Edition du jeudi 22 décembre 2011

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LES ANNONCES DE LA SEINE Jeudi 22 décembre 2011 - Numéro 72 - 1,15 Euro - 92e année

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Laurent Goldman, Isabelle Zribi, Ingrid Loran, Didier Le Prado, Raphaël Dokhan, Jean-Marc Sauvé, Bernard Stirn, Dominique Loriferne et Daniel Tardif

Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Conférence du Stage - Paris - 13 décembre 2011 RENTRÉE SOLENNELLE

Ordre des avocats aux Conseils La modulation dans le temps des effets des décisions de justice par Didier Le Prado ..............................................................................

2 AGENDA ......................................................................................5 VIE DU DROIT

Chambre des Notaires de Paris

7 8 13 13 14

Bouche de la loi, bouche du droit par Christian Lefebvre................... Conception procédurale de la justice par Jean-Claude Marin............. Institut Art & Droit .................................................................... Chambre des Commissaires-Priseurs Judiciaires ............ Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires ....

PALMARÈS

Prix Initiatives Justice 2011 ....................................................11

DIRECT

Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse ...............................................................12 Société de Législation Comparée .........................................12

ANNONCES LEGALES ...................................................15 AVIS D’ENQUETE..............................................................29 VIE DU CHIFFRE Compagnie des Conseils et Experts Financiers ...............32 SUPPLÉMENT Conférence du Stage des Avocats aux Conseils

a séance solennelle de Rentrée de la Conférence du Stage de l’Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation s’est déroulée dans le prestigieux cadre de la Grand’ chambre de la Cour de cassation le 13 décembre dernier. Comme à l’accoutumée, les plus hautes personnalités du monde judiciaire étaient réunies pour l’occasion, au premier rang desquelles Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel et JeanMarc Sauvé, Vice-président du Conseil d’Etat. Le Président de l’Ordre des Avocats aux Conseils, Didier Le Prado, a consacré son discours d’usage à « la modulation dans le temps des effets des décisions de justice ». Ce pouvoir de modulation du juge, qui est une création de la Cour suprême des Etats-Unis remontant à 1932, a été appliqué pour la première fois en Europe par la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la base des dispositions du traité de Rome prévoyant la faculté d’annuler seulement pour l’avenir les règlements communautaires. La Cour de Luxembourg a adopté une conception large en étendant cette faculté aux directives, aux budgets des communautés, aux décisions et aux recours préjudiciels. Ce pouvoir a ensuite été reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme par nos deux juridictions suprêmes, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. « Sous l’influence du droit communautaire et européen, nos hautes juridictions

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acceptent donc aujourd’hui de moduler dans le temps les effets de leurs décisions, décisions d’annulation surtout, mais également parfois revirement de jurisprudence, pour préserver la sécurité juridique. » a rappelé Didier Le Prado. La sécurité juridique traditionnellement invoquée « à l’égard de la loi, de sa complexité, de son imprécision, de l’imprévisibilité de ses changements » se trouve donc au cœur de ce nouveau pouvoir. Didier Le Prado a cependant souligné que ce critère« se révèle insuffisant pour expliquer les solutions dégagées par les juges ». C’est alors le droit au recours qui semble constituer, non seulement un fondement complémentaire à ce pouvoir de modulation, mais également une limite. En conclusion de sa remarquable intervention, le Président de l’Ordre des Avocats aux Conseils a estimé que l’ « on peut se réjouir que le critère du droit au recours juridictionnel reste toujours présent à l’esprit de nos hautes juridictions lorsqu’elles décident de moduler l’effet dans le temps de leurs décisions. » Raphaël Dokhan, Premier Secrétaire 2010/2011 de la Conférence du Stage des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation a ensuite choisi d’évoquer le destin historique d’une grande figure de l’Ordre qui s’illustra dans la résistance au cours de la seconde guerre mondiale en prononçant l’éloge de Jacques Henry Simon. Jean-René Tancrède

J OURNAL O FFICIEL D ’A NNONCES L ÉGALES - I NFORMATIONS G ÉNÉRALES , J UDICIAIRES ET T ECHNIQUES bi-hebdomadaire habilité pour les départements de Paris, Yvelines, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val de Marne

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Rentrée solennelle

LES ANNONCES DE LA SEINE Siège social : 12, rue Notre-Dame des Victoires - 75002 PARIS R.C.S. PARIS B 339 349 888 Téléphone : 01.42.60.36.35 - Télécopie : 01.47.03.92.15 Internet : www.annonces-de-la-seine.com e-mail : as@annonces-de-la-seine.com / as@annonces-de-la-seine.fr

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Etablissements secondaires : 4, rue de la Masse, 78910 BEHOUST Téléphone : 01.34.87.33.15 1, place Paul-Verlaine, 92100 BOULOGNE Téléphone : 01.42.60.84.40 7, place du 11 Novembre 1918, 93000 BOBIGNY Téléphone : 01.42.60.84.41 1, place Charlemagne, 94290 VILLENEUVE-LE-ROI Téléphone : 01.45.97.42.05 Directeur de la publication et de la rédaction : Jean-René Tancrède

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2010

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COMPOSITION DES ANNONCES LÉGALES NORMES TYPOGRAPHIQUES Surfaces consacrées aux titres, sous-titres, filets, paragraphes, alinéas

Titres : chacune des lignes constituant le titre principal de l’annonce sera composée en capitales (ou majuscules grasses) ; elle sera l’équivalent de deux lignes de corps 6 points Didot, soit arrondi à 4,5 mm. Les blancs d’interlignes séparant les lignes de titres n’excéderont pas l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Sous-titres : chacune des lignes constituant le sous-titre de l’annonce sera composée en bas-de-casse (minuscules grasses) ; elle sera l’équivalent d’une ligne de corps 9 points Didot soit arrondi à 3,40 mm. Les blancs d’interlignes séparant les différentes lignes du sous-titre seront équivalents à 4 points soit 1,50 mm. Filets : chaque annonce est séparée de la précédente et de la suivante par un filet 1/4 gras. L’espace blanc compris entre le filet et le début de l’annonce sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot soit 2,256 mm. Le même principe régira le blanc situé entre la dernière ligne de l’annonce et le filet séparatif. L’ensemble du sous-titre est séparé du titre et du corps de l’annonce par des filets maigres centrés. Le blanc placé avant et après le filet sera égal à une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Paragraphes et Alinéas : le blanc séparatif nécessaire afin de marquer le début d’un paragraphe où d’un alinéa sera l’équivalent d’une ligne de corps 6 points Didot, soit 2,256 mm. Ces définitions typographiques ont été calculées pour une composition effectuée en corps 6 points Didot. Dans l’éventualité où l’éditeur retiendrait un corps supérieur, il conviendrait de respecter le rapport entre les blancs et le corps choisi.

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Comité de rédaction : Thierry Bernard, Avocat à la Cour, Cabinet Bernards François-Henri Briard, Avocat au Conseil d’Etat Antoine Bullier, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Marie-Jeanne Campana, Professeur agrégé des Universités de droit André Damien, Membre de l’Institut Philippe Delebecque, Professeur de droit à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne Bertrand Favreau, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens, ancien Bâtonnier de Bordeaux Dominique de La Garanderie, Avocate à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Brigitte Gizardin, Substitut général à la Cour d’appel Régis de Gouttes, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation Serge Guinchard, Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Françoise Kamara, Conseiller à la première chambre de la Cour de cassation Maurice-Antoine Lafortune, Avocat général honoraire à la Cour de cassation Bernard Lagarde, Avocat à la Cour, Maître de conférence à H.E.C. - Entrepreneurs Jean Lamarque, Professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas Christian Lefebvre, Président de la Chambre des Notaires de Paris Noëlle Lenoir, Avocate à la Cour, ancienne Ministre Philippe Malaurie, Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas Jean-François Pestureau, Expert-Comptable, Commissaire aux comptes Gérard Pluyette, Conseiller doyen à la première chambre civile de la Cour de cassation Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, Avocate à la Cour, Présidente d’honneur de l’UNAPL Yves Repiquet, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris René Ricol, Ancien Président de l’IFAC Francis Teitgen, Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier de Paris Carol Xueref, Directrice des affaires juridiques, Groupe Essilor International

La modulation dans le temps des effets des décisions de justice par Didier Le Prado n l’an 2055, Travis, agent de voyages dans le temps, propose une nouvelle destination. Un voyage lointain. Très lointain. Il s’agit de remonter soixante millions d’années en arrière. Tout voyageur est averti que ce voyage est soumis au respect de strictes consignes de sécurité. Prendre soin de marcher exclusivement sur une passerelle suspendue au-dessus du sol et prendre bien garde à ne toucher ni arbre, ni branche, ni brin d’herbe. Ecraser une plante, tuer un moustique, serait exposer le sort de l’univers, pour l’avenir, à des conséquences incalculables. En l’an 2011, comme Travis, le héros «d’un coup de tonnerre», nouvelle de Ray Bradbury, le magistrat lorsqu’il statue, ne peut plus ignorer les contraintes inhérentes à un voyage dans le temps, qu’impliquent les effets de ses décisions. Des contraintes d’abord de sécurité. De sécurité juridique. «La sécurité juridique, c’est le besoin juridique élémentaire, si l’on ose dire animal». Qui songerait à démentir le doyen Carbonnier ? Peut-être la déesse Hécate, qui dans Macbeth, proclame que «la sécurité est la plus grande ennemie des mortels».

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Mais certainement pas le justiciable, qui dans un Etat de droit, doit pouvoir connaître les règles qui s’imposent à lui. Certainement pas le Conseil constitutionnel qui assure une protection indirecte mais réelle de la sécurité juridique. Certainement pas nos deux hautes juridictions : Le Conseil d’Etat qui a consacré deux rapports annuels à cette notion : «le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient (…) en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable, les normes ne doivent pas (…) être soumises dans le temps à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles» : rapport annuel 2006. La Cour de cassation à l’origine du rapport Molfessis établi en 2004 sous l’égide du service de documentation et des études. Et certainement pas vous-mêmes, chers amis de la conférence, avocats dont les consultations doivent pouvoir reposer sur la prévisibilité de la norme au sens large. C’est traditionnellement à l’égard de la loi, de sa complexité, de son imprécision, de l’imprévisibilité de ses changements qu’est invoquée la sécurité juridique. Mais celle-ci est aussi au cœur d’un nouveau pouvoir que se sont reconnus les juges, celui de moduler dans le temps les effets de leurs décisions. Et c’est de ce nouveau pouvoir que je souhaite vous entretenir aujourd’hui. Modulation des décisions d’annulation, modulation des revirements de jurisprudence, la sécurité juridique semble être le fondement commun à ce nouveau pouvoir ; c’est ce que nous verrons d’abord. Mais le critère bien vite se dérobe, se révèle insuffisant pour expliquer les solutions dégagées par les juges.

Les Annonces de la Seine - jeudi 22 décembre 2011 - numéro 72


Rentrée solennelle Il mérite d’être revisité à l’aune d’un autre critère, le droit au recours ; c’est ce que nous verrons ensuite.

Modulation et sécurité juridique Le pouvoir de modulation, nouvel office du juge, a pour fondement la sécurité juridique. Mais il peut paradoxalement se révéler source d’insécurité. 1. La sécurité juridique, fondement du pouvoir de modulation d’abord

Jusqu’il y a quelques décennies, aucun juge n’aurait envisagé de moduler dans le temps les effets de ses décisions. Comme l’é crivait Jean Rivero «la technique d’é diction de la règle juridictionnelle qui lie formulation de la règle et application à l’espèce la condamne à la rétroactivité». Et semblait également incontournable la fiction de l’annulation rétroactive des actes réglementaires illégaux. Ce n’est pas que les juges demeurassent insensibles aux effets indésirables de leurs décisions sur la sécurité juridique. Ils utilisaient d’ailleurs certains palliatifs pour les atténuer. La théorie des fonctionnaires de fait ou le principe des droits acquis pour le juge administratif. La technique de l’obiter dictum ou celle dite des petits pas pour les revirements de jurisprudence des juges administratifs comme des juges judiciaires. Mais les effets d’une annulation comme ceux d’un revirement étaient, par essence, rétroactifs. Le changement de contexte est venu de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Elle traite indifféremment les atteintes à la convention portée par la loi ou par la jurisprudence. Certes,

elle écarte tout droit acquis à une jurisprudence figée. Mais elle reconnaît le caractère créateur de la jurisprudence. Et elle exige depuis 2001, au nom de la sécurité juridique, que les décisions de revirement soient motivées. Exigence mise en œuvre par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt de février 2011. La saisine pour avis des juges de cassation est elle aussi une manifestation de ce pouvoir créateur. Quoi de plus naturel dans ces conditions que les débats qui existaient, au nom de la sécurité juridique, sur les effets indésirables de la

anglais «franchi le Rubicond entre la fonction de déclaration des normes et la fonction de création du droit». Il a gagné le vieux continent avec le traité de Rome. Traité qui prévoit la faculté pour la Cour de justice de l’union européenne d’annuler seulement pour l’avenir les règlements communautaires. Cette stipulation est fondée sur la sécurité juridique dont la Cour de Luxembourg a fait dès 1962 un principe général du droit communautaire, duquel découle celui de confiance légitime.

Il me semble préférable pour la sécurité juridique que la modulation ne puisse être décidée que dans l’arrêt qui fixe la solution nouvelle, ce qui implique que le juge doit d’office Didier Le Prado s’interroger sur cette possibilité.

rétroactivité des lois et règlements s’étendent à cette autre source de droit, la jurisprudence. Que l’on songe aux décisions de la Cour de Strasbourg, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation sanctionnant les conséquences de la rétroactivité de la loi anti-Perruche, ou à l’arrêt KPMG du Conseil d’Etat fondé expressément sur la sécurité juridique. Après la loi, donc, la jurisprudence. Ce pouvoir de modulation du juge est une invention de la Cour suprême des Etats-Unis qui, en 1932 a, selon l’expression de juristes

La Cour a appliqué ce pouvoir de modulation qui lui avait été accordé pour les règlements de la façon la plus large : directives, budgets des communautés, décisions. Elle l’a ensuite étendu aux recours préjudiciels en interprétation puis en appréciation de validité. La Cour de Strasbourg, dans son arrêt Markx, s’est inspirée de cette jurisprudence de la Cour de justice pour se reconnaître, sur la base de ce principe de sécurité juridique, la possibilité de moduler dans le temps les effets de sa décision. Nos deux juridictions suprêmes se sont, elles aussi, reconnues ce pouvoir de modulation.

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Bernard Stirn, Jean-Claude Marin, Jean-Marc Sauvé

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Rentrée solennelle 2. La modulation, source d’insécurité juridique

Qu’il s’agisse d’identifier les juges qui ont la faculté de moduler. Qu’il s’agisse des modalités par lesquelles ils mettront en œuvre ce nouveau pouvoir. Les incertitudes sont nombreuses. Quel juge d’abord ? Juridiction européenne ou communautaire, ou juridiction nationale ? Juridiction suprême ou juridiction du fond ? La Cour de justice est la seule à avoir répondu de manière explicite : la modulation ne peut être admise que par la Cour elle-même et non par les juges nationaux. S’agissant de la Cour de Strasbourg, la réponse est plus incertaine. Si elle ne module pas elle-même les effets de ses décisions, les juridictions nationales peuventelles néanmoins différer les effets d’une

En matière d’annulation, c'est-à-dire de mise en œuvre de la jurisprudence AC ! du Conseil d’Etat, rien n’y fait obstacle. S’agissant des revirements de jurisprudence, pour éviter l’é clatement de la norme de modulation, il serait sans doute opportun de réserver ce pouvoir aux juges de cassation ; le rapport Molfessis suggère même de le limiter à certaines formations de la Cour de cassation, précaution peut-être excessive. «Il suffit de frapper les bonnes touches au bon moment et l’instrument joue tout seul» prétendait Jean-Sébastien Bach. A quel moment faut-il moduler ? La modulation peut-elle être décidée par un arrêt postérieur à la décision de revirement ? La Cour de justice l’a exclue expressément en affirmant qu’elle doit avoir lieu dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée.

J’ajouterai que même s’il ne s’agit pas d’annulation mais d’abrogation, le Conseil constitutionnel s’est lui aussi fixé une règle de ce type en jugeant qu’en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité peut bénéficier à l’auteur de la QPC, et aux Didier Le Prado instances en cours, sauf précision contraire.

déclaration d’inconventionnalité qui résulte d’un arrêt de la Cour ? La question était sous-jacente pour la garde à vue. L’assemblée plénière, le 15 avril 2011, a écarté une telle possibilité qu’avait admise la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle a refusé la modulation en considérant que les Etats sont tenus de respecter les décisions de la Cour sans attendre d’être attaquées devant elle, ni d’avoir modifié leur législation. Et au sein de notre ordre juridictionnel interne, le pouvoir de modulation peut-il être exercé par les juges du fond ?

La Cour de Strasbourg ne s’est pas prononcée. Mais elle a refusé de moduler un revirement auquel elle avait précédemment procédé. Telle semble également la position de la Cour de cassation. Enfin, le Conseil d’Etat, quant à lui, ne s’est pas prononcé sur cette question. Il me semble préférable pour la sécurité juridique que la modulation ne puisse être décidée que dans l’arrêt qui fixe la solution nouvelle, ce qui implique que le juge doit d’office s’interroger sur cette possibilité. Enfin, incertitudes quant aux modalités de la modulation.

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D’abord le Conseil d’Etat, dans son arrêt AC ! rendu sur des conclusions de Monsieur Devys se référant à la jurisprudence luxembourgeoise, comme d’ailleurs à l’exemple des Cours constitutionnelles européennes. En tant que juge de l’annulation des actes administratifs, le Conseil d’Etat, exception faite des modulations fondées sur le droit communautaire, s’appuie de manière sousjacente, ou expresse sur le principe général de sécurité juridique. Il met en balance les conséquences de la rétroactivité de l’annulation et les inconvénients d’une limitation dans le temps des effets de celles-ci. Mais moduler les effets d’une annulation est une chose. Moduler les effets d’un revirement en est une autre, ô combien plus délicate au regard de l’office du juge. Depuis 2004, tant le Conseil d’Etat que la Cour de cassation ont accepté de moduler très prudemment les effets de leurs revirements de jurisprudence. En tout et pour tout deux fois pour le Conseil d’Etat et quatre fois pour la Cour de cassation. L’arrêt Tropic Travaux du Conseil d’Etat s’est référé pour ce faire à la sécurité juridique, de même que les arrêts de la chambre criminelle sur la garde à vue. Sous l’influence du droit communautaire et européen, nos hautes juridictions acceptent donc aujourd’hui de moduler dans le temps les effets de leurs décisions, décisions d’annulation surtout, mais également parfois revirement de jurisprudence, pour préserver la sécurité juridique. J’ajouterai que le Constituant en juillet 2008 a attribué au Conseil constitutionnel lui aussi un large pouvoir de modulation en cas d’abrogation des dispositions législatives qui lui sont déférées à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité. Si ce pouvoir de modulation n’est exercé, je viens de vous le dire, qu’avec parcimonie, en tout cas pour les revirements, n’est-ce pas que, paradoxalement, la modulation se révèle source d’insécurité ?

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Rentrée solennelle La décision de moduler est elle-même une règle transitoire qui va impliquer de nombreux acteurs juridiques. Une large réflexion apparaît donc nécessaire avec interrogation des intéressés, société civile, administrations, voire intervention d’amicus curiae. Devant la Cour de cassation, c’est le rôle que joue le parquet général lorsqu’il recueille différentes informations, soumises naturellement au débat contradictoire. Les parties doivent pouvoir présenter leurs observations, surtout, j’y reviendrai si la modulation peut être de nature à les priver du bénéfice de l’annulation ou du revirement. Quel juge ? Quelles modalités ? Quand ? Mais surtout quels critères ? Quelles sont les hypothèses dans lesquelles le juge estimera qu’une modulation est opportune ? Et, quel sera le sort des parties, des parties au litige ? Pourront-ils être privés, au bénéfice d’une modulation, des effets d’une annulation, voire des effets d’un revirement de jurisprudence qu’ils auront obtenu ? Que d’incertitudes. La sécurité juridique n’est-elle pas un critère trop flou ? Ce critère ne doit-il pas être complété, par un autre critère, celui du droit au recours ?

Modulation et droit au recours Le droit au recours peut jouer paradoxalement à la fois comme fondement de la modulation, mais aussi comme une limite au pouvoir de moduler du juge. 1. Le droit au recours, fondement du pouvoir de modulation d’abord

Si l’on examine les hypothèses, rares, dans lesquelles il y a eu modulation en matière de revirement, on s’aperçoit du rôle déterminant de ce droit au recours. Ceci est patent pour la Cour de cassation. Hormis les arrêts de la chambre criminelle sur la garde à vue, les trois arrêts dans lesquels elle a modulé les effets de sa décision concernent des hypothèses où la règle de droit qu’elle posait fermait une voie de recours, règle nouvelle de prescription pour la deuxième chambre civile en 2004 et l’assemblée plénière en 2006, ou règle touchant à la recevabilité des pourvois pour la chambre commerciale en 2007. Et elle a décidé d’une modulation dans la mesure où l’application immédiate à l’instance de cette règle nouvelle priverait le justiciable de l’accès au juge, au sens de l’article 6-1 de la convention européenne. Dans ces trois hypothèses, le critère a été, non pas la sécurité juridique, mais le droit d’accès au juge. Il s’agit sans doute d’une réponse à la Cour européenne des Droits de l’Homme qui, à deux reprises, avait condamné la France, précisément en raison du fait que l’absence de prévisibilité d’une jurisprudence avait fermé une voie d’accès au juge. Le Conseil d’Etat, dans son arrêt Conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens dentistes de Paris de 2008, s’est lui aussi fondé sur ce droit au recours, constitutionnellement

et conventionnellement protégé, pour moduler dans le temps une solution nouvelle. De Strasbourg à Paris, et à Paris des deux côtés de la Seine, on peut donc dire qu’une solution jurisprudentielle nouvelle qui ferme une voie de recours ne doit pas être appliquée aux parties et aux instances en cours. Est-ce que ce principe du droit au recours ne serait pas une condition, s’ajoutant le cas échéant à la sécurité juridique, à une modulation d’un revirement de jurisprudence ? Telle semble être la position de la Cour de cassation qui, jusqu’à ce jour, n’a pas admis d’autres hypothèses de modulation, hormis les arrêts de la chambre criminelle sur la garde à vue, dont la solution a été abandonnée par l’assemblée plénière. Bien au contraire, la Cour de cassation a jugé à de très nombreuses reprises que la sécurité juridique, invoquée sur le fondement de l’article 6 de la convention européenne des Droits de l’Homme, ne pouvait à elle seule consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable. Tel semble aussi être la position de la Cour de Strasbourg. Le Conseil d’Etat serait-il donc le seul resté en marge de ce mouvement ? Rien n’est moins sûr. Il a certes admis pour la première fois la modulation d’un revirement de jurisprudence dans son arrêt Tropic indépendamment de la question de la fermeture d’une voie de recours. Mais le caractère exceptionnel de cette solution a été souligné dans les conclusions du commissaire du gouvernement. Et l’arrêt Tropic est resté isolé. Le Conseil d’Etat a même récemment rappelé dans un arrêt de septembre 2009 le caractère en principe rétroactif d’un revirement de jurisprudence, sauf atteinte au droit au recours. Bien plus, dans son arrêt Tropic, le Conseil d’Etat a limité la mise en œuvre de la modulation, précisément par ce principe du droit au recours effectif. Paradoxalement, le droit au recours, fondement possible du pouvoir de modulation du juge, en serait aussi la limite. 2. Le droit au recours effectif : limite au pouvoir de modulation

Le jeu de la modulation dans le temps peut être écarté au nom du droit à un recours effectif. La solution a été clairement fixée en matière d’annulation par le Conseil d’Etat. Elle semble devoir être transposée avec nuance aux modulations en matière de revirement de jurisprudence. Toutes les juridictions réservent une place spécifique aux requérants et aux instances en cours au nom de ce droit au recours effectif. La modulation, si elle relève de l’office du juge, s’exerce par hypothèse à l’occasion d’une instance. L’équité, l’équilibre du procès, pour reprendre les termes du commissaire du gouvernement, Monsieur Devys, voire l’équilibre du système juridique qui repose sur l’efficacité des recours, justifient cette solution. On se souvient de la tempête qui avait été déclenchée par les arrêts de la Cour de justice des communautés européennes qui, en 1980, limitant pour la première fois les effets dans le temps d’un arrêt préjudiciel en appréciation de validité, avait privé le requérant du bénéfice de son recours, pourtant jugé fondé.

Agenda

39ÈME CONGRÈS

Skilex International du 29 janvier au 5 février 2012 Maribor (Slovénie) Renseignements : www.skilex.eu

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38ÈME CONGRÈS

Skilex France du 12 au 15 janvier 2012 Belle Plagne (Savoie) Renseignements : 01 53 92 08 46 virginie.heylliard@a-h-avocats.com www.skilex-france.com

2011-680

CONFÉRENCE

Green IT - IT for green : solutions pratiques et questions juridiques 10 janvier 2012 Maison du Barreau - Paris 1er Renseignements : coordination-adji@adji.fr www.adji.fr 2011-681

COLLOQUE

La franchise : questions sensibles 27 janvier 2012 Grand’Chambre - Cour de cassation Renseignements : www.courdecassation.fr 2011-682

COLLOQUE

UIA Worl Forum of Mediation Centres 27 et 28 janvier 2012 Lisbonne - Portugal Renseignements : 01 45 66 05 95 www.uianet.org

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Rentrée solennelle

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Pascale Liegeois et Dominique Loriferne

Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Tropic, a réservé aussi le sort de l’instance en cours. Reste enfin que, comme on l’a vu, les deux juges de cassation appliquent immédiatement à l’instance la modulation du revirement qui ferme une voie de recours. Hors cette hypothèse, la position de la Cour de cassation, relève de la pure prospective. Annulation et revirement, les termes du débat ne sont certes pas les mêmes. Moduler dans le temps les effets d’une annulation entre plus naturellement dans l’office du juge que moduler les effets d’un revirement. Juge qui se voit défendre, par l’article 5 de notre Code civil, de prononcer par voie de dispositions générales sur les causes qui lui sont soumises. Ce qui explique sans doute le fait que tant le Conseil d’Etat que la Cour de cassation aient réservé à des cas exceptionnels la modulation dans le temps des effets de leurs revirements. Mais surtout, si ce pouvoir de modulation que s’est reconnu le juge est né d’un besoin de sécurité juridique, transposé de la loi à la norme jurisprudentielle, cette transposition ne peut pas être parfaite.

Ce pouvoir de modulation du juge s’exerce nécessairement à l’occasion d’une instance. Instance qui n’est pas seulement le prétexte d’une solution nouvelle. Instance qui est d’abord l’affaire du justiciable représenté par son avocat. Il ne peut être fait abstraction des droits du requérant. Et on peut se réjouir que le critère du droit au recours juridictionnel reste toujours présent à l’esprit de nos hautes juridictions lorsqu’elles décident de moduler l’effet dans le temps de leurs décisions. Car un avocat ne pourrait raisonnement expliquer à un justiciable qui a sollicité et obtenu une annulation ou un revirement que le juge refuse de l’en faire bénéficier. Il ne pourrait lui expliquer une décision qui reviendrait à le déposséder. A faire du procès la chose de tous. Sauf des parties. Lui annoncer que dans ce voyage dans le temps qu’il avait pourtant initié, il serait le seul à rester sur au bord du chemin. 2011-678

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«Encore une victoire judiciaire comme celle-là et nous sommes perdus» pourrait s’exclamer le requérant, paraphrasant Pyrrhus. La position de la Cour de Luxembourg a ensuite évolué pour prendre en compte la situation du requérant et des personnes ayant engagé une action en temps utile, au nom du droit à une protection juridictionnelle effective. Le Conseil d’Etat juge également de façon constante, depuis l’arrêt AC !, que la modulation en cas d’annulation ne s’applique pas aux requérants ni aux instances en cours : quand le Conseil d’Etat déroge à l’effet rétroactif d’une annulation, il le fait sous réserve des actions contentieuses engagées. J’ajouterai que même s’il ne s’agit pas d’annulation mais d’abrogation, le Conseil constitutionnel s’est lui aussi fixé une règle de ce type en jugeant qu’en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité peut bénéficier à l’auteur de la QPC, et aux instances en cours, sauf précision contraire. Le Conseil constitutionnel a également parfois, tout en différant dans le temps l’effet d’une abrogation, suspendu les droits du requérant et des instances en cours jusqu’à l’intervention du législateur, pour leur permettre de bénéficier d’une inconstitutionnalité pourtant différée. Mais il est vrai qu’il est arrivé aussi au Conseil constitutionnel de déroger à ce principe et de priver le requérant du bénéfice de la déclaration d’inconstitutionnalité qu’il a obtenue ; ceci s’explique, dans des hypothèses où l’ordre public était en cause, par la mission spécifique de contrôle a posteriori de la loi qui lui a été conféré par le constituant. Annulations, abrogations. Qu’en est-il en cas de modulation des revirements de jurisprudence ? Il semble que, là encore, un sort à part doit être réservé aux requérants et aux instances en cours. Telle est la position de la Cour de Luxembourg concernant les renvois préjudiciels en interprétation. De même, la Cour de Strasbourg, dans son arrêt Markx, a modulé, tout en constatant pourtant la violation de la convention dans le cas d’espèce.

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Vie du droit

Club du Chatelet Le juge est-il toujours « la bouche de la Loi » ? Chambre des Notaires de Paris, Paris - 23 novembre 2011

Créé par la Chambre des Notaires de Paris en 1996, le Club du Chatelet reçoit régulièrement de prestigieuses personnalités intervenant dans le cadre de conférences-débats sur un sujet d’actualité et de société. C’est Jean-Claude Marin, Procureur Général près la Cour de cassation, qui était l’invité de ce lieu d’échanges, de réflexions et de propositions le 23 novembre 2011. Après avoir été chaleureusement accueilli par Christian Lefebvre, Président de la Chambre des Notaires de Paris, Jean-Claude Marin a livré à l’auditoire ses réflexions sur la question : « Le Juge est-il toujours « “la bouche de la Loi ?” ». D’abord limité dans son office, le juge est devenu « bouche interprétative », puis « bouche éclairée » de la loi, étant peu à peu investi d’un rôle quasi-normatif. « Le juge n’est plus seulement le souffleur de la loi », mais « l’acteur pluriel d’un droit complexe et multiple où la hiérarchie des normes a été rebattue et vers lequel les regards se retournent dans l’espoir d’un oracle clair et intelligible sur le sens de la norme », a conclu le Procureur Général Marin au terme de sa brillante conférence. Jean-René Tancrède

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Christian Lefebvre

Conception procédurale de la justice par Christian Lefebvre ous sommes très honorés, Monsieur le Procureur général, de vous recevoir à notre Club du Châtelet. (…) Vous portez une conception exigeante de la justice et de l’Etat de droit. Certaines de vos réquisitions sont restées particulièrement célèbres même si elles n’ont pas eu les suites que vous

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souhaitiez dans les jugements. Mais en l’espèce, il faut accepter de ne pas être toujours immédiatement suivi. Innover, c’est aussi une manière de semer les cailloux qui permettront de dégager un autre chemin. Vous avez notamment, tout le monde s’en souvient, proposé il y a peu d’instituer une complicité par abstention et vous l’avez conceptualisé en posant dans vos réquisitions la question de savoir si Ponce Pilate devait rester impuni. C’est pourquoi, nul ne s’étonnera que vous ayez choisi une question qui, là encore, est

particulièrement conceptuelle, pour ouvrir le débat de ce soir : « Le juge est-il encore la bouche de la loi ? » On pourrait aujourd’hui considérer que cette affirmation de Montesquieu, extraite de l’Esprit des Lois, reste toujours d’actualité puisque l’article 12 du nouveau Code de procédure civile affirme que « le juge tranche le litige conformément aux règles qui lui sont applicables ». Cette fonction passive du juge dans l’application plus ou moins mécanique de la loi relève de notre tradition juridique française. C’est des grands principes de la Révolution qui se méfiait des Parlements de l’Ancien régime, et qui avait souhaité réduire leur pouvoir au profit de la souveraineté parlementaire. Cependant, aujourd’hui la loi est bien affaiblie pour prétendre dicter la décision judiciaire. D’abord, la loi est placée sous l’autorité de grands principes qu’elle doit respecter. La dernière réforme de la Constitution, avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, a consacré une évolution ouverte il y a 40 ans par la grande décision du Conseil constitutionnel en matière de liberté d’association. Ensuite, la loi nationale se doit de respecter les normes internationales qui lui sont supérieures, que ce soit au niveau des traités de l’Union européenne ou des Chartes internationales relatives aux droits de l’homme. Mais plus profondément, le juge a-t-il jamais pu être la bouche de la loi ? En d’autres termes, une conception purement procédurale de la justice est-elle possible ? Cette question, de multiples philosophes l’ont traitée au cours des siècles. Par exemple, dans la période récente, Hannah Arendt a évoqué la dépendance de toute autorité par rapport à ce qu’elle appelle « un fonds mythique et immémorial, qui fait la légitimité ou l’indignation ». La loi peut-elle à elle seule dégager une vérité ou un principe universellement admis ? La loi peut-elle éviter que les règles ou les

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Vie du droit principes qui en donnent le mode d’emploi entrent en conflit entre elles ? Certes, Emmanuel Kant ne croyait pas au nom de l’universalité des valeurs à la possibilité de tels conflits entre les devoirs et les droits. Mais malheureusement, les contradictions de notre vie sociale ont réduit la portée de cette ambition. Notre monde est celui où les conflits de justice reposent sur l’entrechoc de valeurs hétérogènes et concurrentes. La question à trancher porte alors inévitablement sur l’importance relative d’objectifs qui se heurtent. Doit-on privilégier la sécurité ou la liberté, la liberté ou l’égalité, l’efficacité ou la justice ? Chaque groupe de pensée, chaque lobby cherche à faire triompher une hiérarchie qui ne peut être obtenue sans dommage et pour une longue période. Il existe dans la question que vous avez posée une autre dimension : être la bouche de la loi, c’est peut-être impossible, mais c’est un facteur de rapidité et de sécurité. On aime tran-

cher de tout rapidement en France et la sagesse populaire aime l’apparence du bon sens et de la simplicité. Or la justice est lente par construction comme par essence. Elle est aussi lente en raison de la contradiction qui

existe entre la faiblesse de ses moyens d’une part, et les contraintes de plus en plus lourdes de la construction prétorienne. La justice donne à beaucoup l’impression d’être opaque ou contradictoire ou décalée par le fait même de la complexité accrue de notre société. Or cette lenteur et cette opacité de la justice

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Jean-Claude Marin

Bouche de la loi, bouche du droit par Jean-Claude Marin

ien évidemment, cette interrogation puise aux sources « De l’esprit des lois » de Montesquieu qui, il y a 263 ans, définissait ainsi l’office du juge : « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur. » L’origine de ce postulat, posé par Montesquieu dans « De l’esprit des lois », réside dans une vision très fermée de la répartition des pouvoirs, exposée par Montesquieu, répartition dans

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laquelle l’office du juge est nécessairement limité. Le juge est un « être inanimé » qui dit et applique les principes que la loi a d’ores et déjà édictés sans pouvoir les amodier ou en modifier ni le sens ni la portée. Il s’agit, dans le droit fil des errements des parlements d’Ancien régime de la crainte du pouvoir judiciaire, crainte qui imprègne d’ailleurs fortement les idées des législateurs révolutionnaires. Leur volonté de maintenir le juge dans un rôle passif d’application stricte de la loi se traduit notamment par la mise en place du référé législatif, supprimé en 1837, obligeant les juges, dans certains cas, à s’adresser au législateur dès lors qu’une difficulté d’interprétation se posait. L’office du juge est également très encadré par le Code civil de 1804, particulièrement par son article 5 qui dispose qu’il « est défendu aux juges

conduisent à l’éloigner des justiciables, et à entraîner de véritables dénis de justice. Tout cela pour dire, Monsieur le Procureur général, que la question que vous allez traiter est concrètement essentielle pour notre vivre ensemble. Permettez-moi à la fin de ma brève intervention de citer Paul Ricoeur qui, dans son livre « Le Juste », indique : « Les choses deviennent plus graves encore lorsque ce ne sont plus seulement des normes qui entrent en conflit, mais lorsque s’affrontent d’un côté le respect dû à la norme universelle, et de l’autre le respect dû aux personnes singulières. Il s’agit bien de tragique de l’action, dès lors que la norme reste reconnue comme partie aux débats dans le conflit qui l’oppose à la sollicitude et à la misère humaine. La sagesse du jugement consiste à élaborer des compromis fragiles où il s’agit de trancher moins entre le bien et le mal, entre le blanc et le noir, qu’entre le gris et le gris ou, cas hautement tragique, entre le mal et le pire ». (…)

de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. » Mais, le juge, être inanimé, doit cependant être à même d’appliquer la loi à une situation concrète et diverse qui lui est soumise : le juge est en fait une bouche contrôlée qui s’exprime dans le cadre de la loi mais qui a, notamment en matière civile, une autre contrainte, il ne peut fixer lui-même les limites du procès. Pour Tocqueville : « Le premier caractère de la puissance judiciaire, chez tous les peuples, est de servir d’arbitre… le deuxième caractère de la puissance judiciaire est de se prononcer sur des cas particuliers et non sur des principes généraux… le troisième caractère est de ne pouvoir agir que quand on l’appelle ou, suivant l’expression légale, quand elle est saisie. » Ainsi, le juge, en matière civile, doit régler un litige entre deux parties et suivant les seuls moyens qu’elles soulèvent. Le postulat est transposable en matière pénale où la formation de jugement est contrainte par les termes de l’acte d’accusation pour les crimes ou les termes de la prévention pour les délits et contraventions. Une fois saisi, le juge doit se prononcer sur le cas particulier qui lui est soumis et non édicter des principes généraux valables erga omnes, ce qui explique le principe de l’autorité relative de la chose jugée et l’impossibilité pour le juge de se saisir d’office. Cette limitation de l’auto saisine est de plus en plus fréquente comme le démontre la suppression de la saisine d’office du juge des tutelles ou du juge commercial dans le cadre de l’engagement de sanctions dites commerciales et, ce, sous l’influence des standards du procès équitable tels que posés par la Cour européenne des droits de l’Homme qui impose une séparation nette entre les autorités de poursuite et celle de jugement. Cet encadrement de l’office du juge est particulièrement vérifié dans les pays de tradition de droit écrit, par opposition aux juges des pays de Common law que Gladstone, dans « Commentaries on the laws of England », définit

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Vie du droit comme un « oracle vivant de la loi » plutôt que d’une « bouche de la loi ». Cela induit une démarche totalement différente. Dans les pays de droit écrit : le raisonnement se construit par syllogismes et la solution est déductive. La différence se marque surtout par l’obligation de motivation, qui n’existe pas dans les pays de tradition de common law. A l’inverse, dans les pays de droit écrit en général et en France en particulier, la formulation d’une opinion dissidente n’est pas admise. Cet encadrement a pour premier effet que la jurisprudence n’a, en principe, pas valeur normative ou doctrinale. Cet enfermement de l’office du juge a pour autre effet de placer son interprétation sous le contrôle de la Cour de cassation qui participe à l’unification de l’interprétation faite par les juges du fond : « En droit français, la cassation n’e st pas au service des plaideurs, au premier chef, mais au service de la loi » énonce Frédéric ZenatiCastaing. En effet, le contrôle exercé par la Cour de cassation s’exerce sur deux éléments fondamentaux de la décision déférée : contrôle pour violation de la loi et contrôle de la motivation (cassation pour défaut de base légale). Cet encadrement peut-il aller jusqu’à lier le juge dans son appréciation du litige ? Le juge est-il en quelque sorte une « bouche automate » ? Régulièrement, le législateur tente de limiter le pouvoir d’appréciation du juge dans l’application de la loi aux situations individuelles. Tout le débat sur les peines dites planchers ne se rattache-t-il pas à cette tentation qui se solde, souvent, par une simple exigence de motivation renforcée ? Mais cette limitation de la liberté du juge au regard de la norme supérieure qu’est la loi s’exerce parfois par un regard extérieur et a posteriori sur l’application ou l’interprétation de la loi par le juge. La bouche de la loi est alors en quelque sorte « contrôlée ». Ainsi, en est-il, il me semble, du rôle joué par le parlement dans le cadre de bilans d’application de lois nouvelles ou de commissions sans oublier le rôle dévolu au défenseur des droits. Mais le juge n’est-il pas de plus en plus une bouche interprétative et éclairée à raison du caractère souvent polysémique de la loi ? Le fait que le juge soit la « bouche de la loi » dépend en effet amplement de la qualité de la loi elle-même. Moins la loi est claire et précise, plus le juge devra, par sa jurisprudence, expliciter la norme et faire ainsi véritable œuvre de législateur à la place du législateur. Les impératifs constitutionnels d’intelligibilité et de lisibilité de la loi devraient en principe limiter ces polysémies et, donc, le travail interprétatif du juge. Mais est-il exagéré d’avancer qu’il peut arriver que la loi soit si peu claire et les normes si pléthoriques voire discordantes que le travail de clarification du juge devienne impérieux. La « bouche se fait alors interprétative » et le juge devient alors un juge animé. Du fait de l’inflation, du foisonnement des législations et de la baisse de la qualité des textes, la loi, terme générique, renvoie en fait non seulement aux textes édictés par le législateur

mais aussi aux nombreux règlements, circulaires et textes divers imposant au juge d’être la bouche des lois au sens large du terme. Mais, même une loi claire laisse place à l’interprétation et cette interprétation se situe au cœur même de l’office du juge. Pour l’é cole de l’exégèse conduite par Demolombe, l’interprétation confiée au juge vise à révéler la volonté du législateur dans un respect quasi- religieux du texte à interpréter par l’utilisation de différentes méthodes, et notamment de la méthode documentaire c’est-à-dire en se référant aux travaux préparatoires de la loi, ainsi qu’à la tradition juridique au moment où la loi a été rédigée afin de dégager l’intention probable du législateur. Si cette voie n’est pas fructueuse, l’interprétation du juge peut emprunter, sauf en matière pénale, la voie du raisonnement par analogie, a fortiori ou a contrario. En somme, il s’agit de remonter aux sources auxquelles la loi a été puisée : le droit romain, les lois antérieures, les anciens auteurs afin de s’approcher le plus possible de la volonté du législateur, au moment où il a édicté la norme. Postérieurement, à partir de la fin du XIXème siècle et est apparue l’école de François Geny prônant la technique scientifique. Pour cette école, le vieillissement des textes les rend en inadéquation avec les réalités sociales, économiques ou politiques du pays, et il ne faut pas chercher la volonté du législateur au moment où il a écrit le texte mais ce que le législateur aurait voulu dans l’état actuel des choses. Dans cette mesure, l’interprète fait en quelque sorte œuvre de législateur et de modernisateur du droit, de manière toutefois très encadrée dès lors qu’il doit toujours fonder sa décision sur un texte. Aujourd’hui la méthode d’interprétation combine les deux approches dans ce que l’on pourrait appeler une conception d’une bouche « éclairée » : bien plus qu’un simple interprète, le juge doit donc également permettre d’adapter les textes en fonction des contingences du moment. Mais dans ce rôle quasi-normatif du juge, n’estil pas une difficulté que dans notre système judiciaire, le juge devienne une bouche unique et didactique pour consolider l’interprétation de la loi. En effet, dans notre système, qui ne connaît pas la formulation d’opinions dissidentes, le juge parle d’une seule voix. Les recours juridictionnels n’ont pas vocation à générer une polyphonie mais à garantir la force interprétative unique de la parole du juge. Cette absence d’opinion dissidente, formulée éventuellement par les membres de la formation de jugement, gomme la richesse des différentes approches juridiques qui ont pu légitimement s’exprimer, même de façon minoritaire, dans l’examen de la problématique de l’application de la loi ou de la norme. Cela me renforce dans l’idée que, s’agissant de la Cour de cassation, l’avis de l’avocat général est d’une importance toute particulière pour éclairer les débats et émettre éventuellement cette opinion dissidente qui peut, étant publiée, apporter à la communauté juridique et judiciaire ainsi qu’à la pratique, l’é clairage d’une autre analyse utile à la résolution de la question soumise au juge.

Mais sommes-nous légitimes à encore parler, dans ce rôle quasi-normatif qu’est celui du juge, de la bouche de la loi au singulier et ne devrions nous pas parler des bouches de la loi alors que, nous le savons, des juges différents peuvent en effet donner une interprétation elle-même différente voire opposée d’une même norme. Ces problématiques ne sont pas nouvelles et étaient, jusqu’ici, essentiellement résolues par le rôle unificateur des Cour suprêmes de chaque ordre, Cour de cassation et Conseil d’Etat, et en cas de conflit positif, par le tribunal des conflits. Mais, l’époque moderne a vu aussi le foisonnement de nouveaux juges sous forme d’autorités administratives indépendantes, autorités de régulation se livrant également, par la mise en pratique du droit, à son interprétation, mais aussi parfois autorités juridictionnelles.

Mais bien plus que cela, notre juge, nos juges, avec le contrôle de conventionalité et l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, doivent « parler » en prenant en compte des jurisprudences rendues par des juridictions intervenant dans le cadre d’une sorte de « hiérarchie parallèle » des normes : Conseil constitutionnel, Cour de Justice de l’Union européenne et Cour européenne des droits de L’homme. Dès lors qu’il devient quasi normatif et soumis à des hiérarchies parallèles et supérieures de normes, le droit interprété devient plus fluctuant et pose ainsi le problème de la lisibilité et de la prévisibilité du droit. Aussi la bouche doit se faire explicative notamment lors de ses revirements de jurisprudence, c'est-à-dire lors du changement de son interprétation de la norme applicable au litige. Certes, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 9 octobre 2001, posé le principe que, je cite, « Nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée. » induisant ainsi qu’une jurisprudence ne saurait s’imposer au juge. Toutefois, la CEDH a pris position sur l’exigence de motivation des revirements de jurisprudence. Elle a, d’un côté, posé un principe similaire à celui dégagé par la Cour de cassation en affirmant, dans son arrêt Unedic c. France du 18 décembre 2008, je cite, « les exigences de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante » mais a aussi, dans son Atanasovski c. l'ancienne République Yougoslave et Macédoine en date du 16 janvier 2010, affirmé l’obligation pour les Cours suprêmes étatiques de motiver leurs

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Vie du droit revirements de jurisprudence précisant toutefois, dans l’arrêt Boumaraf c. France du 9 septembre 2011, que cette exigence de motivation des revirements jurisprudentiels ne s’appliquait que lorsqu’il existe une « jurisprudence bien établie ». Mais le juge ne devient-il pas une bouche « créatrice » dans l’idée d’un droit vivant. Pour le doyen Carbonnier, le juge peut tout d’abord agir sur le syllogisme judiciaire en luimême, et plus particulièrement sur ses prémisses, mais il lui est également difficile de s’abstraire de la société dans laquelle il se trouve. La jurisprudence est le symbole vivant de cette marge d’intervention et d’adaptation du droit. Portalis ne disait-il pas autre chose dans son discours préliminaire au Code civil : « La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière les principes les plus favorables au bien commun ; la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre ne suffit pas ». Dès lors, le juge doit s’ouvrir vers d’autres préoccupations que celles du seul texte légal. Son rôle est d’être la bouche du droit avant d’être la bouche de la loi. Ainsi, la prise en compte des grands principes du droit (exigence de raison, d’équité, de cohérence ; respect des droits de la personne humaine), l’intégration des nouvelles connaissances (sociologiques, économiques, sociales…) qui fondent le principe d’effectivité du droit consacrent l’ouverture du juge, cœur du discours préliminaire de Portalis. Bien plus encore, dans certains cas bien particuliers, le rôle du juge peut également être de faire œuvre de législateur dans ce que le doyen Carbonnier appelle la jurisprudence créatrice, qui intervient alors pour combler une lacune ou un vide textuel. En effet, l’article 4 du Code civil interdit au juge de ne pas se prononcer « sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi ». Il est possible alors d’avancer avec Philippe Jestaz que la jurisprudence « emprunte son autorité à la loi » et de considérer que, lorsque le législateur s’abstient de désavouer la règle jurisprudentielle, c’est qu’il l’approuve. Comment ne pas penser à cet instant précis aux grandes créations jurisprudentielles en matière de délégation de pouvoirs, d’enrichissement sans cause, de contrat d’assurance, de responsabilité administrative, de gestation pour autrui et bien d’autres domaines encore… Enfin, sur ce point, il n’est pas illégitime d’avancer que l’é volution du droit tend à accorder une place de plus en plus importante, voire centrale, à la jurisprudence comme autorité du droit positif. Jean-Pierre Gridel souligne que « la jurisprudence [a] transformé le droit français tel qu’issu des codifications napoléoniennes, en déplaçant vers elle le centre de gravité du droit positif ». L’une des raisons de ce déplacement n’est autre que, précisément, la multiplication des sources de droit, qui accorde au juge un véritable rôle de gendarme dans la nébuleuse des normes juridiques. A tel point que d’aucuns se demandent si nous n’avons pas basculé vers un « gouvernement des juges ». Le dialogue des juges

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Xavier Lagarde avance l’analyse suivante : « On pourrait a priori penser que, plus il y a de textes, plus le juge est encadré. En réalité, c’est le phénomène inverse qui se produit : autant il y a de textes, autant il y a d’interprétations. L’inflation législative consacre le règne de l’argumentation. Et ce règne s’étend d’autant plus qu’il faut aussi compter sur le développement des sources supranationales ainsi que sur l’introduction dans le droit positif des chartes de droits fondamentaux qui, comme chacun le sait, suscitent plus de réflexions que de certitudes ». Le rôle du juge n’est plus seulement, nous l’avons vu, d’être une bouche de la loi, il doit prendre en considération des normes de rang plus élevé et s’inscrire dans un dialogue. Contrôle de conventionalité qui permet d’écarter l’application de la loi dans le litige, primauté du droit communautaire, jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a une autorité absolue, cette multiplication des sources appelle un dialogue des juges et nous savons que ce dialogue peut être parfois compliqué par la difficile articulation des différents contrôles de fondamentalité. Le juge peut-il être la bouche de la loi lorsque les normes de références s’opposent ? Il fût un temps où les contrôles de normativité trouvaient leur pleine expression dans la rigoureuse et rassurante structure pyramidale de la hiérarchie Kelsénienne des normes. L’émergence du contrôle de conventionalité tout d’abord, puis l’introduction, ensuite, du contrôle de constitutionnalité a posteriori ont ainsi troublé l’ordonnancement de la hiérarchie classique des normes. Sans souscrire à la vision d’un désordre anormal qui fait trop vite oublier les formidables avancées apportées par ces nouveaux contrôles de fondamentalité en terme d’effectivité de la protection juridictionnelle accordée aux citoyens, on ne peut nier le besoin de recherche d’une cohérence dans l’articulation de ces dispositifs car sont en cause la sécurité juridique tout autant que l’intelligibilité et la lisibilité du droit. Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975, nous le savons, contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité suivent des chemins séparés. Le contrôle de constitutionnalité porte sur la validité de la loi et abouti, sous les modalités fixées par le Conseil constitutionnel, à un retrait de la disposition législative tandis que le contrôle de conventionalité porte sur l’applicabilité concrète de la loi au litige sans effet direct sur sa validité. Ainsi, les deux contrôles ne se placent pas audessus ou en dessous l’un de l’autre mais bien en symétrie chaque fois qu’est en cause une même norme fondamentale de référence. La place de la Constitution au sommet de notre ordre interne ne signifie pas que la convention, qui n’intègre pas cet ordre, s’intercalerait entre la loi et la Constitution ou, à l’inverse, que la suprématie de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la loi emporterait supériorité de la convention sur notre Constitution. Une erreur serait ainsi de croire qu’en sortant la norme législative de l’ordre juridique ou au contraire en garantissant sa constitutionnalité, la décision constitutionnelle enrayerait nécessairement le contrôle de conventionalité

qui se trouverait en quelque sorte « énucléé ». De même qu’une validation constitutionnelle ne bloque pas l’examen de la conventionalité de la même loi, la pertinence d’un examen de la conventionalité de la loi applicable au litige peut perdurer, en dépit de sa disparition pour inconstitutionnalité, pour les situations nées sous son empire. A l’occasion de l’examen a priori de la loi organique relative à l’application des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution portant création de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a lui-même livré son analyse sur la combinaison de ces deux contrôles, dans son considérant 14, que cite : « Considérant, en second lieu, qu'en imposant l'examen par priorité des moyens de constitutionnalité avant les moyens tirés du défaut de conformité d'une disposition législative aux engagements internationaux de la France, le législateur organique a entendu garantir le respect de la Constitution et rappeler sa place au sommet de l'ordre juridique interne ; que cette priorité a pour seul effet d'imposer, en tout état de cause, l'ordre d'e xamen des moyens soulevés devant la juridiction saisie ; qu'elle ne restreint pas la compétence de cette dernière… Pour le professeur Anne Levade, on « admettra sans peine que la prise en considération croissante par le juge constitutionnel du droit européen laisse bien augurer d'une priorité harmonieusement pratiquée ». En dépit de leur différence de nature et des préventions prises par le Conseil constitutionnel dans l’ordre de leur examen, les deux contrôles peuvent toutefois s’entremêler, voire s’opposer, chaque fois que l’une et l’autre des institutions chargées du contrôle se livrent à une appréciation d’une même norme ou principe fondamental ou que, bien que visant des principes différents, les solutions apportées par chacune d’entre elles interviennent dans un champ juridique identique. « La complexité du droit n’est que le miroir de celle de nos sociétés. Le droit est ainsi de plus en plus foisonnant, mouvant, instable. Le juriste, qu’il soit juge ou avocat, consacre une bonne partie de son temps à démêler l’é cheveau des règles et des jurisprudences, internes ou internationales. L’introduction en France de l’e xception d’inconstitutionnalité s’inscrit dans la logique de ce mouvement profond : toute norme, fût-elle législative, devient contestable, discutable devant le juge. Le juriste est à la recherche perpétuelle d’un ordonnancement » selon la mission recherche droit et justice : Ainsi, me semble-il, le juge n’est plus seulement le souffleur de la loi, il est l’acteur pluriel d’un droit complexe et multiple où la hiérarchie des normes a été rebattue et vers lequel les regards se retournent dans l’espoir d’un oracle clair et intelligible sur le sens de la norme. La bouche n’a-t-elle pas pris le pouvoir ?

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Palmarès

Prix Initiatives Justice 2011 Paris - 8 décembre 2011 Pour la 2ème année consécutive, le ministère de la Justice et des Libertés a organisé un concours visant à promouvoir et récompenser l’innovation et l’inventivité des personnels de justice : les Prix Initiatives Justice. Les personnels du ministère de la Justice et des Libertés ont pu inscrire leurs projets dans deux catégories, en individuel ou en équipe : « rapprocher la justice des citoyens » et « innover au bénéfice de l’institution ». En présence des agents du ministère ayant concouru, le Garde des Sceaux Michel Mercier a remis ce jeudi 8 décembre les prix aux lauréats, sélectionnés par un jury de professionnels. Jean-René Tancrède

Innovation et modernisation par Michel Mercier (…) es prix que nous remettrons dans quelques instants viennent distinguer les projets innovants « au bénéfice de l’institution », ou qui permettent de « rapprocher la justice des citoyens ». Faciliter le travail quotidien des acteurs de la justice, rendre notre institution plus accessible aux citoyens, sont des objectifs majeurs pour chacun d’entre-nous. J’ai souhaité les placer au cœur de mes priorités d’action, parce que je sais qu’une justice plus proche, plus lisible, et plus moderne, est une justice plus efficace et mieux comprise. J’ai souhaité aussi que nous travaillions à la modernisation des méthodes, pour que magistrats, greffiers, fonctionnaires puissent disposer d’outils professionnels plus performants. Améliorer les conditions de tra-

Photo : MJL/DICOM/C.Montagné

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vail est, en effet, indispensable pour que la justice puisse être rendue en toute sérénité. Qui mieux que vous, qui œuvrez au quotidien pour la justice, pouvait concevoir les solutions les mieux adaptées pour répondre aux

REPÈRES

Remise des prix 2011 CATÉGORIE « RAPPROCHER LA JUSTICE DES CITOYENS » 1er Prix individuel Projet : la plateforme civique et citoyenne sur la justice Attribué à : Fatiha Mekerri Directrice de la maison de la Justice et du Droit du Val de Seine 1er Prix par équipe Projet : améliorer l'accès au droit des personnes hospitalisées en psychiatrie et de leurs proches Attribué à : Eric Négron Président du tribunal de grande instance de Lille Marie Bunot-Rouillard Vice-présidente du tribunal de grande instance de Lille Fabienne Estibal-Muller Greffière en chef, Secrétaire générale du Conseil départemental de l’accès au droit du Nord 2ème Prix par équipe Pour le projet : délivrer des éléments d’informations sur le fonctionnement et la gestion du bracelet électronique aux personnes en situation de handicap qui bénéficient d'un

placement sous surveillance électronique (PSE), accompagné d’un DVD en langage des signes et d’un livret en braille Attribué à : Laurent Lallart Surveillant PSE à la maison d’arrêt de Valenciennes Alain Khelili Premier surveillant responsable sécurité au centre pénitentiaire de Maubeuge Philippe Lamotte Directeur de la maison d’arrêt de Valenciennes Agnès Quentier Surveillante au greffe judiciaire CATÉGORIE « INNOVER AU BÉNÉFICE DE L’INSTITUTION » 1er Prix individuel Pour le projet : le tableau partagé de suivi des peines d'emprisonnement fermes dont le procureur saisit le juge de l’application des peines (JAP) en vertu de l'article 723-15 du code de procédure pénale (CPP) Attribué à : Aline Clérot Substitute du procureur de la République près du Tribunal de grande instance de Douai

1er Prix par équipe Pour le projet : le parcours de la victime Attribué à : Jérôme Dubost Educateur au service territorial éducatif en milieu ouvert du Havre Caroline Léger-Toutoux Assistante sociale au Service territorialisé éducatif de milieu ouvert du Havre 2ème Prix par équipe Pour le projet : le programme d'insertion et de professionnalisation des détenus au développement comportemental par la médiation animale et l'intelligence rationnelle Attribué à : Patricia Arnoux Présidente de l’association Evi’dence Hervé Berthonneau Directeur du cabinet Yumeus Marjorie Lang Responsable de la formation professionnelle des personnes détenues à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Strasbourg Romain Brasseau Président de l’association TAAC

besoins d’amélioration qu’attendent tant les acteurs judiciaires que les justiciables. Je suis convaincu que nous devons être toujours extrêmement attentifs aux retours d’expérience du terrain, car ils nous soulignent les difficultés et les voies d’améliorations concrètes pour y répondre. Je voudrais dire que les projets, qui ont concouru à ces prix, se sont appropriés le sens profond de la révision générale des politiques publiques, que l’on méconnaît encore trop souvent : il s’agit bien de moderniser, de simplifier, pour un meilleur service rendu au justiciable et une justice efficace et de qualité. Ces Prix Initiatives Justice ont, d’ailleurs, été créés dans le cadre du projet Adm’innov, par lequel le gouvernement a souhaité promouvoir les idées et projets originaux de ses agents au service des usagers et pour la meilleure performance des institutions. Les initiatives qui contribuent à ces objectifs ne demandent qu’à être connues pour être partagées plus largement. Et elles sont nombreuses, cette deuxième édition en est la parfaite illustration. Je voudrais saluer les 108 candidats qui ont concouru à ces Prix, vos projets qu’ils soient individuels ou collectifs sont tous de grande qualité. Et les membres du jury, ici présent, peuvent témoigner de la difficulté de vous départager. (…) 2011-685

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Direct

Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse Assemblée générale constitutive - 28 novembre 2011

la suite de la première réunion de l’Assemblée Générale constitutive de l’Association des Avocats Praticiens du Droit de la Presse qui a eu lieu le 28 novembre 2011, le bureau a été ainsi composé :

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Président : Jean-Yves Dupeux Vice-Présidents : Thierry Massis, Christophe Bigot et Didier Leick Trésorier : Catherine Cohen-Richelet Secrétaire général : Nicolas Bénoit. L’association a pour objet de regrouper et de développer les liens, les relations et les activités des avocats spécialisés en droit de la presse et des médias. Elle poursuit en particulier les buts suivants :

1°) Développer l’information pratique relative à la législation et à la jurisprudence en droit de la presse ; aider les praticiens du droit de la presse à compléter leur formation et à échanger leurs expériences. 2°) Intervenir devant les juridictions nationales ou internationales et organes internationaux, organisations internationales en qualité d’amicus curiae, tierce opposition ou toute autre forme compatible avec les statuts. 3°) Renforcer, dans un but commun, les liens unissant les praticiens en droit de la presse entre les différents barreaux ainsi qu’avec les magistrats et universitaires, et plus généralement tous les juristes s’intéressant au droit de la presse en France et à l’étranger. 4°) Participer à des actions de formation des étudiants, élèves avocats, élèves magistrats, à

la formation continue des avocats, magistrats et hauts fonctionnaires, et toute personne intéressée dans le domaine du droit de la presse ; participer aux activités des instances internationales. 5°) Encourager la publication d’études et de travaux ou d’articles susceptibles de faciliter la promotion et le développement du droit de la presse et des liens permanents avec d’autres organismes mettant en œuvre le droit de la presse ; entretenir des liens permanents avec les organismes internationaux, le Conseil de l’Europe, et les autres institutions internationales s’occupant de la liberté de la presse. 6°) Apporter sa collaboration aux Barreaux de France pour la formation des avocats. 2011-686

Société de Législation Comparée

ors de l'assemblée générale du 12 décembre 2011, le Secrétaire général, le professeur Bénédicte Fauvarque-Cosson a été élue Président. Elle succède ainsi à Emmanuel Piwnica. Il a également été procédé au renouvellement partiel des membres du conseil de direction. Le conseil se réunira courant janvier 2012 afin de désigner un Secrétaire général.

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Photo © Jean-René Tancrède

Assemblée Générale, Paris - 12 décembre 2011

Ont été élus : en qualité de Vice-président :

Didier Le Prado Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, président de l'Ordre.

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Bénédicte Fauvarque-Cosson

en qualité de membres :

Loïc Cadiet Professeur à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne Marc Cagniart Notaire à Paris Aurore Chaigneau Professeur à l'Université de Picardie Jules Verne Christine Chanet Conseiller doyen à la Cour de cassation Pascale Deumier Professeur à l'Université Jean Moulin, Lyon III Guillaume Drago Professeur à l'Université Panthéon Assas, Paris II

Olivier Dutheillet de Lamothe Président de la section sociale du Conseil d'État, membre honoraire du Conseil constitutionnel Daniel Gutmann Professeur à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne Eric Haza Directeur juridique de Veolia Environnement Françoise Kamara Conseiller à la Cour de cassation Jean Latournerie Avocat au Barreau de Paris Noëlle Lenoir Avocat au Barreau de Paris, membre honoraire du Conseil constitutionnel.

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Vie du droit

Institut Art & Droit

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Cérémonie d'accueil des candidats admis au stage de commissaire-priseur 2011 Cercle de l’Union Interalliée - Paris, 23 novembre 2011

e 23 novembre dernier, dans les salons Cercle de l’Union interalliée, se déroulait la cérémonie d'accueil de tous les candidats admis à l'examen d'accès au stage de commissaire-priseur. Sur les 15 candidats ayant réussi l'examen, 14 avaient suivi la préparation organisée par l'Institut Art & Droit (8 en 2011 et 6 en 2010). Cette préparation est le fruit d'un partenariat entre l'Institut Art & Droit et le centre de formation permanente de l'Université Paris 2. Ce fut l’occasion pour Catherine Chadelat, Présidente du Conseil des Ventes Volontaires, pour Maître Alain Turpin, représentant la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, pour Maître Jean-Pierre Osenat, Président du Syndicat national des maisons de

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ventes et pour Gérard Sousi, Président de l'Institut Art & Droit de féliciter tous les candidats admis à cet l’examen. Grâce à l’amical partenariat de la revue «L’Estampille - L’Objet d’Art», l’Institut Art & Droit a remis à chaque étudiant admis au stage de commissaire-priseur, un abonnement d’un an à cette revue. Ce cocktail donna aussi l’opportunité à Gérard Sousi de remercier tous les intervenants de la préparation à l’examen ainsi que toute l’équipe du Centre de Formation Permanente de l’Université Paris 2. Cette soirée s’est déroulée en présence de très nombreuses personnalités du marché de l’art. Jean-René Tancrède

REPÈRES

Candidats admis au stage de commissaire-priseur 2011 Déborah Boisselier Thibault Cardera Camille Chabroux Delphine Cheuvreux Marylou Combalier Lucas de Couville Elodie Peeren François-Xavier Poncet

Jean Porsin Jessica Remy Cécile Rouault de la Vigne Annabelle Saffores Clara Screve Agathe Thomas Marie Trévoux

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Chambre des Commissaires-Priseurs Judiciaires de Paris Session 2011/2012 a Chambre des Commissaires-Priseurs Judiciaires de Paris vient de désigner son Bureau, ainsi composé pour la session 2011/2012 : Maître Marielle Digard, président, Ghislaine Kapandji, syndic, Maître David Kahn, rapporteur, Maître JeanJacques Poëtte, secrétaire, Maître Olivier Lasseron, trésorier. Deux femmes ont été élues par leurs pairs pour occuper les fonctions de président et syndic, une première à la Compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris. Maître Marielle Digard a été nommée com-

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missaire-priseur judiciaire à Paris en 2001, après avoir exercé pendant 10 ans sa profession à Saint-Germain-en-Laye. Elle dirige par ailleurs une société de ventes volontaires qui organise de nombreuses ventes à Drouot. Membre de la Chambre des commissairespriseurs judiciaires de Paris depuis 2006, elle y a très vite pris d’importantes responsabilités occupant successivement les fonctions de trésorier puis de syndic. Maître Ghislaine Kapandji a créé en 2004 la société de ventes volontaires KapandjiMorhange. Elle a été nommée commissaire-

priseur judiciaire à Paris en 2008, après avoir assuré la suppléance de son office pendant 3 ans. Dès 2009 elle entre à la Chambre des commissaires-priseurs judiciaires de Paris, occupant le poste de Rapporteur pour la session 2010/2011. Elle vient d’être désignée syndic. Marielle Digard se réjouit que deux femmes et un bureau jeune et dynamique viennent donner un nouvel élan à la représentation de cette profession inconditionnellement liée au droit de la famille des Français.

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Vie du droit

Administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires Remise des diplômes de la quatrième promotion du Master II et du diplôme universitaire de droit des entreprises en difficulté Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris - 7 décembre 2011

e mercredi 7 décembre 2011, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’ADUDED et le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) ont organisé la remise des diplômes de la quatrième promotion du Master II et du diplôme universitaire de droit des entreprises en difficulté, formations dirigées par le Professeur François-Xavier Lucas et Marc Sénéchal, mandataire judicaire. La cérémonie, qui fit suite à l’assemblée générale de l’Association syndicale professionnelle

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d’administrateurs judiciaires (ASPAJ), se tint dans les salons de l’Hôtel Intercontinental en présence de Monsieur le Mministre Jean-Louis Borloo, parrain de la promotion, de Vincent Gladel, président du CNAJMJ, de Stéphane Gorrias, président de l’IFPPC, de Xavier Huertas, président de l’ASPAJ, d’intervenants du diplôme ainsi que de nombreuses personnalités et de professionnels de la restructuration. Le Professeur François-Xavier Lucas prit le premier la parole pour présenter la formation qu’il codirige. Il insista sur l’originalité des

enseignements, subtil alliage de théorie et de pratique, ainsi que sur la réussite professionnelle des étudiants sortis du diplôme. Puis, Monsieur le ministre s’exprima sur sa vision et son expérience des entreprises en difficulté ainsi que de la crise. Il en profita pour délivrer quelques conseils aux seize étudiants nouveaux entrants dans la « famille des procédures collectives ». La soirée s’acheva par un cocktail au cours duquel les professionnels partagèrent leur vécu avec les étudiants et les universitaires délivrèrent leurs derniers enseignements. 2011-690

Au fil des pages

La visibilité de l’Eglise Catholicisme romain et forme politique - Donoso Cortés par Carl Schmitt - Présentation de Bernard Bourdin

'expression « théologie politique » n'a jamais été utilisée en tant que telle par les théologiens chrétiens. Elle n'apparaît pour la première fois que dans le titre d'un ouvrage majeur de la philosophie du XVIIème siècle, le « Traité théologico-politique » de Spinoza. L'intention de son auteur était de conjoindre la souveraineté et la liberté de pensée, et par là même de régler le « problème théologico-politique ». Il faut attendre l'anarchiste Bakounine, au XIXème siècle, pour « réhabiliter » la théologie politique à des fins révolutionnaires, puis pour dénoncer le déisme de Mazzini. En 1922, en rédigeant son premier texte sur la théologie politique, Carl Schmitt prend le contre-pied de l'anarchisme révolutionnaire. Avec le juriste rhénan, la théologie politique est désormais identifiée à la théorie de la souveraineté. C'est par une formule lapidaire, devenue célèbre, qu'il commence son essai : « Est souverain celui qui décide de la situation

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exceptionnelle. » Dès la fin du IIème Reich, puis dans le contexte de la république de Weimar, tout le projet intellectuel de Schmitt est d'articuler sa théorie du droit et du politique à une structure de pensée théologico-politique. Le problème de la démocratie libérale est son incapacité à disposer d’une véritable théorie de la représentation, en raison de l'individualisme inhérent à la pensée libérale. Face à cette impuissance, le catholicisme, par sa structure ecclésiologique, offre au contraire tous les critères de la représentation politique et de la décision. Les textes que Bernard Bourdin présente dans ce volume, parus entre 1917 et 1944, sont des plus explicites s'agissant de ces aspects de la théorie schmittienne : institution visible de l'Eglise, forme représentative et décisionnisme. Ils mettent de surcroît en évidence la double ambivalence de la pensée de Schmitt dans son rapport au christianisme (catholique) et à la sécularisation. En raison de son homologie de

structure entre Dieu, Etat et Eglise, la nécessité d'une transcendance théologico-politique plaide paradoxalement pour une autre approche d'une pensée politique séculière. Ambivalence qui ne sera pas non plus sans équivoque. 276 pages - 33 € Les Editions du Cerf 29, boulevard La Tour Maubourg - 75340 PARIS CEDEX 07 www.editionsducerf.fr

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Annonces judiciaires et légales

Direct

Guy Martin : déjà vingt ans au Grand Véfour 9 novembre 2011

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appartenait depuis 1984 au Groupe Taittinger. Cette acquisition représente pour cet autodidacte et cet homme de passion, « un gage de stabilité pour son équipe composée d’une quarantaine de personnes ». Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres (1997), dans l’Ordre des Palmes Académiques (2002) et dans l’Ordre de la Légion d’Honneur (2003), le parcours professionnel de Guy Martin est exemplaire et sa réputation de grand chef de cuisine français s’étend bien audelà de nos frontières ; ses nombreux talents contribuent ainsi au prestige de la France. Nous adressons nos chaleureuses et amicales félicitations à celui dont les qualités de cœur rivalisent avec celles d’un exceptionnel esprit culinaire.

Jean-René Tancrède 2011-692

Pierre Cornette de Saint-Cyr, Katarina Marx, Mireille Darc et Guy Martin Philippe Faure (à l’arrière plan)

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Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

our célébrer ses vingt ans au Grand Véfour, le Chef étoilé Guy Martin a organisé le mercredi 9 novembre 2011 une vente aux enchères d’assiettes dédicacées par des artistes et des personnalités au profit de « La Chaîne de l’Espoir » créée en 1988 par Alain Deloche et présidée par Eric Cheysson. Mireille Darc, ambassadrice de cette association qui intervient dans plus de 30 pays pour offrir un accès aux soins et à l'éducation aux enfants les plus démunis, était présente aux cotés du Commissaire priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr pour diriger cette vente qui fut un franc succès. Depuis 1991, le chef d’origine savoyarde crée des saveurs mêlant tradition et modernité dans ce temple de la gastronomie situé en plein cœur des jardins du Palais-Royal « Joyau de l'art décoratif du XVIIIème siècle » . Guy Martin est récemment devenu le propriétaire de ce restaurant créé en 1784, le plus ancien de Paris, qui


Vie du chiffre

Compagnie des Conseils et Experts Financiers

D.R.

Convention nationale annuelle, Paris - 1er décembre 2011

a Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF) a tenu sa Convention nationale annuelle le 1er décembre dans les salons de la Maison des Arts et Métiers. Moment fort pour la vie de la CCEF, cet évènement a rassemblé une nouvelle fois les professionnels du chiffre, du conseil, de la finance mais aussi du droit, de plus en plus nombreux. Cette journée, placée sous le haut patronage de Louis Giscard d’Estaing, était organisée comme à l’accoutumée en partenariat avec le Conseil Supérieur de l’Ordre des ExpertsComptables, l’Académie des sciences et techniques comptables et financières, la Compagnie des conseillers en investissements, finance et transmission d’entreprise et le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris. Avant d’ouvrir la dernière convention placée sous sa mandature, le Président Jean-Philippe Bohringer a tenu à rappeler la vocation de la CCEF : fédérer les professionnels libéraux autour de problématiques de nature interpro-

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fessionnelle. Et ces sujets ne manquent pas, comme en a témoigné le programme à la fois dense et éclectique de la matinée, qui a permis d’aborder successivement les conséquences de la loi de finances sur le patrimoine, l’ouverture de la profession d’expert-comptable au démarchage, mais aussi les spécificités de l’acte d’avocat et les mutations de l’expertise privée. L’après-midi a laissé place à deux tables rondes d’une actualité brûlante. La première sur l’avenir du Conseil en gestion de patrimoine, dans le cadre du rapport de Louis Giscard d’Estaing et, plus récemment, du projet de révision de la directive MIF 2 ouvert à consultation par la Commission européenne le 20 octobre dernier. Les débats ont permis de faire le point sur le modèle de développement du Conseil en gestion de patrimoine et les sujets encore en discussion, notamment les conditions du maintien du statut dérogatoire du Conseil en gestion de patrimoine. Le débat, entre Louis Giscard d’Estaing, vice-président de l’Assemblée Nationale et de la Commission des finances,

David Charlet, président de l’ANACOFI, Patrice Ponmaret, président de la Chambre des indépendants du patrimoine, Gilles-Guy de Salins de l'ANCDGP, Silvestre Tandeau de Marsac, avocat et vice-président de la CCEF a été vif et animé, à l’image de ceux qui ont suivi la présentation, par le député, de son rapport en juillet dernier au ministre des Finances. Ainsi en a-t-il aussi été de la deuxième table ronde, autour des conséquences de la crise actuelle sur les difficultés à évaluer et à vendre les entreprises au juste prix et, pour les acheteurs, à se financer. Après une introduction remarquée du commissaire européen au Marché intérieur et services Michel Barnier, Jacques Potdevin, membre du Board de l’IFAC et président d’honneur de la CNCC, a animé les échanges entre Jean-Pierre Audy, député européen représentant français des citoyens de l’Union Européenne, Jean-François Pansard, expert-comptable, président de la Commission évaluation et transmission de la CCEF, Gérard Rameix, médiateur du Crédit aux entreprises, Jérôme Sicot, président d’Interfimo et Michaël Fridich, de la direction du marché intérieur et des services à la Commission européenne. Cette table ronde a été l’occasion de faire un point sur la problématique de la transmission d'entreprises dans le contexte de la crise actuelle, en ce qui concerne les méthodes d’évaluation appropriées, mais aussi les perspectives en matière de crédit bancaire, ainsi que les conséquences actuelles et à venir sur la transmission d'entreprises. Jacques Potdevin a ainsi conclu en proposant que la CCEF réfléchisse à la manière de titriser des obligations au profit du Middle Market. Agnès Bricard a clôturé cette journée en remerciant tous les participants qui ont œuvré à la réussite de cette convention et en saluant Jean-Philippe Bohringer, président sortant de la CCEF et Janin Audas, son successeur. 2011-693

PASSATION DE POUVOIR

anin Audas, expert-comptable et commissaire aux comptes, a succédé le 1er décembre 2011 à Jean-Philippe Bohringer à la présidence de la Compagnie des conseils et experts financiers, association interprofessionnelle de conseils, créée en 1992 par René Ricol, pour regrouper les professionnels du conseil aux entreprises et aux particuliers que sont les avocats, les notaires, les expertscomptables, les conseils en

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gestion de patrimoine et tous les autres professionnels, experts libéraux indépendants, traitant des questions financières, économiques et juridiques. Janin Audas est actuellement membre du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et du Conseil régional de Paris Ile-de-France. Janin Audas a effectué toute sa carrière professionnelle au sein du Groupe EUREX, cabinet d’expertise comptable, de

conseil et d’audit, dont il fut le président opérationnel jusqu’en 2002 et président d’EUREX Associés, holding de contrôle du Groupe, jusqu’en juin 2011. En septembre 2011, il crée un nouveau cabinet, « 01 Audit assistance », qui a pour vocation d’assister les cabinets d’audit et de commissariat aux comptes, notamment en matière de maîtrise de la qualité et de déontologie sous le nom de « CQFD.AUDIT ».

Jean-Philippe Bohringer

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Janin Audas

Photos © Jean-René Tancrède

Janin Audas, nouveau président de la CCEF


LES ANNONCES DE LA SEINE Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Supplément au numéro 72 du jeudi 22 décembre 2011 - 92e année

Conférence du Stage de l’Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation Paris - 13 décembre 2011 Laurent Goldman, Isabelle Zribi, Ingrid Loran, Didier Le Prado, Raphaël Dokhan Secrétaires de la Conférence 2010/2011

e 13 décembre, lors de la séance solennelle de Rentrée de la Conférence du Stage des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, le Premier secrétaire Raphaël Dokhan, a choisi de consacrer le discours d’usage à Jacques Henry Simon, rendant ainsi hommage à la mémoire de cette grande figure de l’Ordre qui continue de « rest[er] clandestin jusque dans la gloire ».

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Raphaël Dokhan a ainsi retracé avec talent le destin de cet homme engagé qui fut « l’Avocat aux Conseils des “gueules cassées”, l’avocat de la veuve et de l’orphelin de guerre » au sortir de la première guerre mondiale, avant de s’illustrer dans la résistance. Membre du Conseil National de Résistance et du Comité directeur de l’Organisation Civile et Militaire», il fut arrêté par la Gestapo à l’aube de ses 35 ans et disparu officiellement le 18 juin 1944. Jean-René Tancrède

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Rentrée solennelle

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Raphaël Dokhan

Eloge de Jacques Henry Simon par Raphaël Dokhan* vocats au Conseil d’Etat et la Cour de cassation morts pour la France ! 1939-1945 ! Jacques

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Henry Simon ! 1946-2011 Depuis 1946, chaque année la famille de la Conférence, a appelé Jacques Henry Simon. Simon. Ce nom séquestré entre deux dates, n’a jamais été un assemblage de phonèmes alignés, Mais au fil des rentrées solennelles, ce mort, parmi les nôtres, a semblé devenir un mot parmi les autres. Une invocation devenue évocation. Un appel…qui sonnait dans le vide. On avait beau insister, depuis 65 ans, Chaque année, au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ça ne répondait pas. Jacques Henry Simon semblait définitivement… absent. Disparu en 1944, Jacques Henry Simon répondait Absent à Fresnes où il fut déclaré décédé mais où son corps ne fut jamais retrouvé, Absent au Mont Valérien où son nom ne figure pas parmi les listes d’exécutés… Absent des listes d’exécutés d’Arras… Absent des listes de déportés… Absent à Senlis, à Bruxelles, en Allemagne où

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des prisonniers de son groupe ont été transférés Et aujourd’hui ? Jacques Henry Simon paraît avoir disparu de partout ailleurs. Car la mémoire manque de mémoire et s’amourache de ces symboles qui, en étanchant les consciences, frustrent la réalité, Et l’Histoire, comme un Moloch, plus humain que démoniaque, engloutit ses enfants et ceux qui l’ont enfantée. Pourtant, la France n’oublie pas tous ses héros. Chaque nuit, De Gaulle, général des Ombres, descend de son étoile pour être exposé sur la façade du Grand Palais. Jean Moulin, est désormais entré ici et partout ailleurs. Gabriel Péri, d’Estienne d’Orves, Henri Frenay, à la plupart d’entre eux, on leur a fait, au moins, une petite place… Mais Jacques Henry Simon, continue, lui, de «rester clandestin jusque dans la gloire (1)». Et la «Place Jacques Henry Simon», condamnée à rester une station du métro-fantôme, un lieu de rendez-vous pour amoureux imaginaires. Oui, les rues de Paris, depuis longtemps repues des libertés qui les traversent, ont, elles aussi, oublié de lui dire merci. Certes, une plaque commémorative le mentionne au 21, Boulevard de Beauséjour où il vécut. Mais le trottoir étroit, une grille et la végétation en font un inconfortable et périlleux lieu de recueillement, Et quand passants trop vite passés, nous passons devant ces plaques qui en blanc portent le deuil de ceux qui se sont élevés en tombant, c’est pour offrir une pensée, une petite pensée, si vite recouverte par le flot amnésiant du cours

des choses. Un auteur de ce temps s’attristait d’avoir perdu de vue un de ses amis d’enfance, il se demandait si cet ami était «parti tout entier» s’il était «entré corps et âme dans les histoires qu’on raconte(2)». Jacques Henry Simon, serait-il parti tout entier, serait-il entré corps et âme, dans les histoires…qu’on ne raconte pas ? Son histoire, comme toutes les autres, a commencé bien avant lui. L’histoire de Jacques, c’est d’abord l’histoire d’une famille. De son grand-père, Antonin Simon, qui quitta la Bourgogne pour s’établir au milieu du XIXème siècle dans le Tarn, à Labruguière, petite ville ronde et rose, blottie au pied de la montagne Noire, dans la province de Castres et de Mazamet, au pays des Albigeois et de Jaurès. Son père Henry Simon, un industriel du Tarn, qui fabrique des tarbouches, des chéchias et des bérets. Henry Simon, homme politique, Républicain de tradition catholique mais anticlérical, a des idées : «très troisième République», Des lunettes rondes et une petite barbe : «très troisième République». Sa mère est une parisienne du boulevard des Italiens. Cette grande blonde rigoureuse à la grande générosité est profondément catholique et dévouée à la figure de la Vierge. Pour elle la Madone, c’est la main tendue et protectrice peinte par Antonello de Messine. Mère dévouée à Marie, père épris de Marianne, père provincial, mère parisienne, ce 29 septembre 1909, à 7 heures du soir, dans la commune de Labruguière, naît un petit échantillon de France.

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Rentrée solennelle Dans cette foule virile, en tout et pour tout, deux femmes. La Présidente américaine et la mère de Jacques. Clemenceau a demandé à la mère de Jacques de venir faire la conversation à Madame Wilson. Madame Simon a dû ce jour délaisser le Goncourt de l’année, signé par son auteur préféré, un certain «Marcel Proust». Par son anglais parfait, ses manières d’ambassadrice, elle fait face à cette descendante de la princesse amérindienne Pocahontas, Madame Woodrow Wilson qu’on surnomme déjà la «première femme Président des Etats-Unis». La mère de Jacques assiste aussi au spectacle, dans cette galerie des Glaces, comme elle le confiera plus tard à ces petits-enfants, de négociateurs «allemands blêmes». Elle ne sait pas encore que, dans ces conciliabules de grands hommes, se joue déjà l’avenir de son petit garçon. De son petit garçon qui, le 14 juillet 1919, assiste depuis l’hôtel de la Marine au défilé de la victoire.

Le 2 décembre 1926, Jacques a à peine 17 ans. Son père qu’on pressentait pour le Perchoir, s’effondre au Palais Bourbon, en pleine séance, terrassé par une crise cardiaque. La mère de Jacques, qui du jour au lendemain a perdu l’homme de toute sa vie, va rester pendant 10 jours cloîtrée dans sa chambre à Beauséjour, elle aussi, c’est le cœur… Avec son aînée d’un an Berthe, Jacques, 17 ans, doit s’occuper de tout : organiser les obsèques, répondre aux sollicitations du téléphone… A vrai dire, ces appels du téléphone n’occuperont pas Jacques bien longtemps… La mère de Jacques le répètera longtemps après : «Du jour au lendemain, il a cessé de sonner»… Alors partout les plumes rayent le nom «Simon» de toutes les listes d’invités. Orphelin de père, Jacques ne s’effondre pas. De cette Apocalypse, Jacques fait une deuxième Genèse. Et il accolera le prénom de son père. Son nom ne sera plus Jacques mais Jacques Henry. Jacques va poursuivre l’action politique de son père, Celle que ne lui a pas permis de mener sa courte vie, Comme s’il était parti la rattraper, pour prolonger cette vie au-delà de la vie. A 17 ans, Jacques est féru de philosophie mais s’inscrit en Droit à la Faculté de Paris. Devant les cours de René Demogue, de Henri Capitant, Jacques partage les bancs de ses amis Georges Debray, et Janine Alexandre-Debray. Des amis que, quand l’été arrive, avec ses amis Morax et Canoni, il emmène de la montagne

Ce même jour où, au Salon d’Automne à Paris, on célèbre Maillol et Bourdelle dans cette époque qui avait encore le droit de se dire belle. Dès l’âge de 6 mois, Jacques monte à Paris. Pour Jacques, ses parents ont tout préparé : le couffin, le berceau, le parc. Mais Jacques n’est pas venu les petites mains vides. Pour son père, Jacques a apporté un siège de député. Jacques s’installe dans l’appartement parisien, au 6ème étage, escalier A, du 21, boulevard de Beauséjour. Là où ses parents s’étaient dit qu’ici ils seraient bien, avec Jacques et Berthe, sa grande sœur, Que face aux frondaisons du bois de Boulogne, dans ce Paris champêtre de l’ancien village d’Auteuil, ce serait un bel endroit pour le bonheur des Simon. Si vous voulez une idée de la décoration de l’appartement des Simon… retournez donc au Musée d’Orsay ! Vous y verrez la «Rixe sur le chantier» de Rouault qui y était exposé. Des Redon, des Marquet… tous ces peintres étaient exposés à Beauséjour. Et tous ces peintres venaient à Beauséjour pour retrouver leur ami Henry Simon, le père de Jacques. Jacques grandit avec ce père intellectuel, passionné d’art et de littérature qui passe pour un original dans les couloirs du Palais Bourbon. Ses collègues moquent ses goûts d’avant-garde et ses deux Van Dongen qui ornent son bureau. Sa mère, pour le monde c’est Adrienne Simon. Pour la gouvernante allemande de Jacques, c’est «Muter». Pour le tout petit Jacques, qui a vite fait de croiser la langue allemande à l’esperanto des chaises d’enfant, ce sera «Mouta». Cette grande lectrice qui exige le silence complet à table n’a de cesse de répéter au petit Jacques, comme d’une soupe pour l’âme, «Prends un livre !» Jacques ? c’est encore ce garçon au visage rond et gracieux que l’on voit poser sur un tableau dans le salon de Beauséjour avec sa tenue dentelée et son col Claudine.

Jacques Henry Simon paraît avoir disparu de partout ailleurs. Car la mémoire manque de mémoire et s’amourache de ces symboles qui, en étanchant les consciences, frustrent la Raphaël Dokhan réalité.

1914-1918 : Jacques met en scène la seule véritable guerre propre : celles des soldats de plombs qui, à la nuit tombée, regagnent leur réserve de verre, pour veiller sur ses rêves de petit garçon. Très tôt, Jacques goûte aux délices de la vie culturelle et mondaine, de la vie parisienne. En matinée, représentation en loge au théâtre… des marionnettes du jardin du Ranelagh. Et en fin d’après-midi, goûters organisés au Palais Bourbon pour les enfants de députés. Jacques ne néglige pas pour autant sa condition physique : patins à roulettes dans le jardin du Ranelagh mais surtout de longues marches dans Paris auxquelles sa mère soumet Jacques pour renforcer cet enfant plutôt fragile. Accoudé sur le parapet du balcon de Beauséjour, les mains dans les poches, la mèche goguenarde, les yeux circonspects, culottes courtes, bottes montantes, Jacques a dix ans. Son père, à nouveau père d’un petit Claude, a depuis peu été nommé ministre de Georges Clemenceau. Non pas à la tête d’un «ministère de la Culture» comme le regrette son ami Guillaume Apollinaire, mais au portefeuille des Colonies(3). Bientôt, dans la galerie des Glaces, on signe le traité de Versailles.

1er prix de calcul ! de Sciences ! d’Histoire et Géographie. Son sens politique est aussi déjà très affirmé : Jacques emporte le prix de bonne camaraderie à l’écrasante majorité des élèves du CM2 A. Et, enfin, ce qui aura aussi quelques incidences plus tard, Jacques décroche le 1er prix d’honneur et… le premier prix de morale… Plus tard, à Janson, Monsieur Vacquant, son professeur de Mathématiques, relève une «aptitude au-dessus de la moyenne». «Excellent» en composition française, son professeur de Sciences physiques note que Jacques «aime à creuser une question». Monsieur Maury son professeur d’Anglais lui reproche de se «fier un peu trop à sa facilité». Quant à ce Professeur qui prétend lui enseigner l’Histoire, sans doute Jacques fera-t-il bien de ne pas suivre son conseil : «Intelligence vive qui gagnerait beaucoup à être disciplinée»… Sitôt ses baccalauréats obtenus, Jacques n’aura pas longtemps la joie de les fêter.

29 juillet 1919. Ce n’est pas le directeur de Cabinet de Clemenceau qui écrit à la mère de Jacques, c’est le directeur de l’Ecole communale de Jacques qui l’invite à la remise des prix de son fils sur l’esplanade du Trocadéro : «Madame, j’ai le plaisir de vous annoncer que grâce à son travail, à son mérite et à l’affection de ses camarades Jacques a obtenu les prix suivants». Une remise de prix ? Non. Un triomphe romain.

Sainte-Geneviève à la montagne Noire qui domine la vallée du Thoré et sa maison du Tarn qui mérite bien son nom : Le Parc. Jacques, amoureux des idées, est un jeune homme qui arbitre ce qu’il appelle : «les pacifiques dialogues juridiques auxquels ont coutume de se livrer les différents lobes de mon cerveau quand je les laisse divaguer en toute liberté (4)». Mais Jacques ne veut pas laisser ses idées souffler en haut de la rue Soufflot, voir ses idées entrer au Panthéon des théories juridiques. Il veut leur donner des pieds, des mains, une bouche : les siens. Dans ses yeux, repose ce silence rêveur des penseurs. Et dans son regard, couve l’énergie des faiseurs… Jacques, c’est un être «contemplactif». A 20 ans et 1 mois, Jacques prête donc serment d’avocat. Alors, tous les matins, Jacques quitte son 16ème pour un quartier encore aujourd'hui, il est vrai, peu prisé par les cabinets d’avocats aux Conseils : la butte Montmartre.

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Rentrée solennelle Dans ce Montmartre du début des années 30, où les Poulbot jouent dans les rues, le Montmartre de Mistinguett, qui n’était déjà plus une danseuse, celui d’Utrillo, qui était déjà un grand peintre, celui de Céline, qui n’était encore qu’un grand écrivain. Ce n’est pas l’atelier de Braque que Jacques rejoint tous les matins. C’est l’atelier d’Edmond Coutard, qui avec sa barbe à la Rodin, et son accent sarthois, dans ce grand bureau où trône le Port de Marseille de Kisling, lui apprend comment, au burin du temps, on sculpte les moyens de cassation. Des clients, Jacques ne voit encore que les feuilles volantes des dossiers. Mais pour ce jeune collaborateur, jamais les arrêts qui les condamnent, les pourvois qui les font espérer et les mémoires qui les défendent n’en font des justiciables de papier. Après une pause de deux ans, pour s’occuper de l’entreprise familiale, Jacques, bien vite, revient aux affaires, à son affaire : devenir avocat aux Conseils. Alors Jacques participe à notre Conférence. Avant la clôture des séances de Conférence, hier comme aujourd’hui, les candidats donnent leur avis sur la question posée. Jacques, quoique d’un tempérament réservé, n’est pas de ceux qui, assis au fond de la bibliothèque de l’Ordre se contentent de répondre par oui ou par non. Jacques motive toujours ses choix. Brièvement. Nettement. Et avec humour. Car Jacques, sous ses dehors sévères, aime à cultiver cet air désinvolte, cet humour ravageur. Un humour en toute chose qui n’est jamais l’énergie du désespoir, celle des sourires

d’admission et la promesse d’une belle carrière. Alors Jacques s’installe au 44, quai de Passy, quand le quai de Passy était loin de recevoir le nom du plus jeune Président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy. Mais le quai de Passy est déjà l’avenue du plus jeune avocat aux Conseils. Celle de Jacques Henry Simon qui, à 25 ans à peine, signe déjà ses mémoires. Alors, tous les matins, par la rue des Vignes et l’avenue de Lamballe, Jacques rejoint son cabinet pour travailler ses dossiers, seul avec l’aide d’une secrétaire. Petite, la charge n’en est pas moins lourde. Jacques surprend ses amis. Lui qu’on voyait comme un garçon brillant, dont l’esprit naturellement délié n’inclinait pas à l’effort, se met à passer des nuits à faire et à refaire des mémoires. A travers son regard qui élève tout, aucune question, aucune affaire n’est petite. Jacques va vite devenir l’avocat aux Conseils des mutilés de 14-18. Au 44, quai de Passy c’est alors le défilé d’anciens combattants. Jacques devient l’avocat aux Conseils des «gueules cassées», l’avocat de la veuve et de l’orphelin de guerre. Et à 28 ans, lorsqu’il brigue avec succès un mandat de conseiller d’arrondissement il signe fièrement sa profession de foi de sa profession de cœur : «Jacques Simon, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation». Bien vite les affaires reprennent. Pas les siennes, qui ne font pas de son cabinet le plus grand pourvoyeur de pourvois.

Mais pour Jacques, qu’importe ! Pour lui qui avait souligné dans un de ses livres qu’on juge une personne sur ce qu’elle fait et non sur ce qu’elle dit, pour lui qui écrira au général de Gaulle : «l’estime que l’on porte à un homme dépend de son caractère et Raphaël Dokhan non de ses idées.

entendus, la «griserie du dégrisement», un nihilisme à visage jovial. Non, pour lui c’est un adjuvant de l’essentiel. Et Jacques, qui décidément ne perd jamais une élection, un an avant Rivero, deux ans avant Vedel, ses compatriotes du Sud-Ouest, est désigné secrétaire de la Conférence, 4ème secrétaire, juste après qu’on eut désigné CopperRoyer, Roques et Rebeyrol. Mais Jacques n’assistera pas aux réunions préparatoires(5) entre secrétaires qu’organise Rebeyrol avec la nouvelle promotion à la bibliothèque et aux séances de Conférence qui s’ensuivent. Car dans la même année, stage achevé, thèse soutenue, Jacques intègre l’Ordre des avocats aux Conseils. Dans un vieux volumineux livre noir, on lit le compte-rendu manuscrit de délibérations de 1934, on y découvre le nom de son prédécesseur, Eugène Baliman, la confirmation qu’il remplit bien toutes les conditions

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Mais les grandes affaires, les affaires du monde, celles qu’on avait cru enterrer en 1919 et dont les ardeurs mortifères trépignent. Jacques profite de ces derniers instants dans sa loge de l’Opéra où il réunit ses amis devant la dernière représentation d’Aïda. C’est ce Jacques qu’on voit à Labruguière dans un film muet parlant, sur ce noir et blanc plein de couleurs, tourner la manivelle du filet de tennis comme d’un moulin à vent, faire mine de prendre des airs importants face à la caméra, comme pour signifier que le seul regard porté sur lui qui compte vraiment, c’est le sien. 1939, Jacques est mobilisé et part ; le chrysanthème au fusil. A Paris, Jacques fait ses adieux à sa gouvernante qui rentre en Allemagne. Il est déjà cet homme avec ses petites lunettes rondes et ce regard un peu dur dont vous pouvez voir la photo dans la bibliothèque de l’Ordre. Mais au moment de partir, d’être mobilisé, le col Claudine n’est pas loin.

Ce 2 septembre 1939, il écrit à sa mère et évoque sa sœur : «En quittant Berthe à la gare, j’ai vraiment cru que j’allais flancher et que je ne pourrais pas m’arracher de ses bras. J’ai eu raison de ne pas vouloir que vous m’accompagniez. Je n’aurais pas eu la force de résister». Mobilisé dans les Alpes, Jacques s’enfonce dans ce temps de guerre, qui est un temps de gare, un temps, où on attend. Dans sa correspondance avec sa mère, il évoque ses «coups de cafard», prend des nouvelles du petit frère Claude, qui a perdu son bras dans un accident industriel, demande à ce qu’on lui envoie une anthologie de poèmes lyriques… Ses soucis de justice sociale toujours présents, il se préoccupe, dans les lettres à sa famille, des pauvres de Labruguière. Cité à l’ordre de la Nation, Jacques est décrit comme un «jeune officier énergique et courageux qui n’a pas hésité à affronter le feu de l’ennemi pour remplir la mission qui lui était confiée». «Que les hommes sont stupides», confie-t-il alors à sa sœur «ils prennent pour de l’héroïsme ce qui n’est que le devoir». Juin 1940, l’armée française qu’on disait la plus forte d’Europe… est balayée. 17 juin 1940 : un Maréchal de France parle à la France : «C’e st le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat». 17 juin 1940 : un lieutenant d’infanterie écrit à sa mère : «Chère Maman, Jusqu’au dernier moment j’ai espéré la lutte jusqu’au bout. Maintenant c’e st fini. Mais(6) je ne perds pas courage. Je suis sûr que nous aurons bientôt notre revanche. Il faut nous y préparer avec courage et résolution. S’il le faut et si je le peux, j’irai peut-être me battre en Angleterre. Courage et confiance dans la France. Si je pleure, je ne désespère pas(7). Je t’embrasse plus tendrement que jamais. Jacques» Et le 18 juin 1940, Jacques écrit «Chère Maman (…) Ne parlons pas de la catastrophe ! Un jour verra notre revanche. En attendant songeons à reconstruire ! Je ne sais ce que nous allons devenir. J’ai espérance qu’un certain nombre d’entre nous pourront passer en Algérie et de là en Angleterre pour combattre à nouveau». Jacques n’ira cependant pas immédiatement en Angleterre. Il revient d’abord dans le Tarn. Puis, en novembre 1940, retourne dans cette zone nord… où il fait… plus froid. Dans ce Paris qui, Fluctuat et Mergitur, bat pavillon Nazi. Jacques revient au boulevard de Beauséjour. Boulevard qui comporte une particularité à Paris. Face au «petit train» et au bois, il ne comporte pas de numéros pairs. Comme son grand immeuble solitaire, Jacques alors vit seul : une vie sans vis-à-vis. Et à la fenêtre de son appartement, la vieille dame de fer fait grise mine. Sur ses 10 mille tonnes de ferraille, Jacques ne voit que ces quelques centimètres carrés de tissu qui dansent entre le deuxième et le troisième étage. Ce grand appartement avec vue sur Tour Eiffel est devenu un appartement avec vue…sur croix gammée. Du côté du 21, boulevard de Beauséjour, derrière les façades, le voisinage change de visages.

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Rentrée solennelle dépend de son caractère et non de ses idées(12)» Dans un appartement de la Rue Méchain, on se réunit avec ces intellectuels de la bourgeoisie parisienne : Maxime Blocq-Mascart : l’économiste Jacques Arthuys : l’industriel Le Colonel Touny : l’ancien major de Saint-Cyr. Avec Jacques Henry Simon, l’OCM a trouvé son avocat. Un avocat aux Conseils qui sait que les écrits sont présumés coupables, qui sait qu’on ne s’arrête pas à un arrêt. Que ce qui est imprimé ne doit jamais faire impression, Que Vichy ne fait pas la loi, qu’il fait sa loi Lui qui a soutenu une thèse intitulée «Essai de quelques idées sur la notion de légalité particulièrement au droit positif français». Lui qui manie cette distinction si chère à sa profession. Qui sait que si pour beaucoup, Vichy édicte du droit… pour lui… c’est du fait. Et Jacques ne veut plus rester dans cette catégorie décrite par Jankélévitch des hommes qui se contentent de conjuguer le verbe s’engager(13). Maître Simon s’engage, continue d’attaquer, se maintient… quand il y a tant de désistements. Et comme il le faisait à la Conférence, Jacques motive, rapidement, et finit… par voter «non». Et il entraîne avec lui Jacques Rebeyrol(14), son ami, et fait de son frère de Conférence un frère de résistance. A l’OCM, Jacques s’engage dans des missions civiles et commence alors une activité de renseignement. Jacques collecte des informations qu’il fait parvenir à la France libre par le réseau de la Confrérie Notre Dame. Il le fait dans son appartement de Beauséjour. Dans cette tâche, il est aidé chaque matin par Vera Makarov, qui avait fui sa Russie natale pour devenir mannequin pour grands couturiers, Vera Makarov qui devint ensuite la Princesse Obolenski, pour enfin devenir Vicky(15) et accéder à la noblesse du courage en devenant, dans la Résistance, la secrétaire de Jacques Henry Simon. Jacques, bien vite, décide de partir pour Londres, sans associé resté à Paris pour s’occuper de sa clientèle. Alors, comme Léon Labbé administra la charge de François Lyon- Caen, comme André Mayer administra la charge d’André David et celle de Feldman, comme Maurice Hersant rédigea les mémoires de Pierre Lévy-Falco(16), René de Lavergne, qui aimait à dire qu’un «dossier ne vaudra jamais l’amitié d’un confrère(17)», de la même manière qu’il écrivait des poèmes sous le feu de la Crète des Eparges(18) en 1914, rédige les mémoires de Jacques. Pour Jacques, il n’est pas facile d’avoir un avion. On lui préfère Fernand Grenier pour une autre mission. Et Jacques ne peut repartir facilement. Il doit attendre la nouvelle lune seule condition viable de vol pour ces avions qui, tous feux éteints, quittent le brouillard parisien pour le soleil londonien. Jacques finit par arriver à Londres en mars 1943 depuis un bateau pris en Bretagne pour rencontrer les hommes de la France libre. Ambassadeur de l’Organisation civile et militaire, il vient établir un contact entre le Bureau civil de renseignement et d’action, le

Ingrid Loran

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Dans le jardin du Ranelagh, la statue de Jean de la Fontaine est fondue pour aider à l’effort de guerre allemand. Jacques ne croisera plus Henri Bergson qui vient de mourir au 47 du Boulevard, Mais de l’autre côté du jardin dans l’hôtel particulier du 24 boulevard Raphaël, à 5 minutes, à 500 mètres, c’est le Général Von Schaumburg, bientôt commandant du GrandParis, qui prend ses quartiers(8). Et ce ne sont pas des promenades dans Paris qui permettront à Jacques de se changer les idées, de lui rappeler sa jeunesse. Son quartier d’étudiant… n’est plus ce qu’il était. A l’angle du boulevard Saint-Michel et de la place de la Sorbonne, face au lycée Saint-Louis, ce n’est pas une nouvelle antenne de la librairie Gibert que Jacques voit s’ouvrir. Il ne voit pas davantage cette boutique que les Sorbonnards croisent aujourd’hui, cette boutique de prêt-àporter américain. Non ! c’est une librairie de prêt-à-penser nazi, la sinistre Librairie Rive Gauche que les Parisiens appellent déjà la librairie de la Rive Gauche du Rhin. Jacques continue sa promenade dans Paris… A la fin du boulevard Saint-Germain, Jacques s’aperçoit que le Palais Bourbon a revu toute sa décoration. Les deux Van Dongen du bureau de Papa ont disparu depuis longtemps. Mais dans l’hémicycle, les oriflammes nazis s’étendent sur les oripeaux du parlementarisme. La Chambre, qui n’a jamais été aussi basse, prend des airs d’assemblée…«nationale socialiste». Devant la façade, les statues d’Athéna et de Thémis se voient assigner une bien triste tâche : monter la garde de cette banderole lisible depuis la rue Royale, qui se déploie sur toutes les colonnes : «Deutchland siegt an allen Fronten». «L’Allemagne triomphe sur tous les fronts». Et si pour Bertolt Brecht, une provocation est «une façon de remettre la réalité sur ses pieds», pour ses ennemis nazis aussi. Car, l’Allemagne triomphe… sur tous les fronts. Roosevelt reste neutre et fait de son pays la plus grande Suisse du monde. Quant à Staline, c’est encore le loyal cocontractant du pacte qui le lie à Hitler. En février 1941, le débarquement ?...c’est le «jour le plus loin». Et au bout du quai d’Orsay, si après le pont de l’Alma, on vient de baptiser le quai Branly, la Résistance, entre l’avenue Bosquet et l’avenue Rapp, n’a pas encore de place à son nom. Car la Résistance n’a pas sa place et d’ailleurs n’a même pas encore de nom. Il s’agit encore dans la bouche de ceux qui ne peuvent plus se contenter de parler(9), de «faire quelque chose». … «Faire quelque chose»… Ce «quelque chose», qui est tout, Jacques va le faire à l’Organisation civile et militaire(10) (OCM). Ce mouvement est alors un petit mouvement. Certains des responsables de cette organisation, qu’il reste à organiser, ont des idées pour le moins très à droite à l’opposé des idées de gauche de Jacques. Mais pour Jacques, qu’importe ! Pour lui qui avait souligné dans un de ses livres qu’on juge une personne sur ce qu’elle fait et non sur ce qu’elle dit(11), pour lui qui écrira au général de Gaulle : «l’estime que l’on porte à un homme

fameux BCRA, c’est-à-dire les services secrets de la France Libre et le réseau de son Organisation en train d’être constitué. Pendant ce temps, De Gaulle, isolé, doit faire face au général Giraud qui a la faveur de Roosevelt. Le général de Gaulle doit gagner ses galons de général de France. De Gaulle un général, doit devenir le Général. Pour conjurer cette image d’apprenti dictateur aux yeux des alliés, de Gaulle doit pouvoir affirmer que derrière lui sont unis non seulement les mouvements de Résistance, mais également ceux des partis politiques et des syndicats qui ont rejoint l’armée des ombres. Indispensable, pour de Gaulle. Impensable ! pour Simon… qui participe aux débats qui précèdent la formation du Conseil National de la Résistance. Les partis politiques sont pour lui responsables du désastre de 1940 et ceux qui ont voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain(19). Pour Simon, les partis politiques n’ont donc pas leur place au Conseil National de la Résistance. A Londres, Jacques va alors défendre les idées qu’il avait portées avec son mouvement dans les Cahiers de l’OCM. Les Cahiers de l’OCM, ces fascicules 12,5 x 17(20) de plus de 300 pages, tirés à 3 000 exemplaires(21), fruits de ces tempêtes sous crânes en plein cyclone qui ont fait de son mouvement de résistance un véritable mouvement de pensée. Une pensée notamment constitutionnelle qui, 30 ans avant la décision Liberté d’Association, 70 ans avant l’instauration de la Question Prioritaire de Constitutionnalité formule que «si certains articles de la Déclaration de 1789 sont des constatations de principes dictés par la logique, le bon sens, la justice ou l’e xpérience», «d’autres sont des affirmations à réaliser(22)». «Ces grands mots qui inspiraient la Constitution, poursuit ce texte : liberté, égalité, fraternité, si beaux qu’ils soient dans leur concision, demandent à être précisés dans des conditions que seul l’e xercice de ce qu’ils représentent fait apparaître». On y défend l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, un «régime présidentiel tempéré(23)», un exécutif monocéphale avec droit de dissolution au

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Rentrée solennelle Président de la République mais qui ne serait pas responsable devant la Chambre. Et la création d’une Cour constitutionnelle(24). Un projet que les constitutionnalistes d’aujourd’hui reconnaissent comme «un des textes les plus originaux et les plus intéressants écrits alors, notamment dans sa tentative de concilier les mécanismes du régime présidentiel et ceux du régime parlementaire(25)». Simon est un Résistant mais aussi un Révolutionnaire et avec ses compagnons il affirme qu’«une révolution française n’aura pas à modifier une Constitution. Elle aura à en promulguer une(26)». A Londres, au début du printemps 1943, en présence de Bingen, de Tony Mella et de Sereulles, Simon rencontre Moulin. Simon refuse «d’apporter sa collaboration au Comité National Français et la limitera à l’action paramilitaire(27)». Il propose aussi un Constitution… octroyée. Il faut selon lui promulguer au plus vite une Constitution. Moulin objecte : «une telle décision serait certainement mal interprétée et suspecte d’esprit… fasciste». Alors Jacques va montrer la grandeur, la vraie, celle des grands, des épris de vérité et de justice, la force de reculer pour mieux s’élever : c’est-àdire admettre. Simon répond à Moulin: «le principe de la création d’un Conseil de la Résistance groupant tous les représentants des partis politiques et les mouvements de résistance peut être admis par l’OCM(28)». Jacques rentre à Paris. Le 27 mai 1943, rue du Four, Jacques représente au Conseil National de Résistance(29) ce qui n’est plus les quelque habitués de la rue Méchain mais est devenu un mouvement de 65 000 hommes et femmes, le plus important mouvement de résistance de zone nord Jacques retourne à Beauséjour où est désormais son cabinet. Jacques, toujours professionnel libéral, n’est toujours pas un libérateur professionnel. Sans aucune formation d’agent secret, Jacques doit faire face à ce droit néo-barbare qui réhabilite la Responsabilité collective, qui livre une guerre sans foi ni loi aux Résistants. Il a appris à remonter les rues dans le sens inverse des voitures comme le font les Résistants pour éviter de se faire enlever par l’une d’elles mais il ne change pas sa paire de lunettes et, en hiver, ne quitte jamais ce manteau de fourrure qui le rend si tragiquement célèbre du côté de la Rue des Saussaies(30). Fin mai 1943, la Gestapo arrête un de ses adjoints. Elle le fouille et trouve cette lettre trop bavarde : «Jacques Henry Simon, 21 boulevard de Beauséjour». Sans attendre, les hommes de la Gestapo se précipitent à l’appartement. Aujourd’hui ce n’est pas du passage du petit train dont les murs tremblent. Non, c’est le bruit de fauves en cage d’escalier qui grimpent au 6ème étage. Ils entrent dans l’appartement et trouvent la mère de Jacques venue rendre visite à son fils. Ils veulent une photo. Partout, ces hommes foulent au pied les arrêts, les pourvois, les courriers des clients. Sa mère se réfugie dans la petite salle d’eau, à

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cinq mètres de l’entrée : dans sa main la photo de son fils, elle la déchire… et elle l’avale. Elle sera incarcérée une semaine à Fresnes. Et pendant ce temps, Jacques ? Il a été retardé : il a rencontré une ancienne secrétaire avec qui il évoque quelques souvenirs, le si bon vieux temps. La gardienne de l’immeuble quitte sa loge occupée pour le prévenir. Jacques remonte le boulevard à bicyclette, se poste au restaurant de la gare de la Muette au début du boulevard, il aura le temps de sauver ses compagnons de lutte héroïque qui venaient le rejoindre. Jacques quitte alors le boulevard de Beauséjour. Il va trouver refuge chez son ami et son confrère à la Cour d’appel Georges Debray. 31 mai 1943 : De Gaulle atterrit à Alger, nouvelle capitale de la France Combattante. Il est désormais fort du soutien de la Résistance qui ne se contente plus de se «mettre en rapport(31)» avec lui, mais qui s’est réunie(32) à lui. De Gaulle entend doter la France combattante d’un organe législatif : l’assemblée générale consultative. Jacques Henry Simon, notre homme de Paris, prend alors, lui aussi, le chemin de Notre-Dame d’Afrique. Et d’abord l’Espagne, passage périlleux mais passage obligé. En gare de Bayonne, un de ses confrères se trouve là. Son ancien patron Edmond Coutard, devenu entre temps président de l’Ordre, a envoyé ce confrère se réfugier en zone sud. Pierre Lévy-Falco fait semblant de ne pas reconnaître son confrère. Timidité ? Fatuité ? Non… Juste ce désir de ne pas le compromettre, la solidarité passive de deux confrères persécutés(33). Après un séjour forcé de six semaines au camp de concentration de Miranda, Jacques s’arrête à Casablanca. Il rend visite à sa tante Rose. Au moment de partir elle a ses mots «Que Dieu te protège !». Jacques refuse cette protection. Fidèle à ses idées, Jacques reste le libre-penseur qui écrivait dans la préface de sa thèse : «Ce besoin d’un absolu, c’est-à-dire d’une base fixe à partir de laquelle l’esprit puisse enchaîner logiquement tout l’univers est un des besoins les plus remarquables de la pensée et la raison pour laquelle probablement elle ne le trouvera jamais(34)». Il refuse donc sur son épaule la main providentielle, pour lui qui «n’y croyait pas(35)». Pour lui qui ne croit qu’en Son père… qui est aux Cieux. Simon parvient à Alger. Jacques, nommé membre de l’Assemblée consultative par le général De Gaulle assiste, un peu hébété, au spectacle des jeux de couloirs, des manœuvres, des Résistants de l’avant-dernière heure venus se faire une place au Soleil d’Alger. Jacques Henry Simon, lui, avait pris le nom de Sermoy. Et pour Jacques, aucune équivocité, dans Sermoy, le «Moi», l’auteur de l’injonction, c’est la France(36). Jacques continue néanmoins de défendre ses idées.

Dans son appartement londonien, il rédige deux rapports pour le Général de Gaulle. Il dénonce alors cette catégorie de personnes qu’il appelle «la sorte d’homme qui font de l’action secrète pour se faire connaître(37)». Jacques Henry Simon, toujours défenseur d’un régime présidentiel à la française lui écrit que : «L’ignominie de Vichy ne doit pas faire oublier les graves erreurs qui ont précisément permis l’instauration de Vichy(38)». Simon se fait également l’avocat des mouvements de Résistance de zone nord, dont il rappelle qu’elle est «la plus courageuse et la plus désintéressée(39)», mouvements qui doivent, à ses yeux, subir un meilleur sort que les mouvements de zone sud. Et à juste titre car si la zone libre n’a jamais été vraiment libre la zone occupée, elle était bel et bien occupée. Simon se fait à nouveau l’avocat des mouvements de Résistance face aux partis politiques. Pour Simon, écrit-il : «il ne suffit pas qu’un homme politique se soit déclaré contre les Allemands ou contre Vichy pour qu’il puisse de ce seul fait être considéré comme résistant. Il faut encore qu’il ait pris le risque d’une action personnelle et ne pas s’être contenté dans le silence d’un cabinet de rêver d’une constitution meilleure(40)». Les idées constitutionnelles de l’OCM vont encore une fois être soutenues par Simon : un Président élu au suffrage universel direct(41), un Président fort. Et celui-ci, jamais à court d’arguments d’écrire au général, à Londres, fin novembre 1943, dans un ultime baroud. De lui adresser ce conseil qui ne restera pas lettre morte : «Mon Général, (…) on ne vous voit pas, dans une présidence purement honorifique de la République(42)». En ce mois de décembre 1943, Jacques rentre à Paris et prend des nouvelles de sa famille toujours dans le Tarn. Un enfant est attendu chez son frère Claude. Jacques entend bien imposer ses vues à mère nature et à la future mère. Il a ses idées sur l’enfant à naître : A l’approche de la nouvelle année, Jacques écrit à sa propre mère, à Mouta : «J’espère que ce sera un garçon et qu’il s’appellera Antoine-Henry-Clément-Jacques-Claude. Ce sera mon filleul». Et d’ajouter : «Je sais que nous nous reverrons bientôt. Je serai près de toi pour mon 35ème anniversaire» Et d’ajouter entre parenthèses deux mots, avec cette nostalgie un peu arrogante de ceux qui viennent de «perdre le droit de se dire jeune(43)»… «hélas déjà !». Mais parce que la flamme de la résistance ne s’éteindra pas. Les 35 bougies de Jacques, non plus. Jacques vit désormais chez le docteur Richier, au 51 avenue Bugeaud. Ce chirurgien lui a donné la chambre de son fils parti à la campagne. Ce chirurgien plasticien est intervenu sur son visage, pour que ses prédateurs ne le reconnaissent pas… pratique sur lui de la chirurgie «pro-âge»… celle qui permet de vieillir. Leperq, Touny, Rouzée, Berthelot, Gallois, Rebeyrol, l’OCM perd ses têtes. Ce 5 avril 1944, Jacques se rend place de l’Opéra pour acheter une cravate pour le général de

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Rentrée solennelle Gaulle et des bijoux pour Madame de Gaulle. De loin, du haut du Palais Garnier, les bustes de Mozart et de Beethoven se réjouissent déjà du retour prochain de Jacques et du départ d’un grand amateur de Tannhäuser qui ne viendra plus traîner ses bottes(44). Mais c’est bien impuissants qu’ils assistent à la scène. La Gestapo arrête Maître Simon et le Docteur Richier. Un ami d’enfance, un Résistant à la fin mystérieuse, les a dénoncés. La main gantée s’est abattue Jacques, 34 ans, Encore en bonne santé, est un mourant. Jacques est alors emmené rue des Saussaies. Et dans le même temps ? Le goût simple de la vie, cette joie qu’on a construite à grands coups de malheurs, débarquent à Omaha Beach. Les «sanglots longs des violons» sont en mode majeur. Et déjà le village Parisien se met en habit de fêtes. Paris se prépare. L’avenue des Champs-Elysées a déjà ressorti sa robe, celle-là même que Jacques lui avait mise de côté, la plus belle, la «bleu-blanc-rouge». Mais Simon outragé, brisé, martyrisé… ne sera pas libéré. Dans l’avenue qui porte le nom du Maréchal Foch, la Gestapo l’interroge. La «baignoire», pour lui aussi. Jacques va alors assurer la défense de ses compagnons de Résistance. Il va leur offrir sa plus belle plaidoirie : il se tait. Puis(45) commence la traque de sa mère, de son frère, de sa sœur qui croient encore l’aimer alors que déjà, ils l’aimaient. Jacques Henry Simon meurt officiellement en 1944 au mois de juin, le 18(46). Le 18 juin 1940, une radio libre diffusait ce refrain : «La France n’est pas seule, elle n’est pas seule ! elle n’est pas seule» Ce 18 juin 1944, Simon est seul, il est seul, il est seul. Un groupement de quakers vient remettre à René de Lavergne un grand sac de toile de cachou, genre sac de marin, fermé avec des anneaux métalliques et une corde : lunettes cassées, pyjama bleu marine, linge de corps, écharpe, blague à tabac, les trois volumes de la vie de Talleyrand par Lacour-Gayet, un livre sur les grandes chasses et les photographies de ses neveux et nièces. Ses neveux et nièces qui l’ont accompagné jusqu’au bout, qui ont vu le jour au cœur de la nuit, qui, à interstices réguliers, ont amené le jour au cœur de sa nuit. Henry, Corinne, pas encore Elizabeth qui naîtra après, et une photo de celui qui vient de naître qu’on venait de lui remettre, le petit «AntoineHenry-Clément-Jacques-Claude»… finalement une petite Catherine. Pour Daniel Cordier, Jacques restera «le plus intelligent(47)» de l’Organisation civile et militaire. Pour Jean-Louis Crémieux-Brilhac, l’«un des chefs les plus remarquables(48)» et «évidemment promis à un grand avenir politique(49)». Pour la France : Croix de guerre, médaille de la Résistance avec rosette(50), Chevalier de la Légion d’Honneur. Et pour sa mère, «un enfant merveilleux dont le père avait exigé qu’il aille à l’école communale, afin qu’il connaisse mieux le sort des enfants

moins bien partagés que lui, où il avait appris le goût de la lecture, le français sans faute et la chaleur humaine(51)». …Décembre 2011… Dans la bibliothèque de son neveu à Labruguière repose un Jules Verne, Mathias Sandorf, avec ce cartonnage des éditions Hetzel, illustré par Léon Benett. Sur la page de garde, au crayon noir, l’écriture d’un garçon de 17 ans. Un poème intitulé «Tout recommence dans notre vie». « Ceci est ma défense Contre mes ennemis Quoi qu’on en pense Rien n’est fini Tout recommence Dans notre vie Je m’appelle Jacques Simon Ce nom sans doute ne vous dit rien Mais je suis un bon garçon Et à tous, je ne vous veux que du bien Plus tard mon nom sera célèbre dans l’Histoire A vrai dire j’ignore comment… Serai-je amiral ou camelot de foire ? Dentiste, cuisinier ou grand savant ? Nul doute ceci est un point d’interrogation Que je pose en dilemme Il aurait mieux valu qu’il fût d’e xclamation On aurait évité le problème, Dans la vie voyez-vous tout est incertain Alors amusons-nous Ne soyons pas crétins Ville d’Esprit (Utopie), 18 février 1927 Jacques, tu ne deviendras ni camelot de foire, ni dentiste, Tu deviendras avocat aux Conseils. Et si bien vite, on t’interdira de figurer aux Grands Arrêts, on ne réussira pas à t’empêcher de figurer parmi les Grands Hommes. Ton nom sera inscrit bientôt au Conseil d’Etat, une salle portera ton nom aux côtés de celle de ton confrère François Lyon-Caen entré dans l’Ordre, sous la Présidence d’Edmond Coutard en 1941, et qui fut assassiné à Auschwitz en 1944. Jacques ces honneurs… qu’on t’avait gardés… te seront rendus. Au Conseil d’Etat demain, Et à la Cour de cassation aujourd’hui. Et si tu fais un tour par le boulevard de Beauséjour, tu verras, c’est incroyable, comme depuis 1944, tout a changé. Ton utopie ? Notre réalité. Je ne te parle pas du petit train qui ne sifflera plus ou de la gare de la Muette où tu t’étais réfugié qui est devenu un restaurant à la mode. Non ! si tu viens dans le jardin du Ranelagh, celui de ton enfance… Regarde les têtes blondes ! comme les têtes brunes ! Tirer sur la corde de leur balançoire pour cueillir leur petit coin de ciel bleu. Toi, qui t’es appelé Jacques, Jacques Henry, Sermoy, Jean Santerre, Clément… mais qui ne t’appelleras jamais papa Toi dont le cœur de père restera à jamais réserviste, Ces cœurs battants sous duffle-coat, Ces enfants, ce sont tes enfants. Aujourd’hui, les seuls manteaux noirs qui s’en prennent à l’imposante nouvelle statue de Jean de La Fontaine, sans doute animés par quelque

vieille rancune, sont d’inoffensifs corbeaux. Les pelouses elles, sont désormais autorisées…à tous. Eluard avait raison : «C’est la douce loi des hommes De changer l’eau en lumière Le rêve en réalité Et les ennemis en frères». Alors interroge donc ces collégiens assis sous le kiosque à musique ! Demande-leur le premier mot que leur évoque ce mot composé : «franco-allemande !» Ils ne te répondront pas : «guerre»… Ils te répondront «amitié». Non Jacques, tu n’es pas entré dans les histoires qu’on raconte,ni dans celles qu’on ne raconte pas. Tu es entré tout entier, corps et âme, dans les vies qui se vivent, celles que nous vivons. Aujourd’hui avocats, avocats aux Conseils, nous allons, plus confortablement que toi, arracher, conquérir les libertés, une à une. Toi, qui as donné le tout, pour le tout, au prix de ta vie, tu les as toutes conquises. Ces libertés que tu as conquises : elles sont à Paris, à Labruguière, à Bruxelles… Jacques, quand nous t’appelons, de partout on nous répond : «il est là !» Tes ennemis ont disparu ! Toi, tu es partout ! Toi, Jacques Henry Simon, avocat au Conseil d’Etat à la Cour de cassation, mort pour la France, à jamais, Présent ! Notes : 1 - L’expression fut prononcée par Georges Bidault à l’occasion du premier hommage national rendu à la mémoire de Jean Moulin à Béziers le 6 octobre 1946, cité par Daniel Cordier in «Jean Moulin, la République des catacombes», Gallimard, 1999, p. 15. 2 - Céline, «Mort à Crédit», Bibliothèque de la Pléiade, Romans, I, p. 901. 3 - Ministre du 16 novembre 1917 au 19 janvier 1920, voir B. Yvert, (dir.), «Dictionnaire des ministres 1789-1989», Ed. Perrin 1990, p. 486, où il est présenté comme un «industriel extrêmement cultivé». 4 - Jacques Simon, «Essais de quelques idées sur la notion de légalité particulièrement au Droit positif Français», p. 11, thèse soutenue le 9 juin 1934, Université de Paris, Jean Morax, 1934. 5 - V. Jean Copper-Royer, «Eloge de Jacques Rebeyrol» prononcé lors de l’Assemblée générale de l’association, le 3 juillet 1953

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Copyright 2011 : Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus. Sauf dans les cas où elle est autorisée expressément par la loi et les conventions internationales, toute reproduction, totale ou partielle du présent numéro est interdite.

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Rentrée solennelle 6 - Nous soulignons 7 - Nous soulignons 8 - V. Cécile Desprairies, «Ville Lumière, Années Noires, Les lieux du Paris de la Collaboration», Denoël, 2008, p. 198, p. 304 9 - Sur l’engagement des pionniers de la Résistance on se reportera à Julien Blanc, «Au commencement de la Résistance – du côté du Musée de l’Homme», 1940-1941, Seuil, 2010. 10 - Sur le mouvement voir notamment : Calmette, «L’OCM, Organisation civile et militaire - Histoire d’un Mouvement de Résistance de 1940 à 1946», PUF, 1961, coll. Esprit de la Résistance ; G. Piketty, «Organisation civile et militaire», in Dictionnaire historique de la Résistance, dir. F. Marcot, avec la collaboration de B. Leroux et Ch. Levisse-Touzé, p. 135 à 138 ; on notera qu’en dépit de son importance, aucune thèse n’a été consacrée au mouvement. 11 - La phrase est, dit-on, soulignée, dans un des ouvrages de sa bibliothèque. 12 - Rapport au Général de Gaulle, 3 AG 1/278 (264-303) 13 - «Farceur et fanfaron, celui qui s'engage à s'engager et, fuyant l'engagement tout court parce que l'engagement tout court l'engagerait à quelque chose, se dérobe et fait retraite d'exposant en exposant : son propos n'est pas de s'engager effectivement, mais de conjuguer le verbe s'engager.» Jankélévitch, Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 243, cité par Cynthia Fleury, Table Ronde «Résister, dire non hier et aujourd’hui», Forum universitaire de l’Ouest Parisien. 14 - Il consacra à son ami un hommage bouleversant en 1949 lors de l’Assemblée générale de l’association amicale des secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence du stage des avocats aux Conseils. Le texte est reproduit dans un livre hommage à Jacques Rebeyrol : «Jacques Rebeyrol, 1909 - 1951. Réunions de quelques souvenirs concernant J. Rebeyrol». 15 - Voir «Vicky Obolensky (1911-1944), Souvenirs et témoignages». 16 - V. sur ce point L. Boré, «Eloge du Président Maurice Hersant», Discours de rentrée solennelle prononcé le 9 décembre 1997. 17 - V. Charles de Chaisemartin, «Evocation du Président René de Lavaissière de Lavergne» prononcé le 12 décembre 1989, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’Association amicale des Secrétaires et Anciens Secrétaires de la Conférence du stage des Avocats aux Conseils 18 - R. de Lavaissière de Lavergne, présenté par Etienne de Vaumas, «Souvenirs d’un Artilleur et Pilote de la Grande guerre», 1914-1918, éditions de l’Officine.

19 - Voir Rapport au général de Gaulle, Archives nationales, références précitées ; voir aussi, H. Queuille, «Henri Queuille, Journal de guerre Londres-Alger (avril 1943-juillet 1944)», présenté et annoté par Hervé Bastien et Olivier Dard, préface du professeur Serge Berstein, Plon/Fondation Charles de Gaulle, 1995, p. 79. 20 - v. C. Bellanger, «Histoire générale de la presse française - tome 4, de 1940 à 1958», PUF, 1975, p. 138. 21 - G. Piketty, «Organisation civile et militaire», in Dictionnaire historique de la Résistance, dir. F. Marcot, avec la collaboration de B. Leroux et Ch. Levisse-Touzé, p. 135 à 138, précité. 22 - voir J.E Callon, «Les projets constitutionnels de la Résistance», La documentation française, 1998, notamment p. 80 ainsi que Monsieur Blocq-Mascart, «Chroniques de la Résistance - suivies d’études pour une nouvelle Révolution française par les groupes de l’OCM», 1945, Corréa ; voir aussi Taÿ, «Le régime présidentiel et la France : étude d’histoire des idées juridiques et politiques», Sirey, 1967. 23 - Ibid. 24 - ibid 25 - Ibid. 26 - Cahiers de l’OCM. Ces textes sont collectifs. Selon Arthur Calmette, la partie juridique est rédigée par Jacques Henry Simon, voir : «L'Organisation civile et militaire. Histoire d'un mouvement de Résistance, de 1940 à 1946», Presses universitaires de France, 1961 27 - Voir J. Baynac, «Présumé Jean Moulin - Juin 1940 - juin 1943», p. 560, 2007 ; procès-verbal de la discussion microfilmé aux Archives Nationales : AN 3 AG 2. 28 - ibid 29 - Sur l’unification voir notamment, L. Douzou, , «La Résistance unifiée en 1943», in Jean Moulin et son temps (1899 - 1943), Jean Sagnes (dir.), Presses Universitaires de Perpignan, 2000, p. 135-145, 30 - V. plus généralement sur le «quotidien» du Résistant, G. Piketty, «Résister - les archives intimes des combattants de l’Ombre», Ed. Textuel, 2011, préf. Raymond Aubrac. 31 - Référence à l’appel du 22 juin 1940 32 - Référence à l’appel du 22 juin 1940 33 - Témoignage du Président Jacques Boré 34 - Jacques Simon, «Essai de quelques idées sur la notion de légalité particulièrement au Droit positif Français», 1934, J. Morax, p. 6. 35 - Louis Aragon, «La Rose et le Réséda», publié en mars 1943. 36 - V. Sermoy, Lettre au général de Gaulle, 14 octobre 1943, (jour de

son départ d’Alger) : «En ce qui me concerne plus personnellement, j’espère que vous saurez un jour que fidèle à une tradition de famille je n’ai pas d’autre but que de servir mon pays. Ce n’est pas pour rien, croyez-le, que je reste par l’esprit le fils d’un ministre de Clemenceau», Archives du général de Gaulle, référence précitée. 37 - Archives Nationales, Rapport au général de Gaulle, 27 novembre 1943, précité. 38 - Rapport au général de Gaulle 39 - Archives Nationales, Lettre à Gaston Palewski (qui fut directeur de Cabinet du général de Gaulle de 1942 à 1946) en date du 13 novembre 1943, AN, 40 - Rapport précité. 41 - Rapport au général de Gaulle, précité. 42 - Rapport au général de Gaulle, précité. 43 - Ingeborg Bachmann, «La trentième année», in Actes Sud, Œuvres, 2009 44 - Le 23 juin 1940, Hitler commença sa visite de Paris par le Palais Garnier v. Cécile Desprairies, «Ville Lumière, Années Noires, Les lieux du Paris de la Collaboration», Denoël, 2008, p. 198 45 - Sur l’hébergement de Jacques Henry Simon chez le Docteur Richier, son arrestation et sa détention v. «Témoignage du Dr Jacques RICHIER, 51, avenue Bugeaud XVIe, officier de la Légion d’Honneur - rosette de la Résistance - Croix de Guerre avec palme , recueilli par Madame GRANET le 20 décembre 1946», AN ,72AJ/68/V, pièce 9, numérisé et consultable sur le site Internet des Archives nationales 46 - Cette date qui figure sur l’acte de décès semble toutefois antérieure à celle qui résulte de différents témoignages qui situent sa disparition postérieurement au mois de juillet. 47 - in «Jean Moulin, la République des catacombes», Gallimard, 1999, p. 367. 48 - In «La France Libre», tome 1, Folio, 1996, 2001, p. 694 49 - Témoignage 50 - Attribuée à titre posthume par décret du 31 mars 1947 (J.O. du 26 juillet 1947), sur proposition du général Bonneau, délégué général des Forces françaises combattantes de l’intérieur. 51 - C’est ce qu’elle dit à Paul Teitgen lorsqu’il l’interrogea à l’occasion de l’évocation qu’il prononça ; v. Paul Teitgen, Maître des Requêtes au Conseil d’Etat, «Evocation de la mémoire de Maître Simon», Conseil d’Etat, 8 mai 1971. 2011-694

Photo © Jean-René Tancrède - Téléphone : 01.42.60.36.35

Daoud Salmouni, Carole Brès, Ronald Maman et Michaël Bendavid Secrétaires de la Conférence 2011/2012

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