LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 11 juin 2012 - Numéro 37 - 1,15 Euro - 93e année
Photo © Candice Daghestani
Catherine Sultan et Christiane Taubira
Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille « A la recherche de l’enfant perdu » - Paris, 2 juin 2012 VIE DU DROIT
Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille
2 3 AGENDA ......................................................................................5 JURISPRUDENCE
A la recherche de l’enfant perdu ......................................................... Une justice spécifique pour les mineurs ? par Christiane Taubira ......
Accès aux origines personnelles
Conseil constitutionnel - 16 mai 2012 - Décision n° 2012-248 QPC ...
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Droit à la liberté d’expression Cour européenne des droits de l’homme - cinquième section 12 avril 2012 - Requête n°54216/09 Affaire de Lesquen du Plessis-Casso c. France ....................................
DIRECT
Association des Anciens Secrétaires d’Agréés Dîner annuel - Polo de Paris à Bagatelle .........................................
TRIBUNE
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Transaction et accidents de la circulation
14 ANNONCES LEGALES ...................................................17 VIE DU CHIFFRE
par Catherine Meimon Nisenbaum et Nicolas Meimon Nisenbaum ....
Autorité des Marchés Financiers
Rapport d’activité 2011 du Pôle Assurance Banque Épargne .........
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Ordre des Experts-comptables L’assurance santé entreprise : une garantie d’accès à la prévention...............................................
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e titre de notre journée de travail « A la recherche de l’enfant perdu » est une incitation à examiner, en miroir, la manière dont nous assumons nos responsabilités d’adultes face à l’enfance en difficulté. Avec les intervenants de la journée nous chercherons à débusquer ce changement de regard qui contamine les esprits et les pratiques et aboutit à dénier à l’enfant sa spécificité et à refuser de le prendre en compte dans sa globalité. Notre « recherche de l’enfant perdu » ne se résume pas à une dénonciation nostalgique. Elle traduit d’abord une volonté de contribuer au débat et d’agir pour soutenir nos convictions. En quelques mots qui sommes-nous ? Des juges des enfants, des magistrats de la jeunesse, des avocats, des assesseurs près les tribunaux pour enfants, des greffiers. Les professionnels de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire sont aussi présents ici : éducateurs, psychologues, associations, responsables d’institutions. Comment agissons-nous ? Eclairés par les principes énoncés par l’ordonnance de 1945, à partir de pratiques professionnelles confrontées au quotidien à une réalité en constante évolution, nous tentons de contribuer à l’adaptation et l’amélioration des réponses de la justice des mineurs. Nous intervenons pour convaincre que la construction de solutions pragmatiques, efficaces et responsables ne tourne pas le dos à une approche humaniste respectueuse du statut et des droits de l’enfant. C’est ainsi que nous pesons dans le débat public. Nous défendons un rapport à l’enfance, le seul qui soit possible, celui de relever le défi pour chacun. Il n’est pas question de céder à l’exercice qui consiste à se complaire dans la plainte : la dénonciation de l’avalanche législative qui, en 10 ans, a transformé le droit des mineurs en un jeu de piste extrêmement technique au détriment
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de son objet : le traitement des problèmes posés par un enfant. La déconstruction et l’appauvrissement des institutions éducatives qui laissent les professionnels de la protection judiciaire épuisés, déboussolés. Juste un mot pour rappeler que la résistance n’a pas été inutile. Elle nous a offert quelques petites victoires : l’introduction d’un amendement parlementaire à notre initiative, en août 2007, a permis de cantonner le domaine des peines planchers applicables aux mineurs (ce qui ne réduit en rien la nécessité de revenir sur ces dispositions), en août 2011, nos arguments ont été entendus par le Sénat qui a soumis les procédures de jugements rapides à l’exigence préalable d’une investigation approfondie sur la personnalité du mineur ; de ce fait le recours à ces modes de jugement a été largement réduit. En juillet 2011 la décision du Conseil constitutionnel, suite à une question prioritaire de constitutionnalité, sur l’impartialité du juge des enfants nous donne un nouveau champ de travail et d’inventivité pour que la continuité éducative du juge des enfants spécialisé ne succombe pas à une interprétation formelle de l’impartialité. Il a fallu résister mais aussi proposer. Nous avons collectivement élaboré un projet de réforme de la justice pénale des mineurs. Il faut dire que nous avons eu plus de temps qu’il n’en fallait pour le peaufiner ! Il a été élaboré en tenant compte de la demande sociale à l’égard de la justice des mineurs : une meilleure prise en compte des victimes, une procédure réactive ; il s’inspire d’exemples étrangers, il résulte d’une réflexion qui aboutit à valoriser ce qui fonctionne dans nos cabinets et à éliminer ce qui ne marche pas aussi. Mais ce projet, fidèle à nos convictions, fait le pari de l’action éducative et de l’engagement sur l’avenir. Catherine Sultan
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Vie du droit
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A la recherche de l’enfant perdu
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Chacun se souvient de la proposition faite par la commission Varinard de remplacer les termes d’enfance délinquante et de juge des enfants par ceux de mineurs délinquants et de juge des mineurs. L’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille s’était inquiétée de cette modification qui, sous prétexte de désignation plus précise du champ d’intervention juridictionnel et de suppression d’une connotation affective jugée obsolète, faisait augurer une perte du sens de la différence générationnelle et un abandon de la position d’adulte responsable à l’égard des adolescents. Quitte à vouloir moderniser la terminologie, l’emploi, comme c’est le cas dans de nombreux pays, du terme jeunesse, nous paraissait aussi exact et moins dangereux que le recours à une catégorisation juridique modifiable par la seule manipulation des seuils d’âge. Nous entendons démontrer à l’occasion de cette Assemblée générale, que, loin d’être innocente, cette modification surgie dans un contexte de crise économique et de recherche de boucs émissaires, va de pair avec un déni des spécificités de l’adolescence et conduit à ne voir dans le « mineur » délinquant que le risque à écarter, dans le mineur en danger la charge budgétaire, dans le mineur étranger isolé l’individu prochainement expulsable, dans le mineur victime d’un réseau délinquant une pièce à conviction nécessaire aux poursuites intentées contre les adultes. Au pays des Droits de l’homme, l’enfant et l’adolescent, tantôt dangereux tantôt négligés selon la catégorie dans laquelle on décide de les ranger n’ont plus grand chose à voir avec l’être humain vulnérable encore protégé par les traités internationaux. A la faveur des échéances électorales, il est du devoir de l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille de dénoncer cette régression qui ne relève d’aucune fatalité économique ou financière mais d’une dégradation morale affectant la politique et d’une marchandisation des rapports humains. Comment faire entendre au législateur qu’à force d’enrôler les magistrats dans des stratégies de communication en direction de l’opinion publique, de détruire leurs possibilités légales d’individualisation, de refermer l’é ventail des moyens éducatifs dont ils disposent, c’est à l’insertion future de la partie la plus fragile de la génération montante qu’il porte atteinte ? Que devient l’enfant concret, dans un contexte de pénurie de moyens, d‘empilement des textes, de redéploiement forcé des institutions ? Ses besoins pèsent-ils encore ? Se préoccupe-t-on de savoir ce qu’il perçoit, comprend et désire ? Nous proposons, à l’occasion de cette Assemblée Générale de partir à sa recherche à travers des structures et institutions de moins en moins faites pour lui. Thierry Baranger
I. Première Section : l’enfant perçu à l’aune de sa délinquance our comprendre les glissements de sens des mots qui induisent progressivement des changements de modèle et de dispositif d’intervention, il est nécessaire de passer rapidement en revue les inflexions successives de la politique concernant les mineurs de 1945 à nos jours. Loin de refléter une progression qualitative, cette opération révèle, outre le caractère récurrent des difficultés, le recours permanent à des approches partielles utilisées à des fins partisanes, chacune servant à disqualifier et déconstruire la précédente plutôt qu’à enrichir le potentiel existant.
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1. Le prisme psychologique
COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas
Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
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L’un des traits principaux de l’ordonnance de 1945 résidait non pas dans un parti pris de laxisme comme certains le prétendent, mais dans la priorité donnée à l’individualisation de la réponse sociale à la délinquance ; les rédacteurs, soucieux de combattre la tendance des magistrats à privilégier la rapidité par rapport à la qualité de leurs décisions, s’étaient attachés à rendre systématique l’étude de personnalité en conférant un caractère
obligatoire à l’enquête sociale et à l’examen psychiatrique. Dans les premières années d’application du texte, la pratique psychologique s’est enrichie avec la création de la consultation d’orientation éducative, de l’observation en internat puis en milieu ouvert, jusqu’à devenir la méthode d’approche privilégiée de la délinquance juvénile. Le débat se cristallisait alors autour des idées de la Défense sociale nouvelle développées par Marc Ancel, conseiller à la Cour de cassation, en accord avec l’union internationale de Droit Pénal. Tout en se situant sans ambiguïté dans la filiation de la Défense sociale par son souci d’enrôler les sciences humaines dans la traque chez le sujet d’un éventuel état dangereux, Marc Ancel entendait en corriger la philosophie déterministe en la complétant par un double volet de prévention de la délinquance et de traitement du délinquant destiné à sublimer le pessimisme originaire de la Défense sociale. La pratique judiciaire en matière de mineurs s’est donc naturellement inscrite dans ce que le Directeur de l’Ecole d’éducateurs de la Police Judiciaire de la Jeunesse caricature aujourd’hui sous le nom de modèle thérapeutique. Selon ce philosophe, le modèle thérapeutique a été critiqué dès la fin de la décennie 1970 en raison du laxisme qu’il véhiculait et de sa totale inefficacité puisqu’il ne parvenait à enrayer ni l’accroissement de la délinquance juvénile, ni celui des incarcérations. L’inflation carcérale n’est guère cohérente avec l’accusation de laxisme.
Les Annonces de la Seine - lundi 11 juin 2012 - numéro 37
Vie du droit REPÈRES
Une justice spécifique pour les mineurs ?
Photo © Candice Daghestani
par Christiane Taubira
otre présence, si nombreux aujourd’hui, démontre l’engagement associatif et professionnel au service de la Justice des mineurs. Parmi vous, beaucoup de juges des enfants. C’est un très beau titre, beaucoup plus beau que celui de juge des mineurs. Vous savez combien le Président de la République s’est engagé en faveur de la jeunesse. Il a pris en grande considération le travail que vous effectuez en apportant des réponses précises à la lettre ouverte que vous lui aviez adressée alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle. J’ai déjà effectué des visites, rencontré les représentants associatifs et syndicaux des professionnels de la Justice, je vais vous recevoir très bientôt madame la Présidente de l’AFMJF. Nous savons à quel point vous avez été stigmatisés, suspectés de laxisme, vos conditions de travail se sont détériorées. Ces dernières années, il n’était pas indispensable d’être magistrat, greffier, fonctionnaire, pour sentir la blessure suite aux attaques qui vous ont été réservées. Conscients du rôle structurant de la Justice pour la vitalité de la démocratie, épine dorsale de toute la République, nous avons éprouvé la violence de ces attaques. Les professionnels de l’enfance effectuent un travail extraordinaire, votre dévouement est grand, connu et reconnu par l’ensemble de la population même. Ces attaques ont pu faire planer un doute que l’on va dissiper. Des questions se posent sur les objectifs et les valeurs qui soustendent la justice des mineurs, sur la façon d’éduquer et de juger les mineurs aujourd’hui ; l’attente de la société envers les éducateurs, les juges, les associations est forte. Ces questions sont encore plus aiguës
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quand il s’agit des mineurs isolés. Sur quelles valeurs repose la Justice des mineurs ? Celles énoncées dans l’ordonnance de 1945 : l’autorité, la sanction proportionnée, la volonté de ramener les mineurs vers les règles de la société, l’éducation, la protection judiciaire de la jeunesse. Je ne crains pas la répression mais je travaillerai d’arrache-pied pour la prévention et pour l’éducation. La Justice des mineurs doit offrir des solutions diversifiées pour assumer les paris et les défis de l’ambition de l’éducation. Dans la mise en cause de ces principes il y a une idée âpre et douloureuse : l’idée rampante que les enfants de ce pays ne seraient pas nos enfants, mais des mineurs, les enfants des autres. Cette idée est désastreuse. Nous allons oser affirmer, en nous appuyant sur l’histoire et l’intelligence de ce pays, que l’enfance est un univers particulier, complexe qui appelle des compétences. Il n’y a pas d’étanchéité entre l’éducation et la sanction d’où la cohérence d’une Justice spécifique pour les mineurs, qui repose sur la diversité des solutions apportées. L’individualisation de la réponse judiciaire vaut pour les mineurs et les majeurs mais prend sa pleine signification pour les mineurs. Nous avons le souci de respecter les valeurs de l’ordonnance de 1945 mais aussi de viser l’efficacité. Le Président de la République s’est aussi engagé pour l’efficacité d’une Justice spécifique pour les mineurs qui n’a pas besoin pour y parvenir de se maquiller en tribunaux de majeurs. Parmi les réponses existantes, on sait que 80% des mineurs confrontés à l’autorité judiciaire, à la justice ou aux éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, ne récidivent pas ; pourtant le milieu ouvert a perdu des moyens considérables. C’est sur ces valeurs que je m’appuierai pour toutes les décisions à venir. Ma méthode sera une démarche d’écoute, de rencontre, de dialogue, de sollicitation des professionnels confrontés à cette jeunesse en déshérence. C’est systématiquement que je viendrai vers vous, je privilégierai les exemples de terrain, je préférerai toujours les exemples qui réussissent sur le terrain plutôt qu’une accumulation de législation irréfléchie qui fragilise l’œuvre de justice. Je compte sur vous. Il s’agit de ramener l’enfant dans la société.
Quant à l’argument concernant l’accroissement de la délinquance, il relève de ce que, dans son livre « L’empire de l’erreur », le sociologue Gérald Bronner appelle le biais de la corrélation illusoire : on ne peut considérer deux évènements concomitants comme liés que si l’on prouve entre eux un rapport de causalité. Ce n’est pas le cas en l’espèce, sauf à fantasmer sur l’existence chez les jeunes du sentiment d’une impunité liée à leur âge.
J’ai lu vos propositions, j’y ai trouvé des éléments intéressants que je prendrai en considération : dire rapidement si le jeune est coupable ou innocent et, une fois le verdict posé, faire en sorte que le travail éducatif puisse effectuer son œuvre. Il nous faut apprécier mieux l’impact de vos interventions et les modalités de prise en charge de ces jeunes. Ces réponses doivent être améliorées, il y a nécessité de travailler avec les Conseils généraux. Il y a lieu d’évaluer le fonctionnement des Centres Educatifs Fermés et voir comment renforcer le suivi en milieu ouvert chaque fois que cela est nécessaire. Il faut penser à l’après, la sortie des Centres Educatifs Fermés, voir comment le travail des éducateurs, des travailleurs sociaux est constructif. Je regarderai avec attention les solutions à apporter au problème du FIJAIS [fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles] que vous avez signalé. J’entends travailler avec tous les acteurs de la Justice des mineurs : juges des enfants, protection judiciaire de la jeunesse, associations, avocats, assesseurs des tribunaux pour enfants. Il y a un certain nombre de réponses à apporter pour le meilleur fonctionnement du service public de la Justice. Je ferai établir un audit des besoins des ressources humaines, je demanderai un état des lieux sur les délais de prise en charge des mineurs dans les milieux ouverts. Si nous trouvons le bon rythme de travail, je suis sûre que nous réussirons, que nous mettrons un terme aux agressions inutiles, aux brutalités absurdes : remobiliser la protection judiciaire de le jeunesse, les énergies, intelligences accumulées, expériences additionnées, nous mobiliserons tout cela de façon à ce que ce service public retrouve le lustre d’un droit juste qui sache faire confiance aux magistrats, qui accepte le principe du contradictoire et qui comprenne que l’institution judiciaire apporte des garanties démocratiques au justiciable. C’est ce que nous attendons dans une démocratie pour un service public de la Justice. Je compte sur votre combativité, sur votre enthousiasme. Je me battrai pour le faire revivre. Je compte sur vous pour qu’ensemble, nous parvenions à faire des enfants de ce pays, en danger ou délinquants, des citoyens libres et responsables.
Il est certes arrivé que des magistrats, dépourvus de solutions éducatives et soucieux d’éviter que les mineurs en pâtissent, multiplient les admonestations, ou que des équipes éducatives, croyant augmenter leurs chances de succès, exigent le volontariat de l’adolescent lors de l’admission ; mais ces exceptions justement dénoncées ne sont jamais devenues la règle. La croyance en l’impunité systématique existe davantage dans l’esprit des policiers que dans
celui des mineurs qui s’en prévalent pour les narguer. En fait, les décisions judiciaires sont ressenties de façon aléatoire suivant la manière dont elles ont été présentées et l’état d’esprit de celui qu’elles concernent. On ne répétera jamais assez que c’est à des jeunes en chair et en os que les juges ont affaire, non à la délinquance juvénile. Pour évaluer correctement l’impact réel l’intervention, il faudrait être informé de leur évolution ultérieure, ainsi que de leur point de vue sur son caractère déterminant ou non. En l’état des connaissances actuelles concernant les effets à moyen et long terme de l’action éducative, il est donc tendancieux de proclamer l’échec de la rééducation individuelle, même si ses effets souvent tardifs, sont difficiles à évaluer et impossibles à calculer.
Notre détracteur aurait pu se borner à constater que la mise en cause du modèle thérapeutique a coïncidé avec la crise de l’Etat Providence ; cette simple constatation lui aurait évité de condamner les performances d’une institution dont il ne conteste pas le caractère indispensable. En réalité, il ne fait que reproduire, en lui attribuant le prestige d’une vérité indiscutable, l’appréciation critique des politiciens satellisés autour du Ministère de l’Intérieur.
2. Le prisme sociologique En 1978 un groupe de travail réuni par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte pour réfléchir sur la violence, ouvrait en Prévention de la délinquance un chantier large et mouvant qui deviendra plus tard, avec la Politique de la Ville, une véritable boîte de Pandore. Lors de l’arrivée de la gauche en 1981, les appréhensions croissantes concernant la Sécurité se sont manifestées dans divers rapports, en particulier celui de la commission des maires sur la sécurité présidée par Hubert Bonnemaison en décembre 1982. Ce dernier professait que la délinquance était chose trop grave pour rester l’apanage de quelques spécialistes, et qu’elle nécessitait les efforts de toute la communauté. Cette assertion de bon sens a été abusivement interprétée comme une condamnation de l’individualisation du traitement, erreur qui a entraîné un certain désamour de l’opinion à l’égard des juges des enfants et le déplacement de l’intérêt public de la prise en considération
Les Annonces de la Seine - lundi 11 juin 2012 - numéro 37
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Vie du droit de la personne du délinquant vers celle de ses seuls actes. L’intérêt ne porte plus sur la rééducation individuelle et l‘approche psychologique, mais sur l’appréhension sociologique de la délinquance dans toutes ses dimensions. Ce nouveau paradigme s’est affirmé avec la diffusion en France des idées du criminologue canadien Maurice Cusson et la fascination croissante du monde politique pour l’expérience New-yorkaise de Tolérance zéro et de réponse « en temps réel ». Ces deux mots d’ordre sévissent encore à droite comme à gauche, bien que nos voisins d’outre-Atlantique en soient depuis longtemps revenus, et se répandent dans les esprits comme si une vérité pouvait se mesurer à l’applaudimètre. On devrait pourtant savoir que certaines solutions captieuses exercent sur les esprits une attraction aussi irrésistible qu’imméritée. Toujours est-il que les deux slogans ont émergé en octobre 1997 au colloque de Villepinte, en tant que réponses aux impératifs de sécurité et de lutte contre l’impunité. Ils ont été aussitôt transposés sans étude ni expérimentation préalable à la situation française. Leurs résultats sont négatifs, mais rares sont ceux qui se hasardent à les critiquer, tant on a pris l’habitude de les présenter comme des vecteurs incontournables du progrès. Il est pourtant évident que le dogme du traitement judiciaire précoce de la délinquance bénigne a encouragé maintes institutions, en particulier l’Education Nationale, à se défausser sur la justice de leurs incidents disciplinaires, provoquant peu à peu l’asphyxie de la juridiction des mineurs et de ses partenaires éducatifs, malgré le développement d’une « Troisième voie » gérée par le Parquet. Parallèlement, l’institution judiciaire faisait l’objet d’une pression constante non seulement à l’accélération de la première réponse, mais au raccourcissement de la procédure, orientation absurde puisque la phase d’instruction qui précède le jugement constitue un moment privilégié où l’approche de la sanction apporte à l’action éducative un renfort appréciable.
3. Le prisme statistique Le retour aux affaires de la droite et l’ascension politique de Nicolas Sarkozy ont été ponctués par une avalanche de textes sécuritaires concernant directement ou indirectement les mineurs. Nous avons déjà critiqué tour à tour la prétention néolibérale de « moderniser » la justice des mineurs, les abus du new public management, les effets délétères de la Lolf et de la RGPP sur la répartition des effectifs et des moyens. Il faut y ajouter une gestion de l’équipement existant de plus en plus réduite à la prise en charge en milieu fermé, ce qui témoigne, au-delà de la volonté d’aligner le traitement des mineurs sur celui des adultes, d’un véritable acharnement à leur égard. Nous ne nous étendrons pas sur les statistiques du Ministère de l’Intérieur qui ne reflètent qu’une activité orientée par des choix stratégiques préalables, et non les fluctuations réelles de la délinquance. En réalité, le choix de prendre les adolescents pour bouc-émissaires participe d’une conception actuarielle de la justice inventée et expérimentée en Amérique du Nord.
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Interviewé en 2008 par notre collègue Antoine Garapon dans l’émission radiophonique « Le Bien Commun », l’un des meilleurs connaisseurs de cette nouvelle forme de justice, Bernard Harcourt, expliquait que, dans la réflexion actuarielle, la dangerosité ne peut être correctement appréciée à partir d’une évaluation clinique personnalisée, mais résulte d’un calcul statistique transposant aux comportements humains les méthodes mises au point par l’assurance pour calculer les risques. Dans le but d’augmenter l’efficacité, on va prédire le comportement individuel à partir de procédés statistiques, par l’identification de groupes à forte délinquance qui devront être contrôlés systématiquement par la police, surveillés en priorité et sanctionnés sans défaillance. La théorie du choix rationnel de l’acteur, en vigueur dans la pensée économique, est transposée au domaine de la délinquance. On espère que le choix de cibler une population présentant des taux élevés, entraînera au sein
D’où la loi du 5 mars 2007 sur la Prévention de la Délinquance qui, loin de prévenir le phénomène en s’attaquant à ses déterminants socio-économiques, s’attache à tisser une toile serrée autour des familles en détresse pour mieux les détecter et les « responsabiliser ». D’où la honteuse création d’un tribunal correctionnel des mineurs par la loi du 11 août 2011. D’où l’extension continue des attributions du Parquet dont la conférence nationale des Procureurs a récemment mis en valeur les effets pervers. D’où enfin le reproche récurrent de laxisme adressé à des juges des enfants suspectés d’introduire un aléa dans le châtiment des mineurs qui leurs sont présentés. Cependant, comme on l’a vu, l’efficacité de la technique suppose la réactivité du groupe ciblé à la pression exercée ; elle postule que tous soient en mesure d’adapter leur comportement à la nouvelle donne, ce qui, s’agissant des mineurs, est rarement le cas.
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L’intérêt ne porte plus sur la rééducation individuelle et l‘approche psychologique, mais sur l’appréhension sociologique de la délinquance dans toutes ses dimensions. Ce nouveau paradigme s’est affirmé avec la diffusion en France des idées du criminologue canadien Maurice Cusson et la fascination croissante du monde politique pour l’expérience New-yorkaise de Tolérance zéro et de réponse « en temps réel ».
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de celle-ci la prise de conscience de l’augmentation du coût de la transgression, et provoquera une diminution du nombre des passages à l’acte. Les résultats obtenus en matière de délinquance routière paraissent au premier abord aller en ce sens. On relèvera néanmoins que si la détention du permis de conduire permet de compter sur l’aptitude de la plupart des conducteurs à se soumettre par opportunisme à des règles plus strictes, on ne saurait en dire autant des usagers dépendants de l’alcool ou du cannabis qui sont les premiers fauteurs d’accidents. De tout temps décrits comme turbulents, responsables d’une délinquance voyante, exaspérante pour les services de police comme pour le voisinage, les adolescents des quartiers en difficulté, ont paru aux thaumaturges du Ministère de l’Intérieur constituer un banc d’essai commode pour expérimenter les découvertes en provenance du nouveau Monde. On comprend mieux la multiplication des contrôles d’identité et du fichage, l’obsession de ne laisser aucune peccadille impunie, l’obstination à inventer des procédures de plus en plus rapides, voire à imposer au juge une progressivité quasi automatique dans l’application des sanctions. D’où aussi l’application aux mineurs des peines planchers, et l’attention portée à leur récidive, voire à leur simple réitération en cours de procédure.
L’imprévisibilité des conduites adolescentes constitue en effet une constante rendant problématique ce type de traitement. La phénoménologie de la délinquance juvénile, notamment la fréquence des passages à l’acte en rafale et des conduites d’escalade face aux sanctions perçues comme injustes, montre la prégnance particulière du registre émotionnel entre douze et dix-huit ans et les limites de la théorie du choix rationnel. Plus généralement, les difficultés de l’éducation et de l’insertion durable des jeunes dans le monde du travail, les particularités d’un rapport au temps différent de celui des adultes expliquent que leurs réactions soient moins élastiques, moins réactives aux changements de la politique criminelle que celles d’autres cohortes de population. D’où l’existence d’un aléa sérieux quant à leur réaction positive à un traitement de choc. En réalité, plus la jeunesse se trouve prise dans le collimateur législatif, plus les juges sont programmés dans le sens de la sévérité, plus les mineurs ont des chances d’aller grossir la population carcérale au sein de laquelle les chances de récidive sont comme on le sait majorées. La cécité de la rationalité économique dans le domaine spécifique du développement humain ne peut donc conduire, à l’inverse de son objectif officiel, qu’à une augmentation de la délinquance juvénile entraînant inévitablement un tour de vis supplémentaire.
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Vie du droit Plus généralement, s’il est vrai, comme le pense Bernard Harcourt, que la pénalité ne correspond qu’à un réflexe de la Société confrontée à la délinquance, il apparaît spécieux de l’instrumentaliser au service d’une politique criminelle à caractère général. A l’inverse, l’appréciation judiciaire de chaque cas, parce qu’elle n’exclut pas du débat sur la peine les circonstances de l’espèce et s’efforce de donner à la sanction un sens qui la rende acceptable, peut être profitable à toutes les personnes concernées.
II. Deuxième section : L’enfant protégé au titre de l’Assistance Educative Nous quittons ici le champ pénal, toujours dépendant des réactions de l’opinion publique pour entrer dans un domaine où la sollicitude de l’Etat devrait pouvoir s’épanouir. De fait, la dernière loi concernant la protection de l’enfance, votée le 5 mars 2007 a revêtu les allures inhabituelles d’un modèle de concertation. L’Etat a-t-il choisi d’être discret dans une matière réputée délicate, ou montré à cette occasion son indifférence pour la question ? Quoiqu’il en soit, dans ce domaine, la question n’est pas la pression législative, mais la difficulté accrue pour le juge, depuis la loi de 2007 et le retrait de la Protection judiciaire de la jeunesse, de faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant, face à un Président de Conseil Général devenu chef de file de la Protection de l’Enfance, et gestionnaire direct ou indirect de la quasitotalité des équipements. Que faire quand les besoins individuels se heurtent à la nécessité de faire des économies budgétaires ou de mener à bien un redéploiement des moyens ? Le problème est loin d’être purement théorique : au cours des quatre dernières années, le budget de la Protection judiciaire de la jeunesse a diminué de 6%. Depuis 2008, 632 emplois ont été supprimés soit 7% du total. Dans le domaine de l’investigation dont le financement reste à la charge de l’Etat, il a été décidé, sans même modifier l’article 1183 du NCPC, que les enquêtes sociales et les investigations d’orientation éducatives confiées au secteur associatif habilité seraient remplacées à partir du 1er janvier 2012 par une mesure judiciaire d’investigation (MJIE) d’une durée de quatre à six mois comprenant un module de base obligatoire et des compléments facultatifs éventuellement prescrits par les magistrats. La nouvelle mesure ne concerne plus un individu mais la fratrie, et son financement n’est plus fonction du nombre de mineurs concernés. On en évalue la charge à environ 60% du montant antérieur ce qui ne pourra qu’entraîner dans les services des déplacements de personnel ou de licenciements. Volontariste en matière de prise en charge des délinquants, la Protection judiciaire de la jeunesse se montre délibérément attentiste en assistance éducative. Sans imposer de fermeture elle laisse planer une menace sur l’approvisionnement des services de sorte qu’au lieu d’imaginer de nouvelles actions, les équipes concernées en sont réduites à réfléchir sur ce
qu’elles pourront encore faire après réduction de leurs moyens, tout en se tenant prêtes à envisager la fermeture si les chances d’être utiles aux usagers devenaient clairement négatives. Dans ce contexte, les décisions judiciaires prennent place dans des listes d’attente à la régularité douteuse, quand elles ne sont pas purement et simplement renvoyées à l’expéditeur. Le mineur, déjà privé d’une protection familiale normale, se trouve ballotté d’un environnement à l’autre en fonction de la conjoncture administrative, non de ses besoins propres, et perd de plus en plus jeune son statut protecteur. L’abandon par l’Etat de sa fonction régulatrice dans la répartition des prises en charge affaiblit la Protection de l’enfance qui ne peut plus remplir son rôle, pourtant irremplaçable, dans la Prévention de la Délinquance.
III. Troisième section : La prise en charge du mineur étranger isolé La coexistence de ces trois termes vaut accumulation de handicaps et rend plus que problématique la prise en charge de ces jeunes dont le nombre sur notre territoire serait de l’ordre de 4 à 8 000. Naturellement, la première réponse à la découverte de leur situation est l’enfermement dans un centre de rétention administrative : si l’on se réfère à la récente pétition diffusée par l’observatoire sur l’Enfermement des étrangers, à laquelle l’AFMJF s’est associée, 1 038 mineurs étrangers isolés ont ainsi été bloqués à la frontière française en 2008, 698 en 2009, et 518 en 2010, parmi lesquels 101 ont été refoulés. Ceux d’entre eux qui ont entre 13 et 18 ans sont généralement enfermés dans les mêmes locaux que les adultes. Passé ce cap, le premier accueil relève de la compétence de l’Etat comme l’ont souligné des rapports convergents de l’inspection générale des affaires sociales et de la Cour des comptes. Dans les faits il en est tout autrement puisque l’on estime à un cas sur dix sa participation effective, les autres pesant sur les services dépendant des conseils généraux. Ajoutons que la charge est très inégale entre les départements : la Seine-Saint-Denis, a essentiellement affaire à des mineurs en danger, Paris récolte les mineurs délinquants, et accessoirement le Pas-de-Calais est concerné concernant le transit vers l’Angleterre. Il a fallu le coup de poing sur la table du Président du conseil général du 93 pour que l’Etat décide une répartition de la charge entre tous les départements d’Ile-de-France, sans accroître pour autant sa propre participation. La mesure a provisoirement calmé les esprits ; il n’en reste pas moins que l’on continue à faire primer les missions de sécurité sur le devoir de solidarité. Cette position se manifeste dès le premier abord, avec la question de savoir si on a véritablement affaire à un mineur. A la suspicion qui entoure la présentation de papiers émanant du pays d’origine viennent s’ajouter les incertitudes des techniques médicales de recherche de l’âge osseux concernant des adolescents venus des quatre coins du monde.
Agenda
CONFÉRENCE DE L’INSTITUT DES AVOCATS CONSEIL FISCAUX
Retenues à la sources et crédits d’impôts l’épreuve des engagements internationaux 18 juin 2012 Maison du Barreau - Paris Renseignements : www.iacf.asso.fr iacf@wanadoo.fr
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CONFÉRENCE DE L’ASSOCIATION D’HISTOIRE ET D’ARCHÉOLOGIE DU XXÈME ARRONDISSEMENT
Oscar Wilde (1854-1900) un Auteur, une bibliothèque par Yves Sartiaux 20 juin 2012 Mairie du XXème arrondissement - Paris Renseignements : http://ahav.free.fr
2012-403
INSOL EUROPE ACADEMIC FORUM & NOTTINGHAM LAW SCHOO
Too big to fail ? Large national and international failures under the spotlight 28 - 29 juin 2012 Nottingham Trent University Grande-Bretagne Renseignements : +44 (0) 115 9160214 wendycooper@insol-europe.org www.insol-europe.org
2012-404
LES RENCONTRES DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRÉTEIL
La protection des majeures vulnérable 19 juin 2012 Palais de Justice de Créteil Bibliothèque Serge Lequin Renseignements : ordre.avocats94@wanadoo.fr direction@justiceetville.fr
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Vie du droit Ces obstacles surmontés, la situation n’est guère meilleure. Les structures spécialisées dans l’accueil des jeunes étrangers sont notoirement insuffisantes. Leur prise en charge par le tout venant des établissements éducatifs pose d’énormes problèmes. Indépendamment des fugues qui ne sont pas rares, il n’est pas facile de faire face à la souffrance psychique de ces enfants confrontés brutalement à un vide affectif et à des situations de dénuement extrêmes. La différence culturelle se manifeste par des difficultés de langue, de nourriture et de pratique religieuse, de sorte qu’entre traumatologie, et ethnopsychiatrie. Les éducateurs ne savent plus à quel corpus de références recourir, ni comment justifier auprès des autres accueillis d’éventuelles différences de régime. Enfin et surtout l’avenir est souvent obéré par l’absence de perspectives de régularisation. Pour y prétendre, le jeune étranger doit en effet justifier de trois ans de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, ce qui rend la situation ingérable en cas d’arrivée tardive sur le territoire français quand l’accès à la scolarité ou à la formation professionnelle se heurte à cette contrainte juridique.
IV. Quatrième section : l’enfant victime d’un réseau d’exploitation par des adultes Dans notre pays, l’enfant victime est utilisé soit comme main d’œuvre à bon marché, pour commettre des délits et trafics divers, soit, dans le cadre de la prostitution. Il est la plupart du temps d’origine étrangère, mais aussi en danger, parce que vivant dans la dépendance physique, affective, ou économique d’adultes peu scrupuleux, ce qui n’empêche pas qu’il soit poursuivi pour ses actes de délinquance. Roumain, Bulgare ou Bosniaque, il est acheté à ses parents dans le besoin, pour quinze ou vingt mille euros, et envoyé en France travailler dans un réseau de vol à la tire ou de trafic de stupéfiants sous la contrainte et la surveillance constante des adultes. Placés entre le respect d’une loi étrangère et les ordres émanant de nos parents ou de compatriotes adultes que ferions-nous ? Alors, pourquoi prendre des décisions rendues le plus souvent par défaut, obérant l’avenir du jeune condamné, au lieu de lui reconnaître la qualité de victime et d’admettre qu’il a agi sous l’effet d’une contrainte à laquelle il n’a pu résister ? On ne peut que ressentir un malaise en apprenant que certaines jeunes filles incarcérées à la maison d’arrêt des femmes de FleuryMerogis se réjouissent d’un séjour qui leur permet de souffler, et même d’apprendre à lire, alors que d’autres, confiées à des foyers éducatifs, en fuguent le lendemain par peur des représailles de leurs employeurs. Il faut regarder les choses en face : devant un enfant étranger, manifestement en danger, mais délinquant, les autorités refusent souvent de prendre en charge une réinsertion coûteuse et aléatoire. Elles choisissent la qualification la plus facile, celle de délinquant et la solution la plus économique, la reconduite à la frontière, avec
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pour perspective la remise à la famille, sans se soucier de savoir si ce retour qui met les parents en fâcheuse posture vis-à-vis des têtes de réseau opérant à partir du pays d’origine, sera effectif et même bienfaisant. Nos développements abondants consacrés à la délinquance, deviennent singulièrement plus légers quand il s’agit de protection. Les récents débats électoraux, polarisés sur le problème de la dette, ont pratiquement fait l’impasse sur la plupart des questions sociales. Tout se passe comme si notre société, tout entière tendue vers la production et la consommation, en était venue à réfréner toute velléité de protéger certains de ses enfants au point de ne plus les voir.
divers maquillages n’aurait plus de raison d’être. Quant aux textes législatifs, il y a évidemment nécessité de simplifier l’ordonnance de 1945 devenue le contraire de ce qu’avaient souhaité ses rédacteurs, c’est-à-dire une machine à condamner et un casse-tête procédural. Se rend-t-on suffisamment compte qu’indépendamment de la procédure normale devenue exceptionnelle il n’existe pas moins de trois saisines accélérées : la comparution rapprochée, la convocation par officier de police judiciaire et la présentation immédiate ? Il faut aussi supprimer le tribunal correctionnel des mineurs qui constitue un déni de la spécificité du traitement des adolescents. Il faut surtout faire la chasse aux rigidités comme
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Dans notre pays, l’enfant victime est utilisé soit comme main d’œuvre à bon marché, pour commettre des délits et trafics divers, soit, dans le cadre de la prostitution. Il est la plupart du temps d’origine étrangère, mais aussi en danger, parce que vivant dans la dépendance physique, affective, ou économique d’adultes peu scrupuleux, ce qui n’empêche pas qu’il soit poursuivi pour ses actes de délinquance.
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Le salut viendra peut-être des instances internationales : la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a-t-elle pas affirmé que lorsque les problèmes rencontrés par une famille sont exclusivement matériels, le placement des enfants dans la durée n’est pas acceptable au regard de la Convention Européenne et que c’est à l’Etat concerné de prendre les dispositions nécessaires ? (Arrêt Wallova de 2006) La Cour de Cassation a pour sa part rappelé dans un arrêt du 15 avril 2011 que la jurisprudence de la Cour européenne s’imposait aux juges français.
V. Conclusion Avant toute proposition, il est important de mettre en garde ceux qui s’intéressent encore à l’enfance contre ce qui, dans la logique actuelle, pourrait constituer la prochaine étape de la déconstruction en cours. Une fois définitivement recentré sur son rôle pénal, et dans une perspective d’efficacité, le juge des enfants serait délesté de l’assistance éducative fort logiquement confiée au pôle des affaires familiales. Autant dire que le suivi du développement des enfants en danger ferait alors place à de simples arbitrages ponctuels entre les positions de chacun des parents et celle du conseil général. Mais surtout, serait ainsi consacrée la rupture définitive entre mineur protégé et mineur délinquant au mépris de la fondamentale unité d’une même classe d’âge. L’exercice tenté aujourd’hui pour retrouver l’enfant réel sous ses
l’application aux mineurs des peines planchers, et supprimer les dispositions qui obligent le juge à appliquer un principe de progressivité dans l’imposition des sanctions. Une définition précise de la réparation, soulignant son intérêt psychologique et éducatif éviterait peut-être d’enfermer sa pratique dans une approche culpabilisante. Plus généralement, mais on touche là à la réorientation de l’é quipement, il faudrait restaurer une véritable souplesse dans le choix des orientations et réouvrir l’é ventail des mesures. Au-delà de ces assouplissements, nous proposons un nouveau schéma procédural fondé sur la césure entre ce qui concerne l’établissement des faits, la culpabilité et ses conséquences financières d’une part, l’élaboration et le prononcé de la sanction d’autre part. En tenant mieux compte des différents vécus temporels, on pourrait concilier une indemnisation plus sûre de la victime, une meilleure gestion des faits révélés pendant le cours de la procédure, l’instauration d’un délai d’épreuve permettant éventuellement à l’auteur de montrer sa bonne volonté et une période garantie pour l’exercice de l’action éducative. Il ne s’agit rien moins que de reconstruire une culture et une politique de l’action éducative, individuelle ou d’intérêt collectif, centrée sur le lien inter subjectif et clinique et non sur le contrôle. Une réforme de la formation des magistrats et des éducateurs est donc indispensable. Source : Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille 2012-401
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Jurisprudence
Accès aux origines personnelles Conseil constitutionnel - 16 mai 2012 - Décision n° 2012-248 QPC Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 mars 2012 par le Conseil d'Etat (décision n°355087 du 16 mars 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Mathieu E., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L.147-6 et L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles.
Le Conseil constitutionnel, (…) Le rapporteur ayant été entendu ; 1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 147-6 du Code de l'action sociale et des familles : « Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L.147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité de la mère de naissance : « - s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ; « - s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ; « - si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ; « - si la mère est décédée, sous réserve qu'elle n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement. « Si la mère de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celle-ci, si elle ne s'est pas opposée à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L.147-2. « Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L.147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité du père de naissance : « - s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ; « - s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ; « - si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ; « - si le père est décédé, sous réserve qu'il n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne
mandatée par lui prévient la famille du père de naissance et lui propose un accompagnement. « Si le père de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celui-ci, s'il ne s'est pas opposé à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L.147-2. « Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L.147-2 les renseignements ne portant pas atteinte à l'identité des père et mère de naissance, transmis par les établissements de santé, les services départementaux et les organismes visés au cinquième alinéa de l'article L.147-5 ou recueillis auprès des père et mère de naissance, dans le respect de leur vie privée, par un membre du conseil ou une personne mandatée par lui » ; 2. Considérant qu'aux termes de l'article L.222-6 du même code : « Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'e xtérieur de ce pli. Ces formalités sont accomplies par les personnes visées à l'article L.223-7 avisées sous la responsabilité du directeur de l'établissement de santé. A défaut, elles sont accomplies sous la responsabilité de ce directeur. « Les frais d'hébergement et d'accouchement des femmes qui ont demandé, lors de leur admission dans un établissement public ou privé conventionné, à ce que le secret de leur identité soit préservé, sont pris en charge par le
NOTE e Conseil constitutionnel a été saisi le 16 mars 2012 par le Conseil d'Etat, dans les conditions prévues par l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Mathieu E. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L.147-6 et L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles. L'article L. 222-6 reconnaît à toute femme le droit de demander, lors de l'accouchement, la préservation du secret de son identité et de son admission. L'intéressée est informée des conséquences
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juridiques de sa décision pour l'enfant ainsi que de l'importance, pour ce dernier, de connaître ses origines. Elle est incitée à laisser des renseignements sur sa santé, celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de sa naissance. Par ailleurs l'article L.147-6 du même code organise les conditions dans lesquelles le secret de cette identité peut être levé, sous réserve de l'accord de la mère de naissance. Il confie au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles la tâche de rechercher la mère de naissance, à la requête de l'enfant, et de recueillir, le cas échéant, le consentement de
celle-ci à ce que son identité soit révélée ou, dans l'hypothèse où elle est décédée, de vérifier qu'elle n'a pas exprimé de volonté contraire lors d'une précédente demande. D'une part, le Conseil constitutionnel a relevé que, par l'article L.222-6, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d'accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l'enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d'enfants. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. D'autre part, par
l'article L.147-6, le législateur a entendu faciliter la connaissance par l'enfant de ses origines personnelles. En permettant à la mère de s'opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect, de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l'accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines personnelles. Le
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Conseil constitutionnel a souligné qu'il ne lui appartient pas, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l'équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant. Par ailleurs il a jugé que les dispositions contestées n'ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé et n'ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Les articles L.147-6 et L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles sont conformes à la Constitution.
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Jurisprudence service de l'aide sociale à l'enfance du département siège de l'établissement. « Sur leur demande ou avec leur accord, les femmes mentionnées au premier alinéa bénéficient d'un accompagnement psychologique et social de la part du service de l'aide sociale à l'enfance. « Pour l'application des deux premiers alinéas, aucune pièce d'identité n'est exigée et il n'est procédé à aucune enquête. « Les frais d'hébergement et d'accouchement dans un établissement public ou privé conventionné des femmes qui, sans demander le secret de leur identité, confient leur enfant en vue d'adoption sont également pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département, siège de l'établissement » ; 3. Considérant que, selon le requérant, en autorisant une femme à accoucher sans révéler son identité et en ne permettant la levée du secret qu'avec l'accord de cette femme, ou, en cas de décès, dans le seul cas où elle n'a pas exprimé préalablement une volonté contraire, les dispositions contestées méconnaissent le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale ; 4. Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère (...) la protection de la santé » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ; 5. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée ; que le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; 6. Considérant, que les dispositions de l'article L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles reconnaissent à toute femme le droit de demander, lors de l'accouchement, la préservation du secret de son identité et de son admission et mettent à la charge de la collectivité publique les frais de son accouchement et de son hébergement ; qu'en garantissant ainsi un droit à l'anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l'accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d'accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l'enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d'enfants ; qu'il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ; 7. Considérant que la loi du 22 janvier 2002 susvisée a donné une nouvelle rédaction de l'article L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles afin, notamment, que les femmes qui accouchent en demandant le secret de leur identité soient informées des conséquences juridiques qui en
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résultent pour l'enfant ainsi que de l'importance, pour ce dernier, de connaître ses origines et qu'elles soient incitées à laisser des renseignements sur leur santé, celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de sa naissance ; que les dispositions de l'article L.147-6 du même code, issues de cette même loi, organisent les conditions dans lesquelles le secret de cette identité peut être levé, sous réserve de l'accord de la mère de naissance ; que cet article confie en particulier au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles la tâche de rechercher la mère de naissance, à la requête de l'enfant, et de recueillir, le cas échéant, le consentement de celle-ci à ce que son identité soit révélée ou, dans l'hypothèse où elle est décédée, de vérifier qu'elle n'a pas exprimé de volonté contraire lors d'une précédente demande ; que le législateur a ainsi entendu faciliter la connaissance par l'enfant de ses origines personnelles ; 8. Considérant qu'en permettant à la mère de s'opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l'accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines personnelles ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l'équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant ; que les dispositions contestées n'ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé ; qu'elles n'ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale ; 9. Considérant que les articles L.147-6 et L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, Décide : Article 1er - Les articles L.147-6 et L.222-6 du Code de l'action sociale et des familles sont conformes à la Constitution. Article 2 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mai 2012, où siégeaient : Jean-Louis Debré, Président, Jacques Barrot, Claire Bazy Malaurie, Guy Canivet, Renaud Denoix de Saint Marc, Jacqueline de Guillenchmidt, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz. 2012-406
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Les Annonces de la Seine - lundi 11 juin 2012 - numéro 37
Jurisprudence
Droit à la liberté d’expression Cour européenne des droits de l’homme - cinquième section - 12 avril 2012 Requête n°54216/09 - Affaire de Lesquen du Plessis-Casso c. France
La Cour, Procédure
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 54216/09) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, Henry de Lesquen du Plessis-Casso (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant est représenté par Me N. Fakiroff, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. 3. Le requérant soutient notamment qu’en le condamnant pénalement, les autorités ont porté atteinte à son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention. 4. Le 31 août 2010, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. En fait
I. Les circonstances de l’espèce 5. Le requérant est né en 1949 et réside à Versailles. 6. Le requérant est conseiller municipal à Versailles. Il dirige un mouvement politique local, l’Union pour le Renouveau de Versailles, qu’il a créé en 2000 et qui constitue la principale force d’opposition de la ville. Il préside ce mouvement au sein du conseil municipal.
« Seul, de tous les candidats, je suis un homme libre et indépendant des partis. Je ne reçois pas d’ordre venu d’ailleurs. Mon seul souci est de répondre aux aspirations des Versaillais ... pour libérer Versailles des partis politiques. Ce n’est pas le cas de mes concurrents, j’é voquerai pour mémoire le sortant UMP, [B. D.], dont le bilan est trois fois nul, après six longues années d’un mandat inutile ... Ce politicien professionnel ose se représenter à vos suffrages, alors que son nom a été cité dans la sombre et scandaleuse affaire des marchés truqués de l’Ile de France. Je le signale sans plaisir, mais nous avons le devoir de dire la vérité pour réhabiliter la démocratie. [D.] appartient à une classe politique où les affaires de corruption ne cessent de se multiplier. C’est un homme-lige d’[A.J.] qui a été condamnée à 10 ans d’inéligibilité pour comportement malhonnête, et de [P.B.], qui reste le chef de l’UMP dans les Yvelines, alors qu’il a été mis en examen pour corruption. Les Versaillais sortiront le sortant UMP, afin qu’un souffle d’air pur passe sur la vie politique de leur cité. » 12. Le 30 mars 2004, B.D. cita le requérant devant le tribunal correctionnel de Versailles pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service public ou d’un mandat public en raison des propos le concernant dans ce tract. Devant le tribunal correctionnel, le requérant produisit un article de presse du journal Le Monde de 2001 intitulé L’enquête des juges sur les marchés d’Ile-de-France et les voyages, dans lequel étaient mentionnés l’UMP, certains de ses responsables et le nom de B.D., en qualité de trésorier de l’UMP. 13. Par un jugement 6 décembre 2004, le tribunal correctionnel relaxa le requérant. Par un arrêt du 20 avril 2005, la cour d’appel de Versailles confirma le jugement, retenant sa bonne foi. c) Séances du conseil municipal des 8 décembre 2005 et 19 janvier 2006
1. Faits antérieurs à la présente procédure a) L’affaire des marchés publics d’Ile-de-France
7. En 1996, des élus du conseil régional d’Ile-de-France dénoncèrent de graves irrégularités qui auraient été commises à l’occasion de la passation des marchés publics par l’institution régionale. En juin 1997, une information judiciaire fut ouverte des chefs de faux et usage de faux, favoritisme et ententes. 8. Le 18 janvier 2001, le quotidien Le Parisien publia un article sur cette affaire intitulé Lycées : la liste des marchés truqués. 9. Le 17 juillet 2001, les juges d’instruction chargés de l’affaire rendirent une ordonnance dans laquelle ils faisaient référence à B. D. comme suit : « (...) [J.-J. J.], ancien président de la fédération centriste d’Ile-de-France, a reconnu avoir reçu 500 000 francs dans une mallette, remis dans un bureau du Sénat, à la demande de [D. G.], à l’époque directeur de cabinet du président du Sénat. Cette remise de fonds a donné lieu à la signature d’un reçu, qui se trouve au dossier. [J.-J. J.] a indiqué qu’une partie de ces fonds avaient été déposés sur un compte ouvert au Trésor public, et le reliquat (environ 350 000 francs) remis à [C. G.] et à son successeur comme trésorier [B. D.] (...) ». 10. Le 25 juillet 2001, le quotidien Le Monde publia un article sur cette affaire. Titré L’enquête des juges sur les marchés d’Ile de France et les voyages, il citait l’extrait de l’ordonnance du 17 juillet 2001 dans laquelle B. D. était nommé. b) Elections cantonales de 2004
11. En mars 2004, lors d’élections cantonales auxquelles le requérant se présenta, un tract de campagne intitulé Versailles au cœur votez Henry de Lesquen fut diffusé sur le marché de Versailles. Ce tract mettait en cause B. D., l’adversaire politique du requérant, conseiller municipal affilié à l’Union pour un Mouvement Populaire (« UMP »). Ce tract se lisait notamment comme suit :
14. Le 6 mars 2006, B.D., alors adjoint au maire de Versailles, fit citer le requérant devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public, compte tenu des propos du requérant lors de deux réunions du conseil municipal de Versailles les 8 décembre 2005 et 19 janvier 2006. 15. Par un jugement du 19 mars 2007, le tribunal correctionnel de Versailles relaxa le requérant, estimant que la poursuite s’était fondée à tort sur l’article 31 de la loi sur la liberté de la presse. 16. Le 23 mars 2007, dans un article intitulé Le chef de l’opposition marque un point, le quotidien Le Parisien rapporta les commentaires du requérant au sujet du jugement : « "Le recours était mal dirigé. Ils n’ont pas jugé le fond. " (...) [Le requérant] se déclare, "de toute façon confiant : je m’appuie sur des documents précis" ». (...)[Le requérant] annonce d’ores et déjà la couleur ? "J’en parlerai à chaque fois que j’en aurai l’occasion. Bien sûr. " ». 2. La présente procédure 17. Le 15 février 2007, le conseil municipal de Versailles tint une réunion à laquelle le requérant et B.D. participèrent. Les extraits du procès-verbal de la réunion relatent ce qui suit : « Rémunération d’un emploi administratif de direction (...) M. de Lesquen : Cette fois je me fais l’interprète de [A. L.], qui a été retenue par des obligations professionnelles et nous rejoindra tout à l’heure. En commission des finances où elle représente le groupe URV, elle s’est à juste titre étonnée que cette délibération, sous une forme ou sous une autre, revienne pour la quatrième fois devant le Conseil Municipal. Il s’agit d’un cas strictement individuel. Qu’il faille vous y reprendre à quatre fois, M. [D.], pour régler un cas qui est peut être compliqué mais n’est
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Jurisprudence jamais qu’un cas individuel, démontre que vous êtes plus compétent pour compter les billets dans une mallette que pour régler les questions de personnel. (protestations) M. le Maire : Cela suffit. Vous feriez mieux de vous occuper de tous les contentieux que vous avez actuellement sur Paris. (...) Instauration d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité (...) M. de Lesquen : Le sujet est extrêmement important en effet. Mais ce n’est pas parce que l’on est d’accord sur l’objectif qu’on est forcément d’accord sur les moyens. A l’URV, nous sommes les premiers à considérer, comme la plupart des Versaillais, qu’il est bien triste que tous les commerces de proximité disparaissent de plus en plus. Mais la solution que vous proposez nous paraît inefficace et dangereuse. Je ne peux que reprendre ce que nous avions dit lors de la séance du 30 mars 2006, qui nous avait conduits à nous abstenir. Inefficace, car ce n’est pas en faisant quelques préemptions que vous réussirez à susciter la création d’un commerce plutôt que d’une banque ou d’une mutuelle. Il faudrait vraiment que les conditions soient réunies pour que le commerce de proximité puisse vivre et avoir des clients. Dangereuse, car c’est une politique interventionniste, collectiviste. M. C. va voter pour, bien sûr (exclamations) M. C. : Quelle sottise ! M. de Lesquen : C’est tout un symbole, M. C., c’est pour cela que je me réfère à lui. Dans l’ombre de M. P., il y a M. C. (exclamations et rires) M. C. : Vous avez certes quelqu’instruction, Monsieur, mais votre ignorance est immense. (rires) M. de Lesquen : Le droit de préemption, s’agissant de commerce, est à la fois une atteinte au droit de propriété et une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie. Il faut réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une politique de ce genre. Surtout, dans l’état dramatique où vous avez mis les finances de la Ville, malgré le matraquage fiscal auquel M. [D.]-la-mallette procède régulièrement, comment voulez-vous financer une politique de préemption qui va nous ruiner ? Vous savez quel est le prix des fonds de commerce ? M. [D.] : Mieux que toi. M. de Lesquen : Qu’est-ce que c’est que cette vulgarité ? (exclamations) Je n’ai jamais compté les billets de banque avec vous, M. [D.], dans la mallette. C’est le langage des voyous, des truands (protestations), des porteurs de mallette. M. le Maire : Cela suffit, vous les compterez lundi, les porteurs de mallette. M. de Lesquen : Quelles sont les raisons de ce déclin du commerce de proximité ? (...) Gestion du stationnement payant en zone ville (lot no1) et sur la place d’Armes (lot n°2) Avenant n°1 au lot n°2 du marché passé avec le groupement Citepark/Semeru (...) M. le Maire : Le problème, ce sont les mobil home et les caravanes, qui ne doivent pas stationner sur la place d’armes. C’est pourquoi nous sommes « obligés » de mettre ce portique pour les empêcher d’entrer sur le parking. M. de Lesquen : Nous sommes favorables à la proposition sur le fond, mais nous voudrions faire deux observations. D’abord, nous nous demandons si le mode de gestion adopté est le meilleur. Si j’ai bien compris, c’est un marché de gestion, ce qui veut dire que le titulaire n’a aucune autonomie, à la différence d’un affermage ou d’une concession. Il nous semblerait plus judicieux de faire passer la gestion de ce parking, comme celui des autres, au mode de l’affermage. En second lieu, même si nous sommes favorables sur le fond, cette affaire relève de la commission d’appel d’offres. Par conséquent, nous ne pouvons souscrire à cette proposition, parce que le 25 mars 2001, à la suite d’un accord scélérat entre la majorité municipale et la gauche, l’URV a été exclue de la commission d’appel d’offres, ce qui ne laisse pas de jeter une suspicion sur le fonctionnement de cette commission et ne nous permet pas de faire
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confiance à ses délibérations. Je ne rappelle pas, M. [D.] soyez rassuré, l’affaire de la mallette ; je ne rappelle même pas la condamnation que vient de subir votre patron, M. [B.], ni ce qu’a fait le président de la commission d’appel d’offres du Conseil général. C’est un contexte extrêmement désagréable. M. le Maire : Cela suffit. Cela n’a rien à voir avec le Conseil Municipal. Taisez-vous. M. de Lesquen : Refaites l’élection de la commission d’appel d’offres, nous l’avons demandé. C’est très facile (...) » 18. Le 11 mai 2007, B.D. fit citer le requérant devant le tribunal correctionnel de Versailles pour diffamation publique envers un particulier à raison des propos tenus au conseil municipal le 15 février 2007 et de certains commentaires publiés dans l’article du 23 mars 2007. 19. Par un jugement du 19 novembre 2007, le tribunal correctionnel déclara le requérant coupable des faits reprochés pour les propos tenus lors de la séance du 15 février 2007, le condamnant à la peine de 1 500 euros (EUR) d’amende et 1 EUR de dommages-intérêts. Il fut renvoyé des fins de la poursuite concernant les propos parus dans le journal Le Monde. 20. Par un arrêt du 18 avril 2008, la cour d’appel de Versailles confirma le jugement en toutes ses dispositions pénales, condamnant le requérant à payer 1 500 EUR d’amende et 1 500 EUR de dommages-intérêts à la partie civile, tout en ordonnant l’insertion d’un communiqué dans le journal municipal de Versailles. Jugeant les quatre interventions du requérant qui faisaient référence à des accusations portées à l’encontre de [B.D.], alors chargé des fonctions de trésorier du parti politique du Centre des Démocrates Sociaux, selon lesquelles celui-ci aurait reçu en 1991 ou 1992 une mallette contenant des liquidités, la cour d’appel se prononça de la façon suivante s’agissant de la bonne foi du requérant : « Si le caractère politique de la polémique que le prévenu a tenté d’introduire n’e st pas contestable, compte tenu de leur opposition au conseil municipal et de la charge des finances communales de la partie civile, l’utilisation d’une ordonnance du 17 juillet 2001 de trois juges d’instruction de Paris, citant le nom de [B.D.] dans le cadre de l’affaire des marchés publics de l’Ile de France est dépourvue de pertinence en l’absence de poursuite judiciaire à son encontre, ainsi que le savait précisément [le requérant]. Il s’ensuit que celui-ci a tenté, avec une particulière persévérance, de tirer d’une dénonciation ancienne et à l’é vidence mal-fondée, la mise en cause de la probité de la partie civile, pour satisfaire l’animosité personnelle qu’il nourrissait à son égard, et non dans le but légitime de favoriser un débat d’idées, informant le public dans un souci démocratique. [Le requérant] ne peut donc exciper de sa bonne foi. » 21. Le requérant se pourvut en cassation, dénonçant une violation de l’article 10 de la Convention. 22. Par un arrêt du 31 mars 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. II. Le droit interne pertinent 23. Les dispositions pertinentes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont les suivantes : Article 29 « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. » Article 32 « La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 12 000 euros. La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. Sera punie des peines prévues à l’alinéa précédent la diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :
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Jurisprudence 1° L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du Code pénal. » Article 35 « (...) La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf (...) b) Lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années (...) » Article 48 « (...) 6° Dans le cas de diffamation envers les particuliers prévu par l’article 32 et dans le cas d’injure prévu par l’article 33, paragraphe 2, la poursuite n’aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ou injuriée. Toutefois, la poursuite, pourra être exercée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La poursuite pourra également être exercée d’office par le ministère public lorsque la diffamation ou l’injure aura été commise envers un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ; il en sera de même lorsque ces diffamations ou injures auront été commises envers des personnes considérées individuellement, à la condition que celles-ci aient donné leur accord (...) » En droit
I. Sur la violation alléguée de l’article 10 de la Convention 24. Le requérant estime que sa condamnation pénale a entraîné une violation des articles 6 et 10 de la Convention. La Cour relève que les arguments et griefs du requérant concernent en réalité exclusivement sa liberté d’expression. Dès lors, elle examinera cette requête uniquement sous l’angle de l’article 10, ainsi libellé : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’e xpression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 2. L’e xercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » A. Sur la recevabilité
sur les finances de la ville. Le requérant ajoute que sa condamnation n’était pas justifiée par une hypothétique disproportion entre la légitimité du but poursuivi et le dommage allégué par B.D. b) Le Gouvernement
28. Selon le Gouvernement, la condamnation du requérant constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, elle était prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Il soutient que cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique, en raison de la particulière gravité des accusations portées contre B.D. qui ont dépassé les limites de la critique admissible ; les propos litigieux font suite à des propos de même nature du requérant, qui avaient donné lieu, en 2004 et 2006, à des procédures en diffamation engagées par B.D. Il ajoute que les termes litigieux font directement référence à l’affaire des marchés publics d’Ilede-France dans laquelle avait été renvoyés un certain nombre d’hommes politiques accusés d’avoir reçu divers avantages ou fonds illicites. Cette affaire a donné lieu à un jugement du tribunal correctionnel de Paris le 28 octobre 2005, instance à laquelle B.D. n’était pas partie. Le Gouvernement soutient qu’en raison du contexte passé et des propos déjà tenus par le requérant à l’encontre de B.D., les allégations de corruption proférées à l’encontre du plaignant étaient particulièrement graves, dans la mesure où elles remettaient en cause sa probité et pouvaient aisément passer pour exactes auprès d’un public moins averti que le requérant. 29. Le Gouvernement considère que les propos se rapportaient à des faits sans rapport avec la qualité d’élu exercée par B.D. Le Gouvernement ajoute qu’ils ne s’inscrivaient pas dans le contexte d’un débat public sur la gestion de la commune de Versailles, qu’il s’agissait en réalité d’une altercation politique au niveau local et que ces propos étaient sans lien avec les questions débattues dans le cadre du conseil municipal. 30. Enfin, la condamnation du requérant à une amende de 1 500 euros, ainsi qu’au paiement d’une somme de 1 500 euros de dommages-intérêts, serait proportionnée et nécessaire dans une société démocratique. 2. Appréciation de la Cour 31. La Cour constate que les parties s’accordent à dire que la condamnation pénale du requérant pour diffamation publique envers un particulier constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Elle partage ce point de vue. 32. Pareille immixtion enfreint l’article 10 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. a) « Prévue par la loi »
25. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable. B. Sur le fond 1. Thèses des parties
33. La Cour observe par ailleurs que cette ingérence était « prévue par la loi », la condamnation du requérant ayant été prononcée en application des articles 29, 32 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que cette loi satisfait aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité requises par l’article 10 § 2 (Chauvy et autres c. France, n°64915/01, §§ 45-49, CEDH 2004-VI, Brasilier c France, n°71343/01, § 2811 avril 2006, et Mamère c. France, n°12697/03, § 18, CEDH 2006-XIII).
a) Le requérant
b) « Buts légitimes »
26. Selon le requérant, B.D. s’exposait, en tant qu’élu municipal et adjoint au maire chargé des affaires financières, à des critiques d’autres membres du conseil municipal. Les propos litigieux intéressaient directement les fonctions de B.D. et sa capacité à gérer des affaires financières. Le requérant ajoute que les critiques formulées à l’égard de B.D. relèvent de son droit à la liberté d’expression en qualité d’élu de l’opposition s’exprimant devant une tribune politique sur un sujet d’intérêt général, à savoir la gestion des finances de la ville dont B.D. était chargé. Ses critiques n’étaient pas dénuées de base factuelle, en raison de l’ordonnance rendue par les juges d’instruction qui citaient B.D., de l’article de presse relatif à l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France qui reproduisait ladite ordonnance et des oppositions politiques des deux hommes. 27. Le requérant soutient que les termes utilisés n’étaient pas manifestement outrageants ou insultants, mais uniquement teintés d’ironie, rappelant que les propos tenus dans le cadre d’un conseil municipal peuvent être vifs, voire parfois agressifs. Selon lui, il n’y a rien de diffamant à faire allusion à des faits réels se rapportant à une affaire financière largement médiatisée quand les questions en cours portent
34. A ses yeux, une telle ingérence poursuivait l’un des buts légitimes visés à l’article 10 § 2, à savoir la protection de la réputation et des droits d’autrui. c) « Nécessaire dans une société démocratique »
35. La Cour doit donc rechercher si ladite ingérence était « nécessaire », dans une société démocratique, pour atteindre ces buts. i. Principes généraux 36. La condition de « nécessité dans une société démocratique » commande à la Cour de déterminer si l’ingérence incriminée correspondait à un « besoin social impérieux ». Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression sauvegardée par l’article 10 (voir, parmi beaucoup d’autres, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 51, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII,
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Jurisprudence Association Ekin c. France, n°39288/98, § 56, CEDH 2001-VIII, et Perna c. Italie [GC], n°48898/99, § 39, CEDH 2003-V). 37. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation (Fressoz et Roire c. France [GC], no29183/95, § 45, CEDH 1999-I). Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable ; il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte dans lequel ceux-ci les ont tenus (News Verlags GmbH & CoKG c. Autriche, n°31457/96, § 52, CEDH 2000I). En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier l’ingérence apparaissent « pertinents et suffisants » et si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » (Chauvy et autres, précité, § 70). Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents, appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 (voir, parmi beaucoup d’autres, Zana c. Turquie, 25 novembre 1997, § 51, Recueil 1997-VII ; Lehideux et Isorni, précité, § 51). 38. La Cour rappelle également que, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour les partis politiques et leurs membres actifs (voir, mutatis mutandis, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 46, Recueil 1998-I, et Desjardin c. France, n°22567/03, § 47, 22 novembre 2007). En effet, des ingérences dans la liberté d’expression d’un membre de l’opposition, qui représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts, commandent à la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts (voir, notamment, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42, série A n°236, Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 48, Recueil 1998-IV, et Piermont c. France, 27 avril 1995, § 76, série A n°314). Permettre de larges restrictions dans tel ou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la liberté d’expression en général dans l’Etat concerné (Feldek c. Slovaquie, no29032/95, § 83, CEDH 2001-VIII). 39. Il convient de rappeler à cet égard que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général (Sürek c. Turquie (n°1) [GC], n°26682/95, § 61, CEDH 1999-IV). Les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (voir, par exemple, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos21279/02 et 36448/02, § 46, CEDH 2007-IV, Lingens, précité, § 42, Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, n° 57829/00, § 40, 27 mai 2004, et Brasilier, précité, § 41). 40. Dans ce domaine, l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel ; ce sont les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique (Lopes Gomes da Silva c. Portugal, no37698/97, § 34, CEDH 2000-X, Almeida Azevedo c. Portugal, no43924/02, § 30, 23 janvier 2007, et Renaud c. France, n°13290/07, § 39, 25 février 2010). Les adversaires des idées et positions officielles doivent pouvoir trouver leur place dans l’arène politique, discutant au besoin des actions menées par des responsables dans le cadre de l’exercice de leurs mandats publics (voir, notamment, Brasilier, précité, § 42). ii. Application en l’espèce 41. La Cour considère en premier lieu que le débat dans le cadre duquel les propos litigieux ont été tenus relevait de l’intérêt général, s’agissant d’une discussion au cours d’une séance publique d’un conseil municipal consacrée aux dépenses et la gestion de la commune, en rapport avec la rémunération d’un directeur général adjoint de la mairie, à l’institution d’un droit de préemption sur les fonds de commerce et d’artisanat de la commune et, enfin, à un avenant au marché d’un stationnement payant. A cet égard, elle rappelle que la manière dont est gérée une municipalité est un sujet d’intérêt général pour la collectivité, sur lequel le requérant avait le droit de communiquer des informations au public (Roseiro Bento c. Portugal, n°29288/02, § 40, 18 avril 2006). 42. De plus, la Cour relève que le requérant s’exprimait non seulement au cours d’une séance du conseil municipal, mais en sa double qualité de conseiller municipal et de représentant de l’Union pour le Renouveau de Versailles, un parti politique qui, selon le requérant, non contredit par le Gouvernement, constitue la principale force d’opposition locale. Le requérant était d’ailleurs présenté par la presse comme le chef de file de l’opposition.
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43. Quant à la personne visée par les propos du requérant, B.D., si les propos litigieux renvoyaient à ses activités passées en qualité de trésorier d’un parti politique, Le Centre des Démocrates Sociaux (« CDS »), ils visaient, à l’évidence, l’homme politique en qualité de maire-adjoint chargé des finances. 44. Par ailleurs, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de leur tonalité générale, les propos litigieux s’apparentent davantage à des jugements de valeurs qu’à des déclarations de fait (voir, mutatis mutandis, Brasilier, précité, § 37, et Desjardin, précité, § 42). Elle rappelle que lorsqu’une déclaration équivaut à un jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une base factuelle pour la déclaration incriminée (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 47, Recueil 1997-I, Oberschlick c. Autriche (n°2), 1er juillet 1997, § 33, Recueil 1997-IV, et Jerusalem c. Autriche, n°26958/95, § 43, CEDH 2001-II). 45. En l’espèce, les propos litigieux faisaient référence à la mise en cause du plaignant par les autorités judiciaires dans le cadre de l’instruction menée dans l’affaire des marchés publics d’Île-de-France. La Cour note d’ailleurs que le requérant a produit, au titre d’une offre de preuves, une ordonnance des magistrats instructeurs dans laquelle le plaignant était soupçonné d’avoir reçu une importante somme d’argent lorsqu’il exerçait les fonctions de trésorier du CDS. Un extrait de cette ordonnance citant expressément B.D. a même été publié dans le journal Le Monde (paragraphes 9-10 ci-dessus). Dès lors, la Cour constate que la base factuelle n’était pas inexistante. Certes, l’offre de preuves du requérant a été écartée pour des motifs d’ordre procédural. Cependant, il n’appartient pas à la Cour de spéculer sur les effets de cette offre si elle avait été acceptée, mais uniquement de vérifier si les juridictions internes ont justifié leur condamnation de manière pertinente (Brunet-Lecomte et autres c. France, n°42117/04, § 46, 5 février 2009, et Vellutini et Michel c. France, n°32820/09, § 40, 6 octobre 2011). Or, le fait que le plaignant n’ait pas fait l’objet de poursuites judiciaires dans l’affaire des marchés publics d’Île-de-France n’était pas, en soi, suffisant pour démontrer la mauvaise foi du requérant et le priver de son droit à la liberté d’expression. 46. En prenant la parole sur les thèmes abordés par le conseil municipal, le requérant a mentionné B.D. à quatre reprises, en l’associant à une mallette d’une manière assurément provocatrice et polémique, sans toutefois contenir ni une attaque personnelle gratuite, dès lors que la base factuelle sur laquelle reposaient lesdits propos n’était pas inexistante, ni une accusation de corruption ou de détournement de fonds publics (voir, a contrario, notamment, Barata Monteiro da Costa Nogueira et Patrício Pereira c. Portugal, n°4035/08, 11 janvier 2011). En interpellant le plaignant de la sorte lors des débats, qui portaient sur la gestion de la commune et les dépenses publiques, les propos du requérant s’inscrivaient à l’évidence dans une critique plus générale sur la manière dont B.D. exerçait ses fonctions d’adjoint au maire chargé des finances. Ainsi, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, de tels propos n’étaient pas dénués de lien avec les questions débattues au conseil municipal. S’ils étaient provocants et avaient une connotation négative, force est de constater que, malgré une certaine hostilité (E.K. c. Turquie, n°28496/95, §§ 79-80, 7 février 2002) et la gravité éventuellement susceptible de les caractériser (Thoma c. Luxembourg, arrêt du 29 mars 2001, Recueil 2001-III, § 57), la question centrale du débat du conseil municipal et des interventions du requérant en son sein concernait la gestion de la commune : or le libre débat politique est essentiel au fonctionnement démocratique (Brasilier, précité, § 39, et Renaud précité, § 41). 47. De plus, il convient de tenir compte du fait que les intéressés sont des adversaires politiques depuis plusieurs années (paragraphes 11-16 cidessus) et que B.D., présent à la réunion du conseil municipal, pouvait répondre directement aux propos du requérant, ce qu’il a d’ailleurs fait à une occasion au moins en tutoyant le requérant (paragraphe 17 cidessus). 48. Eu égard à la tonalité générale des échanges verbaux entre les conseillers municipaux lors de la réunion, les propos du requérant constituent davantage des invectives politiques que les élus politiques s’autorisent lors des débats, lesquels peuvent être parfois assez vifs (paragraphe 40 ci-dessus). 49. Par ailleurs, comme la Cour l’a déjà relevé, les propos litigieux ont été tenus au cours d’une réunion du conseil municipal de Versailles. Partant, même si les déclarations du requérant n’étaient pas couvertes par une quelconque immunité parlementaire, elles ont été prononcées dans une instance pour le moins comparable au parlement pour ce qui est de l’intérêt que présente, pour la société, la protection de la liberté d’expression : or, dans une démocratie, le parlement ou des organes
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Jurisprudence comparables sont des tribunes indispensables au débat politique et une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne se justifie que par des motifs impérieux (Jerusalem, précité, § 40, et Roseiro Bento, précité, § 44). 50. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la réputation du plaignant. Les motifs fournis par les juridictions nationales pour justifier la condamnation du requérant ne pouvaient passer pour pertinents et suffisants, et ils ne correspondaient à aucun besoin social impérieux. 51. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur de la peine infligée sont aussi des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence (Sürek, précité, § 64, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], n°33348/96, § 111, CEDH 2004XI, et Vellutini et Michel, précité, § 43). Or, en l’espèce, la condamnation du requérant n’était pas négligeable, celui-ci ayant été condamné à une peine de 1 500 EUR d’amende, ainsi qu’à 1 500 EUR de dommages-intérêts. 52. Tout en rappelant qu’elle a déjà jugé que même une sanction pénale la plus modérée possible ne peut suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans le droit d’expression d’un requérant dans un contexte politique (Brasilier, précité, § 43), elle estime que les sanctions infligées au requérant sont excessives. Elle a maintes fois souligné qu’une atteinte à la liberté d’expression peut risquer d’avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté (ibidem, et Cumpănă et Mazăre, précité, § 114). 53. En conclusion, la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression n’était pas nécessaire dans une société démocratique.
54. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention. II. Sur l’application de l’article 41 de la Convention 55. Aux termes de l’article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. » 56. Le requérant n’a pas présenté de demande. 57. Or, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 60 § 2 du Règlement, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond. 58. Dès lors que le requérant n’a pas formulé de demande de satisfaction équitable en se conformant aux dispositions de l’article 60 § 2 du Règlement, la Cour estime qu’il n’a pas satisfait aux obligations qui lui incombaient aux termes de l’article 41 et qu’aucune somme ne saurait lui être octroyée à ce titre. Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, 1. Déclare la requête recevable ; 2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
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Direct
Association des Anciens Secrétaires d’Agréés Dîner annuel - Polo de Paris à Bagatelle, 5 juin 2012
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Jean-Claude Dubarry, Sophie Leyrie, Christiane Féral-Schuhl, Christine Dumesnil-Rossi et Philippe Godin
e mardi 5 juin 2012 Christine Dumesnil-Rossi présidait pour la première fois le diner annuel de l’Association des Anciens Secrétaires d’Agréés au Polo de Paris à Bagatelle où son confrère Jean-Luc Chartier les accueillait en sa qualité de Président de ce haut club sportif de l’é quitation française. Cette année pas de traditionnel match de Polo mais un concert de
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Jazz animé par des avocats. Pour l’édition 2012, l’orateur de la soirée s’est présenté sous une forme bicéphale puisque c’est Sophie Leyrie et Philippe Godin qui ont évoqué avec talent le Tribunal et l’Etude de Jean-François Martin. Le nouveau trésorier Alain Oltramare, qui a succédé à Jean-Claude Dubarry, a présenté les comptes 2011, non sans humour à l’image de son prédécesseur.
Quant à la Présidente, elle a rendu un hommage appuyé à son prédécesseur Bernard Lyonnet qui, 45 ans durant, a beaucoup donné de son génie et de son dynamisme pour que l’Association des Anciens Secrétaires d’Agréés vive ; nous lui souhaitons pleine et entière réussite dans l’exercice de ses nouvelles fonctions. Jean-René Tancrède
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Tribune
Transaction et accidents de la circulation par Catherine Meimon Nisenbaum* et Nicolas Meimon Nisenbaum**
Voici ce qu'il faut savoir avant de transiger avec une compagnie d'assurances, une mutuelle ou le Fonds de Garantie afin de défendre au mieux ses droits après un accident grave de la circulation ayant entrainé des dommages corporels.
e rapport d'octobre 2011 de la mission parlementaire d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière précise que chaque année plus de 4 000 personnes perdent la vie au cours d'un accident de la circulation, tandis que près de 100 000 personnes sont blessées (dont 31 000 hospitalisées) et 4 000 restent atteintes d'un handicap. Dans le cadre de la loi Badinter du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, objet de cet article, une procédure amiable est proposée immédiatement à la victime. Ainsi, les régleurs que sont les compagnies d'assurances, les mutuelles ou le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages (FGAO) proposent à la victime de rencontrer un médecin expert, qui est en réalité le médecin mandaté par le régleur et qui représente ses seuls intérêts. A l'issue de cette expertise, les régleurs évaluent seuls l'indemnisation de la victime et font une offre définitive. Si la victime l'accepte, elle ne dispose plus que de 15 jours pour se rétracter, passé ce délai il lui sera très difficile voire presque impossible de contester ultérieurement cette transaction, même si celle-ci est mauvaise : elle se retrouve alors victime une deuxième fois. Le législateur a donc préféré privilégier la procédure amiable, considérant ainsi que la victime serait globalement indemnisée plus rapidement. Certes, mais le montant des indemnisations dans le cadre de la procédure amiable n'est pas favorable à la victime, car elle est en général dépourvue de toute assistance, elle est seule, sans avoir à ses côtés un avocat spécialisé et un médecin-conseil de victimes pour valablement discuter de ses droits. Pour s'en convaincre, on précisera que la procédure amiable en matière d'accident de la circulation est la règle, puisque les transactions représentent 95% des dossiers de dommages corporels. Cependant, il faut garder à l'esprit que les 5% de dossiers traités par la Justice représentent 45% des indemnités payées. Pour les petits dommages corporels, la procédure d'indemnisation amiable, avec ou sans assistance d'un avocat et d'un médecin,
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peut se comprendre. Il est en effet souvent inutile d'exposer des frais supplémentaires qui ne sont pas toujours pris en charge, de ralentir le processus indemnitaire, pour finalement obtenir une faible indemnisation car le dommage corporel est faible. Tel n'est pas le cas des dommages corporels plus importants, ceux qui d'une certaine manière peuvent modifier votre avenir, notamment votre vie professionnelle, votre autonomie ou votre mode de vie. Pourtant, le plus grand nombre de victimes de dommages corporels graves se retrouve en matière d'accident de la circulation. Or, dès qu'un accident bouleverse l'avenir d'une victime, celle-ci devrait toujours être défendue par un avocat spécialisé avec l'assistance d'un médecinconseil de victimes. Il en est de même dès que le dommage corporel est important, qu'il soit la conséquence d'un accident de la circulation ou de toute autre nature tels que notamment : les infractions, les infections nosocomiales, les affections iatrogènes, l'aléa thérapeutique, la responsabilité médicale, les accidents du travail, la responsabilité du fait des choses, les accidents sportifs, les victimes de l'amiante, les victimes d'attentats. A l'évidence, on ne peut comprendre seul ce que l'on ne connaît pas, et donc se défendre seul. En effet, l'indemnisation d'un dommage corporel se réalise généralement en deux temps : en premier lieu, la mise en place d'une expertise médicale (à laquelle peut être associée une expertise pour le logement adapté, le véhicule aménagé, les aides techniques) et par la suite, l'indemnisation des chefs de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Ces deux phases peuvent être amiables (les parties s'accordent ensemble sans l'intervention de la justice) ou judiciaires (avec l'intervention de la justice lors d'un procès). Lorsqu'un avocat représente une victime lors de la procédure amiable, il fait intervenir un médecin-conseil de victimes et assiste également son client lors de l'expertise amiable. Si l'expertise amiable reflète la totalité des préjudices de son client, l'avocat l'accepte, à défaut il saisit la justice afin de solliciter la désignation d'un expert judicaire. Après l'expertise amiable, l'avocat entame une discussion avec les régleurs afin de parvenir à un accord, mais à défaut de pouvoir s'entendre,
il saisira immédiatement la justice afin de faire valoir les droits de son client et sollicitera devant le Tribunal une indemnisation définitive. L'avocat décide avec la victime ou son représentant légal s'il faut transiger ou au contraire saisir la Justice pour obtenir une meilleure indemnisation. Une victime ne peut seule faire ce choix, elle ne peut seule faire ce parcours indemnitaire amiable, car on ne s'improvise ni avocat, ni médecin. Elle ne peut d'ailleurs faire aucun choix car elle ne connaît pas la matière et se retrouve seule face aux compagnies d'assurances, aux mutuelles, au FGAO, tous de grands professionnels qui connaissent parfaitement le droit de la réparation du dommage corporel et qui sont au surplus assistés par des avocats spécialisés et par leurs médecins d'assurances. La victime a donc besoin d'être assistée par un avocat spécialisé et par un médecin-conseil de victimes dans le cadre de la procédure amiable, pour équilibrer les plateaux de la balance de la Justice. Au début de la procédure, la loi demande à la victime de renseigner le régleur et de lui communiquer un certain nombre de données (état civil, activité professionnelle, montant des revenus, adresse de l'employeur, personnes à charge, numéro de Sécurité sociale et tiers payeurs, certificats médicaux), qui permettent au régleur de faire une offre, en général provisionnelle, à la victime et de mettre en place une expertise médicale amiable (parfois domotique) pour l'évaluation de son dommage corporel. Cependant, il ne faut pas omettre que la victime, sa famille, ses proches sont sous le choc. Pour eux cette prise en charge est essentielle, car souvent ils n'ont jamais eu affaire à un avocat, du moins spécialisé en réparation du dommage corporel. La victime connaît l'avocat qui a pu s'occuper de son divorce, de son licenciement, mais elle ne connaît nullement l'existence d'avocats spécialisés ou de médecin-conseil de victimes. Sans assistance, la victime et sa famille sont prises en charge dès le début par le régleur, à qui elles communiquent des renseignements et des pièces et qui leur propose la mise en place d'une expertise amiable et souvent une provision. La victime se sent donc en confiance, c'est pourquoi elle ne prend aucune assistance et ne comprend pas que dans le cadre de l'expertise
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Tribune amiable, le médecin qui la convoque est en réalité payé par le régleur, le même qui doit ensuite l'indemniser. En effet, le médecin d'assurances reçoit sa mission de son mandant et ils discutent ensemble du dossier. Par la suite, ce médecin d'assurances adressera tous ses rapports d'expertises provisoires puis définitifs, lors de la consolidation, uniquement et directement à son mandant : le régleur. Nombreuses sont les victimes qui nous déclarent qu'elles n'avaient pas compris que les médecins d'assurances dont elles contestaient, mais souvent trop tard, les rapports, étaient payés par la compagnie d'assurances, la mutuelle ou le FGAO. Pour une parfaite information des victimes, il devrait leur être dit immédiatement que tous les médecins d'assurances sont rémunérés par la compagnie d'assurances, la mutuelle ou le FGAO, qui les mandatent et à qui ils rendent compte. C'est pourquoi les principes du contradictoire et de la transparence sont plus que nécessaires, ils sont indispensables. On ne peut se faire expertiser et évaluer par celui qui vous indemnise. Les victimes doivent être mieux informées. Les régleurs ne souhaiteraient certainement pas que les victimes soient évaluées par leur seul médecin-conseil de victimes. Alors pourquoi ne pas être plus clair avec les victimes, qui sont des personnes vulnérables et non des professionnels avisés. La victime a donc le plus grand intérêt à équilibrer la balance de la Justice et à se faire défendre par un avocat spécialisé, assisté d'un médecin-conseil de victimes qui collabore en général avec l'avocat spécialisé, pour ne pas être seule à l'expertise médicale et/ou domotique en présence du seul médecin d'assurances parfois assisté du régleur. Ainsi, dès le début du processus amiable d'indemnisation, les dés sont pipés. La victime ne comprend pas ces subtilités, elle n'est pas suffisamment informée, et pourtant son avenir est en jeu. Plusieurs expertises médicales amiables peuvent être mises en place par le médecin d'assurances. Il décide seul des conditions et du délai de l'expertise, il rédige seul des pré-rapports et décide seul de la date de consolidation et enfin il évalue seul tous les postes de préjudices en rédigeant son rapport final de consolidation. Le délai de consolidation pour les dommages corporels importants est de l'ordre de trois années, voire plus ; pour les enfants, on attend en général pour les consolider qu'ils aient atteint leur majorité, voire au-delà. Bien souvent, les médecins d'assurances ne consolident pas les victimes : sans consolidation il n'y a pas d'indemnisation. Ou au contraire les consolident trop tôt, ne laissant pas le temps aux victimes d'apprécier au mieux leur handicap et ses conséquences. Nombre de victimes qui se sont présentées seules à ces expertises amiables, sans l'assistance d'un avocat spécialisé et d'un médecin-conseil de victimes, tentent par la suite de contester les rapports des médecins d'assurances, mais souvent trop tard. Il est évident que la victime, qui n'a aucune connaissance médicale ni juridique, ne peut être laissée seule à cette expertise face à la partie adverse. Bien sûr, la loi dispose que la victime peut quitter à tout moment le processus amiable. Certes, mais lorsque l'expertise est avancée, que des rapports sont rédigés par un médecin d'assurance, même si la victime n'était pas assistée, les écrits, bien
qu'ils puissent être discutés, demeurent. Il est souvent difficile, voire impossible, de contester les rapports d'expertises amiables. D'autant plus qu'il est souvent précisé que la victime était assistée du médecin missionné par sa propre assurance (c'est-à-dire un médecin d'assurances). De plus, ces rapports sont très détaillés et rappellent les propos des victimes, souvent contestés par la suite par ces dernières, mais les écrits demeurent. Dans le cadre de la procédure amiable, la présence de l'avocat spécialisé au côté de la victime est essentielle, puisque c'est lui qui met en place et suit la procédure d'indemnisation, son intérêt et sa régularité, la communication de pièces, la mission du médecin-conseil de victimes, les discussions et la constitution du dossier avec son client, sa famille, et qui surtout lors de l'expertise défend son client pour que l'aspect juridique de la réparation du dommage corporel ne soit pas omis pour l'évaluation de plus de 20 postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux exposés notamment dans la nomenclature Dintilhac. Et surtout, lorsque l'avocat spécialisé constate que son client n'a plus d'intérêt à se maintenir dans une expertise amiable où ses droits ne sont pas reconnus car l'évaluation, même temporaire, des postes de préjudices, est incomplète, minorée, ou qu'il n'obtient pas du régleur des provisions en rapport avec l'ampleur du dommage de son client, il lui conseille de saisir la justice et surtout de ne pas accepter une expertise médicale qui ne garantit pas ses droits. L'avocat prend alors la décision, avec la victime ou son représentant légal, de s'en remettre à la Justice et de solliciter la désignation d'un expert judicaire, indépendant et impartial. Il convient de préciser que dans le cadre de cette loi, devant le tribunal, l'avocat est obligatoire ; ainsi lors d'un procès, la victime est toujours assistée d'un avocat. A défaut d'assistance, une victime va certainement accepter le rapport d'expertise de consolidation et les provisions qui lui sont proposées. Elle n'a pas le choix, elle ne sait pas. On ne s'improvise ni médecin ni avocat. Lors de l'expertise judiciaire, c'est l'expert judiciaire qui décide. Il donne son avis au tribunal, il tranche entre les évaluations du médecinconseil de victimes et celles du médecin d'assurances. Une fois l'état de santé de la victime consolidé, le régleur doit obligatoirement lui faire parvenir une offre définitive d'indemnisation. Cette offre peut comprendre plus de 20 chefs de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux pour les victimes directes, à savoir : Dépenses de santé engagées, passées et futures ; Frais d'adaptation du logement ; Frais de véhicule adapté ; Frais d'aides techniques ; Assistance à tierce personne avant et après consolidation ; Frais divers ; Pertes de gains professionnels actuels et futurs ; Incidence professionnelle, retraite, formation ; Déficit fonctionnel temporaire ; Déficit fonctionnel permanent ; Souffrances endurées ; Préjudice esthétique ; Préjudice d'agrément ; Préjudice sexuel ; Préjudice d'établissement. Et pour les victimes indirectes : Frais d'obsèques ; Pertes de revenus ; Frais de transport notamment ; Préjudice d'accompagnement ; Préjudice moral… Devant la complexité de ces chefs de préjudices, comment admettre qu'une victime puisse accepter seule une offre d'indemnisation, alors
que cette dernière relève, même pour un avocat, d'un certificat de spécialisation en Droit de la Réparation du Dommage Corporel. La victime seule ne comprend rien, ni le contenu juridique des postes de préjudices, ni la manière de les indemniser, ni le montant des indemnisations, ni l'abondante jurisprudence depuis 1985 des tribunaux, cours d'appel, et de la Cour de cassation, sans compter les transactions. Un avocat spécialisé est nécessaire. La victime ne peut accepter seule une offre indemnitaire à laquelle elle ne comprend rien. Pour tous ces préjudices, des dizaines de milliers de décision de justice ont été rendues, qui ont jugé du principe de la réparation intégrale du préjudice corporel défendu par notre Cour de cassation, nos cours d'appel et tribunaux. Indépendamment des montants offerts à la victime dans le cadre de l'offre indemnitaire qu'elle n'est pas à même d'apprécier seule, demeure le Droit de la Réparation du Dommage Corporel. A titre d'exemple, au stade de la reconnaissance du droit à indemnisation, doiton accepter le refus d'indemnisation, ou un partage de responsabilité ? Au stade de l'expertise doit-on prendre en compte l'aide de la famille, la fatigabilité, la lenteur, comment décider la reprise éventuelle du travail et à quelles conditions ? Et enfin, lors de l'indemnisation doit-on prendre en compte les indemnités de chômage pour calculer les pertes de salaire, quel salaire de référence doit-on déduire, la déduction des impôts, comment s'analysent une perte de chance, une incidence professionnelle, un droit à la retraite, l'aide familiale est-elle indemnisée, à quel prix, pour quelle période, doit-on déduire de l'indemnisation les allocations du Conseil Général, l'Allocation aux Adultes Handicapés, comment évaluer une aide humaine, quel est le barème de capitalisation applicable, comment s'indemnise le doublement de l'intérêt légal ? Les tribunaux ont jugé de ces questions et de bien d'autres, et les régleurs, qui sont de grands professionnels, connaissent parfaitement le Droit de la Réparation du Dommage Corporel. Eux savent répondre à ces questions, les victimes non. Comment une victime peut-elle dès lors apprécier l'offre d'indemnisation amiable qui lui est présentée ? Comment accepter dans son propre intérêt ce que l'on ne comprend pas ? C'est, bien entendu, l'avocat spécialisé qui seul, au stade de l'indemnisation, discute de tous les postes de préjudices dans leur principe et dans leur quantum, et qui connaît notamment le droit et la jurisprudence, tandis que la victime les ignore. L'accélération du processus d'indemnisation, qu'a voulu la loi Badinter, consiste-t-elle à dire oui à tout sans rien comprendre ? Mais mieux encore, à la suite de son accident la victime, le plus souvent conducteur, est informée de la position du régleur pour ce qui concerne la prise en charge de son accident. Bien souvent, les régleurs opposent à la victime ou sa famille un partage ou une exclusion et refusent donc de réparer intégralement le dommage corporel de la victime. La victime n'a même pas connaissance du procès-verbal de police, et même si elle avait celui-ci en sa possession, elle ignore le droit en la matière et ne peut le comprendre. Nombreuses sont les victimes qui pensaient être en tort, qui pensaient ne pas pouvoir obtenir la moindre
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Tribune indemnisation et pourtant leur avocat spécialisé n'était pas de cet avis, car lui connaît le droit. Il faut donc solliciter l'avis d'un avocat spécialisé, qui seul peut apprécier le droit à indemnisation de son client, après avoir pris connaissance du procès-verbal de police, et qui saisira immédiatement la justice s'il estime pouvoir obtenir gain de cause. Pire encore, c'est souvent après plusieurs années, après plusieurs expertises médicales organisées par le médecin d'assurances, que la victime apprend que son droit à indemnisation est exclu partiellement ou totalement par le régleur. Lasse, celle-ci accepte l'offre car elle n'a plus la force de se battre seule. Pour ces raisons, un
avocat spécialisé en réparation du dommage corporel est indispensable pour défendre les victimes dès le début du processus d'indemnisation, que la procédure soit amiable ou judicaire. Bien entendu, il faut régler les honoraires d'un avocat. L'aide juridictionnelle peut parfois y pourvoir. Cependant, il est préférable d'être informé, assisté et défendu avant d'être contraint d'accepter une indemnisation dont peut dépendre toute une vie. Il ne faut pas omettre qu'une transaction qui est signée entre la victime et le régleur peut être réfutée par la victime qui peut se rétracter dans les 15 jours de sa signature ; passé ce délai, toute
contestation est quasiment impossible. La loi Badinter a voulu accélérer le processus d'indemnisation. Il est en effet satisfaisant que les victimes soient rapidement indemnisées afin qu'elles puissent au plus vite reprendre leur vie, mais il ne faut pas accepter une indemnisation « au rabais ». Il faut éviter et refuser d'être deux fois victime. * Catherine Meimon Nisenbaum est avocat à la Cour. ** Nicolas Meimon Nisenbaum est avocat à la Cour. Sites internet : www.meimonnisenbaum.com - www.yanous.com
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Vie du chiffre
Autorité des Marchés Financiers Publication du rapport d’activité 2011 du Pôle Assurance Banque Épargne
ors d’une conférence de presse tenue le vendredi 25 mai a été présenté le rapport d’activité 2011 du Pôle Assurance Banque Épargne, commun à l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et à l’Autorité des marchés financiers (AMF). En deux ans d’existence, le Pôle commun a démontré son efficacité et son utilité dans le domaine de la protection de l’épargnant, en permettant la coordination de multiples actions.
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protection renforcée des épargnants : après avoir porté en 2010 sur la commercialisation des produits complexes, elles ont été axées en 2011 sur le marché des changes (Forex) et sur le traitement des réclamations dans l’ensemble du secteur financier. - Le lancement par les deux autorités d’actions de sensibilisation à destination des différentes filières de formation : la qualification des personnels en relation avec la clientèle représentant un levier important d’amélioration des pratiques commerciales.
d’assurance, notamment auprès des sociétés de gestion de portefeuille, d’établissements bancaires, de plates-formes de distribution et d’entreprises cumulant les statuts de courtier en assurance et de conseiller en investissements financiers. Un nouveau site Internet plus dynamique, fonctionnel et bénéficiant d’une meilleure visibilité auprès des internautes sera mis en ligne. Le Pôle commun poursuivra sa mission afin de renforcer la vigilance sur les pratiques commerciales qui nécessiteraient toute action concertée de la part des deux autorités.
En 2012, les contrôles communs seront poursuivis sur les différents acteurs intervenant dans la chaîne de distribution des contrats
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REPÈRES
- Près de 100 000 appels traités 18 mois après le lancement de la plateforme commune d’information – Assurance Banque Épargne Info Service. - 12 contrôles conjoints effectués en 2011 dans le prolongement des 3 premiers contrôles initiés en 2010. Les contrôles ont mis en évidence des lacunes dans le recueil d’informations auprès du client et des insuffisances dans la formalisation du conseil et des mises en garde. - Des initiatives communes dans le sens d’une
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À PROPOS DU PÔLE COMMUN L'ordonnance du 21 janvier 2010 créant l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) introduit également un mécanisme de coopération entre l’ACP et l’AMF pour renforcer le contrôle du respect par les entreprises et leurs intermédiaires de leurs obligations à l’égard de leurs clientèles. À cet effet a été institué un pôle commun aux deux autorités, qui est à la fois un mécanisme de coordination, notamment de la veille des pratiques de commercialisation, et un point
d’entrée commun pour les demandes des clientèles. Le Pôle commun ne modifie pas la répartition des pouvoirs de chaque autorité, chacune conservant sa compétence propre. Toute décision demeure prise uniquement par l’ACP ou par l’AMF, selon les cas, notamment s’agissant des suites des contrôles diligentés et des éventuelles sanctions qui en découleraient. À PROPOS DE L’ACP Autorité administrative indépendante adossée à la Banque
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de France, l’ACP est chargée de l’agrément et de la surveillance des établissements bancaires et d’assurance dans l’intérêt de leurs clientèles et de la préservation de la stabilité du système financier. À PROPOS DE L’AMF Autorité publique indépendante, l’AMF est chargée de veiller à la protection de l’épargne investie en produits financiers, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés.
Annonces judiciaires et lĂŠgales
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