LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 13 janvier 2014 - Numéro 2 - 1,15 Euro - 95e année
Cour de Cassation
Jean-Claude Marin, Jean-Marc Ayrault et Vincent Lamanda. A l’arrière plan, Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel
RENTRÉE SOLENNELLE
Cour de Cassation - Elaborer un droit répondant aux exigences de notre temps par Vincent Lamanda ............................................................. 2 - Moderniser le Ministère public par Jean-Claude Marin ..... 6 l Cour d’appel de Douai et 300ème anniversaire du Parlement de Flandre - Renouer avec le passé pour affronter les défis de demain par Dominique Lottin ....................... 9 - Aimer rendre la Justice par Olivier de Baynast ............ 12 l
VIE DU DROIT
Ordre des Avocats aux Conseils Hélène Farge succèdera à Gilles Thouvenin ...................... 15 l La Justice du 21ème siècle - L’intelligence participative par Jean-Marc Ayrault .......... 16 - Placer le citoyen au cœur de la Justice du 21ème siècle ....... 18 - Contribution du Syndicat des Avocats de France ............... 21 l
ANNONCES LÉGALES ........................................ 26 ADJUDICATIONS .................................................. 32 DÉCORATION l
Jacqueline Renia Chevalier de la Légion d’honneur ..... 40
C
’est notamment en présence du premier Ministre Jean-Marc Ayrault, des Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel, du Président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré, du vicePrésident du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé ainsi que de la Garde des Sceaux Christiane Taubira que s’est déroulée l’audience solennelle de début d’année de la Cour de cassation jeudi dernier. Prenant la parole en premier, le Premier Président Vincent Lamanda a choisi pour sa dernière rentrée en qualité de chef de la Cour suprême du quai de l’horloge, de parler de la première mission de la Cour de cassation : « dire le droit ». Cette mission du « Tribunal de cassation » a considérablement évolué en deux siècles, face aux profondes mutations sociétales actuelles largement influencées par les nouvelles technologies, le fond du droit a progressé et le brillant orateur a parfaitement démontré que les juges de cassation, guidés par un impératif de sécurité juridique, avaient pour préoccupation majeure « la progression du droit ».
Quant au Procureur Général Jean-Claude Marin, il a choisi de parler d’un beau et noble sujet : « Le Ministère public français » ; considérant que cette institution « avait atteint un point critique dans son fonctionnement », il a déclaré qu’il fallait « sortir de l’ambiguïté majeure entre le lien avec le pouvoir exécutif et l’exercice visiblement impartial de l’action publique ». Puisque l’on cherche à dissiper des soupçons qui naissent du lien entre le pouvoir exécutif et les Parquets « lien souvent décrit comme un levier politique sur l’action publique », il faut « libérer le pouvoir exécutif du choix des grands décideurs du Ministère public » a-t-il ajouté. Pour conclure, il a cité son prédécesseur Jean-Louis Nadal qui déclarait le 7 janvier 2011 : « Je crois venu le temps d’un pouvoir exécutif se maintenant en dehors des nominations des magistrats du Parquet… et d’instaurer un véritable pouvoir judiciaire, avec ses deux composantes du Siège et du Parquet, reposant sur une organisation cohérente du sommet à la base et déconnecté du pouvoir exécutif ». Jean-René Tancrède
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Audience Solennelle de début d’année, 9 janvier 2014
LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr e-mail : as@annoncesdelaseine.fr
Alain Lacabarats, Lionel Guérin, Vincent Lamanda et Françoise Laporte
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Rentrée solennelle
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Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas
Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de lʼannonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera lʼéquivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs dʼinterlignes séparant les lignes de titres nʼexcéderont pas lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de lʼannonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs dʼinterlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. Lʼespace blanc compris entre le filet et le début de lʼannonce sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de lʼannonce et le filet séparatif. Lʼensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de lʼannonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début dʼun paragraphe où dʼun alinéa sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans lʼéventualité où lʼéditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
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Elaborer un droit répondant aux exigences de notre temps par Vincent Lamanda
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onsieur le Premier ministre, Nous recevons, en vous, le chef d’un gouvernement qui a placé la justice au rang de ses priorités. Votre venue dans cette enceinte, à l’occasion de la cérémonie marquant le début de la nouvelle année, témoigne de la considération qu’à travers la Cour de cassation, vous portez à l’institution judiciaire tout entière. Cette preuve d’égard nous est précieuse. Aussi m’est-il particulièrement agréable de vous accueillir et de vous assurer de notre profonde gratitude. Messieurs les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, Le juge est complémentaire du législateur. En assurant l’application de la loi à des situations concrètes, les juridictions donnent à celle-ci sa pleine expression et lui confèrent toute sa force, par le truchement de l’autorité de la chose jugée. En vous joignant à nous ce soir, avec Monsieur le président de la commission des lois du Sénat, vous soulignez cette complémentarité du juge et du législateur, en même temps que vous nous apportez un soutien stimulant. Sachez combien nous y sommes sensibles. Madame la garde des Sceaux, Vous nous faites, cette fois encore, l’honneur de votre présence. Soyez-en vivement remerciée. Signe de votre engagement constant envers les services judiciaires et de votre attachement à notre Cour, cette attention nous touche. Nous vous sommes reconnaissants de votre action lucide en faveur d’une justice apaisée, humaine, efficace, protectrice des libertés et facteur d’équilibres. Excellences, Mesdames et Messieurs les hautes personnalités, Votre fidélité à nos audiences solennelles nous gratifie, au sens plein du terme. En répondant à notre invitation, votre amicale participation souligne à nouveau la force des liens d’estime qui nous unissent. Chacun des membres de la Cour vous sait gré de ce témoignage.
Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, Un patricien romain, disait-on, portait dans les plis de sa toge la perte ou le salut de ses clients. Notre destin tient, de même, au moins en partie, dans les plis du voile qui enveloppe mystérieusement l’année nouvelle, cette inconnue dont on ne peut encore discerner les traits. Mais il n’importe pas tant de découvrir d’emblée ce qu’elle dissimule d’imprévu. L’essentiel – nos dispositions intérieures pour accueillir les événements à venir –, les plis de son manteau ne sauraient le receler. Il ne dépend que de nous, au fil des jours et des mois, face à l’adversité ou au succès, dans la peine ou dans la joie, de réagir toujours à bon escient. Soyons donc prêts à recevoir avec une même force d’âme la douleur comme le bonheur, les blessures capables de nous faire souffrir comme la réussite qui pourrait nous griser. La Cour, qui espère ardemment que les circonstances favorables l’emporteront sur les situations fâcheuses, forme à l’intention de chacun d’entre vous des vœux sincères de santé, de félicité et de prospérité. Lacérémoniequinousréunitesttraditionnellement l’occasion d’un retour, en forme de bilan, sur l’activité de la juridiction durant l’année écoulée. La plaquette que vous avez trouvée sur votre siège, esquisse à grands traits l’action de la Cour de cassation en 2013. Ces données statistiques ne peuvent cependant rendre compte de la richesse et de la profondeur du travail judiciaire. Car, par-delà les chiffres et leur aridité, le juge contribue à l’évolution de notre société, en même temps qu’il en reçoit les influences. Dire le droit, veiller à l’unité d’interprétation de la règle, telle est la mission première de notre Cour. Une mission dont les modalités ont évolué et qui l’a conduite à dégager des solutions révélatrices ou annonciatrices des profondes mutations de notre temps. Permettez-moi de revenir avec vous sur ces évolutions. « Si cette jurisprudence des tribunaux, la plus détestable des institutions, existait, il faudrait la détruire ». Cette sentence d’Isaac-René-Guy Le Chapelier trahit, en 1790, les aspirations des révolutionnaires à une justice sans juge. « La justice, disait Robespierre, n’a pas besoin de juristes ». « Le mot de jurisprudence doit être banni de la langue française ».
Les Annonces de la Seine - Lundi 13 janvier 2014 - numéro 2
Rentrée solennelle D’interprète, le juge devient créateur. Après un demi-siècle d’immobilisme, la Cour de cassation, au sein de laquelle siègent alors d’anciens députés ou sénateurs, endosse, à de nombreuses reprises, les habits du législateur pour édicter des solutions que les juridictions respecteront à l’égal de la loi : responsabilité objective, abus du droit, enrichissement sans cause, régime de la personnalité morale, principes du droit international privé. Ces constructions prétoriennes jouiront d’une étonnante faculté de résistance : aucun des régimes spéciaux d’indemnisation qu’instituera ensuite le Parlement, n’ébranlera, par exemple, les principes généraux de responsabilité du fait des choses et d’autrui. Si le juge est resté le serviteur de la loi parce qu’elle est la volonté du peuple souverain, la deuxième moitié du XXème siècle verra naître la « figure inouïe d’un juge censeur » de celle-ci. Il faut dire que les Etats se sont eux-mêmes liés en s’intégrant dans des ordres juridiques supérieurs : celui de l’Union européenne et celui de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La primauté de ces « droits venus d’ailleurs » offre au juge la possibilité d’écarter une législation incompatible avec les engagements internationaux de la France. Le Constituant achèvera ce processus en 2008, en créant un contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois. Alors que la Cour avait pris soin de ne point s’ériger en juge constitutionnel, la voici investie d’une mission singulière de filtrage l’instituant, presque insidieusement, en juge de premier degré, « négatif » diront certains, de la conformité de dispositions législatives à la Constitution.
Les instruments sont identiques. L’orchestre paraît semblable. Mais il ne joue plus la même partition. Changement de registre et de ton : une lente évolution aura conduit à une mutation du rapport du juge à la loi. Le cadre traditionnel de référence du magistrat s’est modifié. Devenue multiforme, la loi est souvent querellée, parfois supplantée par un droit flexible et contingent. Et l’on se surprend à entendre, dans cette salle toute dévolue à sa glorification, qu’elle violerait les principes les plus fondamentaux. Là où il s’agissait hier d’offrir une déclinaison aux maximes intemporelles de la loi et de leur donner sens dans la singularité d’une espèce, l’enjeu semble aujourd’hui davantage, pour le juge, de découvrir ou redécouvrir, par-delà les législations de détails, ce qui fonde en tout une cohérence, de rechercher l’équilibre entre des normes qui de plus en plus s’entrechoquent. Autre époque, autre état d’esprit ; les institutions évoluent ; le fond du droit aussi… Fort des héritages du passé, le XIXème siècle a d’abord été matérialiste. La propriété et le contrat dominent. Le travail se pense en « louage d’ouvrage ». Le droit est principalement centré sur les biens. Vinrent ensuite de nouveaux défis. Aux prises avec les excès du machinisme industriel et dans une atmosphère enfiévrée marquée par les aspirations, parfois contradictoires, des associations ouvrières et des congrégations, le juge se trouvera, à l’aube des années 1900, confronté à la « question sociale ». Les libertés collectives sont à l’honneur. La personne, dans ses appartenances et ses sujétions, affleure. On se querelle sur la « fonction sociale » des droits subjectifs, et l’on s’interroge sur
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On répétait alors, en écho, ces terribles formules de Montesquieu : « les juges de la nation ne sont […] que la bouche qui prononce les paroles de la loi » ; « des trois puissances, celle de juger est en quelque sorte nulle ». Aussi, le rôle du Tribunal de cassation fut-il d’abord essentiellement disciplinaire, voué, conformément au souhait de ses concepteurs, à sanctionner les « contraventions expresses au texte de la loi ». Toute interprétation paraît suspecte. Elle le demeurera, jusque sous la plume du doyen Carbonnier, y décelant une « forme juridique de la désobéissance ». Pourtant, il n’est guère d’énoncé qui ne doive être interprété, guère de norme qui, devant la multiplicité des sens possibles, ne puisse s’affirmer sans une entremise éclairée. Dès 1804, Portalis relève, dans son Discours préliminaire au projet de code civil, que si l’office du législateur est « de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquences », « c’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application ». S’évadant du strict rôle de gardienne de la légalité, la jurisprudence se dépouillera peu à peu « de sa livrée de serviteur de la loi ». Contemplateur du code civil, le juge du XIXème siècle en célèbre encore le culte. C’est le temps de l’Exégèse, qui prétend trouver dans la lettre du code et l’intention du législateur toutes les solutions aux questions qui peuvent se présenter. Mais cette méthode marque bientôt ses limites, au point d’être regardée comme sclérosante. L’avènement d’un « droit de professeurs », au nom de la « science » ou de la « révolte des faits contre le code », couronne la jurisprudence comme « coutume » ou « propulseur de coutume ».
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Vie du droit
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La Cour ne peut pas toujours répondre aux attentes. Elle prend acte souvent des évolutions, comme en matière de bonnes mœurs32, les devance rarement, et parfois se trouve contrainte de les modérer. Là encore, dans la relation à autrui, un désir profond de protection se cache derrière les revendications. Dans une « société du risque » marquée par les traumatismes du XXème siècle ayant ébranlé les certitudes d’un positivisme triomphant, le progrès, autrefois porté aux nues, est devenu une source d’appréhension. L’obligation de sécurité de résultat de l’employeur envers ses salariés, continûment affirmée par la Cour, y déploie tous ses effets, face aux dangers33, aux angoisses34 et aux souffrances35 dont pâtissent trop souvent les entreprises humaines. La santé est protégée36. Le patient est informé des risques encourus37 ; le consommateur mis en garde contre ceux-ci38. La victime peut obtenir l’entière réparation d’un préjudice aux formes parfois nouvelles39. Responsabilité sans faute, obligation de garantie, mécanismes de solidarité et régimes spéciaux d’indemnisation imprègnent notre jurisprudence40, signes d’une société où le fait de l’homme tout à la fois nous protège et nous expose. Alors que les techniques nous offrent d’agir sur le monde et d’entr’apercevoir les enjeux d’une telle action, l’humanité entière devient objet de préoccupation. À de nouveaux périls, collectifs ou sériels, répond l’émergence d’un principe de précaution, modèle de comportement en situation d’incertitude scientifique dont la jurisprudence se fait l’écho41. La préservation de l’environnement, condition du devenir humain, s’est érigée en souci majeur de notre temps 42. La problématique des pollutions et déchets est de plus en plus souvent évoquée43 ; l’existence d’un préjudice écologique indemnisable désormais consacrée44. Notre rapport à l’espace a aussi changé. L’homme multiplie les occasions de rencontres entre cultures avec leur lot tant de richesses que de litiges intéressant le droit international privé45.
Chacun peut aujourd’hui saisir dans sa paume tout un univers, à l’aide d’un téléphone cellulaire connecté au web. Le réseau amplifie les conséquences possibles d’un acte, multipliant les rattachements potentiels à des systèmes juridiques différents. Il a été jugé que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître d’un dommage causé sur notre territoire par un site internet étranger, même passif46. Le vocabulaire peut être trompeur. Ainsi, l’expression « nuage de données » occulte la réalité de serveurs informatiques disséminés de par le monde. Exploitables en France, les éléments qui y sont stockées, pourront être saisis47. Les frontières entre vie privée et sphère publique se distordent48. Les structures traditionnelles de la temporalité se trouvent transformées, en un espace où tout demeure toujours actuel, toujours présent, où rien ne se perd, hormis peut-être ce qui permet d’identifier l’origine d’une information et de connaître la date de sa mise en ligne. Paradoxalement, si le droit à l’oubli est réclamé, on invoque pourtant, devant le juge, la mémoire inaltérable de l’internet pour justifier que ce qu’il véhicule ne puisse se périmer, se prescrire en somme49. Le savoir lui-même, selon certains, est comme réinventé. Force est de constater que le risque d’appropriation d’œuvres protégées s’est accru50. La preuve d’un fait ou d’un acte juridique, devenu immatériel, est repensée51, tandis que les procédures devant les juridictions ouvrent, à mesure de leur dématérialisation, de nouveaux horizons, gages de sécurité et d’efficacité pour une justice moderne. La mise en place, voilà quelques semaines, de la signature électronique des arrêts de la Cour de cassation52 fait entrevoir certaines des nombreuses interrogations sur cette « minute » dématérialisée qu’il nous faudra conserver et laisser lisible au lecteur de demain dont l’œil seul et sa maîtrise de la langue ne suffiront plus, sans l’aide d’un logiciel, à lui en donner la pleine connaissance. Une réflexion à laquelle est associé notre greffe, dont l’excellent travail est si essentiel à la bonne marche de notre Cour.
Christiane Taubira et Jean-Claude Marin
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l’autonomie de la volonté tandis que monte l’idée d’un droit du travail. L’ère de l’atome marquera ensuite les sciences et les consciences. Le temps est à la « déconstruction ». Les regards se portent vers le sujet. La Cour dessine, dans les dernières années du XXème siècle, selon les mots du professeur Malaurie, « une nouvelle éthique et le visage du nouvel humanisme ». La personne est au cœur de la jurisprudence. En moins de deux décennies, elle verra sa nature profonde et sa place dans le monde réinterrogées, alors qu’une « manière d’être, de connaître et de vivre ensemble », différente, se construit. Ici, l’épanouissement personnel est posé comme ambition. L’individu veut se forger une identité « physique » ou « numérique ». Il revendique de pouvoir savoir ou choisir qui il est : connaître ses origines1, définir son genre, modifier son état civil, construire sa filiation. En ce dernier domaine, l’expertise biologique est de droit sauf motif légitime, répondra la Cour2. La rectification du sexe dans l’acte de naissance sera admise, sous condition3 ; l’adoption au sein des couples non-mariés4 et la gestation pour autrui5 en revanche refusées, le juge ne pouvant écarter des dispositions suffisamment nettes et se substituer au législateur. Là, l’homme moderne veut contrôler ce qu’il donne à voir et être reconnu pour ce qu’il est, soucieux autant de sa place que des traces qui peuvent le trahir6. Il s’inquiète de propos abusifs sur internet7, comme des fonctionnalités de moteurs de recherche de nature à lui nuire, par le simple jeu de rapprochements, sans même qu’intervienne une intention maligne8. Ce sont la dignité, la vie privée, la réputation et l’intégrité personnelle qu’il souhaite voir protéger. La jurisprudence édifie des sanctuaires autour du nom, de l’image, de la mémoire et du corps9, sous certaines réserves toutefois tenant notamment à la nécessaire information du public10. De la ville à la prison, on interroge la Cour sur les conditions de son hébergement11, sur la nature de son travail12, sur le respect de ses convictions13, quand il n’est pas simplement question du droit de vivre décemment14. Porté par le progrès technique, la protection de l’être déborde même les limites de la personnalité, lorsqu’il advient à notre juridiction de se prononcer sur le sort d’un enfant sans vie15, ou de refuser telle intrusion post-mortem16. En un temps où chacun peut à son insu être aisément géo-localisé17, épié18, écouté19, enregistré20, la Cour s’attache à réfréner les excès. Gardienne de la liberté individuelle et protectrice du droit à la sûreté, elle veille à ce qu’il ne leur soit pas porté atteinte abusivement21 : le droit au silence et à l’assistance d’un avocat a été affirmé22 ; le rôle du juge dans le contrôle du bien fondé, du déroulement ou de la durée d’une mesure de police administrative23 ou judiciaire24, rappelé. Soucieux d’eux-mêmes, nos contemporains sont aussi attentifs aux modalités de leur rapport à l’autre. Nos arrêts en portent témoignage, confrontés, bien avant que ne s’en saisisse la loi, aux demandes de reconnaissance d’une union entre personnes de même sexe 25 ou d’organisation d’une homoparentalité de fait26. L’intérêt supérieur de l’enfant guide nombre de solutions27. Une espérance en l’égalité entre les hommes et les femmes, comme entre salariés d’une même catégorie, se manifeste dans les pourvois28 ; les discriminations, fondées sur l’âge29, le handicap30, l’origine ou la nationalité31, sont sanctionnées.
Rentrée solennelle Plus qu’hier, les techniques mettent en jeu l’être même, son identité, ses relations. Les confins de la vérité, de l’authenticité, de l’espace et de la temporalité se trouvent ainsi bouleversées. Autant de questions invitant à une approche prudente, au sens étymologique du terme, qui renvoie non à une attitude timorée ou frileuse, mais à une démarche de sagesse, indissociable de l’élaboration de la « juris-prudence ». Celle-ci a cette chance de se construire pas à pas, à la faveur des moyens soulevés. Elle s’éprouve dans la durée, comme dans le dialogue entre juges, ainsi qu’avec les acteurs du procès et les partenaires de justice. Devant notre Cour, l’apport des avocats aux Conseils est déterminant. Le président de l’ordre et le dauphin, que je complimente pour son élection, savent le prix que nous y attachons. Sont, de même, essentiels les relations entre la Cour de cassation et les juridictions du fond. Dans ce processus, une forme de divergence d’interprétation doit rester possible. Aux arrêts de la Cour, les juges de premier degré et d’appel peuvent se conformer, ajouter, mais aussi résister. Ces rébellions, qui suscitent parfois à tort la suspicion, permettent de confronter aux faits les solutions dégagées, en y joignant une saine « pesée humaine ». Elles conduisent, en moyenne une fois sur deux, notre assemblée plénière à donner raison à la juridiction de renvoi, preuve de la fécondité d’un débat qui ne s’offre pas en marché de dupe. La force de la Cour de cassation réside alors dans ses délais de traitement, parmi les plus brefs d’Europe, qui rendent possible un tel dialogue, sans préjudicier au justiciable. Celui-ci sait qu’en cas de nouveau pourvoi, une réponse lui sera donnée, en matière civile, environ six mois après le dépôt des mémoires des parties. La jurisprudence se fortifie ainsi de l’autorité de solutions, non pas imposées d’en haut, mais mûries et patiemment construites avec les cours et tribunaux. Les échanges avec les juridictions de tous ordres, françaises, européennes et internationales, dont je salue les représentants, sont aussi riches d’enseignements. La Cour entretient encore un dialogue nourri avec le législateur et le gouvernement, soit que, dans son rapport annuel, elle propose une réforme, ou que, par les motifs d’une décision, elle suggère une modification des textes. Non moins prégnant est le rôle de la doctrine, dont les commentaires – peu le savent – sont toujours minutieusement analysés par le service de documentation, des études et du rapport, jusqu’à susciter la réunion d’une chambre mixte ou de l’assemblée plénière pour que soit prise une position plus solennelle, mieux éclairée, sur une question d’importance. Ouvert sur le monde, le juge reste à l’écoute de la société. D’aucuns imaginent notre Cour arcboutée sur le passé. L’on ne peut que leur concéder un souci de stabilité, guidé par un impératif de sécurité juridique. Mais la jurisprudence n’est pas figée. La progression du droit demeure la préoccupation majeure. Au-delà des statistiques et de la recherche quelque peu illusoire d’une « performance », c’est donc bien l’élaboration d’un droit répondant aux exigences de notre temps, qui guide l’action de nos juridictions.
Des réflexions ont récemment été engagées sur la justice du XXIème siècle. Beaucoup d’idées originales illustrant ce qu’il faut faire – et peut-être aussi ce qu’il ne faut pas faire – ont été avancées. Nul doute que, de ce foisonnement, naîtront de riches discussions. Formons le vœu qu’à cette occasion, tous s’attachent à défendre et promouvoir un état d’esprit, nourri de fierté collective pour l’institution judiciaire et de confiance partagée en l’œuvre de justice. Les membres du Conseil supérieur de la magistrature, aux côtés desquels j’ai grand plaisir à siéger, mesurent chaque jour combien nos magistrats agissent avec conscience, clairvoyance et cœur. Les juges concourent à l’équilibre de notre société, dont ils accompagnent les mouvements. Ils n’ont pas à rougir de cet exercice. Tout en gagnant le pari de la quantité, ils ont su éviter de se perdre dans des logiques par trop comptables, pour s’attacher à la qualité des réponses données, en adéquation avec les situations, souvent délicates, parfois dramatiques, dont ils ont à connaître. Par-delà d’éventuelles réformes, c’est grâce à la force vive de leur engagement que la justice pourra répondre aux enjeux de ce millénaire. En cet instant particulier, leur rendre hommage me tenait à cœur. 2014-14
Rappr. 1re civ. 7 avr. 2006, n° 05-11285 Ass. plén. 23 nov. 2007, n° 06-10039 ; 1re civ. 28 mars 2000, n° 98-12809 ; 12 mai 2004, n° 02-16152 ; 3 nov. 2004, n° 02-11699 ; 6 déc. 2005, n° 03-15588 ; 7 juin 2006, n° 03-16204 ; 16 juin 2011, n° 08-20475 ; 15 mai 2013, n° 11-12569 3 re 1 civ. 7 juin 2012, n° 11-22490 et 10-26947 ; 13 févr. 2013, n° 11-14515 et 12-11949 4 re 1 civ. 20 févr. 2007, n° 04-15676 et 06-15647 ; 19 déc. 2007, n° 06-21369 ; 8 juil. 2010, QPC, n° 10-10385 ; 9 mars 2011, n° 10-10385 5 re 1 civ. 9 déc. 2003, n° 01-03927 ; 17 déc. 2008, n° 07-20468 ; 6 avr. 2011, n° 09-17130, 09-66486 et 10-19053 ; 13 sept. 2013, n° 12-18315 et 12-30138 6 Soc. 15 déc. 2009, n° 07-44264 ; Crim. 13 janv. 2009, n° 08-84088 ; 16 juin 2009, n° 08-88560 ; 8 avr. 2010, n° 08-87415 et 08-87416 ; 30 nov. 2011, n° 10-81748 et 10-8174 ; 24 avr. 2013, n° 12-80331, 12-80.332, 12-80.335, 12-80.336 et 12-80.346 7 1re civ. 6 oct. 2011, n° 10-18142 ; Crim. 10 mai 2005, n° 04-84705 ; 16 févr. 2010, n° 08-86301 et 09-81064 8 re 1 civ. 19 févr. 2013, n° 12-12798 ; 19 juin 2013, n° 12-17591 9 Ass. plén. 16 févr. 2007, n° 06-81785 ; 1re civ. 20 déc. 2000, n° 98-13875 ; 20 févr. 2001, n° 98-23471 ; 7 févr. 2006, n° 04-10941 ; 22 oct. 2009, n° 08-10557 ; 1er juil. 2010, n° 09-15479 ; 16 sept. 2010, n° 09-67456 ; 6 oct. 2011, n° 10-21822 ; 29 févr. 2012, n° 11-12460 ; Com. 25 juin 2013, n° 12-17037 ; Crim. 11 mars 2008, n° 06-84712 ; 12 mai 2009, n° 08-85732 ; 18 janv. 2012, n° 11-84941 10 re 1 civ. 7 févr. 2006, n° 04-10941 ; 7 mars 2006, n° 05-16059 ; 2e civ. 25 nov. 2004, n° 02-20424 ; 16 oct. 2013, n° 12-35434 11 3e civ. 19 mars 2008, n° 07-12103 ; 4 mars 2009, n° 07-20578 ; 3 févr. 2010, n° 08-20176 et 08-21205 ; Crim. 20 janv. 2009, n° 08-82807 12 re 1 civ. 24 avr. 2013, n° 11-19091 et s. ; Soc. 3 juin 2009, n° 08-40981 et s. ; 20 mars 2013, QPC, n° 10-40104 et 10-40105 13 re 1 civ. 21 juin 2005, n° 02-19831 ; Soc. 19 mars 2013, n° 11-28845 et 12-11690 14 e 3 civ. 4 nov. 2009, n° 08-17381 ; 20 janv. 2010, n° 08-16088 ; 30 juin 2011, QPC, n° 11-40017 et 11-40018 ; 12 sept. 2012, n° 11-18073 ; 27 févr. 2013, n° 12-11995 15 re 1 civ. 6 févr. 2008, n° 06-16498, 06-16499 et 06-16500 16 re 1 civ. 3 nov. 2004, n° 02-11699 ; 2 avr. 2008, n° 06-10256 et 07-11639 ; 6 juil. 2011, QPC, n° 11-10769 17 Soc. 3 nov. 2011, n° 10-18036 ; Crim. 22 nov. 2011, n° 11-84308 ; 22 oct. 2013, n° 13-81945 et 13-81949 18 re 1 civ. 24 sept. 2009, n° 08-19482 ; Soc. 25 nov. 2005, 03-41401 ; 3 déc. 2008, n° 07-43301 ; Crim. 7 févr. 2007, n° 06-87.753 ; 4 juin 2008, 08-81045 ; 27 mai 2009, n° 09-82115 ; 23 janv. 2013, n° 12-85059 19 Soc. 23 mai 2007, n° 06-43209 ; Crim. 9 juil. 2008, n° 08-82091 20 Ass. plén. 7 janv. 2011, n° 09-14316 et 09-14667 ; 1re civ. 18 mai 2005, n° 04-13745 ; 17 juin 2009, n° 07-21796 ; 6 oct. 2011, n° 10-21822 et 10-21823 ; Com. 3 juin 2008, n° 07-17147 et 07-17196 ; Soc. 23 mai 2007, n° 06-43209 ; Crim. 31 janv. 2007, n° 06-82383 ; 31 janv. 2012, n°11-85464 21 Sur notamment la garde à vue : Crim. 31 mai 2010, QPC, n° 10-81098 et s. ; 11 mai 2011, n° 10-84251 ; 31 mai 2011, n° 10-88293, 10-88809, 11-80034 et 11-81412 ; 27 sept. 2011, n° 11-81458 ; 9 nov. 2011, n° 05-87745 et 09-86381 ; 6 déc. 2011, n° 11-80326 ; 7 févr. 2012, n° 11-83676 ; 14 févr. 2012, 1 2
n° 11-84694 ; 6 mars 2012, n° 11-84711 ; 11 avr. 2012, QPC, n° 11-87333 ; 3 mai 2012, n° 11-88725 ; 10 mai 2012, n° 11-87328 ; 13 juin 2012, 10-82420 et 11-81573 ; 11 juil. 2012, n° 12-82136 ; 19 sept. 2012, n° 11-88111 22 Ass. plén. 15 avr. 2011, n° 10-17049, 10-30242, 10-30313 et 10-30316 ; Crim. 19 oct. 2010, n° 10-82306, 10-82902 et 10-85051 23 re 1 civ. 16 avr. 2008, n° 06-20390, 06-20391 et 06-20978 ; 25 mars 2009, n° 08-14125 ; 6 juin 2012, n° 10-25233 ; 5 juil. 2012, n° 11-19250, 11-30371 et 11-30530 24 Crim. 15 déc. 2010, n° 10-83674 25 re 1 , civ. 13 mars 2007, n° 05-16627 ; 16 nov. 2010, QPC, n° 10-40042 26 re 1 civ. 24 févr. 2006, n° 04-17090 ; 16 avr. 2008, n° 07-11273 ; 8 juil. 2010, n° 09-12623 27 re 1 civ. 18 mai 2005, n° 02-16336 et 02-20613 ; 24 octobre 2012, n° 11-18849 28 Ass. plén. 27 févr. 2009, n° 08-40059 ; 1re civ. 9 oct. 2013, QPC, n° 13-40053 ; 2e civ. 21 déc. 2006, n° 04-30586 ; 19 févr. 2009, n° 07-20668 ; 11 mars 2010, n° 09-65853 ; 16 déc. 2010, n° 10-11660 ; 12 juil. 2012, n° 10-24661 ; Soc. 16 déc. 2008, n° 06-45262 et 07-42107 ; 4 févr. 2009, n° 07-41406 et s. ; 6 juil. 2010, n° 09-40021 et 09-41354 ; 8 juin 2011, n° 10-11933, 10-13663 et 10-14725 ; 13 mars 2013, n° 11-20490 et s. 29 Soc. 11 mai 2010, n° 08-43681 et 08-45307 ; 16 févr. 2011, n° 09-72061 ; 10-10465 30 Soc. 25 janvier 2011, n° 09-72834 31 Ass. plén. 16 avr. 2004, n° 02-30157 ; 5 avr. 2013, n° 11-17520 et 11-18947 ; 2e civ. 14 sept. 2006, n° 04-30837 ; 6 déc. 2006, n° 05-12666 ; 19 févr. 2009, n° 07-21426 ; 3e civ. 9 nov. 2011, n° 10-30291 ; Soc. 10 nov. 2009, n° 08-42286 ; Crim. 11 juin 2012, n° 01-85559 ; 17 déc. 2002, n° 01-85650 32 Ass, plén. 29 oct. 2004, n° 03-11238 ; 1re civ. 4 nov. 2011, n° 10-20114 33 Ass. plén. 24 juin 2005, n° 03-30038 ; 2e civ. 12 juil. 2007, n° 06-18428 ; 10 mai 2012, n° 11-14739 ; Soc. 28 févr. 2002, n° 00-10051 et 00-11793 ; 29 juin 2005, n° 03-44412 ; 5 mars 2008, n° 06-45888 ; 30 nov. 2010, n° 08-70390 34 Soc. 11 mai 2010, n° 09-42241 et 09-42257 ; 25 sept. 2013, n° 12-12110, 12-20157 et 12-20912 35 2e civ. 22 févr. 2007, n° 05-13771 ; Soc., 24 sept. 2008, n° 06-43504, 06-45579, 06-45794, 06-45747 et 06-46517 ; 10 nov. 2009, n° 08-41497 ; 9 déc. 2009, n° 07-45521 ; 3 févr. 2010, n° 08-44019 ; 25 janv. 2011, n° 09-42766 ; 30 janv. 2013, n° 11-22332 36 re 1 civ. 7 mars 2006, n° 04-16179 ; 2e civ. 13 juin 2013, n° 12-22170 ; Soc. 5 juin 2013, QPC, n° 12-27478 ; Crim. 18 mars 2003, n° 02-82292 et 02-83740 ; 3 nov. 2004, n° 04-81123 ; 19 déc. 2006, n° 06-80729 ; 16 janv. 2007, n° 06-82393 37 re 1 civ. 9 oct. 2001, n° 00-14564 ; 6 déc. 2007, n° 06-19301 ; 3 juin 2010, n° 09-13591 ; 14 oct. 2010, n° 09-69195 ; 12 janv. 2012, n° 10-24447 38 Ass. plén. 2 mars 2007, n° 06-15267 ; Ch. mixte 29 juin 2007, n° 06-11673 39 Ass. plén. 17 nov. 2000, n° 99-13701 ; 13 juil. 2001, n° 97-17359, n° 97-19282 et n° 98-19190 ; 28 nov. 2001, n° 00-11197 ; 28 nov. 2001, n° 00-14248 ; 1re civ. 24 janv. 2006, n° 02-12260 ; 8 juil. 2008, n° 07-12159 ; 15 déc. 2011, n° 10-27473 ; 16 janv. 2013, n° 12-14020 ; 14 nov. 2013, n° 12-21576 ; 2e civ. 24 sept. 2009, n° 08-17241 ; 19 nov. 2009, n° 08-15853 ; 24 nov. 2011, n° 10-25635 ; 25 oct. 2012, n° 11-25511 ; 4 juil. 2013, n° 12-23915 ; Crim. 23 oct. 2012, n° 11-83770 40 Ass. plén. 6 avr. 2007, n° 05-15950 et 05-81350 ; 29 juin 2007, n° 06-18141 ; 1re civ. 24 janv. 2006, n° 03-20178 et 02-16648 ; 22 mai 2008, n° 05-10593, 05-20317, 06-10967, 06-14952 et 06-18848 ; 22 janv. 2009, n° 07-16449 ; 26 sept. 2012, n° 11-17738 ; 10 juil. 2013, n° 12-21314 ; 2e civ. 13 mai 2004, n° 03-10222 ; 22 sept. 2005, n° 04-14092 ; 16 oct. 2008, n° 07-16967 ; 22 oct. 2009, n° 08-16766 ; 4 nov. 2010, n° 09-65947 ; 16 juin 2011, n° 10-19491 41 e 3 civ. 3 mars 2010, n° 08-19108 ; 18 mai 2011, n° 10-17645 ; Crim. 28 avr. 2004, n° 03-83783 ; 27 mars 2008, n° 07-83009 42 3e civ. 26 sept. 2007, n° 04-20636 ; 9 juin 2010, n° 09-11738 ; 27 janv. 2011, QPC, n° 10-40056 ; 8 juin 2011, n° 10-15500 43 3e civ. 2 avril 2008, n° 07-12155 et 07-13158 ; 9 sept. 2009, n° 08-13050 ; 2 déc. 2009, n° 08-16563 ; 19 mai 2010, n° 09-15255 ; 15 déc. 2010, n° 09-70538 ; 29 févr. 2012, n° 11-10318 ; 11 juil. 2012, n° 11-10478 ; 16 janv. 2013, n° 11-27101 44 3e civ. 17 déc. 2008, n° 04-12315 ; Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82938 45 1re civ. 17 févr. 2004, n° 01-11549 et 02-11618 ; 9 juil. 2008, n° 07-20279 ; 28 janv. 2009, n° 08-10034 ; 25 févr. 2009, n° 08-11033 ; 4 juin 2009, n° 08-13541 et 08-10962 ; 14 avr. 2010, n° 08-21312 ; 8 juil. 2010, n° 08-21740 ; 15 déc. 2010, n° 09-20439 ; 6 avr. 2011, n° 09-17130, 09-66486 et 10-19053 ; 26 oct. 2011, n° 09-71369 ; 23 mai 2012, n° 11-17716 ; 7 juin 2012, n° 11-30261 et 11-30262 ; 23 oct. 2013, n° 12-21344 et 12-25802 ; 28 nov. 2012, n° 12-30090 et 11-28645 ; 13 sept. 2013, n° 12-30138 ; 4 déc. 2013, n° 12-26161 46 re 1 civ. 9 déc. 2003, n° 01-03225 ; 12 juil. 2012, n° 11-15165 ; Com. 11 janv. 2005, n° 02-18381 ; 9 mars 2010, n° 06-16752 ; 13 juil. 2010, n° 06-20230 ; 23 nov. 2010, 07-19543 ; 14 déc. 2010, n° 10-80088 ; 3 mai 2012, n° 11-10508 47 Com. 26 févr. 2013, n° 12-14772 ; 3 avr. 2013, n° 12-14770 48 re 1 civ. 10 avr. 2013, n° 11-19530 49 Crim. 27 nov. 2001, n° 01-80134 50 re 1 civ. 17 févr. 2011, n° 09-67896 ; 12 juil. 2012, n° 11-13666, 11-13669, 11-15165, 11-15188 et 11-20358 51 re 1 civ. 13 mars 2008, n° 06-17534 ; Soc. 25 sept. 2013, n° 11-25884 ; Crim. 7 févr. 2007, n° 06-84285 52 Ass. plén. 20 déc. 2013, n° 12-24.706
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Rentrée solennelle
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Jean-Claude Marin
par Jean-Claude Marin
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ous voici au temps des rentrées, celui des agendas nouveaux que le fil des jours, des semaines et des mois va se charger de noircir de mille et une occupations, graves ou plus légères, comme autant de témoins têtus de l’horloge qui scande nos vies. Mais avant que le tourbillon des activités multiples ne nous emporte, le temps des rentrées, solennelle en l’espèce pour notre Cour suprême, est aussi celui où les heures semblent s’arrêter un instant, cet instant rare qui autorise les bilans et les projets d’avenir. Notre année qui s’ouvre sera aussi celle des départs. Le vôtre, Monsieur le premier président au terme de sept années de Première présidence du siège de cette Cour. Sept ans, le temps de la réflexion pour Billy Wilder, l’âge des petits poètes pour Arthur Rimbaud, le temps d’une guerre au XVIIIème siècle, 7 ans, c’est, chez les hommes, cet âge sensible porteur de profonds bouleversements. 2014, sera une année de mémoire, nous le savons. Ce sera donc aussi l’année de grands changements dans les juridictions de l’ordre judiciaire, au sein de cette Cour tout d’abord mais également dans les grandes juridictions de l’hexagone qui verront bon nombre de leurs chefs quitter leurs fonctions. Mais il n’est pas temps d’en parler déjà. C’est donc à cet instant si particulier pour notre Cour, que, devant vous, Monsieur le Premier Ministre, devant vous, Madame la Garde des Sceaux, et face à une si belle et grande assemblée, il me revient l’honneur de parler d’un beau et noble sujet : le Ministère public français. Mais j’aimerais, brièvement, commencer par parler d’un Ministère public bien particulier puisque c’est un Ministère public qui, en fait, n’en n’est pas un. Il s’agit, vous l’avez compris, du parquet général de la Cour de cassation, dont le statut et la mission sont des plus mal connus, et pas seulement des étudiants en droit mais de cela je vous en ai, lors d’audiences solennelles passées, déjà entretenu. En fait, ce n’est pas un parquet général, étranger qu’il est à toute forme de missions intéressant l’action publique, et cette appellation impropre lui a valu bien des déboires, chassé qu’il fut des conférences et autres délibérés parce que l’avocat général fut vu
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non comme ce magistrat dont le regard croisé avec celui du rapporteur éclaire la Cour, l’informe des attentes et des questionnements de la société civile et l’interroge sur la pertinence de ses jurisprudences, en proposant des voies de résolution de ce perpétuel dilemme qui hante les cours suprêmes écartelées entre stabilité et modernité, mais comme une partie, un adversaire, un accusateur. Bien évidemment, la différence entre le nombre de magistrats du siège et celui des avocats généraux interdit à ces derniers de conclure dans toutes les affaires, à l’exception notable de la Chambre criminelle. En matière civile, commerciale et sociale, leurs travaux intéressent principalement les affaires les plus complexes mais leur attention doit se porter également sur les pourvois traités en formation restreinte ou de non admission, dont ils peuvent se trouver écartés, le nombre important de dossiers examinés à ces audiences ne permettant pas toujours aux avocats généraux, dans un temps restreint, de prendre des observations utiles, dans des affaires dont l’orientation vers une formation plus complète pourrait pourtant paraître judicieuse. Le travail de ces avocats généraux est capital et considérable et ceux qui en dévaluent, ici ou ailleurs,
Jean-Pierre Sueur, Christine Mauguë et Jean-François Boutet
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Moderniser le Ministère public
la qualité et l’importance n’ont pas, sans doute, une bonne connaissance de la nature de leurs travaux. En effet, imaginer que les membres du parquet général, qui composent la chambre, puissent accomplir le même travail que les conseillersrapporteurs n’a aucune pertinence à raison et des effectifs et surtout, du sens de leur mission fondamentale. A cet instant précis, je ne peux que louer la voie choisie par le Conseil d’Etat, Monsieur le Vice-président, qui prenant acte de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, a su adapter la posture des commissaires du gouvernement, opportunément rebaptisés rapporteurs publics, la 5ème section de la CEDH constatant, dans son arrêt Marc Antoine contre France en date du 4 juin 2013, je cite : « La Cour peut donc admettre que les conclusions du rapporteur public, en ce qu’elles intègrent l’analyse du conseiller rapporteur, sont de nature à permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en fait la juridiction, leur offrant ainsi l’opportunité d’y répondre avant que les juges n’aient statué. La Cour est donc d’avis que cette particularité procédurale, qui permet aux justiciables de saisir la réflexion de la juridiction pendant qu’elle s’élabore et de faire connaître leurs dernières observations avant que la décision ne soit prise, ne porte pas atteinte au caractère équitable du procès. Au surplus, la Cour note que le requérant ne démontre pas en quoi le rapporteur public serait susceptible d’être qualifié d’adversaire ou de partie dans la procédure, condition préalable pour être à même d’alléguer une rupture de l’égalité des armes. » Certains invoquent la référence faite par la Cour européenne au statut du rapporteur public pour expliquer une appréciation qui pourrait être différente de son rôle par rapport à celui de l’avocat général à la Cour de cassation, en mettant en avant le fait que le rapporteur public est membre du Conseil d’Etat et désigné de façon temporaire pour exercer cette fonction. Mais les membres du parquet général sont aussi, aux termes express de la loi, membres de la Cour de cassation, et d’ailleurs, en tant que de besoin, un conseiller à la Cour peut être désigné conjointement par le premier président et le procureur général, pour remplir les fonctions d’avocat général aux termes des dispositions de l’article L432-4 du code de l’organisation judiciaire, dispositions qui démontrent
que la notion de partie est impropre à qualifier le rôle du parquet général de la Cour. L’arrivée au parquet général de nombreux anciens conseillers référendaires, accentue, s’il en était encore besoin, l’homogénéité des différentes composantes de la Cour. Il me semble qu’il existe bien d’autres raisons pour réfléchir au renforcement du rôle de l’avocat général au plus grand bénéfice de la Cour de cassation. Je souhaite que 2014 soit l’occasion, avec tous les acteurs de la procédure, d’une réflexion sur ce sujet et je fais mienne cette formule de Peguy : « En temps ordinaire, les idées simples rôdent comme des fantômes de rêve. Quand une idée simple prend corps, il y a une révolution. »1 Madame la Garde des Sceaux, Vous avez, par lettre de mission en date du 2 juillet 2013, chargé mon prédécesseur, le procureur général honoraire Jean-Louis Nadal, de présider une commission de réflexion, je cite, « sur les missions et les méthodes d’action du Parquet au sein de l’institution judiciaire et dans la cité » car vous posiez le constat qu’une « modernisation de l’action publique s’impose ». Entendu le 13 septembre 2013 par cette commission, j’avais indiqué qu’à mon sens, le terme de modernisation me paraissait impropre à qualifier l’état actuel de notre ministère public qui a su, au fil des dernières années, faire face, avec imagination et pragmatisme, aux nouvelles formes de la délinquance, aux multiples réformes de droit matériel et de procédure ainsi qu’aux missions diverses et sans cesse plus nombreuses qu’il s’est vu confier. Répondant à la fois aux attentes de nos concitoyens, et notamment des victimes d’infractions, d’une justice plus rapide et d’une réponse judiciaire plus ample mais aussi prenant en compte les capacités limitées des formes classiques de réponses apportées par l’institution judiciaire, les magistrats du Ministère public ont su inventer des stratégies nouvelles tels le traitement direct des procédures ou les alternatives aux poursuites que le législateur est venu ensuite non seulement consacrer mais aussi amplifier faisant de ces magistrats de véritables aiguilleurs de la justice pénale, garants de la qualité du travail des juges. Qui mieux que les parquetiers ont su répondre à l’exhortation de Maurice Aydalot, alors procureur général près cette Cour, avant d’en devenir le premier président, invitant les magistrats « à sortir de leur tour d’ivoire ». La visibilité de l’institution judiciaire dans la cité, repose presque exclusivement sur les magistrats des parquets présents dans bon nombre de dispositifs partenariaux au coeur de nombreuses politiques publiques, les projetant au contact des acteurs publics, des élus locaux ou du monde associatif. Cette lisibilité de l’action judiciaire, source essentielle de la confiance que doit faire naître notre institution dans le pays, ces magistrats l’assument aussi dans la communication aux médias dont ils ont su maitriser la technique. Par-delà son rôle essentiel dans les procédures répressives, notre Ministère public est aussi le porte-parole de l’intérêt général, soit comme partie principale, soit comme partie jointe devant les juridictions civiles, du travail ou commerciales, notamment lors du traitement judiciaire des difficultés des entreprises. Peu d’institutions ont su s’adapter avec autant de dynamisme et de réactivité aux modifications fondamentales de leur environnement.
Gilbert Azibert, Robert Finielz et Léonard Bernard de la Gâtinais Ce constat de modernité a été partagé par la commission dont le rapport contenant 67 propositions vise à refonder et non plus à moderniser le ministère public. Oui, refonder car ce Ministère public s’interroge. Ecartelé entre, d’un côté, la conscience de son rôle essentiel attesté par les missions de plus en plus nombreuses qui lui sont confiées, dans et hors le champ pénal, comme en atteste notamment le projet d’ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, et d’un autre côté, l’impossible éradication du soupçon qui pèse sur lui de n’être pas un vrai magistrat. Des lectures maximalistes de dispositions conventionnelles ou d’arrêts des cours européennes, des décisions judiciaires inattendues, des conditions de travail difficiles pour les jeunes parquetiers qui, dans les grandes juridictions, ont davantage l’impression d’avoir intégré un « call center » qu’un Ministère public, des interlocuteurs parfois de moins en moins formé aux normes procédurales, tout cela crée un sentiment aigu de dévalorisation de la fonction. Nous sommes à un point critique du fonctionnement de notre institution. Notre société peut-elle longtemps admettre la contradiction fondamentale entre la noblesse de la mission et la précarité des conditions d’exercice de cette mission ? Il faut, tout d’abord, sortir de l’ambigüité majeure entre le lien avec le pouvoir exécutif caractérisé par votre tutelle, Madame la Garde des Sceaux, et l’exercice visiblement impartial de l’action publique. L’appartenance à la magistrature des membres du ministère public est une particularité française, partagée avec quelques autres Etats, qui garantit une posture, une éthique et une déontologie commune avec les magistrats du siège, c’est-à-dire avec les juges au sens strict du terme. Ce sont ces valeurs que vous avez souhaité consacrer par la loi du 25 juillet 2013 en inscrivant dans l’article 31 du code de procédure pénale le principe d’impartialité dans la conduite de l’action publique. Cette appartenance à un corps unique ne doit pas pour autant tendre à brouiller les conséquences de l’exercice, à un temps donné de la carrière, de fonctions différentes dans lœuvre de Justice qui engendrent de nécessaires dispositions statutaires adaptées aux rôles confiés aux uns et aux autres.
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A cet égard, le parquet dit « à la française » n’entend pas confondre son rôle avec la mission d’un juge au sens de l’article 5 de la Convention dont le considérant 123 de l’arrêt Medvedyev2 définit le sens et la portée. Mais pourrait-on avancer, paraphrasant Pascal, que la même femme, le même homme est, selon l’étape de sa carrière, un vrai magistrat d’un côté de la salle d’audience, un pâle ersatz de l’autre ? Je sais, Madame la Ministre, vos efforts pour clarifier la situation, manifestés, sur ce point précis, par un projet de réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature, qui, nous le savons n’a, pour l’instant pas abouti, puis, par une circulaire, consacrée par la loi du 25 juillet 2013 relative aux attributions du Garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l’action publique, abrogeant la faculté donnée au ministre de la Justice d’intervenir, par voie d’instruction, dans les procédures pénales particulières. Cette volonté de mettre un terme aux soupçons d’immixtion illégitime du pouvoir exécutif dans l’action publique, soupçons injustifiés d’ailleurs, est évidemment des plus louables. Mais, tout cela est-il de nature à mettre un terme à la suspicion d’intervention de l’exécutif dans les affaires pénales particulières ? Cette suspicion a un double fondement : le pouvoir de décider de l’opportunité des poursuites confiées au Ministère public d’une part, et ce en conformité avec la recommandation du Conseil de l’Europe, et, d’autre part, le rattachement du Ministère public au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, c’est-à-dire à un membre du gouvernement. Ce rattachement crée une confusion que ne parviendra pas à réduire la bonne volonté politique de tel ou tel titulaire du portefeuille de la Justice. Témoin cette définition du ministère public trouvée sur un site, dont j’aurais la faiblesse de taire le nom mais qui se veut, je cite « fournisseur d’accès au droit » : Le ministère public y est donc présenté, je cite encore, « ….partie d’une juridiction qui y joue un rôle à part, invitant le juge du siège, celui qui prend la décision, à orienter celle-ci d’une certaine manière, en fonction du souhait du gouvernement » fin de citation ! Les soupçons que l’on cherche à dissiper naissent bien plus sûrement de l’existence même du lien entre le ministre et les parquets, lien souvent décrit comme un levier politique sur l’action
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Jean Daubigny et Jean-Louis Georgelin
publique, et, ce, de manière occulte et en dehors de tout cadre procédural tendant à organiser la transparence de ce lien. Plus d’instruction écrite mais les autres, les instructions orales, les instructions non dites, les espoirs de carrière valant instructions inutiles, tout cela demeure dans l’inconscient collectif et l’analyse médiatique. Bien sûr, je n’omettrais pas de saluer l’engagement pris par vous et la volonté de constitutionnaliser cet engagement, de ne pas passer outre aux avis défavorables, en l’état légalement non contraignants, de la formation du Conseil Supérieur de la Magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, engagement majeur, puisqu’il concerne l’intégralité des postes du parquet depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2008, engagement qu’avait déjà pris votre prédécesseur mais que vous avez consolidé par votre décision du 31 juillet 2012, de publier l’ensemble des candidatures aux postes les plus élevés de la hiérarchie du Ministère public, bannissant, par là même, la notion porteuse de bien des soupçons, de «postes non transparents» (sic). Mais l’enfer judicaire est, lui aussi, pavé de bonne intentions. Etre au sommet de l’organigramme de l’institution en charge de l’action publique et conserver le pouvoir de proposition aux emplois de l’ensemble de la hiérarchie du parquet, n’estce pas, bien sur involontairement, continuer à nourrir l’impression de vouloir un parquet, en quelque sorte, à sa main? Il me semble que l’équation impossible est la suivante : N’est-il pas paradoxal de souhaiter une indépendance de l’action publique et de ne pas se dessaisir du pouvoir de proposition des nominations des magistrats du parquet, au moins pour les fonctions de responsabilité les plus élevées ? Ce souci de conserver un pouvoir de proposition est encore plus paradoxal lorsqu’il s’applique au parquet général de la Cour de cassation qui, nous l’avons vu n’est pas un ministère public stricto sensu comme n’ayant aucune compétence en matière d’action publique. Ce n’est pas l’abrogation du pouvoir de donner des instructions écrites, celles qui permettaient seulement de poursuivre, c’est-à-dire de saisir un juge, instructions versées au dossier et débattues contradictoirement, en audience publique, dans les affaires particulières qui mettra un terme aux
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accusations de soumission à l’exécutif dès lors que ce ne sont pas ces instructions-là qui nourrissaient ce soupçon. Est-il cohérent de conserver à la fois son pouvoir hiérarchique sur le Ministère public par la capacité de donner des instructions générales, ce qui est, bien évidemment légitime, et, dans le même temps, de s’interdire de contraindre un Ministère public, peu diligent, à traiter un dossier particulier en saisissant un magistrat du siège ou en arbitrant un conflit entre deux ou plusieurs parquets généraux paralysant un fonctionnement cohérent et normal de la Justice ? Libérer le pouvoir exécutif du choix des grands décideurs du ministère public comme il l’a fait il y a 20 ans pour les magistrats du siège ne seraitce pas là, finalement la concrétisation de ce que vous souhaitez, de ce que nous souhaitons tous. Car l’état actuel des choses à un effet négatif induit : la chancellerie, et notamment la direction des affaires criminelles et des grâces, par la perte de la possibilité de donner des instructions dans des affaires particulières, ne peut plus jouer son rôle defédérateur de l’action publique en mettant, éventuellement, un terme à des conflits de clochers judiciaires nuisant à la bonne marche de la justice. Dans son rapport sur la refondation du ministère public, la commission que je me permettrais d’appeler Nadal et dont il faut saluer la qualité des travaux, propose astucieusement une procédure de règlement de ces conflits sur le modèle de la procédure de règlement de juges que nous connaissons. C’est une piste intéressante mais qui laisse intacte la question de l’absence de boussole unique et reconnue alors que de toutes parts reviennent les échos d’un questionnement, sur ce sujet entre autres, des 36 procureurs généraux près les cours d’appel dont la conférence, association créée de fait, ne peut être institutionnellement le référent unique et cohérent en matière d’action publique. Par ailleurs, les interrogations des procureurs de la République qui semblent, pour certains, remettre en cause la légitimité d’instructions des procureurs généraux dans la conduite de l’action publique au premier degré ne peuvent qu’interpeller. A cet instant précis, je me retourne vers vous, cher Jean-Louis Nadal. Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 7 janvier 2011 vous aviez
déjà posé ce constat : « …Je crois venu le temps, je le répète, d’un pouvoir exécutif se maintenant en dehors des nominations des magistrats du parquet, s’effaçant, comme il a sagement commencé à le faire, devant le Conseil supérieur de la magistrature, dont la réforme constitue un premier pas dans la bonne direction…. ». « Au final, poursuiviez-vous, n’est-ce pas en réalité le moyen d’instaurer un véritable pouvoir judiciaire, avec ses deux composantes du siège et du parquet, reposant sur une organisation cohérente, du sommet à la base et déconnecté du pouvoir exécutif ? Cette évolution, vous le devinez, est celle qui a ma préférence ». La réponse à la question de la faisabilité d’une structure autonome du Ministère public français n’ayant pas de lien hiérarchique avec le pouvoir exécutif est d’autant plus d’actualité que, comme je le rappelais l’an passé, notre pays est l’un des moteurs les plus actifs de la création indispensable d’un parquet européen. Il est pleinement acquis que cette nouvelle institution européenne devra être sans lien avec l’exécutif communautaire et ses agences et qu’en l’état de nos institutions, il pourrait s’appuyer sur des correspondants nationaux dont l’autorité organique suprême resterait paradoxalement l’exécutif national. Plusieurs propositions ont été avancées, procureur général de la Nation, collège d’action publique etc…, ce n’est ni le lieu ni le moment d’en discourir mais ce chantier mérite d’être ouvert et le parquet général de la Cour de cassation est prêt, en tant que de besoin, à participer à toute réflexion utile sur ce sujet. Par delà les questions statutaires, il faut, je le répète, mener une réflexion de fond sur les missions du Parquet, thème qui sera sans doute abordé lors du colloque organisé les 10 et 11 janvier, c’est-à-dire demain et après demain. En effet, il convient de restaurer chaque magistrat du Ministère public dans sa pleine fonction de décideur judiciaire. Alors que d’autres acteurs de la chaîne pénale ont su recentrer leur activité aux différents niveaux de responsabilité de leurs cadres et agents, il faut aujourd’hui repenser l’organisation des parquets de manière à ce que, au terme de longues années d’études et à l’issue d’un concours difficile, les magistrats du Ministère public ne soient plus ces femmes et ces hommes orchestre à la fois aiguilleurs, standardistes, médiateurs, pédagogues, éducateurs, archivistes etc. Mais, et vous le savez, les magistrats du Ministère public français sont fiers de leur mission et de leur responsabilité et c’est à raison de cette fierté et de leur engagement au service de l’intérêt général qu’ils souhaitent, non pour eux mais pour le bien de la justice, disposer d’un environnement à la hauteur du rôle capital qu’il leur est confié. Est-il incongru à cet instant de se souvenir, en matière d’organisation judiciaire et de procédure pénale, de Merlin de Douai, qui fut procureur général près le Tribunal de cassation puis près la Cour de cassation, mais aussi conseiller d’Etat à vie, qui déclarait, le 30 mai 1792 devant l’assemblée. « Comptable à la patrie de toutes les vues qui peuvent être utiles, je crois devoir adresser à l’Assemblée Nationale la rédaction de ce projet. Je le soumets à ses lumières et à son zèle pour la chose publique ; et je m’estimerai heureux si, en me trompant, je puis, par mes erreurs, mettre les bons esprits sur la voie d’un meilleur plan. » 2014-15 1
Pensées, p.53, Gallimard, 1934
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Précité.
Les Annonces de la Seine - Lundi 13 janvier 2014 - numéro 2
Rentrée solennelle
Cour d’appel de Douai 300ème anniversaire du Parlement de Flandre et Audience Solennelle de Rentrée Douai, Salle historique d’Anchin - 9 janvier 2014 Dominique Lottin et Olivier de Baynast accueillaient leurs prestigieux invités jeudi dernier 9 janvier 2014 dans la salle d’Anchin au premier rang desquels Christiane Taubira qui souhaitait participer à l’audience solennelle de la Cour d’appel de Douai en raison de l’éclat particulier qu’elle revêtait : c’est en effet le 2 octobre 1714 que s’établissait, à Douai, le Parlement de Flandre ancêtre de l’actuelle Cour d’appel. Ce fut l’occasion pour la première Présidente et le Procureur général de déclarer que leur juridiction était fermement engagée dans les évolutions nécessaires à la justice du XXIème siècle en intégrant le passé dans l’avenir et en réconciliant la longue histoire de la justice avec la modernité. Jean-René Tancrède
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Devant la statue géante de Monsieur Gayant qui sauva la ville de Douai en 1479 : Dominique Dupilet, Président du Conseil Général Pas-de-Calais, Dominique Bur, Préfet du Nord, Préfet de région, Olivier de Baynast, Procureur Général, Guy Delcourt, Député du Pas-de-Calais, Madame la Garde des Sceaux, Philippe Kemel, Député du Pas-de-Calais, Jacques Vernier, Maire de Douai, Dominique Watrin, Sénateur du Pas-de-Calais, Dominique Lottin, Premier Président, Marc Dolez, député du Nord
Renouer avec le passé pour affronter les défis de demain par Dominique Lottin
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éritier du conseil souverain de 1668, et d’abord installé à Tournai, le Parlement de Flandre s’établit, le 2 octobre 1714, dans la bonne ville de Douai, après un exil de quelques années à Cambrai . Voici donc trois siècles que la ville de Douai est devenue la capitale judiciaire du Nord. Et lorsque le Parlement fût provisoirement supprimé en 1771 au profit du Conseil supérieur d’Arras, « Douai prit le deuil de sa Cour souveraine. Les lanternes à réverbères, inaugurées deux ans auparavant grâce aux libéralités du Parlement, cessèrent d’être allumées et le soir livra la ville aux ténèbres. Le quartier du Palais, si turbulent naguère, semblait abandonné. L’ordre brutal qui avait décapité la ville, menaçait par avance les finances communales, les affaires et l’industrie...» Quelle belle image que celle ainsi décrite à l’époque par
le conseiller Bedel : la justice regrettée par toute une ville et sa région parce qu’elle éclairait la cité et ses habitants et leur apportait dynamisme et prospérité. En cette année du tricentenaire, nous avons souhaité faire briller à nouveau l’institution judiciaire au coeur de la ville de Douai et de la région du Nord-Pas de Calais. Madame la Garde des sceaux par votre présence, vous donnez à notre audience tout l’éclat qu’elle mérite ; nous vous sommes tout particulièrement reconnaissants d’être venue ce matin, jusqu’à nous, malgré un agenda particulièrement chargé en ce début d’année, et, à l’issue de cette audience, d’avoir accepté d’y prendre la parole. Nous le savons, Madame la Ministre, vous avez depuis votre prise de fonction toujours défendu notre institution et tous ceux qui la servent avec dévouement, soucieuse que vous êtes de lui donner la place qui doit être la sienne dans une société démocratique. Bien plus qu’un simple service public, la justice est d’abord et avant tout une autorité, celle définie par la constitution comme la gardienne des libertés individuelles et de la paix sociale. Certains souhaiteraient même lui donner le statut de pouvoir, nous n’en demandons pas tant.
Mes remerciements s’adressent également à toutes les personnalités qui vous entourent Madame la garde des Sceaux, au premier rang desquelles figurent Monsieur le Préfet de Région et Monsieur le Préfet du Pas de calais, votre directeur adjoint de Cabinet, François Pion, votre chef de cabinet, Florence Gouache, vos conseillers, Frédéric Baab, Philippe Astruc, Paul Hubert et Virginie SainteRose, l’inspecteur général des services judiciaires, François Feltz, le directeur des services judiciaires, Jean-François Beynel, la directrice des affaires criminelles et des grâces, Marie-Suzanne le Quéau, Madame Marie-Luce Bousseton, directrice générale de l’APIJ (l’agence pour l’immobilier de lajustice), sans oublier, M. Jean-Christophe Gracia, directeur adjoint des affaires civiles et du Sceaux et Mme Hurtaud, sous directrice de l’immobilier du secrétariat général. Chacun de vous incarne les prérogatives du ministère de la justice indispensables au fonctionnement de nos juridictions car c’est de vous et des arbitrages que vous obtenez au plus haut sommet de l’Etat que dépendent les moyens humains et matériels qui nous sont accordés.
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Rentrée solennelle
Le droit de recours
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ou internationales : Cour de cassation (représentée à cette audience par plusieurs hauts magistrats), Conseil d’Etat (représenté à cette audience par la présidente de la Cour administrative d’appel de Douai, Mme Lucienne Erstein), Cour de justice de l’Union et Cour européenne des droits de l’homme sans oublier le Conseil constitutionnel qui avec la question prioritaire de constitutionnalité ne peut plus être ignoré des juges. Je crois que nos collègues,chefs des cours d’appel de Rouen, d’Amiens, de Reims et de Caen, présents à cette audience, partagent cette analyse. Et comme le souligne avec force et éclat le rapport de l’IHEJ : « Pour affronter les défis à la fois inquiétants et excitants qui attendent les juges, .... il faut renouer le contact avec une longue tradition remontant à l’Antiquité. C’est dans l’Histoire et dans la philosophie que l’on trouvera les prises pour avancer ». En fêtant le tricentenaire de l’installation du Parlement de Flandre, c’est avec ce passé que la cour d’appel de Douai a souhaité renouer. Sans nostalgie pour ce parlement d’ancien régime voulu par Louis XIV mais conscients que nous sommes tous les héritiers de nos illustres aînés et des plus belles pages qu’ils ont écrites depuis plus de trois cents ans ici à Douai. Qu’il me soit ainsi permis de saluer les magistrats qui ont quitté cette cour il y a peu et qui, en acceptant d’être parmi nous aujourd’hui lui témoignent ainsi leur fidélité. Mesdames et messieurs, les sénateurs et députés, Monsieur le Président du Conseil régional, Messieurs les présidents des conseils généra ux du Nord et du Pas de Calais, mesdames et messieurs les élus, l’histoire du Parlement qui deviendra successivement Cour Impériale, Cour Royale et Cour d’appel, est intimement liée à l’histoire de votre Région. Il trouve son origine dans les guerres de dévolution et de succession d’ Espagne et son ressort n’a cessé d’évoluer au gré des batailles militaires et des rivalités entre les villes de Cambrai, d’Arras, de Lille et de Douai. Comme quoi, l’histoire n’est qu’un éternel recommencement ! Mais surtout la création du Parlement répond à la volonté du roi de rassembler toute les provinces conquises et ses habitants, qu’ils soient espagnols, hollandais, autrichiens ou français, dans une même région «la Flandre». Le Parlement recevait ainsi un rôle politique de francisation progressive de toutes ces provinces mais avec l’obligation, comme le roi s’y était engagé dans les actes de capitulations, de respecter leurs us et coutumes.
La présomption d’innocence
Et ce rôle, la Cour d’appel le perpétue, car la région du Nord-Pas de Calais est toujours restée une terre d’accueil et le creuset pour des populations d’origines étrangères diverses qu’elle a su intégrer. En faisant un raccourci un peu trop rapide de son histoire, on rappellera simplement les grandes vagues d’immigration d’origine d’Afrique du Nord et de Pologne qui ont accompagné l’essor des mines et des grandes industries de la région, au XIXème siècle et au début du XXème. Etparcequelesfrontièresdelarégionseconfondent avec celles de l’Europe du Nord, les juges de la Cour d’appel de Douai sont, plus encore que dans d’autres ressort, amenés à faire application de règles de droit international pour la résolution de litiges civils et familiaux. C’est aussi dans le domaine pénal que la cour développe un rôle essentiel pour faire face à des trafics internationaux et à une délinquance organisée qui exige une coopération européenne toujours plus efficace. Les hautes autorités de la police et de la gendarmerie présentes à cette audience ne me contrediront pas, de même que nos homologues de la Cour de Mons toujours fidèles à notre cour. Alors oui, la cour d’appel de Douai est fermement engagée dans les évolutions nécessaires de la justice du XXIème siècle. Et parce que, comme l’écrivent encore les auteurs du rapport de l’IHEJ... « Un changement durable ne pourra s’appuyer que sur des autorités dans la magistrature, le barreau et l’université, c’est à dire des professionnels qui rassurent les nouvelles générations en intégrant le passé dans l’avenir et qui réconcilient l’histoire longue de la justice avec la modernité ». Que nous sommes heureux et fiers qu’aujourd’hui les dix barreaux du ressort de la cour soient présents à cette audience, revêtus de leur robe, manifestant ainsi leur volonté toujours renouvelée de collaborer à l’œuvre de justice dont ils sont les premiers auxiliaires. Lorsque la cour et les dix tribunaux de grande instance du ressort ont pris des tournants décisifs pour la modernisation de notre institution vous avez toujours répondu présents et nous vous en sommes très reconnaissants. Les rapprochements entre nos professions sont si essentiels que le constituant ne s’y est pas trompé en intégrant, à l’occasion de sa dernière réforme,un membre du barreau dans la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Les droits de la défense
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Photos D.R.
Ces moyens ne sont jamais à la hauteur de nos attentes et de celles des justiciables, même si nous le reconnaissons, des efforts importants ont été accomplis ces dernières années pour accroître les budgets du Ministère de la Justice, comme peut en attester Christian Ratel, directeur régional des finances publiques du Nord-Pas de Calais avec lequel nous collaborons avec efficacité depuis plus de trois ans pour tenter d’en faire le meilleur usage. En ce début d’année 2014, nous vous sommes particulièrement reconnaissants, madame la garde des Sceaux, d’avoir obtenu un apport budgétaire exceptionnel pour les juridictions de 74 millions d’euros. Pour autant, nos besoins sont immenses et il faut donc aller encore plus loin, pour optimiser les moyens de nos juridictions, par des modes de gestion et d’administration plus modernes et plus efficients, par l’assimilation de la révolution numérique et surtout par des réformes de structures et de procédures indispensables pour recentrer le travail du juge et lui permettre de retrouver une place plus claire au périmètre mieux défini. Qu’il soit du siège ou du parquet, le magistrat devrait bien davantage se concentrer sur l’activité juridictionnelle afin de définir des jurisprudences claires et lisibles indispensables au développement économique et social, tout en assurant la gestion et l’administration des moyens des juridictions afin d’en garantir leur indépendance. Il importe, en outre, de développer la concertation et la collaboration avec les services de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse indispensableàunepriseenchargeefficacedespersonnes condamnées et des mineurs suivies par les juges. Et en interne, l’intensification du dialogue social est indispensable pour lutter contre l’individualisme qui gagne trop souvent magistrats et fonctionnaires alors que chacun est bien membre d’une communauté de travail, celle de la juridiction à laquelle il appartient. C’est, sans aucun doute, à ce prix que la justice pourra répondre aux enjeux du XXIème siècle. Madame la garde des Sceaux, vous êtes, avec toutes les équipes de votre ministère, résolument engagée dans cette réflexion mais vous le savez, c’est avec une certaine impatience, que nous attendons les réformes qui en résulteront. Réformes qui devront également prendre en compte les nouveaux équilibres entre les plus hautes instances judiciaires et constitutionnelles, nationales
Alors oui, messieurs les avocats, nous avons besoin de vous et de toutes les autres professions qui collaborent à l’œuvre de justice, notaires, huissiers, experts judiciaires, aujourd’hui représentés à cette audience solennelle par les présidents de leurs ordres régionaux que je remercie également pour leur engagement sans faille à nos côtés. N’est-ce pas à vous, représentants de toutes les professions juridiques, avec l’appui de tout le secteur associatif, que devrait être confié par la puissance publique la responsabilité de développer l’accès au droit c’est à dire le droit pour chacun de nos concitoyens, y compris les plus démunis, de pouvoir bénéficier d’un avis éclairé sur les questions juridiques dont dépendent le litige ou la difficulté à laquelle ils se heurtent ? Si pour ce faire des réformes législatives sont indispensables, c’est d’abord et avant tout un changement des pratiques et des mentalités dont l’institution a besoin. Et ces changements ne peuvent tous venir des juges. Ils doivent être envisagés de manière transversale et collective et intégrer toutes les professions. Et pour cela nous avons aussi besoin de l’université qui forme les juristes de demain. La Cour d’appel et l’université de droit de Douai sont engagées de longue date dans une collaboration étroite. Monsieur Le doyen le March’Hadour nous vous remercions très sincèrement d’avoir souhaité aujourd’hui manifesté votre soutien à notre cour en assistant en robe à cette audience avec plusieurs des professeurs de la faculté. Qu’il me soit encore permis de saluer Madame Robaczewski qui dirige avec excellence la classe préparatoire intégrée de l’Ecole nationale de la magistrature. Depuis son ouverture en 2008 et 5 promotions plus tard, elle aura permis à 12 étudiants d’intégrer l’Ecole nationale de la magistrature, à 6 autres de devenir greffiers en chef et à 11 autres de nous assister comme greffiers. 15 élèves ont prêté serment comme avocat, 2 sont devenus officier de police et de gendarmerie, 2 conseillers d’insertion et de probation et 1 directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, pour ne parler que de ceux qui ont intégrer ou collaborent à l’institution judiciaire car tous les étudiants passés par cette classe préparatoire ont aujourd’hui un emploi. Et merci à vous, Xavier Ronsin, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature qui avez toujours accompagné et encouragé cette classe préparatoire et qui formez les juges de demain. La Cour d’appel
Le principe de non rétroactivité des lois
La Justice de Douai vous est d’autant plus reconnaissante que chaque année, elle accueille une proportion importante de ces nouveaux magistrats. Plus de 114 de la dernière promotion a ainsi prêté serment devant nous en septembre dernier. Vous écriviez récemment que votre ambition collective est « de former à l’excellence nos futurs collègues, tout en nourrissant leur curiosité, en favorisant leur ouverture d’esprit et en évitant toute forme de prêt à penser». Je vous le dis très sincèrement, Monsieur le Directeur, ce pari est gagné et nous sommes très fiers des nouvelles générations que nous accueillons. Mais avant l’Ecole de la magistrature et les universités, il y a les collèges et les lycées qui doivent donner aux étudiants de demain les bases indispensables à leur formation. Monsieur le Recteur de l’Académie de Lille vous le savez nous sommes très attachés à initier des rapprochements avec les collèges et les lycées de la région. L’action la plus emblématique est sans aucun doute celle menée avec le lycée d’excellence de Douai sous l’impulsion de son proviseur et d’un professeur dynamique et passionné autant d’histoire que de justice, Damien Langlet. C’est ainsi que l’année dernière ses élèves ont réalisé un film sur le déroulement d’un procès d’assises dans lequel ils ont su si bien traduire toute l’humanité qui se dégage d’un procès au cours duquel ce ne sont pas des faits que l’on juge, mais l’homme qui a commis ces faits. Et cette année, les élèves du lycée d’excellence se sont lancés le défi de réaliser, en trois mois, ces
allégories modernes que nous n’avons pas hésité à confronter à celles de Nicolas Brenet. Ils ont ainsi représentés six des principes qui s’appliquent à toute les procédures judiciaires : c’est d’abord le principe du double degré de juridiction, et du droit de recours représenté ici par ces voies de chemin de fer dont l’aiguillage est actionné par le magistrat, c’est celui de la présomption d’innocence avec cette obligation de démonstration de la culpabilité de celui qui est mis en examen, ici représenté par un puzzle que le juge tente de reconstituer, puis le droit absolu à bénéficier d’une défense, représenté ici sous la forme d’un labyrinthe dans lequel le justiciable perdu ne trouve sa voie qu’avec l’aide d’un avocat mais aussi du magistrat, le principe de la contradiction, symbolisé ici par deux avocats qui s’échangent leurs arguments comme dans une partie de tennis, qu’il s’agisse de procédures civiles ou pénales représentées par différents éléments : l’alliance, la clé USB ou le pistolet, la Justice en majesté, symbolisée par une jeune figure féminine, entourée d’une balance dont les deux plateaux sont d’égale hauteur et d’un jeu d’échec, qui symbolise le fait que les juges peuvent, par leurs décisions, influer sur le cours de la vie des citoyens, et enfin, le principe de la non rétroactivité des lois : le temps est, dans cette allégorie représenté sous la forme d’une horloge dans laquelle, par application de ce principe, un jeune homme est libéré de ses entraves.
Dominique Lottin
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Le principe du contradictoire
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Rentrée solennelle
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Rentrée solennelle Soulaiman, Myriam, Tasnim, Alexandre, Ines, Tom, Grégoire, Lucas, Clara, Marc, Hugo, Eugénie, Florian, Géraldine,Sakina,Lorkaela,Nathan,Tatiana,Amandine, Emma, Sofiane, Gwendoline et Lucas, en vous livrant à ce travail avec vos professeurs, des magistrats et fonctionnaires de le cour, sans oublier les avocats du barreau de Douai, vous avez analysé et compris tous les fondements de notre justice et de celle que tout pays démocratiquedoitdéfendre.Noussommescertainsque vous n’oublierez pas cette expérience et espérons qu’elle vous donnera dans l’avenir l’envie et l’ambition d’intégrer notre si belle institution. Félicitations pour ces réalisations que nous garderons précieusement comme témoignage, pour les futurs
générations, du regard, qu’en cet instant, de jeunes lycéens ont porté sur l’institution judiciaire. Pour terminer mon propos, c’est à vous Monsieur le maire de Douai et à toutes vos équipes que je souhaite adresser, au nom de toute la Cour d’appel de Douai, tous nos remerciements. En mettant à notre disposition ces salles historiques d’Anchin, ancien collège du roi, vous avez permis à la cour d’appel de Douai de se présenter pour la première fois depuis bien longtemps au grand complet. Car le Parlement de Flandre qui était, dès l’origine, composé de 3 chambres et comprenait un premier président, 21 magistrats du siège, un procureur général, un substitut et trois greffiers, n’avait pas imaginé en
dessinant sa grand chambre que trois siècles plus tard, la Cour d’appel de Douai, son lointain descendant, serait composée de : 74 magistrats du siège, 18 magistrats du parquet et 133 fonctionnaires, tous ou presque présents aujourd’hui pour fêter avec Douai et toute la région du Nord-Pas de Calais cet anniversaire. Et parce que l’histoire de la ville est intimement liée à celle de la Cour, c’est sa figure historique qui a accepté, de manière tout à fait exceptionnelle, de sortir aujourd’hui en plein hiver pour fêter avec nous ce tricentenaire : son géant, Monsieur Gayant est ainsi venu jusqu’aux portes de cette salle d’Anchin pour saluer tous les magistrats et fonctionnaires de la Cour et vous tous chers invités qui nous entourez en cet instant solennel.
Aimer rendre la Justice
Olivier de Baynast
par Olivier de Baynast
LA VÉRITÉ a première de ces représentations est la vérité que déjà les Grecs représentaient comme une femme nue - ne dit on pas d’ailleurs parfois : « c’est la vérité toute nue ». Celle-ci semble cumuler vérité et pureté, juste conjonction. Je crois profondément que la justice doit toujours reposer sur la vérité. Ce n’est pas facile : même si la presse peut être porteuse de vérité, une médiatisation sans cesse croissante qui pousse chacun à avoir un avis sur toutes les situations, sans avoir nulle connaissance du dossier, est un péril sérieux pour la justice. D’où le soin qui est apporté ici à la communication et aux rapports avec les journalistes que je remercie de leur indépendance mais aussi du respect des règles de présomption d’innocence, y compris envers les magistrats qui auront déplu à quelqu’avocat vedette. Loin de moi d’ailleurs de penser que la justice doit être secrète ! Non, au contraire, la vérité doit être proclamée haut et fort.
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adame la Ministre, vous êtes la garante du lien qui existe entre la magistrature et la société, dans l’application objective des lois que se donne le peuple français sur toute l’étendue du territoire. En ce sens, vous êtes aussi l’héritière de cette autorité royale protégeant les parlements qui de leur côté devaient être loyaux envers leur souverain mais savaient aussi affirmer leur indépendance - pas toujours pour de bonnes raisons d’ailleurs -, vous êtes aussi en quelque sorte héritière des procureurs généraux d’ancien régime qui portaient le titre de garde des Sceaux que, soyez tranquille, je ne revendique pas... encore. C’est dire la joie que nous avons à vous accueillir ici aujourd’hui, pour cette rentrée et pour cette fête anniversaire où non seulement les magistrats du siège et du parquet mais en fait tous les hommes et les femmes qui travaillent ici pour et avec la justice, sont réunis. Ils sont réunis avec la jeunesse de la ville et ses maîtres pour la plus belle des leçons d’éducation civique comme l’explique Madame la première Présidente Dominique Lottin avec laquelle j’ai la chance de présider depuis deux ans aux destinées de cette cour du nord, si attachante, active et méritante comme le sont les habitants
de cette région : courageux, travailleurs et chaleureux. De nombreux événements ont été prévus, tout au long de cette année du tricentenaire avec l’aide inestimable de nos élus que je remercie chaleureusement. Parmi ceux-ci vous me permettrez de citer notre maire, monsieur Jacques Vernier et messieurs les présidents des conseils régional et général qui nous ont accompagnés dans ce projet.
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La vérité
Jevoudraisappuyermonpropossuruneméditation sur les vertus tutélaires de la justice d’ancien régime, représentées dans la grande chambre de notre palais, sous la forme de six toiles de Nicolas Brenet ici reproduites. Cinq d’entre elles ont inspiré les élèves des établissements douaisiens qui les ont déclinées avec leur imagination et leur talent. Délaissant le style officiel des discours de rentrée, je méditerai devant vous sur ce que signifient ces images pour le magistrat que je suis depuis 1978.
La vérité du magistrat, c’est parfois le constat amer du procureur ou du juge qu’aucune preuve n’a convaincu ou dont aucune décision ne réussit à mettre fin à un conflit ou à une nuisance sociale. Pouvoir dire ainsi « je ne sais pas » ou « je ne peux pas, vu les moyens dont je dispose » sans être accusé de lâcheté ou de laxisme est une vertu, une conduite qui doit s’imposer à nous. C’est cela la vérité. L’accepter devrait être une règle pour les politiques et l’opinion publique. Nous sommes bien placés dans ce ressort pour l’avoir appris dans des conditions douloureuses pour tous, pour savoir qu’un non lieu ou une relaxe ne mettent pas un point final satisfaisant au besoin de vérité. J’ai tout au plus souvent regretté que des procédures trop complexes nous empêchent de rechercher sereinement la vérité, l’essentiel de notre attention finissant par être concentré sur le respect de la procédure . Je nous souhaite une justice qui nous rende la vérité désirable comme un beau corps dans la perfection de ses formes.
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Rentrée solennelle
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L’indépendance L’INDÉPENDANCE a troisième des vertus illustrée par Nicolas Guy Brenet est l’indépendance avec une justice qui refuse qu’on lui passe le «mors aux dents». Sommes nous des magistrats indépendants et notre système judiciaire dans son ensemble est-il indépendant ? Sous l’angle statutaire pour les juges du siège, cette indépendance est certaine, il n’y aucun doute là dessus. Pour le parquet
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L’étude prud’homales doivent tenter d’apporter un peu de lumière et d’atténuer leur sentiment d’injustice. Nous sommes invités à mettre nos connaissances à jour en la matière et à adapter nos pratiques à des réalités nouvelles. Par exemple en matière de prévention des difficultés
un signal puissant a été donné par votre Loi du 25 juillet 2013, madame la Ministre par laquelle vous vous priviez du droit de donner des instructions dans les dossiers particuliers. C’est déjà beaucoup, même si votre engagement de garantir notre indépendance de carrière à l’égal de celle des magistrats du siège reste à tenir. A cet égard nous entrevoyons dans le rapport de la commission dont vous avez chargé le procureur général Nadal, que vous réfléchissez à la meilleure méthode pour y parvenir. Il conviendra aussi de modifier le système de sélection des magistrats pour les juridictions internationales, manifestement contraire à toutes les règles de l’objectivité. Nous comptons pour cela, non seulement sur vous madame la Ministre - car votre engagement ne fait pas de doute - mais sur l’ensemble de la représentation nationale. Car il est des sujets où la politique politicienne devrait céder la place à l’intérêt général. Par ailleurs de notre côté, nous devons nous résigner à ne pas toujours plaire, même à la presse, à ne pas toujours être d’accord avec les idées dominantes et le politiquement correct. Au cours de ma carrière, j’ai souvent eu l’impression qu’un magistrat sans histoire était plus apprécié par sa hiérarchie qu’un homme ou une femme de tempérament qui ose prendre des risques et dire ce qu’il pense. Je rêve d’une justice où les magistrats indépendants par statut et par comportement, preneurs de risque dans une application du droit voulu par le peuple français, stricte, juste et responsable, soient cités en exemple pour leur corps et pour la société toute entière et fassent la plus brillante des carrières.
des entreprises et de droit social afin d’être plus efficaces, d’être plus utiles. Il y a aussi des personnes qui vivent de la détresse ou qui profitent de l’obscurité du droit pour en abuser par rapport à d’autres. La présence de nos parquets dans les procédures collectives est plus nécessaire que jamais. Par ailleurs, l’attention portée aux victimes, la recherche de solutions plus intelligentes, j’allais dire plus lumineuses que l’enfermement, comme instrument de prévention de la délinquance et de réparation, la lutte contre les marchands de sommeil sont autant de priorités d’action publique que je partage avec mes dix ardents procureurs et leurs équipes. Ces objectifs s’inscrivent dans cette lumière. Cette lumière, cette science, nous sommes allés la chercher hors de nos frontières et nous avons réuni dans cette salle même, au début de l’été dernier des praticiens de Suède, de Hollande et de Grande Bretagne pour chercher des solutions et anticiper la peine de probation ou de contrainte pénale que vous voulez mettre en place et nous avons constaté que c’était une alternative très efficace aux courtes peines de prison. Je rêve d’une justice rendue sous une pleine lumière qui la rendrait plus lisible, plus intelligente, plus moderne aussi. Mais il nous revient de réaliser ce rêve en ne nous installant pas sur nos idées reçues et en utilisant au mieux les moyens dont je vous remercie moi aussi de nous doter en ce début d’année.
LA PRUDENCE a quatrième des vertus signalée en modèle au bon magistrat par Brenet est la prudence. Je ne m’y attarderai pas sinon pour dire que prudence, et surtout modestie, peuvent très bien aller de pair avec courage. Je souhaite à notre justice de ne pas confondre prudence avec timidité mais aussi d’être modeste et pas imbue d’elle même, prenant le temps d’écouter, se tenant respectueuse des droits de la défense et du contradictoire.
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La prudence
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Photos : D.R.
L’ÉTUDE a deuxième de ces représentations est la science qui doit illuminer nos décisions de sa lumière. Avec le peintre Brenet on est alors au siècle des lumières. Mais le siècle des lumières n’a pas inventé la lumière qui déjà brillait dans l’Evangile ou la Thorah, dans les branches du chêne de Saint Louis et dans les Essais de Montaigne, même si la défense de Calas par Voltaire fit aussi sérieusement reculer les ténèbres. Il n’empêche que notre justice gagnerait à être éclairée et à devenir visible dans sa complexité, au delà du fait divers, lisible et belle sous les projecteurs de la conscience. Qu’elle devrait toujours être compréhensible, y compris par les plus modestes. Nous rencontrons ici beaucoup de maltraités par la crise, comme hébétés, et qui ne comprennent plus rien au monde qui les entoure. La crise conduit souvent au non respect des lois. Il y a des vols pour la faim dont les auteurs n’ont plus conscience des risques auxquels ils les exposent, des exemples m’en ont été donnés la semaine passée avec des vols de viande dans le Pas-de-calais. Le magistrat, garant du lien social est profondément ému face aux centaines de personnes licenciées ou qui craignent de l’être comme ceux des usines STORA cette semaine, cadres comme ouvriers, qu’il nous appartient aussi de protéger et auxquels nos parquets, les magistrats des chambres commerciales ou
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Rentrée solennelle Notre justice ne se prête t-elle pas trop souvent à un grand tintamarre médiatique sur certaines de ses décisions intermédiaires ; quitte à ce qu’elles s’effondrent quelques mois plus tard quand le criblage des preuves ou la Cour d’appel seront passés et alors qu’il sera déjà trop tard pour réparer le préjudice subi par des «présumés coupables » cloués au pilori au début de l’enquête pour être plus tard blanchis dans l’indifférence. Du côté du parquet, cela fut ma pratique constante et je récuse absolument la conception anglo-saxonne d’un accusateur public face à une magistrature du siège qui serait seule objective et impartiale. Mais la prudence ne doit pas non plus conduire au laxisme et on oublie trop l’équilibre posé par le Traité européen d’Amsterdam entre : liberté, sécurité et justice ou encore l’article 2 de la Convention de Strasbourg le droit à la vie ou encore l’article 6 de la Charte européenne des droits fondamentaux jamais invoqué en justice : le droit à la sécurité. Mais en dépit du tintamarre médiatique occasionné cette semaine par les déclarations d’un haut responsable de la gendarmerie, nous ne sommes pas laxistes : jamais nos prisons n’ont été aussi pleines. Aux courtes peines de prison inutiles et inefficaces en termes de prévention, nous préférons les aménagements de peine. Dans cette cour d’appel 75 pour cent des peines de prison sont aménagées. Cela n’empêche pas d’atteindre le chiffre très important de six mille détenus avec une surpopulation carcérale de 144 pour 100 en maison d’arrêt. Mais les magistrats répugnent par prudence - et ils ont raison -, à prendre des mesures de probation à l’issue incertaine. C’est pourquoi nous aspirons à l’adoption prochaine d’une réforme de la probation qui lui donnera toute son efficacité ainsi que la poursuite du renforcement des moyens donnés aux services qui en sont chargés. Ce n’est pas le laxisme qui l’inspirera mais la prudence, là aussi.
LA RELIGION armi les allégories que nous contemplons ensemble nous arrivons à la religion. Sujet sensible à traiter sous une République où la laïcité est de règle. La religion n’est pas un tabou ! Comment ignorer ce que notre culture doit aux religions et en Europe tout particulièrement au christianisme et au judaïsme ! Nous sommes assez adultes pour contempler des œuvres d’art créées en un temps révolu où Etat et religion étaient confondus, cela nous permet au contraire de mieux comprendre d’où nous venons. Il n’est pas interdit non plus en condamnant les dérives de pratiques religieuses perverties en intolérance ou par intégrisme, de rechercher les valeurs aux sources desquelles notre justice pourra puiser. Au risque de surprendre, voire de blesser certains d’entre vous - mais alors qu’ils soient blessés par Nelson Mandela, Charles de Gaulle, l’Abbé Pierre,
Robert Schumann ou encore le Pape François chez les naufragés de Lampedusa ! -,j’affirme trouver dans cette allégorie, l’invitation la plus utile à un exercice meilleur des fonctions judiciaires et du parquet en particulier, pour aujourd’hui. J’y trouve une invitation à considérer en effet que, quelles que soient les fautes commises, l’homme est porteur d’une valeur transcendante qui doit être préservée et qu’une bonne justice doit être un instrument, certes de répression, mais aussi de rédemption non pas au ciel mais sur la terre. A partir de ce rappel le respect des personnes s’imposera dans les prétoires qu’il a parfois déserté du fait du pessimisme qui envahit ceuxci et d’une conception individualiste de l’homme qui ignore l’esprit. L’attitude contraire à laquelle je me sens invité par cette toile, n’a rien d’abstrait : Que chaque justiciable, victime auteur ou en attente de jurisprudence dans quelque domaine que ce soit, blanc, jaune, noir, métis, homosexuel, ou hétérosexuel, croyant, agnostique ou athée mérite le respect : l’accueil, l’écoute, la décision dans un délai raisonnable ! Que le remède doit toujours être tenté qu’on l’appelle, conciliation, médiation, réparation, sursis, travail d’intérêt général ... etc.. Cela a fortiori avec un degré d’intensité supérieur quand on est en présence de mineurs. Ce sont les instructions d’action publique que je donne et renouvelle aujourd’hui aux parquets de ce ressort en ma qualité de procureur général, je sais et cela me conforte, qu’elles sont conformes à vos directives déclinées par Madame Le Queau dont je salue la présence et l’aide respectueuse de notre indépendance. (Vous avez la chance Madame la Ministre, d’être entourée d’excellents directeurs et inspecteur dont je salue avec MM Beynel et M. Feltz, le grand sens du dialogue et la disponibilité). Je rêve d’un pays où la justice ait toujours la volonté et les moyens aussi de contribuer à faire assurer le respect de la personne humaine corps et esprit et en particulier des petits et des sans défense, où la justice ne désespère pas de l’homme et sache ranimer la petite flamme de bien qui y vacille toujours.
LA JUSTICE nfin, la dernière des allégories représentée dans notre parlement est celle de la justice elle même, drapée de dignité, munie des symboles d’équité et de grandeur et accompagnée d’un greffier. La justice est une vertu et aussi un pouvoir. En trente cinq ans et malgré l’immense décalage dont je suis conscient entre ma pratique et toutes les vertus dans lesquelles j’aurais dû m’illustrer, je continue à aimer cette mission de rendre la justice. Je m’y sens toujours au premier rang dans l’espace où se déroulent les évolutions de notre société, acteur de celles-ci qui touchent aussi à ma vie comme à celles des autres. Je me désole de ce décalage, de mon indignité, comme parfois de la difficulté du quotidien, du découragement éprouvé par les acteurs de la justice, les plus exposés, les plus surchargés. J’aime à trouver sur cette allégorie, la présence du greffier, sans lequel je n’agirais point - j’ai eu la chance d’être accompagné pendant toute ma carrière par des assistants et des greffiers auxquels je dois beaucoup : Madame Jacqueline Inglart, s’apprête à prendre sa retraite après avoir assisté plusieurs chefs de cour, à travers sa personnalité rayonnante, j’exprime ma gratitude à tous les greffiers et personnels rencontrés dans ma carrière. J’aurais retrouvé avec plaisir sur ce tableau figurant la justice : l’avocat surtout, le notaire
aussi, l’huissier, le policier et le gendarme, mes compagnons de route, le personnel pénitentiaire au dévouement admirable, les délégués du procureur, les médiateurs, les conciliateurs, les juges de proximité l’éducateur, vous tous sans lesquels la justice ne pourrait s’exercer. J’aimerais y trouver aussi les élus avec lesquels nous travaillons pour la cité, pour la prévention de la délinquance. Si j’avais un pinceau, je nous représenterais tous ainsi ensemble réunis. Je rêve d’un pays où la justice serait mieux connue, mieux comprise, mieux identifiée à la vertu qui lui donne son nom, où des échanges seraient plus denses entre magistrats et société pour que la pratique judiciaire soit enrichie, plus articulée avec le réel, plus directement orientée vers l’utilité sociale et mieux expliquée et accessible aux gens. En somme une justice plus proche. C’était aussi Madame la Ministre une contribution aux réflexions que vous organiserez à Paris les 10 et 11 janvier prochains pour « remettre le citoyen au coeur du service public de la justice ». A l’issue de ce propos, je crois que les six vertus exposées par Nicolas Guy Brenet, magnifiquement reproduites par le professeur Damien Lenglet et sa soeur et revisitées par nos jeunes, peuvent aujourd’hui encore contribuer à la poursuite de votre objectif pour la justice .
La religion
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La justice
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Photos : D.R.
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Rentrée solennelle CONCLUSION t puisque l’année commence, je voudrais remercier tous les magistrats du parquet général, tous les procureurs et leurs substituts, tous les greffiers et les services des greffes pour leur esprit d’équipe et la qualité de leur travail. Vous en constaterez l’ampleur à la lecture des statistiques qui vous ont été remises. Leur travail avec les magistrats du siège et les fonctionnaires a été lourd et de qualité. A titre d’exemple, les magistrats du parquet général ont requis dans 350 audiences correctionnelles et d’assistance éducative et participé à 57 procès d’assises . Si les chiffres des contentieux pénaux se sont stabilisés, ils ont augmenté à la chambre de l’instruction qui a rendu 2988 décisions en 2013 et gagné en complexité du fait de l’application de réformes très importantes comme celle de la garde à vue. Enfin bien entendu le droit des sociétés et le contentieux des mineurs ont constitué des priorités objectives qui à côté de la médecine légale et de la justice des mineurs et de la politique de la ville, ont particulièrement mobilisé le parquet général et tous les parquets. Je remercie et félicite les services de police et de gendarmerie, la protection judiciaire de la jeunesse et les services pénitentiaires pour leur travail. Je remercie à nouveau les élus que vous avez cités Madame le Premier Président, ce que je ne puis plus faire et qui nous honorent de leur présence en nous aidant beaucoup pour l’organisation de ce tricentenaire. Merci à l’université d’Artois si proche de nous et aux professeurs, étudiants et élèves qui ont pleinement contribué à cet événement et vont continuer tout au long de l’année. Merci au monde artistique si présent dans cette région : le conservatoire de musique, les théâtre et les splendides musées qui eux aussi nous rappellent que l’homme comme créateur est d’une essence irréductiblement spirituelle.
Christiane Taubira
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J’aurais enfin une pensée émue pour la grande cohorte de ceux qui nous ont précédé ici depuis trois cent ans : foule immense de magistrats, greffiers et personnels attachés au parlement puis à la cour, avocats. Je songe aussi à tous les justiciables qui pendant trois siècles ont espéré, souffert, expié, apporté ici des tranches de vie souvent dramatiques ; je m’incline respectueusement devant leur mémoire, devant leur souffrance, devant leurs espoirs déçus ou non ! Le fil du temps c’est aussi l’aujourd’hui et le futur : aussi sommes nous particulièrement heureux d’accueillir au parquet général en
ce début d’année Madame Valton qui passe du siège au parquet et retrouve ses racines nordiques tout en assumant une responsabilité éminente au service de la magistrature, Madame Cluytens, Vice procureure placée qui a bien œuvré au parquet de Lille et Monsieur Quinquet de Monjour qui armé d’une solide réputation en matière de lutte contre la criminalité organisée, arrive de la chancellerie pour être promu avocat général. Je les félicite ainsi que nos nouveaux magistrats du siège et souhaite à tous la bienvenue. J’adresse aussi mes voeux à tous les nouveaux bâtonniers et à tous leurs barreaux. 2014-16
Vie du Droit
Ordre des Avocats aux Conseils Hélène Farge succèdera à Gilles Thouvenin
Hélène Farge et Gilles Thouvenin à la Cour de cassation le 9 janvier 2014
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ors de sa séance du 19 décembre 2013, l’assemblée générale de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation a élu Madame Hélène Farge, président désigné de l’Ordre (Suffrages exprimés : 105 votants, 83 bulletins en faveur de Madame Hélène Farge et 22 bulletins blancs). Nous adressons nos chaleureuses félicitations à la brillante avocate, qui prendra ses fonctions en janvier 2015 pour un mandat de trois ans. Ce sera la deuxième femme à la tête de l’Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, après Elisabeth Baraduc du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002. 2014-17
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Paris, 19 décembre 2013
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Vie du droit
La Justice du 21ème siècle Maison de l’UNESCO - Colloque sur la réforme de l’organisation judiciaire Paris, 10/11 Janvier 2014 Pour clôturer le débat national sur la justice du XXIème siècle, Christiane Taubira s’est exprimée, avec une exceptionnelle faconde à la tribune de l’UNESCO samedi dernier en fin de matinée. Elle a tout d’abord exprimé sa profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué à élaborer des propositions pour réformer la justice française. Elle s’est engagée à les soumettre rapidement à la réflexion du Gouvernement. Sur le frontispice de l’UNESCO, carrefour des cultures, des sciences et des arts de nos cinq continents, le passant peut lire « Cultivons la paix ». Le choix de ce lieu par Christiane Taubira, pour le grand débat national sur la justice qu’elle a imaginé afin que chacun puisse par ses réflexions participer à l’œuvre de justice, n’est pas anodin car cette institution internationale a pour vocation de favoriser les dialogues. La Garde des Sceaux a ensuite dressé le bilan de l’action conduite depuis 20 mois par le Ministère de la Justice dont les grandes lignes sont : augmentation de l’indépendance de la Justice, amélioration des conditions de travail dans les juridictions, augmentation du budget alloué par l’Etat à la Justice et accroissement de l’accessibilité de la Justice. Pour conclure, elle a salué la volonté de son Gouvernement d’avoir voulu rendre hommage à l’institution judiciaire afin « qu’elle occupe toute sa place et retrouve son lustre ». La Ministre de la Justice a également souligné que « c’était la première fois depuis 1958 qu’une réforme de la Justice était pensée avec une telle ampleur ». Après Michel Debré en 1958 (Constitution de la Vème République), Robert Badinter en 1981 (Cour Européenne des Droits de l’Homme), Henri Nallet en 1991 (aide juridictionnelle) et Elisabeth Guigou (Présomption d’innocence), il faut en 2014 « penser globalement » grâce à une intelligence participative et collective. C’est donc maintenant au Gouvernement de réformer pour que « la justice force désormais le respect, soit juste, de qualité et bien exécutée afin qu’elle reste et demeure le pilier de la cohésion sociale ». Jean-René Tancrède
L’intelligence participative par Jean-Marc Ayrault
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’abord, permettez-moi de vous remercier de votre accueil et vous dire aussi l’importance que j’attache à ma présence pour répondre à l’invitation de Madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, pour cet événement qui – disons-le- est largement inédit. Inédit par son ampleur d’abord puisque vous êtes aujourd’hui plus de 1 500 participants dans cette salle et puis dans une autre. Mais inédit aussi par sa méthode puisque c’est la première fois que l’ensemble des juridictions sur tout le territoire sont associées au lancement d’une réforme d’une telle ampleur. Cette forte mobilisation est à la hauteur de l’enjeu dont chacun ressent aujourd’hui l’importance. Car la justice affronte des défis redoutables. Comme toute institution publique en temps de mutation profonde de la société et du monde, elle n’échappe pas à la défiance du citoyen. Parce que ses règles et son fonctionnement sont généralement mal connues, elle est encore trop souvent perçue comme lente voire expéditive, onéreuse, complexe. Elle qui doit sans cesse rassurer et apaiser devient parfois une source d’inquiétude et d’aléa. Je vous le dis comme je le pense, non pas pour en faire le reproche à qui que ce soit, car j’ai le plus grand respect pour l’institution judiciaire. Le Président de la République et le Gouvernement ont voulu rompre avec une période où les décisions de justice étaient publiquement contestées et certains
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magistrats même directement mis en cause. La Justice doit être respectée. Elle mérite la confiance des Français. Et le rôle de l’exécutif, dans une démocratie, est d’être en première ligne pour manifester ce respect et cette confiance. L’enjeu est de taille car jamais la demande de Justice n’a été aussi forte, que ce soit en matière pénale ou civile, et dans tous les domaines : économique, familial, social, environnemental. Et la Justice y fait face au quotidien, jour après jour, et au prix d’un investissement personnel considérable de chacune et chacun d’entre vous. D’ailleurs c’est pour moi l’occasion de rendre hommage à votre dévouement, et votre professionnalisme ; j’ai déjà eu l’occasion de le faire, je l’avais fait solennellement à l’Ecole Nationale de la Magistrature, à Bordeaux, en mars dernier mais je le redis encore devant vous ce matin.
Je sais les conditions difficiles dans lesquelles se rend la Justice, à quel point les professionnels déplorent de ne pouvoir répondre, au quotidien, aux besoins des justiciables, de voir toujours augmenter des tâches chronophages qui les éloignent de leur coeur de métier. Or, le coeur du métier, au-delà de l’acte de juger, c’est le service des citoyens. C’est cela que le Président de la République a rappelé lors de l’audience solennelle de la cour de cassation le 18 janvier de l’année dernière. Cela suppose en premier lieu de restaurer la confiance dans la Justice et le respect qui lui est dû. Car c’est la condition de la confiance dans la démocratie et dans la force de notre Etat républicain qui est en cause. La Justice est la gardienne des droits et des libertés. Elle est le défenseur de l’intérêt général et du respect des lois, mais aussi souvent l’ultime recours du plus faible. Chaque fois que la justice s’affaiblit, c’est le pacte républicain lui-même qui est fragilisé.
Les rapports rédigés de mai à décembre 2013 pour réfléchir à la Justice du 21ème siècle « La prudence et l’autorité : l’office du juge au XXIème siècle »
Antoine Garapon Directeur de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ).
« La modernisation de l’action publique »
Jean-Louis Nadal, Procureur Général Honoraire près la Cour de cassation.
« Le juge du 21ème siècle »
Pierre Delmas-Goyon, Conseiller à la Cour de cassation.
« Les juridictions du 21ème siècle »
Didier Marshall, Premier Président de la Cour d’appel de Montpellier.
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Vie du droit
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Jean-Marc Ayrault
C’est pourquoi nous n’avons eu de cesse, depuis vingt mois, avec Christiane Taubira, de travailler à construire une Justice dont les citoyens se sentent plus proches, parce que là est sa vraie force et que là aussi naît sa légitimité et le respect de son autorité. C’est le sens des textes que nous avons fait adopter par le Parlement pour renforcer l’indépendance de la Justice. La loi du 25 juillet 2013 interdit toute instruction du Garde des sceaux dans des affaires individuelles. Les lois relatives à la transparence de la vie publique ont également marqué une avancée importante. La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique a ainsi permis de créer un parquet financier, dont l’indépendance est garantie par la loi et qui sera bien mis en oeuvre au 1er février 2014. Mais c’est aussi le sens du projet de réforme constitutionnelle, qui s’inscrit dans cette même volonté de réaffirmer l’indépendance de l’institution. Les débats ont été riches sur ce texte. Ils n’ont pas permis de réunir d’emblée la majorité nécessaire, mais le Chef de l’Etat n’a pas renoncé, et lundi dernier, a été particulièrement clair : il a demandé au Gouvernement de poursuivre le travail, pour acter ce qui a fait consensus et trouver la majorité qualifiée qui permettra de faire aboutir la réforme. D’ores-etdéjà, pour la nomination des procureurs, l’avis du CSM est systématiquement suivi. Ces obligations nouvelles de transparence et d’indépendance sont nécessaires à la confiance des citoyens. Elles constituent, pour eux, des garanties et des droits nouveaux. Et c’est pour renforcer ces droits, pour conforter nos libertés publiques et faire toujours mieux respecter la loi que nous devons travailler sans relâche. Le projet de loi qui maintient le principe de la collégialité de l’instruction renforcera les droits des personnes mises en cause mais aussi des
victimes. Actuellement devant le Parlement, ce texte sera examiné avant l’été. Quant à la réforme pénale, elle constituera une autre étape importante. Ce projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres, répond à une triple exigence : la fermeté, l’efficacité dans la lutte contre la délinquance, et le respect des droits des victimes comme des personnes poursuivies. La peine doit être utile et elle doit avoir du sens. C’est pour cette raison que le projet de loi réaffirme le principe de l’individualisation des peines. Preuve a en effet été faite en France, en Europe et ailleurs qu’une peine individualisée, aussi bien dans son prononcé que dans son exécution, est plus efficace pour lutter contre le risque de récidive.
Les peines planchers seront donc supprimées, tout comme les révocations automatiques de sursis. C’est aussi l’objectif des dispositions visant à mieux encadrer la sortie de prison des délinquants. Je pense à la procédure de libération sous contrainte que nous créerons, pour éviter les sorties sèches, sans aucun suivi, qui favorisent, chacun l’admet maintenant, la récidive. Actuellement, ces sorties sèches, je tiens ici à le rappeler, représentent près de 80% des sorties de prison, et ces sorties aboutissent à une récidive dans deux cas sur trois. Cette politique est donc inefficace et même dangereuse. Elle n’est donc pas acceptable.
Dans la réforme que nous proposons, aucune peine actuellement existante ne sera supprimée. Nous en ajouterons même une nouvelle : la contrainte pénale, qui permettra au juge de fixer les mesures les plus adaptées et donc les plus efficaces. Et comme il ne s’agit pas seulement de faire une loi mais de donner à la Justice les moyens de la faire appliquer, j’ai décidé d’augmenter substantiellement les emplois nécessaires pour les services d’insertion et de probation, pour créer d’ici 2016 1000 postes supplémentaires et donc 400 dès 2014. Leur rôle est en effet essentiel pour la réinsertion des personnes condamnées et l’engagement très concret que j’ai pris est de ramener le nombre de personnes condamnées suivies par chaque agent à un maximum de 40, contre 90 en moyenne, je dis bien en moyenne parce que parfois c’est plus aujourd’hui. C’est donc un engagement fort, de changement, de nouvelles règles, mais aussi de nouveaux moyens. J’ai évoqué la proximité, et au nom de cette proximité de la justice, et de son efficacité, le Gouvernement a également pris la décision de lui redonner progressivement les moyens dont elle a besoin. Vous connaissez, les contraintes budgétaires, la nécessité de maitriser nos comptes publics, de réduire notre dette, de retrouver des marges de manoeuvre, c’est l’intérêt national qui le commande, personne ne nous l’impose, c’est nous qui le décidons pour nous-mêmes. Mais en même temps nous devons faire des choix, et c’est le sens de la politique, et de l’engagement et de la décision politique. C’est pourquoi nous avons pris cette décision, au sens le plus fort du terme politique, des décisions politiques, de donner à la Justice la priorité, comme à la sécurité, comme nous l’avons fait aussi pour l’éducation. C’est donc un choix. Après une augmentation de 4,2 % en 2013, le budget de la Justice progresse encore de 1,7 % en 2014.
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Vie du droit 209 millions d’euros ont été récemment dégelés pour financer le fonctionnement et les frais de justice du ministère, ainsi que 5 millions d’euros en urgence pour les travaux immobiliers les plus urgents des juridictions. Ces efforts ont permis à la Garde des Sceaux de prendre des mesures en faveur des personnels, et notamment ceux qui ont les plus petits revenus. La prime pour les fonctionnaires de catégorie C s’ajoutera ainsi à la restructuration des grilles négociée pour l’ensemble de la fonction publique. La revalorisation du statut des surveillants, négociée avec le syndicat majoritaire de la pénitentiaire, sera également mise en œuvre. Enfin, des moyens nouveaux seront investis pour sécuriser l’action des personnels : 33 millions d’euros au total pour la sécurité dans les prisons. Cet effort financier a permis de mettre en place un plan sans précédent pour recruter des magistrats et des fonctionnaires. Le rythme de 500 créations d’emplois est donc tenu pour chaque année passée et à venir. Bien sûr, j’entends les messages qui remontent du terrain, 395 postes de magistrats sont aujourd’hui vacants. Mais là encore nous payons les conséquences de longues années de suppressions de postes. Pendant cinq ans, les recrutements n’ont en effet représenté qu’à peine le tiers des besoins. Et face à cette situation, notre choix n’a pas été de boucher les trous en urgence, mais de reconstruire une politique cohérente de recrutement. C’est évidemment long, car il faut 31 mois pour former un magistrat. Et c’est pourquoi la situation ne s’améliorera vraiment qu’à partir de septembre 2014 avec la prise de fonction des auditeurs de justice de la promotion 2012 et celle des lauréats des concours complémentaires 2013 : plus, plus de 250 magistrats en tout. Et, en 2014, pour la première fois depuis longtemps, les arrivées seront plus nombreuses que les départs, et ce sont 384 nouveaux magistrats qui seront recrutés : l’un des meilleurs taux de recrutement depuis 10 ans ! En attendant, et pour soutenir les juridictions où la situation est la plus tendue, ce sont plus de 100 emplois d’assistants de justice supplémentaires qui peuvent être recrutés aujourd’hui. Cela vaut aussi pour la Protection Judiciaire de la Jeunesse, où nous avons recruté 300 postes sur les 650 supprimés par la précédente majorité. Mais également pour les greffiers, pour lesquels un important effort de recrutement est engagé : 2000 fonctionnaires des greffes partiront en effet à la retraite d’ici trois ans, soit près de 10% du corps. Mais là encore 1100 stagiaires sont actuellement en formation à l’Ecole Nationale des Greffes, qui arriveront en juridiction d’ici la fin de l’année 2014. Certains pourront penser que ces efforts budgétaires ne sont pas suffisants. Oui, on peut toujours le penser, c’est vrai, je peux le comprendre, mais encore une fois, au regard du contexte budgétaire que vous connaissez, un effort important, et donc engagé, et surtout qui doit être inscrit dans la durée. L’enjeu, mesdames, messieurs c’est bien de donner au citoyen les moyens de faire respecter ses droits en mettant la justice à sa portée. C’est ce que nous faisons depuis un an et demi, mais c’est surtout maintenant qu’il faut continuer. L’accès au droit et à la justice est, à cet égard, un enjeu fondamental de réforme. On dit souvent que la France a besoin de réforme, oui, c’est évident, elle doit se moderniser,
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elle doit s’adapter, sans pour autant perdre les fondamentaux de son modèle social et républicain, mais le besoin de réformes évidemment doit être respecté, et ça vaut aussi pour la justice. C’est donc au nom de cette exigence que nous allons corriger la réforme de la carte judiciaire dans huit villes ayant perdu leur tribunal de grande instance. Cinq nouvelles maisons de justice et du droit seront également ouvertes en 2014, essentiellement dans les zones de sécurité prioritaires. Enfin, l’aide aux victimes sera développée. Son budget a augmenté de 25% depuis 2012 et le seuil des 140 bureaux d’aide aux victimes vient d’être franchi. Il doit beaucoup à l’effort que nous avons consenti.
Au nom de l’accès au droit, nous avons aussi supprimé le droit de timbre instauré par l’ancien Gouvernement et ce tout en augmentant le budget de l’aide juridictionnelle de 28 millions d’euros. L’aide juridictionnelle qui est une politique publique essentielle de solidarité, nous avons donc le devoir de la réformer pour la préserver et c’est ce travail que nous avons engagé sur la base des travaux d’évaluation lancés par l’Inspection générale des services judiciaires. Simplifier est toujours un moyen de remettre le citoyen au coeur du système. Et cette année
encore, le Gouvernement va poursuivre le grand chantier ouvert par le Président de la République. Dans les domaines qui vous concernent directement, un projet de loi a été présenté, visant à légiférer par ordonnances. Plusieurs mesures visant à simplifier la procédure civile et à alléger dans toute la mesure du possible la charge de travail des magistrats et des fonctionnaires des services judiciaires au bénéfice des justiciables. Voilà le sens de cette ordonnance. Toutes ces réformes ont été menées de front depuis un an et demi à un rythme soutenu. Mais nous arrivons aujourd’hui au point où une nouvelle étape doit être franchie, celle de la réforme de l’organisation judiciaire. Il n’y a pas de modernisation sans réforme de structures, sans une vision globale et cohérente de ce que doit être l’avenir. Et cela vaut aussi pour la Justice, comme cela vaut pour tous les domaines de la vie de la Nation. Le moment est donc venu de bâtir une Justice plus simple, plus proche, plus efficace, et de le faire ensemble. Car on ne réformera pas la Justice sans ses agents, et encore moins contre eux, comme on a parfois tenté de le faire dans un passé récent. C’est la conviction qui anime la garde des Sceaux depuis le premier jour de sa prise de fonction. Une telle réflexion d’ensemble n’a pas eu lieu depuis 1958, c’est dire le défi. Et la Justice n’a connu depuis cette date que des réformes partielles quant à son organisation, qui ont, le plus souvent, ajouté des complexités supplémentaires dans l’organisation de nos juridictions. Cette organisation doit donc d’abord être simplifiée pour le citoyen. Or le paradoxe veut que ce soit au niveau des tribunaux de première instance, là où le justiciable s’adresse en premier lieu à la justice, que cette dernière est la plus complexe.
Pourquoi placer le citoyen au cœur de la Justice du XXIème siècle ?
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a Justice fait face à de profondes évolutions de la société qui ont entraîné un accroissement considérable de la demande de justice. Dans quasiment tous les domaines de la vie quotidienne - famille, travail, consommation et, aujourd’hui, écologie de nouvelles normes ont accompagné ces évolutions. Les juridictions et acteurs judiciaires y ont fait face, intégrant progressivement ces contentieux nouveaux, ajustant leur fonctionnement aux besoins des citoyens, réussissant à statuer dans des délais raisonnables dans bien des domaines. Ces efforts pour « faire plus et plus vite » en améliorant la gestion et l’organisation du travail rencontrent néanmoins leurs limites. Ces efforts - sans doute trop ponctuels ou sectoriels - n’ont pas permis de répondre pleinement à l’enjeu de modernisation de la
Justice et de son adaptation aux transformations de la société, de même qu’aux besoins des professionnels qui s’interrogent sur le sens de leurs missions et rencontrent souvent des conditions de travail exigeantes. C’est pourquoi, Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, Ministre de la Justice, a souhaité, au-delà de certaines mesures urgentes et immédiates, nécessaires pour répondre à la difficile situation des juridictions, entamer des réformes profondes de l’institution judiciaire, de ses modes de fonctionnement et de son organisation, qui doivent répondre à l’objectif de garantir une justice de qualité, disponible pour tous selon ses besoins. L’objectif du processus de réformes est de redonner du sens à l’œuvre de justice, en garantissant l’exercice de ses missions et l’indépendance de son statut dans un cadre modernisé.
Quatre enceintes de travail ont été créées réunissant des professionnels et les organisations syndicales. Leurs rapports ont été rendus en 2013 : « La prudence et l’autorité, l’office du juge du XXlème siècle » réalisé par l’Institut des hautes études sur la justice, la commission sur la modernisation de l’action publique, présidée par Jean-Louis Nadal, le groupe de travail relatif au juge du XXlème siècle présidé par Pierre Delmas-Goyon et celui relatif aux juridictions du XXlème siècle présidé par Didier Marshall. L’évènement « La justice du 21ème siècle : le citoyen au cœur du service public de la Justice » organisé les 10 et 11 janvier 2014 a vocation à permettre un large débat avec tous les acteurs de la vie judiciaire, ainsi que les milieux académiques, les autorités politiques et administratives et l’ensemble de la société civile.
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Vie du droit
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Christiane Taubira
Entre le tribunal d’instance, de grande instance, le juge de proximité, le tribunal des affaires sociales ou encore le conseil des prud’hommes, rares sont les citoyens qui spontanément savent s’adresser à la bonne juridiction. C’est donc un problème. A la dispersion des compétences répond d’ailleurs la multiplication des procédures spécifiques pour chaque nature d’affaire : avec ou sans avocat obligatoire, devant un juge unique ou en formation collégiale, avec des juges professionnels, ou non, ou les deux. Ces complexités peuvent être sources de délais, parfois d’erreurs, que ce soit pour ceux qui saisissent la Justice ou ceux qui la rendent. Cette organisation doit donc être simplifiée et ses procédures adaptées, pour mieux répondre à leur objet et aux publics qui y ont recours. A cet égard, toutes les réflexions qui se sont développées autour du tribunal de première instance tel que le Président de la République a pu le dessiner l’année dernière vont dans le bon sens. Mais repenser l’organisation judiciaire à travers l’architecture de ses juridictions et leur fonctionnement ne peut suffire. Encore fautil en tirer toutes les conséquences nécessaires quant aux missions, aux métiers, bref à ce que l’on désigne par « l’office du juge ». Cela fait bien longtemps que la Justice ne se contente plus de dire le droit. Elle répare, elle protège, elle restaure, elle évalue, elle
administre et a vu les contentieux qu’elle traite se diversifier en même temps qu’ils se massifiaient. Et ce déploiement de la Justice au-delà de son offre traditionnelle a paradoxalement contribué à créer une distance supplémentaire entre la justice et le justiciable : l’autorité du juge a eu tendance à se diluer à mesure de l’extension de son office. Les travaux menés sur ce sujet sont particulièrement riches et plusieurs évolutions sont aujourd’hui concevables et possibles. L’office du juge peut être repensé en fonction de son périmètre ou de son niveau d’intervention sur les matières qu’il traite. Le juge peut en effet être une instance de contrôle, de recours mais aussi de validation. Cela peut évidemment conduire à mettre en oeuvre des procédures qui favorisent le règlement non contentieux des litiges, mais à condition d’y mettre les garanties nécessaires pour que les droits de chacun soient effectivement garantis. En ouvrant ce débat - je dis bien j’ouvre le débat donc je ne veux pas le conclure, c’est ce que j’avais dit à la garde des Sceaux et ce serait quand même peu respectueux de ce vous allez entreprendre ensemble - mais en ouvrant ce débat, je voulais simplement vous dire que le Gouvernement attend beaucoup de vos travaux parce qu’il va vous revenir, au cours de ces deux jours, de conduire une réflexion qui doit aboutir à une réforme, qui doit
permettre de la réforme et ce que vous avez à faire est un travail - ce que nous avons à faire est un travail - considérable. J’en suis parfaitement conscient, et je tiens pour cela d’abord à saluer tous ceux qui se sont impliqués dans la préparation de ces travau : l’institut des Hautes Etudes sur la Justice, d’abord mais aussi les présidents des groupes de travail : Antoine Garapon, Sylvie Perdriolle, Boris Bernabé de l’IHEJ, Pierre Delmas-Goyon, Didier Marshall et Jean-Louis Nadal. Je remercie également Martine Comte et Dominique Le Bras, qui président le comité de pilotage des réformes judiciaires. Merci donc à tous ceux qui se sont mobilisés pour permettre la tenue de ce grand rassemblement et permettre aussi qu’il tienne ses promesses parce que je sais que l’attente est forte. Alors bien sûr, personne n’imagine le grand soir où on ferait table rase de tout et on reconstruirait. Non, bien sûr mais ce qui est à craindre c’est le déception, ce qui est à craindre, c’est que l’attente qui est très forte ne débouche pas sur une stratégie de réforme et qui se mette en oeuvre peu à peu mais de façon déterminée et concrète et qui en tout cas en ayant tracé une perspective, donné un sens, fixé un cap, garantit que la réforme se fera bien. Donc c’est tout l’enjeu et je sais que c’est difficile parce que tout le monde est d’accord au départ pour la réforme, tout le monde en ressent le besoin et puis ensuite lorsque l’on rentre dans les détails c’est plus complexe, c’est plus difficile, il peut y avoir des craintes et elles peuvent être
Les ateliers réunis à l’UNESCO ATELIER 1 Comment assurer une bonne adéquation entre juridictions, contentieux et territoires ?
ATELIER 2 Comment mieux travailler ensemble pour plus de lisibilité et d’efficacité pour les citoyens ?
ATELIER 3 Comment permettre aux citoyens et à leurs conseils d’être davantage acteurs de leurs parcours judiciaires ?
ATELIER 4 Comment reconnaître les nouveaux modes d’exercice de la justice ?
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ATELIER 5 Comment mieux garantir la protection des intérêts de la société et les droits et les libertés de l’individu ?
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Vie du droit parfaitement légitimes et en tout cas, elles doivent être prises en compte ou peut-être des blocages, des conservatismes ou des intérêts particuliers. Donc je sais que si vous êtes là, aussi nombreux, c’est que vous comprenez tout ça et que vous êtes conscients de la nécessité de bouger, d’avancer. C’est donc une grande réforme que nous devons construire mais une réforme pour les Français, une réforme ambitieuse, qui renforcera l’institution judiciaire dans sa légitimité, dans son autorité, dans son respect et donc dans son rôle au coeur de la République. Nous avons tous un combat à mener aujourd’hui pour le redressement de la France et un combat à mener pour le respect concret des valeurs républicaines et aussi pour la cohésion de notre société, pour la consolidation du pacte social qui parfois est fragilisé. Donc nous avons chacun notre part à prendre et la Justice bien sûr aussi et je dirais même beaucoup. Cet objectif, cet objectif du redressement de la mise en marche de notre pays qui doit retrouver confiance en lui, confiance dans ses capacités, dans son histoire, dans ce qu’il est et dans les défis qui à chaque grande tempête, il a su relever, il n’y a aucune raison que nous n’y parvenions pas
aujourd’hui mais parfois le doute s’installe dans les esprits. C’est donc notre tache, je sais qu’elle est immense d’engager les réformes nécessaires, de leur donner tout le sens qui convient pour qu’elles soient comprises et partagées et surtout qu’elles se réalisent. Je sais que vous comprenez tout ça ; je sais que vous partagez cette ambition au-delà des approches de chacun, des sensibilités de chacun mais c’est là l’intérêt du débat. C’est donc là encore un énorme travail, un grand défi qui nous attend mais à vous voir tous rassemblés Madame la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, me disait lorsque je suis arrivé que vous aviez été obligés de refuser des inscriptions, donc c’est un signe et je sais cette mobilisation, elle n’est pas ici dans cette belle salle de l’Unesco, tout un symbole qui a été choisi pour vos travaux mais que c’est aussi une mobilisation qui existe sur le terrain. Et lorsque Christiane Taubira me parle de ses visites dans les juridictions où elle prend le temps d’écouter, j’ai eu avec elle cette expérience lorsque je m’étais rendu à l’Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux après avoir rencontré les stagiaires, les personnels et j’avais fait la visite aussi du Tribunal de grande instance de Bordeaux où j’avais discuté
avec tous les professionnels et cela avait été passionnant et surtout ce qui m’avait beaucoup impressionné c’était la passion, qu’au-delà des attentes, au-delà de la volonté de réforme les personnels dans leur diversité mettaient dans l’exercice dans leur métier, parce qu’ils y voient évidemment quelque chose d’élevé et qu’euxmêmes y mettent beaucoup de leur personne, de leurs convictions, de leur attachement aux principes républicains et qu’ils veulent les faire vivre concrètement et que parfois ils souffrent des obstacles qui les empêchent de le faire avec plus d’efficacité et aussi plus de partage des citoyens et des justiciables, de ce qu’ils entreprennent pour faire respecter les lois de la République. Donc je sens une force qui monte mais qui est positive, une attente, une volonté. Alors merci pour tout ce que vous allez apporter dans ces travaux. Votre sens du service public et de l’intérêt public va nous permettre d’avancer, d’innover, de faire œuvre utile pour les Français. Cela n’est pas une affaire de corporatisme où seraient là uniquement les professionnels de justice entre eux ; non, c’est les Français qui sont concernés, c’est la France et donc à l’avance, merci de ce que vous allez faire pour eux, et que vous allez faire pour notre pays. 2014-18
Intervenants ayant participé au débat national des 10 et 11 janvier 2014 (par ordre alphabétique) Gilles Bachelier, Président de la Cour administrative d’appel de Nantes. Jacques Beaume, Procureur général près la Cour d’appel de Lyon, membre de la commission de modernisation de l’action publique : Refonder le ministère public, novembre 2013. Karim Benyekhlef, Professeur à l’université de Montréal, directeur du centre de recherche en droit public, Directeur du laboratoire de cyber-justice. Boris Bernabé, professeur de droit à l’université de Franche-Comté, chercheur associé à l’IHEJ. Claudine Bernfeld, Présidente de l’Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels. Marc Bollet, Président de la conférence des Bâtonniers. Luciana Breggia, professeure de droit à Florence, Italie. Fabienne Brugère, Professeur de philosophie à l’Université Montaigne de Bordeaux et Présidente du Conseil de développement de la Communauté urbaine de Bordeaux. Jean-Marie Burguburu, Président du Conseil National des Barreaux. Loïc Cadiet, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1. Florent Champy, Directeur de recherches au CNRS. Nathalie Chapon, conseillère à la Cour d’appel de Montpellier. Philippe Chaudon, Avocat au Barreau de Marseille. Denis Chemla, Président de Droits d’urgence. Narit Chhay, Greffier en chef stagiaire, délégué de la promotion Germinal Garriga en cours de formation. Martine Comte, Première Présidente de la Cour d’appel d’Orléans. Daniel Coquel, Président du Tribunal de grande instance du Mans. Didier Couret, Avocat, ancien Bâtonnier du barreau de Poitiers.
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Julie Couturier, Avocate au Barreau de Paris. Jean Danet, Maître de conférence en droit privé et sciences criminelles de l’Université de Nantes, Directeur de l’Institut d’études judiciaires de Nantes. Ulrika Delaunay-Weiss, Procureure de la République près le Tribunal de Grande Instance de Compiègne. Jean-Paul Delevoye, Président du Conseil Economique Social et Environnemental. Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation, président du groupe de travail relatif au « Magistrat du XXIème siècle ». Yves Detraigné, Sénateur, auteur du rapport d’information relatif à la Justice de première instance. Albert Doutre, Contrôleur général de la direction départementale des services de la police du Rhône, directeur départemental de la sécurité publique à Lyon. Laurence Dumoulin, Chargée de recherche au CNRS. Duncan Fairgriève, Avocat aux Barreaux de Paris et de Londres, chercheur au British Institute of International and comparative Law, Londres et maître de conférence, Sciences Po Paris. Jean-Luc Forget, Avocat au barreau de Toulouse. Brigitte Gambier, Présidente du Tribunal de commerce de Créteil. Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l’Institut des hautes études pour la justice (IHEJ). Robert Gelli, Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Nanterre. Catherine Glon, Avocate au Barreau de Rennes. Sibylle Gollac, Chargée de recherche au CNRS. Michaël Janas, Président du Tribunal de Grande Instance d’Angoulême. Jean-Paul Jean, Avocat général près la Cour de cassation, Professeur associé à l’Université de Poitiers, Président
du groupe des experts de la Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice au Conseil de l’Europe. Philippe Jeannin, Premier Président de la Cour d’appel de Rennes. Philippe Joyeux, Avocat, ancien Bâtonnier du Barreau de Nantes. Virginie Klès, Sénateur, auteur du rapport d’information relatif à la Justice de première instance. Jean-Yves Le Bouillonnec, Vice-Président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Dominique Le Bras, Procureur Général près la Cour d’appel de Rouen. Claudy Lebreton, Président du Conseil général des Côtes-d’Armor, Président de l’Association des départements de France. Jérôme Lesne-Menard, Greffier placé au service administratif régional de Paris. Françoise Lestrade, directrice de greffe du Tribunal de grande instance de Bobigny. Michel Lussault, Géographe, Directeur de l’Institut français de l’éducation à l’Ecole normale supérieure de Lyon. Didier Marshall, premier Président de la Cour d’appel de Montpellier. Lara Millan, Greffière stagiaire de la promotion Simone Veil en cours de formation. Jean-Louis Nadal, Procureur Général Honoraire près la Cour de cassation. Sarah Olivier, Auditrice de justice, déléguée de la promotion 2012. Jacques Poumarède, Professeur de droit à l’université de Toulouse, président de l’association nationale des conciliateurs. Pascal Prache, Procureur de la République près le Tribunal de grande instance d’Agen. Marion Primevert, Vice-Présidente du Tribunal de grande instance de Paris, responsable de la formation relative au Juge des libertés et de la détention et aux soins psychiatriques sans consentement. Jacques Raimondeau, Médecin inspecteur, assistant médecin au pôle de santé publique de Paris.
Emmanuel Ravanas, Avocat au Barreau de Paris. Myriam Roger-Morange, Médiatrice, chef du service de médiation de l’Union départementale des associations familiales du Pas-de-Calais. Esther de Rooij, Présidente adjointe du tribunal d’Amsterdam. Pierre Rosanvallon, Professeur au Collège de France. Christine Ruetsch, Avocate, ancien Bâtonnier du Barreau de Strasbourg. Denis Salas, Magistrat, directeur scientifique des cahiers de la Justice, revue de l’École nationale de la magistrature. Patrick Sannino, Président de la Chambre nationale des huissiers de justice. Wolfgang Schild, ancien Secrétaire d’État à la Justice de la Sarre, ancien Président de la conférence des secrétaires d’État à la Justice d’Allemagne. Gabrielle Schütz, Sociologue, maîtresse de conférences à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines. Michèle de Segonzac, Présidente du Tribunal administratif de Paris. Gilles Straehli, Conseiller à la Cour de cassation. Jean-Pierre Sueur, Président de la Commission des lois du Sénat. Pierre-Olivier Sur, Bâtonnier du Barreau de Paris. Jean Tarrade, Président du Conseil supérieur du notariat. Jean-Pascal Thomasset, Directeur de l’AVEMA (association d’aide aux victimes et de médiation de l’Ain). José Juan Toharia, Professeur, Président de Metroscopia, institut de sondage espagnol. Jean-Jacques Urvoas, Président de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale. Florent Verdier, Avocat au Barreau de Draguignan. Thierry Verheyde, Président du Tribunal de grande instance de Dunkerque. Antonio Zarate Condé, Directeur du centre d’études juridiques du ministère de la Justice d’Espagne.
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Vie du droit
Syndicat des Avocats de France (SAF) Réflexion sur les juridictions du 21ème siècle
Le SAF entend soumettre la contribution suivante à la réflexion menée par le Conseil National des Barreaux (CNB) sur les juridictions du 21ème siècle et plus particulièrement sur la place de l’avocat dans celles ci.
E
n préalable, le SAF fait le constat amer, que les réformes envisagées s’inscrivent prioritairement dans le cadre de restrictions budgétaires, et même, dans cette seule optique, au détriment de la qualité du service proposé aux justiciables. Les postes vacants de magistrats et de fonctionnaires se multiplient ; les jugements sont rendus dans des délais qui n’ont plus rien de raisonnables ; les alternatives aujourd’hui proposées par la Chancellerie visent essentiellement à éviter le juge ou plutôt à pallier à ses carences, par la médiation, ou tout autre mode alternatif de résolution des conflits. Le CNB fait des propositions visant à inclure l’avocat dans ce processus, pour garantir les droits du justiciable et garder une place (quelle sera-t-elle ?) au droit, dans la résolution des conflits. Le SAF ne peut que se féliciter de cette démarche mais s’inquiète de ce que le Juge ne serait finalement plus qu’une chambre d’entérinement d’accords conclus sous forme d’acte d’avocat, sans même que, bien souvent, la présence du justiciable ne soit même requise. Le juge perd ainsi sa mission première, qui est de dire le droit, de protéger et de garantir les libertés individuelles. Cette tendance aux modes alternatifs des conflits est par ailleurs précédée par un « formatage » de la décision judiciaire (généralisation de l’utilisation des barèmes, utilisation accrue de l’informatique, formatage des écritures des avocats – décret Magendie…), qui ne laisse rien augurer de bon quant à la fonction, pourtant essentielle, du juge, de juger et de dire le droit, matière en évolution constante, qui ne peut se satisfaire de décisions uniques par espèces. Si le CNB rappelle la place de l’avocat dans la mise en œuvre des modes alternatifs, il est essentiel de rappeler que cette place ne saurait être acquise pour tous, sans que soit repensé et abondé, le système d’aide juridictionnelle, pour qu’enfin l’avocat puisse en toutes circonstances accomplir pleinement sa mission, qu’elle soit de conseil, de médiation, ou juridictionnelle. Tel n’est pas le cas actuellement. Les justiciables éligibles à l’aide juridictionnelle doivent impérativement pouvoir bénéficier d’une défense d’égale qualité que ceux qui sont en mesure de payer leur avocat, ce qui passe nécessairement par une juste rémunération de l’avocat intervenant dans le secteur assisté, à tous les stades du règlement du conflit. Ainsi, le SAF soutient qu’une réforme ne peut être pensée, sans que la seule amélioration du service rendu au justiciable n’en soit le moteur. A - LA QUESTION SPÉCIFIQUE DU DROIT SOCIAL Le SAF tient à rappeler dans un premier temps que les juridictions sociales souffrent d’un manque cruel de moyens (I), et, que la carte judiciaire ignore le développement de nouveaux sites d’activité (II). Cependant consciente que certains
dysfonctionnements peuvent trouver leur origine dans le comportement des parties au procès elle va suggérer quelques pistes d’amélioration de la procédure (III). Elle finira par attirer une nouvelle fois l’attention sur les risques de voir en la médiation et les contrats de procédure une solution aux dysfonctionnements dénoncés (IV). I -Les juridictions sociales souffrent d’un manque cruel de moyens A titre liminaire, le SAF rappelle son attachement au caractère paritaire et non professionnel de la juridiction prud’homale. Elle confirme également sa volonté de voir préserver une procédure orale en la matière. Les dysfonctionnements des juridictions prud’homales ne trouvent pas leur origine dans le paritarisme, le mandat syndical des conseillers ou l’oralité de la procédure mais dans la carence des moyens alloués par L’Etat aux juridictions prud’homales, aux chambres sociales des cours d’appel mais également aux tribunaux des affaires de sécurité sociale. C’est d’ailleurs ce qu’a très clairement rappelé le Tribunal de Grande Instance de Paris à 71 reprises au cours de l’année 2011 et 2012 à l’occasion d’une série d’actions largement médiatisées. Le 15 février 2011, 71 assignations ont été déposées à la date anniversaire de la réforme de la carte judiciaire par 71 salariés auxquels se sont joints le SAF, le SM, la CGT la CFDT Solidaires, l’UNSA et les ordres d’avocats. Les requérants dénonçaient des délais déraisonnables et demandaient au Tribunal de juger l’Etat coupable de déni de justice et ce, notamment sur le fondement de l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme qui prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ». A 71 reprises, le Tribunal a condamné l’Etat pour déni de justice et a indiqué dans ses jugements : « Si manifestement ces délais excessifs résultent du manque de moyens de la juridiction prud’homale, il n’est pas discutable qu’il revient à l’Etat de mettre en œuvre les moyens propres à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables, faute de quoi il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qui lui est due. » (jugement du 4 avril 2012) La juridiction a ainsi très clairement indiqué que seul le manque de moyens était à l’origine des délais déraisonnables devant les juridictions sociales, ce qui est peu étonnant lorsque l’on sait qu’il manque par exemple 6 postes de greffiers (dont 3 d’audience) au conseil de prud’hommes de Bobigny, ou qu’il n’existent que 10 codes du travail et 10 ordinateurs (non reliés à internet) pour 832 conseillers à Paris Ces décisions mettent également en évidence le manque criant de juges départiteurs. Il est en outre utile de rappeler que lorsque
ces actions ont été menées, Monsieur Claude Bartolone en sa qualité de député de la Seine Saint Denis s’était ému de la situation et avait posé à l’ancien gouvernement la question suivant : « Quelles mesures le gouvernement entend prendre pour que le droit républicain d’obtenir une décision de justice dans un délai raisonnable soit effectivement garanti devant l’ensemble des conseils de prud’hommes ? » Il est également important de citer un communiqué du Parti socialiste pris à la suite des condamnations de l’Etat et qui invectivait le gouvernement alors en place en indiquant « nous demandons au gouvernement d’assurer la protection de l’ensemble des salariés en donnant aux Conseil des prud’hommes les moyens nécessaires pour remplir leur mission. » Ainsi, puisque les juges condamnent pour déni de justice et que la majorité parlementaire reconnaît le manque de moyens, il est naturel pour le SAF de rappeler que « c’est parce que la justice est chose précieuse qu’elle doit coûter cher ! » Les arbitrages du gouvernement, si nécessaires soient-ils, ne doivent en effet que concerner les orientations politiques. Le respect d’un droit fondamental garanti par une convention internationale n’est pas l’orientation d’un parti politique, ni la revendication d’un syndicat. Il est une exigence démocratique qui s’impose à l’Etat Le SAF sollicite ainsi dans l’urgence, et avant toute chose, les moyens financiers, matériels et humains, permettant aux juridictions prud’homales de fonctionner normalement et ce comme elle l’a déjà fait devant l’Assemblée Nationale le 26 février 2013. II - Une carte judiciaire à repenser Le code du travail prévoit l’existence d’un Conseil minimum par ressort de TGI. Pour autant, l’article L. 1422-1 du code du travail donne la possibilité de créer des Conseils de prud’hommes supplémentaires pour des raisons « d’ordre géographique, économique ou social ». Lors de la dernière réforme de la carte judiciaire, aucune réflexion n’a été menée sur les juridictions implantées dans les grands bassins d’emplois. L’absence de réflexion sur ce sujet n’a pas permis de corriger l’encombrement déjà existant et critique de certains CPH notamment Nanterre, Paris et Bobigny. Le développement par exemple des activités tertiaires dans la ville de Saint-Denis ou à la Défense doit être pris en considération et justifie la création de Conseil supplémentaire dans le ressort de Bobigny ou de Nanterre. Il conviendrait également d’analyser les effets de la suppression de conseils de prud’hommes de Province, intervenus lors de la dernière réforme de la carte judiciaire, au regard de l’exigence démocratique de l’accès au Juge qui ne peut être garantie que par la proximité des juridictions avec les justiciables.
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Vie du droit III - Quelques pistes de réflexions sur une réforme de la procédure prud’homale: Forte de l’expérience quotidienne de ses membres devant les conseils de prud’hommes, le SAF entend souligner qu’il existe souvent des difficultés lors de la communication des pièces et que ces dernières peuvent être à l’origine de renvois et donc d’encombrement des rôles. Pour comprendre la problématique de la communication des pièces devant la juridiction prud’homale, il faut avoir à l’esprit que le procès prud’homal est différent des autres procès civils, et ce notamment, quant à la place que peuvent avoir le demandeur et le défendeur dans l’administration de la charge de la preuve. Dans le cadre d’un procès prud’homal, le salarié est certes demandeur à l’action mais il est défendeur au licenciement (dans le cadre des litiges relatifs au licenciement qui sont les plus nombreux). Lorsqu’il saisit le Conseil de prud’hommes il n’est ainsi pas en possession des pièces qui ont justifié la rupture de son contrat de travail. Or c’est sur l’analyse de ces pièces qu’il peut développer son argumentation pour contester la rupture de son contrat de travail. La communication des pièces de l’employeur à seulement quelques jours de l’audience peut donc engendrer pour le demandeur la nécessité de répliquer et donc de solliciter un renvoi. Or l’employeur a tout intérêt dans le cadre d’un litige prud’homal à ce que l’affaire soit jugée dans les plus longs délais, et ce notamment pour provisionner les sommes, pour décourager le salarié ou dans certains cas pour organiser son insolvabilité. Il est donc extrêmement fréquent que les avocats des employeurs produisent la veille de l’audience leurs argumentation et pièces. L’article 446-2 alinéa 4 du code de procédure civile pourrait suffire à endiguer ces comportements, puisqu’il dispose que : « Le juge peut écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués sans motif légitime après la date fixée pour les échanges et dont la tardiveté porte atteinte aux droits de la défense. » Mais en pratique les conseillers prud’hommes ne font pas application de ce texte et renvoient le dossier à des dates souvent très lointaines (parfois un an devant certains conseils et certaines sections). Il est donc proposé que ce texte soit rappelé sur les convocations, lors de l’audience de conciliation, sur les formulaires de renvoi devant le bureau de jugement et que les juges soient incités à en faire une juste application. Afin d’éviter cette difficulté liée à la production tardive des pièces du défendeur, il peut cependant être envisagée une légère modification de la procédure, qui pourrait également se révéler positive sur le nombre de conciliations lors de l’audience initiale. Il est rappelé que c’est lors du bureau de conciliation que le Conseil fixe les dates de communication de pièces, en mentionnant d’abord une date pour le salarié puis une date pour l’employeur. Il est proposé par le SAF, d’imposer aux parties de communiquer leurs pièces avant le bureau de conciliation. Le demandeur devra ainsi produire les pièces qui justifient sa contestation, et l’employeur devra verser les pièces justifiant les motifs invoqués dans la lettre de licenciement à l’origine de la rupture du contrat de travail. Cette modification légère de la procédure
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permettra ainsi aux parties d’arriver au bureau de conciliation avec la connaissance du dossier de leur adversaire, ce qui aura nécessairement une influence sur leur volonté de négocier. Elle permettra également aux parties d’être informées dès le début de la procédure des pièces de leurs adversaires et de préparer leur défense dans les meilleurs délais, et ce, dans le respect du contradictoire, trop souvent oublié en la matière. Dans ces conditions il est évident que de nombreux renvois seront évités devant le bureau de jugement. Pour tenter de limiter les départages, source de délais déraisonnables devant un certains nombre de conseils, il pourrait également être envisagé d’imposer aux conseillers de notifier aux parties les chefs de demandes qui font l’objet du partage de voix. Il est en effet courant de constater qu’un dossier est renvoyé en départage parce qu’un chef de demande, parmi les différents proposés, n’a pas permis aux conseillers de s’entendre. Si au terme de leur délibéré, les conseillers étaient obligés de notifier les chefs de demandes ayant abouti à un accord et ceux ayant abouti à un désaccord, il est plus que probable que le nombre de partage de voix soit diminué. Cette modification de la procédure permettrait en tout état de cause de développer les partages partiels de voix ce qui serait bénéfique pour les salariés qui n’auraient ainsi pas à attendre de longs mois ou années pour bénéficier de certaines sommes. IV - La médiation et les contrats de procédure : des solutions à proscrire Le SAF rappelle son attachement au Service de la Justice gratuit qui seul garantit une égalité des citoyens face à la loi et qui ne peut donc être compatible avec le système de la médiation qui est onéreuse. Par ailleurs, la médiation ne peut être la réponse adaptée aux délais de procédure et à la surcharge de travail du personnel de greffe et des magistrats pour la matière prud’homale. En premier instance, la médiation n’a pas de justification du fait de l’existence du bureau de conciliation dont l’un des principaux objets est de régler le contentieux par la voie de la conciliation. Il est, en tout état de cause, possible de transiger et concilier à tout moment au cours de l’instance. Aussi, en cause d’appel, la médiation n’a pas plus lieu d’être. En outre, les expériences menées, par exemple devant la CA de Paris, ne sont pas concluantes et conduisent au contraire à un surcoût pour le Service de la Justice. A la CA de Paris, en sus des salles mises à disposition, la médiation mobilise une quarantaine de médiateurs, un référent médiation et un assistant de justice à plein temps pour sélectionner les dossiers et ce pour un résultat dérisoire. Sur 300 dossiers spécifiquement sélectionnés, seulement 11 médiations ont abouti. La médiation à ce stade est souvent inefficace car un premier jugement est déjà intervenu et le litige est donc souvent « cristallisé ». Concernant les contrats de procédure, le SAF attire l’attention sur le risque de : - voir remis en cause le principe de l’application d’une procédure unique sur le territoire français, ce qui n’est pas acceptable. En outre ces contrats de procédure ne sont pas toujours négociés avec les partenaires les plus légitimes puisque l’on constate souvent qu’ils ont été édictés par l’ordre des avocats et le Président
du TGI sans que les syndicalistes, partenaires privilégiés en la matière, ne soient consultés. - porter atteinte à l’oralité des débats, - être en contradiction avec les règles spécifiques de l’administration de la preuve en matière prud’homale (discrimination, harcèlement, faute grave, licenciement pour motif économique, etc.). - être en contradiction avec l’article 446 alinéas 3 et 4 du Code de Procédure Civile qui prévoit déjà une possibilité de mise en état spécifique à chaque dossier et qui, à notre sens, est plus adaptée que des règles générales insaturées par des contrats de procédure. V - L’échevinage : un leurre intellectuel et budgétaire Le SAF entend également rappeler qu’il est fermement attaché la juridiction prud’homale telle qu’elle existe aujourd’hui. L’échevinage qui semble être une piste de réflexion pour certains est un leurre. Si la juridiction dysfonctionne, ce n’est pas parce que les conseillers prud’hommes ne sont pas à la hauteur de leurs missions et qu’ils auraient le besoin impérieux d’être encadrés par un juge professionnel. Comme rappelé ci-dessus, les dysfonctionnements ont pour source le manque cruel de moyens et une procédure de communication de pièces inadaptée au procès prud’homale. La seule piste de réflexion possible pour améliorer la qualité des décisions serait donc, outre le fait de donner les moyens matériels et humains aux juges de remplir leur office, d’assurer une formation complémentaire à celle qui existe à l’heure actuelle. A ce titre les propositions faites à ce sujet par le syndicat de la magistrature sont tout a fait satisfaisantes : formation initiale d’une trentaine d’heure assurée par des magistrats professionnels. En tout état de cause un grand nombre de conseil de prud’hommes souffre actuellement d’une carence de poste en juge départiteur, et l’on comprend mal, comment l’Etat pourrait faire fasse financièrement à la charge budgétaire de l’échevinage, là où il indique être dans l’incapacité financière de nommer juge départiteurs et greffiers dans les conseils de prud’hommes de la région parisienne saturés… B - LA MATIÈRE PÉNALE Le SAF a dénoncé tout au long des dernières années, l’escalade de la pénalisation de tous les comportements sociétaux. L’inflation législative en matière pénale a incontestablement conduit à un véritable engorgement des juridictions qui ont d’ailleurs du se réorganiser, et abandonner certains contentieux pour pouvoir donner « une réponse pénale » en temps réel, provoquant par la même un retard considérable dans le traitement des autre affaires. Le SAF a préconisé la dépénalisation d’un certain nombre d’infractions, telles que l’usage de stupéfiants, la détention ou le transport correspondant à une consommation personnelle, l’outrage…qui sont autant d’infractions qui pourraient se régler par des mesures plus pertinentes que la sanction pénale. La généralisation de la médiation pénale pour les petites infractions nous semble également un moyen d’éviter les engorgements inutiles. Par contre, le recours systématique à des procédures d’urgence, lorsque la peine encourue est supérieure à trois ans, nous semble inacceptable, tant les garanties d’une justice sereine et se donnant les moyens d’approcher la « vérité », sont indispensables à la compréhension et l’efficacité de la peine. Le SAF entend rappeler ici, la nécessité de donner à l’avocat toute sa place dans le cadre des GAV avec la possibilité d’accéder au dossier dès le début de
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Vie du droit la procédure ; de s’entretenir avec son client entre chaque audition ; de participer aux perquisitions et mesures d’expertise… C - LE DROIT DE LA FAMILLE Le 29 octobre dernier Christiane Taubira annonçait le lancement d’un vaste projet de reforme de la justice : « je veux », disait-elle, « que nous écrivions ensemble la plus belle et la plus efficace réforme de la justice au service des citoyens ». Elle annonçait, dans cette perspective, la création de quatre commissions dont elle indiquait attendre la remise des rapports dès le mois de décembre. L’objectif poursuivi, loin de viser à améliorer la qualité de la justice, semble en réalité de « lutter contre la déperdition des ressources suite à la massification du contentieux » (portail de la justice, 29 octobre 2013) et c’est à cette fin que, s’agissant des juridictions familiales, le projet a été couplé à une réforme du droit de la famille pilotée par le secrétariat de la famille, qui a également ordonné la création de quatre créations dont les rapports sont également attendus pour le mois de décembre, 2013 et le projet de loi pour le mois de mars 2014. Les premières informations qui ont pu filtrer sur les travaux de ces commissions, auxquels les avocats n’ont pas été associés, confirment que cette réforme poursuit principalement l’objectif d’améliorer la gestion des flux et de réduire le coût pour l’Etat de l’un de ses principaux postes de dépenses, notamment dans le secteur aidé. La Justice peine pourtant déjà, en matière familiale, à accomplir sa mission et à répondre au besoin de droit des citoyens (I). Le travail de réflexion qui doit présider à la réforme, à laquelle le SAF n’est pas hostile par principe, ne peut être mené dans le seul objectif de réduire les coûts de fonctionnement de la justice en restreignant l’accès au juge (II). I -Quelle juridiction familiale aujourd’hui ? Les difficultés actuellement rencontrées par les juridictions familiales témoignent d’une volonté de réorganisation des tribunaux calquée sur celle des entreprises, avec une redéfinition de leurs objectifs (économie de moyens, de temps, meilleure rentabilité) qui les éloigne de leur mission consistant à assurer la qualité des Services Publics de l’Etat : le programme LEAN «service judiciaire», autrement nommé «programme excellence judiciaire dans les Tribunaux» lancé à partir de 2010 sur plus de 20 juridictions avec la société de consultants CAP GEMINI CONSULTING, qui consiste en un audit inspiré du mode de fonctionnement des usines japonaises (le « toyotisme ») visant à éliminer les «pertes» (de temps, d’argent...) tout en optimisant la rentabilité, illustre parfaitement la volonté d’assimiler le service public de la justice à une entreprise. Dans la matière familiale, cet audit a notamment été suivi d’une restriction des enquêtes sociales aux seuls cas les plus graves ou à la quasi-disparition des expertises psychologiques ou psychiatriques, par souci d’optimisation des budgets, au détriment de l’intérêt du justiciable et de la bonne administration de la justice. Les juridictions familiales souffrent en pratique d’un manque de moyens devenu endémique, avec une disproportion entre le volume du contentieux à traiter et les moyens alloués aboutissant à une restriction du temps consacré à chaque dossier par le juge aux affaires familiales voire à de véritables dénis de justice (parents privés de relation avec leurs enfants durant de nombreux mois, conjoints laissés dans le dénuement avec une absence de contribution aux charges du mariage, de pension alimentaire ou de devoir de secours…) Ce qui apparaît au plan
budgétaire comme une source d’économie n’en est cependant pas une, puisqu’une justice de qualité, rendue par un juge qui a disposé du temps et des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission, est évidemment plus efficace socialement qu’un règlement au rabais, qui conduit les parties à se tourner vers la voie de l’appel ou à multiplier les procédures. La situation des juridictions familiales s’est encore dégradée lorsqu’elles ont été réorganisées en Pôles « Famille » adjoignant au contentieux traditionnel du JAF de nouvelles attributions. La réforme de la carte judiciaire et la création de l’Ordonnance de Protection par la loi du 9 juillet 2010 ont encore aggravé la charge de travail des JAF, puisqu’elles se sont faites à flux constant de magistrats et de personnels de Greffe, en lien avec la politique de non-renouvellement des fonctionnaires. C’est ainsi que la suppression des services reprographies, pourtant essentiels au fonctionnement des juridictions, impose ainsi désormais aux greffiers d’assumer la charge, particulièrement lourde des copies exécutoires, occasionnant des retards de traitement des dossiers préjudiciables aux justiciables. De même, le souci de limiter le nombre d’audiences conduit les juges à réaliser les auditions d’enfants sans audiencement préalable de l’affaire, et même à les déléguer à des tiers, ce qui vide la pratique de son intérêt, les propos de l’enfant se trouvant déconnectés de la problématique du dossier. Dans certaines juridictions, la première évocation du dossier intervient après 6 à 8 mois d’attente pour le justiciable. La juridiction de Bobigny, site pilote de la loi sur l’ordonnance de Protection, sans disposer des moyens ad’hoc, s’est trouvée totalement saturée par le développement massif de ce nouveau contentieux, qui a de fait empêché le traitement efficace de toutes les autres situations. Enfin l’on constate une différence de traitement très nette entre les juridictions : pour l’année 2013, à volume de dossiers équivalents, Bobigny compte 9 JAF tandis que Paris en compte 20. Au regard de ce qui précède, il apparaît impératif de rendre à la justice familiale, véritable justice de l’intime, les moyens nécessaires à la qualité de son fonctionnement. Il ne peut être fait l’économie d’une véritable politique de justice familiale correspondant à la réalité des besoins de notre société et de l’équilibre de la vie familiale. Il sera à cet égard rappelé que les Présidents de Tribunaux ont eux aussi dénoncé « le désenchantement et la souffrance » des juridictions et ont fait savoir que « leurs fonctions se limitent de plus en plus à la gestion d’une pénurie dramatique de moyens face à une inflation insupportable des charges » (Le Monde, 5 janvier 2011). Les solutions actuellement préconisées sont loin de s’inscrire dans une démarche d’amélioration du service public de la justice, mais tendent simplement à décharger les juridictions d’un contentieux chronophage et qui laisse à supposer que l’Etat ne serait plus en capacité d’assumer la principale des missions régaliennes. Les différents projets, sous couvert de règlement amiable des conflits, tendent à limiter et à différer l’accès au juge en matière familiale, la matière étant déférée à des tiers non-sachants. Le préalable obligatoire de la « médiation » illustre parfaitement cette tendance : la médiation, qui permet aux parties de renouer un dialogue rompu ne peut être appréhendée comme une alternative au juge. ou comme un outil de simplification de son travail sauf à être, pour le législateur, «un moyen de se débarrasser des dossiers». Elle ne peut s’inscrire dans un projet de réforme de la justice qu’à la condition qu’elle s’intègre au processus judiciaire, comme le
confirme le constat réalisé au sein des sites pilotes : la médiation exclusive de toute intervention du Juge et des avocats n’est pas adaptée à la matière familiale. On relève que les parties s’y sentent obligées d’accepter des propositions insatisfaisantes, « renoncent à des droits élémentaires par méconnaissance » puis se trouvent confrontées aux conséquences juridiques imprévues de leurs accords. Plus grave encore, les avocats qui interviennent a posteriori, constatent que les médiation réalisées sous contrôle d’un simple « accoucheur de parole » aboutissent à des accords adaptés aux désirs d’égalité des parents mais totalement inadaptés à l’intérêt des enfants ou se révèlent déséquilibrés. Ces accords posent dès lors un important problème de pérennité puisqu’ils sont généralement suivis d’une instance judiciaire. Outre un inévitable problème de coût, l’expérience des sites pilotes confirme enfin qu’à défaut d’accord, la médiation aboutit à retarder le traitement des dossiers par la justice, générant une profonde insatisfaction des justiciables. Quelles solutions face aux difficultés actuelles de la juridiction familiale et au caractère inadapté de la réponse proposée, étant rappelé que celles qui sont actuellement préconisées par le CNB partent toutes du présupposé d’une déjudiciarisation à laquelle le SAF s’oppose ab initio ? II -Quelle juridiction familiale pour demain ? Comme le rappelle Christiane Taubira en préambule, « chaque citoyen, indépendamment de ses ressources, doit pouvoir prétendre à une justice de qualité ». Si l’impératif budgétaire doit être entendu, il n’est pas acceptable qu’il serve de prétexte à la mise en place d’un service public au rabais, qui oublierait ses missions premières pour n’appréhender sa fonction que sous l’angle du coût le plus faible. Le SAF souhaite s’inscrire dans la démarche de modernisation de l’institution judiciaire comme force de proposition et, à partir de l’analyse de la situation actuelle, formule des propositions qui doivent permettre une « production judiciaire de qualité tout en la mettant en cohérence avec les besoins des justiciables » : Ø suppression de l’augmentation du droit de partage, passé de 1,1 % à 2,5 % de l’actif net partageable depuis 1er janvier 2012, mesure qui augmente considérablement le coût d’un divorce et touche particulièrement durement les foyers les plus modestes, les privant en priorité de la possibilité de conserver le seul bien immobilier qu’ils possèdent généralement, à savoir le domicile conjugal. Cette augmentation a par ailleurs présenté des effets contreproductifs pour les juridictions et même pour les services fiscaux, puisqu’elle a conduit les époux à se détourner du divorce par consentement mutuel, alors pourtant qu’il s’agit de la procédure de divorce dont la gestion se révèle la moins contraignante pour la juridiction. Il pourrait être envisagé de maintenir le taux de 1,1 % pour le bien composant le domicile de la famille ou bien encore un plafonnement pour une valeur moyenne (petit patrimoine 300 000 d’euros) ; Ø Application en première instance d’un calendrier de procédure inspiré de la réforme Magendie, qui conduirait à réduire les délais d’achèvement des dossiers et à offrir aux justiciables une prévisibilité quant à la durée de la procédure, à éviter d’encombrer les audiences des renvois, voire même de supprimer la mise en état Ø Prise en charge, au titre de l’aide juridictionnelle, d’une consultation d’avocat préalable à la saisine du Tribunal, destinée à assurer le justiciable du bien fondé de ses prétentions. Le SAF insiste sur les difficultés consécutives aux
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Vie du droit consultations dispensées par des non-praticiens qui, s’ils sont effectivement juristes, ignorent les modalités concrètes d’application des lois (calcul des prestations compensatoires, conditions des la résidence alternée...), et représentent un coût comparable pour l’Etat. Comme dans le cadre des consultations juridiques proposées par les sociétés d’assurance, l’information y est tronquée lorsqu’elle ne vise pas à apporter la solution utile mais poursuit une stratégie d’évitement du juge, tandis que les accords rédigés en conséquence et dépourvus de sanction judiciaire ne sont pas exécutoires, ce que les justiciables ne découvrent que lorsque les difficultés d’application apparaissent. Ø Suppression de l’ordonnance de Protection telle qu’elle a été créée le 9 juillet 2010 par une loi bâclée et inadaptée, qui pose d’importantes difficultés pratiques et fait du JAF un « petit juge répressif », avec rétablissement de l’ancien article 220-1 du Code Civil qui permettait déjà au JAF d’intervenir en urgence dans les situations de violences intrafamiliales. La suppression de ce texte doit s’accompagner de la redistribution des compétences judiciaires et répressives de chacun : l au JAF de fixer les mesures concernant la vie de la famille, l au Parquet de s’assurer de la sécurité des personnes et de veiller à la répression des comportements violents. Ø Conservation des deux apports positifs de cette loi : l pouvoir conféré au JAF de statuer sur l’attribution du domicile familial au parent assumant les enfants même hors mariage. Avec cette précision, qu’actuellement cette attribution n’étant valable que 4 mois (une fois renouvelable), il faudrait prévoir une co-titularité du bail entre les concubins (et aligner leur situation sur celle des couples mariés, art. 1751 du CC) s’il s’agit du domicile familial (domicile des enfants mineurs). l la prise en compte des violences morales et psychologiques en se satisfaisant des « violences vraisemblables ». Ø Suppression de la médiation familiale en tant que préalable obligatoire à la saisine du JAF, puisqu’elle n’obéit pas à la volonté de pacifier les conflits mais de limiter l’accès au juge pour le justiciable et a confirmé son caractère inadapté à la matière familiale. Outre que tous les cas ne s’y prêtent pas, elle représente en outre un coût important pour l’Etat ou pour les parties sans leur offrir les garanties nécessaires. Le «mode amiable de résolution des différends» n’est pas une forme de justice, même si l’amiable peut s’inscrire dans le processus judiciaire. Et, quelles que soient les modalités de sa recherche, l’accord comme alternative au mode judiciaire de règlement des litiges, peut aboutir à des solutions qui ne respectent ni les règles de droit, ni l’équité, ni même l’ordre public, seuls l’avocat ou le juge pouvant garantir sa sécurité juridique. La médiation ne doit donc être appréhendée que dans le processus de l’instance, afin de favoriser le dialogue des parties et l’adoption éventuelle d’accords sous le contrôle du juge. Ø Développement du recours aux droits collaboratifs et participatifs qui permettent l’allègement de la charge des magistrats et des greffes, mais garantissent l’existence d’un accord conforme à la loi et a minima éclairé (pour renoncer à un droit, encore faut-il en connaître l’existence) qui, parce qu’ils s’inscrivent dans le processus judiciaire, soit en préalable à la saisine du Juge, soit en cours de procédure, garantissent leur force exécutoire. Les exemples étrangers ont confirmé que les accords
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issus du droit collaboratif ou du droit participatif étaient assurés, contrairement à ceux issus de la simple médiation, d’une plus grande pérennité, ajoutant à la satisfaction sociale le désencombrement des Tribunaux. Ce développement suppose que le recours au droit participatif soit cependant autorisé en cours de procédure et que le droit collaboratif, largement encouragé dans la plupart des autres pays d’Europe, bénéficie enfin en France d’une consécration législative et d’une place au moins équivalente à celle actuellement réservée à la médiation. Il suppose également une redéfinition des places respectives des droits collaboratifs et participatifs et une clarification des concepts, la profession s’étant déjà largement emparée du droit collaboratif tandis que le droit participatif ne peut être pratiqué en l’état du droit positif. Ø Octroi à la justice de la famille des moyens nécessaires à son fonctionnement, ce qui passe par : - La redéfinition de la répartition des contentieux ; - L’octroi d’un personnel en nombre suffisant et l’arrêt de la suppression du nombre de fonctionnaires au sein des Tribunaux ; - La refonte de l’aide juridictionnelle ; - La réintroduction des professionnels indispensables, en matière de contentieux familiaux : associations permettant des points rencontre parents/enfants (progressivement disparues faute de subventions), l’effective rémunération des experts auprès des tribunaux (expert psy et médico-psy), les interprètes, qui tous ont déserté les bancs des Tribunaux face à l’insuffisance des rémunérations du travail fourni. A cet égard, on signalera en effet la disparition des points rencontre, dans la région parisienne, suite au gel des subventions : en Seine-Saint-Denis, il ne subsiste plus qu’un seul point rencontre et le délai d’exécution des mesures est désormais compris entre 4 à 6 mois. L’ensemble de ces mesures concourt à « une production judiciaire de qualité et la mise en cohérence avec les attentes du public ». Le Juge aux affaires familiales doit demeurer un juge accessible, sans pour autant se voir substituer un juge de proximité. S’agissant d’une éventuelle réforme de la procédure écrite et de la procédure orale dans le cadre de la création d’un tribunal de première instance, elle ne simplifie qu’artificiellement l’accès à la justice et semble surtout poursuivre un objectif de suppression de l’intervention obligatoire de l’avocat et, partant, de réduction du coût de l’aide juridictionnelle. Il n’est cependant pas pertinent de croire que l’office du juge s’en trouvera simplifié, l’intervention de particuliers dans des domaines exigeant des compétences juridiques n’étant ni synonyme de gain de temps ni de réduction des coûts ou de l’encombrement des juridictions. Par ailleurs, la technicité des questions liées au divorce rend cette solution inquiétante. L’avocat permet un traitement plus rapide des dossiers et représente donc un gain de temps pour le juge aux affaires familiales qui vient corriger le coût que représente l’aide juridictionnelle pour le budget de l’Etat. Il n’échappe pas aux avocats que la juridiction de la famille épuise des juges que le nombre des affaires ou les difficultés récurrentes des populations rencontrées rendent pressés d’être affectés à un contentieux considéré comme plus « noble ». Sans doute cette confrontation au quotidien les inciteelle même à se montrer eux-aussi favorables à une restriction de l’accès au juge : faut-il cependant permettre au juge de se recentrer sur les dossiers qui en valent la peine, en excluant les petits justiciables qui l’ennuient ? N’est-ce pas précisément ces petits
justiciables qui ont besoin du juge, alors que les dossiers techniques pourraient être déjudiciarisés en partie, en nommant des experts à l’image de ce qui se pratique en application des dispositions de l’article 255-10 du code civil, permettant au juge de nommer un notaire au stade de l’ordonnance de non conciliation pour être éclairé sur les aspects liquidatifs du dossier, ou de l’article 255-9 prévoyant, s’il y a lieu, la désignation d’un professionnel qualifié pour débrouiller la question de la prestation compensatoire ? Ne faut-il pas, en conclusion, faire le contraire de ce que l’on nous propose ? Le droit international des affaires, où les dossiers importants, complexes et chronophages sont aujourd’hui essentiellement traités par la voie de l’arbitrage, a permis une extension du champ des possibles et l’introduction de pratiques novatrices. En droit de la famille aussi, il est temps d’intervenir au plan législatif pour introduire la procédure collaborative en droit positif et permettre à la France de s’inscrire à son tour dans une réforme de la justice qui privilégie l’intérêt des justiciables. Le SAF rappelle enfin son attachement au maintien de l’intervention du Juge comme instrument de contrôle du respect de l’intérêt des parties, comme l’avait relevé le « rapport Darrois », et que les « modes alternatifs » comme les « modes amiables » de résolution des conflits doivent s’intégrer dans le processus judiciaire et non s’y substituer : il incombe à l’Etat et à lui seul de rendre Justice et à défaut, il témoigne d’une incapacité à assumer ses fonctions régaliennes qui ne peut que concourir à fragiliser encore d’avantage sa légitimité et ses institutions. D -LE DROIT DES ÉTRANGERS En matière de droit des étrangers, la réforme envisagée devrait être l’occasion de revenir sur les différents reculs de ces dernières années en matière de droits de la défense et de libertés fondamentales. La place du juge comme garant des libertés individuelles doit pour cela être réaffirmée tant dans ses fonctions que dans les conditions dans laquelle est rendue la justice. Le SAF insiste particulièrement sur les salles d’audience délocalisées qui doivent être exclue de notre doit procédural ainsi que de l’accès au juge judiciaire dans le cadre des procédures d’éloignement. I -Concernant les salles d’audience délocalisées Le SAF rappelle la nécessité que les audiences se tiennent dans des lieux de justice commun à tous les justiciables. Les salles d’audience délocalisée, loin des tribunaux, peu desservies en transport en commun et difficilement accessible pour les familles et les avocats, sous le seul regard des forces de l’ordre ne permettent pas de garantir la publicité et l’apparence d’impartialité de la justice. Les salles d’audiences délocalisées mises en place par l’ancienne majorité n’ont pas été fermées par le Gouvernement actuel et les projets en cours n’ont pas fait l’objet d’un retrait définitif. Parce que la délocalisation de ces audiences heurte les principes d’indépendance et d’impartialité de la justice, parce qu’elle compromet la publicité des audiences, garantie pourtant essentielle du droit à un procès équitable, le SAF demande au Gouvernement d’y renoncer. II -Concernant l’articulation des rôles du juge administratif et du juge judiciaire dans le contrôle du respect des droits des étrangers. Cette question a fait l’objet d’un rapport parlementaire (le rapport Fekl en vue de la préparation de la réforme du droit d’asile), le
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Vie du droit SAF a pu produire ses observations concernant l’articulation entre le juge administratif et le juge judiciaire, le JLD. Les propositions du SAF peuvent s’inscrire dans un projet global de réforme des juridictions. La loi du 16 juin 2011 (n°2011-672) a inversé l’ordre d’intervention du juge judiciaire et du juge administratif dans le contrôle des procédures d’éloignement forcé des étrangers. Elle repousse la saisine du juge des libertés et de la détention de 48h à 5 jours (avant la loi Debré n° 97-396 du 24 avril 1997, le juge des libertés et de la détention était saisi dans les 24 h). La loi du 16 juin 2011 (n° 2011-672) prévoit, d’autre part, que l’arrêté de placement en rétention ou d’assignation à résidence, assorti ou non d’une obligation de quitter le territoire français, peut être contesté devant le tribunal administratif dans un délai de 48 h. Le tribunal doit alors statuer dans un délai de 72 h. Les tribunaux administratifs interviennent ainsi avant le juge des libertés et de la détention. Surtout, la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) n’étant ni obligatoire ni suspensive, l’étranger peut être éloigné avant l’intervention de celui-ci. Les associations en rétention ont noté une nette augmentation du chiffre des étrangers éloignés sans voir le juge judiciaire : 8,4 % en 2010 avant la réforme du 16 juin 2011 et 25,3 % en 2011 après la réforme. Cette augmentation est confortée par les chiffres de 2012. Un quart des étrangers est ainsi éloigné sans que le JLD ne puisse contrôler la régularité de la procédure policière et/ou administrative ayant conduit au placement en rétention ni le déroulement de cette rétention. Il apparaît, dès lors, indispensable de rappeler que les offices du juge administratif et du juge judiciaire durant la procédure d’éloignement l’étrangers sont différents et complémentaires. En application de l’article 66 de la constitution - consacrant le rôle de gardien de la liberté individuelle de l’autorité judiciaire – et du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, il y a dualité de compétence des ordres administratif et judiciaire sur la procédure d’éloignement de l’étranger. La Commission Mazeaud, interrogée sur l’unification du contentieux des étrangers, conclut d’ailleurs en juillet 2008 que : « Si l’interrogation sur la dualité de juridiction est compréhensible, l’avantage, à terme, d’une unification n’apparaît ni suffisamment substantiel, ni même assez probable pour justifier des mesures aussi lourdes, et prêtant autant le flanc aux polémiques, qu’une révision constitutionnelle débouchant sur une nouvelle organisation juridictionnelle » (Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire – Rapport de la Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration, juillet 2008). Ce dualisme implique notamment que le JLD est chargé du contrôle de la procédure policière et/ou administrative préalable au placement en rétention ainsi que du déroulement de cette rétention tandis que le juge administratif contrôle la légalité de la décision administrative de placement en rétention en elle- même ainsi que celle, le cas échéant, de la mesure d’éloignement, de la décision relative au délai de départ volontaire, de l’interdiction de retour sur le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi. Il n’y a, ainsi, contrôle plein et entier de la procédure d’éloignement que lorsque les contrôles du juge administratif ET du juge judiciaire se sont exercés concurremment. A défaut, il y a atteinte au droit à un recours effectif et violation de l’article 15.2. de la directive 2008/115/CE
du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 -relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – qui prévoit un « contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention », sans distinction entre le contrôle de la décision de rétention en elle-même, sa procédure préalable ou son déroulement. En outre, la loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour prévoit que cette mesure se déroule sous la seule information du parquet. Cela ne constitue pas un contrôle effectif. Le Parquet n’est, en effet, pas une autorité judiciaire au sens de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à défaut des garanties d’indépendance et d’impartialité requises (CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, requête n° 3394/03 ; CEDH, 20 novembre 2010, Moulin c. France, requête n° 37104/06). En outre, il se désintéresse, en pratique, de cette mesure de retenue pour vérification du droit au séjour, qui n’a pas de finalité judiciaire et se déroule donc sous le seul visa de l’autorité administrative. Le contrôle du juge des libertés et de la détention, autorité judiciaire, sur la mesure de retenue pour vérification du droit au séjour est donc indispensable. En conséquence, il faut revenir sur l’éviction du juge judiciaire, organisée pour accroître l’efficacité des procédures d’éloignement au prix de dénis de droit et d’atteintes aux droits fondamentaux. Un parfait respect du droit au recours effectif implique que l’étranger dispose d’un droit de saisine du juge des libertés et de la détention. Il doit donc être ouvert à l’étranger un recours suspensif devant le juge des libertés et de la détention, sans délai, ouvert immédiatement dès le placement en rétention, afindefairesanctionnerlesirrégularitésliéesàsoncontrôle d’identité, sa privation de liberté (garde à vue/retenue, audition libre, vérification d’identité), son placement en rétention et le déroulement de sa rétention. Ce recours ouvert à l’étranger devra se cumuler à un retour à 24 h pour la saisine obligatoire du JLD par l’administration. Il sera rétabli l’équilibre des droits des parties en présence en prévoyant la possibilité pour l’étranger de former un appel suspensif contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. En outre, le recours à bref délai contre l’arrêté de placement en rétention ou d‘assignation à résidence devant le juge administratif doit être maintenu. Il devrait toutefois être envisagé un allongement du délai de recours et un passage d’au moins 48 à 72 h afin de permettre une meilleure préparation de la défense et notamment de récupérer les documents utiles devant être soumis au juge administratif. Il doit, en outre, être consacré législativement le caractère suspensif de ce recours, qui a déjà pu être reconnu par la jurisprudence (voir notamment Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, 20 mars 2012), que ce recours soit dirigé uniquement contre l’arrêté de placement en rétention ou d’assignation à résidence ou qu’il conteste également une obligation de quitter le territoire français. A ce jour, en effet, seul le caractère suspensif du recours contre l’obligation de quitter le territoire français est reconnu par l’article L.512-3 du CESEDA. Les décisions de réadmission, reconduite et expulsion doivent également ouvrir un recours suspensif d’exécution. Les étrangers ne doivent plus pouvoir être éloignés sans contrôle juridictionnel complet. Le droit au recours effectif et la notion de « recours de plein droit suspensif », consacrée par la
jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, exigent également que le code de justice administrative soit réformé pour prévoir le caractère suspensif des procédures de référé liberté et référé suspension régies par les articles L521-1 et L521-2 (CEDH, Gebremedhin c/ France, 26 avril 2007). E - LES STRUCTURES CONVENTIONNÉES Le SAF ne peut que faire le constat que les populations en difficulté ont le plus grand mal à faire valoir leurs droits, voire même à en avoir connaissance. Un certain nombre de champs d’intervention sont désertés : par exemple, les locataires convoqués devant le juge d’instance aux fins d’expulsion, sont le plus souvent seuls devant le juge et les propriétaires, et par définition, pas à même de faire valoir leurs droits. Il en est de même pour de nombreuses questions liées au droit de la consommation et du crédit, du surendettement, même si dans ce dernier domaine le milieu associatif a quelque peu pallié à nos carences. Les ordres ont, de fait, déjà mis en place, dans de nombreux barreaux, des structures permettant de répondre au besoin de droit dans des domaines spécifiques, tels que l’urgence pénale ( CI, GAV, présentation au JI…), les procédures d’hospitalisation sous contrainte, la défense des mineurs, celle des victimes, l’assistance des étrangers… Ces structures et leur fonctionnement peuvent être améliorées. La résolution du CNB du 23 mars 2013 sur ces questions sont avalisées par le SAF, qui tient néanmoins à préciser (ce qui est contenu dans la résolution du CNB) que les structures conventionnées ne doivent en aucun cas empêcher le libre choix de l’avocat par le justiciable bénéficiant de l’aide juridictionnelle. Par ailleurs, les structures conventionnées ne doivent concerner que les champs du droit pour lesquels la couverture par l’activité libérale traditionnelle est défaillante. F - LE FINANCEMENT DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE Le système d’aide juridictique financé par l’Etat doit être maintenu. L’accès à la justice pour tous est un droit fondamental qui relève de la solidarité nationale et l’Etat doit y consacrer les ressources nécessaires. Ces ressources sont aujourd’hui insuffisantes et le SAF rappelle que le budget de l’aide juridique doit être triplé, engagement préalable à toute discussion de réforme. Le SAF n’est pas opposé à la recherche de financements complémentaires et a déjà eu l’occasion à de nombreuses reprises de dire son accord avec les modes de financement complémentaires évoqués par le CNB dans sa contribution ( taxation des actes juridiques, plus large utilisation de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991…). Le SAF est plus nuancé sur la question de la subsidiarité de l’aide juridictionnelle par rapport à l’assurance procès. En effet, le recours systématique à l’assurance procès, ne peut que conduire à un enchérissement substantiel des primes d’assurance, conduisant à une paupérisation , voir une marginalisation encore plus grande de populations déjà fragiles. Par ailleurs il est très vraisemblable que la plupart des assurances continueront de refuser d’assurer les risques les plus fréquents : droit de la famille, droit pénal. Enfin, en tout état de cause, l’assureur dirigera le justiciable vers une transaction, qui ne sera pas forcément dans l’intérêt de l’assuré, au seul motif qu’il sera moins coûteux pour l’assureur. Ainsi le système d’aide juridictionnelle doit être « sacralisé » et renforcé. 2014-19 Source : communiqué du 10 janvier 2014
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Jacqueline Renia Chevalier de la Légion d’honneur Paris, 2 décembre 2013
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Christiane Taubira et Jacqueline Renia
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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
C
’est dans l’intimité mais en présence de la Ministre de la Justice Christiane Taubira, qui officiait, que Jacqueline Renia, Bâtonnier de Fort-de-France a été décorée des insignes de Chevalier de la Légion d’honneur. L’émouvante cérémonie s’est déroulée en l’Hôtel de Bourvallais ce lundi 2 décembre 2013. Ce fut l’occasion pour la Garde des Sceaux de retracer la carrière exemplaire de la récipiendaire qui est une femme de conviction et de caractère. Cette brillante avocate a prêté serment en 1978 et s’est inscrite au Barreau de Paris avant de s’installer à Fort-de-France en 1993. Le parcours professionnel de Jacqueline Renia est marqué par l’excellence, a précisé Christiane Taubira ; grâce à son dévouement et à sa clairvoyance, cette femme de terrain, engagée et humaniste, est toujours à la recherche de la solution répondant à l’attente du justiciable. Hautement responsable, elle s’est investie dans les instances représentatives afin de porter haut les couleurs de sa profession et afin de défendre l’intérêt général. Nous adressons nos amicales félicitations à celle dont l’ouverture d’esprit reflète l’attachement à son métier qu’elle sert avec fidélité et courage 2014-20 Jean-René Tancrède