LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 27 février 2012 - Numéro 15 - 1,15 Euro - 93e année
Cour d’Appel de Colmar
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Audience solennelle d’installation 13 février 2012
Jean-François Thony
INSTALLATION
Cour d’Appel de Colmar
2 3 4 AGENDA ......................................................................................5 RENTRÉE SOLENNELLE
Une ville internationale par Adrien Leiber........................................... Le creuset de la réconciliation européenne par Jacques Schmelck.... Garantir les libertés individuelles des citoyens par Jean-François Thony..
Ecole Nationale de la Magistrature - Promotion 2012
Compétence, excellence et exemplarité par Jean-Claude Marin ........
JURISPRUDENCE
8
Election présidentielle et parrainages Conseil constitutionnel - 21 février 2012 Décision n° 2012-233 QPC ...............................................................
11 ADJUDICATIONS .....................................15, 25 et 29 ANNONCES LEGALES ...................................................16 VIE DU CHIFFRE
Optimiser l’usage des dispositifs publics de soutien aux entreprises .....................................................32
J R T SER VIC ES Domiciliations commerciales jr.tancrede@jrtservices.fr
01 42 60 36 35 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS
e 13 février 2012, Jean-François Thony a été installé en qualité de Procureur général près la Cour d’Appel de Colmar en présence des autorités locales et de nombreux Premiers Présidents et Procureurs Généraux venus de toute la France, mais aussi d’Allemagne, de Suisse et de Monaco. Il succède à Jacques Beaume qui a pris ses fonctions à la tête du Parquet Général de Lyon à l’occasion de la Rentrée Solennelle du 13 janvier dernier après quatre années passées à la direction de cette Cour d’Appel alsacienne (Les Annonces de la Seine du 23 janvier 2012, numéro 6). Le Premier Président Jacques Marion ayant été empêché par des problèmes de santé, c’est Adrien Leiber qui a présidé cette Audience Solennelle. L'Avocat Général Doyen Jacques Schmelck a présenté au nouveau Chef du Parquet Général ce ressort situé au cœur de l’Europe se caractérisant notamment par l'existence d'un droit local dans un certain nombre de domaines parmi lesquels la justice commerciale ou le statut des notaires et des huissiers. Après trente ans d’activité professionnelle dans la robe d’un magistrat, Jean-François Thony prend ainsi pour la première fois la direction d’un Parquet Général. Directeur de l'Ecole Nationale de la Magistrature depuis 2007, il a réformé profondément ses méthodes et axes d'enseignement en mettant en place la diversification des profils d’auditeurs ou en modernisant l’immobilier et l’infrastructure informatique.
L
Au cours de sa brillante carrière, Jean-François Thony a aussi parcouru la planète en tant que conseiller juridique auprès d’organisations internationales : la division des stupéfiants des Nations Unies à Vienne ou le Fonds Monétaire International à Washington où il était en charge de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. De cette riche expérience internationale Jean-François Thony a acquis « la conviction que notre système judiciaire français n’a pas à rougir de lui-même, et que sur bien des aspects, il peut servir d’exemple. » Il a aussi longuement évoqué le statut du Parquet, soulignant que, bien loin du rôle d’accusateur public dans lequel sont « confinés » les Ministères Publics des pays de common law, il est le « premier rempart institutionnel de la protection individuelle des libertés » : il a en effet la responsabilité de contrôler les lieux de privation de liberté, qu’il s’agisse des locaux de garde à vue, des hôpitaux psychiatriques ou encore des établissements pénitentiaires. Il assure aussi la surveillance et la direction de la police judiciaire. « C’est lui qui a la responsabilité de protéger les citoyens contre le crime, l’une des menaces les plus quotidiennes aux libertés individuelles des citoyens, ne l’oublions pas ! » « Déconstruire ce système judiciaire à la française basé sur l’équilibre des rôles respectifs du magistrat du Siège et du magistrat du Parquet pour la protection des droits est un pari risqué. » a ainsi rappelé avec fermeté le nouveau Procureur Général de Colmar. Jean-René Tancrède
J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne
12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : as@annoncesdelaseine.fr FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE
Installation
LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr e-mail : as@annoncesdelaseine.fr
l
l
l
Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01 34 87 33 15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01 42 60 84 40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01 42 60 84 41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01 45 97 42 05 Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède
Comité de rédaction : Rédactrice en chef : Annabelle Reverdy Membres : Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appel Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président de la Chambre des Notaires de Paris Dominique Lencou, Président du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International Publicité : Légale et judiciaire : Commerciale :
Didier Chotard Frédéric Bonaventura
Commission paritaire : n° 0713 I 83461 I.S.S.N. : 0994-3587 Tirage : 12 749 exemplaires Périodicité : bi-hebdomadaire Impression : M.I.P. 3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS
2011
Copyright 2012 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2012, par arrêtés de Messieurs les Préfets : de Paris, du 27 décembre 2011 ; des Yvelines, du 20 décembre 2011 ; des Hauts-deSeine, du 28 décembre 2011 ; de la Seine-Saint-Denis, du 26 décembre 2011 ; du Val-de-Marne, du 20 décembre 2011 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescrites par le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerce et les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contrats et des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la SeineSaint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine. N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales.
- Tarifs hors taxes des publicités à la ligne A) Légales : Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,43 € Yvelines : 5,22 € Hauts-de-Seine : 5,48 € Val-de-Marne : 5,41 € B) Avis divers : 9,75 € C) Avis financiers : 10,85 € D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 € Seine-Saint Denis : 3,80 € Yvelines : 5,22 € Val-de-Marne : 3,83 € - Vente au numéro : 1,15 € - Abonnement annuel : 15 € simple 35 € avec suppléments culturels 95 € avec suppléments judiciaires et culturels COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas
Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
2
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
l
Adrien Leiber
Une ville internationale par Adrien Leiber (…) onsieur le Procureur général, attaché comme nous tous au respect de nos usages et traditions, vous ne serez pas surpris qu'avant de saluer votre arrivée parmi nous, je me tourne un instant vers un passé récent, pour rendre un juste hommage au magistrat qui vous a précédé à la place que vous allez occuper. Je m'efforcerai d'être concis dans l'énumération des talents de Monsieur Jacques Beaume, installé il y a quelques semaines comme procureur général à la cour d'appel de Lyon et dont Monsieur l'avocat général Jacques Schmelck vous parlera mieux que moi. Monsieur Beaume avait acquis, avant d'arriver à la tête du Parquet général de Colmar, une solide expérience de terrain en ayant dirigé de grandes juridictions comme Aix-en-Provence, Bordeaux et Marseille. Il avait également exercé des fonctions de responsabilité à l'administration centrale et avait été membre du Conseil supérieur de la magistrature, mandat prestigieux témoignant de la confiance de ses pairs. Il m'est difficile, en tant que magistrat civiliste, d'apprécier les mérites et compétences de M. Beaume au niveau de l'action publique, mais je peux attester qu'il était très présent, qu'il a réussi à rassembler autour de lui une équipe soudée et solidaire, qu'il s'est beaucoup investi dans l'administration de la cour, en conjugaison avec Monsieur le Premier président Marion, et que ses relations avec les magistrats du siège étaient parfaitement courtoises et cordiales. Nous lui souhaitons plein succès et réussite dans les hautes responsabilités qui sont maintenant les siennes à la cour d'appel de Lyon. A une personnalité de grande qualité devait succéder, Monsieur le procureur général, une autre personnalité de grande qualité et c'est ainsi que vous étiez tout particulièrement destiné à nous rejoindre, même si votre parcours professionnel est sensiblement différent. En effet, si au début de votre carrière vous avez exercé des fonctions pénales à l'instruction et au parquet, notamment comme procu-
M
reur de la République à Roanne, vous êtes surtout connu pour avoir travaillé dans des institutions internationales prestigieuses, auprès des Nations unies à Vienne et au Fonds monétaire international à Washington, dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Depuis 2007 vous étiez le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, école de formation des magistrats dont vous avez profondément réformé les méthodes et axes d'enseignement. Vous voilà à présent nommé procureur général près la cour d'appel de Colmar. Pourquoi Colmar, qui n'est pas la plus grande ville d'Alsace, est-elle restée siège de la cour d'appel jusqu'à ce jour ? Il y a des raisons historiques bien connues, Colmar ayant été depuis 1698 le siège du Conseil souverain d'Alsace créé par Louis XIV, mais il y a aussi des raisons plus contingentes : au tout début du XXème siècle quand les autorités allemandes de l'époque ont pris la décision de construire un nouveau palais pour la cour d'appel, que les Strasbourgeois aurait bien vue chez eux (les choses n'ont pas changé depuis un siècle), Colmar l'a remporté en offrant gratuitement le terrain pour la construction, sacrifiant ainsi un vignoble implanté en ces lieux, et en participant au financement des travaux. Nous avons donc la chance d'avoir cette grande et majestueuse demeure de style baroque viennois (une copie, paraît-il, du château du Belvédère à Vienne en Autriche). Est-ce une petite malice des concepteurs et constructeurs, vous examinerez les sculptures décoratives, qui représentent à cet étage (l'étage du Parquet général) des divinités démoniaques, grotesques, monstrueuses, alors qu'au niveau au-dessus (l'étage des magistrats du siège) vous ne verrez qu'anges et angelots célébrant l'action rédemptrice de la jurisprudence (selon la formule empruntée à notre ancien avocat général M. Jean Lorentz). Derrière moi vous admirerez, encadrée par des plantes vertes mises en place à cette occasion par la municipalité de Colmar, une magnifique tapisserie des Gobelins qui représente, d'après un carton de Raphaël, le Pape Léon le Grand se portant au-devant d'Attila pour le convaincre d'épargner Rome. Puisse-t-il aussi préserver Colmar... Evidemment, depuis un siècle, les locaux destinés au travail sont devenus insuffisants, malgré des extensions au sous-sol et dans les combles, et certains services de la cour ont dû émigrer dans un ancien bâtiment préfectoral situé à proximité. La cour connaît un contentieux important que nous avons réussi à maîtriser jusqu'à présent, mais les temps s'annoncent difficiles dans la mesure où, tant au parquet qu'au siège, des postes devenus vacants ne seront plus pourvus. Pour ceux qui restent il y a peu de place pour l'oisiveté, cette mère de tous les vices, et vous devriez donc trouver ici, Monsieur le procureur général, des magistrats et fonctionnaires vertueux. Dans le domaine pénal qui vous intéresse plus particulièrement, l'Alsace est une région plutôt calme et préservée, la délinquance y étant contenue et maîtrisée, avec un taux moyen de criminalité de 47 pour mille, soit 9 points de moins que la moyenne nationale.
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Installation
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Alain Perret, Gilbert Meyer, Jacques Schmelck, Jean-François Thony, Adrien Leiber et Pierre-Étienne Bisch
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Si les grandes villes du ressort connaissent de temps en temps une flambée - je parle des incendies de voitures en série (qui sont souvent des tentatives d'escroqueries à l'assurance) les lecteurs des médias nationaux qui s'en sont fait l'écho ont surtout appris que Strasbourg ou Mulhouse se trouvaient aussi en France. L'Alsace est en effet une région assez méconnue. Le dialecte, les traditions locales, le climat, voire le droit local font que les Français de « l'intérieur », comme on les appelle ici, assimilent volontiers l'Alsace à l'étranger. En réalité l'Alsace est très attachée à la France, mais elle se situe aussi, du fait de sa culture en grande partie d'origine germanique, au cœur de l'Europe. Strasbourg est depuis fort longtemps une ville internationale puisque c'est au Congrès de Vienne, en 1815, qu'a été créée la Commission centrale pour la navigation du Rhin, présidée au cours des dernières décennies par notre ancien Premier président Paul Haegel. Strasbourg est aussi devenue le siège de grandes institutions européennes : - le Conseil de l’Europe, - le Parlement européen,
- la Cour européenne des droits de l'homme, outre d'autres institutions fréquemment oubliées : l'Eurocorps, associant militaires allemands et français, Arte, télévision européenne qui était au départ franco-allemande. La cour d'appel elle-même a noué depuis une dizaine d'années des relations privilégiées avec les cours d'appel de Karlsruhe (en Allemagne) et de Liège (en Belgique). Ce jumelage tripartite a été désigné sous le terme de Kalico - abréviation de KArlsruhe LIège - COlmar (dans un autre ordre, ça sonnait moins bien !). (…) Des réunions organisées annuellement entre les trois cours d'appel ont été l'occasion de fructueux et amicaux échanges de vues sur des questions qui nous sont communes malgré les différences de législations. Tout récemment, votre prédécesseur, Monsieur le procureur général Beaume et Monsieur le président de chambre Adam, se sont rendus en Algérie pour signer le 13 novembre 2011 une convention de jumelage et de coopération avec la cour d'appel de Sidi Bel Abbès, en application d'un protocole d'accord signé à Alger en 2005 par les ministres de la Justice des deux pays.
Il s’agit de la première convention de jumelage de ce type, qu’il conviendra à présent de mettre en œuvre. Pour terminer cette courte (ou peut-être trop longue) présentation du ressort qui vous est confié, l'honnêteté me porte à vous dire que vous allez y rencontrer une forte proportion d'Alsaciens. Les vicissitudes de l'histoire leur ont donné certes la passion de la liberté et de la justice, un sens aigu de la relativité des êtres et des choses, mais aussi la manie singulière de critiquer à peu près tout et tout le monde et un penchant naturel pour l'ironie et la satire. Mais, même s'ils optent volontiers pour le parti d'en rire, les Alsaciens sont des gens sérieux et travailleurs. Vous rencontrerez dans notre cour des magistrats soucieux d'assumer pleinement leurs responsabilités et des greffiers et fonctionnaires compétents et dévoués au service public. Vous apprécierez les grandes qualités morales des avocats à la cour, faisant encore office d'avoués, avec lesquels nous entretenons depuis longtemps des relations faites d'estime réciproque et de confiance, ainsi que le zèle et l'expérience des auxiliaires de justice. (…)
Le creuset de la réconciliation européenne
Investissement dans le fonctionnement de la cour : gestions administrative, financière et informatique, trois domaines qui ont été l'objet de nombreux changements au cours de ces dernières années. Investissement dans les nombreuses réformes judiciaires, et pour ne citer qu'elles, la carte judiciaire, la garde à vue et l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Investissement enfin pour réaliser le rêve de sa vie professionnelle : être procureur général à Lyon, c'est chose faite maintenant et Monsieur Beaume a ainsi pu retourner à ses premières amours. C'est à cet homme actif, au contact humain facile et à la parfaite connaissance du fonctionnement de nos institutions qu'il vous appartient maintenant, Monsieur le procureur général, de succéder. Comme lui, il va vous falloir découvrir l'Alsace, la connaître, la comprendre et j'en suis sûr l'aimer.
par Jacques Schmelck
l y a, Monsieur le procureur général, dans votre arrivée à la tête de ce parquet général, une double coïncidence avec celle de votre prédécesseur, Monsieur Jacques Beaume : vous arrivez en terre inconnue, vous intégrez, pour la première fois, un parquet général. Pour faire face à cette situation, Monsieur Beaume s'est beaucoup investi. Investissement dans la découverte et la connaissance de l'Alsace, de son patrimoine historique, touristique, de sa gastronomie et de sa production viticole.
I
Jacques Schmelck
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
3
Installation Il s'agit, en effet, d'une terre qui, sans doute, plus que d'autres, est pétrie d'Histoire (avec un grand H) mais aussi d'histoires croisées, spécifiques, douloureuses. Une terre de rencontres, de combats, de réconciliations, une terre de luttes et d'espérances. Une terre, creuset de la réconciliation européenne. Or, cette terre, il faut l'apprivoiser, l'approcher sans la heurter, comprendre sa complexité et celle de ses habitants. Vos grands-parents paternels auraient pu vous en parler mieux que moi. Cela étant dit, l'Alsace présente, sur le plan administratif et juridique, deux spécificités notamment. D'abord, la correspondance totale entre le ressort de la cour et celui de la structure administrative régionale, l'Alsace, avec ses deux départements bas et haut-rhinois. Et puis, l'existence d'un droit local qui s'applique non seulement à l'Alsace, mais aussi au département de la Moselle, point commun avec la cour d'appel de Metz. Sans entrer dans les détails, ce droit local touche des domaines variés : la justice commerciale, le livre foncier, le droit des associations, de la chasse, mais surtout, parce qu'il concerne particulièrement le parquet général, le statut des officiers ministériels (notaires et huissiers). Plus petite région de France, l'Alsace n'en comporte pas moins quatre tribunaux de grande instance. Je ne vais pas les décrire plus en détail, d’autant que vous avez manifesté le souhait de vous y rendre très rapidement et que je ne voudrais pas vous retirer le plaisir de la découverte. Deux, dans chaque département, avec une particularité pour le tribunal de grande instance de Colmar qui, bien qu'étant dans le Haut-Rhin,
possède une compétence dans le Bas-Rhin, à savoir l'arrondissement de Sélestat. Quatre juridictions à l'activité soutenue qui toutes ont ressenti l'évolution de la délinquance et les conséquences de la crise, même si cellesci se sont fait ici ressentir plus tardivement qu'en Vieille France. A cet égard, il convient de souligner l'efficacité des forces de police et de gendarmerie qui, depuis plusieurs années, maintenant, ont permis une diminution globale des crimes et délits et une augmentation de leur taux d'élucidation démontrant ainsi que prévention et répression sont indissociables. Voilà, Monsieur le procureur général, très rapidement et schématiquement présenté le ressort qui sera dorénavant le vôtre. Et c'est pour vous l'occasion d'un retour aux sources de l'activité parquetière. En effet, vous avez pris vos premières fonctions juridictionnelles, en 1982, comme juge d'instruction à Albertville, vous êtes ensuite nommé, en 1984, comme substitut du procureur de la République à Saint-Pierre de La Réunion. Vous rejoignez en décembre 1988 la métropole comme procureur de la République à Roanne. Mais, en 1991, vous quittez la France pour vous installer à Vienne où vous avez été nommé conseiller juridique de l'organisation internationale des stupéfiants. Puis, à partir de 1996 et jusqu'en 2000, vous exercerez les mêmes fonctions à la division des stupéfiants de l'Organisation des Nations unies dans cette même ville. Puis de janvier à mai 2000 vous serez directeur du programme des Nations unies pour le contrôle des drogues. A cette date, vous rejoindrez, et pour deux ans, la France où vous serez conseiller à la cour d'appel de Versailles.
Mais l'appel du grand large étant très fort, vous repartez en 2002, mais à Washington cette fois, pour exercer les fonctions de sous-directeur des affaires juridiques, chargé des questions de lutte contre le blanchiment de l'argent et du financement du terrorisme au Fonds monétaire international. Vous y resterez jusqu'en 2007, date de votre nomination comme directeur de l'Ecole nationale de la magistrature pour laquelle vous initierez et mettrez en place une profonde réforme. Malgré ces quatre années hors de l’international, vous restez le Français le plus connu pour sa compétence dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. C'est dire si vous risquez de trouver de peu d’intérêt les problèmes locaux de blanchiment, même si la situation géographique de notre région nous fait connaître ce genre d'activités et nous conduit, outre les réunions qu'é voquait Monsieur le Président tout à l'heure, à des rencontres régulières avec les autorités judiciaires policières et de gendarmerie de la Suisse et de l'Allemagne. Elles ont permis, et continueront j'en suis sûr de permettre la recherche d'une efficacité toujours plus grande de la lutte contre la criminalité transfrontalière. Nous vous souhaitons donc la bienvenue, Monsieur le procureur général, et une pleine et entière réussite dans vos nouvelles fonctions. Sachez que vous pouvez compter sur la totale loyauté et l'entier dévouement des magistrats de ce parquet dans l'exercice quotidien de notre action. J'ai été beaucoup trop long et je m'en veux car j'aurais pu simplement vous dire, car cela résume tout et règle tout en Alsace « Hopla ».
Garantir les libertés individuelles des citoyens
Enfin, elle est surtout différente par le niveau d’excellence, d’exigence, et le professionnalisme des agents qui y travaillent et de tous ceux qui participent à la marche de la justice. Vous me direz, ce devrait être un motif de satisfaction et de réconfort pour un procureur général, le sentiment que peut avoir le chef d’orchestre qui prend la direction d’un grand orchestre philarmonique rompu à son art, et qui n’a pas à se préoccuper d’éviter les fausses notes pour se concentrer sur quelques nuances dans l’interprétation de l’œuvre… Il est exact que
- cette énergie que génère l’enthousiasme d’embrasser un nouveau défi dans sa carrière -, pour être à la hauteur de vos attentes. Et de l’enthousiasme, je n’en manque pas en cette circonstance. Je suis profondément honoré de la confiance que m’ont fait le garde des Sceaux, et le Conseil de la magistrature qui a avalisé sa proposition, en me donnant la responsabilité de ce parquet général ; je suis heureux de revenir sur le terrain de la pratique judiciaire après de nombreuses années à courir la planète ou à m’occuper de la formation de
par Jean-François Thony […] rendre pour la première fois la direction d’un parquet général est nécessairement un moment fort et un challenge dans la carrière d’un magistrat ; prendre la direction du parquet général de Colmar l’est plus encore, à de nombreux titres. Tout d’abord parce que la cour d’appel de Colmar est une cour d’appel un peu différente des autres ; non pas tant d’ailleurs, comme il vient immédiatement à l’esprit, à cause de l’application du droit local d’Alsace-Moselle, dont je commence déjà à découvrir les charmes. En réalité, si la cour d’appel de Colmar est différente, c’est parce que cette région, l’Alsace, résonne en moi comme nulle autre : c’est la terre que mes grands-parents ont quitté à l’orée de la Première Guerre mondiale pour ne plus y revenir, mais en emportant avec eux une culture, une nostalgie qui fait que, deux générations et quelques périples plus tard - mon père est né normand et moi-même savoyard -, cette Alsace brille toujours d’une présence vivace dans notre patrimoine génétique familial.
P
4
“
Je tire pourtant de mon expérience internationale la conviction que notre système judiciaire français n’a pas à rougir de lui-même, et que sur bien des aspects, il peut servir d’exemple.
”
Jean-François Thony
lorsque l’on apprécie comme moi l’ordre et la rigueur, savoir que ce sentiment est partagé est réconfortant. Pourtant, j’y vois aussi une attente réciproque de la part de tous ceux qui font fonctionner la justice alsacienne, qu’il importe de ne pas décevoir. J’ai donc un peu de « pression sur mes épaules » pour être à la hauteur de ce niveau d’exigence qui est le vôtre. Vous pouvez être assuré que je mettrai toute mon énergie
mes collègues magistrats. Je suis heureux de me mettre au service d’une Cour qui a tant le souci de l’excellence, d’une équipe du parquet général, magistrats et fonctionnaires, si motivés pour leur mission. Je suis heureux de pouvoir mettre à la disposition de la justice alsacienne l’expérience acquise dans les nombreux métiers, toujours dans la robe d’un magistrat, que j’ai exercés depuis plus de trente ans.
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Installation
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Jean-François Thony
Agenda
CONFÉRENCE
Les défis de la gouvernance de l’eau 6 mars 2012 Institut catholique de Paris Renseignements : 01 43 34 09 93 institutchoiseul@com
2012-162
RENCONTRE-DÉBATS
Mais si endosser les habits du procureur général de Colmar représente un challenge si particulier, c’est d’abord en raison de la qualité de ceux qui m’ont précédé dans ces fonctions, et qui ont eux aussi placé la barre très haute en matière de professionnalisme. Même si la liste pourrait être longue de tous les procureurs généraux qui ont marqué l’histoire de cette Cour, je ne peux pas ne pas évoquer le nom de mes deux prédécesseurs immédiats, Bernard Legras et Jacques Beaume. Le premier est resté 6 ans dans cette Cour, et le deuxième quatre ans. Ils ont tous deux acquis par leur travail la réputation de grands serviteurs de la justice française, et de grands spécialistes de l’administration de la justice, au point que… l’Ecole nationale de la magistrature en a fait les référents sur ces questions, en formation initiale comme en formation continue. J’ai ainsi eu l’honneur et le plaisir de les côtoyer et d’apprendre à les connaître, lors de leurs fréquents passages dans les murs de l’Etablissement que j’ai eu la chance de diriger. J’ai ainsi distrait Jacques Beaume assez régulièrement, je dois le dire, de ses obligations envers la cour de Colmar. J’espère que vous ne m’en avez pas trop voulu… Je sais de toute façon que son ardeur au travail, et son dynamisme, ont largement compensé les quelques infidélités qu’il a commises envers la Cour pour le plus grand bonheur de l’Ecole ! A cette occasion, j’ai tissé avec Jacques Beaume des liens d’amitiés d’autant plus simples et naturels qu’il émane de lui une chaleur et une convivialité communicatives. Parfait connaisseur de l’institution judiciaire - il a servi comme sousdirecteur de la magistrature au ministère de la Justice, puis comme membre du Conseil supérieur de la magistrature -, il est aussi un homme de terrain, qui a exercé de nombreuses années à la tête des parquets des plus grandes villes de France - Aix, Bordeaux, Marseille - où il a pu mettre à profit avec succès son autorité naturelle et son grand profes-
sionnalisme. Cette formidable combinaison de compétences, auquel il ajoute ce sens des relations humaines fait de simplicité, de cordialité et d’humour en font pour moi, en même temps qu’un ami, un redoutable devancier, qui me lance le pire des défis, celui de lui succéder ! Vous ne trouverez sans doute pas en moi les mêmes talents, mais vous trouverez la même détermination dans l’animation de l’action publique dans le ressort de la Cour. J’ai en effet comme mon prédécesseur la même vision sur l’importance de la place de la justice dans l’Etat, et je m’emploierai à la défendre ardemment. Depuis Montesquieu et la théorie de la séparation des pouvoirs, depuis nos textes fondateurs, la loi et la Constitution ont confié à l’autorité judiciaire et à elle seule le rôle de poursuivre les infractions à la loi, et la responsabilité de juger tant les auteurs de ces infractions, que de trancher les litiges entre les citoyens. Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement dans les décisions sur les questions prioritaires de constitutionalité le rôle central du juge judiciaire dans les situations qui touchent aux libertés individuelles. Nos concitoyens le demandent, et le recours de plus en plus fréquent au juge montre qu’au-delà d’une vision parfois critique de l’institution judiciaire, notre société attend beaucoup de la justice - parfois même trop, d’où les frustrations que ces attentes génèrent. Notre législateur le sait, qui lui confie de plus en plus de mandats nouveaux, parfois même plus que les maigres moyens de la justice lui permettent d’en absorber. N’oublions jamais que la justice est un pilier fondamental de notre République. Il est frappant de constater que dans nombre de pays où la population se soulève pour demander plus de démocratie, la première revendication est celle de la justice. Ainsi, il n’est pas anodin que le Conseil national de transition libyen ait, au
L’humain face à ses nouvelles responsabilités : mutations scientifiques, révolution numérique, mondialisation, écologie 8 mars 2012 Hôtel Napoléon - Paris (8ème) Renseignements : 01 42 89 29 26 www.haas-avocats.com
2012-163
SÉMINAIRE UIA
Football : contrats joueurs partage des droits et valeur économique 9 et 10 mars 2012 Buenos Aires - Argentine Renseignements : 01 44 88 55 66 uiacentre@uianet.org - www.uianet.org
2012-164
COLLOQUE
Le futur de l’expertise judiciaire civile dans l’Union Européenne 16 et 17 mars 2012 Bruxelles Renseignements : 01 41 49 07 60 www.experts-institute.eu
2012-165
CONFÉRENCE SCIENTIFIQUE ET PROFESSIONNELLE
Actualité de la maîtrise des risques industriels 29 et 30 mars 2012 Sophia-Antipolis Renseignements : www.master-mri.org
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
2012-166
5
Installation
6
magistrat, l’une des missions les plus exigeantes de la République. Car l’autorité judiciaire tient de la constitution un rôle éminent et difficile, celui de garantir les libertés individuelles des citoyens. Par « autorité judiciaire » il faut comprendre, le Conseil constitutionnel l’a rappelé, à la fois les magistrats du siège et du parquet. C’est ainsi qu’il revient au magistrat du parquet, autant qu’au magistrat du siège, la responsabilité au sein de l’Etat d’assurer la protection des libertés individuelles. C’est cela, la spécificité de ce qu’on appelle parfois le « ministère public à la française ». C’est pour cela que les magistrats du siège comme du parquet sont soumis aux mêmes règles déontologiques, et sont formés à la même école - ce qui surprend parfois nos collègues étrangers. C’est pour cela que les magistrats français peuvent indifféremment passer du siège au parquet et inversement, parce qu’ils y ont la même responsabilité, celle de protéger les libertés, dans des fonctions différentes, celles d’appliquer la loi ou celle de juger. C’est pour cela que la loi a confié au magistrat du ministère public bien d’autres responsabilités que celles d’accusateur public, dans laquelle sont confinés les ministères publics d’autres pays.
Christine Seyler
C’est lui qui a la responsabilité de contrôler les lieux de privation de liberté, des locaux de garde à vue jusqu’aux hôpitaux psychiatriques en passant par les établissements pénitentiaires. C’est lui qui a la surveillance et la direction de la police judiciaire. C’est lui qui a la responsabilité de protéger les citoyens contre le crime, l’une des menaces les plus quotidiennes aux libertés individuelles des citoyens, ne l’oublions pas ! Le magistrat du ministère public, dans notre système, est le premier rempart institutionnel de la protection individuelle des libertés. C’est la raison pour laquelle je m’érige, et je m’érigerai toujours contre les coups de boutoir d’une idéologie diffuse et d’une construction internationale du droit qui voudrait que - par quel miracle ? - la protection des libertés individuelles passe par le confinement du ministère public à son seul rôle d’accusateur public, à l’instar des systèmes de common law. L’actualité politico-judiciaire outre-Atlantique nous a montré il y a quelque temps, quels que soient les mérites des faits livrés en pâture à l’opinion
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
plus fort du soulèvement populaire, établi ses quartiers généraux dans un palais de justice, comme le dernier rempart contre l’arbitraire. En Egypte comme en Tunisie, l’une des priorités après le soulèvement a été de confier à la justice le soin de juger les malversations présumées de ses anciens dirigeants. A nos démocraties post-modernes, où se perdent parfois la hiérarchie des valeurs, les peuples de ces pays, de la Birmanie au monde arabe, rappellent que la justice est bien plus qu’une administration de l’Etat chargée d’un service public, elle est un des socles sur lesquels se fonde toute société. Nous devons ainsi la protéger comme un bien précieux et lui assurer la place qui doit être la sienne dans notre système démocratique. Tout cela s’appelle dans le jargon judiciaire un plaidoyer pro domo… Mais il s’adresse également à nous-mêmes, car la place particulière de la justice dans l’Etat nous impose également à nous, magistrats du parquet comme du siège, une responsabilité particulière dont nous devons être pleinement conscients. Car si la justice est bien plus qu’une administration de l’Etat, les magistrats ont de ce fait une responsabilité bien plus lourde lorsqu’ils rendent la justice. Chaque fois que nous dévions de ce que nos concitoyens attendent de nous, même cursivement, nous faisons vaciller notre propre édifice. Rien n’est pardonné à la justice, et c’est normal, parce que le niveau d’exigence qui lui est demandé est hors-normes. Il nous appartient dès lors d’être en permanence à la hauteur de ce niveau d’exigence. Les attentes sont certes parfois contradictoires, les critiques souvent sévères, tant il est vrai qu’on ne peut pas attendre de la justice chaque chose et son contraire. Le roi Henri IV disait de ses sujets : « Le naturel des Français est de ne point aimer ce qu’ils voient ». Il semble que le temps qui passe lui donne toujours raison tant notre justice est, chez nous, l’objet de remises en cause fréquentes. Je tire pourtant de mon expérience internationale la conviction que notre système judiciaire français n’a pas à rougir de lui-même, et que sur bien des aspects, il peut servir d’exemple. Je ne me suis d’ailleurs pas privé, au cours de mes années passées à courir le monde en tant que conseiller juridique des organisations internationales, de m’en faire l’avocat d’autant plus empressé que j’en étais intimement convaincu. Mais plutôt que de me morfondre devant… l’injustice de certaines remarques sur notre système judiciaire, je préfère pour ma part feuilleter aussi régulièrement que j’ai de moments libres un petit ouvrage qui se trouve toujours sur le coin de mon bureau : le Recueil des obligations déontologiques du Conseil supérieur de la magistrature, qui fixe six règles claires et limpides pour orienter dans leur action les magistrats tant au siège qu’au parquet : indépendance, impartialité, intégrité, légalité, attention aux autres, discrétion et réserve. Tout est dit, tout est là. Plus qu’un recueil d’obligations, il est un vrai manuel de savoir-être à l’attention de nous tous. J’ai souhaité, depuis sa parution, qu’il en soit remis un exemplaire à tous les futurs collègues qui entrent à l’Ecole nationale de la magistrature. J’y trouve moi-même chaque jour un guide précieux dans l’exercice de mes fonctions de
publique, les dérives d’un système pourtant présenté par certains comme le grand soir en matière de protection des libertés individuelles. Veut-on d’un système où la réputation d’un procureur est basée sur le nombre de condamnations qu’il obtient ? Veut-on d’un système où l’enquête pénale n’est pas conduite sous la direction d’un magistrat ? Pour ma part, déconstruire ce système judiciaire « à la française » basé sur l’équilibre des rôles respectifs du magistrat du siège et du magistrat du parquet pour la protection des droits est un pari risqué. D’autant qu’aujourd’hui, avec l’engagement pris par le Président de la République de mettre les textes en conformité avec la pratique selon laquelle les magistrats du parquet sont nommés dans les mêmes conditions que les magistrats du siège, avec des garanties déontologiques identiques, avec les garde-fous posés par le Code de procédure pénale sur l’exercice de l’autorité hiérarchique, la question de l’indépendance du parquet ne se pose plus. Quant à la question de l’impartialité, elle procède de l’affirmation que le parquet serait une partie comme les autres, ce qui ne sera jamais le cas, ne serait-ce que parce qu’il est chargé de défendre la loi et non une des parties au procès. Nos obligations déontologiques fixent, je le rappelle, le même devoir d’impartialité au juge qu’au procureur. Veiller à l’application de la loi, c’est protéger l’état de droit et les libertés individuelles des citoyens. Or, la première menace contre l’état de droit et contre les libertés individuelles, c’est celle de la criminalité et en particulier du crime organisé et du terrorisme, qui constituent un risque systémique pour les fondements de notre société. Et si heureusement la région alsacienne est relativement préservée de ce type de criminalité, il serait illusoire de penser qu’elle en est définitivement à l’abri. Je tire de mon expérience dans des organisations internationales spécialisées en la matière que cette zone présente une relative vulnérabilité, qui provient de sa position de carrefour entre plusieurs régions intra-européennes qui sont elles-mêmes concernées par les phénomènes criminels liés au trafic de drogues, au trafic d’êtres humains, au blanchiment de l’argent ou aux activités des cellules terroristes. La coopération qui a été mise en place par les parquets et les services de police de l’ensemble des pays frontaliers de cette zone devront être poursuivis avec détermination afin de continuer de protéger notre région aussi efficacement que cela l’a été jusqu’alors grâce. J’en ferai une de mes priorités, en relation directe avec la JIRS de Nancy, chargée de traiter ces phénomènes criminels. Mais à part cette remarque générale, je n’aurai pas l’outrecuidance de vous faire aujourd’hui une déclaration de politique d’action publique faite de jugements définitifs sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, alors que je suis arrivé depuis trois jours ! Jacques Beaume a dit lui-même, lors de son installation à la cour d’appel de Lyon : « soit l’arrivant déçoit par son silence, soit il agace par son assurance ». Je préfère prendre le risque de décevoir. Ce que je vais faire - mais cela, je peux l’affirmer - c’est de me mettre à l’écoute de tous ceux qui contribuent à l’action de la justice dans le ressort de la cour d’appel, et même audelà, car je sais la coopération efficace qui
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Installation existe avec les cours d’appel du grand Est, et avec nos amis d’Outre-Rhin. Je m’entourerai des avis de mes collègues du parquet général, avec lesquels j’ai l’intention de travailler de la manière la plus collégiale, car c’est ma manière de fonctionner. Vous représentez, mes chers collègues, une somme de savoir et d’expérience qui, mise en commun, constitue une force de frappe que j’ai bien l’intention d’exploiter pour le bien de la cour ! Sur la base des attentes de chacun, et de la réflexion menée en commun, nous pourrons alors donner les impulsions nécessaires à l’animation des politiques pénales du ressort. Madame et Messieurs les procureurs de la République du ressort, chers collègues, Laissez-moi vous dire combien je suis heureux de m’engager auprès de vous dans cette belle mission qui est la vôtre. Je n’entends pas m’immiscer dans la conduite de l’action publique qui est de votre compétence, et vous pouvez compter sur moi pour vous laisser la plus large autonomie, d’autant que ma confiance vous est acquise. Je remplirai malgré tout l’ensemble des responsabilités qui sont les miennes en matière d’animation et de coordination, pour que l’action publique s’exerce
est confiée par la Constitution, elle serait confiée à d’autres et le procureur deviendrait un seul accusateur public, qui n’aurait alors plus de vocation particulière à avoir le statut d’un magistrat. Monsieur le Maire de Colmar, J’ai beaucoup de plaisir à venir m’installer dans cette ville dont on m’a tant vanté la beauté, et dont vous êtes le premier magistrat. Votre présence ici, et la contribution que votre mairie a apportée à l’organisation de cette cérémonie, montrent l’importance que vous attachez à l’institution judiciaire de votre ville et de votre région. Je vous en remercie vivement au nom de tous. Messieurs les bâtonniers, Je suis un magistrat de la vieille école, de ceux qui considèrent que si nos fonctions peuvent nous amener à nous opposer dans un prétoire, nos relations doivent en permanence être empruntes de respect mutuel, de confiance réciproque et de cordialité. C’est ainsi que nous les vivions lorsque j’étais jeune magistrat - il est vrai que c’était au siècle dernier ! Monsieur le Bâtonnier Burguburu, ancien bâtonnier du barreau de Paris qui m’a fait
“
C’est la raison pour laquelle je m’érige, et je m’érigerai toujours contre les coups de boutoir d’une idéologie diffuse et d’une construction internationale du droit qui voudrait que - par quel miracle ? - la protection des libertés individuelles passe par le confinement du ministère public à son seul rôle d’accusateur public, Jean-François Thony à l’instar des systèmes de common law.
”
de la manière la plus cohérente et la plus efficace possible, en vous apportant notamment tout le soutien dont vous avez besoin - dans la mesure de mes moyens bien sûr ! La coordination de cette action impose la circulation la plus fluide possible de l’information dans les deux sens, et je compte sur vous pour y veiller, comme vous pouvez compter sur moi pour vous donner le matériau dont vous avez besoin pour conduire votre action de la manière la plus informée. N’abdiquez jamais face aux contraintes des moyens, au flot des affaires, à l’adversité ou aux critiques. Rappelez-vous sans cesse que pour une victime, l’affaire la plus bénigne est toujours pour elle l’affaire d’une vie, et si nous n’avons pas d’autres choix que celui qui consiste à établir des priorités dans notre action, nous avons le devoir d’apporter une réponse à chacun des justiciables qui vient demander réparation. Gardons toujours présent à l’esprit que ce qui fait la noblesse de notre métier de magistrat du parquet, c’est ce rôle particulier que je rappelais tout à l’heure de garant des libertés individuelles des citoyens. A ce titre, si nous devons être impitoyables avec la délinquance, nous devons aussi prendre avec le plus grand sérieux en particulier notre devoir de contrôle des lieux de privation de liberté. S’il arrivait que nous fassions défaut à cette responsabilité qui nous
l’honneur et l’amitié d’être présent aujourd’hui, sait, parce que nous avons travaillé ensemble dans ce cadre, que je n’ai jamais cessé, pendant mon passage à l’Ecole nationale de la magistrature, d’intégrer dans la pédagogie une culture judiciaire commune à nos deux professions. Le stage de longue durée rendu désormais obligatoire par la loi de 2007, a considérablement fait évoluer notre perception réciproque. Un des doyens des enseignements à l’Ecole de la magistrature est un représentant respecté du barreau, Madame le Bâtonnier de La Garanderie. Nous avons signé un accord avec le Conseil national des barreaux pour ouvrir la formation continue de l’Ecole aux avocats. Nous avons accueilli à l’Ecole tous les ans des élèves avocats qui y font, pendant la période d’études des auditeurs, leur « projet professionnel individualisé ». Laurent Zuchowicz et Emmanuelle Spiteri-Doffe, sous-directeurs à l’Ecole qui sont venus me soutenir dans la difficile mue qui m’a fait quitter les habits de directeur de l’Ecole pour revêtir aujourd’hui ceux de procureur général, peuvent témoigner que l’un des plus beaux moments de cette scolarité, c’est celui où les auditeurs offrent un pot de départ aux élèves avocats qui quittent l’Ecole. Lors du dernier pot qui a eu lieu il y a quelques semaines, les
élèves avocats ont adressé leurs remerciements aux auditeurs… en chansons ! Au-delà de l’anecdote, je suis intimement convaincu que ces petites révolutions contribueront à entretenir ce climat de confiance et de respect mutuel auquel nous aspirons. Mesdames et Messieurs les représentants de la douane, de la police et de la gendarmerie judiciaires, Vous êtes nos collaborateurs les plus proches dans notre infatigable lutte contre le crime. La loi a confié au procureur général la surveillance de la police judiciaire. Surveiller, cela veut dire pour moi être attentif dans tous les sens du terme : attentif à votre action, attentif au respect du cadre procédural et du cadre déontologique, attentif à l’efficacité des enquêtes, mais aussi attentif à vos attentes, attentif à vos besoins de coordination, attentif à vos besoins d’information mais aussi de formation. J’apporterai un soin particulier à fluidifier les procédures administratives d’habilitation et d’évaluation des OPJ, qui - pour utiliser un jargon de technocrate - présentent des marges de rationalisation. Mesdames et Messieurs les fonctionnaires du ressort de la cour d’appel, Si notre justice est pauvre, elle compte en son sein un trésor : celui de ses ressources humaines. Je sais votre motivation et votre engagement au service de la justice, et votre grande compétence professionnelle, qui est d’une manière générale un trait commun des agents de notre ministère. Bien sûr, même si le garde des Sceaux a obtenu qu’un effort considérable soit fait pour renforcer les effectifs dans les juridictions, notamment de greffiers, l’augmentation des contentieux comme de la charge de travail des cours et tribunaux du fait des modifications législatives - hospitalisations sans consentement, garde à vue, etc. font que nos besoins réels ne seront jamais pourvus à la hauteur de nos espérances. Il ne nous reste qu’à compter sur nous pour rationaliser toujours plus notre façon de travailler. Rationnaliser ne veut pas forcément dire faire plus avec moins. Cela veut surtout dire faire mieux, par exemple en identifiant les processus inutiles pour les supprimer, ou innover lorsque notre cadre procédural nous le permet. Je compte sur vous pour faire remonter toutes les pratiques innovantes ou qui améliorent la qualité du service en le simplifiant, afin qu’elles puissent être partagées par le plus grand nombre, notamment dans le cadre de l’initiative mise en place par la Chancellerie de mise en commun des pratiques innovantes. Mais cette réflexion sur l’amélioration des pratiques, nous pouvons la mener très simplement à notre niveau, et vous pourrez compter sur tout mon soutien, comme je compte moimême sur toute votre inventivité. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, J’ai beaucoup parlé, il me reste maintenant à me mettre au travail. Au moment de mon installation dans mes nouvelles fonctions, il était normal que je vous tienne un discours ponctué de « voilà ce que je ferai ». Mais comme le disait le philosophe Alain : « le futur n’a de sens qu’à la pointe de l’outil ».
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
2012-159
7
Rentrée solennelle
Ecole Nationale de la Magistrature Auditeurs de justice de la Promotion 2012 - Bordeaux, 30 janvier 2012
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
La séance solennelle de Rentrée de la promotion 2012 des auditeurs de justice s’est déroulée le 30 janvier dernier à l'Ecole Nationale de la Magistrature à Bordeaux en présence de Michel Mercier, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, de Vincent Lamanda et Jean-Claude Marin, respectivement Premier Président et Procureur Général de la Cour de cassation. Cherif Bassiouni, parrain de la promotion 2012 de l’ENM, Professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de DePaul à Chicago, Président de l’Institut International des Droits de l’Homme, Président de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Lybie et de la commission d’enquête indépendante de Bahreïn, a donné une conférence intitulée : « Dans le monde, aujourd’hui, on se bat pour la justice » ayant montré comment les revendications sur la justice sont au premier plan dans les mouvements démocratiques actuels. Ces prestigieuses personnalités ont été accueillies par le Directeur Jean-François Thony. Après quatre années passées à la tête de l’unique école de formation des magistrats de l'ordre judiciaire français, il vient de rejoindre le Parquet général près la Cour d’Appel de Colmar et c’est Xavier Ronsin, ancien Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Nantes qui a été nommé par un décret du 16 février dernier pour lui succéder. Cette promotion 2012 qui est constituée à 80,28% de futures magistrates est composée de 153 auditeurs issus du premier concours (ouvert aux étudiants), 18 auditeurs du deuxième concours (ouvert aux fonctionnaires), 4 auditeurs du troisième concours (ouvert aux personnes justifiant d’au moins 8 années d’e xpérience professionnelle dans le secteur privé), et 38 recrutements sur titres. Comprenant 213 auditeurs de justice, contre 138 en 2011, cette promotion correspond au souci de répondre aux besoins des juridictions qui doivent notamment faire face à la mise en œuvre de la réforme des hospitalisations sans consentement et celle sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice. Jean-René Tancrède
Compétence, excellence et exemplarité
1. Vous avez choisi un métier fantastique, fait tout autant de convictions que de doutes mais assurément, jamais d’ennui.
par Jean-Claude Marin esdames et Messieurs les auditeurs de Justice de la promotion 2012, Votre entrée solennelle au sein de cette Ecole signe évidemment une certaine forme d’aboutissement pour chacun d’entre vous, mais manifeste surtout le commencement d’une vie nouvelle, d’une vie professionnelle au service de la Justice. Je ne souhaite pas vous effrayer mais je dois vous avertir : le plus dur reste à faire. Vous êtes
M 8
d’excellents juristes, apprenez maintenant à devenir d’excellents magistrats.
Votre qualité fera de vous un des garants des libertés individuelles, dans le cadre de votre activité judiciaire bien sûr, mais également audelà des murs de vos cours et tribunaux, au cœur d’une cité qui aspire chaque jour un peu plus à voir le magistrat s’ouvrir à elle. 2. Vous avez par ailleurs choisi un métier en pleine mutation, différent à bien des égards de celui que l’auditeur que je fus, découvrît le 1er février 1975.
Il est des différences bien visibles, qui frappent aisément le contemplateur de cette cérémonie. Ainsi, votre promotion est constituée à 80,28% de futures magistrates. Mais, au-delà de cette différence chromosomique, la liste des acteurs du monde judiciaire s’est également bien étoffée, faisant entrer en scène journalistes, monde associatif, élus, membres des collectivités locales, entraînant par conséquent la nécessité toujours plus affirmée de renseigner, d’expliquer voire de justifier. Nous sommes dans une maison de verre, qui ne peut plus se satisfaire d’une communication a minima et vous devrez savoir, vous devrez pouvoir, justifier, expliquer chacun de vos actes, afin que, dans un exercice de pédagogie
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Rentrée solennelle
3. Mais vous avez surtout choisi un métier exigeant.
Une exigence qui se mesure à l’aune des prérogatives exceptionnelles qui vont être les vôtres et qui doivent susciter, parce qu’elles font peser sur vous une fonction essentielle à notre démocratie, appréhension, questionnements, mais aussi humble fierté. Etre magistrat, c’est incarner une institution fondamentale de la République. Aussi, compétence, excellence et exemplarité, devront toujours raisonner dans votre esprit, aux côtés des termes des serments que vous allez prêter, d’auditeur de justice d’abord, de magistrat ensuite, et qui devront vous servir de viatique, tout au long de votre vie professionnelle. Votre statut vous imposera de vous comporter, en toute circonstance, dignement, loyalement, dans le respect des règles d’éthique et de déontologie que tout magistrat se doit d’honorer, afin que le regard porté par la société sur sa magistrature, qu’il s’agisse des juges ou des procureurs, soit toujours frappé du sceau de l’estime et de la confiance. L’éthique et la déontologie, éléments fondamentaux communs à l’exercice de
fonctions essentielles à la réalité d’un Etat de Droit, vont faire partie des temps forts de votre formation, mais, vous le savez, ces guides de la conscience doivent irriguer bien au-delà de votre vie professionnelle. Il en va de la confiance que l’institution doit inspirer à chaque instant aux justiciables. A cet égard, le Recueil des règles déontologiques établi par le Conseil supérieur de la magistrature et la jurisprudence de ce dernier dans l’exercice de ses fonctions disciplinaires, constitue sans doute de puissants repères, de même que cette règle fondamentale en matière d’éthique, qui veut que si l’on s’interroge sur le comportement à adopter face à une situation donnée, c’est qu’il y a vraisemblablement un risque d’entorse aux principes éthiques et déontologiques. Le fil rouge de cette condition exigeante ne se trouve-t-elle pas dans ces mots d’Albert Camus : « La Justice est une chaleur de l’âme » ? 4. S’il existe deux formations du Conseil supérieur de la magistrature, l’une compétente pour les magistrats du Siège, l’autre compétente pour les magistrats du Parquet, il n’y a qu’un Conseil supérieur de la magistrature, de même qu’une Magistrature, qui est, et doit, rester unique, nous y sommes tous profondément attachés.
Plus que jamais au cours de votre carrière, vous allez comprendre, ressentir même, ce que signifie l’unité de corps car vous êtes tous juges et procureurs en puissance, au sein d’une école chargée, depuis son origine, de la formation initiale et continue de l’ensemble des magistrats français. Vous permettrez au procureur général de la Cour de cassation de s’appesantir quelques instants sur les magistrats du Ministère public. Les procureurs sont en effet autant de magistrats formant, avec les juges, un corps judiciaire unique. Le procureur n’est pas seulement le représentant d’un organe dont la seule mission est d’engager l’action publique et de soutenir l’accusation. Il est, comme son collègue du Siège, un magistrat à part entière dont la mission est de s’assurer que la loi est appliquée de la même
REPÈRES
Profil de la promotion 2012 E
n 2011, 1 700 candidats se sont présentés aux trois concours d’accès à l’Ecole nationale de la magistrature. Ils sont 213 admis en 2012 versus 138 en 2011.
Ainsi, certaines ont déjà exercé les professions suivantes : lieutenant de police, officier armée de terre, professeur certifié de philosophie, inspecteur du Travail...
Une diversité des auditeurs recrutés La diversité des profils s’explique en grande partie par les différents types de recrutement. En effet, si le 1er concours s’adresse à des candidats âgés de 18 à 31 ans, après minimum un bac +4, il existe trois autres manières d’être accepté à l’ENM : être fonctionnaire depuis 4 ans au moins et avoir moins de 48 ans et six mois, ou avoir 8 ans d’expérience dans le privé et être âgé de moins de 40 ans. Enfin, les personnes recrutées sur titre ont une expérience de 4 ans dans le domaine juridique ou économique ou social, une maîtrise de droit et doivent être âgées de 27 à 40 ans.
La féminisation se confirme En 2012, la proportion de femmes est élevée puisqu’elle atteint 80,28%. Cette proportion augmente notamment parmi les auditeurs de justice issus du premier concours où les femmes sont 86,93%. Une proportion plus élevée car les candidats des 2ème concours, 3ème concours et recrutement sur titre traditionnellement plus masculins, sont moins représentées. Cette féminisation n’est pas le résultat d’une meilleure réussite des femmes au concours. En effet, 84,14% des candidats inscrits aux concours sont des femmes contre 15,86% d’hommes. Ceci s’explique
notamment par la féminisation de la filière tout entière du droit. Une tendance lourde puisque l’évolution depuis 1984 est constante et trouve d’abord son origine dans une tendance sociétale. De la maturité et de l’expérience L’âge moyen de la promotion 2012 a diminué au regard de 2011 car la proportion d’auditeurs recrutés par 1er concours est plus importante : il est cette année de 28 ans. Cette moyenne diffère en fonction des différents modes de recrutement. Cela implique que lors de leur première prise de poste, les auditeurs de justice auront en moyenne 30 ans. Une maturité qui est nécessaire à l’exercice du métier de magistrat. De plus, ils sont environ 63% à avoir une expérience professionnelle en arrivant à l’Ecole, dont 49% pour les auditeurs de justices issus du 1er concours.
Cherif Bassiouni
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
judiciaire, ils soient compris et acceptés de l’ensemble du corps social. Une autre évolution fondamentale qui impacte fortement le métier de magistrat, réside dans la montée en puissance de la place des normes et de la jurisprudence européennes, ayant pour corollaire une exigence d’ouverture sur le monde, facilitée par une formation adéquate qui prenne en compte ces impératifs, non seulement au moment de votre formation initiale, mais aussi tout au long de votre carrière. Au-delà de ces quelques exemples, ayez conscience de ce que la Justice est engagée dans un profond processus de modernisation : dématérialisation des procédures pour favoriser la réactivité de la réponse judiciaire et la qualité des échanges avec l’ensemble de nos partenaires, spécialisation des contentieux et des magistrats pour s’adapter à la spécialisation et à la sophistication du droit, ainsi qu’aux nouvelles technologies.
façon pour tous, que les libertés publiques sont respectées et que les citoyens, quels que soient leur statut et leur condition, ont un libre accès à la justice. C’est la raison pour laquelle, outre sa mission de poursuite des infractions à la loi pénale, le Ministère public est chargé également, en France, de contrôler et de diriger la police judiciaire dès le début des investigations, d’inspecter les lieux de privation de liberté, de surveiller les professions qui sont dépositaires d’une parcelle de l’autorité publique, de veiller au respect de l’intérêt général dans les procédures commerciales, de représenter la loi dans les procédures civiles pour ne citer que quelques exemples de cette magistrature investie dans l’intérêt de tous. Cette mission fait du procureur, le premier rempart dans la défense de l’Etat de droit et celle de la garantie des libertés des citoyens, au même titre que le juge lui-même. C’est pourquoi notre système judiciaire a été conçu pour que ces deux fonctions différentes soient exercées par les membres d’un même corps, celui de la magistrature, soumis aux mêmes obligations déontologiques, à la même éthique, et formés à la même école. Leur comportement individuel doit donc être irréprochable et exemplaire et ne pas laisser germer le moindre soupçon de partialité dans l’accomplissement de leur mission. Acteur de la Justice, porteur de l’immense tâche de défense de l’intérêt général que certains se plaisent parfois à confondre avec l’intérêt du gouvernement, porte-parole du sens de l’action judiciaire à l’égard de la société civile et d’abord et surtout composé de magistrats, voilà ce qu’est profondément notre parquet « à la française », un parquet que je vous souhaite de découvrir et d’apprécier comme je le fais chaque jour avec bonheur depuis 37 ans. A l’heure où sonne le moment de la fin de ce discours, je forme à l’adresse de chacun d’entre vous, des vœux sincères de pleine et entière réussite dans vos futures fonctions, espérant que, tout comme moi, vous ferez votre cette citation de Charles Péguy : « Un juge habitué est un juge mort pour la Justice ».
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
2012-160
9
Jurisprudence
Election présidentielle et parrainages Commentaire de la décision 2012-233 rendue par le Conseil constitutionnel le 21 février 2012
ar décision du 2 février 2011, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, la question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Marine Le pen. Cette question porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. Dans cette procédure, les demandes d’intervention de Mmes Corinne Lepage et Christine Boutin ont en outre été admises sur le fondement de l’article 6 du règlement intérieur du Conseil constitutionnel relatif à l’examen des QPC. Par sa décision n°2012-233 QPC du 21 février 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel conforme à la Constitution.
P
I. Les dispositions contestées L’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 est un article d’application des articles 6 et 7 de la Constitution. Aux termes de l’article 6 de la Constitution : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique ». Le neuvième alinéa de l’article 7 de la Constitution dispose, en visant tous les cas de décision ou d’empêchement d’un candidat à l’élection
présidentielle : « Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel est saisi dans les conditions fixées par le deuxième alinéa de l’article 61 ci-dessous ou dans celles déterminées pour la présentation d’un candidat par la loi organique prévue à l’article 6 ci-dessus ». Ces articles ont été modifiés, respectivement, par les articles 1 er et 2 de la loi référendaire du 6 novembre 1962. Indépendamment de son dernier alinéa sur la publication des noms de cinq cents citoyens élus habilités à présenter des candidats à l’élection présidentielle, l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 fixe les autres règles de cette procédure de présentation : fonctions des citoyens pouvant présenter un candidat ; exigence de diversité géographique (présentations provenant d’au moins trente départements, maximum d’un dixième de présentations pour un même département) ; terme de la période de présentation ; rôle du Conseil constitutionnel dans le contrôle des présentations. L’ensemble de ces dispositions et le rôle du Conseil constitutionnel sont présentés de manière très complète dans l’article de Jean-Claude Colliard paru dans le n°34 des Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel (premier trimestre 2012). A la suite de Jean-Claude Colliard, il convient de rappeler que ces dispositions sur la présentation des candidats à l’élection présidentielle ont évolué au gré des modifications de la Constitution du 4 octobre 1958 et de la loi du 6 novembre 1962. A l’origine, le dispositif était bien sûr très différent puisque le Président de la République était élu par un collège. Les membres de ce collège pouvaient également présenter les candidats. Cinquante présentations étaient nécessaires pour être candidat. Lors de l’élection du 21 décembre 1958, Albert Châtelet, Charles de Gaulle et Georges Marrane furent candidats après avoir rempli cette condition.
REPÈRES
Conseil constitutionnel Décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012 Le Conseil constitutionnel, (…) 1. Considérant qu’aux termes du cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature » ; 2. Considérant que, selon la requérante, en imposant de
10
rendre publics le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé un candidat à l’élection présidentielle, ces dispositions méconnaîtraient les principes d’égalité et de secret du suffrage ; que cette publicité aurait pour effet de dissuader les personnes habilitées de présenter certains candidats et, par suite, méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions ; qu’en outre, selon la deuxième intervention susvisée, cette publicité porterait atteinte à l’égalité entre personnes
habilitées à présenter les candidats à l’élection présidentielle ;
Sur la recevabilité : 3. Considérant que les dispositions contestées sont issues du paragraphe II de l’article unique de la loi organique du 18 juin 1976 susvisée ; que cette disposition a été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 1976 susvisée ; 4. Considérant toutefois que,
par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le constituant a complété l’article 4 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ; que cette disposition constitutionnelle nouvelle, applicable aux dispositions législatives relatives à l’élection présidentielle, constitue un changement des circonstances de droit justifiant, en l’espèce, le
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
réexamen de la disposition contestée issue de la loi du 18 juin 1976 susvisée ;
Sur le fond : 5. Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution : « Le suffrage… est toujours universel, égal et secret » ; que les principes d’égalité et de secret du suffrage s’appliquent à l’élection présidentielle ; qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation
Jurisprudence Le dispositif a été profondément revu lors de la révision constitutionnelle de 1962. La loi référendaire du 6 novembre 1962 comprenait, comme il a été dit, deux articles modifiant les articles 6 et 7 de la Constitution, un article 3 organique en fixant les modalités d’application et un article 4 organique relatif au renvoi aux dispositions du Code électoral. Le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour connaître de cette loi référendaire(1). En 1962, cent présentations, émanant de membres du Parlement, membres du Conseil économique et social, conseillers généraux ou maires, parmi lesquels devaient figurer des élus d’au moins dix départements, étaient exigées par cet article 3 qui spécifiait que le nom et la qualité des présentateurs n’étaient pas rendus publics. Dans ses observations sur l’élection présidentielle de 1974, le Conseil constitutionnel avait formulé l’observation suivante : « Si le principe de la présentation des candidats par certaines catégories de citoyens n’appelle aucune critique, il importe, pour respecter l’esprit même de l’institution de l’élection du Président de la République par le suffrage universel, que les candidatures aient une assise véritablement nationale. Il est également indispensable que tout courant réel d’opinion puisse susciter une candidature. « A ces fins, il conviendrait d’augmenter le nombre de présentations et d’e xiger que les signataires de celles-ci comprennent des élus du quart au moins des départements et territoires tout en évitant de paraître conférer à l’une quelconque des catégories de citoyens habilités à signer des présentations un privilège par rapport aux autres. « La présentation d’un candidat à l’élection du Président de la République est un acte politique grave. Il importe donc de l’entourer de toute la solennité nécessaire. À cette fin, il y aurait lieu, d’une part, d’exiger que les présentations fussent établies sur des formulaires officiels tenus à la disposition des citoyens et, d’autre part, de rendre publique, pour chaque candidat, la liste des auteurs de présentations. » A la suite de cette observation, l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 a été modifié par la loi organique n°76-528 du 18 juin 1976. Cette loi a fixé le dispositif actuellement en vigueur : premièrement, la qualité des présentateurs a été modifiée (ont été exclus les membres du Conseil économique et social - CES - mais ont été ajoutés les membres des assemblées territoriales d’outre-mer) ; deuxièmement, leur nombre a été relevé : cinq cents présentateurs provenant d’au moins trente départements ou collectivités d’outre-mer avec un maximum d’un dixième pour un même département ou collectivité d’outre-mer ; troisièmement, a été instituée la publication de la liste de cinq cents présentateurs par le Conseil constitutionnel. Ainsi le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, contesté dans la présente QPC, est issu de cette loi organique du 18 juin 1976 et n’a jamais été modifié depuis lors. Dans sa décision n°76-65 DC du 14 juin 1976, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution cette loi organique modifiant la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel :
équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ; que le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est un fondement de la démocratie ; 6. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La Loi… doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; 7. Considérant que le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée
détermine certaines des modalités selon lesquelles le Conseil constitutionnel établit, préalablement à la tenue de l’élection présidentielle, la liste des candidats à cette élection ; que la présentation de candidats par les citoyens élus habilités ne saurait être assimilée à l’expression d’un suffrage ; que, par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient, à l’égard de ces citoyens élus, les principes d’égalité et de secret du suffrage est inopérant ; 8. Considérant que les dispositions contestées assurent une publicité des choix de présentation des candidats à l’élection présidentielle par les citoyens élus habilités ; qu’en instaurant une telle publicité, le législateur a entendu favoriser la transparence de la procédure de présentation des candidats à l’élection présidentielle ; que cette publicité ne saurait en ellemême méconnaître le principe
« 1. Considérant que la loi organique dont le Conseil constitutionnel est saisi, avant promulgation, aux fins d’appréciation de sa conformité à la Constitution, a pour objet, en modifiant les deuxième et dernier alinéas du I ainsi que le II de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962, d’augmenter le nombre des signataires de présentations requis pour la validité des candidatures à l’élection présidentielle, tout en limitant l’exercice de ce droit aux titulaires d’un mandat électif, d’élever le nombre des départements ou territoires d’outre-mer dont ces signataires doivent être les élus, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou territoire d’outre-mer, enfin, de prescrire que soient rendus publics, dans la limite du nombre exigé pour la validité de la candidature, le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste établie par le Conseil constitutionnel au vu de ces présentations ; « 2. Considérant que ce texte, pris dans la forme exigée par l’article 6, deuxième alinéa, de la Constitution et dans le respect de la procédure prévue à l’article 46 n’est contraire à aucune disposition de la Constitution. » L’article premier du dispositif de cette décision est ainsi rédigé : « La loi organique modifiant les deuxième et dernier alinéas du I ainsi que le II de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962, relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, est déclarée conforme à la Constitution. » Depuis 1976, lors des élections présidentielles, le nombre de candidats a varié entre neuf et seize : dix candidats en 1981, neuf en 1988, neuf en 1995, seize en 2002, douze en 2007. Le Parlement n’a jamais modifié l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, ce qui a conduit à une modification de la pratique du Conseil constitutionnel. A plusieurs reprises à compter de 1974, celui-ci a demandé dans ses observations une publication entière de la liste des personnes ayant présenté chaque candidat et non une publication limitée à cinq cents noms tirés au sort pour chaque candidat. En 1988, 1995 et 2002, le Conseil a affiché dans ses locaux la liste complète des personnes ayant présenté des candidats. Face au refus du Parlement de reprendre cette option en modifiant l’article 3 de la loi de 1962, il a abandonné cette pratique en 2007. Il a alors à nouveau formulé des observations sur l’élection présidentielle pour une modification des règles de présentation : « La présence de douze candidats à l’élection présidentielle de 2007 conduit enfin le Conseil constitutionnel à s’interroger, comme il l’avait déjà fait dans ses précédentes observations, sur le bien-fondé des règles de présentation. Ce nombre élevé de candidats a pu affecter la clarté du débat électoral (…). On relèvera que les règles de présentation d’un candidat n’ont pas été rendues plus sévères depuis 1976. D’autres facteurs, tels que la règlementation applicable en matière de remboursement des dépenses de campagne, contribuent à une augmentation du nombre de candidats. Enfin la question de la publication, pour chaque candidat, de la liste intégrale de ses présentateurs est toujours posée. La décision relève d’une loi organique. Ces observations appellent une réflexion d’ensemble sur ces questions ».
du pluralisme des courants d’idées et d’opinions ; 9. Considérant que la publication des présentations de candidats à l’élection présidentielle est limitée aux cinq cents présentations requises pour être candidat et n’inclut ni les présentations surabondantes ni les présentations accordées à des personnes n’ayant pas obtenu le nombre requis de présentations pour être candidat ; que, selon la décision du Conseil constitutionnel du 24 février 1981 susvisée, les présentations publiées sont choisies par tirage au sort ; qu’en limitant à cinq cents le nombre de présentations rendues publiques, le législateur a entendu que la liste des candidats soit établie sur le fondement du même nombre de présentations pour chacun des candidats ; que l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un
pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que, s’il résulte des dispositions contestées une différence de traitement entre les citoyens qui ont présenté un candidat, en ce que la probabilité de voir leur nom et leur qualité publiés varie en fonction du nombre de présentations dont les candidats ont fait l’objet, cette différence de traitement est en rapport direct avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer la plus grande égalité entre les candidats inscrits sur la liste établie par le Conseil constitutionnel ; 10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et du principe d’égalité devant la loi doivent être rejetés ; que le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 susvisée
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, Décide : Article 1er - Le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel est conforme à la Constitution. Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 février 2012, où siégeaient : Jean-Louis Debré, président, Jacques Barrot, Claire Bazy Malaurie, Guy Canivet, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Jacqueline de Guillenchmidt, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz.
11
Jurisprudence II. L’examen de constitutionnalité A. Les griefs
En premier lieu, la requérante, de même que les parties intervenantes, invoquaient l’article 3 de la Constitution relatif à l’égalité devant le suffrage et au caractère secret de ce dernier : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Elles faisaient valoir que le fait de présenter un candidat à l’élection présidentielle s’apparentait à une opération électorale et que cette opération ne garantissait pas le secret du suffrage, le nom et la qualité des personnes présentant les candidats étant publiés. L’autre grief articulé par la requérante ainsi que par les parties intervenantes était fondé sur le pluralisme des courants d’idées et d’opinions. La requérante invoquait à la fois la jurisprudence du Conseil constitutionnel et l’article 4 de la Constitution, dont le troisième alinéa dispose, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Il était avancé que la publicité donnée aux présentations avait pour effet de rendre possible l’exercice de pressions politiques et de dissuader les personnes habilitées à présenter des candidats à l’élection présidentielle de le faire. Par ces conséquences, cette publicité pourrait faire obstacle à l’obtention du nombre de présentations requises par certaines personnes et ainsi, à la participation à l’élection présidentielle de candidats représentant certains courants d’idées et d’opinions. Enfin, l’une des parties intervenantes faisait valoir que le principe d’égalité devant la loi, qui est consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, n’était pas respecté par la publication des noms de cinq cents « parrains » pour chaque candidat, dans la mesure où cette limitation du nombre de noms publiés avait pour effet de rendre la probabilité de voir son nom publié différente selon le candidat soutenu. Avant de procéder au contrôle de la conformité de la disposition contestée aux dispositions constitutionnelles invoquées, le Conseil constitutionnel s’est assuré que la question qui lui était transmise appelait un examen de sa part. B. Le changement des circonstances depuis la précédente décision du Conseil constitutionnel
L’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel prévoit que ce dernier ne doit pas être saisi d’une QPC portant sur une disposition législative qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil, sauf changement des circonstances. Dans la présente espèce, s’agissant d’une loi organique votée par le Parlement, il ne faisait pas de doute que le Conseil constitutionnel avait déjà jugé conforme à la Constitution le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, dans les motifs et le dispositif de sa décision n°76-65 DC du 14 juin 1976. On sait qu’importe peu la nature des griefs d’inconstitutionnalité expressément écartés par le Conseil dans sa déclaration de conformité. Le Conseil ne fait en effet pas de contrôle de constitutionnalité « en tant que ». Le fait qu’il ne se soit pas prononcé sur le grief invoqué dans la QPC ne remet pas en cause l’autorité de la chose jugée(2). Le Conseil fait une interprétation littérale de cette seconde condition. En l’espèce il apparaissait donc que la disposition organique avait déjà été jugée conforme à la Constitution. Seul un « changement des circonstances » pouvait donc permettre au Conseil d’Etat de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Tel a bien été le cas. La notion de « changement des circonstances » existait dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel antérieurement à la QPC. Elle a été précisée dans le contrôle a posteriori. Dans le contrôle a priori, le Conseil avait déjà eu recours à cette notion comme le montre la décision n°2008-573 DC du 8 janvier 2009(3). Le Conseil est alors revenu sur la règle imposant un nombre de deux députés minimum par département. Il a invoqué un changement des circonstances de droit (le maximum de 577 députés fixé par le Code électoral sur le fondement de l’article 24 de la Constitution) et un changement des circonstances de fait (l’augmentation non homogène de la population sur le territoire). Pour la QPC, le Conseil a d’abord eu à préciser cette notion utilisée dans la loi organique du 10 décembre 2009(4). Il a apporté alors trois précisions
12
sur la notion de « changement des circonstances » (cons. 13). En premier lieu, ce changement peut résider dans celui des normes de constitutionnalité applicables. Ce pourrait être par exemple l’adossement à la Constitution de la Charte de l’environnement intervenu depuis une précédente décision de conformité. En deuxième lieu, ce changement peut résider dans le changement des circonstances de fait qui affecteraient la portée de la disposition législative critiquée. En troisième lieu, a contrario et sous peine de vider le critère de toute portée, il ne faut bien sûr pas interpréter le changement des circonstances de fait comme renvoyant aux circonstances individuelles et propres à l’instance. La notion de changement des circonstances a été utilisée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue(5). D’une part, il a jugé qu’en l’absence de changement des circonstances, il ne pouvait être posé de QPC sur les dispositions de la garde à vue relatives à la criminalité et à la délinquance organisée déjà jugées conformes à la Constitution par la décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004(6). D’autre part, il a relevé des modifications des circonstances de fait et de droit depuis son examen du régime de droit commun de la garde à vue par la décision n°93-236 DC du 11 août 1993(7) : généralisation de la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales ; réduction des exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; augmentation du nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d’officier de police judiciaire de 25 000 à 53 000 ; augmentation du nombre de mesures de garde à vue. Le Conseil a alors jugé « que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées ». Le Conseil constitutionnel a reconnu à une seconde reprise l’existence d’un « changement des circonstances » dans la décision n°2011-125 QPC du 6 mai 2011 (M. Abderrahmane L.). Cette QPC était relative au défèrement devant le procureur de la République, à l’issue de la garde à vue, que le Conseil avait déjà déclaré conforme à la Constitution dans sa décision du 20 janvier 1981 sur la loi « Sécurité et Liberté »(8). Le Conseil a toutefois relevé que, par sa décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, il avait déclaré les articles du Code de procédure pénale relatifs à la garde à vue contraires à la Constitution notamment en ce qu’ils permettent que la personne gardée à vue soit interrogée sans bénéficier de l’assistance effective d’un avocat. Le Conseil a estimé que « cette décision constitue un changement des circonstances de droit justifiant le réexamen de la disposition contestée » sur le défèrement devant le procureur de la République à l’issue de la garde à vue. Dans la décision relative à l’impôt de solidarité sur la fortune(9), le Conseil constitutionnel a constaté qu’il n’y avait pas eu de changement des circonstances depuis sa précédente décision n°81-133 DC du 30 décembre 1981(10). Il n’a donc pas procédé à un nouvel examen des dispositions du Code général des impôts relatives à la détermination des personnes assujetties à l’ISF. Le Conseil constitutionnel avait déjà jugé non contraire au principe d’égalité devant la loi fiscale la différence de traitement entre, d’une part, les contribuables mariés et les concubins notoires qui sont soumis à une imposition commune et, d’autre part, les personnes ne vivant pas en concubinage notoire qui sont imposées séparément. Il en est allé de même dans la décision n°2011-142/145 QPC du 30 juin 2011 (Départements de la Seine-Saint-Denis et autres), pour les dispositions législatives de 2003 relatives au revenu minimum d’insertion (RMI) et au revenu minimum d’activité (RMA). Dans la présente espèce, le Conseil devait se déterminer sur l’existence d’un changement de circonstances et ne pouvait à nouveau se prononcer sur le fond que si ce changement était établi. - Le Conseil n’a pas retenu l’existence d’un changement dans les circonstances de fait. En particulier, le nombre de candidats à l’élection présidentielle n’est pas en baisse, ce qui aurait pu être un indice d’un tel changement. Ce nombre est plutôt en légère augmentation : dix candidats en 1981, neuf en 1988, neuf en 1995, seize en 2002, douze en 2007. Par ailleurs le nombre de présentateurs est stable : 42 115 parrains possibles en 1974 et 47 462 en 2007(11), ramenés à 42 109 compte tenu du cumul des mandats. La présente espèce était ainsi fort différente de celle de la garde à vue, avec par exemple l’augmentation de 300 000 à 800 000 du nombre de gardes à vue. Il ne semblait pas qu’un changement des circonstances de fait fût ici établi. - Le Conseil a retenu un changement des circonstances de droit. La décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 admet que le changement de circonstances de droit peut découler de modifications du cadre législatif si celles-ci sont déterminantes pour la disposition législative contestée. Il en allait alors ainsi pour les nouvelles règles de la
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Jurisprudence procédure pénale relatives au traitement en temps réel. Il n’en allait pas de même dans la présente espèce. La seule modification législative majeure est, depuis 1976, l’introduction d’une législation sur le financement de la campagne électorale. Ce changement est sans incidence directe sur la publication des noms et qualités des « présentateurs ». Le Conseil a cependant estimé que le changement des circonstances résidait dans les normes de constitutionnalité applicables. Comme l’a relevé le Conseil d’Etat dans sa décision de renvoi, le dernier alinéa de l’article 4 de la Constitution est issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il consacre une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel sur la portée constitutionnelle du pluralisme. Avant même cette révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel avait dégagé, dès 1986, un objectif « de pluralisme dans le secteur public de la communication audiovisuelle »(12). Dans les décisions ultérieures, le Conseil affirmait avec constance que constitue un objectif de valeur constitutionnelle « le pluralisme des courants d’expression socioculturels »(13), parfois aussi exprimé sous la forme de « pluralisme des courants de pensée et d’opinion »(14) ou, plus directement de « pluralisme des medias »(15). Lorsque le Conseil connaissait des textes relatifs à l’organisation ou à la régulation de la vie politique, il donnait une autre portée au « pluralisme des courants d’idées et d’opinion », le qualifiant soit d’« exigence »(16), soit de « principe »(17). Dans la décision du 3 avril 2003, sans préciser sa qualification, il imposait au législateur, lorsqu’il fixe des règles électorales de nature à inciter le regroupement des listes en présence, en vue de favoriser la constitution d’une majorité stable et cohérente, de respecter « le pluralisme des courants d’idées et d’opinions, lequel est un des fondements de la démocratie »(18). Cependant, toutes ces décisions étaient largement postérieures à la décision du 14 juin 1976. La décision « sénatoriale du Loiret » du 12 janvier 2012(19) a confirmé que le « principe » constitutionnel du pluralisme des courants d’idées et d’opinions est expressément rattaché, en matière de vie politique, au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution et qu’il figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit qui peuvent par conséquent être invoqués à l’appui d’une QPC. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il existait un changement du cadre constitutionnel d’analyse, justifiant un nouvel examen de la disposition contestée. Le cinquième alinéa du I de l’article 3 de la loi du 26 novembre 1962 n’avait jamais été confronté au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution.
C. L’examen des griefs 1. L’inopérance des griefs tirés des principes d’égalité et de secret du suffrage
Le grief tiré de la méconnaissance des principes d’égalité et de secret du suffrage a été jugé inopérant par le Conseil constitutionnel. La présentation opérée par les citoyens élus habilités à présenter des candidats à l’élection présidentielle « ne saurait être assimilée à l’e xpression d’un suffrage » (cons. 7). Cette présentation n’est pas un scrutin mais une opération préparatoire par laquelle le Conseil constitutionnel établit la liste des candidats à l’élection présidentielle. Il s’agit d’une mesure d’organisation de l’élection présidentielle, que le législateur organique est habilité à prendre en application du dernier alinéa de l’article 6 de la Constitution. Par conséquent, le fait que le nom et la qualité des présentateurs soient rendus publics ne méconnaît pas les principes d’égalité et de secret du suffrage, qui sont applicables aux opérations électorales relatives à l’élection présidentielle. 2. La conformité aux principes du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et d’égalité devant la loi
Le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, consacré au troisième alinéa de l’article 4 de la Constitution, est de portée constitutionnelle, mais il laisse au législateur une forte marge de manœuvre. Ainsi celui-ci peut subordonner une aide aux partis et groupements à la condition qu’ils justifient d’un minimum d’audience(20). De même, le législateur a pu réserver la participation à la campagne radiotélévisée aux seuls partis et groupements habilités par la commission de contrôle de la consultation à Mayotte(21). La nouvelle rédaction de l’alinéa 3 de l’article 4 de la Constitution n’a pas modifié cette portée du principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Le verbe « garantir » n’est pas interprété par le Conseil constitutionnel comme conférant à lui seul une portée normative plus
forte. Il ne crée pas un droit pour les partis à participer à chaque élection et notamment à l’élection présidentielle. A titre de comparaison, on sait que le Conseil constitutionnel a, par exemple, relativisé la portée du verbe « garantir » au onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs »)(22). Le Conseil constitutionnel peut, par ailleurs, opérer un lien entre le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et le principe d’égalité. Il juge ainsi qu’une règle électorale « qui affecterait l’égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée méconnaîtrait le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, lequel est un fondement de la démocratie »(23). Le Conseil constitutionnel a tout d’abord examiné la conformité au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions de la règle prévoyant une publicité du nom et de la qualité des personnes habilitées ayant choisi de présenter un candidat à l’élection présidentielle. Cette règle participe de la transparence de la vie politique, en faisant connaître aux citoyens comment ont été remplies par les candidats les conditions leur permettant de figurer sur la liste établie par le Conseil constitutionnel. Ce dernier l’a jugée conforme à la Constitution en 1976. Il l’a appliquée avec constance depuis lors et ne l’a critiquée, dans ses observations, que pour préconiser une publication encore plus large. Cette règle résulte d’un choix du législateur organique(24). Jusqu’en 1976, le choix était inverse. En 1976, le législateur a entendu souligner le caractère public de l’acte accompli par un citoyen élu et habilité à le faire, de présentation d’un candidat pour le scrutin considéré comme le plus important de la vie politique française. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que la publicité donnée aux choix de présentation des candidats à l’élection présidentielle « ne saurait en elle-même méconnaître le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions » (cons. 8). Le Conseil a, dans un second temps de sa décision, examiné la restriction de la publication des présentations de candidats à l’élection présidentielle aux cinq cents présentations requises pour être valablement candidat, tant au regard du principe d’égalité devant la loi que du principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Le principe d’égalité devant la loi trouve à s’appliquer pour les dispositions relatives aux personnes habilitées à présenter des candidats à l’élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’o ccasion de le reconnaître, dans sa décision du 5 janvier 1988. A l’o ccasion de l’élargissement de la liste des personnes habilitées à présenter des candidats aux conseillers régionaux, le législateur organique n’avait pas adapté la rédaction antérieure de cette liste mentionnant les élus des assemblées territoriales des territoires d’outre-mer, en dépit des changements de statut des collectivités de Mayotte et de Saint-Pierreet-Miquelon. Une lecture littérale aurait ainsi eu pour effet de priver les élus de ces collectivités du droit de présentation qu’ils détenaient auparavant. Le Conseil constitutionnel avait toutefois interprété la loi organique comme n’ayant « pas entendu priver les citoyens habilités titulaires de mandats électifs au sein de ces collectivités territoriales (de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon) du droit de présentation des candidats à l’élection présidentielle, ce qui d’ailleurs eût été contraire au principe d’égalité »(25). La question qui se posait dans la présente QPC était celle de la différence de traitement entre les présentateurs résultant de la limitation à cinq cents des présentations publiées pour chaque candidat. Alors qu’une personne accordant son soutien à un candidat qui ne recueille qu’un peu plus de cinq cents présentations est presque certaine de voir son nom et sa qualité portés à la connaissance du public, celle qui l’accorde à un candidat qui recueille plusieurs milliers de présentations a une probabilité bien moindre de voir son nom et sa qualité publiés. Le législateur organique a souhaité cette restriction dans les modalités de publication du nom et de la qualité des présentateurs. Le Conseil constitutionnel, afin de procéder à une publication conforme à cette exigence, a pris une décision, le 24 février 1981, établissant les règles de choix des présentations publiées. Conformément à cette décision, qui n’a jamais été modifiée depuis lors, la publication du nom et de la qualité des citoyens qui ont régulièrement présenté un candidat est déterminée, à chaque élection présidentielle, par voie de tirage au sort, ce tirage portant sur l’ensemble des présentateurs d’un même candidat. Comme le font apparaître les travaux préparatoires de la loi organique du 16 juin 1976, la limitation à cinq cents du nombre de présentations rendues publiques avait été introduite à l’Assemblée nationale, sur
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
13
Jurisprudence proposition du Gouvernement. Le garde des Sceaux avait avancé une raison liée au contrôle des présentations par le Conseil constitutionnel : « Il est en effet apparu que le nombre des présentateurs, s’il n’était pas limité, pourrait devenir très important, ce qui rendrait fort difficile le contrôle indispensable que doit opérer le Conseil constitutionnel »(26). Après que le rapporteur s’était opposé à cette proposition, le président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, M. Jean Foyer, s’y était rallié, en faisant valoir qu’« il ne serait certes pas bon que se fasse, dès le moment de la présentation, une sorte d’opération plébiscitaire sur le nom de tel candidat »(27). Au Sénat, M. Pierre Marcilhacy, rapporteur du projet de loi organique, avait de la même manière considéré : « En supprimant toute limite (au nombre de présentations publiées), vous risquez d’avoir deux candidats dont l’un se présentera avec trente mille signatures, l’autre avec huit cents signatures seulement. (…) Le texte du paragraphe II de l’Assemblée nationale, que la commission m’a donné mission de rapporter, est empreint tout autant d’esprit démocratique que de sagesse. »(28) Le Conseil constitutionnel a reconnu que la limitation à cinq cents des présentations publiées avait pour effet d’instituer une différence de traitement entre les présentateurs. Le Conseil a toutefois rappelé que, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité qu’il exerce en application de l’article 61-1 de la Constitution, il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne lui appartient pas de juger en opportunité cette limitation, même s’il a, à de nombreuses reprises, formulé des observations tendant à supprimer cette limitation, au profit d’une publication intégrale de la liste des présentateurs. Le Conseil constitutionnel a ensuite confronté la différence de traitement instituée par le législateur avec l’objectif poursuivi par ce même législateur. Considérant que le législateur avait « entendu que la liste des candidats soit établie sur le fondement du même nombre de présentations pour chacun des candidats », il a jugé que « la différence de traitement entre les citoyens qui ont présenté un candidat (…) est en rapport direct avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer la plus grande égalité entre les candidats inscrits sur la liste établie par le Conseil constitutionnel » (cons. 9). La limitation du nombre de présentations publiées ne portait atteinte ni au principe d’égalité devant la loi ni au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions (cons. 10). Le Conseil constitutionnel a donc jugé le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit.
16 - Décisions nos89-271 DC du 11 janvier 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, cons. 12 ; 2000-428 DC du 4 mai 2000, Loi organisant une consultation de la population de Mayotte, cons. 21 ; du 6 septembre 2000 sur une requête présentée par M. Charles Pasqua, cons. 6 ; 2010-618 DC du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 61. 17 - Décisions du 23 août 2000 sur une requête présentée par M. Pierre Larrouturou, cons. 6 ; n°2004-490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 84 ; n°2007559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, cons. 12 et 13. 18 - Décision n°2003-468 DC du 3 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, cons. 12. 19 - Décision n°2011-4538 du 12 janvier 2012, Sénat, Loiret. 20 - Décision n°89-271 DC du 11 janvier 1990 précitée. 21 - Décision n°2000-428 DC du 4 mai 2000 précitée. 22 - Décisions nos 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, cons. 26 ; 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 7 ; 2005-523 DC du 29 juillet 2005, Loi en faveur des petites et moyennes entreprises, cons. 6 et 7. 23 - Décisions n°2004-490 du 12 février 2004 et 2007-559 DC du 6 décembre 2007 précitées, respectivement cons. 84 et 12. 24 - La disposition instaurant la publicité avait été introduite par voie d’amendement au Sénat. 25 - Décision n°87-235 DC du 5 janvier 1988, Loi organique modifiant l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, afin d’élargir aux conseillers régionaux le droit de présentation des candidats à cette élection, cons. 2. 26 - Compte rendu intégral des débats, deuxième séance du 20 avril 1976, J.O. Débats, Assemblée nationale, p.1923. 27 - Ibid., p. 1924. 28 - Compte rendu intégral des débats, séance du 6 mai 1976, J.O. Débats, Sénat, p.909.
Source : Commentaire de la décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012 rédigé par le Conseil constitutionnel, http://www.conseil-constitutionnel.fr/ 2012-161
Adjudications YVELINES 78
Notes : 1 - Décision n°62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962. 2 - Décision n°2010-9 QPC du 2 juillet 2010, Section française de l’Observatoire international des prisons (article 706-53-21 du Code de procédure pénale), cons. 3 à 5. 3 - Décision n°2008-573 DC du 8 janvier 2009, Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés. 4 - Décision n°2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution. 5 - Décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (Garde à vue). 6 - Décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. 7 - Décision n°93-326 DC du 11 août 1993, Loi modifiant la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du Code de procédure pénale. 8 - Décision n°80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes. 9 - Décision n°2010-44 QPC du 29 septembre 2010, Epoux M. (Impôt de solidarité sur la fortune). 10 - Décision n°81-133 DC du 30 décembre 1981, Loi de finances pour 1982. 11 - En raison de l’ajout à la liste des présentateurs des conseillers régionaux (loi organique n°88-35 du 13 janvier 1988), des membres élus du Conseil supérieur des Français de l’étranger (devenu l’Assemblée des Français de l’étranger ; loi organique n°88-36 du 13 janvier 1988), des maires délégués des communes associées, des maires des arrondissements de Lyon et Marseille et des présidents des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre ainsi que des ressortissants français membres du Parlement européen élus en France (loi organique n°2001-100 du 5 février 2001). Par ailleurs, les modifications des statuts de différentes collectivités ont conduit à des adaptations successives de la liste des présentateurs (loi organique n°95-62 du 19 janvier 1995 pour l’Assemblée de Corse ; loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 pour le congrès et les assemblées territoriales de la Nouvelle-Calédonie ; loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 pour l’assemblée et le président de la Polynésie française ; loi organique n°2006-404 du 5 avril 2006 pour le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 pour les conseils territoriaux de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ; loi organique n°2011-883 du 27 juillet 2011 non encore entrée en vigueur pour les assemblées de Guyane et de Martinique). 12 - Décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, cons. 13 à 16. 13 - Décisions nos 93-333 DC du 21 janvier 1994, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons. 3 ; 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, cons. 9 ; 2001-450 DC du 11 juillet 2001, Loi portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, cons. 15. 14 - Décisions nos 2004-497 DC du 1er juillet 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, cons. 23 ; 2007-550 DC du 27 février 2007, Loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, cons. 15. 15 - Décision n°2009-577 DC du 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, cons. 3.
14
Vente aux enchères publiques sur surenchère, au Tribunal de Grande Instance de Versailles 5, place André Mignot
Le mercredi 4 avril 2012 à 9 heures en un seul lot
UNE MAISON DʼHABITATION OCCUPÉE à 78430 LOUVECIENNES 12 bis, chemin de Prunay Cette maison fait partie dʼune grande maison divisée en 2 bâtiments (bâtiment et jardin) sur la limite séparative (voir page 7 du procès-verbal descriptif), cadastré AO n° 53 et n° 54, sur un terrain de 4 200 m². Avec jardin, piscine, pool house, local technique, garage et remise/atelier.
Mise à Prix : 1 870 000 € Pour tous renseignements, sʼadresser : - A la SCP SILLARD & ASSOCIES avocats, 73 bis rue du Maréchal Foch, VERSAILLES (78) Téléphone : 01 39 20 15 75 e-mail : cabinet@avocats-sillard.com - au Greffe du Juge de lʼExécution du Tribunal de Grande Instance de Versailles, où le cahier des conditions de vente est déposé. Visite sur place le mercredi 14 mars 2012 de 10 heures à 11 heures. Consignation pour enchérir : Chèque de banque de 187 000 € à lʼordre du Bâtonnier séquestre, outre une somme pour les frais et émoluments dont le montant sera indiqué par lʼavocat chargé de porter les enchères. On ne peut enchérir que par le ministère dʼun avocat du Barreau de Versailles.
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
01893
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
15
Annonces judiciaires et légales
16
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
17
Annonces judiciaires et légales
18
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
19
Annonces judiciaires et légales
20
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
21
Annonces judiciaires et légales
22
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
23
Annonces judiciaires et légales
24
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
25
Annonces judiciaires et légales
26
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
27
Annonces judiciaires et légales
28
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
29
Annonces judiciaires et légales
30
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
Annonces judiciaires et légales
JRT
SERVICES
Domiciliations commerciales
01 42 60 36 35 jr.tancrede@jrtservices.fr 12, rue Notre-Dame des Victoires 75002 PARIS
R. TANCRÈDE S.A.
Toutes formalités légales et démarches administratives
01 42 60 36 35
12, rue Notre-Dame des Victoires 75002 PARIS
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 février 2012 - numéro 15
31
2012-1907
32
Les Annonces de la Seine - Lundi 27 fĂŠvrier 2012 - numĂŠro 15