais beau chercher, je ne trouvais pas… Impossible de mettre la main sur un roman SF francophone. Il est donc important de mettre sous les feux des projecteurs le cadeau que nous fait Antonio Da Silva, celui de voir la langue française se conjuguer avec les visions futuristes de la SF. Un ciel qui s’embrase pendant le crash d’une plateforme spatiale, un robot cinéphile et sensible, un chien bionique cherchant les caresses d’un soleil disparu… Oui, la beauté existe aussi dans ces contrées hallucinées.

Crédit couverture : © Germain Barthélémy Crédit photo : © D.R.

Sol

Aqua. Sa peau dorée, rasée de la tête aux pieds. Les membranes entre ses doigts qui lui permettent de drisser. Son dieu, Sol, et ses rayons nourriciers. Son peuple capable de faire la photosynthèse. Son armée voyageant à bord d’immenses ballons. Son île entourée de nuages toxiques. Son monde, irradié, ravagé par de vieilles guerres. Son kidnapping par des ennemis avides de nourritures. Et toujours la survie, à tout prix, pour découvrir enfin la vérité et éviter l’extinction.

Antonio Da Silva, après Azul (prix Millepages du roman ado), livre un roman d’éco-SF dévoilant les derniers instants d’une humanité au bord du gouffre dont le seul espoir repose sur une alliance avec l’envahisseur. Mais l’étranger est-il vraiment celui que l’on croit ?

Roman dès 12 ans - Août 2023 –

cm – 448 pages –Broché – 18,50 € env.
3
Format : 14 x 20,5
ISBN 978-2-8126-2498-8

Sol était au zénith.

Aqua aimait courir en sentant sur sa peau l’énergie de ses rayons. Dans sa langue, il existait plus de cinquante mots pour décrire cette sensation sur l’épiderme. C’était beaucoup et tellement peu. Un jour, elle en inventerait d’autres pour nommer toutes ces perceptions nouvelles qu’elle ressentait.

Elle avait le temps, elle n’avait que seize révolutions. Et Sol était éternel.

À mi-pente, elle s’autorisa une pause pour reprendre son souffle. Le ciel était bleu, la roche d’une blancheur aveuglante. Depuis le fond de la calanque, la mer réfléchissait ces couleurs directement dans les yeux d’Aqua.

Aujourd’hui était un jour de grande lumière. Elle essuya la sueur qui coulait de son crâne glabre. Aqua avait fait le choix de se raser. Les cheveux, c’est de la protection et elle n’avait aucune raison de se protéger de Sol. Elle aimait l’idée qu’il puisse la toucher partout. Elle reprit sa course. Son corps, longiligne et plat, sprinta entre les chênes-lièges, les buissons d’euphorbes. Son anatomie réagissait comme une voile en captant le moindre souffle pour se propulser plus vite. Elle ouvrit ses mains. Les limbes, fines membranes entre ses doigts, se tendirent et s’appuyèrent sur la portance de l’air. Ils étaient à la fois ailerons et gouvernails. Selon leur orientation, Aqua pouvait modifier sa direction et sa vitesse. Elle accéléra, sa course ressemblait à celle d’une feuille prise dans le vent. La maîtrise de cette technique complexe qu’était la drisse avait été difficile à acquérir. L’initiation avait eu lieu après sa douzième révolution. Durant tout son apprentissage,

EXTRAIT

ses genoux avaient été perpétuellement écorchés. Elle avait eu l’impression d’être un oisillon aux ailes emmêlées. Mais, à la fin de son initiation, elle volait plus qu’elle ne courait. Sa mère, fière de ses capacités, l’avait pourtant mise en garde : d’ami, le vent pouvait très vite devenir un ennemi redoutable.

Comme à chaque fois qu’elle montait jusqu’au promontoire, Aqua jeta un coup d’œil à la Plateforme gisant dans l’estuaire. Elle semblait encore plus gangrénée que la dernière fois. À force de récupérer des matériaux dessus, les Techs finiraient par la désosser entièrement. Bien avant sa naissance, la Plateforme était tombée du ciel et s’était encastrée dans les fonds marins comme une écharde céleste. La partie de la structure en acier qui émergeait de l’eau avait la forme d’un gigantesque rectangle, épais d’une dizaine de mètres. Aqua avait calculé que sa surface avoisinait les dix hectares. Colossale. Elle était recouverte d’un dôme entièrement tapissé d’un maillage de panneaux-Sol. Aqua se demandait souvent par quel miracle technologique la Plateforme parvenait à conserver son équilibre au milieu des courants, sans se briser sous son propre poids. Les dégâts subis lors de la rentrée atmosphérique avaient consumé une partie du dôme, dévoilant ce qu’il abritait. Des milliers d’arbres, déracinés par l’impact, que le temps avait séchés jusqu’à la dernière goutte de sève.

Cette forêt de l’espace n’en finissait pas d’émerveiller Aqua. Malheureusement, les vents et les embruns l’érodaient lentement. Bientôt il n’en resterait plus que des copeaux et elle disparaîtrait, comme avait disparu le souvenir des origines de la Plateforme et de sa chute depuis les étoiles.

— Aqua, attends !

La voix de son frère n’était pas plus forte que le murmure des vagues contre la falaise. Elle sourit, contente de l’avoir si facilement distancé. Lux avait deux révolutions de plus qu’elle et se vantait d’être le meilleur coureur de la région. Pourtant, elle le battait à chaque fois. La faute sans doute à sa longue chevelure. Même nouée en catogan, elle le ralentissait en interférant avec sa drisse. Courir, vraiment vite, nécessitait des sacrifices et son frère aimait trop son apparence.

— C’est dangereux, on est trop près du Souffle, cria encore l’écho de sa voix.

En trois bonds, elle fut au sommet du promontoire rocheux.

La vue vers le large aurait pu être magnifique, si seulement l’horizon existait encore.

Aqua plissa des yeux, tentant de voir au-delà des poussières charriées par les vents. Elle ne vit rien, mais de révolution en révolution, elles semblaient moins opaques. Un jour, les poussières se dissiperaient complètement. Elle verrait autre chose que ce bout de continent plongé dans le flou.

Michelle Montmoulineix

Michelle Montmoulineix vit en Brenne, une zone humide du centre de la France, classée Parc naturel régional. Mariée à un ornithologue, elle porte ellemême un intérêt majeur à toutes les espèces sauvages : des oiseaux aux reptiles, des mammifères aux insectes, des plantes aux araignées.

Elle a publié, pour la jeunesse, aux éditions Albin Michel et Bayard, et pour adultes, aux éditions La Bouinotte. Chez hélium, elle est l’autrice de Baleine rouge (2017), un roman d’aventures lyrique sur la relation entre un garçon et une baleine.

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Après Baleine rouge, le nouveau roman de Michelle Montmoulineix est une épopée dystopique aux images saisissantes, dans laquelle l’inoubliable héroïne devient la gardienne de la beauté du monde.

L’incroyable capacité de régénérescence de la nature et le pouvoir de l’amitié sont au cœur de ce palpitant roman où l’on redécouvre, avec le même émerveillement que Victoire et ses compagnons, combien l’eau est source de vie.

Crédit couverture : © Ninn Salaün Crédit photo : © Archives hélium

Le Temps des ogres

Victoire, treize ans, n’a jamais connu de paysages verdoyants ni de nuages lourds de pluie, encore moins la nourriture en abondance. Depuis des décennies, l’eau est strictement contrôlée par les Patrouilleurs. La jeune fille vit avec ses grands-tantes, Oma et Rosy. Dans leur ferme ne reste qu’une chèvre, avec qui elles partagent leurs maigres rations d’eau… jusqu’au jour où, les deux vieilles dames sont dénoncées et emprisonnées : Victoire n’a d’autre choix que de fuir, espérant rejoindre ses parents, partis à la recherche du lac Baïkal. Elle emprunte alors le lit de la rivière asséchée. Après bien des rencontres apportant chacune son lot d’aventures, elle se retrouve au pied d’un cargo échoué, qui semble pourtant habité…

Roman dès 11 ans – Août 2023 – Format : 14,5 x 22 cm – 350 pages – Broché – 14 € env.

ISBN 978-2-330-18249-6

4

Quand [Victoire] rouvrit [les yeux], bien plus tard, il faisait grand jour et, dans la lumière, elle distingua quelque chose au loin, sur l’horizon plat. La silhouette d’un bâtiment se dressait tout là-bas. Un hangar, un immeuble peut-être, dont la forme imprécise et pâle tremblotait dans la chaleur. Cette vision lui redonna un peu de courage. Elle se leva et s’avança sur l’estran désertique dans cette direction.

Ce qu’elle avait espéré être une maison était en réalité un navire. Un cargo porte-conteneurs d’une taille monstrueuse, en partie enfoui dans le sable. Il était chargé d’énormes caisses empilées comme des briques jusqu’à une hauteur plus vertigineuse encore que celle de sa coque. Son bordage s’ornait de quatre lettres géantes peintes en noir : O.G.R.S. À sa poupe, surplombant l’étendue des conteneurs métalliques, comme une forteresse dominant son royaume, s’élevait la timonerie. Depuis le pont supérieur, des volées d’escalier montaient à l’assaut de ce donjon d’acier couronné de baies vitrées étincelantes. À distance, le navire paraissait harcelé par une multitude de vies minuscules, indistinctes, qui fourmillaient autour de sa quille, comme les mouches que Victoire avait vu s’affairer autour des os brisés. Toutefois, en s’approchant encore, elle découvrit bientôt que ces petits êtres agglutinés n’étaient pas des insectes mais des enfants. Et des adolescents.

La perspective d’un choc imminent avec ses semblables lui donna le vertige. Elle s’assit sur le sable où elle demeura un long moment, hésitante, partagée entre la crainte et le désir d’une rencontre.

EXTRAIT

La plupart des jeunes étaient attroupés aux abords d’un grand abreuvoir métallique, alimenté depuis l’intérieur du navire par un tuyau qui transperçait le bordage au-dessus de la ligne de flottaison. Il s’en écoulait, par intermittence, une eau verdâtre, un bouillon froid dans lequel flottaient des fragments de légumes grossièrement coupés. Tous y puisaient avec avidité. Certains étaient munis d’ustensiles disparates : verres fêlés, casseroles cabossées, bols ébréchés… D’autres n’avaient, pour tout récipient, que le creux de leurs mains. Les plus jeunes, maigres, noirs de crasse, tournaient sans se lasser autour de l’abreuvoir.

Chaque fois qu’ils en trouvaient l’occasion, ils se penchaient pour aspirer le breuvage à grands bruits, la bouche au ras de la surface.

Victoire prit une grande inspiration et plongea dans la foule. L’odeur épouvantable de tous ces corps sales envahit aussitôt ses narines, tandis que l’émotion de se retrouver entourée de tant d’enfants et d’adolescents la submergeait.

Entendaient-ils les violents battements de son cœur ?

Allaient-ils l’accueillir ou bien la chasser ? Ni l’un ni l’autre. Aucun ne lui prêtait attention, aucun ne se retournait sur son passage. Elle se calma un peu et se fraya un chemin jusqu’à l’eau, qu’elle trouva tiède et amère. Cependant, sans se faire prier, elle but jusqu’à plus soif au creux de sa paume tremblante, et mâcha avec avidité des morceaux de légumes, jusqu’au moment où une grande adolescente, sans un mot, la repoussa pour prendre sa place. Elle recula aussitôt, prudemment, heurtant sans le vouloir un petit garçon derrière elle. — Pardon ! s’exclama-t-elle.

Autour de l’abreuvoir, tous relevèrent la tête et la regardèrent fixement, tandis que l’enfant bousculé détalait au galop, à quatre pattes, en soulevant la poussière.

Prudemment, Victoire s’éloigna du groupe. Elle alla s’asseoir à l’écart, au pied de la coque en acier soudé, dans l’ombre portée de la gigantesque hélice du bateau. Le menton sur les genoux, les yeux plissés dans la lumière, elle se mit à observer ce qui se passait devant elle. Il lui fallut quelques minutes pour s’étonner du silence, sans doute parce qu’il était troublé par le murmure monotone du maigre filet d’eau et du bruit des ustensiles cognant les parois du bassin. Cependant, aucune parole, aucun chant ne s’échappait des lèvres de quiconque. Plus encore, les regards, les visages, les corps, les gestes mêmes n’exprimaient rien, n’échangeaient rien, ne partageaient rien. Tous ces enfants et adolescents réunis en troupeau semblaient uniquement occupés à se nourrir et à s’abreuver, chacun pour soi. Mais alors, rompant la monotonie de la scène, une fille de 10 ou 11 ans, de petite taille, aussi maigre que les autres, sortit du groupe. Elle dissimulait un objet dans sa main. Comme Victoire, elle alla s’asseoir à l’ombre de l’hélice et se plongea dans la contemplation de son butin. C’était une grosse pomme de terre crue, entière, qu’elle venait de pêcher dans le bassin. Tournant et retournant le tubercule entre ses doigts, elle réfléchissait, et tout son petit visage sale en était transfiguré. Enfin, résolument, elle tira un couteau de sa ceinture et, au grand étonnement de Victoire qui s’attendait à la voir manger la pomme de terre dans son coin, elle commença à la sculpter. Ses mains étaient habiles, ses gestes précis et délicats. Elle taillait et creusait, indifférente aux copeaux comestibles qui tombaient à ses pieds. Elle était si complètement engloutie dans sa création qu’elle ne vit pas l’adolescent qui s’approchait d’elle, en tapinois, bavant de convoitise. — Attention ! s’exclama Victoire.

Avec vivacité, la fille sauta sur ses pieds et s’enfuit hors de portée du garçon. Celui-ci poussa un grognement dépité. Il jeta à Victoire un regard perplexe avant de retourner d’un pas traînant vers l’abreuvoir. Quant à la fille, elle demeura un instant immobile dans le soleil, son trésor en pomme de terre serré contre son cœur, fixant Victoire gravement. En pleine lumière, ses yeux étaient verts et brillants. Victoire crut y percevoir de la reconnaissance et, au-delà, l’espoir bouleversant d’une amitié.

C’est alors que, juste aux pieds de Victoire, un long serpent de corde vint se lover dans le sable avec un bruit mat. Deux autres se déroulèrent à la suite du premier, immédiatement enfourchés par des matelots qui dégringolèrent en rappel, depuis le pont, le long du flanc du navire. Un hurlement d’effroi jaillit du groupe des enfants et brisa le silence :

— OOOGRRS !

Aussitôt, tous, petits et grands, s’enfuirent à la débandade, sur deux jambes ou à quatre pattes. Victoire roula sur elle-même pour ne pas être piétinée, mais elle n’eut pas le temps de se relever et de fuir aussi : un lasso de corde l’attrapa par le cou. En dix secondes, elle fut ligotée puis suspendue par les pieds contre la coque du cargo, à bonne hauteur, par un double nœud de chaise.

Impuissante, le corps meurtri par les liens qui lui meurtrissaient la peau, respirant avec difficulté la tête en bas, elle assista à une scène de chasse renversée.

Derrière le troupeau désorganisé qui fonçait droit devant lui sans discernement, les matelots couraient pieds nus et silencieux, infatigables. Le plaisir qu’ils prenaient à jouer avec leurs proies avait allumé une petite flamme cruelle au fond de leurs yeux rouges. Bientôt, ils s’organisèrent pour repérer et isoler les individus plus faibles

et moins rapides. Leur stratégie fut couronnée de succès. En moins d’une heure, ils parvinrent à capturer un petit garçon épuisé et un autre plus grand. Satisfaits, ils s’en retournèrent à la nuit tombante avec leur gibier, arrimèrent les deux garçons et Victoire sur leurs dos, et escaladèrent le flanc du navire à la force des bras. Le danger écarté, la foule des enfants et des adolescents se reforma dans la nuit et regagna lentement le pied du cargo, où l’eau et la nourriture étaient assurées. Tous se calmèrent et se réconfortèrent en puisant dans l’abreuvoir. Personne ne pouvait savoir quand la prochaine chasse aurait lieu. Il suffirait alors à chacun de se dissimuler au milieu du troupeau afin que les marins-prédateurs attrapent un autre que soi.

Julien Dufresne-Lamy

Julien Dufresne-Lamy publie en littérature adulte. Son roman Jolis jolis monstres (Belfond) a remporté en 2019 le grand prix des Blogueurs littéraires et le prix Millepages. Dernier titre paru : Les Bienheureux, Plon, 2022. En parallèle, il écrit pour la jeunesse : la série Darling (coécrite avec Charlotte Erlih), Boom, Les Étonnantes Aventures du merveilleux minuscule Benjamin Berlin et Mauvais joueurs, chez Actes Sud jeunesse.

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Un récit riche en émotions, qui parle autant de disette que d’amour, avec sobriété, sans misérabilisme et sans jugement. Ce fils, privé trop tôt de l’insouciance de son âge, et sa mère courage, une de ces héroïnes invisibles du quotidien, forment un couple bouleversant. Le dénouement est optimiste. Ou quand le déterminisme social n’est pas une fatalité. Un sujet relativement tabou en littérature jeunesse.

Crédit couverture : © Germain Barthélémy Crédit photo : © Sylvie Lancrenon

Trois fois rien

(ça fait toujours rien)

“Fêter” ses quinze ans dans le noir complet parce que l’électricité a été coupée, tu parles d’un anniversaire ! Pourtant c’est la vie de Sacha, élevé par sa mère Nelly qui, toute seule, surendettée, ne s’en sort plus. Si Sacha éprouve la peur de manquer de tout, il tâche de n’en rien laisser paraître. Sa passion pour le dessin est sa seule évasion. Mère et fils échouent finalement dans un foyer. Nelly retrouve des petits boulots, remonte peu à peu la pente. Sacha passe son brevet, est admis en seconde générale mais préfère intégrer une filière professionnelle. La découverte d’un métier d’art, celui de souffleur de verre, un métier rare, est la voie qu’il se choisit. Un avenir sans simulacres, où il peut être lui-même. Voir plus grand aussi. Roman dès 14 ans -

2023 – Format : 14,5 x 22,5 cm – 224 pages – Broché – 16 € env. ISBN 978-2-330-17315-9 5
Août

(...) Dans les rangs, la pionne se met à circuler. Elle distribue des lettres et c’est le moment que tu détestes. Les rappels pour le paiement de la cantine. Tu ne comprends pas comment l’établissement peut accepter de faire un truc pareil. On dirait une délation publique. Une lettre pour elle. Une lettre pour lui. Et lui aussi. Vos familles ne paient pas vos déjeuners. Vous avez des parents de merde et le monde en est témoin.

Pourquoi ils n’envoient pas le courrier par la Poste ou par mail comme tout le monde ? Tu trouves la méthode immorale. Tu voudrais faire part de ton indignation mais tu te contiens. Parce que si tu en parles, c’est que tu n’as pas les mains propres, comme dirait Aliocha. Quand la pionne se faufile près de votre table, tu manques de t’étouffer. Non, ce n’est pas toi. Impossible. Faut dire que tu sais comment ça marche ici, tu t’arranges toujours pour que Nelly paie la cantine en premier. Tu lui fais des scènes pendant des jours. Parfois tu l’épies. Tu lui mettrais même le stylo dans la main pour qu’elle signe plus vite le chèque. La pionne s’avance, elle te regarde. Pourquoi elle te mate comme ça ? Non t’es serein. T’as vu Nelly remplir le chèque jeudi dernier. On était le 7. Tu étais encore dans les délais. Sauf que la pionne avance, avance. Elle est maintenant postée pile en face. Elle prononce ton nom, Sacha Chamaillard. Tu lèves la tête. T’as l’impression d’être un meurtrier.

(...) Le soir, lucide dans ton lit, tu te mets pourtant dans le clan des miséreux. C’est comme un coup de vertige au bord du précipice. Ça te scie les jambes, ça te donne des bouffées d’air chaud ou froid, et pour toi, c’est exactement

EXTRAIT

ça la galère. D’abord ça monte, monte, comme une vague grignotant la plage, et ça finit par être un océan dans lequel plus rien n’existe sauf la noyade. Alors, dans ton lit, tout à trac, tu annules ta pensée. Tout va bien. Tout ira. La plage sera toujours là. C’est juste une crise de passage, rien qu’une mauvaise passe. Tout sera pour le mieux. La preuve, vous avez quatre murs, un toit et même des restes de gâteau au chocolat.

(...) Tu n’as jamais eu honte de ta mère. Jamais. Au contraire, Nelly est comme une image. Une mère de carte postale. L’alibi idéal. Certains du bahut te disent même le mot “parfaite”.

Aux réunions parents-profs, Nelly est toujours celle qu’on regarde le plus dans les couloirs. Les mères des autres l’inspectent, les pères la matent. Les mères ne disent rien mais elles se mordent les lèvres, Nelly est bien plus jeune qu’elles. Toutes se demandent à quel âge elle a pu t’avoir. Une mère adolescente, évidemment. Une paumée de basse classe, très certainement. Sauf qu’avec Nelly ça ne marche pas. Elle ne s’habille pas n’importe comment, Nelly n’a pas les cheveux gras et la poussette remplie de bazar, Nelly se tient, polie, impliquée, cordiale, Nelly a de la grâce et la grâce, ça ne s’invente pas.

Aliocha te dit souvent qu’elle est fraîche, ta mère. Tu ne relèves même pas. Pour tes amis depuis toujours, Nelly est la mère de cinéma. Celle avec laquelle tu peux avoir des délires, parler de tout, même taper des clopes, ils imaginent ça possible. Ça devient une rengaine pour toi. Ta mère ceci, ta mère cela. Tu n’as pas besoin d’inventer une mère aviatrice ou neurochirurgienne comme ces enfants qui se racontent des vies pour oublier leurs journées merdiques.

Année après année, on vous envie. On imagine votre vie à deux, vos vacances, vos dimanches devant Netflix quand Achille doit supporter ses trente-six tantes juives à table et Aliocha la messe jusqu’à midi. Dès la primaire, tes copains étaient tous amoureux d’elle. Tes copines disaient qu’elle s’habillait à la mode, qu’elle avait un style bien à elle. Tu t’en souviens. Tu étais tellement fier. C’est vrai que Nelly a toujours été belle. Moitié française par son père, moitié brésilienne par sa mère. Tes potes, Nelly savait les captiver, des blagues, des sourires, et s’il existait un catalogue de parents à piocher, tu crois que même les yeux fermés, tu la choisirais elle, direct, en premier.

(...) Toutes les nuits sous une loupiote, tu dessines. Ce sont des images inédites. Toi qui veux toujours polir les angles, faire joli, lisser les visages alourdis, tu changes de mode opératoire. Tu te rends dans cette boutique des loisirs créatifs au métro Voltaire et tu achètes de nouvelles palettes. Fini, la gouache pastel, les dessins à l’eau, les couleurs sans peine. Avec ta carte bleue, tu remplis le panier. De la poudre graphite, des fusains vénitiens, des craies, des fusains Coates, des crayons mines de plomb et des gommes mie de pain. Tu lâches 75 euros à la caissière et le dessin t’appelle, tu rentres dans la foule, tu vois déjà les formes, des spirales, des orages, des scènes de catastrophe naturelle, des personnages en colère, et pour la première fois tu vas pouvoir raconter. Mettre la rage en image.

(...) Attention pente glissante, Sacha. Ne passe pas pour un je-m’en-foutiste. Cette évaluation vaut coef. 6 pour clôturer le lycée alors trouve une parade, et reprends-toi.

Dans son évaluation finale que je lis, votre maître de stage, Lydie Velda, parle de vos “passions contagieuses”, de votre “enthousiasme à tout”, de votre “curiosité débordante”, et entendre ces mots inattendus te rend mutique. Lydie a vraiment dit ça ? Elle que tu croyais si fermée à ton contact a fait tes louanges sur le papier. Tu n’en reviens pas.

L’ego regonflé à la pompe, tu leur réponds. Demain, j’hésite encore. Souffleur, graveur, vitrailliste, dessinateur. Voilà ce que tu aimerais faire. Tu sais que tu as le choix et même l’embarras du choix. Le problème, c’est que tu ne sais pas quoi choisir. Choisir, pour toi, c’est plus que renoncer. C’est sacrifier. Et tu as déjà sacrifié tant de choses pendant ces dernières années que tu refuses encore de t’y adonner.

Devant l’assemblée, tu déclares alors vouloir tout faire, vouloir explorer, visiter les ateliers, observer surtout, et l’an prochain, tu annonces, ce sera la gravure sur roue parce que c’est ce qui t’a le plus fasciné mais tu ne t’interdiras rien, tu prendras la vie selon les rencontres et les opportunités.

Les profs te regardent d’un drôle d’air, le chauve sourit.

M. Gisla se frotte les mains comme une validation. Ils te disent que tu es un esprit libre. Toi qui as passé tes trois dernières années avec le sentiment d’être un infini prisonnier, ça te fait sourire. Et tu leur confirmes. Oui libre, du moins j’essaie.

(...) Dans sa chambre repeinte en lavande, tu regardes Nelly endormie. Ici, ça sent encore la peinture mais le reste aussi. Le silence comme l’odeur singulière du recommencement. Il est tôt, 5 h 20, et le bus qui te conduit à Biarritz part à 6 heures depuis la gare routière de Bercy.

À ta mère, tu as menti en disant que c’était à midi. Tu as menti parce que les au revoir, c’est comme pour les mercis, ce n’est pas de ton registre. Avant de partir, ton gros sac de voyage posé au sol, tu sors ta bande dessinée de sa planque secrète et la déposes enfin sur la table de chevet de Nelly. Tu l’as signée de ton nom et tu en es fier. À l’intérieur des pages cette fois, pas de Brésil idyllique, pas de fantasme rêvé, juste la débrouille, les plans B, les puzzles de Nelly, vos disputes, vos programmes télé, vos soirées à vous endormir l’un sur l’autre au fond de tout un tas de canapés. Celui de Cathy, celui de Sandra tout défoncé, ceux du foyer aussi. Dans une des bulles, la mère dit à son fils, fais comme si on vivait dans une auberge de jeunesse. La jeunesse, elle est où ? demande le gamin. T’as trente-six piges et regarde-nous, on dirait deux vieux paumés qui attendent le bus. Sur la vignette, la mère sourit faiblement et finit par s’endormir dans son duvet. Face à elle, en silence, le fils la dessine toute la nuit. Il dessine celle qui pour trois fois rien lui a tout transmis.

Mikaël Ollivier

Cela fait maintenant plus de vingt ans que Mikaël Ollivier écrit des livres et des films, et pourtant, il ne sait toujours pas comment l’on fait, ni pourquoi. C’est sans doute pour cela qu’il continue aussi passionnément. Parce qu’il est encore un débutant, et compte bien le rester.

LE MOT DE L’ÉDITEUR

Mikaël Ollivier est un conteur hors pair. Il nous livre un texte intime et bouleversant, véritable ode au cinéma et hymne à la liberté de vivre et de mourir à sa guise. Un texte essentiel qui nous accompagne longtemps une fois la dernière page tournée.

Crédit couverture : © Laurent Besson / visuel provisoire Crédit photo : © MM

Premier rôle

“On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne.” Cette phrase de Cioran, Laura l’a relue des dizaines de fois avant de se décider à écrire. Qui sait ?

Cela lui permettra peut-être de se libérer de cette culpabilité qui l’écrase. Alors, Laura raconte Nino, qui l’a recueillie quand sa propre mère n'a plus voulu d'elle. Elle raconte cette grand-mère qui n’a aimé qu’elle, et le cinéma. Les deux passionnément. Puis le covid s’annonce et les salles de cinéma ferment. Un désastre pour Nino.

Est-ce cela qui a précipité les événements et projeté Laura sur le devant de la scène ? Ou est-ce que ce rôle était déjà écrit depuis toujours ?

Roman dès 15 ans – Août 2023 – Format : 14 x 22 cm – 256 pages – Broché – 15,90 € env.

ISBN 979-10-352-0657-4

6

Bon, je vais pas vous la jouer : « Ouiii, l’autre jour, en RElisant Cioran… »

Je n’ai jamais lu Cioran. Je ne connaissais même pas son nom avant de tomber par accident sur une phrase de lui sur un site qui parlait de tout sauf de littérature et de philosophie : « Chacun de nous est prisonnier de ses maux passés, et s’il est anxieux, de ses maux à venir. »

Elle m’a fait un coup, cette phrase, comme si elle avait été écrite pour moi. Mon rythme cardiaque a piqué un sprint, et mes mains se sont mises à trembler. Je me suis aussitôt fait une petite séance de cohérence cardiaque. Une vraie pro ! Les crises de panique et moi, c’est déjà une longue histoire ; je connais toutes les parades. Ensuite j’ai tapé CIORAN sur mon téléphone. Emil Cioran. Et là, des tonnes de citations. Je dois dire que j’ai passé un bon moment.

« La mort : le sublime à la portée de chacun. »

« La mort est un état de perfection, le seul à la portée d’un mortel. »

C’était visiblement son truc, la mort. Moi aussi, ça tombait bien.

Encore : « On meurt de l’essentiel lorsqu’on se détache de tout. » Pas mal, celle-là. J’aime beaucoup aussi, dans un autre genre : « Regarder sans comprendre, c’est cela le paradis. »

« Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter », m’a d’abord bien fait marrer. Puis pas que.

Il y a aussi l’une de mes préférées : « Espérer, c’est démentir l’avenir. » Un bonbon ! Le truc à lire et relire au moindre coup de mou : pour sortir ça, le mec devait être sacrément au fond du trou. Ça console.

EXTRAIT

Après, j’en ai trouvé une autre sur la mort, qui, comme la toute première, avait été écrite spécialement pour moi et Nino : « L’homme accepte la mort mais non l’heure de sa mort. Mourir n’importe quand, sauf quand il faut que l’on meure. »

Je suis restée longtemps scotchée devant mon écran.

Et puis, de lien en lien, je suis tombée sur « On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne ».

Je l’ai relu : « On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne. » Encore et encore : « On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne ; On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne… »

Ça a infusé. Et j’ai fini par penser Tope là, Emil !

Pourtant, écrire, ce n’est pas mon truc. Les livres non plus, d’ailleurs. Enfin, c’est ce que je pensais, jusqu’à ce qu’un algorithme me suggère une autre phrase, d’un autre comique, Franz Kafka : « Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. »

Je veux y croire, même si, je sais, je sais, qu’espérer, c’est démentir l’avenir.

Alors même si je déteste écrire, je vais le faire. Deux lignes ou dix pages, mais chaque jour. C’est comme le sport, il ne faut pas s’arrêter, sauter des séances d’entraînement, sans quoi on n’y retourne pas. Et il ne faut surtout pas s’imaginer ce qu’on pourrait faire de bien plus agréable à la place.

Alors voilà : j’écris. La preuve. Sur la petite tombe de Nino, au-dessus de ses années de naissance et de mort gravées dans le marbre, 1938-2021, il y a, comme elle en avait exprimé la volonté, un portrait de Gene Tierney dans un cadre. La sépulture ne manque jamais d’attirer l’attention des visiteurs du cimetière. Certains, même, font des selfies devant.

Nino s’était très tôt identifiée à l’actrice, peut-être parce qu’elle se prénommait Geneviève, facile à diminuer en Gene ?… Elle me disait, montrant une photo d’elle à vingt ans Tu ne trouves pas que c’est frappant, P’tit’ Miss… ? Non, je ne trouvais pas, mais me gardais bien de le lui dire. Nino été jolie, à quatre-vingt-trois ans comme à vingt, mais ronde, pour ne pas dire grosse, bien loin en tout cas de la silhouette de Gene Tierney.

Bien sûr elle était brune, et quelque chose dans les pommettes, habilement souligné par un maquillage très étudié, pouvait, vaguement, évoquer la star hollywoodienne période Le ciel peut attendre.

Mais il fallait y mettre beaucoup de bonne volonté. Ou d’amour. Nino allait même jusqu’à trouver une ressemblance entre Bernard, son second mari, et Rex Harrison, qui interprète le fantôme dans L’Aventure de Mme Muir, le film de Mankiewicz. Là, je m’insurgeais ouvertement car, comme Lucy Muir, j’étais tombée amoureuse du fantôme du capitaine Gregg dès ma découverte du film, à l’âge de sept ans.

J’ai été élevée par Nino, mais aussi par Mankiewicz, Scorsese, Akerman, Moretti, Ozu, Kazan, Truffaut, Lubitsch, Boetticher, Campion, Ophüls, Forman,

Hitchcock, Kawase, Carné, Curtiz, Granier-Deferre, Rossellini et des dizaines d’autres.

Pour sa crémation, elle avait tout prévu, bien listé sur une feuille de cahier à spirale que j’ai trouvée dans le tiroir de sa table de chevet. Pas de fleurs, pas de discours, surtout pas de curé (souligné en rouge) mais de la musique et des extraits de films, dont elle avait certainement passé des nuits à faire et défaire la liste. Elle voulait que la cérémonie ressemble à une soirée ciné-club.

Pour l’entrée, le thème composé par Wojciech Kilar pour Le Roi et l’Oiseau, « notre » film d’animation, à Nino et moi (elle m’a interdit les Disney toute ma jeunesse), que j’ai vu des dizaines de fois (probablement plus de cinquante) blottie contre elle dans le canapé du salon, et pour la sortie, le Grand Choral de La Nuit américaine, de Georges Delerue, son compositeur préféré. Je me suis évanouie quand, après les cordes, la trompette est entrée au moment où le cercueil disparaissait derrière la petite trappe pour être brûlé. Cet air, c’est tout Nino. L’euphorie et le tragique en même temps. Un débordement. Un déferlement. Trop pour moi le jour des obsèques, auxquelles nous étions une quinzaine à assister. Des voisines, des anciennes patronnes de Nino, Mireille, Alain dans les bras de qui je me suis retrouvée quand je suis tombée dans les pommes, et ma mère, cette connasse.

Frank Capra, Robert Guédiguian, Pedro Almodóvar, James Gray, Nadine Labaki, Howard Hawks, Kathryn Bigelow, Richard Thorpe, Julien Duvivier, John Ford, Otto Preminger, Pablo Larraín, Raoul Walsh, Henry Hathaway, John Carpenter, Federico Fellini, Steven Spielberg, John Cassavetes, Paolo Sorrentino, Wim Wenders, Sydney

Pollack, Paul Grimault, Andreï Zvyagintsev, Agnès Varda, Asghar Farhadi, Claude Sautet, Hayao Miyazaki, Jacques Demy, Sebastián Lelio, Arnaud Desplechin, Ruben Östlund, Louis Malle, Agnès Jaoui, Billy Wilder, Philippe de Broca, Andrzej Wajda, Paolo et Vittorio Taviani, Ingmar Bergman, Stéphane Brizé, Akira Kurosawa, Jean Renoir, Michael Cimino, Woody Allen, Sidney Lumet, Todd Haynes, Sergio Leone, Céline Sciamma…

Cette suite de noms de réalisatrices et de réalisateurs m’apaise. Elle m’empêche de penser tout en me reliant à Nino. Je la puise sans hiérarchie dans ma mémoire, dès qu’un nom surgit.

Douglas Sirk, Stanley Kubrick, Francis Ford Coppola, Bertrand Tavernier, Kenneth Branagh, Claude Chabrol, Carlos Saura, Susanne Bier, Emmanuel Finkiel, Sam Mendes, Stephen Frears, Elia Kazan, Anne Fontaine, Éric Rohmer, Luchino Visconti, Charlie Chaplin, Alain Resnais, Vittorio De Sica, Nicholas Ray, Olivier Assayas, David Lean, Robert Zemeckis, Ryusuke Hamaguchi, John Boorman, Andreï Kontchalovski, Orson Welles, Emmanuelle Bercot, Blake Edwards, Christian Petzold, Robert Altman, Catherine Corsini, Steve McQueen, Jacques Tourneur, Marco Bellocchio, Valeria Bruni Tedeschi, Arthur Penn, Bernardo Bertolucci, Maurice Pialat, Jean-Pierre Melville, Ken Loach, Alain

Cavalier, Jacques Tati…

J’y reviens sans cesse. Une obsession. Je pourrais ne plus faire que ça, compléter cette liste jour et nuit, et puis pourquoi pas ensuite avec des noms d’actrices et d’acteurs… ?

C’est en même temps rassurant et effrayant, une façon de me détourner de ce texte dont je tente d’accoucher pour y dire ces fameuses choses que je n’oserais confier à personne. Il m’est vital, je le sens, je le sais, mais il me

terrifie et me fait mal, alors je bifurque vers cette liste de noms que personne de ma génération, ou presque, ne connaît, mais qui sortent de ma mémoire sans le moindre effort tant ils en sont le terreau. Et je me mens en me disant qu’ils font partie de l’exercice de souvenir indispensable à l’écriture. Mon cul. C’est seulement un TOC, une façon de brûler le temps, de remettre à plus tard le devoir de lucidité qui me demande un courage qui me fait défaut. De remettre au plus tard possible ce que je n’ose confier à personne. Alors les noms s’amoncellent, sous lesquels je pourrais finir enterrée vivante. Je viens de rentrer du cimetière, la tête basse, sans rien voir des rues de Versailles, et pour célébrer le deuxième anniversaire de la mort de Nino, plutôt que de reprendre mon manuscrit, je vais me mettre en pyjama, fermer les volets, couper mon téléphone (même si ça fait des mois que plus personne ne m’appelle et que je n’appelle plus personne) et regarder Le Roi et L’Oiseau, suivi de L’Aventure de Mme Muir et de La Nuit américaine, le tout en m’empiffrant de bananes écrasées mélangées à du cacao.

Le 4 mars 2021, jour de sa mort, Nino avait quatre-vingttrois ans, et moi dix-sept. J’étais en terminale au lycée Hoche.

Un an moins quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron nous annonçait que nous étions en guerre.

Nous étions devant la télé, Nino et moi. Elle m’a pris la main et l’a serrée, pas pour me rassurer, mais pour sentir ma chaleur sous ses doigts, ma peau, du concret, du réel, comme on se pince quand on n’arrive pas y croire. Le mot « confinement », que je n’avais jamais entendu, faisait irruption dans notre vocabulaire et dans nos vies.

La sidération passée, nous nous sommes réparti les tâches. Je m’occuperais des courses « de première nécessité », comme nous allions apprendre à le dire, Nino de la programmation, bien plus nécessaire à ses yeux, des films qui allaient rythmer notre quotidien confiné. N’en revenant pas que les salles de cinéma aient pu être fermées, elle nous avait immédiatement payé un abonnement à la Cinetek, où nous téléchargions déjà régulièrement des films au coup par coup depuis des années, en alternance avec Univerciné.

Le 17 mars au matin, alors que j’écumais les magasins dévalisés comme en temps de guerre (enfin, je suppose, ne connaissant de la guerre que ce que le cinéma m’en avait montré), me retrouvant, contaminée par la peur de manquer, à ramasser fébrilement sur des étals sens dessus dessous des denrées dont nous n’aurions pas besoin, ma grand-mère élaborait une liste de cycles de films possibles, par réalisateurs, par pays, par genres ou par thématiques. Si je redoutais de ne plus pouvoir aller au lycée, de devoir suivre mes cours et préparer mon bac à distance, de ne plus voir mes amis, je n’avais aucune crainte quant à la cohabitation avec Nino vingt-deux ou vingt-trois heures sur vingt-quatre (puisque nous pouvions sortir une heure par jour, ensemble ou séparément). Nous étions indissociables, avec cette sensation, le plus souvent attribuée aux amoureux, de ne faire qu’une, et la capacité de nous comprendre sans jamais avoir besoin de s’expliquer, par une communication du corps et de l’esprit qui, fréquemment, se passait de mots.

Si ce n’était la fermeture des salles de cinéma et l’angoisse de cette pandémie à laquelle nous ne comprenions pas grand-chose, je sais que Nino se réjouissait de ces semaines à venir durant lesquelles le monde se résumerait officiellement à nous deux.

Vers 10 h 30, une fois les ultimes courses terminées, je devais retrouver mes amis square Jean-Houdon où nous avions décidé, par messagerie, de nous faire « nos adieux ».

Sur place en avance, j’ai vu Marie-Des-Neiges arriver la première, me tombant dans les bras, en larmes à l’idée que d’ici une heure nous n’aurions plus le droit de nous voir. Marie-Des-Neiges, depuis la maternelle, avait toujours été démonstrative, excessive, grandiloquente et irrésistible.

Nous nous étions rencontrées à l’âge de cinq ans, dans ce même square où Nino m’emmenait parfois prendre mon goûter. Un coup de foudre. Nous avons été instantanément inséparables. Des sœurs. Même école, même collège, même lycée, même choix d’orientation et d’activités extrascolaires sans autre motivation que d’être ensemble le plus souvent possible.

Serrée contre moi, elle m’a dit On s’en fout on se verra, on les emmerde, on l’emmerde leur confinement de mes couilles.

Je lui faisais confiance. Je savais que rien n’était impossible à Marie-Des-Neiges, comme elle me l’avait prouvé lors de notre passage en sixième. Ses parents avaient voulu l’inscrire dans un collège catholique, celui dans lequel étaient allés ses quatre frères aînés, et dans lequel iraient son jeune frère et sa sœur cadette. Mais pas elle, qui a refusé tout net et exigé, à hauts cris, d’aller dans le public pour ne pas être séparée de moi, allant jusqu’à faire la grève de la faim. Ses parents ont cédé au bout de trois jours, finissant par l’inscrire à Hoche – sans doute persuadés d’être en train de gâcher l’avenir de leur fille –

où, même si nous n’avons pas, chaque année, été dans la même classe, nous avons passé l’intégralité de nos récréations et des heures de cantine ensemble.

Nous étions encore dans les bras l’une de l’autre quand Sonia, Guillaume, Apolline, Benoît, Marie-Bertille et Alix sont arrivés. La bande, depuis des années, à laquelle s’était agrégé Pierrick, arrivé de Lyon à Versailles le mois de septembre précédent seulement, mais qui sortait avec Marie-D. depuis la Toussaint, un record de longévité. Solène manquait à l’appel, partie se confiner avec sa famille dans leur maison en Bretagne, et Clovis, chez son père à Angers.

Nous avons parlé vite et fort, fébriles, et nous sommes quittés avec effusions, anxiété et excitation à 11 h 30 pour regagner nos lieux de confinement respectifs.

À 11 h 45, alors que, déjà, dehors, les rues et le ciel étaient désertés et qu’un silence inédit et inconnu se répandait sur Versailles et le pays, on a sonné à la porte.

Nino et moi nous sommes figées un instant. Jamais la sonnette n’avait fait un tel vacarme. Nous nous sommes regardées. À ce moment précis, ce coup de sonnette ne pouvait être anodin. Un bref instant, ensemble je le sais, nous avons partagé sans avoir besoin de la formuler la tentation de ne pas bouger, de faire silence, de faire absence. Mais où aurions-nous pu être puisque l’extérieur nous était interdit… ?

C’est moi qui suis allée ouvrir.

C’était ma mère, affichant un grand sourire et portant un gros sac de voyage. Je l’ai trouvée encore plus belle que la dernière fois que je l’avais vue, qui remontait à quatre années. Élégante comme toujours, maquillée et coiffée (plus court qu’avant) avec soin. Je me suis aussitôt sentie minable et maigrichonne dans mon jogging, les cheveux en pagaille.

Elle a dit Ouf ! C’était moins une.

Nino a froncé les sourcils et a demandé Tu viens faire quoi, là ?

Me confiner avec ma mère et ma fille, pardi !

Bien sûr nous en avons eu envie en même temps, Nino et moi, mais ni l’une ni l’autre n’avons eu le courage de la foutre à la porte.

Puisque dehors, c’était la guerre.

Dix-sept ans plus tôt, à quelques semaines près, à trois rues du boulevard de la Reine, une autre sonnette avait retenti à la porte de Nino. Elle habitait, encore pour quelques mois, rue Berthier, la loge de l’immeuble dont elle avait été la gardienne pendant vingt-cinq ans. À 23 heures passées, elle venait de rentrer du Roxane où, avec Alain, elle avait vu Little Miss Sunshine, de Jonathan Dayton, ce qui me vaudrait l’un de mes nombreux surnoms.

C’était ma mère à la porte, mais pas seule, avec moi dans ses bras, vieille de quatorze semaines, accueillies par un Ah ! Tu l’as gardé finalement.

Bien sûr, c’est Nino qui m’a raconté tout cela, à sa façon, c’est-à-dire sans façon.

Des mois plus tôt, elle avait essayé de convaincre ma mère d’avorter. En vain, comme en attestent ces mots.

Je ne sais pas qui est mon père. Ma mère n’a jamais connu son nom et ne m’a jamais rien dit de lui sinon qu’il était « beau comme un dieu ». Et noir, comme l’indique ma peau café au lait dont Nino a toujours été toquée. Je devine aussi qu’il était un peu con, le paternel, pour avoir baisé avec une inconnue passablement ivre sans capote. Tant mieux pour moi. Enfin, c’est à voir. En tout cas, sans cette désinvolture, je ne serais pas là pour me poser la question.

Et à celle de Nino, de question, qui n’en était pas une, mais plutôt un constat accablé – « Tu l’as gardé finalement » –, ma mère a répondu par un torrent de larmes.

Elle était à bout. Elle ne s’en sortait pas. Elle n’arrivait pas à l’aimer. Le l apostrophe, c’était moi. Ma mère a dit J’arrive pas à l’aimer ! entre deux sanglots, deux hoquets, la morve au nez.

Et c’était la vérité. Elle ne parvenait pas à m’aimer, et je veux bien la croire quand elle affirme qu’elle a essayé, à l’époque et depuis. Moi non plus je ne l’aime pas. Mais, en revanche, je n’ai jamais essayé. Ce que je ressens pour elle de plus positif consiste à quelques rares moments de culpabilité. Non pas de ne pas l’aimer, mais de ne pas chercher à la comprendre.

Elle, a été aimée, et désirée. Par Nino et par Bernard, mon grand-père, le faux sosie de Rex Harrison, décapité par une poutre IPN quand sa Peugeot 204 s’est encastrée sans freiner dans le camion de chantier qu’elle suivait de trop près. Ma mère était dans la voiture. De son enfance, Nino racontait que chaque étape avait été difficile, de l’apprentissage de la propreté au baccalauréat. Elle disait Je l’aimais, ta mère, mais c’est dingue ce qu’elle a pu m’emmerder !

Sans doute peut-on dater le moment où Nino a cessé d’aimer sa fille au soir de mon arrivée surprise dans sa vie. Ou plutôt à son lendemain matin. Une fois les larmes de ma mère taries, Nino lui a fait chauffer une soupe en sachet puis nous a mises au lit, elle et moi, dans l’unique chambre, elle-même se couchant sur le canapé du séjour.

Elle a été réveillée six heures plus tard par mes pleurs. J’avais faim. Ma mère avait laissé son sac de voyage dans lequel il y avait des couches, deux biberons, des boîtes de lait en poudre, des petits pots et mon carnet de santé. Et puis un mot : Pardon maman. Elle s’appelle Emma.

Nino m’a raconté qu’elle est restée debout à côté du lit à me regarder pleurer. Pas longtemps, juste quelques secondes, le temps de « se mettre les idées en place », comme elle aimait le dire. Puis elle m’a prise dans ses bras. Je me suis tue aussitôt. Nous nous sommes regardées. Nino a déposé un baiser léger sur mes lèvres et je lui ai souri.

Je n’ai jamais cessé depuis.

Nino a dit Bon, P’tit’ Miss, tu peux pas t’appeler Emma. Une gamine sur deux s’appelle Emma, cette année !… Tu vas t’appeler… Rebecca. Hitchcock, tu vas adorer. Ou alors, Gloria. Cassavetes, 1980, t’en penses quoi ?… Ou Gilda ? Ou bien Sabrina !

Oui, c’est bien, Sabrina : Audrey Hepburn, Billy Wilder, pas mal comme parrain et marraine ?…

Je me prénomme Laura.

Film d’Otto Preminger de 1944 avec, bien sûr, Gene Tierney dans le rôle-titre.

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.