LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 22 octobre 2012 - Numéro 64 - 1,15 Euro - 93e année
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Frédéric Dauchez, Pascal Saint-Geniest, Maher Attye, Hugues Delafoy, Matthieu Maurel-Fiorentini et Antoine Lombard
Barreau de Toulouse Séance Solennelle de Rentrée - 12 octobre 2012 RENTRÉE SOLENNELLE
Barreau de Toulouse
2 AGENDA ......................................................................................5 JURISPRUDENCE
Les progrès du droit par Pascal Saint-Geniest.....................................
Droit de suite
Conseil constitutionnel - 8 octobre 2012 Décision n° 2012-276 QPC ...................................................................
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VIE DU DROIT
Union Syndicale des Magistrats - 38ème Congrès à Colmar
2 17 ANNONCES LEGALES ...................................................23 ADJUDICATIONS................................................................30 ILE-DE-FRANCE
Rapport moral par Virginie Duval ........................................................ Entre réforme et pragmatisme par Christophe Régnard.................
Commission Départementale de Coopération Intercommunale (CDCI) des Yvelines..................................32
SUPPLÉMENT
Conférence du Jeune Barreau de Toulouse
rand rassemblement de prestigieuses personnalités des mondes juridique, judiciaire, politique, économique et universitaire accueillies par le Bâtonnier Pascal Saint Geniest dans la Grand’Chambre de la Cour d’Appel toulousaine ce vendredi 12 octobre 2012 à l’o ccasion de la 152ème Rentrée du Barreau de Toulouse. Comme chaque année, les lauréats du concours d’éloquence ont discouru avec talent : Maher Attye et Hugues Delafoy, respectivement 1er et 2ème Secrétaire de la Conférence, ont évoqué successivement « Le temps de l’éloquence » et « Plaidoyer pour elle ». Préalablement aux interventions du Jeune Barreau de Toulouse, le Bâtonnier a évoqué les progrès du droit, les effets des multiples réformes de la justice et a dressé le bilan de l’année écoulée. Abordant le budget 2013 de l’accès au droit, il a déploré sa diminution « réelle de 18 millions d’euros au moins ». Evoquant la situation de concurrence que doit « affronter » le Conseil National des Barreaux
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face au Barreau de Paris et à la Conférence des Bâtonniers, Pascal Saint Geniest déclare : « quand le Barreau de Paris avance trop seul, c’est le Barreau tout entier qui prend le risque du recul », quant aux 160 Ordres de Province qui regroupent la majorité des avocats de France, il ajoute que « le mélange est confus, cacophonique parfois même explosif ». Face à cette situation inquiétante, il précise que la Conférence des Bâtonniers, actuellement présidée par Jean-Luc Forget avocat à Toulouse, s’efforce « avec une foi ardente » d’accorder « cet ensemble hétéroclite » et de réduire les « risques de fracture ». La question d’une représentation professionnelle forte des avocats en France a donc été ainsi clairement posée. L’efficacité des droits de la défense et le secret professionnel ont été également évoqués par Pascal Saint Geniest qui a conclu ses propos en exhortant ses confrères, face aux combats à mener, aux injustices à réparer et aux droits à défendre, « à conquérir les nouveaux marchés ». Jean-René Tancrède
J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne
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Les progrès du droit
Didier Chotard Frédéric Bonaventura
par Pascal Saint-Geniest Commission paritaire : n° 0713 I 83461 I.S.S.N. : 0994-3587 Tirage : 13 704 exemplaires Périodicité : bi-hebdomadaire Impression : M.I.P. 3, rue de l’Atlas - 75019 PARIS
2011
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’était il y a un an : à cette même tribune, dans la péroraison d’un trop long propos, j’avais promis d’évoquer ce soir les progrès du droit en France et dans le monde. Avais-je suffisamment réfléchi à l’ambition d’un tel programme ! L’heure est en tout cas venue, une heure redoutée autant qu’espérée. Car tous les Bâtonniers connaissent le même sort : guettés à chaque phrase par un auditoire sans merci, critiqués avant même d’avoir achevé leur exorde. Mais parce qu’ils tiennent leur légitimité du suffrage universel, ils ont aussi une liberté fragile : celle de la parole. Les événements écoulés et les perspectives qui se profilent m’inspirent évidemment des sentiments mêlés et, pour tout dire, parfois incertains. Loin de moi en effet la certitude absurde de détenir la vérité ; je la sais fuyante. Mais j’ai relu le Bâtonnier Philippe Féral qui, le 6 juin 1838, expliquait que « le droit s’éclaire moins par la méditation que par le débat et il ne grandit que par la discussion et par la liberté ». 174 années plus tard, j’ai donc choisi de ne rien vous taire de mes doutes, ni de mes convictions. L’intense période électorale du printemps écoulé oblige à quelques constats sans complaisance. Les Avocats furent gratifiés de propos prometteurs sur le niveau des rétributions au titre de l’aide juridictionnelle, sur leur accès au dossier pendant la garde à vue, sur la suppression de la contribution pour l’aide juridique et sur l’abrogation du décret « passerelle » du 3 avril 2012…
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Autant de thèmes qui, à des degrés divers, concernent l’accès au droit de nos concitoyens ! La semaine dernière, Madame le Garde des Sceaux s’est adressée aux Avocats ; elle ne l’a pas fait sans habileté - ce qui nous change - et l’examen fut, en la forme, plutôt réussi. Mais notre devoir est d’y regarder de plus près. Certes, il ne reste apparemment que peu de jours aux recalés du suffrage universel pour accéder au barreau sans qu’ils aient à subir un examen de déontologie. Ce n’était pas le plus difficile, mais c’est bien. Le reste, malgré des trésors de séduction, fut mince. On nous avait parlé de maintenant ; nous voici, hélas, ramenés à demain, à peut-être. Jugez plutôt : Le budget 2013 de l’accès au droit, garde à vue comprise, est, non pas en hausse comme, au prix d’un artifice, on ose le prétendre, mais en diminution réelle de 18 millions d’euros au moins. Augmenter la rétribution des Avocats devant la Cour Nationale du Droit d’Asile, ne relève que du symbole et la Chancellerie est loin du compte. L’abolition de la taxe de 35 euros est réduite au rang de rêve ministériel… Après la promesse, il faudra nous contenter de la parole. Et en attendant, l’accès à la justice supportera encore l’octroi. La loyauté enfin, s’est divisée : « Cette taxe n’est pas affectée ! » a clamé et même répété le Ministre, sans égard pour l’article 1635 bis Q du Code Général des Impôts dont le Président du Conseil National des Barreaux venait pourtant de lui relire le texte. Les Ministres changent, on nous dit que notre profession est somptueuse… les Avocats roucoulent, les pigeons décollent et nous cédons sur l’essentiel. Un jour pourtant, lassés, les Avocats sortiront de leur léthargie et naturellement, ils pousseront
Les Annonces de la Seine - lundi 22 octobre 2012 - numéro 64
Rentrée solennelle
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Catherine Saint-Geniest et Paule Aboudaram
Ils regroupent la majorité des Avocats de France. Mais parler de regroupement n’est-il pas abus de langage quand 80 % de ces Barreaux comptent moins de 25 % des Avocats Français ? Les plus grands accueillent plus de mille avocats, les plus petits moins de vingt. Le mélange est confus, cacophonique, parfois même explosif, ce qui garantit la jovialité imaginative à nos rencontres, un peu moins parfois leur pertinence. C’est que les Ordres sont jaloux d’une souveraineté plus textuelle que réelle. Alors, leurs modes d’organisation et leur fonctionnement défient toute velléité de comparaison. 32 000 Avocats y exercent selon 160 modalités distinctes, avec 160 régimes différents de cotisations, de prévoyance, d’assurance… La notion même de mutualisation leur est étrangère, qu’il s’agisse de la documentation, des achats, de l’informatique… Comment s’étonner que certains Bâtonniers, quoiqu’ils s’en défendent, puissent être guettés par l’inquiétude, la méfiance, la résignation ou la nostalgie. La Conférence des Bâtonniers s’efforce - avec une foi ardente à laquelle je dois, Monsieur le Président, rendre hommage - d’accorder cet ensemble hétéroclite et de réduire les risques de fracture. Les années passant, les réalités ont, pourtant, la vie dure. L’un des objectifs confiés voilà vingt ans, au Conseil National des Barreaux était
l’uniformisation de notre déontologie. Mais la mission reste à parfaire puisque si la profession dispose d’un règlement national, chacun sait qu’il fait l’objet d’applications différentes, divergentes même à Paris, à Nanterre, à Douai ou à Toulouse. Ces écarts d’interprétation ne seraient pas si graves s’il existait une autorité suprême capable de garantir finalement la sécurité de notre déontologie ; mais ce pouvoir, parce qu’il est ordinal, échappe au Conseil National des Barreaux. Les français n’aiment pas ce qu’ils voient, constatait déjà Henri IV. Parfois, il me semble que nous ne voyons que ce que nous aimons. « L’Ordre est maître de son tableau » dit la légende, mais n’est-ce pas qu’une illusion ? Nous réfléchissons trois fois, dix fois, cent soixante et une fois peut-être, à tous les sujets, jetant ainsi par les fenêtres notre énergie et nos moyens. Nos extrêmes s’éloignent au point qu’à force de jargon, qui ne va jamais sans snobisme, la communication elle-même s’en trouve brouillée. Bien sûr, modifier un équilibre comporte toujours des risques, mais quel est cet équilibre que nous redoutons de perdre, quand c’est un monde qui sépare les 161 Barreaux Français ? Et puis, pouvons-nous préférer indéfiniment une répartition territoriale plus proche de l’Ancien Régime que du modèle régional européen ?
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des cris d’orfraie, comme si la protestation leur était un assez puissant viatique. En vérité, la médiocrité des résultats tangibles relève, pour notre profession (plus encore si elle accepte de se comparer à d’autres), de l’observation clinique. Et la lucidité nous force à en tirer quelques enseignements. Mal aimé des Avocats, le Conseil National des Barreaux fut une œuvre de compromis ; il a pourtant permis de progresser sous l’influence souvent décisive des personnalités brillantes qui l’ont animé. Sa faiblesse n’est certainement pas humaine, elle est d’abord institutionnelle : Une assemblée générale composée de 82 membres (un nombre pair !) regroupés au sein de multiples groupes d’influence, mais dont aucun ne peut jamais revendiquer la moindre majorité. Un Président, élu à l’unanimité (ce que certains trouveraient suspect), sur son parcours plus que sur un programme, soumis à une suspicion vigilante et dont la légitimité peut vaciller à chaque vote. Les uns s’en accommodent avec bonheur, puisque ce dispositif sauvegarde les apparences de la souveraineté de nos Ordres. D’autres constatent qu’il rappelle les périodes les plus déprimantes de notre histoire politique. A sa constitution fragile, le Conseil National additionne un autre handicap : je veux parler de la situation de concurrence qu’il doit affronter. Le Barreau de Paris, d’abord, dont les atouts sont bien connus, forme un Ordre professionnel cohérent, uni, malgré leurs différences, derrière ses Bâtonniers successifs, conscient de ses appuis politiques et de sa puissance financière, superbement ancré au cœur historique de la France et du pouvoir. Nul, depuis les avatars de la communication électronique, n’ignore cette réalité incontestable. Elle prouve aussi que, tantôt, ce qui est bon pour Paris peut l’être pour la France. Mais quand l’Ordre de Paris avance trop seul, c’est le Barreau tout entier qui prend le risque du recul. Franchissons alors la ceinture de béton du boulevard périphérique : voici les 160 Ordres de province.
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Rentrée solennelle Au contraire, les implantations régionales sont indispensables à la gestion du corps professionnel. Dieu sait pourquoi, mais « Le bûcher des vanités », une phrase de Tom Wolfe, tournent dans ma mémoire : « Un mensonge peut tromper quelqu’un mais il te dit la vérité : tu es faible ». Allons ! Il n’est que temps de nous extraire d’un système sympathique et menacé par l’asphyxie. Le seul remède réside dans notre capacité à faire ce que nous reprochons sans cesse à l’Etat d’être incapable d’accomplir : une action audacieuse, profonde et visionnaire. Un simple toilettage ne réglerait rien et s’y résignerait-il par malheur que le Conseil National manquerait une chance unique et l’organisation de notre profession continuerait à empoisonner notre avenir. Un dernier mot à ceux qui me comprendraient mal : je crois de toutes mes forces à l’ordinalité et je ne suis guidé que par un but : la sauver. Mais, protéger les Ordres, ce n’est pas les réduire à la misère et à l’insignifiance, c’est, avant qu’il n’y ait, pour eux, plus rien à défendre, c’est leur donner les moyens de se renforcer et de faire de la solidarité et de l’égalité professionnelles une réalité concrète et dont le sens serait le même partout. Vivre dans l’espoir d’un progrès n’a jamais interdit l’action. Le Barreau de Toulouse s’est donc efforcé de poursuivre sa marche depuis deux ans. Il serait ridicule et outrecuidant de dresser ici fièrement et sans recul, comme font les imbéciles, un bilan indigeste de l’action conduite. La plupart des réformes ne semblent d’ailleurs considérables que l’espace de quelques instants, puisque le temps, « ce juge incorruptible » et sans pitié, se charge de faire le tri entre l’histoire et l’écume.
Souffrez néanmoins, que je vous livre quelques mots des six cents cinquante derniers jours. L’efficacité de la défense, d’abord. Les Avocats Toulousains qui interviennent dans les commissariats et les gendarmeries ont enfin - c’est la première décision que j’ai prise - le droit (le devoir plutôt) de donner leur nom à celui ou à celle qu’ils sont chargés de défendre. C’était seulement corriger une anomalie d’un autre âge. Désormais, ces Avocats peuvent aussi poursuivre leur mission au-delà de la garde à vue, évitant ainsi à la personne mise en cause, déjà désemparée par la situation où elle se trouve, de rencontrer trois voire quatre Avocats en l’espace de deux jours. La solidarité professionnelle, ensuite, n’est qu’une déclinaison de la confraternité qui nous honore : le Conseil de l'Ordre a donc modifié les bases de calcul de nos cotisations pour substituer au critère poussiéreux de l’ancienneté celui des revenus professionnels. Ce qui nous a permis de dégager, en faveur des avocats frappés d’incapacité, les marges de manœuvre nécessaires pour souscrire enfin à un régime de prévoyance complémentaire, comblant une partie du retard que nous accusions sur nombres de Barreaux Français. Parce que nous sommes jeunes, parce que nous sommes majoritairement féminins, les Avocats Toulousains bénéficient aussi depuis ce printemps d’un contrat chance maternité. Il fallait encore aux Avocats du XXIème siècle une infrastructure adaptée à leur évolution et nous inaugurerons sous peu les nouveaux locaux de l’Ordre à l’issue de plus de dix-huit mois de travaux. Notre activité internationale, enfin, a été prolongée et accrue en direction de tous les continents : L’Europe, évidemment, où nos liens anciens ont été revigorés par les prémisses de la constitution
Paule Aboudaram et Jean-Luc Forget
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Alors, gouverner ou non les Avocats n’est pas la question qui compte. La véritable question est simple : voulons-nous enfin d’une représentation professionnelle forte ? Vous avez entendu quelle était ma réponse. Il reste encore à savoir comment, ce qui n’est pas le plus facile. Les Bâtonniers répètent mécaniquement que partout où se trouve un procureur, il faut aux Avocats un bouclier et donc un Bâtonnier. Les Avocats valent mieux qu’un slogan. Un slogan déconnecté de la réalité quotidienne et qui adosse toujours la profession à l’activité judiciaire qui se réduit sans cesse. Tentons plutôt notre examen critique : élection et dévouement suffisent-ils toujours à conférer la disponibilité, la compétence, le pouvoir et la force que les Bâtonniers doivent à leurs confrères ? Tous les Barreaux cherchent-ils à garantir une égalité de traitement entre tous les Avocats de France ? En ont-ils les moyens ? Les Ordres, boucliers des Avocats, bien sûr, mais ne doivent-ils pas être aussi, d’abord sans doute, une protection pour le public ? Est-il finalement acceptable qu’à tous les échelons, notre dispositif repose autant sur les personnalités de ceux qui les dirigent et si peu sur l’organisation fonctionnelle ? On reparle d’évolutions consenties, mais depuis vingt ans, le droit permet déjà les regroupements de Barreaux de Cour d’Appel, sans qu’aucun Bâtonnier n’ait un jour eu l’audace de le proposer à la châtellenie voisine. Le volontariat est donc un leurre. De grâce, ne vous méprenez pas : parler d’un Ordre National ne consiste pas à condamner le maillage territorial. Un Ordre National ne se mêlerait pas de tout. Il en serait incapable.
Rentrée solennelle d’un réseau des cités européennes du droit. L’Afrique ensuite : après l’inquiétude due à l’arrestation dont mon ami Kassoum Tapo avait été l’objet au printemps dernier, quelle plus belle récompense que la présence ici du Barreau du Mali ; et d’avoir signé avec lui une convention qui permettra aux Avocats Maliens l’accès à l’information juridique Lexbase de leurs confrères Toulousains. Notre jumelage avec le glorieux Barreau de Tunisie trouve aussi sa concrétisation par la réception avant la fin de cette année de plusieurs jeunes Avocats Tunisiens dans nos cabinets Voulez-vous l’Asie ? Avec un secrétaire de la Conférence, je me suis rendu à Izmir au printemps dernier et, aux portes de l’Orient, nous avons pu partager avec les Avocats de Turquie nos expériences respectives. A la même époque, nous avons signé une convention de jumelage avec le Barreau de Tokyo. La dernière mais non la moindre, l’Amérique et nous sommes fiers d’être désormais partenaires du grand Barreau de Montréal, le deuxième barreau Francophone du monde, celui d’une autre capitale de l’aéronautique. Merci, Mesdames et Messieurs, de faire aux représentants des Avocats du Monde qui ont rejoint Toulouse ce soir l’ovation qu’ils méritent. Toutes ces missions, tous ces projets ne sont possibles que parce que la profession d’Avocat a profondément évolué : les quelques notables d’hier ont été remplacés par des Juristes aux fonctions innombrables et aux compétences accrues. Voilà exactement soixante ans, le Bâtonnier Dupeyron exprimait ainsi sa crainte qu’à être chaque année trop nombreux, nous ne finissions par l’être trop, ajoutant que « la masse des Avocats ne saurait être ravalée au rang d’un prolétariat besogneux sans péril grave pour le prestige et la santé morale du Barreau ». Que penserait-il s’il apprenait que nos effectifs ont presque octuplé depuis ? Alors, y-a-t-il vraiment trop d’Avocats, comme on l’entend désormais partout ? Nous restons pourtant trois à quatre fois moins nombreux que nos confrères britanniques, allemands, espagnols et italiens. Eviter les désillusions serait un objectif louable, certes, mais qui, dans une profession libérale, attachée à la sélection naturelle des talents, relèvera toujours du mythe. Propager l’idée d’un recul démographique serait donc une faute, qui donnerait l’image d’un élitisme rétrograde. Je crois davantage en une conception du droit, moins judiciaire et plus positive, plus participative, mieux acceptée finalement, et qui ferait du concours des Avocats, un centre de profit et non plus un mal obligé. Et si l’on parle de formation, envisageons aussi les mutations avec prudence et en respectant les équilibres démographiques locaux. C’est finalement parce que nous attirons sans cesse de nouveaux talents que le Barreau français change et progresse. Mais les progrès doivent aussi se mesurer à l’aune des événements réels. 250 ans après Calas, l’histoire de Toulouse n’oubliera pas l’année 2012 qui l’a marquée – et la France avec elle - par des événements judiciaires et policiers dont il me serait interdit de ne pas rappeler l’importance heureusement exceptionnelle.
L’affaire Merah d’abord, qui a fait vivre à notre cité des heures terribles et inhumaines. Ces drames horribles ont cruellement frappé nos concitoyens, leurs familles, leurs camarades, leurs communautés ; qu’ils soient tous à nouveau assurés de la profonde compassion de notre Barreau. Dans ces circonstances extraordinaires, les Avocats Toulousains qui ont assisté les personnes gardées à vue ont donné discrètement, sans compromission et sans faiblesse l’image que j’aime de cette profession. Les mois écoulés furent aussi ceux du déroulement du procès de l’explosion de l’usine AZF devant la Cour d’Appel. Ce grand procès a connu, et j’y vois surtout la marque de la contradiction inhérente à la Justice, des incidents que je n’é voque ici que pour rappeler ce qu’il y a de sacré dans le droit de se défendre et pour redire que Toulouse trouve dans ces procès une légitimité à conserver sa compétence en matière d’accident collectif. Conseiller, c’est toujours défendre et défendre, c’est d’abord un combat. La profession d’Avocat ne se réduira jamais à la sécheresse d’une technique ; elle exige aussi une vocation et de l’amour peut-être même. Inversement, défendre de toute son âme ne sert à rien si l’Avocat n’y ajoute sa science du droit et les armes qu’il lui donne. Il en est de nombreuses, même si nous ne comprenons toujours pas comment défendre, même en garde à vue, sans accès au dossier. Mais c’est du secret professionnel, clé de voûte de notre profession, que j’aimerais, pour conclure, vous dire quelques mots. Que rien ne soit révélé de ce qu’il a confié à son Avocat est, pour son client, un droit absolu et sacré sans lequel il n’y a plus de justice, ni de droits humains qui vaillent. Pourtant, dans une procédure inquisitoire par nature intrusive et qu’imprègne encore le culte de l’aveu, le secret demeure suspect et certains y verraient même une forme de complicité. Soupçon absurde, mais qui justifie des assauts sans cesse plus grands. Voyez l’arrêt rendu le 31 janvier 2012 par la Chambre Criminelle qui permet aux Juges d’utiliser dans leurs décisions des enregistrements sauvages de conversations entre un Avocat et son client, sans égard pour les mépris à la morale et au secret qui ont permis leur divulgation. Quelle suite, sinon le silence, aurais-je pu, comme Bâtonnier, donner à la demande, même émanant d’un juge, même réitérée, portant sur la transmission des dossiers détenus par l’Ordre, relatifs à un Avocat et à une enquête déontologique, dossiers qui, par définition même, sont couverts par le secret ? Un Avocat peut-il comprendre que les correspondances qu’il échange avec son Bâtonnier puissent être divulguées ou appréhendées, comme l’a pensé la Cour de Cassation le 22 septembre 2011 ? Comment ne pas s’inquiéter devant la multiplication affolante des perquisitions menées à Paris dans les cabinets d’Avocats – presque deux chaque semaine, presque dix dans la seule affaire Bettencourt, au point de réduire le secret à une peau de chagrin ?
Agenda
56ÈME CONGRÈS DE L’UNION INTERNATIONALE DES AVOCATS
Dresden 31 octobre au 4 novembre 2012 Ostra-Ufer2-Devrientstrasse 10-12 - DRESDEN (Allemagne) Renseignements : 33 1 44 88 55 66 www.uianet.org
2012-729
9ÈME EDITION DES ENTRETIENS DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
Financement de l’économie : le rôle respectif des banques et des marchés 15 novembre 2012 Palais Brongniart Place de la Bourse - 75002 PARIS Renseignements : entretien-amf-2012@reply.evenium.com
2012-730
7ÈME WEEK-END PATRIMONIAL
Entreprise libérale et gestion du patrimoine familial 23 et 24 novembre 2012 Institut du chiffre et du droit 14, rue Guynemer 92380 GARCHES Renseignements : 01 47 01 12 87 icd92380@hotmail.fr
2012-731
LES JEUDIS DU DROIT PUBLIC DES AFFAIRES
Concurrence et marché publics nationaux, européens et internationaux 29 novembre 2012 Ecole de Formation des Barreaux 65, rue de Charenton 75012 PARIS Renseignements : 01 43 43 31 40 e.menesguen@efb.fr
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CHORALE EN L’ÉGLISE ECOSSAISE
Les Maîtres Chanteurs Chaque mercredi à partir de 19 heures 45 17, rue Bayard - 75008 PARIS Renseignements : Claudette Eleini 01 40 68 95 15
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Vie du droit Parce que je me répéterais sinon, parce que l’indépendance ne se décrète jamais à priori, j’aurais aimé ne pas revenir cette année sur le débat très hexagonal des Avocats salariés en entreprise. Mais c’est le secret qui m’y ramène puisqu’il en est devenu la pierre angulaire. Un secret professionnel désormais fragilisé par le rapport Prada qui rêve d’importer artificiellement dans notre droit continental l’inquiétant « legal privilege » du droit anglosaxon. La profession s’est, dogmatiquement peut-être, passionnément à coup sûr, partagée sur la création du statut d’Avocat salarié en entreprise. Elle pensait gagner du temps ; elle a plutôt ouvert une brèche, et s’y profile une menace. La raison est le prix des ambitions véritables ; la première des nôtres, car nous mourrions sinon, tient dans notre secret.
Ai-je finalement parlé des progrès de la justice et du droit ? Du moins, ai-je évoqué la quête éternelle des Avocats. Nous vivons dans la faiblesse humaine, mais nous cherchons toujours la grandeur. Bien sûr, notre modèle intellectuel, nourri par l’esprit de contradiction, nous prive à jamais du sentiment de complétude. Bien sûr, nous savons - c’est notre force et tout autant notre faiblesse - que l’Etat qui a beaucoup à nous enlever, a peu à nous offrir. Alors, comme toujours, les progrès viendront d’abord de nous. Il reste tant de combats à mener, d’injustices à réparer, de droits à défendre, de marchés à conquérir. L’avenir est à nous, mes chers confrères. Tant que nul ne sacrifiera à des impératifs inutilement sécuritaires, ni à une statistique aveugle.
Aussi longtemps que le Juge ne s’effacera pas derrière la technologie, Si notre indépendance s’exerce également à l’égard de toutes les puissances, de tous les pouvoirs, Si le débat, finalement, reste équitable, Il n’y a aucune raison d’avoir peur. Simplement, ne confondons pas traditions et habitudes. Et puis, la parole n’est pas morte.
Note : 1 - Si première séance solennelle de Rentrée a eu lieu le 6 juin 1838, cette manifestation n’a pas eu lieu chaque année, de telle sorte qu’en 2012, le Barreau de Toulouse célèbre sa 152ème Rentrée et le 174ème anniversaire de cette manifestation. 2012-727
Jurisprudence
Droit de suite Conseil constitutionnel - 8 octobre 2012 - Décision n° 2012-276 QPC
Le Conseil Constitutionnel, Le rapporteur ayant été entendu ; 1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-7 du code de la propriété intellectuelle : « Après le décès de l’auteur, le droit de suite mentionné à l’article L. 122-8 subsiste au profit de ses héritiers et, pour l’usufruit prévu à l’article L. 123-6, de son conjoint, à l’exclusion de tous légataires et ayants cause, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années suivantes » ; 2. Considérant que, selon la fondation requérante, en excluant du bénéfice de la transmission du droit de suite les légataires et autres ayants droit de l’auteur pour réserver ce droit aux seuls héritiers de celui-ci et à son conjoint pour l’usufruit, les dispositions contestées sont contraires au principe d’égalité devant la loi ; 3. Considérant que l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse »; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; 4. Considérant que le droit de suite porte sur les oeuvre originales graphiques et plastiques ; que son produit est perçu par l’auteur de ces œuvre ; que ce droit est défini par l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle comme « un droit inaliénable de participation au produit de toute vente d’une oeuvre après la première cession opérée par l’auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l’art » ; que les dispositions contestées réservent la transmission de ce droit aux héritiers de l’auteur ; 5. Considérant que sont appelés à la succession les héritiers en vertu de la loi ainsi que les légataires en vertu de libéralités ; que l’article 731 du
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code civil dispose que « la succession est dévolue par la loi aux parents et au conjoint successibles du défunt » dans les conditions définies par les dispositions du code civil relatives aux héritiers ; 6. Considérant qu’en instituant le droit de suite, le législateur a entendu permettre aux auteurs d’oeuvre graphiques et plastiques originales de bénéficier de la valorisation de leurs oeuvre après la première cession de celles-ci ; qu’en prévoyant le caractère inaliénable de ce droit et en assurant sa transmission aux héritiers de l’auteur, les dispositions contestées ont pour objet de conforter cette protection et de l’étendre à la famille de l’artiste après son décès ; 7. Considérant qu’en réservant la transmission du droit de suite au décès de l’auteur aux héritiers et, pour l’usufruit, au conjoint à l’exclusion des légataires et autres ayants cause, le législateur a instauré une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations différentes ; que cette différence de traitement est en rapport direct avec l’objectif poursuivi par la loi ; 8. Considérant que l’article L. 123-7 du code de la propriété intellectuelle, qui ne méconnaît pas le principe d’égalité, n’est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu’il doit être déclaré conforme à la Constitution, Décide : Article 1er Article 2 – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République Française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. – L’article L. 1237 du code de la propriété intellectuelle est conforme à la Constitution. Délibéré par le Conseil Constitutionnel dans sa séance du 27 septembre 2012, où siégeaient : Monsieur JeanLouis Debré, Président, Monsieur Jacques Barrot, Madame Claire Bazy Malaurie, Maitre. Guy Canivet, Michel Charasse, Renaud Denoix de Saint Marc, Madame Jacqueline de Guillenchmidt, Maître. Hubert Haenel, Nicolas Sarkozy et Pierre Steinmetz.
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Vie du droit
Union Syndicale des Magistrats 38ème Congrès - Colmar, 19 octobre 2012
Le 38ème congrès de l’Union Syndicale des Magistrats s’est déroulé à Colmar la semaine dernière, ce fut l’occasion pour son Président Christophe Régnard d’accueillir Christiane Taubira et Manuel Valls, une grande première pour le plus important syndicat de magistrats de France qui, depuis 1974, plaide avec intransigeance, apolitisme et pragmatisme pour défendre les standards européens d’une justice indépendante et impartiale. Evoquant notamment l’indépendance des magistrats, qui passe par l’indépendance de l’enquête, et la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui passe par l’instauration d’un vrai pouvoir judiciaire, Christophe Régnard, face au Garde des Sceaux et au Ministre de l’Intérieur, attend un « changement de regard » entre Intérieur et Justice afin de reconstruire l’image de la justice française plus « en ruine » aujourd’hui qu’hier. Nous présentons nos chaleureuses félicitations à Christophe Régnard qui a été réélu après avoir sollicité, le vendredi 19 octobre 2012, un nouveau mandat de Président. Jean-René Tancrède
d'espoirs que celui de notre congrès passé, où le désespoir tenait encore une large place. Après des années marquées par des turbulences incessantes et des relations parfois houleuses avec nos gouvernants, la tempête s'est quelque peu apaisée. Cette année, point de mégaphones, drapeaux et banderoles. Autant de fusées de détresse que nous n'avons pas eu à utiliser en battant le pavé pour défendre l'Institution et les magistrats contre les vents mauvais du populisme. Mais pour autant, l'année n'a pas été mer d'huile. L'action de l'USM a peut-être été moins spectaculaire que l'année passée (qui s'en plaindrait?). Mais elle a été tout aussi déterminée et efficace. J'aimerais dans le cadre de cette rétrospective annuelle, évoquer la concrétisation des actions que nous avions engagées avant notre dernier congrès, notre combat pour vous défendre, au quotidien, notre action en amont des élections présidentielles, notre présence constante et reconnue au sein des institutions, nos voeux pour notre statut, et enfin, la modernisation de l’USM.
Photo © USM
Virginie Duval
Rapport moral par Virginie Duval ème
ienvenue au 38 congrès de l'USM. Un congrès qui restera, je n'en doute pas, très marquant pour l'USM. Marquant, parce que nous n'avons jamais été aussi nombreux. Marquant aussi parce que nous recevons deux ministres. Notre nouvelle Ministre de la Justice. Et le Ministre de l'Intérieur. Une première. Marquant enfin, parce que demain, nous devrons nous positionner pour l'avenir proche de l'USM, en élisant notre Président et notre nouveau Conseil National. Le thème de ce congrès, « l'indépendance, c'est maintenant ? » se révèle davantage porteur
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I . La concrétisation des démarches entamées avant le dernier congrès a. Différents groupes de travail Je vous avais indiqué, l’année passée, que différents groupes de travail avaient été mis en place, à notre initiative, après l’affaire dite « de Pornic ». Nous nous y sommes beaucoup investis, bien seuls, puisque le SM s’est obstiné dans son refus de réfléchir à ces problématiques, et que FO n’a participé qu’épisodiquement…
Le groupe de travail sur l’application des peines, dans lequel Virginie VALTON nous représentait, avait, lors de notre dernier congrès, déjà rendu ses conclusions. Une partie de cellesci ont été prises en compte pour l’élaboration des budgets 2012 et 2013 (80 postes de JAP sont prévus), par la loi de programmation sur l’exécution des peines du 27 mars 2012 et dans le cadre d’une circulaire d’octobre 2011 pour la mise en oeuvre de ces recommandations. Preuve que nous avons eu raison d’y participer, et d’y peser.
Au sein du groupe de travail sur l’instance, l’USM, représentée par Jean-François Zedda et Céline Parisot, a insisté pour qu’il soit tenu compte de la situation particulièrement difficile des Tribunaux d’Instance, confrontés à la mise en oeuvre chaotique de la réforme des tutelles des majeurs, à la réforme de la carte judiciaire… et à l’augmentation de leurs taux de compétence, an matière civile et de crédit à la consommation. Dans son rapport remis au Ministre début mai, le groupe de travail a formulé 43 propositions consensuelles portant notamment sur la clarification des textes, la simplification des procédures et sur des modifications statutaires pour les magistrats et services de greffe. L’annonce du recrutement de 50 juges d’instance au titre du budget 2013, pour la première fois depuis 10 ans, est positive. Mais, elle ne
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Vie du droit permettra de combler certains manques que dans plusieurs années au vu du temps de formation des magistrats. C’est pour cela que nous avons demandé à la Ministre, dès notre première prise de contact, un moratoire concernant la révision des mesures des tutelles et la suppression des juridictions de proximité qui est prévue le 1er janvier prochain.
au travail, toujours en cours, et sur lequel je reviendrai dans quelques instants.
Le groupe de travail sur la justice des mineurs, auquel je participais aux côtés de Philippe Desloges, a rappelé son attachement à la spécificité du droit des mineurs et formulé 34 propositions concrètes. Elles sont liées notamment au nombre de procédures pouvant être raisonnablement traité par un juge des enfants, à la nécessité de créer 34 postes supplémentaires dans les tribunaux ne comportant qu’un seul juge des enfants pour faire face à la réforme imposée par le Conseil Constitutionnel, et à l’affectation de moyens. Nous ne pouvons que nous féliciter que certaines de ces préconisations soient prises en compte dans le projet de budget pour l’année 2013, puisqu’un effort lié au nombre de juges des enfants est annoncé (10 postes supplémentaires).
Nous vous l’avions annoncé : afin de peser au sein des Comités d’Hygiène et de Sécurité dont les compétences ont été élargies aux Conditions de Travail et de ne pas laisser les 2 syndicats minoritaires représenter les magistrats dans ces instances, nous avons présenté des listes communes avec l’UNSA Justice. Après une gestion déficiente et ubuesque, à bien des égards, du processus électoral (il faut dire que l’organisation d’élections dans un ministère aussi foisonnant que le Ministère de la Justice et ses 70 000 personnels est une gageure !!! je rappelle que l’éducation nationale compte plus d’un million de personnels et le Ministère de l’Intérieur, 250 000), les élections des CHSCTdépartementaux ont enfin eu lieu le 22 novembre 2011.
Le groupe de travail sur la charge de travail des magistrats, installé depuis mars 2011, est quant à lui toujours en cours, confronté à la lourdeur de la charge. Christophe Régnard y oeuvre pour qu’au-delà de la charge de travail, la question du temps de travail soit abordée et que soient pris en considération les aspects qualitatifs du travail des magistrats. Ce groupe poursuit son travail et rendra un rapport d’étape d’ici la fin du mois d’octobre. Reste enfin le groupe de travail sur la souffrance
b. Elections au sein de la magistrature
Votre mobilisation et la stratégie de l’USM ont payé : l’USM et l’UNSA ont gagné les élections en remportant presque 2 fois plus de voix que les listes SM/CGT. Nous avons ainsi obtenu plus de 44% des sièges (241 sur 546)…c'est-àdire 8% de plus que l’UNSA seule, en 2008. L’USM est ainsi représentée dans 87 départements, en qualité de titulaire ou de suppléant. Nous ne pouvons que nous en féliciter tant les CHSCT-D sont importants, à l’heure où nous sommes de plus en plus confrontés au mal être de nos collègues. Certains CHSCT-D ont
Photo © USM
Le groupe de travail sur le parquet a remis son rapport au Ministre début mai 2012. Nos représentants, Xavier Pavageau et Véronique Leger, se sont beaucoup investis pour que soit mieux tenu compte de l’augmentation exponentielle de la charge de travail des magistrats du parquet, afin de leur permettre d’exercer pleinement leurs missions. Il n’est pas anodin de noter qu’alors que la France ne compte toujours que 3 Procureurs pour 100 000 habitants d’après le tout récent rapport comparatif sur les systèmes judiciaires européens pour la période 2008-2010 de la CEPEJ (Commission Européenne Pour l’Efficacité de la Justice), les parquetiers français sont ceux qui traitent le plus de dossiers (plus de 2500 affaires pénales par an, par personne, hors compétences commerciales, civiles ou autres, la moyenne européenne étant de 615 dossiers). Face à l’augmentation des missions confiées aux parquetiers et au déficit de personnel, le groupe de travail a préconisé le recrutement de 300 magistrats. Auxquels devraient s’ajouter 250 autres postes pour pouvoir appliquer les règles sur le temps de travail et les récupérations. On ne peut que regretter que le recrutement
de magistrats du parquet ne soit pas considéré comme prioritaire par le Ministère, mais vous pouvez être sûrs que nous défendrons, même seuls, les parquetiers, tant pour leurs effectifs que pour leur statut, j’y reviendrai.
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Vie du droit
Tout au long de l’année, l’USM a poursuivi et intensifié son action de défense des magistrats, dans de nombreux domaines.
exprimée et remédier aux causes professionnelles, mais, parallèlement, protéger les collègues qui demeurent en poste, dont la situation est également tendue. Ce sont des situations extrêmement complexes et douloureuses. Que nos représentants en soient remerciés ! Et que l’on ne vienne pas essayer de minimiser l’action de nos élus ! Nous partageons l’indignation des collègues locaux devant la récupération dont ces drames font l’objet…notamment par FO dont les représentants sont, pourtant, souvent (si ce n’est toujours) absents de ces diverses réunions et assemblées, mais n’hésitent pas à jeter en pâture les noms des collègues à la presse. En tout état de cause, ces Comités pallient les atermoiements du Ministère au sein du groupe sur la souffrance au travail, qui a poursuivi ses travaux, de manière chaotique. Rappelez-vous : ce groupe a été créé en décembre 2010, après que nous avons interpelé, à notre congrès de Rennes, le Ministre de la Justice sur l’importance de la souffrance au travail des magistrats. Malheureusement, l’extrême désorganisation du secrétariat général alourdit, et surtout, prolonge, les travaux. Le groupe, dans lequel Nicolas LEGER représente l’USM, a déjà travaillé en sousgroupes. Nous regrettons que maintenant qu’il s’agit de mettre en commun ces premiers pas et d’établir un document clair, concret, loin de tout discours technocratique, les travaux piétinent. Nous aurons à coeur, l’année à venir, de voir aboutir ce chantier, qui aussi monumental qu’il soit, reste essentiel.
a. La lutte contre la souffrance au travail
b. la sécurité des juridictions
Cela fait plusieurs années que nous tirons la sonnette d’alarme auprès de la Chancellerie pour qu’il soit enfin tenu compte, à sa juste mesure, de l’ampleur de la souffrance des collègues. Vous êtes de plus en plus nombreux à nous appeler régulièrement. Les arrêts maladie sont pléthores. Et malheureusement, de nouveaux collègues ont mis fin à leurs jours. Quand prendra-t-on enfin, réellement, conscience de nos difficultés ? Certes, les considérations personnelles, très intimes, ne peuvent être totalement écartées chaque fois qu’un magistrat commet un geste désespéré. Mais, dans ces circonstances, on ne peut pas, non plus, écarter totalement le poids de la charge, des conditions d’exercice, et de l’extrême difficulté de nos fonctions…. Pour l’USM, il est indispensable que, comme pour les policiers, une inspection soit confiée à l’Inspection Générale des Services Judiciaires à chaque fois qu’aura lieu le suicide d’un magistrat. En l’attente, et en complément, les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail ont assurément un rôle à jouer. C’est en ce sens qu’ont entendu agir nos élus au sein des CHSCT-D des Hauts de Seine et des Yvelines, qui se sont réunis en urgence suite aux suicides de collègues, en mars et juin. La difficulté pour nos représentants locaux est grande : prendre en compte la souffrance
En 2007- 2008, quand d’autres s’offusquaient d’une « bunkérisation » des juridictions, nous étions les seuls à défendre, une fois n’était pas coutume, une des mesures de Rachida Dati : l’installation de portiques et de services de sécurité, à l’entrée des juridictions. Lors de notre tour de France des juridictions en 2010, nous avions déjà fait part de nos craintes face à la volonté de désengagement de l’Etat en matière de sécurité. Aujourd’hui, plusieurs sujets d’inquiétude subsistent : Considérant la sécurisation des juridictions comme « une charge indue », le Ministère de l’Intérieur a réussi à nous imposer le transfert de la charge des escortes de la police et la gendarmerie vers l’administration pénitentiaire. Mais l’USM a encore, malheureusement, eu raison : les préalables indispensables à un tel transfert n’ont pas été respectés. Alors que cette charge était estimée à 2000 à 3000 ETPT de policiers et gendarmes, seuls 102 postes ont, en fait, été créés à cette fin au sein de l’Administration pénitentiaire. En l’absence de services dédiés, formés, et en nombres suffisants, les débuts de l’expérimentation dans les cours de Riom, Nancy et Caen ont été marqués par de nombreuses inepties et la désorganisation des juridictions. Le moratoire annoncé de cette réforme, avec maintien des expérimentations dans les cours déjà concernées, pour satisfaisant qu’il soit pour
d’ailleurs déjà dû prendre des décisions difficiles, mais ô combien essentielles, j'y reviendrai dans quelques instants. Cette alliance avec l’UNSA a démontré l’intérêt des partenariats de l’USM. Le travail en confiance avec les différentes composantes de l’UNSA, au sein du Ministère de la Justice et plus largement, notamment l’UNSA police et le SNOP-SCSI, est essentiel. La présence, cet après-midi, de Luc BERILLE, secrétaire général de l’UNSA, sera un signal fort, que je tiens à saluer, de continuité de notre confiance réciproque. D'autres élections devront nous mobiliser dans quelques mois : les élections à la Commission d'Avancement, qui permettent le calcul de la représentativité des syndicats. Nous sommes les seuls à défendre la Commission d'Avancement, actuellement compétente pour les intégrations sur titre, les inscriptions au tableau d'avancement et pour statuer sur les recours, de plus en plus nombreux, après évaluation. D'aucuns souhaiteraient la voir disparaître. Nous la défendrons. Aidez-nous en vous mobilisant pour voter et faire voter. Ces différentes instances que je viens d'évoquer sont toutes utiles pour la défense des magistrats. L'USM s'y investit pleinement.
II. L’action de l’USM pour la défense des collègues
l’instant, ne sera vraiment utile que si corrélativement, les personnels nécessaires à la généralisation du transfert des escortes sont recrutés. Tel ne semble malheureusement pas le cas dans les documents budgétaires. Economies obligent, il est parfois même envisagé de supprimer les portiques et les personnels qui y sont affectés. « Après tout, il n’y a pas de portique aux entrées des hôpitaux ». Mais, à supposer même que cette absence dans les hôpitaux soit justifiée…l’explication est évidemment liée à la différence des enjeux pour les publics accueillis par les hôpitaux et juridictions ! Parallèlement, les forces de l'ordre sont de plus en plus désengagées de leur mission de sécurisation des audiences, y compris et surtout correctionnelles. Comment nos gouvernants peuvent-ils décemment envisager, dans ces circonstances, une justice sereine, des justiciables et des professionnels en sécurité, lors d’audiences où la tension est inévitable ? Lors d'audiences où les enjeux, en termes de libertés individuelles, sont majeurs ? Lors d'audiences où les animosités sont parfois exacerbées ? C’est une bien triste plaisanterie lorsque l’on sait combien d’armes sont régulièrement confisquées à l’entrée des juridictions. Et comme manifestement, une certaine dose d’humour noir, voire de cynisme, ne manque pas à la Chancellerie, on tente de nous faire croire que le logiciel EMMA, expérimenté depuis le début de l’année 2012 dans plusieurs juridictions du ressort de la Cour d’Appel d’Angers, règlera toutes les difficultés. Le logiciel Emma (pour EMission de Message d’Alerte) est encore une fois, derrière un doux et agréable nom, la marque du désengagement de l’Etat. Ce logiciel est censé permettre aux magistrats et fonctionnaires de greffe de disposer d’une capacité d’alerte en cas de danger. Dès l’alerte, silencieuse, émise depuis un poste informatique, l’ensemble des postes informatiques du même secteur est bloqué jusqu’à ce que l’incident soit traité, par un autre magistrat ou fonctionnaire de greffe. Vous avez bien compris : même si les éventuels services de sécurité du palais sont avisés de l’incident, c’est bien à vous d’assurer la sécurité de vos collègues, à eux d’assurer la vôtre. D’après le Ministère, ce système n’a pas « vocation à remplacer, mais plutôt à compléter les dispositifs existants en matière de sureté». Mais comment pourrait-il en être ainsi alors que ce système est essentiellement destiné à l’instance, où la sécurité est déjà défaillante, et que parallèlement, les services de police se désengagent des palais de Justice, la présence des sociétés de gardiennage et de sécurité est remise en cause, et le recrutement de réservistes est très coûteuse et difficile ? Se pose également la question de la responsabilité (y compris pénale) des collègues, dans l’hypothèse où ils ne seraient pas intervenus, alors même que l’alerte a été déclenchée. C’est ainsi que certains se sont vus demander des comptes sur leur absence d’intervention pour un incident…dans un couloir ! Que se passera-t-il lorsqu’un blessé sera à déplorer ?
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Vie du droit La chancellerie va-t-elle nous inciter à nous ruer sur les formations en techniques d’interpellation ? Nous refusons que la sécurité des juridictions soit bradée et que nous soyions contraints d’exercer nos missions en situation de danger. Et comme nous l’avions déjà dit, nous appellerons les professionnels à l’exercice de leur droit de retrait, si nécessaire. Nous l’avons indiqué à la Ministre dès la mijuin : nous souhaitons une remise à plat de ce dispositif avant son éventuelle extension, l’ouverture d’une réflexion plus globale sur la sécurité des palais de Justice et le retour des forces de sécurité dans les juridictions. Leurs conditions matérielles quotidiennes doivent permettre aux magistrats d’exercer leurs fonctions le plus sereinement possible. C’est la raison pour laquelle l’USM poursuit son action pour vous informer sur vos droits, les protéger et les développer au quotidien.
c. Le quotidien des magistrats et auditeurs Plusieurs axes d’intervention doivent être notés. La « transparence » : 3 à 4 fois par an, les juridictions et notre liste de discussion bruissent d’inquiétudes quant à cette fameuse transparence, prélude à toute mutation. Nombre d’entre vous connait Richard SamasSantafe et Virginie Valton, qui portent régulièrement auprès de la Direction des Services Judiciaires vos situations personnelles, parfois très graves, et vous écoutent et conseillent L’intervention de l’USM est très souvent payante et nous sommes fiers de ces réussites. Mais des progrès restent indispensables en matière de gestion des ressources humaines… nous souhaitons par exemple que la DSJ diffuse, et surtout respecte, un calendrier clair pour les projets de mutation. Il n’est pas acceptable que certains d’entre vous doivent renoncer à leur demande de mutation parce qu’elle ne peut être articulée avec celle du conjoint, faute de transparence (c’est un comble !) de notre Ministère. Nous avons par ailleurs demandé, dans le courant de l’été, à la Direction des Services Judiciaires de faciliter les retours de congés parentaux, en l’attente de la révision du statut sur ce point. L’information sur les droits : Le « guide vos droits » reste un ouvrage de référence. Il est une émanation des « flashs vos droits » que nous vous diffuserons à nouveau prochainement, ainsi qu’aux jeunes magistrats. Autre axe, le soutien aux auditeurs : comme l’année passée en février, nous étions les seuls présents à Bordeaux pour accompagner les auditeurs au moment du choix de leur 1er poste, et aider et soutenir les auditeurs redoublants. Nous leur avons également diffusé un flash jeunes magistrats, afin de les aider à préparer leur entrée en fonction et leurs premiers pas dans leur carrière. A l’initiative de Sami Ben Hadj Hayia, notre représentant à l’ENM, nous avons décidé d’intervenir tout au long de la formation initiale, pour présenter les fondamentaux de l’USM et
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ses partenariats et nous mettre à la disposition des auditeurs pour toute question. Je remercie d’ailleurs les collègues et auditeurs qui ont accepté d’intervenir le mois dernier à Bordeaux, à l’occasion de la conférence que nous avions organisée. Nous réfléchissons à de nouveaux moyens pour accroître notre présence et notre soutien aux auditeurs. Nos revendications restent fortes pour les auditeurs : notamment, la restauration du volant de postes pour les promotions sortantes, afin d’é viter que nos jeunes collègues soient contraints, au détriment de leur vie personnelle, voire de leur santé, de rejoindre des postes éloignés, très difficiles. Egalement, l’instauration d’une prime de première affectation, pour la prise en charge de leur déménagement particulièrement pour un premier poste outremer. Alors que pour d’autres, évoquer la situation indemnitaire est presqu’un tabou, l’USM revendique, au contraire, son combat constant pour les conditions matérielles d’exercice des magistrats. Tel est le cas notamment du montant de nos primes. Dans le cadre d’un plan triennal 2011-2013, l’USM a obtenu que 13 millions d’euros soient consacrés à la revalorisation indemnitaire de l’ensemble des magistrats. C’est ainsi que le taux de notre prime modulable est passé à 10,5% au 1er août 2011, puis 11,5% au 1er août 2012 et devrait passer à 12 % au 1er janvier 2013. Nous ne nous sommes évidemment pas satisfaits de ce que ces avancées portent sur la prime modulable, dont nous avons toujours contesté le principe. Nous avions, dès la création de ces primes en 2003, obtenu deux résolutions de l’Association Européenne des Magistrats condamnant ce mode de rémunération, potentiellement attentatoire à l’indépendance des magistrats. D’autant que les critères d’attribution de cette prime demeurent flous. Mais, c’était clair : il ne pouvait y avoir d’augmentation de nos rémunérations que dans le cadre des primes modulables. Alors que la GIPA reste refusée aux magistrats du 1er grade, que le point d’indice dans la fonction publique est gelé depuis 2010, que certains de nos collègues européens voient, eux, leurs salaires amputés de plus de 20%, l’USM ne pouvait tout de même pas refuser cette revalorisation de nos rémunérations, si rare ! Quelle n’a pas été notre surprise de constater que d’autres n’ont pas eu ces précautions ! FO-magistrats, coutumier du fait, et le Syndicat de la Magistrature, ont en effet intenté un recours contre les décrets et arrêtés du 29 juillet 2011 et la circulaire y afférente, qui prévoient l’augmentation du taux moyen de la prime modulable. Ils ont ainsi pris le risque de faire annuler l’ensemble du dispositif et de contraindre tous les magistrats à restituer les sommes perçues depuis août 2011. Ils ont beau jeu, ensuite, de tenter de faire croire qu’une simple négociation permettrait, dans ce cas, de sauvegarder les droits des « agents », comme ils nomment les magistrats. N’oublions pas les précédents ! Lorsque le recours de FOmagistrats avait entrainé l’annulation des Comptes Epargne Temps, ce n’est pas une simple négociation qui avait été nécessaire. Mais
bien un long combat de l’USM pour obtenir un nouveau texte, rétroactif, afin de ne pas pénaliser les magistrats et qu’ils récupèrent les jours de repos déjà épargnés, mais perdus par la faute de FO-magistrats. Les combats de l’USM sont suffisamment âpres pour que nous n’ayons pas, au surplus, à lutter pied à pied pour rattraper les erreurs des autres ! Le principe même de l’augmentation de notre taux de prime modulable a bien failli être remis en cause dans le budget 2013 par le nouveau gouvernement. La volonté de respecter la parole de l’Etat et, assurément, la crainte de la réaction de l’USM semblent avoir fini par peser dans la décision de maintenir l’augmentation prévue pour le 1er janvier 2013. Dont acte. En tout cas, nous continuerons à demander, dans le cadre de la prochaine réflexion qui nous a été annoncée, sinon la suppression de la modularité des primes, à tout le moins une réduction substantielle de cette modularité. Tous comme nous continuerons à revendiquer : -la création d’une indemnité d’intervention, destinée à prendre en compte le travail effectué par les magistrats au cours de leurs permanences, que ne compense pas l’indemnité d’astreinte, dont le montant est à revaloriser, - le développement de la NBI pour l’ensemble des magistrats, - la prise en compte de l’ensemble des primes dans le calcul de la retraite, - l’augmentation du nombre d’échelons au second grade pour éviter de pénaliser les magistrats qui ne peuvent réaliser rapidement leur tableau d’avancement et les magistrats bénéficiant d’une reprise d’ancienneté pour leur activité antérieure, - la tenue des délais pour les élévations d’échelons, la diffusion du tableau d’avancement et les décrets de nomination, - la revalorisation et l’amélioration des délais de remboursement des indemnités de transport, de repas et de nuitée - une réflexion sur un rapprochement des statuts des magistrats judiciaires, administratifs et financiers, notamment sur le plan des rémunérations et des déroulés de carrière. Vastes combats !
d. la gestion des juridictions et des ressources humaines Je viens d’évoquer le combat constant de l’USM pour la défense des intérêts matériels des magistrats. Il est un domaine proche, que d’aucuns jugeront peut être technique, voire technocratique, mais qui est essentiel : la réforme des BOP 166 (ou Budgets Opérationnels de Programme) qui ont fait l’objet d’une circulaire en janvier 2012. A l’origine, 42 structures (dont une par cour d’appel) en charge des questions budgétaires et des dialogues de gestion sur les effectifs. A l’arrivée, 10 BOP en métropole, 4 outre-mer, 3 spéciaux pour la Cour de Cassation, l'ENG et le casier judiciaire, et 3 BOP centraux (immobilier et gestion de l’administration centrale). La conséquence immédiate est que certains chefs de cours ont ainsi été littéralement mis
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sous la tutelle d’autres, ceux qui gèrent les nouveaux BOP, et que les lieux de décisions sur les questions budgétaires et de personnel, recentralisés, sont de plus en plus éloignés des lieux où ces décisions sont mises en oeuvre. Mais à plus long terme, nous craignons que cette réforme préfigure une nouvelle réforme de la carte judiciaire, et soit un pas supplémentaire vers le dessaisissement des magistrats de la gestion administrative des juridictions, comme cela s’est déroulé dans les hôpitaux. Tenue totalement à l’é cart du processus décisionnel, l’USM a engagé un recours contentieux à l’encontre de cette charte de gestion 2012. Pour accroître ses chances de succès et mettre les chefs de cours, premiers concernés, face à leurs responsabilités et pour certains à leurs contradictions, l’USM les a parallèlement incités à se joindre individuellement à son recours. Nous n’avons eu qu’une seule réponse d’un Premier Président, admettant le caractère insatisfaisant du dispositif, mais nous faisant part de son inquiétude de lui voir substituer un dispositif encore pire. Faut-il s’étonner de ce silence assourdissant des chefs de cour ? Poser la question est déjà y répondre. Le recours est toujours pendant devant le Conseil d’Etat. Autre sujet sans doute davantage au coeur de vos préoccupations quotidiennes : les recrutements. Suite à notre mobilisation dans l’affaire de Pornic, des recrutements ont été promis. Simple effet d’annonce pour apaiser la grogne ou réalité ? Nous sommes évidemment restés très vigilants sur ces questions et force est de constater que pour l’instant, les annonces de
l’ancien gouvernement ne sont pas restées lettre morte. C’est ainsi que deux concours exceptionnels de 90 postes chacun ont été ouverts en 2011 et 2012. Seuls 28 magistrats ont finalement été recrutés à ce titre en 2011. Ils sont venus renforcer les effectifs exsangues des juridictions, en septembre. Faut-il être déçu de la faiblesse numérique de ce recrutement ? Sans doute pas. Maintenir un certain seuil d’exigence est une nécessité absolue. Accepter le contraire, parce que la pénurie est partout présente, serait en réalité affaiblir la Justice. Pour les auditeurs, il faudra attendre un peu plus longtemps. Les 330 auditeurs de la promotion 2013, qui seront formés dans des conditions inconfortables compte tenu de l’inadaptation des locaux de l’ENM d’une part, de la scolarité réformée d’autre part, n’entreront en fonction qu’en septembre 2015. Quant aux 212 auditeurs de la promotion 2012, nous les accueillerons en juridiction en septembre 2014. Dès nos premières rencontres avec le nouveau gouvernement, nous avons insisté pour que les promesses de recrutements du précédent gouvernement soient tenues, tant la situation en juridiction est tendue…et c’est un euphémisme. Nous avons récemment pris connaissance du projet de budget 2013. Nous vous avons diffusé une note très complète sur ce que peuvent cacher les annonces ministérielles. Néanmoins, au-delà de l’exercice de communication positive de la Chancellerie, il faut admettre que conformément aux promesses du Présidents de la République, 500 emplois par an pendant 3 ans seraient créés au Ministère de la Justice, en sus du remplacement
des départs à la retraite. Sur ces 500 postes, 150 seraient dédiés aux services judiciaires, et l’accent sera mis, en 2013, sur le recrutement de magistrats. Ces annonces, certes positives, sont, à l’évidence, insuffisantes pour corriger durablement la situation catastrophique actuelle. L’USM veillera au respect des engagements pris et continuera de demander des recrutements pour la justice civile, qu'à juste titre, la Ministre dit vouloir renforcer et naturellement pour les parquets, exsangues mais étonnamment oubliés,…j’ai déjà évoqué ce point. Tout comme elle s’opposera au sabrage des budgets de fonctionnement, comme chaque année. Cela devient une tradition, tous les ans, dès septembre, de nombreuses juridictions sont en cessation de paiement. Il est incompréhensible, pour ne pas dire irresponsable, que depuis de nombreuses années, on laisse la Justice, l’un des piliers de l’Etat, en situation de faillite. Cela ne laisse pas de nous inquiéter…Car pour tenter de résorber les 305,9 millions d’euros d’impayés en matière de frais de justice, pour certains antérieurs à 2007 !!, ce sont les budgets de fonctionnement qu’on va amputer. Evidemment, nous ne sommes pas opposés à une certaine mesure des dépenses. Encore que la limitation de certains actes d’enquête, indispensables à la manifestation de la vérité ou au respect des droits des parties, peut se discuter… Mais pour autant, est-il bien raisonnable de limiter, encore une fois, les budgets de fonctionnement des juridictions ? La baisse de ces budgets, déjà ridiculement bas, annoncée à
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Vie du droit hauteur de 7%, peut en réalité être évaluée à plus de 20% lorsqu’on analyse de manière plus détaillée les documents budgétaires. Un constat s’impose : les problèmes ne se poseront plus en septembre, mais dès le mois de mai. Je suis curieuse de la manière dont, en juridiction, vous allez pouvoir faire face à la pénurie budgétaire. Faudra-t-il restreindre les budgets consacrés à la sécurité des juridictions, au détriment des justiciables et des professionnels, de plus en plus confrontés à des situations de violence ? Faudra-t-il arrêter de rendre des décisions dès octobre, faute de papiers, encre et crayons ? Faudra-t-il investir dans les bonnets, écharpes et mitaines et limiter les périodes de chauffage aux mois de janvier à mars ? Faudra-t-il demander aux experts et interprètes de concourir bénévolement à la Justice ? quoique, cela…ils le font déjà souvent, au vu des délais de paiement ! L’exemple récent de Cayenne est là pour le montrer ! La médiatisation de ces situations ubuesques restera, encore et toujours, indispensable. Nous comptons sur vous pour nous donner des exemples concrets !
e. la défense des collègues au niveau disciplinaire Cette année encore, l’USM s’est mobilisée pour défendre nos collègues sur un plan disciplinaire, au-delà de l’assurance de groupe que nous avons mise en place grâce à Henri ODY et dont le succès ne se dément pas. L’USM a ainsi du intervenir aux côtés de magistrats emblématiques, confrontés à des poursuites ou des menaces de poursuites disciplinaires, dont la connotation politique n’est pas à exclure. L’action de l’USM en faveur de notre collègue Isabelle Prevost-Desprez, Viceprésidente à Nanterre, qui, dois-je vous le rappeler, a fait l’objet d’une procédure prédisciplinaire, suite à la parution d’un livre qui lui consacrait un portrait, a été très intense. Au-delà du soutien apporté médiatiquement, le bureau de l’USM est intervenu lors des auditions par les chefs de juridiction et de cour, puis après avoir eu connaissance de l’existence d’un rapport la concernant (toujours secret aujourd’hui ! Bravo le respect du contradictoire !) établi par le Premier Président de la Cour de Versailles auprès des Gardes des Sceaux successifs. A ce jour, aucune décision n’a été prise. On peut penser que rien en se passera plus, mais l’épée de Damoclès des poursuites n’est pas totalement écartée. Marc TREVIDIC, vice-président chargé de l’instruction au pôle anti-terroriste, et ancien président de l’AFMI, a lui aussi fait l’objet de menaces de sanction disciplinaire. Son tort (enfin ce qu’on lui a officiellement reproché !) : n’avoir pas empêché des journalistes, venus l’interviewer, de prendre des photos, hors sa présence, dans le couloir du service de l’instruction, alors même que les services de sécurité les avaient laissés entrer ! Manifestement ce non événement avait été monté en épingle pour faire pression ou se venger d’un magistrat dont le courage et la détermination font honneur à la magistrature ! Il a fallu une vigoureuse intervention de l’USM, auprès du chef de Cour, pour ramener un peu de raison dans cette affaire !
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Une autre affaire emblématique, très proche de la précédente, parce qu’elle concerne également un vice-président chargé de l’instruction à Paris en charge de nombreux dossiers sensibles en Afrique notamment, nous conduira à intervenir devant le CSM. Celui-ci a en effet été saisi sur la base de conclusions d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires … pour le moins contradictoires avec le contenu même du rapport ! On ne peut qu’espérer pour lui que, comme récemment pour Renaud Van Ruymbecke, la Direction des Services Judiciaires annoncera in fine que la Ministre renonce à demander des sanctions à son encontre. Pour notre collègue Van Ruymbecke, c’est maintenant la fin d’une longue procédure, marquée par l’absence de toute promotion, et débutée en 2006, dans le cadre des enquêtes sur les soupçons de rétro-commissions dans la vente des frégates de Taïwan et de Clearstream. Nous avions été nombreux, lors de l’engagement des poursuites disciplinaires, puis lors de la première audience, à lui apporter un message de soutien en signant la pétition nationale, par message privé ou sur notre liste de discussion. Nous nous réjouissons de cette issue favorable. Ces combats sont essentiels, car au-delà des cas individuels de nos collègues, ce sont des questions de principe qui se posent, en termes d’indépendance de la Justice. Nous l’avons vu également cette année avec notre collègue substitut à Bobigny, qui a été poursuivi disciplinairement, pour des propos d’audience isolés, non représentatifs de sa carrière ou de son tempérament, tenus à l’occasion d’une affaire où des policiers avaient été lourdement condamnés pour des violences et la rédaction de faux procès-verbaux. Il s’agissait là indubitablement de poursuites politiques, dans un dossier où le Président de la République et le Ministre de l’Intérieur de l’époque avaient pris partie pour les policiers, en critiquant la décision de condamnation et ne fustigeant pas les manifestations et le blocage du palais de justice de Bobigny, toutes sirènes hurlantes, par certains policiers. J’ai eu l’honneur, aux côtés de Guillaume Saint Cricq, l’un de nos anciens délégués de section à Bobigny, de défendre notre collègue substitut et la liberté de parole des magistrats du parquet à l’audience. Quoiqu’ait essayé de faire croire le Syndicat de la Magistrature en toute fin de procédure, c’est bien l’action de l’USM qui a permis que le Conseil Supérieur de la Magistrature émette deux avis très clairs sur cette liberté de parole à l’audience, ô combien nécessaire aux fonctions des parquetiers. Le second avis de non lieu à sanction de la formation parquet du Conseil Supérieur de la Magistrature a finalement été suivi par le Garde des Sceaux et la fin de la carrière de notre collègue n’a donc pas été ternie par une sanction qui aurait été profondément injuste. Le dénouement favorable de cette affaire ne doit néanmoins pas occulter un point essentiel : il est temps d’aligner totalement le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège et de donner au Conseil le pouvoir de prendre lui-même les décisions disciplinaires pour les parquetiers. Tant que le Ministre conservera ce pouvoir, aucune suspicion politique ne pourra être écartée. Au-delà de notre l’action quotidienne, peut être
classique, l’année a été marquée par la fin du quinquennat et l’organisation de nouvelles élections présidentielles.
III. L’action de l’USM au moment des élections présidentielles L’indépendance pluraliste de l’USM est sa force. Dans cette campagne présidentielle, et contrairement à d’autres, l’USM ne s’est pas engagée pour l’un ou l’autre candidat. C’eut été totalement inadapté et totalement contraire à toutes ses conceptions. Elle a poursuivi son action sur sa ligne intangible de défense des magistrats et de la Justice, dont on a pourtant peu parlé au cours de la campagne. Nous avons d’abord voulu faire le bilan d’un quinquennat qui s’est souvent avéré très difficile pour la Justice : attaques régulières contre la magistrature, avalanche de textes parfois, pour ne pas dire souvent, incohérents entre eux, manque de moyens, dévalorisation permanente de l'image et de la place de la justice, … Cela a été l’objet du NPJ 2002-2007 Les heures sombres, qu’à titre exceptionnel, nous avons diffusé à l’ensemble des collègues et à la presse. Celle-ci s’est d’ailleurs montrée particulièrement intéressée par l'évocation de la reprise en main du CSM, de la caporalisation du parquet et de l’instrumentalisation de la discipline. Mais nous ne pouvions nous contenter d’un bilan de la législature. Nous avons voulu porter nos valeurs, nos attentes et nos propositions. Comme en 2007, nous avons rencontré les équipes de campagne des principaux candidats, parfois plusieurs fois. Nous avons co-animé, en partenariat avec la Fédération Nationale de l’Union des Jeunes Avocats, le Conseil National des Barreaux et l’AJM, un débat entre André Vallini (PS), Dominique Perben (UMP) et Pierre Albertini (Modem). Nous avons proposé aux candidats de visiter des juridictions. François Bayrou ayant répondu positivement, nous l'avons accompagné dans une visite médiatique du TGI de Beauvais. Nous avons adressé un questionnaire aux candidats soutenus par des partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale. Il s’agissait pour nous, tout en rappelant les standards internationaux, d’interroger ces candidats sur les évolutions du système judiciaire qu’ils envisageaient, particulièrement en termes d’indépendance et de moyens. Les réponses que nous avons reçues d’Eva Joly, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été largement diffusées. La réponse du nouveau Président de la République et l’annonce faite au cours du débat de l’entre-deux tours, de sa volonté de rétablir une majorité de magistrats au CSM, nous serviront assurément pour rappeler au gouvernement actuel les engagements pris. Enfin, l’USM a voulu être force de proposition, comme elle l’a toujours été. Dès 2011, nous avions poursuivi les partenariats qui s'étaient créés à l'occasion de la mobilisation de l’affaire de Pornic. Hors de toute considération partisane, politique ou
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Vie du droit revendiquer l'accès des étrangers aux soins, l’autorisation du mariage ou de l’adoption par les homosexuels, ou encore la fin de toutes les discriminations subies par les personnes transgenre. Autant de débats de société, certes intéressants, mais dont doivent pouvoir s’abstraire les magistrats, en tant que professionnels. C'est ce positionnement choisi par l'USM qui assure sa crédibilité et lui permet d’assurer une présence constante et reconnue au sein des Institutions.
Manuel Valls
IV. Une présence renouvelée au sein des institutions pour faire avancer nos idées
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a. La présence à l’international
corporatiste, nous avons voulu débattre de nos problèmes, souvent communs et envisager des solutions pragmatiques et consensuelles. C'était une gageure ! Il pouvait paraître délicat d’accorder des professionnels d’horizons aussi divers que des policiers, des experts interprètes et traducteurs, des experts psychiatres, des directeurs de prison, des éducateurs de la PJJ, des victimes et des magistrats, financiers et judiciaires ! Mais, ce fut un succès, concrétisé par un rapport intitulé « 2012 : Penser autrement la sécurité et la justice ». Nous avons développé 90 propositions consensuelles très concrètes, visant à réaffirmer les fonctions régaliennes de l’Etat en matière de police et justice, à favoriser l’accès de tous à la police et à la justice et à éviter que les professionnels soient soumis à des contraintes et choix inadaptés. Après une conférence de presse commune début avril, nous avons adressé ce rapport, avant le 1er tour des élections présidentielles, aux 6 candidats soutenus par un groupe parlementaire ainsi qu’aux présidents des différents groupes parlementaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe PS à l’Assemblée, de même que François Hollande nous ont adressé une réponse que nous avons publiée dans un de nos récents NPJ. La Ministre de la Justice, lors de notre première entrevue, y a d'ailleurs fait référence. Ce travail est tout à fait représentatif de la stratégie de l’USM depuis de nombreuses années : l’é change d’idées et un partenariat constructif, non politisé, fondé sur l’idée de défense des magistrats et surtout de la Justice. Une position bien éloignée de ceux qui, pendant la même période, prônant par ailleurs une révolution judiciaire, sont allés jusqu'à
L’USM continue à participer activement aux réunions de l’Union Internationale des Magistrats et de l’Association Européenne des Magistrats, qui ont le statut, respectivement, d’observateur à l’ONU et au Conseil de l’Europe, et depuis peu, exercent un travail de lobbying auprès de l’Union Européenne. En sa qualité de vice-président de l’Union Internationale des Magistrats, qui regroupe 78 associations des 5 continents, Christophe REGNARD a également assisté en mai, au Mozambique, à la réunion annuelle du groupe africain, sur le thème « l’indépendance des juges comme garantie de l’Etat de droit », et se rendra bientôt en Inde à la réunion des « Chiefs of Justice ». Au cours de ces réunions, les débats, toujours riches, montrent combien le combat pour l’indépendance est essentiel dans tous les pays du Monde et combien il reste difficile dans certains pays, même si certains résultats positifs ont été obtenus récemment (comme au Mozambique, au Sénégal ou en Algérie). Nous vous avions également fait part, en mai, du soutien de l’Association Européenne des Magistrats aux magistrats polonais, grecs, serbes, hongrois et turcs, face aux atteintes dont leur indépendance fait l’objet. Notamment au vu de la diminution de leurs rémunérations, plus importante que la baisse des revenus de l’ensemble des autres fonctionnaires. Parallèlement, nous poursuivons nos rencontres bilatérales avec des délégations étrangères. C’est ainsi que nous avons reçu des délégations mauritanienne et chinoise. C’est ainsi également qu’à la demande de la commission européenne, une délégation de magistrats tunisiens reçue en France, a souhaité s’entretenir avec l’USM en sus des autorités constituées (Chancellerie, IGSJ et CSM). Nos collègues étaient très en demande de renseignements sur les mécanismes institutionnels visant à garantir l’indépendance de la Justice. Enfin, dans les suites de nos rencontres au niveau international, l’USM a participé à une réunion à l’initiative du Conseil Economique et Social Européen, chargé d’apporter son expertise sur une proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant le programme Justice de l’Union Européenne pour la période 2014-2020. C’est dans le cadre de ce programme Justice que sont financées des
actions destinées à améliorer la formation et l’accès au droit dans les Etats membres et la coopération européenne en matière de justice civile, pénale et commerciale. Cet engagement international nous est utile en France aussi. Il nous permet d'invoquer avec plus de poids les standards internationaux à l'occasion de nos rencontres institutionnelles.
b. Les rencontres institutionnelles L’USM continue à prendre une part active aux réunions ministérielles pour la transparence, les commissions permanentes d’étude, les comités techniques paritaires ministériels, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériels, le Conseil National d’Action Sociale, la Fondation d’Aguesseau, les réunions de suivi du déploiement de Cassiopée, les groupes de travail, les réunions de préparation du budget… Parallèlement, suite à l’élection présidentielle, nous avons multiplié les rencontres avec la Ministre et son cabinet, évidemment, mais aussi les Conseillers Justice du Président de la République, du 1er Ministre et du Président du Sénat. Une rencontre avec le Conseiller Justice du Président de l'Assemblée Nationale devrait être prochainement organisée. Nous avons aussi, et c'est nouveau, été amenés à intervenir à l'ENM au CSAJ et pour la formation des chefs de Cours sur le dialogue social. Nous avons enfin été invités à l'Ecole Nationale du Greffe dans le cadre d'une réflexion sur le statut et les évolutions des missions des Greffiers en chef.
c. la présence de l’USM dans le processus législatif Cette année n’a pas fait exception en la matière. Nous avons été de nombreuses fois entendus sur des projets ou propositions de loi. A titre d’exemples, la loi sur la délinquance d’imprudence, les interdictions du territoire français et les peines planchers pour les réitérants, la loi de programmation sur l’exécution des peines ou la prescription des agressions sexuelles….J’oublierais certainement des textes si je voulais les lister de manière exhaustive. Nous l’avons tous régulièrement dénoncé : l’avalanche de textes nuit à la sécurité juridique. Certains textes sont inutiles ; nous en avions ébauché l’énumération dans le rapport « 2012 : penser autrement la sécurité et la justice ». D’autres doivent être évalués avant d’envisager leur abrogation ou leur réforme. Tel est le cas de la loi sur les peines planchers, notamment, pour laquelle le bilan annoncé n’a, doit-on s’en étonner, jamais été réalisé. Ce sont les parlementaires, multipliant les missions d’information, qui ont commencé ce travail. Grâce à vos témoignages, si précieux (ne vous censurez pas, écrivez nous lorsqu’on vous interroge !), l’USM a pu élaborer des notes complètes dans le cadre des quelques bilans déjà réalisés : le bilan de la loi pénitentiaire nous a permis d’indiquer qu’au-delà des effets d’annonces, le gouvernement ne s’était pas donné les moyens de financer les mesures votées. Les grandes avancées du texte sur les droits des détenus et le droit à la dignité sont restées lettre morte.
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Vie du droit Le bilan de la carte judiciaire a été établi par le Parlement alors que l’ancien gouvernement, qui ne s’était pas vraiment illustré par sa concertation en la matière en 2007, s’y refusait. L’USM a pu une nouvelle fois rappeler les arguments maintes fois développés. Les documents budgétaires pour 2013 ne font que conforter notre analyse puisqu’on peut notamment y lire «les effets d’amélioration attendues de la carte judiciaire ne sont pas perceptibles en termes de délais. 2 raisons peuvent être avancées : d’une part, les juridictions subissent encore les effets des fusions (augmentation des stocks, réorganisation des services, adaptation des nouveaux personnels), d’autre part, les effectifs dont le redéploiement était attendu ont été immédiatement absorbés par d’autres tâches, en particulier liées aux réformes législatives (hospitalisation sous contrainte) ou à l’implantation des nouveaux outils métiers (Cassiopée) ». Tout est dit. Le bilan de la loi sur les soins sans consentement : magistrats et médecins ont tout mis en oeuvre, pour éviter les incidents, au grand étonnement de l’ancien Garde des Sceaux. Mais l’impact sur le terrain est très lourd et ne risque pas de s’améliorer compte tenu du regroupement des contentieux judiciaires et administratifs, à compter du 1er janvier 2013. Enfin, nous serons entendus prochainement dans le cadre d’un bilan sur la surpopulation carcérale. Ces bilans sont incontestablement nécessaires. Ils démontrent souvent, si besoin était encore, l’inadaptation des réformes engagées sans concertation préalable, ni même expérimentation. Il faut dire que quand expérimentation il y a eu, elle a eu tendance à confirmer ce que nous disions. Je veux ainsi parler de la réforme sur les citoyens assesseurs, que je vous avais déjà présentée l’année passée. L’expérimentation a débuté, sous les feux des projecteurs, en janvier dans les cours d’appel de Toulouse et Dijon. Rapidement, nos craintes se sont confirmées : le coût moyen minimal de cette réforme est considérable (environ 800 euros par juré), le temps d’audience et de délibéré est très fortement allongé, les stocks augmentent de fait, des stratégies de contournement des audiences sont donc mises en place (augmentation des CRPC et ordonnances pénales…) et on juge les affaires les plus simples, au détriment des plus complexes. Parallèlement, nos analyses ont été confortées : les citoyens assesseurs réquisitionnés ne sont pas plus sévères que les magistrats, contrairement à ce que l’instigateur de la réforme attendait. Quelle n’a pas été notre surprise lorsqu’après seulement quelques jours d’expérimentation, l’ancien Président de la République a péremptoirement proclamé le succès de la réforme. Et quand le Ministre a annoncé l’extension de l’expérimentation dès le 1er janvier 2013 ! Le gel de l’expérimentation a été l’une de nos demandes urgentes lors de notre première rencontre avec la nouvelle Ministre. Nous avons été entendus. Les cours d’appel d’Angers,
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Bordeaux, Colmar, Douai, Fort de France, Lyon, Montpellier et Orléans seront donc épargnées. Pour l’instant. Nos inquiétudes subsistent pour Toulouse et Dijon, toujours enferrées dans la réforme. Après quelques mois de nouveau gouvernement, le tout premier bilan semble plutôt positif sur certains points. Dresser des bilans de certaines lois, prévoir des moratoires pour d’autres, très contestées, et annoncer l’abandon d’autres est incontournable. Mais, au-delà de ces premiers pas, il faudra que les actes suivent réellement les promesses de concertation. Quelques indices ternissent cette volonté affichée. Ainsi, la manière dont la fameuse « conférence de consensus » relative à la prévention de la récidive, a été initiée nous fait craindre pour l'avenir. Cette conférence est censée avoir pour objectifs d’établir un état des lieux des connaissances en la matière et de proposer des mesures consensuelles, à mettre en oeuvre. Parce qu’il semble difficile de faire simple en la matière, un comité indépendant d’organisation présidé par Nicole Maestracci, première présidente de la cour d’appel de Rouen et composé d’une « vingtaine de personnalités choisies pour leur parcours personnel et professionnel et représentant différentes sensibilités » a été installé. Puis, un jury de consensus, choisi par ce comité, délibérera sur les questions posées par le comité, avant de formuler des recommandations. L’USM n’est évidemment pas opposée à toute innovation organisationnelle. Mais je dois dire qu’on ne peut que s’interroger sur la méthode retenue ; déplorer que les organisations professionnelles représentatives, surtout l’USM, aient été écartées du comité d’organisation au profit de personnalités choisies « intuitu personae » ; s’étonner que les auditions des organisations syndicales représentatives soient soumises à une demande préalable de leur part ; s’inquiéter de la réalité du caractère consensuel des préconisations à venir…lorsqu’on choisit intuitu personae les personnes amenées à faire des propositions, ne peut-on imaginer qu’elles aboutiront trop aisément aux solutions dites « révolutionnaires » (sans qu’à l’USM, on sache vraiment en quoi, d’ailleurs) qui ont déjà été présentées à la presse ? Concrètement, si la conférence de consensus n’est qu’un habillage à une réforme déjà décidée (les « peines de probation »), la concertation aura fait long feu. L’USM saura le dénoncer, faites nous confiance. Un autre sujet commence à nous inquiéter. Dès nos premiers contacts, le nouveau Ministère nous avait indiqué souhaiter réfléchir au périmètre d’intervention du juge et à la répartition des compétences TI/TGI. Nous avions fait savoir que ce thème faisait partie des priorités, et que nous étions prêts à participer activement aux groupes de travail annoncés. Depuis, nous n’avons reçu aucune invitation à cette concertation. Pire, la réflexion semble avoir été entamée sans nous. La Ministre a indiqué, lors de la présentation du budget 2013, qu’une «réflexion était bien engagée à propos des périmètres du contentieux et d’une amélioration de la carte judiciaire». Il semble en effet qu’une étude ait été sollicitée auprès de
l’Institut des Hautes Etudes Judiciaires (IHEJ). Nous espérons que la volonté de concertation annoncée permettra un dialogue sur les premières pistes dégagées par l'IHEJ. Nous espérons également qu’après l’annonce assez tonitruante, de la suppression des Tribunaux Correctionnels pour Mineurs, une simple circulaire de politique pénale ne viendra pas clore le sujet du droit pénal des mineurs. Alors qu’aucun projet de loi ne nous a été annoncé, la Ministre semble en effet avoir demandé aux Procureurs de ne plus relever la récidive pour les mineurs de plus de 16 ans relevant du TCM. Une telle orientation ne saurait suffire. D'autant qu'elle créé une disparité entre les mineurs pour lesquels le TCM est déjà saisi, (et pour lesquels les juges des enfants s'interrogent sur l'opportunité d'audiencer rapidement ou non), et les autres mineurs... Avec l’UNSA-SPJJ nous le rappelons régulièrement : le traitement de la délinquance des mineurs mérite un large débat. Enfin, nous serons vigilants à l’utilisation par le gouvernement de la procédure accélérée, tant critiquée par le passé, pour ses projets de loi votés au Parlement. 3 textes, pour lesquels nous avons déjà été entendus, sont en effet déjà concernés par cette méthode : le projet de loi sur le harcèlement sexuel, sur le terrorisme et sur la retenue pour vérification du droit au séjour des étrangers. Aussi importants que soient ces sujets, ce procédé paraît contradictoire avec une réelle volonté de concertation. Pour combien d’autres textes devrons-nous encore travailler en urgence ? Je vous l'ai indiqué, l'USM sera présente sur tous les chantiers législatifs concernant la Justice...Ils sont nombreux, malheureusement. Il faut reconstruire sur les ruines, encore brûlantes, qui continuent à traumatiser les magistrats et les rendent méfiants. Il est un autre chantier qui nous tient vraiment à coeur, et pour lequel nous ne céderons pas.
d. Le rapprochement police / justice Pour des considérations populistes, d'aucuns tentent beaucoup trop d'opposer policiers et magistrats. Vous le savez, vous le vivez quotidiennement en juridiction, vous nous en témoignez régulièrement : cela ne correspond pas à la réalité du terrain. Le rapprochement que nous avons initié dans le cadre de notre travail commun avec le Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure, le SNOP-SCSI, sur la Garde à Vue, et avec le Syndicat des Commissaires de la Police Nationale (SCPN) et l'UNSA-Police pendant notre mobilisation dans l'affaire de Pornic l'année passée, ne s'est pas démenti. Notre confiance réciproque n'est pas vaine. Car, à nouveau gouvernement, il semble que s'applique un nouveau positionnement. Peut-être verrons-nous enfin exaucer notre voeu, commun avec le SNOP-SCSI, d’une rencontre de l’ensemble des organisations professionnelles du monde de la Justice et de la Sécurité pour aborder tous les sujets qui font débats et peuvent être sources de crispations. Certains indices permettent d'être optimistes. Nous avons été satisfaits (bien qu’étonnés, tant nous n’étions plus habitués !) par la communication du Ministère de l'Intérieur,
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Christiane Taubira
pour défendre le nécessaire respect de la Justice et de ses décisions. Après l’assassinat des deux gendarmes à Collobrieres, le rappel immédiat de l’absence de dysfonctionnements judiciaires a clos la polémique naissante (même si, plus tard, le Président s'est quelque peu fourvoyé en réclamant une réflexion sur la récidive, je cite « au delà de la loi »). Notre optimisme quant aux relations policejustice est conforté, aujourd'hui, par l’acceptation par le Ministre de l'Intérieur de notre invitation, aux côtés de la Ministre de la Justice, à notre congrès. Des mauvaises langues tenteront sans doute d'instiller l'idée que la présence du Ministre de l'Intérieur est une compromission de notre part à l'indépendance des magistrats. Non. Si l'USM se réjouit de cette double présence ministérielle, c'est bien pour rappeler que le Ministère de la Justice n'est pas le Ministère du laxisme tandis que le Ministère de l'Intérieur serait celui de la fermeté et de la lutte contre la délinquance. Nos institutions sont incontestablement liées. Le travail de l'un serait vain sans l'engagement de l'autre. Nous aurons l’occasion de le redire cet aprèsmidi.
V. La défense du statut des magistrats Cette année, nous avons encore du intervenir pour défendre le statut des magistrats. En juillet 2011, le Parlement a été saisi d'un projet de loi organique qui contenait certaines dispositions contestables sur la prévention des conflits d'intérêts. D'autres dispositions étaient
plus légitimes : la durée d'exercice des magistrats placés, la possibilité donnée aux magistrats en stage de changement de fonction de participer à l'activité juridictionnelle, des procédures organisant la réintégration dans les fonctions juridictionnelles après détachement ou congé parental, le comité médical national, et la question de la mobilité statutaire obligatoire avant accès à la Hors Hiérarchie. Une partie de ce projet, qui avait été enterrée, a été reprise par le gouvernement fin novembre 2011, sans concertation. A cette occasion, ce que nous craignions est arrivé : un amendement parlementaire a été déposé pour introduire une mesure défavorable aux magistrats. Il s’agissait cette fois de nous interdire les décorations (légion d'honneur, médaille militaire ou ordre national du mérite). Les magistrats et les médailles ! Vaste débat ! Récurrent débat sur notre liste de discussion ! Un jour, on devrait en faire un sujet d'entrée à l'ENM tant il déchaîne les passions ! D'un côté, ceux qui voient dans cette interdiction une nécessité au regard de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance des magistrats et de l’indispensable apparence d’impartialité qui s’attache à leurs fonctions. De l'autre, ceux qui estiment qu’il n’y a aucune raison que les magistrats soient les seuls à ne jamais pouvoir être décorés alors que tous leurs interlocuteurs peuvent l’être. En l'espèce, il n'était pas question pour nous de trancher définitivement. Mais il était inacceptable que ce sujet soit traité de façon expéditive, dans un contexte qui aurait été nécessairement vécu comme vexatoire et discriminatoire. Car, dans ce projet, seuls les magistrats de l'ordre judiciaire étaient visés par cette interdiction. Nous étions les seuls à être suspectés de manque d'indépendance ! Nulle prévention similaire pour les magistrats des deux autres ordres de juridictions, les membres des organes constitutionnels (Conseil Constitutionnel, CSM), les membres des autorités administratives indépendantes, ou les magistrats consulaires et les conseillers prudhommaux ! L’USM a été seule pour dénoncer cette nouvelle attaque contre la magistrature. Notre opposition a été efficace : l'amendement litigieux a été écarté et quelques dispositions favorables ont réformé notre statut en février 2012. Pour être exhaustive, il me faut également aborder le projet de réforme statutaire, déposé, sans concertation, entre les deux tours des élections présidentielles…(le 4 mai 2012 !) alors qu’il touchait des dispositions aussi essentielles que le retour des congés parentaux ou détachements. A notre demande, le projet a été abandonné. Mais au-delà de ces dispositions, d'autres modifications statutaires nous sont essentielles.
a. La réforme du statut des magistrats du parquet Le statut des magistrats du parquet doit enfin être réformé pour lever toute suspicion de dépendance à l'égard du pouvoir exécutif. Depuis plusieurs années maintenant, l'ancien procureur de Nanterre, nommé en 2007 contre l'avis du CSM, constitue un exemple frappant de cette urgente nécessité.
Il est particulièrement regrettable, pour ne pas dire ahurissant, qu'on ait du en arriver à une mutation dans l’intérêt du service, dont nous contestons habituellement le principe, pour traiter le problème du dysfonctionnement du parquet nanterrien. Les Ministres de la Justice qui se sont succédé depuis 2009 auraient du saisir l'Inspection Générale des Services Judiciaires pour mener des investigations sérieuses. Plusieurs motifs les y poussaient : les tentatives de déstabilisation de la présidente de la 15e chambre correctionnelle, la gestion très contestée des affaires sensibles, notamment du dossier Bettencourt, le management contestable et la souffrance au travail manifeste au sein de ce parquet, et le renvoi du Procureur sur saisine de justiciables devant la formation disciplinaire du CSM. Cette situation est certes caricaturale et aura beaucoup nui aux magistrats du parquet...mais elle aura aussi contribué à faire comprendre à l'ensemble des français l'intérêt d'une réforme. Cette année, notre combat pour un parquet indépendant et doté des moyens de fonctionner a trouvé un nouvel et médiatique écho auprès de la Conférence des Procureurs. Le 8 décembre 2011, 126 des 165 Procureurs français ont rendu publique une résolution commune pour alerter le législateur, le gouvernement et l'ensemble des français sur la situation du parquet et réclamer des moyens adaptés à l'exercice de leurs missions, une accalmie législative et une réforme de leur statut. Un positionnement bienvenu ! Nous nous sentions seuls en France à tenir ce discours, alors que les instances européennes ne cessent d’exiger que des garanties statutaires soient accordées aux magistrats du parquet, au nom de la nécessaire séparation des pouvoirs ! Quelques avancées ont eu lieu après que le Président de la République et le gouvernement se sont dit prêts à envisager des évolutions. La Ministre a annoncé que les avis du CSM seraient respectés. Tant mieux. La transparence pour les nominations des Procureurs Généraux a été instituée, comme le CSM l'avait également décidé pour les magistrats du siège. Tant mieux. La fin des instructions individuelles dans les dossiers particuliers a été actée dans la circulaire de politique pénale diffusée en septembre. Tant mieux. Mais cela ne suffira pas à nous satisfaire. L'interdiction des instructions individuelles doit être consacrée par la loi. L'indépendance des magistrats du parquet doit être pleinement protégée, non pas dans leur intérêt mais dans celui de l'ensemble des justiciables. Leur statut doit être entièrement aligné sur celui des magistrats du siège, pour la discipline et pour les nominations.
b. La réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature Parallèlement, le CSM lui-même doit être réformé, afin que dans ce domaine aussi, la France cesse d'être condamnée par les organisations internationales : Association Européenne des magistrats, mais surtout Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe et ONU. Nos demandes sont claires : le respect des standards internationaux, dont
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Vie du droit la réforme constitutionnelle de 2008 s'est allègrement affranchie. Pour ce, le CSM unique (seul à même de consacrer l'unité du corps) doit être majoritairement composé de magistrats et mieux refléter la composition réelle du corps. Etonnamment, nous sommes les seuls à soutenir cette idée ! La nomination des membres non magistrats du CSM doit être validée par une majorité de 3/5ème du Parlement. Le véto actuel au 3/5ème ne permet pas de nomination consensuelle, neutre. Le CSM doit retrouver son pouvoir d'émettre des avis spontanés sur les questions relatives au statut de la magistrature et à l'organisation judiciaire. L'adjectif « plénière » de la formation plénière du CSM doit retrouver sa réelle acception : l'assemblée plénière doit être composée de l'ensemble des membres du CSM. Le CSM doit se voir rattacher l'IGSJ ou une partie de celle-ci. L'élargissement de ses compétences en matière disciplinaire, par la saisine directe du justiciable, commande en effet qu'il puisse disposer d'un organe d'enquête. Nous porterons toutes ces idées lors de nos prochains échanges avec le Ministère sur ce point. Il nous a en effet indiqué, lorsque nous nous sommes inquiétés de ce que la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel JOSPIN n’entendait pas traiter ces sujets, que la Chancellerie avait en effet souhaité conserver cette réflexion. Vous le voyez, les prochains mois seront chargés de débats essentiels pour l'avenir des magistrats en général, du parquet en particulier. Notre détermination est sans faille. Si certains domaines sont intangibles, il en est d’autres pour lesquels l’USM évolue et se modernise. Car, pour la continuité de son action, l'USM ne s'est pas contentée d'une continuité des moyens.
VI. L’USM : la modernité dans la continuité Cette année encore, nous avons souhaité continuer à venir échanger avec vous dans les UR. Nous nous sommes notamment rendus à Toulouse, Lyon, Chambéry, Nimes, Aix, Angers, Caen, Pau, Riom, Dijon…. Ces rencontres sont indispensables pour nous, sources d'échanges sur nos actions aux niveaux local et national. Car, nous le redisons chaque année, notre action au niveau national n'a de poids et de sens que parce qu'elle est fondée sur vos observations et vos attentes. Ce sont vos expériences qui illustrent nos notes, nos bilans et nos interventions dans les médias. Cela a été le cas notamment pour dénoncer les suppressions de juges d’instruction et l’impossibilité de mettre en oeuvre la collégialité de l'instruction. Je le redis, n'hésitez pas à nous répondre, même par quelques lignes par mail, sur les sujets sur lesquels nous vous sollicitons. Nous avons également continué à vous informer par l'intermédiaire du Flash Jeunes Magistrats, du Guide Vos droits, et du flash Vos droits, bientôt chez vous. Nous avons aussi
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voulu faire un bilan prospectif de notre syndicat. Nous avons édité un livre sur l'USM, depuis la création de l'Union Fédérale des Magistrats, sa transformation en syndicat, ses fondamentaux, ses combats, jusqu’à ses souhaits pour l'avenir. Parallèlement, le Conseil National a mis en place, en son sein, plusieurs groupes de travail, notamment sur le statut des juges placés ou le parquet, encore en cours. Celui sur le LEAN Management a établi un rapport très complet sur les dérives possibles de cette méthode productiviste. Que les membres du CN participant à ces groupes soient remerciés. Surtout, l'USM, forte sur ses bases, continue de se moderniser. L'ancrage de l'USM dans les nouvelles technologies a été conforté cette année. Philippe Desloges nous avait présenté l'année dernière les nouvelles pages du site, « l’espace adhérents ». Elles prennent peu à peu leur place auprès de vous tous, puisque vous y retrouvez des informations sur vos droits, sur l'actualité de l'USM et l'actualité des UR. A ce titre, d'ailleurs, n'hésitez pas à faire vivre ces pages régulièrement. Philippe a mis en place un tutoriel très didactique, simple et complet, pour cela. Je tiens d’ailleurs à remercier l’ensemble des Délégués Régionaux dont l’investissement fait vivre l’USM, au plan local et pour le plan national. Grâce à son fort investissement, Philippe parvient à mettre à jour quasi quotidiennement notre site, et vous permet de retrouver nos notes et interventions médiatiques plus facilement. Notre site est très fréquenté, y compris par nos collègues étrangers. Ainsi, nos collègues sénégalais nous indiquaient-il s'être appuyés sur nos travaux sur le statut du parquet, pour négocier avec leur propre Ministre. Je tiens vraiment, au nom du bureau, à remercier Philippe Desloges pour son efficacité. Il est en régie…car nos travaux sont filmés. L'autre domaine d'action dont nous sommes fiers : notre présence sur Facebook mais surtout Twitter...peut-être est-ce quelque peu obscur pour nombre d'entre nous..quoique l'actualité au moment du second tour des législatives a permis un coup de pub extraordinaire, un buzz donc, pour ce mode de communication. Je peux vous dire que ces courts messages peuvent être d'une efficacité redoutable, lorsque l'on en connaît les arcanes et les pièges. Il faut être un peu geek pour comprendre les Fridays followers, les hashtags, les retwits et les pictwiters ! C'est Francois Thevenot qui se charge de cette communication officielle pour l'USM (et est parvenu à fidéliser plus de 2100 abonnés). Cela est peut-être moins visible pour vous au quotidien mais cela s'avère essentiel, pour lancer une idée, démonter rapidement une contrevérité...et pour « accrocher » les journalistes, et initier une interview ! Il live-twitera le congrès cet après-midi. La réactivité de François est une force pour l'USM. Parfois des journalistes se sont étonnés de celle-ci, surtout tôt le matin. Nous ne leur avouons pas notre secret : le décalage horaire, qui permet souvent à François d'être précurseur ! Merci François. J'en arrive à la fin de mon propos. Face à ces nombreux combats, l’équipe du bureau a évolué.
Nous avons accueilli Céline Parisot au sein du bureau, suite au départ au printemps, de Xavier Pavageau, dont l'expérience, la pondération et l'extrême gentillesse nous étaient précieuses (et pas seulement pour animer les tables rondes de nos congrès!). Nous lui souhaitons bonne chance dans ses nouvelles fonctions au Casier Judiciaire. Les équipes de l'USM changent. D'autres Présidents nous avaient menés sur cette voie que l'USM a suivie cette année encore. Je voudrais saluer la mémoire de Claude Pernolet, qui nous a quittés fin octobre dernier. Il assistait très régulièrement, pour ne pas dire chaque année, à nos congrès. Son empreinte a marqué l'USM et nombre d'entre nous. Les messages que vous avez adressés au moment de son décès en sont la preuve irréfutable. Les équipes changent mais l'USM reste forte. Elle reste forte par son nombre d'adhérents, puisque nous sommes toujours plus de 2000. Plus du quart des magistrats. Par sa représentativité. Par son poids dans les médias. Par sa reconnaissance auprès des Institutions. Notamment. Pourquoi ? Parce que l'USM est un tout. Mélange de personnalités. Mélange de défense des Institutions, des personnels, de la Justice. Mélange de technicité dans les notes aux parlementaires, et de simplicité des propos pour être compris par le plus grand nombre. Mélange de continuité et de modernité. Mélange de pragmatisme, d'idées et de pondération. Mélange d'opinions. Alors l'USM n'a rien à craindre d'un pseudosyndicat récemment créé, dont la présidente, autoproclamée, seule sans bureau légalement constitué, cherche à exister par des rafales de communiqués, et tente de faire croire à son apolitisme en oubliant de préciser qu’elle a conseillé Rachida Dati tout au long de son ministère. L'USM va plutôt poursuivre ses revendications pour une justice dotée de moyens dignes de ses missions, respectée et indépendante. Des réformes essentielles pour notre Justice interviendront cette année. Les enjeux sont forts, les risques importants. C'est aussi pour cela que nous souhaitons continuer avec vous. C'est aussi pour cela que Christophe Régnard a décidé de solliciter auprès de vous un autre mandat de Président. Je voulais lui dire que nous nous en réjouissons, et à titre personnel (je sais que je ne suis pas la seule) je m'en félicite. Nous avons le sentiment d'être à la croisée des chemins : soit l'on s'engage vers l'indépendance, indispensable à la justice d'un pays démocratique qui respecte les standards européens. Et l’on remplacera le point d'interrogation du thème de notre congrès par un point d'exclamation : « l'indépendance c'est maintenant ! » Soit les réformes à venir seront insuffisantes à rendre efficiente cette indépendance, voire ne la préserveront pas assez. On dira alors : « la désillusion, c'est maintenant !». Affaire à suivre. Vous pouvez compter sur notre détermination. En attendant, chers collègues, je vous souhaite un très bon congrès.
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Entre réforme et pragmatisme par Christophe Régnard adame la Ministre de la Justice, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au 38ème Congrès de l’Union Syndicale des Magistrats et de vous remercier de nous honorer de votre présence comme l’ont fait avant vous tous les Gardes des Sceaux, à l’exception d’une seule, de bien triste mémoire ! Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer à plusieurs reprises. Vous connaissez l’USM, son histoire, son poids dans la Magistrature et surtout ses valeurs, intangibles depuis 1974 : réformisme, pragmatisme, apolitisme, intransigeance sur le respect des standards européens d’une Justice indépendante et impartiale, sans oublier les combats, que d’aucun se plaisent à qualifier de corporatistes (mais dont nous sommes fiers !), pour améliorer les conditions de travail et de rémunérations de nos collègues. Vous nous avez dit lors de notre toute première rencontre que vous étiez attachée au respect du dialogue social et des corps intermédiaires que sont les syndicats. Vous avez ajouté que, plus qu’une méthode, c’était pour vous le gage de l’acceptation et donc du succès des réformes que vous entendiez mettre en oeuvre. Je ne devrai donc pas avoir à vous adresser le conseil que j’avais donné à vos prédécesseurs et qu’ils s’étaient d’ailleurs empressés de ne pas suivre, probablement incités en cela par l’ancien Président de la République : celui de ne pas vous défier de nous. Nous ne sommes pas, et ne serons pas, des opposants par principe. Nous ne sommes pas, et ne serons pas davantage, des soutiens inconditionnels. Contrairement à d’autres dans la magistrature, nous n’avons pas appelé à voter pour l’actuel
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Président de la République ou contre le précédent. Notre conception de l’indépendance, aussi nécessaire à nos yeux dans notre activité syndicale que dans nos activités juridictionnelles, s’y opposait à l’évidence. Nous avons pris acte du changement qui s’est produit en mai au plus haut sommet de l’Etat. Depuis, nous avons constaté un retour à la « normale » en matière judiciaire. Tout est loin d’être parfait et je ne doute pas que nous aurons l’occasion dans les mois ou les années à venir exprimer des désaccords. Mais la sérénité qui sied à la Justice semble, espérons le durablement, revenue. Nous nous en réjouissons ! Madame la Ministre, vous aurez prochainement à porter de grandes réformes, en matière statutaire, en matière d’organisation judiciaire, en matière de droit pénal et de procédure pénale … et dans tant d’autres matières que vos prédécesseurs ont laissées en jachère ou jalonnées de bombes à retardement ! Ces réformes ne pourront pas se faire sans nous ! Et encore moins contre nous ! Parce que pendant la campagne électorale, le Président de la République a annoncé qu’il entendait « garantir l’indépendance de la Justice et de tous les Magistrats », parce qu’une réforme de la constitution sera nécessaire, parce que nous entendons peser sur ce débat essentiel ... nous avons une nouvelle fois placé notre congrès sous le signe de l’indépendance. L’indépendance c’est maintenant ? L’allusion au slogan de campagne du Président de la République n’aura échappé à personne. Le point d’interrogation non plus … Il se veut tout à la fois le symbole de l’espoir d’un vrai changement qui mettrait, sur le plan statutaire, la Magistrature et la Justice française au niveau des grandes démocraties européennes. Mais il est aussi la manifestation d’une inquiétude. Le gouvernement osera-t-il la grande réforme que nous appelons de nos vœux, celle qui consacrerait enfin l’avènement en France d’un Pouvoir judiciaire ? Ou restera-
t-il, comme on peut le craindre, au milieu du gué en engageant une réforme présentable à l’opinion publique, mais en retrait par rapport à ce que nous pensons indispensable au regard des standards européens ? Telles sont les questions que nous voulons vous poser, Madame la Ministre. J’y reviendrais naturellement plus longuement dans quelques minutes.
Monsieur le Ministre de l’Intérieur On pourrait nous dire qu’il y a un paradoxe, pour des Magistrats, à choisir comme thème de congrès l’indépendance et, dans le même temps, convier le Ministre de l’Intérieur. Et pourtant, votre présence aujourd’hui parmi nous est tout un symbole. Je vous remercie sincèrement d’avoir accepté notre invitation. Vous êtes le premier Ministre de l’Intérieur qui nous fait l’honneur de participer à nos travaux. Il faut dire que vous êtes aussi le premier que nous invitons. Bizarrement, il ne nous était pas venu à l’esprit d’inviter vos prédécesseurs ! Certains dans la magistrature s’interrogeront sans doute, d'autres, prompts à vous critiquer ces derniers temps, le déploreront peut être. Nous, nous nous en réjouissons. Nous voulons y voir l’amorce d’un changement. Depuis 20 ans, la presse se délecte des rivalités entre le locataire de la place Beauvau et celui de la place Vendôme. Depuis 20 ans, force est de constater que les arbitrages rendus l’ont rarement été en faveur du Ministère de la Justice ! Mais depuis 10 ans, les tensions se sont aggravées entre les deux institutions, entre magistrats et policiers (ou plutôt entre Magistrats et certains syndicats de policiers). Que ceux-ci aient cru bon après la condamnation de policiers « ripoux » à Bobigny
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Vie du droit de parler de « déclaration de guerre à la police par les juges » ou « d’appel à la haine venant des magistrats qui, une fois de plus, ont choisi d’affirmer que l’ennemi à combattre par tous les moyens (y compris les plus vils…) est bel et bien le « flic » et non pas le criminel » (sic) dépasse l’entendement. Que d’autres, à l’occasion de l’affaire du casino d’Uriage aient dénoncé le « sabotage organisé sciemment par les juges du travail de la police » et, parce que nous dénoncions vivement ces propos honteux, fait part de leur sentiment de « vivre sous l’inquisition » ne peut que susciter colère et écœurement. Que les mêmes aient cru bon de qualifier de « récupération démagogique » le communiqué dans lequel nous apportions notre soutien à la Police après l’agression d’un CRS à Noisiel en mars 2011 en dit long sur l’état d’esprit qui a régné ces dernières années. J’aurai pu citer bien d’autres exemples de ces dérapages inacceptables, jamais condamnés publiquement, ni poursuivis, alors qu’ils sont clairement aux confins des poursuites pénales. Je pourrai aussi revenir sur les manifestations devant les Palais de Justice, toutes sirènes hurlantes, de policiers en tenue. Dans quel autre pays démocratique assisterait-on à la mise en cause d’une décision de Justice et des Magistrats qui l’ont rendue par des policiers sans aucune réaction du pouvoir en place ? C’est simple nulle part ! Nos collègues européens étaient effarés quand nous leur avons fait part de cette situation invraisemblable. Ils l’ont encore plus été quand nous leur avons dit que ministre de l’intérieur et même Président de la République avaient manifesté leur sympathie pour ces mouvements « spontanés »… Nous acceptons la critique et le commentaire, mais nous n’acceptons pas la stigmatisation permanente, le discrédit jeté sur nos décisions et la chasse au juge ! Voyez-vous, j’ai été magistrat du parquet, et je n’ai pas toujours été d’accord avec les décisions des Juges d’Instruction et des tribunaux correctionnels que j’avais saisis … J’ai été Juge d’Instruction et je n’ai pas toujours compris les décisions des Juges des Libertés et de la Détention à qui j’avais demandé le placement ou le maintien en détention d’un mis en examen et qui ne m’ont pas suivi … J’ai été juge des enfants et j’ai parfois été surpris de l’infirmation de mes décisions par la Cour d’appel … Tous les Magistrats de France, qu’ils soient civilistes ou pénalistes, ont connu, un jour ou l’autre, ce sentiment, mais aucun n’est jamais allé manifester publiquement en robe sur les marches d’un Tribunal ou d’une Cour d’Appel, à grand coup de klaxon au volant de sa voiture de fonction ! Il faut dire que ce serait difficile vu que des voitures de fonction, nous n’en avons pas !!! Nous avons simplement respecté le droit et l’esprit de la Loi, le principe du double regard, celui de l’appel. Bref nous avons accepté ce qui fonde la démocratie, la séparation des pouvoirs ! A l’USM, nous avons toujours considéré que l’opposition artificiellement construite entre policiers et Magistrats avait des conséquences néfastes. Elle renvoie aux Français une image détestable de ceux qui sont chargés d’assurer leur sécurité et conduit en réalité à affaiblir l’Etat.
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Je vous ai entendu, Monsieur le Ministre, en juin, à l’occasion des congrès du SCPN et de l’UNSA Police tenir exactement ce discours, annonçant au besoin des poursuites disciplinaires contre tous ceux qui continueraient avec les pratiques condamnables du passé. Mes collègues, à qui j’ai rapporté vos propos, ont été soulagés. C’est à ce moment-là que l’idée nous est venue de vous inviter aujourd’hui ! Les actes ont suivi les mots, puisqu’aucune polémique n’a eu lieu après le dramatique assassinat de deux gendarmes à Collobrières. Le rappel immédiat par vos services et ceux du Ministère de la Justice de l’absence de dysfonctionnement a calmé les ardeurs de ceux qui auraient aimé pérenniser les attaques antijuges du passé ! Les mots ont aussi suivi les actes puisqu’il y a un mois jour pour jour, aux cadres de la sécurité intérieure, vous avez affirmé : « La police et la gendarmerie doivent nécessairement travailler en parfaite intelligence avec la justice (…) je n'admets pas que l'institution judiciaire soit systématiquement critiquée comme elle le fut dans un passé récent. Son indépendance doit être affirmée. Ce principe est au cœur de notre démocratie ». C’est ce discours auquel je rends hommage, tant il tranche avec une période, souhaitonsle, révolue, que nous espérons entendre à nouveau aujourd’hui. Parce que c’est sur ces bases que pourront être menées les réformes globales qui s’imposent pour lutter efficacement contre la délinquance et la récidive. Rien ne se fera dans la défiance et l’antagonisme ! Reste que la voie pour y parvenir est étroite. Parce que les oppositions sont (et seront) nombreuses. Une partie des magistrats (la plus à gauche) y sera réticente. Une partie des policiers (la plus à droite) y est hostile. Il suffit de lire le communiqué de Synergie Officier hier soir déformant des propos que j'ai tenu à la presse pour s'en convaincre. D'autres voix, qui tentent de faire croire qu'elles défendent les victimes, mais véhiculent un discours populiste et extrémiste, les rejoindront. Comment ne pas condamner les derniers amalgames pathétiques diffusés sur internet, par ceux qu'il faudrait plutôt appeler ICP, « l'institut contre la Justice » ! Nous, nous croyons à ce nécessaire dialogue républicain entre d’un côté le Ministère de l’Ordre et de l’autre le Ministère de la Loi. Aux côtés de l’UNSA Police, du SCPN et du SNOP-SCSI, nous avons manifesté à Nantes et Paris quand le précédent Président de la République a cru bon, en 2011, de nous accuser collectivement d’être les responsables de la mort de Laetitia Perrais. Je salue leur courage, car je sais combien les pressions ont été fortes pour que ce rapprochement entre Magistrats, policiers, avocats, experts, personnels des greffes, de l’administration pénitentiaire et de la PJJ, ne se fasse pas. Je veux rendre un hommage particulier au SNOP-SCSI, à ses dirigeants présents dans cette salle, Jean-Marc Bailleul et Chantal PonsMezouaki. Depuis plusieurs années, de conférences en rapports communs, nous travaillons en bonne intelligence pour défendre des valeurs et des principes. Nous avons démontré que nous pouvions nous parler, que nos problématiques étaient similaires et que nous pouvions proposer ensemble des solutions pragmatiques.
Nous avons aujourd’hui besoin d’un changement profond des esprits. Comme nous l’a écrit un commandant d’une compagnie de CRS, après le communiqué que nous avions publié suite à l’agression de Noisiel dont j’ai déjà parlé : « la Police et la Gendarmerie sont les bras d’un corps dont la magistrature est à la tête. Il est effectivement urgent de rétablir la confiance entre nous, puisque nous sommes les derniers remparts de la défense du bien commun ». Avec le SNOP-SCSI, nous demandons depuis deux ans l’organisation d’une table ronde réunissant, au niveau national, l’ensemble des professionnels du monde de la Justice et de la sécurité pour débattre des sujets de crispations. Nous n’avons hélas jamais été exaucés ! Le serons-nous demain ? Ces derniers mois nous semblent porteurs d’espoir. Les grilles de la place Beauvau nous sont désormais ouvertes ! Nous nous sommes réjouis de l’invitation récente des Syndicats de Magistrats, à l’occasion de la présentation du rapport « Guyomar », parce qu’elle montre une volonté de détente, même si je sais qu’elle a suscité quelques grincements de dents ! Nous avons pris acte de la création des zones de sécurité prioritaire. Nous n’en contestons pas la pertinence. Répondre au plus près du terrain aux problématiques de tel ou tel quartier sensible en réunissant Police ou Gendarmerie nationale / Justice / Education nationale / élus / représentants associatifs locaux nous semble nécessaire. Pour les Magistrats, débattre avec les partenaires des stratégies mises en place par la police, par la Justice, par l’Education Nationale pour gérer la situation de tel délinquant ou de telle bande, n’est pas perdre son âme. Faire savoir que la situation est traitée ou en voie de l’être permet souvent de lever les suspicions et d’anticiper les critiques ! Mais nous nous inquiétons de l’absence de moyens pour mener à bien ces nouvelles tâches et de la tendance à creuser des trous dans les effectifs des juridictions de la région pour combler ceux de la cité phocéenne. Nous voulons croire que ces ZSP ne viendront pas seulement s’ajouter aux ZUS, ZRU, ZFU, PNRU, CUCS, CCPD, CDPD, CLS, CLSPD, CISPD … créés au fil des ans par strates successives, dans une dynamique essentiellement communicationnelle, qui ont le fâcheux inconvénient de faire perdre du temps à tous sans jamais ou presque conduire à des résultats concrets. Il est enfin deux limites qu’il faudra se garder de franchir : la première est celle de la codécision. Le choix de la réponse, si elle doit être pénale, ne peut être partagé. Il appartient à l’autorité judiciaire, au Procureur de la République et à lui seul. La seconde est celle du respect du contradictoire : les éléments factuels, individuels qui pourraient être recueillis sur tel ou tel délinquant à l’occasion des échanges doivent apparaitre en procédure, pour permettre au débat de s’engager dans le respect des droits de chacun. Vous l’aurez compris, nous sommes ouverts au dialogue, au compromis. Nous voulons sortir des antagonismes du passé.
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Vie du droit
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Elle l’est au sens propre, il suffit de visiter certains palais de Justice, certaines prisons, certains foyers pour s’en convaincre … Elle l’est au sens figuré aussi. L’image de la Justice et des magistrats a été salie par tous les apprentis sorciers qui ont fait de la démagogie et du populisme leur fonds de commerce. Reconstruire cette image, faire comprendre aux français que les Magistrats ne sont pas les dangereux laxistes irresponsables qu’on leur a décrit, prendra des années. Expliquer à nos compatriotes que l’indépendance n’est pas un avantage qu’on nous concède, mais une garantie pour eux que leur affaire sera jugée en application de la Loi et non pour des considérations extérieures, sera également compliqué. Afficher que la Justice n’a pas de prix, mais qu’elle a un coût est essentiel, même et peut-être surtout en période de crise. Vous avez, depuis votre arrivée, commencé à corriger cette image. Les Magistrats vous en savent gré. Après les maux de ces dernières années, il vous faudra trouver les mots. Il vous faudra aussi passer aux actes.
L’indépendance des magistrats passe par l’indépendance de l’enquête. Je viens d’évoquer la question de la Police Judiciaire. Il me faut aussi parler de l’instruction
Christophe Régnard Il est néanmoins un débat qui pourrait être source d’opposition, mais qui est au cœur du thème de notre congrès. Je veux bien sûr parler du contrôle de l’autorité judiciaire sur la police judiciaire. C’est une vieille question assurément difficile à trancher tant les réticences sont grandes du côté de la place Beauvau. L’indépendance des juges, celle des procureurs dans la conduite de leurs enquêtes, que nous revendiquons, ne peut avoir de sens que si les services à qui ils confient les enquêtes sont eux-mêmes indépendants du pouvoir en place. De longue date, nous demandons un meilleur contrôle fonctionnel de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire. « Les liens entre autorité judiciaire et police doivent être revus. Aujourd’hui les moyens, les possibilités d’enquête sont entre les mains du ministère de l’Intérieur qui a sous sa direction les services de police et de gendarmerie (…) Il faut préserver l’impartialité des enquêteurs de police judiciaire en les plaçant sous l’autorité fonctionnelle unique des procureurs et des juges d’instruction lorsqu’ils mènent des enquêtes judiciaires ». Tout est dit et bien dit … par François Hollande, Président de la République, dans un courrier qu’il nous a adressé le 14 avril dernier. Une promesse que nous espérons bien voir se réaliser. Nous ne sommes néanmoins pas naïfs et nous savons bien que cela prendra du temps. Avec le SNOP-SCSI et 11 autres organisations, nous avons, dans notre rapport commun « 2012, penser autrement la Justice et la Sécurité »
indiqué, qu’il convenait « d’engager une réflexion, avec l’ensemble des acteurs concernés, sur l’éventuel rattachement de certains services spécialisés de police judiciaire aux services judiciaires ». La question se pose, le débat peut et doit être lancé et des réponses apportées, de façon pragmatique, dans le respect des positions, notamment statutaires, de chacun. Notre but est d'améliorer l'efficacité de nos misions réciproques. Pas de remettre en cause bien entendu, les déroulements de carrière et les avancées statutaires obtenues par nos amis policiers. Nous espérons que vous accepterez Monsieur le Ministre de l’Intérieur, naturellement en lien avec votre homologue de la Justice, d’engager rapidement cette nécessaire réflexion. L’indépendance et le changement se mesureront aussi à cela !
Madame la Ministre de la Justice Vous l’avez compris, nous attendons un changement de regard entre Intérieur et Justice, nous attendons aussi beaucoup de vous. Après des années très difficiles, qui ont vu les réformes s’amonceler, sans grande cohérence entre elles, dans une optique communicationnelle bien huilée et avec une seule constante, l’absence de moyens pour les appliquer, nous considérons que la Justice est aujourd’hui plus qu’hier en ruine !
Depuis 2009 et les annonces de Nicolas Sarkozy à la Cour de Cassation, nous nous sommes beaucoup battus, aux côtés d’Associations de victimes à qui je rends hommage, pour défendre la fonction de juge d’instruction, que beaucoup, y compris au sein de la magistrature voulaient voir disparaitre au profit d’un super Juge de l’enquête aux pouvoirs mal définis. Ce combat, nous l’avons gagné, notamment médiatiquement auprès de l’opinion publique, désormais acquise, malgré le drame d’Outreau, à la nécessité d’un Juge d’instruction indépendant. Il faut dire que nous avons été bien aidés par un Procureur de la région parisienne, dont je tairais le nom, opportunément nommé récemment à la Cour d’Appel de Paris, qui par son comportement caricatural a démontré combien nos inquiétudes quant à la mainmise potentielle du pouvoir exécutif sur la gestion des affaires étaient fondées. Je l’ai déjà dit l’an passé par boutade, ce désormais ex-procureur mérite une statue pour avoir si bien, certes à son corps défendant, contribué à sauver la fonction de Juge d’Instruction et démontré l’urgence d’une réforme du statut du parquet ! Ce combat, essentiel pour la démocratie, semble aujourd’hui derrière nous. François Hollande, pendant la campagne électorale, nous a assuré par écrit de « son attachement au maintien du Juge d’instruction indépendant, compétent pour gérer les affaires les plus complexes ». Vous avez vous-même en annonçant la création dans la prochaine loi de finances, de quelques postes de juges d’instruction, après la saignée
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Vie du droit des effectifs ces dernières années, donné un signal encourageant de votre volonté de renforcer la fonction. Il nous restera à débattre des conditions de mise en oeuvre effective de la collégialité renvoyée à 2014. Je ne doute pas que nous pourrons vous convaincre de faire preuve de souplesse en privilégiant une cosaisine renforcée plutôt qu’une collégialité généralisée aussi inutile que coûteuse.
L’indépendance des magistrats, c’est aussi la liberté dans l’orientation des procédures, dans le choix de la peine, dans les modalités d’exécution des peines En 5 ans, nous avons à de nombreuses occasions déplorées la limitation insidieuse des marges d’appréciation des magistrats, qu’ils soient du siège ou du parquet. Les circulaires n’ont pas manqué pour forcer les Magistrats du Parquet à user, voire abuser, des procédures rapides et privilégier les enquêtes préliminaires, davantage sous contrôle, au détriment des ouvertures d’informations judiciaires. La loi sur les peines planchers de 2007 et les circulaires qui l’ont accompagnée sont allées plus loin. Encadrer comme jamais les décisions des Juges n’a pas suffi, les injonctions d’appel systématique en cas de non-application de la peine plancher, la convocation place Vendôme de Procureurs Généraux, parce que le taux d’application des peines planchers dans leur ressort était insuffisant, étaient autant de marques de défiance à l’égard des Magistrats et de pression sur les décisions rendues. Parallèlement, le législateur n’a eu de cesse de renverser le principe qui veut que le Juge ait à justifier les décisions défavorables aux personnes qu’il condamne. Petit à petit, loi après loi, le mandat de dépôt est trop souvent devenu la règle, le Magistrat devant motiver la liberté… Dans le contexte de pénurie de moyens et de stigmatisation des Juges dès qu’une personne mise en liberté récidivait, on a manifestement misé en haut lieu sur le fait que les Magistrats iraient au plus rapide et au moins dangereux ! Poursuites systématiques, peines quasiautomatiques, appels imposés, détention facilitée, mais ensuite… libérations recommandées … Voilà ce qui a sans doute le plus excédé les Magistrats au cours des 5 dernières années, cette schizophrénie à laquelle on nous a contraints. Publiquement, le pouvoir n’a eu de cesse d’afficher un message de fermeté. Subrepticement, par la loi ou par des circulaires, il nous a incités à libérer au maximum avant la fin de peine, voire à ne pas incarcérer du tout ! Etait-il cohérent dans la loi pénitentiaire, deux ans après l’adoption de la Loi sur les peines planchers, de permettre l’aménagement des peines d’emprisonnement inférieures à deux ans ? Etait-il pertinent d’imposer la libération automatique sous bracelet électronique quelques mois avant la fin de peine, quand bien même l’intéressé n’aurait aucun projet ? Est-il acceptable de prévoir que l’absence de veto du juge
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d’application des peines à certaines des mesures qui lui sont proposées vaut acceptation ? Quelle autre logique que celle de vider les prisons que, par sa politique inconsidérée, on a contribué à remplir ? Nous ne vous demandons qu’une seule chose, Madame la Ministre, c’est de rendre aux juges, de restituer aux procureurs la plénitude de leurs missions, en un mot de leur faire confiance ! Vous avez dans votre circulaire de politique pénale, souhaité en ces matières changer de logique. Nous n’y avons rien lu de vraiment révolutionnaire, mais nous avons noté un retour à davantage de cohérence. Reste qu’une circulaire de politique pénale n’a que la valeur juridique que chacun connait et qu’elle ne dispensera pas d’une loi. Les commentateurs ont beaucoup glosé sur les commissions et groupes de réflexion qui ont été créés depuis mai dernier dans de nombreux ministères sur des sujets sensibles. A l’USM, nous nous réjouissons que les lois du précédent quinquennat, même si nous les avons contestées, ne soient pas abrogées, par pur esprit partisan. La loi sur les peines planchers est néfaste, nous l’avons toujours dit. La loi sur la rétention de sureté est choquante sur le plan des principes, inutile, et d‘ailleurs non appliquée. Celle sur les citoyens assesseurs coûteuse et de nature à retarder le cours de la Justice. Celle enfin sur les tribunaux correctionnels pour mineurs heurte les standards internationaux et se révèle elle aussi inefficace. Nous ne regretterons pas leur disparition. Mais nous préférons mille fois que ces éventuelles abrogations soient la conséquence d’une réflexion, d’un examen de leur efficacité ou de leur inefficacité. C’est à cette condition que nous pouvons espérer, en cas d’alternance politique dans 5 ou 10 ans, que les mauvaises idées d’hier ne redeviennent pas les solutions de demain ! Rompant avec la pratique « un fait divers dramatique, une loi », vous avez opté pour une réflexion d’ensemble sur la prévention de la récidive dans le cadre d’une conférence dite de consensus et vous êtes donnée plusieurs mois pour que l’ensemble des pistes soient exploitées, les professionnels associés et une loi adoptée. Vous l’aurez compris, nous ne contestons pas le principe, mais nous ne comprenons pas la méthode ! Le choix a été fait d’écarter du comité d’organisation les organisations professionnelles représentatives au profit de personnalités choisies intuitu personae. La qualité de ces personnes n’est pas en cause, encore que pour ce qui est des Magistrats la surreprésentation initiale de personnalités, de notoriété publique, proches du syndicat minoritaire, nous a posé question. N’y voyez-vous pas une incohérence avec la volonté affichée par vous-même et conforme aux promesses du Président de la République de respecter les corps intermédiaires ? Vous me répondrez que l’USM sera entendue, qu’elle pourra faire valoir ses arguments. Certes, mais le consensus qui pourrait se faire au sein de cette conférence se fera sans nous … et laissera in fine la place à un possible « dissensus » ! Nous l’avons dit en amont à votre cabinet, nous l’avons fait savoir par communiqué, nous regrettons cette situation, même si nous contribuerons à cette réflexion, parce qu’il en va de l’intérêt de la Justice.
Sur le fond, nous n’avons jamais cru en l’efficacité des politiques menées ces dernières années essentiellement fondées sur la croyance en l’effet dissuasif de la peine. Un concept qui n’a en réalité de sens que pour les honnêtes gens ! Comment a-t-on pu oublier que c’est Place de Grève pendant que l’on clouait au pilori des voleurs ou décapitait des assassins que nombre d’infractions se commettait parce que les spectateurs s’intéressaient plus au travail du bourreau qu’à leur bourse ! Comment a-t-on pu ignorer qu’aux Etats Unis, malgré la peine de mort, l’incarcération à vie à la 2ème récidive et l’un des taux de détention les plus élevé du monde démocratique, la criminalité et la délinquance sont à des niveaux inégalés ! Les chiffres nous donnent d’ailleurs raison puisque la délinquance la plus grave a continué à augmenter au même rythme qu’auparavant, malgré l’avalanche de nouvelles infractions et l’aggravation des peines encourues et prononcées. Mais nous ne croyons pas davantage à la solution magique que pourrait constituer la peine de probation, si fréquemment citée ces dernières semaines dans la presse. D’abord parce que la probation existe déjà … depuis plus de 50 ans. Le SME, le TIG, l’ajournement avec mise à l’épreuve, la libération conditionnelle en sont autant d’exemples. Ensuite parce que, sans des moyens énormes qu’il sera impossible de dégager à court terme, la généralisation de ce type de mesure conduira à entraver encore un peu plus le travail des conseillers d’insertion et de probation. Nous préférons à la démagogie passée et aux utopies d’aujourd’hui une réflexion globale. Ne croyez-vous pas, comme nous, que ce qui est susceptible de dissuader un délinquant de passer à l’acte, c’est plus que la peine encourue ou le mode d’exécution de celle-ci, la certitude d’être pris, celle d’être jugé dans des délais raisonnables, celle de voir sa peine appliquée ? Si réforme il doit y avoir, elle ne peut être que globale, que l’un seulement des maillons de cette chaine, le maillon policier, le maillon judiciaire ou le maillon pénitentiaire soit affaibli et c’est toute la politique pénale qui est mise à mal. Actuellement, la police est entravée dans son travail. Garantir les droits des justiciables est une nécessité, permettre à l’autorité judiciaire de s’assurer que ceux-ci ont été respectés une évidence, mais ne pourrait-on pas toiletter notre code de procédure pénale pour lui donner plus de fluidité et supprimer des contraintes inutiles qui ralentissent les investigations et font peser un risque permanent de nullités ? Actuellement, la Justice pénale est lente, bien trop lente. Nous ne sommes pas des adeptes de la comparution immédiate généralisée, mais quel sens y a-t-il à juger une personne 12 à 18 mois après les faits ? Etait-il bien raisonnable dans ce contexte d’avoir adopté la loi sur les citoyens assesseurs, coûteuse à mettre en oeuvre, qui allonge les débats et ralentit en réalité tous le processus judiciaire ? Peut-on continuer à généraliser les procédures sans audiences, la fameuse troisième voie ? Quelle justice rendonsnous ainsi ? Quelle visibilité ? Quelle solennité ? Quelle place pour les victimes ? Nous espérons que ces errances cesseront bientôt. Nous sommes disposés à en débattre avec vous.
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Vie du droit Police entravée, justice pénale lente, application des peines à l’agonie. L’affaire de Pornic l’a bien montré. Les personnels ne sont pas en cause. Ils font un travail remarquable avec des moyens insuffisants. En 2001, dans notre livre blanc sur l’inexécution des peines, nous dénoncions le fait que près de 100 000 peines n’étaient pas exécutées dans l’année de leur prononcé. 10 ans plus tard, votre prédécesseur a fini par admettre que la situation n’avait pas évolué ! Quel immense gâchis ! Que de temps perdu ! Combien de personnes que nous aurions pu (du !) aider à « revenir parmi nous » comme vous l’avez dit, Madame la Garde des Sceaux lors de l’Assemblée générale extraordinaire du CNB ? Combien de nouvelles victimes ? Ce gâchis, Madame la Ministre de la Justice, Monsieur le Ministre de l’Intérieur, vous en héritez. Il vous appartient d’y remédier, pour ne pas en être, aux côtés de vos prédécesseurs qui ont beaucoup dit mais finalement peu fait, les comptables dans quelques années ! Votre feuille de route est claire : renforcer la police, accélérer le cours de la Justice, nous permettre d’exécuter les décisions que nous rendons … Bref nous donner les moyens de travailler, tout cela en période de crise budgétaire … Je vous souhaite bon courage !
L’indépendance, c’est aussi lever les contraintes qui pèsent sur les juridictions C’est leur donner les moyens de fonctionner. A cet égard, votre budget, Madame la Ministre, qui réduit dans des proportions significatives les dotations de fonctionnement et fait pesé le risque d’une disparition de la sécurité à l’entrée des palais, à laquelle nous sommes farouchement attachés, nous inquiète. C’est supprimer, avant que le recours contentieux que nous avons introduit devant le Conseil d’Etat ne prospère, la réforme des BOP 166, mise en place en catastrophe par votre prédécesseur, qui conduit à mettre certains chefs de Cours sous tutelle d’autres et éloigne le circuit de la dépense de l’affectation des fonds et donc de la connaissance des particularités locales. C’est éviter de mettre les chefs de juridiction dans l’obligation permanente de faire des choix de contentieux, d’établir des priorités de traitement des affaires, que comme à Pornic, on pourrait nous reprocher en cas de survenance d’un drame ! Vous rappelez souvent, Madame la Ministre, que la Justice est avant tout civile et que près de 70 % des dossiers que nous traitons au quotidien ne sont pas des dossiers pénaux, même si ce sont ces derniers qui sont sans cesse au cœur de l’actualité et des polémiques. Vous avez parfaitement raison. Nos collègues civilistes ont souvent l’impression d’être sacrifiés. Pour faire face à l’augmentation continue des charges en matière pénale, alors même que les moyens n’augmentent pas, il y
a une tendance généralisée à favoriser la réponse pénale au détriment des affaires civiles, à créer de nouvelles audiences correctionnelles en supprimant des audiences civiles, à affecter prioritairement les fonctionnaires dans les services pénaux et à les mutualiser dans les services civils. Cette situation ne peut plus durer. Il y a deux moyens d’y remédier. La première est d’augmenter le nombre de magistrats et de fonctionnaires. Faut-il rappeler que selon le dernier rapport de la CEPEJ, la France n’a que 11 juges, 3 procureurs et 32 fonctionnaires de greffe pour 100 000 habitants quand la moyenne européenne est respectivement à 23, 11 et 71 ! Vous avez annoncé des recrutements. En période de crise, alors que tous les ministères voient leurs effectifs baisser, nous en prenons acte, mais chacun sait que ces recrutements seront une goutte d’eau dans l’océan des besoins. C’est donc au périmètre d’intervention des Magistrats qu’il faut d’urgence réfléchir. A force de vouloir tout faire, on fait tout mal. Vous avez confié récemment une mission à l’institut des hautes études judiciaires. Nous aurions préféré un groupe de travail associant les organisations représentatives. Vous avez fait un autre choix. Nous examinerons avec attention les résultats de cette étude. Lever les contraintes, c’est enfin rétablir le dialogue social et associer les Magistrats à la gestion de leurs juridictions. Il est un constat ancien que le dialogue social est quasi-inexistant dans notre Ministère. Il l’est au niveau national, il l’est tout autant au niveau local. Rien ou presque ne fait l’objet de concertation. Les commissions restreintes et assemblées générales sont trop souvent des instances désertées qui servent de chambre d’enregistrement à des décisions prises ailleurs. Nous considérons que les juridictions doivent être gérées et qu’elles doivent l’être par des magistrats, et non par des administrateurs civils quelles que soient leur compétence. L’indépendance juridictionnelle passe par l’indépendance organisationnelle. L’exemple de l’hôpital, de cette prise de pouvoir de l’administratif sur le médical, devrait inciter ceux qui prônent la « révolution judiciaire » à la prudence. C’est aussi pourquoi nous sommes fermement opposés à l’idée que nous jugeons saugrenue de transformer les juridictions en établissements publics gérés par des conseils d’administration dans lesquels siégeraient des justiciables et de faire élire les chefs de juridiction par les magistrats ! Nous ne souhaitons pas pour autant le statu quo. Actuellement quand bien même Magistrats et fonctionnaires s’opposeraient à l’unanimité aux projets qui leur sont présentés, ceux-ci peuvent être adoptés. Envisager un avis conforme de la commission ou de l’AG compétente, à la majorité simple ou à une majorité qualifiée à définir pour éviter d’é ventuels blocages, permettrait de donner aux magistrats et fonctionnaires un vrai droit de regard sur l’organisation de leur travail et renforcerait le nécessaire dialogue social dans les juridictions.
L’indépendance, c’est enfin et assurément surtout le statut Avec plus d’espoirs que l’an passé d’être entendu, je terminerai sur les indispensables, « incontournables » a dit le Président de la République pendant la campagne, réformes constitutionnelles et organiques. A l’évidence, il faut modifier le statut des Magistrats du parquet. Depuis le 6 mai, vous avez affirmé que les avis du CSM seraient scrupuleusement respectés, revenant ainsi à des pratiques que nous avions connues avant 2002. Dans une circulaire de cet été, vous avez, devançant de quelques jours une décision similaire adoptée par la formation du siège du CSM, imposé la transparence pour la nomination des procureurs généraux. Vous avez enfin dans votre circulaire de politique pénale annoncé la fin des instructions individuelles dans les dossiers particuliers. Nous nous félicitons de ces avancées, qui ne sauraient néanmoins occulter la nécessité de modifier les textes. Les standards internationaux, qui doivent fonder la future réforme sont clairs. Je ne listerai pas comme je l’ai fait l’an passé l’ensemble des organisations internationales qui ont eu l’occasion de les fixer ou de les rappeler. Je me contenterai de citer la position commune du CCJE et du CCPE en 2009 : « L’indépendance du ministère public constitue un corollaire indispensable à l’indépendance du pouvoir judiciaire » et le rapport de juin 2012 de Madame Gabriela Knaul, rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats, que nous avons rencontré à plusieurs reprises, qui en écho lui répond : « Il est fondamental que les Magistrats du parquet puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, objectivité et de manière transparente ». Tout est dit sur l’objectif. Tout reste à construire sur les moyens pour y parvenir. A l’évidence, il faut réformer la composition et les pouvoirs du CSM. La composition déséquilibrée issue de la réforme constitutionnelle de 2008 est incompatible avec les standards internationaux qui tous imposent que l’organe qui assure les carrières et la discipline des magistrats soit composé majoritairement de Magistrats Là encore, on ne compte plus les institutions qui ont condamné, implicitement ou explicitement la situation de la France : l’Association Européenne des Magistrats, dont l’USM est membre fondateur, mais aussi l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et l’ONU récemment. Réduction drastique des compétences du CSM, notamment interdiction d’émettre des avis spontanés, obstacles mis à l’association du CSM à la gestion de son budget, guerre larvée entre le CSM et la DSJ, en ce qui concerne les nominations … les exemples ne manquent pas au quotidien pour démontrer la nécessité d’une nouvelle réforme.
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Vie du droit Depuis votre nomination, les pratiques ont quelque peu changé. La DSJ tient davantage compte des recommandations positives émises par le CSM pour certains collègues. Vous avez en outre accepté que les membres du CSM aient accès aux dossiers de l’ensemble des postulants sur un poste et non plus seulement aux seuls dossiers des observant. Il faut aujourd’hui aller plus loin et présenter la grande réforme, celle qui assurerait enfin l’indépendance aux magistrats. Dans ces deux domaines, nous, Magistrats, adhérents de l’USM, nous savons ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Nous voulons l’instauration d’un vrai pouvoir judiciaire symboliquement matérialisé par l’inscription de cette notion dans la Constitution. Nous voulons un CSM majoritairement composé de Magistrats conformément aux standards internationaux et qui reflète mieux la composition réelle du corps. Nous voulons que la nomination des membres non magistrats du CSM fasse l’objet d’une validation par une majorité qualifiée du Parlement pour assurer leur neutralité politique. Nous voulons que le CSM soit maître de son budget et consulté, en amont de la présentation des textes de lois, sur tous les sujets qui concernent directement le statut de la magistrature ou l’organisation judiciaire. Nous voulons que le CSM se voie retirer le bâillon qu’on lui a imposé en 2008 et puisse à nouveau émettre des avis spontanés sur les sujets intéressant la Justice et la magistrature Nous voulons une meilleure gestion des ressources humaines de la magistrature et pour ce faire un transfert des compétences de la DSJ vers le CSM. Nous refusons la disparition de la commission d’avancement et prônons au contraire le renforcement de ses compétences en lui confiant le recrutement des juges de proximité et les contestations d’attribution des primes modulables. Nous voulons que le CSM, à qui les dernières réformes ont donné plus de pouvoirs en matière disciplinaire, soit doté d’organes d’enquêtes propres, par le rattachement de tout ou partie de l’IGSJ.
Nous voulons en outre que les Magistrats bénéficient des garanties élémentaires, d’ailleurs imposées par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, au cours des procédures disciplinaires, pré-disciplinaires et administratives. Pour le dire en une seule phrase, nous voulons un VRAI CSM, comme il en existe dans toutes les grandes démocraties européennes ! Nous voulons enfin des procureurs indépendants du pouvoir. Nous demandons donc l’alignement total de leur statut sur celui plus protecteur des Magistrats du siège, en matière de nomination comme en matière disciplinaire. Plus que l’avis conforme, nous voulons le transfert au CSM du pouvoir de proposition de nomination des Procureurs, Procureurs Généraux et membres du Parquet Général de la Cour de Cassation, qui appartient actuellement au Garde des Sceaux. Nous voulons naturellement que soit inscrite dans la Loi l’interdiction de toutes instructions individuelles dans les dossiers particuliers. Au nom de l’unité du corps à laquelle nous sommes viscéralement attachés, nous voulons que les Magistrats puissent continuer librement à passer du siège au parquet et inversement, en respectant naturellement des règles d’incompatibilité dans le temps et dans l’espace et nous rejetons avec force l’idée d’une option imposée à échéance de 10 ans de carrière soit au siège, soit au parquet. Voilà, Madame la Ministre, vous connaissez nos souhaits. Nous sommes exigeants, c’est vrai. Mais c’est parce que nous attendons depuis si longtemps ! Ces réformes nécessitent une modification de la Constitution que nous savons difficile à faire adopter compte tenu des règles de majorité du congrès. Mais il nous semble qu’elles sont suffisamment importantes, parce qu’elles touchent au cœur de nos métiers, de nos missions, de la démocratie pour qu’elles soient aujourd’hui déconnectées des contingences politiques. Puissions-nous, pour paraphraser André Braunschweig, Président fondateur de l’USM,
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« par nos efforts, notre entêtement, la force de notre conviction, réussir à faire enfin comprendre (…) que la liberté des magistrats n'est pas un enjeu électoral mais l'un des fondements de la démocratie qui doit exiger un consensus défiant les clivages politiques. Parvenir à obtenir (…) cette prise de conscience doit demeurer la mission primordiale et en même temps la justification la plus noble du syndicalisme judiciaire … »
Conclusion Chacun l’aura perçu, la période qui s’ouvre s’annonce riche en réformes … mais pauvre en moyens ! Alors que beaucoup de chantiers ont été lancés, mais qu’aucun n’a encore pu aboutir, nous sommes dans l’expectative. Nous espérons beaucoup, nous craignons aussi d’être déçus. Les promesses du passé rarement suivies d’effet sont là pour nous convaincre de rester prudents. Notre panoplie du « parfait manifestant », qui s’est étoffée au cours des dernières années, a été remisée. Jusqu’à quand ? Nous ne voulons pas connaitre à nouveau 5 années de tensions et de combats. Nous ne voulons pas tous les 6 mois descendre dans la rue, appeler à des rassemblements sur les marches des Palais ou au renvoi des affaires. Cela n’est ni dans notre culture, ni dans nos traditions. Nous préférons infiniment aux oppositions frontales du passé le débat d’idées ! « Une tête qui s’entête à penser Quand la pensée se fait prête à porter ». Plutôt qu’une citation comme les années précédentes, je préfère conclure sur ces vers, qui sont de vous, Madame la Ministre, si j’en crois la presse estivale, parce qu’ils résument bien l’état d’esprit qui est le nôtre. Entre le sectarisme et l’idéologie auxquels certains à gauche vous pousseront, entre la démagogie et le populisme, auxquels certains, encore récemment au pouvoir, n’ont sans doute pas renoncé, au-delà des solutions simplistes, il y a une ligne réformiste et pragmatique … Empruntez là … afin que nous puissions vous soutenir ! 2012-735
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Ile-de-France
Commission Départementale de Coopération Intercommunale (CDCI) des Yvelines Versailles - 3 octobre 2012
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La Commission Départementale de Coopération Intercommunale (CDCI) se réunit régulièrement sous la présidence du Préfet des Yvelines Michel Jau (voir Les Annonces de la Seine du 1er décembre 2011 page 12), dans sa séance du 3 octobre dernier, le rapporteur Jean-Yves Bouhourd, Maire de L’Etang la Ville, le Préfet et son Secrétaire Général Philippe Castanet ont fait le point sur l’état d’avancement de la mise en œuvre du Schéma Départemental de Coopération Intercommunale qui couvrira le département des Yvelines de 20 communautés de communes ou d’agglomérations et qui permettra de réunir la totalité des communes et leur donnera, conformément à la loi du 16 décembre 2010, les moyens nécessaires à leur développement et à la prise en compte des besoins de leur population. Jean-René Tancrède
Jean-Yves Bouhourd, Michel Jau et Philippe Castanet a Commission Départementale de Coopération Intercommunale (CDCI) des Yvelines s’est réunie mercredi 3 octobre 2012 sous la présidence du Préfet Michel Jau, et avec comme rapporteur M. Jean-Yves Bouhourd, Maire de l’Etang la ville. Il s’agissait lors de cette nouvelle séance de faire le point sur l’avancement de la mise en oeuvre du Schéma Départemental de Coopération Intercommunale (SDCI) voté par les élus en décembre 2011.
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Il a été aussi présenté à cette occasion quelques ajustements de périmètres, dans des secteurs où un désaccord subsistait et pour lesquels le dialogue entre élus et avec l’Etat s’était poursuivi. La réunion s’est déroulée dans un climat serein avec de nombreuses interventions argumentées. Un secteur a suscité plus particulièrement des échanges contrastés entre certains élus, celui du devenir de la communauté de communes de « Seine Mauldre ».
Le Préfet et le rapporteur ont rappelé que la concertation se poursuit pour parvenir à un consensus à chaque fois que cela est possible et que des modifications de périmètre seraient encore envisageables, certains étant, à l’évidence, de nature transitoire. Une nouvelle réunion de la CDCI est prévue le 12 décembre 2012, pour se prononcer sur ces propositions. Source : Communiqué de la Préfecture des Yvelines du 22 octobre 2012
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LES ANNONCES DE LA SEINE Supplément au numéro 64 du lundi 22 octobre 2012 - 93e année
Conférence du Jeune Barreau de Toulouse
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Rentrée Solennelle - 12 octobre 2012
Hugues Delafoy et Maher Attye a séance solennelle de Rentrée du Jeune Barreau de Toulouse s’est déroulée à la Cour d’Appel ce 12 octobre en présence de prestigieuses personnalités au premier rang desquelles Dominique Vonau Premier Président, Jean-Luc Forget Président de la Conférence des Bâtonniers et Jean Castelain ancien Bâtonnier de Paris.
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Les lauréats du concours d’éloquence oratoire 2012 Maher Attye et Hugues Delafoy, respectivement premier et deuxième secrétaire ont prononcé les discours d’usage sur « Le temps de l’éloquence » et « Plaidoyer pour elle ». Nous adressons nos chaleureuses félicitations à ces talentueux avocats. Jean-René Tancrède
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Rentrée solennelle
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Maher Attye
Le temps de l’éloquence La voix du silence par Maher Attye A eux qui par leur indispensable présence me font compter chaque seconde, A mes frères qui n’ont jamais douté, A ceux qui par leur générosité, leur bonté et leur bienveillance ont permis l’écriture de ce discours, A elle, sans qui, rien de tout cela n’aurait été possible. « Entends ce que je dis, ô mon cher camarade, Moque-toi de ce monde et ne sois pas maussade, Assieds-toi dans un coin, contemple sagement, De ce vieil Univers, l’étrange mascarade » Omar Khayyam « La vraie et grande éloquence est celle dans laquelle, même aux moments calmes, on sent le grondement d'une foudre » Victor Hugo « Le silence est le summum de l’éloquence » Eric Dupond-Moretti l était là, assis à côté de moi, le visage pâle et impassible, le regard fixe. Ses mains notaient mécaniquement les peines requises par l’Avocat Général qui venait d’achever avec un brio redoutable son réquisitoire. C’était à son tour de se lever et de plaider. La défense qu’il incarnait allait animer son esprit et faire parler ses lèvres. Il se devait bien sûr, d’être convaincant, persuasif, incisif. En somme, simplement éloquent. Les jurés, qui à présent le dévisageaient, étaient comme suspendus à ses lèvres encore closes
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alors que le Président lui proposait de s’emparer des armes. L’ambiance était pesante, le silence assourdissant, et le sort du procès semblait déjà scellé. Pourtant, aucune inquiétude ne se devinait sur son visage. Il prenait tout le temps, étreignant le silence comme un ami rassurant. Les secondes semblaient immobiles. Il paraissait concentré mais absent, comme si son inconscient plaidait déjà, comme si son présent se confondait avec son futur pour mettre à mal ces deux illusions. Alors qu’il avait rassemblé ses forces pour élever sa voix, il pencha la tête vers moi, juste quelques secondes, sans même détourner le regard, et me confia ces mots : « Vois-tu Maher, l’éloquence, c’est de maîtriser l’espace mais surtout le temps ». Le regard redevenu vif, les yeux déterminés, il se leva pour empoigner la parole, m’abandonnant ainsi au pied de cette obscure clarté où il venait de me plonger. Monsieur Le Bâtonnier, Monsieur Le Préfet de région, Monsieur le Premier Président, Mesdames, Messieurs les Magistrats, Monsieur Le Procureur de la République, Mesdames, Messieurs, Mes Chers Confrères, « Maîtriser l’espace et le temps pour réussir sa plaidoirie… » Mais que venait faire l’éloquence entre l’espace et le temps ? En quoi la parole, si libre et si fugace, était-elle déterminée par ces deux éléments ? Sa raison d’avocat avait-elle basculé, peut-être, face à l’enjeu insurmontable de ce procès ? Cette phrase avait-elle un sens ? Les mots restaient muets : Espace, temps, parole, éloquence….
L’espace, lui, m’avait frôlé et l’espace d’un instant, je l’avais défini, mesuré, circonscrit. Bien, l’espace est matériel, il est immense mais quantifiable, nous l’avons affublé de ses trois dimensions – x, y et z – jurant que ces lettres ne sont pas les seules d’un alphabet que nous ne maîtrisons pas. Encore. Soumis à nos mathématiques, nous le traversons de part en part, comme un damier sur lequel nous plaçons et déplaçons nos vies. Nous le foulons aux pieds et il s’en accommode. Certains même raillent cet espace inoffensif qui s’est « imposé l’homme comme un véritable châtiment » (1). Maîtriser son espace, revient naturellement à soigner sa posture, sa gestuelle, et les effets de ses manches. Il désigne cette distance physique à laquelle il convient de se placer vis-à-vis de celui qui écoute. J’apercevais ce lien concret entre l’espace et l’art oratoire. Cela ne me semblait pas poser de difficulté tant l’espace a quelque chose de familier et de rassurant. Mais, « le temps », immédiatement ramené à la parole était une notion singulièrement absconse. Comment l’éloquence pouvait-elle me conduire à maîtriser le temps ? L’espace n’a rien en commun avec le temps et pourtant, il lui ressemble. Un académicien célèbre les avait brillamment cernés, campant le personnage du divin, et s’adressant aux hommes sur un ton prophétique : « L’espace et le temps, mes deux enfants qui ne font qu’un, les jumeaux inséparables, je les ai aimés d’un même amour. Surtout à côté de son frère, si vif et si brillant, l’espace est un rustaud placide, un lourdaud inoffensif. […] L’espace sera
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Rentrée solennelle Au premier plan et à droite : Dominique Vonau Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
la forme de votre puissance. Mais le temps. Ah ! Le temps parce qu’il porte ma marque, parce qu’il est le reflet changeant de mon éternité sera la forme de votre impuissance »(2). C’est beau, c’est très beau ! Mais je n’étais pas plus avancé. Et pour comprendre comment le maîtriser, il me fallait le définir. Avant même d’aborder le sens de sa relation avec l’éloquence, il me fallait cerner cette invisible évidence, ce compagnon si familier dont on oublierait jusqu'à l’existence. Il me fallait savoir ce qu’est le temps. Peut-être une simple vue de l’esprit humain, une dérobade imaginée par l’homme, pour l’homme, afin de supporter cette effroyable idée dont il ne peut s’accommoder, celle de l’éternité… Seulement le temps existe, il rythme nos journées et notre volonté. Maîtriser le temps se réduirait alors peut-être au respect scrupuleux du délai imparti au-delà duquel nul esprit humain ne prête plus attention au discours qui l’entoure mais pense déjà aux réjouissances futures. Le temps serait alors celui de la parole. Ces dix minutes, si courtes pour moi, si longues pour vous, résumeraient finalement la maîtrise de notre temps. Mais, l’idée du temps ne saurait se réduire à la simple durée d’un discours ou d’une plaidoirie. « Maîtriser le temps et l’espace… » Cette formule me paraissait de plus en plus ésotérique. Alors, de quoi parlait-il ? Quel est ce temps dont la maîtrise confine à l’éloquence ? Certainement, celui qui passe, là, maintenant, comme une « invraisemblable évidence » (3), sur chacune de nos montres, celui qui nous endeuille de chaque seconde perdue, elles qui ont disparu et qui ne reviendront plus… Tic…Tac… (Bruit d’une pendule). Celui derrière lequel nous courons essoufflés, dans cette course effrénée, qu’il a déjà gagnée. Ce temps qui nous fait mettre nos pendules à l’heure pour surprendre son passage. Alors qu’il nous surprend au soir de notre vie pour nous dire « souviens-toi » mais il est déjà trop tard. Oui « souviens-toi » de cette maudite horloge. « Trois mille six cents fois par heure, la seconde chuchote : « souviens-toi » - rapide avec sa voix, d’insecte, maintenant dis : je suis autrefois. […] Souviens-toi que le temps est un joueur avide qui gagne sans tricher à tout coup c’est la loi.
Le jour décroît, la nuit augmente, [alors] souviens-toi »(4). Lequel d’entre nous n’a jamais tenté de marcher à rebours de ce destin mortel, assoiffé de l’oubli ? Lui qui porte la mort et la vie d’une même main chancelante. Parce que le temps, lui aussi, a ses trois dimensions, ses trois parts inégales qui se disputent nos vies. Le passé d’abord forme nos souvenirs et notre irrationnelle conviction que le passé est passé. Et pourtant, il est fait de nos seules certitudes, celles des faits avérés. C’est le seul qui fut et qui donc a été. Le futur, lui, porte en germe nos espoirs mais aussi nos craintes, nos ambitions et nos désillusions. Il n’existe pas encore, il est obscur et inquiétant car nous ne le connaissons pas. Et puis, écrasé entre ces deux murs immenses, le présent, le mien, le vôtre, celui de cet instant, celui de ce procès, si fin et si infime qu’on ne peut le penser, sitôt présent déjà passé. Alors devant le constat implacable de cette fatalité, la parole, elle-même, n’est-elle pas de trop ? A peine avait-t-elle été prononcée qu’elle appartenait déjà à ce monde éphémère des souvenirs que l’oubli emprisonne. Alors comment avait-il pu croire que la parole déjoue l’instant ? Comment avait-il pu me dire
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Olivier Fontibus et Jean-Claude Benhamou
que l’éloquence domine le temps ? S’était-il tout simplement trompé ? Et pourtant. N’est-il pas curieux de sentir qu’un discours éloquent peut ébranler cette notion absolue ? Que la parole peut conjurer l’espace de quelques mots, peut-être par l’émotion qu’elle suscite, cette marche inéluctable ? Sinon comment expliquer autrement « qu’un auditoire puisse être saisi par le discours d’un orateur au point qu’il n’y ait plus aucun décalage entre les mots de celui qui parle et l’attention de celui qui écoute »(5). Ou encore, que ce dernier soit si attentif que ses lèvres dessinent les mots prononcés par l’orateur lui-même. A cet instant précis, l’éloquence du plaideur le fait sortir de l’instant pour le mettre hors du temps. Et celui qui écoute est emporté, transporté, et son présent se confond avec celui de l’assemblée. Personne ne sent alors que le temps passe, parce que le temps n’existe plus. Il est suspendu par l’instant. Je compris alors que l’éloquence avait cette rare vertu de transcender l’immédiateté en un moment immobile, comme si le temps glissait sans prise, comme si l’instant embrassait l’infini. Et de ce moment elle marquera le temps, pour traverser les siècles sans vieillir, ni mourir. La parole éloquente est celle que l’on écoute, non parce qu’elle nous convainc mais parce que nous nous plaisons à l’écouter, parce que son écho a su faire vibrer en nous une part d’éternité. Elle est cet instant de raison où le génie de l’homme s’exprime. L’éloquence fixe le présent pour qu’il change à jamais notre éternité. Qui peut oublier ? 1898, Ferdinand Labori : « Zola condamné, c’est la France se frappant elle-même ! » L’émotion d’Isorni : « Vous n’êtes que des juges, je le sais. Vous ne jugez qu’un homme, je le sais. Mais vous portez dans vos mains, le destin de la France ». Ou encore, le grand Moro Giafferi interpellant les jurés : « Ah ! Dites-vous, Messieurs, qu’en marge de votre arrêt, on pourrait écrire ces mots : ils ont donné la mort, et ils se sont trompés »(6). Toutes ces phrases et ces mots qui semblent s’être inscrits en faux contre l’oubli. Ces fresques
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qui appartiennent toujours à notre présent comme si elles refusaient de passer à la postérité. C’est en écoutant ces monuments de l’Histoire, que notre moi le plus profond prend conscience de l’intemporalité de certains moments de nos vies, […] et que ce qui chante et contemple en nous est encore fixé dans les limites de ce premier instant qui sema les étoiles dans l’espace. (7). Je commençais à comprendre comment le discours éloquent domine le temps, sans le subir. Je sentais que l’éloquence entretenait ce lien intime et évident avec le temps qu’elle pouvait conjurer un instant ou déjouer pour l’éternité. Je compris qu’en me livrant ces mots avant de plaider, il m’avait donné la définition la plus authentique de l’éloquence, cette vertu qui domine le temps et l’espace. Finalement, être éloquent c’est goûter un peu d’immortalité. Mais c’est alors que le mouvement brusque et soudain de son corps éprouvé, s’affaissant sur le banc de la défense, me ramena violemment à la réalité de cette salle d’audience. Tellement absorbé par ma réflexion, je n’avais rien entendu de son propos. Le silence était toujours présent comme s’il n’avait jamais quitté la pièce, mais l’attention de l’auditoire était à son comble et l’instant, suspendu par la Cour qui semblait hésiter à reprendre la parole. Tout le monde paraissait encore écouter cet Avocat qui s’était tu. A cette ambiance si particulière, je devinais qu’il avait dû être d’une grande éloquence. Son visage était plus détendu et ses yeux luisaient de la satisfaction de la tâche accomplie. Il avait plaidé et on l’avait écouté, il avait réussi cette prouesse de sortir de l’instant pour que chacun soit à l’écoute en même temps. Il avait emporté son public, haut, si haut qu’il semblait en avoir le vertige, et leurs esprits, ivres de mots, en titubaient encore. Il avait mis à mal ce dieu sinistre et effrayant indexant la pendule de la salle d’audience et personne n’avait songé à la regarder, pas même le Président qui semblait avoir intimement adhéré à son propos.
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Il avait maîtrisé l’espace mais surtout le temps. Trente minutes plus tard, le verdict de la Cour tombait comme le glas sonnant la fin d’une belle illusion. Les réquisitions de l’Avocat Général avaient été suivies et son client lourdement condamné. Il avait donc échoué et pourtant… il avait fait preuve d’éloquence. A l’é vidence, sa démonstration était convaincante mais il n’avait pas convaincu car l’éloquence ne se réclame ni de la conviction ni même de la raison. Elle tient de l’émotion et de la perfection. Alors il avait certainement ému, persuadé même et créé un lien unique et transcendant entre lui et son public, mais dans la salle des délibérations, la raison l’avait emporté. J’étais saisi d’un sentiment de profonde révérence à l’égard de ce plaideur qui avait ému sans convaincre, et je songeais que l’éloquence dont il m’avait livré un des secrets n’était pas
suffisante pour emporter la conviction, mais de cette vérité, j’avais déjà été averti. La Salle d’Audience se vidait progressivement, et l’effervescence du délibéré laissait place à nouveau au silence qui m’arracha de ma torpeur. C’est là, que je compris. Remontant le cours de mon raisonnement, je compris que j’avais omis un détail crucial : à aucun moment dans sa définition de l’éloquence par le temps et l’espace, il n’avait été question de plaidoirie, ni même de discours. Dans un réflexe quasi pavlovien, j’avais maladroitement associé l’éloquence à la parole alors que rien ne l’avait suggéré. Je compris qu’en murmurant ces mots avant de plaider, il ne désignait pas simplement la plaidoirie qu’il s’apprêtait à déclamer. Je compris que l’éloquence dont il me parlait, caractérisait cet instant précis qui précéda sa plaidoirie et par lequel il transforma les mots en choses. Ce moment insondable au cours duquel il avait poussé l’attention de son auditoire à paroxysme. Je compris que pendant cet instant, court et silencieux, il avait dominé le temps, et usé de la véritable éloquence, celle qui se passe de mots et qui nous crève les yeux. Et l’on put entendre à travers cet espace muet, son génie qui s’apprêtait à entrer dans la lumière des mots. Je compris, qu’au-delà du discours attendu, rien ne fut plus éloquent, Mesdames, Messieurs, Mes Chers Confrères, non, rien ne fut plus éloquent …que son silence. « La parole est une aile du silence » (Pablo Neruda)
Notes : 1. Pablo Neruda 2. Extrait de « La création du monde » de Jean d’Ormesson 3. Ibid. 4. Extrait de « Les fleurs du mal », L’horloge, Charles Baudelaire 5. Extrait de « Convaincre : Dialogue sur l’éloquence » de Jean-Denis Bredin et Thierry Levy 6. Extraits de « Grandes plaidoiries & Grands procès », Prat édition 7. Extrait de « Le prophète », Khalil Gibran
Remise du Prix Laumont Peyronnet à Mathieu Maurel-Fiorentini (Troisième Secrétaire) par Jean Castelain
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Remise du Prix Alexandre Fourtanier, Médaille d’or de la Conférence, à Maher Attye (Premier Secrétaire) par Jean-Luc Forget
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Frédéric Douchez, Pascal Saint-Geniest et Hugues Delafoy
Plaidoyer pour elle par Hugues Delafoy ur l'océan furieux, recouvert d'un ciel noir, Déchaîné de vagues sombres, redoutables mâchoires, Dont les dents écumantes me lacèrent le visage, Se disloque mon esquif, vaincu par son âge. Malmené sans répit par la mer en tourment, Il expire alors, en sinistres craquements, Fatales blessures portées par l'ultime combat, Râles annonciateurs de mon proche trépas. Ténébreuse de fureur, la mer me répand son ivresse, Submergé par l'eau sombre, je voudrais que tout cesse ... Île magnifique au milieu des flots déchaînés, je t'ai alors aperçue. Entre ces vagues noires au destin meurtrier, tu m'es apparue. Alors que Neptune, rageur, me précipitait dans l'abîme, Tu t'es dévoilée à mes yeux, inattendue et sublime. Implorant les dieux, j'ai supplié l'esquif mourant de te rejoindre, D'échapper au funeste projet de la mer assassine pour t'atteindre, Me permettre d'allonger sur toi mon corps exténué, Y relâcher enfin, mon âme épuisée ... L'ardeur de mon désir a voulu que tu m'entendes, Et tu t'es livrée à moi, inoubliable offrande.
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Nous y voilà. Mesdames, Messieurs, Mes Chers Confrères, Je me tiens devant vous, terrifiante assemblée, Tandis que vous l'observez, ce jeune avocat pétrifié. Tous, vous allez le juger, vous attendez ses mots, Voir s'ils sont dignes du Barreau, dont nous célébrons la rentrée. Certains préparent déjà leurs sarcasmes, Ils sont avides de voir ce qu'il vaut, ce jeune Avocat. D'autres espèrent déjà la nuit qui s'annonce, Ils espèrent qu'il ne sera pas trop long, ce jeune Avocat. Je vous préviens, noctambules et sarcastiques, je prendrai le temps qu'il me faudra. Car ce soir, je suis venu pour Elle. C'est pour Elle que je plaide, c'est en Elle que je crois. Et ce soir, au sein même de ce Palais, je veux que Justice lui soit rendue. Parce que vous l'accusez d'être injuste, il me faut la défendre. Une fois n'est pas coutume, c'est pour Elle que ce soir, j'ai passé ma robe. Une fois n'est pas coutume, c'est moi qui ce soir, porterai sa parole. Et vous m'écouterez, je lui en ai fait la promesse. Dussiez-vous me prendre pour un fou, - Et vous le ferez, Je tiendrai ce serment, je lui rendrai sa noblesse. Ainsi ne serai-je pas fou pour rien, si je suis fou pour Elle. Après tant de temps passé à la rechercher, à l'espérer, à la désirer, À vouloir qu'Elle soit mienne,
Après l'avoir enfin rencontrée, après l'avoir caressée, y avoir goûté, Je veux qu'Elle comprenne, Que je mettrai toutes mes forces, toute mon âme, toute ma volonté, Que c'est à corps perdu que je me jetterai dans cette bataille pour la conserver. Ma victoire, sera de garder près de moi sa présence, De sentir qu'Elle est là, de savoir qu'Elle ne me quittera pas. Qu'Elle se donnera toujours à moi, inoubliable offrande, Tel est, pour ce soir, l'honoraire que je lui demande. Tous, vous la connaissez. Pour certains, ce fût une rencontre brutale, Pour d'autres, ce fût une douceur agréable. Elle s'impose parfois avec fracas, Et s'invite parfois sans se faire remarquer. Pour certains, vous l'avez accueillie bruyamment, par des éclats de voix. Pour d'autres, vous l'avez acceptée silencieusement, avec une simple joie. Pour certains, vous l'avez louée, vous l'avez célébrée, Pour d'autres, vous l'avez ignorée, Parfois même, vous avez nié qu'Elle y fût pour quelque chose ... Mais presque tous, ensuite, vous l'avez oubliée. L'impardonnable, c'est que vous avez pris soin de le faire ... Au mieux, vous n'avez pas osé croire en sa présence, Au pire, vous avez volontairement nié son existence.
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Remise du Prix Henri Ebelot, Médaille d’argent de la Conférence, à Hugues Delafoy (Deuxième Secrétaire) par Dominique Vonau
Vous n'avez pas hésité à vous attribuer son oeuvre, À faire rejaillir sur vous les conséquences de son action, À revendiquer l'entière paternité de votre destin, Balisé d'autant de succès que de satisfaction ... Oui, vous l'avez foulée aux pieds, après en avoir profité ; Comme une putain, vous l'avez repoussée, après en avoir abusé ! Quelle injustice ... C'est pourquoi devant vous tous, terrifiante assemblée, Tribunal de cette rentrée, Solennellement, je demande que justice lui soit rendue. Je sais qu'Elle a ses travers, qu'Elle n'est pas une sainte, Qu'elle est capable du meilleur, mais qu'Elle peut commettre le pire. Je sais, oui, qu'Elle peut être cruelle. Mais pour la juger, vous devez la comprendre. Savoir que sa force est immense, son pouvoir absolu, Qu'à sa toute puissance, nous sommes suspendus. Elle peut bouleverser une vie. Mais uniquement celles de ceux qu'Elle choisit. Et nombreux, parmi vous, sont ceux qui ont eu sa préférence, Comme moi, vous l'avez connue, c'est une évidence. Parce que vous êtes là, parce que nous sommes là. Sous la noirceur de nos robes, nous jouissons de notre position. Sous les dorures de cette salle, nous nous inscrivons dans une tradition. Habitués au monde que nous fréquentons, nous profitons de ses bienfaits. Et ce statut nous le justifions, par les efforts que nous avons faits. Par notre travail, par notre volonté, par notre science du droit. Prétextant tout ce qui, au fond, nous éloigne d'Elle, Nous ne lui accordons pas la place qui est la sienne, Nous ne l'invitons pas au banquet de nos victoires, Ramenant vers nous le misérable drap de la gloire. Aveugles que nous sommes, nous l'avons reniée,
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Cette évidence, Ingrats que nous sommes, nous l'avons oubliée, La Chance ... Car oui, Mesdames et Messieurs, c'est bien pour Elle que je plaide ce soir, La Chance, qu'après avoir oubliée, Vous vous apprêtez, injustement, à condamner... C'est la Chance que je veux réhabiliter à vos yeux, terrifiante assemblée ... Ô Juges de cette soirée, inflexibles et tout puissants ! Ô hommes de droit, vous qui savez le sens du mot « Justice », En plaidant pour Elle, c'est pour vous que je plaide ! En la défendant, c'est vous que je protège ! Car au lieu de la mépriser, comme vous le faites ... Vous devriez la courtiser, vous devriez la conquérir, Vous devriez la supplier de ne pas vous lâcher ! Et si je me risque ainsi, pour la Chance, À vous parler de la sorte, non sans insolence, À oser défier toutes vos longues expériences, Vénérable assemblée ... C'est parce qu'Elle me sert bien souvent, à moi, Plus souvent qu'à vous tous ! Rappelez-vous ... La Chance sourit au débutant, Au jeune avocat balbutiant, Ce que je suis, précisément. C'est donc mon inexpérience qui ce soir me donne le droit de plaider !
J'ai été désigné, par ma jeunesse dans ce métier ! Pour la défendre, contre vous tous ! En accusant ma folie, comme vous le faites, maintenant, C'est Elle, pauvres gens, que vous accusez... Vous viendrez me reprocher ma flamme, mon emportement, Je vous rétorquerai que je l'aime, infiniment, Et que si ce n'est pas avec folie qu'on se lance dans l'amour, Il est inutile de s'y lancer... C'est donc en homme passionné que je parle, C'est donc en Avocat convaincu que je plaide, Ce dossier est excellent ! Mais qu'y a-t-il, au juste, dans cette affaire ? Quel est donc le crime que vous lui reprochez ? Car non contents de l'avoir oubliée, De l'avoir humiliée, de l'avoir rabaissée, D'utiliser le mot de Cambronne pour vous la souhaiter, Voici qu'à présent vous la placez sur le banc des accusés. Vous lui reprochez d'être injuste, Vous la taxez d'être cruelle, Alors que vous ne croyez plus, vous, en son action, Voici que vous l'accablez, Elle, de ne pas avoir servi ceux qui sont jugés ! Ceux qui sont mal nés. Ceux qui ne peuvent pas travailler. Qui n'ont d'autre toit que le ciel étoilé. D'autre nourriture que vos restes, souvent périmés. Et pourtant, ceux-là, ils y pensent. Ils l'invoquent, ils y croient, alors qu'ils ne l'ont pas, qu'Elle n'est pas de leur côté. Ô ironie... Ceux qui l'ont pour alliée n'y pensent plus, Ils se tiennent là, oublieux, ingrats et prospères, La Chance est venue chez ceux qui ne la voient plus, Et se fait attendre chez ceux qui l'espèrent. Cruauté, dites-vous ? Attendez avant de juger, Laissez-moi vous expliquer. Car si vous mettez tant d'ardeur à l'abolir, c'est que vous en êtes effrayés, Alors, non contents de la bannir, vous voulez la remplacer, Par votre volonté de travailler, de tout prévoir, Par le progrès, par la science, par la raison, par la logique, Par le droit. Car le droit est une science, alors que la chance ne l'est pas.
Remise du Prix Françoise Duby à Antoine Lombard (Quatrième Secrétaire) par Jean-René Farthouat
Les Annonces de la Seine - Supplément au numéro 64 du lundi 22 octobre 2012
Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35
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Rentrée solennelle
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Rentrée solennelle Remise du Prix de l’Ecole des Avocats Sud-Ouest Pyrénées à Damien de La Fage pour son poème “Le Chant des Exilés” par Monique Brocard
“Le Chant des Exilés” Poème par Damien de la Fage Le temps emporte dans son sillage Nos rêves brisés par les années Courber l'échine ou se dresser ? J'entends chanter la Liberté Elle m'a si vite apprivoisé Comme une brise comme un murmure les déchirures et les brûlures S'apaiseront dans le sommeil Levant le voile de nos secrets Nous irons tous les retrouver Les beaux Dormeurs, les Exilés, Ceux que nos yeux auront pleurés Nous chant’rons alors cette mélopée : Voyez Chers Exilés, ce bel hommage d’éternité !
C'est pour cette raison qu'Elle est bannie des prétoires. Alors qu'elle pourrait au contraire nous aider à mieux voir, La souffrance de ceux que nous assistons, Alors qu'Elle pourrait justement éviter les déboires, De ceux que nous défendons, Elle est rejetée. Pire. Elle est enterrée. La « perte de chance » que nous plaidons quelques fois, Est trop souvent reléguée au rang de « subsidiaire », Argument de seconde zone, Que nous plaidons du bout des lèvres, Quand nous osons le plaider ! Avec une tête à faire l'aumône, Préférant plutôt le cacher dans une phrase empruntée, S'en remettant, Madame, Monsieur le Président, à nos écritures compliquées ... Craintifs que nous sommes de paraître ridicules, Rassurés que nous sommes d'être cartésiens, Méthodiques, cohérents, organisés, rationnels. Nous chassons l'imprévu, Nous redoutons l'inattendu, Nous voulons que tout s'explique, que tout s'anticipe, que tout soit programmé... Organisé. Structuré. Ordonné. Réglementé. Codifié. La moindre étincelle de folie, de cette folie que vous me prêtez, Vous la honnissez, vous la noyez sans la moindre pitié ... Même l'épaisseur de caoutchouc qui entoure les roues d'un caddie de supermarché, Oui, Mesdames et Messieurs, même ce détail là est prévu, Par un obscur papier, Dûment signé, Rigoureusement tamponné, Venant asservir un peu plus nos vies bien rangées ... « Incertitude, ô mes délices, Vous et moi nous nous en allons, Comme s'en vont les écrevisses, A reculons, à reculons. » 1 Tel est le monde que nous voulons, Tel est l'avenir que nous construisons. Ô tristesse...
La Chance n'y a pas de place, aucune ! En avons-nous seulement conscience ? La voulez-vous vraiment, cette vie, réglée d'avance ? L'ose vous dire, ce soir, que je ne la veux pas. Dans cette robe noire que je porte, ce soir, cadeau qu'on m'a fait, Je sais qu'en me l'offrant, on m'a offert ma Chance. Et parce qu' « On défend bien plus férocement sa chance que son droit » 2 J'ose espérer d'une société qu'elle veuille bien, de temps en temps, Ne pas oublier la chance qu'elle a d'être à sa place. Qu'elle n'enterre pas dans les tréfonds de son âme, Sous le poids de sa vanité, Sa part d'Humanité. Alors oui! Je veux que la Chance soit réhabilitée ! C'est le verdict que moi, jeune avocat balbutiant, Je vous demande de prononcer, à vous, assemblée terrifiée ! Fermez, pour un instant, vos livres de droit, Ouvrez, de temps en temps, vos cœurs à la Chance ! Elle qui a déjà tant permis dans ce monde, Elle sans laquelle tant de choses ne se seraient pas accomplies, Elle qui a rendu l'Humanité si féconde, Ne l'abolissez pas, ne la rejetez pas, laissez-lui un sursis ! Qu'Elle retrouve sa véritable place ! Et avec Elle, son cortège d'inattendu, d'extravagant, d'insensé, d'insoupçonné, d'inouï, Et avec Elle, son défilé de rêves, de magie, d'inspiration, d'espoir, de poésie... Laissez-la vivre, laissez-là se mouvoir ! Car vous allez comprendre, et j'en aurai terminé. Et alors seulement, vous pourrez la juger... La Chance, Mesdames et Messieurs, n'est que mouvement. Elle est ainsi faite, Elle doit être remuée, Elle doit se transmettre, Elle doit être partagée. Il faut qu'Elle vienne, il faut qu'Elle vive, il faut qu'Elle passe. Qu'au lieu d'être accaparée par ceux qui l'ont, Elle puisse distribuer ailleurs ses largesses. Au lieu de l'enterrer comme nous le faisons, Accordons-là à ceux qui espèrent sa caresse.
Laissons-là s'envoler, Nous qui avons la chance de connaître le droit, Vers ceux qui n'ont pas le droit de connaître la Chance. Rendons-lui sa liberté ! C'est le seul moyen, le seul ! Que nous avons, de la conserver. À présent que j'en ai terminé, vous pouvez la juger. Mais votre jugement, au fond, m'importe peu. Vous en ferez ce que vous voudrez. La seule que j'ai voulu séduire, c'est Elle, Que j'ai trouvée, inattendue, providentielle, Et parce que sa présence, est une merveille, Et parce que mon esquif s'est brisé sur ses rochers, Je n'ai plus les moyens, ni le cœur, de la quitter, Et je choisis de consacrer toute mon ardeur, à sa beauté. Ô Chance ! Reste à mes côtés, inestimable, inépuisable offrande, Verse-moi, je t'en conjure, l'honoraire que je te demande ! Note : 1 - Guillaume Apollinaire ; Le Bestiaire - 1911 2 - Jean Guéhenno ; Changer la vie, Mon enfance et ma jeunesse - 1961 2012-728
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