LES ANNONCES DE LA SEINE Jeudi 16 février 2012 - Numéro 13 - 1,15 Euro - 93e année
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Philippe Grosvalet, Jean Daubigny, Dominique Raimbourg, Xavier Ronsin, Jean-Marc Ayrault et Jean-Maurice Beaufrère
Tribunal de Grande Instance de Nantes Rentrée solennelle - 13 janvier 2012 RENTRÉE SOLENNELLE
Tribunal de Grande Instance de Nantes Objectivité, impartialité et sérénité par Xavier Ronsin ........................ Réalisme judiciaire par Jean-Maurice Beaufrère .................................
CHRONIQUE
La procédure participative par Dominique Lencou et Patrick de Fontbressin ...............................
JURISPRUDENCE
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Décrets « Hadopi »
Conseil d’Etat - décision no 339154 - Sociétés Apple Inc et I-Tunes Sarl Conseil d’Etat - décisions nos 339279 / 342405 - French Data Network ...
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Statut de la magistrature Conseil constitutionnel - 9 février 2012 - décision n° 2012-646 DC ...
TRIBUNE
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Imposition des plus-values immobilières Les nombreuses incertitudes liées à la réforme en vigueur depuis le 1er février 2012 par Nicolas Marguerat.............................
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Reclassement des salariés expatriés : revirement de jurisprudence par Jacques Brouillet ..............15
VIE DU CHIFFRE
L’assurance santé de l’entreprise pour faire face aux aléas de crise ......................................................................16
ANNONCES LÉGALES ...................................................17 AVIS D’ENQUÊTE ..............................................20 et 21 VIE DU DROIT Futur Palais de Justice de Paris ............................................23
ors de la Rentrée Solennelle du Tribunal de Grande Instance de Nantes, le 13 janvier dernier, Xavier Ronsin et Jean-Maurice Beaufrère, respectivement Procureur de la République et Président, ont longuement évoqué la tempête judiciaire qui a secoué leur Juridiction en 2011, n’épargnant sur son passage ni l’Administration Pénitentiaire ni les Services de Police et de Gendarmerie de Loire Atlantique. Déclenchée par l’affaire de Pornic, elle a revêtu « à bien des égards des aspects de nature morale, vécus par beaucoup comme une crise majeure de confiance. », a rappelé Xavier Ronsin qui vient d’être nommé Directeur de l’Ecole Nationale de la Magistrature sur proposition du Garde des Sceaux, lors du Conseil des Ministres de ce 15 février, il succède ainsi à Jean-François Thony. Soulignant combien la Juridiction nantaise « n’avait en rien failli ou fauté par action ou omission », le Chef du Parquet a dénoncé le « prêt à penser du prétendu laxisme des juges dans le prononcé ou le suivi des peines était une totale contre vérité ». Cette crise qui a enflammé toute la Magistrature française et l’Administration Pénitentiaire a toutefois permis au Ministère de la Justice et des Libertés d’élaborer « une norme nationale de référence sur les charges de travail et le nombre de dossiers admissibles pour chaque juge d’application des peines, avec le corollaire logique d’un engagement de renforcer en moyens humains les tribunaux ». Le Procureur Xavier Ronsin a ainsi formulé un seul vœu pour 2012,
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« celui que la Chancellerie aboutisse très vite à la même analyse au profit des magistrats et fonctionnaires du Parquet dédiés à l’exécution des peines » Pour le Président Jean-Maurice Beaufrère, « le beau navire » du Tribunal de Grande Instance de Nantes « qui navigue depuis des années avec des machines essoufflées et des postes de quarts non pourvus » a bien failli sombrer sous le vent de la critique. La question de la responsabilité des magistrats se pose alors dans le difficile contexte « d’une institution globalement à bout de souffle », comme le démontrent par les récentes prises de position des instances représentant les Présidents de Tribunaux de Grande Instance, et les Procureurs de la République. Il a toutefois considéré, « avec réalisme judiciaire », que les contraintes budgétaires pesant sur l’Etat conduisent à exclure tout « recrutement massif de magistrats bénéficiant d’un statut élevé dans la grille de la fonction publique » et qu’il faudra en conséquence « bien en venir à élargir la participation des citoyens à la Justice. » Exprimant ainsi une position minoritaire au sein de la Magistrature, il a souhaité que « que dans l’avenir, la justice française, tout en gardant l’expérience de magistrats professionnels enfin rendus à l’expression de leurs qualités, et non à des tâches répétitives effectuées au seul rythme de la pression, à terme insupportable, du nombre des affaires, s’enrichisse, à leurs côtés, de citoyens, qui seront plus que jamais euxmêmes. » Jean-René Tancrède
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Rentrée solennelle
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Xavier Ronsin
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2011
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Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
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Loin de moi, un an plus tard, l’idée de commenter les causes, le déroulé ou les conséquences humaines pourtant non négligeables de cette crise qui revêtait à bien des égards des aspects de nature morale, vécus par beaucoup comme une crise majeure de confiance. Loin de moi cette idée, car je n’ai eu de cesse au cours de cette année 2011 écoulée de dire autour de moi, aux professionnels partenaires de mon parquet que comme le disait Lao Tseu : « Il valait mieux allumer une bougie que de maudire les ténèbres » et qu’il fallait aller de l’avant, encore de l’avant et toujours de l’avant.
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Comité de rédaction : Rédactrice en chef : Annabelle Reverdy Membres : Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appel Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président de la Chambre des Notaires de Paris Dominique Lencou, Président du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International
l’administration pénitentiaire, autre grande direction du ministère de la Justice, et qui atteignait également, par ricochet, les services de police et de gendarmerie du département de Loire-Atlantique grâce notamment à 4 inspections (justice, pénitentiaire, police et gendarmerie) venues s’intéresser à notre beau département. Une crise qui nous valait l’honneur de recevoir au tribunal de Nantes, successivement en début d’année 2011 Monsieur le garde des Sceaux et une délégation importante du Conseil supérieur de la magistrature présidée par le procureur général de la Cour de cassation.
Objectivité, impartialité et sérénité par Xavier Ronsin (…) l y a un an, le 24 janvier 2011, à l’occasion de cette même audience solennelle, je décrivais une juridiction apaisée, 6 mois après le décès douloureux du président Guillou, grâce notamment à la qualité de la période d’intérim de la 1ère vice-présidente Mme Trouvat. Il y a un an je formulais divers vœux dont celui d’une année 2011 qui puisse être consacrée sereinement à la réorganisation du greffe pénal et à la mise en œuvre de la réforme annoncée de la garde à vue. « Apaisement, sérénité » des vœux fort éloignés de ceux célèbres de François René de Chateaubriand qui criait : « marchant à grand pas, le visage enflammé » « Levez-vous vite, orages désirés qui devez (m) ’emporter dans les espaces d’une autre vie » ! « Apaisement, sérénité ». A l’évidence, parmi les qualités que je n’ai pas eu en 2011, il y a eu celle de savoir faire des prévisions ou de voir exaucer mes vœux ! En effet, à peine quelques jours plus tard, à l’occasion du crime odieux de Pornic, débutait une crise gravissime au sein du tribunal de Nantes et du SPIP 44 (service public d’insertion et de probation de Nantes) qui tel un orage particulièrement peu désiré, enflammait ensuite toute la magistrature française et
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Loin de moi aussi l’idée d’épiloguer sur ces individus, qui oublieux de leurs casiers judiciaires criminels ou de leurs turpitudes passées qui leur valent aujourd’hui de répondre devant la justice nantaise d’accusations de viols et d’agressions sexuelles multiples, portaient en bandoulière leur indignation, courraient les plateaux de télévision et les médias, donnaient des leçons à tous et fustigeaient le prétendu laxisme de la magistrature alors même que celleci, à Nantes, n’a jamais été aussi sévère ni aussi attentive au devenir des peines qu’elle prononce, j’y reviendrai plus tard dans mon propos. Loin de moi, encore plus, l’idée de soutenir que le crime et le malheur seraient des fatalités qu’il conviendrait par facilité d’accepter comme un de ces accidents de la vie imprévisibles et inévitables. Je partage en effet cette conviction exprimée au plus haut sommet de l’Etat, qu’à chaque fois qu’un drame est révélé, dans le respect des institutions, des fonctions et des hommes et des femmes qui les servent. Il est juste et normal que puissent être examinés avec objectivité, impartialité et sérénité les moyens de prévenir, dans toute la mesure du possible le risque de renouvellement de tels drames. Car je le disais déjà l’année dernière, l’impunité des auteurs de crimes et délits n’est pas en soi un objectif démocratique, et nous devons aux victimes et à leurs familles de tout faire pour arrêter ces criminels et de tout faire pour réduire le risque de récidive ! Mais alors, à l’issue de cet examen, l’objectivité, l’impartialité et la sérénité doivent commander à chaque fois de dire : - si c’est la loi qui est en cause, de dire alors pourquoi précisément il faut la modifier, et de vérifier ensuite si les bénéfices escomptés d’un changement de législation sont réels et vérifiés ; - si ce sont les moyens dédiés à l’application des lois qui sont en cause, de dire alors pourquoi et
Les Annonces de la Seine - jeudi 16 février 2012 - numéro 13
Rentrée solennelle par qui ils n’ont pas été alloués et quand et comment ils le seront ; - si ce sont des magistrats ou des fonctionnaires de police ou de gendarmerie ou des personnels éducatifs, de santé ou de contrôles qui ont failli, qui ont été abusés ou qui ont été imprudents, de rechercher alors s’ils ont suffisamment été aidés et contrôlés par leur hiérarchie et si en revanche le crime relève de cette part mystérieuse de l’Homme qui lui fait choisir parfois le Mal au lieu du Bien, mû par les forces les plus sombres de sa personnalité. L’objectivité, l’impartialité et la sérénité doivent alors commander de dire tout aussi clairement que cette personnalité là est la cause et la responsable du crime et de ne pas chercher, ni dans la
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montré sans aucune ambiguïté le rapport d’inspection du ministère de la Justice, combien au contraire, grâce à ses deux juges d’instruction, M. Desaunettes et M. Martinot, cette justice nantaise a mené avec l’aide inestimable de la section de recherche de la gendarmerie et du groupement 44, auxquels je rends un hommage appuyé, une enquête exemplaire, en qualité, en intensité et en célérité, pour identifier et arrêter en un temps record le dernier homme à avoir vu la victime vivante, pour récupérer les preuves de l’assassinat de celle-ci, et pour retrouver, au moyens d’efforts démesurés, l’intégralité du corps de la victime afin simplement de le rendre à sa famille et de lui donner enfin une digne sépulture.
L’impunité des auteurs de crimes et délits n’est pas en soi un objectif démocratique, et nous devons aux victimes et à leurs familles de tout faire pour arrêter ces criminels et de tout faire Xavier Ronsin pour réduire le risque de récidive !
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société, ni dans les institutions chargées de la protéger, une explication simpliste à cette part résiduelle du crime qu’aucune société n’a jamais réussi à éradiquer, à aucune époque et dans aucun pays. Non, mon propos d’aujourd’hui sur cet éphéméride 2011, vise plutôt à rappeler avec le même calme et la même sérénité, combien cette juridiction nantaise n’avait en rien « failli » ou « fauté » par action ou omission, ni n’avait une quelconque part de responsabilité dans ce qui a été appelé « l’affaire de Pornic » comme l’a
Mon propos de ce matin vise aussi à souligner combien cette juridiction nantaise a su, au cours de l’année écoulée, rebondir et sortir renforcée de cette crise majeure qu’elle aurait aimé éviter. Bien sûr, vous le constaterez dans la plaquette distribuée, un peu moins de jugements correctionnels ont été rendus, en raison du mouvement du printemps. Mais globalement le volume des réponses pénales est resté le même et le volume des comparutions immédiates destinées à juger les affaires graves, a quant à lui significativement progressé de même que celui des ordonnances
pénales pour juger les délits routiers, de même que celui des compositions pénales pour juger les affaire simples, avec l’aide précieuse de l’association d’action éducative. L’essentiel, grâce à vous messieurs les chefs de cour, c’est que toute la chaîne d’application des peines a pu être renforcée en 2011 en moyens humains significatifs, dont j’espère qu’ils seront pérennisés en 2012. L’essentiel est que désormais les 5 juges d’application des peines, sous l’autorité particulièrement inspirée et pragmatique de leur viceprésidente chef de service, Mme Bardet, ont profondément modifié leurs habitudes de travail et su trouver avec les 3 magistrats référents de mon parquet et le SPIP 44 les organisations qui permettent désormais que l’intégralité des peines (y compris les jours amendes et le sursis avec mises à l’épreuve) soient suivies dans de courts délais. Je voulais donc leur rendre hommage collectivement au nom de mon parquet. L’essentiel aussi est que la crise de Nantes a permis enfin à la chancellerie d’élaborer et de valider en 2011, une norme nationale de référence sur les charges de travail et le nombre de dossiers admissibles pour chaque juge d’application des peines, avec le corollaire logique d’un engagement de renforcer en moyens humains les tribunaux - si j’ose dire « à la peine ». Et ce sera mon seul vœu pour 2012, je l’espère mieux exaucé que celui de 2011, celui que la chancellerie aboutisse très vite à la même analyse au profit des magistrats et fonctionnaires du parquet dédiés à l’exécution des peines. L’exercice révèlera alors ce que nous savons déjà en interne, c’est-à-dire avec quelle abnégation des magistrats du parquet et des fonctionnaires du greffe ont absorbé, à la force du poignet, et malgré des logiciels défaillants, non suffisamment connectés entre eux, des augmentations considérables de charges de travail, avec toujours ce sens du devoir en rela-
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Jean Daubigny, Jean-Marc Ayrault et Dominique Raimbourg
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Rentrée solennelle
Quelques chiffres seulement : Sur le prononcé
Si l’on compare les écrous 2011 à ceux de 2010, y compris les placements sous surveillance électronique, les semi libertés et les placements extérieurs, ces écrous ont augmenté à Nantes de 25% d’une année sur l’autre. Si l’on compare les incarcérations 2011 à celles de 2010, elles ont quant à elles augmenté de 17% dans une maison d’arrêt pourtant vétuste et surpeuplée. Sur le suivi
Pour quelques 7 800 condamnations prononcées chaque année par le tribunal de Nantes, 1 500 peines d’emprisonnement ferme (prononcées au cours des mois ou années antérieures au 1er janvier 2012 et concernant 1 300 condamnés) n’ont pas encore, à ce jour, été ramenées à exécution. Environ 63% des peines d’emprisonnement ferme en cours ou en attente de traitement qui représentent environ 12% du total annuel des peines prononcées par Nantes ont quitté « la maison justice » et ont été confiées aux services de police et de gendarmerie (en diffusion nationale ou locale) afin qu’ils retrouvent l’adresse d’individus ayant pris la fuite ou ayant changé d’adresse sans en avertir la justice. Environ un quart des peines d’emprisonnement en cours de traitement (27%) qui ne représentent que 5% du total annuel des peines prononcées par Nantes le sont pour des raisons légales, celles issues de la loi pénitentiaire qui imposent à un JAP de réexaminer après jugement toutes les condamnations inférieures à 2 ans fermes dans un délai de 4 mois, afin d’étudier la possibilité d’aménager une peine, loi qui allonge donc mécaniquement le temps d’exécution. Environ 10% des peines d’emprisonnement en cours de traitement qui ne représentent que 2% du total annuel des peines prononcées par Nantes sont en cours de traitement par mon parquet, à leur sortie principalement des cabinets de JAP. Les chiffres sont donc éloquents : alors que de façon polémique certains agitent périodiquement le chiffon rouge d’un chiffre de peines non exécutées expliqué par un prétendu laxisme judiciaire, sans prendre la peine de les rapporter au nombre de condamnations prononcées et exécutées annuellement dans toute la France la réalité montre qu’à Nantes seulement 7% des peines fermes d’emprisonnement prononcées sont en cours de traitement au tribunal, et ce pour des raisons pure-
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ment légales ou d’écoulement tout à fait normal d’un stock résiduel. Quant aux peines en cours de traitement par la police et la gendarmerie, là encore pas d’erreur d’interprétation : Dès lors que tous (hommes politiques, barreaux, magistrature, institutions européennes, universitaires, media) s’accordent à dénoncer l’excès de détention provisoire, il est évident que pour n’avoir aucune peine d’emprisonnement ferme en attente, il faudrait que tous les prévenus comparaissent en détention provisoire, ce que personne de sensé ne réclame. Il est donc évident que des prévenus convoqués librement devant un tribunal et repartis généralement librement en vertu toujours de la loi pénitentiaire votée en 2009 ont tout loisir de changer d’adresse, ce qui oblige à les rechercher et ce qui retarde de quelques mois en général leur incarcération. Mais encore une fois le chiffre de 12% de ces peines confiées aux services de police et de gendarmerie est tout sauf anormal, et je salue la collaboration exemplaire du contrôleur général Cussac et du colonel Hubscher pour les efforts déployés en interne dans leurs services, afin de réduire le nombre de peines qui leur ont été confiées, et les délais de notification. Je ne peux toutefois achever mon propos sur l’augmentation des écrous, et sur l’augmentation des incarcérations et sur le raccourcissement des délais de traitement, sans évoquer toutes les conséquences, qui pèsent cruellement notamment sur l’administration pénitentiaire et sur ses valeureux personnels, dont je salue chaleureusement l’encadrement présent dans cette salle : Mais d’abord un élément statistique de contexte : La moyenne basse européenne du nombre de détenus par nombre d’habitants est de
100 détenus pour 100 000 habitants, et c’est globalement celle de la France et de l’Allemagne Beaucoup de pays européens démocratiques (l’Espagne, le Royaume-Uuni) ont en revanche des taux de détention de 140 pour 100 000 détenus voire plus (pour mémoire les USA ont des taux de détention de 740 !). Pour la Loire-Atlantique et une population d’environ un million 300 000 habitants, le nombre de places de prisons théoriquement envisageable serait donc de 1 300 sur une base 100 (ou de 1 820 sur une base 140) à supposer qu’aucun détenu ne vienne d’un département ou d’un tribunal extérieur, et naturellement qu’aucun n’aille exécuter sa peine à l’extérieur du département. Or, avec déjà 804 détenus au 1er janvier, nos deux prisons nantaises sont plus que pleines et malgré l’ouverture en mai ou juin de la nouvelle MA, les capacités d’accueil local resteront insuffisantes pour respecter les normes européennes et mêmes nationales telles que prévues par la récente loi pénitentiaire. Dans l’hypothèse maximaliste et bien sûr irréaliste d’un objectif de zéro stock de peines en attente, n’est-il pas légitime de poser la question du lieu d’incarcération des 1 300 condamnés concernés par les 1 500 peines en attente que j’é voquais dans mon propos ? 2 100 détenus pour 900 places théoriques nantaises en juillet 2012, comment y parvenir alors que notre département est déjà à bien des égards exemplaire quant au nombre de placements sous surveillances électroniques comme modalité d’exécution des peines d’emprisonnement ? Poser la question, n’est pas y répondre, mais voilà pour 2012, et pour les éminentes échéances électorales qui s’annoncent, un nouvel enjeu de taille, mesdames et messieurs les parlementaires. (…)
Philippe Jeannin et Léonard Bernard de la Gatinais
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tion avec les grandes responsabilités qui leur étaient confiées. L’essentiel est que désormais grâce au travail de récolement exemplaire de mes adjoints M. Gambert, Mme Berhault et M. Griffon nous avons pu disposer en 2011, et c’était une première en France, non seulement d’une analyse précise de l’origine des écrous de la maison d’arrêt de Nantes 2010/2011, mais aussi du détail de la localisation des peines en cours d’exécution qui a révélé une nouvelle fois combien le « prêt à penser » du prétendu laxisme des juges dans le prononcé ou le suivi des peines était une totale contre vérité.
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Jean-Maurice Beaufrère
Réalisme judiciaire par Jean-Maurice Beaufrère ’article R.111-2 du Code de l’organisation judiciaire dispose qu’à l’audience de rentrée des cours et tribunaux, il est fait un exposé de l’activité de la juridiction durant l’année écoulée et que cet exposé peut être précédé d’un discours portant sur un sujet d’actualité ou sur un sujet d’intérêt juridique ou judiciaire.
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Une heure environ par décision On peut imaginer que l’exposé sur l’activité de la juridiction durant l’année écoulée pourrait prendre diverses formes et aborder différents thèmes. Il pourrait prendre un tour exclusivement ou principalement littéraire portant, pourquoi pas, sur les innovations et les traits saillants de sa jurisprudence ou sur la nature des contentieux soumis et sur la manière dont ils ont été traités par les juges, bref sur bien des questions qui, au quotidien, forment l’activité de la juridiction. Il est cependant révélateur que depuis des années maintenant, et sans que cela même prête à interrogation ou à discussion, l’exposé sur l’activité de la juridiction durant l’année écoulée s’est, tout simplement, réduit au bilan quantitatif commenté des affaires rentrées, des décisions rendues et des affaires sorties. Il est à cet égard particulièrement éclairant, et instructif, de comparer les discours officiels de rentrée des chefs de la Cour de cassation ou de cours d’appel prononcés au siècle dernier et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale et ceux de leurs successeurs, dans ces mêmes fonctions, depuis deux ou trois dizaines d’années.
On y voit arriver progressivement deux thèmes récurrents et complémentaires, devenus petit à petit des moments essentiels de la communication institutionnelle : le premier consiste en des présentations quantitatives des affaires de la juridiction. Naturellement - et il serait intéressant dans certains cas de mettre en perspective sur plusieurs années les chiffres qui sont annoncés - ils sont toujours en progression, du moins pour les affaires nouvelles. Bien évidemment, lorsque le nombre des affaires terminées, qui traduit le succès éclatant de la juridiction, dépasse celui des affaires terminées, il est mis en évidence et fait l’objet de commentaires appuyés. Ces commentaires de satisfaction sont d’autant plus élogieux, tout en étant généralement présentés avec les yeux baissés et le ton discret qui sied à la modestie de ceux qui ne font, finalement, que leur travail, que les résultats chiffrés de la juridiction sont mis en regard de l’insuffisance notoire des moyens qui lui sont alloués. On se demande alors si, l’un rejoignant l’autre, la dénonciation du manque de moyens ne tend pas aussi à renforcer la présentation des mérites, voire des exploits, illustrés par l’énoncé du chiffre des affaires terminées, lorsqu’il est supérieur bien entendu à celui des affaires enregistrées. Les deux sont à présent fondus en un indicateur unique, que l’on pense venu de l’ordre boursier, qui s’appelle « le taux de couverture » ; positif, vous êtes bon, négatif, vous êtes mauvais - pardon : vous devez faire des efforts. Fort de cette tendance, je pourrais m’en tenir à vous livrer de manière détaillée, peut-être même avec des commentaires, les chiffres d’activité du tribunal de grande instance de Nantes et de son tribunal d’instance pour l’année 2011. Rassurez-vous, vous trouverez tout cela dans le petit livret coloré qui est à votre disposition à vos places, égayé de ces jolis camemberts statistiques sans lesquelles aucune démonstration n’est désormais probante. Souhaitant toutefois répondre, en juriste respectueux de la loi, aux dispositions du Code de l’organisation judiciaire, je me contenterai de vous donner un chiffre, ou plus exactement un nombre et quelques observations. Le livret qui vous a été remis comporte de manière extrêmement synthétique le total des affaires terminées au cours de l’année 2011 par les juges du siège et les fonctionnaires de la juridiction. Toutes natures d’affaires et toutes catégories de décisions confondues, ce total s’élève au chiffre, arrondi de 60 000 décisions. Sur la base du temps de travail ordinairement retenu par la chancellerie pour les magistrats, dont les heures sont estimées, légitimement, par référence à leur positionnement dans la grille statutaire de la fonction publique, ce nombre de décisions indique que les magistrats du siège ont, globalement, consacré environ 1 heure dans l’année à chacune d’entre elles. Certes, il ne s’agit que d’un indicateur qui mélange allègrement les choux et les navets, les carottes et les choux fleurs. Qui mélange évidemment des décisions, dont certaines ont demandé des débats de plusieurs jours, une étude approfondie des dossiers sur la même période et une rédaction de la décision mobilisant intégralement le temps de travail des magistrats concernés pendant plusieurs jours
Agenda
CONFÉRENCE
Liberté d’expression, liberté de pensée, libertés hors du droit ? Deux décisions disputées de la Cour suprême américaine 14 mars 2012 Conseil constitutionnel - Paris 1er Renseignements : 01 44 39 86 24 caroline.lafeuille@legiscompare.com ÈME
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SÉMINAIRE FRANCO/ESPAGNOL
Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (« RSE ») 31 et 31 mars 2012 Valence Renseignements : 01 47 66 30 07 ace@avocats-conseils.org - www.avocats-conseils.org 2012-133
COLLOQUE DROIT ET ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT
Droit de la concurrence et protection de l’environnement 2 avril 2012 Cour de cassation - Paris 1er Renseignements : www.courdecassation.fr 2012-134
EXPOSITION
Albert Gallatin Un Genevois aux sources du rêve américain 1761-1849 jusqu’au 17 mars 2012 Bibliothèque de Genève BGE Parc des Bastions - Genève (Suisse) Renseignements : +41(0)22 418 28 00/14 www.ville-ge.ch/bge
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SÉMINAIRE UIA
Le droit de la famille face à la crise financière actuelle 16 et 17 mars 2012 Saragosse - Espagne Renseignements : 01 44 88 55 66 uiacentre@uianet.ort - www.uianet.org
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Rentrée solennelle également. D’autres, au contraire, qui sont de simples ordonnances, pour lesquelles le juge doit seulement vérifier quelques points de base et la conformité de ce qui lui est présenté en fait à une situation de droit largement connue. Mais grandes ou petites, longues ou courtes, compliquées ou simples, elles ont toutes un double point commun : elles sont productives d’effets de droit, et donc d’effets pratiques pour la vie des personnes qu’elles concernent et, d’autre part, elles engagent la responsabilité des magistrats qui les ont rendues.
Un tribunal au bord du naufrage Je ne peux pas, à cet égard, ne pas mentionner, sous l’angle de la responsabilité, les événements qui ont tant marqué la vie de cette juridiction pendant tout le premier trimestre 2011. Non pas pour le plaisir de se complaire dans le rappel des moments difficiles, mais pour les regarder un peu, avec le recul que le temps écoulé permet. Car ce tribunal, dont l’année avait commencé pendant quelques jours sous des auspices favorables, a subi le tremblement de terre et le tsunami que nous connaissons. Je voudrais dire, d’emblée, que je ne mets pas, et aucune personne de cette maison ne met, et n’a jamais mis, en parallèle le drame horrible que représente le meurtre d’une jeune fille et les perturbations judiciaires qui s’en sont suivies. On ne met pas sur le même plan, et l’horreur d’une d’une vie brisés à son début, et des querelles d’appareil suscitées pour des motifs dont tous ne relevaient sans doute pas de la dignité, et peut-être du silence, en tout cas de la précaution, que le drame appelait. Il n’empêche que les retombées en ont été importantes. Le beau navire ancré au bord de la Loire, à deux pas des anciens bâtiments des chantiers navals, a bien failli sombrer. Le vent de la critique a soufflé particulièrement fort ces jours-là. Les matelots et les officiers du bord, d’abord abasourdis, ont tenté de faire face comme ils ont pu ; jusqu’à ce qu’une deuxième bourrasque ne vienne balayer le pont et provoquer la gîte du navire. Pour que le calme revienne et que le bateau, qui n’avait pas besoin de cette tempête, reprenne tant bien que mal sa route, il aura fallu avant tout le sang-froid de l’équipage, que je tiens à saluer publiquement ici. Il aura également fallu l’appui inconditionnel et lucide des chefs de la cour d’appel de Rennes et rien moins qu’un déplacement du garde des Sceaux en personne, puis du Conseil supérieur de la magistrature, pour que le travail judiciaire reprenne ses droits. Cette simple énumération suffit à indiquer l’ampleur et la profondeur de la crise. Cette tempête a secoué d’autant plus durement notre tribunal qu’elle s’est produite après d’autres coups de tabac du même genre, où, ailleurs, les magistrats ont été systématiquement mis en cause sans qu’on n’expose jamais, ne serait-ce que par équité intellectuelle, les conditions dans lesquelles ils exercent quotidiennement leur métier. Car le navire du tribunal de grande instance de Nantes, comme tous les bâtiments de la flotte nationale, navigue depuis des années avec des
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machines essoufflées et des postes de quarts non pourvus. Il doit également tracer sa route sur une houle législative qui, vague après vague, apporte sans cesse de nouveaux matériaux. A peine l’étrave du navire judiciaire a-t-elle franchi péniblement une vague, généralement haute et dense, de textes, de chapitres et d’articles, que son équipage, encore trempé des précédents embruns législatifs, doit affronter une nouvelle vague généralement plus haute, plus dense et plus bordée de masses d’écume normative que la précédente. Et je ne mentionne que pour mémoire les tourbillons, au sens propre incroyables, que produit la rencontre de deux vagues législatives ou réglementaires contradictoires, qui viennent percuter quasi simultanément les flancs du navire judiciaire. Un exemple bien connu, mais malheureusement réel et qui n’est pas sans rapport avec le drame et les événements que j’évoquais précédemment, est celui de la loi sur les peines plancher, votée en août 2007, suivie dès le mois de novembre 2009 d’une loi dite pénitentiaire, d’orientation radicalement opposée. En quatre ans seulement, il aura ainsi fallu successivement incarcérer, puis ne plus incarcérer et, récemment, de nouveau incarcérer. Du moins, si les capacités des prisons le permettent. Alors dans ce contexte - et j’en reviens à mon chiffre de tout à l’heure des quelques dizaines de minutes seulement que chaque juge peut consacrer au prononcé des décisions - la question de la responsabilité des magistrats prend une signification et une importance toutes différentes. A l’instar des évolutions que je signalais en commençant sur l’irruption progressive et submergeante des considérations chiffrées dans la présentation des bilans d’activité des juridictions, l’appréciation de la responsabilité des magistrats a connu une évolution marquante.
La responsabilité des magistrats : l’exigence du zéro défaut La justice française a quasiment toujours manqué de moyens. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les bâtiments judiciaires qui sont les monuments de nos cités. Ils sont, pour la plupart, d’une architecture de la fin du XIXème siècle, et comme celui de Nantes, de plus en plus fréquemment de la fin du XXème siècle. Entre les deux, à de rares exceptions près, la République n’a pas estimé nécessaire d’offrir à ses citoyens des lieux de justice renouvelés et entretenus. Un siècle de carence, c’est long. Il en était de même pour les hommes et les femmes de l’institution, qu’il s’agisse des magistrats ou des greffiers qui les assistent. Qu’on relise, sur ce sujet, les quelques pages que le général de Gaulle, qui n’a jamais fait preuve, dans l’exercice de son pouvoir et dans sa conception des institutions, d’une tendresse immodérée pour la magistrature, consacre dans ses mémoires à l’état pitoyables des tribunaux à la fin des années 50.
Depuis, il est vrai, des efforts considérables ont été consentis. Oserais-je dire que, s’ils représentent un investissement indéniable de la collectivité dans son système judiciaire, ils étaient aussi socialement et politiquement inévitables ? Il était donc un temps où la justice française ne fonctionnait ni mieux, ni plus mal qu’à présent. Et tout le monde savait que si les insuffisances de l’institution pouvaient être imputables à des modes de gestion routiniers et dépourvus de dynamisme, il l’étaient également à un manque de moyens humains et matériels, sur lequel on jetait un voile pudique. Dois-je rappeler, sans remonter bien loin, que la collégialité de l’instruction, grande réforme, s’il en est, en matière pénale, a été votée depuis 1985 deux fois par le Parlement, dans des dispositions légales définitives, et a été deux fois reportée dans son application effective, parce que le ministère de la Justice était incapable de disposer, même à quelques années d’anticipation, des magistrats en nombre suffisant pour la mettre en œuvre ? Dans ce climat d’approximation gestionnaire, il était donc implicitement admis, au bout du compte, que les hommes et les femmes de l’institution judiciaire faisaient ce qu’ils pouvaient avec ce qu’on leur donnait et que, s’il survenait ici ou là un drame ou un accident en relation avec l’institution judiciaire, celle-ci ne pouvait en être exclusivement et totalement responsable. Travaillant ainsi sans filet, à la limite permanente du possible, en décalage certain avec les attentes des justiciables sur la disponibilité d’un juge attentif à les écouter, les magistrats et les fonctionnaires faisaient avancer dans toute la mesure du possible et avec conscience l’œuvre quotidienne de la justice. Diverses raisons, tenant à la fois au rapport entre l’autorité judiciaire et les pouvoirs législatifs et surtout l’exécutif, à des insuffisances criantes et mal assumées dans certaines affaires et à un vent général de contestation des pouvoirs établis et des élites, supposées, qui les composent, ont mis fin à cet équilibre précaire, qui durait depuis des années. Comme d’autres, mais pourvus de moyens et d’outils imparfaits et insuffisants, les juges ont vu leur responsabilité mise en cause. Objectivement, aucune raison morale, légale ou historique ne justifierait que les magistrats échappent à la responsabilité des actes qu’ils rendent. Mais alors, et je reviens au chiffre que j’ai donné tout à l’heure, il faudra bien s’interroger sur les conditions dans lesquelles cette responsabilité s’exerce. Peut-on réellement exiger le zéro faute à tout instant, à tout niveau, pour toute question à des professionnels, même rigoureusement sélectionnés et formés, compétents et attentifs, quand on leur demande, après avoir étudié le dossier et, la plupart du temps, écouté les parties et leurs avocats, de rendre une décision judiciaire toutes les heures ?
Une justice à bout de souffle Cette question pose, inévitablement, celle de l’organisation des cours et des tribunaux. Je n’entends évidemment pas me livrer, une énième fois, à la complainte des tribunaux,
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Rentrée solennelle pour reprendre un terme de jolie connotation juridique ancienne. Vous, nous, en avons assez et trop entendu sur le sujet dans des circonstances semblables, même si la gravité de la situation le justifie. Je m’en tiendrai seulement à deux considérations rapides, l’une nationale, l’autre locale. La conférence nationale des présidents de tribunaux de grande instance, qui réunit l’ensemble des présidents de tribunaux de France métropolitaine et d’outre-mer, a remis au ministre de la justice des vœux pour 2012, dans lesquels elle souhaite notamment qu’en matière de réformes, la réflexion, les études d’impact précèdent la mise en œuvre et que les moyens soient contemporains des entrées en vigueur, que les ressources humaines soient
délictuelles les plus graves, représente actuellement plus d’un an d’audiences. La délinquance des mineurs devrait redevenir une priorité de cette juridiction, tant il est depuis longtemps acquis qu’une protection bien comprise des mineurs inclut également que les juges et les équipes éducatives disposent du temps et des moyens nécessaires pour éviter, chaque fois qu’il est possible, que des mineurs, malmenés par la vie ou immatures, ne deviennent à leur majorité des délinquants chevronnés et dangereux pour la paix sociale. C’est un des chantiers nécessairement prioritaires de la juridiction. Nous savons, monsieur le Premier président, qu’après avoir apporté votre soutien actif et efficace à l’application des peines, vous prendrez les
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Peut-on réellement exiger le zéro faute à tout instant, à tout niveau, pour toute question à des professionnels, même rigoureusement sélectionnés et formés, compétents et attentifs, quand on leur demande, après avoir étudié le dossier et, la plupart du temps, écouté les parties et leurs avocats, de rendre une décision Jean-Maurice Beaufrère judiciaire toutes les heures ?
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garanties à la mesure des charges confiées, que la gestion des ressources humaines pour les magistrats comme pour les fonctionnaires mérite enfin son nom, que les budgets annoncés soient effectivement alloués et non amputés en cours d’année et que les responsables politiques s’abstiennent désormais d’instrumentaliser l’institution judiciaire, garante de l’état de droit, et de dénigrer l’institution et les hommes et les femmes qui la servent. Pour leur part, les procureurs de la République, réunis dans une instance équivalente à celle des présidents de tribunaux, ont tiré la sonnette d’alarme, dans une adresse publique très remarquée, sur l’état des parquets et l’impossibilité, eu égard à un nombre de parquetiers qui classe la France au dernier rang des pays d’Europe, de faire face aux responsabilités sans cesse alourdies qui sont les leurs. Ces prises de position publiques, provenant d’institutions réunissant des responsables dont la caractéristique première n’est généralement pas la revendication violente ni l’excès, méritent d’être entendues comme étant les signes d’une institution globalement à bout de souffle. La considération locale rappellera, dans ce contexte général, l’état particulièrement préoccupant du tribunal pour enfants de Nantes. Cette juridiction, malgré le dévouement incontestable de magistrats et de fonctionnaires qui dépassent, dans chacune de ces catégories de personnel, très largement leurs obligations hebdomadaires de service, ne parvient plus qu’à traiter, imparfaitement, les affaires d’assistance éducative et, seulement, les affaires pénales de première importance. Et encore pas toutes, puisque le stock des affaires restant à juger par le tribunal pour enfants, c’est-à-dire les affaires
dispositions nécessaires, à votre niveau, pour que la situation ne dégénère pas plus. Si des réformes du tribunal pour enfants doivent certainement être menées en parallèle, elles ne pourront recevoir effet sans un renfort en magistrats et en fonctionnaires. Je souhaite, qu’à cet égard, l’expérience malheureuse de l’année passée, qui a conduit l’application des peines et l’ensemble de la juridiction au bord du gouffre, après que les avertissements pourtant renouvelés aient été ignorés, ne soit pas oubliée et que le tribunal pour enfants de Nantes soit traité à la mesure de ses besoins, avant que les circonstances n’obligent à s’y intéresser.
Pour une justice de qualité, avec des citoyens Au-delà, et à cause de ces insuffisances, le temps est certainement venu de définir des axes prioritaires, cohérents et surtout, durables de politique judiciaire. Je mets de côté, respectueux de la souveraineté du Parlement et de la séparation des pouvoirs, la question de l’inflation législative. Tout le monde est depuis des années d’accord sur le diagnostic, jure ses grands dieux que désormais, on ne fera plus que des lois nécessaires, bien écrites et applicables. La sécurité juridique, dont il faut rappeler que le Conseil constitutionnel en a fait, après le Conseil d’Etat dans le domaine réglementaire, une des conditions de conformité de la loi à la norme constitutionnelle, doit être unanimement au rendez-vous. Je ne doute pas, quelle que soit l’orientation du pays en 2012, qu’il ne soit dans l’avenir satisfait à cette
exigence. Ou, du moins, j’en accepte, faute de mieux, l’augure. Si l’on considère donc qu’on en revienne à un ordre juridique stable et de qualité, une des premières questions posées par le fonctionnement des cours et tribunaux sera le nombre des magistrats qui les composent. Je n’entends évidemment pas passer sous silence l’indispensable ajustement des effectifs des fonctionnaires de greffe aux tâches, de plus en plus nombreuses et complexes, qui sont confiées au travail de ces personnels. Les rapports des discussions budgétaires élaborés chaque année à l’Assemblée nationale et au Sénat montrent la lente, mais inexorable dégradation du nombre relatif des fonctionnaires depuis plusieurs années, rapporté, comme simple paramètre primaire d’approximation, au nombre des magistrats, dont on sait qu’ils sont pourtant eux-mêmes en nombre insuffisant. Faut-il augmenter le nombre des magistrats en France ? La comparaison avec de nombreux pays européens fournit une réponse assurément positive à cette question. Faut-il cependant augmenter dans des proportions sensibles le nombre des magistrats professionnels ? Diverses comparaisons européennes inclinent aussi à une réponse positive. Toutefois, le réalisme judiciaire impose de ne pas considérer avec un optimisme démesuré l’hypothèse d’une augmentation sensible du nombre des magistrats. Tout d’abord, les contraintes budgétaires qui pèsent sur l’Etat, et dont la justice, même si elle conserve un sort relativement privilégié, ne sera pas exclue, risquent fort de rendre irréaliste le recrutement massif de magistrats bénéficiant d’un statut élevé dans la grille de la fonction publique. De plus, les investissements annoncés dans le domaine pénitentiaire pour les prochaines années vont nécessairement entrer en concurrence avec les autres dépenses du ministère de la Justice. Il est à cet égard significatif que, pour la première fois en 2012, depuis de très nombreuses années, le budget global nominal de l’administration pénitentiaire dépasse, dans l’enveloppe attribuée au ministère de la Justice, celui des services judiciaires, c’està-dire les moyens de fonctionnement des cours et des tribunaux. Par ailleurs, la société française a fait le choix depuis 1958 de privilégier un recrutement des magistrats de haut niveau. Le concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature est actuellement un des plus sélectifs qui existe en France. En dépit des critiques et des politiques, là aussi évolutives, il faut rendre grâce à l’Ecole nationale de la magistrature de la référence qu’elle constitue pour la qualité des services judiciaires. A tel point que, comme souvent en France, oublieux des qualités que l’on a et que les autres nous reconnaissent, on ignore que le mode de recrutement des magistrats français par la voie privilégiée d’une école spécifique à sélection nationale devient la norme choisie par de nombreux pays, aussi bien en Europe que dans le reste du monde. Sait-on, par exemple, que l’Ecole nationale de la magistrature, sans qu’il soit évidemment question d’en démarquer exactement dans ce pays la structure, le fonctionnement et le rôle, est cependant citée parmi les références du mode de recrutement des magistrats en Allemagne, au triple titre de
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Rentrée solennelle
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Bernard Morand, Jacques Lapallus, Philippe Joyeux et Catherine Lesage
la qualité des magistrats qu’elle forme, de l’égalité de l’accès des citoyens au corps judiciaire et de l’indépendance institutionnelle qu’elle assure par rapport aux autres pouvoirs ? Un recrutement de magistrats professionnels en grand nombre et de haut niveau se heurterait à des difficultés pratiques d’autant plus évidentes que nous allons inévitablement entrer dans le temps des départs massifs de magistrats dû à la retraite, même si l’âge légal de la retraite, comme l’horizon fuyant sur la mer, ne cesse de s’éloigner. Mais il y a bien un moment, et ce moment va arriver très prochainement, où les classes du recrutement important des années 1970, ellesmêmes issues du baby-boom des années 50, finiront par atteindre la fatidique limite d’âge. Enfin, il ne faut pas oublier que les concours exceptionnels récemment organisés pour pallier le manque prévisible de magistrats, du à l’insuffisance des recrutements des années précédentes, n’ont pas permis de pourvoir tous les postes proposés, les jurys des examens professionnels spécialement organisés ayant considéré qu’une partie seulement des candidats présentait les qualités et le niveau suffisants pour exercer des fonctions de magistrat. Faute de possibilités de recrutement en grand nombre de magistrats professionnels, à législation et périmètre judiciaire sensiblement constants, il faudra bien en venir à élargir la participation des citoyens à la justice. J’exprime, à cet égard, une opinion et je formule un pronostic qui, je dois le dire honnêtement, ne sont pas majoritaires dans le corps des magistrats. Cependant, des raisons fortes amènent à considérer cette hypothèse non seulement comme vraisemblable, en raison de l’impasse où se trouve maintenant l’institution, mais également comme souhaitable, pour la qualité de la justice. Je ne reviendrai pas, évidemment, sur ce que je viens de dire sur les obstacles qui s’opposent, même en rêve, à la multiplication soudaine et massive du nombre des magistrats professionnels. Ceux-ci devront admettre, dans les années à venir, que leur rôle va changer dans les juridictions. Ils seront très certainement assistés de plus en plus largement par des citoyens qui participeront, à leurs côtés et
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sous leur direction juridique et déontologique, à l’œuvre de justice. La plupart des grands pays européens qui disposent de systèmes judiciaires reconnus comme satisfaisants par leurs citoyens font un appel large et massif à la participation de juges non professionnels, qu’il s’agisse des magistrats en Angleterre et au pays de Galles, qui jugent plus de 90% des affaires correctionnelles en première instance, ou qu’il s’agisse des échevins qui siègent dans la plupart des juridictions allemandes. Il est intéressant de noter, s’agissant de ce dernier pays, que les citoyens assesseurs qui commencent à prendre leurs fonctions en ce début d’année dans deux cours d’appel expérimentales, participent à des juridictions qui sont composées comme celles qui, en Allemagne, connaissent des affaires délictuelles les plus graves, dans des formations qui rassemblent trois juges professionnels et deux échevins. Parallèlement aux juges des tribunaux de commerce et aux conseillers prud’homaux, des citoyens siègent, on le sait, depuis longtemps avec compétence et pour le plus grand bien du fonctionnement de l’institution judiciaire, notamment dans les tribunaux pour enfants et dans diverses autres formations de jugement des tribunaux de grande instance. Avant que, par un nouveau reflux imprévu de la vague législative, les juges de proximité, créés il y a 7 ans, ne soient bientôt déchargés de leurs attributions civiles, ils ont constitué dans leur majorité, après une nécessaire période d’adaptation du système, des éléments utiles du jugement des affaires pénales, dans les tribunaux correctionnels et dans les tribunaux de police. Ils font désormais partie du paysage quotidien de ces juridictions. Les modalités de recrutement des citoyens participant de manière ordinaire à la justice doivent évidemment être examinées et améliorées. Les exigences déontologiques doivent être à la hauteur d’une justice française qui, malgré les critiques dont elle fait l’objet, demeure également une référence européenne et mondiale en matière de probité et d’indépendance. La formation des citoyens participant à la justice doit encore être revue et complétée.
Mais peut-on raisonnablement, dans l’état actuel du système judiciaire français, se priver des richesses humaines incontestables qui existent dans ce pays et de l’intérêt que nombre de ses citoyens de qualité portent au jugement des affaires pénales ou civiles ? Peut-on sérieusement soutenir que, dans un département comme celui de la Loire-Atlantique, autour de ses villes phares de Nantes et de Saint-Nazaire, dans ses campagnes, on ne peut pas trouver des citoyens de qualité en nombre suffisant pour sortir, enfin, de l’ornière, des juridictions qui sont à bout de souffle ? Le tissu associatif historiquement riche du pays nantais, l’humanisme largement partagé autour de l’estuaire de la Loire sont, à mon avis, les gages qu’une amélioration décisive du système judiciaire peut trouver ses fondements dans un élargissement vaste, profond, mais raisonné et sérieusement construit, des fonctions de juge, aux côtés de magistrats professionnels demeurant le socle de l’institution et les garants vigilants de sa mission. Il est donc temps, je le crois, au-delà des expériences et des revirements, d’engager une réflexion mûrement pesée, ambitieuse et déterminée, pour une large ouverture aux citoyens des formations de jugement des tribunaux. En disant cela, je ne parle pas seulement de questions gestionnaires, des flux, des stocks et de la « performance ». Le propos va bien audelà et relève aussi d’une dimension de qualité humaine, que les citoyens peuvent apporter à une institution dont les paramètres essentiels sont actuellement concentrés dans des tableaux de performance - même si ces indicateurs sont évidemment nécessaires au contrôle de la bonne marche du système. J’illustrerai le saut qualitatif possible en citant l’expérience, que peut-être certains d’entre vous ont vu évoquée à la télévision ou dans les journaux, de certains jurés de cour d’assises. Il se trouve que les hasards du tirage au sort des jurés sur les listes électorales et l’inscription d’une personne sur ces listes sous son nom de jeune fille, et non sous son nom de femme mariée, ont fait que l’épouse d’un ancien premier ministre a siégé comme juré aux assises. Il est d’ailleurs piquant de relever qu’elle a elle-même indiqué être passée outre aux réserves exprimées par son mari, alors ministre, pour remplir ce devoir judiciaire qui pèse sur tout citoyen. Le fait qu’on ait pu lui suggérer le contraire mériterait, au demeurant, un commentaire sur l’idée qu’on se fait parfois, même dans les cercles les plus érudits, des rapports entre la justice et les autorités politiques... Quoi qu’il en soit, au sortir de cette expérience, cette femme a eu la formule suivante : « On n'est jamais plus soi-même que quand on est juré d'assises ». Je souhaite que dans l’avenir, la justice française, tout en gardant l’expérience de magistrats professionnels enfin rendus à l’expression de leurs qualités, et non à des tâches répétitives effectuées au seul rythme de la pression, à terme insupportable, du nombre des affaires, s’enrichisse, à leurs côtés, de citoyens, qui seront plus que jamais eux-mêmes.
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Chronique
La procédure participative une nouvelle vie pour les listes d’experts…
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par Dominique Lencou et Patrick de Fontbressin
Dominique Lencou u cours de ces dernières années, l’idée de résolution amiable des différends n’a cessé de faire son chemin. Les « dispositions communes à toutes les juridictions » du code de procédure civile consacrées à la conciliation et à la médiation n’avaient pas manqué d’offrir aux parties la possibilité de s’accorder en cours d’instance. A cet égard, il n’est pas besoin de rappeler le souci des chefs de juridiction et des Ordres d’avocats, ainsi que du Conseil National des Barreaux, de favoriser la mise en œuvre des dispositions des articles 131-1 et suivants du code de procédure civile relatifs à la médiation judiciaire. Le récent décret du 20 janvier 2012 sur la procédure participative instaurant « une procédure conventionnelle de recherche d’un accord », qui « se poursuit le cas échéant par une procédure aux fins de jugement » s’inscrit dans une démarche de pacification par le contrat dans l’esprit des modes alternatifs de règlement des conflits susvisés. Celle-ci est dotée d’un double mérite : Formaliser la recherche d’un accord par les parties « assistées de leurs avocats » dont la conclusion pourra permettre de décharger le rôle des tribunaux lorsqu’il sera de nature à mettre fin en totalité au différend, mais aussi à mieux circonscrire les éléments de litige subsistant lorsque l’accord n’aura pu être conclu que partiellement.
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Consacrer l’accord commun des parties sur la désignation d’un professionnel compétent quand elles envisagent de recourir à un
Patrick de Fontbressin technicien qui devra accomplir « sa mission avec conscience, diligence et impartialité, dans le respect du principe du contradictoire », non sans avoir préalablement rappelé « qu’il appartient au technicien, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance afin que les parties en tirent les conséquences qu’elles estiment utiles ». On retrouve ici les critères qui distinguent le technicien, doté de la confiance du juge, de simples prestataires de la même discipline qui ne répondront pas nécessairement aux exigences de moralité et de connaissance des principes directeurs du procès, qui président à l’inscription sur les listes d’experts près les Cours d’appel et près la Cour de cassation. La présence des avocats dans le déroulement de cette procédure participative apparaît d’emblée comme une garantie de l’élaboration d’un accord éclairé en raison de l’information fournie par les conseils à leurs clients respectifs. De même les exigences requises du technicien choisi en commun par les parties apparaissent de nature à donner une vigueur nouvelle aux listes d’experts. Sans s’attacher à l’aide qu’est susceptible de constituer la nomenclature des rubriques expertales dans la recherche de compétences adaptées à l’élaboration d’une mission, les critères d’inscription retenus par le législateur aux termes de la loi du 29 juin 1971, modifiée les 11février 2004 et 17 juin 2008, ainsi que du décret 2004-1463 du 23 décembre 2004, paraissent conditionner le succès d’un
« commun accord » sur le choix d’un technicien. On mesure en effet le risque de remise en cause de l’accord qui pourrait résulter d’une inexacte appréciation des notions d’indépendance ou d’impartialité objective par un technicien dans l’ignorance de leur appréciation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme et les juridictions nationales. Celui de la méconnaissance de ce que recouvre le principe de la contradiction n’est pas moindre. Peut-être certains objecteront-ils qu’il importe peu que le technicien choisi par les parties ignore les « principes directeurs du procès » et les « règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien », dont la connaissance est exigée par la loi pour être inscrit sur une liste de Cour d’appel, dès lors que sa mission est extra-judiciaire. Toutefois, une telle objection semble difficilement résister à l’épreuve puisque précisément, pour garantir le justiciable, le décret se réfère de la manière la plus expresse à l’ensemble des critères qui s’imposent à l’expert commis par le juge au cœur du procès équitable, tant au regard de sa situation personnelle qu’au regard du déroulement de l’expertise. A l’heure où le doute semble s’être instauré chez certains sur l’opportunité du maintien des listes d’experts, les valeurs qui conditionnent l’inscription sur celles-ci sont soulignées par le décret au-delà de la seule sphère du procès. Déplacées au plan contractuel, à l’occasion du règlement amiable d’un litige hors du prétoire, les exigences européennes du procès équitable pourraient, au plan de la théorie juridique, s’avérer une illustration de l’effet horizontal de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur les obligations civiles(1). Sans s’attarder ici sur de tels développements, force est de constater qu’au regard de l’intérêt du justiciable et conformément aux principes énoncés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la procédure participative est susceptible d’offrir une nouvelle vie pour les listes d’experts. Note : 1 - Patrick de Fontbressin, « L’effet horizontal de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’avenir du droit des obligations » in Liber amicorum Marc-André Eissen, éd. Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 157 ss ; également, Patrick de Fontbressin, « L’effet horizontal de la Convention européenne des droits de l’homme, voie de démocratie participative » in Les droits de l’homme en évolution Mélanges en l’honneur du Professeur Petros Pararas, éd. Sakkoulas, Athènes, 2009.
Les Annonces de la Seine - jeudi 16 février 2012 - numéro 13
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Jurisprudence
Décrets « Hadopi » Conseil d’Etat - 19 octobre 2011 - décision no 339154 Société Apple Inc et Société I-Tunes Sarl Conseil d’Etat - 19 octobre 2011 - décisions nos 339279 et 342405 French Data Network
Le Conseil d’Etat a rejeté les requêtes des sociétés Apple Inc et French Data Network contre les décrets « Hadopi ». Il a validé la procédure devant la commission de protection des droits de la Hadopi au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en rappelant que les recommandations n’ont aucun caractère de sanction ni d’accusation. Le système « Hadopi » est conçu pour mettre en garde l’internaute en infraction et ne permet la sanction que par le juge judiciaire, conformément à ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel. Ainsi, il n’y aura, en cas de récidive de téléchargement illégal, qu’un procès devant le juge pénal, et pas de contentieux au fur et à mesure des lettres d’avertissement.
Décision n° 339154 Le Conseil d’Etat, Considérant que l’article L.331-12 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : « La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet est une autorité publique indépendante. A ce titre, elle est dotée de la personnalité morale » ; qu’en application de l’article L.331-13, la Haute Autorité, qui se substitue à l’Autorité de régulation des mesures techniques, assure notamment une mission « de régulation et de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d’identification des œuvres et des objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin » ; que pour garantir l’interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, l’article L.331-32 du même code confère à la Haute autorité des pouvoirs de médiation entre d’une part les éditeurs de logiciel, les fabricants de systèmes techniques et les exploitants de service, et d’autre part, les titulaires des droits sur les mesures techniques ; qu’à défaut d’accord entre les parties, la Haute autorité peut prononcer « une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les conditions dans lesquelles le demandeur peut obtenir l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité et les engagements qu’il doit respecter pour garantir l’efficacité et l’intégrité de la mesure technique, ainsi que les conditions d’accès et d’usage du contenu protégé » ; que la Haute autorité a également le pouvoir d’infliger « une sanction pécuniaire applicable soit en cas d’inexécution de ses injonctions, soit en cas de non-respect des engagements qu’elle a acceptés » ; qu’enfin en application de l’article L.33130 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi n°2009-1311 du 28 octobre 2009, le décret attaqué énonce les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant le collège et la commission de protection des droits de la Haute autorité ;
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Considérant qu’aux termes de l’article 8-1 de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 : « Sous réserve de l’article 10, les Etats membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit » ; qu’il résulte de l’article 1 paragraphe 9 de la directive qu’une « règle technique » est une « une spécification technique ou autre exigence, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l’utilisation dans un Etat membre », et du paragraphe 10 du même article 1, que doit être regardé comme un « projet de règle technique » « le texte d’une spécification technique ou d’une autre exigence, y compris les dispositions administratives, qui est, avec l’intention de l’établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique et qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d’y apporter des amendements substantiels », que le décret contesté qui se borne, d’une part, à prescrire les dispositions relatives à l’agrément des personnes habilitées à procéder à des constatations permettant de caractériser une infraction aux dispositions protégeant le droit d’auteur et droits voisins, et d’autre part, à fixer les règles relatives à l’organisation de la Haute autorité, ne comporte aucune règle technique et ne constitue pas par lui-même un projet de « règle technique » au sens de la directive précitée, dont les dispositions de l’article 8-1 n’ont pas été méconnues ; que la circonstance que les lois du 1er août 2006 et du 12 juin 2009 n’auraient elles-mêmes pas fait l’objet de la notification prévue à l’article 8-1, est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité du décret attaqué ;
Sur le moyen tiré de l’irrégularité de la consultation du Conseil d’Etat : Considérant que le décret attaqué a été pris après consultation de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat ; qu’il ressort des pièces du dossier que ce décret ne contient aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet soumis par le gouvernement au Conseil d’Etat et de celles qui ont été adoptées par le Conseil d’Etat ; que dès lors, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la consultation du Conseil d’Etat sur le décret attaqué aurait été entachée d’irrégularité ;
Sur la violation des articles L.331-37 du Code de la propriété intellectuelle et 21 de la Constitution : Considérant que les dispositions attaquées du 13°) du I de l’article R.331-4 se bornent, conformément à l’habilitation législative de l’article L.331-30, à préciser qu’il revient au collège de Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) d’adopter les règles de procédures gouvernant sa saisine dans le cadre de l’article L.331-32 du code ; que ces dispositions n’ont ainsi ni pour effet ni pour objet d’édicter des règles de fond en matière d’interopérabilité ou d’en confier l’élaboration au collège de la Hadopi ; que dès lors le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient l’article 21 de la Constitution ou l’habilitation donnée par l’article L.331-37 ne peut qu’être écartés ;
En ce qui concerne la méconnaissance de l’obligation de transmission à la Commission prévue par la directive 98-34 du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 :
En ce qui concerne la violation de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 et de la directive du 14 mai 1991 du Parlement européen et du Conseil, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur :
Les Annonces de la Seine - jeudi 16 février 2012 - numéro 13
Jurisprudence Considérant que les dispositions attaquées n’ayant ni pour objet ni pour effet d’assurer la mise en œuvre des mesures adoptées par le législateur à l’article L.331-32 du Code de la propriété intellectuelle pour imposer l’interopérabilité des mesures techniques de protection, mais seulement d’attribuer au collège de la Haute autorité compétente pour adopter des règles procédurales permettant l’exercice des pouvoirs reconnus par le législateur en cas de désaccord entre parties sur l’interopérabilité des mesures techniques, le moyen tiré de ce que l’article L.331-32 du Code de la propriété intellectuelle définissant les devoirs des différentes parties en matière d’interopérabilité méconnait les articles 5 et 6 de la directive du 22 mai 2001 ou à la directive du 14 mai 1991 est sans incidence sur la légalité du décret attaqué ; Sur la méconnaissance des stipulations des articles 56 et 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : Considérant que les dispositions attaquées, relatives aux compétences d’une autorité interne pour mettre en œuvre les dispositions assurant l’exacte transposition d’une directive, ne méconnaissent en rien les articles 34 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du décret attaqué ; Décide : Article 1er : La requête de la Société Apple Inc et de la Société I Tunes SARL est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société Apple Inc, à la Société I Tunes SARL, au Premier ministre, au ministre de la Culture et de la Communication, au garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie et à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet.
Décision n° 339279 Le Conseil d’Etat, Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre : Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L.331-29 du Code de la propriété intellectuelle : « Est autorisée la création, par la Haute autorité, d’un traitement automatisé de données à caractère personnel portant sur les personnes faisant l’objet d’une procédure dans le cadre de la présente sous-section. / Ce traitement a pour finalité la mise en œuvre, par la commission de protection des droits, des mesures prévues à la présente sous-section, de tous les actes de procédure afférents et des modalités de l’information des organismes de défense professionnelle et des sociétés de perception et de répartition des droits des éventuelles saisines de l’autorité judiciaire ainsi que des notifications prévues au cinquième alinéa de l’article L.335-7. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application du présent article. Il précise notamment, les catégories de données enregistrées et leur durée de conservation ; les destinataires habilités à recevoir communication de ces données, notamment les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ; les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer, auprès de la Haute Autorité, leur droit d’accès aux données les concernant conformément à la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. » ; que le décret attaqué, pris pour l’application de ces dispositions après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet » ;
NOTE e Conseil d’Etat était saisi de trois recours introduits par les sociétés Apple Inc, I Tunes et French Data Network contre les décrets « Hadopi ». Les requêtes des sociétés Apple Inc et I Tunes contre le décret du 29 décembre 2009 relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) et de French Data Network contre le décret du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel sont rejetées, dès lors qu’aucun moyen soulevé par les sociétés requérantes n’était fondé. Le Conseil d’Etat rejette également la requête de la société French Data Network dirigée contre le décret du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Hadopi. En premier lieu, le Conseil d’Etat valide la procédure au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il rappelle que les recommandations qu’adresse la commission de protection des droits de la Hadopi n’ont aucun caractère de sanction ni d’accusation. En second lieu, le Conseil d’Etat confirme que le juge judiciaire est le garant du système, c’est-àdire qu’il n’y aura, en cas de récidive de téléchargement illégal, qu’un procès devant ce juge, et non un contentieux au fur et à mesure des lettres d’avertissement. En effet, les recommandations adressées par la commission de protection des droits n’étant pas des sanctions, elles ne pourront faire l’objet
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d’un contentieux devant le juge administratif. Si les pratiques de téléchargement illégal se renouvellent et que la Hadopi en saisit le juge pénal, la personne concernée pourra, devant ce juge, contester les faits relevés dans les lettres d’avertissement. 1. Par sa décision n°339154, Société Apple Inc et société I Tunes SARL, le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n°2009-1773 du 29 décembre 2009 relatif à l’organisation de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Le décret attaqué, pris en application de l’article L.331-30 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi n°2009-1311 du 28 octobre 2009, énonce les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant le collège et la commission de protection des droits de la Haute autorité. Le Conseil d’Etat juge qu’il n’avait pas à être transmis à la Commission européenne sur le fondement de la directive 98-34 du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998. En outre, le décret ne méconnaît pas les articles L.331-37 du Code de la propriété intellectuelle et 21 de la Constitution. Enfin, s’agissant des devoirs des différentes parties en matière d’interopérabilité, le décret ne méconnaît pas les articles 5 et 6 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 et la directive du 14 mai 1991 du Parlement européen et du Conseil, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.
2. Par sa décision n°339279, French Data Network, le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n°2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel autorisé par l’article L.331-29 du Code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur Internet ». Ce décret a été pris pour l’application des dispositions de l’article L.331-29 du Code de la propriété intellectuelle, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il fixe les modalités d’un traitement de données à caractère personnel dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur Internet ». Les requérants soutenaient que la procédure d’adoption du décret était irrégulière, faute de consultation de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Mais ni l’objet du décret, ni les dispositions du Code des postes et télécommunications électroniques ou du Code de la propriété intellectuelle n’imposaient une consultation de l’ARCEP. 3. Par sa décision n°342405, French Data Network, le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n°2010-872 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure devant la commission de protection des droits de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Les requérants soulevaient deux
principaux moyens à l’encontre du décret du 26 juillet 2010 : la violation du droit, garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à ce que toute personne puisse faire entendre sa cause devant un tribunal indépendant et impartial et la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure devant la Commission de protection des droits de la Hadopi. Le Conseil d’Etat valide la procédure au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il rappelle que les recommandations qu’adresse la commission de protection des droits de la Hadopi n’ont aucun caractère de sanction ni d’accusation. Par suite, le moyen tiré de ce qu’elles ne pourraient, à raison de leur nature, être prise que par une autorité répondant aux exigences des stipulations de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut qu’être écarté. Le Conseil d’Etat confirme que le système « Hadopi » est conçu pour mettre en garde l’internaute en infraction et ne permet la sanction que par le juge judiciaire, conformément à ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel. Ainsi, il n’y aura, en cas de récidive de téléchargement illégal, qu’un procès devant le juge pénal, et pas de contentieux au fur et à mesure des lettres d’avertissement.
Les Annonces de la Seine - jeudi 16 février 2012 - numéro 13
Le Conseil d’Etat note que les recommandations adressées aux abonnés ont uniquement pour objet, d’une part, de procéder au relevé factuel de certaines données susceptibles de révéler un manquement à l’obligation de sécurisation de son accès à Internet, d’autre part, d’informer l’abonné à un service de communication au public en ligne, par un simple rappel à la loi, des obligations pesant sur lui en application des dispositions du Code de la propriété intellectuelle. Elles ne revêtent aucun caractère de sanction ni d’accusation. Elles sont, par elles-mêmes, dénuées de tout effet autre que de rendre légalement possible l’engagement d’une procédure judiciaire. Ainsi, les recommandations adressées par la commission de protection des droits sont indissociables d’une éventuelle procédure pénale conduite ultérieurement devant le juge judiciaire, à l’occasion de laquelle il est loisible à la personne concernée de discuter tant les faits sur lesquelles elles portent que sur leur envoi. Il en résulte que ces recommandations ne constituent pas, par elles-mêmes, des décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979 au sens des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure est écarté pour ce motif. Source : www.conseil-etat.fr
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Jurisprudence Considérant, d’autre part, qu’en vertu du premier aliéna de l’article L.36-5 du Code des postes et communications électroniques : « L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre » ; Considérant que le décret attaqué, qui fixe les modalités du traitement automatisé autorisé par l’article L.331-29 du Code de la propriété intellectuelle, a pour seul objet de permettre, dans le cadre de la mission de protection des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin dévolue à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), la mise en œuvre, par la commission de protection des droits de la Hadopi de la procédure de recommandations prévue par l’article L.331-25 du même code ; que les dispositions de l’article L.36-5 du Code des postes et télécommunications électroniques, n’imposaient pas au gouvernement de consulter l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes avant de prendre le décret attaqué relatif à un traitement de données à caractère personnel qui ne concerne pas les communications électroniques au sens des dispositions de l’article L.36-5 ci-dessus rappelées ; que d’ailleurs L.331-29 du Code de la propriété intellectuelle ne prévoyait pas cette consultation ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d’irrégularité faute d’avoir été précédé d’une consultation de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ne peut qu’être rejeté ; qu’il résulte de ce qui précède que l’association French Data Network n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué ; Décide : Article 1er : La requête de l’association French Data Network est rejetée. Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association French Data Network, au secrétaire général du gouvernement et au ministre de la culture et de la communication.
Décision n° 342405 Le Conseil d’Etat, Sur l’intervention de M. L. : Considérant que M. L. a intérêt à l’annulation du décret attaqué ; qu’ainsi son intervention est recevable ; Sur la légalité du décret attaqué : Considérant qu’aux termes de l’article L.336-3 du Code de la propriété intellectuelle : « La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise. Le manquement de la personne titulaire de l’accès à l’obligation définie au premier alinéa n’a pas pour effet d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé, sous réserve des articles L.335-7 et L.335-7-1 » ; qu’en application des dispositions de l’article L.331-25 du même code : « Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L.336-3, la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné, sous son timbre et pour son compte, par la voie électronique et par l’intermédiaire de la personne dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ayant conclu un contrat avec l’abonné, une recommandation lui rappelant les dispositions de l’article L.336-3, lui enjoignant de respecter l’obligation qu’elles définissent et l’avertissant des sanctions encourues en application des articles L.335-7 et L.335-7-1. Cette recommandation contient également une information de l’abonné sur l’offre légale de contenus culturels en ligne, sur l’e xistence de moyens de sécurisation permettant de prévenir les manquements à l’obligation définie à l’article L.336-3 ainsi que sur les dangers pour le renouvellement de la création artistique et pour l’économie du secteur culturel des pratiques ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins. / En cas de renouvellement, dans un délai de six mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L.336-3, la commission peut adresser une nouvelle recommandation comportant les mêmes informations que la précédente
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par la voie électronique dans les conditions prévues au premier alinéa. Elle doit assortir cette recommandation d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation de cette recommandation. / Les recommandations adressées sur le fondement du présent article mentionnent la date et l’heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à l’obligation définie à l’article L.336-3 ont été constatés. En revanche, elles ne divulguent pas le contenu des œuvres ou objets protégés concernés par ce manquement. Elles indiquent les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques où leur destinataire peut adresser, s’il le souhaite, des observations à la commission de protection des droits et obtenir, s’il en formule la demande expresse, des précisions sur le contenu des œuvres ou objets protégés concernés par le manquement qui lui est reproché » ; que le décret du 26 juillet 2010 contesté n’a d’autre objet que de préciser les conditions dans lesquelles est conduite la procédure applicable devant la commission de protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) en vue de permettre la mise en œuvre les dispositions législatives précitées du Code de la propriété intellectuelle ; Considérant, en premier lieu, que par décision de ce jour, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a rejeté la requête de l’association French Data Network dirigée contre le décret n°2010-236 du 5 mars 2010 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret du 26 juillet 2010 serait illégal par voie de conséquence de l’annulation du décret du 5 mars 2010 ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ; Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions attaquées énoncent, les règles applicables à la procédure et à l’instruction des dossiers devant la commission de protections des droits de la Haute autorité pour la diffusion des œuvre et la protection des droits sur internet (Hadopi) ; qu’elles fixent notamment les règles concernant la recevabilité des saisines qui lui sont adressées, l’établissement des procès-verbaux des agents assermentés et agréés mentionnés à l’article L.331-24, les conditions dans lesquelles les abonnés peuvent éventuellement faire l’objet d’une audition, le cas échéant à leur demande, et les règles d’établissement des procèsverbaux qui en résultent, les règles de vote et de délibération en son sein, les modalités selon lesquelles elle peut, à l’issue d’une délibération, saisir le procureur de la République ; que s’agissant des recommandations adressées aux abonnés, les dispositions du décret attaqué se limitent, sans ajouter aux dispositions très précises de l’article L.331-25 du Code de la propriété intellectuelle, à prévoir que lorsque, dans le délai d’un an suivant la présentation de la recommandation mentionnée au premier alinéa de l’article L.335-7-1, la commission de protection des droits est saisie de nouveaux faits susceptibles de constituer une négligence caractérisée définie à l’article R.335-5, elle informe l’abonné, par lettre remise contre signature invitant l’intéressé à présenter ses observations dans un délai de quinze jours, que ces faits sont susceptibles de poursuite ; que l’ensemble de ces prescriptions n’emportent aucune automaticité entre les constats de manquements aux obligations prévues par la loi et le prononcé éventuel d’une sanction pénale par l’autorité judiciaire ; que dès lors le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut qu’être écarté ; Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’article L.331-25 précité, que les recommandations visées par les dispositions des articles R.33139 et R. 331-40 introduites dans le Code de la propriété intellectuelle par le décret attaqué, ont uniquement pour objet, d’une part, de procéder au relevé factuel de certaines données susceptibles de révéler un manquement à l’obligation de sécurisation de son accès à internet visée par l’article L.336-3 du Code de la propriété intellectuelle, d’autre part, d’informer l’abonné à un service de communication au public en ligne, par un simple rappel à la loi, des obligations pesant sur lui en application des dispositions du Code de la propriété intellectuelle ; qu’elles ne revêtent aucun caractère de sanction ni d’accusation ; qu’elles sont, par ellesmêmes, dénuées de tout effet autre que de rendre légalement possible l’engagement d’une procédure judiciaire ; qu’il résulte de l’ensemble des dispositions rappelées ci-dessus que les recommandations adressées par la commission de protection des droits sont indissociables d’une éventuelle procédure pénale conduite ultérieurement devant le juge judiciaire, à l’occasion de laquelle il est loisible à la personne concernée de discuter tant les faits sur lesquelles elles portent que sur leur envoi ; qu’elles ne constituent donc pas, par elles-mêmes, des décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979 au sens des dispositions de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations
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Jurisprudence avec les administrations ; que par suite le moyen tiré de ce que l’envoi de ces recommandations prévu par le décret attaqué méconnaîtrait le caractère contradictoire résultant de la loi précitée, ne peut qu’être écarté ; Considérant enfin qu’aux termes de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1 - Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; 2 - Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » ; que les recommandations qu’adresse la commission de protection des droits de la Hadopi n’ont, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus aucun caractère de sanction ni d’accusation; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’elles ne pourraient, à raison de leur nature, être prise que par une autorité
répondant aux exigences des stipulations de l’article 6 de la convention ne peut qu’être écarté ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association French Data Network n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué ; Décide : Article 1er : L’intervention de M. L. est admise. Article 2 : La requête de l’association French Data Network est rejetée. Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association French Data Network, à M. Renaud L., au Premier ministre, au garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, au ministre de la Culture et de la Communication et au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
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Statut de la magistrature Conseil constitutionnel - 9 février 2012 - décision n° 2012-646 DC Dans sa décision n° 2011-646 DC du 9 février 2012, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature dont il avait été saisi par le Premier ministre le 26 janvier 2012 en application des articles 46 et 61 de la Constitution. Cette loi organique a principalement pour objet d'appliquer aux magistrats de l'ordre judiciaire l'avancement d'un an du relèvement des limites d'âge applicable à l'ensemble des fonctionnaires civils et militaires en vertu de l'article 88 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2012. En application de ces dispositions, la montée en charge vers la limite d'âge s'opère plus rapidement pour les personnes nées à compter de 1952. Le Conseil Constitutionnel, Vu la Constitution ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ; Vu la loi organique n° 2010-1341 du 10 novembre 2010 relative à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire ; Le rapporteur ayant été entendu ; 1. Considérant que la loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement de l'article 64 de la Constitution ; qu'elle a été adoptée dans le respect des règles de procédure prévues par les trois premiers alinéas de l'article 46 de la Constitution ; 2. Considérant que l'article 1er de la loi organique modifie l'article 2 de la loi organique du 10 novembre 2010 susvisée ; qu'il modifie, pour les magistrats nés à compter du 1er janvier 1952, le calendrier selon lequel la limite d'âge des magistrats de l'ordre judicaire est progressivement portée de soixante-cinq à soixante-sept ans ; 3. Considérant que l'article 2 modifie l'article 3-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée relatif aux magistrats placés ; qu'il assouplit les règles applicables à la nomination de ces magistrats, après deux années d'exercice, au tribunal de grande instance du siège de la cour d'appel à laquelle ils sont rattachés ou au tribunal de grande instance le plus important du département ; 4. Considérant que l'article 3 modifie l'article 39 de cette même ordonnance pour réduire la proportion des emplois vacants de conseiller ou d'avocat général à la Cour de cassation qui sont pourvus par la nomination d'un magistrat du premier grade ayant exercé les fonctions de conseiller référendaire ou d'avocat général référendaire pendant au moins huit ans ;
5. Considérant que l'article 4 modifie l'article 69 de cette même ordonnance pour conférer de nouvelles attributions au comité médical national propre aux magistrats et instaurer un comité médical national d'appel ; 6. Considérant que l'article 5 modifie l'article 76-4 de cette même ordonnance pour assouplir les conditions dans lesquelles les magistrats peuvent accomplir leur mobilité statutaire ; 7. Considérant que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution, Décide : Article 1er.- La loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature est conforme à la Constitution. Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jean-Louis Debré, Président, Jacques Barrot, Claire Bazy Malaurie, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Jacqueline de Guillenchmidt, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz
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Tribune
Imposition des plus-values immobilières Les nombreuses incertitudes liées à la réforme en vigueur depuis le 1er février 2012 par Nicolas Marguerat*
1er acte : le durcissement du régime d’exonération des plus-values immobilières issu de la loi du 8 septembre 2011 a seconde loi de finances rectificative pour 2011 du 8 septembre 2011 a entériné la réforme de l’imposition des plus-values immobilières à compter du 1er février 2012. Le gouvernement avait, dans son projet de loi du 24 août 2011, proposé de supprimer, à effet immédiat (dès le 25 août 2011) purement et simplement l’abattement de 10% par année de détention au-delà de la cinquième année ce qui conduisait à supprimer toute exonération des plus-values en cas de cession d’un bien immobilier (à l’exception des cessions de résidences principales qui demeuraient exonérés). Lors des débats parlementaires, il a été finalement décidé que l’abattement de 10% par année de détention au-delà de la cinquième année serait remplacé par un abattement de : - 2 % pour chaque année de détention au-delà de la cinquième ; - 4 % pour chaque année de détention au-delà de la dix-septième ; - 8 % pour chaque année de détention au-delà de la vingt-quatrième. Les conséquences de cette modification sont, d’une part, que les cessions de biens immobiliers ne sont exonérées qu’après une détention de 30 années du bien au lieu de 15 années auparavant et, d’autre part, que le dispositif d’exonération progressive par abattement est beaucoup moins rapide. Ce nouveau dispositif est entré en vigueur depuis le 1er février 2012.
L
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2 acte : l’assouplissement « surprise » introduit par la loi du 28 décembre 2011 instaurant un nouveau régime d’exonération des plus-values strictement encadré Lors des débats parlementaires au cours de la discussion sur la loi de finances pour 2012, Messieurs Gilles Carrez, rapporteur général du Budget, Michel Bouvard et Jean-François Lamour ont présenté un amendement visant à rétablir une disposition concernant les
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exonérations de plus-values immobilières qui avait été en vigueur entre 1979 et 2004. Ce régime avait pour objectif de créer une égalité entre ceux qui étaient propriétaires de leur résidence principale et qui bénéficiaient, lorsqu'ils la vendaient, d'une exonération de plus-value, et ceux qui vendaient un bien immobilier tout en n'étant pas propriétaires de leur résidence principale. Cet article 3 bis lors des débats devenu l’article 5 de la loi de finances exonère d'impôt sur le revenu la plus-value réalisée lors de la première cession d'un logement lorsque le cédant n'est pas propriétaire de sa résidence principale et remploie le produit dans l'acquisition de sa résidence principale. Cette exonération a été codifiée à l'article 150 U, II-1° bis du CGI. Ce dispositif concerne les cessions de logements autres que la résidence principale, puisque les plus-values de cession des résidences principales demeurent exonérées, et ce, que quelles que soient les modalités de l’occupation du logement (résidence secondaire, logement donné en location ou mis à disposition à titre gratuit, logement vacant…). La notion de logement exclut par contre les terrains à bâtir ou les locaux affectés à un usage autre que l'habitation comme, par exemple, les locaux commerciaux, industriels ou professionnels. Trois conditions sont requises pour que l’exonération soit applicable : 1. L'exonération ne s'applique qu’à la première cession réalisée par le contribuable ; seules sont prises en considération les cessions de logements qui ne constituent pas la résidence principale du cédant et seules devraient être prises en considération de telles cessions réalisées depuis la date d’entrée en vigueur de ce dispositif, soit le 1er février 2012, Ce régime n’a donc vocation à s’appliquer qu’une seule fois. 2. Le cédant ne doit pas avoir été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession. 3. L'exonération est conditionnée par le remploi par le cédant, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la cession, du prix de cession dans l'acquisition ou la construction d'un logement, qu'il doit affecter, dès son achèvement ou son acquisition si elle est postérieure, à son habitation principale. Le remploi peut n'être que partiel ; dans cette hypothèse, le texte prévoit que l'exonération est alors limitée à la fraction du prix de cession qui est effectivement réemployée.
3ème acte : le flou artistique du nouveau régime d’exonération des plus-values codifié à l'article 150 U, II-1° bis du CGI Trois questions importantes se posent pour l’application de ce nouveau régime d’exonération et méritent une clarification rapide de la part de l’administration. 1ère question : Doit-on ou non retenir les cessions (de logements autres que la résidence principale réalisées depuis le 1er février 2012) qui ont bénéficié d'une autre exonération ou pour lesquelles aucune plus-value n'a été constatée ?
Concernant ce dernier point, dans l’ancien dispositif qui existait entre 1979 et 2004, une réponse ministérielle avait répondu par la négative en posant le principe que : « la circonstance que l’exonération se soit trouvée privée de portée pratique lors de la première cession, en raison de l’absence de plus-value, n’a pas pour effet de reporter l’application de cette exonération spécifique au profit d’une cession ultérieure » (RM Boutin, JOAN du 13 avril 1992, question n°54135). Il conviendra d’attendre les commentaires de l’administration afin de savoir si elle maintiendra cette position. 2ème question : Quelle est la portée de l’interdiction d’être propriétaire de sa résidence principale au cours des quatre années précédant la cession de sa résidence secondaire ?
Cette restriction concerne sans aucun doute le cas où le contribuable a été propriétaire d’une autre résidence qui était sa résidence principale qu’il a cédée dans le délai de 4 années avant la cession de sa résidence secondaire. La question qui se pose est de savoir si cette interdiction concerne également l’hypothèse où la résidence « secondaire » cédée a été, avant d’être la résidence secondaire du contribuable, la résidence principale de celui-ci dans le délai de 4 ans ?
La logique et l’équité voudraient que non ! Mais attention, logique et équité ne font pas toujours bon ménage avec fiscalité… Toutefois, il convient de noter que cette restriction, qui n’existait pas dans l’amendement initial, a été introduite par Madame Valérie Pécresse, ministre du Budget, dans le sousamendement qu’elle a proposé pour « lutter contre les effets d'aubaine que pourrait susciter cette mesure. » La ministre avait poursuivi en indiquant que : « Il s'agit en effet d'éviter qu'une personne propriétaire
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Tribune de sa résidence principale vende celle-ci la même année que sa résidence secondaire et bénéficie ainsi de deux défiscalisations. » En l’espèce, le contribuable ne bénéficie d’aucun effet d’aubaine ou ne réalise aucun « montage fiscal » puisqu’il aurait eu tout intérêt à céder sa résidence, alors que celle-ci était encore sa résidence principale, aucune condition n’étant alors requise pour bénéficier de l’exonération de sa plus-value. La ministre concluait en indiquant que : « Nous proposons, premièrement, que la défiscalisation ne puisse s'appliquer à la résidence secondaire ou au bien immobilier que si la résidence principale a été vendue au moins quatre ans auparavant » ce qui laisse sous-entendre qu’il y a eu deux cessions de deux biens distincts devant être réalisées avec quatre années d’écart. Dans ces conditions, on pourrait légitimement admettre que la condition devrait être considérée comme remplie quand bien même le bien cédé à titre de résidence secondaire a constitué la résidence principale du contribuable à une période au cours des quatre années précédant sa cession. Nous attendons avec impatience les commentaires de l’administration afin de voir si elle se rallie à cette interprétation. 3ème question : Le texte prévoit que l’exonération est applicable à la fraction du prix de cession remployée, que se passe-t-il alors lorsque le cédant rembourse un prêt qu’il avait souscrit lors de l’acquisition du bien qu’il cède avant de réinvestir dans l’acquisition de sa résidence principale ?
Cette question n’est pas dénuée d’intérêt pratique car, dans la plupart des cas, les organismes préteurs vont exiger, lors de la cession du logement (résidence secondaire), le remboursement des prêts qu’ils avaient
consentis dès lors que les prêts étaient affectés au logement alors même qu’ils vont consentir un nouveau prêt au contribuable qui acquière sa résidence principale. Doit-on considérer que l’exonération n’est applicable qu’au prorata du remploi, déduction faite du remboursement d’emprunt, ou peut-elle intégrale, dans la mesure où l’intégralité du disponible, après remboursement de l’emprunt, est réemployé ?
Là encore, la logique et l’équité voudraient que le contribuable puisse bénéficier d’une exonération intégrale puisqu’ils réinvestissent l’intégralité du produit qui est disponible. Mais… Gilles Carrez, auteur de l’amendement initial, avait indiqué que : « Cette exonération fonctionne de façon très simple : elle se fait au prorata du bien qui est vendu. Je m'explique. Si, par exemple, vous avez un bien qui vaut cent et que vous achetez une résidence principale qui ne vaut que quatre-vingt - cela peut arriver -, vous bénéficierez évidemment de l'exonération à hauteur de quatre-vingt. » De même La ministre avait indiqué lors de la présentation de son sous-amendement modifiant l’amendement initial que : « A cette fin, nous proposons, … deuxièmement, que le produit de la vente de la résidence secondaire soit affecté, en tout ou partie, à l'achat d'une résidence principale. » Ces déclarations laisseraient supposer que l’exonération peut être totale dès lors que le contribuable réinvestit le produit de la vente, soit l’intégralité de son disponible dès lors qu’il a été contraint de rembourser des emprunts. Admettre la position inverse reviendrait à annihiler le dispositif et à le priver d’effet puisque
la plupart des plus-values ne pourraient pas bénéficier de l’exonération prévue par ce nouveau texte… En effet, la plupart du temps, les acquéreurs achètent un bien grâce à un financement bancaire dont la durée atteint désormais 25 années ou plus et ils vont le rembourser par anticipation lors de la cession de celui-ci avant d’acquérir leur résidence principale qui sera ellemême partiellement financée par emprunt d’autant que ce dispositif est destiné notamment « aux jeunes ménages qui habitent dans des zones tendues » selon les termes même des signataires de l’amendement. Nous attendons également les commentaires de l’administration sur ce point. En conclusion, ce nouveau dispositif pose donc un certain nombre de questions techniques et complexes très problématiques car les premières cessions susceptibles de bénéficier de cette exonération commencent à être régularisées. Des arbitrages et des prises de positions délicates vont devoir être pris, sous le contrôle des notaires, dans l’attente de connaître la position de l’Administration sur ces questions. Le contribuable se trouvant dans cette situation aura alors le choix entre : - considérer, sous sa responsabilité, que sa plusvalue est exonérée et ne pas faire de déclaration, à condition que certaines clauses soient insérées dans l’acte de vente, ou - faire une déclaration et payer l’imposition sur la plus-value à charge pour lui d’en demander le dégrèvement et le remboursement par le biais d’une réclamation précontentieuse. * Nicolas Marguerat est avocat à la Cour.
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Reclassement des salariés expatriés : revirement de jurisprudence par Jacques Brouillet* ans un arrêt du 7 décembre 2011 n° 0967.367 (commenté notamment dans le bref social du 16 décembre), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence concernant l'obligation de reclasser le salarié en France en cas de rupture de sa mission à l'étranger, par une nouvelle interprétation de l'article L.1231-5 du Code du travail. Celui-ci précise en effet : « lorsqu'un salarié engage par une société-mère, a été mis à disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société-mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein ». Il apparaissait donc que l'obligation de rapatriement impliquait, notamment : - non seulement qu'un contrat ait été conclu préalablement avec la société mère - mais que le salarié ait aussi travaillé pour elle, avant d'être mis à disposition d'une entreprise à l'étranger. Et c'est en raison d'une interprétation textuelle du code que des entreprises pensaient, de bonne foi, se soustraire à cette exigence : - en recrutant des salariés pour les affecter immédiatement dans une filiale à l'étranger, - ou avec un avenant de mise à disposition mais dans les deux cas, sans forcément leur faire exécuter la moindre mission en France.
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D'autres, sans doute animés par des intentions moins respectables, préconisaient : - l'engagement direct par un contrat avec la filiale établie à l'étranger (même s'il est parfois rédigé par le service Ressources humaines de la société Mère (… !) - ou la rupture préalable du contrat avec la mère pour un « nouveau contrat » avec la filiale, en s'appuyant sur la notion de novation, et sans toujours formaliser autrement (et indemniser) la rupture du contrat initial. En tous cas, l' « usage » semble s'être répandu de recourir a un contrat relevant du droit local… dans l'espoir, le plus souvent, d'échapper à diverses exigences du droit français (droit du travail, droit social et droit fiscal)… !! La jurisprudence avait d'ailleurs veillé à contrôler certains abus en considérant que l'obligation de reclassement prévue par l'article L 1231-5 du Code du travail subsistait dans les cas suivants : - lorsque l'avenant conclu avec la filiale a opté pour l'application du droit étranger (cf cass 30 mars 2011 n° 09-70.306), - lorsque le contrat avec la société mère a disparu au jour du licenciement par la filiale (cf cass 13 novembre 2008 n° 06-42.583). Dans son arrêt du 7 décembre, la cour va bien audelà de ces circonstances permettant de revendiquer l'obligation de reclassement, malgré divers « montages » plus ou mois bien inspirés, et
prend délibérément le parti de négliger la condition essentielle admise depuis un arrêt du 18 décembre 1984 a savoir « avoir exercé des fonctions en France, dans la société mère ». Elle s'écarte donc de l'interprétation textuelle d’une loi, pour adopter l'interprétation teleologique, (c'est à dire celle qui s'applique à la finalité d'un texte) qui est l'approche qui nous vient de la Cour européenne de justice (CJUE). Désormais, il semble bien que l'obligation de rapatriement et reclassement pèse sur la société mère, dès lors qu'il apparait que c'est elle qui a initié l'expatriation. Il est singulier de relever qu'un autre arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre n° 10-22875 a étendu l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur de salariés d'expatriés, à un accident survenu dans le cadre de la vie privée (cf notre flash du 15/12). Ces deux décisions doivent incontestablement conduire les entreprises à revoir leur politique et leurs pratiques en matière d'expatriation. La logique (?) de « l'optimisation des coûts », qui semble dominer, risque de se révéler négative sur le plan financier sans compter son aspect contreproductif en matière de gestion des ressources humaines ! * Jacques Brouillet est avocat au barreau de Paris, Cabinet Audit Conseil Défense. 2012-141
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Vie du chiffre
L’assurance santé de l’entreprise pour faire face aux aléas de crise Paris - 19 janvier 2012
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Agnès Bricard
ur l’initiative du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, le contrat de Responsabilité civile mandataire social (RCMS) mis en place par les assureurs a été étendu à une assurance santé au bénéfice de l’entreprise par trois compagnies d’assurance (Chartis, Hiscox et Axa).
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Cette assurance, sous l’impulsion du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, permettra en accompagnant la volonté du législateur qui a inscrit en décembre 2005 un volet de prévention dans la loi de sauvegarde, de développer réellement la prévention dans les entreprises, d’en assurer le financement et de maintenir l’emploi.
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interactif que possible. Il a vocation à présenter la profession dans son ensemble, ainsi que son environnement économique et politique permettant ainsi de donner plus de visibilité aux actions et projets du Conseil supérieur. C’est un outil à la portée de tous professionnels comptables, stagiaires, étudiants, responsables d’organisations
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Vie du droit
Palais de Justice de Paris Présentation du futur édifice - Paris, 15 février 2012
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Hier, l'Etablissement Public du Palais de Justice de Paris, pour le compte de l'Etat, et la société de projet Arélia ont signé le contrat de partenariat relatif à la construction et au financement du futur Palais de Justice. C'est à un groupement dont Bouygues Bâtiment Ile-de-France est mandataire qu'ont été confiés la construction, la maintenance et l'entretien pendant 27 ans, en contrepartie d'une redevance versée par l’Etat. Cet édifice de 160 mètres de haut s'intègrera au paysage urbain de la ZAC Clichy Batignolles dès 2017, il coûtera 575 millions d'euros et comptera 90 salles d'audience. L'architecte Renzo Piano a voulu donner une valeur symbolique au Palais qui, par sa transparence et sa forme "presque mathématique", laisse pénétrer la lumière, il s'est également attaché à le concevoir en respectant les exigences du "Plan Climat de Paris". Pour la présentation du projet du futur Palais de Justice de Paris, le Garde des Sceaux a organisé une cérémonie dans la salle des pas perdus, entouré de Bertrand Delanoë, de Brigitte Kuster, Maire du 17ème arrondissement et du Maire de Clichy Gilles Catoire. Etaient également présents les Chefs de Cour Jacques Degrandi et François Falletti ainsi que François Molins Procureur de la République et Chantal Arens Présidente du Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce fut l'occasion pour le Ministre de la Justice comme pour le Maire de Paris de dire combien la concertation entre la Ville de Paris et l'Etat avait été exemplaire pour mener à bien ce projet qui incarne une certaine éthique républicaine et qui sera l'e xpression des valeurs de la justice de demain. Jean-René Tancrède
Michel Mercier
Esprit de Justice par Michel Mercier e palais de justice de Paris va donc quitter le palais historique de l'Ile de la Cité, si intiment lié à l'histoire de la capitale et à l'histoire de France. Il va revêtir les habits plus modernes que vous avez superbement dessinés pour lui, Monsieur Piano. Grâce à vous, la justice se dote d'un nouvel édifice à l’architecture d'exception, qui incarnera l'image que nous voulons pour l'institution judiciaire, ouverte, transparente, et accessible à tous. Je voudrais vous exprimer mes remerciements. Votre œuvre marque
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aujourd'hui les paysages urbains des grandes métropoles, Paris déjà, avec le Centre Georges Pompidou, Osaka, Sidney, Berlin, Londres, mais aussi Lyon avec sa cité internationale. (…) Par sa fonctionnalité, ce nouveau palais de justice permettra de mieux faire face au défi de l'activité intense de l'ensemble des juridictions parisiennes. La justice pourra ainsi être rendue dans les meilleures conditions de sérénité et de confort, et le public accueilli au mieux. Ce nouvel édifice hébergera en effet en un lieu unique l'ensemble des services du tribunal de grande instance et du tribunal de police ; son dimensionnement lui permet aussi d'accueillir les tribunaux d'instance. Vous savez que le tribunal de grande instance est luimême aujourd'hui dispersé sur pas moins de cinq sites dans Paris. Le regroupement garantira une meilleure accessibilité de la justice et une meilleure synergie entre les juridictions. Je sais combien les professionnels appelaient de leurs vœux ce progrès. Cette nouvelle organisation facilitera le travail des magistrats, greffiers et fonctionnaires. Des espaces de travail correctement dimensionnés offriront ainsi à tous les personnels judiciaires des conditions de travail adaptées, qui trancheront avec les contraintes qu'ils peuvent connaître dans l'actuel palais historique. En outre, les équipements techniques les plus modernes seront mis leur disposition des personnels de justice : la dématérialisation des dossiers entrera à grande échelle dans l’exercice quotidien de la justice.
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Vie du droit
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Michel Mercier, Renzo Piano, Brigitte Kuster et Gilles Catoire
Tout a été fait pour que les déplacements de tous, justiciables, magistrats et personnels judiciaires, auxiliaires de justice, soient facilités au sein du nouvel édifice, grâce à une optimisation de l'espace et des distances. Ce qui permettra à chacun de gagner un temps précieux et de gagner en efficacité. N'oublions pas que les juridictions parisiennes accueillent quotidiennement près de 9 000 personnes, personnels judiciaires, auxiliaires de justice et usagers confondus: il fallait un lieu adapté å une telle fréquentation. Le grand nombre des salles d'audiences (90) et la modularité des espaces permettra également d'améliorer la tenue des audiences, et cela ne pourra que contribuer à l'accélération des délais
de jugement. Ainsi, le palais de justice pourra accueillir dans les meilleures conditions toutes les audiences, et il offrira un cadre adapté à la tenue des procès d'envergure, puisque la capacité d'accueil pourra être portée à sept cent places. Quant aux personnes placées sous main de justice, nous avons veillé à ce que leurs conditions de détention garantissent la dignité à laquelle chacun a droit, dans le respect également des exigences de sécurité du public. Enfin, vous l'avez dit, cher Renzo Piano, notre siècle doit apprendre à vivre avec une planète fragilisée. La conception du futur palais de justice en tient tout particulièrement compte. Il constituera une nouvelle référence en matière
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Bertrand Delanoë, Renzo Piano, François Molins et Chantal Arens
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de développement durable : particulièrement économe en énergie, il sera ainsi de deux à trois fois moins consommateur que les immeubles de grande hauteur les plus performants construits en France. La livraison de cet ouvrage de 62 000 mètres carrés utiles est prévue en novembre 2016, ce qui permettra l'ouverture du nouveau palais dans le courant de l'année 2017. (…) Bien sûr, ce projet ne peut aujourd'hui prendre corps que grâce à l'engagement financier de l'Etat : l'investissement est important, puisqu'il se chiffre à 575 millions d'euros. Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons, les résultats qui ont été obtenus en matière de maîtrise et d'optimisation des coûts méritent d'être salués : le coût de l'investissement avait été en effet évalué à 650 millions d'euros, il a donc pu être abaissé de plus de 10% grâce à la rigueur des équipes et à la saine concurrence que se sont livrés les deux groupements en lice. Au regard de cet effort budgétaire, le ministère de la Justice économisera près d'un milliard d'euros de loyers sur la période du contrat (27 ans). Il pourra donc, à travers les redevances annuelles qu'il acquittera à partir de la livraison du bâtiment, financer au bon niveau les dépenses d'exploitation et de maintenance qui lui permettront de disposer bien après l’achèvement du contrat, dans trente ans, d'un bâtiment parfaitement entretenu et en état de servir encore très longtemps. (…) Le futur palais de justice de Paris relève ce double pari de la modernité et de la fonctionnalité. L'union des talents, la mobilisation de tous ont permis d'avancer rapidement, si bien que nous entrons à présent la phase proprement opérationnelle du projet. C'est une très bonne chose. Transparent, lumineux, ouvert sur la ville, ce nouvel édifice est l'expression même des valeurs que nous voulons pour notre justice. 2012-143
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