Edition du jeudi 5 avril 2012

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LES ANNONCES DE LA SEINE Jeudi 5 avril 2012 - Numéro 25 - 1,15 Euro - 93e année

Euromed Avocats - Carta Europea

D.R.

Barcelone - 23 / 25 février 2012

Conseil scientifique, chef de projet coordinatrice générale et délégations étrangères d’avocats

VIE DU DROIT

Euromed Avocats - Carta Europea Les garanties procédurales offertes par les Institutions européennes par Carlos Fatas Mosqueras ................................................................ Charte européenne des bonnes pratiques du droit de la défense par Catherine Husson-Trochain ...........................................................

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Association Droit & Commerce : 37ème colloque

7 AGENDA ......................................................................................5 AU JOURNAL OFFICIEL Politique d’exécution des peines Loi du 27 mars 2012 .......11 L’impartialité du magistrat par Jean-Louis Nadal ...............................

Aménagement des dispenses pour l’accès à la profession d’avocat Décret du 3 avril 2012 .....................12

RENTRÉE SOLENNELLE

Tribunal de Grande Instance de Pontoise S’ouvrir sur l’extérieur par Dominique Andréassier......................... Améliorer la sécurité des personnes par Marie-Thérèse de Givry .. Polyvalence et solidarité professionnelles par Renaud Le Breton de Vannoise .................................................

TRIBUNE

Intervention à l’égard des mineurs délinquants

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13 ANNONCES LEGALES ...................................................21 ADJUDICATIONS................................................................31 IN MEMORIAM Richard Descoings......................................................................32 Halte au feu ! Retour à la raison ! par Renaud Chazal de Mauriac ...

uromed-Avocats est le nom du programme européen que la Direction Justice Liberté Sécurité de la Commission Européenne a confié à des Barreaux du Sud de l’Europe mais aussi de Roumanie et de Pologne pour assurer la protection des droits du citoyen européen face à la coopération toujours plus importante des Etats Membres en matière de police et de justice afin de rééquilibrer les forces en présence et de donner la parole aux citoyens et à leurs défenseurs naturels les avocats. Ce 24 février, une conférence a été organisée à Barcelone sur le thème : « Les droits de la défense en Europe dans les régimes d’e xception en matière pénale », dans son allocution d’ouverture, l’ancien Bâtonnier de Nîmes Bernard Delran, Chef de projet, s’est notamment exprimé en ces termes après avoir remercié le Bâtonnier Vendrell, représentant le Bâtonnier en exercice, Monsieur Pedro Yufera, et le Barreau de Barcelone pour leur accueil : « Barcelone, mais aussi Figueras, Palma de Majorque, la Catalogne en général, sont nos voisins et partenaires de toujours sur cette rive de la Méditerranée, berceau de la civilisation. Avec l’Italie et certains barreaux du Sud de la France, nous avons recréé cet arc méditerranéen de la culture juridique, du droit écrit, d’un droit rigoureux mais humaniste. Nos partenaires roumains et polonais participent de cette culture, y ajoutant leur dynamisme et un réflexe européen.

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Faire travailler 17 barreaux et partenaires est déjà à lui seul une réussite, mais répondre aux objectifs du programme européen de comparer les bonnes pratiques, les législations, les systèmes dans des droits d’e xception tels que le droit des étrangers, le terrorisme, le droit disciplinaire pénitentiaire et la procédure de contrôle fiscal était un projet ambitieux. Vous y êtes arrivés pendant ces trois ans et vous devez tous en être félicités. Il ne fait aucun doute que vos travaux seront jugés selon les critères européens, mais aussi en fonction du travail et de la qualité des rapports et contributions analysés par le Conseil scientifique. Je tiens particulièrement à remercier Mme la Première présidente de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, présidente du Conseil scientifique, qui a su apprécier à sa juste mesure l’importance du travail réalisé au regard des ambitions affichées, sans jamais perdre de vue l’objectif européen d’harmonisation et de protection des droits du citoyen. Ce satisfecit provisoire ne saurait occulter le satisfecit du travail accompli par la Coordinatrice générale sans laquelle aucun lien, aucune organisation, aucun suivi n’aurait pu se réaliser. C’est donc tout un travail d’équipe et cela, c’e st une vraie satisfaction lorsque l’on connaît l’individualisme légendaire des avocats qui ont eu le mérite de franchir la barrière de la langue, mais davantage celle de leurs cultures juridiques respectives. » Jean-René Tancrède

J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : as@annoncesdelaseine.fr FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE


Vie du droit

LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr e-mail : as@annoncesdelaseine.fr

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Les garanties procédurales offertes par les Institutions européennes

Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01 34 87 33 15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01 42 60 84 40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01 42 60 84 41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01 45 97 42 05

par Carlos Fatas Mosqueras*

Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède Comité de rédaction : Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appel Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président de la Chambre des Notaires de Paris Dominique Lencou, Président du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International Publicité : Légale et judiciaire : Commerciale :

Didier Chotard Frédéric Bonaventura

Commission paritaire : n° 0713 I 83461 I.S.S.N. : 0994-3587 Tirage : 12 161 exemplaires Périodicité : bi-hebdomadaire Impression : M.I.P. 3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS

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Copyright 2012 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2012, par arrêtés de Messieurs les Préfets : de Paris, du 27 décembre 2011 ; des Yvelines, du 20 décembre 2011 ; des Hauts-deSeine, du 28 décembre 2011 ; de la Seine-Saint-Denis, du 26 décembre 2011 ; du Val-de-Marne, du 20 décembre 2011 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescrites par le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerce et les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contrats et des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la SeineSaint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine. N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales.

- Tarifs hors taxes des publicités à la ligne A) Légales : Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,43 € Yvelines : 5,22 € Hauts-de-Seine : 5,48 € Val-de-Marne : 5,41 € B) Avis divers : 9,75 € C) Avis financiers : 10,85 € D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 € Seine-Saint Denis : 3,80 € Yvelines : 5,22 € Val-de-Marne : 3,83 € - Vente au numéro : 1,15 € - Abonnement annuel : 15 € simple 35 € avec suppléments culturels 95 € avec suppléments judiciaires et culturels COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas

Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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’est un sujet compliqué d’examiner la refonte des droits tirés de la CEDH et ceux de la Charte européenne des droits fondamentaux. Ce fut compliqué pour la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne de rentrer dans le processus d’adhésion de l’Union européenne au Conseil de l’Europe. Il y a de nombreux droits qui se recoupent, le sujet est vaste (l’Union européenne c’est plus de 200 millions de personnes et 500 millions pour le Conseil de l’Europe). C’est après Maastricht que l’on a ressenti les effets de l’intégration qui ont eu pour conséquences de nombreuses modifications juridiques et de nouveaux instruments. Après l’euphorie économique de l’Espace Schengen et du Traité de Maastricht, ce fut le temps des désillusions car certains avaient l’impression d’être dans une « Europe sanction », avec toutes les réformes structurelles en matière de droit du travail par exemple. C’est précisément ce qui différencie l’Union européenne du Conseil de l’Europe qui se situe plus dans un système de défense des droits de l’homme, même si la frontière s’est estompée avec la signature du Traité de Lisbonne qui a entraîné une fusion des deux systèmes en 2009, outre le nouvel instrument qu’est la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le caractère purement économique de l’Union européenne est relativisée depuis qu’elle est devenue partie de la CEDH (Protocole 14 de la CEDH entré en vigueur avec la signature de la Russie en 2010), ce qui créé une uniformisation quant au droit et à la jurisprudence en matière de protection des droits de l’homme. Cela mérite d’être souligné car l’Union et le Conseil de l’Europe sont des systèmes uniques en leur genre : il n’y a pas d’autre structure intégrée au niveau mondial, ni aucun exemple d’un bloc de jurisprudence et de droit. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne élargit la protection des droits, avec six catégories et 54 articles au lieu des 18 de la Convention européenne, dans l’objectif d’un renforcement de l’effectivité de ces droits. Toutefois, le champ d’application de cette Charte est assez réduit puisqu’il se limite au seul droit européen, originel ou dérivé. Elle s’appliquera aux Etats membres lorsqu’ils mettront en œuvre le droit de l’UE (art 55-1 du Traité) et la jurisprudence de la Cour contribuera à l’interprétation des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. A cet égard, il est de tradition constante que la Cour statue en harmonie avec les tribunaux constitutionnels des Etats membres pour tout sujet intéressant les droits de l’homme. La charte des droits fondamentaux de l’UE, en étant intégrée au bloc fondamental des traités, a acquis une portée obligatoire pour les Etats et les institutions de l’UE : elle peut donc être

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invoquée par la Cour de justice de l’Union européenne directement. Il ne restait plus pour l’Union européenne qu’à acquérir la personnalité juridique, prévue par l’article 47 du Traité de Lisbonne : c’est chose faite, mais il a fallu trouver un consensus quant aux droits de l’homme et à leurs définitions, outre les difficultés procédurales qui ont généré de nombreuses réunions pour intégrer l’Union comme membre de la Cour européenne des droits de l’homme. Parmi les nombreuses réunions qui s’en sont suivies, citons celle de Strasbourg en 2010 au sein de la Cour, au cours de laquelle furent abordés les sujets relatifs à la tierce intervention et au mécanisme du codéfendeur. La tierce intervention est prévue à l’article 36 et elle permet aux ONG de faire partie d’une procédure devant la Cour sans pour autant intervenir, ce qui permet de suivre des dossiers sensibles depuis la décision de recevabilité jusqu’à la sentence, mais l’Union européenne est récalcitrante quant à ce mécanisme et préfère le recours au codéfendeur.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne élargit la protection des droits, avec six catégories et 54 articles au lieu des 18 de la Convention européenne, dans l’objectif d’un renforcement de l’effectivité de ces droits.

Carlos Fatas Mosqueras

Ce dernier système, fondé sur le fait qu’un Etat membre, accusé d’une violation des droits de la Convention par un autre Etat membre du Conseil de l’Europe ou un particulier, permet à l’Union en tant que membre du Conseil de l’Europe de devenir codéfendeur de telle sorte que la sentence définitive s’appliquera aussi à l’Union européenne. En définitive, les actes de l’Union européenne sont donc soumis au contrôle de la Cour dans le cadre de toute requête émanant d’un Etat ou d’un citoyen, et ce, dans le respect du principe de subsidiarité (saisine préalable par le particulier des juridictions nationales, puis soulève une question préjudicielle). Quant au sujet des droits et garanties en matière pénale, la Résolution du 30 novembre 2009 établit une feuille de route : - Directive du 20 octobre 2010 quant au droit à la traduction, - Directive quant aux informations et au droit d’accès au dossier, - Proposition de Directive quant au droit d’accès à un avocat (2011). Toutes choses qui vont dans le sens des articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux. La proposition de directive sur le droit d’accès à l’avocat fait suite à plusieurs arrêts récents (C/ Turquie/2008, Brusco/2010). Quoiqu’il en soit la Directive sur le droit de communication avec un tiers après arrestation n’est pas suffisante.

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Extrait du discours de Eudald Vendrell* ienvenue à cette conférence qui est le symbole du droit et du travail des avocats qui, malgré un contexte de crise, restent mobilisés pour de tels programmes nécessaires à la protection et à la liberté des citoyens en Europe. Barcelone et son Ordre sont fiers de recevoir cette conférence car Barcelone est le centre de la Méditerranée très impliquée dans ce programme, comme elle est l’est

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dans toutes les situations qui sont une menace pour les citoyens, dans la lutte contre la corruption, dans le blanchissement d’argent, dans les violences faites aux femmes et dans le terrorisme. Il s’agit en fait de trouver les formules pour garantir l’équilibre entre liberté et sécurité comme entre le Nord et le Sud. A ce sujet, rappelons que Barcelone organise les 22 et 24 mars 2012 Les Assises

Quelques précisions d’ordre procédural : - Les langues officielles à la Cour européenne sont le français et l’anglais, et à titre exceptionnel dans la langue du requérant. - Les garanties procédurales européennes font référence à des droits présents dans nos systèmes, comme l’aide juridictionnelle. - Il faut aussi respecter le principe de subsidiarité, à savoir que la demande d’application uniforme dans l’ensemble du territoire européen nécessite que les Etats l’appliquent d’abord eux-mêmes. - Principe de proportionnalité qui implique que ce soit la protection la plus grande et la plus étendue qui prédomine. - S’y ajoutent d’autres conditions prévues par le Protocole 14 : une requête qui n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention, la démonstration d’un préjudice important subi par le requérant, ce qui est un concept très subjectif pour lequel il n’y a pas encore de jurisprudence. Le formalisme des requêtes étatiques prévu à l’article 34 de la CEDH et 51/53 de la Cour, peut varier en fonction du règlement. Il est recommandé de consulter le site officiel, d’autant que 90% des requêtes sont déclarées irrecevables, y compris une majorité présentée

de la Méditerranée sur le thème « Mutations sociales et sociétales dans le monde arabe » et qu’aura lieu les 18 et 20 avril 2013 le 7th European Jurist’Forum qui abordera des thèmes proches, voire semblables à ceux objet de ce programme clôturé aujourd’hui à Barcelone.

* Eudald Vendrell est vice-bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Barcelone

par des avocats…qui oublient trop souvent les deux points essentiels : - Epuisement des voies de recours interne, - Ecoulement d’un délai de six mois après la dernière décision pour former recours. Si la requête est recevable, toute la procédure est ensuite caractérisée par sa lourdeur et par son caractère écrit. Il est à noter qu’un règlement amiable peut toujours intervenir entre les parties, en présence de la Cour et en toute confidentialité (article 39 de la Convention et 62 du Règlement). Soulignons enfin le principe de satisfaction équitable (article 60 du Règlement) lorsqu’il s’agit de dépense disproportionnée pour faire valoir un droit : le critère de proportionnalité est apprécié de manière discrétionnaire par la Cour. Une requête déclarée recevable n’est pas suspensive car elle ne consiste pas en un 4ème degré de juridiction. Le problème de l’effet suspensif est problématique en matière d’expulsion et la CEDH a prévu des mesures provisoires en cas d’urgence dans l’article 39 de son Règlement. Il faut présenter une demande motivée qui établit le risque invoqué, ce qui entraîne généralement un dialogue informel avec la Cour (à noter que les mesures

provisoires sollicitées en matière d’expulsion ont augmenté de manière exponentielle - 342 mesures prononcées en 2011 et 1 807 refusées). Enfin, deux éléments importants et nouveaux du Protocole 14 sont à souligner : l’introduction de l’article 61 qui prévoit les arrêts pilotes et des cessions de filtrage pour déterminer les affaires admissibles qui sont analysées soit par un juge, soit trois juges ou la grande chambre afin de désengorger le rôle de la Cour. Les arrêts pilotes mettent en place une procédure permettant de traiter pour un même Etat plusieurs requêtes relatives aux mêmes droits violés afin de donner une solution unique, avec l’accord des parties et de l’Etat en cause. Il s’agit d’une procédure très rapide. Le rôle fondamental des institutions européennes a pu être observé récemment dans le domaine très sensible de la garde à vue : même si la procédure répond à des normes généralement identiques dans tous les Etats membres, la jurisprudence de la Cour et des Tribunaux constitutionnels ont amené des bouleversements législatifs remarquables dans les Etats membres. De même concernant le droit des étrangers, soulignons les arrêts n°27765/09 HIRSI JAMAA C/ Italie du 23/02/2012 et n°9152/09 IM C/France du 02/02/2012 condamnant les deux Etats précités pour absence de recours effectif et refus de prendre en considération les risques disproportionnés d’un retour au pays d’origine. Voilà pour ce bref panorama de la construction européenne en matière de garanties procédurales. Il s’agit d’un vaste chantier qui ne sera pas abouti tant que l’on ne s’accordera pas sur la définition des droits et libertés fondamentales, ce qui me permet de conclure sur celle contenue dans la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, de loin la plus simple et la plus synthétique : « la liberté s’arrête où commence celle d’autrui. » * Carlos Fatas Mosqueras est vice-président de la Commission des droits de l’Homme de l’Union Internationale des Avocats

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Catherine Husson-Trochain, Bernnard Delran, Karline Gaborit et Jorge de Tienda Les Annonces de la Seine - jeudi 5 avril 2012 - numéro 25

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Vie du droit

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Carlos Fatas Mosquera, Catherine Husson-Trochain, Bernard Delran, Eudald Vendreill, Jorge de Tienda et Karline Gaborit

Charte européenne des bonnes pratiques du droit de la défense par Catherine Husson-Trochain « Le Conseil scientifique se doit d’avoir un regard extérieur. Il ne s’agit pas seulement d’une obligation contractuelle qui engage les promoteurs du projet mais aussi d’une obligation morale pour ceux qui ont eu l’honneur d’avoir été désignés ou choisis pour le composer ».

législations des pays en ces matières sont en perpétuelle évolution. Elles le sont d’autant plus également que les droits de la défense sont exercés avec ténacité non seulement devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme que j’ai déjà citée mais aussi devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Mais pas seulement, ils le sont aussi devant les cours constitutionnelles comme en France devant le Conseil constitutionnel par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité. Pour illustrer mon propos, je ne prendrais que deux exemples extrêmement récents l’un en matière du droit des étrangers et l’autre en matière de terrorisme.

Le premier concerne la Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, la Directive 2008/115/CE dite « directive retour ». Vous savez qu’elle vise à mettre en œuvre une politique efficace d’éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. Pour faire très court, je dirais simplement que cette directive met en place une procédure bien

els étaient les propos que je tenais à Perpignan le 18 avril 2009 lors de la cérémonie d’ouverture et de lancement du programme Euromed Avocats consacré à « La défense des droits des citoyens européens face aux régimes d’exception ». Ce programme était particulièrement ambitieux et sans dénué de risques en raison même de la nature des 4 régimes d’exception choisis en matière pénale. Il concerne en effet : - le droit des étrangers, - le droit en matière de terrorisme, - le droit fiscal et douanier, - le droit du prétoire. Ambitieux car dans les pays des barreaux partenaires les mots ne recouvrent pas les mêmes notions et les personnes concernées ne relèvent pas nécessairement des juridictions judiciaires avec l’intervention d’un juge auprès duquel l’avocat doit trouver toute sa place. Risqué pour essentiellement deux raisons : - La première parce qu’en ce qui concerne le droit en matière de terrorisme il existe peu de praticiens et de spécialistes ; de plus il s’agit d’un droit d’exception au caractère heureusement très exceptionnel… - La deuxième parce que sous la force des événements liés aux « printemps arabes » d’une part, et sous la poussée répétitive et volontariste des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme notamment en ce qui concerne le droit des étrangers et le droit du prétoire, les

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Vie du droit

Agenda

COLLOQUE DROIT ET ÉCONOMIE DE L’ENVIRONNEMENT

L’information des marchés sur la politique environnementale des entreprises 14 mai 2012 Cour de cassation - Paris 1er

précise dont le but est le retour de l’étranger en situation irrégulière. Par un arrêt El Dridi en date du 28 avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle à l’Italie qu’elle avait jusqu’au 24 décembre 2010 pour transposer dans sa législation les dispositions de la directive. Elle rappelle aussi que bien que la législation pénale et les règles de procédure pénale relèvent de la compétence des Etats membres, ceux-ci ne

choix de l’avocat en garde à vue pour terrorisme. Il a en effet jugé non conforme à la Constitution cet article qui autorise le juge de la liberté et de la détention ou le juge d’instruction lorsque la garde à vue intervient en cours d’instruction à suspendre la liberté de choix de l’avocat par la personne gardée à vue et de décider que la personne serait « assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des

Renseignements : 01 44 39 86 23 www.courdecassation.fr

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ENTRETIENS EUROPEENS DE LA DELEGATION DES BARREAUX DE FRANCE

Le droit européen de la famille 13 avril 2012 Bruxelles Renseignements : valerie.haupert@dbfbruxelles.eu www.dbfbruxelles.eu 2012-276

La composition du Conseil scientifique, elle-même, est garante de la fiabilité des travaux réalisés et présentés en ce qui concerne notamment, ceux de la première année au cours de laquelle ont été dressés les états des lieux des pays concernés qui ont été Catherine Husson-Trochain validés à un instant donné.

sauraient appliquer une réglementation susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par la directive. Pour la Cour, enfermer des étrangers n’est ni approprié ni efficace et fait échec à l’obligation pour les Etats d’exécuter la décision de retour ou en tout cas retarde cette exécution. L’arrêt Achugbabian du 6 décembre 2011 , qui concerne la France mais aussi toutes les législations européennes qui sont semblables, a précisé que les Etats membres peuvent adopter des mesures telles que l’emprisonnement au titre du séjour irrégulier et les appliquer à condition que, avant cela, l’entière procédure administrative prévue par « la Directive retour » ait été suivie et qu’elle n’ait produit aucun effet. On voit bien là par ces deux décisions que l’enjeu réel est de faire évoluer les législations européennes afin que les mesures pénales ne soient utilisées qu’en dernier recours. Mon deuxième exemple est très récent, je le puise dans la dernière décision du Conseil constitutionnel français en date du 17 février 2012 relative à l’article 706-88-2 du Code de procédure pénale relatif à la limitation du libre

barreaux sur propositions des conseils de l’ordre de chaque barreau » Cette décision d’abrogation fait disparaître un texte avant même d’avoir été rendu applicable ! C’est donc en prenant en compte cette évolution législative tout autant que les applications jurisprudentielles que le Conseil scientifique a conduit son observation et formulé des observations. D’abord sa composition, elle-même, est garante de la fiabilité des travaux réalisés et présentés en ce qui concerne notamment, ceux de la première année au cours de laquelle ont été dressés les états des lieux des pays concernés qui ont été validés à un instant donné. Je le précise maintenant pour ne plus y revenir. C’est une des raisons pour laquelle le Comité scientifique réunit des personnalités aux professions du droit diversifiées et désignées par les barreaux partenaires du programme dans le cadre d’un comité de pilotage. Comme vous le savez avec le Bâtonnier Vérine du barreau de la cour d’appel de Montpellier, je co-préside ce Conseil scientifique. En sont membres le doyen des juges d’instruction de Figueras, David de la Rosa Barrera,

CONFÉRENCE INSOL EUROPE DE L’EST DES PAYS EUROPÉENS

Companies, creditors and collateral in crisis du 24 au 26 mai 2012 Poznan - Pologne Renseignements : david@drpartners.com lindasmith@insol-europe.org 2012-277

IXÈME ÉDITION DE L’UNIVERSITÉ D’ÉTÉ PAYSAGE ET BIEN-ÊTRE

Bien-être de la nature, économie du bien-être, bien-être de l’homme du 29 au 31 août 2012 Cesano Maderno (Milan, Italie) Renseignements : +39 02 58 30 39 74 info@studiobana.it

2012-278

RENCONTRE INTERNATIONALE

L’internationalisation du droit : pathologie ou métamorphose de l’ordre juridique 11 avril 2012 Paris Renseignements : Collège de France - 01 44 27 12 11

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Vie du droit REPÈRES

Extrait de l’intervention de Karline Gaborit* ’est avec beaucoup d’émotion, mais surtout avec beaucoup de fierté que nous finissons ce projet. Il s’agissait de comparer nos législations et respectives dans les régimes d’exception en matière pénale. Nous l’avons fait, en rédigeant des états des lieux nationaux, maintes fois remaniés grâce à la vigilance du Conseil scientifique, nous imposant de les remettre à jour au fil de l’actualité jurisprudence et réglementaire européenne, puis en les comparant dans un tableau récapitulatif très technique. Il s’agissait également d’améliorer notre niveau de compétence, à la fois linguistique et procédurale. Ce fut l’objet d’un module de formation linguistique : exercice de mise en situation pratique consistant en un procès fictif en langue et procédure étrangère. Ce

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module a été développé dans chacune des matières en français, italien et espagnol. Des films vidéo témoignent tout autant de la difficulté que du succès de la méthode. Pour être pratique, il fallait également être accessible, c’est-àdire, chercher un moyen d’assister le citoyen dépaysé confronté à une procédure étrangère : un glossaire multilingue, aussi vulgarisé que possible permet d’appréhender chaque régime d’exception par des définitions communes et des schémas de procédure. Ce glossaire sera mis en ligne dans les jours prochains. Il s’agissait enfin de porter un regard critique dans ces domaines sensibles et d’apporter notre contribution auprès des instances européennes : chaque commission, toutes délégations confondues, a

Maître Alessia Sonaglioni, administratrice au conseil de l’Europe, Maitre Raluca Bercea, professeure à la Faculté de droit de Timisoara en Roumanie, Monsieur le Bâtonnier Georges Peridier, du Barreau de Montpellier pour la France, Maître Remo Pannain, chargé d’enseignement à la Faculté de Rome pour l’Italie, etc. Son fonctionnement collégial donne du relief ou plus de poids à ses réflexions ou recommandations qui sont naturellement le fruit d’un travail collectif. Comment ne pas nous appliquer à nous même ce que la Cour européenne des droits de l’homme rappelle, constamment et à juste titre, qu’un juge ou un tribunal doit être impartial en toutes circonstances ; que son impartialité est à la fois objective et subjective. Si, à l’évidence, le Conseil scientifique n’est pas une juridiction, il se doit d’é valuer les travaux avec ce même regard objectif que le citoyen européen est en droit d’attendre de ses juges. Cette objectivité, le Conseil scientifique s’est efforcé de la donner à voir et quelquefois à l’entendre aimablement durant les trois années qu’a duré ce programme. Il s’est réuni tous les ans donc trois fois, à Timisoara en 2010, à Viterbo en 2011 et pour

rédigé une contribution commune sur la présomption d’innocence et les droits de la défense. Les garanties offertes par la Convention européenne et la Charte des droits fondamentaux sont loin d’être effectives dans toutes les procédures, mais il y a autant à construire en termes de réglementation qu’en termes de pratiques professionnelles. La charte des bonnes pratiques, était donc la suite logique et le point d’orgue de nos travaux : sous l’impulsion de Bernard Delran, tous les avocats membres de Carta Europea, se sont engagés à mettre en place un réseau d’assistance mutuelle au service des droits de la défense et du citoyen. C’est donc la fin d’un programme, mais le début d’un engagement… » * Karline Gaborit est avocat, coordinatrice générale

vous rassure les membres ont gardé toute leur indépendance comme leur mission l’exige. Proximité ne signifie pas connivence. Ils ont assisté aux contraintes du programme en ce qui concerne la compréhension et la connaissance de la langue du pays au sein duquel les procès fictifs ont été tenus. L’approfondissement des compétences linguistiques des praticiens du droit et leur exploitation adossé à une meilleure connaissance des systèmes juridiques et notamment de la procédure applicable au cours d’un procès par le biais de ce module de formation dont le Conseil scientifique a relevé à mi-parcours la pertinence, répond à l’évidence aux résultats attendus. Tout comme le sont les visites organisées dans des lieux pertinents pour que l’avocat bénéficie d’une formation de terrain et puisse ainsi assimiler plus facilement la culture judiciaire de ses homologues européens. L’observation sur place et l’examen des documents ont permis au Conseil scientifique de mieux appréhender l’état d’avancement des travaux, formuler lors de ses réunions des recommandations ou des avis, analyser les difficultés et enfin déterminer si les orientations prises empruntaient le bon chemin du droit qui

Comment ne pas nous appliquer à nous même ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle, constamment et à juste titre, qu’un juge ou un tribunal doit être impartial en toutes Catherine Husson-Trochain circonstances.

la dernière fois le vendredi 24 février 2012, ici à Barcelone. Mais tout au long du programme des membres, ont aussi assisté aux travaux de façon ponctuelle lors de quelques réunions inter-barreaux dans différents pays notamment en Espagne, en Roumanie ou en Italie. Ils ont pu participer aux conférences et observer le sérieux des réunions en commission, le haut niveau de discussion et de réflexion comme à Viterbo sur « la Directive retour ». Je

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conduiront les barreaux partenaires sur le droit chemin des bonnes pratiques communes. Les bonnes pratiques au sens de la Commission européenne font appel à la notion d’échange d’informations ou d’expériences concrètes qui peuvent servir de modèle pour une politique donnée. C’est pourquoi la mise en réseau des professionnels entre partenaires, dès le début du programme a constitué un élément déterminant de la qualité des relations et de la communication entre les partenaires.

Le site dédié resté longtemps en deçà des attentes est en cours de normalisation. Pour finir sur notre rôle, j’ajoute encore que le Conseil scientifique a porté constamment au cours du programme une attention particulière sur le degré d’atteinte des objectifs par rapport aux engagements pris auprès de la Direction générale Justice, Liberté et Sécurité de la Commission européenne par le demandeur en l’espèce l’Association Carta Europea et aussi sur la conformité des actions conduites avec les politiques communautaires. Il s’est aussi assuré que la parité homme/femme dans les travaux ou leur participation aux conférences répondait à cet équilibre voulu par la Commission européenne entre les personnes de genre différent. Au terme de mon propos et du programme, je précise que le Conseil scientifique a validé définitivement : - les travaux comparatifs avec la méthode retenue à savoir le tableau synthétique, les problèmes de traduction ayant été corrigés, - le glossaire établi dont le caractère ambitieux a déjà été souligné, - les stages effectués par des avocats partenaires chez leurs homologues des autres pays et les rapports réalisés, - le module de formation linguistique. Quant à la troisième phase des travaux, qui a consisté notamment en une période de réflexion transversale sur les sujets retenus mais, à travers eux, sur une réflexion plus vaste de l’utilisation des outils communautaires existants, celle-ci a abouti à 4 contributions communes sur les évolutions législatives souhaitables pour un bon exercice des droits de la défense. Cette harmonisation souhaitée tend, bien entendu, au renforcement des droits de la défense et à la lisibilité de ces droits par le citoyen européen. Il reste donc, à travers le réseau d’avocats mis en place, à pérenniser le dispositif d’ensemble et à optimiser une défense homogène en adhérant à la « Charte des bonnes pratiques du droit de la Défense » dont Maitre Bernard Delran, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Nîmes et chef de projet Euromed va vous entretenir dans un instant. Au nom du Conseil scientifique dans toutes ses composantes, je tiens à vous féliciter de vos travaux, du sérieux de votre réflexion et des résultats qui sont à la hauteur, je crois, des attentes. Pour terminer, je souhaite remercier bien sûr le Barreau de Barcelone qui en cours de route a rejoint avec efficacité le programme et qui nous accueille pour la cérémonie de clôture. Il me semble aussi que Karline Gaborit mérite une marque d’admiration publique pour sa pugnacité, sa détermination, pour ses exigences salutaires qui se sont traduites dans vos commissions et réunions et aussi pour son implication sans faille dans son rôle de coordinatrice générale. Et en me tournant vers Bernard Delran pour lui donner la parole, je crois que tous ici conviendront avec moi que durant ces trois années, il n’a cessé de vouloir diffuser et valoriser les instruments communautaires. Je crois que plus qu’un autre et bien en avance sur beaucoup, il a compris que « L’Europe des avocats, l’Europe des régions, c’est surtout l’Europe des citoyens » et que les avocats devaient naturellement prendre une large part dans cet édifice restant encore pour partie à construire.

Les Annonces de la Seine - jeudi 5 avril 2012 - numéro 25

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Vie du droit

Association Droit & Commerce : 37ème colloque Loyauté et impartialité en droit des affaires Deauville - 31 mars et 1er avril 2012

L'Assocation Droit & Commerce, présidée par Georges Teboul, a organisé son 37ème colloque à Deauville les 31 mars et 1er avril 2012 à Deauville sur le thème "Loyauté et impartialité en droit des affaires", nous publions ci-après le remarquable discours de Jean-Louis Nadal, ancien Procureur Général près la Cour de cassation, qui nous explique, avec un talent dont il a le secret, comment le juge cerne les contours de ses devoirs d'impartialité et de réserve sachant que les décisions qu'il rend "participent directement à l'image de la justice et déterminent l'opinion que peuvent en avoir ceux qui recourent à elle''. Jean-René Tancrède

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Jean-Louis Nadal

L’impartialité du magistrat par Jean-Louis Nadal* ’est avec beaucoup de scrupules que je viens vous entretenir de l’impartialité. Le sujet est évidemment capital, mais un magistrat qui a fait toute sa carrière au parquet est-il le mieux placé pour en parler ? Oui, certaines voix invitent à une procédure de séparation de corps entre le siège et le parquet, à l’amiable certes, mais de séparation tout de même, et cela au motif que le parquet n’est pas impartial au sens où doit l’être le juge. Le procureur est une partie au procès pénal, une partie qui n’est pas comme les autres, mais une partie quand même qui, en soutenant l’accusation, défend une thèse dont le juge appréciera la valeur. Et, comme pour ajouter une couche au reproche de manque d’impartialité, le parquet,

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vous le savez, n’est pas indépendant, et sans indépendance, pas de complète impartialité, corollaire, justement, de l’indépendance. Comment le parquet pourrait-il être impartial, dès lors qu’il reçoit des instructions du gouvernement ? Ainsi, la chambre criminelle juge-t-elle régulièrement que la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial, énoncée à l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, vise les juges et non le représentant de l’accusation : On la voit même retenir cette solution quand, devant la cour d’assises, il s’avère que l’avocat général est le parrain du fils du principal accusé (Crim. 6 janvier 1998). L’article 669 du CPP dispose d’ailleurs expressément que le ministère public ne peut être récusé tandis que le code de procédure civile n’envisage que la récusation « d’un juge » (art. 341 et s.). Pour autant, je ne crois pas que l’on puisse parler du droit du ministère public à la partialité. Je crois même que l’on pourrait s’interroger sur la validité de poursuites dont il serait démontré qu’elles n’auraient été engagées par un magistrat du parquet qu’à des fins personnelles, pour nuire à un tiers par exemple. Le cas serait manifestement disciplinaire mais la question reste posée, à mon sens, de la validité de la poursuite elle-même (je n’ai pas cependant pas connaissance de nullités prononcées pour ce motif d’une partialité avérée du ministère public). Rappelons enfin, toujours avant d’en venir en sujet principal, la recommandation R(2000)19 du Conseil de l’Europe sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale. § 9 : S’agissant de l’organisation et du fonctionnement interne du ministère public notamment la répartition des affaires et l’évocation des dossiers, elles doivent répondre à des conditions d’impartialité et être exclusivement guidées par le souci du bon fonctionnement du système de justice pénale, notamment la prise en considération du niveau de la qualification juridique et de spécialisation. § 24 Dans l’exercice de sa mission, le ministère public doit notamment agir de façon équitable, impartiale et objective. Je crois pouvoir en déduire :

- d’une part que si l’obligation d’impartialité ne pèse pas de la même manière sur le ministère public et sur le siège, il n’en découle pas pour autant un droit à la partialité pour le ministère public ; - d’autre part, qu’il est possible effectivement que des progrès restent à accomplir en termes de statut pour faire lever le soupçon de partialité susceptible de peser sur le parquet. C’est un sujet qui m’intéresse tout particulièrement en cette période d’éventuels changements à la faveur d’un éventuel renouvellement politique. J’ai fait connaître ma position sur ce point que je rappelle ici brièvement. Pour que le parquet offre les garanties de neutralité et donc d’impartialité que l’on est en droit d’attendre de tout grand service public, a fortiori lorsqu’il s’agit de justice, il faut couper le lien avec l’exécutif, et pour cela, agir sur deux leviers qui sont la suppression des instructions individuelles et les nominations. Je ne désespère pas que des progrès soient accomplis en ce domaine. Mais c’est surtout de l’impartialité du juge que je voudrais vous entretenir. A première vue, le sujet pourrait ne pas en être un... ne suffirait-il pas d’observer qu’un juge doit être impartial comme il respire et que cette exigence de l’impartialité est tellement évidente qu’elle s’impose sans qu’il soit utile de disserter longuement ? Il est sûr qu’un juge partial ne serait plus un juge. Mais procéder par cette seule affirmation péremptoire ne reviendrait qu’à voir la surface des choses, car la justice peut être exposée non seulement au risque, qui n’est pas toujours théorique, de la partialité, mais aussi au risque bien plus réel encore d’une accusation de partialité, fondée ou non mais à laquelle il faut bien pouvoir répondre. Beaucoup de points sont certes en principe évidents en matière d’impartialité. Il est interdit à un juge de connaître du cas de ses amis, de ses ennemis, de ses parents, d’intervenir dans un litige auquel il est directement intéressé. Il lui est de même interdit de poursuivre à travers ses décisions un combat personnel pour faire triompher ses propres thèses au mépris des éléments de droit ou de fait figurant en procédure...

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Vie du droit C’est que l’atteinte au devoir d’impartialité serait une négation de la fonction même de juger. Un juge partial n’est plus un juge, au point que la volonté délibérée d’avantager une partie non seulement invaliderait complètement la décision suivant l’exercice normal des voies de recours mais aussi exposerait son auteur à des poursuites disciplinaires. Tout cela nous le savons. Et pourtant, des magistrats, des juridictions, peuvent dans certains cas adopter un comportement qui surprend. - Dans les années 1980, le président du tribunal de commerce d’une grande ville du sud de la France laissait plaider son fils devant lui... la rumeur disait même qu’il était très sensible à la force de ses arguments, tandis qu’un journal satirique paraissant le mercredi écrivait simplement que, dans cette juridiction, la justice était rendue « au nom du père et du fils ». Il a finalement été sommé de démissionner. - L’Inspection générale des services judiciaires, puis le CSM, avaient dû se pencher sur le cas d’un juge aux affaires familiale qui ne trouvait rien de mieux que de désigner son épouse en qualité d’enquêtrice sociale. Il lui avait échappé que ce choix, certes rémunérateur pour son ménage, pouvait justement conduire à douter de son impartialité dans la lecture ou la critique qu’il pouvait ensuite faire des enquêtes ainsi effectuées. Ce magistrat ne semblait pourtant voir aucune difficulté dans cette situation et semblait se dire « cela ne pose aucun problème puisque je suis impartial » sans considérer que d’autres que lui pouvaient avoir une opinion différente et vous savez que cela nous mène à la nécessité d’une impartialité apparente. D’autres exemples pourraient bien sûr être encore cités... La Cour de cassation a organisé en 2004 un cycle de conférence passionnant sur les méthodes de jugement. Une conférence avait ainsi pour thème « l’officieux et le non-dit dans le jugement » pour approcher tout ce qui pouvait contribuer à la prise de décision sans intervenir de manière visible dans la motivation. Le professeur Terré avait observé que la loi de 48 sur les baux d’habitation avait son équivalent sur le fermage. Toutefois les dispositions analogues de ces deux lois avaient donné lieu à des interprétations très différentes. La première application de la loi sur les baux d’habitation était plutôt favorable aux locataires tandis que celle de la loi sur le fermage l’était aux propriétaires. Le professeur Terré se demandait donc, non sans malice, s’il fallait en tirer la conclusion que les juges, à l’époque, étaient locataires à la ville et propriétaires à la campagne... Pour aborder plus rigoureusement le sujet qui nous intéresse, je procéderai successivement par un bref rappel des textes puis par un examen plus précis de ce que peut être l’impartialité selon qu’elle est subjective ou objective. Je terminerai par quelques interrogations.

I. Les textes L’impartialité, si elle est inhérente à la fonction de juger, résulte aussi de plusieurs textes même si, le mot « impartialité » n’est employé que dans de rares dispositions du Code de procédure pénale(1) et, sauf erreur, dans aucune du code de procédure civile.

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Il sera plutôt recouru à des périphrases sur la contradiction, sur l’instruction à charge et à décharge, sur les droits des parties. On ne trouve pas plus l’entrée impartialité dans le Dictionnaire de la culture juridique(2) mais on la trouve, avant le mot imperium, dans le Dictionnaire de la justice(3). Parmi les textes les plus importants, on compte : - la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » ; - le serment de magistrat. Se conduire en digne et loyal magistrat, c’est être loyal envers les parties et être loyal c’est être impartial ;

Le statut des juges tend à assurer la compétence, l'indépendance et l'impartialité que toute personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune des juges auxquels est confiée la protection de ses droits. Il exclut tout dispositif et toute procédure de nature à altérer la confiance en cette compétence, cette indépendance et cette impartialité. A cet ensemble, je dois ajouter le recueil des obligations déontologiques des magistrats, où l’on retrouve l’ensemble des principes que je vais continuer d’aborder devant vous. C’est à partir de l’article 6-1 de la CEDH que je

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée Jean-Louis Nadal contre elle.

- les dispositions de l’ordonnance statutaire, du code de l’organisation judiciaire ou du code de procédure pénale sur les incompatibilités, qui visent à empêcher la création de situation laissant naître un soupçon de partialité en raison de liens politiques, familiaux ou fonctionnels ; - les dispositions de procédure civile et pénale sur la récusation, (dont je rappelle qu’elles ne sont pas applicables au ministère public) : articles 341 et s. du Code de procédure civile; articles 668 et s. du Code de procédure pénale ; - les dispositions sur la suspicion légitime par lesquelles est mise en doute l’impartialité non d’un magistrat mais d’une juridiction tout entière (article 356 du Code de procédure civile, et 662 du Code de procédure pénale). Vous devinez que la suspicion légitime, qui touche le juge dans ce qu’il a de plus sacré, son indépendance, est en soi un élément très grave, et il est heureux de constater que, rares finalement sont les décisions rendues en ce domaine. - les dispositions sur les principes directeurs du procès civil ou pénal, en particulier sur le respect de la contradiction, l’administration de la preuve, les droits des parties ; - Le pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 14 dispose que « tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi [...] » ; - enfin les dispositions résultant de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. C’est bien sûr l’article 6-1 de la Convention sur le droit à un procès équitable. On sait que la jurisprudence de la CEDH a considérablement modifié notre approche de l’impartialité au point de modifier le dispositif jusqu’alors en vigueur. La Charte européenne sur le statut des juges, des 8-10 juillet 1998 sous l’égide du Conseil de l’Europe est ensuite venue appuyer le caractère primordial de cet article 6 :

voudrais tenter de mieux cerner cette notion d’impartialité. Considérons d’abord son libellé exact : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. C’est une disposition évidemment fondamentale dont il a été observé qu’elle nourrit à elle seule la moitié des contentieux soumis à la CEDH. Les « droits et obligations de caractère civil », doivent se comprendre, selon la comparaison avec la version en langue anglaise, comme les droits et obligations « de caractère privé » et englobent par exemple le domaine disciplinaire dès que sont en cause des droits de caractère civil, tels que le droit d’exercer une profession (à l’exclusion de la matière disciplinaire militaire en raison de la réserve émise sur ce point par la France). Le mot « tribunal » s’entend ici de tout organe exerçant des fonctions juridictionnelles. Ce peut-donc être une juridiction mais aussi un organe disciplinaire ou une autorité administrative indépendante ayant des pouvoirs de sanction. La précision est importante car si la décision est rendue par un organe assimilé à un tribunal et si celle-ci est soumise à un recours devant la cour d’appel puis devant la Cour de cassation, ces juridictions pourront apprécier la conformité de la décision rendue au regard des exigences de l’article 6-1 de la CEDH. C’est ainsi que la Cour d’Appel de Paris a jugé que manquait aux exigences du tribunal impartial le prononcé d’une sanction par la COB dont le président avait préalablement dénoncé dans la presse les « acrobaties financières » de la personne devant comparaître (cour d’appel

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Vie du droit de Paris, 7 mai 1997 ; D 1998, Sommaire. P.65). Il a été jugé en revanche que d’autres instances n’ont pas le caractère d’un tribunal et ne sont pas soumises aux dispositions de l’article 6.1 de la Convention. Par exemple, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la commission de surendettement des particuliers ne constitue pas un tribunal au sens de l’article 6.1 de la Convention (Cass civ 2ème, 18 décembre 2003, Bull.civ II, p.328, pourvoi n°0204149). Vous savez que la Cour de Strasbourg, partant de l’article 6.1 de la Convention, a bâti une doctrine opérant une nette distinction entre l’impartialité objective et l’impartialité subjective, pour respecter l’adage souvent cité « pour que la justice soit bien rendue, il ne suffit pas qu’elle soit bien rendue, il faut aussi qu’elle paraisse bien rendue », ce que Cervantès écrivait déjà dans Don Quichotte selon une formule qui serait aujourd’hui qualifiée de machiste : « Pour qu’une femme ait bonne réputation, il faut non seulement qu’elle soit vertueuse, mais qu’elle le paraisse ». Dans de nombreux arrêts, la CEDH rappelle que : Si l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut, notamment sous l’angle de l’article 6-1 de la Convention, s’apprécier de diverses manières. On peut distinguer sous ce rapport entre une démarche subjective, essayant de déterminer ce que tel juge pensait dans son for intérieur en telle circonstance, et une démarche objective amenant à rechercher s’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime. Quant à la première (...) pareille impartialité se présume jusqu’à preuve du contraire. (...) On ne saurait pourtant se borner à une appréciation purement subjective. En la matière, même les apparences peuvent revêtir une certaine importance. (...) ... doit se récuser tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité. Il y va de la confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer aux justiciables dans une société démocratique. (CEDH, Piersack c/ Belgique, 1er octobre 1982, § 30).

II. Que donne en pratique l’application de ces textes et de ces principes ? Nous débouchons, nous l’avons vu, sur une double conception de l’impartialité, ou plutôt sur une double facette de l’impartialité : - l’impartialité subjective qui met en jeu la conviction ou l’attitude personnelle d’un juge ; - l’impartialité objective, par laquelle, en dehors de toute suspicion dirigée contre la personne d’un juge ou d’une juridiction, il est attendu que ce juge ou cette juridiction ne se trouve pas dans une situation permettant de suspecter son impartialité. C’est au nom de ce principe que la Cour de Strasbourg a condamné la France en raison de la condamnation d’un accusé dont le conseil avait surpris l’avocat général discutant avec des jurés pendant une suspension d’audience(4). Penchons-nous donc sur ces deux aspects de l’impartialité :

1. L’impartialité subjective

La notion d’impartialité subjective n’est pas nouvelle. Son contraire est la partialité du juge qui, pour des raisons personnelles, étrangères au procès et qui ne tiennent qu’à lui, est favorable à une partie. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas d’imposer au juge l’obligation impossible... de ne pas avoir d’opinion. Il est évident que le juge peut et doit avoir une opinion sur la question qui lui est soumise. La spécialisation des juridictions conduit même à regrouper des juges ayant une opinion sur les questions qu’elles sont chargées d’examiner. Ce que l’impartialité interdit alors, selon la juste expression du professeur Marie-Anne FrisonRoche, « Ce n’est pas d’avoir une opinion, c’est de ne pas vouloir en changer, d’être dès le départ, hors de portée du débat ». (Marie-Anne FrisonRoche, l’impartialité du juge, D. 1999,chron p.53). L’impartialité subjective se présume : le juge, dès lors qu’il est juge, est censé agir en juge et donc être objectif. Dans le cas où existent des raisons de suspecter sa neutralité, il peut faire l’objet d’une demande de récusation. Une différence doit être faite ici entre la connaissance personnelle par le juge de l’une des parties au procès et son engagement pour une cause. La connaissance de l’une des parties est un fait rédhibitoire : le juge doit se récuser et peut sinon l’être à la demande de l’autre partie s’il ne le fait pas spontanément. Le cas devient disciplinaire lorsque le juge ne se récuse pas et intervient dans une affaire à laquelle il est intéressé ou peut le devenir. « Caractérise un manquement aux devoirs de son état de juge le fait, pour un magistrat, - de demander le renvoi d’une action dirigée contre le promoteur de l’immeuble dans lequel il est copropriétaire pour lui permettre de siéger lors de l’examen de l’affaire, de ne pas délibérer sur le champ, de conserver le dossier en délibéré, de proroger le délibéré à plusieurs reprises, de se contenter d’informer l’un des assesseurs de la solution choisie, et le fait de siéger en qualité de juge rapporteur dans une affaire de divorce dont l’un de ses amis l’avait entretenu, de conserver cette affaire en délibéré pendant plusieurs mois et de se prononcer sans en avoir rendu compte au tribunal en sa formation collégiale, comme le lui imposait l’article 786 du nouveau Code de procédure civile (CSM siège 2 juillet 1992, déplacement d’office). L’impartialité peut aussi être mise en doute indirectement, en raison de liens laissant suspecter une relation de dépendance entre un magistrat et un tiers. Le fait, pour un magistrat, de ne pas s’abstenir de rapporter devant la cour d’appel l’avis du tribunal sur la candidature d’un garagiste à une inscription sur la liste des experts et de le désigner ultérieurement à plusieurs reprises alors qu’il avait accepté de sa part d’importants services, notamment le prêt à titre gracieux d’un véhicule bien au-delà des usages commerciaux normaux et la dispense de commissions d’usage et de remboursement de la TVA, place ledit magistrat dans la dépendance morale de ce technicien et ne peut manquer de laisser peser le soupçon sur son impartialité CSM siège 12 mai 1997, déplacement d’office. L’affirmation de son parti pris par le juge invite de même à mettre en doute son objectivité.

L’hypothèse est sans doute rare, mais elle existe. La France a ainsi été condamnée par Strasbourg pour avoir manqué à l’exigence d’un procèsimpartial lors de la condamnation par une cour d’assises dont un juré avait été surpris en train de déclarer, hors audience « et en plus je suis raciste » (CEDH, 30 mars 1996, Remli C/ France). Dans un arrêt du 14 février 1911 (D 1911, - 1p.224) la chambre des requêtes considère qu’un tribunal excède ses pouvoirs lorsque, sans utilité pour la solution du litige, il formule des appréciations outrageantes pour l’une des parties. En l’espèce, il avait été écrit que : « La société La Mutuelle Parisienne n’était en réalité qu’un groupement ayant à la tête et à la direction des hommes vivant aux dépens des naïfs qui voudraient bien leur confier leur épargne ». Citons aussi un jugement d’une juridiction de proximité objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans cette affaire qui oppose le loueur d’un mobil-home de vacances, semble-t-il de médiocre qualité, à son client, le juge écrit : “Attendu que la juridiction de céans se devra tirer les conséquences légales applicables à ces agissements là encore volontaire d’une grossière déloyauté et révélateurs de la mauvaise foi aigüe et du grave manquement au respect dû à la justice, ensemble d’éléments qui démontre la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Madame M. dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que l’est la surface habitable de sa caravane, dont la satisfaction des clients qu’elle parvient à séduire en les trompant sur les qualités substantielles du bien loué ne figure absolument pas au nombre de ses préoccupations manifestement strictement financières et dont la cupidité le dispute à la fourberie ». Sur quoi l’avocat général a conclu à la cassation en observant que : « Le juge s’est départi de son obligation d’impartialité en énonçant des propos d’une particulière désobligeance à l’égard d’une partie en droit d’attendre de sa part des qualités d’objectivités e de distance par rapport aux faits ». L’avocat général a été suivi et, par arrêt du 14 septembre 2006, la 2ème chambre civile a cassé la décision au visa de l’article 6-1 de la CEDH. (pourvoi n° S 04-20.524, arrêt n°01355) Citons enfin pour mémoire cette affaire nauséabonde qui avait conduit la cour d'appel de Paris à rejeter le 3 novembre 2003 une requête en récusation présentée par un justiciable de confession musulmane contre un magistrat du tribunal correctionnel de Paris, au motif que ce magistrat aurait été de religion juive et donc, selon le requérant, partial à son égard. Une discussion s’en était suivi : fallait-il traiter cette requête comme telle, ou comme une infraction n’appelant en fait de réponse judiciaire qu’une poursuite pour outrage à magistrat et discrimination ? Toujours est-il que, par un avis publié du 20 mai 2005, le CSM, a rappelé qu'il a préconisé dans son avis au Président de la République du 11 mars 2004 que soit clairement posé le principe selon lequel un juge ne peut être récusé à raison de son sexe, de son orientation sexuelle,

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Vie du droit de son origine, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, une religion ou un courant de pensée déterminé. La situation est moins nette quand les raisons de suspecter l’impartialité du juge reposent non sur des liens avec une partie mais sur un engagement dans une cause, qui peut être diverse, telle que le droit au logement, le soutien aux étrangers, l’avortement. Il existe ici un lien évident entre le devoir d’impartialité et le devoir de réserve, notion dont il est délicat de cerner les contours. Celui qui s’exprime de manière excessive - de manière militante pourrait-on dire - sur un sujet peut-il

A l’audience, le juge sait-il qu’il est, lui, le premier jugé par le justiciable ?

Jean-Louis Nadal

ensuite être reconnu comme juge par ceux qui sur la même question ne partagent pas son analyse ? L’inspection générale des services judiciaires a eu à se prononcer sur le cas d’un magistrat du parquet qui, de manière visible, avait participé à une manifestation contre un projet de loi sur les étrangers. L’inspection avait alors conclu à un manquement au devoir de réserve, ce qui pouvait légitimement poser la question de son impartialité au moment où il serait conduit à appliquer le texte dont il contestait le projet. L’apparence intervient encore à propos de l’attitude du juge. Denis Salas l’observe avec beaucoup de finesse dans un article intitulé « le renouveau du débat sur l’éthique du juge ». A l’audience, le juge sait-il qu’il est, lui, le premier jugé par le justiciable ? Sait-il qu’il l’est non pour sa seule capacité à respecter les règles de droit mais simplement sur son attitude concrète : parler dans le micro ou hors micro, instruire à dossier fermé ou en relisant les procès-verbaux, utiliser tel ou tel mot, choisir le temps de parole et l’heure à laquelle un dossier est pris... Ces petites choses qui tiennent dans « la manière » expriment la réversibilité de l’acte de juger symbolisée par l’audience publique. Là encore, quelle garantie aura le justiciable d’être suffisamment entendu, d’être traité équitablement, à une heure décente et avec toute l’attention nécessaire ? Et tout magistrat du ministère public peut confirmer qu’il est très déstabilisant pour le parquet de requérir devant trois juges qui discutent entre eux, voire donnent l’impression de faire leur courrier... Le substitut sait ou espère qu’en réalité ces collègues sont en principe attentifs malgré les apparences... mais il n’en a pas l’impression. Quel peut être alors le sentiment d’un justiciable à

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qui le même sentiment serait donné que « le tribunal n’écoute pas son avocat » ? Le problème se poserait de manière évidemment plus critique pour un juge se faisant connaître par des propos dépassant le cadre de ce qui pourrait être simplement considéré comme excessif. Des mots ou des écrits à caractère raciste ou révisionniste le disqualifieraient nécessairement car il s’agirait alors d’infractions. 2 L’impartialité objective

C’est ici que la notion d’apparence prend toute son importance. Cette question concerne essentiellement des éléments extérieurs à la personnalité du juge. C’est l’organisation judiciaire qui est en cause, ce qui est beaucoup plus problématique. Qu’un juge donne l’impression de ne pas être aussi neutre qu’on le souhaiterait, cela existera toujours. Que le système organise l’apparence, le risque, voire la réalité, de la partialité, cela est beaucoup plus ennuyeux. Le problème ici posé est celui de la place du juge qui a déjà été amené à statuer avant-dire droit sur une affaire dont il est saisi au fond. Pendant longtemps, cette situation n’a pas posé de difficulté : - Soit il existait des textes très clairs, interdisant par exemple au conseiller de la chambre d’accusation qui a statué sur le renvoi en cour d’assises de participer à la formation de jugement. - Soit la jurisprudence interprétait dans un sens large les dispositions de l’article 341 du NCPC (« la récusation n’est admise ... que si le juge a précédemment connu de l’affaire comme juge… »). Il était ainsi admis qu’un juge ayant statué en qualité de juge des tutelles en première instance ne pouvait connaître du recours tutélaire exercé contre cette décision devant le tribunal de grande instance (Cass civ 2ème, 5 mai 1993, Bull II p.85). A la lumière de la jurisprudence de la CEDH, la Cour de cassation a été amenée à préciser sa position à propos du référé, qui peut se résumer comme suit : « Lorsqu’un juge a statué en référé sur une demande tendant à l’attribution d’une provision en raison du caractère non sérieusement contestable d’une obligation, il ne peut ensuite statuer sur le fond du litige afférent à cette obligation ». L’arrêt fondateur de cette jurisprudence est la décision Bord Na Mona (Assemblée plénière du 6 novembre 1998, 1ère espèce, Bull AP n°5). D’autres décisions ont suivi, mettant en œuvre la même approche : - un magistrat, qui à l'occasion d'une instance prud'homale a porté une appréciation sur le comportement d'un salarié dans ses rapports professionnels avec un client, ne peut participer ensuite à la chambre correctionnelle appelée à juger l'intéressé à raison des mêmes faits pénalement qualifiés. - En matière boursière, un membre de l’exCommission des opérations de bourse qui, dans une procédure de sanction, a été nommé rapporteur et a été chargé de procéder à l'instruction d'une affaire et à toutes investigations utiles, ne peut pas participer au délibéré. De même, la participation du rapporteur au délibéré du Conseil de la concurrence, serait-

ce sans voix délibérative, dès lors que celui-ci a procédé à des investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil est saisi, est contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; il en est de même pour la présence à ce délibéré du rapporteur général, l'instruction du rapporteur étant accomplie sous son contrôle. Vous savez que le législateur a pris acte de cette jurisprudence en transformant le Conseil de la concurrence en Autorité de la Concurrence où sont mieux séparées les fonctions de l’Autorité et du rapporteur général. La situation est différente lorsque le juge a statué certes une première fois dans une même affaire, mais sans intervenir sur le fond. Ainsi, le juge qui statue en référé non pour accorder une provision mais pour ordonner une expertise ou accorder une mesure conservatoire (Cass. AP., 6 novembre 1998, Guillotel,, Bull. AP., n°4, p.6). Le fait qu’un magistrat statue en appel sur le fond d'une affaire dans laquelle il s'était borné, en première instance, à ordonner une simple mesure d'instruction en formation collégiale - en l’espèce une expertise ayant ordonné un examen comparé des sangs - n'implique pas une atteinte à l'exigence d'impartialité appréciée objectivement au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne (Cass. civ. 1ère, 28 mai 2002, non publié). Il existe des hypothèses où le juge civil est amené à connaître à plusieurs reprises d’une affaire à la suite d’instances judiciaires distinctes, mais complémentaires. C’est notamment le cas, lorsqu’il statue par une seconde décision ne faisant que tirer les conséquences juridiques d’une première décision qui a déjà tranché le litige au fond. Un juge peut ainsi statuer sur la demande de liquidation d'une astreinte qu'il a prononcée sans méconnaître les exigences d'impartialité prévues par la Convention européenne (Cass. civ. 2ère, 8 avril 1998, Bull. II, n°122, p.72). En outre, il existe des hypothèses où le juge civil est amené à connaître à plusieurs reprises de la situation de l’une des parties (ou des parties) sous des angles juridiques différents. Enfin, les interventions successives d’un même juge civil sont toujours possibles lorsque la seconde intervention vient corriger une erreur matérielle (Cass. civ. 1ère, 28 mai 2002, Bull. I, n°148, p.114). De même, l’exercice d’une tierce opposition ne permet pas de contester l'impartialité de la juridiction civile qui a précédemment statué (cass. civ. 2ème, 20 octobre 2005, Bull. II, non publié). La chambre criminelle a, quant à elle, accepté qu’un magistrat ayant précédemment statué comme juge des liberté sur une demande de mise en liberté compose la chambre de l’instruction examinant un recours contre un refus de mise en liberté émanant de la même personne, dès lors que ce magistrat n’était pas l’auteur de la première décision (Crim. 24 mai 2005, Bull crim n°152). Enfin, la Cour de cassation ne va retenir le moyen tiré de l’absence d’impartialité objective de la juridiction civile que s’il est présenté in limine litis et en tout cas avant la clôture des débats par la partie à l’instance, c’est à dire dès

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Vie du droit que la partie a été réellement en mesure de connaître la composition de la juridiction, dont elle conteste la partialité fonctionnelle (Civ 1ère, 12 décembre 2006, Bull. 2006, I, n°543, p.483).

Conclusion Il serait agréable de parvenir à la conclusion que les questions touchant à l’impartialité du juge sont finalement d’une grande simplicité... il n’en est malheureusement rien, dès lors qu’en dehors de l’affirmation de deux grandes catégories d’impartialité, la subjective qui tient à la personne du juge et l’objective qui tient essentiellement aux apparences (lesquelles peuvent aussi concerner la personne du juge, ce qui n’est pas un facteur de simplification) et en dehors de cas déterminés où la loi interdit expressément au juge de siéger, l’appréciation de l’impartialité se fait essentiellement, au fil des décisions de la CEDH in concreto. Ayant dit tout cela, ai-je tout dit ? Rien n’est moins sûr. Il reste encore beaucoup de questions, touchant à la pratique quotidienne et qui sont peut-être les plus importantes, car elles participent directement à l’image de la justice et déterminent l’opinion que peuvent en avoir ceux qui recourent à elle.

La question de savoir dans quelles conditions le juge des référés peut ensuite siéger au fond est un problème essentiellement technique, sur lequel un justiciable n’aura pas toujours un avis. D’autres problèmes sont en revanche immédiatement perceptibles et sensibles sans que l’on sache de manière certaine comment les régler. C’est par ces quelques interrogations que je terminerai en renvoyant aux propos de Denis Salas que je citais tout à l’heure. - Comment le juge doit-il s’adresser au justiciable en étant sûr de respecter l’exigence d’impartialité objective : . doit-il « se mettre à son niveau » ou employer des termes qu’il ne comprendra pas ? . jusqu’où peut-il l’aider quand il n’a pas d’avocat ? . peut-il marquer son impatience, sa contrariété, devant des explications peu claires, devant une mauvaise maîtrise de la langue française... ? Comment prononcer son nom quand il est à consonance étrangère ? - Quelles règles de prudence respecter pour ne pas donner l’apparence de collusion avec le parquet ou un avocat en défense ou en demande (absence de contacts... entrée et sortie séparée...). - Au plan de l’organisation des juridictions : . comment régler les cas de « concubinages officieux » entre magistrats ou magistrats et avocats ?

. la constitution des formations de jugement peut-elle véritablement être considérée comme neutre ? A beaucoup de ces questions la réponse ne peut qu’être individualisée : elle est fonction du juge, de la conception qu’il a lui-même de son rôle et de ses rapports avec les justiciables. C’est sans doute ce qui fait la richesse de la matière et laisse un bel avenir à la notion d’impartialité objective. Et si vous me permettez de terminer par une réflexion légère, je serais tenté de dire, avec un humoriste anonyme, que quoi que l’on puisse faire, pour le justiciable, un juge impartial, c’est un juge qui est de son avis. * Jean-Louis Nadal est ancien Procureur Général près la Cour de cassation.

Notes : 1 - Articles 304, 668, 885, R 15-33-33 et R 15-33-36 du Code de procédure pénale 2 - PUF, sous la direction de Denis Alland et Stéphane Rials. 3 - Sous la direction de Loïc Cadiet (PUF). 4 - CEDH Farhi C/ France, 16 janvier 2007, n°17070/05 ; signalons que cette condamnation a donné lieu à la saisine de la commission de réexamen (qui n’a pas statué à la date de la rédaction de cette note). 2012-280

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Politique d’exécution des peines Loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines JORF n° 0075 du 28 mars 2012, page 5592, texte n° 1 a loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines a un impact certain sur la réglementation de l'expertise puisque son article 9 modifie l'article 2 de la loi n°71498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires qui prévoit désormais que : « III.- Nul ne peut figurer sur la liste nationale des experts judiciaires s'il ne justifie soit de son inscription sur une liste dressée par une cour d'appel depuis au moins cinq ans, soit de compétences reconnues dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France et acquises notamment par l'e xercice dans cet Etat, pendant une durée qui ne peut être inférieure à cinq ans, d'activités de nature à apporter des informations techniques aux juridictions dans le cadre de leur activité juridictionnelle. IV.-La décision de refus d'inscription ou de réinscription sur l'une des listes prévues au I est motivée. »

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Cette réforme permet de mettre la règlementation française en conformité avec les exigences posées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 17 mars 2011 dans l’affaire dite Penarroja et reprises dans l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 29 septembre 2011. Cet arrêt a en effet posé l’exigence de motivation des décisions de refus d’inscription initiale d’un expert

tant sur une liste de cour d’appel que sur la liste nationale. Il a également requis que soient prises en compte les qualifications acquises par un ressortissant de l’Union dans un autre Etat membre lui permettant notamment de solliciter son inscription sur une liste nationale sans satisfaire à l’exigence d’un délai de cinq années d’inscription préalable sur une liste de cour d'appel. Cette reconnaissance devait prendre en compte la diversité des statuts d'expert en Europe où certains experts ne peuvent travailler qu'au profit des parties quand le système judiciaire de leur Etat d'origine est accusatoire. Le III de l'article 7 prévoit ainsi un système d'équivalence avec la qualification acquise dans un autre Etat membre par l'exercice pendant un temps suffisant d'activités dans le domaine de l'information des institutions judiciaires. Il permet notamment d'éviter toute discrimination au détriment de nos nationaux. S’agissant de la motivation des décisions, la loi reprend aussi les préconisations du rapport de la commission de réflexion sur l’expertise, co-présidé par Madame Bussière, Première Présidente de la Cour d’appel de Bordeaux et Monsieur Autin, Procureur Général près la Cour d’appel de Pau, qui a été remis au Garde des Sceaux le 30 mars 2011. Ludovic Jariel Magistrat

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Aménagement des dispenses pour l’accès à la profession d’avocat Décret n° 2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d’accès à la profession d’avocat - JORF du 4 avril 2012 Ce décret complète le dispositif des passerelles vers la profession d’avocat ouvertes aux personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités. Il dispense de la formation théorique et pratique ainsi que du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) les personnes ayant exercé des responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi ainsi que les collaborateurs et assistants de parlementaires justifiant de l’e xercice d’une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant huit années. En outre, le texte institue, pour les personnes bénéficiant des passerelles mentionnées à l’article 98 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle. Art. 1er. - Le décret du 27 novembre 1991 susvisé est modifié selon les dispositions des articles 2 à 7 du présent décret. Art. 2. - Au neuvième alinéa de l’article 85, les mots : « à l’article 98 » sont remplacés par les mots : « aux articles 97-1 et 98 ». Art. 3. - L’article 93 est ainsi modifié : 1°) Le troisième alinéa (2o) est remplacé par les dispositions suivantes : « 2°) Les personnes bénéficiant d’une des dispenses prévues à l’article 97 ; « 3°) Les personnes bénéficiant de la dispense prévue à l’article 97-1 et ayant suivi une formation en déontologie et réglementation professionnelle d’une durée de vingt heures dispensée par un centre régional de formation professionnelle d’avocats ; « 4°) Les personnes bénéficiant d’une des dispenses prévues à l’article 98 et ayant subi avec succès l’examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle prévu à l’article 98-1. » ; 2°) Après le troisième alinéa (4o), devenu cinquième, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé : « 5°) Les personnes bénéficiant de la dispense prévue à l’article 99 ; » ; 3°) Le 3° devient le 6° ; 4°) Le 4° devient le 7° ; 5°) Le 5° devient le 8° ; 6°) Au dernier alinéa, les mots : « et 3° » sont remplacés par les mots : « , 3°, 4°, 5° et 6° ».

de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat. »

Art. 4. - Au premier alinéa de l’article 97, les mots : « et du stage » sont supprimés.

Art. 8. - Le présent décret est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Art. 5. - Après l’article 97, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé : « Art. 97-1. - Les personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration

Art. 9. - Le garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, est chargé de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française. 2012-281

Art. 6. - L’article 98 est ainsi modifié : 1o) Les huitième (7°) et neuvième alinéas sont supprimés ; 2o) Le 8o devient le 7° ; 3o) Il est complété par les dispositions suivantes : « 8o) Les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions ; « Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5°, 6° et 8° peuvent avoir exercé leurs activités dans plusieurs des fonctions visées dans ces dispositions dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à huit ans. » Art. 7. - Après l’article 98, il est inséré un nouvel article ainsi rédigé : « Art. 98-1. - Les personnes bénéficiant d’une des dispenses prévues à l’article 98 doivent avoir subi avec succès devant le jury prévu à l’article 69 un examen de contrôle des connaissances en déontologie et réglementation professionnelle. « Le programme et les modalités de cet examen sont fixés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du Conseil national des barreaux. « Nul ne peut se présenter plus de trois fois à l’examen de contrôle des connaissances. »

Au fil des pages

Les sept péchés capitaux de la justice française par Jean-Claude Magendie a justice française est à bout de souffle. Faut-il se résigner à son abaissement ? C'est ce que les politiques, de réformettes en reculs, semblent penser, comme s'ils avaient oublié l'enjeu vital qu'elle représente pour la démocratie. Jean-Claude Magendie, qui a été jusqu'à une date récente l'un des plus hauts magistrats français, profite de sa liberté de parole retrouvée pour analyser les dysfonctionnements de cette

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institution à la dérive et tracer les lignes de force de la refondation qui pourrait encore la sauver. Son essai clair et synthétique, diagnostic précis, fondé sur l'expérience la plus concrète, est, audelà de l'angoisse et de la colère qui le portent, un programme d'action, le premier de cette ampleur qui soit proposé par un acteur majeur du système judiciaire. 132 pages - 15 € Editions Léo Sheer - www.leoscheer.com 2012-282

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Rentrée solennelle

Tribunal de Grande Instance de Pontoise Pontoise - 17 janvier 2012

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

L'Audience Solennelle d'Installation et de Rentrée du Tribunal de Grande Instance de Pontoise s'est tenue le 17 janvier 2012, l'occasion pour Dominique Andréassier, Doyenne des Premiers Vice-Président et Marie-Thérèse de Givry Procureure de la République d'accueillir Renaud Le Breton de Vannoise Président de la juridiction val d'oisienne qui a remplacé Martine Comte installée en décembre dernier en qualité de Premier Président d'Orléans (voir Les Annonces de la Seine du 5 janvier 2012). La Chef du Parquet et la Doyenne ont parlé des atouts et des difficultés présentant objectivement "l'état" du Tribunal de Grande Instance de Pontoise, quant au Président installé, il s'est attaché à présenter sa conception du métier de juger : "comment expliquer la fonction de juger alors que tout en elle est nuance" a-til déclaré ? "Plus que jamais, il faut ouvrir notre justice, ouvrir notre profession car il n'est plus temps d'e xpliquer la justice lorsque souffle la tempête du fait divers" a-t-il ajouté. A la fin de son excellent discours dont nous publions ci-après de larges extraits, une lueur d'optimisme et d'espoir avec cette citation de Saint Exupéry " Dans la vie, il n'y a pas de solutions, il y a des forces en marche, il faut les créer et les solutions les suivent". Jean-René Tancrède

Marie-Thérèse de Givry, Renaud Le Breton de Vannoise et Dominique Andréassier

S’ouvrir sur l’extérieur par Dominique Andréassier

n ma qualité de Première viceprésidente la plus ancienne de ce tribunal, il aurait pu me revenir le privilège de prononcer le traditionnel discours d’installation mais les circonstances en ont décidé autrement et Madame le Procureur s’en chargera dans quelques minutes. Je tiens cependant Monsieur le Président d’un mot à vous remercier d’avoir, en quelques semaines, su trouver votre place dans notre (maintenant votre) juridiction.

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Vous avez fait notre admiration, en sachant, en si peu de temps, prendre la mesure de la juridiction, de ses atouts et de ses difficultés, en étant à l’é coute de tous et ce, alors qu’ici personne n’avait encore eu l’occasion de travailler avec vous, même si votre réputation, ô combien élogieuse, était arrivée jusqu’à Pontoise. Je n’ai quand même pas perdu tous mes privilèges puisqu’il m’a été laissé celui de rendre hommage à votre prédécesseuse Martine Comte. La tâche pour moi est non seulement facile mais également agréable puisque j’ai travaillé avec cette dernière de son arrivée dans la juridiction en janvier 2008 jusqu’à son départ en décembre 2011 et j’ai ainsi pu apprécier cette « grande dame » de la magistrature.

Martine Comte a laissé dans cette juridiction, à plus d’un titre, une empreinte indélébile. Elle a été celle qui, avec Madame le Procureur, a su, de façon remarquable, organiser le procès Concorde, celle qui a préparé la mise en place de Cassiopée mais surtout Martine Comte laissera le souvenir d’une présidente qui a « poussé » cette juridiction toujours plus loin dans de nouvelles réalisations avec le souci constant d’améliorer les pratiques et de s’ouvrir sur l’extérieur. Martine Comte s’est dépensée sans compter pour cette juridiction et tous ceux et celles qui ont travaillé avec elle garderont le souvenir de son goût d’entreprendre et surtout de mener à bien tous les projets même si nous pensions parfois qu’ils étaient irréalisables.

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Rentrée solennelle Nous lui souhaitons bonne chance dans ses nouvelles fonctions de Premier Président de la Cour d’Appel d’Orléans, fonctions dans lesquelles, nous n’en doutons pas, elle réussira aussi bien qu’à Pontoise. Mais Monsieur le Président que mon enthousiasme pour le travail réalisé par Martine Comte ne vous face pas douter d’être à la hauteur de la tâche qui vous attend. Sachez d’ores et déjà que vous pouvez compter sur le soutien des magistrats et des fonctionnaires de ce tribunal qui vous renouvellent, par ma voix, leurs vœux chaleureux de bienvenue et de réussite. Le Tribunal de Grande Instance de Pontoise est une œuvre architecturale de M.Ciriani dont l’emménagement final a eu lieu en octobre 2005. C’est un bâtiment spacieux, lumineux, dans lequel il est agréable de travailler même si régulièrement nous avons à connaître quelques dysfonctionnements ou malfaçons dont certains sont toujours en cours de règlement. Ce tribunal comporte, outre le TGI, 4 tribunaux d’instance, 3 conseils des prud’hommes, 7 maisons de justice et 3 points d’accès au droit. Il se situe dans un département où 29% de la population a moins de 20 ans. Les effectifs des magistrats du siège sont actuellement de 66 emplois localisés sur lequel il persiste un déficit de 7,6 équivalent temps plein en janvier 2012. Je vous épargnerai la lecture des chiffres relatifs à l’activité, tant civil que pénal, de la juridiction puisque la plaquette mise à votre disposition vous éclairera sur ce point. Ceci étant il m’a semblé intéressant de vous parler de quelques atouts et difficultés susceptibles de permettre d’appréhender au mieux l’état de cette juridiction en ce début d’année nouvelle.

Le juge de la liberté et de la détention (JLD) Deux magistrats assurent ce service au tribunal de grande instance. Depuis mai 2011, il y a eu une disparition progressive du contentieux des étrangers suite à l’arrêt de la Cour européenne de Justice et à l’absence de centre de rétention administrative. Les JLD ont instauré, suite aux nouvelles dispositions légales instaurées par la loi du 1er août 2011, une prise en charge efficace des hospitalisations sous contrainte en assurant une audience hebdomadaire dans chacun des 7 établissements hospitaliers situé sur le ressort du TGI. Le système retenu satisfait les patients, leurs familles, les médecins et directeurs d’hôpitaux. C’est ainsi que 95% des décisions sont rendus par les JLD après qu’ils aient vu les patients. Le souhait de la juridiction est de disposer, eu égard à la lourdeur de ce nouveau contentieux, des moyens suffisants, afin d’assurer le respect constant des droits des justiciables notamment les plus faibles.

Politique juridictionnelle de l’audiencement La juridiction a décidé en juin 2010, à l’issue des audiences du procès Concorde qui s’est tenu de

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février à mai 2010 et qui a perturbé pendant plus d’une année la vie de la juridiction en, notamment, provoquant un retard conséquent, de réfléchir à une politique de co-audiencement en raison du stock important d’ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel en attente de jugement (plus de 300 dossiers). A l’issue de cette réflexion commune entre le parquet et le siège il a été : - défini des priorités de co-audiencement, (selon la nature des affaires : atteintes aux personnes ou atteintes aux biens) ; - mis en œuvre un agenda électronique permettant d’optimiser le temps d’audience ; - et décidé de lutter contre les demandes de renvois. C’est ainsi que l’objectif d’un audiencement « à stock zero » a été réalisé : les affaires d’attentes aux personnes sont jugées dans les 15 mois de l’ordonnance de renvoi et celles d’atteintes aux biens dans les 18 mois. Même si ces délais d’audiencement sont encore trop longs, cependant, eu égard aux moyens dont disposent la juridiction, il est satisfaisant de constater qu’ils restent relativement stables et que la visibilité pour chacun, magistrats et justiciables, est totale.

Le service des mineurs Ce service est l’un de ceux qui a le plus souffert des problèmes d’effectifs tant en magistrats qu’en greffiers et ce, depuis plusieurs années. C’est ainsi que le bilan en ce début d’année 2012 est alarmant et nécessite que des efforts soient concentrés sur ce service. Des priorités de jugement ont été dégagées mais malheureusement à ce jour le retard reste considérable et les nouvelles dispositions légales (tribunal correctionnel des mineurs) ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne risquent d’augmenter encore ce retard. Tous les postes de juges pour enfants ne sont pas pourvus en ce début d’année 2012 mais j’ose espérer que durant cette année les moyens vont être donnés à la juridiction pour faire sortir ce service de l’état de souffrance dans lequel il se trouve encore aujourd’hui.

Le service de l’application des peines Un contrat d’objectif a été signé avec la Chancellerie le 23 février 2011 relatif à l’apurement des peines d’emprisonnement exécutoire. La mise en place d’une politique concertée entre le Parquet et le Siège sur l’exécution et l’application des peines a vu le jour mais notamment un déficit d’effectifs de magistrats au service de l’application des peines (du moins jusqu’à la fin de l’année 2011) n’a permis qu’une réalisation partielle des objectifs prévus. Il convient cependant de relever que malgré cette situation, ce service a en 2011 augmenté le nombre de décisions rendues. L’année 2012 devrait nous permettre de réaliser au mieux les objectifs donnés sous réserves bien évidemment du maintien des moyens existant et de l’effectivité des moyens promis.

Il me faut rendre hommage à Pierre Fanjeaux, juge d’application des peines, décédé le 20 juin 2011, et qui, malgré son état de santé est, jusqu’au dernier moment, resté solidaire de ses collègues et a assuré son service avec courage.

Le contentieux civil Il est difficile en ce début d’année d’apprécier l’évolution des stocks eu égard à la redistribution des compétences entre TGI et TI à la suite du rapport Guinchard. Pour les affaires civiles, hors affaires familiales, on observe une diminution du stock facilitée, il est vrai, par une baisse des affaires nouvelles. S’agissant des affaires familiales, si le stock a augmenté, dans un contexte d’augmentation des affaires nouvelles, la réorganisation de ce service en cours d’année 2011 et une réflexion visant à réduire les délais de traitement, devrait permettre une amélioration de la situation en 2012, sous réserves des moyens alloués à ce service. Les services de l’aide juridictionnelle qui, par le passé, avait connu quelques difficultés est aujourd’hui un service qui fonctionne très bien. Je ne peux terminer cette présentation succincte et incomplète de la juridiction sans vous parler de Cassiopée.

Cassiopée Cassiopée l’une des 88 constellations du ciel ou la reine d’Ethiopie (selon la mythologie grecque) ? Non, rien d’aussi romantique, en réalité dans notre monde judiciaire ces initiales désignent la Chaîne Aplicative Supportant le Système d’Information Orientée Procédure Pénale et Enfants soit, en d’autres termes, un logiciel informatique qui a vocation à substituer les programmes de la chaîne pénale, service des mineurs et de l’instruction compris. C’est pour notre juridiction une grande aventure « informatique » en ce début d’année 2012, aventure que pratiquement toutes les juridictions ont déjà vécue, voire surmontée, puisque les tribunaux de la région parisienne sont les derniers équipés. Combien d’heures avons-nous passé et passons encore pour assurer la mise en œuvre dans les meilleures conditions possibles de cette chaîne pénale informatique. Nous avons tous conscience que l’aventure sera difficile, que cela va entraîner de nouveaux retards pour notre juridiction (après ceux provoqués par la tenue du procès Concorde et en dépit des efforts que nous avions fait pour les résorber) mais nous savons aussi que cela nous permettra de disposer d’un nouvel outil informatique très performant. La rentrée solennelle de l’année 2013 sera l’heure du bilan quant à l’impact de Cassiopée sur la juridiction. Enfin Je profite de cette rentrée pour remercier le Barreau du Val-d’Oise de la qualité et de la loyauté des échanges entretenus avec lui tout au long de ces dernières années.

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Rentrée solennelle Améliorer la sécurité des personnes par Marie-Thérèse de Givry (…) e suis particulièrement heureuse de vous accueillir aujourd’hui et très honorée de vous présenter à tous ceux qui nous ont fait l’honneur d’assister à cette audience solennelle. Monsieur, votre parcours professionnel témoigne de la diversité des fonctions que vous avez exercées, de la richesse de votre personnalité, de votre esprit d’ouverture et de vos grandes compétences que vous allez mettre au service de notre tribunal. (…)

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Nous allons œuvrer ensemble dans ce département du Val-d’Oise que j’ai appris à connaître. Plus encore sans doute qu’ailleurs, les habitants du Val-d’Oise attendent de la Justice qu’elle soit moderne, efficace, présente et humaine et qu’elle puisse contribuer, dans le domaine pénal, par les décisions rendues et les orientations données aux procédures à garantir la sécurité des personnes et des biens. Avec près de 1,2 million d’habitants, 185 communes, une communauté d’agglomération Cergy-Pontoise, regroupant près de 200 000 habitants, le département du Val-d’Oise présente un double visage : un espace très urbanisé mais également des territoires ruraux, et notamment la très belle région du Vexin couverte par un parc naturel régional. Le département du Val-d’Oise, département le plus jeune d’Ile-de-France, 30% des habitants ont moins de 21 ans, est riche de sa diversité mais il concentre dans certains territoires de grandes difficultés : 22 zones urbaines sensibles regroupent 16% de la population, le taux de chômage est élevé, particulièrement celui des jeunes, 9,6% des chômeurs ont moins de 24 ans et ce taux de chômage atteint dans certaines communes un pourcentage beaucoup plus élevé. Ces difficultés ont des conséquences sur tous les contentieux dont notre juridiction est saisie, et il nous revient constamment d’arbitrer entre l’activité civile et pénale, sachant que pour cette dernière nous avons à faire face à des enjeux importants : - un département où le taux de criminalité est le plus élevé du ressort de la cour, - une délinquance qui se caractérise : . par une proportion importante d’atteintes volontaires à l’intégrité physique, dont sont victimes, les plus faibles, et je pense particulièrement aux personnes vulnérables et aux femmes dans le cadre intra familial, . par l’importance des vols avec violences commis notamment dans les transports en commun ou aux abords des gares, . par l’augmentation des vols par effraction, . les difficultés rencontrées au quotidien par les forces de l’ordre, fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie dans l’exercice de leurs missions et les violences dont ils sont victimes, . les violences entre bandes dans le cadre de rivalités entre quartiers, . les trafics organisés que ce soit bien sûr dans le domaine des infractions à la législation sur

les stupéfiants, mais également, toutes formes de trafic permettant une appropriation rapide de biens, trafics de véhicules volés, vols de fret, vols au domicile de particuliers s’accompagnant de faits de séquestration, . la lutte contre le travail dissimulé et les fraudes, et contre la délinquance économique dont les conséquences sont lourdes pour la société, . sans omettre la délinquance routière, sujet de préoccupation en raison des nombreux axes routiers qui traversent notre département et des conséquences dramatiques pour les familles dans les accidents mortels de la circulation. Monsieur le Préfet, Nous travaillons ensemble pour améliorer la sécurité des personnes et des biens dans ce département. Vous communiquerez les chiffres de la délinquance dans notre département lors du prochain Etat-Major de sécurité que nous coprésidons ensemble tout comme le Comité départemental opérationnel anti-fraude dont les résultats sont très encourageants dans notre département : 275 contrôles diligentés qui ont permis de mettre à jour des préjudices pour 15,1 M_ contre 6,6 M_ l’année dernière. Je souhaite simplement relever quelques indicateurs révélateurs de l’efficacité de l’action des services de police et de gendarmerie : - Une hausse du taux d’élucidation. Ce taux d’élucidation atteint à la fin de l’année 2011 près de 34%. - Une augmentation de 6% des infractions révélés par l’activité des services qui témoigne de leur dynamisme et de leur implication. - Une forte baisse des vols à main armée 180 en 2011 alors que ce nombre était de 274 en 2010 Cette baisse est incontestablement liée aux interpellations d’équipes de délinquants par les services de la police judiciaire, mais également au nombre important d’affaires résolues grâce aux rapprochements faits avec l’évolution de la police technique et scientifique. Elle est également la conséquence de l’activité des circonscriptions de sécurité publique et la vigilance accrue de tous les services de police et de gendarmerie. (…) Quels enseignements dégager de l’activité du parquet de Pontoise en 2011 ? Une activité soutenue, 101 600 affaires nouvelles reçues : - un taux de réponse pénale de 88% pour les auteurs majeurs et de 94% pour les auteurs mineurs, - une baisse de saisine du tribunal correctionnel au profit des modes simplifiées de poursuites, et notamment de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité qui a augmenté de 9%, 1383 procédures ont été jugées ainsi en 2011, - une augmentation du nombre d’affaires classées après la réussite d’une mesure alternative aux poursuites. Il nous faudra, Monsieur le président, adapter notre dispositif en fonction des nouvelles dispositions votées le 13 décembre 2011 qui étendent le champ de l’ordonnance pénale délictuelle et créent la possibilité pour le juge d’instruction, avec l’accord du procureur et de toutes les parties, de renvoyer l’affaire aux fins de mise en œuvre d’une comparution préalable de culpabilité.

Une action publique lisible et forte passe par le recours pour les faits les plus graves élucidés dans le temps de la garde à vue et pour les récidivistes à la comparution immédiate, nous devrons réfléchir ensemble, Monsieur le président, avec Madame la première viceprésidente chargée du secteur pénal, à une organisation la plus adaptée des audiences de comparution immédiate. Une action publique lisible pour la délinquance des mineurs avec le rajeunissement inquiétant de l’âge des mineurs et la difficulté de trouver des structures adaptées pour les mineurs de 13 à 16 ans. 445 mineurs ont été déférés en 2011 et le parquet s’est attaché à maintenir sa politique de saisine du tribunal selon la procédure sur présentation immédiate ou pour jugement à délai rapproché. Nous allons mettre en œuvre la loi du 10 août 2011 avec la création du tribunal correctionnel des mineurs dont la particularité est de ne pouvoir être saisi par le parquet mais uniquement par les décisions de renvois des juges des enfants et des juges d’instruction et définir une politique de co-audiencement pour les dossiers renvoyés devant le tribunal pour enfants comme nous l’avons fait pour les dossiers renvoyés devant le tribunal correctionnel par les juges d’instruction afin de résorber le retard, conséquence de postes demeurés vacants au tribunal pour enfants. Enfin, nous devons poursuivre le contrat d’objectifs signé en matière d’exécution des peines dont les effets ne se font pas encore sentir en raison d’une situation difficile en 2011 en

les habitants du Val-d’Oise attendent de la Justice qu’elle soit moderne, efficace, présente et humaine et qu’elle puisse contribuer, dans le domaine pénal, par les décisions rendues et les orientations données aux procédures à garantir la sécurité des personnes Marie-Thérèse de Givry et des biens.

termes d’effectifs de magistrats au service de l’application des peines. Notre justice ne saurait être crédible sans une mise à exécution des peines fermes exécutoires prononcées par la juridiction. L’année 2011 aura été celle de la réforme de la garde à vue. Sur la base des orientations données, les magistrats du parquet se sont mobilisés sans compter pour répondre aux légitimes interrogations des services d’enquête qui ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’une grande loyauté. La réforme a incontestablement fait baisser le nombre de gardes à vue de 30% en ce qui concerne les délits routiers et de 15% dans le domaine de la délinquance générale. (…)

Les Annonces de la Seine - jeudi 5 avril 2012 - numéro 25

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Rentrée solennelle Polyvalence et solidarité professionnelles par Renaud Le Breton de Vannoise (…) n prenant mes fonctions, je voudrais m’adresser au Conseil Supérieur de la Magistrature. C’est à son choix que je dois d’être à ce siège aujourd’hui. Je remercie ses membres d’avoir placé en moi leur confiance. Je voudrais les assurer que je reçois cette lourde charge en en mesurant le poids, et en sachant tout ce qu’elle implique d’exigences personnelles. Je dois admettre que ma prise de fonction m’est apparue d’emblée facilitée au terme d’un premier état des lieux, par le constat d’une juridiction très administrée. Je le dois à Mme la première présidente Martine Comte, à qui je succède aujourd’hui. Je ne saurais mieux exprimer l’empreinte durable qu’elle a laissée ici à Pontoise que l’ont fait ceux qui l’ont connue à

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Il faut avant tout compter sur les hommes, sur leur motivation et sur la conscience qu’ils ont du service qu’ils doivent rendre.

Renaud Le Breton de Vannoise

l’œuvre. Et je dois dire que je ne suis pas surpris des éloges que j’entends quotidiennement depuis mon arrivée. Non seulement parce qu’elle est passée par deux écoles d’excellence, celle de la direction des services judiciaires et celle de l’inspection générale des services judiciaires, mais aussi pour l’avoir rencontrée à quelques reprises lorsqu’elle était directrice déléguée à l’administration régionale judiciaire de Paris tandis que j’étais moi moi-même sousdirecteur de l’organisation judiciaire au ministère de la justice. C’est toujours partagé entre la haute estime que j’avais pour elle et une certaine appréhension que je la rencontrais tant son sens de la précision était chirurgical, mettant souvent en difficultés les meilleurs éléments de mes services. Je lui sais gré de tout ce travail au sein du tribunal de grande instance de Pontoise, dont j’ai l’impression aujourd’hui de recueillir les fruits. En effet, l’état des lieux auquel je me suis livré en arrivant dans cette juridiction m’a permis d’identifier d’importants atouts. Ce palais de justice est l’un des plus beaux de France. Je pèse mes mots pour en avoir beaucoup visités dans mes précédentes fonctions. L’état des finances publiques, je le sais trop bien, ne permettra désormais que rarement d’aussi belles réalisations alors que le parc national des cours et tribunaux, de 2,3 millions de mètres carrés, est globalement d’une grande

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vétusté. Il faut donc savoir apprécier ce privilège à chaque instant. J’ai aisément discerné un autre atout important : la grande conscience professionnelle tant des magistrats que des fonctionnaires. C’est un constat vivifiant pour un nouveau chef de juridiction et un véritable moteur de progrès ou de résilience face aux difficultés. Je l’ai notamment constaté à l’occasion du déploiement du nouvel applicatif de la chaine pénale, du nom Cassiopée, qui impose un réinvestissement professionnel important pour les agents concernés. Ce chantier, en cours depuis une dizaine de jours et mené avec le soutien sur place de la direction des services judiciaires, témoigne du dévouement et de la cohésion dont tous font preuve pour passer cette étape difficile, mais préparatoire à un progrès important dans la gestion des procédures pénales et le recueil automatisé de statistiques indispensables à la recherche d’une meilleure performance. Mais des difficultés, il y en a aussi. Il ne serait pas lucide de les occulter. La conférence des présidents de tribunaux de grande instance, par son conseil d’administration, a évoqué il y a quelques jours combien l’année 2011 avait été difficile pour l’ensemble des juridictions, et souhaité que l’année qui s’ouvre ne soit pas celle d’une nouvelle avalanche de réformes, que les ressources humaines soient garanties à la mesure des charges confiées, que les budgets annoncés soient effectivement alloués et que la justice soit respectée comme garante de l’Etat de droit et non systématiquement dénigrée lorsque les décisions déplaisent. J’ai donc conscience de reprendre des fonctions de chefs de juridiction à un moment très difficile. J’avais pourtant eu l’impression de les quitter il y a quelques années pour rejoindre l’administration centrale alors que la situation apparaissait pour le moins tendue. Le fait est, quoiqu’il en soit, que je redécouvre l’inquiétude face aux stocks qui peinent à diminuer lorsqu’ils n’augmentent pas, le rythme incessant des affaires nouvelles qui ne laissent jamais de répit, la gestion quotidienne des imprévus, inévitables dans une collectivité humaine de la taille de la juridiction de Pontoise, ou encore la gestion d’une ressource humaine apparaissant par trop limitée. Sur ce dernier point en effet, malgré une armature d’encadrement solide par une équipe de greffiers en chef dynamiques, sous votre direction Monsieur directeur de greffe, les effectifs de greffe me paraissent très justes au regard de la charge. Le volume réel des effectifs de magistrats connait lui aussi une insuffisance, liée notamment à la contribution louable des plus jeunes d’entre eux à la croissance démographique de ce pays, insuffisance heureusement atténuée par le soutien de la cour dont nous aurons, Monsieur le Premier président, toujours grand besoin dans les prochains mois. En matière budgétaire, je redécouvre aussi les impacts locaux de la contrainte nationale. La dotation en matière de frais de justice, par exemple, connaît ici, comme au plan national, une insuffisance structurelle qui va poser avec gravité la question de la pérennité du réseau des prestataires de service et parmi eux des experts dont le défaut pourrait faire peser un risque lourd sur la continuité du service public de la justice. (…)

Aux fonctionnaires de justice et par votre intermédiaire Monsieur le directeur de greffe, je voudrais dire ceci : Tout, dans mon expérience de magistrat et de gestionnaire des services judiciaires, m’a montré combien vous constituez le socle sur lequel tout l’édifice judiciaire est posé. Sans la protection dont jouissent les magistrats par le cérémonial judiciaire, vous êtes directement confrontés au public et contribuez vous-même à la fonction d’apaisement qui est celle de la justice. Vous êtes, bien souvent dans l’ombre, la cheville ouvrière de nos juridictions. Votre profession est trop rarement à l’honneur, et en prenant mes fonctions, j’aimerais lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Mes chers collègues, magistrats, c’est vers vous que je voudrais à présent me tourner, pour évoquer ce métier si difficile, à certains égards si étrange, mais si nécessaire et pour lequel je nourris une véritable passion, le métier de juger. La fonction sociale de l’acte de juger est si fondamentale que l’on concentre sur les personnes qui l’exercent des griefs en euxmêmes irréconciliables, reflets des contradictions de notre société que tous les systèmes de régulation existants ont été, en amont, impuissants à résoudre. Lorsque ceci n’est pas entendu de ceux-là mêmes qui ont la charge de l’expliquer à nos concitoyens, la fonction est fragilisée, et avec elle l’Etat dans son ensemble. Il faut admettre que comprendre l’acte de juger n’est pas intuitif. Ce métier impose à celui qui l’exerce de veiller en permanence à l’équilibre entre des impératifs contradictoires, qui le traversent intrinsèquement parfois plus intensément que les sujets qui opposent les acteurs du débat judiciaire. Ainsi, le juge doit-il en lui-même : - concilier la grandeur de la fonction sociale qui lui est confiée et l’humilité personnelle qui seule lui permet de bien l’exercer ; - concilier l’enracinement dans la vie sociale dans laquelle il doit puiser la compréhension du monde qui l’environne et la nécessaire distance qu’il doit observer pour préserver son indépendance ou tenir éloigné le doute susceptible d’être jeté sur elle ; - concilier l’écoute attentive et active dont il doit faire preuve pour s’imprégner de la position des parties et le recul qu’il doit observer dans le respect scrupuleux de sa neutralité ; - concilier cette absolue neutralité qu’il doit observer tout au long du débat judiciaire et, à son terme, l’obligation de trancher le litige et donc de prendre parti sous peine de déni de justice ; - concilier la charge émotionnelle des cas qu’il a à connaître et la sérénité qui ne doit jamais cesser de l’habiter ; - concilier la crainte obsessionnelle de l’erreur avec laquelle il vit et le silence des prévenus érigé en droit, ou le mensonge qui veut l’égarer dans la plupart des affaires qui lui sont soumises ; - concilier la liberté de la presse constitutionnellement reconnue et le silence auquel il est lui-même légalement et statutairement tenu ; - concilier l’attention que requiert chaque affaire parce qu’elle est unique pour le justiciable et l’efficacité que requièrent le traitement de masse et la recherche d’un délai raisonnable de jugement.

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Rentrée solennelle

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Renaud Le Breton de Vannoise

Comment expliquer simplement la fonction de juger alors que tout en elle est nuance ? Comment rivaliser à armes égales avec les promoteurs d’idées simples sur le fonctionnement de la justice, à une époque où l’information circule à la vitesse de l’instantanéité, lorsqu’il faut une seule phrase, voire quelques mots d’alerte sur un Smartphone, pour stigmatiser le principe même de la libération conditionnelle à l’occasion d’un fait divers sordide, mais qu’il faut un article de fond, voire un livre entier pour démontrer que le dispositif de l’application des peines, même s’il comporte des échecs, est ce que l’on a inventé de mieux pour lutter contre la récidive ? Comment faire comprendre que le respect de la présomption d’innocence et l’é quilibre recherché dans le choix de la peine ne sont pas de l’indifférence à l’égard de la douleur des victimes avec laquelle, il faut s’en souvenir, les magistrats vivent quotidiennement, mais bien la suprématie choisie de la justice sur l’instinct de vengeance ? Comment faire comprendre que c’est parce qu’il est garant du respect de la loi que le juge l’applique avec la même loyauté, qu’il s’agisse d’envoyer des auteurs de délits récidivistes en prison en application de la loi sur les peines planchers ou qu’il s’agisse de les en faire sortir en application de la loi pénitentiaire ? La pédagogie dont il faut faire preuve pour faire comprendre la justice doit probablement prendre deux voies : - La première voie est générale, elle s’adresse à l’ensemble de nos concitoyens : c’est l’ouverture de notre institution judiciaire sur le monde. Face à la difficulté de faire comprendre l’essence même de notre métier, le pire serait la tentation du repli. Non seulement il faut s’en garder, mais il faut même prôner vigoureusement l’inverse. Indiscutablement et plus que jamais, il faut ouvrir notre justice, ouvrir nos palais, ouvrir nos salles d’audiences, ouvrir notre profession, ouvrir nos carrières, ouvrir et accueillir, expliquer, montrer, démontrer, bref communiquer en recherchant une forme d’anticipation dans cet art car il n’est plus temps d’expliquer la jus-

tice lorsque souffle la tempête du fait divers. La deuxième voie de la pédagogie judiciaire s’adresse directement au justiciable dans le cadre des affaires que nous jugeons : il s’agit de notre propre pratique professionnelle. Notre façon d’exercer ce métier doit en exprimer toute l’exigence et notre souci permanent de s’y conformer. Tout dans le métier de juger oblige le magistrat que nous sommes. Notre respect profond de la personne humaine, notre neutralité, notre intransigeance dans le respect des droits des parties, notre croyance dans les vertus du débat judiciaire, notre indépendance qui doit être perçue non comme un privilège, mais comme la forme suprême de notre loyauté, notre souci de la vérité, notre insatiable volonté de comprendre, notre respect absolu du secret du délibéré : tout cela doit exprimer naturellement et invariablement, dans chaque affaire traitée, ce qu’est le métier de magistrat. Mon premier rôle est de soutenir chaque magistrat du siège de cette juridiction afin qu’il puisse, toujours, se conformer à ces principes. Mon rôle est aussi, bien entendu, l’administration de la juridiction dans le respect, ou mieux, j’y reviens Mme le procureur, avec le concours mutuel de la dyarchie. Quelques principes me serviront de référence. Ils intéressent tant le tribunal de grande instance en tant qu’organisation que son ressort territorial. S’agissant du tribunal de grande instance, mes expériences antérieures de chef de juridiction m’ont convaincu d’une chose : si notre justice relève tant bien que mal le défi de la masse tendanciellement croissante des affaires à juger en conservant les délais qui sont ceux restitués dans les rapports annuels de performance au parlement, elle le doit à cette structure pivot de notre organisation judiciaire que constitue le tribunal de grande instance. Se côtoient dans cette structure des juges occupant des fonctions générales et des juges occupant des fonctions spécialisées, mais qui tous forment une collectivité où se pratiquent quotidiennement la polyvalence et la solidarité professionnelles. Aucun contentieux n’est laissé de côté, au motif

qu’il y aurait des postes vacants ou qu’il n’y aurait pas la compétence technique. Face à ce principe d’unité du tribunal de grande instance, des tendances se font jour depuis quelques années consistant à placer les fonctions spécialisées sous la coordination de magistrats de la cour d’appel. Si cette évolution est en soi une bonne chose, elle ne le serait plus si elle débouchait sur une forme de sanctuarisation des fonctions spécialisées au sein des TGI, préfigurant leur éclatement. Je retiens aussi que l’organisation des juridictions gagnerait à s’intéresser davantage aux processus qui vont de la saisine jusqu’à l’exécution des décisions afin de garantir leur fluidité. A quoi sert-il en effet d’être performant au stade jugement si à l’extrême, les services en charge de l’établissement des pièces d’exécution sont engorgés ou que le service de l’application des peines ne peut plus suivre. C’est autour de cette notion de processus que celle de pôle, qui transcende l’actuelle notion de chambre, doit émerger pour constituer, audelà de l’indispensable spécialisation, le terrain privilégié d’exercice de ces principes de polyvalence et de solidarité. Par ailleurs, chaque magistrat est gestionnaire d’un cabinet ou d’un service et il inscrit son activité dans la performance générale de la juridiction. Bien entendu, on ne le rappellera jamais trop, le domaine de l’acte de juger relève de son indépendance constitutionnellement garantie. Cette indépendance qu’il est parfois tentant de malmener est le cœur même de l’Etat de droit. Tout magistrat de cette juridiction qui vit cette indépendance comme un devoir à l’égard du justiciable trouvera toujours en moi un ardent défenseur. Ce même magistrat est aussi comptable de la gestion de son service. Mon expérience me laisse penser qu’à cet égard quel que soit le niveau de responsabilité, nul n’est plus efficace que lorsqu’il sait précisément ce qui est attendu de lui, non de façon abstraite, mais au contraire circonstanciée au terme d’un échange ayant permis, dans le champ du théoriquement possible, d’identifier, compte tenu des moyens et des contraintes, celui l’effectivement souhaitable. Il n’y a de collectivité de travail harmonieuse sans un dialogue social nourri. La communication interne est le cadre de la dissipation des malentendus, de l’expression des malaises, de l’identification des solutions, de la mobilisation des énergies, de la cohésion des agents et magistrats. Le dialogue, c’est d’abord l’écoute. Ma conception à cet égard est celle la porte toujours ouverte. (…) Ce cadre général d’organisation et d’action n’a pas de vertus magiques. Il faut avant tout compter sur les hommes, sur leur motivation et sur la conscience qu’ils ont du service qu’ils doivent rendre. Lorsque la tâche leur paraitra trop difficile, je proposerai aux membres de cette juridiction de faire leur ce principe d’action puisé chez SaintExupéry dans Vol de nuit, que résume cette citation pleine d’optimisme et qui m’a de longue date servi de guide. « Dans la vie, il n’y a pas de solutions, il y a des forces en marche ; il faut les créer et les solutions les suivent ».

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Tribune

Intervention à l’égard des mineurs délinquants Halte au feu ! Retour à la raison !

Photo © Jean-René Tancrède (janvier 2007) - Téléphone : 01.42.60.36.35

par Renaud Chazal de Mauriac*

comme se trouvant en danger physique ou moral dans son milieu habituel de vie (mineurs maltraités ou délaissés, sans domicile fixe ou fugueurs, se prostituant ou se droguant, ayant tenté de se suicider), - la mise en œuvre de mesures éducatives (dont certaines contraignantes) dans le cadre d'une intervention inscrite dans la durée et ayant pour objectif de conduire progressivement à la maturité et à l'autonomie, - l'utilisation de mesures répressives à la condition qu'elles s'inscrivent dans un processus éducatif, - l'excuse atténuante de minorité justifiant la limitation des peines d'emprisonnement susceptibles d'être prononcées à l'encontre des mineurs. Les problèmes des jeunes concernés n'étant pas tous de même nature, il est apparu indispensable de disposer d'une palette d'équipements éducatifs permettant des actions très individualisées.

Renaud Chazal de Mauriac

'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, puis l'ordonnance du 23 décembre 1958 concernant l'enfance en danger, signées l'une et l'autre par le général de Gaulle, ont permis à notre système judiciaire d'accomplir une importante évolution.

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1. La « juridiction des mineurs » issue de ces textes a abrité un véritable laboratoire d'idées. A l'extérieur de notre pays, elle a été considérée comme une référence. De nombreuses délégations étrangères venaient régulièrement en France pour recueillir des éléments d'information sur le fonctionnement de nos « tribunaux pour enfants ». La spécificité de notre dispositif judiciaire reposait sur quelques idées force : - la confiance dans la capacité d'un jeune à évoluer, - la priorité donnée à l'éducation sur la répression, - la mise en place de juridictions et de structures éducatives spécialisées, - l'individualisation de la réponse judiciaire à travers des enquêtes sociales, des examens, des observations préalables à toute décision, - la possibilité de combiner, dans certains cas particuliers, une procédure pénale ouverte à l'égard d'un mineur délinquant et une procédure civile concernant le même mineur considéré

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2. Cependant, l'intervention à l'égard des mineurs dits « difficiles », délinquants multirécidivistes en particulier, a toujours constitué une importante préoccupation. Dans les années 1970, j'ai participé en qualité de président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille aux travaux de la commission présidée par JeanLouis Costa. L'un des thèmes abordés par ce groupe de travail (chargé en particulier de proposer des solutions pour les mineurs en voie de marginalisation) fut celui dit de « l'enfermement ». A l'époque, une partie importante des travailleurs sociaux se méfiaient de toute tentative de rétablissement de structures d'hébergement qui rappelleraient les anciens « centres de rééducation » ou « internats professionnels d'éducation surveillée » dont les graves dysfonctionnements avaient progressivement entraîné la fermeture. La tendance était alors au développement des services d'éducation en milieu ouvert le jeune étant maintenu dans sa famille, ou bien au placement dans un foyer à partir duquel il pouvait soit fréquenter un établissement scolaire, soit suivre un apprentissage, soit travailler. Certains thérapeutes et travailleurs sociaux soutenaient qu'il n'était pas envisageable de mettre en œuvre une mesure éducative efficace sans une attente, voire une demande, du jeune concerné. D'autres, dont je faisais partie, soutenaient qu'il était impossible, pour

les jeunes présentant les manifestations d'inadaptation les plus sérieuses, d'éviter de se passer d'un hébergement contraint. En effet, pour mieux les connaître, pour leur proposer des perspectives, pour pouvoir les aider efficacement, il convenait, au moins dans un premier temps, de s'assurer de leur personne, d'éviter la fugue et de les extraire d'un environnement au sein duquel ils ne pouvaient sérieusement progresser. On a perdu beaucoup de temps en refusant durant de nombreuses années d'intégrer des structures d'hébergement adaptées parmi les moyens indispensables à la prise en charge des mineurs les plus perturbés. Les « centres éducatifs fermés » actuels ne constituent donc pas, dans leur principe, une aberration dès l'instant où ils fonctionnent dans le cadre d'un projet éducatif sérieusement conçu et respecté. La peine sous forme d'une privation temporaire de liberté (exécutée dans une prison pour mineurs) peut également faire partie intégrante d'un processus éducatif mais une telle sanction n'est efficace que si elle s'inscrit dans une véritable relation éducative. Imaginer que l'accroissement du montant des peines et la mise à l'écart sous forme d'emprisonnement dans des établissements pénitentiaires à faible potentiel éducatif, puissent avoir un effet bénéfique, est la marque de l'ignorance. 3. Depuis une dizaine d'années, une campagne bien orchestrée tente d'accréditer l'idée que les mineurs d'aujourd'hui sont profondément différents de ceux qui les ont précédés, que nombre d'entre eux sont plus violents et que seul l'enfermement permet de maîtriser la délinquance juvénile répétitive. On insiste aussi sur l'origine d'une partie des mineurs récidivistes. Dans un excellent livre, véritable cri du cœur, Pierre Joxe(1) rappelle que « la plupart des actes de délinquance juvénile que l'on constate aujourd'hui et que l'on dit en augmentation ne sont nullement nouveaux dans l'histoire de la société française ». Le discours sur les jeunes ultraviolents qui font des choses que l'on n'aurait jamais vues s'accompagne presque toujours du discours sur la prévention qui a échoué et le besoin de passer maintenant à autre chose, c'està-dire la prison. On oublie trop facilement la crainte inspirée par les « apaches » qui, au début du XXème siècle, semaient la terreur dans certains quartiers de Paris, par les « blousons noirs » menaçaient les

Les Annonces de la Seine - jeudi 5 avril 2012 - numéro 25


Tribune passants avec leurs chaînes de vélo dans les années 1960, ou par les « teddy boys » qui sévissaient en Angleterre. Ces jeunes n'étaient pas issus de « la diversité ». Quelques chiffres doivent être rappelés. Aujourd'hui 7 mineurs sur 10 comparaissant devant les juridictions des mineurs ne récidivent pas dans l'année suivant 1'intervention judiciaire. Les jeunes de moins de 13 ans représentent moins de 3% des mineurs condamnés et ce chiffre évolue peu. Si les mineurs commettent de nombreux délits, un faible pourcentage (environ 5%) est responsable d'une grande partie des infractions commises. La violence des jeunes de 16 à 18 ans a certes légèrement progressé mais pas plus que celle des majeurs âgés de plus de 40 ans. Cependant, il est vrai qu'à côté d'une délinquance d'appropriation s'est développée une délinquance de rébellion qui s'exprime par la destruction de biens privés ou publics. Nul ne peut nier le caractère préoccupant de la délinquance juvénile - elle traduit une dérive qui peut présenter un réel danger d'asocialité, voire d'anti-socialité, à l'âge adulte et elle génère des préjudices multiples. Mais les formules de simple mise à l'écart ne peuvent qu'aggraver l'incompréhension, la révolte, la marginalisation des jeunes concernés. Elles ne protègent pas durablement la société dans la mesure où elles ne sont pas de nature à favoriser l'accès à la maturité et à éviter la récidive. Si un adolescent est seulement considéré comme un risque, comme un danger, présentant de faibles perspectives d'évolution, rien d'utile ne sera fait. Les résultats des politiques de pure répression sont à la fois illusoires et dérisoires. Le courant de pensée qui prône l'intimidation par la multiplication des mesures de pure répression et l'alignement du droit pénal des mineurs sur celui des majeurs, est à l'origine de nombreuses modifications de l'ordonnance du 2 février 1945 intervenues au cours des dernières années. Certaines ont une dimension politico médiatique - à la suite d'un fait divers, il faut montrer aux citoyens la détermination du gouvernement et rassurer à bon compte. En réalité, on sait qu'il conviendrait de mettre en œuvre des actions d'une autre dimension mais, dans un contexte budgétaire contraint, elles sont estimées trop coûteuses. La loi du 9 septembre 2002 dite « Perben 1 » a introduit les « sanctions éducatives ». Il s'agit, en réalité, d'infliger aux mineurs des peines qui figuraient jusque-là dans la catégorie des peines complémentaires pour les majeurs (interdiction de faire, interdiction de paraître en certains lieux etc.). Par le même texte ont été créés les « centres éducatifs fermés » dans lesquels les mineurs délinquants sont placés à titre de mesure éducative, étant précisé qu'en cas de fugue d'un tel établissement le jeune peut être placé en détention dans un quartier spécial de maison d'arrêt ou dans un « établissement pénitentiaire pour mineurs ». Par la suite, la loi du 18 mars 2003 « pour la sécurité intérieure », la loi du 9 mars 2004 dite « Perben 2 », la loi du 12 décembre 2005 « relative à la récidive », la loi du 5 mars 2007 « relative à la prévention de la délinquance », la loi du 10 août 2007 « relative à la récidive », la loi du 23 février 2008 « relative à la rétention de sûreté » et la loi du 10 août 2011 ont fortement renforcé l'arsenal répressif, en particulier en

autorisant l'allongement de la garde à vue des mineurs dans certaines circonstances et en permettant l'exclusion de mineurs récidivistes du bénéfice de l'atténuation de peine liée à l'excuse atténuante de minorité. Le législateur a également manifesté sa défiance à l'égard des juges des enfants spécialisés en plaçant auprès d'eux, dans certaines formations de jugement, des assesseurs non spécialisés, espérant sans doute une aggravation de la répression. Cependant, en 2011, une tentative pour introduire des peines minimales en matière correctionnelle pour les mineurs non récidivistes et pour permettre le jugement des mineurs délinquants devant le tribunal pour enfants sans instruction préalable, a été censurée par le Conseil constitutionnel. Trop c'est trop, halte au feu semblent avoir dit les Sages ! Cette agitation législative ne peut constituer une réponse satisfaisante dans un domaine comme l'intervention à l'égard de la jeunesse délinquante. Seule une réflexion approfondie s'appuyant sur les avis des professionnels concernés, sur les expériences étrangères et sur un suffisant consensus, peut permettre une réforme porteuse de réelles avancées. Rappelons que sous la direction de Robert Badinter il a fallu une dizaine d'années pour bâtir un nouveau code pénal. Les suisses ont mis plus de quinze ans pour élaborer un nouveau droit pénal des mineurs. Les suédois ont consacré environ neuf années à la modification de leur système de retraite. Sans véritable bilan de l'application des textes précédents, sans études d'impact

l'absence d'image paternelle, la misère sociale, la pauvreté de l’environnement culturel, la fragilité psychique, les limites intellectuelles, l’influençabilité consécutive à la fragilité psychologique, le repli clans l’univers des ghettos périurbains, l'échec scolaire, le chômage, les discriminations, l'exaltation en groupe, sont les plus fréquemment cités. Les facteurs qui favorisent l'installation d'un mineur dans la délinquance sont également bien répertoriés - l'initiation comme remède à 1'absence d'identité, l'excitation et l'addiction comme remèdes à l'ennui, la révolte comme remède à la marginalisation, l’appropriation comme remède à la frustration, la rémunération comme remède au chômage, le sentiment de toute-puissance comme remède au rejet. On ne peut soutenir que la délinquance juvénile a pour seule origine la misère matérielle et culturelle, en un mot que la société est seule responsable. Mais tons ceux qui connaissent le terrain savent que rien de significatif ne sera fait sans la mise en œuvre d'une politique ambitieuse dont le coût sera élevé - aménagement du territoire, création de logements, aide à l'exercice des responsabilités parentales, adaptation du système scolaire, politique de l'emploi, action culturelle et sportive, etc. L'école de Jules Ferry, qui a constitué un considérable progrès, avait pour finalité de dispenser des connaissances. Aujourd'hui, pour certains jeunes en défaut de soutien parental approprié, l'école doit être un lieu d'éducation ; elle n'est pas préparée à cela.

Mais, aujourd'hui, la concentration de jeunes en situation d'échec dans des zones de relégation où la population d'origine immigrée est souvent majoritaire devient un défi ; si nous n'agissons pas de manière significative, nous pourrions nous trouver, demain, face à des révoltes auxquelles nous devrions répondre dans Renaud Chazal de Mauriac l'urgence, le désordre et le drame. sérieuses, sans large concertation, il n'y a pas de réforme intelligente, efficace et consensuelle. Tout le monde sait que la sanction fait partie de l'éducation mais une sanction qui n'est qu'un rejet ne peut avoir aucun réel impact. La mesure répressive n'est comprise et utile que si elle s'inscrit dans une continuité. L'adulte qui la met en œuvre doit donner le sentiment qu'il condamne fortement le comportement du mineur mais conserve la ferme intention de l'aider à évoluer et à poursuivre sa route. Réclamer l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale, l'accélération du traitement des procédures pénales concernant les mineurs, la multiplication des prisons pour mineurs, refuser 1'extension des mesures de soutien éducatif à l'égard des jeunes adultes de 18 à 21 ans, en un mot faire reposer la législation sur la peur et le rejet, constitue une erreur. 4. Les causes profondes de la délinquance juvénile sont bien connues. Elles ont été étudiées de manière minutieuse par des spécialistes de tous les pays. L'excitation liée à la transgression à l’âge de l'adolescence, les carences affectives et éducatives, la dislocation des familles,

Il s'agit d'un enjeu dont nous ne mesurons pas toujours l’importance. Quelle que soit la disponibilité et la générosité des personnels enseignants, notre modèle éducatif est peu opérant pour faire face à des enfants qui en raison de leurs carences familiales, parfois de leur mauvaise maîtrise du français, de leur environnement socio culturel, nécessiteraient des prises en charge très individualisées. Or les moyens de l'Education nationale sont à la fois insuffisants, mal répartis et utilisés de manière inappropriée. Cette inadaptation de l’é cole conduit à un absentéisme scolaire important d'élèves dont les lacunes sont telles qu'ils ne suivent plus et décrochent. Ces jeunes peuvent alors trouver un dérivatif dans la rue, la bande, les trafics divers. Désœuvrés et ghettoïsés, des mineurs sont parfois « embauchés » en qualité de dealer et peuvent percevoir une rémunération supérieure à celle qu'ils recevraient après des années d'études. Le chômage massif clans les cités au sein desquelles ils évoluent, les emplois de plus en plus précaires et mal payés de leurs pères, mères, frères ou sœurs, ne sont pas de nature à rendre le travail légal attractif à leurs yeux.

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Tribune La marginalisation de milliers de jeunes dans des quartiers périurbains constitue une véritable bombe à retardement. L'accumulation des facteurs qui sont à l'origine de la délinquance et de la violence juvéniles entraînera, à court ou moyen terme, si rien n'est fait, une situation qui deviendra immaîtrisable quels que soient le nombre et la qualité des travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, magistrats et thérapeutes qui seront chargés d'intervenir. Environ 5 millions de personnes habitent dans les 750 quartiers retenus par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la « politique de la ville ». En 2007, 33% des habitants des zones urbaines sensibles vivaient en dessous du seuil de pauvreté (908 € par mois). Un jeune de ces quartiers sensibles sur quatre était au chômage ou en inactivité contre un sur huit dans les autres quartiers des mêmes agglomérations. La délinquance de quartier y était plutôt inférieure en raison du nombre limité des atteintes aux biens mais les atteintes aux personnes y étaient plus fréquentes. Relevons qu'après les difficultés d'adaptation des jeunes issus du Maghreb, nous avons connu un second courant migratoire issu de l'Afrique subsaharienne. On ne peut contester la réalité de certains investissements de l'Etat comme le dévouement d'élus locaux, de membres de nombreuses associations, de professionnels compétents. Mais, aujourd'hui, la concentration de jeunes en situation d'échec dans des zones de relégation où la population d'origine immigrée est souvent majoritaire devient un défi ; si nous n'agissons pas de manière significative, nous pourrions nous trouver, demain, face à des révoltes auxquelles nous devrions répondre dans l'urgence, le désordre et le drame. N'oublions pas davantage les dangers d'une manipulation du désespoir de jeunes se sentant exclus. L'alternance de tentatives d'intégration sans moyens et de communautarisme de facilité, de tolérance à l'égard des trafics et d'opérations « coup de poing », de proclamations de solidarité et de discriminations, toutes ces incohérences, génèrent un climat dans lequel les jeunes concernés ne peuvent trouver les repères dont ils ont besoin. On peut d'ailleurs se demander

ce que serait la réaction de la jeunesse plus privilégiée si des événements graves se produisaient ? Se diviserait-elle ? Nous pourrions alors connaître de sérieuses fractures et un délitement du pacte républicain. Pourtant les potentialités des jeunes des « cités »sont très importantes et ne demanderaient qu'à s'épanouir. 5. Tous ceux qui ont élevé des enfants savent que l'accès à la maturité est un long processus qui passe par des étapes successives plus ou moins bien maîtrisées. Comme l'écrit justement Pierre Joxe : « Ce sont parfois des brutes qui perpètrent des agressions et ce sont parfois des êtres sensibles et enfantins qui en répondent devant les juridictions ». Considérer que les jeunes de seize ans sont des êtres rationnels et responsables faisant des choix en fonction d'un calcul risque/ avantages ou bien qu'ils sont dominés par leurs gènes et plus ou moins prédestinés à la délinquance, est, à l'évidence, absurde. Sait-on suffisamment qu'une grande partie des mineurs délinquants récidivistes n'a pour ainsi dire pas connu de véritable image paternelle et que plus de la moitié est déscolarisée. Les dérives obscurantistes qui nient la complexité des phénomènes de délinquance juvénile et l'immaturité des mineurs concernés conduisent à préconiser des mesures simplistes. L'intervention à l'égard des mineurs délinquants ne doit reposer ni sur l'angélisme, ni sur l'idéologie, ni sur la peur mais sur la générosité, la confiance et la ténacité, ce qui n'exclut nullement la fermeté. Cette fermeté est tout à fait possible à condition de disposer d'une palette de mesures ainsi que d'un personnel qualifié permettant de répondre réellement aux difficultés personnelles de chaque mineur concerné et à condition qu'une formation professionnelle puisse déboucher sur un emploi rémunéré a un niveau permettant l'autonomie. Quant a la nécessité de prendre rapidement une décision à la suite de la commission d'un délit, je citerai une dernière fois Pierre Joxe : « Une justice rapide est nécessaire et parfois salutaire. La sanction légale de l'infraction est généralement plus efficace quand elle ne tarde pas. Mais, au point de surcharge où sont arrivés beaucoup de

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tribunaux, ils ne peuvent pas concilier les deux impératifs de rapidité et de qualité ». 6. L'expérience montre qu'il est, aujourd'hui, indispensable de mettre en œuvre un important plan de soutien aux jeunes qui résident dans les quartiers en difficulté. Cela justifiera d'importants investissements. Compte tenu du niveau d'endettement et du déficit budgétaire de notre pays, une définition rigoureuse des priorités, un étalement dans le temps, une planification, la chasse aux dépenses non productives seront incontournables. Dans un premier temps, il conviendrait de cesser de nommer dans les zones les plus défavorisées un trop grand nombre de professeurs, fonctionnaires, policiers, magistrats sans réelle expérience. Différentes formes d'indemnités de fonction et de plans de carrière devraient permettre d'envoyer dans ces quartiers des professionnels aguerris. Il est aussi impératif de rétablir progressivement la présence de l’Etat dans les zones abandonnées, qu'i1 s'agisse de la police de proximité ou d'autres services publics, et de lutter efficacement contre les organisateurs des trafics, qu'ils résident en France ou à l'Etranger. Enfin, il est temps de dégager les moyens nécessaires pour appliquer l'ordonnance du 2 février 1945 dans l'esprit voulu par ses auteurs, cc qui ne signifie nullement le refus de certaines adaptations. On ne peut critiquer cc texte si on ne réunit pas les moyens de son application ; cette affirmation trouve sa confirmation dans le fait qu'on obtient régulièrement des résultats très positifs, malgré les obstacles et les handicaps, même avec des mineurs en voie de marginalisation. il faut en remercier des hommes et des femmes dont 1' engagement est trop méconnu et insuffisamment valorisé. N'oublions pas que c'est souvent en observant les méthodes utilisées par un pays pour faire face à la délinquance que l'on mesure le mieux ses forces et ses faiblesses. Note : 1 - « Pas de quartier ? », Pierre Joxe, Fayard, 2012.

* Renaud Chazal de Mauriac est Premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris. 2012-284

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In Memoriam

Richard Descoings 23 juin 1958 - 4 avril 2012

Nous apprenons avec une grande tristesse le décès de Richard Descoings, nos pensées vont tout d'abord à sa famille et ses proches à qui nous adressons nos condoléances attristées. Nous saluons l'engagement de ce grand professeur qui fut particulièrement apprécié par ses étudiants tant son engagement fut entier dans tout ce qu'il a réalisé. Avec sa disparition subite à l’âge de 53 ans, le monde universitaire se prive d'un bel esprit que nous pleurons. Jean-René Tancrède

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Richard Descoings, le 7 février 2012 au Sénat

ené Ricol, commissaire général à l’investissement, et toute son équipe, tiennent à saluer la mémoire de Richard Descoings. Richard Descoings a récemment joué un rôle central dans la réussite du projet Université Sorbonne Paris Cité, retenu comme initiative d’excellence. Son expertise en matière d’enseignement supérieur, son audace, sa détermination et sa passion auront réussi à fédérer autour de ce projet quatre universités parisiennes, l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris mais aussi des organismes de recherche tels que le CNRS, l’INSERM, l’Inria, le CEA, l’INED ou encore l’IRD, et bien sûr Sciences Po Paris. Il a dirigé ce dernier établissement seize années durant ; seize années pendant lesquelles il aura

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profondément bouleversé l’image et l’organisation de cet établissement, un des fleurons de l’enseignement supérieur français. Grand visionnaire, à l’initiative de nombreuses mesures en faveur de l’égalité des chances, et moteur du rayonnement international de Sciences Po, Richard Descoings était un grand serviteur de l’Etat et un grand acteur de l’enseignement supérieur. Innovateur né, il avait immédiatement compris à quel point les Investissements d’Avenir pouvaient être un levier puissant de transformation du paysage français. René Ricol et son équipe témoignent leurs pensées à Richard Descoings, sa famille, ses proches ainsi qu’à toute la communauté éducative de Sciences Po.

Jean-Pierre Bel, Président du Sénat, a appris avec émotion le décès de Richard Descoings, directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Il tient à saluer le parcours exemplaire de celui qui a gravi étape par étape les échelons de l’école de la République pour finalement diriger l’Institut d’Etudes Politiques de Paris que tout le monde appelle communément « Sciences Po ». Sous sa direction, l’institution aura profondément changé son image en permettant de l’ouvrir sur le monde, sur la diversité sociale et culturelle de notre pays. Homme de convictions et attaché aux principes républicains, Richard Descoings laisse derrière lui des pistes éducatives innovantes et exemplaires. Valérie Pécresse, Porte-parole du Gouvernement, tient à saluer la mémoire de Richard Descoings, Directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle se souvient d’un homme engagé et brillant. Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pendant quatre ans, elle a toujours trouvé chez cet homme d’esprit et d’action, une détermination exceptionnelle à faire de Sciences-Po Paris une université parmi les meilleures du monde. Richard Descoings avait une vision pour l’Enseignement supérieur et la Recherche français. Fervent soutien de l’autonomie des universités, il avait fait de Sciences-Po le laboratoire de toutes les innovations : en liant étroitement formation d’excellence et recherche de niveau international, en ouvrant son établissement aux élèves les plus brillants des quartiers défavorisés, en bâtissant au coeur de Paris une initiative d’excellence qui rassemble les forces des meilleures universités de la capitale. Contre tous les conservatismes, avec l’audace qui le caractérisait, il a fait de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris une université du XXIème siècle et a fait souffler un esprit nouveau sur le paysage universitaire français. Valérie Pécresse fait part de sa très grande tristesse et tient à exprimer à sa famille et aux étudiants de Sciences-Po, le témoignage de sa sympathie.

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