LES ANNONCES DE LA SEINE Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
Jeudi 22 août 2013 - Numéro 49 - 1,15 Euro - 94e année
Académie des Sciences Morales et Politiques Installation du Juge Stephen Breyer VIE
DU DROIT
Académie des Sciences Morales et Politiques
Le juge entre liberté et démocratie par Gilbert Guillaume ...................................................... 2
IIIème anniversaire de la QPC Les QPC font avancer le droit par Christiane Féral-Schuhl QPC : originalité et perspectives par Robert Badinter ................................................................ 6 Contrôle par le citoyen de ses représentants élus par Christian Charrière-Bournazel ........................ 7 Le contrôle juridictionnel de la loi par Jean-Louis Debré ......................................................... 8 Interruption de la prescription acquisitive d’une peine par des actes d’exécution ... 16
CHRONIQUE
Un regard sur la crise institutionnelle du Conseil National des Barreaux par Nathalie Kerdrebez ........................................... 10
AGENDA ......................................................................................................................... 11 DÉCORATION
50ème anniversaire de l’ordre national du Mérite
Encourager le civisme par François Hollande ....................................................................... 12
SOCIÉTÉ
Une stratégie pour la France Les grands défis de la France à l’horizon 2023 par François Hollande Porter une ambition pour l’avenir de la France par Jean-Marc Ayrault ........................... 15
ANNONCES LÉGALES ........................................................................................... 16 ADJUDICATIONS................................................................................................ 28/29 IN MEMORIAM Jacques Vergès nous a quittés .................................................................................... 31
’est une brillante et émouvante cérémonie qui s’est déroulée sous la Coupole de l’Institut de France le lundi 8 avril 2013 : pour la première fois dans l’histoire de cette prestigieuse institution créée par la loi du 3 Brumaire An IV, un membre de la Cour suprême des Etats-Unis était reçu au sein de l’une des cinq Académies, l’Académie des Sciences morales et politiques. Sous le roulement des tambours de la Garde Républicaine et devant une assemblée composée de hautes personnalités, au premier rang desquelles figurait le Président Robert Badinter, ami personnel du récipiendaire, plusieurs membres du Conseil constitutionnel, le Premier Président Vincent Lamanda et le Président Bernard Stirn, l’Honorable Justice Stephen Breyer a été installé au fauteuil de l’Archiduc Otto von HabsburgLohtringen, fils ainé de Charles 1er, dernier Empereur d’Autriche, décédé en juillet 2011. Le Juge Stephen Breyer, dont la vie et les engagements ont été remarquablement exposés par le Président Gilbert Guillaume, Membre de l’Institut, Conseiller d’Etat honoraire, ancien Président de la Cour internationale de Justice, est un fervent francophile. Grand admirateur de la culture de notre pays, et en particulier de sa littérature (dans laquelle il se plonge
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quotidiennement avant les audiences de sa Cour), le juge Breyer est un fin connaisseur de la France et de son identité. Le système politique français, le droit continental, les juridictions françaises et la complexité de l’enchevêtrement des normes en Europe n’ont pas de secret pour lui. Partisan d’un dialogue actif entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique, notamment pour l’accomplissement du modèle fédéral, et à l’image de Thomas Paine, Benjamin Franklin, Gilbert du Motier, Marquis de La Fayette et tant d’autres héros des Deux Mondes, il est l’incarnation de cette relation unique nouée voici plus de deux siècles entre les deux nations messianiques que sont la France et les Etats-Unis. Qui mieux que ce juriste exceptionnel méritait un tel honneur ? L’Académie des sciences morales et politiques peut désormais s’enorgueillir de compter parmi les siens un esprit hors du commun, qui contribuera au rayonnement de ce « Parlement des savants » qu’est l’Institut de France ainsi qu’à la poursuite de l’union franco-américaine, que Charles Gravier, Comte de Vergennes décrivait comme n’étant pas « une de ces liaisons passagères que le besoin du moment fait naitre et évanouir », mais bien comme une union permanente, ordonnée à l’idéal de liberté que partagent depuis 1776 les Français et les Américains. François-Henri Briard
J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne
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Le juge entre liberté et démocratie par Gilbert Guillaume
Didier Chotard Frédéric Bonaventura
Commission paritaire : n° 0713 I 83461 I.S.S.N. : 0994-3587 Tirage : 13 159 exemplaires Périodicité : bi-hebdomadaire Impression : M.I.P. 3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS
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Copyright 2013 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, par arrêtés de Messieurs les Préfets : de Paris, du 27 décembre 2012 ; des Yvelines, du 31 décembre 2012 ; des Hauts-deSeine, du 31 décembre 2012 ; de la Seine-Saint-Denis, du 27 décembre 2012 ; du Val-de-Marne, du 27 décembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescrites par le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerce et les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contrats et des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la SeineSaint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine. N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales. - Tarifs hors taxes des publicités à la ligne A) Légales : Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,48 € Yvelines : 5,23 € Hauts-de-Seine : 5,48 € Val-de-Marne : 5,48 € B) Avis divers : 9,75 € C) Avis financiers : 10,85 € D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 € Seine-Saint Denis : 3,82 € Yvelines : 5,23 € Val-de-Marne : 3,82 € - Vente au numéro : 1,15 € - Abonnement annuel : 15 € simple 35 € avec suppléments culturels 95 € avec suppléments judiciaires et culturels COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas
Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.
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Gilbert Guillaume
’Académie des sciences morales et politiques comporte deux catégories de membres : les membres de nationalité française au nombre de 50 et les membres associés étrangers au nombre de 12. Au nom de mes confrères, je suis heureux de vous accueillir aujourd’hui en notre sein en cette seconde qualité. Depuis Jefferson, de nombreux citoyens des Etats-Unis d’Amérique vous ont précédé comme membre associé de notre compagnie, mais aucun n’appartenait à la Cour suprême. Après avoir rendu hommage à plusieurs Présidents de votre pays, c’est aujourd’hui à la Cour que nous rendons hommage à travers vous. 1. Je le ferai en évoquant à la fois votre parcours, votre pensée et votre œuvre. Fils d’un avocat de San Francisco, vous êtes un brillant étudiant à Stanford, puis vous obtenez une bourse Marshall pour poursuivre ces études en philosophie et en science politique à Oxford. De retour aux Etats-Unis, c’est à l’école de droit de Harvard que vous terminez votre cursus universitaire magna cum laude. Vous vous engagez alors dans la vie active comme référendaire d’un Juge à la Cour Suprême, le Juge Goldberg. Observons au passage que ceci ne vous prédestinait en rien à y siéger par la suite comme Juge, puisque statistiques à l’appui, j’ai constaté qu’au cours de l’histoire de la Cour, quatre référendaires seulement y sont revenus comme membres de la haute juridiction. C’est à cette époque que vous rencontrez Joanna, qui allait devenir votre épouse et dont je salue la présence ici parmi nous, avec vos enfants et petits enfants. Après ce bref passage par Washington, vous repartez pour Harvard pour y professer le droit administratif et le droit de la concurrence. Puis après plusieurs années heureuses d’enseignement, l’occasion vous est donnée de vous lancer dans une nouvelle expérience. Vous retournez à Washington
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pour y travailler au Sénat comme conseil juridique du Sénateur démocrate Ted Kennedy, puis, lorsque celui-ci est porté à la présidence du comité judiciaire du Sénat, comme conseil juridique du comité luimême. A cette époque les relations entre Républicains et Démocrates étaient moins tendues qu’elles ne le devinrent par la suite. Presque chaque matin, vous preniez votre petit déjeuner avec le conseil juridique du Sénateur Thurmond, doyen des Sénateurs républicains du comité et vous organisiez ensemble les travaux de ce dernier dans une atmosphère cordiale. Vous réussirez ainsi à mener à bien plusieurs réformes fondamentales concernant le transport aérien intérieur, le transport de marchandises par route et l’industrie du gaz naturel, ouverts à la concurrence à la suite de ces réformes. Ce fut une époque fructueuse dans votre carrière qu’il vous arrive d’évoquer avec quelque nostalgie. Vous étiez cependant voué à rejoindre un jour le cercle d’élite des Juges fédéraux. Aussi est-ce tout naturellement que le Président Carter proposa en 1980 votre nomination comme Juge à la Cour d’appel fédérale du premier circuit à Boston. Vous étiez si populaire au Sénat que celui-ci confirma cette nomination alors même que Jimmy Carter venait d’être battu aux élections présidentielles par Ronald Reagan. 2. Quatorze ans plus tard, le Président Clinton vous choisissait pour siéger à la Cour suprême. Cette nomination suscita à nouveau un accord presqu’un anime au Sénat qui la ratifia à l’écrasante, et inhabituelle, majorité de 87 voix contre 9. Vous arriviez à la Cour avec une triple expérience de l’enseignement, du Congrès et de la Justice. Vous y siégez maintenant depuis près de vingt ans. Que fait un juge à la Cour suprême ? Cette question vous fut posée un jour et votre réponse fut claire, encore qu’elliptique ; « Il lit et il écrit». C’est là le sort de tous les juges et plus encore des Juges américains auxquels les avocats fournissent de copieuses occasions de lecture. Mais à ces travaux d’étude de dossier et de rédaction de jugement, vous avez ajouté, hors du prétoire, d’autres travaux d’écriture destinés à mieux faire connaître la Cour et les principes qui, selon vous, doivent guider son action.
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Vie du droit Dans un premier ouvrage intitulé en anglais «Active Liberty », vous avez développé votre conception du Juge en démocratie. Quelques années plus tard, vous avez, dans un second livre, présenté la Cour suprême et son histoire à vos concitoyens. Ces deux ouvrages ont très heureusement été traduits en français et publiés par les soins des éditions Odile Jacob. Vous avez en outre été amené à de nombreuses reprises à développer votre pensée dans notre pays, au collège de France, à l’université, et dans bien d’autres enceintes. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de vous rencontrer pour la première fois à Clos-Vougeot. Notre réunion n’avait malheureusement pas pour objet la dégustation des crus de la confrérie du tastevin. Il s’agissait d’un colloque sur l’arbitrage international en matière d’investissement. Par la suite nous nous sommes retrouvés au sein de l’un des réseaux sur l’internationalisation du droit crée par notre confrère, le professeur Mireille Delmas-Marty. C’est dire que vous êtes ici un peu chez vous et que nous accueillons aujourd’hui sous la coupole un associé qui, s’il est étranger, est loin de nous être étranger. Il l’est d’autant moins que vous pratiquez notre langue avec la précision du juriste et l’élégance de l’écrivain. Familier de notre littérature, vous avez ainsi un jour évoqué devant moi « El desdichado » de Gérard de Nerval, « le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le prince d’Aquitaine à la tour abolie ». Ce sonnet des Chimères baigne dans un climat d’imaginaire onirique habituellement étranger aux juges. Il souligne l’éclectisme de vos goûts et illustre la profondeur de votre culture française. 3. Votre ouvrage sur la Cour suprême est né d’une constatation : un tiers seulement des américains sont capables de nommer les trois instances du pouvoir, exécutif, législatif et judiciaire. Les trois quart ne comprennent pas la différence entre le juge et le législateur. Je ne suis pas certain que les connaissances des Français en ce domaine soient meilleures. M’adressant cependant à un auditoire plus averti, je ne saurais lui infliger aujourd’hui un cours de droit sur la Cour suprême. Il n’en reste pas moins que, pour comprendre votre pensée et votre action, il n’est pas inutile de revenir sur la description que vous en avez faite. La Cour suprême est composée, on le sait, de neuf juges nommés par le Président, avec l’assentiment du Sénat. Ces juges, dit la Constitution, siègent « aussi longtemps qu’ils en sont dignes ».
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Stephen Breyer et Bertrand Collomb
C’est dire qu’en fait ils sont nommés à vie. Jefferson s’en plaignait en relevant que les juges à la Cour ne prennent jamais leur retraite et meurent rarement. C’était là leur prêter une immortalité à laquelle même les Académiciens ne sauraient réellement prétendre. Mais il est de fait que les membres de la Cour sont généralement nommés vers la cinquantaine et siègent par suite pendant plusieurs décennies. La Cour ainsi composée a compétence pour interpréter et appliquer les lois fédérales. Elle juge en outre de la constitutionnalité de ces lois et des lois des Etats qui composent la fédération. Sur 4 à 5 millions de procès engagés chaque année aux Etats-Unis, une centaine remonte jusqu’à elle. Elle les choisit par décision de quatre de ses membres. Dans nombre de cas, son rôle consiste simplement à assurer la cohérence de la jurisprudence des Tribunaux fédéraux. Mais certaines affaires touchent à la vie même de la nation et la Cour a, au cours des dernières décennies, eu à se pencher sur des questions aussi controversées que le droit à l’avortement, la lutte contre la ségrégation raciale dans les écoles, les rapports entre l’Etat et les églises, le financement des campagnes électorales ou la situation des détenus de Guantanamo. Au total, l’histoire de la Cour, telle que vous la présentez dans votre livre, a connu des succès et des échecs qui vous semblent porteurs de leçons. L’institution judiciaire fédérale était initialement une institution faible. Elle s’imposa grâce à l’intelligence et à l’habileté de son premier Président, le Chief Justice Marshall dans une affaire bien connue des juristes, Marbury v. Madison. Ce qui est moins connu, c’est que dans cette affaire, la Cour réussit en 1803 à la fois à relever l’illégalité de l’action du Président Jefferson et ne pas la censurer en déclarant inconstitutionnelle la loi qui lui donnait compétence pour ce faire. Etait ainsi évitée une crise politique grave et assuré le contrôle de constitutionnalité des lois. La Cour attendit cependant 50 ans avant d’user du pouvoir qu’elle s’était ainsi reconnu. Elle le fit en 1857 à propos de l’esclavage à la veille de la guerre de sécession dans l’affaire Dred Scott. Dans cette affaire, le requérant se prévalait d’une loi du Congrès, dite compromis du Missouri qui réglait depuis 1820 le sort des esclaves dans les territoires nouvellement rattachés à l’Union. La Cour jugea cette loi inconstitutionnelle et estima qu’un esclave ne
pouvait devenir libre du fait de son séjour dans un Etat abolitionniste et qu’un ancien esclave n’avait en tout état de cause pas la qualité de citoyen capable de saisir une cour fédérale. Ce jugement très critiqué ne fut pas étranger au déclenchement de la guerre de sécession. Au lendemain de cette dernière et pendant plus d’un siècle, la Cour développa une jurisprudence restreignant les pouvoirs des autorités publiques. Elle s’opposa de ce fait dans les années 1930 à la politique du New Deal du Président Roosevelt. Menacée d’une fournée de Juges, elle s’inclina et au lendemain de la seconde guerre mondiale, elle développa sous la présidence du Chief Justice Warren, une jurisprudence nouvelle. Celle-ci trouva son point culminant un siècle exactement après l’affaire Dred Scott dans l’affaire Brown concernant l’intégration raciale. Dans cette affaire, la Cour, renversant sa jurisprudence antérieure, décida que la ségrégation scolaire appliquée à l’époque dans de nombreux Etats du sud des Etats-Unis était incompatible avec le 16ème amendement à la constitution selon lequel « Aucun Etat ne privera une personne de l’égale protection des lois ». L’application de cette décision se heurta à de fortes résistances et le Président Eisenhower dut envoyer à Little Rock dans l’Arkansas la 11ème division aéroportée pour que force reste à la loi. Ces trois affaires et plusieurs autres, que je n’analyserai pas ici, vous ont amené à vous poser une question fondamentale, que se posent tous les Juges, nationaux ou internationaux, celle de leur légitimité. En d’autres termes, sur quoi est fondée l’autorité du Juge dans nos démocraties ? Vous avez longuement réfléchi à cette question et en avez conclu que, dans nos pays, l’autorité du Juge repose sur la confiance du peuple. Vous vous êtes par suite interrogé sur les moyens de gagner cette confiance. Votre réflexion à cet égard est partie de Benjamin Constant. Celui-ci, rappelez-vous dans votre ouvrage « Active Liberty », distinguait entre deux libertés qu’il estimait, toutes deux nécessaires, la liberté des anciens et la liberté des modernes. La première, dont les cités grecques nous avaient donné l’exemple en organisant la délibération sur la place publique, implique, disait Benjamin Constant, une « participation active et constante au pouvoir collectif».La seconde permet aux citoyens de « jouir de leur indépendance et de poursuivre leurs intérêts individuels ». Il nous faut, ajoutait-il, « apprendre à conjuguer les deux ensemble » Dans cette perspective, vous lancez dans vos livres un appel aux Juges afin que, dans l’interprétation des normes et notamment des normes constitutionnelles, ils accordent une égale considération à la liberté des anciens, la « liberté active », qui fonde la démocratie et à la liberté des modernes, c’est-à dire aux droits de l’individu face à l’Etat. Ceci implique en premier lieu que les Tribunaux échappent à la tentation de l’activisme judiciaire. Ils ne peuvent, ni ne doivent se substituer aux assemblées et aux Gouvernements légitimement élus qui, pensez-vous, sont mieux placés qu’eux pour peser les avantages et les inconvénients des solutions à retenir. Ils doivent par exemple laisser le Président mener la politique étrangère et de défense qu’il entend mener et laisser le congrès mener les réformes sociétales qu’il estime nécessaires. Ils ne doivent intervenir, pour reprendre les mots d’Alexander Hamilton, que lorsque les « passions publiques » mènent à des décisions portant atteinte aux droits fondamentaux de
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Vie du droit l’individu. Si le Juge ne doit pas être aveugle, il doit aussi rester modeste. Concilier la liberté active du citoyen et la liberté reconnue à l’individu face à l’Etat implique en outre pour vous, non seulement que soit respectée la séparation des pouvoirs, mais encore – et ceci est plus original- que le Juge tienne la balance égale dans ses jugements entre ces deux libertés. En effet, rappelez-vous, les pères fondateurs de la nation américaine poursuivaient un double objectif : créer un régime démocratique fondé sur la souveraineté du peuple exercée à travers ses représentants élus ; et en même temps protéger la liberté privée à travers une déclaration des droits. Protecteur de cette liberté, le Juge doit fournir de cette déclaration une interprétation qui ne porte pas atteinte au bon fonctionnement de la démocratie. Vous vous êtes inspiré de ces considérations dans deux affaires récemment tranchées par la Cour suprême. La première concernait le financement des campagnes électorales. Diverses lois avaient depuis 1907 limité les possibilités de financement de ces campagnes par les entreprises. La Cour les avait jugées compatibles avec le premier amendement à la constitution garantissant la liberté d’expression. Elles étaient cependant d’une faible efficacité et les dépenses de publicité télévisée en faveur des candidats auxquelles participent les entreprise avaient augmenté dans les dernières décennies jusqu’à atteindre des centaines de millions de dollars. Une nouvelle loi, d’ailleurs modeste, intervint en 2002 pour réduire ces dépenses dans les semaines précédant immédiatement les scrutins. Elle fut déférée à la Cour suprême. Revenant sur sa jurisprudence antérieure, celle-ci en 2010 donna une valeur absolue à la liberté d’expression garantie par le premier amendement et déclara cette loi inconstitutionnelle. Vous vous êtes ce jour là dissocié de la majorité de la Cour en soulignant que le premier amendement vise principalement à encourager l’échange d’information et d’idées dont les citoyens ont besoin pour former l’« opinion publique qui est la source ultime du Gouvernement dans un Etat démocratique ». Dès lors le Congrès est en droit, disiez-vous, de réglementer le financement des campagnes électorales dans l’intérêt même de la démocratie, de la liberté active, dès lors qu’un équilibre satisfaisant est assuré entre l’extension ainsi apportée à cette liberté et les restrictions en résultant
pour la liberté d’expression individuelle. Pour vous, iI appartenait à la Cour suprême de se livrer au contrôle de proportionnalité qu’un tel équilibre implique entre ces deux formes de liberté. En l’espèce cet équilibre vous est apparu assuré et vous avez été conduit à exprimer avec trois de vos collègues une opinion dissidente. Vous avez adopté une attitude comparable lorsque la question de la ségrégation raciale à l’école s’est à nouveau posée devant la Cour. Depuis l’arrêt Brown, de multiples formules avaient été imaginées par les autorités scolaires et universitaires en vue de lutter contre cette ségrégation et ces autorités avaient pris à cet effet diverses mesures de discrimination positive en faveur des noirs. La Cour avait estimé ces mesures conformes au 16ème amendement garantissant l’égalité devant la loi dès lorsqu’il ne s’agissait pas de quotas appliqués de manière mécanique. Elle renversa, là encore, sa jurisprudence en 2007 et releva, sous la plume du Chief Justice que « la meilleure manière de mettre fin à la discrimination raciale est de mettre fin à toute discrimination fondée sur la race » et en censurant les mesures prises en vue d’assurer un minimum de mixité dans les écoles de Seattle et de Louisville. Vous vous êtes alors vigoureusement élevé contre cette décision, rendue une fois encore par 5 voix contre 4, en soulignant avec une éloquence que la traduction ne saurait rendre que « la constitution n’autorise pas les Juges à dicter la solution à donner aux problèmes nés de la discrimination ». Il convient de laisser cette tâche au peuple et la Cour suprême doit se borner à s’assurer que les décisions prises par les autorités scolaires ne sont pas déraisonnables, compte tenu du but poursuivi, ce qui vous a semblé le cas dans les espèces dont la Cour était saisie. Les principes que vous avez ainsi dégagés vous paraissent devoir être appliqués non seulement à l’occasion du contrôle de constitutionalité, mais plus généralement dans l’interprétation des textes législatifs et réglementaires, quelle qu’en soit la nature. Certes le Juge doit, dans son interprétation des textes, partir des textes eux-mêmes. Mais que faire en cas de doute ? Vous illustrez le problème en évoquant un exemple pittoresque advenu dans un train en France en 2008. Lors d’un contrôle des billets, le chef de train constata qu’un passager voyageait avec un panier contenant une douzaine d’escargots vivants qu’il rapportait de la campagne en vue d’illustrer un cours
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qu’il devait donner le lendemain à ses élèves. Le règlement de la SNCF prévoit que l’achat d’un billet est obligatoire pour tous les animaux. Cependant ceux-ci voyagent à demi-tarif. Mais, s’ils pèsent moins de six kilos et s’ils sont transportés dans un panier, le prix par animal ne peut excéder 5,10 euros. Le contrôleur crut devoir réclamer cette somme au voyageur qui, après avoir protesté, la régla. L’affaire fut évoquée dans la presse et la SNCF remboursa l’instituteur. Mais qui avait raison et pourquoi ? A travers cet exemple inattendu, vous soulevez une difficile question, celle des méthodes d’interprétation des textes. Deux écoles s’opposent à cet égard jusqu'au sein de la Cour suprême. Les uns ont une approche axée sur le texte. Ils en examinent soigneusement les termes. Le cas échéant, ils consultent un dictionnaire et étudient attentivement le contexte. Ils recherchent si l’interprétation à laquelle ils aboutissent de la sorte peut être confortée par l’histoire et la jurisprudence. Les autres,sans renier complètement les méthodes d’interprétation ainsi évoquées, mettent l’accent sur les intentions des auteurs des textes et les conséquences des interprétations envisagées. Vous appartenez à cette école, car, pensez-vous, l’examen judiciaire des intentions du législateur contribue à renforcer les buts démocratiques de la constitution. Il permet de placer les responsabilités là où elles sont et de rendre les élus directement comptables de leurs décisions devant les électeurs. Dans cette perspective, prendre en compte les conséquences d’une décision de Justice ne revient pas à se demander si cette décision sera est bonne ou mauvaise, du point de vue du Juge, mais en fonction du but recherché par l’auteur de la loi. C’est au coup par coup qu’il convient de procéder à cette recherche. Une approche de ce type, fidèle aux intentions du législateur et attentive aux conséquences des jugements, vous parait la seule de nature à éviter la rigidité du Juge littéraliste comme le subjectivisme du Juge qui, sous couvert d’interprétation téléologique s’arroge des pouvoirs qui ne sont pas les siens. Respectueuse de la démocratie, elle crée la confiance. Au total, la question initialement posée vous parait donc appeler une réponse simple : le Juge sera respecté en démocratie s’il respecte lui-même la volonté du peuple et de ses représentants, tout en censurant les excès. Il y parviendra par une approche pragmatique, sans dogmatisme, au coup par coup. Je ne saurais cependant mettre un terme à ce propos sans aborder un autre élément de votre réflexion et de votre action concernant non plus les rapports entre la liberté et la démocratie, mais les rapports entre la nation et la société des nations, c’est-à dire, pour le Juge, les rapports entre d’une part le droit interne et d’autre part les droits étrangers ou le droit international. Le Juge français, comme le Juge américain n’a pas toujours réservé un accueil empressé au droit comparé. Vous vous êtes constamment élevé contre ce provincialisme et la Cour suprême vous a suivi lorsqu’en 1999, elle a été amenée à s’interroger sur la constitutionnalité de la peine de mort pour les crimes commis par des mineurs de moins de 18 ans. Elle releva alors que la peine capitale était en pareil cas contraire au huitième amendement qui prohibe les peines cruelles et exceptionnelles. Mais à l’appui de son raisonnement elle ajouta que les Etats-Unis étaient le seul pays au monde qui appliquait la peine de mort pour des infractions
Les Annonces de la Seine - jeudi 22 août 2013 - numéro 49
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commises par des mineurs et que l’opinion de la communauté internationale appelait le respect et confirmait la solution retenue. De même en2003, la Cour, en s’appuyant notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, invalida une loi texane qui faisait en toutes circonstances de l’homosexualité un crime. Ces solutions ont cependant été vivement critiquées dans les milieux conservateurs et le Congrès alla même jusqu’à voter une résolution interdisant en principe aux tribunaux de fonder leurs décisions sur le droit de pays étrangers ou sur le droit international. Quoiqu’il en soit de la valeur constitutionnelle de cette résolution, les Tribunaux américains, comme les Tribunaux européens sont nécessairement amenés à appliquer les multiples conventions internationales auxquelles leur pays est partie. Ainsi la Cour suprême a constaté que les conventions de Genève étaient applicables aux prisonniers de Guantanamo. Mais l’application des traités peut bien évidemment donner lieu à des difficultés sérieuses dont l’affaire Medellin offre une illustration éclatante. Cette affaire sera la dernière que j’évoquerai, mais je ne peux manquer de le faire, car vous y avez développé une opinion d’une grande portée et elle est très sensible à mon cœur, puisqu’elle porte sur l’exécution par les Etats-Unis d’un jugement de la Cour internationale de Justice auquel j’ai participé. L’Allemagne et le Mexique s’étaient en effet plaints devant la Cour internationale de la méconnaissance par les Etats-Unis des dispositions de la convention de Vienne sur les relations consulaires. Celle-ci fait obligation aux Etats parties d’informer les étrangers arrêtés sur leur territoire du droit dont ils disposent d’entrer en contact avec leur consul. Cette obligation n’avait pas été respectés par les Etats Unis dans le cas de 51 ressortissants mexicains condamnés à mort sans avoir pu en temps utile bénéficier de la protection consulaire. La Cour internationale de Justice avait en 2004 constaté cette violation, puis, à l’unanimité, prescrit aux Etats Unis « par les moyens de leur choix, d’assurer le réexamen et la révision des verdicts de culpabilité et de la peine »des intéressés. A la suite de ce jugement le président Georges Bush adressa un mémorandum à l’Attorney General lui précisant que les Tribunaux des Etats fédérés étaient dans l’obligation de donner effet au jugement de la Cour de La Haye. En exécution de ce jugement et conformément au mémorandum du Président, la situation des
condamnés fut réexaminée tantôt par ces Tribunaux, tantôt par les Gouverneurs agissant dans l’exercice de leur droit de grâce. La cour suprême du Texas s’y refusa cependant dans l’affaire Medellin et son jugement fut déferré à la Cour suprême. Par une majorité de 5 voix contre 4, la Cour estima que l’arrêt de la Cour internationale et le mémorandum du président ne s’imposaient ni aux Etats-Unis, ni au Texas et rejeta le recours. L’opinion des Juges minoritaires fut rédigée par vos soins. Vous y relevez que, selon la constitution américaine « Treaties shall be the supreme law of the land », les traités sont la loi suprême de la nation. Vous rappelez que, selon la jurisprudence de la Cour, cette clause doit être interprétée comme donnant aux traités une valeur inférieure à la constitution et les plaçant sur un pied d’égalité avec les lois fédérales. Vous relevez que, selon cette même jurisprudence, un traité ne peut être invoqué devant les Tribunaux que si le Congrès a adopté les lois nécessaires à son application ou si ses dispositions sont suffisamment précises pour pouvoir être appliquées en l’absence d’intervention du législateur, c’est-à-dire pour user du jargon des juristes, si elles sont auto-exécutoires. Vous estimez qu’il en est bien ainsi des dispositions de la convention de Vienne invoquées, puis, à la lumière de la Charte des Nations Unies et du statut
de la Cour internationale de Justice, vous précisez qu’il en est de même du jugement de cette dernière. Vous notez qu’en arrivant à une conclusion différente, la majorité de la Cour n’a pas été fidèle à sa jurisprudence et qu’elle a méconnu le droit applicable. Vous ajoutez que du fait de cette décision et de cette seule décision, la nation américaine aura manqué à la parole donnée, alors que le Président avait cherché à en assurer le respect et que rien n’indiquait que le Congrès ait été d’un avis différent. Cette opinion me parait refléter votre philosophie juridique de manière particulièrement nette. Elle traduit tout d’abord une véritable audace, car la solution que vous préconisiez en ce qui concerne la portée du jugement de la Cour internationale de Justice n’allait pas de soi. Mais l’audace est nécessaire pour faire progresser le droit, comme elle est nécessaire pour faire progresser les nations. Dans un contexte différent, vous le faisiez observer un jour à notre confrère, l’ambassadeur Jean David Levitte, en vous étonnant que le pays de d’Artagan et de Napoléon ait inscrit dans sa constitution le principe de précaution et non le principe d’audace. En l’espèce, dans votre opinion, vous manifestiez hardiment votre souci de contribuer au progrès du droit et de la Justice internationale, encore bien fragiles dans un monde dominé par les intérêts des agents économiques, les passions des hommes et l’égoïsme des Etats. Cette opinion demeure en outre fidèle aux valeurs fondamentales de la constitution américaine, démocratie et liberté. Elle s’appuie en effet sur l’attitude adoptée par le Président et le congrès des Etats-Unis et elle observe qu’au cas particulier étaient en cause les droits individuels des personnes condamnées. Enfin, si elle relève que le jugement de la Cour de La Haye s’imposait au Juge américain, elle ne fait pas de cette obligation une règle générale et absolue. Le monde, disait Paul Valéry, progresse par les extrêmes et dure par les moyens. Le Juge a pour mission de faire durer le monde et parfois de le faire progresser. Vous vous êtes attaché à rechercher les voies par lesquelles ce double objectif peut être atteint. Puisse votre réflexion inspirer les Juges dans votre pays, dans le nôtre et de par le monde et puisse votre entrée dans notre compagnie y contribuer. 2013-597
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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
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Stephen Breyer et François-Henri Briard
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Question prioritaire de constitutionnalité - QPC
Christiane Féral-Schuhl
Les QPC font avancer le droit par Christiane Féral-Schuhl 1. J’ose affirmer que la QPC est sans nul doute l’une des réformes les plus importantes de ces dernières décennies. Elle constitue comme l’a fort justement fait remarquer Jean-Louis Debré, « la principale avancée des droits et des libertés dans notre pays depuis l’abolition de la peine de mort ». Son existence démontre que nous sommes un Etat de droit. Sous certaines conditions, Le citoyen français s’est vu octroyé la faculté de se réapproprier la constitution. 2. Ce succès, C’est à vous, mes chers confrères, Que nous vous le devons. Vous avez adopté cette loi dès son entrée en vigueur. 3. Les secrétaires de la Conférence du Barreau de Paris ont été les premiers à faire poser une QPC. Elles se sont succédé à un rythme soutenu, qu’il s’agisse de l’insalubrité du dépôt, de la garde à vue, du respect des droits de la défense. 4. Je rappellerai brièvement que : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». 5. Ainsi, cette réforme comporte trois aspects : ● Tout justiciable peut désormais soutenir devant le Juge qu'une disposition législative applicable au litige porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; ● Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont
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compétence pour décider si le Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question ; ● Le Conseil constitutionnel a le pouvoir de trancher la question et, le cas échéant, d'abroger la disposition législative jugée contraire à la Constitution. 6. Dès lors : Cette réforme est l’occasion d’étendre le champ d’intervention des Avocats. Elle les invite, en effet, à s’interroger, dans chaque dossier, sur l’éventuelle contrariété entre les dispositions législatives en cause et le bloc de constitutionnalité. 7. Depuis mars 2010 : ● 516 décisions ont été rendues par le Conseil d’Etat, ● 1208 par la Cour de cassation, ● 255 par le Conseil constitutionnel. Enfin : ● S’agissant du Conseil d’Etat, les QPC représentent 39 % des décisions rendues depuis 1959. 8. Ces chiffres sont édifiants ! Ils démontrent que notre Barreau est dynamique. Un Barreau qui a le regard tourné vers l’avenir ! Tous les types de normes ont été contestés. Quelle bonne nouvelle pour notre démocratie. 9. Je veux que chaque Avocat ait le réflexe QPC, que chacun d’entre nous puisse penser qu’une QPC est un moyen de faire avancer le droit. 10. Aujourd’hui, cela fait 3 ans que la QPC existe. Quel bilan pouvons-nous en dresser ? Y-a-t-il des améliorations à apporter ? 11. Oui, le Bilan est positif et nous nous en réjouissons ● La QPC a été comprise et adoptée partout et par tous : Avocats, Juges judiciaires et administratifs,, ● Le traitement de la procédure est rapide, ● La QPC renforce la protection des droits et des libertés, sans pour autant remettre en cause la sécurité juridique, ● Ce bon fonctionnement procédural a permis au Conseil constitutionnel de remplir la nouvelle fonction qui lui a été confié, ● La QPC renforce le Parlement, et, à travers lui, la représentation nationale au sein d’un Etat de droit ● Un dialogue constructif s’est instauré entre les juridictions. Conformément à l’objectif recherché, la Constitution est ainsi effectivement entre les mains des justiciables et elle est appliquée, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, par tous les Juges. 12. Permettez-moi néanmoins d’attirer votre attention sur trois points qui méritent réflexion et qui pourraient être débattus au cours de cet après-midi : ● Premièrement, il n’est pas contestable que les Avocats sont bénéficiaires de cette réforme. Cependant, ne pourrions-nous pas envisager que les Avocats à la Cour qui soulèvent des QPC devant les Tribunaux soient habilités à présenter des observations devant le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation ? Ils peuvent le faire devant le
Conseil constitutionnel, pourquoi ne pourraientils pas le faire à toutes les étapes de la QPC ? ● Deuxièmement, le filtrage opéré par la Cour de Cassation est jugé encore trop étroit par nos praticiens. Il conviendrait de sensibiliser davantage les conseillers de la Cour de Cassation aux questions prioritaires de constitutionnalité afin qu’ils puissent davantage prendre en compte les préoccupations de nos justiciables. ● Troisièmement, malgré les très grandes avancées opérées par les centaines de QPC qui ont été déposées, la violation de certains principes constitutionnels perdure encore, trois ans après la création de la QPC. C’est le cas en matière de fiscalité où il existe encore trop de textes réglementaires relatifs à l’impôt édictés en totale contradiction avec le principe constitutionnel selon lequel l’impôt tire sa source de la loi. Cette inflation de textes est nuisible à notre démocratie. Une réflexion doit être menée à ce sujet afin que ce domaine relève exclusivement de la compétence du législateur. Je vous laisse méditer sur ces sujets et vous souhaite à tous un excellent après-midi.
Robert Badinter
QPC : originalité et perspectives par Robert Badinter i la QPC a suscité un intérêt très vif dans le monde judiciaire, et donc une pratique importante, sa spécialité, son originalité, sa complexité ont suscité un intérêt tout aussi vif dans la doctrine et les cercles universitaires. D’où un foisonnement d’ouvrages, articles, chroniques et notes de jurisprudence, colloques… consacrés à la QPC. J’ai donc le sentiment que tout a été dit et redit excellemment à propos de la QPC par les meilleurs esprits. S’agissant de ma contribution, comment trouver un angle original pour traiter de la QPC ? A dire
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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
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3ème anniversaire. Assemblée Nationale, Paris - 5 avril 2013
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Le lointain passé fut caractérisé par une hostilité profonde, culturellement enracinée, des parlementaires français au contrôle de constitutionnalité des lois. Le dogme républicain de la souveraineté populaire s’exprimant dans les élections et de la volonté générale s’incarnant dans le Parlement élu a classiquement fondé le refus du contrôle par des Juges de l’œuvre législative du Parlement, et la dénonciation du « Gouvernement des Juges». Tocqueville seul avait analysé le renforcement de l’Etat de droit par la Cour suprême, mais les parlementaires des 4 Républiques successives refusaient le principe même du contrôle constitutionnel. Il a fallu attendre la Vème et la défiance de son fondateur à l’égard du Parlement pour que naisse le Conseil constitutionnel. Toutes les précautions étaient prises pour que le Conseil constitutionnel soit le bras armé du Gouvernement pour interdire au Parlement de s’affranchir des limites- étroites- fixées par la Constitution. On connaît les progrès successifs réalisés depuis : par le Conseil lui-même avec l’inclusion de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et du Préambule de la Constitution de 1946 au bloc de constitutionnalité (décision de 1971); par le constituant ensuite avec l’ouverture de la saisine du Conseil aux parlementaires en 1974, transformant l’institution en une juridiction constitutionnelle produisant un corpus de décisions. Mais le Conseil lui-même, comme le Parlement, était toujours réticent à en tirer les conséquences : la procédure utilisée devant le Conseil, sui generis, s’écartait à dessein des principes judiciaires, pas de parties, pas de débat public donc de contradictoire. C’est pourquoi, à mon arrivée au Conseil constitutionnel, je n’ai eu de cesse de poursuivre l’objectif d’un Conseil devenu juridiction constitutionnelle, à l’instar de bien d’autres sur le continent américain mais aussi européen. Mais toutes mes tentatives pour cette transformation se heurtaient à une résistance ou réticence culturelle profonde des parlementaires, qui n’aimaient pas le Conseil même s’ils le saisissaient régulièrement. Ils refusaient d’envisager tout contrôle de constitutionnalité à posteriori et concret, c’est-àdire l’exception d’inconstitutionnalité. Je rêvais pourtant de celle-ci comme moyen décisif de « juridictionnaliser » le Conseil constitutionnel. Le Bicentenaire de la Révolution française me fournit une occasion de saisir l’opinion publique, et surtout de convaincre François Mitterrand, par tempérament parlementaire et très réticent à l’égard du Conseil, qui accepta de proposer la réforme parce qu’il était convaincu que le Sénat la bloquerait… Au Palais Royal, pendant l’été 1989 nous avons mis au point, avec le Premier Président Drai et le Vice-Président Marceau-Long, une procédure complexe de filtre judiciaire pour limiter les procédures soumises au Conseil et pour imprégner la Justice judiciaire et administrative de culture constitutionnelle. Puis la prophétie du Président Mitterrand se réalisa, le Sénat dénaturant à un point tel le projet de révision constitutionnelle soumis par le gouvernement en juin 1990 qu’il fallut abandonner la procédure de révision et attendre des jours meilleurs…
Deux décennies ! Rien de moins pour que soit enfin mis en œuvre sous la forme de la Question Prioritaire de Constitutionnalité, le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois. Que de temps perdu ! Mais comment ne pas se réjouir de cette conversion du Parlement : de l’hostilité à l’acceptation puis au renforcement du contrôle de la constitutionnalité des lois. Rendons grâce aux auteurs de la loi organique – et aussi au Président Jean-Louis Debré et au Secrétaire général Marc Guillaume. Leur conviction et leur énergie ont permis de mettre en place une procédure nouvelle au Conseil constitutionnel, qui respecte les principes du procès équitable et s’avère un modèle pour la procédure de contrôle de constitutionnalité a priori. Constatons aussi, pour en féliciter les magistrats, qu’après quelques difficultés initiales à la Cour de cassation – excessivement grossies à mon sens- la mise en œuvre de la procédure de filtre et de renvoi fonctionne de façon satisfaisante. Et surtout, le bilan de la jurisprudence dans le domaine des libertés de la QPC est déjà impressionnant : pensons par exemple à la garde à vue ou à l’hospitalisation d’office. Quelles perspectives de succès de la QPC ouvrentelles pour l’avenir du Conseil constitutionnel ? J’ai déjà évoqué l’influence que la procédure juridictionnelle de la QPC exercera sur la procédure du contrôle a priori. D’autres modifications me paraissent dans un proche avenir souhaitables voire inévitables- que commande le caractère juridictionnel du Conseil renforcé par la QPC. D’abord la disparition au sein du Conseil constitutionnel des membres de droit, anciens Présidents de la République. Tout a été dit sur cette bizarrerie française que seule l’histoire explique. Rien ne justifie que les anciens Présidents soient membres à vie d’une institution de nature juridictionnelle, bénéficiant d’un statut spécial, dès lors qu’ils jouissent à présent d’une confortable retraite que la République leur refusait avant 1958. A cet égard, le récent projet de loi constitutionnelle déposé au Parlement va dans ce sens, mais excepte de cette disposition les anciens Présidents de la République déjà membres à vie. Je conçois le désir de se montrer élégant à l’égard de ses prédécesseurs. Mais rien ne justifie en raison cette disposition. Ni le niveau des retraites et avantages assurés aux anciens Présidents de la République, ni la nécessité de conserver un régime exceptionnel à des membres de droit qui ne tombent sous le coup d’aucune obligation de réserve ou de discipline qui s’imposent aux autres membres. Rien de surcroît n’empêcherait un ancien Président de la République d’être nommé membre du Conseil constitutionnel, - si les autorités de nomination le jugent bon- et de devenir ainsi membre du Conseil, comme tous les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. L’exception française est à cet égard mal venue. Enfin, il convient d’en finir avec la dénomination déceptive de « Conseil » constitutionnel : le Conseil ne donne pas de conseils, comme il l’a rappelé – contrairement au Conseil d’Etat qui assure cette fonction auprès du gouvernement. Il rend des décisions de justice ayant autorité de la chose jugée. Et puisqu’il est une juridiction, qu’il prenne l’exacte dénomination de « Cour constitutionnelle ». Le Sénat, à ma demande, avait voté en 2008 un amendement en ce sens. L’Assemblée, à la demande du gouvernement, avait refusé. Je ne vois pas d’avantage à cette dénomination, adoptée en 1958,
à une époque où nul n’envisageait l’évolution radicale du Conseil et sa transformation en juridiction. Il faut là aussi mettre les pendules à l’heure, à celle d’une justice constitutionnelle. Ainsi lentement, mais irrésistiblement, la transformation du Conseil constitutionnel en instance juridictionnelle de contrôle de la constitutionnalité des lois se poursuit. La mise en œuvre de la QPC marque un moment essentiel de cette évolution. En soumettant la procédure du contrôle a priori aux principes du procès contradictoire, en supprimant la catégorie extravagante des anciens Présidents de la République membres à vie et en adoptant une dénomination de « Cour constitutionnelle » conforme à la réalité, le long cheminement sera pour l’essentiel achevé. Et la Cour constitutionnelle aura toute sa place au sein des Institutions de la République, à l’instar des autres juridictions constitutionnelles en Europe, pour le plus grand bien de l’Etat de droit en France.
Christian Charrière-Bournazel
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vrai, je n’en vois qu’un : élargir le champ de vision au maximum et remettre la QPC en perspective dans l’histoire mouvementée du Conseil constitutionnel : comment elle est née mais aussi quelles perspectives d’avenir pour le Conseil constitutionnel avec la QPC.
Contrôle par le citoyen de ses représentants élus par Christian Charrière-Bournazel e Professeur Denys de Béchillon, qui anime notre table ronde, a défini un jour la Constitution comme « le pôle véritable de la transcendance juridique». C'est le mérite du législateur que d'avoir permis le recours de tout citoyen au Conseil constitutionnel afin de lui demander si la loi qu'on lui oppose est conforme à notre Constitution. En réalité, l'Ordre supérieur du droit qu'il appartient au Conseil constitutionnel de faire prévaloir sur la loi contingente, c'est celui de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Les principes fondateurs qui y sont énoncés ont ensuite été repris et développés dans la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950. Si la France n'est pas toujours la patrie des droits de l'homme, du moins est-elle la patrie des Déclarations des droits de l'homme comme l'a souligné fort opportunément Robert Badinter.
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Vie du droit l'ancienne chambre des requêtes de la Cour de cassation ou à la Commission d'admission des recours à la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Qu'il me soit permis de dire au Président JeanLouis Debré et au Secrétaire général, Marc Guillaume, la gratitude du Barreau français pour l'accueil que le Conseil constitutionnel leur a réservé et la considération qu'il leur manifeste ostensiblement, là où d'autres juridictions croient devoir garder pour elles-mêmes l'estime qu'elles leur portent. Grâce à la question prioritaire de constitutionnalité, se renforce le socle des droits et des libertés rendant toujours plus assuré le triomphe de l'ordre du droit sur le désordre des forces.
Montesquieu déplorait l'empilement de lois inutiles affaiblissant les lois nécessaires: le Conseil constitutionnel est fondé à constater qu'une loi contre laquelle naguère il n'avait pas formulé de grief pouvait devenir inconstitutionnelle, combiné à des textes qui lui étaient postérieurs ou à des pratiques qui la dénaturaient. Ainsi va notre vie temporelle: la loi n'est qu'un moment de la conscience collective. Les valeurs essentielles et les droits fondamentaux ne peuvent en aucune façon céder aux caprices du temps. Cette Cour constitutionnelle que devient notre Conseil prend soin, en même temps, de ne pas étendre sa compétence au-delà de ce qui est possible : par un arrêt du 4 avril dernier, le Conseil constitutionnel a décidé d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sous la forme d'une question préjudicielle avant de se déterminer. De même, les sages de la rue de Montpensier savent et disent qu'un recours contre une de leurs décisions pourrait être un jour introduit devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg... On ne peut méconnaître, en même temps, le problème qu'induit cette modestie: lorsque le Conseil juge qu'une loi est anticonstitutionnelle, donc illégitime, puisqu'illégale, il laisse cependant le temps au parlement d'en voter une nouvelle. Il en résulte un véritable inconfort intellectuel : entre la décision de juillet 2010 déclarant inconstitutionnelles les gardes à vue à la française et le mois de juillet 2011, date butoir que le Conseil avait laissé au parlement pour adopter une nouvelle loi, se trouvait ainsi tolérée l'illégalité de pratiques qui n'avaient plus de fondement juridique en attendant que le parlement réglemente autrement la garde à vue. Cette tolérance à une situation juridique contraire aux droits fondamentaux est le signe du respect que le Conseil veut garder à l'égard des législateurs auxquels il ne veut pas se substituer, tout en laissant perdurer des comportements qu'il vient de juger contraires à la Constitution. Il lui faudra, un jour ou l'autre, résoudre ce paradoxe. De même, faudra-t-il dans l'avenir s'interroger sur le filtre que constituent la juridiction du premier degré, puis, ensuite, la Cour de cassation ou le Conseil d'État. Il est difficile pour une juridiction d'admettre comme pertinente la question posée à propos d'une loi dont sa propre jurisprudence a explicité la portée et, à plusieurs reprises, validé le bien-fondé. L'idéal serait une Chambre des requêtes au sein même du Conseil constitutionnel semblable à
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Cette réaffirmation sans cesse sollicitée de la prééminence des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés sur la loi toujours temporaire, constitue une très remarquable avancée. La question prioritaire de constitutionnalité permet en permanence le contrôle par le citoyen de ses représentants élus. Comme l'a rappelé le Président Bartelone, ils n'ont pas juridiquement raison sous prétexte qu'ils sont politiquement majoritaires. Désormais, Antigone l'emporte sur Créon grâce au Juge constitutionnel qui, s'il n'a pas pour vocation d'en appeler à la loi des dieux, a pour rôle de rappeler que toute loi qui porterait atteinte aux droits et libertés fondamentaux serait illégitime. La question prioritaire de constitutionnalité a également le mérite de permettre dans un temps qui n'est plus le temps politique de faire s'interposer un Juge entre le citoyen et son représentant.
Jean-Louis Debré
Le contrôle juridictionnel de la loi par Jean-Louis Debré n premier lieu je voudrais insister avec vous sur les considérables progrès qu’a permis la QPC dans la protection des droits et libertés. Il faut dire ici avec force que cette réforme a permis une vague de progrès de l’État de droit sans précédent dans notre pays depuis des dizaines d’années. Ce mouvement a concerné toutes les branches du droit et de très nombreuses dispositions, générales ou ponctuelles. Ainsi, en trois ans, le Conseil a rendu 102 décisions de non-conformité totale ou partielle ou de censure parmi ses 255 décisions QPC. Ce sont donc 102 dispositions législatives qui ont cessé de produire leurs effets contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit. Parmi ces 102 décisions, je ne veux prendre avec vous que deux types d’illustration. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a eu à connaître des deux principaux régimes juridiques de privation de liberté, celui de la garde à vue et celui de l’hospitalisation sans consentement. Ces deux régimes concernent respectivement des centaines de milliers et des dizaines de milliers de
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personnes chaque année. Le Conseil constitutionnel a censuré ces deux régimes de privation de liberté par ses décisions du 30 juillet 2010 et 26 novembre 2010. Il ne s’est bien sûr pas substitué au législateur pour définir le nouveau régime, j’y reviendrai, mais a imposé que le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, soit replacé au cœur de ces dispositifs et que l’avocat y trouve également sa place. En second lieu, je voudrais prendre comme illustration, non plus ces deux régimes de privation de liberté, mais les très nombreuses autres QPC de droit pénal ou de procédure pénale. En effet le Conseil constitutionnel a eu à connaître, en trois ans, d’une quarantaine de QPC dans ces matières. Il a prononcé plus d’une vingtaine de censures et de réserves. Pour vous faire percevoir la variété des progrès réalisés, je veux citer certaines des censures opérées qui ont porté sur : ● le pourvoi en cassation de la partie civile ; ● l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires de garde à vue et des confrontations des personnes mises en cause en matière criminelle ; ● la désignation de l’avocat dans le cadre d’une garde à vue en matière de terrorisme ; ● la définition des crimes et délits incestueux ; ● la rétention douanière….. Parmi les dispositions dont le Conseil a assuré la conformité aux droits et libertés grâce à des réserves, je voudrais citer : ● le recueil des déclarations des prévenus à l’occasion de la notification de la mise en œuvre de l’action publique ; ● la communication de l’avis du Juge d’instruction et des réquisitions du ministère public lors d’une demande au Juge des Libertés et de la Détention de mise en liberté ; ● l’exécution du mandat d’amener et du mandat d’arrêt ; ● la procédure relative au « petit dépôt ». Toutes ces décisions d’annulation ou de réserve ont visé à faire respecter les principes constitutionnels qui encadrent le droit pénal et la procédure pénale : la légalité des délits et des peines ; la compétence de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ; les droits de la défense ; la procédure juste et équitable ; l’indépendance et l’impartialité des juridictions ; le principe du contradictoire ; la nécessité et l’individualisation des peines ; le droit à un recours juridictionnel effectif… Cette quarantaine de décisions de QPC en matière pénale et de procédure pénale marque un formidable progrès des droits et libertés dans notre pays. Elle souligne la force de la protection constitutionnelle de ces droits qui conduit à la disparition erga omnes de la norme censurée. Je ne reviens pas avec vous sur toutes les autres décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur des QPC en matière de droit de l’environnement, de droit fiscal, de santé publique, de droit des pensions…. Leur variété souligne le succès de la QPC que nos concitoyens se sont appropriée en très peu de temps. Pour conclure sur cette première partie, je veux seulement relever que les progrès réalisés en trois ans ont été très au-delà de ceux qu’avait permis jusqu’à présent le contrôle de conventionnalité. Le Conseil constitutionnel a ainsi été amené à censurer plusieurs dispositions préalablement jugées compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme. Il en a été ainsi dans de nombreux cas, par exemple pour la cristallisation
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Vie du droit
J’en viens au deuxième temps de mon propos sur le renforcement de la démocratie parlementaire. Chacun sait ici que le contrôle juridictionnel de la loi ne s’est pas développé en France de manière naturelle. D’une part, c’est dû à des raisons historiques et philosophiques. Nous sommes le pays de Rousseau et de Carré de Malberg. Il nous a fallu sans doute un effort plus grand que dans d’autres démocraties occidentales pour renoncer à l’idée que la loi ne saurait mal faire. D’autre part, la France, mal préparée par ce contexte historique et philosophique, a également mal abordé le contrôle juridictionnel de la loi. Elle n’a pas mis en place un contrôle de constitutionnalité de la loi promulguée et a laissé se développer un contrôle de conventionnalité. Or les défauts de ce dernier ont rendu plus difficile l’acclimatation du contrôle juridictionnel de la loi dans une claire séparation des rôles entre le Juge et le législateur. Le contrôle de conventionnalité emporte des effets limités puisque la loi est seulement écartée dans un cas d’espèce et non abrogée erga omnes. En outre, il produit des effets immédiats sans laisser le cas échéant le temps au Parlement de voter une nouvelle loi. En ce sens, il brouille la répartition pourtant claire entre le Juge et le législateur. Seul le Parlement a en effet le pouvoir d’édicter la loi. Tel ne peut être le cas ni du Juge administratif ou du juge judiciaire qui est la bouche de la loi ordinaire ou du Conseil constitutionnel qui est celle de la Constitution. Avec la QPC, le constituant a défini des règles sages aux articles 61-1 et 62 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel peut abroger une disposition sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution mais, respectueux des prérogatives du Parlement, il peut décider, sur le fondement de son article 62, de reporter cette abrogation dans le temps. Le législateur peut alors, dans l’intervalle, remédier à l’inconstitutionnalité censurée. Ainsi, peuvent être conciliées la séparation des pouvoirs et la sécurité juridique, soit autant de garanties d’un État de droit que la procédure de QPC est venue renforcer. Le Conseil constitutionnel a utilisé cette faculté constitutionnelle pour différentes décisions de non-conformité. Il en a été ainsi pour la « décristallisation » des pensions des anciens combattants, la garde à vue, la retenue douanière ou encore l’attribution des noms de domaine sur internet. Toutes ces décisions nécessitaient une nouvelle intervention du législateur. À la suite de la censure du Conseil constitutionnel, il peut en effet appartenir au Parlement de faire des choix. Par exemple, de décider du niveau de « décristallisation » dans le respect du principe d’égalité. Ou de fixer de nouvelles règles de la garde à vue dans le respect des exigences constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel exprime cette répartition des rôles par des formules aujourd’hui bien connues : ● D’un côté, la loi « n’e xprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution » ; ● D’un autre côté, la Constitution « ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que
celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ». Au total, la QPC est la démonstration qu’une réforme bien conçue permet de combiner le nécessaire contrôle de la loi par le Conseil constitutionnel et le renforcement de la démocratie parlementaire. Dans le troisième et dernier temps de mon propos, je voudrais insister avec vous sur le nécessaire dialogue des juges qui doit accompagner la QPC. Ce dialogue doit s’organiser autour des choix opérés par le constituant. D’une part, celui-ci n’a pas fait du Conseil constitutionnel une cour suprême au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation. D’autre part, il a voulu la priorité de la QPC, que la Cour de Luxembourg a ultérieurement jugée conforme au droit de l’Union européenne. Cette priorité conduit le Conseil constitutionnel à juger, sur renvoi du Conseil d’État et de la Cour de cassation, de la conformité de la loi à la Constitution. Chaque décision du Conseil constitutionnel est prise en examinant les jurisprudences européennes et notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces droits et libertés garantis par la Constitution et ceux garantis par la Convention sont aujourd’hui proches. Les deux textes englobent à peu près les mêmes droits fondamentaux. Cette proximité très grande des droits et libertés constitutionnels et conventionnels a des conséquences. Bien sûr, si le Conseil constitutionnel censure la loi pour inconstitutionnalité, la question de la conventionnalité ne se pose plus devant le juge administratif et judiciaire. En revanche si le Conseil la juge conforme à la Constitution, cette décision comme la prise en compte de la jurisprudence de la CEDH doivent créer une présomption de conventionnalité. Seuls de très sérieux motifs peuvent conduire à envisager de les renverser pour opposer protections constitutionnelle et conventionnelle. Cette logique est celle qui a guidé la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de la protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne. Dans son arrêt Bosphorus de 2005, elle a posé une présomption de protection équivalente. Cette orientation permet une harmonie dans les rapports de système. Il doit en être de même en France. Cette question est, à mes yeux, beaucoup plus importante que celle des péripéties qu’a pu connaître depuis trois ans la QPC. Bien sûr, il est possible que certaines QPC ne soient pas arrivées jusqu’au Conseil constitutionnel alors qu’il eut sans doute été souhaitable que ce dernier se prononce sur la conformité à la Constitution des dispositions législatives contestées. Bien sûr, on ne peut que noter des difficultés depuis un an dans l’examen de certaines QPC. Il en va notamment ainsi en matière correctionnelle devant les juridictions du fond. Mais ces points sont à mes yeux secondaires au regard de celui que j’aborde ici avec vous. Vous savez que la plupart des pays d’Europe ont réuni dans les mains de leur Cour constitutionnelle les contrôles de conventionnalité et de constitutionnalité. Le constituant français a fait le choix de dissocier ces contrôles. Une telle dissociation ne peut fonctionner qu’à deux conditions.
D’une part le Conseil constitutionnel ne peut exercer son contrôle de constitutionnalité sans prendre en compte les rapports entre ordres juridiques. Il s’est engagé avec résolution sur cette voie en 2004 avec sa jurisprudence dite « économie numérique » sur l’exigence constitutionnelle de transposition des directives. Il vient de donner hier une preuve supplémentaire et éclatante de sa volonté de dialogue des Juges. Il a en effet saisi la Cour de Justice de l’Union européenne, dans le cadre de son office de Juge constitutionnel, d’une question préjudicielle portant sur la décision-cadre instituant le mandat d’arrêt européen. D’autre part, le choix de la dissociation des contrôles impose qu’une fois la constitutionnalité de la loi jugée par le Conseil, cette loi bénéficie d’une très solide présomption de conventionnalité. Ni nos concitoyens, ni le Parlement ne pourraient admettre l’insécurité juridique qui verrait des juges différents et successifs avoir des appréciations divergentes sur des principes fondamentaux analogues. Si tel était le cas, se poserait la question de l’organisation de la dissociation des contrôles. J’avais déjà évoqué cette question en 2007 lors de mon audition devant le comité Balladur. Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Président de la Commission des lois, Je vous remercie de l’occasion que vous m’avez fournie de vous dire combien la QPC a permis de considérables progrès des droits et libertés tout en renforçant la démocratie parlementaire. La QPC doit aussi s’accompagner d’un nécessaire dialogue des Juges. Le Conseil constitutionnel vient de souligner qu’il prend toute sa part dans ce dialogue. 2013-598
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des pensions, l’inéligibilité instituée par l’article L. 7 du Code électoral, le pourvoi en cassation de la partie civile ou encore la cession gratuite de terrain.
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Chronique
Un regard sur la crise institutionnelle du Conseil National des Barreaux (CNB) Début mai 2013, l’actualité au Barreau est renversante : la transparence de la vie publique, l’action de groupe, la taxe fiscale sur le chiffre d’affaires pour la contribution à l’aide juridictionnelle… Dans ce contexte difficile pour la profession d’avocats, le CNB est soudainement frappé d'une crise institutionnelle sans précédent, à l’occasion des travaux sur la réforme de la gouvernance.
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Nathalie Kerdrebez
D.R.
ACTE I e 21 mai 2013, le Barreau de Paris rompt ses relations avec le CNB, en dénonçant la méthodologie de travail, les dysfonctionnements de la gouvernance, l’absence d’unité et de volonté commune des différentes composantes de l’institution nationale, qui « rendent impossible à notre profession d’occuper toute sa place dans le monde de concurrence auquel nous sommes confrontés ». Le 22 mai 2013, le Président du CNB interroge publiquement le Barreau de Paris sur l’objectif politique réellement visé, en exprimant sa crainte de « comprendre qu'en réalité, hors la réforme proposée par le rapport Castelain, le conseil de l'Ordre de Paris a l'intention de ne s'associer à aucune réflexion sur l'avenir de l'organisation professionnelle ». Dans sa réponse du 24 mai, le Barreau de Paris exprime sa profonde inquiétude sur la gouvernance actuelle du CNB, accueille avec satisfaction le principe d’un référendum pour solliciter les avocats de France sur la réforme de la gouvernance. Le Barreau de Paris exprime également un vœu au sujet de « la création d’une commission mixte qui sera chargée de recenser et de préparer les propositions que le CNB soumettra au vote des 55 000 avocats de France, sur la composition de laquelle nous sommes tout à fait ouverts dès lors qu’elle intègre les acteurs principaux de la profession (ordres et syndicats) ainsi que des personnalités spécialement qualifiées sur le sujet de la gouvernance institutionnelle ». Dans l'esprit d'un confrère pragmatique, cet échange épistolaire semble révéler la volonté ferme (1) du Barreau de Paris de rompre avec le passé sur au moins deux points : la méthodologie de travail au sein du CNB et les dysfonctionnements du CNB. Sur la méthodologie, la proposition concrète du Barreau de Paris apparaît pertinente. La composition de la commission souhaitée n'exclurait aucune composante de la profession, et favoriserait une réflexion plus exhaustive grâce au regard de personnalités extérieures qualifiées; ainsi le fruit de sa réflexion serait un outil de travail précieux pour le CNB lors des débats sur la réforme de la gouvernance en assemblée générale. Sur les dysfonctionnements du CNB, la position du Barreau de Paris semble être une expression réaliste d'un constat d'échec du CNB dont la voix est de plus en plus inaudible dans la vie publique et incomprise au sein des barreaux. Il est intéressant de rappeler l'intervention de Madame le Bâtonnier du Barreau de Paris, lors de la présentation de la première note de synthèse provisoire du bureau du CNB à l'assemblée générale des 16 et 17 novembre 2012 : « …si le barreau de Paris s'est déjà prononcé à
deux reprises, il le fera de nouveau sur un document à l'élaboration duquel elle n'a pas participé en raison de son agenda et de la rapidité avec laquelle les choses se sont déroulées. Il faut intégrer dans le document les causes des dysfonctionnements constatés et qu'il ne faut pas reproduire. Construire la nouvelle gouvernance que tous appellent de leurs vœux nécessite du temps et de la réflexion. » Il semblerait que le CNB ait déjà été alerté sur le problème de la méthodologie et des dysfonctionnements courant 2012. Cette analyse est certes silencieuse sur les enjeux politiques, mais elle n'en demeure moins vraisemblable d'un point de vue pragmatique. ACTE II Si la réponse du Barreau de Paris peut rassurer un confrère pragmatique, elle ne suffira pas à apaiser les esprits au sein du CNB. Le 24 mai 2013, l’assemblée générale du CNB commence par la lecture d’une motion des organisations syndicales répondant à la proposition du Barreau de Paris en ces termes : « L’assemblée générale du Conseil national des barreaux a pris connaissance avec stupéfaction de la décision brutale de Madame le Bâtonnier de Paris de suspendre la participation du collège ordinal parisien aux travaux du Conseil national. Cette décision regrettable et contestable n’entrave en rien le fonctionnement du Conseil national des barreaux qui poursuit naturellement l’ensemble de ses travaux. Concernant la réforme de la gouvernance, ce comportement démontre qu’en aucun cas
l’institution nationale ne peut reposer sur la seule représentation ordinale. Le Conseil national des barreaux, par sa composition et sa représentativité, est la seule institution légitime à mener la réforme de la gouvernance de la profession, mission qui ne saurait être confiée à une commission externe. Le Conseil national des barreaux est résolu à aboutir à une réforme répondant à l’intérêt général et préservant l’unité de la profession. » Cette motion est adoptée dans des circonstances singulières: les élus du collège ordinal Province ont décidé de ne pas prendre part au vote, le président s’est abstenu. Pour essayer de comprendre la situation, il faut malheureusement prendre en considération les luttes de pouvoir au sein de notre profession. Il existe deux rapports de force très anciens entre d'une part Paris/Province et d'autre part Ordres/Syndicats, qui semblent omniprésents dans l'esprit des élus au CNB. En l'absence des élus parisiens, le collège général a voté une motion qui va au-delà d'une simple réponse à la sortie du Barreau de Paris. A la lecture de cette motion, une première pierre dans l'édifice de la future gouvernance est posée: la composition de l'institution nationale ne pourra être exclusivement ordinale. Il s'agit d'une garantie pour le devenir des syndicats dans la réforme de la gouvernance. L'adoption de cette motion a très vraisemblablement été rendue possible en raison des affrontements anciens entre Paris/Province et Ordres/Syndicats. Dans un climat de crise institutionnelle, le CNB
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Chronique a pris une position sur une question importante prévue dans la discussion sur le projet de réforme de la gouvernance. Est-ce que cela signifie que la question relative à la composition de l'institution nationale ne sera pas soumise à l'avis des bâtonniers, ni à l'avis des 55 000 avocats de France par référendum ? ACTE III Le 10 juillet 2013 est diffusé le communiqué de presse commun du Président du CNB et du Bâtonnier de Paris, annonçant le retour des élus parisiens au sein du Conseil et la mise en place d’une commission. Les membres de la commission sont nommés précisément; il s'agit des anciens présidents du CNB, du Président du CNB, des deux vices présidents de droit, du vice-président de la Conférence des Bâtonniers et du Bâtonnier désigné du Barreau de Paris. La mission de la commission est de définir les méthodes de travail pour conduire le projet de réforme sur la gouvernance et auditionner les différents acteurs de la profession et des personnalités de la société civile. Un regard pragmatique constatera la fin du conflit entre le Barreau de Paris et le CNB, avec le concours des personnalités qui ont accepté d'intégrer la commission annoncée. Un regard politique constatera également la fin de la crise institutionnelle et remarquera l'absence des syndicats au sein de la commission. ACTE IV Le 11 juillet 2013, les membres du bureau dénonce le communiqué commun qui « tend, s'agissant de la gouvernance de notre profession, à dessaisir le Conseil national des barreaux au profit d'une commission de travail qui ne peut tirer aucune légitimité de sa désignation. » Dans des termes forts et répétés, le Président du CNB est accusé de ne pas avoir respecté le mandat donné par l’assemblée générale au bureau pour « dégager un certain nombre de propositions pour ladite réforme (PV des 14 - 15 mai 2012) ».(2) Ce coup de théâtre est un mystère pour un esprit pragmatique. Quelles que soient les divergences politiques, il apparaît urgent que le CNB occupe toute la place dans la vie publique pour affronter notamment des projets de réforme, lourds de conséquences pour la profession. La forme choisie par le bureau pour partager sa désapprobation (diffusion sur le site ouvert du CNB) semble inopportune voire disproportionnée. Mais le plus surprenant est l'argumentation choisie. Il est difficilement envisageable sur un plan juridique qu'une commission de travail puisse dessaisir le CNB de ses attributions légales, et avoir un pouvoir «surnaturel» de lier la liberté de pensée, d'expression et de vote des 82 élus qui siègent au Conseil. La crainte exprimée par les membres du bureau semble irrationnelle. Mais, la lecture de l'intégralité des procèsverbaux de l'année 2012 donne un sens politique à la réaction du bureau: l’assemblée générale du CNB n’a pris aucune décision sur un mandat au profit du bureau pour mener la réforme de la gouvernance. Lors de l’assemblée générale des 4 et 5 mai 2012, le Président du CNB ouvre le forum sur
l’organisation professionnelle en exposant la méthodologie dans les termes suivants : « …Le bureau du Conseil national effectuera une synthèse de ce forum pour dégager un certain nombre de propositions qui seront ensuite débattues lors de l’a ssemblée générale des 6 et 7 juillet 2012. L’ensemble des réflexions sera alors mis à la disposition de la profession afin de recueillir les réactions auprès des bâtonniers et des syndicats ou associations… » Le bureau a donc été chargé par le président de réaliser une note de synthèse sur l'organisation professionnelle; cette mission ne peut être confondue avec un mandat voté par l'assemblée générale du CNB. La réaction du bureau apparaît comme étant une réponse exclusivement politique à un communiqué qui annonçait la fin de la crise institutionnelle. Cette réaction est inquiétante; elle laisse présumer qu'à l'intérieur du CNB, la fragilité de l'institution nationale serait utile à certains, et que l'adage « la fin justifie les moyens » serait un usage compatible avec notre déontologie. ACTE V Le 12 juillet 2013, le Président du CNB dément les accusations émises par le Bureau, prend acte de la position de ce dernier et exprime sa décision de ne plus exercer ses fonctions. L’enchaînement des actions politiques menées durant la crise institutionnelle a abouti à la démission du Président Charriere-Bournazel. C'est un constat d'échec pour les avocats: notre représentation nationale est affaiblie dangereusement, dans un contexte de réformes législatives agressives à l'égard de notre profession. Mais un échec ne mène pas inéluctablement à la défaite. La tâche qui attend nos élus à la rentrée est grande ; il ne suffira pas d’élire un nouveau président. L’élection d’un nouveau bureau est nécessaire ; le mandat imaginaire ne peut demeurer sans réponse. La prise de conscience des causes de l’échec est incontournable et ne devra en omettre aucune. Le rapport de force entre Ordres/Syndicats et Paris/Province, omniprésent dans l’esprit de nos élus, prend en otage les avocats de France, la défense de leurs intérêts est secondaire. L’application à géométrie variable du règlement intérieur du CNB et l’interprétation parfois fantaisiste des règles régissant notre profession concourent également aux dysfonctionnements de l’institution. Il ne suffira pas de mener à terme la réforme de la gouvernance, il faudra que l’ambition de nos élus soit commune à tous les avocats de France, et non l’expression d’une lutte de pouvoir. Et la mobilisation générale des avocats de France sera essentielle. C’est au prix de ces efforts communs que notre représentation nationale pourrait devenir forte, efficace et respectée. 2013-599 Nathalie Kerdrebez
(1) Les lettres des 21 et 24 mai 2013 sont signées par Christiane Féral-Schuhl, Jean Castelain et Pierre-Olivier Sur (2) Erreur matérielle dans la lettre du bureau, l’assemblée générale s’est tenue le 4 et 5 mai 2012.
Agenda
UNIVERSITÉ D’ÉTÉ DU MEDEF
« Crise : du danger à l’opportunité » Du 28 au 30 août 2013 Campus HEC Paris 1, rue de la Libération 78350 JOUY-EN-JOSAS Renseignements : 01 53 59 17 32 presse@medef.fr
2013-600
RENTRÉE JUDICIAIRE DU BARREAU DE QUÉBEC
Colloque Québec-Versailles Le 13 septembre 2013 Palais de justice de Québec 300, boulevard Jean-Lesage, bureau RC-21 Québec (Québec) G1K 8K6 Renseignements : 418 529-0301 2013-601 www.barreaudequebec.ca
CONFÉDERATION NATIONALE DES AVOCATS
2ème Semestre du Forum de la Confédération Nationale des Avocats Le 13 septembre 2013 Campus de la Nive 8, allée des Platanes 64100 BAYONNE Renseignements : 01 43 54 65 48 cna-anased@wanadoo.fr
2013-602
ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JEUNES AVOCATS - AIJA
51ème congrès Du 17 au 21 septembre 2013 Hôtel Hilton Avenue Macacha Guemes 351 BUENOS AIRES - ARGENTINE Renseignements : 01 45 02 38 38 taballea@artuswise.com
2013-603
AGENCE FH CONSEIL
3ème Salon Virtuel des Franchises Les 21 et 22 octobre 2013 Internet : un salon 100% on line Préinscriptions gratuite sur le site Renseignements : 09 67 05 51 67 salondelafranchisevirtuel.com
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REVUE EXPERTS
« Le secret et son partage » Symposium le 24 octobre 2013 Maison du Barreau 2/4, rue de Harlay 75001 PARIS Renseignements : 01 42 60 52 52 symposiums@revue-experts.com
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Décoration
Ordre national du Mérite 50ème anniversaire. Hôtel de Salm, Paris - 13 juillet 2013 Le musée de la Légion d’Honneur salue le cinquantenaire de l’ordre national du Mérite dans une exposition présentée du 14 juillet 2013 au 26 janvier 2014. De Gaulle et le Mérite, création d’un ordre républicain dévoile les coulisses de la fondation du second Ordre National, pilier d’une large réforme du système de décorations françaises voulue par le Général dans une France en pleine modernisation.
Encourager le civisme par François Hollande ’est un jour important que de célébrer un anniversaire la veille d’un 14 juillet. Ce n’est pas n’importe quel anniversaire puisque c’est le 50ème de l’Ordre nationale du mérite. Le 14 juillet est le jour qui est dédié au service de la patrie et ce sera l’état d’esprit de nos soldats lorsqu’ils défileront demain. Le 14 juillet est aussi un jour qui consacre l’engagement. L’engagement peut être militaire, il peut – et même, il doit – être aussi civil. C’est le sens de la célébration du 50ème anniversaire de votre ordre.
l’œuvre maitresse de l’exposition, c’est-à-dire la maquette en plâtre de la statue du Général de Gaulle qui se situe sur les Champs-Elysées. Françoise Branca qui a mis à la disposition du musée les archives de Max Leognany, son père, dessinateur de la décoration du mérite. L’Ordre national a donc 50 ans et lorsque le Général de Gaulle en fait le choix et décide de sa création, il souhaite à travers cette distinction, consolider l’unité nationale cinq ans après la fondation de la Vème République. Il veut également créer une forme d’adhésion à l’esprit de la République mais aussi de la patrie. Comme la Légion d’honneur quand elle fut fondée par Bonaparte, l’ordre de la Libération lorsqu’il fut créé après la tourmente de la guerre
D.R. / Les bons faiseurs
C
Le mérite national est l’un des plus beaux symboles du dévouement, en tout cas il le récompense. L’exposition qui m’a été présentée – et j’en félicite les organisateurs, en l’o ccurrence l’organisatrice – illustre la jeunesse de cet ordre et la volonté de deux hommes – vous les avez rappelés mon Général – deux généraux aussi. C’est-à-dire d’abord le Général Catroux qui a eu cette volonté déjà exprimée sous la IVème République, mais un régime finissant ne pouvait pas avoir la capacité de décider, et ensuite qui convainc le Général de Gaulle qui lui-même en décide. Je veux également rendre hommage à deux autres personnalités. Jean Cardot qui a prêté
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Décoration et de l’o ccupation, le mérite – lui – devait insuffler une nouvelle énergie au régime qui se mettait en place et donc, à la Vème République. Le Général de Gaulle a fixé les objectifs suivants à l’ordre national du Mérite : - le premier était de donner des exemples à la nation, c’est-à-dire des visages aux valeurs de la République. L’Ordre national devait être conçu comme une forme d’émulation. Ses récipiendaires, dont le nombre – vous l’avez rappelé – s’élève à plus de 306 000 depuis la création, devaient donner l’image de ce que représente l’esprit civique de notre pays. Le mérite national encourageait les citoyens à donner le meilleur d’eux-mêmes, quels que fussent les services qu’ils avaient pu rendre. - le deuxième objectif assigné à l’ordre national du Mérite était de s’imposer comme une reconnaissance de la France dans toutes ses dimensions ; c’est-à-dire de représenter les forces vives du pays à commencer par la parité, même si elle a mis du temps avant de s’établir, convenons-en. J’y suis donc particulièrement attentif et s’il avait fallu néanmoins plus d’un demi-siècle à la Légion d’Honneur pour accueillir une femme, la première en la personne de Marie-Angélique Duchemin, grand nom de la Révolution française – je rappelle que les femmes étaient présentes dès la première promotion du mérite et je salue ici la mémoire de la pianiste Marguerite Long qui fut donc la première citoyenne française à accéder en 1965 à la dignité de Grand-Croix dans un Ordre national. Diversité, donc, des générations aussi. Dans la dernière promotion, le plus jeune récipiendaire avait 31 ans. C’était le champion de handball Michaël Guigou. Le plus âgé – comme quoi l’ordre permet de laisser espérer jusqu’à la fin même de l’existence – 94 ans, Emile Reinbolt, ancien combattant et responsable associatif. Je souhaite que cette diversité se retrouve dans les promotions, que les forces de la jeunesse soient davantage reconnues et mieux honorées. C’est la jurisprudence qui a fixé la règle de 15 ans de service pour pouvoir être distingué par l’ordre national du Mérite. Je souhaite que nous revenions à la lettre du Code -j’en fais donc la proposition au Conseil- qui impose 10 ans de service. Cela ne va pas être un abaissement du niveau mais au contraire
une stimulation pour les jeunes générations à pouvoir prétendre à un ordre national. Je ne parle pas simplement des sportifs qui sont souvent ceux auxquels on pense pour une distinction à un âge précoce, je pense aussi à toutes celles et à tous ceux qui servent à un moment la France et dont la valeur n’attend pas le nombre des années. La diversité, c’est aussi celle des activités professionnelles qui ont toutes leur importance, leur dignité, leur histoire. C’est l’occasion de saluer les meilleurs ouvriers de France qui nous ont préparé – je pense – la collation qui nous attend et dont beaucoup sont membres de l’Ordre national. Je sais Monsieur le grand Chancelier que vous êtes également leur Président d’honneur, comme s’il y avait un forme de cohérence dans les activités. Diversité enfin, dans les conditions sociales ; c’est-à-dire dans les origines. L’ordre national du Mérite est une distinction, mais une distinction n’est pas une hiérarchie, n’est pas une séparation. Cela doit être une véritable égalité dans l'accès à l’honneur, à la reconnaissance, à la récompense. Tous nos concitoyens, quels que soit leur place dans la société, doivent pouvoir penser qu’à un moment elle peut les récompenser par un acte de bravoure, par un acte de générosité. Je pense à cet instant à la tragédie de Brétignysur-Orge et où – au-delà de ce qu’ont fait les services de secours, ce qu’ont pu faire immédiatement les médecins, les infirmières qui se sont projetés immédiatement sur les lieux, de ce qu’ont pu faire les cheminots – il y a eu aussi des femmes et des hommes qui sont venus prêter leur concours, porter assistance, être utiles sans qu’il leur soit demandé quoi que ce soit, sans qu’ils soient venus chercher quoi que ce soit. Ce sont aussi ces actes là qu’il convient de saluer. C’est le rôle de l’ordre national du Mérite que de pouvoir distinguer, c’est-à-dire aller chercher ceux qui n’ont rien demandé et qui a un moment ont donné, ont eu le sens du sacrifice, tout simplement de la solidarité. Ce que j’appelle plutôt la fraternité. Votre ordre doit être aussi celui de la République dans toutes ses dimensions. L’Ordre national du mérité a trouvé sa juste place – ce n’était pas facile – à côté de l’ordre
qui paraissait plus prestigieux, la Légion d’honneur, permettant à celle-ci – et c’était l’objectif du Général de Gaulle – de réduire ses effectifs et de conserver tout son prestige d’être la première distinction nationale. La Légion d’honneur, l’ordre national du Mérite participent au même objectif : être une source d’exemplarité pour celles et ceux qui accompagnent les récipiendaires, les ont suivis dans leur parcours et peuvent les trouver chaque fois sur leur route comme des modèles. Comme Président de la République, j’ai eu l’occasion de remettre à plusieurs reprises les insignes de l’ordre national du Mérite à des militaires, à des civils. A chaque fois, lorsque j’é voque le parcours des récipiendaires, je mesure ce que signifient, ce qu’exigent des existences dévouées au progrès, au rayonnement de notre pays, au service des autres. A chaque fois je vois sur les visages, lorsque sont rappelés un certain nombre d’actes qui ont fondé une vie, l’émotion d’être reconnu à un moment par la République devant les proches, devant la famille. Ce moment irremplaçable où tous se retrouvent derrière celui qui est ainsi distingué. C’est une fierté pour celui ou celle qui reçoit cette récompense, c’est une fierté pour la famille, c’est une fierté aussi pour l’ensemble de la communauté nationale. Ce ruban bleu qui a été choisi par le Général de Gaulle – j’en ai eu ici confirmation en lisant les textes officiels – réunit le passé et l’avenir. Il est un trait d’union entre tous ceux qui ont déjà été reconnus pour leur mérite et d’autres qui attendent de recevoir cette distinction. Ce ruban bleu qui demain se déploiera sur la Place de la Concorde, porté par des jeunes engagés dans le service civique, est un beau symbole. Ce service civique qui connait un succès – sans qu’il soit d’ailleurs possible d’y répondre autant que nous le voudrions, tant il y a de demandes et tant les contraintes budgétaires nous empêchent de leur faire à chaque fois le meilleur accueil – est aussi un service qui mérite d’être reconnu et distingué. Voilà pourquoi il était important qu’il porte le ruban bleu. Mesdames et Messieurs, je veux saluer ce que vous faites pour cet ordre, saluer tous ceux qui en ont été membres et qui le sont encore. Vive l’ordre national du Mérite. Vive la République et vive la France.
Création de l’ordre national du Mérite
modernise tout d’abord sa réglementation : c’est la publication en 1962 du Code de la Légion d’Honneur qui impose notamment un seuil maximum de 125 000 légionnaires vivants. Il institue ensuite un second Ordre national, l’ordre national du Mérite destiné à récompenser les mérites distingués de citoyens ne présentant pas toutes les qualifications requises pour la Légion d’Honneur*, notamment la durée de service qui est ici moindre (15 ans contre 20). Dans le même temps, la plupart des Ordres spécialisés (13 ordres ministériels et les trois ordres de la France d’Outre-mer) sont supprimés. Seuls sont conservés les Palmes académiques, le Mérite agricole, le Mérite maritime et les Arts et lettres, en raison de leur ancienneté et de leur caractère propre, selon l’appréciation du Général de Gaulle. En se substituant partiellement aux
ordres disparus, l’ordre national du Mérite permet d’harmoniser le système des décorations françaises. Parachèvement de la réforme entamée avec la publication du Code en 1962, il vient seconder la Légion d’Honneur et facilite en outre l’attribution d’une décoration nationale aux étrangers. Une échelle des récompenses se met ainsi en place, conforme à l’idée que le Général Catroux expose au Président de la République en octobre 1963 : (…) la hiérarchie des mérites doit être respectée et se traduire dans la hiérarchie des distinctions (…) La Légion d’Honneur étant le privilège des mérites de haute qualité, le Mérite de France futur ordre national du Mérite doit être celui des mérites distingués (…) des décorations distinctes doivent récompenser les mérites modestes.
’ordre national du Mérite a été créé le 3 décembre 1963 par le Général de Gaulle, à l’initiative du Général Catroux alors grand Chancelier. C’est l’aboutissement d’un plan d’ensemble de revalorisation des décorations françaises. Cette réforme a été entreprise au vu de la multiplication des récompenses sous les IIIe et IVe Républiques et de leur hétérogénéité, mais surtout face au constat de l’inflation des décorés de la Légion d’Honneur. Au début des années 1960, l’Ordre compte en effet près de 320 000 membres après avoir accompagné les conflits des cinq décennies précédentes. Pour défendre la valeur de la plus haute distinction française, le Général de Gaulle
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* décret du 3 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite.
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Décoration
lève à l’Ecole des beaux-arts d’Henri Bouchard (sculpture) et d’Henry Dropsy (gravure en médailles), Max Léognany (1913-1994) obtient un grand prix de Rome de médaille en 1945. Employé dans un atelier de joaillerie, il allie sculpture, gravure et création de bijoux. Il réalise de multiples projets: épées d’académiciens, bijoux et nombreux insignes d’ordres français et étrangers. L’artiste est très tôt impliqué dans la création des insignes du Mérite. Soucieux du moindre détail, il multiplie les esquisses de travail avant de fixer, par une gouache lumineuse, le projet définitif pour la Monnaie de Paris en 1963. Les insignes sont codifiés dans le décret du 3 décembre 1963 portant création d’un ordre national du Mérite, article 25 : La décoration du Mérite est une étoile à six branches doubles émaillées de bleu, surmontée d’une bélière formée de feuilles de chêne entrecroisées. Le centre de
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l’é toile est entouré de feuilles de laurier entrecroisées; l’avers présente l’e ffigie de la République avec cet exergue: «République française» et le revers deux drapeaux tricolores avec l’inscription : « ordre national du Mérite » et la date « 3 décembre 1963 ». 2013-606
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Max Léognany, créateur des insignes
Chiffres clefs Nombre de membres de l’ordre national du Mérite : environ 187.000 (80 % sont chevaliers) 304 000 personnes ont été distinguées dans l’ordre national du Mérite depuis sa création le 3 décembre 1963. Nombre de personnes décorées chaque année : environ 4 600, 2 600 à titre civil réparties en deux promotions paritaires hommes-femmes publiées en mai et novembre ; 2 000 à titre militaire, également réparties en deux promotions publiées en mai et novembre mais à des dates distinctes des promotions civiles. Age moyen d’entrée dans l’ordre national du Mérite pour un civil : on devient chevalier de l’ordre national du Mérite à 54 ans en moyenne. Nombre de dossiers ajournés au Conseil de l’Ordre : le Conseil de l’Ordre ajourne chaque année environ 14 % de dossiers, notamment pour des raisons de mérites insuffisants.
Au fil des pages ’ouvrage retrace étape après étape la création du second ordre national français conçu comme le pilier de la réforme du système de récompenses mis en chantier par la grande Chancellerie de la Légion d’Honneur avec l’appui du Général de Gaulle. Sur la base de documents originaux et inédits sont racontées la genèse du projet, sa mise en œuvre, ainsi que l’élaboration minutieuse des textes définitifs établis en étroite collaboration avec la Présidence de la République et Matignon. Le rôle primordial du Général de Gaulle et son implication personnelle dans le projet et la rédaction des textes fondateurs sont particulièrement mis en lumière. Une étude sociologique comparée de la première promotion et de la plus récente permet de dessiner le visage sociétal de l’Ordre et de comprendre son rôle et ses spécificités. ce
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livre est également l’occasion d’étudier l’ensemble des Ordres spécialisés existants sous la IVe République et de déterminer comment fut définitivement fixé leur sort à la naissance du nouvel ordre national. La création de l’insigne fait en outre l’objet d’une étude complète des premiers projets à leur modification de dernière minute, ainsi que les techniques de fabrication et les différents types de décorations qui peuvent aujourd’hui être déjà collectionnés. Les auteurs : ouvrage collectif sous la direction d’Anne de Chefdebien, conservateur du musée, assistée de Nicolas Botta-Kouznetzoff. L’ouvrage : édité par HM éditions, avec le soutien de la société des amis du Musée de la Légion d’Honneur et de la Fondation de Gaulle. 112 pages, 15 euros
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Société
Une stratégie pour la France Palais de l’Elysée, séminaire de réflexion stratégique - 19 août 2013
Les grands défis de la France à l’horizon 2023 par François Hollande ’est la vocation du pouvoir politique que de définir une stratégie nationale, dans le même temps où il prend en charge les problèmes du quotidien.
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Quels sont les grands défis que notre pays doit relever d’ici dix ans ? J’en vois trois. 1. Le premier est celui de notre souveraineté. D’abord notre souveraineté politique, diplomatique, militaire. Non pour des arguments de puissance, de domination ou de contrôle. Mais pour promouvoir le message, les valeurs et les intérêts de la France. C’est le choix que nous avons fait avec la loi de programmation militaire. C’est le sens de notre présence partout dans le monde. C’est l’enjeu de la francophonie. Mais la souveraineté, elle est surtout budgétaire, économique, industrielle, agricole, énergétique. Nous ne pèserons sur les orientations de l’Europe et la régulation mondiale que si nous retrouvons une compétitivité élevée, un niveau de dette publique soutenable et une moindre dépendance énergétique. Cette souveraineté n’est pas un repli, un enfermement. Elle s’inscrit dans nos choix
Porter une ambition pour l’avenir de la France par Jean-Marc Ayrault enser la France dans dix ans, c’est poser les problèmes qui se posent en 2013 et, donc, c’est travailler aux solutions pour les résoudre. Je vous ai parlé de la France dans dix ans. Lors de la première conférence sociale, nous avons créé un Commissariat général qui s’inspire de ce qu’était, après la Seconde Guerre mondiale, où la France justement se projetait dans l’avenir, se reconstruisait, le Commissariat Général au Plan. C’est maintenant le Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective, dirigé par Jean Pisani-Ferry. Nous avons décidé à la fin de ce séminaire de confier au Commissariat Général à la Stratégie la rédaction d’un projet pour la France pour les dix ans qui viennent et qui portera sur toutes les grandes questions qui se posent, notamment les cinq enjeux essentiels : le premier concerne l’avenir de notre modèle de production. La mondialisation, c’est un fait, elle ne nous fait pas peur à condition de ne pas subir. Quelle organisation de notre production
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européens et dans notre ouverture au monde. L’Europe a besoin d’une France forte. Et le monde, d’une France influente. 2. Le second est celui de notre excellence. L’excellence c’est de pouvoir élever le niveau de la France dans la mondialisation par l’innovation, la spécialisation et l’adaptation aux besoins de l’économie de demain et notamment des classes moyennes des pays émergents. C’est d’être un pays de premier rang. Mais nous avons deux choix à faire : élever la part de l’industrie dans la production nationale et amplifier les gisements de l’économie de services. Ils ne sont pas contradictoires. Sans industrie forte, l’équilibre de nos échanges ne peut être retrouvé. Sans le développement des services, il ne peut y avoir de création d’emplois. L’excellence, c’est de rendre plus efficace et plus juste notre système de protection sociale et d’organisation territoriale. L’excellence, c’est aussi une France capable d’être en avance dans les domaines de la recherche, de la connaissance et de la culture. L’excellence, c’est d’être un pays où l’exigence environnementale assure sobriété énergétique, performance économique et solidarité territoriale. 3. Enfin, le troisième défi est celui de notre unité. Unité des générations face à l’avenir des retraites et la priorité à l’emploi. Unité des catégories sociales face à la lutte contre les inégalités et aux exigences de la solidarité. Unité des modes de
vie et des cultures face à la communautarisation, à la fragmentation, à l’individualisme. Si nous voulons prévenir les risques du déclassement et de la désintégration, nous devons porter des politiques de cohésion et des projets qui rassemblent le pays tout entier.
industrielle ? Quelle avant-garde technologique devons-nous choisir ? Le deuxième enjeu, c’est la réforme de notre modèle social, qui nous a permis d’amortir plus que d’autres les crises que nous avons traversées, mais, en même temps, ce modèle social peut connaître des difficultés, il peut connaître des problèmes de financement, il faut donc le renouveler sans pour autant le détruire, avec un objectif qui est la meilleure lutte contre les formes d’inégalités nouvelles, le développement de nouvelles solidarités avec le vieillissement de la population et puis aussi le refus des inégalités croissantes de revenus. Le troisième, c’est le modèle de croissance et de financement, qui doit être durable : à la fois lutte contre les déficits mais aussi un pays qui se projette dans l’avenir avec force, qui est capable d’assumer le défi de la transition écologique, du respect de la biodiversité, celui de la construction de vie dans lequel le vivre ensemble et la qualité de vie, de la modalité, avec des services publics accessibles, seront au rendez-vous. Donc, c’est une croissance soutenable, un nouveau modèle qu’il nous faut préparer. Le quatrième enjeu, ce sont les mutations de la société française. Nous sommes très attachés
au modèle républicain, le modèle républicain du vivre ensemble, le modèle républicain de l’intégration. Force est de constater que, parfois, ce modèle est à la peine, que, parfois, le modèle d’intégration est en difficulté. Faut-il pour autant abandonner nos valeurs, nos principes, la laïcité ? Non ! Mais il faut répondre à la question de cette nouvelle donne liée à l’époque dans laquelle nous sommes avec clairvoyance, c’est donc le quatrième enjeu de ce projet. Et puis, le dernier, c’est le projet européen. François Mitterrand avait dit : la France est notre patrie, l’Europe est notre avenir. Eh bien, cette ambition avait convaincu, elle avait même convaincu les Français au moment du référendum de Maastricht qui avaient approuvé par un « oui » à cette nouvelle étape de la construction européenne. Mais l’Europe a ensuite abandonné son ambition. Son projet n’est plus lisible, n’est plus rassurant, n’est plus convaincant. En 2005, il y a eu ce rejet au référendum sur la constitution de l’Europe. Le projet européen qui protège, le projet européen qui permet aux nations européennes de jouer leur rôle avec confiance dans la mondialisation doit être repris et la France, pays fondateur, prendra ses responsabilités pour de nouvelles initiatives. 2013-608
Une stratégie à dix ans pourrait s’articuler autour de cinq objectifs. 1. Utiliser pleinement notre avantage démographique. 2. Gagner la bataille de la mondialisation. 3. Réussir la transition énergétique et écologique. 4. Faire de notre territoire un levier de développement. 5. Inclure tous les citoyens dans la République. Notre réunion d’aujourd’hui est la première étape d’un processus qui se poursuivra, sous la responsabilité du Commissariat général, jusqu’à la fin de l’année et fera une large place à la consultation. Il commence avec le travail introductif de Jean Pisani-Ferry et le rapport de Anne Lauvergeon. Il se conclura avec l’adoption par le Gouvernement de « la stratégie pour la France ». « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire », nous a enseigné Bergson. Bref, l’enjeu c’est de ne pas subir mais de choisir. C’est le sens de la démarche engagée aujourd’hui.
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Vie du droit
Interruption de la prescription acquisitive d’une peine par des actes d’exécution* Communiqués du Ministère de la Justice 12 AOÛT 2013 ’ensemble des 37 cours d’appel ont achevé l’examen des condamnations. Ainsi, sur un total de 3 499 condamnations, 22 personnes ont été remises en liberté, ce qui représente un taux de 0,63% par rapport au nombre total de situations à vérifier. 15 d’entre elles purgeaient des peines inférieures ou égales à 8 mois, 5 inférieures ou égales à 1 an et 2 inférieures ou égales à 3 ans. 19 autres condamnés ont été maintenus sous écrou pour purger d’autres peines d’emprisonnement. Les personnes libérées avaient été condamnées pour des délits : faits de violences par conjoint, vol aggravé, abus de confiance, falsification de chèque et usage de chèque falsifié, conduite en état alcoolique, vol avec violence, recel, extorsion avec violence, vol en réunion, faux et usage de fausses plaques, menace ou acte d’intimidation, trafic de stupéfiant, usage de stupéfiants, refus de se soumettre aux vérifications relatives à l’état alcoolique, refus de se soumettre aux prises
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d’empreintes digitales et de photographies, conduite sans permis, transport d’arme de sixième catégorie, exécution d’un travail dissimulé, dégradation légère commise en réunion. La Garde des Sceaux remercie l’ensemble des personnels, magistrats et fonctionnaires de Justice, qui se sont rapidement mobilisés pour effectuer ce travail de vérification et souligne leur engagement au service de la Justice et des justiciables. 14 AOÛT 2013 onformément à l’engagement de la Garde des sceaux, le ministère de la Justice communique un point de situation des vérifications déjà effectuées. Sur 37 cours d’appel, 34 ont achevé l’examen des condamnations. Ainsi, sur un total de 3.499 condamnations susceptibles d’entrer dans le champ des décisions de la Cour de cassation, 3.313 ont été examinées (94,7% du nombre total de condamnations à vérifier).
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20 personnes ont été remises en liberté, ce qui représente un taux de 0,60% par rapport au nombre de situations effectivement vérifiées. 15 d’entre elles purgeaient des peines inférieures ou égales à 8 mois, 4 inférieures ou égales à 1 an et 1 égale à 3 ans. 17 autres condamnés ont été maintenus sous écrou pour purger d’autres peines d’emprisonnement. Les personnes libérées avaient été condamnées pour des délits : faits de violences par conjoint, vol aggravé, abus de confiance, falsification de chèque et usage de chèque falsifié, conduite en état alcoolique, vol avec violence, recel, extorsion avec violence, vol en réunion, faux et usage de fausses plaques, menace ou acte d’intimidation, trafic de stupéfiant, usage de stupéfiants, refus de se soumettre aux vérifications relatives à l’état alcoolique, refus de se soumettre aux prises d’empreintes digitales et de photographies, conduite sans permis, transport d’arme de sixième catégorie. Un nouveau point d’actualisation sera communiqué dès la fin des vérifications. 2013-609 * Voir les Annonces de la Seine numéro 48 du 8 août page 9
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Jacques Vergès nous a quittés 5 mars 1924 - 15 août 2013 e mardi 20 août 2013, il y avait foule dans l’église Saint Thomas d’Aquin de Paris pour assister aux obsèques de Jacques Vergès, Monseigneur Alain de La Morandais, assisté de trois prêtres, a célébré une messe particulièrement émouvante en raison de l’e xceptionnelle personnalité du défunt et de son extraordinaire carrière professionnelle d’avocat. Madame le Bâtonnier de Paris, Christiane Féral-Schuhl, a salué en premier la mémoire de Jacques Vergès, son discours est publié page 32. C’e st ensuite Thierry Lévy qui a rendu un vibrant hommage à son confrère souvent surnommé « l’avocat du diable ». Il a brossé avec une infinie justesse les traits de la personnalité de Jacques Vergès qui avait « l’art de s’engouffrer dans la brèche de l’accusateur avec arrogance et une insupportable vanité ; au-delà de l’enceinte judiciaire, elle cessait d’irriter car elle devenait joyeuse en prenant la forme d’un renouveau du savoir ». Il a conclu ses propos en le comparant à « un Prince de la Renaissance qui ne s’était pas trompé en choisissant le rituel de l’Eglise pour demander à ses amis de le regarder partir en souriant ». Parmi les personnalités et amis, on a pu relever la présence de deux intimes du défunt : Roland Dumas et Jean-Gaston Moore mais aussi celle de Christian Charrière-Bournazel. Avant la bénédiction, la Marquise Marie-Christine de Solages a prononcé l’é loge de celui qu’e lle aimait en termes particulièrement choisis :
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Avec la disparition de Jacques Vergès, les avocats de France se trouvent privés d’un bel esprit dont l’érudition peu commune l’amenait à considérer que défendre était un art de vivre. Son autorité et sa culture en « imposaient », fidèle à sa patrie il a écrit une page de l’histoire de la vie judiciaire française et marqué son époque tout en suscitant des vocations. Faire résonner bien au-delà de nos frontières les droits de la défense et porter haut les couleurs du droit français était un devoir qu’il s’imposait. Ayant plaidé des causes désespérées, il était un maître pour « retourner les cartes du destin et confronter les crimes les plus abominables aux culpabilités rampantes des sociétés policées » ; dans son dernier ouvrage intitulé : « De mon propre aveu » il écrivait : « loin d’être morne, le soir de ma vie sera un grand soir où l’amour rejoindra l’é vocation d’ombres innombrables et bouleversantes » (Les Annonces de la Seine du 28 février 2013 page 11). Il tenait, de sa culture juridique encyclopédique, une idée très élevée de « la cérémonie judiciaire et de la littérature qui avaient une parenté formelle » (Les Annonces de la Seine du 14 juin 2007 page 2). Doué d’un sens critique rare et fécond, ce travailleur infatigable portait ses convictions avec fierté et sincérité ; il a su incarner, tout au long de ses combats, des valeurs de justice et de progrès. Nous adressons aux membres de sa famille nos condoléances attristées et nous associons à leur douleur. La perte de Jacques Vergès endeuille la famille judiciaire qui conservera très longtemps sa mémoire et continuera de faire vivre son espérance pragmatique et son volontarisme : il a tracé un chemin contre la résignation et pour la liberté. Jean-René Tancrède Les Annonces de la Seine - jeudi 22 août 2013 - numéro 49
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In Memoriam Jacques Vergès aime mettre en lumière, Jacques Vergès est Maître en lumières… par Christiane Féral-Schuhl esdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers Confrères, Jacques Vergès aime mettre en lumière, Jacques Vergès est Maître en lumières… et Jacques Vergès est un récidiviste heureux : il se soustrait à nouveau à nos regards, conservant intacte sa part d'ombre ! Thierry Lévy, notre confrère, va dans un instant prononcer son éloge. En ma qualité de Bâtonnier de Paris, je veux simplement exprimer mes condoléances à sa famille et signifier l'hommage que lui doivent les avocats de son Barreau. Je l'ai vu quand il a donné une pièce qui témoignait de sa trajectoire. C’est dans sa neuvième décennie qu’il avait choisi d’évoquer sa vie en sept jours. Après Serial plaideur, analyse de trois grands procès, 7 jours 7 vies, promenade dans ses souvenirs : chaque jour conçoit une évocation et voit un souvenir apparaître. Il était bon de l’écouter, se laisser porter, le laisser nous emmener dans son for intérieur et rieur. C’était émouvant, intéressant et joyeux, car beaucoup d’événements et de figures connus ou non étaient convoqués. Et à travers les êtres ou les moments décrits on relisait l’histoire de France de l’aprèsguerre à nos jours. L’histoire des idées aussi. L’histoire d’un engagement surtout. Celui d’un avocat acteur engagé dans l’histoire du XXe siècle en marche. Jacques Vergès ou le mystère du cœur des hommes et de ses éclipses.Il s’agissait donc aussi de la chronique d’une vision du monde pétrie d’une distance élégante et souriante. Notre confrère ne boudait jamais le plaisir de prendre un moraliste à son propre jeu et le renvoyer à ses contradictions. N’attendez pas de lui qu’il moque la morale… elle appartient à un monde qu’il connaissait, et ce qu’il en connaissait ne le convainquait pas. Le recours à la vis comica devenait alors stratégie quand la situation devenait farce. Ce n'étaient pas tant la vie ou l’histoire qui animaient cette vue mais les comportements des personnes, des institutions ou des Etats.
L’homme de la plaidoirie de rupture par Pierre-Olivier Sur vez-vous déjà refusé une cause ? - Oui une fois... L'assassin d'un avocat, ancien bâtonnier de Tours. J'ai alors demandé à Benoît Chabert, qui était premier secrétaire de la Conférence (1990), de prendre le dossier à ma place. » Jacques Vergès ne respectait rien, ni personne, sauf les avocats. Impossible pour lui de défendre l'assassin d'un avocat ! Il respectait aussi la jeunesse, c'est-à-dire la liberté. Donc, le souvenir de son père devant renoncer à la carrière de haut fonctionnaire parce qu'il épousait au bout du monde une jeune vietnamienne rencontrée en mission. La culture classique, les vers, le théâtre… et la posture iconoclaste, avec beaucoup de génie et de talent. « La fumée du cigare, disait-il à Carbon de Sèze sur son lit d'hôpital, n'a pas pour seule vertu de faire fuir les moustiques, elle écarte aussi de moi les humanistes ! » Il était l'homme de la plaidoirie de rupture. Non qu'il l'ait inventée – on n’ invente pas le procès de Socrate, le procès du Christ ou le procès de Julien Sorel - mais c'est lui qui l'a théorisée. Ainsi a-t-il été reconnu dans le monde entier. Il n'a pas obtenu la liberté d'Omar Raddad à la barre, mais par une formule assénée dans la salle des pas perdus : « Il y a cent ans, on condamnait un officier car il avait le tort d'être juif, aujourd'hui on condamne un jardinier car il a le tort d'être maghrébin » !
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Adieu Jacques Vergès par Jean-Luc Forget
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A cet instant précis la presse bascule en faveur d'Omar, puis l'Académie, et même la Présidence de la République ... Alors Omar sera libéré ! La justice, elle, se ridiculisera en faisant à Vergès un procès à contre-temps pour sa défense en creux, ce qui lui donnera l'occasion de désigner une cinquantaine d'avocats aux côtés de Luc Brossollet et Grégoire Lafarge. Il restera de sa première comparution un procès-verbal d'anthologie (cf. Légicom, Les renouvellements de la liberté d’expression, mars 2013). Ceux qui aujourd'hui saluent le talent de Vergès, mais regrettent qu'il ait été « trop souvent du mauvais côté », ne comprennent pas son métier car pour un avocat il n'y a pas de bon ou de mauvais côté. Ils dénoncent toutefois à juste titre, certains propos outrageants et impardonnables dans la défense de Barbie. Alors que restera- il ? Lui qui a déjà disparu dans les années 70, sans jamais dire où il est allé, ne nous en dira pas davantage cette fois... Relisons « La stratégie judiciaire », « Beauté du crime », « Le salaud lumineux », et revoyons-le, photographié par Paris-Match dans sa baignoire entre mousse et cigare, ou à genoux dans le confessionnal du Père de La Morandais, pour rechercher ni la vérité, ni les causes du crime, mais ce qui l'attirait plus encore : une certaine idée de la justice en tant qu’expérience esthétique. Ou revoyons-le une dernière fois dans son hôtel particulier de la rue de Vintimille, vous recevant dans un immense bureau dont les rideaux sont déjà tirés. Au mur la tapisserie d'Aubusson, et les bibliothèques avec des livres qui débordent. Face à lui ses derniers clients, venus du bout du monde. Ils sont assis devant lui en arc de cercle. Il ne les écoute pas. Il ne leur parle pas. Juste pour vous, il offre en rythme haletant d'une voix métallique les répliques de sa pièce de théâtre, puis il se lève et va, jusqu'au somptueux échiquier qui est au bout de la pièce, pour jouer. Un dernier coup, contre personne. Il n'a plus d'adversaire. Alors dans un geste très lent et d'une élégance de félin, il tire sur son cigare et soulève la pièce la plus proche du roi : le fou ...
Jacques Vergès n'était pas avare de son talent pour ses confrères : quand une soirée du Barreau fut consacrée à Romain de Sèze, avocat de Louis XVI, il vint évoquer longuement le rôle de l'avocat dans les crises politiques, avec sa maestria et son érudition peu communes. Cet épicurien exigeant était doué de beaucoup de talent et de rigueur personnelle : défendre est un art de vivre. Dans La Bandera, Mac Orlan dresse un portrait transposable à Jacques Vergès : « il glissait entre les doigts les mieux fermés comme un poisson farceur ». Ne cherchons pas à le saisir, laissons-le encore nous charmer.
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acques Vergès était déjà un personnage qui, au-delà des sentiments de sympathie ou de détestation, interpellait au point de faire naître une véritable fascination. Mais, Jacques Vergès, c'était aussi un avocat. Un avocat qui assurait son indépendance jusqu'à la provocation. Un avocat courageux capable de se réfugier dans les secrets et silences. J'ai le souvenir d'avoir plaidé à ses côtés il y a près de 20 ans devant les assises du Tarn. Mais je ne le connaissais pas. Et d'ailleurs qui pourrait se targuer de connaître Jacques Vergès ? Il s'était attaché à construire un personnage hors du commun, un "salaud lumineux" comme il se désignait lui-même dans l'un de ses ouvrages au titre éponyme. Et lorsque l'une de ces personnalités disparaît, on a un sentiment de vide car de tels esprits qui s'évertuent à poser des questions que l'on ne veut pas entendre ou à défendre des causes que l'on aimerait imaginer ne jamais avoir à défendre sont indispensables à l'exercice judiciaire et à la vie démocratique. Jacques Vergès manque déjà. 2013-610
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