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Course de côte : les Rangiers

La présence du public constitue un facteur déterminant dans l’organisation d’une course de côte.

Courses de côte en hibernation

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Impacté à des degrés divers par la crise sanitaire, le sport automobile s’adapte pour surfer sur les vagues successives du virus. Mais quelle est la réalité des joutes helvétiques, et plus particulièrement les courses de côte. Survivront-elles à ce coup d’arrêt ? Par Gérard Vallat

Les moteurs se sont tus le 15 septembre 2019, après que le drapeau à damier s’est abaissé devant Eric Berguerand, vainqueur de la course de côte Châtel-StDenis-Les Paccots. Puis le virus est arrivé, empêchant l’organisation de toute épreuve en 2020 et cette année. Néanmoins, la vie sportive a repris espoir avec la course de côte d’Oberhallau, unique lueur dans un horizon sombre pour tous, organisateurs, pilotes et fans d’une discipline si chère à notre pays.

A la fin du mois d’août, la course des Rangiers, seule inscrite au calendrier du championnat d’Europe, n’a pas fêté sa 77e édition. L’occasion d’évoquer la situation avec deux figures de la célèbre épreuve jurassienne.

ROLAND PIQUEREz, DIRECTEUR DE COURSE

AUTO ACS Renoncer à l’organisation de la course représente une perte importante ?

R P : Par bonheur, nos finances étaient saines, et l’année dernière, malgré l’annulation, nous avons été en mesure de tenir nos engagements financiers vis-àvis du canton, auquel nous devions une participation pour le nouveau revêtement de la piste. Il nous reste quelques sous en caisse.

N’auriez-vous pas pu organiser la course cette année ?

Notre budget habituel est d’environ CHF 450’000.-, dont un peu plus de la moitié provient de sponsoring. Pour cette édition, nous avions recalculé un

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plan financier, basé sur une économie de CHF 75’000.-, mais malgré nos efforts, il manquait encore CHF 100’000.- au mois de mai. La raison est facilement explicable: nos plus gros sponsors nous suivaient, mais les autres, essentiellement des PME, des restaurants, des garages, etc., ne pouvaient pas se permettre d’engager les mêmes montants que par le passé.

Cette crise a fait beaucoup souffrir les commerçants, il ne faut pas se le cacher. De plus, les mesures sanitaires exigeaient également des dépenses supplémentaires, et la manifestation sans spectateurs n’a de sens pour personne.

Avez-vous reçu des aides financières de l’Etat ?

Non. C’est Auto Sport Suisse, inscrit à Suisse Olympique, qui est éligible pour ces aides. Hélas, sur l’enveloppe globale versée pour le sport, l’automobile n’a perçu que des miettes.

Annulée en 2020 et cette année, la course pourra-t-elle être organisée en 2022 ?

Il n’a jamais été simple d’organiser la course, tant les éléments à mettre en place sont nombreux. Concernant les

Le passage du «Grippon», l’un des plus rapides de toutes les courses de côte.

autorisations, le canton du Jura nous a toujours soutenus et ce n’est pas un problème. Par contre, nous devions inscrire le 15 juillet déjà notre date à la FIA. Recevoir l’agrément «championnat d’Europe» est le point le plus exigeant de notre cahier des charges. Les normes sont très strictes, de nombreux observateurs se rendent sur place pour contrôler que tous les critères FIA soient respectés. Notre équipe est composée de bénévoles, ce qui ne rend pas vraiment la chose facile lorsqu’on doit répondre à des professionnels de l’exercice. Nous n’inscririons pas les Rangiers au CEM, tout serait beaucoup plus simple, mais nous tenons à cette inscription au calendrier du CEM. Le processus est lancé, nous devrions revivre la course de côte des Rangiers en 2022.

ROLAND BOSSY, PRÉPARATEUR ET PILOTE RECORDMAN DES RANGIERS EN 2003

AUTO ACS : Votre palmarès affiche nombre de victoires et de records en course de côte, que ce soit en Suisse ou à l’étranger. Vous avez désormais rangé le casque pour vous dédier à la préparation et au coaching de quelques pilotes. Comment définiriez-vous les qualités requises pour devenir un «roi de la montagne» ?

R B : La première chose à savoir, c’est que beaucoup de voitures sont construites spécifiquement pour la discipline, tout comme les pneumatiques. Pour l’exemple, l’Osella de Joël Grand, avec moteur, ne pèse que 370 kilos ! Suite page suivante

Ces autos sont très performantes et il est primordial de comprendre leur fonctionnement, notamment en déterminant les réglages spécifiques pour la course de côte. Parmi ceux-ci, l’aérodynamique joue un rôle très important. La vitesse aussi, bien entendu, mais pour l’atteindre au moment précis dans chaque passage, il faut avoir une charge aérodynamique qui la favorise. En ce domaine, j’amène à mes pilotes mon expérience et mon expertise. Ensuite, pour ce qui est de l’homme derrière son volant, il n’y a pas de normes définies.

En circuit, passablement de pilotes sont issus du karting, une sorte de passage obligé. Pour la course de côte, le chemin n’est pas le même. Un pilote peut rapidement avoir le bon feeling et débuter par la course de côte. Si je reviens à mon propre parcours, je n’ai jamais fait de karting. La course de côte a cette particularité de se jouer sur quatre à cinq montées, entre essais et course, ce qui représente souvent moins de dix minutes sur l’ensemble du week-end. Cela réclame un effort de concentration très intense. Et contrairement au circuit, l’adaptation à la vitesse doit impérativement se faire instantanément, le pilote n’ayant pas le moindre droit à l’erreur. Une seconde de déconcentration peut avoir des conséquences dramatiques. Pour devenir «un roi de la côte», il faut aussi avoir de l’expérience et vraiment savoir garder la tête froide.

Quelle est la marge de sécurité à conserver ?

Très difficile à dire. Suivant les conditions, on se trouve entre 90 et 110 % de notre

Roland Bossy, vainqueur et détenteur du record en 2003. pilotage. A certains moments, tu te sens vraiment bien, tu as l’impression d’avoir piloté à 90 %, d’avoir réalisé le meilleur chrono et tu te dis merde, j’aurais pu aller plus vite. A l’inverse, tu te mets parfois le couteau sous la gorge, tu montes à 110 %, en te faisant peur et quand la sanction tombe, tu n’as pas réalisé un bon temps. Il y a des week-ends avec et d’autres sans. Quand c’est «sans», il vaut mieux rester en dedans de tes capacités, car le risque est quand même très différent que sur un circuit. Mais quand les conditions sont réunies, que tu gagnes la course en établissant un nouveau record, la sensation est incroyable. Quand je l’ai fait en 2013, la concentration était telle que je me souviens avoir franchi la ligne d’arrivée avec une terrible douleur dans les yeux, n’avoir pris que deux respirations sur la montée et penser que j’avais perdu plus d’une seconde sur le temps de ma précédente montée. Je n’ai pas réagi immédiatement à cette performance.

Puisque nous sommes au pied des Rangiers, parlons de ce fameux passage du Grippon…

C’est peut-être le passage le plus rapide de toutes les courses de côte. A mon époque, en 2013, je passais à 245 km/h au niveau du garage, juste avant le Grippon. Il aurait été possible d’aller encore plus vite, mais on en revient à l’équation vitesse pure/ charge aérodynamique.Théoriquement, il serait possible de passer à 300 km/h, mais sans charge aéro suffisante, l’expérience pourrait se terminer dans le rail. «Sacrifier» de la vitesse au Grippon, avec un rapport un peu plus court et une bonne charge aérodynamique, te donnera davantage de vitesse dans la forêt. Mais même si une voiture est parfaitement réglée, c’est toujours celui qui se trouve entre le volant et l’arceau qui a le dernier mot. Maintenant, j’espère que tout le monde pourra retrouver dès l’an prochain les sensations procurées par cette belle course.

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