Edition du lundi 11 février 2013

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LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 11 février 2013 - Numéro 11 - 1,15 Euro - 94e année

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Chantal Arens et François Molins

Tribunal de Grande Instance de Paris Audience Solennelle de Rentrée - 16 janvier 2013 RENTRÉE SOLENNELLE Tribunal de Grande Instance de Paris L’office du juge par Chantal Arens ...................................................... Le service de la justice par François Molins ........................................

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Cour d’Appel de Colmar Renforcer l’impact de l’action judiciaire par Jean-François Thony .................................................................. La dématérialisation des procédures....................................................... par Marie-Colette Brenot .................................................................

10 12 AGENDA ......................................................................................5 AU FIL DES PAGES

Et ce sera justice… Le juge dans la cité par Roger Errera...................................................

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Cercle des Stratèges Disparus ...............................................14 Haut Conseil de la Famille ......................................................22 Autorité de la Concurrence ....................................................22

ANNONCES LEGALES ...................................................15 AVIS D'ENQUETE ..............................................................19 PALMARÈS

Prix Jean Carbonnier 2012 Un regard sociologique porté sur le droit par Dominique Fenouillet ................................................................ Le domicile conjugal comme source de conflits judiciaires par Veronika Nagy............................................................................

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hantal Arens et François Molins, respectivement Président et Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Paris accueillaient leurs prestigieux invités pour l’Audience Solennelle de Rentrée ce 16 janvier 2013. Après avoir rendu compte de l’activité de la juridiction parisienne, la Présidente Chantal Arens, attachée depuis deux ans « à mettre en valeur et à objectiver la spécificité » de son Tribunal « qui ne peut être comparé à aucun autre en France », s’est déclarée particulièrement satisfaite de la création d’un nouveau pôle : « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre ». Evoquant ensuite le philosophe Georges Steiner, elle a rappelé avoir engagé une réflexion au sein de sa juridiction sur « la transmission des savoirs et la mutualisation des compétences ». Face à la mondialisation et à la généralisation des échanges économiques, sociaux et culturels, de nouvelles formes de gouvernance des juridictions ont été mises en place et le travail du juge s’en est trouvé modifié. Pour la Présidente Chantal Arens, l’intervention accrue du juge est donc le signe du passage « d’une justice administrée à une justice managériale ». Quant au Procureur de la République, installé dans ses fonctions le 14 décembre 2011 (Les Annonces de la Seine du 15 décembre 2011), il a ponctué son propos des évènements marquants de l’année écoulée dont notamment :

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- la signature le 13 juillet 2012 avec la Mairie de Paris, la Préfecture de Police et le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles de la Convention « Téléphone Grand Danger » -la configuration de la section « Pôle génocide, crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre » - l’installation de « la Zone de Sécurité prioritaire du 18ème arrondissement sur la zone Goutte d’Or ». Autant d’évènements qui soulignent combien le Parquet de Paris est un « Parquet hors normes ». Il s’est également déclaré satisfait que les objectifs, fixés dans son « mémento de politique pénale » fruit d’un travail collectif élaboré dès son arrivée et destiné à formaliser la politique pénale, aient été atteints grâce à la mobilisation des magistrats et des fonctionnaires qui ont tout mis en œuvre pour développer le recours au traitement en temps réel, renforcer le contradictoire, améliorer l’organisation et le fonctionnement de l’audiencement des affaires correctionnelles, exécuter les peines dans des délais efficaces et développer le recours aux procédures simplifiées. Pour conclure, il a défini de nouveaux enjeux pour 2013 « découlant naturellement des directives de politique pénale de la Ministre de la Justice issues de sa circulaire du 19 septembre 2012 » : action publique de qualité et de proximité, développement de la lutte contre la délinquance économique et contre la corruption, afin de mieux répondre aux attentes des justiciables. Jean-René Tancrède

J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : as@annoncesdelaseine.fr FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE


Rentrée solennelle

LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr e-mail : as@annoncesdelaseine.fr

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Chantal Arens

Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01 34 87 33 15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01 42 60 84 40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01 42 60 84 41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01 45 97 42 05 Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède Comité de rédaction :

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L’office du juge

Copyright 2013 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, par arrêtés de Messieurs les Préfets : de Paris, du 27 décembre 2012 ; des Yvelines, du 31 décembre 2012 ; des Hauts-deSeine, du 31 décembre 2012 ; de la Seine-Saint-Denis, du 27 décembre 2012 ; du Val-de-Marne, du 27 décembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescrites par le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerce et les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contrats et des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la SeineSaint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine. N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales.

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Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appel Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président Honoraire de la Chambre des Notaires de Paris Dominique Lencou, Président d’Honneur du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International

par Chantal Arens (…) omme chaque année, la juridiction rend compte de son activité et de son fonctionnement aux autres acteurs de la Cité. Cette audience donne également l’occasion d’aborder des thèmes, en lien avec l’actualité, qui intéressent l’institution judiciaire. La plaquette mise à votre disposition vous permettra d’appréhender dans le détail l’activité des différents services du Tribunal de grande instance et des Tribunaux d’instance de l’arrondissement et je n’en aborderai que les traits les plus saillants. L’année 2012 a été marquée, comme les années précédentes, par une forte activité du Siège civil et pénal. En matière civile, le nombre des affaires nouvelles et terminées s’est stabilisé à un niveau très élevé. La durée moyenne de traitement des affaires continue de décroître pour atteindre un délai six mois et demi. L’activité pénale, tant au service correctionnel qu’à l’instruction, connaît une légère diminution dans un contexte de complexité élevée des affaires. Le contrat d’objectifs, signé avec la direction des services judiciaires en 2011, a conduit au renforcement du service de l’application des peines d’un magistrat, et a permis d’absorber la hausse de l’activité du service constatée depuis 2011.

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Les Magistrats du Tribunal pour Enfants ont entrepris un travail très important pour réduire les délais de jugement des affaires pénales. Une attention soutenue a également été portée aux dossiers d’assistance éducative. Le renfort d’un 14ème magistrat de septembre 2012 à janvier 2013 a permis de poursuivre la dynamique entreprise. Ce renfort mériterait d’être pérennisé en termes budgétaires. Les Tribunaux d’instance ont fait face avec un dévouement exemplaire aux sujétions leur incombant en matière électorale, en particulier pour le vote des représentants des Français à l'étranger. Enfin, le Juge des libertés et de la détention continue d’avoir une activité très intense. Le contentieux des hospitalisations sans consentement nécessite la tenue de deux audiences quotidiennes au Tribunal de grande instance et depuis le 1er janvier de cette année, le Juge des libertés et de la détention connaît des contestations de la régularité des décisions de l’autorité administrative ordonnant une hospitalisation sous contrainte. Le traitement de cet important nouveau contentieux est intervenu à moyens constants. Plus généralement, l'on peut regretter qu'un certain nombre de postes ne soient pas pourvus, ce qui nous contraint dans plusieurs chambres civiles à un fonctionnement dégradé, alors même que la juridiction se caractérise par l'excellence dans le traitement des affaires de ceux qui la composent. Depuis deux ans déjà, je me suis attachée à mettre en valeur et objectiver la spécificité de

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Rentrée solennelle l’activité de cette juridiction qui ne peut être comparée à aucune autre en France. A cet égard, je souhaiterais m’attarder quelques instants sur les conclusions de l’étude menée pendant 18 mois au Tribunal de grande instance de Paris sur les flux et la nature des contentieux traités au sein de la juridiction en matière civile et pénale. En matière civile, le groupe de travail est parvenu à dégager des critères révélateurs de la spécificité et de la complexité des contentieux traités par la juridiction. Ainsi, la réflexion a été menée par chambre, chacune ayant retenu les critères qui lui paraissaient pertinents, la juridiction parisienne étant composée de 15 Chambres civiles, elles-mêmes divisées en 42 sections, correspondant à autant de contentieux, auxquelles s'ajoutent le service des référés, le service des requêtes ou la CIVI. L'objectif était de pouvoir mesurer le poids de ces spécificités sur le traitement des dossiers et donc sur la charge de travail des Chambres. Ainsi, selon les contentieux civils, un taux de complexité de 33 % à 73 % a pu être mis en évidence, ce qui, vu de l'extérieur, est exceptionnel mais qui, pour les Magistrats parisiens, qui ont connu d'autres juridictions, correspond précisément à la spécificité du contentieux qu'ils traitent quotidiennement au Tribunal de grande instance de Paris. L'objectivation de ces critères devrait constituer un outil pérenne d'évaluation de la performance en tenant compte de la qualité des dossiers jugés.

Évoquer la spécificité des contentieux traités me conduit naturellement à revenir sur la création du pôle « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre ». Ce sont désormais trois Magistrats instructeurs dont un premier Vice-Président qui sont affectés au traitement de ce contentieux. Installés sur le site des « Italiens », ils ont été rejoints par quatre assistants spécialisés depuis les mois d’octobre et novembre 2012. Ce pôle aura vraisemblablement vocation à prendre de l’ampleur. Sa création est une illustration de l’importance croissante du droit international dans notre système juridique. Face à ces évolutions comme à celles de la société, il est légitime de s’interroger sur les mutations récentes ou à venir de l’office du juge. C’est pourquoi, j’ai souhaité que le Tribunal de grande instance de Paris ouvre une réflexion sur l’office du Juge. Quatre groupes de réflexion composés de Magistrats du Siège se réunissent depuis plusieurs mois afin d’appréhender le mieux possible les différentes facettes du rôle du Juge dans un contexte de mondialisation des sources du droit et des procédures. Cette réflexion doit trouver son aboutissement dans l’organisation d’un colloque le 21 mars 2013 auquel participeront des universitaires, des Magistrats, des Avocats et des Philosophes. Trois tables rondes aborderont le thème « du Juge à l’écoute du monde, un nouvel office pour le Juge au 21ème siècle. » L’organisation de ce colloque s'inscrit dans la perspective du nécessaire partage des savoirs qui me paraît se trouver au cœur du métier de magistrat.

C’est en songeant à « l’éloge de la transmission » chère au philosophe Georges Steiner que j’ai souhaité engager une réflexion sur la transmission des savoirs, la mutualisation des compétences, au sein de la juridiction. Celle-ci me paraît d’autant plus nécessaire que la juridiction est confrontée à un fort renouvellement de ses membres, tant Magistrats que fonctionnaires. Ainsi, en deux ans, la moitié des effectifs de Magistrats du Siège a été renouvelée (180 magistrats concernés). Dans ce contexte, il me paraît indispensable que soit assurée la transmission des compétences. Des espaces dématérialisés ont d’ailleurs déjà été installés entre les Magistrats des différentes Chambres civiles afin de mettre en commun, jurisprudence, outils d’aide à la rédaction et articles de doctrine. En outre, des groupes de travail se réuniront en 2013 autour du thème de la qualité de la rédaction de la décision de justice en matière civile et pénale et ce, dans un souci constant d’allier cohérence et efficacité de la justice dans l’intérêt du citoyen. Dans un contexte de dématérialisation des écritures, une réflexion sur la méthodologie du jugement apparaît en effet indispensable pour intégrer non seulement de nouvelles méthodes de travail induites par des évolutions technologiques, mais aussi pour rendre plus lisibles et plus facilement exécutables les décisions de Justice. Aux magistrats de cette juridiction, je veux témoigner à nouveau de ma profonde reconnaissance. J’ai pu apprécier vos grandes qualités professionnelles et humaines. Je salue en particulier votre capacité à participer aux projets de la juridiction et à vous mobiliser collectivement pour rendre dans de très bonnes conditions une justice de nature à restaurer tout lien social, alors même que comme précédemment évoqué, le traitement de certains contentieux peut pâtir d'allocation de moyens dégradée. Le soutien essentiel des premiers VicePrésidents, des chefs de service et des Présidents de Chambre en lien avec la direction

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En matière pénale, plusieurs sous-groupes de travail ont été réunis. Ils concernent tout à la fois l'activité du parquet, de l'instruction, des Chambres correctionnelles, du Tribunal pour Enfants. Une concordance d'indices de spécificité ou de complexité a pu être relevée et le traitement habituel de dossiers hors norme mis en évidence. Je salue la forte mobilisation des magistrats et fonctionnaires autour de ce projet de juridiction. Il a en particulier permis à chacun de mesurer et d’appréhender pleinement les contentieux qu’il traite, la capacité moyenne de jugement

par Magistrat par contentieux ayant été calculée à partir de la production des Chambres sur cinq ans. Je forme le vœu que cette étude puisse être l’occasion d’une réflexion partagée avec la Chancellerie sur l’adéquation des moyens affectés à la juridiction au regard des spécificités ainsi mises en évidence, à l’instar du travail mené sur les effectifs de Greffe qui a permis leur réévaluation à hauteur d’un tiers.

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du greffe, a permis de poursuivre et de mener à bien de grands projets. Je citerai pour mémoire, la généralisation de la mise en état dématérialisée dans l’ensemble des Chambres civiles depuis le 2 avril 2012, la signature d’une convention sur la communication électronique civile avec les Tribunaux de Bobigny, Créteil et Nanterre, la signature d’un avenant à la convention sur la communication électronique pénale afin de favoriser son développement, la signature d’un protocole d’accord avec le Tribunal administratif de Paris en matière d'aide juridictionnelle, la signature d’un nouveau protocole de procédure civile avec le Barreau, l’implantation en matière pénale du logiciel Cassiopée, le projet de création d’une chambre Correctionnelle dédiée au jugement des affaires de terrorisme et de criminalité organisée, le développement de la communication et du site Intranet de la juridiction. La mobilisation de tous a également permis d’aboutir à la rédaction du premier rapport d’activité de la juridiction pour le Siège. Ce document interne à la juridiction permet à chacun de mesurer l’ampleur du travail accompli. Soyez en tous vivement remerciés. Au titre de l'activité de l'année 2012, ce rapport connaîtra une large diffusion. Monsieur le Procureur, tout au long de cette année, j’ai pu apprécier votre esprit de dialogue. Nous avons mené ensemble ces derniers mois une réflexion sur l'audiencement des affaires correctionnelles de nature à favoriser un traitement fluide de ces dossiers jusqu’au stade de l'exécution et l’application des peines. La tâche est importante car 20 audiences pénales journalières sont concernées par ce projet ambitieux. Madame le Bâtonnier et Monsieur le vice Bâtonnier, notre dialogue a toujours été riche et constructif. Madame le Bâtonnier, votre implication et votre détermination ont permis de mener à bien de grands projets que j’évoquais à l’instant, en particulier en matière de communication électronique civile et pénale, de révision du protocole de procédure civile. Je souhaite que nous continuions d’œuvrer ensemble dans le même esprit constructif. Je salue chaleureusement l’élection de Maître Pierre Olivier Sur et de Maître Laurent Martinet, respectivement Bâtonnier et ViceBâtonnier désignés. Je ne doute pas que nous pourrons poursuivre ensemble le travail entrepris. Madame le Directeur de greffe, je veux à nouveau témoigner de toute ma reconnaissance aux fonctionnaires de justice. Leur dévouement et leur implication au quotidien forcent le respect. Vous savez qu'ils peuvent compter sur un soutien sans faille de ma part, connaissant leur engagement fort au service de la Justice et les difficultés qu'ils peuvent rencontrer dans leurs conditions matérielles de travail. Après ce très bref panorama de l’activité de l’année écoulée, je souhaiterais m’attarder sur un thème qui m’est cher, celui des transformations que le philosophe François Jullien appelle « silencieuses ». Ces mutations s’opèrent en elles-mêmes, de façon continue et globale, sans que nous les discernions alors qu’elles ne cessent de se manifester. Ces

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Rentrée solennelle

changements sont assez souvent plus subis que souhaités, lorsque l'on n'en prend pas conscience. « Jusqu’ici silencieuse, la transformation s’impose maintenant de la façon la plus criante, d’autant plus brutale, par son résultat, et cet effet de réel nous revient bien en plein visage » La Justice n’é chappe pas à ces phénomènes qui modifient également en profondeur la place et le rôle du Juge. J’ai déjà évoqué les années précédentes la mondialisation. Ce vocable ne regroupe-t-il pas un ensemble de ces « transformations silencieuses » ? La généralisation des échanges économiques, sociaux, culturels s’accompagne d’une mobilité du droit, d’une propagation des droits fondamentaux. Le travail du Juge s’en trouve modifié. Les échanges entre Juges s’intensifient. Les Magistrats n’hésitent plus à se référer à un patrimoine démocratique commun dans leurs décisions, bouleversant par la même la notion de hiérarchie des normes. Un auteur a souligné que la Cour Européenne des Droits de l’Homme exerce une fonction tierce extérieure tout en renforçant de surcroît la fonction tierce interne du Juge. La norme acquiert un caractère composite et les magistrats eux-mêmes peuvent participer à la construction de ce socle commun. Ce phénomène s’accompagne de modifications profondes du rôle des juridictions supérieures. Ainsi, s’agissant du Conseil constitutionnel, l’intention première des rédacteurs de la Constitution de 1958 n’était peut être pas de créer une institution chargée de garantir comme mission première que la loi respecte les droits fondamentaux. Pourtant, au fil de sa jurisprudence, des évolutions constitutionnelles, du développement des droits fondamentaux et dernièrement de l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, la nature même du Conseil s’est trouvée profondément modifiée. En matière familiale, c’est le Juge qui, le plus souvent se trouve confronté le premier à l’évolution des formes de la famille et dans son office d’interprétation des normes, de qualification, et il est conduit à adapter le droit à l’évolution de la famille.

Un auteur a souligné qu’aujourd’hui, « la norme ne précède plus le Juge mais résulte de l’application qu’il en fait. La loi n’est plus décidément, l'instituant collectif qu'elle fut pour la société. Le droit devient un mode dominant d’organisation de la vie collective dont le Juge est le principal architecte » La Cour de cassation a été amenée à se prononcer à plusieurs reprises sur certaines évolutions de la famille consécutives aux progrès scientifiques, avant que le législateur ne s’empare de ces questions. D’autres évolutions peuvent être citées en exemple de ces « transformations silencieuses ». Ainsi en est-il de la recomposition de notre procédure pénale dans un contexte européen lui même en pleine évolution, la coopération européenne et internationale devenant primordiale eu égard à la mondialisation de la criminalité organisée. Ainsi, la multiplication des procédures dites « alternatives » et le recours accru aux procédures simplifiées et négociées avec un rôle renforcé du Parquet ont eu une incidence sur l’office du Juge. Avec d'autres modes de poursuite et de traitement des flux pénaux, un auteur a souligné que le « rôle du Juge peut être amené à passer d’une fonction arbitrale à une fonction d’autorisation ». Le propos n’est pas de porter un jugement de valeur sur cette évolution mais il s’agit pour tous d’en être conscient et surtout d’en penser la complexité de manière globale. D’autres réformes ou réflexions ont aussi dessiné depuis plusieurs années une nouvelle économie de notre système pénal. Elles portent ainsi sur une conception beaucoup plus accusatoire qu'inquisitoire de la procédure avec une intervention à tous les stades de la défense pénale, la prise en compte de toute la place de la victime dans le procès, l’expérimentation d'un rôle accru du citoyen dans la phase de jugement, de nouvelles mesures de surveillance lors de l'exécution de la sanction, une réflexion sur le sens de la peine de prison et les mesures de probation. J’évoquerai également les nouvelles formes de gouvernance des juridictions. Pendant longtemps, au nom de l'indépendance

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Rentrée solennelle juridictionnelle, la notion de gouvernance était totalement absente du fonctionnement des Cours et Tribunaux. Progressivement, un management vertical s’est imposé mais ce fonctionnement s’est insensiblement transformé en management participatif. Les Magistrats, en lien avec les fonctionnaires, sont désormais associés de manière étroite à la conduite de la juridiction. Le décloisonnement entre les différents services, la prise en compte du travail et des contraintes des autres, doivent être des objectifs prioritaires. Ce nouveau mode de gestion qui suppose une communication interne vivace, se traduit par une politique de juridiction, voire par un projet de juridiction à l'instar de la Cour administrative d'appel de Paris. A ce titre, pour remettre en perspective ce qui est souhaité pour un fonctionnement optimum du tribunal et ainsi donner du sens au travail accompli, en 2013, je proposerai aux Magistrats du Siège, en lien étroit avec le greffe, une réflexion collective sur la mise en place d'un projet de juridiction pour les années à venir, la transmission des savoirs, la méthodologie du jugement, le recours accru à la dématérialisation et l’amélioration de l’accueil des justiciables en faisant partie ; l'idée qui sous-tend ce projet étant de rendre une justice de qualité au bénéfice des citoyens. Au-delà du fonctionnement des juridictions, le métier même de Magistrat a subi de profondes transformations. « Sorti du néolithique » selon la formule datant de 1959 de Maurice Aydalot, alors Procureur général près la Cour d’appel de Paris, le Magistrat dispose d’une place de plus en plus importante et visible dans la cité. Il interagit avec les autres acteurs de manière plus forte. Ses méthodes de travail se sont considérablement modifiées accompagnant les évolutions précitées portant sur la nature des normes, une coopération européenne et internationale renforcée, la recomposition de la procédure pénale, mais également l’informatisation des juridictions et l’accroissement des politiques partenariales. Ce mouvement s’est également accompagné d’une formalisation accrue de l'intervention du Juge et d’une homogénéisation des conditions d’application des règles, signe du passage d’une Justice administrée à une Justice managériale où sont évoqués le traitement de flux, l'écoulement des stocks ou la capacité de jugement au regard des moyens alloués. Cette dernière évolution est le reflet du déplacement du centre de gravité de l’institution judiciaire vers le citoyen auquel l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme reconnaît des droits à un procès de qualité et dans des délais raisonnables. Autre manifestation de ces transformations de l’office du Juge, il est aujourd’hui paradoxal de constater qu’on attend du Juge des réponses collectives, universalisables, voire sociétales alors que son rôle est d’abord de trancher des litiges individuels. Il s'agit par exemple de litiges en matière prud'homale, familiale et plus généralement dès lors que les droits de la personne sont en cause. Je terminerai en évoquant la « judiciarisation » de la société, acception commode et non péjorative rendant compte d’une trajectoire

continue de développement du droit, d’une extension de l’influence de la règle et du contrôle juridique, et d’une intensification de l’activité judiciaire tant dans les relations individuelles qu’institutionnelles. L’intervention du droit et du juge pour réguler la sphère sociale apparaît comme croissante. Un auteur évoque la « juridictionnalisation de la vie collective ». Cette justiciabilité devient absolue, générale et universelle. Ce phénomène n’est pas spécifique à la France et concerne tous les pays développés. Toutefois les changements qu’il engendre, viennent remettre en cause la tradition française idéalisant la Loi comme source principale du droit et où l’épouvantail du gouvernement des Juges a longtemps été agité. Cette « irruption du Tiers pouvoir », pour reprendre l’expression d’un auteur, n’est pas soudaine mais le fruit d’une lente évolution sociétale. Ses manifestations sont aujourd’hui multiples et conduisent à nous interroger sur la place du Juge, sa légitimité démocratique, son rôle, les valeurs qui soustendent sa mission. Dans un contexte en mutation profonde, marqué par l’émergence très forte de l'individu, la Justice n'a plus seulement une fonction de régulation ; un rôle de maintien, voire de restauration du lien social peut lui être conféré, ce qui accroît d'autant plus le respect par le Juge de la déontologie auquel il est soumis et de l'éthique dont il ne doit jamais se départir. Cette transformation profonde a été théorisée par de nombreux et éminents philosophes, historiens et sociologues. Il est permis d’avancer que cette théorisation devrait trouver sa traduction dans le travail législatif. De nombreux textes de loi successifs accordent de nouvelles compétences au Juge mais une réflexion plus globale sur l’office qu’on souhaite lui voir jouer me parait primordiale. N’y gagnerait-on pas en cohérence ? Cette réflexion sur le périmètre de l'intervention du juge présente également l’avantage de mieux cerner la question des moyens, car compétences et moyens sont liés de manière indissoluble. Le professeur Loïc Cadiet indique d’ailleurs : « en définitive la seule question qui se pose véritablement est la suivante : quelle ambition pour la Justice pour quel coût socialement acceptable ? ». A cette question fondamentale il apportait la réponse suivante : « il faut avoir pour la justice une ambition maximale car la justice est la condition de l’harmonie sociale. (…) Pour autant, il ne s’agit ni d’une justice dispendieuse, ni d’une justice envahissante. » C’est à ces conditions, dans un contexte où parfois prévaut un certain pessimisme, que la Justice pourra répondre aux défis du nombre et de la complexité des procédures qui lui sont soumises et que pour ses acteurs, un nouvel éclairage de leur intervention dans l'intérêt des citoyens sera donné. Ces quelques réflexions trouveront un prolongement naturel dans le colloque du 21 mars 2013. J’ai souligné l’année dernière que la Justice est au fondement même de notre existence individuelle et collective. Je citerai Jean-Jacques Rousseau qui nous rappelait que « de toutes les vertus, la Justice est celle qui concourt le plus au bien commun des hommes ». (…)

Agenda

ASSOCIATION DES AVOCATS CONSEILS D’ENTREPRISES

Rencontres autour du droit économique : « Les Garanties personnelles » Conférence le 18 février 2013 Grand’Chambre de la Cour de cassation 5, quai de l’Horloge - 75001 PARIS Renseignements : 01 44 32 78 28 www.courdecassation.fr

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UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE

« L’Autorité de la concurrence : avocate de la concurrence » Conférence «Droit et Economie» de Monsieur Bruno Lasserre, Président de l’Autorité de la concurrence Le 19 février 2013 UFR droit et sciences politiques Bâtiment F - 142 200, avenue de la République 92000 NANTERRE Renseignements : 01 46 69 24 00 crdp.univparis10@yahoo.fr 2013-116

REVUE BANQUE - CLUB BANQUE

Des nouveautés sur FATCA Changement de perspectives ? Conférence le 26 février 2013 Salons Hoche 9, avenue Hoche - 75008 PARIS Renseignements : Magali Marchal 01 48 00 54 04 - marchal@revue-banque.fr 2013-117

ASSOCIATION IMA FRANCE

Actualité des tests de dépréciation : dernières recommandations de l’ESMA pour la clôture 2012 Conférence le 27 février 2013 Hôtel Westin 3, rue de Castiglione - 75001 PARIS Renseignements : Patrick Iweins - 01 55 04 76 90 www.ima-france.com

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CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Etats Généraux du Droit de l’Entreprise - 3ème Edition: Pérennité et croissance de l’entreprise Conférence le 11 avril 2013 Centre Marceau 12, avenue Marceau - 75008 PARIS Renseignements : 01 44 43 80 50 www.auditoriumpariscentremarceau.com

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François Molins

Le service de la justice (…)

Je veux à ce propos souligner combien les Magistrats de la section anti terroriste du Parquet de Paris ont su à cette occasion démontrer une fois encore la mobilisation, la compétence et le professionnalisme que l’on attendait d’eux.

’est plus qu’une question, c’est un devoir qui nous incombe : celui de rendre compte de l’activité de la Justice. Devoir démocratique on ne peut plus légitime, pour une institution détentrice d’un des plus éminents pouvoirs régaliens de l’Etat. Nous, « institution justice », avons nous pleinement répondu aux attentes que nos concitoyens ont placées en nous ? C’est cette interrogation qui ponctuera mon propos sur l’ensemble des moments forts, des événements marquants de l’année 2012 mais aussi sur les projets, les objectifs qui sont ceux du Parquet de Paris à l’aube de cette nouvelle année. Evénement marquant tout d’abord que cette résurgence du terrorisme que l’on aurait presque pu oublier, pensant que le territoire français qui n’avait pas été le théâtre d’attentats depuis 1996 était à l’abri de tels drames. L’affaire Merah au mois de mars, qui a révélé toute l’horreur d’une dérive djihadiste à travers les attentats dirigés contre des enfants et des enseignants juifs, des militaires, puis l’affaire de Torcy qui a permis en octobre dernier le démantèlement d’une cellule qui était prête à passer à l’acte et disposait d’un engin explosif prêt à l’emploi, sont venus nous rappeler tout le danger que nous courions et la vigilance permanente qui s’impose, afin de réduire les risques et de contrer le terrorisme, en amont, tout en veillant à l’application stricte des règles qui siéent à un Etat de Droit.

Moment forts que les remarquables réussites enregistrées par les Officiers de Police Judiciaire de la DSPAP, de la direction de la police judiciaire de Paris et des offices centraux de la police judiciaire. Ces réussites ont conduit à l’élucidation de crimes et délits particulièrement graves, dans le domaine de la criminalité individuelle et organisée et du blanchiment avec un suivi judiciaire de qualité tant par la section C 2 chargée de la criminalité organisée par les sections P 12 et P 20 et S 2. Moment fort que la signature le 13 juillet 2012 avec la Mairie de Paris, la Préfecture de police et le CIDF, de la convention sur le téléphone grand danger afin de prévenir et de mieux lutter contre les violences faites aux femmes. Six mois après cette signature, dix téléphones portables ont déjà été attribués, pour mieux protéger des femmes victimes, confrontées à des situations très lourdes de violences. Ce dispositif, souple et efficace est un plus incontestable dans la politique déjà très dynamique conduite par le Parquet de Paris pour lutter contre les violences conjugales. Il mérite à l’évidence d’être étendu, développé et pérennisé sur l’ensemble de notre pays. Moment fort que l’achèvement de la configuration de la section « pole génocide crimes contre l’humanité et crimes et délits de guerre » il y a 1 mois. Cette nouvelle section du Parquet, composée depuis le 1er janvier 2013 de deux Magistrats, de deux assistants spécialisés et d’un greffier est désormais en

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mesure de faire face à des enjeux importants et de développer avec les Magistrats instructeurs la synergie nécessaire pour faire émerger la vérité judiciaire dans ces dossiers. Moment fort encore que l’installation de la Zone de sécurité prioritaire du 18ème arrondissement sur la zone Goutte d’Or Barbès qui marque la qualité du partenariat que nous déclinons ensemble Monsieur Le Préfet de Police. L’indépendance de la Justice ne doit pas constituer un motif de frilosité ou de repliement sur soi. Nous poursuivrons dans quelques semaines ce partenariat de qualité au service des habitants de la zone de sécurité prioritaire du 19ème arrondissement. Moment fort que celui de la réorganisation de la section Santé publique et des actions qu’elle mène. Elle assure un travail de grande qualité dans la prévention et la répression des infractions en matière de santé publique, de droit du travail et de harcèlement et a vu récemment son organisation modifiée par l’instauration d’une « sur spécialisation » en matière de santé publique. Désormais, le suivi de ces dossiers est assuré par les mêmes quatre Magistrats. C’était indispensable compte tenu de la complexité des dossiers et de la spécialisation des autres intervenants, notamment en défense. Moment fort pour le Parquet des mineurs qui a connu cette année encore une très forte activité (plus de 3 000 présentations au Parquet), et qui grâce à son dynamisme constant conduit une politique pénale offensive et imaginative, se traduisant par la recherche permanente de dispositifs innovants: il en va ainsi de la conclusion d’une convention avec une nouvelle association pour la relance du dispositif des stages de responsabilité parentale qui avait été initié par mon prédécesseur Jean

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situation spécifique du parquet de Paris et des contentieux qui y sont traités. Je voudrais à cette occasion rendre hommage à l’action et à l’investissement de tous les Magistrats de ce Parquet, à leur éthique et à leur attachement à une Justice de qualité. Tous quels qu’ils soient, des sections de permanence et au premier chef la section P 12 qui effectue un travail en tous points remarquable, aux sections spécialisées. Je voudrais rendre hommage à la qualité de leur travail, à leur professionnalisme et à leur mobilisation au service d’objectifs partagés, au service d’une ambition commune : satisfaire toujours davantage à la tradition et à l’exigence d’excellence de ce parquet où les enjeux sont tels qu’ils ne soufrent ni complaisance ni médiocrité. Mes remerciements vont aussi aux fonctionnaires dont je voudrais saluer le dévouement, la compétence et la conscience

professionnelle dont ils font preuve chaque jour. Installé dans mes fonctions en décembre 2011, j’avais au cours de l’audience de rentrée de cette juridiction il y a un an, fixé un certain nombre d’objectifs partant de plusieurs constats qui me paraissaient problématiques et susceptibles à terme, de mettre en cause l’efficacité de nos réponses judiciaires. J’avais annoncé le lancement d’un travail collectif impliquant l’ensemble du Parquet pour réaliser un mémento de politique pénale destiné à formaliser la politique pénale et mieux garantir son application par l’ensemble de ce Parquet. Ce mémento est achevé et sera diffusé dans quelques jours. J’avais souligné la nécessité de développer le recours au traitement en temps réel et de renforcer le contradictoire, consubstantiel à l’idée de Justice et mis à mal par le nombre beaucoup trop important de citations directes

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Claude Marin pour les parents coupables de défaillances graves relatives aux obligations constitutives de l’exercice de l’autorité parentale. Il en va de même pour la signature avec la Protection Judicaire de la Jeunesse, la Mairie de Paris et le Recteur d’académie de la convention très innovante permettant le signalement des mineurs de 16 ans exclus définitifs des établissements scolaires afin d’engager un bilan éducatif et en cas de besoin, les actions éducatives nécessaires. Moment fort enfin pour la section civile confrontée à un haut niveau d’activité et à des contentieux complexes avec dans l’affaire Merah, afin de faire cesser la diffusion d’images, la première assignation en référé d’heure à heure jamais délivrée par le Parquet, ou encore avec les actions menées pour lutter en lien avec le Barreau de Paris contre la piraterie du droit, ou pour lutter contre les locations de meublés sans agrément de la ville de Paris. L’évocation de ces moments forts souligne combien ce Parquet est un Parquet hors normes compte tenu de ses compétences nationales, inter régionales et régionales. Hors normes, il l’est incontestablement comme le démontrent un certain nombre de chiffres. Plus de 390 000 plaintes et procédures reçues en 2012 et surtout une augmentation de 10 % des affaires poursuivables qui pour la première fois dans l’histoire de ce Parquet passent la barre des 100 000. Plus de 100 000 procédures contre auteur connu traitées par 127 Magistrats. Il faut bien sûr s’en féliciter puisque cela traduit une meilleure efficacité de la chaîne pénale mais il faut aussi savoir que cette augmentation substantielle de la charge de travail est intervenue alors que la situation des effectifs n’avait jamais été aussi problématique puisque sur 127 magistrats prévus, l’effectif utile n’est depuis septembre 2012 que de 117. Cette situation mérite une particulière attention de la part de la chancellerie compte tenu de la

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l’aménagement des peines à l’audience, après le prononcé de la condamnation et lors de sa mise à exécution. L’individualisation, c’est le coeur du métier du Magistrat du Siège ou du Parquet. Nous savons tous que rien n’est pire pour le risque de récidive qu’une sortie sèche de prison. Nous savons aussi tous les avantages que peut présenter l’exécution d’une courte peine d’emprisonnement sous la forme d’un placement sous surveillance électronique ou d’une mesure de semi-liberté.

et donc de jugements rendus par défaut dans cette juridiction. J’avais souligné l’intérêt de développer le recours aux procédures simplifiées notamment les ordonnances pénales dans les affaires simples afin de préserver la capacité d’audiencement et de jugement de la juridiction en réservant l’audience aux affaires dans lesquelles elle peut véritablement apporter une réelle valeur ajoutée. J’avais souligné la nécessité d’améliorer l’organisation et le fonctionnement de l’audiencement des affaires correctionnelles dont le modèle n’est plus adapté compte tenu de la grande diversité des réponses pénales aujourd’hui apportées par le Parquet. J’avais souligné la nécessité impérative d’exécuter les peines dans des délais efficaces en tenant compte des situations individuelles. Tous ces enjeux ont été relevés et l’ensemble du Parquet de Paris a répondu à ces exigences. La plaquette déposée sur vos Sièges vous indique les données du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2012. Les statistiques au 31 décembre 2012 doivent encore être affinées compte tenu de l’installation en cours de Cassiopée mais révèlent d’ores et déjà quelques évolutions fortes. Le nombre de citations directes a ainsi baissé en une année de 36 % tandis que les poursuites par voie de CPPV et de COPJ ont respectivement augmenté de 15 % et de 9 %. Les ordonnances pénales ont augmenté de 23 %. Quant aux CRPC elles ont connu une diminution liée en partie à un déficit d’informations figurant dans les documents de convocation et corrigés depuis, mais le recours à cette procédure est appelé à se développer encore compte tenu de l’extension du traitement en temps réel dans les sections qui le pratiquaient peu et compte tenu d’audiences transformées qui leur seront désormais dédiées. Ces tendances démontrent les changements qui sont en train d’intervenir au Parquet de Paris

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en matière d’action publique et d’orientation des poursuites. Quant à l’audiencement, il est devenu le champ d’une véritable politique de juridiction. Il y avait urgence sous peine d’une véritable thrombose se traduisant par une hausse constante des affaires à fixer à l’audience et une augmentation du délai pour écouler le stock d’affaires à juger. Cette nouvelle politique doit permettre de mieux audiencer et de mieux juger les affaires de criminalité organisée relevant de la juridiction inter régionale spécialisée à travers la spécialisation d’une Chambre correctionnelle et de mieux utiliser les audiences pour améliorer le délai des réponses judiciaires. Enfin, l’exécution des peines s’effectue aujourd’hui à Paris dans des délais exemplaires. Il y a 18 mois, le délai moyen d’exécution des peines était de 1 an. Il est aujourd’hui de 3 mois et demi et seulement de 1 mois et demi pour les peines prononcées en plaider coupable. Cette situation que bien des Parquets plus modestes aimeraient connaître n’est pas le fruit du hasard mais de la mobilisation et de la volonté. Mobilisation d’abord des Magistrats et des fonctionnaires de l’exécution des peines auquel je tiens à rendre hommage aujourd’hui pour la qualité du travail accompli. Volonté ensuite de concentrer dans ce service les moyens supplémentaires en vacataires obtenus du Ministère de la Justice dans le cadre du contrat d’objectif mis en place en 2011. La section de l’exécution des peines a ainsi pu bénéficier d’agents vacataires de longue durée qui ont en réalité permis le maintien en nombre de l’effectif théorique, compte tenu des postes vacants de fonctionnaires. Cela me permet de souligner l’intérêt de poursuivre ce contrat d’objectif qui a démontré ici toute son utilité. La circulaire de Madame le Garde des Sceaux du 19 septembre 2012 a insisté sur l’individualisation indispensable et la nécessité de veiller tout particulièrement à

Si le juge garde bien sûr sa liberté de décision, la montée de ce principe d’individualisation a changé la nature du Juge. On ne lui demande plus aujourd’hui seulement de « dire juste » mais surtout d’obtenir la réinsertion sociale, sinon l’amendement du délinquant par le choix de la mesure qui sera réajustée autant qu’il conviendra. C’est en cela, je crois, que réside la signification profonde de l’idée d’individualisation. La peine constitue donc un élément essentiel dans la détermination de la politique pénale d’une juridiction et l’audience pénale doit constituer un moment privilégié pour cela. C’est le rôle du Ministère public que d’affirmer dans ses réquisitions orales les normes essentielles constituant le fondement des poursuites et de protéger les institutions publiques. Ces valeurs, cette réprobation sociale, le Ministère Public a le devoir de les exprimer en proposant une peine tenant compte de la nocivité de l’acte commis, de la personnalité de l’auteur, de la situation globale de la criminalité et de la réalité de l’exécution future de la peine. Le Magistrat du Parquet doit donc exprimer une réflexion personnelle dont la synthèse va être la nature et le quantum de la peine demandée, ce qui nécessite qu’il y intègre aussi les modalités d’exécution et d’aménagement s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement ferme. Dans ce cadre, la reconnaissance par la personne poursuivie des faits reprochés peut constituer un facteur favorable. Cela ne signifie pas bien sûr qu’il faille réserver les aménagements de peine aux faits reconnus. Cela signifie simplement que la reconnaissance des faits et partant de là, la procédure de CRPC peut constituer une réelle opportunité pour développer les aménagements de peine prononcés ab initio, à l’audience. La procédure de CRPC étant fondée sur des faits reconnus, elle permet en effet un débat plus apaisé qu’à l’audience correctionnelle classique. Elle permet de placer la peine véritablement au coeur du débat et permet donc plus facilement l’organisation ab initio d’une peine aménagée. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à l’ensemble de mes collègues de développer la pratique des placements sous surveillance électronique dans le cadre des CRPC lorsqu’ils envisagent de proposer à l’homologation du juge une peine d’emprisonnement ferme. Mesdames et Messieurs, l’avènement d’une nouvelle année est aussi le temps privilégié de la définition de nouveaux objectifs sans lesquels la réflexion et l’action ne seraient que recommencement. Les objectifs qui seront les nôtres découlent naturellement des directives de politique pénale du Ministre de la Justice, de la situation de la

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Rentrée solennelle criminalité, et des attentes de nos concitoyens. C’est d’abord une action publique de qualité, conduite dans la plénitude du statut et des missions du Ministère Public avec le souci de veiller à l’application de la loi afin de permettre que soit rendue une justice de qualité, dans des délais plus raisonnables en utilisant l’ensemble des réponses pénales dans le respect des droits de la défense et des droits des victimes. C’est ensuite la direction de l’exercice de la police judiciaire et de la direction des enquêtes. Cet exercice sera encore amélioré en 2013 grâce à la création très prochaine d’un bureau des enquêtes à la section en charge de la criminalité organisée C’est une action publique de proximité qui se traduira par l’investissement sans réserve du Parquet dans les dispositifs des zones de sécurité prioritaire du 18ème et du 19ème arrondissements et des groupes locaux de traitement de la délinquance conçus pour mieux traiter les problèmes spécifiques posés par la délinquance dans certains territoires. Plus que jamais, l’action publique doit être attentive à un contexte et doit faire montre d’une intelligence aigue des hommes et des situations. C’est par ce critère que se mesurent l’intelligence et la qualité d’une politique pénale

criminalité apparaît notamment à travers les dossiers liés à la taxe carbone et se manifeste par une interpénétration croissante entre milieu du grand banditisme et délinquance en col blanc des blanchisseurs comme nous l’a récemment montré l’affaire « Virus ». C’est enfin, accroître et développer la lutte contre la délinquance économique et financière et la corruption. La lutte contre ce type de criminalité, mère nourricière de l’é conomie souterraine, doit être inscrite au rang des priorités, quels que soient les hommes, les structures ou les institutions en cause. Nous pourrons la soutenir à travers plusieurs axes. - Une meilleure synergie entre la section commerciale et la section économique et financière pour mieux assurer la détection des comportements frauduleux notamment lorsque ceux-ci ont pu compromettre l’activité et la survie d’une entreprise. - Le renforcement des liens opérationnels entre la section économique et financière et ses partenaires institutionnels (AMF, Tracfin, fisc, commissaire au redressement productif...). - Mais cela ne suffit pas: deux autres conditions sont nécessaires à une réelle efficacité en ce domaine.

C’est une action publique concentrant ses efforts sur les connexions de plus en plus nombreuses que nous constatons entre le crime organisé et la délinquance économique et financière. Cette hybridation de la grande

La délinquance économique et financière ne se révèle pas spontanément mais exige toujours investigation et recueil de renseignement. Or, il y a eu en 2012, 21 signalements parvenus à la section financière du Parquet de Paris au titre

de l’article 40 du CPP. C’est pourquoi j’invite les administrations concernées à utiliser sans frilosité cet article trop ignoré qui fait obligation à toute autorité constituée ou fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en informer sans délai le Procureur de la République. Il faut ensuite davantage d’effectifs dans les services de police judiciaire spécialisés en matière économique et financière. Il n’est pas dans mon propos de mettre en cause la qualité et la mobilisation des Officiers de Police Judiciaire de ces services. Nous la connaissons et l’apprécions. Il s’agit de souligner que les effectifs, après une baisse entamée depuis plusieurs années, sont devenus insuffisants pour traiter de façon efficace et dans des délais raisonnables la totalité des réquisitions d’enquêtes des Parquets et les commissions rogatoires des Juges d’instruction dans des procédures complexes qui présentent des enjeux importants et appellent des réponses efficaces. Tels sont les vœux que je forme en ce début d’année 2013. Je sais pouvoir compter sur la foi, la compétence et l’énergie de l’ensemble des Magistrats du Parquet de Paris pour mener à bien l’ensemble de ces chantiers mobilisateurs qui confluent tous vers le même objectif: le noble, généreux et exaltant service de la Justice. (…) 2013-114

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Et ce sera justice… Le juge dans la cité par Roger Errera

n la dit toute-puissante, mais on la voit parfois désarmée ou dépassée. On la soupçonne de dépendre du pouvoir, mais on évoque le « gouvernement des juges ». Les responsables politiques s'estiment dépossédés et sont tentés d'intervenir. Le corps judiciaire, profondément renouvelé, est tiraillé entre des exigences contradictoires. Dans cet essai original, Roger Errera examine avec rigueur les principaux problèmes qui se posent aujourd'hui à la Justice. Il mesure aussi le chemin parcouru : depuis un demi-siècle, tout a changé, le métier de Juge, ses pouvoirs,son statut, le droit applicable et notre société. Plus

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que jamais, le Juge est dans la cité. La justice est l'affaire de chacun. Ce livre s'adresse donc aux citoyens, désormais plus exigeants et mieux informés de leurs droits, aux décideurs politiques, rappelés à leurs responsabilités, et aux membres de l'institution judiciaire. Roger Errera est conseiller d'État honoraire et ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il est l'auteur de nombreuses études sur les libertés et la justice. 2013-120

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Rentrée solennelle

Cour d’Appel de Colmar 11 janvier 2013 Ce 11 janvier 2013, lors de l’Audience Solennelle de Rentrée Judiciaire de la Cour d’Appel de Colmar, ont été installés Madame Josiane Bigot en qualité de Président de Chambre, Christine Kauffer-Dorsch en qualité de Conseiller chargé d’un secrétariat général, Claire Fernaut en qualité de Conseiller, Céline Deshayes en qualité de Vice-Président placé et Michel Senthille en qualité d’Avocat Général près la Cour d’Appel de Colmar pour exercer les fonctions de Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg ; ce fut l’occasion pour les Chefs de Cour Marie-Colette Brenot Première Présidente et Jean-François Thony Procureur Général d’accueillir de hautes personnalités du monde judiciaire au premier rang desquelles Jean-Marie Bockel Sénateur-Maire du Haut Rhin et ancien Secrétaire d’Etat à la Justice. Après avoir souhaité la bienvenue à leurs collègues magistrats, ils ont retracé l’activité 2012 de la juridiction et ont constaté avec satisfaction un fléchissement de la délinquance en Alsace. Ainsi qu’elle l’avait annoncé lors de son installation le 14 septembre 2012 (Les Annonces de la Seine du 20 septembre 2012) Marie-Colette Brenot a poursuivi l’amélioration des conditions de travail des magistrats et fonctionnaires par la mise en place de la dématérialisation des procédures : les actes de procédure, à peine d’irrecevabilité, devant être remis à la juridiction par voie électronique depuis le 1er janvier 2013. Elle s’est également félicitée de la mise en place d’un site intranet améliorant les liens entre magistrats et fonctionnaires de son Ressort. Quant au Procureur Général, il a, pour conclure son intervention, formulé le vœu que la construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Lutterbach soit placée au rang des priorités tant les conditions de détention, liées à une surpopulation carcérale, « ne sont pas dignes de ce qu’on peut attendre dans notre République ». Jean-René Tancrède

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Jean-François Thony

Renforcer l’impact de l’action judiciaire par Jean-François Thony n ce qui concerne l’activité pénale sur le ressort de la région Alsace, j’ai le plaisir de vous informer qu’une nouvelle fois, les chiffres de la délinquance tels qu’ils ressortent des statistiques des parquets sont en baisse, puisque le nombre de plaintes et de procès-verbaux reçus dans les parquets du ressort est passé de 107 999 à 104 507, soit une baisse de 3,23 %. Le nombre de jugements correctionnels rendus hors intérêts civils est luimême passé de 11 345 à 10 732, soit une baisse de 5,4 %. La durée moyenne d’écoulement du stock est par ailleurs passée d’un peu plus de trois mois à un peu plus de deux mois, ce qui veut dire qu’une personne qui commet un délit en Alsace est jugée en moyenne deux mois après les faits, ce qui est presque un record.

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Au-delà de ces chiffres, une triste réalité met régulièrement l’Alsace au devant de la scène médiatique. Ce sont les violences urbaines, qui touchent en particulier Strasbourg, Mulhouse

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et Colmar - et la situation de Mulhouse me paraît particulièrement préoccupante. Le niveau de violence de ces jeunes qui s’en prennent à tous les symboles de la vie en commun - transports en commun, équipements sociaux, abribus - mais s’en prennent surtout à tous les acteurs de la paix sociale et de la sécurité - policiers, pompiers, services d’urgence, interpelle fortement. Les récents évènements, durant lesquels des mineurs ont attaqué un tramway pour tenter d’y mettre le feu alors qu’il transportait des voyageurs, et ont volontairement jeté des cocktails Molotov sur le chauffeur, laissent sans voix. Il est difficile de comprendre leurs motivations - en ont-ils ? - mais surtout les racines d’un comportement aussi haineux et violent, dont les premières victimes sont les populations les plus vulnérables, qui voient partir en fumée tous les efforts et les infrastructures que les différents services sociaux ont mis en place pour améliorer leur environnement urbain et leur vie de tous les jours. J’ai accompagné cette nuit Monsieur Valls, Ministre de l’Intérieur dans les quartiers sensibles de Mulhouse, en compagnie de Monsieur Le Préfet, Monsieur Robin, Procureur de Mulhouse, et des élus locaux, dont certains sont parmi nous et que je remercie pour leur présence après une courte nuit ! Nous avons pu constater l’arrogance de certains de ces jeunes - une infime minorité, il faut le répéter, même si elle pourrit l’existence d’une grande majorité et jette l’opprobre sur toute une classe de la population - qui exigent tout mais ne sont prêts à rien faire d’autre que semer la désolation. Le Ministre a pu s’entretenir avec des habitants de ces quartiers qui l’ont interpelé pour lui faire part de leur exaspération. Des discussions que j’ai eu sur place en marge avec les élus, les policiers, les pompiers, le sentiment qui domine, c’est l’incompréhension. Ces violences urbaines répétées donnent parfois un sentiment d’échec, tant l’ensemble des services de l’Etat et des collectivités territoriales ont investi d’énergie depuis des années pour tenter d’apporter une solution au « malaise » des banlieues - puisque c’est le nom qu’on lui donne.

La justice et les parquets concernés n’ont jamais ménagé leurs efforts, tant au plan de la répression des infractions qu’à celui de la prévention de la délinquance et du soutien aux mineurs en difficulté, veillant à doser habilement l’implacable fermeté que commande la répression de certains comportements et l’accompagnement des jeunes en difficultés pour leur éviter la récidive. Je tiens à saluer ici l’action inlassable et l’engagement de tous les collègues du Parquet et du Siège et des éducateurs qui sont, nuit et jour - l’expression n’est pas trop forte- sur le terrain de la prévention des violences urbaines, et je tiens à leur dire combien j’admire leur ténacité alors que jamais, ils ne baissent les bras. Je salue plus particulièrement l’action de mes procureurs de la République. J’ai eu l’occasion de rendre hommage à Patrick Poirret, mais je ne voudrais pas oublier Madame Caroline Nisand, qui dirige avec autorité mais toujours avec humanité le Parquet de Saverne, Bernard Lebeau dont je sais combien il est apprécié par son équipe du Parquet de Colmar, et Hervé Robin qui a été souvent au feu à Mulhouse en 2012 - et qui est bien parti pour en faire autant en 2013, ce qui ne l’empêche pas de codiriger sa juridiction avec énergie et créativité. Je rends également hommage aux services de police et de gendarmerie, mais aussi aux services d’urgences et aux travailleurs sociaux qui interviennent parfois au péril de leur vie. La collaboration totale et efficace que nous entretenons avec l’autorité administrative mérite également d’être relevée. Elle nous permet d’articuler de la manière la plus harmonieuse possible, protection de l’ordre public et répression des infractions. La mise en place des zones de sécurité prioritaires sera l’occasion de renforcer encore cette collaboration, dans le respect des attributions de chacun. Pour ma part, je réunirai le 23 janvier prochain les Procureurs du ressort ainsi que les chefs de service de la police et de la gendarmerie, réunion au cours de laquelle nous définirons les grandes lignes de notre action dans les zones sensibles de notre ressort. Notre engagement contre les violences urbaines sera à la mesure du ressentiment de plus en plus

Les Annonces de la Seine - lundi 11 février 2013 - numéro 11


Rentrée solennelle

Parmi les mesures qui seront mises en place, certaines viseront à cibler directement les caïds des quartiers, qui ont tout à gagner à empêcher les services de police d’y pénétrer, pour leur permettre de se livrer en toute impunité à leurs activités criminelles profitables. Pour cela, nous allons développer une approche nouvelle, axée sur le recours systématique au nouveau cadre juridique de la saisie et de la confiscation, qui nous fournit des armes inédites contre la criminalité organisée. Je donnerai prochainement des instructions aux Parquets pour faire saisir, dans tous les cas d’infraction grave ayant généré des profits, tous les biens dont ne peuvent justifier l’origine les personnes interpelées, mais aussi les personnes qui sont en relation habituelle avec eux, ainsi que le code pénal le permet. Les services de police incluront chaque fois, dans le cadre de leurs enquêtes sur ce type d’infractions, un volet patrimonial visant à identifier l’ensemble des biens et comptes bancaires des délinquants de profit. Et si les organisateurs des trafics pensent pouvoir mettre à l’abri leurs biens en les mettant au nom de leurs parents ou de leur petite amie, qu’ils sachent que cela sera vain, puisque la loi permet de saisir l’ensemble des biens dont ils ont la libre disposition, qu’ils en soient propriétaires ou non. Enfin, chaque fois que cela sera utile, ces biens seront remis aux services de police ou de gendarmerie pour l’utilisation dans le cadre de leur service, parce que la loi le permet également aujourd’hui. Ainsi, les services de répression pourront lutter contre les petits caïds des quartiers et contre les groupes criminels en utilisant les moyens que ceux-ci mettront - contre leur gré j’en conviens- à leur disposition… Je demanderai aux parquets de requérir systématiquement devant les juridictions de jugement la confiscation des biens saisis, voire de prononcer la confiscation des produits du crime en valeur, c'est-à-dire d’autoriser la confiscation de tous les biens, même acquis légitimement par le condamné, à hauteur de la valeur des profits que l’infraction aura générés. Nous avons réuni hier, avec le Préfet de région, le comité de pilotage du Groupe d’intervention régional, chargé d’épauler les services de police et de gendarmerie dans la lutte contre l’économie clandestine des quartiers, et avons fixé les objectifs et les cibles de ce groupe pour l’année 2013. J’ai demandé au chef du GIR et aux chefs de services d’enquête de faire évoluer l’approche des enquêtes pour que, le plus souvent possible, l’enquête patrimoniale ne soit plus l’accessoire de l’enquête traditionnelle mais un nouvel angle d’attaque opérationnel pour démanteler les groupes organisés. Nous avons décidé de nous réunir à intervalles très réguliers pour suivre l’accomplissement de ces objectifs. La mise en œuvre généralisée de ces mesures, même si elles ne permettent pas à elles seules de trouver une solution à l’insécurité dans les quartiers, va considérablement renforcer l’impact de l’action judiciaire, et élargir le champ des sanctions tout en s’attaquant d’une manière plus efficace et plus simple à la tête même de la délinquance des quartiers. Elle privera les caïds

de leur pouvoir économique de nuisance et donc de leur autorité dans les quartiers. Cette nouvelle politique s’inscrit dans la droite ligne de la politique pénale dont le Garde des Sceaux a fixé les orientations, et qui vise à individualiser les sanctions et trouver des alternatives efficaces aux mesures d’emprisonnement. Je suis conscient des obstacles qui sont devant nous, juridiques administratifs et techniques. Nous les lèverons un à un, avec opiniâtreté, parce que l’on ne peut pas accepter qu’il existe dans notre région des zones de non-droit. Je souhaite être à même, à intervalle régulier, d’évaluer l’impact de ces nouvelles mesures sur la situation dans les quartiers. Il nous faut pour cela développer des outils de mesure de l’efficacité de la politique pénale, qui nous manquent encore parfois cruellement. Comme vous le savez, une conférence de consensus sur la récidive se réunit en ce moment à l’initiative de Madame la Garde des Sceaux, pour proposer des approches nouvelles à la prévention de la récidive. Comme tous les Magistrats chargés de la lutte contre la délinquance, nous attendons beaucoup des résultats de cette conférence. L’une des difficultés auxquelles se heurtera toutefois la réflexion sur le sujet est l’absence quasi-totale d’é valuation de l’impact des différentes politiques pénales au sens large du terme, y compris celles relatives à la sanction. Je vous indiquais tout à l’heure que nous avons la chance de constater un infléchissement de la délinquance générale dans la région d’Alsace. Alors que les causes de la délinquance sont multifactorielles, à quoi pouvons-nous attribuer cette baisse ? Aux efforts de prévention ? À la sévérité de peines prononcées dans nos juridictions ? Aux efforts fait pour la réinsertion des condamnés ? Nous n’avons malheureusement aujourd’hui aucun instrument qui nous permette de l’apprécier scientifiquement. Et s’il nous est théoriquement possible d’analyser l’impact - ou plutôt l’absence d’impact- des politiques pénales sur les personnes qui ont récidivé, nous en savons

beaucoup moins en revanche sur les mesures, les politiques ou les circonstances qui ont amené la plupart à ne pas récidiver. Tant que nous ne sommes pas en mesure de faire cette évaluation de manière plus scientifique, à la manière des études épidémiologiques des politiques de santé, nous ne pourrons avancer que de manière empirique sur le chemin de la prévention de la récidive. Je ne doute pas que cette question sera au cœur des débats de la Conférence de consensus, parce qu’il s’agit d’une question récurrente, et je proposerai à la Présidente de cette Conférence que l’Alsace devienne l’un des laboratoires d’une vraie démarche épidémiologique d’évaluation de l’impact des politiques pénales sur la récidive. Pour conclure mes propos, je voudrais revenir sur les faits qui ont récemment mis la Maison d’Arrêt de Colmar sous les feux des projecteurs, à savoir la publication par la presse des conclusions d’un rapport d’expertise mettant en cause les conditions d’hébergement des détenus, et, plus récemment, l’évasion de trois détenus, qui ont d’ailleurs été rattrapés depuis. J’ai participé personnellement au conseil d’orientation de la Maison d’Arrêt de Colmar qui a eu lieu au mois de novembre dernier. J’ai pu constater que la Maison d’Arrêt de Colmar, malgré les efforts de l’administration pénitentiaire pour gérer au mieux les moyens à sa disposition, ne correspond plus aux standards d’accueil des détenus dans des établissements pénitentiaires. La surpopulation carcérale, mal chronique de notre société, s’y ajoute pour créer des conditions de détention qui ne sont malheureusement pas dignes de ce qu’on peut attendre dans notre République. Je sais que des arbitrages vont être rendus incessamment, à la suite de la visite de Madame le Garde des Sceaux sur le site du projet de création d’un centre pénitentiaire à Lutterbach. Puisque l’époque est propice aux vœux, je formule le souhait que, malgré la baisse des moyens de l’Etat, cette construction soit placée au rang des priorités, afin qu’elle puisse permettre de fermer le plus vite possible les Maisons d’Arrêt de Colmar et de Mulhouse. (…)

Marie-Colette Brenot, Jean-François Thony et Jean-Marie Bockel

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vif de nos concitoyens contre ces entreprises de destruction systématique de notre bien commun.

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Rentrée solennelle qualité au cours de l’année écoulée, je tiens à féliciter chaleureusement les Magistrats et fonctionnaires de cette Cour et à leur exprimer ma profonde gratitude.

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Marie-Colette Brenot

La dématérialisation des procédures par Marie-Colette Brenot

Je ne peux évoquer le fonctionnement de la Cour sans rendre un hommage appuyé aux fonctionnaires et à la directrice du SAR. Malgré les difficultés organisationnelles auxquelles ils sont confrontés, ces fonctionnaires gèrent le budget de notre Cour avec rigueur et professionnalisme. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés. A ce stade des analyses et des bilans, je voudrais évoquer un contentieux qui a été dévolu à l’autorité judiciaire depuis le 1er août 2011 et qui va s’étoffer d’un nouveau champ de compétence à compter du 1er janvier 2013. Je veux parler de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Depuis le 1er août 2011, cette loi prévoit que le Juge des libertés et de la détention exerce un contrôle systématique des mesures d’hospitalisation complète décidées par le Directeur d’établissement à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent, et par le représentant de l’Etat ou de celles prononcées à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale.

(…) lors que l’on pouvait s’attendre à une explosion du contentieux de la Chambre sociale en raison de la crise économique, cela n’a pas été le cas puisque le nombre d’affaires entrantes est en diminution, alors que le nombre d’affaires terminées a sensiblement augmenté. Parallèlement, le stock des dossiers en cours a diminué tant dans les Chambres civiles et commerciale qu’à la Chambre sociale. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que depuis septembre 2012, notre Cour a connu quatre vacances de poste dont celle de l’un des deux Présidents de la Chambre sociale.

A

En matière pénale, les résultats de la Cour sont tout aussi satisfaisants puisqu’alors que le nombre d’affaires nouvelles a augmenté de façon conséquente à la Chambre correctionnelle, le nombre d’affaires évacuées a, lui aussi, augmenté de manière significative. La Chambre de l’application des peines et la Chambre des mineurs ont connu une stabilisation de leur activité. La Chambre de l’instruction voit une augmentation de ses saisines et du nombre d’affaires sorties avec une complexification de son contentieux qu’il convient de souligner en raison du nombre nettement plus important en 2012 qu’en 2011 des mandats d’arrêt européen et des extraditions. Les Cours d’assises du Bas-Rhin et du HautRhin ont jugé 73 affaires en 2012, alors que le nombre de leur saisine a été de 72, c’est dire que la situation est particulièrement saine et que le nombre d’affaires en stock est en nette diminution depuis deux ans. Malgré un effectif en magistrats insuffisant avec des vacances de poste qui ne sont pas encore totalement résorbées, la Cour d’appel de Colmar a fait face avec détermination à sa charge de travail, améliorant ses délais de traitement. Pour le travail accompli tant en quantité qu’en

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Les décisions du Juge des libertés et de la détention sont susceptibles de recours devant le Premier Président ou son délégué. Ce contentieux n’est pas négligeable puisqu’en 2012 le délégué du Premier Président de la Cour d’appel de Colmar a rendu 65 décisions relatives au bien fondé des mesures d’hospitalisation prises.

Ce contentieux demande du temps d’écoute de la part du Magistrat et une appréciation des situations individuelles au vu des certificats médicaux produits qui n’est pas toujours aisée, mais il entre pleinement dans la mission de garant de la liberté individuelle du Juge. Je voudrais rendre hommage à Monsieur Hoffbeck qui s’est beaucoup impliqué dans ce contentieux jusqu’à son départ à la retraite ainsi qu’à Monsieur Allard qui a accepté de s’en charger en plus de son service. Jusqu’au 31 décembre 2012, le Juge administratif gardait sa compétence relative à l’appréciation de la régularité des décisions administratives prises par les directeurs des établissements de santé. A compter du 1er janvier 2013, en application de l’article L3216-1 du code de la santé publique issu de la loi du 5 juillet 2011, le Juge judiciaire est seul compétent pour examiner la régularité des décisions prises en matière de soins sans consentement par le directeur de l’établissement de soins ou le préfet ; l’irrégularité de la décision ne pourra toutefois entraîner la mainlevée de la mesure par le Juge que dans le cas où cette irrégularité aura porté atteinte aux droits de l’intéressé. Toutefois, en application de l’article 18 de la loi du 5 juillet 2011, la juridiction administrative demeure compétente pour statuer sur les recours dont elle est saisie antérieurement à cette date. Les irrégularités peuvent être variées : incompétence de l’auteur de la décision, vice de forme, vice de procédure, défaut ou insuffisance de la motivation de la décision. Nous ignorons, à l’heure actuelle, quel sera le volume de ce nouveau contentieux qui sera

IN MEMORIAM

Paul Haegel avril 1926 - 9 janvier 2013 eux qui ont travaillé avec Monsieur Paul Haegel, Premier Président de cette Cour d’appel pendant presque 8 ans et ceux qui l’ont connu, ont appris avec tristesse son décès survenu avant hier. Lorsque Monsieur Paul Haegel a quitté la Cour en 1994 pour prendre la Présidence du groupement d’intérêt public chargé d’informatiser le livre foncier en Alsace Moselle, le Président de Chambre Doyen s’était exprimé en ces termes : « Faire l’éloge de Monsieur Paul Haegel est à la fois simple et complexe, simple, parce qu’il est aisé de parler de quelqu’un que l’on admire et que l’on respecte, complexe, parce que la diversité de ses talents pourrait rendre leur énumération interminable et de ce fait, peut être fastidieuse, puisqu’à en croire le pessimiste La Bruyère, le commun des

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mortels se lasse plus vite de l’énoncé des vertus d’un homme que de celui de ses faiblesses. » Monsieur Haegel a été nommé attaché stagiaire le 18 décembre 1950. Il a été un Magistrat « Alsacien », pour avoir exercé ses fonctions presqu’exclusivement en Alsace. Il avait toutefois exercé brièvement les fonctions de premier Juge au Tribunal de grande instance de Metz en 1970-1971 et plus tard celles de Premier Président de la Cour d’appel de Metz de septembre 1984 à décembre 1986. Il est revenu en Alsace pour prendre les fonctions de Premier Président de cette Cour en janvier 1987. Monsieur Haegel a laissé le souvenir d’un homme attentif aux autres, simple et direct, travailleur infatigable, fort

d’une grande expérience en de multiples domaines ; il a toujours été du meilleur conseil pour ceux, nombreux, qui venaient le solliciter, le sachant accessible et accueillant. Remarquable juriste il était particulièrement attentif aux problèmes humains cachés derrière les dossiers qui lui étaient soumis. Il était notamment membre de la commission d’harmonisation du droit alsacien mosellan avec le droit général, membre de la commission de réforme de la procédure civile, dont les travaux ont été marqués par sa compétence, son bon sens, sa rigueur et sa tonicité. Exemple pour tous ceux qui l’ont approché et côtoyé, puisse-t-il nous inspirer dans nos pratiques professionnelles tout au long de cette année qui commence. (…)

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Marie-Colette Brenot


Rentrée solennelle REPÈRES

Photo © Jean-Gabriel Biellmann

Installation de cinq magistrats à la Cour d’Appel de Colmar 11 janvier 2013 JOSIANE BIGOT, Alsacienne puisque née à Colmar, vous faites un retour au pays en intégrant, comme Président de Chambre, la Cour d’appel de Colmar que vous connaissez déjà pour y avoir été Conseillé. Vous avez commencé votre carrière en janvier 1977 comme Juge au Tribunal de grande instance de Strasbourg, en septembre 1985 vous devenez 1er Juge dans ce même Tribunal. En septembre 1993, vous intégrez une première fois la Cour d’appel de Colmar pour la quitter deux ans plus tard pour rejoindre le Tribunal de grande instance de Strasbourg comme Vice-Présidente chargée du Tribunal pour enfants. En septembre 1999, vous retrouvez la Cour d’appel de Colmar comme Conseiller. Puis, après dix ans passé essentiellement à la Chambre de la famille, contentieux qui vous passionne, vous bénéficiez d’une promotion comme Président de Chambre à la Cour d’appel de Besançon, poste que vous occupiez jusqu’à aujourd’hui. Votre arrivée est très attendue puisque le poste de Président de la section A de la Chambre sociale est vacant depuis le 1er octobre 2012, date du départ à la retraite de Monsieur Michel Hoffbeck. Monsieur Michel Hoffbeck a marqué son passage dans cette Cour d’appel par sa grande compétence juridique, son humanisme et sa courtoisie. Très apprécié des Avocats, Magistrats et Greffiers, il ne

laisse, ici, que de bons souvenirs. Nous lui souhaitons beaucoup de bonheur dans sa nouvelle vie. Vous présenter, Madame Bigot, serait presque vous faire injure tant vous êtes connue dans ce ressort où vous avez passé la majeure partie de votre carrière et où vous êtes très impliquée dans la vie associative. Je ne m’y risquerai donc pas et je vous souhaite de vous épanouir dans cette Cour que vous connaissez bien et que vous vous preniez de passion pour la matière sociale.

en septembre 2012 pour le poste, bien mérité, de Président du Tribunal de grande instance de Belfort. Rompu aux techniques budgétaires, ayant le sens des relations humaines, Monsieur Babo a exercé cette difficile fonction avec beaucoup d’engagement. J’espère, Madame, que vous vous plairez dans cette fonction particulière de secrétaire générale et que nous formerons un tandem efficace au service de notre Cour d’appel.

CHRISTINE DORSCH, vous n’êtes pas non plus une inconnue en Alsace puisqu’après avoir été nommée Juge d’instance à Mulhouse en décembre 1989, vous avez rejoint en septembre 1992 le Tribunal de grande instance de Saverne et avez été chargée du Tribunal d’instance de Molsheim. Vous avez particulièrement apprécié cette fonction d’instance puisqu’après l’avoir exercée pendant treize ans comme Juge, vous devenez Vice-Présidente du Tribunal d’instance de Strasbourg. En janvier 2008, vous êtes nommée à la Cour d’appel de Metz comme Conseiller, poste que vous occupiez jusqu’à ce jour. Madame Dorsch, vous allez être ma collaboratrice la plus directe comme Conseiller chargé du secrétariat général et je vous attends avec impatience depuis quatre mois. Vous succédez à Philippe Babo qui a quitté la Cour de Colmar

CÉLINE DESHAYES, votre parcours professionnel vous a amené à occuper à la sortie de l’Ecole Nationale de la Magistrature le poste de Juge à l’application des peines au Tribunal de grande instance de Troyes à compter du 1er septembre 2003, en septembre 2006 vous rejoignez le Ministère de la Justice et mettez votre expérience de terrain au service de l’élaboration des textes. Trois ans plus tard, vous retournez en juridiction au Tribunal de grande instance de Strasbourg où vous êtes chargée du service des affaires familiales. Accédant au 1er grade, vous allez exercer les fonctions de Vice-Présidente placée auxquelles votre expérience vous a bien préparé. Ces fonctions exigent, en effet, une grande faculté d’adaptation, une polyvalence ainsi que des connaissances juridiques dans tous les domaines. Vous serez

traité par les juridictions du ressort à moyens, hélas, constants. En application du décret du 9 décembre 2011, les déclarations d’appel et les actes de constitution doivent être adressés à la Cour d’appel par voie électronique dans les matières où à compter du 1er janvier 2013, l’article 930-1 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique et que les arrêts, avertissements et convocations sont remis aux représentants des parties par voie électronique dans l’ensemble des procédures avec représentation obligatoire. La mise en oeuvre de cette dématérialisation des procédures nécessitait la signature d’une convention entre la Cour d’appel et les Barreaux du ressort.

bien accueillie dans les Tribunaux du ressort puisque vous viendrez combler une vacance de poste, un congé maternité ou maladie. Dans un premier temps, vous serez affectée au service des affaires familiales de Strasbourg que vous connaissez bien : vous y serez d’autant plus à l’aise. CLAIRE FERMAUT, comme vos collègues, votre carrière a été essentiellement alsacienne. Vous avez débuté en juillet 1982 comme Substitut à Mulhouse. Après six ans au Parquet, vous passez définitivement au Siège, d’abord comme Juge de l’application des peines au Tribunal de grande instance de Mulhouse, puis en septembre 1995 comme VicePrésidente au Tribunal de grande instance de Belfort. Vous retrouvez le Tribunal de grande instance de Mulhouse en mars 2001 comme VicePrésidente, poste que vous occupiez avant votre nomination comme Conseiller à la Cour d’appel de Colmar. Vous succédez à Madame Martine Conte qui a bénéficié d’une promotion méritée comme Président de Chambre à la Cour d’appel de Reims. Travailleuse et fine juriste, Madame Conte a largement contribué aux bons résultats de notre cour en 2012. Nous lui souhaitons bonne installation dans ses nouvelles fonctions. Votre arrivée à la Cour entraîne pour vous une reconversion professionnelle importante.

Je voudrais remercier vivement les Bâtonniers des quatre Barreaux d’Alsace et leurs représentants, les Magistrats et les Greffiers de la Cour d’appel de Colmar pour leur engagement dans ce processus de modernisation. Les échanges que nous avons eus ont été riches et fructueux et chacun y a mis du sien pour que nous soyons tous prêts pour assurer le déploiement et le bon fonctionnement de la communication électronique dès le 1er janvier 2013. Le 21 décembre 2012, la convention relative à la communication électronique civile et commerciale a été signée entre la Cour d’appel de Colmar et les Bâtonniers des Barreaux du ressort. Le même jour a été également signée une convention définissant les règles de bonne conduite à la Chambre sociale entre les mêmes partenaires.

Vous allez connaître de nouveaux contentieux dans le domaine du droit du travail et du droit de la sécurité sociale. Monsieur le Président de Chambre Adam et Monsieur le Conseiller DIE sauront être des guides efficaces dans le cadre des collégialités qu’ils président et je suis certaine que très rapidement vous aurez une bonne maîtrise de ces matières techniques. MICHEL SENTHILLE, Monsieur le Procureur Général a retracé votre parcours professionnel ; je ne m’y attarderai pas. Vous allez prendre la tête d’un grand Parquet, celui de Strasbourg, dans une cité qui connaît une délinquance protéiforme. La tâche sera importante mais votre expérience vous y a préparé. Je souhaite que vous formiez avec Benoît Rault une dyarchie harmonieuse au service de cette belle juridiction de Strasbourg. Vous aurez à mener avec lui un grand défi : celui de la restructuration du bâtiment avec toutes les opérations que cela comporte et notamment dans un premier temps le déménagement dans des locaux provisoires. L’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice (APIJ), le magistrat délégué à l’équipement et notre efficace Avocat général honoraire, Monsieur Pascal Schultz, seront à vos côtés pour piloter cette restructuration.

Je voudrais particulièrement remercier Monsieur Adam, Président de Chambre, et Monsieur Jobert, Conseillé, pour la part active qu’ils ont pris dans l’élaboration de cette convention en matière sociale. Autre évolution technologique importante, l’ouverture en octobre 2012 du site intranet de notre Cour d’appel illustré de photographies ; les articles publiés constituent un lien entre les Magistrats et fonctionnaires exerçant dans le ressort. L’é quipe informatique du SAR, et particulièrement Monsieur Naegelen, doit être remerciée pour la mise en oeuvre rapide de ce site et pour son caractère vivant et attractif. (…)

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Direct

Cercle des Stratèges Disparus Paris - 25 janvier 2013

Le 25 janvier les membres du Cercle des Stratèges Disparus, présidé par Thierry Bernard, avocat au Barreau de Paris et fondateur du cabinet d'avocats Bernards, se sont réunis au Cercle Interallié autour de Pierre Levené et Jean-Marie Destrée, respectivement Délégué général et Délégué général adjoint de la Fondation Caritas France, sur le thème du développement et du rôle des Fondations en France, particulièrement dans la mise en ceuvre et l'accompagnement de projets philanthropiques. Le Cercle contribue, par la rencontre d'esprits critiques et de points de vue pluralistes, à l'expression d'analyses et de propositions sur les enjeux politiques et économiques auxquels est confrontée la société française ; constitué en décembre 1995, réunit des publics d'origines variées pour réfléchir en toute indépendance d'esprit aux stratégies industrielles d'aujourd'hui et de demain, ainsi qu'à l'économie française dans toutes ses dimensions. Jean-René Tancrède

D.R.

Jean-Marie Destrée, Thierry Bernard et Pierre Levené

a Fondation Caritas France a été créée en 2009 par le Secours catholique, dont Pierre Levené a occupé pendant neuf ans le poste de Secrétaire Général. L'objectif de la Fondation est la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sous toutes ses formes, en France et dans le monde, en portant des projets innovants qui se développent dans des themes aussi divers que la creation d'emplois ou de logements, la formation - notamment des femmes, « nouvelles victimes privilégiées de la pauvreté » selon Pierre Levene - ou encore la creation d'épiceries et de conserveries et le soutien de nouveaux entrepreneurs, eux aussi destinés a créer, a leur tour, des emplois. C'est de cette philanthropie, plus particulièrement sous une forme assez méconnue en France - les fondations y sont mains nombreuses que dans la plupart des autres pays Occidentaux (plus de 80 000 aux Etats Unis, pres de 20 000 dans les pays scandinaves, pour un peu mains de 1 500 en France) - que Pierre Levené et Jean Marie Destrée sont venus débattre, aupres de Strateges ouverts et conscients de l'importance des nouvelles problématiques d'un monde en crise. Comme la plupart des fondations reconnues d'utilité publique, la creation de Caritas France est partie d'un constat: de plus en plus - et spécialement en période de crise - les donateurs, au delà de sommes d'argent, souhaitent investir du temps et de l'effort. D'où le besoin de créer une fondation qui, au dela des sommes d'argent

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et autres dons patrimoniaux, peut accueillir et soutenir de véritables projets humanitaires. La premiere difficulté que rencontrent les fondations, au dela dun mode de creation complexe obéissant a des criteres drastiques (capital minimum fixé à 1 million d'euros, décret du Ministre de l'Intérieur, avis du Conseil d'Etat...) se trouve dans la recherche permanente de lien social : « le monde associatif se professionnalise, s'ouvre a l'économie : en consequence, on demande de plus en plus au secteur privé dans de nombreux domaines », explique Jean Marie Destrée, qui a lui-même fait sa carrière dans le monde associatif. C'est cette nécessité vitale d'être present sur le terrain, et d'innover sans cesse, qui représente le principal défi des fondations. Outre les aspects purement technique et juridique, la principale difference entre une association et une fondation, reside dans le fait qu'une fondation est constituée par l'affectation irrevocable d'un bien, d'un droit au d'une ressource a une ceuvre d'intérêt général. Une fois formée, et respectueuse de ces conditions, la fondation prendra alors le statut de « fondation reconnue d'utilité publique », statut plus exigeant, au cadre plus normatif que ce qui est impose aux associations. Il existe plusieurs types de fondations, parmi lesquelles figurent les fondations abritées, selon qu'elles ont ou non la personnalité morale. Caritas France, étant dotée de la personnalité morale, abrite 32 fondations dont elle gère le

budget. Ce sont, en quelque sorte, des projets proposés par le public à Caritas, et dont le destin aura dépassé les espérances. A cet égard, comme le rappelle Pierre Levené, « les fondations sont souvent là pour amorcer un projet, elles mettent le doigt sur une carence qu'elles tentent de combler, avant que les pouvoirs publics prennent le relais ». Pour les représentants de Caritas, trois facteurs essentiels déterminent la volonté d'une personne à se lancer dans l'engagement associatif ou auprès d'une fondation : le patrimoine - et la volonté de le partager, le « capital moral » c'est à dire certaines valeurs humaines, et des valeurs transmises par l'éducation : on constate en effet souvent que la philanthropie s'hérite. Mais ces facteurs ne sont pas suffisants: il en faut un quatrième, le facteur déterminant, le point de basculement : « ce sera le fait pour une personne d'avoir été touchée personnellement » par un cas de misère humaine. C'est la part la moins connue du rôle des fondations, que cet accompagnement au jour le jour de projets humanitaires provenant de tous horizons, et quelle que soit leur taille. Le petit déjeuner s'achève dans une ambiance détendue mais néanmoins studieuse.

Le Cercle des Stratèges Disparus aura comme prochain invité, le 22 mars, François Drouin, Président d'Oséo.

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Annonces légales

Direct

Haut Conseil de la Famille

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ean-Marc Ayrault, Premier ministre, a installé, le 7 février 2013, le Haut Conseil de la Famille, renouvelé dans sa composition, en présence de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, et de Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la Famille. Bertrand Fragonard, président honoraire à la Cour des comptes, a été confirmé à sa présidence. Le Haut Conseil de la Famille, qui compte 60 membres, est une instance chargée d’animer le débat public sur la politique familiale, notamment sur la conciliation et la hiérarchisation de ses objectifs essentiels. Il peut formuler des recommandations, des avis et proposer

des réformes, et mène des réflexions sur l'équilibre financier de la branche famille de la sécurité sociale. Le Premier ministre a salué dans son allocution la qualité des travaux remis par le Haut Conseil de la Famille durant ses trois premières années d’activité, et confirmé les attentes du Gouvernement s’agissant de la mission sur l’architecture, le ciblage et l’efficacité des aides aux familles. Cette réflexion contribuera à la définition d’une politique familiale nouvelle. Source : communiqué du Premier Ministre du 7 février 2013 2013-123

Autorité de la concurrence 'Autorité de la concurrence vient de rendre une décision par laquelle elle prononce une sanction de 400 000 euros à l'encontre du groupe Réunica pour ne pas avoir notifié l'opération de fusion avec le groupe Arpège préalablement à la réalisation de l'opération. L'absence de notification de la fusion des groupes Réunica et Arpège Les groupes de protection sociale Réunica et Arpège qui gèrent des complémentaires de retraite, des institutions de mutuelles et de prévoyance, ont fusionné leurs moyens humains, matériels et organes décisionnels le 1er janvier 2010 sans que cette opération ait été préalablement soumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence. Or compte tenu des chiffres d'affaires réalisés par les deux groupes(1), ces derniers étaient tenus de soumettre l'opération à l'examen de l'Autorité de la concurrence avant sa réalisation. En l'espèce, si la fusion a été effective le 1er janvier 2010, Réunica n'a informé l'Autorité de la concurrence de la réalisation de l'opération qu'en avril 2010. Le groupe Réunica ne pouvait ignorer que cette opération était soumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence. En effet, le groupe a notifié deux autres opérations de concentration ces cinq dernières années : la création de l'entreprise commune Réunima avec Groupama

L

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en 2007 et la fusion avec le groupe Bayard en 2008(2). Une sanction de 400 000 euros Le non respect de l'obligation de notification d'une opération de concentration prive l'Autorité de la concurrence de toute possibilité de contrôler un projet de concentration préalablement à sa réalisation, et ce, quels que puissent être ses effets possibles sur la concurrence. Néanmoins, l'Autorité de la concurrence a tenu compte du fait que le groupe Réunica s'est rapidement et spontanément rapproché d'elle après la réalisation de l'opération, laquelle, ne soulevant pas de problèmes de concurrence, a été autorisée(3). En conséquence, l'Autorité de la concurrence a prononcé une sanction de 400 000 euros à l'encontre du groupe Réunica. Notes : 1 - L'article L. 430-1 du Code de commerce précise qu'une opération de concentration doit obligatoirement être soumise au contrôle de l'Autorité de la concurrence dès que le chiffre d'affaires de la nouvelle entité est supérieur à 150 M€ et que les chiffres d'affaires de chacune des parties se rapprochant dépassent 50 M€ chacun. 2 - Cette opération avait déjà été réalisée sans notification préalable au ministre de l'économie, compétent en matière de contrôle des concentrations à l'époque. 3Par décision du 19 mars 2012 (12-DCC-36), l'Autorité de la concurrence a autorisé l'opération.

Source : communiqué du 1er février 2013

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Palmarès

Prix Jean Carbonnier 2012 Conseil constitutionnel - 5 février 2013 Co-organisée par la Mission de Recherche Droit et Justice et le CNRS, la cérémonie de remise du prix Jean Carbonnier 2012 s'est déroulée ce mardi 5 février 2013 au Conseil constitutionnel en présence de son Président Jean-Louis Debré. Cette récompense a été décernée à Veronika Nagy pour sa thèse de sociologie juridique intitulée "Le domicile conjugual comme source de conflits judiciaires" et c'est Jean-François Weber, Président du jury composé de Claire Bazy-Malaurie, Christine Lazerges, Dominique Fenouillet, Hugues Dumont, Yann Aguila, Jacques Commaille, Serge Guinchard et Jean-Louis Halperin, qui lui a personnellement remis ce prix crée en 2005, après la disparition du Doyen Jean Carbonnier en 2003, pour couronner le travail en sociologie juridique ou en philosohie d'un étudiant "qui s'inscrirait dans une démarche extraordinairement novatrice" quelle que soit la discipline des sciences humaines et sociales concernée. Nous adressons nos chaleureuses félicitations à la récipiendaire pour sa thèse qui décrit parfaitement ce que la face honteuse du divorce nous enseigne sur le lien matrimonial; nous publions ci-après l'introduction et la conclusion de ce passionnant travail de recherche d'une brûlante actualité, sélectionné parmi quarante, par le Jury et qui a permis à Veronika Nagy d'obtenir le grade de Docteur avec la mention "très honorable avec félicitations du Jury" ainsi que l’excellent commentaire de présentation réalisé par le professeur Fenouillet. Jean-René Tancrède

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Dominique Fenouillet

Un regard sociologique porté sur le droit par Dominique Fenouillet*

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u’il nous soit permis, avant toute chose, de remercier le Conseil constitutionnel, en la personne de son président, de l’hospitalité qu’il a bien voulu nous offrir. Quel meilleur signe rêver, en effet, pour le couronnement d’une thèse de sociologie du droit sur le logement conjugal dans le divorce que la remise du prix Carbonnier, par un représentant éminent de la Cour de cassation, sous les auspices des Sages de la République ?

Peut-être Jean Carbonnier sourirait-il de cette association quelque peu inattendue entre son nom et la rue de Montpensier. On imagine que telle aurait pu être la réaction de celui qui, dans une sorte de testament sceptique, nous mettait en garde, en 1996, contre ce phénomène de psychologie « susceptible de mettre la raison en déroute » qu’il nommait « la Passion du droit »(1). Souvenons-nous, cette passion du droit, il en voyait notamment la manifestation dans l’existence, « au pôle supérieur », d’« une justice qui transcende les lois positives ». Mais il poursuivait en évoquant aussi, « au pôle inférieur,… la passion du métier de juriste en ses multiples catégories », catégorie dont relève, à n’en pas douter, les professeurs de droit. Belle leçon d’humilité ! Oui, Jean Carbonnier, tout « empreint du scepticisme de Montaigne » et bien plus « inspiré par Montesquieu »(2) que par Kelsen, sourirait peut-être, l’étrangeté de la situation ne pouvant échapper à l’homme plein d’humour qu’il était. Mais il est sûr, aussi, et surtout, qu’il serait très heureux, Madame, que vous soyez récompensée pour ce regard original que vous avez porté sur le logement dans le divorce. Le Code civil de 1804 connaissait déjà le domicile, cet instrument de rattachement géographique du sujet de droit dont il faisait –et fait encore- un élément de l’état civil. La résidence est apparue plus tard, non sans lien avec une appréhension plus concrète de la personne par le droit. Mais c’est surtout au logement que l’on s’attache aujourd’hui, en raison du caractère fondamental que représente ce lieu si essentiel à chacun de nous. Une association caritative nous rappelait, la semaine dernière, qu’il existe, en France, plusieurs millions de personnes « mal logées » à des titres divers(3) . C’est dire l’importance du droit au logement opposable consacré par la loi du 5 mars 2007, dans le prolongement du droit à disposer d’un logement décent érigé en objectif de valeur constitutionnelle par votre Assemblée, dès la célèbre décision du 19 janvier 1995. C’est pressentir aussi la difficulté qu’il peut y avoir à régler la question du logement dans un divorce.

Parce qu’il est tout à la fois élément du patrimoine, domicile et lieu d’habitation, le logement conjugal assure de multiples fonctions, que vous avez, Madame, fort bien mises en lumière. Ce sont généralement ses fonctions personnelles que l’on met en avant : le logement abrite l’intimité du couple ; il permet à la communauté de vie, matérielle et spirituelle, qui constitue la véritable « chair » du mariage, de se développer ; il offre au lien familial la possibilité de se déployer, assurant ainsi l’articulation de l’alliance et de la filiation. Home, sweet home… Le logement est avant tout lieu de refuge de la personne, du couple, de la famille. Mais il ne faudrait pas pour autant occulter sa nature patrimoniale : le logement conjugal est aussi un bien, une valeur patrimoniale, de nature variable et sur laquelle les époux ont des droits et des pouvoirs divers, selon qu’il s’agit d’un immeuble leur appartenant, en propre ou en commun, ou d’un bien loué, voire prêté, etc. De cette double appartenance, à l’ordre de l’être et à l’ordre de l’avoir, résulte toute l’ambivalence du logement conjugal. De cette double appartenance résulte aussi la difficulté de doter le logement d’un statut juridique équilibré. Comment concilier, en effet, la protection du cadre de vie de chacun tout en respectant les prérogatives patrimoniales de l’un et de l’autre ? Le Code civil y parvient assez bien, en cours de mariage, en limitant le pouvoir de disposition qu’ont les époux sur les droits assurant le logement pour protéger la stabilité du toit familial (art. 215). La loi successorale s’y emploie elle aussi, au décès d’un époux, en préservant le cadre de vie du conjoint survivant, par l’attribution d’un droit temporaire d’usage au cours de l’année qui suit l’ouverture de la succession (art. 763) et par la reconnaissance d’un droit viager d’habitation (art. 764). Dans une perspective comparable, le droit s’efforce de concilier les considérations patrimoniales et les enjeux personnels lorsqu’il fixe le sort du logement conjugal dans le divorce. La loi ne règle explicitement que quelques situations : elle organise la résidence séparée des

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Palmarès époux en cours de procédure (art. 255) et autorise la concession judiciaire à bail du logement à l’époux avec lequel résident les enfants mineurs (art. 285-1). Mais le statut du logement dans le divorce dépasse, et de beaucoup, ces deux dispositions. Il n’est pas rare, ainsi, que le juge attribue la jouissance du domicile familial à l’un des époux, à titre de pension alimentaire pendant la procédure, ou de prestation compensatoire une fois le divorce prononcé. Non sans rapport, il peut aussi faire de cette jouissance du logement familial une forme de la contribution à l’entretien des enfants. Sur toutes les questions, importantes et nombreuses, soulevées par le devenir du domicile conjugal après la dissolution du lien matrimonial, la doctrine juridique a déjà beaucoup dit. L’originalité de votre réflexion, Madame, tient dans le regard, dans les regards, que vous avez portés sur cette question. Originale, votre réflexion l’est en effet, et à plus d’un titre.

I. Votre thèse est d’abord originale par la question posée elle-même Le titre met en appétit : « Le domicile conjugal comme source de conflits judiciaires. Ce que la face honteuse du divorce nous enseigne sur le lien matrimonial» Ce titre, et ce sous-titre, révèlent à eux seuls, Madame, que vous avez souhaité engager une réflexion libérée des discours et des normes, qu’ils soient juridiques ou / et sociaux. Votre réflexion se développe d’abord à contrecourant du discours social qui exalte toujours plus les questions personnelles et

occulte les considérations patrimoniales au sein de la famille. Non, le divorce n’est pas que rupture psychologique ; il est aussi bouleversement patrimonial, en particulier pour les femmes, comme vous le montrez si bien, et comme le disait déjà Jean Carbonnier : « Quoique les textes aient toujours été rédigés en style bilatéral par un hommage creux à l’égalité des sexes, il est bien connu que c’est la femme qui, dans l’immense majorité des cas, est menacée de pauvreté par le divorce »(4) . On mesure aisément l’enjeu que représente, dans un tel contexte, l’attribution du domicile conjugal. Et l’on comprend d’autant mieux le sous-titre de votre travail : s’intéresser à cette « face honteuse du divorce » que la société s’efforce d’escamoter. Votre analyse se présente encore en marge du discours social qui encensent les accords conjugaux et dénoncent ces couples qui ne savent pas se séparer en restant « fair play ». Alors que le droit du divorce a renoncé à être le bras armé du mariage et promeut toujours plus l’accord des époux, alors que le discours social accuse les divorcés qui ont l’âme belliqueuse, c’est aux conflits judiciaires que vous avez, tout au contraire, décidé de vous intéresser. Parce que tous les couples ne sont pas en état et situation de se séparer dans la joie et la bonne humeur. Votre thèse se présente, enfin, assez éloignée d’une certaine tendance contemporaine à désystématiser le droit familial et saucissonner les questions. Alors que les questions familiales tendent trop souvent à n’être appréhendées qu’isolément, vous avez au contraire choisi d’aborder le droit familial dans sa globalité, et analysé le divorce sous l’angle du mariage, ou peut-être plutôt le mariage à travers le prisme du divorce. Il s’est donc agi, par une analyse minutieuse des conflits que le logement suscite lors du divorce, de découvrir la signification profonde que les

époux donnaient à leur lien matrimonial. Sur tous ces points, Madame, votre réflexion, loin de s’inscrire dans le discours ambiant, s’est voulue personnelle et critique. Et cette démarche critique a permis de mettre à jour une réalité familiale assez différente de celle que les stéréotypes sociaux véhiculent. On aimerait croire que vous serez écoutée, et que votre approche des questions familiales, tout à la fois plus objective, plus complète et plus systématique que celle en cours dans le monde contemporain, infléchira les réformes à venir. Originale, votre thèse l’est donc déjà par son sujet.

II. Mais elle l’est aussi par sa méthode Vous avez en effet décidé de croiser les regards entre droit et sociologie, entre sociologie théorique et sociologie empirique, entre droit français et droit étranger. Vous avez d’abord souhaité chausser les lunettes du comparatiste. Ayant choisi de faire porter l’analyse non seulement sur le droit français, mais aussi sur le droit hongrois, vous offrez à vos lecteurs une présentation comparée passionnante du statut du logement des époux que la France et la Hongrie consacrent dans le cadre du divorce. Vous montrez ainsi combien, dans un contexte historique, social et économique assez différent, les problématiques peuvent rester comparables. Vous avez également adopté une démarche de sociologie juridique. Cette démarche, qui n’est déjà pas si fréquente, du moins à la faculté de droit, vous l’avez appliquée tant à l’analyse du droit théorique qu’à celle de la pratique judiciaire. Et vous l’avez fait en déployant non seulement ce que Jean Carbonnier appelait très

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Veronika Nagy, Christine Lazerges, Jean-Louis Debré et Claire Bazy-Malaurie

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Palmarès joliment l’observation sociologique « d’appartement » dans son cours de sociologie juridique de 1961-1962, mais aussi en procédant à des enquêtes de terrain. Votre construction de l’objet « logement conjugal » est en effet le résultat d’une méthode d’analyse théorique somme toute classique: c’est à partir des textes, de la jurisprudence et des connaissances sociologiques théoriques, que vous avez analysé l’importance du domicile conjugal, mis à jour ses fonctions, et identifié les difficultés inhérentes au croisement du personnel et du patrimonial. Mais l’analyse que vous avez menée ensuite, dans la seconde partie de votre travail, en portant votre regard sur les conflits judiciaires relève d’une autre méthode sociologique, celle de l’analyse de cas, notamment au moyen d’une enquête de terrain. Vous avez ainsi épluché de nombreux dossiers français de divorce que des cabinets d’avocats mettaient à votre disposition, assisté à de nombreuses audiences de divorce en Hongrois et consulté plusieurs dizaines de dossiers auxquels des magistrats hongrois vous donnaient accès. Vous avez ainsi pu sélectionner cinquante-cinq affaires de divorce, en France et en Hongrie, dans lesquels un conflit existait entre les époux au sujet du logement. Vous avez alors minutieusement analysé les prétentions respectives des parties, pour mettre à jour les motifs qui justifiaient leurs demandes et leur désaccord. Le panel sur lequel vous avez assis votre travail reste certes limité : il serait inexact, vous le dites vous-même, de le prétendre « représentatif au sens statistique » du terme ; mais comme vous le dites aussi, il reste tout à fait « exemplaire » des difficultés suscitées par le sort du logement après divorce(5) . Vous nous livrez là une remarquable illustration de l’utilité d’une analyse de microsociologie, plus précisément, plus exactement d’une étude de psychologie juridique. Originale, votre analyse l’est donc par son objet et par les méthodes mises en œuvre.

III. Mais elle l’est également par les fruits recueillis L’analyse minutieuse et comparée des affaires vous a d’abord conduite, Madame, à identifier deux types principaux de demandes : les uns veulent rester dans les lieux, les autres souhaitent convertir leurs droits sur le logement en capital. Elle vous a également permis de mettre à jour les arguments utilisés par les parties pour fonder leurs demandes : certains invoquent la nécessité de se loger, d’autres expriment la volonté de rester dans un lieu privilégié, certains arguent des investissements qu’ils ont réalisés dans ce bien ; d’autres se réfèrent au passé conjugal. Après avoir ainsi mis à jour les désaccords et les motifs justifiant les demandes des parties, vous avez pu dégager la cause des désaccords. Cette cause tient, dites-vous de façon très convaincante, au fait que les époux ne partagent pas le même modèle matrimonial, c’est-à-dire qu’ils ont une représentation différente des critères qui doivent présider à l’attribution du domicile conjugal. Et ici réside le véritable cœur

de votre thèse, sa substantifique moelle : vous livrez une typologie des demandes relatives au logement conjugal. Cette typologie intègre quatre modèles : certains époux optent pour un modèle que vous appelez égalitaire parce qu’il consiste à procéder au partage par moitié des droits assurant le logement familial ; d’autres époux préfèrent un modèle que vous appelez « solidaire », modèle consistant à faire prendre en charge par l’un des époux les besoins de l’autre ; d’autres époux, encore, adhèrent à un modèle que vous dites « compensatoire » en ce qu’il permet à l’époux « innocent » de conserver ses conditions de logement ; d’autres enfin optent pour un modèle que vous qualifiez de modèle de « reconnaissance », modèle dans lequel le sort du logement dépend de la part versée par chacun dans le patrimoine.

IV. Vous étiez en concurrence, Madame, avec de bien belles thèses, mais c’est à vous que nous avons décidé d’attribuer ce prix Et si nous l’avons fait, c’est parce que votre travail s’inscrit pleinement dans le droit fil de la pensée de Jean Carbonnier. Cette fidélité à la pensée de Jean Carbonnier, tient en premier lieu au fait que vous avez pratiqué, et en tous points, l’ouverture prônée par Jean Carbonnier. Un regard sociologique porté sur le droit, à la recherche de la psychologie des divorçants. Des méthodes sociologiques originales, passant notamment par l’analyse de la pratique judiciaire du divorce, le dépouillement de dossiers de divorce. Une comparaison fructueuse de situations nationales différentes, mettant en valeur l’existence de préoccupations et raisonnements communs, par delà les différences culturelles, juridiques. Et cette ouverture, vous l’avez pratiquée dans la modération, l’équilibre, la conscience des limites d’une telle démarche. Vous n’avez ainsi, à aucun moment, cédé au « mythe du législateur étranger » : « A beau mentir qui vient de loin », jamais vous n’êtes tombée dans cet écueil du comparatisme(6) . Cette fidélité à la pensée de Jean Carbonnier tient en deuxième lieu au fait que votre thèse porte très exactement sur des thèmes de prédilection du doyen. Le thème du logement, d’abord, qui ne pouvait laisser indifférent le regard sociologique qu’il portait sur le droit tant cette question renvoie à une réalité pratique essentielle, affective et patrimoniale, sociale et individuelle. Et chacun sait la part du doyen dans la protection du logement, qu’il s’agisse de préserver la stabilité du logement du majeur protégé ou celle du logement familial, en cours de mariage ou après la dissolution du mariage, par décès ou par divorce. Il fut l’inventeur du statut civil spécifique du logement, qu’il justifiait par « la valeur quasi sacrée que notre époque attache au logement familial et au décor de la vie »(7) : il ne s’agissait « pas seulement », disait-il, « du droit

élémentaire de se mettre à l’abri de la pluie, du vent et du froid », mais aussi du « droit plus raffiné de garder son cadre de vie habituel, de n’en être point séparé»(8) . Le thème du divorce, ensuite, ce « mal nécessaire »(9) dont on sait qu’il l’a toujours abordé avec le souci de dédramatiser cette épreuve humaine traversée par nombre de nos concitoyens, en facilitant les accords conjugaux, mais aussi en dénouant préventivement les conflits. Nul doute, à cet égard, qu’il eut accueilli avec beaucoup d’intérêt cette grille de lecture que vous proposez, Madame, tant elle pourrait sans doute être mise à profit pour apaiser les conflits conjugaux. Si le jury vous a attribué le prix Carbonnier, Madame, c’est enfin et en dernier lieu parce que votre thèse entre en résonance avec plusieurs questions chères à Jean Carbonnier. L’imbrication du patrimonial et du personnel d’abord. Son droit de la famille s’ouvre sur cette mise en garde : « la famille ne peut vivre d’amour et d’e au fraîche : une assise économique est nécessaire »(10) . Le lien fondamental qui unit mariage et divorce, ensuite. S’il avait eu à cœur, en 1975, de libéraliser le divorce, pour reprendre l’expression consacrée, ce n’était pas sans limite, et il s’en était expliqué très clairement : « la question du divorce »(11) , pour reprendre son expression, était aussi à ses yeux la question du mariage. Tout votre travail confirme ce lien essentiel. L’importance et les limites des accords conjugaux. Jean Carbonnier n’était pas le chantre inconditionnel de la médiation, conciliation, et autres pactes de famille, qu’il concevait essentiellement comme des moyens susceptibles de « favoriser un règlement pacifiquement définitif »(12) . Il connaissait parfaitement les avantages et les inconvénients de cette « dépossession du droit »(13) . Et de ce point de vue aussi, votre thèse lui aurait sans doute beaucoup plu, toute d’équilibre, attentive qu’elle est à l’existence des conflits, et susceptible aussi d’y remédier, nous y reviendrons plus tard. Le lien existant entre le passé conjugal et l’aprèsdivorce. Si Jean Carbonnier avait oeuvré au relâchement du lien entre vécu conjugal et effets du divorce, dans la perspective de « dédramatisation du divorce » qui était la sienne, ce n’était pas sans limite(14) . Et il s’en était clairement expliqué : « il est », disait-il « des conflits conjugaux que la conscience populaire continue de poser en termes de culpabilité et à résoudre en termes de sanction… Ce serait compromettre gratuitement la réception de la réforme dans la nation que de méconnaître la force de ces réflexes élémentaires »(15) . Votre typologie intègre un modèle que vous appelez le modèle compensatoire qui, pour l’essentiel, fait du logement un élément de punition des fautes commises par l’un et de réparation des torts subis par l’autre. Pluralisme dans le divorce enfin. Chacun connaît la célèbre formule : « A chacun sa famille, à chacun son droit »(16) . Et chacun sait aussi combien la législation subséquente a diminué ce pluralisme : certes, le pluriel continue de caractériser les cas de divorce en droit positif ; mais la loi, en organisant les effets sur un seul et même modèle, a considérablement atténué la portée de ce pluriel. Votre thèse atteste que le pluralisme continue pourtant de vivre dans la psychologie

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Palmarès des divorçants, ce que le législateur serait bien inspiré de mesurer, s’il souhaite donner à la législation une chance d’effectivité et, partant, œuvrer pour la postérité. Par où l’on mesure que votre thèse mérite le prix Carbonnier, non seulement pour les conclusions explicites que vous avez formulées, mais également pour toutes les perspectives que votre regard sociologique ouvre, tant en théorie juridique qu’en pratique judiciaire. La grille de lecture des conflits surgissant autour du logement conjugal après le divorce que vous proposez, en même temps qu’elle dévoile les causes du conflit, offre en effet d’abord aux praticiens de précieux éléments de solution. L’enjeu pratique, humain et social, n’est pas mince : si tous les époux ne sont pas assez riches pour verser une prestation compensatoire, presque tous ont un logement : la question du logement se pose donc, très concrètement, dans presque tous les divorces. Et l’on mesure alors que votre thèse pourrait utilement appuyer les expériences que les avocats initient actuellement autour de la convention de procédure participative, du contrat collaboratif, éclairer l’action des médiateurs, inspirer les décisions du juge. Votre réflexion dessine en outre des pistes de réflexion très riches pour la théorie juridique, qu’il s’agisse du mariage, du pacs, du concubinage, de la parenté. Elle porte à réfléchir à l’imbrication du personnel et du patrimonial dans un couple, à rebours de la distinction opérée par le droit, par exemple dans le pacte civil de solidarité. Elle invite à considérer le lien entre passé et futur,

à rebours du cloisonnement étanche que le droit du divorce tente d’établir entre la cause et les effets de la rupture. Elle suscite la réflexion sur la persistance d’un fort pluralisme conjugal, entre égalité et équité, respect des devoirs de mariage et prise en compte des contributions patrimoniales respectives. Elle suggère une transposition des modèles de résolution des conflits à d’autres ruptures, et tout particulièrement à la dissolution du pacs et du concubinage. Surtout, elle incite à mettre en œuvre, dans les conflits parentaux, votre approche de psychologie judiciaire. On imagine le profit qu’il y aurait à disposer d’une typologie comparable des désaccords parentaux relatifs à l’éducation des enfants, leur résidence. Jean Carbonnier, « Jean le mystérieusement Sage »(17) - et notre présence en ces lieux, prend alors tout son sens ! -, disait des thèses de doctorat de droit qu’elles occupaient parmi les monographies doctrinales une place importante: « c’e st », disait-il, « la recherche scientifique adaptée au droit »(18) . Nul doute que ce qualificatif sied à votre travail, tant cette mise à jour de la psychologie juridique des divorçants est susceptible d’éclairer le statut juridique du logement conjugal dans le divorce et, au-delà, dans le couple, dans la parenté, dans la famille. Nul doute que votre directrice de thèse peut éprouver le sentiment de la mission accomplie : nourrir la réflexion, accompagner la pensée vers la maturité. Pour tout cela, et pour tous les fruits que chaque lecteur saura cueillir en vous lisant, le jury 2012

est très heureux, Madame, de vous attribuer le prix Jean Carbonnier.

* Dominique Fenouillet est Professeur de droit privé à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) et Directrice du Laboratoire de sociologie juridique.

Notes : 1 Droit et passion du droit sous la V° République, Flammarion, 1996, p. 11. 2 J. Commaille, « L’esprit sociologique de Jean Carbonnier : la flexibilité du droit », in Hommage à Jean Carbonnier, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2007, p. 51. 3 Fondation Abbé Pierre, 18ème rapport sur l’état du mal-logement, janvier 2013. 4 Carbonnier, La famille, Thémis, 20° éd. refondue, 1999, p. 578. 5 P. 145. 6 « A beau mentir qui vient de loin, Ou le mythe du législateur étranger », in Essai sur les lois, Defrénois, 1979, p. 191 s. 7 Les personnes, Thémis, 21° éd. refondue, 2000, p. 325, n°157 : « le vœu de la loi est qu’au sortir de l’hôpital le malade puisse retrouver ce cadre intact. D’où la règle prescrite à ceux qui ont charge de ses intérêts : conserver le plus longtemps possible à sa disposition son logement et ses meubles meublants ». 8 Les biens, Thémis, 19 ° éd. refondue, 2000, n° 188, Théorie juridique, p. 300. 9 Droit de la famille, préc., Politique législative, p. 509. Josserand employait déjà l’expression. 10 Droit de la famille, préc., p. 2. 11 Titre de sa célèbre chronique, « La question du divorce, Mémoire à consulter », D. 1975, chr. 115 s. 12 La famille, préc., Pratique judiciaire, p. 543. 13 La famille, préc., Politique législative, p. 567. 14 Perte de la prestation compensatoire et des avantages attachés au divorce par l’époux aux torts exclusifs duquel le divorce était prononcé. 15 « Le divorce », in Essai sur les lois, préc., p. 132. 16 Essai sur les lois, préc., p. 167. 17 G. Cornu, « Propos introductifs », in Hommage à Jean Carbonnier, Dalloz, Thèmes et commentaires, préc., p. 3. 18 Introduction, Thémis, 26° éd. refondue, 1999, n°150, p. 288.

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Veronika Nagy

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Palmarès Le domicile conjugal comme source de conflits judiciaires

Veronika Nagy et Jean-François Weber

par Veronika Nagy

Introduction*

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« Si le droit de la famille n’occupe pas en entier le livre Des personnes, il occupe, en revanche, une partie d’un autre livre, le livre III, Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Cette rubrique peut sembler étrange et même déplaisante, appliquée à des rapports familiaux. Il n’y a rien de cynique, pourtant, à constater que, par héritage, donation, partage de communauté, on peut acquérir des biens. La famille ne peut vivre « d’amour et d’e au fraîche » : une assise économique lui est nécessaire. » Jean Carbonnier(1) « Et ils se battirent jusqu’à la dernière petite cuillère. » insi pourrait se terminer une fable moderne mettant en scène un modèle de divorce à ne surtout pas suivre, un contre-exemple de la désunion réussie. En effet, à l’heure où rien n’est plus valorisé que la négociation et la résolution des conflits par les justiciables eux-mêmes, à l’heure où l’on enjoint aux époux de dénouer les liens de leur union passée avec autant de délicatesse que possible – notamment dans l’intérêt de leurs enfants –, les mauvais élèves du divorce sont assurément ceux qui paraissent incapables d’appréhender leur séparation de manière apaisée(2). Surtout, les conjoints qui s’affrontent sur le terrain de l’argent et des biens non seulement se font la guerre, ce qui est déjà condamnable en soi en référence au « on divorce pacifié », mais en plus, il se la font pour des motifs qui passent pour bassement matériels, s’adonnant à de viles pulsions mercantiles lesquelles ne devraient pas avoir droit de cité en matière conjugale et familiale. Car à bien y regarder, le calcul parcimonieux, la cupidité mesquine et la recherche de profit au détriment de l’autre époux, qu’on imagine être le propre de ces conflits sur les effets financiers et patrimoniaux des désunions, ne sont que l’expression exacerbée, et donc perçue comme particulièrement choquante, de l’irruption des intérêts économiques au sein de la sphère privée : « parler d’économie et de famille dans la même phrase est incongru et presque obscène »(3). En somme, c’est au nom d’un mélange des genres non conforme que les époux qui se déchirent autour du montant d’une prestation compensatoire, du sort d’un bien immobilier, ou de toute autre question matérielle, sont spécifiquement décrits comme de mauvais divorçants. Un tel sentiment de malaise face à ceux qui entendent compter, décompter, comptabiliser, calculer l’argent et les biens du mariage s’enracine dans une vision des rapports

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familiaux comme étant régis par l’amour, l’affection et la solidarité, avec pour traduction concrète le don, le partage et surtout l’absence d’enregistrement rigoureux et systématique des opérations de débits et de crédits dont chacun est l’auteur (quand on aime, on ne compte pas). De cette manière, si personne ne songerait sérieusement à nier que les couples et les familles manient des biens de valeur et de l’argent, qui sont utilisés dans le quotidien, accumulés à titre de patrimoine, et font également l’objet de divers transferts, on part usuellement du principe que la façon d’appréhender les choses matérielles est dans ce contexte radicalement différente de celle, froide et intéressée, qui caractériserait les acteurs de l’é conomie de marché(4). En vertu d’une conception qui valorise le « mariage d’amour » contemporain, en opposition au « mariage d’argent » quelque peu caricatural du passé, l’intimité et l’économie sont séparés en deux mondes aux logiques bien distinctes : aux commerçants et aux financiers le profit et le calcul rationnel, aux couples et aux familles le don gratuit et les solidarités désintéressée (5.) Notamment, le lien conjugal, qui en raison de son caractère foncièrement électif et dissoluble semble être le plus privé des liens familiaux, le moins soumis à un contrôle de la part de la collectivité(6), apparaît comme une relation interpersonnelle qui n’engage rien d’autre que deux individus, dont l’affection réciproque serait à la fois la justification (on entre en couple par amour, on en sort par désamour) et l’essence (l’affection est la condition nécessaire et suffisante du lien). A contrario, l’idée que des

considérations d’ordre financier puissent jouer un rôle dans le choix de se marier se présente comme une négation de la vocation même de l’union conjugale. Dès lors, les choses matérielles font simplement figure de décor, de cadre, de support concret de la relation, mais n’entrent pas dans sa définition : l’essentiel, c’est l’amour, tout le reste n’est qu’accessoire. Dans cette perspective, il n’est pas rare que les sociologues du couple eux-mêmes définissent le lien conjugal comme une pure relation de personne à personne(7) dont la finalité est la satisfaction psychologique des partenaires(8), ce qui les conduit à écarter du champ de l’analyse tout ce qui concerne les aspects économiques de la vie conjugale. Autrement dit, « faire couple » paraît aujourd’hui avant tout renvoyer au fait de nouer une relation de personne à personne, dans un souci d’authenticité et de réalisation de soi, sans que les choses possédées ou utilisées en commun soient considérées comme faisant véritablement partie du lien. Partant de là, appréhender son divorce comme une affaire financière dont on voudrait tirer un profit maximal, en se frottant les main d’avance à l’idée de tout ce qu’on pourrait y gagner, semble être le pendant, tout aussi condamnable, de l’attitude de ceux qui, au moment de conclure un mariage, entendent moins épouser la personne que le portefeuille. Pourtant, nombreux sont les éléments qui incitent à prendre de la distance vis-à-vis d’une lecture des affrontements matériels des époux en termes de conflit entre deux homo oeconomicus et plus globalement vis-à-vis d’une séparation radicale entre relations

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Palmarès familiales et relations économiques. Ainsi, nous savons grâce aux anthropologues que le dualisme entre marché lieu de l’utilitaire et famille lieu de l’affectif n’est pas de mise partout, et surtout que la condamnation morale de l’imbrication de ces deux mondes est loin d’aller de soi, avec dans certaines sociétés un rapport à l’argent placé sous le signe du bien commun et de la passion(9), ou encore l’existence de véritables contrats marchands conclus entre époux(10). De plus, les travaux ethnographiques sur les pratiques monétaires et les usages de l’argent, qui se sont particulièrement développés depuis les années 1980, ont permis de réinterroger les catégories économiques standard(11). En parallèle, comme le montre très justement Viviana Zelizer, la simple observation au sein des sociétés occidentales de la circulation de l’argent dans le périmètre de l’intime met en échec la dichotomie entre sphère économique et sphère privée, puisque soit l’argent ne devrait pas du tout pénétrer dans la famille, soit il devrait provoquer un changement profond dans les relations (12). À cela on pourra ajouter qu’à côté de la définition du couple comme lien purement amoureux, un de ses critères majeurs est aujourd’hui la cohabitation, ce qui signifie que l’usage commun d’un bien immobilier et d’objets du quotidien, de même que la gestion d’un budget domestique ne viennent pas « en surplus », mais font dans cette optique pleinement partie du lien. Dans le même sens d’une dimension économique centrale au sein du mariage, nous avions constaté lors d’un travail sur l’adultère faute cause de divorce que la dimension fautive de la relation extraconjugale pouvait être rapportée à des questions matérielles, les épouses reprochant aux maris de dilapider l’argent du ménage en cadeaux pour les maîtresses et les maris appréhendant les amants exclusivement sous l’angle de leurs revenus ou de leur profession(13). De telles accusations suggèrent l’existence d’un devoir de « fidélité économique », bien éloigné de la fidélité amoureuse ou sexuelle qu’on associe à l’image du couple pur lien interpersonnel. Enfin, des enquêtes de sociologie judiciaire du divorce mettent en avant le fait que dans le cadre des procédures, le débat est toujours global, ce qui signifie que les demandes financières et patrimoniales n’y sont pas discutées isolément des autres éléments, notamment la cause du divorce ou de la séparation(14). Notes : 1. J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple, Paris, PUF, 2004. p. 750. 2. L’émergence et la généralisation de la norme du bon divorce pacifié est un phénomène désormais bien connu, qui a fait l’objet de plusieurs études. On peut notamment citer : B. Bastard, L. Cardia-Vonèche, « Les silences du juge ou la privatisation du divorce. Une analyse empirique des décisions judiciaires de première instance », Droit et Société (4), 1986, p. 497-506 ; I. Théry, Le démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 1996 ; J. Hauser (dir.), Sociologie judiciaire du divorce, Paris, Economica, 1999. Pour une synthèse plus récente, on pourra consulter S. Cadolle, « La transformation des enjeux du divorce », Informations sociales (122), mars 2005, p. 136-147. 3. C. Delphy, L’ennemi principal, t. 1, Économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 2009, p. 11. 4. Il va de soi que dans cette optique, les phénomènes économiques eux-mêmes sont perçus comme relevant d’une sphère autonome et isolée du reste de la société. Cf. L. Dumont, « Préface », in : K. Polanyi, La grande transformation, Paris, Gallimard, 1983, p. I-XX. Au demeurant, l’affirmation de l’unité du champ économique, formulée en Europe à la fin du 18e siècle à l’occasion de sa constitution

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comme objet de la science économique, semble être indissociable d’une séparation complète, sur le plan conceptuel, des passions et des intérêts. Làdessus, voir : P. Bridel, « Passions et intérêts » revisités. La suppression des « sentiments » est-elle à l’origine de l’économie politique ? », Revue européenne des sciences sociales (144), 2009, p. 135-150. 5. Ce cloisonnement va aussi de pair avec l’idée qu’il convient de préserver les relations affectives des considérations intéressées et égoïstes et la « peur d’une perversion réciproque » des deux sphères. Cf. J. Godbout, en collab. avec A. Caillé, L’ esprit du don, Paris, La découverte, 1992, p. 230 pour la citation. 6. Nous entendons par là que le seul critère du caractère acceptable ou non de telle pratique conjugale, de telle forme de vie de couple, est le consentement des deux partenaires. Les comportements les moins habituels sont, du moment qu’ils ne sont pas le résultat d’un rapport de force, perçus comme étranges ou marginaux, mais ne sont pas à proprement parler condamnés, ni sur le plan moral, ni sur le plan juridique. On peut par exemple penser à l’échangisme, qui transgresse ouvertement la norme de la fidélité sexuelle, mais qui est rendue moralement acceptable précisément en raison du consentement des deux membres du couple. Dans le même sens, l’échangisme est rejeté par les tribunaux en tant qu’adultère faute cause de divorce, les juges considérant que la connivence lui ôte son caractère fautif (cf. une étude jurisprudentielle sur l’adultère, menée dans : V. Nagy, La qualification juridique d’adultère : une étude sociologique, Mémoire pour le diplôme de l’EHESS, dir. Irène Théry, mai 2003). A contrario, le rapport aux enfants semble faire l’objet d’une attention plus grande, avec un seuil de tolérance plus bas quant aux pratiques inusuelles, perçues comme imposées par les parents. 7. A. Giddens, Modernity and Self Identity, London, Polity Press, 1991. 8. F. de Singly, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996. 9. Chez les Tsiganes, l’argent n’est pas entaché de suspicion et d’amoralité dès lors qu’il franchit l’espace des relations personnelles et est au contraire rendu très visible à travers une valorisation extrême. M. Stewart, « La passion de l’argent. Les ambiguïtés de la circulation monétaire chez les Tsiganes hongrois », Terrain (23), p. 4510. Jusque dans les années quatre-vingt, il n’était pas rare que les femmes sénégalaises de milieu rural vendent à crédit une partie de leur propre production céréalière à leur mari, parfois avec intérêts. A.-B. Diop, La famille wolof, Paris, Karthala, 1985. 11. Pour une synthèse des travaux francophones et anglophones, voir : J. Blanc, « Usages de l’argent et pratiques monétaires », in : Ph. Steiner et F. Vatin, Traité de sociologie économique, Paris, PUF 2009, p. 649688. 12. V. Zelizer, La signification sociale de l’argent, Paris, Seuil, 1995. 13. V. Nagy, « Cher adultère. Transgression du devoir de fidélité, argent et biens dans les procédures de divorce pour faute », in : A. Fine et A. Martial (dir.), La valeur des liens. Hommes, femmes, et comptes familiaux, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, coll. Les Anthropologiques, 2009, p. 115-134. 14. I. Théry, Le démariage, op. cit., spéc. p. 192 et s. ; B. Bastard, Les démarieurs. Enquête sur les nouvelles pratiques du divorce, Paris, La Découverte, 2002.

Conclusion* « Le sens de l’injustice n’est pas seulement plus poignant, mais plus perspicace que le sens de la justice, car la justice est plus souvent ce qui manque et l’injustice ce qui règne, et les hommes ont une vision plus claire de ce qui manque aux relations humaines que de la manière droite de les organiser. C’est l’injustice qui la première met en mouvement la pensée. » Paul Ricoeur(1) Le choix de travailler sur le logement des époux était initialement motivé par l’hypothèse que c’était là un objet pertinent pour essayer de penser ensemble la dimension affective et économique du lien conjugal, que nous voulions tenter non pas d'appréhender en termes d'opposition (l'intérêt matériel contre les relations authentiques) ou de dévoilement (sous l'illusion de l'amour, le vil calcul), mais simultanément, comme les deux faces d'une même pièce. De plus, l’installation dans un lieu d’habitation commun représentant, au sens propre et au sens figuré, un des « seuils » de l’entrée en conjugalité, la question du logement semblait particulièrement pertinente pour

comprendre les enjeux des ruptures conjugales. Chemin faisant, nous avons découvert à quel point le domicile conjugal ne se limitait pas à être à la fois le lieu de vie des personnes et un bien de valeur économique. Ainsi, quand on s’interroge sur sa définition, on est conduit à le décrire comme un local concret, une adresse, et un bien de valeur. Chacune de ces caractéristiques est elle-même composite : le local est indissociable de sa fonction d’habitation, laquelle se caractérise plus par l’intention (retour, attente) que par des éléments objectifs ; l’adresse, qui peut être indépendante du lieu d’habitation effectif, mais aussi plurielle, est à la fois identité administrative, situation géographique et ancrage dans un réseau familial ; le bien de valeur est patrimoine, cependant cette richesse réside moins dans la chose que dans les droits sur la chose. En parallèle, quand on tente de le saisir en tant qu’élément de la vie des époux, le domicile conjugal se révèle être l’incarnation de trois dimensions du lien matrimonial englobées les unes dans les autres, lesquelles renvoient au mariage comme concubinage notoire, institution juridique et famille. De cette manière, déplier la notion de domicile conjugal conduit déjà à mieux comprendre ce dont est fait le mariage, puisqu’il nous apprend à voir que la publicité et l’ancrage dans l’espace social à travers un logement commun sont indispensables au lien de couple, que le lien juridique qui unit les époux n’a des effets complets qu’en cas de communauté de vie et que la famille a une double définition, dont l’une a pour critère la corésidence (lien de fait) et l’autre la parentèle (lien de droit). Cette pluralité, on la retrouve également quand on se penche sur le statut juridique du logement des époux, mais c’est désormais une pluralité mise en ordre et hiérarchisée par le droit, puisqu’un des aspects semble primer sur les autres. Aux termes de la loi française, la notion de « résidence de la famille » domine en effet à bien des égards : le local d’habitation des personnes mariées est un bien tout à fait particulier que le législateur français protège spécifiquement en imposant la cotitularité du bail et la cogestion, parfois au détriment du droit commun des biens. En corollaire, dans le domaine du droit du divorce, c’est avant tout le sort de la fonction résidentielle, c’est-à-dire la possibilité donnée à l’un ou l’autre des deux époux de continuer à habiter dans le logement commun après la dissolution du mariage qui est au centre des dispositions juridiques françaises. Cependant, quand on se tourne vers d’autres systèmes juridiques européens, et notamment celui de la Hongrie, le regard porté sur la législation française peut être affiné : la protection contre les actes de disposition, si elle n’est pas un cas isolée en Europe, n’est pas non plus une règle qui s’applique partout ; en parallèle, il apparaît en creux que le droit français encadre beaucoup moins que d’autres pays l’usage du logement après le divorce. De cette façon, le droit hongrois, qui prévoit de multiples règles en ce qui concerne l’occupation du logement conjugal après le divorce, ajoutant aux droits de propriété ou de bail détenus par les époux une nouvelle couche juridique, qui correspond à une sorte de « droit de maintien dans les lieux ». Mais dans les deux cas, on voit

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Palmarès

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Irène Théry, Veronika Nagy et Christine Lazerges

bien que l’objet des inquiétudes et le champ dans lequel intervient le législateur est celui de l’habitation. Dans les affaires judiciaires qui constituent la matière de l’étude empirique, on retrouve à travers la morphologie des désaccords relatifs au sort du logement conjugal cette même double dimension économique et résidentielle, puisque indépendamment des ressorts juridiques mobilisés, les conflits semblent s’organiser soit autour de la question de l’occupation du logement, soit autour de la conversion des droit qu’on détient dessus en somme d’argent. Toutefois, là encore, et en cela les conjoints font écho aux dispositions légales, une hiérarchie apparaît entre les deux aspects : les demandes liées à l’usage effectif du logement semblent chargées d’une valeur supérieure, tandis que le soupçon de la vénalité pèse toujours sur ceux qui désirent mettre en vente le logement afin de toucher un capital, au point que ces derniers justifient leurs prétentions en avançant que les sommes d’argent ne sont pas convoitées pour elles-mêmes, par pur appât du gain, mais seront précisément utilisées pour financer leur relogement. En parallèle, il est frappant de constater que les définitions que nous avions proposées pour dessiner les contours du domicile conjugal trouvent un écho fort dans la manière qu'ont les parties en divorce d'appréhender les différentes fonctions de celui-ci. De cette façon, les prétentions visant à obtenir le domicile conjugal en ce qu'il est un toit ou un abri, qui sont justifiées par l’état de dénuement dans lequel se trouve l’époux, voire le risque de clochardisation qui le menace, rappellent cette chose construite en dur, pérenne, fixe et séparée de l’espace public, qu’est le local d’habitation ; les demandes qui concernent le dernier

logement commun en tant que lieu de vie spécifique et particulier évoquent à la fois le chez-soi et la résidence au sens géographique du terme ; enfin, lorsque ce qui est mis en avant est l’origine familiale des moyens ayant permis d’accéder au logement, on pense inévitablement au sens étymologique du terme patrimoine et notamment au fait qu’une donation ou un héritage seront toujours l’objet d’un marquage fort au regard de la lignée dont ils proviennent. En somme, la pluralité du logement conjugal, si on prend la peine d'écouter toutes les voix que l’objet porte en lui et ce qu'elles nous racontent sur le mariage et le divorce, nous apprennent à penser le lien matrimonial comme un tout qui se décline et s'actualise à travers ses multiples dimensions. Plus précisément, ce que nous voudrions mettre en valeur ici, c'est moins l'existence de ces diverses composantes prises dans l'absolu – car au fond, on sait bien que dans une vie matrimoniale, il n'y a pas seulement des corps et des esprits, mais aussi des objets, des lieux, des formulaires administratifs, de l'argent et des biens de valeur – que le fait que le domicile conjugal, parce qu'il est aisé à se représenter (tout un chacun peut se figurer mentalement ce qu'est un domicile conjugal) et pourtant complexe (il ne se laisse pas enfermer dans une seule définition, ni même dans une seule dénomination), permet de les embrasser d'un seul regard. Pour le dire autrement, ce que nous enseigne le logement des époux, c'est que l'unicité et la pluralité ne s’excluent pas l'une de l'autre : le mariage ou le divorce ne sont pas éclatés en de multiples aspects ou écartelés entre diverses sphères, mais incarnent tour à tour chacun de ces aspects touchant aux choses, aux lieux, aux biens, aux personnes et aux intentions.

Les degrés de la rupture « Maître, dois-je faire une nouvelle demande d’aide juridictionnelle pour cette partie-là de la séparation ? »(2) Au détour d’une phrase qui semble anodine, qu’une cliente adresse à son avocat au sujet du financement de la procédure, est formulé de manière limpide un des résultats de notre étude. En effet, quand cette question est posée, les conjoints sont séparés de fait, la communauté de vie est rompue, le sort des enfants est réglé et aucun des deux n’a l’intention de se réconcilier avec l’autre. Alors, ne sont-ils pas déjà séparés ? Ils le sont, mais partiellement : « cet aspect-là », c’est le litige patrimonial, soit le partage de la maison indivise. Ainsi, à la pluralité de la nature du domicile conjugal répond, dans les affaires examinées, la pluralité des verrous susceptibles de sauter pour qu’un mariage soit rompu. Si on pouvait de prime abord penser que la disparition du sentiment amoureux marquait la fin du couple tandis que la décohabitation l’entérinait, on découvre que non seulement celle-ci n’est pas nécessairement une situation de fait évidente, et qu’elle peut être l’objet d’un travail de description des époux, mais aussi que ce qui se défait à l’occasion d’un divorce est plus large et plus divers. Car toute une part des efforts des divorçants consiste précisément à mettre en récit la rupture, et notamment son asymétrie, qui est le moment de rappeler les fautes commises, de même que le caractère intentionnel et volontaire du départ ou de la mise à la porte (ce qui correspond, en symétrique inversé, à l’intention de retour ou l’intention d’attente évoquées plus haut). Par ailleurs, les manières qu’on les époux de « déconjugaliser » le logement commun en insistant sur leur

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Palmarès investissement personnel, est aussi une façon de dire – et donc de faire, si l’on accepte l’idée que l’énonciation a un caractère performatif – la fin du couple. Enfin, le divorce est aussi une réorganisation des relations patrimoniales des conjoints, avec une séparation des comptes du présent et un nouveau regard porté sur les comptes du passé. Partant de là, la rupture affective et même la cessation de l’intention matrimoniale ne semblent constituer qu'un des aspects de la fin du mariage, car les autres liens ne se brisent pas simultanément et automatiquement – la procédure judiciaire pouvant au demeurant être, à la fois par les décisions de justice rendues (résidence séparée, date de la fin de la communauté de vie, et éventuellement liquidation du patrimoine) et par les récits qu'il s'y donnent à voir (reproches adressés à l'autre, re-personnalisation du domicile conjugal, asymétrie des ruptures au regard de la personne de l'initiateur), le lieu où ils sont rompus.

Ces femmes cupides, ces hommes avares Nous l’avons dit en ouverture de cette thèse, le projet d’étudier l’aspect économique des séparations conjugales avait pour origine l’intuition qu’il était injuste de condamner les conjoints qui s’affrontent sur le terrain matériel au motif qu’ils entendent faire de leur divorce une bonne affaire financière au détriment de leur conjoint. Plus précisément, notre sentiment était que si l’on condamne globalement tous les époux en conflit, le soupçon de vénalité pèse habituellement plus lourdement sur les épaules des femmes. On retrouve cette idée au sein même des procédures étudiées, puisque le don, qu’il fasse défaut ou qu’il soit au contraire mis en valeur, et généralement masculin, tandis que ce sont les femmes qui reçoivent ou désirent recevoir. Ainsi, dans le cadre des négociations ou des débats sur les conséquences de la désunion, ce que les femmes reprochent aux maris est de ne pas offrir assez et ce que les hommes reprochent aux épouses est de demander trop, tandis que le pendant positif de ces caractéristiques – que les époux mettent en avant quand il s’agit de se décrire eux-mêmes – est la générosité des hommes et la renonciation des femmes. Le cas de la prestation compensatoire, qui paraît être perçu comme un don de la part du mari, alors même que sur le plan légal, il est un droit et un dû, est à cet égard tout à fait parlant : dans le cadre de la recherche d’une solution amiable, il apparaît que les hommes ont une nette préférence pour verser des capitaux à leur épouse à titre de prestation compensatoire, alors que les femmes, quand elles sont prêtes à renoncer à une partie de leurs prétentions, proposent précisément de ne pas percevoir de prestation compensatoire. On retrouve la même chose en Hongrie, à travers la contrepartie de droit d’usage, qui est la somme à verser à l’époux qui perd la jouissance du dernier logement commun du fait du divorce, et qui comme nous l’avons exposé, a une fonction équivalente à celle de la prestation compensatoire, aussi bien sur le plan légal que sur le plan de la pratique judiciaire. Or si la plupart du temps, les solutions financières envisagées renvoient à un transfert

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économique depuis les hommes vers les femmes, ce qui donne en effet l’impression qu’elles sont systématiquement celles qui demandent des sommes d’argent au mari, cette asymétrie se comprend au regard de plusieurs éléments. Tout d’abord, il y a un facteur évident, dans nos dossiers, de disparité économique objective entres les conjoints, qui conduit non seulement à l’hypothèse d’une prestation compensatoire à verser par le mari dans les affaires françaises, mais joue aussi un rôle en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, chez les époux communs en bien, même si l’argent des revenus du travail est commun, c’est souvent sur le compte du mari qu’il se trouve dans la pratique. Dès lors, le partage, ou même une simple avance sur droits de communauté, prendra de fait la forme d’un chèque signé par le mari à l’épouse bénéficiaire. Ensuite, l’organisation pratique des finances des époux au cours de la vie commune les conduit généralement à régler les mensualités de crédit immobilier sur le salaire des hommes et les dépenses de la vie courante sur le salaire des femmes, ce qui pourra devenir un argument, chez les maris séparés de biens et les concubins, pour affirmer qu’ils détiennent sur le logement conjugal des droits plus élevés que ceux de leur épouse. Dans le même sens, le fait pour un mari de disposer d’un patrimoine propre ou personnel plus important que son épouse lui permettra de financer l’acquisition du bien à proportion plus importante, ou encore de faire réaliser des travaux d’amélioration, avec là encore, pour conséquence, des droits sur le logement du mari plus élevés que ceux de sa femme. Or, des droits plus élevés du mari vont souvent de pair avec une demande d’attribution préférentielle au mari, et, partant de là, le versement d’une soulte à l’épouse – soit, encore une fois, un transfert d’argent depuis l’homme vers la femme. À cela on peut encore ajouter le cas de la pension alimentaire, puisque là encore, il s’agit dans nos dossiers d’une somme d’argent qui va du mari à l’épouse, et cela soit dans le cadre d’une résidence habituelle fixée chez la mère, soit dans le cadre d’une résidence alternée, mais avec des revenus de l’épouse moins élevés. Ces raisons expliquent à elles seules pourquoi, dans une bonne partie des dossiers, la question du partage patrimonial se transforme, au cours des négociations et des débats, en la question du montant de la part de l’épouse, que le mari devra lui verser. Toutefois, il est aussi d’autres éléments à prendre en compte. Ainsi, on remarque qu’au moment du divorce, les demandes qui s’inscrivent dans le cadre de ce que nous avons nommé le « modèle de la solidarité » vont de pair avec l’idée d’un soutien alimentaire de la part du mari envers l’épouse. De cette manière, certains maris considèrent qu’il est normal d’aider leur conjointe au-delà de la désunion, et estiment même que ce dont elle a besoin pour « rebondir » doit être le critère sur le fondement duquel les sommes à verser sont déterminées, tandis que certaines épouses demandent explicitement à leur mari de les aider à se reloger. A contrario, les maris dans le besoin ne demandent pas aux femmes de les aider : en Hongrie, ils s’adressent aux juges, et en France, ils déplorent leur situation difficile mais ne formulent pas de demande explicite à l’égard

de quiconque. Pour le dire simplement, même chez des conjoints qui ont des revenus d’un montant identique, on trouve des épouses qui demandent aux maris de les aider, mais jamais de maris qui sollicitent le soutien matériel de leur épouse. En substance, la cupidité des femmes, l’avarice des hommes, qui sont les figures en négatif du bon mari généreux et de la bonne épouse économe, non seulement sont mobilisées y compris dans des situations où la disparité ne le justifie pas, mais surtout, sont mobilisées dans le cadre du divorce, soit quand l’union prend fin : la disparition du couple amoureux ou la décohabitation n’effacent pas nécessairement tout ce que les époux étaient supposés être l’un pour l’autre.

Jusqu’à la dernière petite cuillère… Au regard des affaires judiciaires examinées, dont chacune a une singularité propre et s’inscrit dans une histoire particulière, il convient de souligner combien elles sont étonnamment homogènes en ce qui concerne les problématiques et les références qui les traversent, surtout quand on se souvient qu’elles se déroulent non seulement dans deux pays aux contextes juridiques et économiques différents, mais aussi qu'elles sont le fait de couples appartenant à des catégories sociales diverses. De cette façon, le « problème » du sort du logement conjugal dans le contexte d'une procédure judiciaire, malgré la diversité des qualifications juridiques dont il peut faire l'objet, se rapporte à deux grandes questions : celle de l'occupation effective du lieu et celle de sa valeur en argent. C’est tout le paradoxe des dossiers les plus conflictuels, puisque si le litige y est extrêmement complexe et technique, et donne parfois du fil à retordre aux spécialistes euxmêmes, le conflit, quant à lui, peut se résumer en une phrase compréhensible par le commun des mortels. Or cela, personne n’en est dupe. Car tous, époux, avocats, juges, savent que derrière les lignes de calculs produites à l’appui de telle prétention financière, derrière les solutions patrimoniales aux montages atypiques, se trouvent des demandes extrêmement simples. C’est dire si l’é cart est parfois immense entre le souhait premier qu’un époux adresse à son avocat français ou au juge hongrois qui lui expose les règles applicables (« je ne veux pas partir », « je voudrais toucher ma part ») et la traduction juridique que prendra cette demande. Surtout, on remarque qu’il y a dans le domaine patrimonial une corrélation entre technicité et force du conflit : plus l’affrontement est dur, plus les pages de calcul s’allongent. Symétriquement, quand un accord est trouvé, tout redevient plus simple, comme si résoudre le conflit allait de pair avec un retour à des catégories plus simples et plus ordinaires. Surtout, l’accord est le moment de la fin de la logique comptable en vertu de laquelle chaque centime est pris en considération, consigné sur le registre des crédits et des débits conjugaux. Au contraire, la solution amiable fonctionne dans l’autre sens : l’accord est trouvé, et pour le justifier, on ajuste les comptes du passé, quitte à tricher, afin que le résultat du calcul des droits aboutisse exactement à la solution envisagée.

Les Annonces de la Seine - lundi 11 février 2013 - numéro 11


Palmarès En d’autres termes, l’accord est toujours marqué du coin de la simplicité et du pragmatisme, tandis que la pure solution mathématique n’existe pas, ne serait-ce parce qu’il y a toujours trop d’éléments dont la preuve est difficile à rapporter et trop de règles de calcul possible. Que la solution ne soit jamais comptable, cela veut aussi dire que le conflit n’était pas comptable ; le décompte « jusqu’à la dernière petite cuillère » en était le symptôme, pas l’objet.

Bien divorcer, mal divorcer Soit une histoire fictive inventée par un avocat et publiée sur son blog professionnel afin d’illustrer une réflexion sur la législation(3). C’est une histoire de divorce, une histoire de conflit, une histoire d’argent et de biens. On y trouve des expressions comme « Madame à l’appétit aiguisé », « récupérer à l’oeil un immeuble commun », ou encore « recouvrer son pactole ». Mais on y apprend également que le mari « se débat comme un beau diable », « n'a pas le premier sou » et risque d’en sortir « nu comme un ver ». C’est une histoire, on l’aura compris, de femme cupide qui entend à l’occasion du divorce capter à son profit tous les biens du mariage et laisser son pauvre mari sur la paille. En d’autres termes, il y a ici, dans cette fable qui au terme de l’étude des dossiers judiciaires semble si familière à nos oreilles, un méchant et un gentil, un coupable et une victime. Pourtant, à l’évocation des notions de culpabilité et d’innocence dans le contexte d’un divorce, c’est plutôt au passé conjugal qu’on songe en premier lieu : on imagine des conjoints trompés, battus, abandonnés ; surtout, on pense à la procédure pour faute. Naturellement, on peut supposer qu’un avocat a de multiples raisons, liées à sa culture professionnelle, de condamner les époux en conflit sur des questions financières et patrimoniales. Ainsi, tous les avocats que nous avons rencontrés sont profondément imprégnés de la norme du divorce pacifié, et il n’est pas un dossier où il n’y ait pas de leur part une volonté de négocier et une porte toujours laissée ouverte pour un règlement amiable(4). Comme nous l’avons souligné, la guerre n’est jamais totale et absolue, et le conflit n’est jamais que l’échec d’une négociation. Or ce sur quoi nous voulons ici attirer l’attention, c’est qu’il y a assurément une reconfiguration,

du côté des normes officielles, c’est-à-dire celles défendues par le législateur et les professionnels de la justice, de la question morale dans les ruptures conjugales : si certains défendent encore le divorce pour faute au nom de la nécessité de faire reconnaître la culpabilité d’un conjoint ou de l’importance de sanctionner la violation des devoirs et obligations du mariage(5), la condamnation du mauvais divorce, celui où l’on est en conflit, semble s’être imposée. Ainsi, dans un contexte où d’une manière très générale, la problématique sociale du divorce est moins celles de ses causes (doit-on autoriser la dissolution du lien matrimonial et si oui, dans quelles conditions) que celle de ses conséquences (l’équilibre psychologique des enfants, l’appauvrissement des conjoints)(6), vouloir mettre fin à l’union devient légitime en soi, tandis que c’est la manière de se séparer qui fait l’objet de toutes les attentions. Dès lors, la faute morale, l’atteinte aux bonnes moeurs conjugales réside aussi et peut-être même surtout dans le fait d’être un mauvais divorçant, plutôt que dans celui d’avoir été un mauvais conjoint. D’ailleurs, les parties en procès adhèrent ellesmêmes à cette norme, ou du moins y adhèrent suffisamment pour la mobiliser quand il s’agit de disqualifier les positions du conjoint (il est belliqueux) et de valoriser les leurs (on a recherché un accord). Cependant, comme on l’a vu, ce type de référence surgit précisément quand les rapports se tendent, et sonnent en réalité le glas d’une phase consensuelle. Autrement dit, il s’agit aussi de justifier le passage au conflit et surtout de dire que les propositions du conjoint étaient inacceptables. Or, si le fait que les conjoints sont désormais fortement enjoints à coopérer est une donnée plutôt bien connue, ce que nous apprend notre étude de la pratique judiciaire, c’est que le caractère acceptable ou non des propositions de l’autre époux, et partant de là, le conflit qui surgit, ne peuvent se comprendre qu’au regard de la vie commune passée et des conditions de la rupture amoureuse, c’est-à-dire précisément dans une perspective qui engage aussi les fautes du passé. Par exemple, quand on observe les reproches que les conjoints s’adressent au sujet de la période postérieure à la rupture de la communauté de vie, il est frappant de constater que le retour des maris au sein du domicile

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Claire Bazy-Malaurie et Jean-François Weber

conjugal devenu la résidence principale de l’épouse est perçu comme particulièrement malvenu quand c’est ce dernier qui est, selon elles, à l’initiative de la séparation. Surtout, on note que dans un certain nombre de cas, la question de la responsabilité dans l’é chec conjugal est absolument indissociable du règlement financier et patrimonial demandé. Notamment, dans ce que nous avons appelé le « modèle de la compensation », les femmes qui se considèrent comme ayant été abandonnées sollicitent un maintien de leurs conditions de vie en l’état, soit la conservation de la maison mais aussi l’accès à des ressources financières comparables à celles du temps du mariage, tandis que les maris qui estiment avoir été gravement offensés entendent gommer le passage de l’épouse dans leur existence et de ce fait garder la maison, la résidence des enfants et surtout verser le minimum à leur femme, que ce soit à titre de soulte ou de prestation compensatoire. Insistons sur le fait qu’il serait erroné d’y voir un vulgaire échange marchand, le prix auquel on vend à l’autre sa liberté reprise : il s’agit plutôt à la fois de la réparation d’un préjudice subi et le souhait qu’il n’aille pas de pair avec un bouleversement brutal des conditions de vie que pourrait impliquer le divorce (baisse de revenus, logement plus petit, déménagement dans un autre quartier) et qui constituerait en lui même, parce qu’il est imposé unilatéralement et perçu comme profondément injuste, un autre préjudice. Car la perspective dans laquelle s’inscrivent ces solutions, qui sont parfois également proposées spontanément par le conjoint qui se perçoit luimême comme le responsable de la rupture, c’est la volonté de limiter la séparation à un unique aspect, la perte du couple amoureux. Cela au point que dans le cadre de certaines solutions amiables, les conjoints restent, sur le plan économique, quasi aussi liés entre eux après le divorce que pendant le mariage, ce qui va aussi de pair avec une certaine ingérence de la part des hommes dans l’organisation des conditions de vie des femmes. En contraste, s’il est des femmes qui dans nos affaires n’entendent surtout pas garder un quelconque lien économique avec leur ex-mari, ce sont précisément celles qui raisonnent en vertu du « modèle de la reconnaissance ». Ici, parce que la rupture est assimilée à un nouveau départ, il s’agit avant tout de recevoir son dû, et rien que son dû – surtout pas un don de la part du mari – et non pas de continuer sa vie comme si le divorce n’avait rien changé, mais au contraire de refaire sa vie dans un nouveau logement, parfois une nouvelle région ou encore avec un nouveau partenaire amoureux. Mais là encore, c’est bien le passé conjugal qui donne tout son sens aux demandes, puisque ce qui est ici visé à travers la solution patrimoniale demandée est une reconnaissance de la contribution féminine, y compris non financière, à la vie commune et à l’édification d’un patrimoine commun.

Apports et limites « Ce que l’on a voulu voir dans la famille, c’e st avant tout un phénomène de moeurs, de droit seulement par accident, de sorte que la sociologie de la famille, telle qu’elle est couramment pratiquée, n’est pas une sociologie

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Palmarès

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Jean Carbonnier, Dominique Fenouillet, Christine Lazerges, Jean-François Weber, Veronika Nagy, Marceau Long, Irène Théry, Claire Bazy-Malaurie et Serge Guinchard

du droit de la famille. »(7) Le constat opéré par Jean Carbonnier en 1978 est sans doute un peu moins vrai aujourd'hui puisqu’en sociologie de la famille comme en anthropologie de la parenté, il existe depuis une vingtaine d'années un courant innovant qui étudie la famille sans la séparer du droit qui fait partie de sa définition comme groupe social fondamentalement « institué », retrouvant ainsi certaines des leçons les plus importantes des pères fondateurs de la sociologie (Durkheim, Mauss, Weber, Elias). Cependant, force est de constater que ce courant reste encore minoritaire dans le monde académique contemporain, marqué par la coupure institutionnelle entre universités de sciences sociales et universités de droit, coupure qui s'est nettement accentuée après la deuxième guerre mondiale dans le monde francophone. Dans ce contexte, nous espérons avoir pu contribuer à convaincre, à notre tour, du grand intérêt qu’il y a à se saisir du droit en sociologue. Ainsi, suivre le fil rouge de la législation est encore le meilleur moyen d’éviter tout risque de réduire les phénomènes étudiés à de simples « relations intersubjectives » : il suffit de feuilleter quelques articles de loi sur les régimes matrimoniaux pour commencer à douter de la définition du couple comme pur lien amoureux, telle qu'on peut la trouver dans les manuels de sociologie actuels. De plus, la pratique judiciaire constitue un formidable matériau, très peu exploité, alors qu’il présente le double avantage d’être relativement facile d’accès du point de vue du recueil des données et d’être constitué de discours qui ne sont pas spécifiquement produits à l’attention du chercheur. Le travail empirique qui a été présenté dans

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cette thèse présente des limites, qui tiennent aux choix méthodologiques que nous avons faits à l'issue de l'enquête de sociologie du droit et de la jurisprudence que nous avons menée, et auxquels nous nous sommes tenue par souci de rigueur. Ainsi, nous avons assumé notre choix initial de nous limiter au point de vue des parties, car celui-ci exigeait une analyse très approfondie, capable de démêler la complexité des conflits tels qu'ils se déploient dans les dossiers analysés. Cependant au terme de cette étude, il nous apparaît que mettre en regard les grands arguments déployés par les époux et les tendances fortes des jugements rendus, permettrait de compléter utilement notre, analyse de ce qui se joue dans les procédures. Cela supposerait de compléter le travail qualitatif que nous avons proposé par un autre travail, quantitatif cette fois, portant sur une série de dossiers terminés et permettant de mettre l'accent non plus principalement sur le raisonnement des parties mais sur la pratique des juges, en tâchant de mettre au jour ses, logiques propres. Notre objectif était ici plus modeste. Nous voulions tenter de convaincre le lecteur de l’efficacité méthodologique qu’il y avait à se saisir d’un objet tel que le domicile conjugal, c’est-à-dire d’un objet à la fois très banal et facile à se représenter et à la fois traversé de multiples dimensions, pour s’en servir comme révélateur dans le cadre d’une étude sociologique. Car c’était aussi l’ambition de cette thèse de montrer que le caractère pluriel d’un phénomène ne devait pas être rejeté comme un échec à avoir trouvé la vérité, mais au

contraire valorisé en tant qu’il manifeste d'une part la complexité inhérente à la vie sociale elle-même, et d'autre part les tensions auxquelles les individus sont soumis lorsque différentes manières d’organiser et de hiérarchiser ces différentes dimensions sont possibles, plaçant alors chacun face aux dilemmes que suscite inévitablement l'exercice de sa responsabilité personnelle. Notes : 1 - P. Ricoeur, Lectures 1. Autour du politique, Paris, Seuil, 1991, p. 177. 2 - FR09, Lettre de la femme à son avocat, 28 janvier 2008. 3 - Le billet s’intitule « Prestation compensatoire – capital – paiement » et date du 10 décembre 2009. http://avocats.fr/space/jean-claude.guillard/content/prestationcompensatoire---capital---paiement--_AC19CD09D4BD-1450-D0C4-B269E0F1404E/web-print 4 - Par ailleurs, il n’est pas impossible que certains avocats, connaissant la préférence des magistrats pour les solutions consensuelles – préférence idéologique, mais aussi pratique, puisqu’un divorce d’accord représente un gain de temps par rapport à un divorce contentieux –, aient aussi à coeur de ne pas passer à leurs yeux pour des professionnels qui optent systématiquement pour l’affrontement. Il convient en effet de ne pas oublier que les avocats spécialisés en droit de la famille d’un même barreau et les juges aux affaires familiales d’un même tribunal de grande instance se voient régulièrement et finissent par se connaître. 5 - Les deux positions ne sont pas identiques : dans un cas, il s’agit d’affirmer qu’il est juste d’énoncer les torts conjugaux dans le jugement et que cela participe du processus de rupture ; dans l’autre, il s’agit plutôt de défendre le « mariage-institution », qui en l’absence de divorce pour faute deviendrait un « simple contrat ». Nous nous appuyons ici sur notre travail de DEA, où nous avions examiné les arguments pour et contre la suppression du divorce pour faute français. Cf. V. Nagy, Faute et faillite dans les procédures de divorce. Une analyse de sociologie juridique comparée France / Hongrie, Mémoire pour le DEA de Sciences sociales, EHESS / Shadyc, dir. Irène Théry, sept. 2004. 6 - A. Lambert, « Des causes aux conséquences du divorce : histoire critique d'un champ d'analyse et principales orientations de recherche en France », Population (1), 2009, p. 155-182. 7 - J.Carbonier, Sociologie juridique, Paris PUF, 1978, P.43. * de la thèse soutenue le 28 novembre 2011

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