6 minute read

Passion – Aston Martin

Au service de sa Majesté Aston Martin

Jonathan Hartop est tombé tout petit dans la marmite Aston. Sans doute ce qui lui donne ce petit air d’agent secret. Rencontre dans son antre de Montchoisi, à Lausanne. Par Pierre Thaulaz

Advertisement

Jonathan Hartop au côté de la mythique DB5.

AUTO: Vous êtes né en Angleterre?

Jonathan Hartop : A quelques kilomètres de l’ancienne usine Aston Martin. J’ai trois sœurs aînées, dont une qui a 6 ans de plus que moi. On l’amenait à l’école et, en rentrant, ma mère s’arrêtait dans la petite ville de NewportPagnell. Elle me laissait sortir de notre vieille Morris Minor break et j’avais le droit de regarder les voitures.

Des modèles qui vous faisaient déjà rêver?

C‘était beau à voir, mais dans les années 60, on entendait surtout parler de Lotus et de formule 1. C’était l’époque des Jim Clark et Graham Hill, puis de Jochen Rindt et d’Emerson Fittipaldi.

Quand êtes-vous arrivé en Suisse?

A 8 ans. Par la suite, j’ai été renvoyé en Angleterre dans un internat. Puis j’ai perdu mes parents et ma sœur aînée est devenue ma représentante légale. A 16 ans je lui ai dit : «L’internat, ce n’est pas pour moi, je veux rentrer à la maison, en Suisse.»

Vous êtes donc plus Suisse qu’Anglais?

Je crois quand même, même si je ne renie pas mes origines britanniques. Une partie de la famille de mon père venait d’Aberdeen, en Ecosse.

C’était un homme de l’aviation?

Mon père était pilote de la RAF pendant la guerre. Il a rejoint la réserve en 1938, à l’âge de 20 ans. Il pilotait des bombardiers Hampden. Il a été capturé en 1941 près de Brest et il est resté dans différents camps de prisonniers, dont le dernier où il a passé plus de 2 ans. C’était le fameux camp qui a inspiré «La Grande évasion», le film avec Steve McQueen. Mon père préparait des cartes géographiques pour que d’autres prisonniers puissent s’échapper.

Un père de légende?

Il ne nous en a jamais parlé. Je suis toujours en contact avec son meilleur ami qui va vers ses 90 ans. Tous deux s’étaient rencontrés peu après la guerre. Il m’a dit : «Si je savais quelque chose, je te le dirais. On allait au pub, on buvait une bière, on parlait de voitures, on parlait de nos bonnes amies, on reparlait de voitures, et plus la soirée avançait et plus on parlait de nos bonnes amies. Mais de la guerre, non.»

Vous ne partagiez pas la même passion pour l’aviation?

Si, mais à 17 ans, je devais gagner ma vie et j’ai effectué un apprentissage de mécanicien auto. J’aimais bien bricoler, j’étais content d’apprendre dans un domaine qui m’intéressait déjà. Je suis entré dans le monde automobile sans jamais penser que j’allais y rester toute ma carrière. Ça fait plus de 40 ans.

Dont une bonne partie chez Aston Martin?

J’étais chez Rolls Royce Motor Cars International, à Lausanne, lorsque j’ai reçu un coup de téléphone de M. Keller (réd. : propriétaire du garage du même nom, à Genève). Il m’a dit de manière confidentielle qu’il était en train de discuter avec Aston. Dans les années 90, l’usine ne fabriquait que 45 voitures par année. Ils avaient l’idée de sortir la DB7, mais il fallait la distribuer. En fait, c’est un ancien de Rolls-Royce que je connaissais qui mettait en place les concessionnaires. Il avait dit à M. Keller : «Je veux bien vous donner Aston mais vous allez chercher Hartop.» Mais ça, je l’ai appris longtemps après. J’avais 34 ans et j’ai appelé ce copain à l’usine Aston. C’est clair qu’il ne pouvait pas me dire grandchose, donc je lui posais des questions et en même temps je faisais les réponses. Et ça me donnait une idée de ce qu’il avait en tête.

LA DB5 C’EST UN MYTHE,

NE SERAIT-CE QUE GRÂCE À JAMES BOND.

Et ça vous a convaincu?

Pas seulement. La première fois que j’ai vu la DB7 qui a été lancée au Salon de Genève, en 1993, je l’ai trouvée magnifique. J’ai pensé : «Cette voiture va marcher».

Et pourquoi avoir quitté Genève pour Lausanne?

Le Garage Keller a été vendu à de nouveaux propriétaires autrichiens avec qui je ne m’entendais pas trop. On s’est séparés en 2007 et en 2008 j’ouvrais ici. J’ai toujours pensé que Lausanne était une ville qui correspondait bien à Aston, à savoir discrétion, classe et élégance. On est proche de la gare et l’avenue Montchoisi qui descend jusqu’à Pully est une artère assez bien fréquentée.

Vos clients sont plutôt adeptes de voitures classiques?

On a un joli mélange. On peut s’occuper des anciennes Aston DB4, DB5, DB6, voire des V8 des années 70-80. On fait aussi pas mal de DB7.

La plus élégante, la DB5?

La DB5 c’est un mythe, ne serait-ce que grâce à James Bond. C’est aussi un modèle très abouti, une évolution de la DB4 de 1958. La base a été dessinée par Aston et après Touring s’est chargée de peaufiner le design. Le moteur tout alu, double arbre, 4 litres de cylindrée, 280 ch, plus de 300 ch pour la version GT, a beaucoup de couple. On n’est jamais vraiment dans les hauts régimes, rien à voir avec certaines italiennes de l’époque.

D’autres modèles qui vous plaisent?

J’ai eu l’occasion de rouler dans une Ulster, un modèle des années 30. Une expérience extraordinaire. La V8 des années 70-80 est une belle auto, du travail entièrement fait à la main, mais ce n’est pas ma préférée. Par contre, j’aime beaucoup la DB7.

David Brown n’était plus en vie?

Il est mort en 1993. Ils lui avaient demandé de pouvoir utiliser les initiales.

C’est quelqu’un d’important pour la marque?

Sans lui la marque n’existerait pas. Juste après la guerre, les petits constructeurs avaient de grandes difficultés financières et il a racheté Aston Martin pratiquement pour un franc symbolique. La même année il a repris Lagonda. Il avait ainsi accès à l’extraordinaire 12-cylindres de 4 litres et demi conçu par Monsieur Bentley.

La magie Aston Martin-Lagonda opère encore?

Oui, il y a toujours une ferveur pour cette marque plus que centenaire et qui a une histoire assez particulière, souvent au bord de la rupture. Ce sont chaque fois des passionnés qui l’ont sauvée.

On parle beaucoup d’Aston Martin en ce moment, pas forcément de manière positive?

On ne va pas se voiler la face. La nouvelle Vantage est une excellente voiture, les acheteurs en sont enchantés, mais elle n’a pas eu le démarrage souhaité. C’est une version un peu plus sportive, un peu plus tapageuse, et les anciens clients Aston ne s’y retrouvent peut-être pas vraiment. Il faut un peu de temps, mais je pense que ce modèle va marcher. Il y a beaucoup d’espoir avec la nouvelle DBX de 550 ch, une voiture au design très élégant. Les livraisons vont commencer dans un peu plus de 5 mois, on verra ce qu’on verra.

Donc plutôt optimiste?

Très optimiste. Maintenant, la situation économique dans le monde est ce qu’elle est.

On évoque de nouveaux investisseurs?

On parle en effet d’un Canadien qui reprendrait une bonne partie des actions. C’est un peu l’histoire d’Aston Martin qui se répète.

Vous repensez parfois aux différents lieux de votre enfance?

Oui, dès lors que certains anniversaires pas très agréables font qu’on repense à notre jeunesse. Le break Saab que vous voyez dehors, je l’ai vu par hasard à Paris. Mon père s’était offert le même modèle en 1968, à la couleur près. C’était sa première voiture neuve, on était quatre gamins, les chiens… Il y a l’aspect émotionnel, on ne réfléchit pas, on achète !

This article is from: