Edition du lundi 18 novembre 2013

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LES ANNONCES DE LA SEINE Lundi 18 novembre 2013 - Numéro 64 - 1,15 Euro - 94e année

Cour d’appel de Chambéry

Audience Solennelle d’installation, 27 septembre 2013 INSTALLATION

Cour d’appel de Chambéry - Assurer l’avenir de la justice par Jean-Yves McKee ................................................ 2 - Conduire l’action publique par Philippe Drouet .................................................... 4 - Rendre la Justice par Jacques Dallest ................................................... 6 l

VIE DU DROIT

Union Syndicale des Magistrats, 39ème Congrès « Paroles » Paroles ou actions ? par Christophe Régnard ............ 9 l

CULTURE

Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie Séance Solennelle de Rentrée par Jean-Olivier Viout et Jean-Amédée Lathoud ... 16 l

ANNONCES LÉGALES .......................... 21 DÉCORATION

Jean Alègre Chevalier de la Légion d’honneur ......................... 31

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a Cour d’appel de Chambéry s’est réunie en audience Solennelle pour procéder à l’installation de Jacques Dallest en qualité de Procureur Général ce 27 septembre 2013. Une foule d’élus et de personnalités « siégeaient »dans la première chambre de cette Cour chargée de 800 ans d’histoire, c’est l’Avocat Général Philippe Drouet qui a procédé au discours d’usage et rendu un vibrant hommage à Olivier Rothé qui a fait valoir ses droits à la retraite en juillet dernier, il a résumé avec talent les traits de l’attachante personnalité d’un homme d’exception : « Olivier Rothé est un humaniste, il a un idéal de justice qu’il a toujours servi sans compromissions ni failles, chez lui l’intelligence de l’esprit rejoint celle du cœur ». Jean-Yves McKee a également souhaité la bienvenue à celui avec lequel il partage désormais le pouvoir dyarchique de la juridiction savoyarde également dénommée « Cour des Alpes » qui est étroitement liée à l’histoire de la Savoie. Pour le Premier Président, Jacques Dallest est précédé d’une prestigieuse réputation parfaitement fondée sur un parcours professionnel qui reflète

d’exceptionnelles qualités intrinsèques. Dans son intervention particulièrement intéressante, il a rappelé que la Cour d’appel de Chambéry connaissait une forte croissance démographique qui s’expliquait principalement par « un très fort excédent migratoire lié aux atouts des Savoie ». Située au cœur de l’Europe, il n’a pas hésité à déclarer que « la Cour d’appel de Chambéry rendait une justice de qualité et non pas low-cost dans l’approximation et le laisser-aller ». Jacques Dallest a salué le travail de son prédécesseur puis a tracé les axes majeurs de la politique d’action publique qu’il souhaite mener dans son ressort : lutter contre la délinquance au quotidien ainsi que la criminalité organisée et prévenir les accidents en montagne. Citant Tom Morel : « Pour être Chef, il faut avoir du prestige, et ce prestige, il faut l’acquérir par de la générosité, de l’entraide mutuelle et du dévouement », le Procureur Général Jacques Dallest a exhorté les magistrats du ressort à poursuivre leurs efforts pour continuer à servir la justice avec « cette envie inlassable d’aider les autres à retrouver le chemin de la paix ». Jean-René Tancrède

J OURNAL O FFICIEL D ʼA NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS - Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr - E-mail : as@annoncesdelaseine.fr FONDATEUR EN 1919 : RENÉ TANCRÈDE - DIRECTEUR : JEAN-RENÉ TANCRÈDE

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Gérad Meignie, Paul Michel, Philipe Drouet, Jacques Dallest, Jean-Yves McKee, Hervé Gaymard, Raymond Mundry, Bernadette Laclais, François Falletti, Jean-Olivier Viout et Louis Besson


LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01 42 60 36 35 - Télécopie : 01 47 03 92 15 Internet : www.annoncesdelaseine.fr e-mail : as@annoncesdelaseine.fr

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Installation Jean-Yves McKee

Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01 34 87 33 15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01 42 60 84 40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01 42 60 84 41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01 45 97 42 05 Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède

Publicité : Légale et judiciaire : Commerciale :

Didier Chotard Frédéric Bonaventura

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Comité de rédaction : Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Agnès Bricard, Présidente de la Fédération des Femmes Administrateurs Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Magistrat honoraire Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Chloé Grenadou, Juriste d’entreprise Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président Honoraire de la Chambre des Notaires de Paris Dominique Lencou, Président d’Honneur du Conseil National des Compagnies d’Experts de Justice Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International

Assurer l’avenir de la justice par Jean-Yves McKee

Commission paritaire : n° 0718 I 83461 I.S.S.N. : 0994-3587 Tirage : 13 222 exemplaires Périodicité : bi-hebdomadaire Impression : M.I.P. 3, rue de lʼAtlas - 75019 PARIS

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Copyright 2013 Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal. Le journal “Les Annonces de la Seine” a été désigné comme publicateur officiel pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013, par arrêtés de Messieurs les Préfets : de Paris, du 27 décembre 2012 ; des Yvelines, du 31 décembre 2012 ; des Hautsde-Seine, du 31 décembre 2012 ; de la Seine-Saint-Denis, du 27 décembre 2012 ; du Val-de-Marne, du 27 décembre 2012 ; de toutes annonces judiciaires et légales prescrites par le Code Civil, les Codes de Procédure Civile et de Procédure Pénale et de Commerce et les Lois spéciales pour la publicité et la validité des actes de procédure ou des contrats et des décisions de justice pour les départements de Paris, des Yvelines, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne ; et des Hauts-de-Seine. N.B. : L’administration décline toute responsabilité quant à la teneur des annonces légales. -Tarifs hors taxes des publicités à la ligne A) Légales : Paris : 5,48 € Seine-Saint-Denis : 5,48 € Yvelines : 5,23 € Hauts-de-Seine : 5,48 € Val-de-Marne : 5,48 € B) Avis divers : 9,75 € C) Avis financiers : 10,85 € D) Avis relatifs aux personnes : Paris : 3,82 € Hauts-de-Seine : 3,82 € Seine-Saint Denis : 3,82 € Yvelines : 5,23 € Val-de-Marne : 3,82 € - Vente au numéro : 1,15 € - Abonnement annuel : 15 € simple 35 € avec suppléments culturels 95 € avec suppléments judiciaires et culturels COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES

Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas

Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de lʼannonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera lʼéquivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs dʼinterlignes séparant les lignes de titres nʼexcéderont pas lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de lʼannonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs dʼinterlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. Lʼespace blanc compris entre le filet et le début de lʼannonce sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de lʼannonce et le filet séparatif. Lʼensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de lʼannonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début dʼun paragraphe où dʼun alinéa sera lʼéquivalent dʼune ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans lʼéventualité où lʼéditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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V

ous succédez à Monsieur Olivier Rothé mais avant d’évoquer son action, comment ne pas se souvenir avec émotion de Monsieur Robert Charrereau, qui entre 2005 et 2010 a dirigé le parquet général avant de rejoindre la Réunion. Frappé par une maladie implacable il est décédé au début de l’été. Il laisse le souvenir d’un magistrat du parquet pondéré, soucieux du bon fonctionnement de l’institution judiciaire et investi dans les missions d’animateur des politiques pénales. Vous succédez donc directement à Monsieur Olivier Rothé, venant comme vous d’un important poste de Procureur de la République en Provence. Il a laissé une très forte et durable empreinte dans le ressort de la Cour d’appel de Chambéry. Homme de réflexion, animé par une haute éthique, Olivier Rothé était aussi un Procureur général actif, homme de terrain toujours présent d’Evian à Modane. Il a multiplié les initiatives pour crédibiliser l’institution judiciaire dans les Savoie et pour inspirer la confiance à tous. Il s’est aussi mobilisé pour ouvrir notre institution sur son environnement institutionnel et humain en développant la vie culturelle au Palais de Justice par des concerts, conférences, représentations théâtrales et littéraires. Olivier Rothé a placé son action et son engagement sous une devise que tous connaissent humanisme, humilité et humour. Il a fait honneur au parquet général, à la magistrature et à la justice. Monsieur le Procureur Général votre installation se déroule dans une salle d’audience solennelle qui est au cœur de l’histoire des Savoie.

Dans cette magnifique salle vous avez, en effet, un récit vivant de l’histoire judiciaire des Savoie : les emblèmes des deux capitales, Annecy et Chambéry, le regard de Napoléon III à l’origine du rattachement de la Savoie à la France, la plaque commémorative de la proclamation du vote des savoyards, et la présence du prestigieux Sénat de Savoie à travers ses symboles la masse d’armes et les baguettes d’argent. Vous connaissez la Savoie et la Haute Savoie avec un attachement particulier pour la « Venise des Alpes » la ville d’Annecy. Vous n’ignorez rien de l’histoire millénaire et de la géographie si particulière de ces départements avec 100 sommets dépassant 3000 mètres sous le mythique Mont Blanc, sommet de notre chère Europe. Vous savez que la cour de Chambéry est la « Cour des Alpes » à travers sa jurisprudence en droit de la montagne et des nombreux colloques que nous organisons sur cette thématique juridique en lien avec les barreaux. Entre les cimes du Mont Blanc, les vallées creusées par les glaciers et les lacs (du Leman, d’Annecy, du Bourget ou d’Aiguebelette) c’est une infinie variété de paysages grandioses et enchanteurs. Ils sont encore préservés par la volonté des Savoyards de sauver leur patrimoine naturel de l’urbanisation excessive. Chambéry, siège de la Cour, est une ville active, dynamique et ouverte au coeur des Alpes. Moderne et changeante, elle a aussi su préserver son charme tant vanté par Jean-Jacques Rousseau. Comme lui, vous allez connaître ici le « Bonheur » professionnel en espérant que, contrairement à Jean-Jacques, il ne sera pas de courte durée. L’économie des Savoie repose sur une industrie encore active et diversifiée. Malgré des pertes d’emploi elle se développe dans la mécanique, le décolletage de précision, dans la branche du sport et de la montagne, dans le BTP et l’artisanat et aussi dans les filières bois et agro-alimentaire. L’agriculture lutte aussi pour sa survie à travers

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Installation

La Cour d’appel de Chambéry, Cour des Alpes, est étroitement liée à l’histoire de la Savoie La Cour d’appel de Chambéry plonge ses racines dans l’histoire de la Savoie. Dès le XIIIe siècle la Justice est rendue au Château de Chambéry par le Conseil Résident. François 1er en 1536 a institué un Parlement, ancêtre de la Cour d’appel. En 1539 la restauration des Ducs de Savoie s’accompagne de la création du « Souverain Sénat de Savoie » qui a connu un grand rayonnement auprès des habitants. Les Sénateurs étaient choisis parmi les meilleurs juristes du duché, et notamment le plus célèbre d’entre eux, Antoine Favre, dont la statue se tient devant le palais de justice de Chambéry. La monarchie sarde transforma le sénat en Cour d’appel de Savoie et la dota de l’actuel Palais de Justice qui fut construit entre 1847 et 1858. Les plans de notre palais furent dessinés par PierreLouis Besson, architecte chambérien, et revus par Pietro Spurgazzi qui a accentué le caractère Sarde de ce bâtiment qui nous enchante tous les jours par sa beauté et son harmonie.

opérations de blanchiment complexes dans l’immobilier de luxe en haute montagne. Une Cour d’appel au coeur de l’Europe. Au cœur de l’Europe, la cour de Chambéry est frontalière avec l’Italie et la Suisse, et en communication avec l’Allemagne et l’Europe centrale et balkanique. Avec l’Italie, les deux grands tunnels routiers ou ferroviaires assurent un transport considérable de marchandises et de passagers. De grandioses projets mobilisateurs vont accentuer les échanges Savoie-Piedmont par la voie Lyon-Turin. Avec la Suisse, Genève, métropole prospère de dimension européenne et internationale, voit sa population croître de 5 000 habitant par an et rayonne sur le Nord du ressort. L’agglomération d’Annemasse (80 000 habitants) fait désormais partie intégrante de l’agglomération genevoise. Il est à noter que plus de 50 000 hauts savoyards travaillent quotidiennement en Suisse. La multiplicité des couples franco-suisse et les conflits de travail transfrontaliers génèrent un contentieux spécifique. C’est ainsi que nous avons ouvert le 4 avril 2011 à Saint Julien en Genevois, à quelques dizaines de mètres de la frontière, la Maison de justice et du droit transfrontière pour apporter une réponse à ces questions complexes.

Une Cour d’appel qui rend une justice de qualité répondant aux attentes des Savoyards Dans un environnement qui se caractérise par le dynamisme, le souci de l’innovation, la passion du travail bien fait, nous sommes pris dans un cercle vertueux. Nous devons répondre aux attentes des citoyens et des entreprises des Savoie en phase directe avec les cinq Tribunaux de grande instance, les trois Tribunaux de commerce, les six Tribunaux d’instance et les six Conseils de prud’hommes du ressort. La Cour d’appel de Chambéry est également en lien de proximité fonctionnelle avec ses partenaires : avec les 650 avocats du ressort, avec les 350 experts judiciaires, avec les gendarmes, avec les policiers, avec ses interlocuteurs des douanes, de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de lajeunesse, avec les 220 notaires, les huissiers de justice, les administrateurs et mandataires judiciaires et aussi avec l’université de Savoie et le monde associatif. La Cour est positionnée clairement à l’égard des élus et des responsables publics et assume aussi avec efficacité sa mission de service public dans le domaine de l’accès au droit. Cela se manifeste à travers les instances qu’elle impulse : les deux conseils départementaux de l’accès au droit

Une Cour d’appel qui connaît une forte croissance démographique La Cour d’appel de Chambéry connaît le plus fort développement démographique de France en pourcentage depuis plus d’une douzaine d’années. La population de la Savoie atteint 429 000 habitants (nous étions 413 000 en 2010). La Haute-Savoie a vu sa population doubler depuis 1962 atteint aujourd’hui 761 000 habitants. Le ressort compte donc 1 180 000 habitants. Cette croissance s’explique surtout par un très fort excédent migratoire lié aux atouts des Savoie dans le domaine de l’emploi et du dynamisme et aussi à l’attrait d’un environnement somptueux.. Les Savoie possèdent aussi le plus grand domaine skiable du monde avec des stations réputées. Chamonix capitale mondiale de l’alpinisme fascine et attire des montagnards du monde entier. La Savoie et la Haute Savoie ont aussi une particularité unique : celle de bénéficier d’une activité touristique intense été comme hiver. l Cet afflux induit un accroissement très significatif des contentieux civils (litiges complexes en matière de construction, procès en responsabilité dans la pratique du ski et de la montagne. l Devant les juridictions prud’homales, l’emploi de très nombreux saisonniers dans des conditions parfois précaires est source de nombreux contentieux. l Au pénal, une population touristique diversifiée et souvent festive entraîne une délinquance particulière. La délinquance et les trafics frontaliers sont innombrables. Enfin, la grande criminalité se dissimule à travers des

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Jacques Dallest

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la qualité dans la viticulture, les fruits et les fromages AOC et IPG. Les Savoie sont un territoire d’hommes et de femme actifs et entreprenants qui luttent pour assurer leur avenir commun. Cette exemplarité et ce courage sont pour nous magistrats et fonctionnaires de justice une référence à suivre et nous pousse vers le haut pour fournir une justice d’excellence et de qualité. Sur ce terrain je partage totalement l’analyse de Monsieur Guy Canivet « Lesmagistrats doivent être tirés vers le haut. Ils doivent retrouver un idéal ».

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Installation 73 et 74, les six maisons de la justice et du droit, les quatre points d’accès au droit, les deux antennes de justice, et aussi les permanences multiples des Conciliateurs de justice sur les deux départements. Nous entendons, à Chambéry, rendre une Justice de qualité et non un service « low cost » dans l’approximation et le laisser-aller. Vous allez me demander comment puis-je affirmer cela ? Vous savez que l’institution judiciaire est soumise à des normes d’évaluation- suivant des critères de performance : je vous indique que tous les indicateurs de performance de la Cour d’appel de Chambéry sont au vert et dépassent les normes nationales. En voulez-vous quelques illustrations ? En voici, l La chancellerie s’inquiète du taux de couverture des affaires pour savoir si les Cours font face ou si elles s’enfoncent dans les sables mouvants de stocks croissants d’affaires en attente. A Chambéry l’an dernier nous avons prononcé 3 441 décisions face à 3 440 affaires nouvelles, civiles, commerciales et sociales. Notre taux de couverture est de 100 %. l Nos délais de jugement des appels civils sont de 9,5 mois alors que la moyenne nationale est de 12,7 mois. l Au pénal avec 897 arrêts correctionnels, 404 arrêts à la chambre de l’instruction et 268 arrêts à la chambre de l’application des peines il n’y a aucun retard. Les deux Cours d’assises de Savoie et de Haute Savoie jugent les accusés rapidement sans qu’ils attendent des mois, voire des années, en prison. l A Chambéry le ratio d’activité par magistrat (321) est largement supérieur au ratio

de groupe (308) c’est dire qu’à Chambéry la Cour travaille activement car chacun mesure l’utilité de sa contribution au service des Savoie. l Sur la question de la qualité juridique de nos décisions, je me bornerai à vous indiquer qu’en matière civile et pénale nos arrêts sont moins censurés par la Cour de cassation que la moyenne nationale (6/9 % et 33/34 %). Ce résultat est à mettre au crédit des magistrats et fonctionnaires de justice de cette Cour et aussi de nos partenaires de la famille judiciaire. L’oeuvre de justice dans les Savoie est une construction commune. A l’heure de la crise économique, de l’éclatement des liens sociaux et de la peur du lendemain, chacun défend la nécessité des solidarités de proximité : nous y répondons. C’est une des clés de notre succès sur la durée et nous entendons continuer à jouer notre rôle dans l’avenir des Savoie. Proximité décisionnelle et qualité juridique vont de paire pour rendre une bonne justice : la frénésie agitée d’une technocratie aveuglée par une rationalité à court terme ne doit pas conduire à faire fi des réalités du terrain - c’est à dire des attentes des citoyens et des entreprises des Savoie - sous prétexte de normalisation abstraite et en réalité contre productive. Des menaces existent, en effet, sur l’avenir de notre cour. II ne faut pas se le dissimuler. Le péril est bien là. Plusieurs exemples en attestent : - un rapport sénatorial intitulé, « la réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée » du 11 juillet 2012 très critique sur la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007, préconise pourtant, de

façon aussi tranchante, de modifier la carte des Cours d’appel, au détriment des cours de taille moyenne. - Le 4 février 2013, la chancellerie a missionné un groupe de travail conduit par un premier Président concernant « les juridictions du XXIe siècle ». Un des axes de ce groupe consiste à proposer une réforme des Cours d’appel nécessitée prétendument par la complexité des circuits budgétaires et en raison de la disparité des cartes judiciaires et administratives. Il est clair que dans un tel schéma notre Cour est menacée. - La Cour des Comptes dans un rapport du 11 juillet 2013, sur l’organisation territoriale de l‘État, suggère, certes avec des nuances, de fixer le ressort des Cours d’appel sur le périmètre d’une ou plusieurs régions administratives. Est-il necessaire d’être plus long sur ce péril ? Je sais que les responsables publics élus de nos deux départements et que tous les acteurs de la famille judiciaire des Savoie, aujourd’hui présents, sont mobilisés pour défendre la survie de la Cour d’appel de Chambéry. Je suis convaincu que forte d’une histoire de 800 ans et de sa crédibilité actuelle sur le terrain, notre Cour survivra aux tourbillons du moment et que le bon sens et la raison l’emporteront ! Aujourd’hui, je ne préside donc pas à l’installation du dernier Procureur général près la Cour d’appel de Chambéry. Vous et moi, nous nous situons dans une longue chaîne de continuités : nous sommes les héritiers de nos prédécesseurs et cette chaîne se prolongera - bien au-delà de nous-mêmes -pour assurer l’avenir de la Justice en Savoie et en Haute Savoie.

Conduire l’action publique

Philippe Drouet

par Philippe Drouet

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’’est un moment hautement symbolique que celui de votre installation comme « Procureur Général des pays de Savoie », pour reprendre une dénomination que vous affectionnez, qui a le sceau de l’authentique, et que personne ne vous disputera, même si cette appellation s’écarte sensiblement du décret officiel qui vous nomme et dont lecture a été donnée il y a un instant. Il me revient l’honneur à présent de requérir votre installation avant que vous ne rejoigniez la place éminente qui vous est réservée sur cette estrade, et que je vous céderai dans quelques minutes. L’ensemble des magistrats du Ministère Public du ressort, les Procureurs de la République, mais aussi tous ceux, Vice-Procureurs, substituts, grâce auxquels les cinq parquets de cette Cour fonctionnent, et bien sûr vos plus proches collaborateurs du parquet général, tous sont heureux de vous accueillir, et pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, dans l’attente de vous rencontrer. Vous succédez à Monsieur Olivier Rothé, qui a dirigé pendant deux ans et quatre mois ce parquet général, éminent magistrat auprès duquel nous avons eu la chance de travailler, qui dans toute la Cour d’appel était unanimement apprécié tant ses qualités professionnelles et humaines sont grandes.

Je pourrais sans peine et sans surfaire tisser l’éloge d’Olivier Rothé. Mais je n’égrènerai pas, monotone, une litanie de poncifs qui s’effiloche dans l’oubli. J’esquisserai simplement quelques

touches pour dépeindre l’homme qu’il est, le magistrat qu’il fût. Olivier Rothé est un humaniste, il a un idéal de justice qu’il a toujours servi sans faillir et

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Installation

sans compromissions. Chez lui, l’intelligence de l’esprit rejoint celle du coeur, et c’est le plus naturellement du monde qu’il instaure avec ses interlocuteurs la confiance pour une collaboration sans nuage. Son parcours institutionnel fût remarquable : après quatre années comme juge d’instruction, il a pendant 10 ans fait valoir ses qualités de pédagogue et de gestionnaire à l’ENM, avant d’exercer ses compétences au ministère public, successivement à Bordeaux, puis à Aix-enprovence comme Procureur de la République, avant d’être nommé Procureur Général ici même en 2011. Il peut être fier du travail qu’il a accompli, fier d’avoir oeuvré pour la justice sans souci des trompettes de la renommée, et, pour ces deux dernières années en Savoie, d’une traversée sans écueil à la tête de ce parquet général, nous lui exprimons notre gratitude. Il a choisi de mettre fin à une carrière éclectique et brillante, et je lui renouvelle, avec mon amitié, tous mes voeux pour une retraite longue et heureuse. Monsieur Le Procureur Général Jacques Dallest, Votre parcours professionnel est riche, et je pourrai l’évoquer longuement, mais je m’en tiendrai à quelques grandes lignes, soucieux de ne pas écorner votre modestie, et parce que je sais que votre regard est tourné résolument vers l’avenir. Vous êtes né à Annecy un jour de printemps de l’année 1955, en quelque sorte sous les meilleures auspices, les Haut-Savoyards me l’accorderont. Après des études universitaires à Lyon, couronnées en 1976 d’un diplôme de l’Institut d’Etudes politiques et un an plus tard d’une maîtrise de droit public, vous êtes nommé « attaché d’administration », de 1978 à 1980 au Ministère de la Défense, puis sous le même statut pendant un an à l’administration pénitentiaire. C’est dire que les problèmes de vétusté des prisons et de surpopulation carcérale, vous les connaissez bien quand vous entrez dans la magistrature en 1982. Vous exercez d’abord comme juge d’instruction, dix années de rang, au Tribunal de grande instance de Rodez, puis à Lyon, où vous traitez notamment des dossiers de grand banditisme. C’est déjà fort d’une pratique solide, d’une parfaite connaissance des multiples aspects

de la délinquance, que vous êtes nommé Procureur de la République à Roanne en 1994 où vous apprenez tous les métiers de la fonction, direction de l’action publique bien sûr, travail d’équipe qui commence dès qu’on est deux, gestion et administration d’une juridiction, à trois, car derrière la dyarchie Président/ Procureur se profile le greffier en chef qui sait ce qu’est un budget, qui tient les cordons de la bourse, qui connaît ses fonctionnaires. En 1996, vous êtes nommé Procureur de la République au Tribunal de grande instance d’Ajaccio. Sur l’île de Beauté où prédomine la loi du silence, l’Etat de droit ne se présente pas d’évidence : il faut affronter des reliefs tourmentés, par des sentes dérobées, ne pas se consumer dans la touffeur du maquis, ni s’enflammer près de paillotes mal disposées, pour veiller à l’application de la loi républicaine, et requérir sans faiblesse que la justice est fondée sur le droit. Vous avez su franchir ces cinq années insulaires sans écueil, avant de prendre en 2001 la direction du parquet de Bourg-en-Bresse, avoisinant des terres qui vous sont familières. Là, chef d’une équipe de sept magistrats, vous faites face à une criminalité qui s’arrange de la porosité des frontières toutes proches. Trois ans plus tard, en 2004, vous êtes nommé Avocat Général à la Cour d’appel de Bordeaux, complétant de la meilleure des manières votre parcours au sein du Ministère Public. Vos compétences vous amènent à assurer le suivi de la juridiction interrégionale spécialisée, communément appelée JIRS, qui traite de la criminalité organisée et de la délinquance économique et financière. Mais comme une évidence, vous postulez pour reprendre la direction d’un grand parquet... Ce sera Marseille la belle et la rebelle qui n’aime rien tant qu’on parle d’elle sans pour autant se dévoiler. Nommé Procureur de la cité phocéenne en 2008, vous découvrez que, non loin du vieux port, la délinquance déferle comme la houle, et que les filets tendus ne suffisent pas pour juguler les plus nocifs des bans de poissons. Et puis, dans le mauvais temps, le commandant de bord de l’action publique doit faire face à la déferlante médiatique qui souffle comme le mistral au moindre règlement de comptes ou

fait divers hors normes. Bourrasque ou tempête, vous avez tenu la barre d’une main ferme, et sous votre direction le parquet de Marseille n’a pas fait de pause dans la conduite de l’action publique et l’application de la loi. Et pour exemple des affaires retentissantes que vous avez traité, je citerai une des plus récentes, l’organisation du procès dit « des prothèses mammaires », auquel vous êtes allé en personne pour requérir à l’audience. Ce parcours, rapidement évoqué, atteste de vos qualités et de vos compétences de juriste, d’administrateur, de gestionnaire. C’est donc avec confiance et sérénité que nous entreprenons de travailler avec vous, et les semaines qui viennent de s’écouler nous confortent dans ces dispositions. Vous parcourrez bientôt toute l’étendue du ressort de la Cour, parfaitement dépeinte par Monsieur Le premier Président, soit un peu plus de 10 000 km2, recouvrant une population de 1 180 000 habitants, et qui ne cesse de croître chaque année. Vous arrêtant dans les cinq TGI.( Chambéry et Albertville en Savoie, Annecy, Bonneville et Thonon les Bains en Haute-Savoie), dans ces cinq parquets, vous rencontrerez les magistrats qui les composent, cinq dans chacun d’entre eux, six à Chambéry. Certes, la réalité est un peu différente, mais je ne veux pas maintenant assombrir le propos par une revue d’effectifs qui pointerait les difficultés rencontrées pour assurer sans faille les missions du Ministère public. Et puis, pour être complet, trois magistrats placés permettent de combler les vides et les manques, en fonction des besoins. Votre ressort, c’est aussi, m’en tenant à l’activité pénale, deux Cour d’Assises, six maisons de justice, trois par département, deux antennes de justice, des associations d’aide aux victimes qui se remodellent pour mieux répondre aux besoins - ainsi de l’Arsavi 73 créée en juin dernier -, sans oublier trois établissements pénitentiaires, Aiton et Chambéry en Savoie, Bonneville en Haute Savoie qui vient d’être transformé pour doubler sa capacité d’hébergement, et qui possède désormais un quartier pour mineurs et un quartier pour femmes. Une brève sur le parquet général, cinq magistrats au lieu de six depuis 2010, qui s’attellent pour faire face à l’accroissement des tâches que des réformes successives génèrent sans compter. En tout cas, vous pouvez être sûr de la détermination et de l’engagement des magistrats du ministère public de toute la Cour d’appel au service de la justice, et sur la conscience professionnelle et le dévouement des fonctionnaires des greffes sans lesquels l’institution judiciaire ne peut pas fonctionner. Vous êtes Annécien, et je serais mal avisé de vous présenter une terre que vous connaissez mieux que quiconque. La beauté de ces paysages, la richesse de son histoire, cette invitation permanente aux loisirs, au sport, à la culture, je ne vous apprendrai rien. Chaque fois que le regard s’abandonne dans la contemplation de ces montagnes qui déploient leur puissance et leur majesté, elles communiquent à l’esprit force, plénitude et respect. A votre prédécesseur j’avais dit qu’il serait conquis et que cette terre ne le quitterait plus. A vous, que dire, sinon que vous êtes chez vous. Mais ce qui ravit tous ses habitants et attire des millions de touristes chaque année, draine dans le même temps voyous et malhonnêtes gens qui veulent une part de la richesse qui affleure ici.

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Installation La délinquance en pays de Savoie ne se compare pas avec celle des grandes cités et de leur périphérie, mais la proximité des frontières suisses et italiennes alimente l’activité pénale, facilitant les trafics, la création de bases de repli pour les malfaiteurs, d’où la nécessité de renforcer sans cesse la coopération internationale avec nos voisins Italiens et Suisse, pour améliorer l’efficacité de la lutte contre une criminalité qui se joue des frontières. La présence à cette audience de Monsieur Jornot, Procureur général de Genève, de Monsieur Burnant, coordinateur du centre de coopération policière et douanière de Genève, en témoignent. Et si la délinquance est contenue, les Savoies ne sont pas à l’abri d’affaires hors norme, la tuerie dite de « Chevaline » en septembre 2012 sur les contreforts du lac d’Annecy en étant l’exemple emblématique, ou bien l’instruction en cours à Chambéry de l’affaire qui a causé la mort tragique

d’un policier, Monsieur Pappatico, ou encore le dramatique accident ferroviaire d’Allinges survenu en 2008 et dont le procès s’est déroulé en avril à Thonon-les-Bains. Monsieur le Procureur Général, vous avez entre autres missions, d’animer et coordonner l’action des Procureurs de la République auxquels il appartient d’engager l’action publique. Dans un instant peut-être vous direz-nous la ligne générale que vous entendez suivre pour mener à bien une politique pénale qui est définie au niveau national par le Ministère de la justice, mais qu’il convient d’adapter aux réalités locales. Sur ce terrain, vous pouvez donner des instructions pour engager des poursuites, et aujourd’hui ce pouvoir que la loi vous confère a d’autant plus d’éclat que la Garde des Sceaux s’interdit désormais de donner des instructions particulières dans les affaires de justice. Vous le savez, les missions du Ministère public

se sont transformées et accrues. Consciente que cette évolution génère des tensions et que les méthodes de travail, même si elles se sont renouvelées depuis plusieurs années, ont des limites, Madame la Garde des Sceaux a institué une commission, sous la présidence de Monsieur Jean-Louis Nadal, Procureur Général honoraire de la Cour de cassation, qui doit présenter en novembre prochain des propositions pour une modernisation de l’organisation des parquets et de l’action publique. Dans cette ligne et sans attendre, Monsieur le Procureur général, je crois qu’au niveau de cette Cour d’appel, vous saurez impulser des pratiques nouvelles pour que vive le Ministère public, tant il est vrai que l’alternative dans une société en mouvement, c’est se moderniser ou mourir, illustrant ce qui sera ma conclusion en citant Paul Eluard : « L’homme n’est pas vieux comme le monde il ne porte que son avenir ».

Rendre la Justice

Jacques Dallest

par Jacques Dallest

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M

a joie est triple aujourd’hui. Quel honneur tout d’abord de se voir confier la direction d’un parquet général, fonction à laquelle tout magistrat du ministère public passionné par son métier aspire forcément ! Quel plaisir aussi de prendre la parole devant vous dans cette prestigieuse enceinte, si riche d’histoire et d’heures exaltantes pour la Savoie, ma terre natale où je puise depuis trente ans un ressourcement nécessaire ! Quel bonheur enfin de retrouver mes chers parents, mes proches, mes amis ainsi que des collègues qui me sont chers et qui m’ont fait l’amitié d’être présents aujourd’hui malgré la distance et les contraintes qui sont les leurs ! Monsieur le Premier Président, Votre parfaite connaissance de la Cour m’aidera à en appréhender toute la richesse. Nous ne pourrons que nous entendre pour le bien de notre compagnie judiciaire et l’épanouissement de la justice des pays de Savoie à laquelle nous sommes tous les deux très attachés. Faisons nôtre ce mot du doyen Carbonnier « le droit est dans le devenir » et continuons ensemble à oeuvrer avec force et conviction dans le seul intérêt de nos concitoyens. Je sais que nous aideront dans cette tâche les magistrats et les fonctionnaires de la Cour et des tribunaux du ressort ainsi que les agents du service administratif régional, tous compétents et dévoués. Qu’il me soit permis de saluer à mon tour la mémoire de notre collègue Denis RobertCharrerau, qui a occupé cette même place. Il laissera l’image d’un magistrat de conviction, qui est resté fidèle à ses terres savoyardes d’adoption. Ma pensée va également à Olivier Rothé, mon prédécesseur, avec lequel j’avais travaillé dans les Bouches du Rhône avant qu’il ne gagne le Parlement de Savoie. Son humanité et sa hauteur de vue ont été particulièrement appréciées de tous ceux qui l’ont pratiqué dans ses différentes fonctions. Je souhaite à ce magistrat de grand talent et cet excellent collègue une agréable retraite en terre girondine.

Monsieur l’Avocat Général Doyen, cher Philippe, Vous m’avez gratifié de louanges certainement imméritées mais auxquelles j’ai été très sensible. Soyez en vivement remercié. Vos propos chaleureux m’ont permis de me remémorer quelques moments forts de ma carrière et notamment ces tranches de vie corse et marseillaise qui ne peuvent laisser indifférents ceux qui les ont vécus. Servir la justice, cette « machine à ressentiments » comme la qualifie notre collègue Yves Charpenel, c’estuncombatintimedetouslesinstants,unequête sur soi-même, un effort intérieur que les exigences de la fonction de magistrat ravivent constamment. Servir la justice, c’est avoir la plus noble ambition, l’envie inlassable d’aider les autres à retrouver le chemin de la paix. Monsieur le Procureur Général de Paris, cher François Falletti,

Vous m’honorez de votre présence et je vous en suis très reconnaissant. J’ai eu à deux reprises le plaisir de travailler sous votre autorité alors que vous étiez à la tête du parquet général de Lyon. Vous êtes annécien comme moi, ce qui est à mes yeux une qualité très remarquable. Messieurs les chefs des Cours d’appel de Lyon et de Grenoble, Par votre présence, vous démontrez les liens qui unissent nos ressorts respectifs rhône-alpins. Notre destin commun ne peut que nous rapprocher. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » ! Monsieur le Procureur Général Jean-Olivier Viout, vous ne pouviez manquer à cette audience. Chambérien, Président de l’académie de Savoie, vous seriez à même de nous restituer avec le talent qui est le vôtre toute l’histoire colorée de ce palais de justice et d’en citer avec bonheur les figures les plus marquantes.

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Plus modestement, j’ai eu quant à moi l’avantage de travailler avec vous au sein de la Cour d’appel de Lyon avant votre élection au Conseil Supérieur de la Magistrature. Votre sens du droit, d’un droit en action, et votre empathie naturelle constituent pour moi une source d’inspiration quotidienne. Merci de me faire l’amitié d’être là aujourd’hui. Je salue mon ami Marc Cimamonti, Procureur de la République de Lyon, avec lequel j’ai eu le privilège de travailler au parquet de Marseille. Merci, mon cher Marc, de ta présence amicale. Toi le Marseillais, tu mets tes grandes qualités au service de la ville de Monsieur Brun et je suis certain que tu apprécies maintenant autant la cervelle de canut que la bouillabaisse. Mes camarades Jean-Yves Coquillat, Procureur de la République de Grenoble et Denis Mondon, Procureur de la République de Bourg-enBresse, une juridiction qui m’est chère, m’ont fait également le plaisir d’avoir répondu à mon invitation. Je leur en sais gré. Je regrette l’absence de François Blanc, collègue que j’apprécie et qui n’a pas pu se rendre à cette audience. Il m’a succédé à Roanne dans des conditions matérielles difficiles. Je quittais en effet un palais de justice incendié pour me rendre sur une île enflammée ! Je tiens à saluer le président François Lemble, fidèle d’entre les fidèles, qui pousse l’amitié jusqu’à venir à toutes mes installations successives. Nous avons tous les deux essuyé quelques tempêtes en Corse, et vécu de durs moments comme ce triste jour où nous avons tenu à défiler en robe en signe d’indignation après le lâche assassinat du préfet Claude Erignac. Ces instants rapprochent et restent dans la mémoire. On reconnaît le pilote dans la bourrasque, et j’ai vu combien le président Lemble tenait ferme la barre du Tribunal d’Ajaccio, dans ses heures les plus difficiles. Merci, cher François, pour ce nouveau témoignage d’affection que vous me manifestez aujourd’hui. Grand juriste et thermidorien, Jean Baptiste Treilhard conférait aux Procureurs Généraux des pouvoirs surhumains :

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Installation

« ils sont chargés, disait-il, du dépôt précieux de public et de l’exercice de l’action de la justice criminelle. La paix et la tranquillité des citoyens sont fondées sur leur courage et leur loyauté; ils doivent veiller sans cesse afin que les autres se reposent. Ministre puissant et sévère, le Procureur Général doit être l’asile de l’innocence et la terreur des méchants ». Austère et distant, investi d’une mission quasiment divine, le Procureur Général était alors un personnage bien différent de celui que je souhaiterai incarner en ce siècle débutant. Le temps de la froideur hautaine est révolu. Si, par la mission qui est la sienne, le chef de Cour est contraint de conserver une juste distance et une appréciation sereine des situations, il doit se rendre accessible et demeurer apte à l’écoute en toute circonstance. Madame et messieurs les chefs de juridiction du ressort, chers collègues des tribunaux, Soyez assurés que vous trouverez toujours en moi un interlocuteur ouvert et disponible, prêt à échanger pour trouver les meilleures solutions.

Rendre la justice est une oeuvre commune, qui convoque les intelligences et les volontés. Fort de son expérience antérieure de chef de parquet, le Procureur Général doit, selon moi, être un animateur d’énergies et un fédérateur d’enthousiasmes. A la place qui est la sienne, il doit être un soutien constant à l’action de ses collègues tant du parquet général que des parquets de son ressort. Un soutien humain et matériel est nécessaire à l’oeuvre de justice qui est exigeante de moyens adaptés, alors que le contexte financier est plus contraignant que jamais. Un soutien intellectuel est aussi indispensable au travail de réflexion et de décision, qui peut être complexe et requérir l’examen conjoint de questions délicates. Un soutien moral enfin me semble nécessaire, s’il en est besoin, dans les moments exposés que nos collègues des parquets peuvent connaître tant les sollicitations qui s’adressent à eux sont fortes et prenantes. Je m’inscrirai avec conviction dans cette démarche qui me semble être celle de la raison et de la sagesse. « L ‘homme seul est en mauvaise compagnie », nous avertit Paul Valéry. Cette mise en garde ne doit pas s’appliquer au parquet du XXlème siècle, qui sera collectif ou ne sera pas. Forte et soutenue, l’action du ministère public doit aussi être comprise et reconnue. Il y va de l’image toute entière de la justice. Messieurs les Procureurs de la République, n’ayez pas peur d’expliquer, d’informer, d’exposer publiquement la tâche qui vous est dévolue, résolument et loyalement dans le respect de nos principes fondateurs. La justice, notre justice, est sommée de se raconter, sous la pression, quelquefois tyrannique, d’une opinion publique exigeante, contradictoire et prompte à juger et condamner. Nous, magistrats du ministère public, ne pouvons plus demeurer sur notre Aventin, jugeant avec hauteur et dédain ces excès populaires, dans un confort dépassé. Soyons lucides, réalistes et entreprenants dans la restitution de notre action. La société le requiert plus que jamais.

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Installation A l’examen de la réalité criminologique de ce ressort que j’affectionne particulièrement mais qu’il me reste à approfondir sur le plan judiciaire, je m’autoriserai à retenir trois axes d’action publique émergents : l la délinquance du quotidien, l la criminalité organisée, l les accidents en montagne.

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1 - Les habitants des deux Savoie qui ont la chance de vivre dans une région magnifique et prospère, sont comme d’autres en butte à la délinquance ordinaire, celle des cambriolages, des vols et des petits trafics. Il convient de les rassurer par une action pénale forte, visible et déterminée. Dans leur lutte contre l’illégalité, les services d’enquête de la police et de la gendarmerie nationales dont je salue ici les responsables méritent le soutien résolu du parquet. J’aurai soin quant à moi d’aider à cette dynamique commune qui pour être efficace et bien comprise demande à être la même dans l’ensemble du ressort de la Cour d’appel. Les victimes ne sauraient être oubliées dans cette démarche. Il convient de conforter le travail exemplaire que les associations d’aide aux victimes mènent dans les deux départements et depuis longtemps. Me faisant le plaisir de sa présence, mon ami Jean-Pascal Thomasset, directeur de l’association d’aide aux victimes de l’Ain et Secrétaire général de l’INAVEM, le sait plus que d’autres. Parquet et association doivent agir ensemble pour le bien des personnes atteintes dans leur intégrité ou dans leurs biens avec une détermination exemplaire. Les chantiers à venir, pensons à la réforme pénale, sont nombreux et riches de sollicitations mutuelles. 2 - Attirée par leur géographie et leur situation économique favorables, la grande criminalité sévit aussi dans les Savoie, à bas bruit, sans ostentation mais avec une intensité qui mérite qu’on s’en préoccupe. Ne nous y trompons pas, les vols en bande organisée, les trafics de personnes et de produits, le blanchiment d’argent, les malversations d’envergure n’épargnent pas notre région, forcément attractive par les facilités qu’elle procure.

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« Il y a les parquets qui réagissent et ceux qui agissent » remarque Pierre Truche. Notre posture doit être là sans concession. Combattre le crime organisé nous oblige et je m’emploierai à ce que l’anticipation préside encore davantage à la démarche d’investigation. L’action répressive ne saurait être solitaire, je l’ai dit. La lutte dans ce domaine mobilise l’ensemble des acteurs publics, service de police et de gendarmerie, douane, finances publiques. Pour être pleinement efficace, elle requiert également une action internationale soutenue. Frontalière avec la Suisse et l’Italie, la Cour d’appel des pays de Savoie a engagé depuis longtemps un travail commun avec ces deux pays, sensibles également à cette criminalité sournoise mais ô combien destructrice. Monsieur Olivier Jornot, Procureur général du canton de Geneve nous a fait l’honneur d’être nous aujourd’hui. J’y vois, Monsieur le Procureur général, le témoignage de votre intérêt pour ce travail de coopération internationale indispensable, tant la délinquance organisée sait utiliser à son profit les espaces qui nous réunissent. La Haute-Savoie et le canton de Genève ont une histoire commune et des liens ancestraux qui justifient cette entente traditionnelle qu’il faut néanmoins consolider jour après jour. Si les souverainetés demeurent avec leurs exigences étatiques quelquefois rigides, le banditisme, lui, s’affranchit sans difficultés des frontières et des barrières institutionnelles. A nous de ne pas lui laisser trop de liberté. Je salue les collègues de la JIRS de Marseille qui ont fait le déplacement depuis la cité phocéenne. Ce témoignage d’estime de leur part me va droit au cœur. Ce sont des spécialistes de la lutte contre le crime organisé sous toutes ses formes. On conviendra qu’ils ont matière à s’épanouir dans ce registre sur les bords de la Méditerranée. Leur engagement et leur courage exemplaires doivent servir de modèles aux magistrats qui s’aventurent sur le terrain risqué de la grande criminalité et de la délinquance économique et financière préjudiciable au lien social. 3 - Les accidents de la montagne et ses contentieux civils et pénaux qui en découlent constituent le troisième sujet d’intérêt majeur à mes yeux.

Skieur et randonneur, j’ai beaucoup à découvrir dans ce domaine passionnant où plaisir et drame peuvent se succéder très rapidement, où l’on peut perdre la vie peu de temps après s’être extasié devant la beauté du paysage. Dans leurs « carnets du vertige », « les conquérants de l’inutile » savent d’écrire ces instants où se mêlent l’extase et l’effroi. Notre région offre à cet égard un terrain exceptionnel qui sait mobiliser des grands professionnels comme ceux du sauvetage. Je confesse mon admiration pour le courage et l’abnégation de ces hommes hors du commun. Maître Maurice Bodecher du barreau d’Albertville m’a fait l’honneur d’être présent à cette audience. Il est expert en droit de la montagne et m’apportera sa vision humaine et technique de cette matière si intéressante. Là encore, une action concertée avec les élus, les responsables des stations, les guides et moniteurs, déjà largement mise en œuvre dans le ressort, est le gage d’une meilleure compréhensions des logiques et des cultures réciproques. Le droit est partage et œuvre commune. Jean-Yves Le Borgne résume la défense idéale comme celle où « l’avocat, après avoir pris possession des esprits, doit se faire oublier pour que sa vérité devienne celle de ses juges ». Mesdames et messieurs les bâtonniers, L’avocat est pour moi non seulement un auxiliaire de justice mais surtout un garant démocratique dont nous avons tous besoin. Nous devons sans cesse nous le rappeler notamment dans la matière pénale, la plus lourde de conséquences pour l’individu. Messieurs les Bâtonniers Dominique Mattei et Jerôme Gavaudan du Barreau de Marseille, ont poussé l’amitié jusqu’à venir respirer l’air savoyard moins riche en air marin mais tout aussi vivifiant que celui du Vieux Port. J’apprécie beaucoup leur geste et cette marque de sympathie à mon égard. Les moments quelque fois dramatiques que nous avons vécus ensemble nous ont rapproché. Merci, Dominique et Jérôme pour votre, présence. Je terminerai mon propos en adressant un très cordial salut aux élus de la République ici présents, aux représentants des préfectures et des administrations avec lesquels la justice travaille assidûment, aux officiers publics et ministériels, aux experts, aux commissaires aux comptes, aux membres des associations habilitées ainsi qu’à tous les partenaires de l’institution judiciaire. Les Présidents des juridictions consulaires et du travail peuvent compter également sur mes encouragements dans leur tâche d’intérêt général à laquelle ils donnent beaucoup d’eux-mêmes. J’exprime enfin toute ma considération à l’égard des fonctionnaires des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse dont je salue les responsables ici présents. Leur mission qui mérite le respect est la plus exigeante. Restaurer des valeurs perdues, aider à retrouver la société en la protégeant, n’est ce pas, là, la plus honorable des entreprises humaines ? « Pour être chef, il faut avoir du prestige et ce prestige, il faut l’acquérir par de la générosité, de l’entraide mutuelle, du dévouement ». Cette belle parole de Tom Morel, combattant de la justice et figure lumineuse des Glières, je la fais mienne et m’efforcerai de la garder à l’esprit dans mon action à la tête de ce Parquet général. 2013-793

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Vie du droit

Union Syndicale des Magistrats 39ème Congrès « Paroles » Paris, 15/16 novembre 2013 Christophe Régnard a présidé le Congrès annuel de l’Union Syndicale des Magistrats (USM) vendredi dernier, pour cette 39ème édition la séance solennelle d’ouverture s’est déroulée dans la première Chambre de la Cour d’Appel de Paris en présence de la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, de nombreux chefs de juridiction, de personnalités ainsi que des élus civils et militaires. A l’évidence, l’accueil réservé à la Ministre de la Justice fut moins chaleureux qu’à Colmar l’an dernier car force est de constater que le thème « Paroles » est une provocation aux actions de la place Vendôme en faveur de la justice. Les faits ont déçu les magistrats de l’USM alors qu’ils avaient beaucoup espéré et attendu du discours prononcé par Christiane Taubira le 19 octobre 2012 « avec l’habilité et le talent oratoire que l’on vous connait, vous les aviez apparemment convaincus » a déclaré Christophe Régnard. A l’USM, à l’exception de l’absence de stigmatisation des magistrats au gré des faits divers, les déceptions se cristallisent notamment sur : la création d’un procureur financier, l’absence d’une majorité de magistrats au CSM, la suppression des peines planchers automatiques au nom de la personnalisation des peines pour proposer un système de libération conditionnelle d’office, la création d’une nouvelle peine de probation indépendante sans lien ni référence avec l’emprisonnement tout en prévoyant une infraction de non-respect de la peine de probation… Le Président de l’USM a traduit l’exaspération de son syndicat qui s’interroge sur les priorités gouvernementales : la justice est-elle concernée ? Pour conclure, après un état des lieux décourageant et alarmiste, Christophe Régnard a déclaré qu’il respectait « la femme politique et la ministre et qu’il comprenait qu’elle ne puisse réussir lorsque les objectifs étaient impossibles à atteindre faute de moyens ». Il a ensuite instamment prié Madame la Garde des Sceaux de prendre « la juste mesure de la souffrance de ses collègues » et de « faire de cette souffrance la lanterne qui guidera son action ». Face au procès fait à la Chancellerie, Christiane Taubira a affirmé que le dialogue social était indispensable et s’est engagée « à ce qu’aucune réforme ne se conçoive sans consultation préalable ». Elle a demandé aux magistrats de l’USM « d’ajuster leurs revendications car elle estime que des paroles ont précédé et expliqué les actions du gouvernement ». Pétrie de culture démocratique et respectueuse des attributions des uns et des autres, elle s’est engagée à lever tous malentendus et à continuer de prendre la parole car elle « ne veut pas renoncer à l’action ni à l’existence du Ministère de la Justice ». Jean-René Tancrède

Paroles ou actions ?

Christophe Régnard

par Christophe Régnard

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’est avec plaisir que nous vous accueillons au 39ème Congrès de l’Union Syndicale des Magistrats. L’an passé à Colmar, vous aviez bénéficié de notre part d’un accueil chaleureux et même, fait rarissime, pour ne pas dire unique, d’une standing ovation à la fin de votre discours. Après des années terribles de mises en cause aussi permanentes qu’injustifiées des magistrats, d’atteintes à notre indépendance et d’absence totale de respect pour les personnels de ce ministère, les collègues étaient manifestement en attente de paroles fortes de votre part. Avec l’habileté et le talent oratoire que l’on vous connaît, vous les aviez apparemment convaincus. En sera-t-il de même cette année ? J’aurais aimé que nous puissions à nouveau réagir par des applaudissements nourris à votre discours, ce qui aurait été la marque de notre satisfaction face à votre action en faveur de la Justice. Mais je doute fort que ce soit le cas. Je vous avais dit à Colmar qu’« après les maux de ces dernières années, il vous faudra trouver les mots. Il vous faudra aussi passer aux actes », avant en guise de conclusion d’ajouter que « nous espérions beaucoup, mais que nous craignions d’être déçus, les promesses du passé rarement suivies d’effets étant là pour nous convaincre de rester prudents ».

J’avais bien raison d’être inquiet et prudent. L’année qui vient de s’écouler, au-delà des paroles publiques souvent apaisantes, est clairement celle des désillusions quant aux actes. Il est sans doute trop tôt, alors que d’innombrables

chantiers sont en cours, pour tirer des conclusions définitives. Néanmoins, objectivement, que garderons-nous des douze derniers mois ? Une réforme de société certes emblématique, celle du mariage pour tous,

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sur laquelle, en ma qualité de président d’un syndicat de magistrats, je n’ai pas à me prononcer. Quelques circulaires en matière pénale. Une réforme symbolique et a minima des relations entre le ministère et les parquets. Et la création d’innombrables et parfois redondants groupes de travail, missions et commissions. Voilà pour un bilan sommaire et finalement, pour l’instant, plutôt limité de votre action place Vendôme. J’aurai l’occasion de revenir longuement sur ces aspects et sur notre agacement, pour ne pas dire plus, qui explique en grande partie le thème de notre congrès. Ce mot unique, « Paroles », que nous avons retenu, est, à l’évidence, un clin d’œil aux reproches qui vous sont parfois faits : derrière les beaux discours, quelles réelles actions ? Rassurez-vous je ne sombrerai pas dans la critique facile, ni la mauvaise foi. Il est des dossiers, même s’ils sont peu nombreux, qui ont progressé dans le bon sens. Je tiens d’ailleurs à dire d’emblée et publiquement combien les attaques, notamment les injures et les propos racistes dont vous êtes victime, nous scandalisent. Dans une démocratie, on peut être en désaccord et l’exprimer, mais on doit à l’autre le respect pour ce qu’il est, et pour ce qu’il pense. Sur les frontons de nos édifices publics, et dans la devise de la France, figure le beau mot de « Fraternité ». Il est navrant de voir combien certains sont capables de l’oublier. Soyez assurée, Madame la Ministre, de notre soutien total après ces mises en cause abjectes ! La réalité est que, dix-huit mois après votre arrivée place Vendôme, nous sommes déçus. Après des débuts prometteurs, nous ne nous comprenons manifestement pas, ou plus, et chacune de nos rencontres, au demeurant peu nombreuses, a été source de tensions. Croyez bien que je le regrette. Parce que je crois que, ni vous, ni nous, ni surtout la Justice et ce ministère, n’en tirent bénéfice. Notre congrès de 2012 a apparemment constitué un tournant. De plutôt conviviales avant Colmar, nos rencontres ont ensuite quelque peu tourné à l’aigre. Je ne peux croire que ce soit à cause de l’invitation en Alsace du Ministre de l’Intérieur. Nous voulions montrer par cette invitation inédite que police et justice peuvent travailler ensemble et ne doivent pas s’opposer sans cesse, sauf à ruiner toute action efficace contre la délinquance et la récidive. Nous avions d’ailleurs cru comprendre à l’époque que c’était aussi la position du gouvernement et du Président de la République. Serait-ce alors lié au fait que, comme nombre de vos prédécesseurs au bout de 6 mois d’exercice, le dialogue social, annoncé comme essentiel, car, je vous cite « gage de l’acceptation et donc du succès des réformes », soit finalement vécu comme un obstacle ? Doit-on enfin l’imputer à votre proximité, réelle ou supposée, avec d’autres que nous dans la magistrature ? Qu’importe finalement, puisque le résultat est là, notre dialogue est difficile, même si je dois à l’honnêteté de dire que depuis septembre, et malgré quelques récents ratés regrettables, des infléchissements à ce que nous avions jusque là vécu comme des marques d’ostracisme à notre égard, sont à souligner. Prise de conscience tardive du fait que l’USM est incontournable dans le paysage judiciaire, plus encore depuis les élections internes de juin ou conséquence des contacts institutionnels de qualité noués par l’USM, hors

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du ministère de la Justice ? La question est posée ! Je ne suis à vrai dire guère surpris de cette situation. Votre discours de l’an dernier en laissait apparaître les prémices. Avec le sourire, vous aviez indiqué, qu’ « accueillie aimablement par quelques interrogations et contestations un peu caustiques de ma part, vous tâcheriez de me rendre la monnaie de ma pièce ». Simple boutade, avais-je alors pensé. Je me suis manifestement trompé. Pour autant, comme je vous l’ai dit l’an passé, l’USM est toujours dans la même dynamique, celle de changer la Justice, de renforcer son indépendance, de la doter de règles procédurales claires et protectrices des justiciables, d’améliorer l’organisation judiciaire, enfin de renforcer ses moyens même en période de crise. Nous portons des valeurs. Nous faisons des propositions. Elles sont pragmatiques, raisonnables. Modérées. Nous l’assumons. Nous ne sommes pas pour autant des conservateurs. Comment vouloir conserver un système en ruine ? Nous ne sommes pas non plus des révolutionnaires et la « révolution judiciaire » que d’aucuns appellent de leurs vœux et qui a manifestement (ou a eu …) un certain écho place Vendôme ne conduirait qu’à l’implosion du système. Nous sommes des réformistes. Nous avons cet été pu le montrer, lors des réflexions sur la réforme pénale. Nous nous réjouissons d’avoir été entendus et écoutés des plus hautes autorités de l’Etat afin d’aboutir à un texte équilibré. Vous l’avez compris, le ton de mon discours est beaucoup moins conciliant, sans doute plus « caustique » que celui de l’an passé. Pour autant, au milieu des sujets de discordes, il en est un dont nous nous félicitons.

l’ordre contre des décisions de justice », enfin qu’il n’admettrait pas « tout ce qui divise nos forces, affaiblit notre autorité, fragilise notre démocratie ». Je ne redirai pas tout le bien que je pense d’une telle déclaration faite devant une assemblée de magistrats. Je mesure la difficulté de tenir une telle promesse sur la durée, surtout face à certains syndicats de policiers, toujours prompts dans une logique très politique, à vouloir « casser » du juge. Mais force est de reconnaître que cette promesse, cette parole donnée, a été globalement tenue. Hormis la « surprise » étonnamment exprimée dans le courant de l’été après le report de mise à exécution de décisions d’incarcérations à Chartres, justifiées par la surpopulation carcérale, il n’y a eu aucune stigmatisation. C’est suffisamment rare pour le noter. Les magistrats en savent gré au gouvernement. Ne pas être attaqués par les plus hautes autorités de l’Etat est une chose. Etre défendus en est une autre. Il serait injuste de dire que vous n’êtes pas intervenue. Vous l’avez fait. A chaque fois. A l’occasion des propos honteux d’un parlementaire de l’opposition dans les suites de la mise en examen à Bordeaux de l’ancien Président de la République. A l’occasion de l’affaire de Chartres que je viens d’évoquer. Ou encore lors de l’affaire du « mur des cons ». Nous vous en remercions, même si vous l’avez fait parfois un peu tard … nous laissant d’abord en première ligne pour rappeler des évidences, dénoncer les faits au Procureur de Paris, défendre l’honneur de la magistrature et récuser les amalgames … Nous ne pouvons donc qu’espérer, dans les prochains mois, si de telles situations devaient se renouveler, que vous saurez être plus réactive !

L’absence de stigmatisation des magistrats au gré des faits divers s’est poursuivie. Nous avions été habitués (mais pas résignés !) au cours de la dernière décennie à la mise en cause régulière des magistrats, et, à l’occasion de la tragique affaire de Pornic, d’autres personnels du ministère et même des forces de police, notamment par le Président de la République et le Ministre de l’Intérieur. Manuel Valls, en 2012, nous avait dit qu’il désapprouvait « les commentaires partiaux et les polémiques entretenues à des fins partisanes », qu’il ne tolérerait pas « de manifestations des forces de

Voilà pour le positif … Pour le reste … Il est un paradoxe. Je l’ai dit, nous avons du mal à nous entendre et pour autant, en un an, l’USM a soutenu trois de vos réformes, dont deux, il est vrai, personnellement arbitrées par le Président de la République … et non des moindres : la réforme constitutionnelle modifiant la composition et les pouvoirs du CSM et améliorant le statut des magistrats du parquet ; le projet de loi sur la collégialité de l’instruction ; enfin la réforme pénale. Nous avons eu parfois le sentiment de les défendre plus que vous-même. Il faut dire

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Vie du droit qu’elles correspondaient assez largement à nos propositions, mais pas toujours à ce que nous avions perçu être vos positions. Y a-t-il relation de cause à effet, aucune de ces réformes n’a abouti… La réforme constitutionnelle a été différée sine die. La réforme de l’instruction une nouvelle fois renvoyée (ça n’est jamais que la 4ème fois depuis 2007 !) et la réforme pénale reportée après les élections municipales … pour cause de calendrier parlementaire trop chargé … Vous reconnaîtrez que réussir à faire passer les réformes que nous contestons, comme la création d’un procureur financier, et échouer sur celles que nous soutenons n’est pas fait pour faciliter nos relations ! Le 22 juillet 2013 aurait pu devenir une date marquante pour l’indépendance de la Justice en France. Comment, après les espoirs du début d’année, nés des paroles prononcées par le Président de la République à l’occasion de l’audience de rentrée de la Cour de cassation, et les désillusions de l’été dans les suites de l’abandon de la réforme constitutionnelle, pourrais-je ne pas revenir sur ce sujet qui est au cœur de l’indépendance des magistrats, et naturellement au cœur de nos préoccupations et de nos attentes ? « Nous serions bien misérables si nous décidions de louvoyer encore » nous avez-vous dit sur le sujet à Colmar l’an dernier. Je laisse chacun méditer ces mots au regard de ce que nous savons aujourd’hui des chances de succès de cette réforme majeure. Nous avions bien entendu les propos du Président de la République pendant la campagne électorale de 2012. L’annonce du rétablissement de la majorité de magistrats au sein du CSM pendant le débat d’entre les deux tours face à Nicolas Sarkozy, qui, bafouant les standards internationaux avait fait adopter en 2008 la mise en minorité, était un acte fort de la volonté affichée de restituer à la Justice son indépendance et de restaurer l’un des piliers essentiels en démocratie. Nous avons accueilli avec grande satisfaction les principes de la réforme annoncés par le Président de la République à la Cour de cassation en janvier,

pour « aller vers plus d’indépendance encore » et notamment « une composition du Conseil supérieur de la magistrature, qui comprendra davantage de magistrats que de personnalités extérieures à la magistrature, conformément aux usages dans les autres démocraties européennes ». J’ai pu lire, à l’époque, ici ou là, que c’était une réforme pour l’USM et que le Président avait cédé à nos exigences. A vrai dire, cela m’a fait sourire. C’est nous donner bien plus de pouvoir que nous n’en avons et surtout faire fi des convictions, que je pense profondes et sincères, du Président de la République sur ce sujet. Voyez-vous j’ai rencontré François Hollande il y a quelques années à Solférino. J’accompagnais alors mon prédécesseur pour expliquer, au premier Secrétaire du PS qu’il était alors, ce qui nous semblait indispensable en matière d’indépendance, à l’heure où la précédente majorité s’apprêtait à réformer la Constitution. C’est un des rares hommes politiques que nous avons eu le sentiment de ne pas avoir à convaincre. J’ai d’ailleurs retrouvé cette même conviction lorsque nous avons été reçus à l’Elysée en avril. Je n’ai donc pas été surpris du projet de réforme constitutionnelle qu’il a souhaité. Passée la quasi euphorie de l’annonce (je dis quasi parce que nous ne sommes pas naïfs et nous nous doutions bien que cette réforme courageuse serait difficile à faire adopter), nous avons assisté avec effarement aux débats parlementaires, où la détestation du juge et le refus de son indépendance étaient sur presque tous les bancs. Les amalgames et les clichés n’ont pas manqué. Entendre dire à droite que « le projet de réforme procède d’une idéologie pernicieuse, que les républicains doivent combattre en toute clarté. Cette idéologie porte un nom, c’est la renonciation du pouvoir démocratique, pleinement légitime parce qu’élu au suffrage universel, devant une autorité judiciaire qui serait érigée, peut-être malgré elle, en contre pouvoir » est proprement stupéfiant, même s’il ne peut nous surprendre. Voir agiter, plus à gauche, le spectre d’un

« gouvernement des juges » pourrait faire sourire s’il n’était en même temps expliqué que « la légitimité des magistrats qui relève du diplôme et non de l’élection n’est que très relative » et que l’octroi d’un «droit de remontrance » (en réalité la possibilité pour le CSM de se saisir de toute question relative à l’indépendance de l’autorité judiciaire) conduirait au risque « de ne plus avoir deux pouvoirs et une autorité, mais bel et bien trois pouvoirs ». Tout cela en dit long sur l’état d’esprit de certains parlementaires à notre égard. Je voudrais les rassurer. Les magistrats du 21ème siècle ne prétendent pas retrouver les prérogatives des parlements d’ancien régime. Ils veulent juste pouvoir exercer leurs fonctions en toute indépendance, en appliquant la Loi sans pression, ni crainte sur leur déroulement de carrière. Ils ne le veulent pas pour eux, mais pour les justiciables. Pour reprendre les propos liminaires de la recommandation 2010/12 du Conseil de l’Europe, l’indépendance de la Justice n’est en effet « pas un privilège des juges, mais une garantie du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui permet à toute personne d’avoir confiance dans le système judiciaire ». Je dois à l’honnêteté de dire que vous aviez la tâche difficile face à autant de méconnaissance, de détestation, de mauvaise foi et d’arrières pensées politiques, et que l’affaire du « mur des cons », de même que le lobbying actif de trois membres du CSM actuel auprès des parlementaires, doublé d’une tribune dans le Figaro, n’ont pas facilité l’adoption d’un texte consensuel. Juste un mot sur cet article qui a conduit le Premier Président de la Cour de cassation à adresser une lettre de remontrance bienvenue. Les membres du CSM, comme les magistrats, sont soumis à un devoir de réserve. J’imagine ce que les mêmes auraient dit si les représentants des magistrats avaient soutenu médiatiquement des positions contraires à celles délibérées en commun … Je n’en dirai pas plus. Permettez-moi par contre de revenir sur le « mur des cons ». Je ne le fais pas parce que j’y figurais, avec mon prédécesseur, l’actuel bureau et tout le

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Christophe Régnard, Virginie Duval et François Thévenot

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Vie du droit n’avons clairement pas compris votre position. En cédant aussi facilement à l’Assemblée Nationale sur ce qui constituait le cœur de la réforme (le rétablissement de la majorité de magistrats) alors que vous disposiez d’une majorité absolue socialiste pour la faire adopter, vous vous êtes privée de tout moyen de discussion et de marge de manœuvre pour les débats au Sénat … qui a détricoté tout le reste, vous conduisant à différer la réforme … en réalité à l’abandonner, comme avait été abandonnée celle de 1998. « Je n’ai qu’une parole, mais je n’ai pas de mémoire » écrivait plaisamment Marcel Achard. Vos prises de position publiques consécutives à l’échec de la réforme nous ont à cet égard laissés songeurs. Nous vous avons soutenue lorsque dans un article du Huffington Post du 8 juillet vous avez dénoncé « ceux qui n’ont voulu préserver qu’eux-mêmes. Ceux qui, fustigeant sans nuance un corporatisme judiciaire, réel sans doute mais bien moins invasif qu’il n’est dit, (…) prirent le risque de prêter le flanc au grief de corporatisme parlementaire ». Mais nous n’avons pas compris dans ce même article, comme quelques jours plus tard en réponse à un parlementaire, cet éloge de la parité magistrat / non-magistrat au sein du CSM doublé d’une présidence octroyée à un « laïc ». Je sais bien que cette parité et cette présidence par un non-magistrat correspondaient à ce que vous pensiez souhaitable. Nous en avions débattu en décembre dernier, de façon un peu vive. Mais peut-on vous rappeler Madame la Ministre, le texte que vous avez présenté en conseil des ministres ? Etait-il question de parité ? Ne lisait-on pas dans l’exposé des motifs que « par l’effet du présent projet, les magistrats de l’ordre judiciaire, au nombre de 8, redeviennent majoritaires, ce qui va dans le sens des recommandations du Conseil de l’Europe » ? Pendant les débats, vous avez dit que « force est d’admettre que plusieurs arguments plaident pour cette majorité de magistrats au sein du Conseil » … en vous gardant néanmoins bien de les évoquer. Laissez-moi vous rappeler, même si nous sommes les seuls à le faire, que les standards internationaux plaident tous pour une majorité de magistrats, l’ouverture exceptionnelle à la parité n’étant destinée qu’à préserver les susceptibilités de certains pays … Laissez-moi vous dire que pour adhérer à l’Union européenne, les critères dits de Copenhague imposent une indépendance de l’autorité judiciaire et que celle-ci est passée partout par la création de

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conseil national de l’USM. Mais parce que cette consternante affaire a donné à ceux qui nous sont hostiles une arme inespérée. Elle leur a permis, par amalgames, de dénoncer tout à la fois le présumé gauchisme sectaire des magistrats, de mettre en cause le syndicalisme judiciaire, et de proposer une réforme afin d’imposer aux magistrats de faire leur coming-out syndical. Nous n’avons jamais vu dans l’érection de ce mur une « blague potache ». La présence, notamment de pères de victimes, nous a heurtés. Nous avons perçu d’emblée le risque …. pour les magistrats et l’image de notre corps renvoyée à l’opinion publique ... pour le syndicalisme dans la magistrature, fruit de tant de luttes depuis 40 ans … pour la réforme constitutionnelle en cours. Nous nous sommes immédiatement désolidarisés et avons appelé nos collègues du Syndicat de la Magistrature à faire la seule chose qui s’imposait : amende honorable. Ce ne fut pas le cas. Je le regrette. Après avoir minimisé les choses devant l’Assemblée Nationale, et face à la polémique qui enflait, vous avez exprimé « votre consternation face à ce comportement à tout le moins déplacé », mais avez bizarrement saisi le CSM, qui vous a répondu qu’il ne pouvait vous répondre … pour ne pas prendre position, en sa formation plénière, sur le caractère répréhensible ou non sur un plan disciplinaire de ces agissements. Pertinente décision pour éviter de se prononcer sur, ce qui ne peut être de sa compétence, la liberté d’expression syndicale ! La première conséquence a été dans les urnes. Si la progression spectaculaire de l’USM en juin (près de 10%) ne s’explique pas uniquement par cette affaire du « mur des cons », il serait stupide de nier qu’elle n’a eu aucun rôle. Je remercie chaleureusement les 68,4 % de magistrats qui ont voté pour nos listes et démontré leur attachement à un syndicalisme réformiste, pragmatique et surtout apolitique. La seconde, et c’est un paradoxe, est l’impossibilité de faire adopter la réforme constitutionnelle que nous soutenions et à laquelle le syndicat de la magistrature s’opposait ! Nous savions, même avant cette affaire, le combat difficile à mener. Nous avons fait ce que nous avons pu en rencontrant de nombreux parlementaires pour expliquer notre position, qui était aussi, à tout le moins dans un premier temps, celle du gouvernement. Nous avons bien senti que l’affaire du « mur des cons » avait ébranlé les plus convaincus. Mais nous

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Conseils de Justice composés majoritairement de magistrats … Laissez-moi vous parler de pays qui s’ouvrent à la démocratie, comme l’Ukraine et la Mongolie, qui avec le soutien de l’ONU, ont créé récemment des CSM majoritairement composés de magistrats élus par leurs pairs … Laissez-moi vous lire un extrait de la dernière déclaration de l’Union internationale des magistrats (UIM), adoptée à Yalta en octobre 2013, après une conférence sur ce thème, qui estime que « le Conseil Supérieur de la Magistrature ne peut jouir d’un degré adéquat d’indépendance que si une majorité substantielle de ses membres sont des magistrats élus par leur pairs, représentants tous les niveaux judiciaires ». On peut nous dire qu’en France, nous sommes, nous l’USM, seuls à penser ce que nous pensons. Mais je peux vous dire que la France est seule, dans le monde, à penser ce qu’elle pense. Et que ça n’est pas glorieux pour nos responsables politiques ! Lorsque nous avons rencontré en avril le Président de la République, il nous a dit que l’occasion de réformer le CSM et d’asseoir enfin réellement l’indépendance de la Justice était historique. Nous partageons ce sentiment … mais cette chance historique est passée … Hélas ! Alors on me dira (vous me direz sans doute) que, même sans réforme constitutionnelle, la situation a évolué. C’est vrai. Vous avez assuré la transparence dans les nominations de tous les magistrats, procureurs généraux compris. Vous vous êtes engagée, comme plusieurs de vos prédécesseurs, à ne plus passer outre aux avis du CSM en matière de nomination et de discipline des magistrats du parquet. Nous vous en savons gré. Mais les pratiques peuvent toujours changer … au gré des majorités ! Vous avez fait voter une loi qui interdit les instructions individuelles dans les dossiers particuliers. Nous vous en félicitons, même s’il ne faut pas se méprendre sur sa portée. « En mettant fin à une pratique qui ne concerne tout au plus qu’une dizaine de procédures par an, le projet de loi aura une portée concrète à la hauteur de ce faible chiffre, de l’ordre du symbole... », avons-nous écrit. Certes, les symboles sont importants. Mais, y a-til vraiment eu depuis la promulgation de la loi changement de pratiques ? Y a-t-il eu une baisse des remontées d’informations vers le Ministère et des demandes de rapports aux procureurs généraux ? Il ne semble pas vraiment. Ce serait même plutôt le contraire ! Vous ne sortirez pas de la suspicion de politisation du parquet sans une réforme d’ampleur de son statut qui passe par l’alignement total des conditions de nominations et de discipline des magistrats du parquet sur celles, plus favorables et garantissant leur indépendance, des magistrats du siège. J’ai cru comprendre que la commission présidée par Jean-Louis Nadal aurait adopté cette position à la quasi-unanimité. Je me réjouis que nos idées progressent dans la magistrature ! Tergiverser fragilise chaque jour un peu plus les « parquetiers ». Dans l’image qu’ils ont dans l’opinion publique. Mais aussi dans les procédures qu’ils mènent et contrôlent. La CEDH hier, la Cour de cassation récemment, ne cessent de restreindre le champ d’application et de contrôle des magistrats du parquet, notamment au regard de leur statut qui ne leur permettrait pas, nous dit-on, de prétendre appartenir à l’autorité judiciaire. Dans ce contexte, avoir fait adopter la création

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d’un procureur financier national est une faute. Cet objet judiciaire non identifié, comme nous l’avons appelé, est typique de la fausse bonne idée, née en urgence dans les suites d’une affaire politico-médiatique. Nous y sommes hostiles, comme l’a d’ailleurs été à deux reprises le Sénat, pour les mêmes raisons : il crée de la confusion dans l’architecture judiciaire en instituant un quasi procureur de Paris bis. Il conduit à supprimer les 36 pôles financiers régionaux qui n’avaient pas démérité. Il aboutit à concentrer potentiellement entre les mains d’un seul homme, dont les conditions de nomination ne sont pas mieux garanties que pour les autres magistrats du parquet, faute d’adoption de la réforme constitutionnelle, la totalité des affaires économiques et financières sensibles. Je frémis à l’idée de ce qui pourrait advenir, si demain, ou après-demain, devait être nommé à ce poste un magistrat, ami très proche du pouvoir en place, qui aurait toute latitude pour influer directement, au niveau national, sur l’ensemble des procédures en cours, freiner celles concernant ses amis politiques et accélérer celles visant ses opposants. Pour avoir exercé à Nanterre et défendu l’une de ses magistrates emblématiques, je suis bien placé pour savoir que ce risque existe. L’instance disciplinaire qui se tient aujourd’hui même à quelques dizaines de mètres de nous est là pour nous le rappeler … Madame la Ministre, vous avez récemment dit que vous vous attacherez à « consolider l’indépendance des magistrats ». Consolider, le mot est juste. Quelques étais sur un édifice en ruine … Le succès n’est hélas pas au rendez-vous en matière statutaire. Je souhaite ardemment qu’il en aille différemment en matière pénale. Depuis 18 mois, vous avez surtout réformé la matière par circulaires. Exit les citoyens assesseurs. A cet égard les magistrats dijonnais et toulousains ne vous remercieront jamais assez d’avoir fait cesser cette gabegie. Mais nous attendons toujours la loi d’abrogation. Vous avez mis fin aux pressions qui s’exerçaient sur les juridictions pour qu’elles appliquent les peines planchers et demandé que les tribunaux correctionnels pour mineurs ne se réunissent plus. Dont acte, mais les magistrats appliquent la Loi et celle-ci, faute d’avoir été abrogée, est claire …

Comment la contourner systématiquement sans s’exposer ? Vous nous direz qu’une réforme a été présentée par le gouvernement et qu’elle sera prochainement débattue et espérons-le adoptée. Nous nous sommes dans un premier temps plutôt réjouis de la méthode utilisée. Une réflexion approfondie, plutôt qu’une réponse parcellaire en urgence au gré des faits divers. Je ne remets pas en cause le travail préparatoire du comité d’organisation de la conférence de consensus. Il était de qualité. Par contre, comment ne pas être stupéfait par la faiblesse des conclusions du jury, dans lesquelles le dogmatisme avait apparemment repris ses droits … comme la composition choisie nous le laissait craindre ! Supprimer les peines planchers automatiques au nom de la personnalisation des peines pour proposer un système de libération conditionnelle d’office … Où est la cohérence ? Suggérer la création d’une nouvelle peine de probation indépendante et sans lien ni référence avec l’emprisonnement, tout en prévoyant une infraction de non-respect de la peine de probation … Voilà de quoi engorger un peu plus les juridictions ! Quant au budget pour mettre en œuvre les mesures préconisées, proposer que « les conditions mises à la libération soient effectivement suivies

et contrôlées par les services compétents dotés des moyens adéquats » relève du vœu pieux, compte tenu de l’état de nos SPIP et de nos SAP, plus encore en période de crise ! Force est de constater que ces propositions n’ont pas fait « consensus », à tel point que vous avez du refaire des concertations en recevant les acteurs de la chaîne pénale, notamment les policiers étonnamment oubliés jusqu’alors ! Nous avons été inquiets des avant-projets du ministère de la Justice. Autant apparemment que les services du ministère de l’Intérieur … si j’en crois les échanges de courriers de cet été … Nous avons pesé, pourquoi le nier, pour éviter ce que nous considérions être de mauvaises orientations. Nous avons travaillé avec les services du ministère de l’Intérieur, parce qu’il n’a pas été vraiment possible de travailler avec les vôtres ! Nous avons été reçus à l’Elysée et Matignon. Nos positions pragmatiques et raisonnables l’ont emporté. Nous nous en félicitons …Le texte final est acceptable et en l’état équilibré. Il supprime les peines planchers que nous avons toujours combattues, et dans le même temps nombre de dispositifs automatiques contraires à la nécessaire personnalisation des peines. Il créé une nouvelle peine, la contrainte pénale, facultative pour le juge, sensiblement différente du SME et dont la violation peut conduire à une incarcération sans nouvel examen par un tribunal correctionnel. Il impose un examen automatique des dossiers des condamnés, et non plus une libération automatique, aux deux tiers de peine. Il montre la fermeté de l’Etat par le retour, hélas seulement partiel, aux dispositifs d’aménagement des courtes peines antérieurs à la loi pénitentiaire de 2009. Enfin des assurances nous ont été données sur la mise en chantier d’un Code de l’exécution et de l’application des peines que nous appelons de nos vœux depuis longtemps. Il ne vous aura pas échappé que ce texte est, un peu grâce à nous, même si c’est peut-être à votre corps défendant, devenu consensuel … Collectivement, avec les organisations majoritaires chez les gardiens de la paix, les officiers et les commissaires, dont je salue la présence dans cette salle, nous avons en effet pris position en faveur du texte (cela n’est pas si fréquent !), souhaitant juste obtenir quelques éclaircissements, notamment sur les moyens de le mettre en œuvre et les éventuels transferts de compétences et de responsabilités.

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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

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Christiane Taubira

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Vie du droit Nous avons demandé au ministre de l’Intérieur et à vous-même de recevoir ensemble notre intersyndicale. Manuel Valls nous a répondu favorablement … très vite … Malgré la promesse faite par votre cabinet, nous attendons toujours cette rencontre avec vous … Même si je respecte infiniment le rôle du Parlement, je ne peux qu’espérer que les débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat ne viendront pas détricoter, avec votre éventuel secret soutien, ce projet de loi. « Le texte présenté par la Garde des Sceaux est le texte de tout le gouvernement. C’est moi-même qui en ai assuré la coordination. Il doit être défendu âprement ». Telle semble être, si l’on en croit un journal satirique du mercredi, la position exprimée par le chef de l’Etat le mois dernier. Je le rappelle … au cas où certains penseraient pouvoir revenir au dogmatisme passé ! Restera en tout état de cause la question des moyens … des annonces ont été faites par vous-même et le Premier Ministre. Elles sont ambitieuses et pertinentes, mais au-delà des mots, quelle réalité ? Comme le disait Marcel Aymé, « la parole arrive à faner l’espérance ». C’est tellement vrai en matière de budget ! Depuis des années on nous annonce des hausses budgétaires … souvent largement minorées en fin d’année par des gels, des reports, des suppressions… Depuis des années nous dénonçons l’état des juridictions, la pauvreté de notre ministère, l’écart qui continue à se creuser avec les Justices des grandes démocraties qui nous entourent. Vous n’y êtes pour rien. Vous avez hérité d’un ministère en ruine, que vous devez faire fonctionner, du fait de la crise, avec des moyens réduits. Je mesure les difficultés auxquelles vous êtes confrontée et la lutte que vous avez sans doute menée dans les arbitrages avec Bercy. Je note le déblocage récent et bienvenu de 209 millions d’euros. Mais … les juridictions sont désormais dans l’incapacité de faire face à leurs échéances dès la fin du printemps. Les experts ne sont donc plus payés. La Poste pas davantage, qui dans certains ressorts a menacé de ne plus acheminer le courrier. Les magistrats ne sont plus dotés de codes. Ils en arrivent parfois à acheter des ramettes de papier pour imprimer leurs jugements, voire des ampoules … Avec seulement 1,7% de hausse en 2014 (c’est-àdire moins que ce que le plan triennal nous avait laissé espérer) et l’annonce réjouissante qu’en ce qui concerne les frais de fonctionnement, vous étiez parvenue à « interrompre la progression de la baisse », nous sommes très loin du compte ! La Justice estelle vraiment une priorité du gouvernement ? Vous avez effectué nombre de déplacements dans les juridictions depuis votre nomination place Vendôme. Vous n’avez pu que constater la situation et l’acrimonie légitime des magistrats et fonctionnaires face à la dégradation de leurs conditions de travail, générant de la souffrance. Encore que, compte tenu des consignes données, je ne sais pas si vous avez accès aux services les plus sinistrés. Savez-vous en outre qu’en ce qui concerne les magistrats que vous rencontrez en juridiction, on sélectionne plutôt de jeunes collègues, à qui on demande d’être « raisonnables » dans leurs propos … Potemkine semble toujours avoir des disciples ! Les effectifs de magistrats sont en chute libre. Les départs en retraite seront massifs dans les prochaines années. Les recrutements sont très difficiles. 400 postes resteront vacants au

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1er janvier 2014, soit 5 % des effectifs en juridiction. Et à deux reprises, à la DSJ et dans les groupes de travail on nous a fait comprendre qu’il y avait trop de magistrats. Une hérésie, alors que les chiffres de la CEPEJ démontrent le contraire ! Je sais que la situation des fonctionnaires de greffe n’est pas meilleure, avec en outre une reconnaissance indemnitaire qui ne vient pas, ce qui est proprement scandaleux, alors que sans eux et leur abnégation la machine judiciaire aurait cessé de fonctionner depuis bien longtemps ! Nous soutenons leurs légitimes revendications statutaires et indemnitaires. J’en profite pour saluer la présence dans cette salle de nos partenaires et amis de l’UNSA Justice. Tout cela n’est pas nouveau, même si nous ne pouvons que faire le constat de l’aggravation. Vous avez l’honnêteté de le reconnaître ! Mais vous devriez avoir le courage de refuser toute nouvelle charge. A cet égard, la nouvelle loi sur les soins sans consentement est inquiétante. Nous n’avons assurément pas les moyens d’examiner la situation des personnes bénéficiant de ces soins au bout de 12 jours (et non plus 15). Nous avons encore moins les moyens de nous rendre dans les établissements psychiatriques pour y tenir les audiences. Les services de JLD déjà exsangues vont purement et simplement exploser, dès la mise en œuvre de la réforme. Pourquoi avoir cédé si facilement au ministère de la Santé ? Nous nous interrogeons aussi sur la réouverture précipitée à moyens constants de trois TGI et de quatre chambres détachées à compter de septembre 2014. Même si Tulle et Saint Laurent du Maroni sont concernés … en avons-nous vraiment les moyens ? La fragilité psychologique de certains collègues enfin nous inquiète. Nous avons connu une vague de suicides de magistrats ces dernières années. Il y a deux ans dans cette même salle, la mère d’un de nos collègues qui avait mis fin à ses jours avait interpellé votre prédécesseur. Un moment très fort. Je sais que vous avez reçu la veuve d’un autre collègue qui exerçait à Nanterre et qui s’est lui aussi suicidé. Elle est dans cette salle. Vous lui avez laissé des espoirs sur une action possible … Et rien n’a changé hélas ! Sur ces questions de souffrance au travail et de gestion de la problématique des suicides et du « burn-out », plus encore que sur tout autre sujet, votre action ne peut se limiter aux mots ! Dans ce contexte très tendu, le travail de vos services est scruté à la loupe. Certaines évolutions ne sont clairement pas comprises. Depuis quelques mois, les temps partiels sont fréquemment refusés. Depuis quelques semaines, les dérogations à l’obligation de résidence le sont aussi, rompant avec des usages établis depuis longtemps. De nouvelles règles, ajoutant au statut, sont imposées par la chancellerie qui s’oppose désormais à toute mutation si le magistrat a moins de trois ans d’ancienneté dans son poste. Les priorités statutaires de nomination pour les magistrats placés ont parfois été contournées. Ces évolutions brutales ont été faites sans concertation. Elles s’appliquent indifféremment y compris aux situations existantes, mettant de nombreux collègues en grande difficulté. Nous attendons des éclaircissements de vos services sur ces points et surtout, dès aujourd’hui, une position claire de votre part sur l’obligation de résidence, puisque l’octroi des dérogations est de votre responsabilité. La ligne qui pourrait (devrait !) être celle du ministère nous semble évidente. L’excellent et récent rapport

du CSM sur la parité dans la magistrature en trace les contours. Nous vous demandons la mise en œuvre rapide de ses préconisations. Enfin, je voudrais vous faire part de l’exaspération des magistrats face à la tardiveté de la parution de la transparence, restée semble t-il trois semaines sur votre bureau. Je ne peux mieux le faire qu’en vous lisant un message reçu sur notre liste de discussion syndicale : « Je reste sans voix à l’observation de ce mépris flagrant de la Chancellerie pour les magistrats. Aucune considération pour les contingences qui découlent d’un tel retard : organiser un déménagement, scolariser des enfants, trouver un appartement, gérer son agenda professionnel (…) Doit-on attendre une révolution des magistrats et des désistements en chaîne pour qu’à un moment donné, il y ait une remise en question du «management» de la Chancellerie et plus généralement une évolution quant à la manière dont nous sommes traités ? Qu’ils ne viennent pas se plaindre de la désaffection pour la magistrature quand on n’est pas capable d’appliquer à ce corps «un traitement digne et humain» !!!!!! » Tout est dit … et bien dit … Madame la Ministre, bien loin des grands discours, des grandes théories sur la justice de demain, c’est à ces contingences pratiques, quotidiennes que les magistrats jugeront votre action. Ne les décevez pas … Prenez en considération le mal être des personnels de votre ministère … Améliorez vos pratiques. Il devrait d’ailleurs en être de même dans le cadre du dialogue social. « La parole apaise la colère » écrivait Eschylle. C’est assurément sur ce thème que je devrais donc parler le plus … pour apaiser notre exaspération croissante ! C’est aussi le domaine dans lequel la parole a été la plus éloignée des actes. Vous nous avez dit d’entrée, suivant en cela les promesses de campagne du Président de la République sur le nécessaire respect des corps intermédiaires et les préconisations bienvenues du Premier Ministre, que le dialogue social serait au cœur de votre action. Gage de réussite des réformes comme je l’ai rappelé tout à l’heure. Vous avez confié à Monsieur Lacambre une mission. Le rapport vous a été remis en février dernier. Depuis nous attendons … Nous espérons bien que les préconisations pertinentes de ce rapport, qui confortent les conclusions du rapport Vallemont de 2006, ne seront pas enterrées. Il vous appartient de les mettre en œuvre. Vous avez souhaité que soient fixés les critères de représentativité des organisations professionnelles de magistrats. Un décret devrait prochainement être publié. La DSJ a récemment mis en place un processus de concertation poussé, préalable aux dialogues de gestion. Des contacts réguliers institutionnalisés ont d’ailleurs lieu entre l’USM et le directeur des services judiciaires sur les sujets d’actualité, tant statutaires qu’indemnitaires ou d’organisation judiciaire. Nous vous en savons gré. Vous constaterez, que si je peux être sévère, je sais aussi être juste. Pour autant, un vrai problème existe. Nous l’avons perçu dès la fin de l’année dernière. Alors qu’à l’occasion d’un Comité technique ministériel que vous présidez désormais régulièrement, vous étiez interrogée sur le sens de ces missions de réflexion qui se multipliaient sans réelle association des organisations

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Vie du droit professionnelles de votre ministère, vous avez déclaré à la stupéfaction générale que vous faisiez travailler des experts, afin d’obtenir des rapports pertinents que vous soumettriez ensuite aux syndicats qui feraient alors ce pour quoi ils sont faits : critiquer. Curieuse vision pour une femme de gauche du rôle que peuvent, et même que doivent, jouer les organisations professionnelles. Nous ne sommes pas dans la simple critique. Nous avons des propositions dans tous les domaines. Nous voulons pouvoir les exprimer autrement que dans de frustrantes auditions d’une heure, qui nécessairement conduisent à synthétiser à l’excès nos positions. Et nous voulons le faire dans des instances de réflexion dont la composition est insoupçonnable de partialité. Force est de constater qu’à cet égard, nous n’avons pas été entendus. La composition des groupes de travail sur les « juges du 21ème siècle » et sur les « juridictions du 21ème siècle » est contestable. Certes, les huit organisations syndicales de magistrats et fonctionnaires, et donc l’USM, y siègent es qualité. Mais sur les 16 autres membres, on ne peut qu’être frappé par l’orientation majoritaire qui émerge. Nous ne revendiquons pas d’occuper la place actuellement prise par d’autres que nous, même si nous sommes majoritaires et eux minoritaires. Nous voulons juste que le débat soit loyal, neutre et non orienté, ce qui n’est manifestement pas le cas. Certes, comme pour la conférence de consensus, vous n’aurez aucun mal à obtenir les résultats que vous attendez manifestement. N’est-ce pas là cependant un calcul à court terme, qui vous permettra tout juste de recevoir un rapport conforme à ce que vous pensez, mais qui générera sitôt paru des oppositions, rendant impossible, sauf à passer en force, l’adoption des réformes ? Quant à la commission Nadal, nous n’avons toujours pas compris pourquoi dans un premier temps, vous en aviez exclu, apparemment délibérément, les organisations professionnelles de magistrats, notamment l’USM qui lors des dernières élections a obtenu 75% des voix de nos collègues du parquet ! L’explication sémantique selon laquelle une commission et un groupe de travail ne peuvent être composés de la même façon ne nous a pas convaincus.

De quoi aviez-vous peur ? De la certitude que nous allions faire notre travail et défendre nos idées ? De quoi vouliez-vous nous punir ? De nos réserves face aux préconisations émergeantes des deux groupes de travail ? Nous nous sommes beaucoup mobilisés dans le courant de l’été pour intégrer cette commission, pour que le simple bon sens et le respect des corps intermédiaires l’emporte. Nous avons été entendus … in extremis. Mais que de combats pour des évidences … L’USM participe activement aux réflexions dans les deux groupes de travail et dans la commission Nadal. Nous en attendons beaucoup et nous soutiendrons certaines des évolutions préconisées, mais je ne vous cache pas que nous sommes inquiets de bon nombre d’orientations. Réformer la carte judiciaire, moins de cinq ans après la précédente et calamiteuse réforme de 2007, ne peut que susciter de la méfiance, surtout sans assurances statutaires fortes. Transférer des pans entiers de l’activité juridictionnelle actuellement exercée par des magistrats à d’autres qu’eux dans une pure logique de gestion des flux, et en cédant à certains lobbies, ne peut qu’inquiéter. Modifier la gouvernance des juridictions, en donnant aux présidents de tribunaux le pouvoir de choisir pour une période de deux ans éventuellement renouvelable leurs « collaborateurs » et en créant des conseils de justice départementaux et régionaux à la composition et aux pouvoirs contestables, laisse craindre une atteinte aux pouvoirs propres du CSM en matière de nomination et un contournement des instances locales, déjà mal en point, du dialogue social. Ajouter à l’architecture du ministère des « machins », comme le conseil national de Justice ou le conseil national de politique pénale, dont on comprend bienl’intérêtetleprestigepoursesfutursmembres,mais moins le sens et l’efficacité pratiques, ne peut que laisser songeur quant à l’utilisation des fonds publics. Nous ne pouvons pas croire que ces orientations seront retenues. Nous aurons l’occasion d’un débat public sur ces questions puisque vous avez annoncé que sitôt le dépôt des rapports, au début de l’année 2014 un événement à l’Unesco, réunissant 2000 personnes, sera organisé, puis qu’une consultation des assemblées générales des juridictions est prévue. Soyez assurée que nous y prendrons toute notre part ...

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Christophe Régnard, Christiane Taubira et Jacqus Degrandi

J’aurais pu au titre des regrets concernant le dialogue social et l’impartialité du Ministère parler des nominations orientées que nous connaissons depuis quelques mois, de ces courriers que nous vous adressons qui reçoivent rarement de réponses, de ces conférences de presse où nous ne sommes pas invités, alors que le monde judiciaire au grand complet est convié… Y aurait-il deux divisions, la noblesse judiciaire et la presse qui auraient droit à la parole ministérielle et la piétaille syndicale qui devrait se contenter d’une information donnée par votre cabinet ? Voilà Madame la Ministre, ce que je souhaitais vous dire. Je ne doute pas que vous n’avez guère goûté mes propos et que vous y répliquerez vertement. C’est la règle du jeu. Tout n’est pas négatif dans ce qui est fait depuis 18 mois, mais nous attendions plus, nous attendions mieux. Nous attendions plus de considération et un peu moins de dogmatisme. Nous ne pensions pas avoir à nous battre contre notre propre administration et devoir trouver ailleurs des alliés pour éviter des évolutions que nous jugeons néfastes. Nous pensions pouvoir être davantage entendus et écoutés. Je ne sais pas ce qu’il nous faut dire et faire pour l’être davantage. Menacer de tout bloquer comme l’ont fait, avec un certain succès, les avocats, à l’occasion de l’étonnante et apparemment non concertée réforme du financement de l’aide juridictionnelle ? Contourner le Ministère de la Justice pour solliciter ailleurs des arbitrages et une écoute qui nous manquent place Vendôme ? Ou espérer des infléchissements de votre part ? Je mise sur cette dernière option. Depuis septembre, des relations plus régulières avec votre cabinet se sont mises en place, un travail dans le dialogue se fait avec la Direction des services judiciaires. J’espère qu’il pourra en être de même avec le nouveau secrétariat général. Je ne doute pas que nous pourrons nous rencontrer plus régulièrement sans les tensions du passé. Nous respectons la femme politique et la ministre que vous êtes. Respectez le syndicat que nous sommes ! Pour conclure sur une note positive, à l’instar de Léopold Sédar Senghor, qui écrivait que « La parole se fait poème », je voudrais vous livrer quelques vers. Rassurez-vous, madame la Ministre, cette année ils ne seront pas de vous, mais, n’y voyez aucune malice de ma part, d’un poète qui vous est cher et que vous citez fréquemment. « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder ils s’habitueront. L’impossible, nous ne l’atteignons pas, il nous sert de lanterne. » Ces vers, vous l’avez perçu, sont de René Char. Nous ne vous reprocherons jamais, madame la Ministre de ne pas réussir lorsque les objectifs sont impossibles à atteindre. Nous ne vous reprocherons jamais d’avoir des convictions. Nous avons les nôtres. Chacune est respectable, à partir du moment où l’on peut en débattre sereinement. Nous vous demandons juste de prendre la mesure de la souffrance et des difficultés de ce ministère et de ses personnels et de faire de cette souffrance la lanterne qui guidera votre action dans les prochains mois. 2013-794

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Culture

Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie Séance solennelle de rentrée, Chambéry - 8 novembre 2013 C’est dans la Grand’ Chambre du Palais de Justice de Chambéry que l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie a tenu le 8 novembre 2013, sa traditionnelle séance de rentrée, en présence de quelque 150 auditeurs, au premier rang desquels les chefs de la Cour d’appel, de nombreuses personnalités du monde judiciaire et du Barreau, ainsi que plusieurs élus. Le choix du lieu était lié à la qualité de l’invité d’honneur, Jean-Amédée Lathoud, Avocat général à la Cour de cassation, ancien directeur de l’administration pénitentiaire, descendant d’une vieille famille mauriennaise dont un membre émigra vers 1850 au Bourget du lac dont il devint maire et au fils duquel Chambéry doit les plans de son église Saint Joseph édifiée en 1913. L’avocat général Lathoud avait fait choix d’un propos consacré à la perception par quatre grands romanciers du XXème siècle des audiences de Cours d’assises auxquelles il leur avait été donné d’assister. La perception par ces quatre maîtres de la plume du déroulement de la procédure criminelle avec ses rites, son langage, ses jeux de rôle, ses acteurs ne manque pas d’interpeller. Jean-Amédée Lathoud, au terme de son propos de haute élévation, illustré de bout en bout, de déclamations des textes par le talentueux comédien Bernard Mongourdin, laissa son auditoire seul et unique juge de l’œuvre de ces « journalistes de l’éphémère et de l’émotion, chroniqueurs de la monstruosité… d’abord romanciers permettant d’approcher par la liberté de la fiction une vérité profonde d’humanité. » Jean-Olivier Viout, Président de l’ Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie

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Jean-Amédée Lathoud

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es procédures criminelles sont depuis longtemps des sujets d’inspiration pour les écrivains : que l’on songe à Balzac dans “Une ténébreuse affaire”, Stendhal dans “Le rouge et le noir” et Dumas dans “Monte-Christo”. Plus près de nous, Kafka avec “Le procès”, Simenon avec “Maigret aux Assises”, Camus avec “L’étranger”... ont écrit de belles pages de fiction sur le drame vécu dans le prétoire par des hommes confrontés à la justice. Comment dans cette salle du palais de justice de Chambéry ne pas évoquer l’ émouvante audience qui clôture “Les Roquevillard”, célèbre roman de Henry Bordeaux, ancien avocat du barreau de Thonon, qui nous a laissé un amusant “Carnet d’un stagiaire-Scènes de la vie judiciaire”(1911) ? Dès le XIXème siècle, la chronique judiciaire très goûtée du public, a occupé une place importante dans la presse. De nombreux journalistes ont ainsi relaté à longueur de colonnes les événements cocasses ou dramatiques de l’actualité des tribunaux, décrit l’atmosphère si particulière des procès d’assises, “croqué” avec pittoresque le portrait des accusés et des “gens de justice”, cité des passages entiers de plaidoiries. Dans l’entre-deux guerres, André Salmon, Géo London, Léon Werth, Joseph Kessel… dans les années cinquante, Jean Marc Théolleyre, James de Coquet et bien d’autres belles plumes ont signé de très vivants compte-rendus d’audience dans les journaux quotidiens à grand tirage. Certes aujourd’hui l’intérêt pour le fait divers ne faiblit pas, et de nombreux livres-témoignages sur les questions de Justice se succèdent sur les tables des libraires. Toutefois le développement de l’information télévisée et d’internet au détriment de la presse écrite, le déplacement de l’intérêt pour les affaires judiciaires vers les péripéties à rebondissements de l’instruction préparatoire, la diminution, (peut être...) des crimes passionnels, la disparition depuis 1981 du spectre de la guillotine planant au dessus de l’accusé ont réduit sensiblement la place du compte-rendu d’audience dans les quotidiens nationaux. Certes un certain nombre d’écrivains contemporains ont trouvé dans des affaires criminelles réelles, matière à des œuvres

passionnantes : on songe, par exemple, aux “Bonnes”de Genêt, à “L’amante anglaise” de Duras, mais aussi plus récemment aux romans d’Emmanuel Carrère (“L’adversaire”, 2001) et de Régis Jauffret (“Sévère”, 2010). Toutefois de nos jours on ne rencontre plus guère à l’audience au banc de la presse, comme au milieu du siècle dernier, ces romanciers à succès, venus spécialement de Paris, “suivre” des affaires sensationnelles, et décrire pour le public de leur journal les émotions, les tumultes du prétoire. Ainsi Colette rendit compte dans les colonnes du Matin et Paris Soir, des procès retentissants auxquels elle avait assisté à Versailles pour Landru (1921), puis Weidmann (1939), tous deux condamnés à mort. André Gide, juré à Rouen en 1912, publia dans deux numéros de la NRF en 1914 ses “Souvenirs de la Cour d’Assises”, qui témoignaient de son expérience personnelle au cœur de la justice criminelle François Mauriac, écrivit en 1930 dans les Nouvelles Littéraires, un article sur les débats devant la Cour d’Assises de Bordeaux qu’il avait suivis dans le public, sur “L’affaire Favre-Bulle”, femme mariée condamnée à 20 ans de réclusion

pour le double assassinat de son ancien amant et de sa nouvelle maîtresse. André Giono, envoya en décembre 1954 depuis la Cour d’Assises des Basses Alpes, quatre articles à la revue Arts, dont il était l’envoyé spécial, rassemblés dans ses “Notes sur l’affaire Dominici” : Au Palais de justice de Digne, il suit les débats à une place de choix, installé dans un fauteuil derrière le président, à trois mètres de l’accusé et des témoins... Ces textes, vite rédigés, en apparence de circonstance, sont ils simplement des reportages talentueux, de pittoresques chroniques d’actualité ? Ou bien ces articles ne rejoignent-ils pas la Littérature, en raison de leur qualité d’écriture, de la profondeur du regard qu’ils portent sur les drames humains et des questions philosophiques qu’ils posent à la Justice ? Car les chroniques judiciaires de Colette, Gide, Mauriac et Giono sont aussi des critiques très littéraires du procès criminel ! Amis des livres, magistrats, avocats, observateurs de la vie sociale… il vous faut redécouvrir ces textes écrits par des journalistes - judiciaires d’exception, qui sont aussi de grands écrivains ! Car : - Ils réussissent à séduire les lecteurs par une mise

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Culture en scène talentueuse et atroce de la violence.(I) - Fascinés par l’horreur du crime, ces auteurs discernent chez l’accusé et dans son crime une certaine monstruosité romanesque.(II) - Enfin ils engagent avec le lecteur un dialogue philosophique sur la fonction de juger.(III) Je propose d’analyser successivement ces trois points en parcourant les œuvres déjà citées de ces journalistes – romanciers, qui ont “vécu “ la justice criminelle en direct, pour vous chers lecteurs! I. LA SÉDUCTION DE LA VIOLENCE, MISE EN SCÈNE Pour le grand public, amateur d’émotions, un procès d’assises constitue un spectacle fascinant avec l’intrigue d’un drame, un décor, des rituels solennels et un peu mystérieux, une troupe d’ acteurs de rouge et noir vêtus, avec les tirades attendues des premiers rôles, des imprévus survenant au cours de longs débats interrompus par des entractes, le suspense sur le sort de l’ accusé, jusqu’au verdict final… N’oublions pas qu’à l’époque rôdait dans le prétoire l’effroi de la peine de mort encourue pour assassinat, meurtre aggravé, empoisonnement, vol à main armée... Les journalistes, en quelque sorte artistes d’une actualité éphémère, réussissent à captiver le lecteur, à le tenir en haleine à chaque numéro du journal par des “choses vues”, écrites rapidement et “sur le vif”... L’horreur du crime suscite l’épouvante et la répulsion. Les “reporters-écrivains” témoignent de leurs émotions personnelles mais aussi font frémir le lecteur par l’évocation du spectacle qui se déroule devant eux. Colette, envoyée spéciale de Paris Soir à Fez au procès de “Moulay Hassen, tortionnaire et dépeceuse de femmes” câble à son journal pour le numéro du 15 novembre 1938, un récit atroce : “…des enfants trouvent dans un terrain broussailleux, un couffin grossièrement ficelé, d’où le crin végétal sort en touffes. Dans tous les pays du monde, un couffin déchiqueté est un jouet appréciable ; en outre celui ci, pèse et vaut qu’on l’ouvre. Au clair de lune paraît son chargement de pieds, de mains, une tête et sa chevelure, un tronc et ses jeunes seins...” Jean Giono lors de l’affaire Dominici rapporte les

déclarations à la barre du docteur Dragon, qui avait constaté le décès de la famille Drumont à la Grand terre : “J’ai examiné le cadavre de la petite Elisabeth. Elle était allongée comme un enfant qui dort ; ses cheveux lui masquaient une partie du visage. En relevant ses cheveux, j’ai vu deux plaies partant du haut du nez et montant en oblique, une à droite, l’autre à gauche... Elles ne saignaient pas abondamment. Le sang suintait de ses oreilles et de ses narines. A la palpation, le crâne était sous ma main comme un sac de noix. Le corps ne portait aucune trace de violence. Les pieds étaient nus... elle a rendu le dernier soupir au moins deux ou trois heures après ses parents. ” André Gide raconte le procès de la “fille Rachel”, 17 ans accusée d’infanticide : “Elle était parvenue à dissimuler sa grossesse ; les premières douleurs la saisirent comme elle était en train de traire les vaches. Elle rentra, coula le lait dans la laiterie, fit le ménage ; mais les douleurs devinrent si fortes qu’elle dut s’asseoir ; elle était affreusement pâle.” (Elle monta ensuite se coucher au premier étage dans la chambre à côtés de celle de ses maîtres). “ Aussitôt étendue sur la paillasse, elle accoucha d’une petite fille. Elle avait peur “d’être grondée”. Quand Bertha vit que l’enfant ne respirait plus, elle prit une paire de ciseaux dans sa jupe et en porta un petit coup à la gorge de l’enfant”, et comme la petite criait, par crainte que les patrons l’entendissent, Bertha mit la main sur la bouche de la petite et la maintint jusqu’à ce que les cris aient cessé. Nos romanciers esquissent également, souvent avec pittoresque, le portrait des accusés qu’ils observent attentivement. Gide nous propose le croquis de Arthur “jeune aigrefin à fines moustaches, au front découvert, au regard un peu, l’air d’un Daumier ahuri”, puis celui de “Alphonse, vêtu d’un pardessus noisette à larges revers de soie plus sombre; cheveux plaqués, châtain sombre ; teint rouge ; yeux liquoreux ; grosses moustaches ; air fourbe et arrogant ; trente ans.” ou encore celui de “Bouboule, tête de plumitif...vaste front bombé, longs cheveux plats partagés sur le milieu de la tête ; épaisseur générale du torse et des membres,

petites mains larges et courtes. Le vêtement de prison qu’il a gardé l’engonce et le grossit encore. Le juré, mon voisin de droite, se penchant vers moi : “il n’a pas l’air intelligent !”. Mon voisin de gauche à mi voix :” il n’a pas l’air bête !”. Colette observe Landru devant la Cour d’Assises de Versailles, ”cet homme de bonnes manières... Au dessus de la mêlée, couvert de sa pâleur monochrome, il gardait un silence, qui était une opinion. Ses rares réponses se rehaussaient d’un timbre de voix agréable. Deux fois seulement en quatre heures de temps, il se retourna vers le public surexcité et son regard erra sans insistance, noir sous les sourcils étonnés, portant vers nous tous, un blâme à peine discernable.” Giono relève que chez le vieux Gaston Dominici, “il y a de la noblesse d’attitude. Les femmes disent qu’il est beau ; c’est vrai. C’est un roi barbare... Il a un grand caractère. Peut être mufle, goujat et cruel, mais incontestablement courageux, fier et entier. Une hypocrisie très fine… Il répond du tac au tac au président, sans insolence, avec bon sens... il tient tête sans colère. Il est rusé mais n’est pas habile.” L’ambiance si particulière de la salle d’audience est évoquée avec âcreté : François Mauriac dénonce “un immonde public d’oisifs et de belles curieuses.” Giono décrit au fond de la salle,”le public, c’est à dire la passion plus que la curiosité. Public facile à diriger, à dominer... passion trop vive, trop occupée d’elle même pour qu’elle ait envie de manifester quoi que ce soit. A peine de temps en temps, des soupirs collectifs quand les mensonges des témoins sont trop évidents, trop méprisants. Souvent le silence parfait, souvent le silence dit “de mort.” Colette raconte, lors de l’affaire Houssard (1912) : “Avant l’entrée de la Cour, le public peu discret, manifestait pourtant une fièvre, une gaîté assez sinistres. Beaucoup de femmes venues pour elle” (l’épouse de la victime tuée par son amant)”agitées d’une méchanceté mal cachée... Je m’attendais à plus de gravité dans l’assistance. Ces messieurs de la presse judiciaire, débordants de jovialité, s’épanouissent en pronostics narquois. L’atmosphère ? Un peu d’une répétition générale l’après midi...”

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Roger Rinchet, Jean-Olivier Viout, Bernard Mongourdin, Jean-Amédée Lathoud, Jean-Yves McKee, Jacques Ruffier, Pierre Blondel, Danièle Bac-David et Jacques Dallest

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Culture Les “gens de justice” sont croqués par les portraitistes ; Mauriac évoque “le magnifique président Bacquart, qui entre en scène d’un pas à la fois léger, rapide et majestueux. Il a une autorité souveraine, la défense ne lui fait pas peur : il existe au monde un président d’assises pour clore le bec à un avocat et pour le dominer jusqu’au dernier acte du drame... L’avocat général, orateur armé de poncifs redoutables, évidemment ennemi des grandes passions et qui met au service de la société de très vieilles armes mais éprouvées, car la rouille envenime les plaies.” Gide à Rouen a “vraiment admiré à plus d’une reprise, la présence d’esprit du président et sa connaissance de chaque affaire ; l’urgence de ses interrogatoires... la densité des plaidoiries et l’absence de vaine éloquence.” Mais Gide, violant souvent le secret du délibéré, est sévère pour ses collègues, dénonçant “la lamentable incompétence des jurés”, un chef des jurés,”fâcheusement incapable, dont les incompréhensions, les hésitations, et les maladresses sont exaspérantes”. Gide dans son journal (19/01/1948) se rappellera des”affreux grincements de la machine, la manière dont ceux qui possèdent les mots s’en servent, afin d’écraser l’existence de ceux qui en sont dépourvus.” Lors du procès de Landru, Colette raconte une audience… “bien tumultueuse. L’avocat général insidieux, Maître Moro-Giafferi soulevé par un fauve délire, abondaient en menaces, en allusions empoisonnées, en clameurs, et le vol de leurs manches ventilaient la salle.” Tous nos écrivains-journalistes ont décrit longuement et avec talent la progression dramatique du procès, les aléas et les surprises survenant au moment des joutes entre la défense et l’accusation, lors des interrogatoires des accusés, des témoins et des experts. Car les paroles échangées, souvent lourdes de conséquences, sont au coeur de la “représentation” judiciaire. L’oralité des débats est par principe l’un des garants de la manifestation de la vérité. Mais Colette dans son compte rendu de l’affaire Houssin soupire en racontant “le plus interminable, le plus soporifique dialogue entre le président et l’accusé. Dialogue ? que dis-je ? monologue présidentiel débité, avec une lenteur, une monotonie exaspérante ; des redites, des digressions sans utilité; une insistance sans pénétration ; une minutie tatillonne à lasser toutes les oreilles, à

décourager l’attention la plus passionnée.” Autre défaillance perçue par André Gide, à l’occasion de l’interrogatoire d’un accusé de viol sur un enfant mineur :“il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris la seconde question ou qu’il répond seulement à la première. N’empêche qu’une rumeur d’indignation parcourt le banc des jurés et déborde jusqu’au banc des avocats.” Cette incompréhension fréquente par les accusés, les victimes, les témoins... des termes employés, des questions, des interventions des professionnels saute immédiatement aux yeux de Giono : “les mots. Nous sommes dans un procès de mots. Pour accuser, ici, il n’y a que des mots ; l’interprétation de mots placés les uns à côté des autres dans un certain ordre. Pour défendre également.” Dès la première audience le romancier constate que Gaston Dominici vit “dans un malentendu de syntaxe”qu’il aurait fallu s’entendre sur la valeur des mots, qu’il ne comprend pas toujours. Selon lui le patriarche ne disposait que de 35 mots de vocabulaire ; ”Tout accusé disposant d’un vocabulaire de deux mille mots serait sorti à peu prés indemne de ce procès. Si en plus il avait été doué du don de parole et d’un peu d’art du récit, il serait acquitté. Malgré les aveux... ”car ceux-ci n’avaient pas été scrupuleusement reproduits aux procès verbaux mais “seulement mis en français” par les enquêteurs ! Gide évoque avec beaucoup de justesse, la timidité de ceux qui n’osent parler, leur fragilité, les déclarations “embrouillées”, les malentendus et les confusions dans la compréhension des questions qui leurs sont posées. Le silence de l’accusé pendant les débats inquiète, désole ou exaspère. Colette décrit dans Paris Soir, Weidmann qui “somnole de bon coeur. Mais éveillé en sursaut, l’oeil lilas et vide, proteste à mi-voix, repousse les déclarations de son flottant complice... avant de retourner à son rêve.” Mauriac lui, face à l’accusée qui ne répond pas aux questions, soupire : “Rien ne ressemble plus à l’indifférence et à la sécheresse, que le désespoir... Traquée par de puissants molosses la bête se met en boule.” Marguerite Duras, dans un compte rendu d’audience publié dans France Observateur, en 1957 (“Horreur à Choisy le Roi” repris en 1981 dans ” Outside”) trouvera ahurissant “alors qu’une immense bêtise flotte dans la salle”, que la

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Justice ne puisse admettre “la vérité des ténèbres”. “Si l’accusée ne peut plus parler, c’est qu’elle n’arrive pas à nous dire ce qu’elle sait d’elle même Elle n’a plus rien à dire parce que l’appareil judiciaire la force à nous le dire dans son langage à lui... Lorsqu’hier, elle a crié “laissez moi tranquille ! “c’est qu’elle était au bout de son silence...” Curieusement les plaidoiries d’avocats sont à peine citées dans ces chroniques sauf celles de MauroGiafferi (avocat de Landru :“chat tigre dont la griffe brille, blesse puis se cache, admirable dans sa pathétique intervention”, pour Weidmann) et celle de Maurice Garçon (partie civile dans l’affaire Favre-Bulle, “psychologue comme un chirurgien est anatomiste (un chirurgien ou un bourreau chinois) dont chaque coup porte exactement au point voulu”) : Cela étonne de la part d’intellectuels pourtant sensibles aux exigences du verbe et très critiques sur l’isolement tragique des accusés... Gide et Giono semblent sous-estimer l’influence des plaidoiries sur les jurés : ils se considèrent, peutêtre, comme de meilleurs défenseurs des accusés que leurs avocats ! Et puis soudain, le cri de la tragédie surgit :le cri des victimes lors du crime, rapporté par les témoins ou les complices dans leurs dépositions, mais aussi le hurlement du condamné :”l’accusé écouta sans sourciller la condamnation à cinq ans ; mais en entendant sa déchéance il poussa une sorte de rugissement étrange comme une protestation d’animal, un cri fait de révolte, de honte et de douleur”. Mais l’horreur discernée ou ressentie n’est pas seulement une évocation pour un article de journal vite écrit, vite lu puis rapidement oublié par les lecteurs : elle est aussi un matériau au coeur du travail de l’écrivain. II. LA MONSTRUOSITÉ DU CRIMINEL : UN SUJET ROMANESQUE ? Car l’accusé, justiciable placé au centre de la procédure criminelle n’est pas le simple acteur malgré lui d ‘un divertissement à sensations pour feuilles à grand tirage. Il permet aussi à l’écrivain, grand amateur de fictions, de nourrir son imagination romanesque, de recréer non sans cruauté, des personnages rêvés. La personnalité du criminel conserve, malgré l’instruction et les débats, une part de mystère. D’autant plus que les réponses de la psychologie sont contestables . Giono évoque au sujet de l’enquête psychologique de Dominici “la méfiance” ; “ la qualité d’une rédaction d’Ecole normale d’instituteur,... une bonne rédaction d’institutrice chevronnée... Sa psychologie est hors de portée des procèsverbaux”. Pour Mauriac,”Hélas ces psychologues de profession n’ont que faire de leur science ! On ne leur demande pas d’approfondir mais de simplifier. Il s’agit de se tenir au niveau de ces hommes moyens, élus pour leur médiocrité” que sont les jurés. Gide est ” forcé de convenir, que les connaissances actuelles de la psychologie ne nous permettent pas de tout comprendre et qu’il est sur la carte de l’âme humaine, bien des régions inexplorées “ (Préface à ”l’affaire Redureau” ; 1930) Roland Barthes, dans un article célèbre publié en 1954, (“Dominici ou le triomphe de la littérature”) accuse la justice d’avoir condamné le vieux berger illettré de Sisteron, en se fondant sur une psychologie “toute faite”qui n’était pas la sienne mais celle du président, lecteur du Figaro

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Jean-Olivier Viout

et celle de l’avocat général “plausible comme un roman de Maurice Genevois”. Il explique que cette psychologie du personnel justicier, nourrie de “culture classique” vous peint tel que vous devriez être mais non tel que vous êtes. C’est “la psychologie des maîtres, qui permet de prendre autrui pour objet, de décrire et condamner en même temps. C’est une psychologie qui ignore tout de l’acte en dehors de la catégorie coupable où on le fait entrer de force.” Citant Giono, l’auteur des “Mythologies” condamne férocement l’alliance de la justice et de la littérature : “Ces écrivains affamés de réel, conteurs brillants dont la verve éblouissante emporte la tête d’un homme”... Car Giono, présent durant tous les débats se dispense d’écouter le réquisitoire et plaidoiries, s’épargnant “les trois dernières audiences, où il n’était question que d’éloquence.” D’autre part, Giono qui prévient le lecteur qu’il est “parfaitement subjectif”, déplore que “la cour a(it) le souci évident de ne pas s’écarter du dossier.” “Moi qui me fiche du dossier, enfin qui n’ai pas un respect absolu pour le dossier.” Dominici “je ne fais pas son procès : je fais une étude de caractère.” “Je ne fais plus un résumé des faits mais un résumé de mon expérience.” Il dira même revendiquant une poétique de la chronique :“Je ne cherche pas à comprendre, je cherche à sentir...” (“La chasse au bonheur” 1988 ; p.193). Ainsi cette subjectivité revendiquée, cette distanciation avec le contenu du dossier permettent au romancier de recréer librement des caractères, d’avoir un prétexte pour imaginer les ressorts des paysans “solitaires et pauvres” de Haute Provence. La famille Dominici est dans les pages de Giono un grouillement horrible d’égoïsmes et de mensonges.. Loin d’une transcription de greffier ou d’un article de criminologie, il cite Victor Hugo, Virgile Gustave Doré et Agrippa d’Aubigné. Il imagine l’origine des passions dans ces terres sauvages, il tente un essai d’explication de ces personnalités vivant dans ces montagnes isolées. Il imagine... Clovis D. est “un personnage de la Renaissance”, Catherine est Catherine Sforza célèbre par son courage et sa ruse ; la femme de l’accusée c’est Hécube dans Homère. Dans le témoignage de Perrin -petit fils de l’accusé, “le menteur”, “incapable de savoir ce qu’est la vérité”-, “tout est mensonge”.

”Il y a des clowns : Maillet, clown sinistre. C’est la bêtise dont parle Flaubert... On ne rit plus quand, phrases risibles après phrases risibles, s’exprime une haine ”hénaurme!”. Giono dans ses “entretiens avec Jean Amrouche”, peu avant le procès (1953), avoue ; “Si vous voulez créer la réalité, vous êtes obligé de la créer à côté de la vérité... lutter contre cette réalité est mon travail presque principal dans la création.” De toute façon Giono ne prétend pas connaître la vérité du drame :”je ne dis pas que Dominici n’est pas coupable, je dis qu’on ne m’a pas prouvé qu’il l’était.” Mais Giono recrée dans son récit du procès une réalité monstrueuse que l’on retrouve dans ses romans de l’époque, notamment dans le magnifique “Un roi sans divertissement”(1947) : Le sang est pour lui “le plus beau théâtre” (“Deux cavaliers de l’orage”, 1965). Dans l’entretien avec Amrouche précité, il reconnaît que “moi qui suis un personnage normal, je peux aussi être demain pris par la folie du sang ou par le tempéramentdetueretprendremonplaisirausang. Il n’y a pas de distraction plus grande que de tuer ; c’est admirable ; la vue du sang est admirable pour tout le monde. On voit des choses extraordinaires dans le sang”. Comment lire les “Notes sur l’affaire… ” sans cet aveu ? Aprés avoir évoqué le sang sur le visage du cadavre de la fillette, Giono regrette que l’on ne se soit pas interrogé sur ”la grosse mare de sang” qui avait imprégné la terre, découverte derrière la voiture des victimes dont “on ne parlera qu’une seule et unique fois”... Si Giono est fasciné par l’horreur et la sombre beauté du sang versé, Colette, elle, ne peut échapper à une certaine séduction des criminels, ceux qu’elle regroupe dans un recueil de ses articles (“Mes cahiers”, 1955) sous le chapitre “Monstres”. Colette est célèbre pour ses romans sensuels et poétiques, la beauté et la légèreté de ses évocations , sa sensibilité délicate à l’affût des émotions et des bonheurs de la vie. Mais comme l’a noté Julia Kristeva, il y a aussi chez elle une part d’ombre, un goût pour ce qui échappe à la norme ; “une femme nocturne, qui explore les abîmes de nos identités qu’elle appelle “un nauséeux chaos sans commencement ni fin”. (cf. “Le génie féminin”, tome II, Colette ; p ; 303, Fayard 2002) L’intérêt de Colette pour la monstruosité entraperçue des criminels est troublant. Dans un article sur “Marie Becker empoisonneuse”,

elle aurait souhaité mettre “le monstre à l’étude, comme une fourmilière sous vitre...” A l’audience “nous l’avons tiré de ses profondeurs, et il semble qu’elle cesse d’être intelligible hors d’un empire où elle recevait de l’ombre, du chuchotement, des phosphorescences, les conseils et les reflets propres à mortellement séduire les pauvres créatures humaines.” Elle observe à Versailles, Weidmann le tueur en séries : “Si vous voyiez ses mains... me confie en frémissant une jeune avocate”. Puis “la vedette principale répond à voix insaisissable, se charge de cinq six crimes et referme ses longues paupières bien armées de cils. A qui donc, les yeux ainsi fermés ressemblent ils ? Un souvenir somnambulique sur son masque assoupi m’éclaire : il est, en plus fin, le frère du vampire qui entrait avec un rayon de lune, surprenait, emportait une jeune fille enlinceuillée de draps blancs, dans le Docteur Caligari.” Cette inquiétante étrangeté, déja vue dans un film d’horreur, ces mystérieuses pulsions obscures attirent la sympathie “circonspecte” de Colette. Son portrait fasciné de Landru est bien éloigné du style d’un article de “Détective” ou de “Radar” : Il fait partie, nous dit-elle, de ces assassins “détenteurs d’une animalité ailleurs abolie, ils rayonnent d’une douceur pleine de ténèbres, baignée de l’aménité encore dévolue aux peuplades que le hasard préserva des contacts européens “. Colette évoque avec une certaine volupté l’humanité du monstre, “l’affreuse innocence” de l’assassin qui a “la charité de donner la mort comme une caresse, de la mêler à des jeux qui sont ceux des fauves distingués : tous les chats, tous les tigres étreignent leur proie et la lèchent tout autant qu’ils la meurtrissent.” “L’œil paisible, noir insondable de Landru... brillant comme l’oeil des oiseaux, comme eux dénué de langage, d’attendrissement et de mélancolie... œil serein comme celui des premiers hommes, œil qui contemplait le sang versé, la mort et la douleur sans fermer les paupièresainsi font les enfants tres petits, ainsi firent nos ancêtres quand ils n’avaient pas encore inventé la pusillanimité et qu’ils fêtaient le sang délivré de ses prisons de chair.” Ces propos inquiétants suscitent chez le lecteur, un délicieux mais bien trouble frisson : On comprend que Jean Cocteau ait pu dire, lors de son discours de réception à l’Académie royale de Belgique en 1955 : “Si madame Colette n’est pas un monstre, elle n’est rien !” Mauriac dans sa chronique sur l’affaire Favre-Bulle, s’interrogeait sur la “route qui mène de la volupté à la mort... sur le secret de l’antique alliance entre l’amour et le crime, entre la mort et la volupté.” Nul doute que la recherche de ce secret intéressait la sulfureuse romancière des Claudine... Mais Mauriac et Gide, eux, nous emmènent sur un autre grand thème de la littérature : celui qui interpelle depuis toujours la Justice sur sa légitimité... Gide n’a il pas fondé à la NRF en 1930 une collection au titre éloquent : “Ne jugez pas” ? III. ECRIVAINS ET JUGES : À QUI APPARTIENT LA RESPONSABILITÉ DE JUGER ? La mission du juge, le fonctionnement de la justice sont depuis toujours au coeur des préoccupations de la société. Les journalistes, les écrivains depuis des siècles n’ont cessé de s’interroger à ce sujet et de critiquer les dysfonctionnements de la magistrature.

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Culture Mauriac réclamera lui, à l’occasion, ”justice pour la justice”. Il en appelle à son entourage familial où à sa propre expérience pour en attester : “Elevé par un tuteur président de tribunal puis conseiller dans une cour de province durant des années, j’ai connu du dedans la conscience du bon juge. Comme juré, je n’ai approché que des hommes attentifs jusqu’au scrupule, à sauver tout ce qui pouvait être sauvé dans l’être qui leur était livré.”(Le Figaro, 19/02/1952 in “La paix des cimes”, p. 320). François Mauriac, dans sa préface de Thérèse Desqueyroux (1927), roman inspiré par l’affaire Favre-Bulle, écrivait à propos de son héroïne : “Adolescent je me souviens d’avoir aperçu dans une salle d’audience d’assises, livrée aux avocats moins féroces que les dames empanachées, la petite figure blanche et sans lèvres...” Il faisait allusion à Henriette Canaby l’empoisonneuse de “l’affaire des chartrons”. Dans son journal, Mauriac âgé de 20 ans avait soupiré (26 mai 1906) : “Pauvre femme que je vis hier au banc de la Cour d’assises, droite et pâle devant les hommes qui vous jugeaient, n’avez-vous pas senti monter vers vous, si pitoyable, si vaincue, un peu de mon humaine pitié ?...” C’est cet écrivain tourmenté et inspiré toute sa vie par le problème du mal et de la Rédemption, qui conclut son article sur l’Affaire Favre-Bulle, par la célèbre sentence : “Ce qu’il y a de plus horrible dans le monde, c’est la justice séparée de la charité.” Car Mauriac, s’il est scandalisé par l’inhumanité de la machine judiciaire, la place négligeable qu’y tient l’accusé, les jeux de rôle dérisoires des hommes de loi, ne conteste pas à la société le droit, le devoir de juger. Il sait que le mal est dans l’homme, que le crime témoigne de notre misère commune. Ce qu’il revendiquera toute sa vie,c’est que la justice respecte l’accusé dans son humanité, qu’elle s’efforce de le comprendre. Il demande à la justice des hommes d’admettre que tous les hommes sont des pêcheurs. Il lui réclame de reconnaître “la fraternité de tous dans le mal commun”( cf. Jérôme Michel : ”Mauriac, La justice des béatitudes” ; ed. Michalon,2010). La vraie justice devrait savoir punir sans avilir. Pour Mauriac, la société doit se souvenir que“l’humanité a faim et soif du pardon” (Journal I, p. 58). La conclusion du compte rendu de l’audience Favre Bulle est admirable : “Non ce n’est pas contre le châtiment que nous protestons : il était nécessaire, hélas! Mais quel que soit le crime d’une créature humaine, à ce degré de honte et d’abandon, elle mérite la pitié, et même le respect et même, un chrétien ose l’écrire, l’amour... Pendant deux longs jours, selon les lois de cette jungle, un pauvre être atterré fut l’enjeu d’une partie, d’ailleurs trés belle, où des hommes plein de force ont montré leur génie.” C’est au nom de cet idéal de pardon, que Mauriac polémiquera avec Albert Camus lors des procès de l’épuration en 1945, le directeur de Combat, choisissant alors “d’assumer la justice humaine avec ses terribles imperfections et de refuser la justice divine de Mauriac qui préfère l’indulgence“... une “charité, dérisoire consolation”, qui frustrerait les hommes de leur justice (Combat, 5 et 11/01/1945 ; Folio,Gallimard 2013). C’est encore cette aspiration qui fera écrire à Mauriac en 1962 lors du procès du général Jouhaud, l’un des chefs du putsch d’Alger puis de l’OAS : “Je touche une fois de plus, dans ce procès Jouhaud, le point précis où je me trouverai toujours

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en désaccord avec la justice humaine; et je le sens d’autant mieux que cette fois la responsabilité de l’accusé me paraît plus lourde : c’est que les juges humains ne font jamais le total d’une vie... Justice humaine, injustice sans remède puisqu’elle est impersonnelle par essence, qu’elle échappe aux mouvements de la sensibilité, qu’elle est étrangère aux entraînements du cœur...” (Bloc Notes III, p. 168). Après de tels propos, on comprend a contrario, que Henri Béraud ait pu dire : “Les journalistes ne sont pas de vrais écrivains”( in “Le flâneur salarié” 1927)... A la fin de sa vie André Gide, prix Nobel de Littérature, se retournant sur son œuvre achevée, affirmera en 1948, à une époque d’effervescence où les jeunes écrivains sortant de la guerre,opposaient leur engagement à la vanité de l’art : “Nous étions préoccupés uniquement de former une oeuvre durable, sur lesquelles le temps n’a que peu de prises... Toutefois, lorsque besoin était de témoigner, je n’avais nullement craint de m’engager... “Les souvenirs de Cour d’assises”... n’ont presqu’aucun rapport avec la littérature.” (Journal La Pléiade, tome II p.1058 ). Mais est-ce bien sûr ? Car Gide n’est pas seulement un censeur redoutable des ombres de la machine judiciaire, qui pourrait s’en tenir à des critiques intellectuelles supérieures et distantes : Gide est “embarqué”, il accepte malgré tout de s’engager dans l’œuvre de justice. Certes André Gide témoigne avec indignation des graves dysfonctionnements de la procédure criminelle : La justice est faillible ; il lui est souvent impossible de concilier la rigidité du droit avec la complexité des êtres et des faits. Les certitudes du droit s’articulent mal avec l’imprévisibilité du réel, les fragilités de l’homme : Pour Gide, “la vérité judiciaire est souvent confrontée à des êtres complexes qui ne sont pas totalement conscients, qui ne disposent pas d’une volonté autonome. L’âme humaine se situe dans une zone d’ombre, pas toujours intelligible par la rigidité des catégories juridiques et de la procédure pénale”. (cf. Sandra Travers de Faultrier :” Gide, l’assignation à être” ed. Michalon,2005) Il écrit un réquisitoire implacable contre les insuffisances des procédures : pas de reconstitution ou de procès-verbal dans le dossier décrivant la “scène de crime”, absence à la barre de témoins à décharge, interrogatoires du président trop directifs ou mal conduits, jurés médiocres, système des questions posées aux jurés enfermé dans des règles juridiques pouvant conduire à l’absurde,... Il donne même des suggestions de réforme de la procédure criminelle dans l’annexe de son récit. Certes les procureurs sont bien des magistrats qui participent à l’oeuvre de justice : ils contribuent à la manifestation de la vérité et au nom de la société, ils expriment librement ce qu’ils croient “convenable au bien de la Justice”. Mais dans la littérature si les écrivains prennent facilement la posture d’accusateur des institutions, de porte parole des victimes, de défenseurs des accusés, ils n’acceptent qu’exceptionnellement de se compromettre dans le rôle du juge, de renoncer à leur indépendance intellectuelle, d’avoir à choisir personnellement entre des logiques contradictoires, bref d’avoir à trancher... Albert Camus dans son discours de Stockholm en 1957, lors de la remise de son prix Nobel, ne dira t-il pas : “Les vrais artistes s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société... où ne règne plus le juge mais le créateur...” ?

Mais dans “Souvenirs de Cour d’assises”, André Gide, brillant intellectuel, artiste influent, dépassant sa perplexité, ses sévères critiques, accepte avec courage de descendre de l’Olympe des idées, pour s’engager. Cette attitude n’est pas celle de l’”universel reportage” décrié par Mallarmé (“Divagations” 1897). L’écrivain s’il surmonte ses doutes, ses reproches contre la justice, c’est dans l’angoisse et même avec une certaine répulsion pour sa fonction de juré. Il nous décrit sa démarche comme un cauchemar vécu un soir entre deux jours d’audience : “Cette nuit je ne peux pas dormir ; l’angoisse m’a pris au coeur et ne desserre pas son étreinte un instant. Je re-songe au récit que fit jadis au Havre, un rescapé de la Bourgogne : il était lui, dans une barque avec je ne sais combien d’autres, certains d’entre eux ramaient ; d’autres étaient très occupés tout autour de la barque à flanquer des grands coups d’aviron sur la tête et les mains de ceux, à demi noyés déjà, qui cherchaient à s’accrocher à la barque et imploraient qu’on les repris ; ou bien avec une petite hache, leurs coupaient les poignets. Ou les enfonçaient dans l’eau, car en cherchant à les sauver on eut fait chavirer la barque pleine... Oui le mieux, c’est de ne pas tomber à l’eau. Après si le ciel ne vous aide, c’est le diable pour s’en tirer ! Ce soir je prends en honte la barque et de m’y sentir à l’abri.” L’écrivain/juré, dans cette évocation hallucinée (qui rappelle le naufrage du Titanic, survenu quelques mois auparavant et aujourd’hui les effroyables noyades de Lampedusa) n’est plus sur la terre ferme des certitudes. Il n’est pas simplement le spectateur privilégié de l’horreur. Il n’est pas extérieur au drame épouvantable, qui se joue devant lui. Il ne peut s’abriter de derrière les concepts ou les théories, se protéger par le refus des compromissions, la bonne conscience des sentiments. Il est embarqué ou doit couler, survivre ou tomber à l’eau. Il est à la fois rescapé et naufragé, témoin et acteur de la tragédie. Il nous dit la complexité du drame des choix injustes à opérer malgré tout. Pour survivre au milieu de la catastrophe vécue par les hommes, il faut néanmoins surmonter sa répulsion, trancher, au besoin injustement. Comme dans un cauchemar, l’écrivain accepte avec héroïsme la terrible fonction de juger. Se salir les mains, rude besogne à laquelle l’intellectuel ne pensait certainement pas être confrontée en entrant dans la salle d’audience (cf. Thierry Pech, “l’homme de lettres aux assises...” in revue Histoire de la justice, 2002 p. 194). Mesdames,Messieurs, comment à l’issue de ce débat,”déposer des conclusions” ? Les pièces du dossier vous ont été communiquées. Maintenant c’est à vous de les lire, de vous faire une intime conviction, de délibérer. Ces journalistes de l’éphémère et de l’émotion, ces chroniqueurs de la monstruosité, ces moralistes passionnés de Justice ne sont-ils pas d’abord, des romanciers nous permettant d’approcher par la liberté de la fiction, une vérité profonde de l’humanité que l’on discerne mieux que dans dans le récit objectif des audiences criminelles ? Ainsi, vous jugerez, “suivant votre conscience... avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre”... (article 304 du Code de procédure pénale, formule de serment des jurés). 2013-795 Jean-Amédée Lathoud

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Décoration

Jean Alègre Chevalier de la Légion d’honneur Paris, 15 novembre 2013

D

Il suffit de regarder une carte. Dans les contreforts des Pyrénées, comme balançant dans l’attrait comparé de la vallée d’Aspe et de la vallée d’Ossau, à Lasseube, on est dans l’équilibre. Entre Pau et Oloron Sainte-Marie ; terre d’équilibre et de promesses, terre rude entre vallée et pics. Je lis dans La France pittoresque de J.Gourdault (1898) « on sait que durant des siècles, cette principauté de Béarn sut se maintenir indépendante et souveraine entre la France et l’Espagne. Ses comtes, de grands batailleurs, excellents en même temps à flairer le vent ; s’ils aiment les aventures, ils s’entendent aussi aux calculs ». L’arrière petit fils de Saint Louis avait su mettre la main sur la couronne de France. Bref, à Lasseube, on sait vivre. « Flairer le vent », calculer, batailler. Et l’on sait gagner. Parmi les plantes des Pyrénées, on remarque le Lithospernum officinale qui se vendait au marché de Pau et dont les béarnais se servent comme de thé (1). L’Aconit comme plante d’ornement. Et, bien sûr, à éviter l’Aconitum Napellus poison violent dont quelques milligrammes d’aconitine suffisent pour expédier un homme dans l’autre monde. Avec les béarnais, il faut être prudent, aussi ne vais-je dire que du bien de Jean Alègre. Main verte, reconnaisseur de « fol avoine » et chercheur de champignons, tailleur de rose émérite et prisé de ses amis fleuris, amateur de jardins (parfois jardins secrets), reconnaissant les herbes et les arbres, Jean A. est aussi à l’aise dans les trois échelles que nombre d’entre nous connaissent : le terroir, la nation et l’Europe. C’est un passeur qui trace le chemin, qui ouvre des voies, évite de se perdre dans les raccourcis tentateurs, et n’a pas besoin de géolocalisation. Il sait où mener ses amis, ses collègues et maintenant ses clients, Maître Alègre. Alors qui est Jean Alègre ? l Un homme étrange qui à 25 ans, barbu, enseignant, syndicaliste mais non magistrat, est abonné au journal Justices du naissant syndicat de la magistrature. Peu d’enseignants lisent Justices à cette époque… l Un homme obstiné qui à 25 ans, dirigeant du SNES pour les enseignants français au Maroc, se heurte au gouverneur marocain, est sous menace d’expulsion, mais c’est Jean, cela se terminera par la diplomatie, des observations de l’ambassadeur au gouvernement marocain qui cèdera et, finalement, un poste d’exfiltration opportun vers la Grèce, l Un homme compliqué, le contraire d’un simpliste, conteur, envouteur, convaincant pour ses

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ans la salle à manger du restaurant Apollon à Paris s’est déroulée, vendredi dernier, la cérémonie au cours de laquelle Christian Vigouroux a remis à Jean Alègre les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur, seuls quelques amis et initiés ont pu écouter l’Officiant s’exprimer en ces termes :

Jean Alègre interlocuteurs, ce n’est pas pour autant un doux, l Un homme qui ne se laisse pas démonter, jamais surprendre ? Si, au moins une fois, au concours de l’ENM quand on lui pose la question des pays riverains de la Côte d’Ivoire… Il reste coi, c’est rare ; (mais maintenant, il sait, il vous donnera la réponse tout à l’heure(2)…) Ce concours d’ENM qu’il avait su réussir à 30 ans en travaillant la nuit après s’être occupé de ses deux enfants à charge, changer de vie une fois de plus entre Grenoble et Bordeaux…volonté et persévérance. Et les week-ends de ski à Grenoble en 2CV jaune, probablement pour être sûr de ne pas la perdre dans la neige… C’est un mondialiste européen juriste qui n’oublie jamais qu’il y a en lui du paysan béarnais fils de son père et du père de son père : parmi les arbres qu’il connaît par leur petit nom, avec une sorte d’affectation sans affectation, il en est un qu’il prise à haut degré : l’arbre généalogique . Honneur à ses ascendants, je pense à sa maman qui n’a pu quitter Lasseube, et affection à ses descendants, ses deux enfants, Sébastien et Sandrine (j’ai pu constater personnellement en diverses circonstances comment tous les deux veillent sur leur père, et leur père sur ses enfants dont il est fier), et ses deux petites filles Ioli et Nefeli. Etre grand père lui a changé la vie. Plus qu’il n’avait imaginé. Et si vous voulez vous fâcher avec lui, appelez le « Papi » au lieu de « Papous », grand père en grec. Il est grand-père en mémoire de son propre grand père, l’espagnol d’Aragon venu chercher fortune en Béarn, naturalisé seulement en 1919, dont Jean a encore dans

l’oreille le parler original, croisement d’espagnol, de français et de béarnais. Jean A. est indéfectiblement attaché à son village béarnais Du Bellay... Et à sa famille. Il croit que rien n’est impossible et que rapprocher les gens est toujours un plus. Se parler, négocier, construire ensemble. Dans quatre domaines entre autres : Europe, jeunesse, associations et justice . 1) Regardons l’article « Europe » dans le Larousse universel en deux volumes de 1922 « Europe » est accompagnée d’une carte en couleur de l’Atlantique à l’Oural, sans la Turquie, et elle est définie comme « une des 5 parties du monde, la plus petite, mais la plus civilisée et la plus peuplée ». Cela convient bien à Jean, si civilisé au meilleur sens du terme. Et l’article se finit sur l’utopie des congrès de paix : « droit des nationalités de disposer d’elles mêmes et bases de la Société des Nations ». En 1922 ! Europe parce que voyageur : nous nous retrouvons au restaurant l’Apollon dieu des oracles, de la poésie, des arts, du jour et du soleil. C’est un beau symbole. Peut-être, s’agissant de JA, serait-ce autant au Mercure, le messager des dieux, que nous aurions pu être réunis. Europe et voyageur : l voyageur des continents et des pays : l’Afrique avec le Maroc, l’Amérique avec le Brésil où il était prêt à partir, l’Europe avec la Grèce, la Belgique et surtout la Méditerranée, à la Commission européenne comme à l’IMA : le MUCEM de Marseille est fait pour lui, l voyageur des chemins du Béarn, qu’est cette maison où Henri IV venait rencontrer une de ses amies chères, qui n’est pas éloignée de l’histoire de Jean, l voyageur des idées : par-dessus les partis et les lignes de

Les Annonces de la Seine - Lundi 18 novembre 2013 - numéro 64

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Décoration

Christian Vigouroux et Jean Alègre démarcation, l voyageur au pays des hommes, il n’a pas choisi et n’a pas été choisi par n’importe qui : ses patrons portent nom Jacques Delors, Edgard Pisani ou Elisabeth Guigou… Car qu’est ce qu’un voyageur ? un curieux/ un communiquant/ un observateur/ un négociateur/ un comparateur/ un cartographe/ un relieur (donc féru d’association)/ et aussi un aubergiste. Qui connaît du monde. Carnet d’adresses ? avec lui, ce n’est pas : « connaîtraistu X ? » ce serait plutôt « depuis combien de temps et comment connais tu X » ou « vas-tu connaître X ? ». Un voyageur : Un voyageur c’est un homme qui préfère les clés qui ouvrent au cadenas qui ferme. Jean est le contraire d’un claquemuré, il aime les échanges et l’ubiquité : il a été enseignant, juge des enfants, diplomate, membre de cabinet, avocat, conseiller juridique, j’en oublie…il aime les changements, plusieurs vies en une… - Europe : dans tous les sens du mot, dans le cœur, la foi, dans les mots et dans les instances, l dans le cœur, c’est le plus important, Jean aime l’Europe, l dans la foi : aimer ne suffit pas, il faut croire (pas seulement pour l’Europe ?), Jean pense l’histoire de notre peuple en croyant que l’Europe fait nécessairement partie de cette histoire, l dans les mots : il faut avoir vu la tête d’interlocuteurs quand Jean passait de l’anglais au grec avec un détour par l’espagnol, il sait parler européen, l dans les instances européennes, il agit, au Parlement européen, à la délégation française auprès de l’Union, à la direction juridique du Quai, dans différents ministères et, bien sûr, à Europartenaires. A chaque fois, il connaît ses dossiers, les prépare et les fait avancer. Du GRECO anti-corruption au mandat d’arrêt européen, des directives Rome 1 et 2 sur la coopération civile à la constitution de l’agence de Vienne sur les droits fondamentaux en Europe. Les autres profitent des talents exceptionnels de cet européen : Ainsi des professions juridiques : il sait mettre au service de ceux qui en ont besoin ses exceptionnels talents européens. Avocats, Notaires et huissiers apprécient. Le Président Tarrade sait que Jean Alègre est vigilant sur la profession. Le président Lachkar de la chambre nationale des huissiers de justice sait que Jean Alègre veille sur ses développements internationaux.

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Discuter avec Jean c’est devenir européen. Il sait convaincre parce que convaincu, il est patient, obstiné. Il sait convaincre car il comprend par une sorte de correspondance secrète avec les êtres, leurs doutes et leurs hésitations. Il les partage, il n’est pas d’un bloc. Il connaît les souffrances de chacun. Il devine, il divinise parfois, il ne divise pas. 2) Jeunesse : il reste toujours, un peu, le juge des enfants qu’il a été : un enfant est toujours à sauver, PJJ, associations de jeunes et d’étudiants, emplois jeunes, Jean Alègre est sur tous ces fronts. Nous lui dédions une histoire de juge des enfants et de PJJ : les premiers mots du beau livre de Florian Illiès. En la lisant, j’ai pensé aux histoires si bien racontées par le juge des enfants Alègre : « 1913 der Sommer des Jahrhunderts »(3), best seller aujourd’hui en Allemagne : « ce sont les premières secondes de l’année 1913. Un coup de feu dans la nuit noire. On entend un cliquetis, les doigts se tendent sur la détente, un second coup de feu. La police alertée, arrive et s’empare du tireur… Le garçon de 12 ans a voulu fêter le nouvel an à la Nouvelle Orléans avec un pistolet volé. La police le met en garde à vue et l’expédie le lendemain dans une institution pour jeunes noirs abandonnés (« colored waifs home for boys »). Il se conduit là bas si brutalement que le directeur de l’institution, Peter Davis, ne sait plus que faire quand, il lui met spontanément une trompette dans les mains alors qu’il était prêt à le gifler. [Le garçon] est saisi, se tait et ses doigts tirent aussitôt de la trompette des sons à la fois sauvages et doux ». Un mineur délinquant est sauvé. Il s’appelait Louis Amstrong. 3) Associations : qu’il s’agisse d’associations de magistrats, d’étudiants, d’avocats ou de professionnels JA évalue, découvre, tisse des liens et oriente. Il est une « société civile » à lui tout seul. Et dieu sait que la justice travaille avec des associations, de victimes, de probation, de réinsertion, de formation, d’accueil des familles ou de visiteurs de détenus. Il faut les connaître et les reconnaître. Sans JA, la grande loi de présomption d’innocence du 15 juin 2000 ne porterait peut être pas son nom complet : « loi sur la présomption d’innocence et les droits des victimes ». 4) Justice. Quand on collectionne des poids de balance ancienne, c’est qu’on est prédisposé à la Justice. N’oublions jamais que Jean aime la loi, il a choisi d’être magistrat. Vocation seconde plus que tardive. Il l’est resté, même si ce n’est pas un pilier de tribunal. Il a bien prouvé qu’on peut servir la justice de plusieurs manières. En traçant des pistes innovantes.

Si c’était un soldat : il serait « éclaireur ». Si c’était un héros de BD : « Tintin », des péripéties mais il s’en sort et les bons finissent par triompher, Si c’était un personnage d’une fable de La Fontaine, du corbeau et du renard, il ne serait pas le corbeau, la ruse ne lui est pas tout à fait étrangère, Si c’était un personnage de Molière, Philinte : il faut prendre le monde tel qu’il est pour réussir et consoler tous les Alcestes, Si c’était un joueur de foot, un passeur- distributeur, adepte d’un jeu collectif calculé, un Giresse ou un Tigana qui ressortaient proprement les ballons en faisant le lien entre la défense et l’attaque, Si c’était un tableau : pas du Soulages, trop sombre, plutôt Delacroix pour « l’austère sentiment de l’amitié » ou Kandinsky : un peu nomade, élégant, mystérieux, il avait fait des études de droit… Un homme du monde. Au sens de Baudelaire dans curiosités esthétiques : « un homme du monde c’est-àdire homme du monde entier, homme qui comprend le monde, et les raisons mystérieuses et légitimes de tous ses usages ». Fidélité à ses amis : Elisabeth, Jean-Noel, Henri, en savez quelque chose, Jean Alègre est présent toujours. Je pense souvent qu’il existe trois catégories de personnes : imaginez que vous êtes proscrits et que vous fuyez et devez vous cacher : 1ère catégorie : porte close, 2ème catégorie : viens une nuit mais j’ai ma famille, c’est dangereux, le mieux serait de repartir au plus vite, 3ème catégorie : porte ouverte. Chacun de nous peut s’interroger sur la catégorie à laquelle il appartiendrait. Nul ne sait vraiment, face à l’épreuve de la réalité, dans quelle catégorie il se rangerait. Mais je suis sûr que Jean Alègre ouvrirait sa porte. Ce soir, ce n’est pas Jean qui ouvre sa porte, c’est la République qui lui ouvre la sienne, celle, brillante de la Légion d’honneur. Le récipiendaire, qui est à la fois professeur des collèges, auditeur de justice, magistrat et conseiller technique, a le goût des mots et de la vie. Son parcours professionnel atypique reflète le caractère rusé d’un homme du monde compétent et cultivé sachant saisir les opportunités. Il était légitime que la République mette en lumière les qualités intrinsèques de Jean Alègre, personnage clairvoyant et déterminé, Européen convaincu, que nous félicitons chaleureusement. 2013-796 Jean-René Tancrède 1) In la France géographie illustrée de P. Jousset P.280 2) Libéria, Guinée, Mali, Burkina, Ghana. 3) « 1913 l’été du siècle » Ed. S.Fischer. Non encore traduit en français.

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