LES ANNONCES DE LA SEINE Jeudi 18 avril 2013 - Numéro 26 - 1,15 Euro - 94e année
Le juge à l’écoute du monde, un nouvel office pour le juge au XXIème siècle VIE DU DROIT
Le juge à l’écoute du monde, un nouvel office pour le juge au XXIème siècle
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Garantir les droits fondamentaux dans le monde par Chantal Arens .... N’ayez pas peur ! par Serge Guinchard ............................................... Ordre des Avocats aux Conseils Prix de thèse 2013 ................
IN MEMORIAM
Hommage au Bâtonnier Mario Stasi
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Mario, l’homme aimé par Christiane Féral-Schuhl................................... Une jeunesse rémoise par Bertrand Schneiter ......................................... Mario, le talentueux par Geneviève Augendre.......................................... Mario et la Conférence par Jean-Pierre Cordelier..................................... Mario, le rayonnan par Denis Duprey....................................................... Le destin des avocats par Jean-René Farthouat....................................... Mario et l’OHADA par Ahmed-Salem Bouhoubeyni............................. Mario le militant par Christian Charrière-Bournazel ............................ Les combats de Mario par Janine Franceschi-Bariani.......................... Mario, le flamboyant par Xavier Chiloux............................................... Premier de cordée par Stéphane Lataste ............................................. Mario et la littérature par Hyppolite Marquetty................................... Mario, l’écrivain par Antoine Chatain.................................................... Mario, le chrétien par Bruno Richard.................................................... NNONCES LEGALES ................................................... DJUDICATIONS................................................................
A A AU JOURNAL OFFICIEL
Abrogation du « Décret passerelle »......................................28
AU FIL DES PAGES
Mes grandes batailles judiciaires par Christian Huglo ..........29
e premier colloque de printemps du Tribunal de grande instance de Paris sur « le Juge à l'écoute du monde, un nouvel office pour le Juge au XXIème siècle » a réuni près de 200 participants dans la première Chambre du Tribunal pendant toute la journée du 21 mars 2013. Madame Chantal Arens, Présidente du Tribunal de grande instance de Paris, a indiqué dans ses propos introductifs, que l'organisation de ce colloque s'inscrivait dans une double perspective de partage des savoirs au sein de la juridiction et d'ouverture de la juridiction vers l'extérieur. Elle a ajouté que l'intérêt voire la nécessité de mener une réflexion collective sur l'office du Juge découle de nombreuses évolutions dont les magistrats parisiens sont les témoins dans leur pratique quotidienne, sensible aux effets de la globalisation sur le droit, le bouleversement de l'office du Juge pouvant être rattaché à une forte demande de droit et de justice et à la nécessité d'apporter une réponse à des problèmes nouveaux dans un contexte de profondes mutations sociétales, économiques et environnementales. Monsieur le Professeur Bernabé a ensuite proposé une approche historique de l'office du Juge en remarquant que la mutation de l'office du Juge, qui a eu lieu il y a plusieurs siècles en faveur de la loi
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positive, connaît depuis peu un nouveau bouleversement car le positivisme juridique aujourd'hui s'effrite et disparaît, la cause étant la mondialisation. Madame le Professeur Muir-Watt pour clore l'introduction s'est interrogée sur la théorisation des transformations contemporaines du droit à l'occasion du passage du paradigme de l'international vers le global afin de mieux comprendre l'office du Juge. La première table ronde, consacrée au thème de la mondialisation des sources, a été introduite par les réflexions de Monsieur le Bâtonnier Castelain, modérateur. Madame Salvary, Vice-Présidente a constaté tout d'abord que le Juge parisien appréhende quotidiennement des normes d'une grande diversité d'origine et a analysé ensuite le fait, qu'au nom de principes supérieurs dont il est le garant, le Juge est devenu l'arbitre de normes en conflit. Madame le Professeur Fricero a relevé qu'il est selon elle incontestable que l'office du Juge a subi une mutation moderne. Aussi a-t-elle proposé de se concentrer sur deux enjeux, à savoir d'une part l'intégration de la France au sein de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe (deux Europe fondées sur des textes différents) ; et d'autre part la mondialisation des échanges qui fait appel au droit
J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne
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Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
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LES ANNONCES DE LA SEINE
Nathalie Bourgeois De Ryck international privé. Monsieur le Haut Conseiller Grass a rappelé combien la norme européenne irrigue désormais tous les domaines du droit, son champ d'application s'étant élargi. Pour faire face à cette complexité accrue, le Juge doit développer une approche plurielle de la norme. C'est Monsieur le Président Lacabarats, qui en tant que modérateur, a engagé la deuxième table ronde consacrée à l'office du Juge et la mondialisation des procédures civile et pénale. Madame Robin, Juge, a présenté le travail de la juridiction en indiquant en premier lieu les diverses évolutions auxquelles les magistrats étaient tous confrontés, comme la complexité croissante des procédures et de la matière litigieuse, l'internationalisation des litiges ou encore l'émergence de nouveaux contentieux. Pour répondre à ces évolutions, a-t-elle précisé, les magistrats ont constaté qu'il était attendu du juge parisien qu'il soit de plus en plus à l'écoute de ses interlocuteurs. Aussi, le thème de la coopération a semblé pouvoir tenir lieu de fil conducteur à son propos. Maître Davis, Avocat, ancien procureur de New York, a relevé que si depuis plusieurs années, de nombreuses avancées législatives ont pu être constatées, beaucoup reste à faire s'agissant de la procédure. Monsieur le Professeur Cadiet s'est ensuite interrogé sur la question de savoir si le mouvement de « contractualisation » de la procédure lié à la recherche de coopération existait dans d'autres systèmes judiciaires à l'étranger et sur la nature juridique des protocoles. Monsieur le professeur Vogel, modérateur de la troisième table ronde, a évoqué combien le juge du premier degré est de plus en plus confronté aux contentieux mondialisés et c'est cette émergence qui dépasse le cadre national que les intervenants mettent en lumière par ce colloque. Madame Bouvier, premier VicePrésident a indiqué que le Juge, pénal ou civil, peut être saisi de contentieux « nouveaux ». « Nouveaux » en ce que le droit qui s'y applique est récent et que son application révèle des difficultés qui n'ont pas été prévues. Qu'ils touchent des matières aussi variées que le domaine de l'environnement ou la santé, les droits humains, l'Internet ou la vie personnelle, ils se caractérisent le plus souvent par l'existence d'éléments d'extranéité et la présence, accessoire ou principale, des technologies de l'information et de la communication. Madame le Bâtonnier
Féral-Schuhl a engagé son intervention sur le constat suivant : les affaires judiciaires intègrent de plus en plus une dimension internationale ; ce qui en conséquence nous oblige à repenser tous les fondamentaux du droit, la règle de droit - qui résiste plutôt bien à ces bouleversements, - et la justice tout en soulignant ensuite les difficultés liées à la superposition des textes et à l'analyse des jurisprudences étrangères qui modifient l'office du Juge. Monsieur Garapon, secrétaire général de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice (IHEJ) s'est interrogé d'abord sur ce que le Juge entendait du monde. En effet, il peut voir dans le monde une source d'inspiration et chercher des éclairages dans d'autres droits pour fonder sa propre décision. L'enjeu pour le Juge, c'est d'être à l'écoute du monde et de savoir ce que le monde va penser ou retenir de ses décisions. Monsieur Garapon a ajouté que ce qui était aux mains de la justice française, c'était la survie du droit français. Le monde n'est pas uniquement une source d'inspiration, il est aussi un horizon de justice. « N'ayez pas peur ! », ce sont les premiers mots que Monsieur le Professeur Guinchard a prononcé pour clôturer le colloque. Il a salué l'organisation de cet événement qui rassemble magistrats, fonctionnaires, universitaires, étudiants et avocats et indiqué qu'il se dégageait de toutes les interrogations, les doutes, les craintes présentées, les difficultés de la mondialisation. Le Juge doit avant tout être un visionnaire, un décideur mais à la différence de l'homme politique, le Juge doit articuler ces deux offices et doit être l'acteur d'un nouveau modèle procédural et donc d'une nouvelle démocratie dans l'exercice de son office juridictionnel. Monsieur le professeur Gros a apporté un éclairage philosophique pour achever le colloque. Selon lui, l'acte de juger réclame un point fixe et ce point fixe ne peut plus être constitué par la loi mais au travers d'une multiplicité de normes qui redonne au Juge un pouvoir créateur. Ce qui est en jeu, c'est l'exigence de Justice. Nathalie Bourgeois De Ryck, Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, Chargée de mission auprès du Cabinet de la Présidence
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Benjamin Dorléac, Assistant de justice
Vie du droit Garantir les droits fondamentaux dans le monde par Chantal Arens 'organisation du premier colloque de printemps du Tribunal de grande instance de Paris, qui s'inscrit dans une double perspective de partage des savoirs au sein de la juridiction et d'ouverture de la juridiction vers l'extérieur, marque l'aboutissement d'une réflexion sur la notion d'office du Juge parisien initiée au cours de l'année 2010. En effet, dans un premier temps, les magistrats de la juridiction ont été invités par les chefs de juridiction à engager, en lien avec le greffe, une réflexion sur la capacité de traitement des dossiers dévolus au Tribunal de grande instance de Paris, tant au regard du nombre d'affaires à traiter qu'au regard de la spécificité et de la complexité des contentieux en matière civile et pénale. Au terme de cette étude, la spécialisation dans le traitement de contentieux complexes et notamment le traitement de dossiers ouverts sur le monde, soit en raison de la nationalité des parties, soit du lieu ou de la trans-nationalité du litige, a été objectivée. Ainsi, l'intérêt et, j'oserai avancer, la nécessité de poursuivre une réftexion sur l'office du Juge parisien sont venus faire écho aux nombreuses évolutions dont les collègues sont témoins dans leur pratique quotidienne. Du constat et de l'analyse de ces transformations sont nés l'idée de les partager au cours d'un colloque, de ce colloque sur « Le juge à l'écoute du monde », un nouvel office pour le Juge au XXlème siècle. Pour mener à bien ce projet ambitieux reposant sur un travail collectif, quatre groupes de réflexion composés de magistrats du siège ont été constitués. Au cours de rencontres régulières depuis plusieurs mois, les Juges parisiens ont mis en exergue les évolutions qui ont une incidence sur les différents aspects de leur fonction dans un contexte de mondialisation des sources du droit, des procédures applicables et des contentieux. L'idée était de partir des acteurs judiciaires et non des systèmes afin de mieux envisager les transformations qui ont lieu dans le règlement des litiges. Un travail considérable a été fourni. Les groupes de travail à partir de la notion traditionnelle d'office du Juge - dispositions de l'article 12 du Code de procédure civile concernant la fonction de trancher du juge - ont analysé tous les éléments de leur pratique récente dans chaque domaine / toutes Chambres confondues et ont fait ressortir les mutations intervenues. Ce sont, en effet, ces nouvelles problématiques, qui seront abordées aujourd'hui, qui transforment chaque jour un peu plus leur office traditionnel. Ce bouleversement de l'office du Juge peut être rattaché à une forte demande de droit et de Justice et à la nécessité d'apporter une réponse à des problèmes nouveaux dans un contexte de profondes mutations sociétales, économiques et environnementales. Aussi convient-il par exemple de souligner l'émergence du droit des victimes, françaises et étrangères, en matière
Chantal Arens de catastrophes sanitaires, d'accidents collectifs ou encore l'importance croissante du contentieux de la consommation, du travail et du logement - qui est une partie importante du contentieux de l'instance. Le Juge est en outre de plus en plus sollicité pour garantir les libertés individuelles et l'effectivité des droits fondamentaux, notamment en matière d'hospitalisations sous contrainte, de procédure pénale ou de contentieux des étrangers. Il convient d'ajouter au contexte national en constante évolution, un contexte européen et plus largement international qui influence le Juge et les effets de la globalisation sur le droit qui sont caractérisés par la multiplication et la variété des normes applicables. Son écoute du monde peut d'une part, selon les cas, lui donner la possibilité de précéder les évolutions comme par exemple en droit de la famille, ainsi que cela sera exposé dans les tables rondes. D'autre part, le Juge à l’écoute du monde contribue à garantir les droits fondamentaux tels qu'ils sont énoncés notamment dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, des contentieux internationaux majeurs doivent être pris en considération par le Juge national, tels que ceux de la propriété intellectuelle, de l'Internet, de la délinquance organisée européenne et internationale, et les crimes contre l'humanité dont la création du pôle parisien atteste de l'importance croissante du droit international dans notre office. Ainsi, dans de nombreux domaines du droit, le Tribunal de grande instance de Paris est aux avant postes de la mondialisation. Pour traiter ces questions, les magistrats se sont interrogés sur ce qui avait changé dans leur office depuis dix ans, face à ces contentieux qui émergent mais aussi dans leur façon de mettre
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en état les procédures, de conduire leurs audiences et de rédiger leurs décisions. Il semblerait qu'il y ait un retour à ce que je nommerai « une horizontalité » de l'office du Juge. En effet, l'office du Juge, parallèlement aux courants politiques ou religieux, était passé d'une horizontalité à une verticalité du droit, verticalité qui semble aujourd'hui moins affirmée. Je laisserai bientôt la parole à Monsieur le Professeur Bernabe qui nous éclairera de sa vision historique de ces évolutions. Les groupes de travail ont dégagé trois axes principaux qui vous seront présentés aujourd'hui au cours des trois tables rondes : 1 - S'agissant de la mondialisation des sources du droit, je rappellerai la formule de Portalis qui énonçait « qu'il y avait des Juges avant qu'il y eût des lois ». La question abordée dans cette première table ronde rejoint en effet celle de la naissance du droit, laquelle d'ailleurs s'opère au moment où un tiers impartial - sans intérêt direct à la cause invoquée par une partie à l'encontre d'une autre partie - intervient. Avec la consécration du légicentrisme depuis plus de deux siécles, le Juge a été considéré pendant des décennies comme étant « la bouche de la loi » pour reprendre l'expression de Montesquieu. Aussi, les textes ont encadré strictement l'office du Juge. Toutefois, la mondialisation des sources du droit au travers de normes européennes et internationales ainsi que l'émergence des droits fondamentaux ont confié - par leur valeur supranationale - la faculté au Juge français d'appliquer des régies qui peuvent être en contradiction avec la loi nationale. Le Juge doit connaître les normes étrangères et cette évolution vient remettre en cause la tradition française idéalisant la loi comme source principale du droit. La fonction de juger jouit désormais d'une fonction
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Vie du droit créatrice, étant observé que cette mutation de l'office du juge est le fruit d'une lente évolution sociétale s'inscrivant dans un contexte mondial en profonde transformation. Cette nouvelle tâche qui incombe au Juge intervenant en particulier dans un contexte d'organisation centralisée de l'État, n'est pas aisée. En effet, le Juge français parisien peut constater, comme ses homologues européens, une certaine déconstruction de la nation par l'effet de la mondialisation. Il convient aussi d'évoquer le fait que jusqu'à une période récente, notre ordre juridique établissait clairement une hiérarchie des normes, avec au sommet de la pyramide - pour reprendre l'image de H. Kelsen - la Constitution française, expression de la souveraineté nationale et clef de voûte des institutions. Désormais, nombreuses sont les conventions européennes et internationales qui priment sur la Constitution. Comment ne pas constater, selon un éminent constitutionnaliste, que « la logique de la souveraineté, en tant qu'expression d'un pouvoir initial et inconditionné, forme un château de sable qui s'effrite sous le poids du développement des contraintes supranationales. » Ces bouleversements déclenchés par la mondialisation poussent ainsi le Juge à raisonner différemment, le confrontant à des problématiques nouvelles comme par exemple celle de rendre des décisions dont les conclusions, à partir d'un même droit fondamental, peuvent différer selon la protection de tel ou tel intérêt légitime (intérêt de l'enfant, égalité des couples). C'est alors que la norme devient composite et
Serge Guinchard
les magistrats eux-mêmes, peuvent ainsi participer à la construction d'un nouveau socle commun. 2 - S'agissant ensuite de la mondialisation des procédures, qu'il s'agisse de procédure civile ou pénale, la conduite du procès met en lumière le passage de l'imperium à la jurisdiction au travers surtout de la mise en place du principe de coopération entre le Juge et les parties. Cette coopération consacre ainsi entre le Juge et les parties, une relation horizontale d'interdépendance et d'interpénétration. À l'époque romaine, l'ancêtre du magistrat, le préteur, était investi par les comices de l'imperium défini « comme le droit de recevoir de Jupiter le pouvoir d'agir valablement en conformité avec l'assentiment des dieux transmis par l'examen du vol des oiseaux(1) ». Cet imperium, à l'époque moderne se définit plus comme le pouvoir conféré au Juge d'imposer une solution aux parties et de rendre une décision contraignante. Toutefois, notre réflexion sur la notion d'office du Juge laisse apparaître aujourd'hui un moindre accent mis sur l'imperium du Juge au profit de la jurisdiction, c'est-à-dire la capacité de dire le droit. En effet, la jurisdiction qui fait référence à la notion d'autorité, consacre la capacité d'influence du Juge dans une décision dont le public est plus large que les parties directement concernées. 3 - Enfin, les magistrats parisiens ont constaté qu'ils étaient de plus en plus souvent saisis de nouveaux contentieux, nouveaux dans le sens de « non encore jugés » et aussi de· « non encore prévus ».
Il s'agira ici de l'Internet, mais également du droit de la famille ou encore du droit de l'environnement. Comment alors le Juge doitil se préparer pour traiter ces nouveaux contentieux ? Plusieurs réponses peuvent être envisagées. Il convient en premier lieu de souligner que le Juge doit être plus que jamais à l'écoute d'un monde globalisé dans lequel le droit n'échappe pas à cette globalisation. Je laisserai Madame le Professeur Muir-Watt dans quelques instants développer sa vision d'un Juge à l'écoute du monde, il me semble nécessaire que le Juge accorde de l'intérêt aux systèmes étrangers dont il peut s'inspirer le cas échéant pour trancher le litige dont il est saisi. Et puis le juge français n'est-il pas lui aussi une source d'inspiration à l'étranger ? Il importe en deuxième lieu de rappeler l'importance de la formation universitaire dont l'approche en droit comparé doit être renforcée pour améliorer le savoir-faire des magistrats. La question des méthodes de rédaction des jugements est tout aussi fondamentale. Comment rédiger un jugement clair, compréhensible et exécutable alors que les questions sont multiples et complexes ? Il faut un lien de confiance entre le Juge et les justiciables et le détour par d'autres cultures peut permettre une lecture critique de sa propre culture. Soulignons en dernier lieu le fait que ces multiples évolutions conduisent à nous interroger sur la place du Juge, son rôle, sa légitimité démocratique et les valeurs qui soustendent sa mission. (1) Définition de Monsieur le Professeur Jean-Paul Andrieux
La synthèse des travaux du premier colloque de printemps du Tribunal de grande instance de Paris a été confiée au Professeur émérite de droit privé de l’Université de Paris 2 Panthéon-Assas Serge Guinchard qui a introduit et conclut ses propos comme suit :
N’ayez pas peur !
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par Serge Guinchard
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vous lire d’abord, dans les actes préparatoires à ce colloque, à vous écouter ensuite au cours de cette journée de restitution et de discussions, mon premier sentiment est que vous avez vous-même construit les réponses aux questions que vous vous posiez lorsque Madame la Présidente Chantal Arens vous a demandé de réfléchir à un nouvel office du juge en ce début de XXIème siècle, dans la perspective, au-delà du dialogue de gestion avec le Ministère, de trouver les moyens vous permettant de répondre au défi de la mondialisation dans votre activité quotidienne de Juge. Sans faire injure aux autres juridictions, il faut bien reconnaître qu’à Paris vous êtes en première ligne à l’écoute du monde, à la fois par l’importance quantitative des effectifs de votre tribunal, par la connaissance qualitative que vous avez de contentieux internationaux que
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Vie du droit la province ne connaît pas ou peu – ne seraitce que l’arbitrage international – et par la compétence exclusive que le législateur contemporain aime bien vous confier dans certains types de contentieux, en dernier lieu le pôle des brevets d’invention et celui des crimes contre l’humanité et crimes de guerre, deux compétences pour lesquelles, je l’avoue, je me sens une certaine responsabilité(1) ! En matière civile, vos 15 Chambres et vos 42 sections, votre activité particulièrement importante en matière de référés et de requêtes, font de votre juridiction le phare de l’activité judiciaire de la France. Le taux de complexité de vos affaires civiles, 33 à 73 % selon les chiffres donnés par votre Présidente lors de son discours de rentrée solennelle en janvier 2013, les dossiers hors normes qui vous sont soumis en matière pénale, contribuent à faire de votre juridiction une juridiction exceptionnelle. À vous lire et à vous entendre, mon impression générale est qu’il se dégage de vos interrogations, de vos doutes, comme un sentiment de peur, en tout cas le sentiment que vous ressentez un vertige devant d’une part, les difficultés nées de la mondialisation et, d’autre part, la nécessité accrue de vous tenir informés des évolutions des droits étrangers et des jurisprudences européennes, qu’il s’agisse de Luxembourg ou de Strasbourg. Face à un tel sentiment, j’ai envie de vous répondre comme Jean-Paul II « n’ayez pas peur », mais comme les crucifix ont disparu des salles d’audience et que la Justice se doit d’être laïque, je m’en tiendrai à un discours républicain, mais un discours plus politique que juridique. En effet, j’ai considéré que la question posée étant celle d’un nouvel office du Juge au XXIème siècle, sous le regard d’un juge à l’écoute du monde, d’un Juge face au défi de la mondialisation, d’un juge qui subit plus qu’il ne consent aux changements parce que ceux-ci sont continus et globaux et qu’il les prend de
plein fouet, la réponse ne pouvait être que d’ordre politique et non pas seulement d’ordre juridique. Sous ce regard, cette réponse se détriple car, comme tout homme politique en charge du législatif ou d’un exécutif : - Le Juge doit être d’abord et avant tout un visionnaire au cœur de notre devise républicaine pour en actionner toutes les composantes ; - Il doit aussi être un meneur d’hommes, c’està-dire un décideur, au cœur de la création de la norme ; - Mais, à la différence de l’homme politique, le juge, parce qu’il répond à une attente précise dans un dossier à lui soumis, selon une certaine procédure, doit, pour articuler ces deux offices, être l’acteur d’un nouveau modèle procédural, lui-même fondement d’une nouvelle démocratie. (...) Vous êtes, par l’exercice de vos trois fonctions régaliennes, des régulateurs de flux, c’est-à-dire des gestionnaires de contentieux, mais aussi les protecteurs de ceux qui actionnent le devoir de protection juridictionnelle que l’Etat doit à chaque citoyen et les gardiens des libertés fondamentales. - Devenez dès à présent, des visionnaires du monde de demain que vous construisez, à « l’écoute de ce monde » qui fut le thème central de vos travaux et dont vous ne devez pas avoir peur. - Soyez les acteurs d’une nouvelle démocratie, à base de procédure parce que celle-ci porte en elle les idées de confiance qui fonde la loyauté, d’é coute de l’Autre qui implique le dialogue contradictoire et la proximité dans la célérité de vos jugements. (1) Cf. les propositions 10 et 18 de la Commission Guinchard en juin 2008, rapport publié à La Documentation française : L’ambition raisonnée d’une Justice apaisée. 2013-301
Agenda
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La dualité des ordres de juridictions Colloque le 25 avril 2013 Grand’Chambre de la Cour de cassation 5, Quai de l’Horloge - 75001 PARIS Renseignements : Sophie Julien 01.48.24.60.54 - http://www.avocom.fr
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INSTITUT DE RECHERCHE JURIDIQUE DE LA SORBONNE, INSTITUT DROIT ÉTHIQUE ET PATRIMOINE ET LE CENTRE DE DROIT PÉNAL DE L’UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE
Sur la voie de l’action de groupe Colloque le 26 avril 2013 Maison du Barreau 2 rue de Harlay - 75001 PARIS Renseignements : http://irjs.univ-paris1.fr 2013-304
CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS (AMF)
Fonctionnement du conseil d’administration, rémunération et transparence : quelle gouvernance pour les entreprises ? Colloque le 23 mai 2013 Maison du Barreau 2 rue de Harlay - 75001 PARIS
Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation
Renseignements : contact@colloque-conseilscientifique-2013.amf-france.org
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CLUB BANQUE
Norme IFRS 9 - Où en est-on ? Colloque le 28 mai 2013 Salons Hoche 9 avenue Hoche - 75008 PARIS Renseignements : Magali Marchal 01 48 00 54 04
Prix de thèse 2013
marchal@revue-banque.fr
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ERNST & YOUNG ET LE CENTRE FRANCAIS DE DROIT COMPARÉ
'Ordre des Avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation décerne chaque année un prix de thèse destiné à récompenser une thèse de doctorat en
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droit. Une attention particulière est accordée aux travaux portant sur les fonctions, les missions et les méthodes des juridictions suprêmes. Le prix d'un montant de 3 800 € est destiné à faciliter la publication de la thèse. Peuvent concourir les thèses proposées par l'université pour un prix de thèse qui ont été
soutenues entre le 1er juillet 2012 et le 30 juin 2013. Les candidats adresseront leur thèse avant le 27 septembre 2013, en deux exemplaires avec une copie du rapport de soutenance et une recommandation du directeur de recherches, au secrétariat de l'Ordre des Avocats aux Conseils, 5 quai de l'Horloge, 75001 PARIS.
Vers une nouvelle relation droit - comptabilité IFRS - droit Table Ronde le 30 mai 2013 Ernst & Young La Défense Salle Events 27eme étage Tour First - 1 place des Saisons 92037 PARIS LA DEFENSE Renseignements : Emmanuelle Bouvier de Rubia 01 44 39 86 21
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emmanuelle.bouvier@legiscompare.com 2013-307
Les Annonces de la Seine - jeudi 18 avril 2013 - numéro 26
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In Memoriam
Hommage au Bâtonnier Mario Stasi 1er mai 1933 - 3 novembre 2012
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Une très grande figure du Barreau de Paris n’est plus depuis le 3 novembre 2012, il a incarné l’honneur et la dignité de la profession d’avocat (Les Annonces de la Seine des 8 et 15 novembre 2012). Pour lui rendre hommage, ses confrères ont organisé, sous l’égide du Palais Littéraire et Musical de Paris, association fondée en 1913 sous le haut patronage de Raymond Poincaré, une soirée ce lundi 15 avril 2013. L’auditorium Louis-Edmond Pettiti de la Maison du Barreau de Paris était comble, les participants ont été particulièrement émus d’entendre les orateurs évoquer le souvenir d’un homme tolérant mais intransigeant qui a fait résonner partout où cela était nécessaire la voix forte d’une défense que rien ne pouvait bâillonner. Nous pleurerons encore longtemps le Bâtonnier Mario Stasi. Jean-René Tancrède
Mario Stasi
Mario, l’homme aimé
que du combat qu’il devait mener contre la maladie.
par Christiane Féral-Schuhl «
e fais pas, surtout pas, mon éloge funèbre, j’en ai tant prononcés dans ma carrière et j’en connais les limites…Mais, prie pour moi, car j’y crois, à la vie éternelle ». Ces quelques mots susurrés par Monsieur le Bâtonnier Mario Stasi à l’oreille de Monsieur le Bâtonnier désigné Pierre-Olivier Sur forcent notre admiration. Mario a toujours été convaincu que la mort n’est pas une fin.
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Votre présence à tous, si nombreux, Démontre que Mario est parmi nous. Mario, Qui n’aurait pas souhaité que cette soirée soit emprunte de nostalgie. Mario, Qui se préoccupait davantage de la peine que sa disparition occasionnerait pour ses proches
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Alors, Tout simplement, Réjouissons-nous qu’une fois encore, Mario soit celui qui nous réunit, Le temps d’é voquer cet homme que nous aimons. « Ne pleure pas, si tu m’aimes » Ce sont ces mots, extraits de la prière de Saint Augustin, Que Mario aurait aimé prononcer. Mario, Qui rime avec engagement. Mario, D’une énergie redoutable, Mario, Une éternelle jeunesse. Mario, Dont le visage était perpétuellement illuminé par un sourire d’enfant. Fier d’être un enfant d’immigrés,
Fier de ses ascendances catalanes, italiennes, cubaines, Mario fait une entrée fracassante au Palais : Elu Premier secrétaire de la Conférence. Une Conférence d’exception : - Michel Blum, - Jean-Pierre Cordelier, - Denis Dupré, -Philippe Lafarge. Une Rentrée solennelle d’exception : Son éloge à Pierre Masse continue de nous bouleverser. Mario aimait la vie, profondément, viscéralement. Mario aimait les autres. « Il n’e st qu’un seul risque à courir, celui de l’espérance », Se plaisait-il à dire. Comment ne pas évoquer la CIB à laquelle il a donné vie, Après que Guy Danet l’eût créée. Comment ne pas évoquer la rédaction, sous
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In Memoriam son impulsion, de la Convention universelle de sauvegarde des droits de la défense. Véritable ambassadeur du Barreau de Paris, Mario a mis son éloquence, sa foi, Au service des droits de la défense, En tous lieux où ceux-ci sont piétinés. Il fût pendant de nombreuses années membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, créée par René Cassin. Il fût pendant treize ans membre du Comité national d’éthique des sciences, de la vie et de la santé. Généreux, Fougueux, Epris de justice et de liberté, L’homme est admirable, adulé, Aimé, tout simplement. Peu lui importait les honneurs dont il a été comblé. Son ambition est humaine. Amoureux de littérature et de musique, Rendons hommage à son intelligence, à sa culture. Je n’oublierai pas cette journée du 23 octobre dernier, Où Mario anima le colloque de l’Institut de droit pénal, Comme si la maladie n’existait pas. Nous n’oublierons pas cette journée du 25 octobre 2012 : Mario attendra jusqu’à 22 heures un délibéré d’assises. La vie est plus forte que tout. Un refrain qu’il a psalmodié toute sa vie durant. Sachons être dignes de lui. Réjouissons-nous de l’avoir connu ! Mes pensées vont à Savine, ses enfants et ses petites filles. Que sa lumière continue de vous porter…
Une jeunesse rémoise par Bertrand Schneiter
omme le dit le chanteur « on est tous nés quelque part ». Pour Reims, la chance a voulu que Mario y naquît. Pour Mario, Reims fut un terreau favorable, puisqu’il n’en a jamais coupé ses racines. Pour nous, ses amis de jeunesse, cela nous valut le privilège de connaître ce Mario d’avant, qui devait par la suite marquer tant de ses contemporains. Retracer les années rémoises du jeune Mario Stasi supposait d’en trouver les témoins. Que cet honneur me revienne doit plus à l’amitié qu’à la rigueur historique. De 10 ans son cadet, je vois d’abord apparaître Mario comme un autre grand frère, avant que son éternelle jeunesse nous fasse oublier cet écart. De la jeunesse de Mario, je voudrais retenir trois thèmes : sa famille, sa personnalité, ses équipes.
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Reims et les Stasi Une naissance en 1933 à Reims, cela veut dire des années d’enfance vécues dans la guerre et l’occupation, marquées par une haine farouche des nazis - son frère Bernard alors âgé de 14 ans n’avait-il pas défié Vichy et l’occupant en arborant l’étoile jaune ? Et une Libération pleinement célébrée, couronnée le 7 mai 1945 par la reddition du troisième Reich devant Eisenhower, dans une école de la ville. De quoi alimenter un solide patriotisme. Mais une naissance sous le nom de Stasi, c’était une originalité. Des noms à consonance étrangère, Reims en connaissait, mais plutôt de source germanique (Mumm, Krug, Taittinger, et même Schneiter). Une extraction latine, et récente, risquait en revanche la condescendance des bourgeois du cru, même si une colonie catalane avait suivi le commerce du bouchon, sans lequel le Champagne n’aurait pas existé. Je ne crois pas qu’on soit allé jusqu’à traiter nos amis de Ritals ou d’Espingoins, mais ils ne pouvaient ignorer leur condition étrangère. N’oublions pas que Mario et ses frères ont encore dû opter pour la nationalité française lors de leur majorité. Les prises de position publiques de Bernard et Mario sur l’immigration et l’Europe se sont évidemment nourries de ce vécu initial. Pour les enfants que nous étions, en revanche pas de préjugés, mais pas mal de curiosité. Autour de cette famille régnait un fort parfum d’exotisme, à une époque où le reste du monde n’existait que dans les livres. Leur voisinage, et la ville par écho, retentissait des moments de tension ou d’excitation où la langue de Cervantès reprenait tous ses droits, mais aussi toute sa force ! et ce souvent à l’heure espagnole, bien après l’extinction des feux ! Les Stasi ont d’abord existé « en bloc », les trois frères se taillant une solide réputation de vitalité. Les anecdotes sur leurs « déportements », au reste bien innocents, ont enchanté les enfants encore bien gouvernés dont je faisais partie : un concours de crachats sur les chapeaux des passants dont la cible s’avéra être leur propre père… Le jet de papiers enflammés dans un vide-ordures, au grand dam du gardien alerté par la fumée et copieusement douché par l’eau destinée à éteindre le début d’incendie… Des cavalcades de collégiens accrochés au corbillard municipal retour d’obsèques… Dans la relative torpeur provinciale de la ville des Sacres, les jeunes Stasi pouvaient faire figure de garnements. Venons-en à Mario Naître dans cette famille et cette fratrie a certainement joué un rôle considérable pour Mario, le plus jeune des trois. Bien décidé à exister en propre, il faisait de sa relative jeunesse une arme, et un moyen supplémentaire de séduction. Seul des trois à porter un prénom typique, il ferait en outre de celui-ci sa véritable marque, appuyée sur sa personnalité rayonnante.. Mes premiers souvenirs de Mario ont pour cadre la montagne. Dans le Val d’Isère des années 50, en cordée avec ma mère, une joyeuse bande de jeunes gens découvrait la camaraderie des courses en montagne, sous la conduite d’un guide de vieille école exerçant ses forces à l’Hôtel
Drouot pendant l’hiver et braconnant la marmotte en été. La conquête de Méan Martin, leur premier 3000 faisait exploit ! Et nos chalets retentissaient aussi des échos et des éclats de ces jeunes souvent déchaînés Les enfants ne perdaient rien de ces retours de course et des récits qui les accompagnaient. La voix de Mario, si chaude, si gaie, n’était pas difficile à repérer dans ce concert, si tonitruant fût-il. La voix de Mario. Outre les scouts et les fidèles des églises de Reims, cette voix était l’ornement des « Alouettes de Champagne » groupe vocal dont l’irréprochable qualité artistique dissimulait mal les objectifs festifs et souvent matrimoniaux, à l’abri d’une couverture supposée rassurer des parents encore assez frileux à l’époque. Mario y campait un ténor puissant et généreux. Déjà amateur de défis oratoires, c’est lui qui fut chargé, en hollandais, de présenter son groupe lors d’une tournée aux Pays-Bas. Mais il pouvait tout aussi bien déclencher dans le groupe un fou-rire dévastateur. Le rire de Mario. Encore un de ces cadeaux que notre jeunesse adorait. Mon frère me rappelait l’autre jour la capacité de Mario de tourner une histoire, à l’argument souvent ténu, en une épopée hilarante et interminable. Son auditoire secoué par les éclats de rire finissait par ne retenir que l’art du conteur. La gaieté de Mario, sa gentillesse et son espièglerie, lui valaient toutes les indulgences. Une de ses contemporaines me rappelait avec attendrissement un rituel auquel il se livrait lorsqu’il visitait la mère de cette amie : il s’emparait des chapeaux de la dame, accrochés au porte-manteau de l’entrée, et les lançait adroitement pour orner les têtes des trophées de chasse ornant ce vestibule. Celle qu’il appelait affectueusement sa deuxième maman criait et riait à la fois de ce manque de respect. Sur un point cependant, les anecdotes drolatiques me manquent. La foi de Mario était un sujet sérieux et non une plaisanterie. Bien sûr il aura à l’occasion donné quelque imitation aussi hilarante qu’irrespectueuse de tel ou tel Ministre du culte, ou quelque récit homérique d’une célébration ou d’un pèlerinage. Mais de sacrilège, jamais. Sa foi était un bloc. Mario semblait voué à une éternelle jeunesse. Il prit d’ailleurs une assurance à cet égard, Bien que célibataire « endurci » selon les critères de l’époque, songez qu’il avait dépassé trente ans, Mario, infatigable danseur, ne manquait aucune de nos soirées. En épousant Savine, l’une des plus belles fleurs de notre bande de jeunes gens, Mario nous confirmait qu’il était bien décidé à toujours être du côté de la jeunesse. Les équipes Votre confrère Henri Leclerc, dans son émouvant hommage, nous a rappelé à quel point l’esprit d’équipe animait Mario. Là encore, sa jeunesse rémoise annonce la suite. Tout d’abord au Collège Saint-Joseph, le système des équipes formait précisément la base sur laquelle reposait l’éducation dispensée par les Jésuites, en contraste avec l’individualisme à la fois élitiste et marxisant du Lycée. Les notes n’étaient qu’une partie du programme, et les forts en thème pouvaient ne pas être les premiers. La personnalité de Mario, élève
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In Memoriam honorable mais activiste infatigable, s’y épanouissait. Dans un autre sanctuaire de l’esprit d’équipe, chez les scouts, Mario a trouvé et aimé ce même environnement. Encore un creuset sans lequel on ne comprend pas notre ami. Il en a gravi les échelons, pour devenir chef de la troupe de la Cathédrale. Progresser, devenir le premier, mais en entraînant les autres. Ses futurs amis de la Conférence étaient prévenus ! La prière des scouts chante « apprenez-nous à être généreux». Mario la chantait toujours. Ce n’est pas un hasard si Mario a tant aimé le football, sport d’é quipe par excellence à une époque où le rugby n’avait pas franchi la Loire. Reims faisait figure de capitale en la matière grâce aux Kopa, Piantoni et autres Fontaine. Je dois cependant révéler un épisode dont un de mes frères fut témoin. Lors de la finale historique Reims-Real de 1956, le « pack » des Stasi présents dans les tribunes avait commencé par hurler en français sa joie après le premier but rémois. Quelle ne fut pas la surprise de leurs amis quand, après que le Real eu égalisé puis pris l’avantage, le même pack, en espagnol cette fois, accompagna de ses clameurs la remontée du club honni. Mario aurait pu plaider leurs loyautés conflictuelles. Ils furent pardonnés au nom du foot. Ce foot, encore une racine rémoise qui restera vivace jusqu’au sein du Palais, puisque Mario illustrera le foot des Avocats comme Bernard celui des Parlementaires. Au terme de cette trop rapide, et trop impressionniste revue, comment conclure cette évocation du Mario d’avant ? On ne conclut pas une introduction. Et je ne m’excuserai pas d’avoir paru privilégier, comme dans une lecture sélective de l’Ancien Testament, les signes annonciateurs. Tels sont nos souvenirs. Le visage souriant de Mario y est gravé. Mario ne nous a jamais déçus, et nous n’avons cessé de reconnaître le Mario de notre jeunesse rémoise, dans la suite de sa vie personnelle, de sa carrière et de ses engagements.
Mario, le talentueux par Geneviève Augendre
ovembre 1962, le ciel était gris. Les rentrées de la Conférence en Belgique se succédaient, auxquelles se rendait un membre du Conseil de l’Ordre, Bruxelles étant le privilège du Bâtonnier. Francis Mollet-Vieville n’était pas encore Bâtonnier, mais déjà membre du Conseil de l’Ordre. Il devait se rendre à l’une de ces cérémonies, accompagné selon la tradition, d’un nouveau Secrétaire de la Conférence. Rien que de très banal et pourtant… A son retour, Francis me dit que son compagnon de voyage avait été le nouveau premier Secrétaire : un jeune homme charmant qu’il me demandait de recevoir. Chemin faisant, il lui avait fait la confidence qu’ayant annoncé à son patron son succès à la conférence, celui-ci l’avait immédiatement prié
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de rechercher une autre collaboration, et Francis voulait savoir si je serais d’accord pour qu’il nous rejoigne. Sa décision je crois était déjà prise et il en attendait la confirmation. J’ai vu arriver Mario, un peu intimidé contrairement à l’image que l’on a de lui, comme s’il avait eu le souci de ne pas rater son entrée. Il me dit ce qu’il attendait de la profession, d’une collaboration, mais aussi de son année de Conférence consacrée aux voyages, aux réunions, aux commissions d’office, les affaires pénales les plus intéressantes étant généralement dévolues au premier Secrétaire. Immédiatement, le courant est passé : le charme de Mario, son intelligence et son rire m’avaient séduite et une semaine plus tard, il était Avenue Hoche. Ce fut le début d’une aventure, d’une merveilleuse aventure qui dura six années, d’un travail intense, mais aussi de joie et d’émotions partagées. Les plus tristes : la mort de nos pères respectifs dont nous avons partagé la douleur. Les festives également : en créant à nouveau la Revue de l’UJA où Mario excellait dans les sketches et les chansons. Nous nous produisions alors modestement dans un petit théâtre de l’Avenue Gabriel, le théâtre des Ambassadeurs. Le journal du Conseil National des Barreaux, qui a circulé au moment de la disparition de Mario, a publié une photographie immortalisant la soirée de 1965. Les plus heureuses : Mario se rendait presque chaque week-end à Reims, la ville de son enfance, de ses racines où vivaient ses parents, ses frères, et dont on vient de vous parler. Pour cela, il prenait le train et, à son retour le lundi matin, me racontait son voyage : il avait rencontré une jolie jeune fille, souriante, avec laquelle il avait engagé la conversation et appris qu’elle était pianiste. J’attirais son attention sur le côté insolite de cette rencontre, mais très vite je comprenais ce qui avait été un coup de foudre : Savine était la femme de la vie de Mario, et j’ai été très heureuse lorsqu’il m’a annoncé leur mariage. Six années sans le moindre nuage, le moindre incident, passées comme un éclair. Nous avions un code entre nous et Francis : il n’y avait jamais de problème mais toujours des solutions. A aucun moment, Mario n’a ralenti son rythme de travail, qu’il accomplissait sans avoir l’air de le faire, et pendant son année de conférence, prenant le temps de mener avec succès ses activités de premier Secrétaire, et de préparer le merveilleux éloge qu’il fit de Pierre Masse à sa sortie de la conférence, et dont la fin attira nos larmes. Le talent de Mario était immense. Il semblait même procéder d’une certaine facilité : il pouvait préparer un discours sur un timbreposte. Cela n’était pas mon cas et je me souviens que, devant me rendre au Liban avec le Bâtonnier Brunois, j’avais à faire un discours. Je demandais à Mario de me donner quelques idées. Il ne se borna pas à me les donner, mais prépara un joli propos qui fut très applaudi. Mario jeune, c’était Mario à la fin de sa vie : le même rire, le même enthousiasme, la même joie de vivre.
Lorsque je l’ai vu pour la dernière fois, à la remise du Bâton au Bâtonnier Jean Castelain, je lui demandais de ses nouvelles et il me répondit avec son grand sourire et un geste d’affection : tu vois je suis là. Comme son patron de 1962 avait eu tort de ne pas faire confiance à Mario, mais comme il avait eu raison de nous le laisser : Mario c’était un vrai cadeau.
Mario et la Conférence par Jean-Pierre Cordelier oilà le temps de la conférence « un moment fondateur et primordial de sa vie », ainsi que l’a si bien dit Henri Leclerc dans son émouvant discours, prononcé le triste jour de ses obsèques. Il a été le premier d’une promotion riche de personnalités : Michel Blum, Denis Dupre, Catherine Karpik, Lucien Cossart, Marie Guilguet, Béatrice Bensoussan, Jean-Antoine Deloncle, Fred Hermantin et Philippe Lafarge, et pourtant, à entendre nos géniteurs, elle a été laborieusement enfantée. La rumeur disait qu’ils avaient peine à trouver 12 Secrétaires dignes de succéder à leur promotion. De la rumeur est née la légende, maintes fois racontée par Jean-René Farthouat avec l’humour grinçant qu’on lui connaît et reprise par notre cher Mario qui lui répondait que de tout temps il n’y avait pas eu de meilleure promotion. Il fut notre premier porté par sa promotion, fier de celui qui sera à jamais affectueusement appelé Mario. Son discours de rentrée sur Pierre Masse, dont il sera parlé tout à l’heure, reste dans nos mémoires. Il disait alors « être d’une promotion, c’e st se réjouir désormais du succès des autres, tout autant que des siens, apprendre à tempérer toute rivalité de beaucoup d’amitié et garder pour la vie des regrets d’une année fugitive ».
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Sans doute la carrière, la vie nous éparpillent mais entre nous, nos épouses et époux respectifs nous avons conservé des liens très forts affectés par la disparition tout jeune de Lucien Cossart, en 1999, de Philippe Lafarge et, il y a quelques mois, notre cher Mario. Il aimait ces rencontres agrémentées d’un dîner et prenait plaisir à nous recevoir avec la merveilleuse Savine. Il n’y a pas de groupe sans quelques tensions. Il y en eut lorsqu’il a fallu choisir nos successeurs et encore lorsque notre cher Mario, promis au Bâtonnat, trouva sur son chemin le douzième de sa promotion, Philippe Lafarge, en quête des mêmes fonctions. Deux pour un seul fauteuil, c’est trop. Mais, la réussite de l’un et l’autre apaisera les querelles et l’esprit de promotion, tissé par une forte amitié, l’emportera. L’année de la Conférence a scellé le début d’une grande carrière. Et très vite, la renommée a fait le reste. Elle a révélé un avocat de grande humanité, d’une culture puisée dans des études réussies et sans cesse enrichie.
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In Memoriam Mais, pour nous, ses jeunes comparses, il fût très vite le catalyseur de nos amitiés, des amitiés profondes et indéfectibles qui traversèrent le temps et permirent à ces douze secrétaires, de tisser entre eux un lien fécond qui 50 ans plus tard, demeure vivace. Peu de promotions, que je sache, ont eu cette chance et cette durée de survie et c’est bien à Mario comme à notre fabuleux douzième, Philippe Lafarge, que nous le devons. Des moments de gaité et d’hilarité, il y en eut beaucoup car, jeunes et insouciants mais fiers de notre état, nous aimions rire. Comment ne pas évoquer ce soir où Mario nous ayant promis de nous faire rencontrer la femme de sa vie, Savine, sa promotion toute entière l’attendait au restaurant. Le malheur voulût, si j’ose dire, que revendiquant la préséance, notre sympathique Bâtonnier Grente qui avait longtemps caressé puis abandonné l’idée de voir Mario épouser l’une de ses nièces, avait exprimé le souhait de se voir présenter, le même soir, la promise. La visite étant faite, Mario et Savine, envisageant de prendre congé après s’être entendu dire « mon épouse et moi sommes très satisfaits » virent avec stupeur le bon Jean, factotum attitré du Bâtonnier, ouvrir grande une porte et annoncer que « Madame était servie ! ». Je ne sais quelle mauvaise excuse Mario parvint à trouver ni quelle brutale et soudaine maladie vint ce soir-là frapper l’un de ses proches, pour accélerer ces agapes et s’enfuir sitôt le dessert pris, pour rejoindre une promotion, elle-même affamée et piaffant d’impatience. Deux diners pris, coup sur coup, n’affèctèrent ni l’appétit du couple , ni l’ambiance festive de cett soirée. Autre souvenir, fabuleux et joyeux quand, par la suite, notre promotion entoura Mario et Savine lors de leur mariage dans cette magnifique cathédrale de Reims à laquelle tant de souvenirs les rattachait. Souvenir aussi du flôt de champagne , sorti des par Denis Duprey « profondeurs pétillantes » (comme l’a si bien dit Jean –François Gibault) qui coula ce jourlà ! ue dire de Mario qui n’ait été déjà dit ? Souvenir encore d’un fabuleux diner de têtes Tous ceux qui participent ce soir à que le Bâtonnier Grente et son épouse, grimés cet hommage, ont salué et rappelé en bourgeois Louis-Philippard , nous offrirent avant nous l’homme qu’il fût, son rue des Saints Pères, où Mario se présenta , talent, ses mérites et son engagement l’oreille coupée , en Van Gogh et Henri Leclerc en apache. permanent pour l’ordre et la défense. Mais peu nombreux sont ceux qui l’ont connu Souvenir enfin des soufflés au grand marnier, au tout début de sa vie d’avocat, ceux qui, dégustés le mardi chez Laperouse, de ces soirées comme Jean-Pierre et moi l’ont découvert et de délibération passées en smoking dans les rencontré, il y a plus de 50 ans, dans les années tribunes du Parc des Princes pour voir s’affronter 1962 /1963 lorsqu’il courait les couloirs du Brives et Agen respectivement soutenues par palais, « en robe courte » pour ne pas dire en Jean-Pierre et Philippe ou de ces rentrées culotte courte (car il la porta sous les couleurs flamingantes , telle celle de La Haye , où après avoir subi de nos « Acht Konfraters » un du football club du Palais). Mario n’avait pas encore acquis la notoriété qu’il passionnant exposé sur « le privilège des obtint par la suite ni révélé son talent ou fait la pécheuts Anversois dans les eaux Néerlandaises », nous n’eûmes d’autres preuve de sa réussite. Tout jeune premier secrétaire d’une promotion, ressources que de fuir dans le bowling voisin. qualifiée à l’époque de « médiocre » par des Voilà ! C’était le Mario des années soixante, celui malvoyants, mais qui devait s’illustrer par la suite que beaucoup d’entre vous n’ont pas connu, celui (comme l’a rappelé Jean-Pierre), Mario que nous avons eu le bonheur d’approcher et apparaissait déjà comme un chef de patrouille d’aimer. Savine et lui formaient déjà ce couple incomparable, bercé par leur commune passion particulièrement brillant et doué. Certes il n’était pas encore connu ni reconnu pour la musique, qui traversa les années sans mais son grand talent d’orateur et la qualité de que leur amour ne soit jamais altéré. ses discours le mirent en évidence et le Nous étions tous jeunes, gais, heureux et Mario avait déjà, à cette époque, cet éclat dans les yeux , révèlèrent à ses confrères. La Conférence est l’é cole de la parole qui devient, pour les plus talentueux, l’art de la parole. Notre cher Mario cultivait cet art avec une certaine délectation. La parole c’est la vie et cette vie là, elle a été la sienne jusqu’au bout, comme l’a si joliment écrit notre Bâtonnier. Notre cher Mario citait souvent le Bâtonnier Charpentier, auteur d’un opuscule sur la parole. Verba volante rappelle-t-il, mais, écrit-il, si « les chefs d’œuvres traversent les siècles, défigurés par le succès, assimilés par les générations qui les dévorent…, la parole, elle, à peine a-t-elle retenti qu’elle meure. On ne l’entendra plus jamais. Elle ne connaîtra ni la décadence, ni les résurrections traîtresses. C’est une fusée dans la nuit. Mais Ciceron ? Mais Bossuet ? Je vous en prie laissons les cadavres. Qui a-t-il de commun entre ces écritures refroidies et l’instant divin où transportées par la magie du verbe, les âmes se sont confondues ? ». Ecoutons encore Henri Leclerc « allez, mon vieux Mario, il nous faut nous quitter. Faute de pouvoir te parler, je voudrais encore te parler de toi, encore rester avec toi un moment, encore voir ton souvenir si bienveillant, profiter de ta joie légère, savourer ton humour s’arrêtant aux portes de l’ironie qui blesse. Mais le temps est venu de faire silence…. Tu étais doux aux affligés, tu étais affamé et assoiffé de justice, tu défendais les persécutés, tu accueillais les étrangers, allais visiter ceux qui étaient en prison. Tu fus donc ce que tu rêvais d’être dans ta jeunesse. Quelle belle vie mon ami. Repose en paix » Que dire de mieux ? Tout au long de cette soirée défile les images.
Mario, le rayonnant
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ce rayonnant sourire et cette joie dont il ne s’est jamais départi et que Savine a su si bien transmettre à ses enfants, Mario junior, Laure et Stéphane . Merci Savine ! Je t’embrasse !
Le destin des avocats par Jean-René Farthouat «
otre vie d’Avocat c’e st, bien sûr, un destin individuel mais qui s’inscrit dans une aventure collective » écrivait Mario Stasi dans le bulletin du Bâtonnier consacré aux élections ordinales de novembre 1999. On ne doit jamais, professait Mario, commencer un discours par une citation avant d’expliquer les raisons, toujours excellentes, qu’il avait d’enfreindre, quasi-systématiquement, cette règle. Les miennes sont aussi bonnes puisque la formule qu’il employait, pour inciter ses confrères à participer à la vie de l’Ordre, est le parfait résumé de ce qui a été sa vie professionnelle.
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Un destin individuel. Il n’était pas évident de le réussir dans le Palais de 1958, date de la prestation de serment de Mario Stasi lorsqu’on arrivait de province et que l’on ne disposait que d’un réseau relationnel limité. La Conférence, que Jean-Pierre Cordelier évoque par ailleurs, sera, certainement un des facteurs essentiels de l’intégration de Mario dans le monde fermé et élitiste qu’était le Barreau de Paris d’alors. Si, comme il arrive, trop souvent et, semble-til, toujours aujourd’hui, La Conférence lui fit perdre sa collaboration, cette mauvaise manière fut, pour lui, une chance puisqu’elle lui permit, d’entrer dans le cabinet de Francis MolletVieville qui se préparait à être Bâtonnier et de Geneviève Augendre. Il y apprît beaucoup et, notamment, une méthodologie dont il ne se départît jamais. Tout dossier entraînait l’établissement d’une fiche qui prenait place dans une boîte en bois immuablement placée sur sa droite à côté du téléphone. Ces fiches, sur lesquelles s’inscrivait tout nouvel évènement survenu dans le dossier, lettres, téléphones, audiences, permettaient à Mario d’éviter que son bureau ne soit envahi par les dossiers et d’être pris en défaut par les interrogations, au pied levé, d’un client ou d’un confrère. Cette double formation, celle née de la Conférence et de sa cohorte de commissions d’office et celle acquise auprès de Francis MolletVieville et de sa clientele prestigieuse, jointe à l’expérience des litiges commerciaux qu’il tirait d’un stage, précédemment accompli dans une étude d’agréés, a permis à Mario de développer une activité multiforme. Il n’aurait pas aimé s’enfermer dans une spécialité unique dont la répétition l’aurait lassé et, s’il connaissait ses limites et s’interdisait d’aborder des domaines qui lui étaient étrangers, il n’avait aucun mal à passer des conflits
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familiaux aux conflits commerciaux et du droit de la presse aux drames de la Cour d’assises. La Cour d’assises était, sans doute, l’enceinte judiciaire qui avait ses préférences et s’il n’y est intervenu, que de loin en loin, il ne l’a jamais désertée. Ce n’est certainement pas par hasard, que ce soit devant la Cour d’assises, qu’il aura, pour la dernière fois plaidé, tenant, malgré sa fatigue et sa souffrance, à être présent jusqu’à la fin de l’audience. La faculté qu’avait Mario, de pouvoir intervenir dans des domaines aussi divers que ceux que je viens d’é voquer, tenait, au-delà de ses compétences juridiques et du temps qu’il consacrait à l’étude et à la préparation de ses dossiers, à trois qualités essentielles. Mario savait aller, dans les dossiers les plus complexes, à l’essentiel, écarter les problèmes secondaires et déterminer la question dont la solution emportera la conviction du Juge. S’il avait été toréro, on eût dit de lui qu’il avait la vista, ce coup d’œil qui permet toutes les audaces. Il savait aussi expliquer, très clairement, la thèse qu’il défendait et contrôler son éloquence naturelle. S’il pouvait enflammer un auditoire lorsqu’il se trouvait à une tribune, bouleverser un jury lorsqu’il plaidait à la Cour d’assises, il ne cédait pas à la tentation de l’éloquence pour l’éloquence. Il avait enfin, non seulement une empathie marquée pour les autres mais aussi, et sans doute, en était-ce la conséquence, la faculté de susciter la sympathie. Et, susciter la sympathie du Magistrat n’est pas nécessairement inutile. Une de ses clientes résumera, un jour qu’elle parcourait avec lui les couloirs du palais de Justice, l’aura dont bénéficiait Mario en s’écriant : « Mais il n’y a que les murs qui ne lui disent pas bonjour ». Je ne voudrais pas me faire trop hagiographique et m’attirer le « ne soyons pas idiot » que lançait Mario lorsqu’il voulait mettre un terme à des propos dont les dérives lui paraissaient excessives. Mario avait, grâce au ciel, quelques défauts qui rejaillissaient sur son activité professionnelle. Il n’avait aucun sens de l’heure et était toujours en retard. Il était susceptible et l’était, parfois, excessivement mais aussi souvent, à très bon escient. Un Magistrat qui, au prétexte de mieux l’écouter, s’était enfoncé dans son fauteuil après avoir chaussé des lunettes de soleil, a sans doute, longtemps, regretté son attitude. Une aventure collective. Une aventure collective au sein du Cabinet que nous avions fondé ensemble et qui perdurera pendant plus de trente ans et où un collaborateur ne pouvait raisonnablement espérer la bienveillance de Mario s’il ne connaissait pas, au moins, le nom de deux des membres de l’équipe de Reims de 1958. Une aventure collective au sein de l’Ordre. L’importance qu’a eue l’Ordre dans la vie de Mario ne se résume pas au mandat qu’il a accompli en tant que Membre du Conseil de l’Ordre, dont parlera Janine Bariani, et Bâtonnier.
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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
In Memoriam
Il n’est, sans doute, pas trop fort de dire qu’il y a eu une véritable symbiose entre l’Ordre et Mario Stasi et que non seulement sa profession, mais la communauté au sein de laquelle il l’exerçait, ont été l’une de ses passions. Le temps manque pour dire dans le détail l’action qui fut la sienne à la tête de l’Ordre. L’émotion qui fut celle qui saisit l’Assemblée générale de l’Union Internationale des Avocats à l’annonce de sa mort dit mieux que tout le rayonnement international qu’il sut donner à son Barreau. La tristesse de ses confrères parisiens témoigne de l’affection qu’il avait su, par ses initiatives, susciter. J’aurais aimé terminer ce propos par un de ses proverbes chinois que Mario adorait inventer mais je n’ai pas son imagination. J’ai bien pensé faire du célèbre « Pouvez-vous me passez le sel à moins qu’il ne soit réservé à une élite à laquelle je n’appartiens pas », que tous ceux qui ont partagé un repas avec Mario ont certainement entendu, un proverbe chinois. Mais cela n’est pas très crédible ! C’est donc lui que je citerai. « La vraie question n’est pas celle de savoir ce que l’Ordre fait pour nous mais ce que nous faisons pour l’Ordre ». Il y a répondu.
Mario et l’OHADA par Ahmed-Salem Bouhoubeyni
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’ai l’avantage de parler aujourd’hui de Mario l’Africain. Personne ne le dira assez, Mario était un homme hors du commun, on s’en rend compte aujourd’hui, inquiet quant à l’avenir de la CIB. Cet espace remarquable qu’il animait avec tant de dévouement et qui est aujourd’hui orphelin, il faut le reconnaître, mais qui doit, grâce à vous tous, continuer d’autant que le chemin est déjà bien tracé. Mario s’y est employé longtemps, à nous de continuer pour lui faire plaisir sans doute mais surtout pour garantir la viabilité et la pérennité de la CIB. Assurer sa continuité, particulièrement dans son esprit, chose commune sans hégémonie aucune, sans domination d’aucune sorte dans un esprit d’égalité entre Sénégalais, Français, Maliens, Mauritaniens, l’affaire de tous, mais aussi dans sa mission tel que Mario la menait si bien, à coté des Barreaux en difficultés, aux cotés des Avocats persécutés, aux cotés des Avocats qui, dans certains de nos pays, mènent
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In Memoriam les combats contre l’arbitraire pour l’Indépendance de la Justice, la séparation des Pouvoirs pour l’Etat de Droit dans leurs pays respectifs. Ces Avocats et ces Barreaux africains savaient compter sur Mario dans leurs durs combats et surtout dans un contexte difficile que certains d’entre vous connaissent mais d’autres ont du mal à imaginer. Madame le Bâtonnier de Paris nous racontait cet après-midi l’histoire de ce Bâtonnier empêché d’accéder au Palais de justice pour y exercer son métier, que lui reproche-t-on ? D’avoir dénoncé l’arbitraire, exigé l’application de la loi, réclamé plus de liberté pour ses concitoyens, d’avoir dénoncé l’arbitraire de tous les jours. Ce Président de la Cour Suprême qui vient d’être démis de ses fonctions, chez moi, par décret présidentiel. Ces magistrats qui, chez moi, ayant exprimé le besoin de se retrouver en syndicat pour défendre leurs intérêts et mieux servir la Justice, se sont vu octroyer un cadre associatif généreusement accordé par le Ministre de la Justice qui en a désigné les organes. Ce Barreau parallèle du Burundi, créé par décision du Ministre de la Justice. Mario était notre soutien, notre source d’inspiration dans ces combats. Une fois informé, il alerte, par l’intermédiaire de l’infatigable Marie Chantal Joubert, il agit, il obtient le soutien d’Abdou Diouf et de bien d’autres, actions aussi discrètes qu’efficaces. La CIB de Mario était à nos cotés car en fait notre combat est au nom de notre profession des valeurs qui nous unissent, le droit que nous défendons dont la violation quelqu’en soit l’auteur doit provoquer notre indignation, il n’y a pas à transiger, pas à renoncer, pas à abdiquer quand ces valeurs sont soumises à mal. Grâce au soutien de Mario on menait tant bien que mal cette périlleuse mission. Continuer son œuvre est certainement le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre avec pour finir, une attention particulière aux jeunes, vous avez raison Maître Pradel de l’é voquer tantôt. Ces jeunes auxquels Mario avait consacré la fin de son dernier discours de Congrès de la CIB, son discours de Décembre 2011 à Nouakchott, qu’il avait conclu en ces termes, je le cite : « On raconte, est-ce Hampaté Ba qui le raconte, je ne sais plus, qu’un jour la sagesse lasse et d’entendre les plus anciens redire leur passé, évoquer des amours mortes ou de rêves évanouis par le temps, décida d’aller vers les plus jeunes pour connaître de nouvelles amours, des rêves lumineux, des aventures exaltantes vers des horizons nouveaux. Que pensez-vous qu’il arriva ? Les anciens devinrent-ils plus jeunes ? Connaissent-ils de nouvelles aventures, de lumineux amours avec une force renouvelée et les plus jeunes gagnés enfin par la sagesse mesurent-ils leurs efforts et calment-ils leur enthousiasme d’un pas plus maîtrisé ? Le conteur ne le dit pas. Mais ce qu’il dit c’est que le même matin s’éclairait pour tous, que le soir tombant les apaisait tous de leur combats de la journée et que, du village, les mêmes chants s’élevaient le matin ou le soir
sans que l’on sache désormais qui les chantait des plus jeunes ou des plus vieux. Allons jeunes avocats, chantons ensemble - allons jeunes avocats, nous avons l’âge de nos combats, ceux-là qu’il nous faut toujours répondre. Il n’est de sommet gravi qui ne nous fasse voir d’autres chemins à grimper vers toujours plus de lumière ». Je vous remercie.
Mario, le militant par Christian Charrière-Bournazel ario Stasi prit ses fonctions à la tête de notre Ordre le 1er janvier 1986. C’est au cours de son dauphinat, en 1985, que le Bâtonnier Guy Danet avait créé la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune, la CIB. Ce fut en réalité une conception commune que, dès 1986, le Bâtonnier Stasi s’est attaché à faire grandir. Nous, les membres de son Conseil de l’Ordre fûmes associés à cette splendide aventure : une réunion, pour ainsi dire constituante, qui s’était tenue à Genève, fut suivie du premier Congrès de la CIB en terre africaine : Lomé, au Togo, en 1987. Puis le Québec et, au fil du temps, la plupart des capitales africaines.
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Ce qui animait Mario Stasi et le conduisait à se dépenser sans compter tenait à la substance même de son âme toute entière irradiée par le sens chrétien de la fraternité. Militant inlassable des droits de la personne humaine, il concevait comme un devoir essentiel de porter secours à tous les opprimés et à faire fléchir les tyrans qui réduisent au silence leurs Avocats. Que ce soit aux Comores, au Cambodge, en Haïti comme à Ouagadougou ou en Centrafrique, il était par excellence le tribun de la Plèbe universelle, le pèlerin de l’universel chaos. La force de sa foi, son engagement pour la dignité humaine et la force de sa conviction en faisait par excellence l’avocat des Avocats. Il ne manquait pas non plus de sens politique et savait, avec habileté, séduire les Chefs d’État les moins portés à la tolérance, afin qu’ils cautionnent les congrès de la CIB. Lorsque, quelque temps après, l’un ou l’autre des Avocats de ces pays se trouvait en butte à l’hostilité du pouvoir, il se manifestait auprès du Prince et feignait de croire qu’il n’était pas au courant. Témoin de son engagement en faveur de la liberté, il s’en remettait à lui et le tyran n’avait que le choix de desserrer son étreinte. Sa seule ambition à la CIB était de fortifier l’État de droit partout où il le savait menacé et de témoigner à ceux qui dans des circonstances difficiles se battent jour après jour au péril de leur liberté ou de leur vie une solidarité qui ne faiblissait pas. Nous avions grande fierté de le voir agir ou de l’entendre parler à la fois pour la force de conviction qu’il déployait, sans orgueil, auprès des puissants et son talent d’orateur qui, afin de convaincre les intelligences, faisait s’ouvrir les cœurs les plus fermés. Il avait fait l’éloge de Pierre Masse dans sa jeunesse comme premier secrétaire de la
Conférence. Je lui avais demandé de venir à nouveau parler de lui à l’occasion du dévoilement de son médaillon. Je vous invite à méditer ce qu’il avait dit alors : « Retenons (…) qu’il n’est d’atteinte la plus petite aux moindres des droits de l’homme qui ne porte en germe toutes les violences à tous les droits, que les moindres démissions conduisent aux plus grandes lâchetés et que c’est le courage de tous les jours qui conduit au courage suprême ». Que Mario Stasi soit remercié aujourd’hui et toujours de nous avoir donné, jusqu’au jour même de sa mort, l’exemple de ce courage suprême.
Les combats de Mario par Janine Franceschi-Bariani ien des choses nous ont rapidement rapprochés :
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- L’amour que Savine et Mario portaient à Honfleur, - Nos noms aux consonances italiennes, alors que nous ne le sommes ni l’un ni l’autre, - Le souvenir de la rue St Guillaume, - L’Afrique, où je suis née, que Mario appréciait et qui l’aime tant, - Les congrès d’Avocats, du SAF à la CNA, en passant par l’ACE et Ma chère FNUJA, que nous avons l’un et l’autre tant fréquentés, - La Politique, jamais bien loin dans nos familles, où l’engagement au service des autres, est une tradition de génération en génération. Autant de « solidarités mystérieuses » qui m’ont donné envie de rejoindre le Conseil de l’Ordre, lorsque Mario en était Bâtonnier. Ce fut chose faite en 1987… Tout de suite après l’élection à la fin du mois de novembre 1986, et avant le premier Conseil, le 6 janvier 1987, mon Bâtonnier me convoque. Comme il l’a été lui-même en 1976, je serai cette année là, la plus jeune des membres du Conseil, assise à la même place qu’il occupait autrefois. Il tient à me voir, à me préparer à cette année de travail ordinal, à m’expliquer ce qu’il attend de moi, et à me faire part des projets sur lesquels il souhaite voir sa « jeune garde » s’engager. Il y est question de Proximité, d’Ouverture et d’Avenir de la Profession. Cela me plaît ! I) Proximité d’abord La Proximité, c’est la « marque de fabrique » de Mario. Cela commence dès le 1er janvier au Petit Parquet. Le Premier Bulletin du Bâtonnier de l’année nous le rappelle : « Comme il y a un an, je me trouve en ce moment où j’écris cet éditorial au milieu de nos confrères qui assument ce 1er janvier les permanences pénales au Petit parquet. C’e st le défilé des « déférés » appelés à connaître soit l’audience des comparutions immédiates, soit le débat contradictoire précédant une éventuelle détention pendant l’instruction de leur affaire. Et, en face, toujours le même dévouement des jeunes confrères veillant avec compétence à ce que soient
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In Memoriam appliquées au mieux des intérêts de chacun et, donc de la société, les règles de la justice pénale. La Défense est présente. Je souhaite enfin, en cette deuxième année de mon Bâtonnat, être encore plus près de vous, plus disponible, plus à l’é coute de vos problèmes, veillant plus encore à l’Avenir de notre barreau, me voulant à la hauteur d’une fonction que j’assume de tout cœur sachant qu’elle me met tout entier au service de notre Ordre », (Bulletin du Bâtonnier numéro 1 du 6 janvier 1987). Cette présence n’est pas un « gadget », une simple opération de communication, plusieurs fois dans l’année il y retournera et il y terminera son Bâtonnat. « Je reviens au milieu de vous. Ce 31 décembre, comme je l’avais fait au 1er jour de mon Bâtonnat. Je passerai la journée avec les avocats de permanence qui, ce jour-là comme chaque jour de l’année, se dévouent auprès des plus démunis. Ils sont une belle image de la défense » (Bulletin du Bâtonnier numéro 41 – décembre 1987). Il nous donnait là une belle leçon d’élégance… Mais, la proximité pour Mario ce n’est pas que la défense pénale. C’est bien d’avantage encore. C’est un échange au quotidien, où chacun a sa part, son rôle à jouer, sa responsabilité et par la même contribue à l’action de tous. Aussitôt dit… aussitôt fait… Tous les jeudis, sa porte est ouverte aux 6.200 avocats parisiens, que nous sommes alors. Chaque fois écrit-il « nous en sommes ressortis plus proches les uns des autres ». Cette attention qu’il donne à tous, tout au long de ses deux années de Bâtonnat, est la marque de l’ouverture profonde de son esprit et de sa culture humaniste toujours tournées vers l’Autre. Il nous propose de la faire également nôtre et, il nous engage à créer autour de chacun de nous un petit groupe de travail, qui contribuera à la réflexion de l’Ordre. Il attend beaucoup des membres de son Conseil, mais il donne toujours davantage en retour. II) Une année sous le signe de l’ouverture Quelle belle année que cette année 1987. L’ouverture est partout, toujours au rendez-vous. Le Palais est une ruche, les commissions ouvertes se multiplient, attirent et travaillent, le Bâtonnier y veille. Les colonnes de stagiaires et d’inscrits s’animent, sous la responsabilité des membres du Conseil de l’Ordre. Le Bâtonnier y tient. Le Barreau de Paris vit, le Barreau de Paris bouge, le Bâtonnier de Paris ne cesse d’agir. Cette année-là, nous connaîtrons : - La création de l’Institut de Droit Pénal, avec Henri Leclerc, - La réforme du Centre de Formation professionnelle, - La signature de la Convention de Sauvegarde des Droits de la Défense par 52 Barreaux et Organisations professionnelles venus du monde entier à l’occasion de la rentrée de juin 1987. - La première réunion du Comité Scientifique de la Fondation du Barreau de Paris,
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- La création de la revue du Barreau de Paris, - La mise en chantier de la réforme de la procédure disciplinaire, - La première réunion à Barcelone de la Conférence des grands Barreaux européens, créé l’année précédente, en juin 1986 par Mario, - La 3ème réunion à LOME de la CIB créée à Paris en novembre 1985 par le Bâtonnier Guy Danet, - Les premières journées d’informatique et bureautique destinées aux Cabinets d’Avocats au Palais des Congrès les 23 et 24 octobre, - La signature du premier protocole d’accord sur l’informatisation des Tribunaux d’instance le 16 juin, - De nouveaux services pour le CEDIA… Mais il y a plus encore. III) L’horizon 1992 : l’avenir de la profession Je veux terminer sur un thème, cher entre tous à mon engagement professionnel et, sur lequel j’ai découvert le courage et la modernité de mon Bâtonnier. Je connaissais alors, le Mario Avocat, Premier Secrétaire, Amoureux des mots, de l’audience et son humanité vibrante. Au Conseil de l’Ordre, j’ai découvert un Bâtonnier Moderne, Homme de Prospective, avec lequel nous avons construit le Barreau d’Aujourd’hui. En effet, il faut nous en souvenir, c’est Mario Stasi qui, au début de son Bâtonnat en 1986, a créé la « Commission Ouverte de l’AvocatConseil », qui permettra la fusion de 1992. - C’est lui qui a animé le 26 novembre 1986, une journée d’études de cette Commission ouverte, en partenariat avec l’ACAVI. - C’est lui qui a organisé et présidé la journée du 2 juin 1987, une journée entière de notre Conseil de l’Ordre, consacrée à la « grande profession », au cours de laquelle, Georges Flecheux, Dominique Voillemot, Jean de Mourzitch, Jean-Michel Braunschweig et JeanBernard Thomas ont présenté les rapports sur lesquels notre Conseil travaillera jusqu’à la fin de l’année 1987, afin de « relever le Défi de l’Horizon 92 et de poursuivre notre adaptation avec une inébranlable confiance en l’Avenir ». Et ce n’était pas si simple alors. Les opposants à la réforme étaient nombreux, hostiles et virulents. Ils évoquaient « la Grande Peur de 92 », et assimilaient la fusion des professions à la « destruction du Barreau », fruit d’un « mariage contre nature » !!! Il fallait, alors, une belle force d’âme pour poursuivre le chemin, et une profonde conviction pour entraîner la majorité du Barreau. Après Mario Stasi, d’autres Bâtonniers, Philippe Lafarge, Henri Ader, Georges Flecheux, poursuivront le chemin pour faire aboutir, en 1992, cette réforme déterminante pour l’évolution de notre profession, mais l’essentiel était là et les fondations de la fusion posées dès cette année-là, en 1987. C’est en souvenir de tous ces combats, que je suis fière de participer aujourd’hui à l’hommage que nous rendons ensemble à notre Bâtonnier Mario Stasi, sous le regard bienveillant de Savine, pour le remercier des années heureuses et conquérantes qu’il nous a permis de vivre au Conseil de l’Ordre de Paris à ses côtés.
Mario, le flamboyant par Xavier Chiloux hauveau, Paris, Annicchiarico, Albou, Chiloux : Jean François, Appietto, Jacob, de grands Avocats, certes, mais surtout, le dimanche matin, à Châtenay-Malabry, au polygone de Vincennes, ou à la vache noire, de redoutables footballeurs et parmi eux, Mario Stasi… De cette race de footballeurs qui après une semaine de travail, chargée, un samedi soir souvent pas moins, se réveillaient à l'aube pour participer à l'un des plus grands championnats du football amateur : le CORPO. L'équipe du football club du Palais affrontant les médecins, les plombiers, ou les gardiens de prison, et parmi eux, Mario. Qu'on se le dise, à l'époque on ne faisait pas dans la dentelle. Le carton jaune existait peu, quant au rouge : jamais mis, jamais vu. Le tacle, vous savez ce plongeon désespéré dans les pieds de l'attaquant en faisant semblant de viser le ballon, se pratiquait les crampons, pas toujours réglementaires en avant, directement dans les protèges tibias, qui eux l'étaient, ou devaient l'être si vous souhaitiez encore pouvoir marcher le lundi. Et parmi eux avec son éternel sourire Mario. Les plaidoiries des lendemains qui chantent s'élaboraient là : « Mais non Monsieur le procureur, excusez-moi, Monsieur l'arbitre, il n'y a pas faute, c'est le ballon qui vient à la main et non le contraire… » « Il n'y a pas peno, la main était involontaire, je vous le jure votre honneur, pardon Monsieur l'arbitre… » Et parmi eux, bien sûr, Mario. À l'époque, il y avait du flamboyant, du sérieux, du brutal comme auraient dit les Tontons Flingueurs. C'était l'époque des ballons en cuir pas vraiment ronds, des chaussures montantes aux crampons en ferraille, des chaussettes sans vraiment d'élastique, des shorts informes aux couleurs improbables, surtout après quelques dimanches, enfin des maillots pas tous identiques. Parmi eux deux gamins qui allaient bien sûr prendre le vice du football et de l'avocature : Jean-Victor Annicchiarico et moi-même. Nous faisions un peu partie de la grande famille, partageant les douches maculées de la boue des chaussures avec lesquelles la plupart du temps elles étaient prises, dans cette odeur inimitable de vestiaire, Synthol et pommades en tous genres, chaleur et vapeur se dégageant de ces corps qui avaient couru pendant des heures, après un ballon, bien trop rapide, et parmi nous toujours, Mario. Une anecdote, si vous le permettez, à cette époque, les gardiens de but censés s'interposer entre le ballon et les filets, justement pour que le premier ne touche pas les seconds, avaient une casquette en tweed, des caleçons longs, et une voix grave. Le nôtre s'appelait Francis Jacob. Un dimanche, lendemain de fête où on n’avait pas fait que de sucer les glaçons, Francis Jacob se retrouve sur sa ligne de but dans un état… disons… précaire. Arrive un attaquant adverse, qui place un boulet
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In Memoriam de canon au raz de notre gardien qui ne bouge pas d'un poil pour éviter le but. Soudain la voix caverneuse de Francis Jacob s'éleva : « Ben les amis, un peu plus je bougeais et je me la prenais pleine poire dis donc… ». Puis ce fut une nouvelle génération. Notre coupeur de citron, avocat honoraire, Monsieur Isbecque, avec son imperméable digne du baron Pierre de Coubertin n'était plus là, les citrons de la mi-temps non plus. Mais parmi nous, toujours, Mario. Notre inoubliable gardien, atteint par la limite… d'à peu près tout d'ailleurs, avait cédé sa place au grand pénaliste Jean-Alain Michel, pas si maladroit que ça dans les buts il faut l'avouer, si tant est d'ailleurs que je puisse utiliser ce mot. Ce fut l'époque des Jean-Paul Petreschi et Henri Rouch entre autres, et parmi eux, pour compléter une équipe qui avait parfois du mal à faire le nombre, quelques étudiants en droit dont je faisais partie. De temps en temps, malgré ses occupations professionnelles dues à ses fonctions multiples, venant nous encourager, il y avait Monsieur le Bâtonnier Mario Stasi. D'ailleurs ces appellations sont bien incongrues. Il n'y avait en fait pas de Bâtonnier, ni de Monsieur, ni de Mario Stasi mais simplement comme nous l'avons tous connus : Mario. Un primus inter pares que son charisme naturel avait tout naturellement conduit à occuper les plus grandes fonctions au sein de notre Ordre. Mais sur un terrain, il n'y avait qu'un joueur comme les autres que nous appelions tous, et tout simplement, Mario. Les générations se sont alors succédées et si j'ai moi-même perdu le contact avec le football club du Palais, je sais que les successeurs, dont notamment Jean-Noël Couraud associé de Jean Appietto et de Jean-Paul Petreschi, démontrant ainsi l'attachement de ce cabinet à ce sport depuis plus de 50 ans, n'ont pas manqué de recevoir, de temps en temps, la visite de celui qui restera pour nous tous : Mario le footballeur. Mais comme on l'a déjà dit, Mario Stasi c'était aussi, et surtout la ville de Reims et sa fabuleuse équipe de football des années 50. Laissez-moi évoquer cette période, pour ceux, qui encore tout ébaubis des matchs nuls du Paris Saint Germain, ne la connaitrait pas : ces tenues rouges et blanches, la première finale de la coupe d'Europe des clubs champions à laquelle assistait Mario, enfin sa fierté de voir remonter en ligue 1 son équipe favorite il y a à peine quelques mois. J'emprunterai les mots de Henri Haget dans son article publié dans le journal : L’Express, tout Mario est là.
Premier de cordée par Stéphane Lataste n m’a demandé de vous parler ce soir de « Mario et la montagne » et de « Mario et la course à pied ». Je serai assez bref sur la course à pied car je n’y entends strictement rien et j’ai toujours trouvé curieux que Mario ait besoin, partout où il était dans le monde, d’aller le matin faire son footing pour en revenir ruisselant … mais content.
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Certes, Mario avait le goût de l’effort mais pour avoir, de temps en temps, couru avec des militaires ou avec Basile Ader et son fidèle retriever, je n’ai jamais compris les plaisirs qu’on pouvait en retirer. Bref, n’insistons pas : Mario « adorait » la course à pied pour des raisons qui lui appartenaient et c’était à l’évidence une drogue douce qui avait l’avantage de le détendre. Je serai plus disert sur la montagne car c’est par la montagne que nous sommes devenus amis. Mario a toujours aimé la montagne : étant jeune, il grimpait dans le massif du Mont-Blanc à Val d’Isère et plus tard il a acheté et retapé, avec Savine, une jolie maison près de Briançon, c’està-dire non loin du massif des Ecrins, et de la Meije où il a fait nombre de courses, et de randonnées. Mario aimait les courses en montagne et il s’était lié d’une profonde amitié pour son guide, Benjamin, décédé quelques années avant lui, ce qui lui avait causé un grand chagrin, car ils étaient très liés. Il faut se représenter ce qu’est la relation avec un guide de montagne : un guide, c’est quelqu’un à qui vous confiez votre destin, votre vie, non seulement parce qu’il vous tient au bout de sa corde mais aussi parce qu’il sait par où vous faire passer. Bien souvent, vous avez rétrospectivement des doutes affreux sur les dangers qu’il vous a fait courir et ces doutes deviennent des certitudes (comme lorsque Mario est tombé dans une crevasse, épisode mémorable dont chacun d’entre nous a entendu parler), parce que vous touchez alors du doigt que votre guide, tout aussi fort qu’il soit, est un homme comme un autre, à qui il peut arriver de se tromper ou que les éléments peuvent trahir. Car la traîtrise est le propre des éléments en montagne : la roche qui se détache en plein effort, le pont de neige sur lequel on peut passer une, deux, dix fois et qui s’effondrera au 11ème passage, sans raison apparente, engloutissant une cordée entière, fut-elle la meilleure. C’est aussi le propre des séracs qui, d’un coup, se détachent et écrasent tout le monde sur leur passage… Une anecdote, maintenant : Mario avait horreur que l’on parle en montagne. Alors que nous faisions une course avec un autre de nos amis, Avocat lui aussi, qui découvrait la montagne (il a même tenu à fêter son « premier pont de neige », arrivé au refuge, ce qui avait beaucoup amusé Mario …) ce confrère n’arrêtait pas de commenter chaque instant de la course. Pour ne rien arranger, il était très – pour ne pas dire, trop - respectueux envers son Bâtonnier auquel il donnait du « Monsieur le Bâtonnier » à tout bout de champ, y compris dans des passages pour le moins délicats. Mario a rongé son frein pendant des heures jusqu’à ce qu’il éclate et lui lance « écoutez, Georges, le Bâtonnier vous demande une chose maintenant : fermez-la ! » et c’est ainsi que nous avons poursuivi et terminé cette course avec cet ami tout penaud d’avoir poussé Mario à bout, car chacun sait ici qu’il était très rare de le faire sortir de ses gonds … La montagne correspond bien à la conception qu’avait Mario de son exercice professionnel, au travers de deux aspects : la cordée, c’est à dire
l’é quipe, et la notion de premier de cordée. Dans la présentation qu’il avait faite naguère des membres de notre Cabinet, Mario avait parlé d’une « cordée » et il est vrai que l’image de la cordée correspond bien à celle d’une équipe d’avocats qui, tous, tendent vers le même but : le sommet de leur art. Et comme en montagne, c’est toute la cordée qui doit arriver au sommet. Dans son cabinet, il avait la même ambition pour nous tous qui étions sur cette corde. Mais la montagne, c’est aussi le « premier de cordée », c’est-à-dire celui qui ouvre la voie, avec lui. Dans son exercice professionnel, Mario Stasi a été souvent et longtemps « premier de cordée » : il l’a été à la Conférence puis à l’Ordre, dont il a été successivement le chef, bien sûr, et il l’a été dans son Cabinet. Mais en montagne, on n’est pas sans cesse premier de cordée : il faut parfois savoir être en second pour « assurer », justement, le premier de cordée, qu’il s’agisse d’un jeune talent qui fait son apprentissage ou du vieux guide qui vous montre comment et par où passer dans les passages périlleux. Eh ! bien, dans son Cabinet, Mario a su aussi céder sa place à d’autres : d’abord à son associé et ami de toujours, Jean-René Farthouat puis, plus tard, à son jeune collaborateur, devenu son associé, Antoine Chatain : l’un et l’autre sont devenus à leur tour, pendant des années, « premier de cordée » et, comme en montagne, le Bâtonnier était là à veiller derrière eux pour les assurer, de sorte que s’ils faisaient un faux pas, il puisse les rattraper et leur éviter une chute fatale. Car la montagne apprend l’humilité : En montagne, on n’est jamais éternellement premier de cordée et même, comme dans la vie et comme dans notre exercice professionnel, il arrive un moment où, un peu lassé des exploits, il n’est pas si désagréable de ne plus être en tête pour se contenter d’être un peu en retrait et guider de loin (ou admirer) le geste du plus jeune associé qui grimpe devant vous et, surtout, d’être là pour amortir sa chute, au cas où. Alors, oui, jusqu’au bout, le Bâtonnier Stasi aura aimé la montagne et incarné cette discipline sportive de haut niveau qui exige beaucoup d’humilité face aux éléments qu’on ne domine jamais complètement. Enfin, la montagne c’est, indissociablement, Mario et Savine. Permettez-moi donc de terminer sur ces quelques lignes du grand Ramuz, écrites en 1922, dans « Présence de la mort », extraites de ce texte « contre la mort qui s’annonce » et face à laquelle, le corps de la femme aimée semble être l’ultime abri de l’écrivain vaudois : « […] Alors s’y réfugier, se faire tout petit, se laisser faire ; Aller avec la tête à ce creux chaud, et ne plus rien dire ; Je ne bouge plus, mets ta main dans la mienne, comme ça ; je suis bien… Et la mort à présent peut venir parce que c’e st bon, parce que c’est doux. Quand il y a autour de nous un grand corps de femme, Comme de la laine, comme de l’étoffe, comme du duvet, Comme le nid tiède autour des petits de l’oiseau. » Je crois que c’est un peu dans cet état d’esprit qu’il s’en allé, à Pourcy, ce 3 novembre 2012, alors qu’il grimpait, en vain, vers le sommet de ses quatre-vingts-ans.
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In Memoriam Mario et la littérature par Hyppolite Marquetty
e celui qu’il avait voulu célébrer, il y a quelques années, devant ce Palais Littéraire qu’il affectionnait tant, il avait justifié le choix en rappelant qu’on disait de lui : « On s’attendait à voir un auteur et on trouve un homme ».
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Tel lui était apparu Charles Peguy et cela valait bien, selon le mot d’Homère qu’il aimait à citer, qu’un instant, « l’on veuille bien se mêler à lui en amitié ». Je n’étais pas présent le soir de son discours dédié à Peguy, mais aujourd’hui qu’il m’est permis de dire quelques mots à propos de Mario (« Monsieur le Bâtonnier » comme je l’ai toujours appelé, d’abord par respect, puis par une affection teintée d’humour, qui loin d’approfondir les distances, nous plaçait tous deux dans une sorte de connivence renforcée), aujourd’hui qu’il m’est permis, en évoquant quelques-uns de ces goûts littéraires, de lui rendre hommage, je voudrais dire, avant toute chose, que ce que j’ai tant aimé chez Mario, c’est ce que résume si bien l’expression de Buffon : « le style c’e st l’homme », ou plutôt selon sa formule exacte, que « le style est l’homme même », au sens où l’homme qu’il était, sa nature profonde, envahissait toujours sa vie, ses choix, ses engagements, sa manière d’être, sans jamais que les exigences de la vie sociale ne viennent faire véritablement obstacle à l’expression de celui qu’il était. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai jamais compris son amour pour Peguy. Peguy ! Nom de dieu ! (« Nom de dieu », qui furent du reste paraît-il les derniers mots de celui qui tomba héroïquement au front, debout, criant aux hommes qu’il commandait : « Tirez, tirez toujours. Nom de dieu ! » Mario ne l’aimaitil pas aussi… et surtout pour cela… ?) Mais tout de même ! Peguy !!! Et à ce sujet, je me souviens, Créteil, 19 mars 2012, je me souviens de ce parking du Tribunal, triste et froid. Je me souviens de cet homme, mon patron, d’une main tenant son chapeau, de l’autre un vieux porte-document mal refermé ; de son manteau, noir ou gris, mis à la hâte ; d’une écharpe rouge, négligemment posée sur sa nuque, qui ne le protégeait pas du froid. Je me souviens très précisément de ce moment, de ce moment dont j’ai fait l’un des points de départ d’une réflexion sur ce qui à lui m’a uni et m’unira indéfectiblement, de ce moment, après l’interrogatoire d’un client, où nous fermons hâtivement les portes de la Peugeot 508, pour nous y réfugier. La 508, et non la 607, qu’il lui préférait et avait dû abandonner, et ça n’était pas anodin, car Monsieur le Bâtonnier, entretenait avec sa conduite le même rapport qu’avec son champagne : la même gourmandise enracinée dans la terre, le même rire, la même immensité, celle dont il m’avait enveloppé en me prenant dans ses bras le jour de ma prestation de serment- je le connaissais depuis à peine deux mois et je pense que Nadia, jeune collaboratrice
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qui ce jour-là prêtait serment comme moi se souvient avec la même émotion de ce geste de cœur, du sourire dans les yeux avec lequel il nous a dit qu’il était heureux pour nous. Et Monsieur le Bâtonnier conduit, il conduit, c’est la liberté, un miracle, tout semble si facile, si évident, même si parfois il ne regarde pas la route… Sa main qui court de la boîte de vitesse, des touches de la radio à celles de son téléphone portable, tenant plusieurs conversations à la fois… et c’est à vous qu’il sourit ! Il a presque 79 ans et vous avez le sentiment que passent, car tout est toujours si facile et tellement libre à ses côtés, que passent, illuminations rimbaldiennes : « vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris, comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d’enfants attifés pour une pastorale suburbaine ». Et je suis avec cet homme. Qui boit son champagne, comme il avalerait le monde. « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher ». Je suis avec cet homme, qui démarre sa voiture, ce 19 mars 2012. Je le sentais d’humeur songeuse, comme cela lui arrivait plus souvent depuis qu’il se savait aller un peu moins bien. A la radio, un air d’opéra, que je ne connais naturellement pas… L’animateur cite une phrase de Stendhal sur Rossini, dont l’œuvre s’achève : « Rossini, un fabricant extrêmement habile de fleurs artificielles ». Et Mario de me demander : « Hippolyte, si vous deviez partir sur une île déserte, vous emporteriez quoi avec vous ? ». Je lui cite quelques banalités… Et il se met à fredonner un air, Jésus que ma joie demeure (pom, pom, pom…) : « Moi ce serait Bach, Bach. Comment peut-on vivre sans avoir connu Bach ?!!! ». Dans la voiture, vole alors quelques instants les notes légères et joyeuses de cette cantate qu’il me chantait si souvent… Vous rendez-vous vous compte ? Je suis en voiture avec mon patron, cet homme merveilleux de 79 ans, cet homme de 79 ans qui se sait alors déjà malade… et il me chante du Bach ! Aujourd’hui encore je revois cette scène, cette scène qui est tellement lui et que je veux graver très profondément en moi, pour être sûr de ne jamais l’oublier, car en un sens, qu’espérer de plus (comment l’espérer même ?) de ceux avec qui vous travaillez chaque jour et de ceux même qui vous entourent, de ceux qui vous sont chers… ? A ce moment, c’est certain, il va me dire Apollinaire, Si je mourrais là-bas, qu’il m’a récité tant de fois, dans son bureau, en rendez-vous, en taxi, en se promenant ; il va me le dire et ce sera merveilleux : Si je mourais là-bas sur le front de l’armée Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt Un bel obus sur le front de l’armée Un bel obus semblable aux mimosas en fleurs Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace Couvrirait de mon sang le monde tout entier La mer, les monts, les vals et l’étoile qui passe Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace Comme font les fruits d’or autour de Baratier
[Il les disait rapidement ces premières strophes / Il hésitait parfois sur ce vers] … [Puis plus doucement] Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie Souviens-t-en quelquefois aux instants de folie De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur Et sois la plus heureuse étant la plus jolie [Savine !] O mon unique amour et ma grande folie Ou il me dira Eluard et ces deux vers sur lesquels nous nous sommes souvent interrogés : « Le sommeil a pris ton empreinte Et la colore de tes yeux » Mais non ! Il va me dire ces vers, plus mystérieux encore de Racine, lorsqu’Antiochus déclare son amour à Bérénice : « Je me suis tu cinq ans, Madame, et vais encore me taire plus longtemps. … Je vois que votre cœur m’applaudit en secret : Je vois que l’on m’écoute avec moins de regret, Et que, trop attentive à ce récit funeste, En faveur de Titus vous pardonnez le reste. … Rome vous vit, Madame, arriver avec lui. Dans l’Orient désert quel devint mon ennui ! Je demeurai longtemps errant dans Césarée, Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée. » Je demeurai longtemps errant dans Césarée… Ce vers qui nous offrit une réflexion sur la beauté, avec un chauffeur de taxi parisien originaire de Guinée-Conakry, passionné de cinéma, auquel Mario avait d’abord demandé (comme à chaque chauffeur d’origine africaine) : « De quel beau pays d’Afrique êtes-vous ? », ce qui nous a naturellement conduit chez Aragon : « La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. … Qu'elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n'y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l'avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu'il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l'avait obsédé, qui l'obsédait encore : Je demeurai longtemps errant dans Césarée… » Je demeurai longtemps errant dans Césarée, parfum de mystère que je buvais déjà en entendant Mario me chanter du Bach… Et puis non ! Péguy… « Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance, Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas. Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance En des pays nouveaux où tu ne coules pas. » Le coup est dur ! Jeanne d’Arc quittant Domremy !!! « Taisez-vous, imbécile ! » et il reprend : « O nuit qui berce toutes les créatures Dans un sommeil réparateur …
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In Memoriam
O ma nuit je t’ai créée la première. Toi qui endors, toi qui ensevelis déjà dans une ombre éternelle Toutes mes créatures Les plus inquiètes, le cheval fougueux et la fourmi laborieuse, [Le cheval fougueux et la fourmi laborieuse, nom de dieu !!!] Et l’homme, ce monstre d’inquiétude. A lui seul plus inquiet que toute la création ensemble. O ma belle nuit je t’ai créée la première. » Voyant l’effet de sa récitation, il me lance un « ah le connard… ! » dont il me gratifiait de temps en temps… De crainte qu’il se lance dans les 700 vers de La tapisserie de Sainte-Geneviève et de Jeanne d’Arc, je juge alors fin et astucieux de lui servir ce couplet d’Alceste à Philinte dans le Misanthrope, Philinte ne se sentant pas d’aise des vers qu’il venait d’écrire, qu’Alceste jugeait, lui, bon à mettre aux cabinets : « Pour les trouver ainsi Vous avez vos raisons, Mais vous trouverez bon que j’en puisse avoir d’autres, Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres ». Croyant alors lui avoir coupé la chique avec mon Molière, ce qui n’arrivait pas tous les jours, j’étais tout à fait satisfait et souriais un peu niaisement. C’est alors et c’est peut-être tout ce que j’aurais voulu dire ce soir, qu’il me dit, pas tout à fait exactement, mais de manière suffisamment précise pour que j’en fusse véritablement ému, ce texte en prose de Péguy, issu du Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne, texte sans doute bien connu de beaucoup d’entre vous, mais que je voudrais prendre le temps de vous lire, car il y a là, à mon sens, tout Mario :
Jeune homme, me dit-il, vous qui êtes père : « Voyez cet homme de quarante ans. Nous le connaissons peut-être, notre homme de quarante ans. Nous commençons peut-être à en entendre parler. Il a quarante ans, il sait donc. La science que nul enseignement ne peut donner, le secret que nulle méthode ne peut prématurément confier, le secret que nulle discipline ne confère et ne peut conférer, l’enseignement que nulle école ne peut distribuer, il sait. Ayant quarante ans, il a eu, le plus naturellement du monde, c’est le cas de le dire, communication du secret qui est su par le plus d’hommes au monde et qui pourtant est le plus hermétiquement gardé. Le vase de secret le plus hermétiquement clos. Le secret qu’on n’a jamais écrit. Le secret le plus universellement divulgué et qui des hommes de quarante ans n’est jamais passé, par-dessus les trente-sept ans, pardessus les trente-cinq ans, par-dessus les trente-trois ans, n’e st jamais descendu aux hommes d’en-dessous. Il sait ; et il sait qu’il sait. Il sait que l’on n’est pas heureux. Il sait que depuis qu’il y a l’homme nul homme n’a jamais été heureux. Et il le sait même si profondément, et d’une science si entrée dans le profond de son cœur, que c’est peut-être, que c’est assurément la seule croyance, la seule science à laquelle il tienne, dans laquelle il se sente et il se sache engagé d’honneur, la seule précisément où il n’y ait aucun entendement, aucun masque, aucune connivence. Or voyez l’inconséquence. Le même homme. Cet homme a naturellement un fils de quatorze ans. Or il n’a qu’une pensée. C’e st que son fils soit heureux. Il ne se dit pas que ce serait la première fois ; que ça se verrait. Il ne se dit rien du tout, ce qui est la marque de la pensée la plus profonde. Cet homme est ou n’est pas intellectuel. Il est ou il n’est pas philosophe. Il est ou il n’est pas blasé. (Blasé de peine, c’est la pire débauche). Il a une pensée de bête.
Ce sont les meilleures. Ce sont les seules. Il n’a qu’une pensée. Et c’est une pensée de bête. Il veut que son fils soit heureux. Il ne pense qu’à ceci, que son fils soit heureux. Ce qui n’a jamais réussi, ce qui n’est jamais arrivé, il est convaincu que ça va arriver cette fois-ci. Et non seulement cela, mais que ça va arriver comme naturellement et planement. Par l’effet d’une sorte de loi naturelle. Or je dis, que rien n’est aussi touchant que cette perpétuelle, que cette éternelle, que cette éternelle renaissante inconséquence ; et que rien n’est aussi beau ; et que rien n’est aussi désarmant devant Dieu ; et c’est ici la commune merveille de votre jeune Espérance. » Je dois dire que peu de textes m’ont autant ému que celui-là. Car il s’agit d’un texte contre la pensée qui se veut pensante, contre l’idée qui s’épuise, d’un texte de foi, de la foi de Pascal, de la foi de celui qui croit dans le « Dieu d’Abraham, [le] Dieu d’Isaac, [le] Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants ». Un texte qui aide à vivre. Comme Mario, Monsieur le Bâtonnier. Dont je puis dire que s’il m’a tant inspiré et s’il est aujourd’hui si proche de mon cœur, c’est justement, pour plagier cette autre phrase de Pascal que je citais en introduction, que chez Mario : « On cherche un avocat, un sportif, un montagnard, un ami, un amoureux de littérature, de Reims, de musique… et on trouve un homme. » On trouve un homme, c’est-à-dire que l’être déborde toujours la situation et l’humanité ; son humanité, si vive, est toujours ce par quoi il répond au monde. Et le plus merveilleux, c’est qu’il fait partie de
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In Memoriam cette espèce d’hommes (il est le seul en cela que j’ai connu dans ma vie), qui tout en donnant raison à Peguy, lui donne tort, en ceci qu’il est la seule personne dont je puis dire sans hésitation qu’il était heureux, non pas seulement par cette amour qu’il avait de ses enfants, de son épouse (un amour qui vous émerveillait pourtant !), mais aussi peut-être parce que jetant toujours dans sa vie tout ce qu’il était, il ne manquait jamais d’être fondamentalement luimême. « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change », ai-je envie de dire avec Mallarmé. Alors, Mario, à mes yeux, c’est un Gary, un Romain, un Emile, un Ajar, dont en guise de conclusion je voudrais lire les derniers mots d’un des livres les plus émouvants, en vous demandant de vous souvenir du souffle de ce Bâtonnier, de cet homme, qui ne peut à tous que terriblement manquer : C’est dans La promesse de l’Aube : « Voilà. Il va falloir bientôt quitter le rivage où je suis couché depuis si longtemps, en écoutant la mer. Il y aura un peu de brume, ce soir, sur Big Sur, et il va faire frais et je n'ai jamais appris à allumer le feu et à me chauffer moi-même. Je vais essayer de demeurer là encore un moment, à écouter, parce que j'ai toujours l'impression que je suis sur le point de comprendre ce que l'Océan me dit. Je ferme les yeux, je souris et j'écoute… Il me reste encore de ces curiosités. Plus le rivage est désert et plus il me paraît toujours peuplé. Les phoques se sont tus, sur les rochers, et je reste là, les yeux fermés, en souriant, et je m'imagine que l'un d'eux va s'approcher tout doucement de moi et que je vais soudain sentir contre ma joue ou dans le creux de l'épaule un museau affectueux… J'ai vécu. »
Mario, l’écrivain par Antoine Chatain
ario aimait lire, écrire, parler et partager et nous avons partagé beaucoup pendant 23 ans.
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Il voulait me faire partager son amour pour la littérature. Lorsqu’il me confiait un texte, un discours, un écrit, un livre, il le faisait toujours avec malice et me disait : « Quand tu auras le temps, si tu as le temps un jour, tu verras, ça vaut le coup de s’y pencher un peu… peut-être… à toi de juger. » Dans la nuit du 3 novembre 2012, le sommeil était difficile à trouver, alors Sonia s’est levée, a ouvert un tiroir et m’a tendu une grande enveloppe. Dedans, s’y trouvaient des cartes, des petits mots et textes divers, tous émanant de Mario. Des petites blagues sur un coin de feuille, des dessins, des lettres, et tous ces écrits empreints de tant d’affection et de simplicité. Le texte que je vais vous lire, je l’ai retrouvé ce soir-là, il est commenté par Mario, il ne porte pas de date, le commentaire de Mario est dactylographié, et de sa main est écrit au crayon à papier : « texte lu par MS ».
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Je ne sais plus quand Mario l’a lu. Je sais simplement qu’il dit tout ce que nous aimions chez cet homme : « Voilà, Il est des moments de notre vie Et nous les avons tous connus Et Savine et moi venons bien d’en vivre Des moments où l’on se retourne pour voir Le chemin parcouru Le nôtre, Celui de ceux qui s’en vont Celui aussi qui devant nous nous reste à parcourir… Alors j’ai trouvé ce poème Simple trop simple peut-être Il est de Jules Supervielle Il n’appelle pas de commentaire On s’y retrouve si on veut Ou sinon on peut chercher Ailleurs pour suivre son chemin Le voilà, comme moi, je l’ai aimé. »
Nous sommes faits de tout cela, bon gré, mal gré, entre moments de bonheur et tout ce qu’on aimerait oublier. Pour chacun d’entre nous, ce moment-là, unique, où tout n’était que promesse, l’immense promesse d’une vie toute neuve. N’est-ce pas l’obscur souvenir de ce moment-là qui nous fait aimer la vie malgré tout, contre tout, parce que rien, jamais, n’est écrit d’avance ? Voilà ce que je dis, en silence, à Jacob, mon premier petit-fils, qui sourit dans ses rêves. Et voici ce que me dit Jacob : pense aux morts, mais occupe-toi des vivants. » Alors voilà ce que je vais faire. Je vais penser à toi Mario comme je pense à toi depuis que tu nous as quittés et je vais m’occuper des vivants.
Mario, le chrétien par Bruno Richard
Hommage à la Vie (par Jules Supervielle) : « C’est beau d’avoir élu Domicile vivant Et de loger le temps Dans un cœur continu Et d’avoir vu ses mains Se poser sur le monde Comme une pomme Dans un petit jardin D’avoir aimé la terre, La lune et le soleil, Comme des familiers Qui n’ont pas leurs pareils Et d’avoir confié Le monde à sa mémoire Comme un clair cavalier A sa monture noire D’avoir donné visage A ces mots : femme, enfants, Et servi de rivage A d’errants continents Et d’avoir atteint l’âme A petits coups de rame Pour ne l’effaroucher D’une brusque approchée C’est beau d’avoir connu L’ombre sous le feuillage Et d’avoir senti l’âge Ramper sur le corps nu Accompagné la peine Du sang noir dans nos veines Et doré son silence De l’étoile Patience Et d’avoir tous ces mots Qui bougent dans la tête, De choisir les moins beaux Pour leur faire un peu fête D’avoir senti la vie Hâtive et mal aimée, De l’avoir enfermée Dans cette poésie. » Et je voudrais juste terminer par ces mots tirés d’un livre d’Alain Remond intitulé Tout ce qui reste de nos vies que Mario n’a pas lu mais aurait aimé : « Nous sommes tous cabossés par la vie, nous avons pris des coups, nous avons rêvé, espéré, nous avons aimé, nous avons regretté.
ario Stasi était pleinement chrétien et pleinement Avocat. Je lirai donc en son honneur un poème* qui est tout à la fois une prière et une plaidoirie :
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Frères humains qui après nous vivez N'ayez les coeurs contre nous endurciz, Car, ce pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tost de vous merciz. Vous nous voyez ci, attachés cinq, six Quant de la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéca devorée et pourrie, Et nous les os, devenons cendre et pouldre. De nostre mal personne ne s'en rie: Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre! Se frères vous clamons, pas n'en devez Avoir desdain, quoy que fusmes occiz Par justice. Toutefois, vous savez Que tous hommes n'ont pas le sens rassiz; Excusez nous, puis que sommes transsis, Envers le filz de la Vierge Marie, Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l'infernale fouldre Nous sommes mors, ame ne nous harie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre! La pluye nous a débuez et lavez, Et le soleil desséchez et noirciz: Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez Et arraché la barbe et les sourciz. Jamais nul temps nous ne sommes assis; Puis ca, puis là, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charie, Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre. Ne soyez donc de nostre confrarie; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre ! Prince Jhésus, qui sur tous a maistrie, Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie : A luy n'avons que faire ne que souldre. Hommes, icy n'a point de mocquerie ; Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !
* « La ballade des pendus » de François Villon
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Vie du droit
Ecole Nationale de la Magistrature Concours complémentaires 2013 - 75 postes de magistrats à pourvoir L’Ecole Nationale de la Magistrature organise deux concours complémentaires dédiés aux professionnels ayant au moins 10 ans d’e xpérience afin de recruter 75 magistrats pour une prise de poste en 2014. Inscription avant le 3 mai 2013. es concours complémentaires s’adressent aux professionnels en exercice désireux d’une reconversion. Avocats, greffiers ou greffiers en chef, enseignants, policiers, juristes, notaires ont été recrutés en 2012. Annoncés par l’arrêté du 7 mars 2013, ces 2 concours offrent 52 places au second grade et 23 au premier grade de la hiérarchie judiciaire. Le dossier d’inscription, disponible sur le site Internet de l’ENM, doit être envoyé à l’ENM Bordeaux le 3 mai 2013 au plus tard.
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d’au moins 35 ans au 1er janvier 2013 et justifier de 10 ans d’activité professionnelle. Ceux au premier grade doivent être âgés d’au moins 50 ans au 1er janvier 2013 et justifier de 15 ans d’activités professionnelles.
Promotion 2013
75 futurs magistrats attendus en janvier 2014 :
53 MAGISTRATS STAGIAIRES dont 8 issus du 1er grade et 45 issus du 2nd grade
Les épreuves d’admissibilité des deux concours se dérouleront les 4, 5, et 6 septembre prochains. Le jury fixera ultérieurement les dates des épreuves d’admission. La rentrée, prévue à l’ENM en janvier 2014, débutera par une période de formation théorique de 4 semaines à Bordeaux, et sera suivie d’un stage probatoire de 6 mois en juridiction. A l’issue de la formation sont proposées des fonctions au parquet ainsi qu’au civil et au pénal du siège Tribunal de Grande Instance.
PROMOTION COMPOSÉE DE 37 FEMMES ET DE 16 HOMMES Parmi les professions antérieures : 17 avocats 9 greffiers 4 greffiers en chef 5 enseignants 3 policiers 2 juristes 2 notaires
Une formation rémunérée : Conditions à remplir :
Les candidats souhaitant postuler doivent être de nationalité française et titulaires d’un diplôme bac + 4 ou équivalent pour les deux grades. Les postulants au second grade doivent être âgés
Durant la formation, les magistrats stagiaires sont rémunérés. A titre indicatif, ceux du 2ème grade perçoivent 2 092 € brut par mois auxquels s’ajoutent les indemnités de scolarité pendant leur formation à l’Ecole et des indemnités de stage pendant la période de stage
juridictionnel. La direction des services judiciaires étudie la situation professionnelle antérieure de chacun et procède, le cas échéant, à un reclassement indiciaire qui prend effet à la date du début de la formation. 2013-309
Environnement
Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie États généraux de la modernisation du droit de l’environnement : présentation du Comité de pilotage Paris, Hôtel de Roquelaure - 16 avril 2013 elphine Batho, Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie a présenté le 16 avril dernier le comité de pilotage des États généraux de la modernisation du droit de l’environnement, réunissant, sous la présidence de Delphine Hedary, membre du Conseil d’État, des représentants des services du Ministère, et des personnalités extérieures comme Arnaud Gossement, Avocat spécialisé en droit de l’environnement et Claude Chardonnet, spécialiste des débats participatifs. Les États généraux de la modernisation du droit de l’environnement, dont la tenue a été actée lors de la Conférence environnementale, sont une réponse aux attentes d’une norme
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environnementale plus exigeante, mieux conçue et plus lisible. L’objectif du gouvernement est que soit assurée une protection efficace et réelle et non pas seulement formelle des personnes, de la santé et de l’environnement tout en facilitant la réalisation des projets d’intérêt économique et social. Les États généraux vont être un processus de construction collective et progressive : la première étape, jusqu’au 25 juin 2013, permettra de dresser un diagnostic des qualités et des défauts du droit de l’environnement, ainsi que des améliorations nécessaires. Dans une seconde étape, les recommandations d’évolution qui auront été validées feront l’objet
d’un travail d’approfondissement en vue de leur mise en oeuvre. Par ailleurs, le Ministère invite tous les Français à apporter leur contribution à ces États généraux. Du vendredi 26 avril au dimanche 9 juin 2013 un questionnaire pourra être rempli en ligne : www.consultationspubliques.developpement-durable.gouv.fr Toutes les informations sur les États généraux de la modernisation du droit de l’environnement seront disponibles et actualisées sur le site : www.developpementdurable.gouv.fr Source : communiqué de presse du 16 avril 2013
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Annonces légales
Au Journal Officiel
« Décret passerelle » Abrogation du décret dit « passerelle » permettant l’accès à la profession d’avocat aux personnes exerçant des responsabilités publiques Décret n° 2013-319 du 15 avril 2013 - JORF n° 0090 du 17 avril 2013, page 6473
Le Premier ministre, Sur le rapport de la Garde des Sceaux, ministre de la justice, Vu la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, notamment son article 11 ; Vu la loi no 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel, notamment son article 22 ; Vu le décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, modifié en dernier lieu par le décret no 2012-441 du 3 avril 2012 relatif aux conditions particulières d’accès à la profession d’avocat ; Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur) entendu, Décrète : Art. 1ER . − Le décret du 27 novembre 1991 susvisé est modifié selon les dispositions des articles 2 à 5 du présent décret. Art. 2. − Au neuvième alinéa de l’article 85, les mots : « aux articles 97-1 et 98 » sont remplacés par les mots : « au septième alinéa de l’article 93 (6o) et à l’article 98 ». Art. 3. − L’article 93 est ainsi modifié :
1o Le quatrième alinéa (3o) est supprimé ; 2o Les 4o, 5o et 6o deviennent respectivement les 3o, 4o et 5o ; 3o Après le 6o, devenu 5o, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé : « 6o Les personnes mentionnées à l’article 22 de la loi n°201194 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel ; ». Art. 4. − L’article 97-1 est abrogé. Art. 5. − L’article 98 est ainsi modifié : 1o Le 7o est supprimé ; 2o Le 8o devient le 7o ; 3o Au dernier alinéa, la référence : « 8o » est remplacée par la référence : « 7o ». Art. 6. − Le présent décret est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Art. 7. − La garde des sceaux, ministre de la justice, est chargée de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française. 2013-311
REPERES Publics concernés : avocats, députés, sénateurs, membres du Gouvernement, collaborateurs d’avoués près les cours d’appel. Objet : aménagement des dispenses accordées aux personnes remplissant certaines conditions pour l’accès à la profession d’avocat.
Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication. Notice : le décret supprime la passerelle vers la profession d’avocat ouverte par le décret no 2012-441 du 3 avril 2012 aux personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les
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Les Annonces de la Seine - jeudi 18 avril 2013 - numéro 26
Au fil des pages
Mes grandes batailles judiciaires par Christian Huglo, avocat pour l’environnement
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Chrystel Faure, Christian Huglo et Manuella Guillot
'objectif premier du dernier ouvrage de Christian Huglo édité chez LexisNexis sous le titre Mes grandes batailles judiciaires n'est pas simplement de retracer les lignes de force des grandes batailles judiciaires exemplaires qui ont été l'une des sources des éléments constitutifs du droit de l'environnement mais également de mettre à disposition des vrais défenseurs de l'environnement des outils utiles pour parvenir à une défense organisée du patrimoine commun de l'Humanité, notamment en Europe et en France. Le patrimoine contient l'ensemble des ressources végétales et animales, la biodiversité, les ressources agricoles, la qualité des paysages, la question de l'atmosphère acceptable et surtout les richesses attachées aux ressources de la mer. Sur ce point, la France est une des principales nations qui possèdent le plus de littoral, si l'on met bout à bout les possessions et conventions qui lui donnent des droits sur sa mer territoriale et la zone économique adjacente. On comprendra dans ces conditions l'utilité des premiers procès d'environnement qui ont pu affirmer la compétence du Juge national sur l'espace maritime (affaires de l'Amoco Cadiz, de la Montedison) qui ont pu affirmer le principe fondateur du droit de l'environnement, la
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responsabilité des maisons mères pour les filiales et les dommages écologiques. Le droit des études d'impact, le principe de prévention, l'affaire de la pollution du Rhin, l'affaire de Creys Malville, ont permis d'aller plus loin et de jeter un regard plus en profondeur sur les contentieux vus de l'étranger qui ont été constitués et pris comme modèles à partir des expériences françaises ou européennes. Le droit de l'environnement reste le noyau du droit du développement durable, cette prise en considération d'abord en tant que telle pour aller plus loin et pour permettre une reconstruction de l'économie en tenant compte des potentialités qu'il contient. Les expériences accumulées par l'auteur de l'ouvrage pourront permettre d'envisager dans un monde troublé de retrouver les traces d'un chemin et une direction pour permettre de continuer à protéger les ressources essentielles et à protéger, derrière ces ressources essentielles, les éléments et les qualités indispensables à la conservation de la santé. En l'absence d'action de classe instituée, les procès qui ont été décrits constituent de véritables modèles de mise en oeuvre d'un droit nouveau et permettront une préfiguration de ce qui pourrait être un mouvement pour une Cour internationale que l'ensemble des citoyens des nations concernées réclament.
La mise en oeuvre des exemples fournira à la société civile, dans un espace politique qui se délite, des perspectives sur la réalité de la confrontation des idées, des expertises dans un cadre pérenne sous le contrôle d'un Juge. Il a fallu attendre près de trente ans pratiquement pour que les plus hautes juridictions (Cour européenne des droits de l'homme, dans les années 90/94, Cour de cassation dans l'affaire Erika et tout récemment le Conseil d'Etat à propos du principe de précaution) fixent les règles nouvelles. Il faudra, je l'espère, un peu moins de temps pour que les mécanismes nouveaux qu'appelle la société internationale se mettent en place : soit dans le cadre déjà institué de la Cour pénale internationale pour la répression des crimes contre l'Humanité qui laisse une place au droit de l'environnement, soit dans le cadre de la Cour européenne des droits de l'homme, soit encore, dans le cadre des mécanismes nouveaux qui sont à constituer (projet écoside, projet croix verte et projet italien du Conseiller Abrami, projet d'une Cour internationale pour juger des responsabilités dans l'affaire de Fukushima). C'est en puisant les exemples et les valeurs du passé que l'on pourra retrouver des forces et des idées utiles à la construction d'un avenir souhaité comme acceptable par tous. Jean-René Tancrède
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Au fil des pages a transdisciplinarité est dans l'air du temps même si elle est souvent plus présente dans les discours que dans les actes. C'est dans cet esprit que le biologiste que je suis a abordé l'ouvrage de Christian Huglo. J'ai découvert qu'un avocat de l'environnement se doit de naviguer habilement dans les arcanes du droit, avec des connaissances approfondies des dommages écologiques dont il a à connaître et donc des lois de l'écologie, le tout sous la pression des personnes physiques ou morales sinistrées du fait des grandes catastrophes écologiques. Je connais Christian Huglo depuis 1974. Dans le cadre de l'Institut Européen d'Ecologie que nous avons créé en 1971, nous avions organisé à l'Université de Metz l'un des tous premiers enseignements d'écologie dispensé en France dans le cadre universitaire. L'une des unités de valeur de cet enseignement, touchant à la fois une population étudiante et un large public, était consacrée au droit de l'environnement. À cette occasion, notre regretté ami commun Pierre Ferrari, alors doyen de la jeune Faculté de droit de Metz, m'avait mis en relation avec Christian. Il assura donc chez nous le premier cours de droit de l'environnement dispensé dans une Université française. Notre amitié date de cette époque et n'a cessé de s'approfondir depuis. Elle va aussi à son épouse Corinne Lepage qui en quelques occasions remplaça Christian dans les amphis « au pied levé », lorsque ce dernier était empêché par les impératifs de son travail d'avocat. Ce qui m'a d'abord sauté aux yeux à la lecture de son livre, ce sont les difficultés qu'il n'a cessé de rencontrer avec l'État français et qui me remettent en mémoire les difficultés analogues que nous avons nous mêmes connues pour créer l'institut européen d'écologie qui finalement a été porté par les collectivités territoriales de Lorraine avec la complicité de Bruxelles, mais largement boudé par le jeune ministère baptisé alors « Ministère de la Protection de la Nature ». Ce Ministère ne disposait pourtant à l'époque d'aucun réseau sur le terrain, ce qui aurait dû l'inciter, à nos yeux, à pouvoir compter sur nous. Mais il n'en fut rien. Le livre de Christian Huglo m'a passionné. Je l'ai lu comme un roman à suspens, tant les
rebondissements des procédures qu'il a menées en Italie et en Corse pour le procès des boues rouges de la Montedisor France et auxÉtatsUnis pour le procès de l'Amoco Cadiz - pour ne citer que ces deux exemples qu'il développe longuement - témoignent de la difficulté de travailler sur un terrain du droit où tout est à inventer ; et où les stratégies des plaideurs doivent s'attacher en continu à soulever de nouvelles questions et à contourner de nouveaux obstacles. De plus, au fur et à mesure que les actions en Justice se développent, émergent de nouvelles règles qui constitueront le corps du droit de l'environnement en gestation. Le procès des « boues rouges » débouche sur la première interdiction de polluer dans une mer internationale, en l'occurrence la Méditerranée. En accordant aux pêcheurs des dommages et intérêts, il reconnaît pour la première fois en droit l'existence de dommages écologiques. Le procès contre la rocade de La Baule menaçant gravement les marais salés de Guérande génère le concept « d’études d'impact » qui prendra forme par la suite et deviendra un élément essentiel du droit de l'environnement. Telle est l'oeuvre dont peut se prévaloir Christian Huglo, associé à son épouse Corinne Lepage qui fonda avec quelques uns d'entre nous le Comité de recherche et d'information indépendante sur le génie génétique (CRIIGEN) où j'ai pu apprécier l'étendue de ses compétences et la force de ses convictions. À mesure que j'avançais dans la lecture de ce livre, je constatais que la compétence, le talent et surtout la ténacité de Christian lui permettaient de faire face à toutes les difficultés de procès hors normes sans jamais faiblir ni se décourager. Christian et Corinne « ne lâchent jamais » lorsqu'il s’agit de protéger la nature et de défendre les victimes des pollutions, notamment ici des pollutions marines. Dans ses conclusions, Christian appelle à la création d'un Tribunal pénal international qui aurait à connaître et à diligenter des procès concernant les atteintes durables à l'environnement terrestre ou marin sur l'ensemble de la planète. Il plaide aussi pour un droit de l'environnement international homogène. Comment ne pas le suivre dans
cette voie ? Tandis que la création de l'Organisation mondiale de l'environnement proposée par la France piétine, seule une forte pression internationale pourra aboutir à la création de telles instances dans des Nations unies. J'ai beaucoup aimé ce livre, je l'ai lu d'une traite. Et au fur et à mesure, mon admiration pour son auteur grandissait. Je le savais avocat habile et résolu, je le découvrais avocat courageux et militant. Christian Huglo et Corinne Lepage ont fortement fait avancer le droit de l'environnement, même si le droit du nucléaire reste encore en pointillés puisque la première loi concernant ce domaine a été adoptée pas moins de vingt ans après le lancement du programme nucléaire français. Mais on sait que le nucléaire est l'ADN de notre Nation, et la France considère selon l'adage bien connu que nous sommes en ce domaine dans une sorte de pays de cocagne où « tout est meilleur et plus beau qu'ailleurs »... Merci Christian pour ce beau livre qui sera, je n'en doute pas, très utile à tous les acteurs du droit de l'environnement mais aussi à tous ceux qui seront dans le futur, « victimes de dommages environnementaux ». Utile surtout pour toute la communauté humaine mobilisée pour protéger la planète et éviter les pollutions qui salissent son visage. Je souhaite aux lecteurs de partager avec moi le plaisir que j'ai eu à découvrir ce livre auquel je souhaite tout le succès qu'il mérite et à son auteur de poursuivre longtemps encore et toujours avec cette ténacité qui caractérise son combat pour une cause qui nous concerne tous, en particulier ces générations futures face auxquelles nous nous sentons désormais responsables. Merci Christian.
aître Christian Huglo m'a demandé de préfacer, à l'instar du professeur Jean-Marie PeIt, son livre sur les grands procès pour l'environnement. Il souhaitait en effet une double présentation de son ouvrage. À celle d'un ami de longue date, pharmacien, botaniste et écologiste, il a voulu adjoindre la présentation d'un juriste, qui, je dois le préciser, n'est pas un spécialiste de l'environnement, ni même de droit de l'environnement, encore que les contentieux de la Cour européenne des droits de l'homme, par nature transversaux, n'ignorent nullement cette branche du droit, et qu'ils me sont naturellement familiers. J'ai accepté avec plaisir, non seulement par sympathie pour l'auteur, que je connais de longue date, mais aussi parce que la protection
juridique de l'environnement me semble une cause importante, peut-être vitale dans certains cas. Des combats judicaires : les titres des parties et des chapitres montrent que c'est de cela qu'il s'agit, et que Christian Huglo est homme à les mener, si possible victorieusement, avec une ténacité dont il fournit maintes preuves dans ce livre (notamment dans les longues procédures pour I'Amoco Cadiz) : défense contre la pollution chimique de l'Océan ou du Rhin, bataille d'Italie, mobilisation de la Corse, bataille en Corse, bataille, encore, celle de la baie de Seine et de la Manche, épopée judiciaire - celle de l'Amoco Cadiz - comment attaquer ? les stratégies adoptées (dont celle du bélier pour la rocade de La Baule) : ce vocabulaire belliqueux trahit, peut-être, le tempérament de l'auteur,
sûrement, la nature des enjeux. L'environnement est exposé à des risques de nuisances, de pollution, de catastrophes, naturelles ou dues à l'action des hommes (ou à leurs omissions). Il faut les prévenir si possible, les enrayer, y remédier. Mais cela ne se fait jamais dans la facilité. Il y a des actions à entreprendre de la part des citoyens, des habitants. La population est généralement vulnérable face aux États et aux grands groupes privés. Les États sont d'ailleurs aussi dans certaines situations les victimes de ces groupes. Il faut s'organiser, trouver des angles d'attaque, au besoin et le plus souvent avoir recours à la Justice. C'est nécessaire; ce n'est pas toujours possible, et quand cela est possible, ce n'est pas toujours suffisant ou efficace. Certains procès se soldent par de graves échecs, des « fiascos », écrit
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Jean-Marie Pelt Président de l'Institut Européen d'Ecologie et Professeur Honoraire de l'Université de Metz
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Au fil des pages Christian Huglo comme pour la catastrophe chimique de Bhopal en Inde, pourtant terriblement nocive. D'autres n'ont tout simplement jamais eu lieu, du moins pas totalement comme dans la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, car pour qu’il y ait procès, à plus forte raison équitable, il faut qu'il y ait un État de droit, ce qui n’était pas vraiment le cas à l'époque. Ce livre, écrit dans un style très vivant, m'a beaucoup intéressé parce qu'il montre en amont des actions en Justice, comment l'information du public, en particulier pour la presse, la mobilisation de l'opinion, des actions violentes parfois, enclenchent le combat pré-judiciaire puis judiciaire. Il montre aussi que si les victimes sont souvent connues et identifiables - des personnes physiques bien sûr, mais aussi des associations qui les regroupent, des communes, des collectivités territoriales -, les défendeurs, de leur côté, sont multiformes et pas nécessairement faciles à cibler. Il y a bien entendu les sociétés industrielles qui sont les responsables directes de la pollution, des explosions, des rejets, des déchets nocifs. Boues rouges, boues jaunes, marées noire : le lecteur va en voir de toutes les couleurs ! Mais il y a aussi le gouvernement, ou plutôt les gouvernements : celui du lieu de la catastrophe, celui dont l'entreprise a la nationalité ; d'autres cas de figure peuvent se présenter. On devine la complexité des questions juridiques qui peuvent se poser, et que quelques exemples du livre soulignent, à commencer par la personne juridique à mettre en cause, en continuant par la juridiction compétente et le droit applicable... Le choix des voies de recours est également compliqué. Fautil choisir la voie pénale, en principe plus simple mais qui conduit fréquemment à des sanctions dérisoires, ou la voie civile, plus juste mais longue et difficile, ou encore la voie administrative, lorsque l'État est directement ou indirectement responsable ? Se pose aussi le problème de la lenteur des procédures, heureusement atténuée par les mesures d'urgence. La bataille judiciaire doit-elle être menée en France, en Italie, aux États-Unis, aux Pays-Bas ou ailleurs ? Les problèmes de droit international, et notamment de droit de la mer, peuvent rendre les procès longs, incertains,
aléatoires. Ce sont souvent en effet des épopées qui commencent pour les justiciables, où les questions de preuve sont essentielles, ainsi que la résistance aux pressions. Les praticiens très expérimentés que sont Christian Huglo et Corinne Lepage ont besoin de tout leur savoirfaire pour gérer des contentieux dans une matière, le droit de l’environnement, qui n'existait pas et qu'il a fallu inventer et construire. Enfin, les victimes peuvent avoir tendance à se lasser de leurs conseils, à vouloir faire cavaIier seul ; à chercher des indemnisations plus rapides mais partielles. Pour l'avocat, le chemin de la justice est rarement un long fleuve tranquille. Maître Huglo l'explique avec réalisme, humour et quelquefois colère... La Cour européenne des droits de l'homme a, elle aussi, fait preuve de créativité. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'elle a pour tâche d'appliquer et de faire respecter par les États, est muette sur l'environnement. C'est normal : elle date de 1950. Qui, à l'époque, en parlait ou même y pensait ? C'est en 1957 que, prêchant encore dans le désert, Bertrand de Jouvenel écrivit son article précurseur De l'économie politique à l'écologie politique ; et ce n'est qu'en 1972 que les Nations unies organisèrent à Stockholm la première Conférence sur l'environnement. Mais la Cour de Strasbourg a fait de la Convention, en cette matière comme dans d'autres, une interprétation évolutive; selon elle, c'est un instrument vivant, à lire selon les conditions de vie actuelles. À partir du début 1990, la Cour a considéré que le droit au respect de la vie privée et familiale, et au domicile, englobe le droit à un environnement sain. Elle a appliqué ce principe à de nombreuses atteintes à l'environnement: le bruit causé par les vols de l'aéroport de Heathrow; les nuisances olfactives dues à une station d'épuration des eaux; les émissions d'une usine chimique; les nuisances sonores résultant de tapages nocturnes, et bien d'autres cas. La Cour a estimé que, au nom de ses obligations, négatives et positives, l'État était directement ou indirectement responsable des conséquences (souvent très graves), par exemple, de l'exposition d'une personne à des essais
nucléaires et à leur rayonnement, comme de l'accumulation de méthane sous une montagne de déchets près d'un bidonville, ayant entraîné une explosion mortelle. Elle a même connu de l'affaire de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Accueillant, par des arrêts de principe, les requêtes contre la Russie (successeur de l'URSS) de militaires affectés aux opérations de secours d'urgence et n'ayant pas perçu les indemnités dues pour les conséquences sur leur santé, la Cour a affirmé la responsabilité, cette fois directe, de l'État dans le contexte de cette catastrophe. Ainsi que l'auteur le note, la Cour de Strasbourg, comme celle de Luxembourg d'ailleurs (il en donne des exemples), prennent leur part des procès pour l'environnement. Juges pour la liberté, les membres de la Cour européenne des droits de l'homme sont sensibles aux droits des personnes vulnérables, telles que le sont les victimes des nuisances et des catastrophes environnementales. Certes, saisis de recours individuels, ils ne protègent pas directement la planète. Mais ils n'en concourent pas moins au droit international de l'environnement qui se développe, et dont Christian Huglo est un partisan et un artisan. Puissent les lecteurs de ce livre comprendre grâce à lui que nous, êtres humains, vivons dans un monde dangereux, pas seulement à cause des guerres, du terrorisme, de la criminalité, mais aussi à cause des activités économiques destructrices de notre environnement; mais qu'il faut les prévenir et si ce n'est pas possible en réparer les effets. Mon espoir est que peu à peu les sanctions soient suffisament effectives et dissuasives pour avoir - aussi - une influence préventive.
'exercice qui consiste à rédiger une postface est toujours délicat. Il l'est ici doublement en ce qui me concerne. D'une part, cet ouvrage raconte une large part de ce que fut ma vie professionnelle jusqu'ici et ce que furent les combats juridiques, ou tout au moins certains d'entre eux, que j'ai menés avec l'auteur. D'autre part, la qualité précisément de l'auteur me rend la tâche très difficile. Au delà des sentiments, le fait de partager une vie dans toutes ses dimensions exclut, bien évidemment, toute objectivité et expose au double risque, lorsqu'il s'agit d'en parler, de l'impudeur et de l'impossible. Impudeur dans la mesure où ce que nous partageons avec Christian Huglo n'appartient qu'à nous mêmes et n'a pas à être relaté; impossible dans la mesure où l'immense chance
que nous avons eue de pouvoir avoir en commun une vie professionnelle très riche et une vie personnelle heureuse est du domaine de l'indicible. Cependant, en regardant dans le rétroviseur, je me rends compte, chaque jour davantage, que ni l'un ni l'autre n'aurait pu mener seul l'aventure commune qui a été et est encore la nôtre. Un de nos confrères, plus âgé, disait souvent au début de notre carrière, qu'à deux, nous faisions trois. Une communauté complète de vue sur le sens des choses, la primauté de l'éthique, la responsabilité majeure de notre génération au regard des questions écologiques nous ont toujours guidés. Le débat, la confrontation des stratégies, une forme de concours de brainstorming pour trouver les meilleurs arguments, un travail de doctrine acharné ont
été les outils constants de notre travail commun. Les procès que nous avons conduits, soit que Christian les dirige, ce qui fut le cas pour l'Amoco Cadiz, soit que la responsabilité m'en incombe, ont toujours été menés en commun, avec la même ténacité, la volonté de gagner non pas seulement parce que tel était notre métier d'Avocat, mais surtout parce que nous avions conscience que dans un certain nombre de cas, il s'agissait de procès majeurs dont l'issue pouvait avoir une incidence bien au delà des personnes en cause et du cas jugé. Notre volonté de faire progresser le droit de l'environnement, dont Christian Huglo est incontestablement un des initiateurs, voire l'initiateur en France, avec l'affaire des boues rouges, a été constante avec une véritable stratégie de construction - pendant que d'autres
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Jean-Paul Costa Président de la Cour européenne des droits de l'homme (2007-2011) Conseiller d'État honoraire Président de l'Institut international des droits de l'homme
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Au fil des pages Avocats se faisaient une spécialité de la déconstruction. Pour parodier le doyen Vedel, notre maître à tous, qui, lors des journées Eisenmann, soulignait qu'il faisait du droit administratif positif cependant qu'Eisenmann faisait du droit administratif négatif, je dirai que nous avons cherché à faire du droit de l'environnement constructif cependant que d'autres s'évertuaient à le faire destructif, voire destructeur. Car le droit est probablement un des vecteurs les plus puissants de la grande transition dans laquelle nous sommes engagés. En effet, politique et juridique entretiennent des rapports extrêmement étroits et en même temps concurrentiels. C'est le politique qui fixe le cadre en votant la loi et en acceptant de se lier par des conventions internationales. Mais, le politique se trouve par ailleurs les mains liées lorsqu'il s'agit d'appliquer un droit qui contrevient à des intérêts économiques et financiers que le politique, pour une raison ou une autre, ne veut pas contrarier. Le droit devient alors un outil au service de l'intérêt général et de la société civile pour faire en sorte non seulement que l'État de droit trouve une réalité dans « la vraie vie », mais encore que des intérêts incompatibles avec l'intérêt général l'emportent pour des raisons souvent mauvaises, parfois inavouables. C'est alors que le Juge peut faire son oeuvre, lorsqu'il
st-ce le hasard, le destin ou la chance qui m’ont conduit, en ma qualité d’avocat, pendant plus de quarante ans, à jouer un rôle dans la création et le développement du droit de l’environnement ?
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Quarante ans à essayer de changer les choses dans un domaine difficile, mais vital pour les habitants de la planète ? Boues rouges de la Montedison, Amoco Cadiz, pollution du Rhin par les Mines de potasse d’Alsace, Erika, Cattenom, Creys-Malville..., autant de procès que j’ai dû monter à partir des années 19751980, d’abord seul, puis avec Corinne Lepage, au moment même où le mot « environnement » n’existait pas.
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en a le courage et que les textes lui en ouvrent la possibilité, l'innovation et l'imagination juridique n'étant évidemment pas interdites. Dans ce halo mouvant de transformation du monde et des rapports de force, le droit et le procès jouent un rôle moteur en créant une dynamique et en permettant que le Juge puisse s'abstraire de considération autre que juridique pour dessiner ce que doit être l'évolution de la société. Certes, le Juge n'est pas en dehors de la cité et il ne peut oublier un contexte économique, financier, social ou politique. Pour autant, il n'est pas soumis à la pression qui s'exerce sur le politique lorsqu'il s'agit de choisir entre des intérêts généraux divergents, voire totalement contradictoires. C'est en cela que le Juge, s'appuyant sur les principes généraux autant que sur la lettre des textes, est en capacité de créer la jurisprudence comme outil d'adaptation progressif du droit à la transformation de la société et de la société à l'évolution du droit. Les explications, et pour une part, les histoires qui sont relatées dans les lignes qui précèdent, participent de l'écriture de l'Histoire non seulement du droit de l'environnement, mais de la manière dont s'effectue la transition entre une société de l'après-guerre, de la reconstruction, du productivisme et de la foi dans le progrès et une société consciente des
ravages sur le plan de l'environnement et de la santé du modèle choisi, de la nécessaire soutenabilité du développement, de la dilapidation au bénéfice de quelques uns du capital collectif et du bien commun. Pour ma part, je ne doute pas que l'Amoco Cadiz et l'Erika, Creys-Malville et Cattenom, les boues rouges, le sel des Mines de potasse dans le Rhin, sans parler des procès O.G.M ou amiante, contribuent à écrire la saga et les errements du tournant du XXe siècle, en attendant les procès de demain autour du changement climatique, des nanotechnologies, des pesticides ou des gaz de schiste qui ne manqueront pas et contraindront, en espérant que ce ne sera pas trop tard, l'humanité à garder une certaine sagesse pour éviter l'éffondrement qui guette toutes les civilisations qui n'ont pas su sauvegarder le milieu qui les avait accueillies.
Corinne Lepage Avocat à la Cour Député européen Ancien Ministre de l'Environnement (1995- 1997)
Quarante ans à garder confiance dans les juges et le droit, avec la certitude que pour que le droit nouveau naisse, il fallait qu’il émerge du droit ancien. Que de chemin parcouru, que de chemin à parcourir encore. C’est ce voyage que je vous invite à découvrir, que vous soyez juriste ou non. Un voyage qui vous montrera ce dont la société civile est capable en s’alliant à des élus locaux de bonne volonté. Un voyage qui vous prouvera que jamais, il ne faut renoncer à une vie acceptable et humaine sur terre, pour nous et nos descendants. Edition LexisNexis 199 pages - 29,00 €
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