ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS
DOCUMENT
Le pouvoir jeune
La France, ses espions et l’Afrique
Un dossier spécial de 16 pages
MAROC
Jours de Hiloula à Essaouira
CINÉMA
Alain Mabanckou : « Je suis un écrivain tricontinental »
Faouzi Bensaïdi : « Je crois encore en l’humain »
TUNISIE
PORTRAIT
RENCONTRE
Akrame Benallal : d’Oran à Paris, le parcours d’un chef
Au temps du chacun pour soi
Racisme, marginalisation, préjugés… Il est temps de réaffirmer la modernité des mondes noirs. De reprendre le fameux slogan des années 1960 : « Black is beautiful » ! Avec en exclusivité, l’interview sans tabou de LILIAN THURAM
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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d’ici à 2030. 100 milliards alimentaires – 24 milliards dollars en denrées la BAD investira cercle vicieux, re ces dix proPour briser ce l’agroalimentai l’agriculture et financements. de dollars dans de 400 % des soit une hausse pour la transchaines années, phare « Technologies 700 millions le programme de
travers Afrique », doté Le cœur industriel de l’économie mondiale du XXIÀe siècle pourrait-il battre de l’agrol’agriculture en formation de inciter les entreprises des zones de Tanger à Johannesburg ? La prédiction est quasi unanime. la banque veut pour créer de dollars, dans les campagnes à s’installer Pourtant, la part du secteur manufacturier diminueindustrie depuis des années… des cultures vivrières. un de transformation
par Jean-Michel Meyer ’Afrique, future usine du monde, en digne héritière de la Chine industrieuse. Le scénario est validé par les plus grands décideurs et bailleurs de la planète. À Paris et à la Banque mondiale, à Moscou et au FMI ou encore à Pékin et à la Banque africaine de développement (BAD), tous misent sur le continent pour y bâtir le prochain atelier industriel du monde, le prochain blockbuster planétaire du développement. Alors que la Chine est confrontée à la hausse des salaires dans l’industrie, les activités manufacturières légères, comme le textile et l’habillement, cherchent de nouveaux pays à bas salaires ; une aubaine pour l’Afrique. La Chine emploie 25 millions de personnes dans des industries dédiées à l’exportation. Avec l’appui de Pékin, l’Afrique, à l’exemple de l’Éthiopie, a l’opportunité de capter une partie de ces emplois grâce à ses faibles coûts de main-d’œuvre. De fait, 53 chefs d’États africains ont assisté au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu à Pékin les 3 et 4 septembre 2018. La Chine a promis de débourser 60 milliards de dollars (51,6 milliards d’euros) pour l’Afrique. Les priorités : l’industrialisation et les infrastructures. Cette enveloppe profitera sans doute également aux 10 000 entreprises chinoises, selon un décompte de McKinsey, qui opèrent sur le continent dans divers domaines (infrastructures, industrie, ressources naturelles, bâtiment, services, agriculture, télécoms, etc.). Après l’Europe, les États-Unis et l’Asie, c’est
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biens manufacexportations de moins de 2017-2018 les de dollars, soit l’exercice fiscal atteint 487,5 millions de dollars. « L’instaturiers avaient fixé à 997,9 millions logistiques la moitié de l’objectif et des contraintes depuis deux ans ministre de l’Inbilité politique commenté le chiffres », avait expliquent ces Mekonnen. ? L’Afrique doit-elle dustrie, Ambachew la bonne voie modèle L’Éthiopie suit-elle débat reste ouvert. « Quel modèle ? Le c’est la quesinventer son ? Aujourd’hui, pour l’Afrique dévelople modèle de de développement Je pense que à l’industrie tion la plus importante. de l’agriculture qui est passé passer à la pour ensuite pement asiatique main-d’œuvre, que la de parce aujourd’hui à haute intensité n’est plus valable haute technologie. haute technologie seront dans la une étape plupart des opportunités a besoin de sauter que l’Afrique », assurait dans Je suis convaincu à la haute technologie dernier, Hafez et d’aller directement du Faso, le 28 août à L’Économiste pour l’Afrique une interview de la Banque mondiale Ghanem, vice-président er dernier. depuis le 1 juillet
4.0 connaît un l’Afrique subsaharienne ainsi que à Internet C’est une évidence, en matière d’accès dans l’acquiretard considérable numériques et des technologies artificielle, data, dans l’utilisation requises : intelligence de machines sition des compétences déploiement e-commerce, 3D), etc. cloud computing, sur et imprimantes le 4 juin dernier, intelligentes (robots tenu à Washington le directeur UNE INDUSTRIALISATION EN DÉCLIN Lors d’un colloque », Paul Maseli, 4.0 en Afrique Sur le plan international, le continent se situe au plus bas le thème « L’industrie Nations unies pour le développement des Abidjan. : « L’Afrique àsoit de l’échelle dans la chaîne de valeur mondiale, l’ensemble de l’Organisation autre modèle chocolat ivoirien, surtout à en esquissait un La Maison du des activités productives réalisées par les entreprises en industriel (ONUDI), dans l’industrie manufacturière d’Afrique subsaharienne, etc.), des États ses sa place différents lieux géographiques. L’Afrique ne représente ainsi Tanzanie, renforçant De leur côté, en Rwanda, trouver part, doit Éthiopie, sation double voie. D’une continent (Kenya, que 1,9 % de l’industrie mondiale. D’après l’industriali ajoutée dans les l’est du manufacturière empruntant une industriel. Évoquer à haute valeur de un modèle l’alimenles fabrications le groupe de recherche britannique Economist Intelligence de la détermination développent positions dans comme le textile, à se souvenir à 2012. automatisés, Unit, ce chiffre s’élevait à plus derevient 3 % dans les années 1970… ministre de 1995 de l’Éthiopie le bois et le papier. secteurs les moins de fut le Premier qui en le tabac, les métaux, industrielles, Pendant ce temps, Meles l’Asie Zenawi, a vu sa part dans la valeur ajoutée des pays de l’Asie taire, les boissons, ses capacités par la réussite et de en développant était mondiale – valeur L’homme ajoutée par unefasciné économie par lorscelle de ladeproen investissant la Corée du Sud D’autre part, tout une à l’avenir du numériqueles compétences précisément, et, plus duction de biens et de services destinés à l’exportation – grimconduit avec succès l’Est elle doit se préparer numériques et façon autoritaire, de ont, technologies qui les per à 39 % en 2014,Taïwan, en vue d’atteindre les 50 % danssur les l’Occident. dix » dans Internet, industriel et à l’innovation. l’idée étant conduire à relopolitique de rattrapage liées au développement a calqué ce modèle, pourrait en effet ciblée tank et une action Dès 2011, Addis-Abeba T O Bmarché révolution numérique C T O B Rune étude du think La AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – O Cdu RE 2018 E 2018 AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – OD’après de dynamisme productions. , les services les robots (ODI), certaines de concilier le infrastructures caliser Institute développer les Development à l’essor du l’industrie du de l’État pour londonien Overseas des affaires favorable 14 secteurs compris) dans et exploitation a défini cher que les salabase et un environnement (financement reviendront moins En 2016, le gouvernement transformation d’ici 2033 secteur privé. meuble aux États-Unis même industrie tourisme, médicaments, du Kenya de cette textile, habillement, temps est donc clés (construction, riés d’une usine l’Éthiopie). Le floriculture, cuir, investiset des et 2042 pour de produits agricoles, dans 22 parcs industriels les des techniciens (et entre 2038 manudes scientifiques, à attirer etc.) destinés Toutefois, le secteur compté pour former étrangers (IDE). Q le rapport annuel sements directs août dernier, ingénieurs africains. à décoller. En qu’au cours de facturier peine RE 2018 éthiopien révélait I 385 – OCTOB de l’Industrie AFRIQUE MAGAZINE du ministère
de la Somaïr produit an. La mine à ciel ouvert 2 500 tonnes par entre 2 000 et
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leurs à l’employeur désormais payer s d’eau et d’électricité, lourds industriels conduit des poids du consommation directeur a demain, la Corée jadis offertes… était l’Allemagne et, hilippe Knoche, 2018, Orano nucléaire tels à une énergie anxiogène. Jusqu’à janvier général du groupe Sud, à renoncer : le groupe diffile nom d’Areva s’est rendu au de la demande, à cette chute afin de français Orano, de connu sous où il a Face maintenir un outil français s’est rebaptisé Niger fin septembre, Maha- cile pour Orano de à nucléaire d’erreurs après une série coûteux : la mine faire peau neuve rencontré le président visiter production nigérien la direction extraits près commises sous d’Arlit, d’où sont avant de partir par stratégiques madou Issoufou, – mise en examen kilo- ciel ouvert en moyenne d’Arlit (à 240 d’Anne Lauvergeon 2 kilos d’uranium avait racheté la mine d’uranium des coûts de a déclaré de En 2007, Areva d’Agadez). Il de minerai, connaît canaexploi- depuis. mètres au nord d’euros la société marchés tonne élevés que celle pour 1,7 milliard nigérienne : « Les mines du production plus à la télévision au Kazakhstan, propriétaire de nous avons dienne UraMin, sont stables, qui se par le géant français par Sud, tée du plombé de l’uranium Afrique le monde. d’efforts dans un contexte sécuritaire Cominak, Sénégal jusqu’en Même fait pas mal inexploitables. égale- dans Somaïr et la canadiens ont sont toutes révélées nigérien terrorisme. La ont dû proNos concurrents manière le avec le gisement production de en nigériennes d’Orano, s. La déconvenue ment réduit leur prix filiales sud d’Arlit), acquis les et (au restructuration %), 20 de d’Imouramen à de brutales millions d’euros, significative (près de l’Aïr, déte» Cette céder 2009 pour 900 pu se stabiliser. (société des mines surestide l’uranium ont plus Somaïr tiers par valeur largement optimisme des pour plus de deux chantiers déclaration d’un tunnel nue mée. Enfin, les un tiers que la sortie du Orano et pour mesurés indique des deux réacteurs pas en vue… la Société du patrin’est toujours nouvelle génération le Niger, par du nouvelle pour moine des mines Une mauvaise EPR, en construction moyen producteur mondial Niger) a ainsi licenCours et en FinFrance qui est le quatrième proen la de dernier fournit un tiers sur- cié l’an d’uranium et de la livre d’oxyde lande, accumulent Depuis l’accident Niger un cinquième duction d’Orano. les retards. Le d’uranium, contre nucléaire japonaise des 93 son personvenu à la centrale pâtit donc aussi cours de de le 2011 2011, en sous$ 70 en mars princinel et 500 de Fukushima déboires de son à 20 dollars des tombé de 70 traitants. Signe l’uranium est et 135 $ en 2007. pal client. Q La raison ? 135 en 2007. les salariés La temps, la livre, contre doivent de surproduction. subsistants 97 Une crise durable de l’opinion publique perte de confiance
par Cédric Gouverneur
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L’INDUSTRIE
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SIA KAMBOU
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et comme agro-industrielles traiter l’agriculture commencer par plus tarder « L’Afrique doit et s’inspirer sans commerciales du Sud-Est », secteur d’activités comme en Asie menées ailleurs, donc au tour des de l’Afrique d’emprunter la rampe de lancement expériences BAD. de lad’accé le président de l’industrialisation lui permettra lérer son dévelopdéclare qui pement. Ce serait oublier un peu vite que l’Afrique est moins industrialisée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante ans ! Les produits manufacturés représentent plus de 60 % de ses importations ; venus de Chine pour l’essentiel, ceux-ci ont contribué à asphyxier l’industrie africaine. Conséquence ? Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, la part du secteur manufacturier dans la croissance du PIB du continent a reculé, passant de 12 % en 1980 à 11 % en 2013. « Le poids de l’industrie stagne », poursuit la CEA dans un rapport de 2016, intitulé « Politique industrielle transformatrice pour l’Afrique ».
CE JACQUES TORREGANO/DIVERGEN
L’AFRIQUE, FUTURE USINE DU MONDE ?
SIA KAMBOU/AFP
SOYONS BLACKS !
Brassivoire, située à Abidjan et inaugurée début avril 2017, a construit cette année sa deuxième ligne de production.
LE GRAND DÉBAT
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www.afriquemagazine.com
N o 3 8 5 - A F R I Q U E
MAGAZINE - OCTOBRE 2018
CÔTE D’IVOIRE
AFRIQUE MAGAZINE
I 385 – OCTOB
RE 2018
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Un nouveau cahier pour décrypter les enjeux économiques N° 385 - OCTOBRE 2018
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ÉDITO par Zyad Limam
PARLONS D’AM
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epuis le mois de mai dernier, nos lecteurs algériens n’ont plus le choix de pouvoir nous lire. En tous les cas pas dans notre version papier, « print » (y compris les hors-séries éventuels). Nous ne sommes plus autorisés à être importés, et donc distribués. Aucun exemplaire. Zéro. Pas d’explications particulières pour ce qui s’apparente, en gros, à une interdiction. On évoque un problème de devises. On a du mal à y croire. Un grand pays comme l’Algérie, puissance africaine, puissance pétrolière, avec une vocation diplomatique continentale, serait mis en danger par des importations culturelles qui représentent epsilon dans sa balance commerciale… De fait, aujourd’hui, l’Algérie est le seul grand pays francophone au monde où AM, Afrique Magazine, n’est pas disponible. L’un des rares pays africains où les restrictions sur la presse sont encore d’actualité – nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à faire l’objet de mesure d’interdiction ou de limitation drastique. À l’époque d’Internet, des réseaux sociaux, de la digitalisation… Au moment aussi où la société civile, la jeunesse, les élites du pays cherchent à s’ouvrir plus encore sur le monde. C’est déprimant. Les Algériens sont des citoyens. À eux de décider ce qu’ils veulent lire. Ou pas. Étonnamment, la mesure ne concerne pas notre seconde publication, AMB, Afrique Méditerranée Business. Ce qui me donne l’occasion de refaire une mise au point toujours utile : AM et AMB sont des titres de presse édités par l’entreprise AM International, une société indépendante dont le signataire de ces lignes est l’actionnaire majoritaire. Il n’y a ni grand groupe derrière nous, ni intérêts cachés. Cela nous amène à parler justement d’AMB, notre publication économique née il y a un peu plus de cinq ans. Le dernier numéro est sorti en décembre 2017-janvier 2018. Malgré notre enthousiasme et notre volonté, nous n’avons pas pu maintenir sa AFRIQUE MAGAZINE
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385 – OCTOBRE 2018
parution papier. La conjoncture économique très difficile de la presse et de la distribution, les mutations technologiques, les transformations du marché publicitaire rendent pratiquement impossible, pour un éditeur indépendant, tout investissement majeur dans le domaine du print. Nous aurons fait 21 parutions d’AMB, 21 parutions dont nous pouvons être particulièrement fiers ! Nous avons amené un style, un regard sur les mutations économiques du continent. Nous avons donné la parole à de nombreux acteurs de ces mutations. Nous avions des lecteurs motivés, des partenaires, des annonceurs. Je remercie très, très chaleureusement tous ceux qui ont participé à cette belle aventure. Ce n’est pas pour autant la fin de notre ambition AMB. Nous avons des acquis, une expérience. Et la sphère « éco-business-développement » est au centre des enjeux africains. Notre ambition de nous investir dans les questions économiques, l’entrepreneuriat, les débats sur le développement reste intacte. Nous serons donc toujours présents, actifs et créatifs. Première étape, la mise en place d’un cahier business dans notre titre amiral, Afrique Magazine. Vous trouverez en page 92 la première édition. C’est un redémarrage et nous comptons bien monter en puissance, en qualité, offrir, à chaque parution d’AM, un magazine dans le magazine. Avec notre regard et notre style particulier. Deuxième étape, la réalisation d’un ou deux grands hors-séries par an, thématiques, avec un angle original, un projet rédactionnel que l’on souhaite hors normes, à la fois durable et accroché aux grands enjeux du continent. Ces projets doivent évidemment s’inscrire dans l’évolution des modes de lecture, les exigences des nouvelles générations, la digitalisation des médias. Pour toute entreprise de presse traditionnelle, et en particulier pour toute entreprise de presse indépendante, c’est un formidable défi, un saut impératif dans un inconnu exigeant et prometteur. Nous allons y consacrer une bonne partie de notre énergie et de nos moyens. Dès à présent, Afriquemagazine.com vous attend. Bonne lecture donc, qu’elle soit print ou digitale ! ■ 3
p. 46
p. 38
SOMMAIRE
Octobre n° 385
AFRIQUE MAGAZINE
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
EN VENTE CHAQUE MOIS
Brassivoire, située à Abidjan et inaugurée début avril 2017, a construit cette année sa deuxième ligne de production.
LE GRAND DÉBAT
L’AFRIQUE, FUTURE USINE DU MONDE ? V
d’ici à 2030. 100 milliards alimentaires – 24 milliards dollars en denrées la BAD investira cercle vicieux, ces dix proPour briser ce l’agroalimentaire l’agriculture et financements. de dollars dans de 400 % des soit une hausse pour la transchaines années, phare « Technologies 700 millions le programme de
travers Afrique », doté Le cœur industriel de l’économie mondiale du XXIÀe siècle pourrait-il battre de l’agrol’agriculture en formation de inciter les entreprises des zones banque veut de Tanger à Johannesburg ? La prédiction est quasi unanime. pour créer de dollars, la dans les campagnes à s’installer Pourtant, la part du secteur manufacturier diminueindustrie depuis des années… des cultures vivrières. un de transformation
et comme agro-industrielles traiter l’agriculture commencer par plus tarder « L’Afrique doit et s’inspirer sans commerciales du Sud-Est », secteur d’activités comme en Asie menées ailleurs, donc au tour des de l’Afrique d’emprunter la rampe de lancement expériences BAD. de lad’accé le président de l’industrialisation lui permettra lérer son dévelopdéclare qui pement. Ce serait oublier un peu vite que l’Afrique est moins industrialisée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante ans ! Les produits manufacturés représentent plus de 60 % de ses importations ; venus de Chine pour l’essentiel, ceux-ci ont contribué à asphyxier l’industrie africaine. Conséquence ? Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, la part du secteur manufacturier dans la croissance du PIB du continent a reculé, passant de 12 % en 1980 à 11 % en 2013. « Le poids de l’industrie stagne », poursuit la CEA dans un rapport de 2016, intitulé « Politique industrielle transformatrice pour l’Afrique ».
biens manufacexportations de moins de 2017-2018 les de dollars, soit l’exercice fiscal atteint 487,5 millions de dollars. « L’instaturiers avaient fixé à 997,9 millions logistiques la moitié de l’objectif et des contraintes depuis deux ans ministre de l’Inbilité politique commenté le chiffres », avait expliquent ces Mekonnen. ? L’Afrique doit-elle dustrie, Ambachew la bonne voie modèle L’Éthiopie suit-elle débat reste ouvert. « Quel modèle ? Le c’est la quesinventer son ? Aujourd’hui, pour l’Afrique dévelople modèle de de développement Je pense que à l’industrie tion la plus importante. de l’agriculture qui est passé passer à la pour ensuite pement asiatique que la de main-d’œuvre, aujourd’hui parce à haute intensité n’est plus valable haute technologie. haute technologie seront dans la une étape plupart des opportunités a besoin de sauter que l’Afrique », assurait dans Je suis convaincu à la haute technologie dernier, Hafez août et d’aller directement du Faso, le 28 à L’Économiste pour l’Afrique une interview de la Banque mondiale Ghanem, vice-président er dernier. depuis le 1 juillet
4.0 connaît un L’INDUSTRIE l’Afrique subsaharienne ainsi que à Internet C’est une évidence, en matière d’accès dans l’acquiretard considérable numériques et des technologies artificielle, data, dans l’utilisation requises : intelligence de machines sition des compétences déploiement e-commerce, 3D), etc. cloud computing, sur et imprimantes le 4 juin dernier, intelligentes (robots tenu à Washington le directeur Lors d’un colloque », Paul Maseli, 4.0 en Afrique Sur le plan international, le continent se situe au plus bas le thème « L’industrie Nations unies pour le développement des Abidjan. : « L’Afrique àsoit de l’échelle dans la chaîne de valeur mondiale, l’ensemble de l’Organisation autre modèle chocolat ivoirien, surtout à en esquissait un La Maison du des activités productives réalisées par lesd’Afrique entreprises en subsaharienne, industriel (ONUDI), dans l’industrie manufacturière etc.), des États ses sa place différents lieux géographiques. L’Afrique ne Éthiopie, représente ainsi Tanzanie, De leur côté, Rwanda, part, en renforçant doit trouver sation double voie. D’une continent (Kenya, que 1,9 % de l’industrie mondiale. D’après l’industriali ajoutée dans les l’est du manufacturière empruntant une industriel. Évoquer à haute valeur de un modèle l’alimenles fabrications le groupe de recherche britannique Economist Intelligence de la détermination développent positions dans comme le textile, à se souvenir à 2012. automatisés, Unit, ce chiffre s’élevait à plus derevient 3 % dans les années 1970… ministre de 1995 de l’Éthiopie le bois et le papier. secteurs les moins de fut le Premier qui en le tabac, les métaux, industrielles, Pendant ce temps, Meles l’Asie Zenawi, a vu sa part dans la valeur ajoutée des pays de l’Asie taire, les boissons, ses capacités par la réussite et de en développant était en investissant mondiale – valeur L’homme ajoutée par unefasciné économie par lorscelle de ladeprola Corée du Sud D’autre part, tout à l’avenir du numériqueles compétences précisément, avec succès une et, plus duction de biens et de services destinés à l’exportation – griml’Est elle doit se préparer autoritaire, conduit numériques et ont, de façon les technologies per à 39 % en 2014,Taïwan, en vue qui d’atteindre les 50 % danssur les l’Occident. dix » dans Internet, industriel et à l’innovation. l’idée étant conduire à relopolitique de rattrapage liées au développement a calqué ce modèle, pourrait en effet ciblée tank et une action Dès 2011, Addis-Abeba T O Bmarché révolution numérique C T O B Rune étude du think La AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – O Cdu RE 2018 E 2018 AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – OD’après dynamisme les services de productions. les robots de concilier le infrastructures, caliser certaines Institute (ODI), développer les Development à l’essor du l’industrie du de l’État pour londonien Overseas des affaires favorable 14 secteurs compris) dans et exploitation a défini cher que les salabase et un environnement (financement reviendront moins En 2016, le gouvernement transformation d’ici 2033 secteur privé. meuble aux États-Unis même industrie tourisme, médicaments, du Kenya de cette textile, habillement, temps est donc clés (construction, riés d’une usine l’Éthiopie). Le floriculture, cuir, investiset des et 2042 pour de produits agricoles, dans 22 parcs industriels les des techniciens (et entre 2038 manudes scientifiques, à attirer etc.) destinés Toutefois, le secteur compté pour former étrangers (IDE). Q le rapport annuel sements directs août dernier, ingénieurs africains. à décoller. En qu’au cours de facturier peine RE 2018 éthiopien révélait I 385 – OCTOB de l’Industrie AFRIQUE MAGAZINE du ministère
de la Somaïr produit an. La mine à ciel ouvert 2 500 tonnes par entre 2 000 et
plus acheteur
L’uranium ne trouve
qui a frappé pas de la catastrophe d’Orano ne se relève toujours frais des erreurs mondial. La filière nucléaire 2011 et fait les producteur Fukushima en la centrale de le Niger, quatrième coup dur pour (ex-Areva). Un
leurs à l’employeur désormais payer d’eau et d’électricité, lourds industriels conduit des poids du consommations directeur a demain, la Corée jadis offertes… était l’Allemagne et, hilippe Knoche, anxiogène. 2018, Orano nucléaire tels à une énergie Jusqu’à janvier général du groupe : le groupe Sud, à renoncer la demande, diffile nom d’Areva s’est rendu au à cette chute de afin de français Orano, de connu sous où il a Face maintenir un outil français s’est rebaptisé Niger fin septembre, Maha- cile pour Orano de d’erreurs à nucléaire après une série coûteux : la mine faire peau neuve rencontré le président visiter production nigérien la direction extraits près commises sous d’Arlit, d’où sont avant de partir par stratégiques mise en examen madou Issoufou, kilo- ciel ouvert en moyenne Lauvergeon – d’Arlit (à 240 2 kilos d’uranium de d’Anne avait racheté la mine d’uranium a déclaré de connaît des coûts En 2007, Areva d’Agadez). Il canatonne de minerai, exploi- depuis. mètres au nord d’euros la société Les marchés élevés que celle pour 1,7 milliard nigérienne : « mines du production plus à la télévision propriétaire de nous avons français au Kazakhstan, dienne UraMin, sont stables, qui se tée par le géant plombé par de l’uranium Afrique du Sud, le monde. d’efforts dans Même un contexte sécuritairela Cominak, Sénégal jusqu’en fait pas mal inexploitables. égale- dans Somaïr et canadiens ont sont toutes révélées nigérien terrorisme. La ont dû proNos concurrents manière le avec le gisement production de nigériennes d’Orano, acquis en La déconvenue ment réduit leur prix filiales (au sud d’Arlit), restructurations. de 20 %), et les d’Imouramen à de brutales millions d’euros, significative (près de l’Aïr, déte» Cette céder 2009 pour 900 pu se stabiliser. (société des mines surestide l’uranium ont plus Somaïr tiers par valeur largement optimisme des pour plus de deux chantiers déclaration d’un tunnel nue mée. Enfin, les un tiers que la sortie du Orano et pour mesurés indique des deux réacteurs pas en vue… la Société du patrin’est toujours nouvelle génération le Niger, par du nouvelle pour moine des mines Une mauvaise EPR, en construction producteur mondial Niger) a ainsi licenCours moyen en Finqui est le quatrième en France et de la prodernier fournit un tiers sur- cié l’an d’uranium et de la livre d’oxyde lande, accumulent Depuis l’accident Niger un cinquième duction d’Orano. les retards. Le d’uranium, contre nucléaire japonaise des 93 de son personvenu à la centrale pâtit donc aussi le cours de 70 $ en 2011 en mars 2011, princinel et 500 sousde Fukushima déboires de son à 20 dollars des tombé de 70 traitants. Signe l’uranium est et 135 $ en 2007. pal client. Q La raison ? 135 en 2007. les salariés La temps, la livre, contre doivent de surproduction. subsistants 97 Une crise durable de l’opinion publique perte de confiance
par Cédric Gouverneur
P
UNE INDUSTRIALISATION EN DÉCLIN
20 $
SIA KAMBOU/AFP
’Afrique, future usine du monde, en digne héritière de la Chine industrieuse. Le scénario est validé par les plus grands décideurs et bailleurs de la planète. À Paris et à la Banque mondiale, à Moscou et au FMI ou encore à Pékin et à la Banque africaine de développement (BAD), tous misent sur le continent pour y bâtir le prochain atelier industriel du monde, le prochain blockbuster planétaire du développement. Alors que la Chine est confrontée à la hausse des salaires dans l’industrie, les activités manufacturières légères, comme le textile et l’habillement, cherchent de nouveaux pays à bas salaires ; une aubaine pour l’Afrique. La Chine emploie 25 millions de personnes dans des industries dédiées à l’exportation. Avec l’appui de Pékin, l’Afrique, à l’exemple de l’Éthiopie, a l’opportunité de capter une partie de ces emplois grâce à ses faibles coûts de main-d’œuvre. De fait, 53 chefs d’États africains ont assisté au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu à Pékin les 3 et 4 septembre 2018. La Chine a promis de débourser 60 milliards de dollars (51,6 milliards d’euros) pour l’Afrique. Les priorités : l’industrialisation et les infrastructures. Cette enveloppe profitera sans doute également aux 10 000 entreprises chinoises, selon un décompte de McKinsey, qui opèrent sur le continent dans divers domaines (infrastructures, industrie, ressources naturelles, bâtiment, services, agriculture, télécoms, etc.). Après l’Europe, les États-Unis et l’Asie, c’est
JACQUES TORREGANO/DIVERGENCE
par Jean-Michel Meyer
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SIA KAMBOU
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I 385 – OCTOB
AFRIQUE MAGAZINE
RE 2018
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Un nouveau cahier pour décrypter les enjeux économiques
MAROC
Jours de Hiloula à Essaouira
CHANGEMENT
SOYONS BLACKS ! Il est temps de réaffirmer la force des mondes noirs
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La France, ses espions et l’Afrique Le campus de l’université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan.
Alain Mabanckou : « Je suis un écrivain tricontinental » Au temps du chacun pour soi
LE DÉFI JEUNE
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CÔTE D’IVOIRE
TUNISIE
Près de 80 % des Ivoiriens ont moins de 35 ans. Politique, éducation, emploi, formation, innovation… Les enjeux sont immenses. N° 385 - OCTOBRE 2018 Un dossier spécial de 16 pages M 01934 - 385 - F: 4,90 E - RD
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04/10/2018 00:05
AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS
ON EN PARLE 8
POKER
Des élections générales doivent avoir lieu d’ici fin 2019. La course est ouverte. Portraits de personnalités en quête d’avenir dans un pays en urgence de changement.
Le pouvoir jeune
Jours de Hiloula à Essaouira Youssef Chahed
Béji Caïd Essebsi
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La France, ses espions et l’Afrique
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Un nouveau cahier pour décrypter les enjeux économiques Mehdi Jomaa
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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EN VENTE CHAQUE MOIS
Le pouvoir jeune Jours de Hiloula à Essaouira Alain Mabanckou : « Je suis un écrivain tricontinental »
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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C’EST COMMENT ? À étudier ! par Emmanuelle Pontié
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biens manufacexportations de moins de 2017-2018 les de dollars, soit l’exercice fiscal d’ici à 2030. atteint 487,5 millions 100 milliards de dollars. « L’instaturiers avaient alimentaires – fixé à 997,9 millions 24 milliards logistiques dollars en denrées la BAD investira la moitié de l’objectif deux ans et des contraintes cercle vicieux, ces dix prodepuis ministre de l’InPour briser ce l’agroalimentaire bilité politique commenté le l’agriculture et financements. chiffres », avait de dollars dans de 400 % des expliquent ces soit une hausse Mekonnen. pour la transchaines années, ? L’Afrique doit-elle dustrie, Ambachew phare « Technologies 700 millions la bonne voie modèle le programme de L’Éthiopie suit-elle débat reste ouvert. « Quel ? Le c’est la quesinventer son modèle ? Aujourd’hui, pour l’Afrique dévelople modèle de de développement Je pense que l’industrie tion la plus importante. passé de l’agriculture à et comme qui est passer à la agro-industrielles traiter l’agriculture pour ensuite pement asiatique commencer par plus tarder que la de main-d’œuvre, « L’Afrique doit et s’inspirer sans aujourd’hui parce à haute intensité commerciales du Sud-Est », n’est plus valable secteur d’activités haute technologie. comme en Asie haute technologie seront dans la menées ailleurs, une étape donc au tour des de l’Afrique d’emprunter la rampe de lancement expériences plupart des opportunités a besoin de sauter de la BAD. que l’Afrique le président de l’industrialisation lui permettra d’accélérer son dévelop», assurait dans déclare qui Je suis convaincu à la haute technologie dernier, Hafez pement. Ce serait oublier un peu vite que l’Afrique est moins et d’aller directement du Faso, le 28 août à L’Économiste industrialisée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante pour l’Afrique une interview de la Banque mondiale ans ! Les produits manufacturés représentent plus de 60 % Ghanem, vice-président er dernier. de ses importations ; venus de Chine pour l’essentiel, ceux-ci depuis le 1 juillet ont contribué à asphyxier l’industrie africaine. Conséquence ? 4.0 connaît un Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des L’INDUSTRIE l’Afrique subsaharienne ainsi que Nations unies, la part du secteur manufacturier dans la croisà Internet C’est une évidence, en matière d’accès dans l’acquisance du PIB du continent a reculé, passant de 12 % en 1980 retard considérable numériques et des technologies à 11 % en 2013. « Le poids de l’industrie stagne », poursuit la artificielle, data, dans l’utilisation requises : intelligence CEA dans un rapport de 2016, intitulé « Politique industrielle de machines sition des compétences déploiement e-commerce, transformatrice pour l’Afrique ». 3D), etc. cloud computing, sur et imprimantes le 4 juin dernier, intelligentes (robots tenu à Washington le directeur UNE INDUSTRIALISATION EN DÉCLIN Lors d’un colloque », Paul Maseli, 4.0 en Afrique Sur le plan international, le continent se situe au plus bas le thème « L’industrie Nations unies pour le développement des Abidjan. : « L’Afrique àsoit de l’échelle dans la chaîne de valeur mondiale, l’ensemble de l’Organisation autre modèle chocolat ivoirien, surtout à en esquissait un La Maison du des activités productives réalisées par lesd’Afrique entreprises en subsaharienne, industriel (ONUDI), dans l’industrie manufacturière etc.), des États ses sa place différents lieux géographiques. L’Afrique ne Éthiopie, représente ainsi Tanzanie, De leur côté, Rwanda, part, en renforçant doit trouver sation double voie. D’une continent (Kenya, que 1,9 % de l’industrie mondiale. D’après l’industriali ajoutée dans les l’est du manufacturière empruntant une industriel. Évoquer à haute valeur de un modèle l’alimenles fabrications le groupe de recherche britannique Economist Intelligence de la détermination développent positions dans comme le textile, à se souvenir à 2012. automatisés, Unit, ce chiffre s’élevait à plus derevient 3 % dans les années 1970… ministre de 1995 de l’Éthiopie le bois et le papier. secteurs les moins de fut le Premier qui en le tabac, les métaux, industrielles, des pays de l’Asie Pendant ce temps, Meles l’Asie Zenawi, a vu sa part dans la valeur ajoutée taire, les boissons, ses capacités par la réussite et de en développant était en investissant la Corée du Sud mondiale – valeur L’homme ajoutée par unefasciné économie par lorscelle de ladeproD’autre part, tout une à l’avenir du numériqueles compétences précisément, et, plus duction de biens et de services destinés à l’exportation – grimconduit avec succès l’Est elle doit se préparer autoritaire, numériques et ont, de façon les technologies per à 39 % en 2014,Taïwan, en vue qui d’atteindre les 50 % danssur les l’Occident. dix » dans Internet, industriel et à l’innovation. l’idée étant conduire à relopolitique de rattrapage liées au développement a calqué ce modèle, pourrait en effet ciblée tank et une action Dès 2011, Addis-Abeba T O Bmarché révolution numérique C T O B Rune étude du think La AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – O Cdu RE 2018 E 2018 AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – OD’après dynamisme les services de productions. les robots de concilier le infrastructures, caliser certaines Institute (ODI), développer les à l’essor du Development l’industrie du de l’État pour londonien Overseas des affaires favorable 14 secteurs compris) dans et exploitation a défini cher que les salabase et un environnement (financement reviendront moins En 2016, le gouvernement transformation d’ici 2033 secteur privé. meuble aux États-Unis même industrie tourisme, médicaments, du Kenya de cette textile, habillement, temps est donc clés (construction, riés d’une usine l’Éthiopie). Le floriculture, cuir, investiset des et 2042 pour de produits agricoles, dans 22 parcs industriels les des techniciens (et entre 2038 manuà attirer des scientifiques, etc.) destinés Toutefois, le secteur compté pour former étrangers (IDE). Q le rapport annuel sements directs août dernier, ingénieurs africains. à décoller. En qu’au cours de facturier peine RE 2018 éthiopien révélait I 385 – OCTOB de l’Industrie AFRIQUE MAGAZINE du ministère
travers Afrique », doté Le cœur industriel de l’économie mondiale du XXIÀe siècle pourrait-il battre de l’agrol’agriculture en formation de inciter les entreprises des zones de Tanger à Johannesburg ? La prédiction est quasi unanime. la banque veut pour créer de dollars, dans les campagnes à s’installer Pourtant, la part du secteur manufacturier diminueindustrie depuis des années… des cultures vivrières. un de transformation
’Afrique, future usine du monde, en digne héritière de la Chine industrieuse. Le scénario est validé par les plus grands décideurs et bailleurs de la planète. À Paris et à la Banque mondiale, à Moscou et au FMI ou encore à Pékin et à la Banque africaine de développement (BAD), tous misent sur le continent pour y bâtir le prochain atelier industriel du monde, le prochain blockbuster planétaire du développement. Alors que la Chine est confrontée à la hausse des salaires dans l’industrie, les activités manufacturières légères, comme le textile et l’habillement, cherchent de nouveaux pays à bas salaires ; une aubaine pour l’Afrique. La Chine emploie 25 millions de personnes dans des industries dédiées à l’exportation. Avec l’appui de Pékin, l’Afrique, à l’exemple de l’Éthiopie, a l’opportunité de capter une partie de ces emplois grâce à ses faibles coûts de main-d’œuvre. De fait, 53 chefs d’États africains ont assisté au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu à Pékin les 3 et 4 septembre 2018. La Chine a promis de débourser 60 milliards de dollars (51,6 milliards d’euros) pour l’Afrique. Les priorités : l’industrialisation et les infrastructures. Cette enveloppe profitera sans doute également aux 10 000 entreprises chinoises, selon un décompte de McKinsey, qui opèrent sur le continent dans divers domaines (infrastructures, industrie, ressources naturelles, bâtiment, services, agriculture, télécoms, etc.). Après l’Europe, les États-Unis et l’Asie, c’est
de la Somaïr produit La mine à ciel ouvert500 tonnes par an. 2 entre 2 000 et
L’uranium ne trouve
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qui a frappé pas de la catastrophe d’Orano ne se relève toujours frais des erreurs mondial. La filière nucléaire 2011 et fait les producteur Fukushima en la centrale de le Niger, quatrième coup dur pour (ex-Areva). Un
à l’emp désormais payer d’eau et lourds industriels conduit des poids du consommations directeur a demain, la Corée jadis offertes… l’Allemagne et, hilippe Knoche, 2018 nucléaire tels à une énergie anxiogène. Jusqu’à janvier général du groupe Sud, à renoncer diffile nom d’Are s’est rendu au de la demande, à cette chute français Orano, de connu sous où il a Face maintenir un outil français s’est re Niger fin septembre, Maha- cile pour Orano de à nucléaire après une coûteux : la mine faire peau neuve rencontré le président visiter production nigérien extraits près commises so d’Arlit, d’où sont avant de partir par stratégiques madou Issoufou, –m kilo- ciel ouvert en moyenne d’Arlit (à 240 d’Anne Lauvergeon 2 kilos d’uranium la mine d’uranium des coûts de a déclaré de En 2007, Arev d’Agadez). Il de minerai, connaît exploi- depuis. mètres au nord d’euros marchés tonne élevés que celle pour 1,7 milliard nigérienne : « Les production plus à la télévision propriét nous avons français au Kazakhstan, dienne UraMin, sont stables, tée par le géant de l’uranium plombé par Afriqu le monde. d’efforts dans un contexte sécuritairela Cominak, Sénégal jusqu’en fait pas mal inex égale- dans Somaïr et canadiens ont sont toutes révélées terrorisme. La ont dû proNos concurrents manière le avec le gi production de nigériennes d’Orano, La déconvenue ment réduit leur prix filiales (au sud restructurations. de 20 %), et les d’Imouramen à de brutales significative (près de l’Aïr, déte» Cette céder 2009 pour 900 pu se stabiliser. (société des mines de l’uranium ont plus Somaïr tiers par valeur lar optimisme des pour plus de deux déclaration d’un tunnel nue mée. En un tiers que la sortie du Orano et pour mesurés indique des pas en vue… la Société du patrin’est toujours nou le Niger, par du nouvelle pour moine des mines Une mauvaise EP producteur mondial Niger) a ainsi licenCours moyen qui est le quatrième en de la prodernier fournit un tiers sur- cié l’an d’uranium et de la livre d’oxyde la Depuis l’accident un cinquième duction d’Orano. le d’uranium, contre nucléaire japonaise 93 de son personvenu à la centrale p le cours de 70 $ en 2011 en mars 2011, nel et 500 sousde Fukushima dé à 20 dollars des tombé de 70 traitants. Signe et 135 $ en 2007. pal l’uranium est La raison ? 135 en 2007. les salariés La temps, la livre, contre de surproduction. subsistants doivent Une crise durable de l’opinion publique perte de confiance
par Cédric Gouverneur
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SIA KAMBOU/AFP
par Jean-Michel Meyer
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LE DOCUMENT En Afrique, les Gaulois de l’ombre
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Un nouveau cahier pour décrypter les enjeux économiques N° 385 - OCTOBRE 2018
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par Loraine Adam
Portfolio : Visa pour l’image, regards sur la violence du monde par Zyad Limam et Jessica Binois
par Catherine Faye
114 VINGT QUESTIONS À… Germaine Kobo
Akrame Benallal, le portrait du chef par Loraine Adam
03/10/18 21:56
PHOTOS DE COUVERTURE : CÔTE D’IVOIRE : CAMILLE MILLERAND TUNISIE : MIGUEL MEDINA/ AFP - NICOLAS FAUQUÉ/ IMAGESDETUNISIE - JEANCHRISTOPHE MARMARA/ FIGAROPHOTO - VINCENT FOURNIER/JEUNE AFRIQUE/RÉA LILIAN THURAM : AMANDA ROUGIER POUR AM
Faouzi Bensaïdi : « Je crois en l’humain » par Astrid Krivian
Brassivoire, située à Abidjan et inaugurée début avril 2017, a construit cette année sa deuxième ligne de production.
LE GRAND DÉBAT
L’AFRIQUE, FUTURE USINE DU MONDE ?
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Alain Mabanckou : « Je suis un écrivain tricontinental » par Fouzia Marouf
par Fouzia Marouf
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Racisme, marginalisation, préjugés… Il est temps de réaffirmer la modernité des mondes noirs. De reprendre le fameux slogan des années 1960 : « Black is beautiful » ! Avec en exclusivité, l’interview sans tabou de LILIAN THURAM
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Akrame Benallal : d’Oran à Paris, le parcours d’un chef
Au temps du chacun pour soi
SOYONS BLACKS !
CE QUE J’AI APPRIS Rebecca Ayoko
PORTRAIT
TUNISIE
Inspirations : Jours de pèlerinage à Essaouira par Julie Chaudier
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CINÉMA
Faouzi Bensaïdi : « Je crois encore en l’humain »
RENCONTRE
Lilian Thuram : « Il faut sortir des schémas de domination » par Astrid Krivian
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par Catherine Faye
La France, ses espions et l’Afrique
MAROC
Soyons blacks ! par Zyad Limam, Venance Konan et Astrid Krivian
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Agenda : Le meilleur de la culture
DOCUMENT
Un dossier spécial de 16 pages
Musique : Djazia Satour, le retour aux sources
Tunisie : Personnages en quête d’avenir par Frida Dahmani et Zyad Limam
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par Sophie Rosemont
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leurs à l’employeur désormais payer d’eau et d’électricité, lourds industriels conduit des poids du consommations directeur a demain, la Corée jadis offertes… était l’Allemagne et, hilippe Knoche, 2018, Orano nucléaire tels à une énergie anxiogène. Jusqu’à janvier général du groupe Sud, à renoncer : le groupe diffile nom d’Areva s’est rendu au de la demande, à cette chute afin de français Orano, de connu sous où il a Face maintenir un outil français s’est rebaptisé Niger fin septembre, Maha- cile pour Orano de à nucléaire d’erreurs après une série coûteux : la mine faire peau neuve rencontré le président visiter production nigérien la direction extraits près commises sous d’Arlit, d’où sont avant de partir par stratégiques madou Issoufou, kilo- ciel ouvert – mise en examen en moyenne d’Arlit (à 240 d’Anne Lauvergeon 2 kilos d’uranium avait racheté la mine d’uranium des coûts de a déclaré de En 2007, Areva d’Agadez). Il de minerai, connaît canaexploi- depuis. mètres au nord d’euros la société marchés tonne élevés que celle pour 1,7 milliard nigérienne : « Les mines du production plus à la télévision propriétaire de nous avons français au Kazakhstan, dienne UraMin, sont stables, qui se tée par le géant de l’uranium plombé par Afrique du Sud, le monde. d’efforts dans un contexte sécuritaire Cominak, Sénégal jusqu’en Même fait pas mal inexploitables. égale- dans Somaïr et la canadiens ont sont toutes révélées nigérien terrorisme. La Nos concurrents ont dû promanière le avec le gisement production de nigériennes d’Orano, acquis en La déconvenue ment réduit leur prix filiales (au sud d’Arlit), restructurations. de 20 %), et les d’Imouramen à de brutales millions d’euros significative (près de l’Aïr, déte» Cette céder 2009 pour 900 pu se stabiliser. (société des mines surest plus Somaïr de l’uranium ont tiers par valeur largement optimisme des pour plus de deux chantie déclaration d’un tunnel nue mée. Enfin, les un tiers que la sortie du Orano et pour mesurés indique des deux réacteu pas en vue… la Société du patrin’est toujours nouvelle génératio le Niger, par du nouvelle pour moine des mines Une mauvaise EPR, en constructi producteur mondial Niger) a ainsi licenF Cours moyen qui est le quatrième en France et en de la prodernier fournit un tiers sur- cié l’an d’uranium et de la livre d’oxyde lande, accumul Depuis l’accident Ni un cinquième duction d’Orano. les retards. Le d’uranium, contre nucléaire japonaise 93 de son personvenu à la centrale pâtit donc aussi le cours de 70 $ en 2011 en mars 2011, pri nel et 500 sousde Fukushima déboires de son à 20 dollars des tombé de 70 traitants. Signe et 135 $ en 2007. pal client. Q l’uranium est La raison ? les salariés 135 en 2007. La temps, la livre, contre de surproduction. subsistants doivent Une crise durable de l’opinion publique perte de confiance
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Alain Mabanckou :
ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
plus acheteur
qui a frappé pas de la catastrophe d’Orano ne se relève toujours frais des erreurs mondial. La filière nucléaire 2011 et fait les producteur Fukushima en la centrale de le Niger, quatrième coup dur pour (ex-Areva). Un
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de la Somaïr produit La mine à ciel ouvert500 tonnes par an. 2 entre 2 000 et
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« Je suis un écrivain tricontinental »
biens manufacexportations de moins de 2017-2018 les de dollars, soit l’exercice fiscal d’ici à 2030. atteint 487,5 millions 100 milliards de dollars. « L’instaturiers avaient alimentaires – fixé à 997,9 millions 24 milliards logistiques dollars en denrées la BAD investira la moitié de l’objectif et des contraintes cercle vicieux, ces dix prodepuis deux ans ministre de l’InPour briser ce l’agroalimentaire bilité politique commenté le l’agriculture et financements. chiffres », avait de dollars dans de 400 % des expliquent ces soit une hausse Mekonnen. pour la transchaines années, ? L’Afrique doit-elle dustrie, Ambachew phare « Technologies 700 millions la bonne voie modèle le programme de L’Éthiopie suit-elle débat reste ouvert. « Quel ? Le c’est la quesinventer son modèle ? Aujourd’hui, pour l’Afrique dévelople modèle de de développement Je pense que à l’industrie tion la plus importante. de l’agriculture et comme qui est passé passer à la agro-industrielles traiter l’agriculture pour ensuite pement asiatique commencer par plus tarder que la de main-d’œuvre, « L’Afrique doit et s’inspirer sans aujourd’hui parce à haute intensité commerciales du Sud-Est », n’est plus valable secteur d’activités haute technologie. comme en Asie haute technologie seront dans la menées ailleurs, une étape donc au tour des de l’Afrique d’emprunter la rampe de lancement expériences plupart des opportunités a besoin de sauter de la BAD. que l’Afrique le président de l’industrialisation lui permettra d’accélérer son dévelop», assurait dans déclare qui Je suis convaincu à la haute technologie dernier, Hafez pement. Ce serait oublier un peu vite que l’Afrique est moins août et d’aller directement du Faso, le 28 à L’Économiste industrialisée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante pour l’Afrique une interview de la Banque mondiale ans ! Les produits manufacturés représentent plus de 60 % Ghanem, vice-président er dernier. de ses importations ; venus de Chine pour l’essentiel, ceux-ci depuis le 1 juillet ont contribué à asphyxier l’industrie africaine. Conséquence ? 4.0 connaît un Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des L’INDUSTRIE l’Afrique subsaharienne ainsi que Nations unies, la part du secteur manufacturier dans la croisà Internet C’est une évidence, en matière d’accès dans l’acquisance du PIB du continent a reculé, passant de 12 % en 1980 retard considérable numériques et des technologies à 11 % en 2013. « Le poids de l’industrie stagne », poursuit la artificielle, data, dans l’utilisation requises : intelligence CEA dans un rapport de 2016, intitulé « Politique industrielle de machines sition des compétences déploiement e-commerce, transformatrice pour l’Afrique ». 3D), etc. cloud computing, sur et imprimantes le 4 juin dernier, intelligentes (robots tenu à Washington le directeur UNE INDUSTRIALISATION EN DÉCLIN Lors d’un colloque », Paul Maseli, 4.0 en Afrique Sur le plan international, le continent se situe au plus bas pour le développement le thème « L’industrie des Nations unies Abidjan. : « L’Afrique àsoit de l’échelle dans la chaîne de valeur mondiale, l’ensemble de l’Organisation autre modèle chocolat ivoirien, surtout à en esquissait un La Maison du des activités productives réalisées par lesd’Afrique entreprises en subsaharienne, industriel (ONUDI), dans l’industrie manufacturière etc.), des États ses sa place différents lieux géographiques. L’Afrique ne Éthiopie, représente ainsi Tanzanie, De leur côté, Rwanda, part, en renforçant doit trouver sation double voie. D’une continent (Kenya, que 1,9 % de l’industrie mondiale. D’après l’industriali ajoutée dans les l’est du manufacturière empruntant une industriel. Évoquer à haute valeur de un modèle l’alimenles fabrications le groupe de recherche britannique Economist Intelligence de la détermination développent positions dans comme le textile, à se souvenir à 2012. automatisés, Unit, ce chiffre s’élevait à plus derevient 3 % dans les années 1970… ministre de 1995 de l’Éthiopie le bois et le papier. secteurs les moins de fut le Premier qui en le tabac, les métaux, des pays de l’Asie Pendant ce temps, Meles l’Asie Zenawi, a vu sa part dans la valeur ajoutée taire, les boissons, ses capacités industrielles, par la réussite et de était tout en développant en investissant la Corée du Sud mondiale – valeur L’homme ajoutée par unefasciné économie par lorscelle de ladeproD’autre part, une à l’avenir du numériqueles compétences précisément, et, plus duction de biens et de services destinés à l’exportation – grimconduit avec succès l’Est elle doit se préparer autoritaire, numériques et ont, de façon les technologies per à 39 % en 2014,Taïwan, en vue qui d’atteindre les 50 % danssur les l’Occident. dix » dans Internet, industriel et à l’innovation. l’idée étant à relopolitique de rattrapage en effet conduire liées au développement a calqué ce modèle, ciblée tank numérique pourrait et une action Dès 2011, Addis-Abeba T O Bmarché révolution étude du think LaAFRIQUE AFRIQUE MAGAZINE I 3 8 5 – O Cdu RE 2018 MAGAZINE I 3 8 5 – OD’après C T O B Rune E 2018 dynamisme les services de productions. les robots de concilier le infrastructures, caliser certaines Institute (ODI), développer les à l’essor du Development l’industrie du de l’État pour londonien Overseas des affaires favorable compris) dans et exploitation a défini 14 secteurs base et un environnement cher que les sala(financement reviendront moins En 2016, le gouvernement transformation d’ici 2033 secteur privé. meuble aux États-Unis même industrie tourisme, médicaments, du Kenya de cette textile, habillement, temps est donc clés (construction, riés d’une usine l’Éthiopie). Le floriculture, cuir, investiset des et 2042 pour de produits agricoles, dans 22 parcs industriels les des techniciens (et entre 2038 manuà attirer des scientifiques, etc.) destinés Toutefois, le secteur compté pour former étrangers (IDE). Q le rapport annuel sements directs août dernier, ingénieurs africains. à décoller. En qu’au cours de facturier peine RE 2018 éthiopien révélait I 385 – OCTOB de l’Industrie AFRIQUE MAGAZINE du ministère
travers Afrique », doté Le cœur industriel de l’économie mondiale du XXIÀe siècle pourrait-il battre de l’agrol’agriculture en formation de inciter les entreprises des zones de Tanger à Johannesburg ? La prédiction est quasi unanime. la banque veut pour créer de dollars, dans les campagnes à s’installer Pourtant, la part du secteur manufacturier diminueindustrie depuis des années… des cultures vivrières. un de transformation
par Jean-Michel Meyer
Écrans : L’enfant, envers et contre tout par Jean-Marie Chazeau
Brassivoire, située à Abidjan et inaugurée début avril 2017, a construit cette année sa deuxième ligne de production.
LE GRAND DÉBAT
L’AFRIQUE, FUTURE USINE DU MONDE ?
L
d’Oran à Paris, le parcours du chef
JACQUES TORREGANO/DIVERGENCE
« Il faut croire en l’humain »
Un dossier spécial de 16 pages
SIA KAMBOU
Faouzi Bensaïdi :
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CÔTE D’IVOIRE
MAROC
Livres : Dany Laferrière, par-delà les apparences par Catherine Faye
À LA TUNISIENNE INTERVIEW
TEMPS FORTS
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0
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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE
ÉDITO Parlons d’AM par Zyad Limam
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Cahier Afrique Méditerranée Business : L’Afrique, future usine du monde ? par Jean-Michel Meyer et Cédric Gouverneur
AFRIQUE MAGAZINE
I
385 – OCTOBRE 2018
INGRID PULLAR/THE NEW YORK TIMES/REDUX/RÉA - NICO THÉRIN
RENCONTRE
AFRIQUE MAGAZINE
FONDÉ EN 1983 (34e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com
Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
zlimam@afriquemagazine.com
Assisté de Nadia Malouli
nmalouli@afriquemagazine.com
p. 72
RÉDACTION
Emmanuelle Pontié
DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION
DÉCOUVERTE
epontie@afriquemagazine.com
p. 86
Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com
CÔTE D’IVOIRE : LE DÉFI JEUNE
Jessica Binois
PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
par Dounia Ben Mohamed, Ouakaltio Ouattara et Lilia Ayari
56 59
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sr@afriquemagazine.com
Amanda Rougier PHOTO
arougier@afriquemagazine.com
La relève arrive
par Ouakaltio Ouattara
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Loraine Adam, Lilia Ayari, Dounia Ben Mohamed, Julie Chaudier, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Venance Konan, Élise Lejeune, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Ouakaltio Ouattara, Sophie Rosemont.
L’entrepreneuriat, c’est l’avenir !
Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF
par Dounia Ben Mohamed
L’emploi, un défi majeur pour le gouvernement
VIVRE MIEUX
par Lilia Ayari
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avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.
Mamadou Touré : « Lutter contre la précarité, investir sur la formation »
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par Ouakaltio Ouattara
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Sans complexes
par Dounia Ben Mohamed et Ouakaltio Ouattara
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104 Escapades : Abidjan, rock and roll par Zyad Limam 107 Carrefours : Un paysagiste algérien à Berlin
Ensuite/AMC 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)153844181 – Fax: (33)153844193 GÉRANT Zyad Limam DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE Emmanuelle Pontié regie@afriquemagazine.com CHARGÉE DE MISSION ET DÉVELOPPEMENT Élisabeth Remy
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108 Fashion : Laetitia Ky, celle qui parlait avec ses cheveux
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31, rue Poussin - 75016 Paris. PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL : Zyad Limam.
VIVRE MIEUX
110 Calculs urinaires : Comment éviter ces cailloux douloureux ? 111 Une arme supplémentaire contre le sida 112 Le chaud ou le froid pour soulager ? 113 Presbytie : les progrès de la chirurgie AFRIQUE MAGAZINE
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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.
Commission paritaire : 0219 D 85602 Dépôt légal : octobre 2018.
p. 108
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique magazine 2018.
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Dany Laferrière
« PAYS SANS CHAPEAU », Dany
Laferrière, Zulma, 288 pages, 9,95 €.
Par-delà les apparences Après vingt ans d’absence, l’académicien revient en Haïti et dresse un portrait troublant de son pays natal. C’EST UN PAYS FASCINANT que l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, best-seller mondial, et de Je suis un écrivain japonais redécouvre après vingt ans d’exil forcé. La nuit y appelle un va-et-vient incessant entre la réalité et le pays sans chapeau, l’au-delà pour les Haïtiens, qui le nomment ainsi parce qu’une fois mort, on ne porte plus de chapeau. Cette chronique singulière, écrite en 1996 et rééditée aujourd’hui, est presque une initiation onirique à un monde inconnu. Voici venu le temps des retrouvailles dans une contrée où « les vivants ferment les yeux des morts et les morts ouvrent les yeux des vivants », selon les termes du cinéaste Charles Najman, fasciné par l’imaginaire africain de l’île. Ce voyage troublant, habité par l’émotion du retour et la magie des dieux cachés, nous parle de Haïti – « je suis là, devant cette table bancale, sous ce manguier, à tenter de parler une fois de plus de mon rapport avec ce terrible pays » –, mais aussi de la nostalgie et du décalage qui se crée avec l’exil, entre celui qui est parti et ceux qui sont restés. Les chapitres alternent entre le pays réel et le pays rêvé – celui des superstitions et de la nuit. Au fil des jours qui passent, des silences, des mots chuchotés dans la rue, l’écrivain traverse, avec humour souvent, le voile des apparences, sur les traces des zombies et des fantômes installés dans le quotidien de chaleur et de bruit de la ville : « Combien d’enfants avez-vous, madame ? – Seize. – Où sont-ils ? – Tous les neuf à l’école. – Et les autres ? – Quels autres ? – Les autres sept enfants. – Mais, monsieur, ils sont 8
morts. – Madame, on ne compte pas les morts. – Et pourquoi ? Ce sont mes enfants. Pour moi, ils sont vivants à jamais. » Mais c’est aussi le retour d’un fils que le maître de l’autofiction met en scène. Les retrouvailles avec sa mère et sa tante sont percutantes. Laissées derrière lui en 1976 pour échapper aux troupes paramilitaires des Tontons macoutes, à ses trousses en raison de ses publications antigouvernementales et de ses prises de positions contre la dictature de Jean-Claude Duvalier, elles n’auront plus de ses nouvelles durant vingt ans. C’est à Montréal que Dany Laferrière, né à Port-au-Prince et élevé dans le village de Petit-Goâve, va enfin donner vie à son rêve de devenir écrivain, non sans mal, enchaînant pendant huit ans les emplois précaires. Il devient le lecteur passionné, « l’homme-livre » que l’on connaît. Il se souvient : « Une nuit plus morne que les autres, j’ai glissé une feuille blanche dans le tambour d’une vieille Remington et j’ai tapé la première phrase : “Pas croyable, ça fait la cinquième fois que Bouba met ce disque de Charlie Parker.” ». De son premier roman choc à L’Art presque perdu de ne rien faire, en passant par L’Énigme du retour (prix Médicis 2009) et Autoportrait de Paris avec chat – roman dessiné et écrit à la main –, Dany Laferrière a construit une œuvre, plus de 30 livres traduits en 15 langues, qui lui vaut en 2013 son élection à l’Académie française : « Être académicien, c’est redevenir un enfant, dans le sens de la liberté », confiera-t-il. Une œuvre patiente, puissante. Et sans fard. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE
par Catherine Faye
ON EN PARLE livres
témoignage
RÉMINISCENCES D’UNE JEUNESSE SE SOUVENIR. Savoir. Devenir. Ce livre oscille entre mémoire et témoignage d’une identité, en une succession de textes courts où Nina Bouraoui partage ses souvenirs d’enfance à Alger, l’histoire de sa famille et la naissance du désir à 18 ans à Paris. « Je n’oublie pas d’où je viens, les falaises de la route de la corniche, la palmeraie de Bou Saada, les sentiers de Chréa, les roseaux avant la plage, les néfliers que j’escaladais, me hissant au-dessus du monde », se souvientelle, tandis que quelques paragraphes plus loin, elle
« TOUS LES HOMMES DÉSIRENT NATURELLEMENT SAVOIR », Nina Bouraoui,
JC Lattès, 256 pages, 19 €.
évoque comme un leitmotiv le Kat, un club réservé aux femmes, rue du VieuxColombier, où elle passe les nuits de sa jeunesse, et confie : « En rentrant du Kat, j’écris pour me faire pardonner mon homosexualité et pour me faire aimer. » ■ C.F.
société
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REGARDS CROISÉS Dans ce deuxième roman, c’est la société coloniale que l’auteur de Debout-payé dépeint, à travers deux regards, celui du blanc sur l’Afrique et celui du noir sur l’Europe. Deux regards naïfs d’un enfant et d’un jeune homme qui, à des époques différentes, découvrent la Côte d’Ivoire. Son propos est servi par une langue truculente et imagée, avec des personnages tout en contrastes. « Elle me triste, Yolanda, à regarder ailleurs le jour de mon premier voyage. Quand AFRIQUE MAGAZINE
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BD SECRET D’ÉTAT
EN 1903, AU CONGO FRANÇAIS, un homme est dynamité par deux administrateurs coloniaux. Cet acte inhumain devient « l’affaire Gaud et Toqué » et provoque une onde de choc en France. L’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza est alors missionné pour enquêter et rédige « CONGO 1905, LE RAPPORT un rapport à charge contre le colonialisme BRAZZA », Vincent français. Censuré, il sera redécouvert Bailly et Tristan Thil, Futuropolis, en 1966 par l’historienne Catherine 144 pages, 20 €. Coquery-Vidrovitch, laquelle a conseillé les auteurs de travailler à partir des notes privées de Brazza, qui ne figurent pas dans le rapport final. Une BD formidablement réalisée et d’une immense valeur historique. ■ Loraine Adam
premier roman
SENS DESSUS DESSOUS
« CAMARADE PAPA »,
Gauz, Le Nouvel Attila, 256 pages, 19 €. Camarade Papa et moi sommes au niveau de Oude Kerk, la paroisse du quartier, Yolanda me crie. En tenue de bisous, elle court dans la rue. » Une histoire de la colonisation, pétrie de tendresse et d’humour. ■ C.F.
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RIEN NE SE PASSE comme prévu pour Ghaylène, urbaniste intello et tourmenté. Au bout du rouleau, le voilà dans les rues de Tunis. Mais la ville est prise d’agitation. Des chats étranges l’envahissent, des lancers de pétards génèrent de dangereux mouvements de foule, les poubelles « MAGMA TUNIS », s’accumulent et de curieuses Aymen Gharbi, Asphalte éditions, performances d’art contemporain 192 pages, 16 €. s’exhibent. Les forces de l’ordre sont sur les dents, et le héros ne tarde pas à remarquer qu’il est suivi. Dans ce premier roman singulier, Aymen Gharbi met en scène la rupture entre une jeunesse désenchantée et son pays natal. Et brosse un portrait plein d’humanité de Tunis. ■ C.F. 9
La réalisatrice dirige le jeune Zain al-Rafeea sur le tournage.
L’enfant, envers et contre tout
Prix du jury au dernier Festival de Cannes, le nouveau film de la cinéaste libanaise Nadine Labaki bouleverse les salles : sa caméra a suivi un jeune garçon dans un bidonville du Moyen-Orient, où survit une population que l’on ne veut pas toujours voir. Une plongée dans les bas-fonds pleine de justesse et d’humanité. par Jean-Marie Chazeau
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des conditions indignes… Après trois ans de recherche, six mois de tournage, 500 heures de rushs, le résultat est impressionnant de réalisme. L’aspect documentaire renforce le romanesque du film et laisse même un peu de place à… l’humour. Notamment grâce aux acteurs non-professionnels, le jeune Zain al-Rafeea en tête. Buté et trop vite endurci, son personnage saura se montrer paternel avec le bébé d’une réfugiée érythréenne sans-papiers. On est loin des douceurs ambrées du salon de beauté de Caramel, le premier film et grand succès de Nadine Labaki, sorti en 2007. Dans cette œuvre brute, on vibre avec ce jeune garçon qui se démène comme un beau diable, envers et contre tous. À quelques effets de style près, un peu trop appuyés (musique et ralentis), c’est une très belle réussite, filmée comme un thriller de survie, mais à hauteur d’enfant. ■ « CAPHARNAÜM » (Liban) de Nadine Labaki.
Avec Zain al-Rafeea, Yordanos Shiferaw, Boluwatife Treasure Bankole. AFRIQUE MAGAZINE
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LA CINÉASTE A DÉDIÉ sa récompense à son pays, le Liban, « qui, malgré tout ce qu’on lui reproche, se débat comme il peut. Il a quand même accueilli le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, même s’il n’a pas les moyens de subvenir aux besoins de toute la population ». Tonnerre d’applaudissements dans le palais des festivals et des congrès de Cannes en mai dernier. À l’écran, le Liban n’est pas nommé ; on y voit les quartiers miséreux d’une ville du Moyen-Orient, habités par des populations plus misérables encore. Le point de départ, c’est Zaïn, un livreur d’à peine 12 ans et qui en fait trois de moins, qui ne va pas à l’école pour travailler. Ses parents passent leur temps à le battre et essayent de marier contre son gré l’une de leurs filles pour récupérer un peu d’argent. Pour le garçon, c’en est trop : faute de pouvoir sauver sa sœur de 11 ans, il s’enfuit, cherchant à s’abriter et à se nourrir seul. Après plusieurs péripéties, il parvient à traîner ses parents devant les tribunaux, les accusant de l’avoir mis au monde dans
ON EN PARLE écrans
animation
Loin de la Kanaky DILILI EST UNE PETITE FILLE originaire de Nouvelle-Calédonie, qui s’échappe du zoo humain dans lequel elle est exhibée pour partir à la découverte du Paris de la Belle Époque. Ce qui intéresse ici Michel Ocelot, le papa de Kirikou, ce n’est pas le regard de l’Occident sur les peuples autochtones au début du XXe siècle, mais la curiosité d’une fillette pour une ville où se côtoient scientifiques et artistes venus du monde entier. Les façades des bâtiments n’ont pas été redessinées, les personnages évoluant sur des photos du Paris haussmannien. Visuellement très réussi, avec un propos féministe percutant, le film est moins convaincant sur la place d’une petite métisse kanake dans la société de l’époque, même si elle sait remettre à leur place les racistes de tout poil. ■ J.-M.C. « DILILI À PARIS » (France) de Michel Ocelot.
Avec les voix de Prunelle Charles-Ambron, Natalie Dessay.
Un film visuellement très réussi.
drame Le grand écart AMIN TRAVAILLE EN FRANCE sur des chantiers et ramène de l’argent dans sa famille au Sénégal. Sa femme et ses enfants lui font comprendre qu’il part trop longtemps. À son retour à Paris, il redevient cet homme renfermé qu’il est depuis son arrivée neuf ans plus tôt, jusqu’à ce qu’il rencontre une femme chez qui il fait des travaux… Deux solitudes vont se trouver, avec beaucoup de pudeur. Après Fatima, Philippe Faucon poursuit une très belle galerie de portraits ancrés dans la France d’aujourd’hui, avec des scènes africaines qui évitent bien des clichés. Un film de consolation d’une grande finesse. ■ J.-M.C. « AMIN » (France) de Philippe Faucon. Avec Moustapha
Mbengue, Emmanuelle Devos, Marème N’Diaye.
document
DR (2) / JÜRGEN SCHADEBERG / DR
Juste avant Robben Island « QU’EST-CE QUI VOUS MARQUÉ À LONDRES ? - En arrivant à l’aéroport d’Heathrow, c’est une Blanche qui lavait le sol… » Ainsi témoigne un militant du Congrès national africain, interrogé par le tribunal de Pretoria qui, en 1964, allait condamner Nelson Mandela et sept de ses huit coaccusés à la prison à vie. Le film est construit sur des archives sonores restaurées en France, rares traces de ce procès historique qui permettent d’entendre la voix de Mandela avant son enfermement à Robben Island. L’ennemi n° 1 du régime d’apartheid sud-africain en reprendra des passages dans son discours après sa libération, vingt-cinq ans plus tard. Pour pallier l’absence d’images, une animation élégante, et des interviews récentes des accusés, ainsi qu’un témoignage de Winnie Mandela peu avant sa mort. Un film puissant, coproduit notamment par Julie Gayet et Omar Sy. ■ J.-M.C. AFRIQUE MAGAZINE
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« LE PROCÈS CONTRE MANDELA ET LES AUTRES »
(France) de Nicolas Champeaux et Gilles Porte.
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Djazia Satour
Le retour aux sources « ASWÂT »,
Djazia Satour,
Alwâne Music
Avec Aswât, la musicienne algérienne signe un album mélodique et sensible. Et exclusivement en langue arabe ! NÉE À ALGER à l’orée des années 1980, Djazia Satour vit en France depuis 1990. Dès l’adolescence, elle joue et chante dans plusieurs formations, comme MIG. La musique est pour elle « une soupape de décompression, qui s’est peu à peu muée en force ». Elle ajoute : « Ce sentiment s’est renforcé quand je me suis mise à la création, ce qui m’ouvrait un champ d’expression et de recherche sans fin, mais surtout un terrain d’une liberté inaliénable, que nul ne peut vous confisquer. » En 2014, elle sort son premier album solo baptisé Alwâne, partagé entre arabe et anglais. Aujourd’hui, c’est avec Aswât que Djazia Satour nous charme instantanément, sur des airs folk et pop, chaâbi et andalous. 12
Choisissant de chanter uniquement en arabe, la musicienne y explore le territoire sonore de son pays natal : « Ces musiques ont toujours inspiré ma création, mêlées aux influences anglo-saxonnes, analyse-t-elle. Mais avec ce nouvel album, j’ai voulu les mettre à l’honneur et privilégier les instruments traditionnels algériens (banjo, mandole, bendir…) dans toute leur amplitude émotionnelle. J’ai voulu qu’ils soient le fil rouge de toutes les chansons. Et je pense que je suis arrivée à leur donner une certaine unité, même si chaque composition reste fortement individualisée. » Tout en étant très personnel, Aswât (qui signifie « des voix ») parle aussi du collectif : « La voix du réfugié qui sait qu’il n’est
peut-être pas le bienvenu dans ce pays d’accueil, ou celles de ces migrants à bord de leur embarcation de fortune ne sont pas porteuses de discours mais d’émotions et de sensations. Elles nous parviennent trop souvent comme un flux d’ondes, de sonorités indéchiffrables, un tumulte auquel on peine à donner du sens. La chanson d’ouverture de l’album, “Neghmat Erriah”, les symbolise car elles sont semblables aux bruits et aux sons que les vents charrient de toutes parts, au mépris des frontières. » La mélodie de cette chanson ou de « Loun Liyam » reste longtemps en tête, convoquant nos souvenirs intimes autant que notre appréhension d’un monde au fragile équilibre. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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YANNICK SIEGEL
par Sophie Rosemont
ON EN PARLE musique new wave africaine
PETITE NOIR, ENTRE PASSÉ ET PRÉSENT EN 2015, nous faisions la connaissance de Yannick Ilunga, alias Petite Noir, Sud-Africain installé à Londres, dont le principal objectif était de convertir le plus de monde possible à son mouvement musical, la noirwave. Entre new wave britannique, mélodies traditionnelles africaines et rythmiques urbaines, ce genre est de nouveau convoqué dans le deuxième disque de l’artiste, La Maison Noir/The Black House, dont les six titres rivalisent d’énergie. En invités, le slameur Saul Williams sur l’irrésistible « Blowing Up The Congo », ou le rappeur de Détroit Danny Brown sur « Beach ». À 28 ans, l’artiste semble avoir trouvé son style, son ton, et offre une diversité bienvenue à la scène indie internationale, souvent cantonnée à ses limites occidentales. À suivre, et à aimer ! ■ S.R. « LA MAISON NOIR/ THE BLACK HOUSE »,
Petite Noir, Roya/ Warp/Differ-Ant
« UNE MAIN LAVE L’AUTRE », Alpha
Wann, Don Dada
Records/Caroline International France
rrap ap
DR (3) / PAUL & MARTIN
LES DÉBUTS EN SOLO D’ALPHA WANN APRÈS TROIS MAXIS, le rappeur français révélé dans les groupes 1995 et L’Entourage propose un premier album très attendu, Une main lave l’autre, ou UMLA pour les intimes. Et il tient bien la route : flow sans erreurs de parcours, production de qualité et featurings bien vus (Infinit’, Sneazzy, Diabi ou encore OG L’Enf). Comme il le balance dans son titre « Stupéfiant et noir », déjà entonné par un grand nombre d’amateurs : « J’suis comme le shit, stupéfiant et noir / Quelqu’un d’peu exemplaire, ouais, j’suis peu exemplaire / Mais l’album est frais, achète deux exemplaires. » Le message est passé. ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE
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qawwalî FANNA-FI-ALLAH
Quand la foi rencontre le chant MENÉ PAR LE VIRTUOSE Tahir Hussain Faridi Qawwal, ce groupe californien est l’un des plus grands noms du qawwalî, genre musical mettant en scène la foi soufie. C’est peut-être pour cela que leurs mélodies nous emmènent haut, très haut. Même si l’on écarte le côté spiritualité, il est impossible de résister à cet écrin de beaux morceaux durant entre 8 et 17 minutes (il faut prendre le temps de s’immerger !) et bénéficiant des percussions des tablas, venus d’Inde du Nord. De quoi devenir psychédélique… tout en respectant les grands maîtres du genre. À noter que c’est le leader de Coldplay, Chris Martin, qui a produit Muraqaba, premier album du groupe commercialisé en Europe, auquel on souhaite le meilleur des accueils. ■ S.R. « MURAQABA », Fanna-Fi-Allah, Buda Musique
pop JAIN, la stupéfiante IL Y A QUELQUES ANNÉES, la jeune Jain faisait une entrée fracassante sur la scène pop avec ses chansons ensoleillées, et battait des records avec les tubes « Come » et « Makeba ». Aujourd’hui, à 26 ans, elle revient avec un album reflétant son évolution artistique et personnelle – celle d’une femme prête à tout pour défendre sa musique. De nouveau produit par son complice Maxim Nucci, Souldier témoigne des voyages que la chanteuse a faits dans sa jeunesse, en Afrique mais aussi en Asie et dans les Émirats… Entre échos orientalisants, inspirations hip-hop et dub, les 10 titres de cet album revigorent l’esprit. Et leur auteure et interprète confirme son don à enthousiasmer les foules avec des hits tout trouvés, comme « Alright » ou « Souldier ». ■ S.R. « SOULDIER »,
Jain, Columbia/Sony 13 3
Chapungu – The Day Rhodes Fell, de Sethembile Msezane, 2015.
Untitled, de Jean-Michel Basquiat, 1982.
musée
« L’envol ou le rêve de voler » est l’ultime exposition de LA MAISON ROUGE avant sa fermeture à la fin de l’année. DU RÉEL À LA MYTHOLOGIE, le ciel est un terrain de jeu risqué pour l’homme. C’est une étendue sans frontières foisonnant de chimères et de fées. Un vaste bordel où chahutent des êtres mi-anges mi-humains. Cette exposition traite du rêve de voler, sans s’intéresser pour autant à ceux qui y sont réellement parvenus. Dans le patio, à travers les baies vitrées, une fusée, tel un grand jouet, dit quelque chose d’une époque révolue. Tout comme la photo de Sethembile Msezane, Chapungu – The Day Rhodes Fell, qui montre le déboulonnage sur un campus de la statue de Cecil Rhodes, magnat des mines et homme politique britannique en poste en Afrique du Sud sous l’empire colonial. Costumée en oiseau, l’artiste sud-africaine apparaît, guerrière, faisant de cette chute la promesse de son envol, et de cette performance un acte de résistance. De Georges Méliès à Henri Cartier-Bresson, en passant par Jan Malik, l’exposition regroupe plus de 200 œuvres d’art moderne, contemporain, brut, ethnographique et populaire. Cette exposition clôture quatorze années d’une aventure artistique singulière. Une utopie libre de toute entrave économique ou institutionnelle. Rideau, et bon vol ! ■ C.F. « L’ENVOL OU LE RÊVE DE VOLER », La Maison rouge, Paris, jusqu’au 28 octobre 2018. lamaisonrouge.org 14
avant-garde
BASQUIAT, L’ÉTOILE FILANTE
Une rétrospective exceptionnelle à la Fondation LOUIS VUITTON rend hommage au chef de file de la mouvance underground.
APRÈS AVOIR DÉLOGÉ du MoMA plus de 200 chefs-d’œuvre de l’art moderne, le vaisseau amiral conçu par Frank Gehry présente l’œuvre prolifique et énigmatique de Jean-Michel Basquiat (1960-1988). Apparue dans les années 1980, sa production « tribale et noble », selon le critique d’art italien Germano Celant, est aussi précoce que fulgurante. Mort à 28 ans d’une overdose, le jeune artiste américain, d’origines haïtienne par son père et portoricaine par sa mère, débute dans les rues de New York et développe un art d’une incroyable puissance expressive. De 1977 à 1980, il graffe les murs de Manhattan de messages poétiques et subversifs, et signe SAMO. En 1980, devenu l’ami d’artistes comme Andy Warhol, Keith Haring et Francesco Clemente, il délaisse la rue. Porté par l’énergie du hip-hop et de multiples références – de Pablo Picasso à Jean Dubuffet, en passant par le mouvement Cobra, le jazz et le vaudou –, il produit plus d’un millier de peintures en à peine une dizaine d’années. Son talent indomptable et frénétique le place au rang des peintres fondamentaux du xxe siècle. Une notoriété coup de poing, à l’aune de son énergie sophistiquée et avant-gardiste. De la célèbre série des Heads à la fameuse collaboration entre Basquiat et Warhol, en passant par des inédits, l’exposition risque bien d’être l’un des événements phare de l’automne. Et un flash-back percutant sur l’itinéraire de cet artiste majeur, mi-ange mi-démon, à travers plus de 135 œuvres. Incontournable. ■ C.F. « JEAN-MICHEL BASQUIAT », Fondation Louis Vuitton, Paris, jusqu’au 14 janvier 2019. fondationlouisvuitton.fr AFRIQUE MAGAZINE
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ENTRE ICI ET AILLEURS
ON EN PARLE agenda événement
Which Way is East?, de Mongezi Ncaphayi, 2017.
Londres, capitale de l’art africain
INCONTOURNABLE, la foire 1:54 participe activement à la notoriété et à la cote des artistes du continent. LANCÉE IL Y A CINQ ANS par la Marocaine Touria El Glaoui, la foire 1:54 (en référence aux 54 pays constituant le continent) est devenue cheffe de fil dans les discussions du marché mondial de l’art contemporain africain. Décliné à Marrakech et à New York, cet événement annuel, qui est né à Londres, aura lieu dans la capitale britannique du 4 au 7 octobre. La néoclassique Somerset House, à l’est de Waterloo Bridge, accueillera 43 galeristes venus d’Afrique, mais aussi d’Europe, du Moyen-Orient et des États-Unis. Avec plus de 130 artistes du continent et de la diaspora, et des choix de plus en plus pointus, cette nouvelle édition sera suivie de 1:54 Marrakech les 23 et 24 février 2019. ■ C.F. 1:54 CONTEMPORARY AFRICAN ART FAIR,
Somerset House, Londres, Grande-Bretagne, du 4 au 7 octobre 2018. 1-54.com
culture
ANTHONY FITZHENRY - STUDIO LOUIS DELBAERE - UBISOFT
LE BÉNIN À L’HONNEUR L’ASSOCIATION ROCHELAISE Art&Co rend hommage au dynamisme culturel et artistique du Bénin, avec le concours du Centre Arts et Cultures de Lobozounkpa, à Cotonou, qui a accepté de présenter une sélection de 12 de ses artistes les plus représentatifs. Des masques en bois de Julien Vignikin aux sculptures de Dominique Zinkpè, en passant par les acryliques rouges et noires de Gérard Quenum, les œuvres exposées viennent questionner la mémoire, les rapports entre le Nord et le Sud, la mondialisation, le développement durable ou encore l’impact des traditions. Captivant. ■ C.F. « EMPREINTES », La Rochelle, jusqu’au 15 décembre 2018. artandco.fr AFRIQUE MAGAZINE
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numérique
Un véritable voyage virtuel.
CITÉS MILLÉNAIRES
Quatre lieux du patrimoine ARABE revivent dans une mise en scène immersive. FAIRE RENAÎTRE par la magie du numérique des cités millénaires menacées, endommagées, pillées ou détruites. C’est l’ambition de l’Institut du monde arabe, qui propose une exposition unique, conçue avec les technologies de numérisation les plus en pointe. Des projections géantes d’images inédites captées par des drones et reconstituées en 3D (dont certaines à 360°), des expériences de réalité virtuelle, des documents et images d’archives, mais aussi des vidéos et des témoignages des populations sur place convient à un impressionnant voyage. Des ruines de la grande mosquée al-Nouri, à Mossoul (Irak), détruite par l’État islamique, aux décombres de Palmyre (Syrie), le visiteur expérimente un prodigieux périple virtuel au cœur de cités reconstituées, dont également Alep (Syrie) et Leptis Magna (Libye). Une immersion émouvante qui s’érige en manifeste pour la défense de ces symboles du patrimoine mondial de l’humanité et de l’histoire multiculturelle des civilisations du Proche-Orient. Et un message d’espoir face aux menaces. ■ C.F. « CITÉS MILLÉNAIRES, VOYAGE VIRTUEL DE PALMYRE À MOSSOUL », Institut du
monde arabe, Paris, du 10 octobre 2018 au 10 février 2019. imarabe.org
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CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Fouzia Marouf
Rebecca Ayoko Passant des rues d’Abidjan aux podiums,
l’ancienne égérie d’Yves Saint Laurent a connu la gloire. Enfant esclave, mère à 13 ans puis mannequin star, elle a raconté son histoire dans Quand les étoiles deviennent noires, en 2012. Elle retrouvera un autre mentor, Alphadi, au 11e Fima (festival de mode africaine), à Dakhla, du 21 au 24 novembre.
❯ J’ai grandi en Afrique. Je dois m’y ressourcer, c’est mon berceau car je suis imprégnée par la puissance de sa nature, de la beauté de cette terre fertile. Sa cartographie me rappelle la force d’une grande reine. J’y ai appris le courage des femmes. Je suis née au Ghana, mes parents étaient Togolais (je parle togolais et me sens togolaise), et j’ai vécu au Kenya, fascinée par sa part animale. Je suis encore habitée par les animaux sauvages entrant dans les foyers : les singes, les serpents… ❯ La Côte d’Ivoire m’a appris l’ouverture, elle a été déterminante dans mes premiers pas de mannequin et m’a aidée à m’envoler vers l’Europe. À 15 ans, j’ai été élue Miss Côte d’Ivoire, drapée d’un drapeau imprimé de billets de banque. J’y ai noué de fortes amitiés avec des coiffeurs bienveillants, qui m’ont encouragée à tenter une carrière de modèle. Je me souviens d’une vraie générosité, ce sont eux qui ont financé le billet d’avion Abidjan-Paris. ❯ Mon arrivée en France, à la fin des années 1970, m’a enrichie. À moins de 20 ans, j’ai appris à m’adapter, à être forte. J’y ai découvert la sororité, accueillie par Esther, une prostituée camerounaise au grand cœur, qui m’a hébergée et m’a fait la cuisine dans son studio. Lorsqu’elle recevait des clients, j’allais au cinéma, j’étais innocente. C’est l’envie de devenir mannequin professionnelle qui m’a aidée à intégrer une agence. ❯ Ce sont les rencontres qui m’ont le plus appris, qui ont scellé mon destin. À Paris, sur les Champs-Élysées, j’ai rencontré une femme marocaine qui m’a présenté Odile Sarron, qui était à l’affût de nouveaux modèles pour le magazine Elle. J’ai eu une chance inespérée, elle m’a embauchée, puis tout est allé très vite : des contrats avec Marie-Claire ont suivi, je suis devenue mannequin photo et grande figure de Glamour. J’ai une pensée émue pour Katoucha Niane [décédée en 2008, ndlr], car nous avons débuté ensemble et nous nous sommes serrées dans les bras quand nous avons appris que nous allions défiler pour Ted Lapidus, lors de notre premier défilé haute couture Givenchy. On m’apprenait à marcher entre deux essayages ! Mon métier s’est imposé à moi au fil des saisons et des collections effrénées. ❯ J’ai énormément appris grâce à Yves Saint Laurent. Il m’a portée aux nues, il a été ma bonne étoile. Il faut savoir saisir les cadeaux de la vie avec intelligence. Son accompagnement ne m’a plus quittée après mon premier essayage – un tailleur jupe noir. Ça a marqué le début d’une grande histoire. J’ai conscience d’avoir été un symbole pour les femmes noires, au-delà de l’univers de la mode. Je suis devenue sa muse, une star adulée dans les défilés les plus prestigieux : il m’a transmis sa passion en me modelant comme mannequin podium.
Quand les étoiles deviennent noires, Rebecca Ayoko, Jean-Claude Gawsewitch. 16
❯ Mon fils m’a apporté un bonheur inconditionnel. J’ai fortement désiré ce fils, qui m’a appris l’amour, le lien fusionnel. J’étais déjà maman d’une fille que j’aime, née d’un viol dont j’ai été victime à 13 ans. J’en retiens la violence de l’épouse de celui qui m’a violée, elle l’a aidé en m’empoignant les mains. ❯ La perte de ma mère, à 12 ans, m’a ravagée. J’étais une enfant battue, esclave, trimbalée d’un lieu à un autre. On ne m’a pas éduquée, ni appris à gérer les choses. Ces rudes épreuves m’ont portée vers la foi. À présent, je suis plus forte. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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RENAUD JOUBERT
« J’ai conscience d’avoir été un symbole pour les femmes noires, au-delà de l’univers de la mode. »
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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié
À ÉTUDIER !
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ent cinquante-trois millions d’étudiants dans le monde. Déjà 53 % de plus qu’en 2000. Youpi ! En ce qui concerne l’Afrique, c’est elle qui a vu ses inscriptions dans l’enseignement supérieur augmenter plus rapidement que partout ailleurs : environ 66 % en près de vingt ans. Bon, certes, elle avait du retard, mais quand même ! Autre particularité des étudiants africains, il s’agit des plus mobiles. Ils partent étudier dans un pays étranger, loin de chez eux, environ trois fois plus que la moyenne mondiale. Et avec des pics incroyables dans certains États. En 2016, un étudiant sénégalais sur sept ou un élève mauritanien sur quatre suivait un cursus en dehors de ses frontières. Bref, des jeunes avides de savoir et de s’en sortir affluent année après année sur le marché des facs et autres formations supérieures. C’est évidemment une chance pour les États africains et leurs économies de demain. Pourtant, pourtant… En ce mois d’octobre, où les étudiants prennent le chemin de l’université ou de l’établissement X ou Y, un incroyable parcours du combattant commence. Des salles pléthoriques, des transports inexistants, des campus insuffisants, des promotions monnayées, des équipements hors d’âge, des bourses détournées… C’est le lot quotidien des élèves africains qui n’ont pas les moyens de s’expatrier. Autant dire le plus grand nombre. Certains n’arrivent même pas à faire leurs devoirs le soir chez eux, faute carrément d’électricité… Et il faut ajouter les grèves non-stop et la collection d’années blanches dans bon nombre de pays. On sait que le continent n’a pas toujours pour culture de privilégier sa jeunesse. On sait aussi que le financement des universités est un vrai casse-tête. Mais quand même ! Il serait peut-être temps que les pouvoirs publics en fassent une priorité et trouvent des solutions. Avec l’aide du privé, de partenariats, de nouvelles technologies, que sais-je ? D’autres, AFRIQUE MAGAZINE
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ailleurs, ont bien réussi. Il est donc urgent d’agir. Car une courbe démographique ne s’inverse pas. Car le continent, globalement toujours « en voie de développement » ou hypothétiquement « émergent » (ce qui revient au même), n’a pas les moyens de se passer d’une jeunesse formée aux défis du moment et de demain. Et parce que, enfin, une population estudiantine méprisée et livrée à elle-même peut aussi créer d’autres soucis, bien plus compliqués à résoudre que de mettre aux normes le secteur de l’enseignement supérieur. Certains régimes, qui passent leur temps à redouter une déstabilisation qui viendrait de la rue, savent tout ça par cœur, non ? Bonne rentrée à tous quand même ! ■
Des jeunes Africains avides de savoir et de s’en sortir affluent année après année sur le marché des facs et autres formations supérieures. 19
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TUNISIE
PERSONNAGES EN QUÊTE D’AVENIR Le président Béji Caïd Essebsi l’a dit : les élections législatives et présidentielles auront bien lieu avant la fin 2019. Disons dans un an. Mais d’ici là, c’est un peu « chacun pour soi ». Passage en revue des caractères en présence. par Frida Dahmani et Zyad Limam 20
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our couper court aux diverses rumeurs de report, le président tunisien Béji Caïd Essebsi l’a affirmé : les élections législatives et présidentielles auront bien lieu fin 2019. Les protagonistes, non sans confusion, sont déjà en ordre de bataille, échafaudant des plans, des contre-plans… La classe politique se décompose et se recompose au gré des nouvelles alliances, et d’éventuelles attributions de portefeuilles. Ceci dans l’indifférence quasi générale d’une opinion publique échaudée par les promesses non-tenues de la révolution, AFRIQUE MAGAZINE
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Le président Béji Caïd Essebsi charge Youssef Chahed de former un nouveau gouvernement, le 3 août 2016. AFRIQUE MAGAZINE
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la nette dégradation de son niveau de vie et le délitement d’un État longtemps reconnu pour la rigueur relative de son administration. Huit ans après la révolution, l’euphorie est retombée depuis déjà un moment, et le désenchantement s’est installé. La classe moyenne, à bout de souffle, peine à joindre les deux bouts, écrasée par une inflation s’élevant à 7,8 % – sans compter que la population a subi des pénuries de médicaments et d’eau, ainsi que des inondations dévastatrices qui ont frappé plusieurs régions. Les Tunisiens s’inquiètent de voir leurs fondamentaux détruits. Toucher à la santé ou à l’éducation revient à effacer des acquis durement construits depuis l’indépendance. Le pays est à la croisée des chemins, à la recherche d’une identité propre et d’une vision d’avenir. Les habitants grondent, râlent et vitupèrent (souvent sur les réseaux sociaux), mais sans que cela provoque un réel effet sur une classe politique qui paraît fonctionner comme hors-sol. Le 6 août 2013, il y a un peu plus de cinq ans, le sit-in du Bardo avait fait se réunir plus de 100 000 personnes, du jamais-vu à Tunis depuis le retour d’exil de Bourguiba le 1er juin 1955. Les formations politiques s’étaient engagées à traduire la volonté exprimée par la rue et le refus des extrêmes. Pourtant, tout cela semble bien lointain. Mais est-ce pour autant que la messe de la démocratie est dite ? Revue en détail des principaux acteurs de la classe politique. ■
LE « QUINTET »
Béji Caïd Essebsi, 91 ans Certes, il n’est plus le « Bajbouj » qu’avaient plébiscité ses électeurs en 2014. Son alliance avec Ennahdha, l’adoption d’une stratégie du consensus qui en a découlé, mais aussi le passage des commandes du parti Nidaa Tounes – qu’il a créé et qui l’a propulsé à Carthage – à son fils Hafedh ont été vécus par une grande partie des militants comme autant de renoncements. Mais ce vieux briscard de la politique sait maintenir son piédestal. Le président de tous les Tunisiens est tel le Sphinx, sibyllin et hermétique. Sa fonction l’y contraint, puisque ses prérogatives lui permettent juste d’intervenir en matière de défense et de diplomatie et d’être garant de la Constitution. Il lance une initiative historique avec la Colibe (Commission des libertés individuelles et de l’égalité), chargée de mettre en adéquation les lois tunisiennes avec les principes inscrits dans la Constitution « révolutionnaire ». Il ouvre le débat, ultra-tabou dans le monde arabo-musulman, de l’égalité successorale entre hommes et femmes. Il cherche à être 22
à la manœuvre, utilise la télévision avec un certain bonheur. Il a bien tenté d’imposer l’Accord de Carthage pour dicter au gouvernement d’union nationale une feuille de route, mais c’était sans compter l’indocilité du chef de l’exécutif, le Premier ministre Youssef Chahed. Désormais, les deux hommes sont à couteaux tirés, et leur désaccord redistribue les cartes des équilibres politiques. Nidaa Tounes est atteint de nomadisme politique et perd ses députés, lesquels grossissent les rangs du groupe parlementaire de la Coalition nationale qui soutient Chahed. « Rien n’est définitif », se plaît à répéter le locataire de Carthage qui acte, après trois ans de consensus, une rupture avec Ennahdha et renvoie, avant les élections, Assemblée et gouvernement à leurs responsabilités. Désormais, c’est chacun pour soi. En attendant, nul ne sait si Béji Caïd Essebsi sera candidat à sa propre succession. Politiquement, la démarche paraît pourtant bien improbable, Nidaa Tounes étant durablement affaibli. Et le président aura alors presque dix ans de plus que Bourguiba – dont il se réclame – au moment de sa destitution. Pas forcément un gage de modernité dans un pays encore jeune, où l’âge médian est de 30 ans…
Youssef Chahed, 43 ans Celui que Béji Caïd Essebsi estimait assez malléable pour se contenter d’être le premier de ses ministres s’est rebellé contre son mentor en utilisant la même stratégie : une alliance plus ou moins formelle avec le parti néo-islamiste Ennahdha pour se maintenir à la tête du gouvernement, se libérer de la tutelle du « vieux » et des velléités de contrôle de son fils Hafedh. Il déjoue tous les pronostics, se maintient à la Kasbah (siège de la Primature). Il manœuvre habilement et s’assure, lui qui a été mis au ban de Nidaa Tounes, l’appui de la Coalition nationale. Ce groupe de plus de 40 parlementaires est constitué de transfuges de différents partis politiques, qui, avec les voix d’Ennahdha, représente une majorité au parlement. Sa capacité de résistance, sa jeunesse, sa rectitude parlent à une partie de l’opinion. En quelques mois, l’homme qui détient le plus de pouvoirs en Tunisie a consolidé sa position. Il a obtenu le soutien de Mohsen Marzouk, fondateur de Machrouu Tounes et ancien collaborateur du président Caïd Essebsi. Le chef du gouvernement apparaît comme une solution d’avenir. Même si le « deal » avec Ennahdha pourrait s’avérer à double tranchant, en le contraignant à de nombreuses concessions et en braquant l’électorat « laïc », en déshérence. Youssef Chahed a aussi et surtout besoin de marquer des points sur le terrain économique et social. Et pour le moment, le compte n’y est pas encore. AFRIQUE MAGAZINE
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ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS
Rached Ghannouchi, 77 ans Le président d’Ennahdha est incontournable. Au centre du jeu. Il lui suffit d’arborer une cravate, de changer de lunettes, de travailler son sourire et de porter des costumes de bonne coupe, et toute la Tunisie en conclut qu’il sera candidat aux présidentielles… Tout en étant rarement en première ligne, il est à la manœuvre. Avec 69 députés et l’explosion progressive de Nidaa Tounes, le parti tient l’Assemblée, véritable cœur du pouvoir post-révolutionnaire. Mais le cheikh, qui n’aime pas ce titre pourtant respectueux, est soucieux. Il est sans doute l’homme politique le plus conscient de la précarité socioéconomique et politique du pays. Pour avoir été de tous les gouvernements depuis 2012, il sait qu’Ennahdha est considéré comme partie prenante des errements des différents exécutifs. Malgré un succès apparent et la conquête de la plupart des grandes villes du pays, le parti perd des voix. Et les divisons entre « traditionalistes » et « modernistes » n’arrangent rien. Enfin, le contexte international met l’appareil d’Ennahdha sous pression. Il ne fait pas bon être qualifié d’islamiste par les temps qui courent… Mais le patron fait face. Il sait agir sur les leviers quand nécessaire et se garde bien de prendre position, de se positionner comme le numéro 1, ou comme un futur numéro 1. Ennahdha fait selon les conditions du moment, essayant de maîtriser comme il le peut une tour de Babel politique en équilibre très, très instable. AFRIQUE MAGAZINE
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Le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, en mai 2018.
Noureddine Taboubi, 69 ans La révolution était sociale avant tout, et le premier syndicat du pays compte bien le faire savoir. Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) est un empêcheur de tourner en rond pour tous les gouvernements depuis 2011. Les troupes sont mobilisées, les grèves et les sittings fréquents. La pression sur le gouvernement et les entreprises est permanente. Ce syndicaliste pur jus et droit dans ses bottes défend bec et ongles le secteur public et refuse en bloc toute approche libérale, dont la privatisation des entreprises publiques ou la révision de l’âge de la retraite. Il menace d’une grande grève générale de la fonction publique. Le syndicat joue un rôle étonnant de pouvoir bis ou de contre-pouvoir. Et il s’appuie sur une forte légitimité historique acquise lors de la lutte pour l’indépendance, et consolidé sous les années Bourguiba. Noureddine Taboubi et ses troupes s’érigent contre l’exécutif et réclament à cor et à cri le départ de Youssef Chahed. Le chef syndicaliste est aussi ciblé par des menaces ; on parle d’un attentat, sa détermination en fait un héros et une victime. Mais avec son intransigeance d’une autre époque, le camarade Noureddine paralyse le pays, et le sort des travailleurs tunisiens ne s’en trouve pas vraiment amélioré. 23
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L’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomaa présente son propre parti, Albadil Ettounsi, en mars 2017, à Tunis.
L’ex-chef du gouvernement de transition a su conduire la Tunisie aux élections de 2014, tout en laissant à ses successeurs un fonds de roulement conséquent et une embellie des indicateurs économiques. Depuis, l’ancien patron de la Kasbah, apprécié par les partenaires internationaux de la Tunisie, se cherche un avenir politique. Il a de l’ambition et du savoir-faire. Il a créé en 2017 son propre parti, Albadil Ettounsi (Alternative tunisienne), un projet qui porte dans son intitulé une réponse au besoin d’une autre offre politique pour le pays. Il se veut différent, pragmatique et conscient des réalités. Il a de bonnes relations avec Ennahdha, qui avait appuyé sa nomination, néanmoins il peine à avoir de la visibilité et à échapper à la bipolarisation du paysage, entre « laïcs » et « postislamistes ». Son message reste diffus, et Mehdi Jomaa n’arrive pas à traduire son image positive en réelle popularité. « On ne l’entend pas assez, il ne se démarque pas assez, et cette idée de parti n’était pas forcément le bon chemin », note un observateur et concurrent. Comme pour d’autres, son avenir se jouera d’abord aux législatives, qui détermineront sa capacité à fédérer.
LE CANDIDAT RÊVÉ Les Tunisiens l’appellent de tous leurs vœux. Le sauveur, le mouton à cinq pattes, étant intègre, efficace, professionnel, ayant le sens du dialogue, et avec une seule priorité : sortir la Tunisie du marasme où elle s’est engluée. Un profil forcément très rare, puisqu’il sera difficile pour un indépendant de se libérer de la tutelle des partis, devenus tout-puissants à l’Assemblée. Et les maîtres, de facto, du désordre national. 24
Abdelkrim Zbidi, 68 ans Ministre de la Défense et médecin, il correspond à l’image que les Tunisiens apprécient particulièrement : celle du haut fonctionnaire expérimenté, sobre, avec le sens de l’État, entièrement dédié à son pays. À l’actif de cet indépendant, plusieurs postes ministériels et une excellente connaissance de la Tunisie et des rouages de son administration. La presse, les médias, les rumeurs le citent fréquemment comme une alternative possible à la tête du pays. Ce que réfute activement le principal concerné. Il faudra donc faire appel au patriotisme de ce Sahélien pour qu’il accepte des responsabilités plus importantes, après avoir veillé sur l’intégrité du territoire tunisien.
LE REVENANT
Moncef Marzouki, 73 ans
Moncef Marzouki se rêve de nouveau à Carthage, sans qu’aucun média ne puisse dire qu’il est « président temporaire », comme en 2012. Mais son passage erratique et ces déclarations fracassantes à l’emporte-pièce ont laissé des traces. Ce défenseur des droits de l’homme, qui fut en son temps un opposant courageux à l’autoritarisme de « l’ancien régime » a été honorablement battu par Béji Caïd Essebsi en 2014. Sa retraite active est complexe. Il annonce sa candidature pour 2019, mais l’homme n’est plus rassembleur. Avec fracas, ses plus fidèles compagnons ont quitté le navire de son parti, Al Irada, le laissant seul à bord. Son ancien AFRIQUE MAGAZINE
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ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS
Mehdi Jomaa, 56 ans
numéro deux, Mohamed Abbou, a créé le parti Tayyar, qui a obtenu des scores surprenants lors des dernières municipales, en particulier à Douz. Marzouki n’en a pas moins gardé une certaine audience au sein des populations du Sud tunisien, auprès desquelles son étonnant discours, mélange de conservatisme social, de militantisme de gauche et de nationalisme, trouve encore un écho.
L’OUTSIDER POTENTIEL
Marouane Bouloudhnine, 56 ans Ce chirurgien orthopédique de renom ne cache pas son ambition de tout changer, de griller « le système » issu des élections de 2012 et de la Constitution. Fondateur du mouvement citoyen Houmet Tounes, il est convaincu que la société civile peut influer sur la vie politique. Inspiré par la trajectoire météorique d’Emmanuel Macron et de son mouvement En Marche !, Marouane Bouloudhnine espère probablement prendre de vitesse le système politique, la Tunisie étant en attente d’un profond renouvellement. Il prend comme exemple son propre parcours en France, où il a croisé le fer avec Christian Estrosi à la mairie de Nice et où il a lancé la Fédération laïque des citoyens de sensibilité musulmane (Mosaïc). Il travaille son arabe, quadrille le pays, cherche à élargir son audience au-delà du triangle d’or privilégié des banlieues chics de Tunis (Carthage, Sidi Bou Saïd, La Marsa…), recrute des sympathisants. En attendant de clarifier son offre politique réelle.
LES FEMMES En 2014, 1 200 000 Tunisiennes ont assuré la victoire de Béji Caïd Essebsi à la présidence de la République en votant pour lui. Désabusées par des appareils politiques qui sont surtout à la recherche de faire-valoir et qui restent dominés par un machisme séculaire, les Tunisiennes se sont fortement investies dans la société civile. Si elles peinent à se faire entendre en politique, elles agissent néanmoins activement auprès du législateur pour intervenir dans des situations sociales, comme la déscolarisation des jeunes. Elles jouent un rôle de vigies actives dans le processus de démocratisation. Leur mobilisation reste l’une des clés des scrutins de 2019, puisqu’elles représentent plus de 50 % des inscrits.
Bochra Belhaj Hmida, 63 ans En tant que présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), cette avocate féministe devenue députée pour Nidaa Tounes – et indépendante depuis – a porté l’initiative du président Béji Caïd Essebsi pour mettre en adéquation les lois tunisiennes avec la nouvelle Constitution. Elle a également travaillé sur la question de l’égalité successorale. À ce titre et non sans sang froid, elle a fait face à une violente campagne de dénigrement. Elle n’en demeure pas moins une figure très active sur les débats de société, les questions relatives aux droits humains, la lutte contre le prosélytisme religieux. Elle incarne la force du militantisme féminin propre à l’expérience tunisienne. Bochra Belhaj Hmida est une députée qui œuvre à l’égalité femmes-hommes.
DR - FETHI BELAID/AFP
Marouane Bouloudhnine a fondé un mouvement citoyen indépendant, Houmet Tounes.
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Cette membre à part entière du parti Ennahdha n’est pas issue de l’aristocratie tunisoise (les « beldis »). Première femme à être maire de Tunis, elle est aussi la première islamiste à occuper une fonction aussi en vue. Active, pimpante, très ambitieuse, la députée de la constituante élue sur les listes d’Ennahdha en 2011 se fait remarquer en ne portant pas de voile et sait que ses moindres faits et gestes sont scrutés par les médias. Elle tente une synthèse sociale en jouant sur le conservatisme, tout en ne collant pas à l’image traditionnelle de la femme nahdhaoui. Elle déborde de projets pour faire de Tunis une capitale enfin digne de ce nom, cherche une politique du consensus pour conduire un conseil municipal aux différentes sensibilités politiques. L’enjeu est essentiel pour son parti : prouver enfin, et au-delà des slogans, une réelle capacité managériale.
Olfa Terras Rambourg, 43 ans Cette native de Bizerte a donné un sérieux coup de fouet à la scène artistique tunisienne à travers les différentes activités de la fondation Rambourg, qu’elle préside. On lui doit en particulier « L’Éveil d’une nation », une exposition de 2016 autour des actes fondateurs du réformisme tunisien, mais aussi des prix décernés à divers projets culturels, actions sociales et 26
Olfa Terras Rambourg est présidente de la fondation Rambourg, très impliquée dans l’art et la culture. œuvres caritatives. Elle est l’épouse de Guillaume Rambourg, un financier français (adopté par la Tunisie) que l’on dit proche d’Emmanuel Macron. Un véritable « power couple » qui intrigue des deux côtés de la Méditerranée. On prête en outre à la très active philanthrope des ambitions politiques qu’elle dément, pour l’instant. Elle soutient l’association 3ich Tounsi, dont on a beaucoup entendu parler récemment, grâce à l’impact de leurs opérations, notamment lors de la dernière Coupe du monde. AFRIQUE MAGAZINE
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ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS – FRÉDÉRIC REGLAIN/DIVERGENCE
Souad Abderrahim, 53 ans
Ci-dessus, Souad Abderrahim, candidate du parti islamiste Ennahdha, a été élue maire de Tunis en juillet 2018.
LES INDÉPENDANTS Ils sont nombreux, divisés en de multiples chapelles, motivés, engagés. Et d’une certaine manière, si on les additionne tous, malgré leurs différences, ils ont « remporté » les dernières élections municipales avec 32,9 % des sièges. Leur émergence réelle répond à une demande de renouvellement et à une lassitude à l’égard des partis politiques. Avec un discours adapté aux besoins locaux, ils se sont attiré la confiance des électeurs. Ils ont été l’instrument de la sanction du pouvoir, l’expression d’un ras-le-bol du système. Reste à traduire cette rébellion citoyenne par un impact réel dans la vie publique, des actes concrets pour la vie des Tunisiens. Fadhel Moussa, juriste de renom, ancien doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, a entamé son parcours politique avec le parti Al Massar, dont il a été l’un des élus de la constituante, avant de prendre ses distances en 2014. Il décide de revenir à la politique en indépendant en passant par les urnes, et présente en 2018 une liste aux élections municipales à L’Ariana, près de Tunis. La campagne est efficace et il remporte la mairie à la grande surprise de tous. Slim Meherzi, pédiatre connu comme le loup blanc à La Marsa, en est désormais le maire après avoir mené la liste La Marsa change. Avant les municipales, cette liste était une initiative de la société civile locale, très active et mobilisée sur des actions pour la collectivité. Il en va autrement pour les indépendants à l’Assemblée. Les places dans l’hémicycle sont l’objet de convoitise des partis. Mondher Belhaj Ali, 62 ans, avocat tombé très jeune en politique, avait compté parmi les premiers soutiens de Béji Caïd Essebsi avant de préférer l’indépendance. Il avait pourtant été largement élu à Douar Hicher, une circonscription difficile qui aurait dû revenir à Ennahdha. À l’Assemblée, dans les médias, ce féru d’histoire politique fait entendre sa voix. Mais sans parti, difficile de sortir de l’isolement…
LES JEUNES Ils sont nombreux. Ils représentent plus de la moitié de la population et s’expriment sporadiquement à travers des mouvements protestataires de la société civile comme Winou el pétrole ? ou Manech Msama, réclamant des comptes sur la gestion du pays ou refusant d’absoudre les anciens partisans de l’ex-président Ben Ali. Mais ils ne votent pas, ou peu. Aux dernières élections municipales, seuls 26,2 % des moins de 30 ans ont voté, alors qu’ils représentent 33 % du corps électoral. Depuis 2011, la corruption, le chômage endémique et l’absence de perspectives ont eu raison de leurs motivations. En attenAFRIQUE MAGAZINE
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dant, leur exutoire reste souvent la scène artistique : ils mettent en images et en musique leurs préoccupations, adoptent des positions engagées. S’ils ont cru un temps à la révolution, ils en sont revenus, et aujourd’hui, la plupart rêvent d’immigrer…
LES STRATÈGES Habib Karaouli, 65 ans et patron de Cap Bank, et Radhi Meddeb, 64 ans et PDG de Comete Engineering, font figure d’experts en dehors de leur champ d’activité. Sollicités par les gouvernements successifs, ils ont fait part de leur vision, mais ont rarement été suivis. Ils ne s’expriment jamais mieux que dans les tribunes qu’ils publient. Radhi Meddeb défend l’inclusion avec répartition des richesses et s’oppose à une économie de rente. Habib Karaouli pointe les déficits et l’inefficacité de certains fonctionnements, et suggère de tenir compte d’une nouvelle réalité économique en favorisant les initiatives et la prise de responsabilités et de risques au niveau des entreprises.
LES EXPATS 1 282 371 Tunisiens sont installés à l’étranger (chiffre de 2015), c’est-à-dire plus de 10 % de la population. Mais seuls 63 940 sont inscrits sur les listes électorales. Ils n’en sont pas moins intimement concernés par les affaires de leur État. D’ailleurs, chaque année, le retour des Tunisiens de l’étranger durant les vacances apporte au pays un peu d’entrain et des entrées en devises. Beaucoup ont choisi de vivre entre les deux rives de la Méditerranée, et d’autres d’y installer leurs entreprises. Certains sont d’ailleurs à l’origine de success-stories. Badreddine Ouali, 55 ans, a écrit l’une d’entre elles. Cet ingénieur à l’allure de grand frère est président de Vermeg, une société éditrice de logiciels destinés aux systèmes financiers, qu’il a hissée au rang des multinationales et qui se porte acquéreur d’entreprises en Europe. Ce patron sympa aurait pu se contenter de veiller au développement de Vermeg, mais il n’est pas indifférent à la situation de son pays. Il fait alors avec ce qu’il sait faire et crée fin 2016 la Fondation Tunisie pour le développement, qui finance le programme Smart Tunisia afin de réduire la fracture régionale, à travers notamment l’implantation du numérique et de la formation des jeunes. Mehdi Houas, 58 ans, connaît une success-story similaire. Il est l’un des cofondateurs de Talan, une société française de référence dans le conseil en numérique. Cet entrepreneur, membre du Club xxie siècle et promoteur de diversité et d’échange, s’était éloigné quelques mois, en 2011, au lendemain de la révolution, pour occuper la fonction presque impossible de ministre du Tourisme. ■ 27
EMPOWERMENT
SOYONS
BLACKS ! Racisme, marginalisation, préjugés, condescendance… Être noir au XXIe siècle, au temps de la globalisation, n’est pas toujours facile. Il est donc temps de réaffirmer la force, la diversité, la modernité des mondes noirs. De reprendre le slogan américain des années 1960 : « Black is beautiful ». En rajoutant la composante « strong ». Soyons blacks ! AM ouvre le débat. Dans cette première étape, Venance Konan, notre ami directeur de Fraternité Matin à Abidjan, explore les éléments africains de cette affirmation. Astrid Krivian revient sur les origines américaines de ce mouvement. Et dans une interview sans tabou, Lilian Thuram, champion du monde 1998, évoque mythes et réalités avec talent. Et vous propose une carte inversée du monde. Zyad Limam
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par Venance Konan
ussi pénible que puisse être pour nous cette constatation, nous sommes obligés de la faire : pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. » C’est ce qu’écrivait l’essayiste martiniquais Frantz Fanon dans l’introduction de son célèbre livre Peau noire, masques blancs (Le Seuil, 1952). Pourquoi donc ? La réponse nous est donnée par l’homme d’État et juriste tunisien Ibn Khaldoun à travers ces lignes, qu’il écrivit en 1377 et que cite G. E. von Grunebaum dans L’Identité culturelle de l’islam (Gallimard, 1973) : « Les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession et toutes ses conditions d’existence et coutumes. La raison en est que l’âme voit toujours la perfection dans l’individu qui occupe le rang supérieur et auquel elle est subordonnée. Elle le considère comme parfait soit parce que le respect qu’elle éprouve (pour lui) lui fait impression, ou parce qu’elle suppose faussement que sa Frantz Fanon, auteur propre subordination n’est pas une suite majeur incontournable sur le colon habituelle de la défaite, mais résulte et le colonisé. de la perfection du vainqueur. Si cette fausse supposition se fixe dans l’âme, elle devient une croyance ferme. L’âme, alors, adopte toutes les manières du vainqueur et s’assimile à lui. Cela, c’est l’imitation… Cette attraction va si loin qu’une nation dominée par une autre nation voisine poussera très avant l’assimilation et l’imitation. »
L’Égypte ancienne était probablement noire. Statue du pharaon Khéphren, qui fit ériger la deuxième grande pyramide de Gizeh. Nelson Mandela, photographié à Soweto, une icône politique du xxe siècle.
DR (2) - GISÈLE WULFSOHN/AMO-RÉA
À COUPS DE FOUETS Les peuples noirs d’Afrique ont essuyé un échec lors de leur rencontre avec les peuples blancs d’Europe, du Moyen-Orient et du nord de leur continent. La défaite fut terrible pour les vaincus. On détruisit leur culture, leur organisation sociale, on leur enleva toute humanité et on les réduisit proprement en esclavage. Et pour bien les maintenir le plus longtemps dans cet état de dominés, on leur apprit à se haïr. On leur fourra dans le crâne, à coups de fouets, de machettes, de crimes horribles qu’ils avaient été maudits par le seul dieu qu’il y avait, celui des Blancs, que leur couleur noire était celle de la malédiction, celle du mal, celle de Satan. Le Français Montesquieu AFRIQUE MAGAZINE
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Opération « black » unique du célèbre magazine Vogue, avec plusieurs couvertures : la mannequin franco-ivoirienne rienne Aya Jones et la chanteuse Beyoncé (ci-dessous).).
(1689-1755), que l’on considère comme l’un des plus grands penseurs du siècle des Lumières, écrivit, sans rire selon certains, avec ironie selon d’autres : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans ans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. ir. »
RELEVER LA TÊTE AVEC FIERTÉ Ils sont encore nombreux, ces Africains noirs qui sont toujours convaincus que le destin du Noir est blanc, qu’ils doivent ressembler le plus possible aux Blancs,, dans leur façon de vivre, dans leur manière d’être et mêmee dans leur apparence. Combien ne sont-ils pas, sur le continent, nent, à s’échiner à vivre comme des Européens et à mépriser er ceux qui, volontairement ou non, continuent de vivre à l’africaine ricaine ! Combien ne sont-ils pas à dépenser des fortunes et à se ruiner la santé pour avoir les cheveux aussi défrisés ett la peau aussi claire que celle du Blanc ! Et la spiritualité africaine ? De aine ? la sorcellerie, vous répondront une majorité d’intellectuels ectuels et de hauts lettrés africains. Les vraies spiritualités sont ont celles apportées par les Européens et les Arabes. Ou les Asiatiques. siatiques. Et, évidemment, un bon Africain ne peut que porterr un prénom chrétien ou musulman. Mais voilà ! Malgré toute la bonne volonté qu’il y a mise, jusqu’à sa mort, Michaell Jackson n’a pas été reconnu comme un membre de la communauté munauté blanche. Tous ses efforts pour ressembler à un Blanc ont plutôt 30
été accueillis avec des sarcasmes. De même, aucun Congolais n’a jusqu’à ce jour été reconnu comme étant devenu un Blanc. « Le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc », écrivait encore Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. Ils sont de plus en plu plus nombreux, ces Africains qui se rendent co compte de la vanité de vouloir ressembler à tout prix à l’autre, lorsqu’il est si simple de rester soi-même. L’Africain découvre petit à petit son histoire, qu’on lui avait cachée. Il découvre que les pyramides d construites par des d’Égypte furent fu Noirs Noir comme lui, que la civilisation grecque, fondatrice de sat la civilisation européenne, ffut influencée par celle des Égyptiens. Il découvre les traces des riches civilisations laissées par ses ancêtres un peu partout sur le continent. Ils sont de plus en plus nombreux à se regarder dans le miroir et à relever la tête avec fierté, parce qu’ils découvrent fiert tout à coup que leur nez épaté, L’acteur leurs leu cheveux crépus et leur béninois peau noire n’ont vraiment pe Djimon rien rie à envier à qui que ce Hounsou, soit. soi Mais comment retroucoolitude, élégance, ver l’estime de soi lorsque l’on est l’es talent. présenté présent partout comme le dernier de la cla classe en matière de développement et de respect des droits humains, humains que l’on est méprisé par tous les autres peuples ? Il faut commencer par s’assumer, car il commen n’y a pas d’autre voie, et avoir foi se débarrasser de en soi, c’est-à-dire c’e complexe d’infériorité pour se son comp convaincre que la situation actuelle convaincr continent noir n’est ni une fatadu contin lité ni une un malédiction. Des pays africains, tels que le Botswana, qui mis au travail, sont en train se sont m développer, tout en respectant de se déve principes démocratiques. ■ les princip AFRIQUE MAGA MAGAZINE
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SOYONS BLACKS !
Aux origines d’un mouvement
Martin Luther King Jr. et Malcolm X au Sénat américain, le 26 mars 1964, en marge des débats sur le Civil Rights Act.
Le slogan « Black is beautiful » apparaît aux États-Unis en pleine période d’émancipation. Avant d’influencer le reste du monde, et l’Afrique en particulier.
par Astrid Krivian
DR - MICHELLE VIGNES/GAMMA-RAPHO/GETTY IMAGES - GEORGES DUDOGNON/ADOC-PHOTOS
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lack is beautiful : un slogan scandé dans les années 1960 par les Afro-Américains aux ÉtatsUnis, accompagnant leurs luttes politiques, sociales et culturelles, dans un pays qui les considérait encore comme des citoyens de seconde zone. Depuis plus d’une décennie, la conquête de l’égalité a alors pris de l’ampleur, à travers différents mouvements de libération, notamment celui des droits civiques porté par le légendaire pasteur Martin Luther King Jr. La construction et l’affirmation identitaires passent aussi par l’esthétique. Les caractéristiques physiques des Noirs sont valorisés, et l’on rejette les normes et les standards de beauté imposés par la suprématie blanche. La coupe afro, laissant les cheveux crépus au naturel, qui ne sont donc plus lissés, est arborée fièrement ; elle devient un symbole de ce « glamour révolutionnaire », pour citer Angela Davis, militante communiste noire, affiliée aux Black Panthers. Loin d’être une simple mode, cette coiffure témoigne aussi d’une réappropriation de l’héritage africain. À la fin des sixties, si la discrimination est illégale et la ségrégation raciale abolie depuis 1964, si l’accès égal au droit de vote est obtenu l’année suivante, la pauvreté, le chômage, les violences policières sont encore le lot des Afro-Américains, qui ont perdu deux de leurs leaders, assassinés : Malcolm X en 1965 et Martin Luther King Jr. en 1968. Le premier influença le Black Power de Stokely Carmichael, prônant l’organisation et la mise en place d’institutions spécifiques à la communauté. Quant au Black Panther Party, ses membres établissent des actions sociales pour améliorer les conditions de vie et revendiquent le droit à l’autodéfense face à l’oppression policière. Pendant ce temps, dans une Afrique du Sud où l’apartheid est instauré depuis 1948, un jeune activiste, Steve Biko, fonde en 1967 le Mouvement de la conscience noire. Citant le célèbre slogan, il l’explique ainsi : « Tu es bien tel que tu es, commence à te considérer comme un être humain. » Selon lui, il fallait que « les Blancs se rendent compte qu’ils sont seulement humains, pas supérieurs, […] et les Noirs aussi humains, pas inférieurs ». Il combat la domination blanche en rejetant ses
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Le poing gauche levé, symbole des Black Panthers, dont est devenue membre Angela Davis (à droite) à l’âge de 18 ans, en 1967. Aimé Césaire, Pierre Stibbe et Jean-Paul Sartre lors de la réunion du Comité d’action des intellectuels, contre la poursuite de la guerre en Algérie, en 1965.
valeurs, qui dépossèdent les Noirs de leurs droits élémentaires et portent atteinte à leur dignité, et mène des projets éducatifs, culturels et sociaux. « L’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est l’esprit de l’opprimé », affirme celui qui milita pour l’émancipation et la libération des Noirs par eux-mêmes. Banni par le régime, il est emprisonné, puis battu à mort par des policiers pendant son interrogatoire en 1977, à 30 ans. Sa résistance, parallèle à celle de Mandela, fut une étape majeure dans l’affaiblissement de ce système raciste. Élu en 1994, Mandela déclara : « Biko a été le premier clou dans le cercueil de l’apartheid. » ■ 31
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Lilian Thuram « Il faut sortir des schémas de domination »
Le champion du monde 1998 a depuis longtemps quitté les terrains de foot. Aujourd’hui, avec sa fondation, il cherche à lutter contre toutes les formes de racisme par l’éducation et la réappropriation de l’histoire. Métamorphose étonnante pour cet insulaire, qui propose une vision radicalement différente du monde.
propos recueillis par Astrid Krivian
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n ne présente plus ce joueur de football à la carrière internationale, évoluant au poste de défenseur, recordman du nombre de sélections en équipe de France masculine (142). Champion du monde en 1998, il avait marqué les deux buts face à la Croatie, emmenant la France en finale, qui gagna ensuite contre le Brésil. Depuis qu’il a raccroché les crampons, c’est sur un autre terrain qu’il tente de remporter des victoires : la lutte contre les discriminations. Né en Guadeloupe en 1972, « devenu noir à l’âge de 9 ans » à son arrivée en métropole, il s’attache depuis dix ans à déconstruire les mécanismes du racisme en l’inscrivant dans une profondeur historique. Avec sa fondation Lilian Thuram – Éducation contre le racisme, entouré d’un comité scientifique (historiens, sociologues, anthropologues…), il intervient dans les établissements scolaires en France et à l’étranger, publie des livres, des bandes dessinées éducatives, conçoit des outils pédagogiques, organise des expositions… Selon lui, les systèmes de dominations encore effectifs aujourd’hui sont hérités de l’histoire, et conditionnent, parfois de manière inconsciente, les valeurs et les schémas de pensées de nos sociétés. Dans ses bureaux, où veillent les portraits du
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guerrier apache Geronimo, de Gandhi et de Mandela – qu’il a eu la chance de rencontrer, et présent dans son livre Mes étoiles noires, paru aux éditions Philippe Rey –, il nous a raconté son combat pour l’égalité.
AM : En 1998, vous remportiez avec l’équipe de France la Coupe du monde de foot, portant l’image d’une France « black-blanc-beur ». Cette union était-elle une illusion ou y a-t-il eu un réel impact sur la société ? Lilian Thuram : Cette victoire – et 1998, c’était aussi les 150 ans de l’abolition de l’esclavage – a permis de faire accepter plus facilement le fait qu’on peut être Français et de différentes couleurs de peau, de religion… Des questions sur l’égalité sont désormais plus légitimes, avec aussi un vrai débat : pourquoi cette diversité qui compose l’équipe de France ne se retrouve pas dans d’autres secteurs professionnels ? Pourtant, cette année, après la réussite des Bleus, d’aucuns ont encore ramené certains joueurs à leurs origines… C’était plutôt pour dire qu’il y avait beaucoup de Noirs ! Parce qu’on ne parlait pas des origines, mais de la couleur de peau. Pavard, Griezmann, Lloris aussi ont des origines ! Mais on a du mal à aborder cette question de la couleur qui, malheureusement, compte beaucoup dans notre société. Et c’est AFRIQUE MAGAZINE
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AMANDA ROUGIER POUR AM
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comme si, pour être légitime d’être français, il fallait perdre ses origines. Ce qui est impossible, c’est comme perdre sa couleur. On entend aussi certains dire que les joueurs sont tous Français et qu’il ne faudrait surtout pas parler de leurs origines. Là aussi, c’est une hypocrisie, car en général, les personnes noires sont considérées avant tout comme « des Noires » et à travers leurs origines, donc pas tout à fait françaises quand même ! Et pourquoi on ne peut pas dire que c’est aussi une victoire pour l’Afrique ? Car nombre de parents des joueurs sont d’origine africaine, et donc c’est aussi leur victoire, eux qui ont subi le racisme, et dont les enfants portent désormais haut les couleurs de la France. Vous dites qu’on ne devrait pas attendre de gagner une Coupe du monde pour être légitime d’être Français, que c’est le seul moment où l’immigration est perçue comme positive… Quand vous gagnez, ou quand vous sauvez un enfant suspendu dans le vide au 4e étage… On félicite les joueurs, mais il faut rappeler qu’un jeune garçon noir ou une jeune fille noire dans la société française ne vit pas l’espace public de la même façon, n’a pas accès aux mêmes choses, la police ne se comporte pas de la même façon avec eux. Ces questions n’ont, à mon sens, pas été assez soulevées après la victoire. Quel est le rapport actuel entre les personnes noires et blanches ? Pour le comprendre, regardons l’histoire. Nous sommes issus de sociétés qui ont bâti une hiérarchie entre les personnes selon les couleurs de peau, qui existe encore aujourd’hui. Le fait de mépriser très facilement les personnes noires est une réalité ancienne, ancrée en Europe. Comme les hommes, qui dominent depuis des siècles les femmes : beaucoup d’entre eux ont encore un complexe de supériorité par rapport à elles. L’histoire a voulu que les personnes blanches se pensent les plus légitimes au monde. Et encore aujourd’hui, les modes de pensée des cultures européennes ne sont pas remises en question, persuadées qu’elles sont les meilleures. On doit discuter de ce sujet pour avancer. Vous vous étiez opposé en 2011 à ce projet d’instaurer des quotas pour les joueurs binationaux dans les équipes de foot et les centres de formation… Cette proposition est intervenue après la Coupe du monde de 2010. L’équipe de France ne s’était pas bien comportée, les joueurs avaient fait la grève, et on en revient à ce fait : si tout se passe bien, on vous reconnaît comme Français, mais si ça se passe mal, vous n’êtes pas dignes de représenter le pays ! Donc il serait préférable de créer des quotas pour qu’il y en ait moins, parce que sinon, ils créent des problèmes, on ne peut pas totalement leur faire confiance ! C’est inscrit dans l’inconscient de beaucoup de personnes blanches, qui ne vont pas oser le dire ouvertement. Cela vient de l’histoire. 34
Je dis souvent que je suis devenu noir à mon arrivée à Paris, à l’âge de 9 ans. J’ai dû me questionner très tôt pour savoir pourquoi c’était considéré inférieur. » Comme certains hommes pensent que plus il y a de femmes, plus il y a de problèmes ! Là encore, on ne voulait pas y voir du racisme, parce que souvent, la pire des choses est de reconnaître que nous vivons dans une société raciste. C’est comme si on les agressait. Mais c’est la réalité. On vit dans une société raciste où les personnes blanches sont éduquées à se penser supérieures à celles d’autres couleurs, sexiste, homophobe, où les hétérosexuels décident quels sont les droits des femmes et quels sont les droits des homosexuels. Si nous voulons changer les choses, il faut en prendre conscience. Pourquoi avoir créé votre fondation ? Et quelles sont vos actions ? C’est le processus d’une vie. Je dis souvent que je suis devenu noir à mon arrivée à Paris, à l’âge de 9 ans. J’ai dû me questionner très tôt pour savoir pourquoi on me disait que j’étais noir, et pourquoi c’était considéré inférieur. Pourquoi les personnes blanches se pensent supérieures ? Le racisme s’est imposé à moi. Ça m’a mené à la lecture, à rencontrer des personnes, j’ai compris que c’était lié à l’histoire. Plus tard, envisageant ma vie après le foot, j’avais envie de changer le monde, en allant dans les écoles, pour dire aux enfants que le racisme, le sexisme, l’homophobie ne sont pas naturels. Ils relèvent d’un conditionnement historique, on reproduit au quotidien ces schémas de hiérarchie. Montrer aussi le poids des religions concernant le sexisme et l’homophobie. Depuis dix ans, nous concevons des livres, organisons des expositions, intervenons dans les établissements scolaires en France et à l’étranger… Je suis entouré d’un comité scientifique. L’université de Stockholm a reconnu la nécessité de notre travail en me distinguant docteur honoris causa. AFRIQUE MAGAZINE
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La fameuse victoire de la Coupe du monde 1998. Quel changement remarquez-vous depuis dix ans à ce sujet ? Aujourd’hui, nous faisons le lien entre toutes les discriminations, et nous comprenons que c’est le même mécanisme. Mais beaucoup n’ont pas conscience que leur façon de penser vient de leur vécu en tant que personne blanche, en tant qu’homme ou en tant qu’hétéro. En général, quand vous leur dites ça, ils se sentent un peu agressés : essayez de dire à une personne blanche qu’il pense comme un Blanc, vous verrez. Moi, j’éduque mes deux fils à savoir qu’ils sont des hommes, pour qu’ils fassent très attention à ne pas se sentir supérieurs aux femmes. De façon inconsciente, en général, on vous éduque, en tant qu’homme, à penser que c’est légitime d’avoir le dernier mot dans votre couple, par exemple ! Je leur apprends aussi qu’être noir dans notre société, c’est être dominé, donc il faut faire très attention à développer une bonne estime de soi. Quelle est l’origine des prénoms de vos fils, Khephren et Marcus ? Khephren est un pharaon égyptien, pour qu’il comprenne que l’histoire des peuples noirs ne commence pas avec l’esclavage, contrairement à ce que beaucoup pensent. Quant à Marcus Garvey [militant jamaïcain prônant le retour des afro-descendants en Afrique, ndlr], c’est un modèle très intéressant pour l’estime de soi. Quand vous évoluez dans une société qui ne vous valorise pas, c’est important d’être très attentif à ne pas penser que le modèle idéal est le modèle blanc. Parce que vous pouvez finir par ne pas aimer vos beaux cheveux une attitude pour être à la hauteur. Il faut tirer crépus, comme c’est le cas de trop nombreuses du courage de cette histoire et ne pas être dans femmes noires prisonnières de leurs tissages et la victimisation. Or, souvent aux Antilles, on ne perruques. Si elles commencent très tôt, elles présente pas les choses ainsi, et certains en ont ont une alopécie très tôt ! Il faut le comprendre honte. C’est là encore une question d’éducation. pour développer la chose la plus importante Quand vous êtes méprisés, dominés, violentés chez l’individu : l’estime, l’amour de soi. dans une société, vous devez vous rebeller pour Quelle était la vision de l’Afrique l’améliorer, vous n’avez pas d’autre choix. Les depuis la Guadeloupe ? personnes opprimées renvoient les dominants à L’Afrique était vue négativement aux leur humanité, comme aujourd’hui les migrants Antilles parce que c’est une culture française, qui prennent des bateaux et meurent en Méditertout simplement. Enfants, on s’identifie aux Son ouvrage a paru aux ranée : sommes-nous des êtres humains si nous cow-boys dans les films car ils sont les plus forts ! éditions Philippe Rey. les laissons mourir ? Donc quand on entend des choses négatives Dans votre livre Mes étoiles noires, sur l’Afrique, personne ne veut s’y reconnaître. Mais les choses vous recensez de grands absents dans l’enseignement ont évolué, beaucoup d’Antillais aujourd’hui comprennent que de l’histoire (philosophe, abolitionniste, chercheur leurs aïeux étaient des Africains mis en esclavage. Moi, je suis scientifique, homme politique, artiste)… très fier de mes ancêtres, et je le répète à mes enfants : vous J’aurais bien aimé avoir ce livre quand j’étais enfant. faites partie d’une lignée de super-humains ! S’ils ont pu résister À l’école française, mes héros étaient Baudelaire, De Gaulle, et survivre à l’esclavage pendant des siècles pour que moi je Einstein… Mais on ne vous présentait pas de modèles noirs. sois ici aujourd’hui, alors rien n’est impossible. Cette certitude Donc vous finissez par croire qu’ils n’existent pas. Pour pouvoir m’accompagne depuis longtemps, et me donne une posture, AFRIQUE MAGAZINE
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se construire, il est préférable d’avoir des étoiles de toutes les couleurs, de tout genre… Malheureusement, certains enfants n’ont pas de choix, ou pire encore, ils sont persuadés qu’ils ne peuvent pas y arriver, parce que personne ne leur ressemble. Au Togo, une petite fille m’avait dit : « Avant d’avoir lu votre livre, je pensais que les Noirs n’avaient rien fait. » Ça m’a bouleversé, c’est d’une violence totale ! C’est criminel. C’est d’ailleurs aberrant qu’en Afrique, les élèves aient des livres qui ne leur parlent pas, édités en Europe. J’ai vraiment l’impression que les enfants sont éduqués pour partir, pour ne pas rester dans leur pays. C’est surréaliste ! Si vous voulez développer votre pays, vous avez besoin de vos enfants. Mais les jeunes ne sont pas dupes. Ils comprennent les mécanismes qui se jouent entre leur pays et l’Europe, le monde, les rapports de domination, pourquoi il y a de l’injustice, puisqu’ils le vivent. Raconter l’histoire, notamment celle de l’esclavage, est très important… Oui. Et ces schémas de domination existent encore dans nos sociétés. On peut parler de la colonisation des Amériques, de l’esclavage, de la conquête du monde par l’Europe, en pensant que c’est fini. Mais non. La France, mon pays, domine la plupart des pays d’Afrique francophone, au niveau militaire et économique. C’est mathématique : pour qu’il y ait des pays riches, il faut qu’il y ait des pays pauvres. S’il y a des pays où l’on surconsomme, ça veut dire que d’autres sont exploités. Si vous n’avez pas assez de matières premières pour votre surconsommation, il faut se les approprier par tous les moyens. Il faudrait l’équivalent de trois planètes Terre pour que tous les pays du monde vivent comme nous vivons en France. Comprenons que le vrai problème est le système économique actuel qui détruit tous les êtres vivants et la nature. Bien sûr, il broie plus les habitants du continent africain, mais aussi ceux d’Europe, et les plus pauvres finissent par se battre entre eux. Car ce système construit un discours qui casse les solidarités. Comment expliquez-vous la montée de l’extrême droite en Europe ? C’est encore un héritage de l’histoire européenne, basée sur un rapport de violence au monde. Les décideurs européens, les puissances européennes, ceux qui commandent et ceux qui font du business ont décidé que le monde était le leur, particulièrement depuis 1492. Donc ils se partagent l’Amérique, les Caraïbes, l’Afrique, l’Asie, l’Océanie… Politiquement, les effets de cette histoire sont toujours d’actualité. Et cette éducation où les Européens pensent que le monde leur appartient perdure depuis des siècles, certains ne comprenant toujours pas que c’est injuste. D’où des débats surréalistes sur les bienfaits de la colonisation ! Bientôt, ils nous diront aussi les bienfaits de l’esclavage. On veut bien avoir accès aux matières premières, 36
Ce qui est tabou, c’est le mot "blanc". Si on dit à un Blanc qu’il l’est, ça le perturbe. Donc il serait intéressant de savoir : qu’est-ce qu’être blanc ?» mais si les gens veulent profiter de la richesse en Europe, ça ne marche pas. Si nous voulons partager les richesses du monde, il faut accepter que nos niveaux de vie et que notre consommation baissent. Mais les avantagés ne veulent pas le changement. C’est ça le racisme, le sexisme, l’homophobie : ne pas vouloir perdre ses avantages. Pourquoi un homme avantagé depuis des siècles voudrait l’égalité avec les femmes ? Pourquoi les personnes blanches avantagées voudraient l’égalité avec les non-Blancs ? Mais certains déplacent le problème, au lieu de réfléchir à comment sortir de ce système économique violent. En France, il y a de plus en plus de pauvreté : si les usines ferment, si les revenus diminuent, si le fossé se creuse entre les riches et les pauvres, ce serait la faute des migrants ? Vous n’êtes pas sérieux ! Mais les autorités politiques et financières nous emmènent dans cette direction pour que l’on ne raisonne pas ensemble. Actuellement, on laisse mourir des êtres humains en Méditerranée. Dans le futur, nos descendants se demanderont : comment ont-ils pu laisser faire ? Ils n’avaient pas de cœur ? Parce que la grande majorité accepte, ne dit rien, pense « Je ne peux rien faire », ou pire, certains diront « Je n’étais pas au courant ». Mais il faut le dénoncer, pour que le système devienne plus humain. L’humoriste Fary ironise sur le fait que souvent, en France, pour nommer une personne noire, on dit « black » plutôt que « noir ». Pensez-vous que ce soit un mot tabou ? Non, ce qui est tabou, c’est « blanc ». Si on dit à un Blanc qu’il l’est, ça le perturbe. Donc il serait intéressant de savoir : qu’est-ce qu’être blanc ? Historiquement, c’est être dominant. Être noir, on sait plus ou moins : selon les personnes blanches, il y aurait la musique noire, la pensée noire, les Noirs sont ainsi. Souvent, AFRIQUE MAGAZINE
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FONDATION LILIAN THURAM
La mappemonde inversée créée en collaboration avec Jean-Christophe Victor, mettant l’Afrique au centre. on nomme les dominés d’une société, mais pas les dominants. Dans une entreprise, par exemple, on donnera le pourcentage des femmes employées, mais pas celui des hommes ! Un jour, j’ai demandé à un journaliste combien de Noirs il y avait au sein de sa radio. « Deux », m’a-t-il répondu fièrement. Il savait exactement le nombre, mais pas combien de Blancs… Pourtant, le rêve des personnes noires, c’est de ne pas être jugées sur leur couleur. Il faut toujours que l’on nous y renvoie. Lors de mes conférences, je demande : qui voudrait que la société se comporte de la même façon avec vous qu’avec les personnes noires ? Personne ne lève la main, parce qu’ils savent parfaitement que la société est injuste vis-à-vis des Noirs. La société, c’est nous tous. A-t-on le droit d’expliquer les choses pour que ça change, et que l’on sorte de ces prisons identitaires où l’on nous a enfermés ? Si les personnes noires ne le dénoncent pas, qui va le faire ? Et comme dit James Baldwin dans I Am Not Your Negro, un documentaire de Raoul Peck à diffuser dans toutes les écoles, il faudrait que les personnes blanches se demandent pourquoi ils ont besoin des Noirs. Car certains nous méprisent pour se rassurer, se persuader qu’ils sont mieux. Quelle est votre réaction quand le polémiste Éric Zemmour dit à la chroniqueuse Hapsatou Sy que son prénom est une insulte à la France ? Le problème est moins Éric Zemmour que ceux qui lui donnent la parole. Et là encore, on voudrait rendre coupable cette jeune femme. C’est systématique, quand vous êtes victime, on vous dit : c’est votre faute, vous allez trop loin. On veut la renvoyer à sa supposée place de femme et de Noire : tu devrais te faire insulter, mépriser, et te taire. Est-ce du cynisme total de provoquer des polémiques pour faire du buzz et gagner AFRIQUE MAGAZINE
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de l’argent ? Mépriser les Noirs est une habitude culturelle chez les personnes blanches. Cela a tellement de profondeur historique que certains Noirs finissent par se mépriser eux-mêmes. Ceux qui laissent parler Zemmour et les autres savent exactement ce qu’ils font. Autour d’eux, personne ne souffre du racisme. Si le Front national et le racisme augmentent, ils sont persuadés que ça ne changera rien à leur vie. En banalisant ces discours violents, ils collaborent avec le racisme. Mais si vous leur dites, ils vont nier, bien sûr. Quelle est cette mappemonde que vous avez conçue, « pour changer nos imaginaires » ? J’avais demandé à feu Jean-Christophe Victor [expert en géopolitique et animateur de l’émission Le Dessous des cartes sur Arte, ndlr] de créer une carte avec l’Afrique au centre, et non pas l’Europe, comme sur celles que nous connaissons, et de respecter les vraies proportions des continents. Et nous l’avons inversée pour enrichir la réflexion, nous questionner et montrer que l’on peut voir les choses différemment, multiplier les points de vue. La plupart des adultes ne savent pas que les cartes classiques que nous connaissons confortent une idéologie de la supériorité occidentale. Elles ne respectent pas les proportions des continents, l’Europe et l’Amérique du Nord sont agrandies, l’Afrique rétrécie. Donc la perception du monde est faussée au départ. J’ai mis l’Afrique au centre pour rappeler une chose essentielle : peu importe notre couleur de peau, nos ancêtres viennent tous d’Afrique. Comme le rappelle Yves Coppens, membre du comité scientifique de notre fondation : « Nous possédons une origine unique : nous sommes tous des Africains d’origine, nés il y a trois millions d’années, et cela devrait nous inciter à la fraternité. » ■ 37
INSPIRATIONS
JOURS DE PÈLERINAGE À ESSAOUIRA Du 30 août au 1er septembre, plus de 800 personnes de confession juive se sont rendues à Essaouira, au Maroc, pour prier sur la tombe du saint Rabbi Haïm Pinto. Le pays a une longue histoire hébraïque, mais la Hiloula d’Essaouira, organisée par l’un des descendants de Rabbi Haïm Pinto, est particulière, mêlant ferveur religieuse, retour aux sources et voyage touristique. Reportage.
S
amedi 1er septembre 2018, au soir. Après avoir prié, chanté, dansé et mangé, les pèlerins rassemblés sous le chapiteau près de la salle omnisports d’Essaouira, se dirigent sous bonne escorte vers le cimetière juif de cette ville moyenne du Sud marocain. En front de mer, sous le vent froid des alizés, des centaines de tombes blanches gravées en hébreux se sont accumulées tête-bêche au fil des siècles. Au centre domine le mausolée de Haïm Pinto, rabbin et dayan (juge) de la vaste communauté juive d’Essaouira entre le xviiie et le xixe siècle.
Son tombeau est l’objet de toutes les attentions depuis plusieurs jours, mais cette nuit est un moment spécial. « Le jour de l’anniversaire de la mort d’un saint, et dans les jours qui précèdent les fêtes [Yom Kippour et Roch Hachana, ndlr], il est dit que toutes les prières faites sur sa tombe sont exaucées. Chaque année, des juifs viennent en pèlerinage pour recevoir sa bénédiction », explique Éric Usan, 55 ans, qui a voyagé depuis Paris avec son fils pour l’occasion. Ce soir, plus de 800 fidèles du monde entier vont entrer dans le mausolée pour prier sur la tombe du rabbin.
INGRID PULLAR/THE NEW YORK TIMES/REDUX/RÉA
par Julie Chaudier, correspondante au Maroc
INSPIRATIONS JOURS DE PÈLERINAGE À ESSAOUIRA
RETOUR AUX SOURCES « Bien entendu, nous n’honorons que Dieu, précise Éric Usan, 55 ans. En nous rendant sur la tombe du tsadik (saint), nous lui demandons d’intercéder pour nous auprès de Dieu. Son aura, sa sainteté, son mérite expliquent qu’il ait ce pouvoir de le faire. » Cependant, dans l’enthousiasme général, aux abords du mausolée, ce soir-là, il n’est pas impossible d’entendre l’un des pèlerins lancer : « Priez ! Ce soir, le tsadik exaucera tous vos vœux ! » Chacun est venu avec son lot de requêtes : la santé, le succès dans ses projets, la prospérité… « Honnêtement, je passe un moment difficile avec ma femme, mon entreprise – je suis gemmologue – va fermer, alors je viens demander la bénédiction du saint et des conseils pour élever mes enfants : j’ai cinq garçons et une fille », raconte Yohan Abitbol. Né à Montréal de parents juifs marocains partis de Casablanca après la création de l’État 40
d’Israël, il vit actuellement à New York. L’importance de la diaspora juive marocaine et souirie atteste ainsi, en partie, le succès de la Hiloula de Haïm Pinto Hagadol (« le grand »). « Aux xviiie et xixe siècles, quand Essaouira était l’un des plus importants ports d’Afrique du Nord, la ville comptait entre 22 000 et 25 000 habitants avec un pic de 16 000 juifs à une certaine époque », a récemment souligné André Azoulay dans un entretien au HuffPost Maghreb. Tous, à l’exception de quelques irréductibles, quittèrent Essaouira dans les années qui suivirent la création de l’État d’Israël. Au total, en dix ans, près de 250 000 juifs partirent du Maroc en direction des États-Unis, du Canada, de la France et d’Israël. « J’avais une dizaine d’années quand mes parents ont quitté Essaouira, mais je sentais bien planer autour de nous une ambiance pesante. On n’aurait jamais porté la kippa dans la rue. Il y avait des manifestations contre Israël et tous les juifs y étaient assimilés. Cela a généré un sentiment d’insécurité d’autant plus important qu’ont éclaté successivement plusieurs attentats contre le roi, or nous savions que notre sort était entre ses mains. S’il était destitué, il y avait une chance sur deux pour que cela en soit fini de nous », déclare Éric Usan. S’il n’y a pas eu au Maroc – où se cultive avec application le mythe de la convivencia – de massacres à grande échelle, des violences ont bien été perpétrées contre les juifs. « Il faut se rappeler qu’à Jerada, 38 juifs ont été exterminés, égorgés, en juin 1948 ! » s’indigne une pèlerine. « De nombreux facteurs incitèrent [les juifs] à quitter le pays [au moment de l’indépendance] : les émeutes de Petit-Jean (Sidi Kacem) et d’El-Jadida deux ans auparavant (durant lesquelles des quartiers juifs furent pillés), la marocanisation et l’arabisation prônées par le gouvernement de l’indépendance, le marasme économique, la situation au Proche-Orient et la montée du nationalisme arabe. En outre, l’interdiction de toute relation avec Israël, alors que la moitié de la communauté y avait émigré, créa une rupture », écrit Annick Mello, dans l’article
Le cimetière d’Essaouira compte environ 2 400 sépultures, dont les plus anciennes dalles, balayées par les embruns, sont érodées.
Rabbi Haïm Pinto Hagadol, né en 1749 à Agadir, est le fils de Rabbi Chelomo Pinto Zatsal, qui lui enseigna lui-même la Torah. Il exerça sa charge pendant plus de soixante-dix ans.
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Le Maroc compterait 625 tsadikims (saints), aussi appelés marabouts, dont les tombes sont dispersées dans les cimetières juifs du royaume. Plusieurs dizaines d’entre eux font l’objet d’un pèlerinage. Comme les marabouts musulmans, ces saints sont réputés pour avoir réalisé des miracles de leur vivant : des femmes stériles sont tombées enceintes, des malades ont été guéris, des objets retrouvés et des fortunes faites… Rabbi Haïm Pinto – « que son mérite nous protège », selon l’expression consacrée – ne fait pas exception. Il est célèbre en raison des nombreux miracles – « avérés », insistent certains fidèles – qu’il aurait opérés de son vivant. Issu d’une longue lignée de grands rabbins d’Agadir, il n’a que 12 ans, en 1761, quand son père meurt et qu’un tremblement de terre ravage entièrement la ville. Comme une grande partie des juifs d’Agadir, il part alors à Essaouira pour suivre des études dans une yeshiva. À 20 ans à peine, Haïm Pinto, dont le nom rayonne déjà dans toute la ville, héritera de sa charge qu’il poursuivra jusqu’à sa mort, à 96 ans, en 1845.
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En cette nuit de commémoration, 800 fidèles du monde entier entrent dans le mausolée pour prier sur la tombe du rabbin. AFRIQUE MAGAZINE
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« La communauté judéo-marocaine : diaspora et fuite des élites » en 2002. « Au début, seules quelques personnes venaient “pèleriner”, ensuite elles ont été une centaine, puis plusieurs centaines, se rappelle Malika Idarouz, 62 ans. Leur nombre n’a cessé d’augmenter avec la taille de la diaspora. » Il y a dix ans, cette Marocaine musulmane a pris le relais de son père devenu gardien du cimetière juif en 1940, puis de la maison Pinto en 1984, quand le dernier membre de la famille du rabbin à l’habiter est parti en Israël. « Je suis née dans la maison du cimetière. Je connais la famille Pinto depuis toujours. La voir partir peu à peu, ce fut comme voir partir ma famille. Aujourd’hui, mon fils est le gardien du cimetière. Quant à moi, je m’occupe de la maison, je l’entretiens, je l’ouvre aux visiteurs et j’explique aux pèlerins l’usage des pièces », raconte-t-elle. Avec l’école Talmud Torah, un peu plus haut dans la rue, transformée par l’association Essaouira Mogador en centre d’accueil de jour pour les malades d’Alzheimer et en crèche pour les enfants démunis, le cimetière et la maison-synagogue de Haïm Pinto constituent le parcours obligé du pèlerin. « Et cette personnalité, qui c’est ? » jette soudain un jeune homme visiblement surexcité en désignant un portrait officiel accroché à un mur du rez-de-chaussée de la maison de Haïm Pinto. « C’est Hassan II », lui répond Malika. « Hassan II ! C’est Hassan II ! Ma grand-mère l’adore ! » s’exclame-t-il, visiblement émerveillé de mettre enfin un visage sur cette figure presque familiale. Pour les juifs originaires du Maroc et dispersés dans le monde entier, chaque Hiloula est un véritable retour aux sources. « Ma mère a 85 ans. Elle habitait le Mellah [l’ancien quartier juif, ndlr] d’Essaouira. Il y a quelques années, elle est venue pour le pèlerinage et elle a pu voir l’immeuble – une sorte de petit riad pourvu d’une cour intérieure sur laquelle ouvraient les chambres – où elle avait grandi. Gênée, elle n’a pas osé entrer pour voir son ancienne chambre, se rappelle Éric 42
ANDRÉ AZOULAY, FIGURE TUTÉLAIRE D’ESSAOUIRA vec son allure de lord anglais, André Azoulay, conseiller royal, est la figure tutélaire de la ville des alizés. Né en 1941 à Essaouira dans une famille juive, il entame des études de journalisme avant de changer de voie en entrant à Paribas. Il se fait une réputation en participant à la privatisation de la banque, en 1987. Repéré par le roi Hassan II, il en devient en 1991 le conseiller en charge des affaires économiques et financières, puis de son fils, Mohammed VI, à partir de 1999. Alors réputé pour avoir soutenu et organisé l’ouverture du Maroc au libre marché, l’homme
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est aujourd’hui beaucoup plus connu pour ses véritables passions : le dialogue interreligieux et la culture. Ainsi, en 1992, il fonde l’association Essaouira-Mogador, sans laquelle trois grands festivals – le Printemps musical des alizés, Les Andalousies Atlantiques et Gnaoua – n’auraient jamais vu le jour. Personnalité consensuelle aux allures de grand sage, André Azoulay s’illustre également à présent à travers le parcours de sa fille, Audrey. Née à Paris quand son père travaillait pour la SCOA, elle est devenue ministre française de la Culture et de la Communication entre 2016 et 2017, puis a été nommée directrice générale de l’Unesco en novembre 2017. ■ J.C.
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JOURS DE PÈLERINAGE À ESSAOUIRA
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Vestige du patrimoine judaïque, une fontaine du quartier du Mellah, surmontée de l’étoile de David.
« La jeunesse actuelle est en train de perdre le sens de la convivencia, de la pluralité de religions qui caractérisait le Maroc par le passé. » AFRIQUE MAGAZINE
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Ursan. Elle le regrette encore aujourd’hui. » « Le pèlerinage est l’occasion de revenir là où ont vécu nos parents, confirme Simone*, retraitée, venue de Paris. Quand on les écoute, on peut croire qu’ils vivaient dans de petits palais, mais quand je vois l’état du Mellah… » Dans les années 1970 et 1980, les juifs ont été remplacés par une population pauvre immigrée composée d’ouvriers et de pêcheurs. Ainsi, le Mellah est resté marginalisé, abandonné des pouvoirs publics qui n’opéraient aucune rénovation. Au milieu des années 1990, en raison d’importantes inondations, les effondrements se sont multipliés et la population a été déplacée. Abandonné, le quartier est tombé en ruine. Aujourd’hui, des piliers de soutènement tentent un peu partout de repousser l’inéluctable. Emblématique, la « rue du Mellah » ouvre sur une vaste place de terre battue longée par les remparts. « Il y avait là des maisons, comme il en existe encore de l’autre côté de la rue, mais elles se sont toutes effondrées il y a une vingtaine d’années », témoigne Malika Idarouz. Ailleurs, la médina d’Essaouira présente le visage vieillissant, authentique et charmant que des milliers de touristes viennent visiter chaque année. La plupart des pèlerins quittent alors leur kippa pour se fondre dans la foule comme n’importe quel touriste « pour ne pas prendre de risque inutile, précise Éric Usan. Bien qu’il n’y aurait probablement aucun problème. » Avec le départ des juifs, « la plupart des jeunes Marocains ne voient plus les juifs qu’à travers le prisme du conflit israélo-palestinien. La jeunesse actuelle est en train de perdre le sens de la convivencia, de la pluralité de religions qui caractérisait le Maroc par le passé », regrette Elmehdi Boudra, fondateur de l’association Mimouna de défense du patrimoine judéo-marocain. Selon une enquête réalisée en 2017 en collaboration avec l’association des Amis du musée du judaïsme marocain, près de la moitié des jeunes de 14 à 24 ans ignorent jusqu’aux éléments les plus simples du judaïsme marocain. Croisés dans les ruelles de la médina, seuls 44
trois jeunes juifs portant la kippa traversent la foule dans l’indifférence générale. L’un d’eux éclate soudain de rire, faussement choqué devant l’étal d’un vendeur d’épices, hilare, qui vient vraisemblablement de lui proposer le fameux « Viagra berbère » que les vendeurs s’amusent à présenter à tous les touristes. Pour les pèlerins, la Hiloula de Rabbi Haïm Pinto est donc aussi l’occasion de profiter des divertissements de la ville bleue dans des conditions privilégiées. « Avant, je voyageais au Maroc mais, depuis que le Club Med ne fait plus de plats casher, ça limite mes séjours », regrette Éric Usan, originaire de Tunisie. Invité par son fils pour la Hiloula, il l’attend, justement. « Avec ses deux amis, il est allé à la plage faire du quad et du scooter des mers », indique-t-il.
DAVID PINTO, LE DESCENDANT Si, de génération en génération, la Hiloula a vu sa réputation augmenter et dépasser les limites de la diaspora juive d’origine souirie et marocaine, ce n’est pas seulement parce qu’elle se déroule dans la ville très touristique d’Essaouira mais également, et surtout, grâce à l’énorme travail de Rabbi David Pinto. L’arrière-arrière-petitfils du tsaddik Rabbi Haïm Pinto Hagadol a en effet décidé de consacrer sa vie à l’enseignement de la Torah et au rayonnement de la mémoire de son aïeul. Aux côtés de son secrétaire William Marciano et de son équipe, il organise lui-même le pèlerinage en rassemblant ses nombreux fidèles. Depuis les années 1990, David Pinto a ainsi fondé sur la réputation de son illustre ancêtre plusieurs centres d’études religieuses à New York, à Paris et Villeurbanne, en France, à Ashdod, Raanana et Jérusalem, en Israël, mais aussi à Mexico et à Buenos Aires, en Argentine. Son influence est telle au sein de la communauté juive qu’il compte même parmi ses ouailles Jared Kushner, juif orthodoxe moderne. le fameux gendre et conseiller de Donald Trump. Derrière son allure très classique de religieux orthodoxe – chemise blanche, veste noire longue et sobre, chapeau noir à bord plat et
VILLE NOUVELLE ogador fut fondée par le sultan Mohammed ben Abdallah en 1765 pour devenir le nouveau port de Marrakech, alors capitale du pays, et affaiblir Agadir où se fomentait une révolte. Les fondateurs de cette véritable « ville nouvelle » conçue ex nihilo affectèrent une partie de la médina à chaque tribu ; l’une d’elles, les Toujar Soltane (littéralement, les négociants du sultan), de confession israélite, a fait de la ville bleue un centre économique florissant. Entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle, Essaouira vécut ainsi un véritable âge d’or en devenant le premier port commercial du Maroc et sa capitale diplomatique. En 1844, alors que fait rage la guerre entre la France et le sultanat du Maroc, Essaouira subit un bombardement et est pillée par les tribus environnantes. Suite à ces événements, la ville perdit son influence et avec elle sa riche communauté juive, qui partit s’installer dans d’autres grandes villes du pays, en Amérique et en Europe. L’instauration du protectorat français favorisa Casablanca. Cependant, depuis la fin du XXe siècle la cité connaît un renouveau grâce notamment au tourisme. ■ J.C.
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longue barbe – se cache un homme chaleureux et charismatique qui se fait une obligation de répondre à toutes les sollicitations. « La Hiloula est un grand moment de recueillement et de ferveur. Nous venons nous ressourcer et prier, mais c’est aussi une célébration : on danse et on mange très bien ! » souligne André*, la cinquantaine. Chaque soir, pendant les trois jours précédant la soirée du pèlerinage, tous les participants se sont effectivement réunis pour une fête qui mêle danse, chant, bonne chère et ferveur religieuse. L’artiste populaire juif marocain Benjamin Bouzaglo, chargé d’animer les soirées, entonne tour à tour « Allah, Allah, Allah Allah », « Al Massira al Khadra » ou une chanson à la gloire de Rabbi Haïm Pinto sur l’air de « On va danser, on va s’aimer, oui c’est la vie ! ». Bras dessus, bras dessous, en costume noir et chapeau, une dizaine d’hommes entame une danse traditionnelle endiablée devant la longue tablée des invités d’honneur. Aux côtés d’André Azoulay, véritable guest-star de la Hiloula, et de Rabbi David Pinto, accompagné de ses fils, ont été placés plusieurs responsables locaux marocains, dont le maire d’Essaouira, Hicham Jebbari. Dans l’enthousiasme général, les pèlerins se saisissent de l’immense portrait de Mohammed VI placé dans la salle pour le brandir.
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UN PATRIMOINE À PRÉSERVER « Tous les juifs marocains aiment beaucoup le roi et la famille royale. Elle est réputée pour avoir toujours protégé les juifs », raconte Yohan Abitbol. Pendant la Seconde Guerre mondiale, refusant les lois discriminatoires de Vichy, Mohammed V aurait ainsi déclaré : « Il n’y a pas de juifs au Maroc, seulement des sujets. » Aujourd’hui encore, les représentants locaux du ministère de l’Intérieur ont la responsabilité d’assurer la sûreté du pèlerinage. « Ici, je me sens en sécurité, ou plutôt je ne me pose même pas la question. Je vois qu’il y a beaucoup de surveillance policière. Les gens sont aimables et hospitaliers ; nous sommes vraiment très bien reçus », souligne Éric Usan. Près des AFRIQUE MAGAZINE
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lieux de passage des pèlerins, les forces de l’ordre sont présentes en nombre, mais sans trop attirer l’attention. Seules les rues adjacentes aux deux cimetières juifs ont été fermées à la circulation. « Le Maroc est le seul pays du monde musulman à œuvrer au niveau de l’État pour la sauvegarde du patrimoine judéo-marocain, le seul pays à disposer d’un musée juif, le seul pays musulman à rénover les éléments du patrimoine juif… », énumère Rachel Dalia Benaïm, fondatrice de la coalition interconfessionnelle juive et musulmane. De 2010 à 2015, sous l’impulsion de Mohammed VI, 167 cimetières et sanctuaires juifs a travers le royaume ont été restaurés ; les rénovations se poursuivent dans le cadre de la réhabilitation des médinas. Après Casablanca, le Mellah de Marrakech est en pleine rénovation. Les noms juifs originaux de ses rues ont même été symboliquement rendus sur ordre du roi. Cet intérêt pour l’histoire juive du Maroc ne résout pas tout. Dans les manuels d’histoire, en particulier, aucune mention (ou si peu) n’est faite de cette communauté et de son histoire, comme si elle n’appartenait pas vraiment au pays, comme si, surtout, elle restait taboue et circonscrite à quelques vieilles pierres. Au Maroc, comme ailleurs, les relations judéo-arabes sont tributaires du conflit israélo-palestinien. L’absence de relations diplomatiques officielles avec Israël limite de facto les liens avec la puissante communauté marocaine installée dans l’État hébreu. « De nos jours, on estime que 800 000 Israéliens sont originaires du Maroc, [parmi lesquels] 156 500 sont nés [dans le pays] », indique Emanuela Trevisan Semi, professeure d’études juives contemporaines à l’université Ca’ Foscari de Venise dans le magazine A contrario, en 2007. ■ *Les prénoms ont été modifiés.
« La Hiloula est un grand moment de recueillement et de ferveur. C’est aussi une célébration : on danse et on mange très bien ! »
Rabbi David Pinto prend la parole, devant le portrait du roi Mohammed VI. 45
INTERVIEW
Alain Mabanckou Engagé, ce littéraire passionné vient de publier Les Cigognes sont immortelles, ouvrage autobiographique où il raconte en toute liberté son histoire congolaise. propos recueillis par Fouzia Marouf
NICO THÉRIN
« Je suis un écrivain tricontinental »
INTERVIEW ALAIN MABANCKOU : « JE SUIS UN ÉCRIVAIN TRICONTINENTAL »
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thlétique, chapeau feutre vissé sur la tête, Alain Mabanckou est un auteur au contact facile, direct. Avec son regard droit, son large sourire et son évident charisme, on l’imagine aisément jouer un rôle dans Shadows de John Cassavetes. Né à Pointe-Noire en 1966, partageant sa vie entre Los Angeles et l’Europe, il est professeur à l’UCLA (université de Californie à Los Angeles), où il enseigne la littérature française tel un passeur ayant pour mission d’exhumer la voix et la mémoire des auteurs africains qui ont marqué les décennies par leur verve et leur esprit contestataire. De passage à Paris pour assurer la sortie de son nouveau roman, Les Cigognes sont immortelles (éditions du Seuil) – livre événement très attendu qui marque cette rentrée littéraire –, l’éternel conteur raconte, dans un style vif, le Congo au plus fort des années 1970 avec un héros adolescent naïf, témoin de la grande histoire. Alain Mabanckou, qui a choisi la plume pour dire la complexité humaine, la société qui l’entoure et les questionnements qui l’assaillent dans le tumulte de l’Afrique, parle neuf langues et voyage avec deux passeports, l’un français, l’autre congolais. Auteur à succès dont les ouvrages sont traduits dans une vingtaine de langues, il affiche une douzaine de romans au compteur, dont Verre cassé en 2005, Mémoires de porc-épic, récompensé par le prestigieux prix Renaudot en 2006, ou encore Petit Piment, à l’écho retentissant sur la scène littéraire en 2015. Invité l’année suivante au Collège de France, où sa leçon inaugurale a été suivie par plus d’un millier d’auditeurs, il bat le rappel de 18 chercheurs, écrivains et penseurs de l’Afrique postcoloniale pour cosigner ensemble Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui. Une façon de s’interroger sur « le retard pris par la France dans la place à accorder aux études postcoloniales, pendant qu’en Amérique presque toutes les universités les ont reconnues et les considèrent comme un des champs de recherche les plus dynamiques et les plus prometteurs ». Fidèle à sa veine d’écrivain engagé, Alain Mabanckou n’hésite pas à prendre la parole dans le débat public pour affirmer ses prises de positions tranchées : en janvier dernier, il déclare son refus de participer au projet francophone, à la demande du président Emmanuel Macron, à qui il a adressé une lettre ouverte fustigeant « la politique françafricaine ». Entier, sans concessions, l’écrivain a tenu à privilégier des entretiens avec la presse panafricaine en cette fin de mois d’août. « J’ai dit à ma maison d’édition que j’accorderai en priorité des interviews aux médias liés au continent », lâche-t-il sans ambages dans un café du centre parisien, alors qu’il parcourt avec attention le numéro de cet été d’Afrique Magazine en s’attardant sur la rubrique Livres. Puis il se met rapidement à table… 48
« L’Afrique a plus que jamais besoin de fictions ancrées au cœur du réel. Elle ne doit pas se cantonner à être un sujet. » AM : Diriez-vous que Les Cigognes sont immortelles est votre roman le plus personnel, le plus abouti ? Alain Mabanckou : Je ne sais pas, mais il s’inscrit dans le prolongement de ce que j’ai entamé depuis un certain temps, au fil de mon œuvre, esquisser une peinture sociopolitique de l’Afrique et du Congo. J’avoue que c’est un récit intime. J’avais envie d’aborder la dimension méconnue de ce que j’avais vécu en le replaçant dans un contexte historique. Les Cigognes sont immortelles est un roman autobiographique, il expose une galerie de portraits inspirés de l’Afrique contemporaine, de façon à relire l’histoire de notre continent. Le personnage emblématique, Maman Pauline, ne relève pas de l’invention : c’est le nom de ma mère, Pauline, à qui j’ai dédié la plupart de mes romans, dont Demain j’aurai vingt ans (Gallimard, 2010) ou Lumières de Pointe-Noire (Seuil, 2013). Pour moi, elle symbolise le courage de la femme africaine, la part féminine de l’Afrique, le refus de toute forme de domination masculine. Elle a, de plus, voulu gagné son indépendance, car elle ne souhaitait pas dépendre d’un homme. Pourquoi écrire aujourd’hui sur l’histoire de votre famille ? À mes yeux, il s’agit d’un processus naturel dans le parcours d’un individu porté par le souffle de la fiction pure, la fiction rapprochée, et je m’oriente à présent vers la compréhension de l’histoire du continent : l’Afrique a plus que jamais besoin de fictions ancrées au cœur du réel. Elle ne doit pas se cantonner à être un sujet, mais être actrice, vue de l’intérieur. J’ai préféré recourir au « je », plus impactant que le « il », qui atténue la misère ou le bonheur, révélant la dimension humaine en tant que telle. La grande histoire rejoint la petite via le regard naïf de Michel, adolescent rêveur. Vous disséquez avec humour le quotidien du quartier Voungou, à Pointe-Noire, le socialisme de l’Afrique postcoloniale et l’hypocrisie, AFRIQUE MAGAZINE
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BRUNO CHAROY/PASCO
L’auteur a écrit une douzaine de romans, mais publie aussi de la poésie et des essais. AFRIQUE MAGAZINE
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INTERVIEW ALAIN MABANCKOU : « JE SUIS UN ÉCRIVAIN TRICONTINENTAL »
avec en arrière-plan l’assassinat du président Marien Ngouabi, chef de la révolution, à Brazzaville… Lors de l’assassinat du président, survenu le 18 mars 1977, j’avais 11 ans et j’étais déjà lucide. Cette période correspondant à mon adolescence, il ne m’était pas difficile de deviner les troubles agitant le Congo-Brazzaville : j’en ressens encore l’écho, les turbulences et l’onde de choc. Ce fait historique s’est déroulé sous nos yeux, le pays recevait les dictateurs et les présidents du monde entier. C’est un souvenir fortement imprégné en moi, j’ai donc laissé parler les personnages de ma famille. La prose s’est révélée fluide, d’autant que le protagoniste est à mi-chemin entre l’enfance et l’adolescence. Et l’aspect majeur de ce roman tient à la fidélité de cette photographie de l’Afrique des années 1970, à l’aube des indépendances et aux mains de leaders communistes, mais également aux prises avec une gouvernance à l’image de celle de Mobutu Sese Seko, dans le sillage de dictatures entretenant des liens étroits avec la France. Et en retraçant les grandes lignes de l’histoire, cela permet de comprendre comment l’Europe et l’Occident ont une part de responsabilité dans les failles qui affectent aujourd’hui le continent. La vie des Ponténégrins est le théâtre de passions rythmées par la corruption. Les nordistes et les sudistes ne partagent pas la même langue mais vivent de façon apaisée, jusqu’à la mort du président Ngouabi qui attise les rancœurs interethniques… Il n’y a pas de fatalité qui se serait abattue sur le Congo. Je reste persuadé qu’il n’y a qu’un seul peuple, et ce peuple est congolais, avec des ancêtres qui viennent du royaume Kongo. La littérature est un moyen de rappeler à tous que notre unité est plus forte que nos divergences ethnico-politiques. C’est sans doute l’un des messages principaux de ce roman.
« Je m’attache à parler de la vie des quartiers, des préoccupations du petit peuple, des personnages très marginaux. » 50
Vous montrez une radioscopie de l’Afrique communiste en plongeant Michel face à l’idéologie marxiste. Il entonne chaque matin des chants soviétiques, après avoir « dit du bien du camarade président Ngouabi ». Comme les soldats russes morts au combat, le collégien est fier d’être une cigogne blanche de la révolution socialiste congolaise… Les années 1970 marquent une certaine effervescence africaine pour le communisme, ou le socialisme. Nous pensions, à cette époque, que c’était la seule voie de la libération. Mais c’est aussi la période où toutes les doctrines occidentales ont envahi la tête des dirigeants du continent. La jeunesse était alors prise dans le vertige de l’idéologie, dont celle venue de l’ancienne URSS. En tant qu’élèves au collège, nous étions convaincus que nous étions les pionniers des différentes révolutions clamées ici et là. L’antihéros de Petit Piment, votre précédent roman, évoquait le destin contrarié d’un orphelin natif de Loango destiné à devenir un pionnier de la révolution socialiste. Avez-vous une tendance particulière à écrire sur les plus vulnérables ? Je pense que dans la littérature africaine, il est question de réécrire l’histoire du moment, qui inclut le cadre socioculturel. Je m’attache à parler de la vie des quartiers, des préoccupations du petit peuple. Dans Bleu blanc rouge (Présence africaine, 1998) ou African Psycho (Le Serpent à Plumes, 2003), les personnages sont très marginaux, comme le héros de Petit Piment : ils choisissent une voie singulière afin de s’extraire de l’agitation délicate qui les tenaille. Ce sont des oubliés de l’histoire, et elle s’écrit cependant grâce à eux. À quoi rêvez-vous pour le Congo, pays qui marque fortement votre œuvre ? D’une libération politique. Le Congo n’est pas une propriété privée, il ne se réduit pas à n’importe quel président ou à son fils. J’étais interdit de territoire durant quatre ans, je viens d’apprendre courant septembre par voie de presse que je ne le suis plus et je m’en réjouis vivement, je vais pouvoir y retourner. Alexis Thambwe Mwamba, ministre de la Justice, a fait un démenti et a manifestement levé cette interdiction dans un communiqué [voir le n° 3009 de Jeune Afrique, ndlr]. Mais cela ne m’a pas empêché de vivre mon pays à travers mes livres. Vous parlez neuf langues. Dans laquelle rêvez-vous ? Lorsque l’on dort, on peut rêver dans n’importe quelle langue. Le monde des rêves est dénué de murs, on peut être dans une médina marocaine, sortir du mur de Berlin, traverser les mers comme dans la Bible ou le Coran. Le rêve est le seul espace où la langue est secondaire, c’est la réalité qui a imposé la nécessité de l’apprentissage des langues. Nous avons par conséquent dit la difficulté de cet apprentissage. Tout doit se jouer en huit heures, et quand ça se passe mal, c’est le cauchemar. AFRIQUE MAGAZINE
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Est-ce important pour vous de raviver dans vos romans la vitalité du wolof, du kikuyu, des langues puissantes et vivaces dans l’imaginaire des écrivains ? Oui. Il faut faire vivre l’Afrique dans son entière diversité car elle ne préserve pas suffisamment son patrimoine linguistique, qui est pourtant très dense. Par exemple, le lingala que l’on parle en RDC, au Congo-Brazzaville, en Angola n’est pas enseigné au primaire : nous devons étudier de près cette richesse et ne pas uniquement nous focaliser sur la langue française, alors que nous sommes face à la perte de ce trésor linguistique. Quels auteurs emblématiques du continent figurent au programme de l’université de Californie, où vous enseignez ? Cette année, j’ai enseigné une introduction aux courants de la littérature française, notamment le romantisme, le réalisme, le surréalisme, et le nouveau roman. L’année prochaine, j’enseignerai une introduction aux littératures du continent noir d’expression française, avec de nombreux auteurs : Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma, Mongo Beti, Sony Labou Tansi ou, dans la nouvelle génération, Abdourahman Waberi, Fatou L’écrivain a grandi à Pointe-Noire. À droite, avec ses parents.
Diome, Kossi Efoui, In Koli Jean Bofane, Charline Effah Ali Zamir et Gauz. Des grandes voix actuelles qu’il nous faut mettre en valeur, parce que ces écrivains deviendront des classiques dans les années à venir. Vous avez refusé de participer au projet de réforme de la francophonie, sur demande du président français Emmanuel Macron. Votre réponse a été qualifiée de « cinglante »… Il est toujours difficile de faire comprendre aux gens que l’on refuse de travailler avec un président de la République, surtout lorsqu’il est français. J’ai la chance de clamer mon indépendance économique et spirituelle. Je ne suis pas au service d’un gouvernement et d’une politique, mais au service de ceux qui, comme moi, aspirent à l’égalité et à leurs droits : je suis du côté de la jeunesse africaine qui est en train de subir de front les conséquences de la dictature. Je le répète, il y a trop de dictateurs en Afrique. Pour preuve, le Congo-Brazzaville, Kinshasa du temps du Zaïre, le Gabon : dès lors que le père est président, le fils doit lui succéder. Ce ne sont pas des monarchies, nous ne sommes pas liés à la royauté, et les élections truquées fragilisent le continent. En ce qui concerne Michaëlle Jean, la secrétaire générale de la Francophonie, elle a été reçue par l’un d’entre eux. Je ne peux pas œuvrer au sein de cette entité, dans la mesure où les dictateurs leur profitent. Le jour où la francophonie n’aura plus d’accointance avec les dictatures, on pourra travailler sur la politique étrangère de la France par voie détournée. C’est l’ombre du néocolonialisme. Pourquoi doit-on Un hommage à John Irving et à son célèbre roman.
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SERIAL STORIES
Au Brésil, aux côtés de la romancière Leïla Slimani.
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L’auteur adore se mettre en scène sur son compte Instagram, comme cet été, à la Fête littéraire internationale de Paraty au Brésil avec Leïla Slimani. Son dernier succès ? La photo de son T-shirt orange, hommage à John Irving et à son livre culte, Le Monde selon Garp. Pour fêter ses 40 ans, les éditions du Seuil – qui publient également Alain Mabanckou – le rééditent d’ailleurs dans une édition collector.
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INTERVIEW ALAIN MABANCKOU : « JE SUIS UN ÉCRIVAIN TRICONTINENTAL »
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« Il faut œuvrer à l’amélioration des voies de circulation entre pays voisins sur le continent. Il est difficile de se déplacer. »
appeler Tahar Ben Jelloun, Yasmina Khadra, Boualem Sansal et Kateb Yacine des écrivains francophones ? Jean-Christophe Rufin ou Michel Houellebecq accepteraient-ils d’être désignés ainsi ? Êtes-vous un écrivain français ou un écrivain francophone ? Je suis un écrivain congolais d’expression française. Je reste attaché à mes origines, à mon pays, le Congo. Mais aussi à mes origines d’adoption, et la langue française. Dans Penser et écrire l’Afrique aujourd’hui, vous écrivez : « Il faut abolir les visas […], encourager l’espace public afropolitain si on veut donner sa chance à l’Afrique-Monde en gestation, car la politique du futur africain sera de prime abord une politique de la déclosion et de la circulation… » Il est important d’évoquer cet aspect permettra de sortir car la tradition du genre BIBLIOGRAPHIE de la crise. […] Il y a humain est liée à la de fortes chances mobilité et correspond ◗ 2006 : Mémoires de que l’art du xxie siècle à un perpétuel mouveporc-épic, hommage aux ment. D’où le génie de soit africain. » mythes africains et à la l’humanité qui n’a cessé Cela me renvoie au philosophie voltairienne de fabriquer des moyens fait que durant long◗ 2009 : Black Bazar, de transport tels que temps, les cultures le quotidien d’un sapeur l’avion, le bateau pour dévolues au continent congolais aller d’un continent à n’étaient pas considé◗ 2010 : Demain j’aurai vingt ans, un autre. De surcroît, en rées avec sérieux, car l’Ocl’histoire touchante de sa mère Afrique, la mobilité reste cident a dicté un certain ◗ 2012 : Le Sanglot de l’homme noir, une tradition : les Peuls, carcan esthétique et a dès un essai iconoclaste les bergers, les hommes ◗ 2018 : Les Cigognes sont immortelles, lors défini ce qu’était l’art. bleus, les Touaregs sont un récit d’apprentissage historique ■ F.M. Après ce constat, cette pleinement associés à ce notion esthétique – qui mouvement, ce passage. n’incluait pas l’art dans sa Ces frontières sont, selon moi, comme des chaînes hostotalité mais de façon partielle – ne comprenait pas l’exprestiles qui mettent en difficulté les individus qui s’inscrivent sion africaine, alors que l’art ne se réduit pas uniquement à dans ce besoin de mobilité. Le cloisonnement ne s’accorde une couleur. Si l’on observe l’art européen, il s’est largement pas avec la politique africaine. Il faut œuvrer à l’amélioration inspiré de l’Afrique. des voies de circulation entre pays voisins sur le continent. Je pense notamment à l’œuvre de Picasso, de Baudelaire Il est toujours très difficile de se déplacer pour un Africain. ou encore au courant surréaliste, traversés par la diversité Lorsque je vais en Algérie, j’ai besoin d’un visa, pourquoi ne de l’art nègre et la richesse de sa teneur anthropologique. pas reconsidérer cette obligation ? Penser et écrire l’Afrique Nous sommes actuellement face à un regain d’intérêt, un désir aujourd’hui, qui est un ouvrage collectif, explique précisément d’Afrique dans divers domaines, comme la mode, le design, ce qu’il nous appartient de réaliser en tant qu’Africains afin l’art contemporain qui puisent leur inspiration dans des tissus, que notre continent s’oriente vers davantage de progression tels que le wax, le raphia. J’ai le sentiment que nous sommes et de tolérance. passés d’une perception teintée d’exotisme à un regard honoVous associez à ce modèle l’efflorescence artistique rable sur l’art africain, le plus pur et le plus beau. du continent : « Les objets d’art africains, hier comme Vous dites : « Le monde est mon langage… La littérature aujourd’hui, sont des objets en mouvement. Il est urgent est devenue une affaire de continent. » de considérer la création africaine contemporaine comme La littérature est faite de rencontres, à l’image d’une nouune forme de pensée. La création afro-diasporique nous velle famille qui se crée. Nous devons tous parler le langage de
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l’éclairage, et non pas celui de la division, de la soustraction. N’oublions pas que ce qui nous rattache tient à la complexité de l’imaginaire, du langage qui brasse l’ensemble des continents en Amérique, en Asie, en Europe et en Afrique. Vous considérez-vous comme un agitateur ? Vous avez dit en écrivant Lettre à Jimmy que James Baldwin vous avait appris la colère. Je suis très éloigné de la colère, celle-ci correspond à une posture d’indignation nourrie d’événements qui poussent à ce sentiment dans l’histoire. Selon moi, il s’agissait d’une prise en compte de la situation et de la riposte, par le biais de la connaissance, de l’écriture, de l’exposition de l’art africain, par la reconquête des idées de la philosophie du continent. Si nous avons ressenti de la colère, elle n’était pas dirigée contre autrui, mais plutôt contre une forme d’immobilisme, nous avons été victimes d’immobilisme, nous avons préféré capituler. On a peur de demain et de la révolution, mais qui ne risque rien n’a rien. Et j’avoue que je m’indigne face à un spectacle de désolation, c’est contagieux. Les choses les plus dures sont souvent des vérités difficiles à accepter. Lettre à Jimmy est l’essai dont je suis le plus fier, même si j’ai été honni, houspillé. Il a suscité un engouement incroyable auprès de nombreux lecteurs, c’est mon essai le plus lu, et le temps lui a offert une lecture plus sereine. Il a été traduit en espagnol, en anglais, il est sorti en édition de poche et s’est écoulé à la manière d’un roman. Alors que j’y abordais des questions difficiles. Que faites-vous quand vous n’écrivez pas ? Comment vous évadez-vous ? Je voyage, je découvre des choses, je vais dans des cafés, des cinémas, j’observe le monde. L’officier et C’est essentiel pour moi. Je homme d’État passe également du temps avec a été assassiné des amis qui sont en dehors de le 18 mars 1977. la littérature. Je suis toujours en perpétuelle évasion, je pense que je suis un éternel évadé. Vous êtes un passionné de rumba, vous avez d’ailleurs produit deux albums. C’est mon côté artistique [rires] ! J’aime produire quelques albums de temps en temps, et j’écoute de la rumba depuis ma prime enfance. C’est une ouverture au langage pour le peuple, c’est une musique socialement apaisante. La rumba offre plusieurs lectures, car cette musique incarne les indépendances, la dignité… AFRIQUE MAGAZINE
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MARIEN NGOUABI, LA TRAGÉDIE D’UN RÉVOLUTIONNAIRE
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la fin des années 1960, il a incarné pour beaucoup la jeunesse au pouvoir, le militarisme honnête. Et la révolution en mode marxiste-URSS dans un pays gangrené par la corruption des élites postcoloniales. Chef de file des officiers progressistes, il prend le pouvoir à 30 ans, le 31 décembre 1968. Les ambitions sont grandes, mais le pays est pauvre, profondément divisé. L’édification d’une parfaite société socialiste au cœur de l’Afrique ne se révèle pas une franche réussite. Les hauts cadres s’enrichissent
à vue d’œil, le parti unique étouffe toutes dissidences ou débats. Et le Congo s’enfonce dans les divisions ethniques. Ngouabi bénéficie du soutien massif des populations et des élites du Nord du pays, dont il est originaire. L’hostilité du Sud s’organise. Les graves difficultés économiques, malgré l’arrivée du pétrole, la faiblesse de l’État, accentuée par un soviétisme paralysant, entraînent le pays vers le chaos. Le 18 mars 1977, Marien Ngouabi est assassiné par des éléments de sa garde rapprochée. Ses successeurs, Joachim Yhombi-Opango, puis Denis Sassou-Nguesso, organisent le culte national de sa mémoire. L'ancien président Alphonse Massamba-Débat, accusé d’être au cœur du complot, disparaît littéralement, probablement exécuté dans des circonstances mystérieuses, la nuit du 25 mars. En 1991, la conférence nationale souveraine relativise la place de Ngouabi dans l’historiographie nationale congolaise. ■ Zyad Limam
Vous avez vécu en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Où vous sentez-vous le mieux ? Cela forme un bloc avec le Congo, car je n’ai pas le choix. J’aime ma situation d’écrivain entre trois continents, cette trinité me va bien, j’ai une identité tricontinentale. En écrivant, je me rends utile à mon pays. Dans Les Cigognes sont immortelles, lorsque le personnage de Michel s’exprime, c’est moi qui parle, car Michel est mon deuxième prénom. Je suis Alain Michel Mabanckou. ■ 53
DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N
Côte d’Ivoire
PRÉSIDENCE DE CÔTÉ D’IVOIRE
Le défi jeune
C’est une priorité pour le président Alassane Ouattara et son équipe. Ils et elles représentent une bonne partie de la population du pays (environ 80 % des Alassane Ouattara entouré d’étudiants en médecine. Ivoiriens ont moins de 35 ans). Ils et elles sont une force et une promesse pour l’avenir. Ils et elles incarnent aussi de fortes exigences pour la nation : éducation, formation, emploi, opportunités… Le travail est immense. Ils et elles représentent un enjeu politique dans les perspectives des futurs scrutins. Et puis, surtout, ce qui compte vraiment, ils et elles innovent, créent, bousculent les schémas, apportent des solutions. DOSSIER DIRIGÉ PAR ZYAD LIMAM - AVEC DOUNIA BEN MOHAMED, OUAK ALTIO OUATTARA ET LILIA AYARI
CAMILLE MILLERAND
Sur le campus de l’université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan.
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DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire
La relève arrive Politique, culture, business, société civile… Les nouvelles générations cherchent à fortement s’impliquer dans les débats d’aujourd’hui et de demain. par Dounia Ben Mohamed
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bdourahmane Cissé, 37 ans, ancien ministre chargé du Budget – entré au gouvernement à 32 ans seulement ! – et conseiller spécial de la présidence ; Mamadou Touré, 42 ans, ministre de la Promotion de la Jeunesse et de l’Emploi des Jeunes ; Souleymane Diarrassouba, 46 ans, ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME… Si le gouvernement Gon Coulibaly II, récemment constitué, compte de jeunes têtes d’affiches, ce n’est pas un hasard. La Côte d’Ivoire est un pays jeune. Selon les résultats du dernier recensement de la population, plus de trois personnes sur quatre ont moins de 35 ans. Sur les scènes politique et privée, le rajeunissement du leadership se confirme. Même l’armée n’est pas en reste et a entamé un processus de rajeunissement de ses effectifs. Une nouvelle génération d’Ivoiriens, marquée par la décennie de crise politico-militaire, apparaît, bien décidée à participer à la reconstruction du pays. Sans révolution, ni heurts. Mais en saisissant toutes les opportunités que leur offre le déploiement d’Internet et des outils numériques dans le pays. « La transformation digitale de l’économie ne va pas surprendre les jeunes », assure Alain Kouadio. Cet entrepreneur ivoirien, PDG du groupe immobilier Kaydan, est bien connu des forces montantes du pays. Il est à l’origine de la CGECI Academy – dont AFRIQUE MAGAZINE
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la septième édition s’est tenue à Abidjan en septembre dernier –, qui a vocation de créer une culture entrepreneuriale chez la jeune génération. Et le processus est en marche. « Cette génération n’est pas née dans l’Étatprovidence. Elle a grandi avec la certitude qu’elle doit prendre son destin en main. » Une prise de conscience née durant la décennie de crise politico-militaire qu’a traversé le pays et qui a durablement marqué l’enfance et l’adolescence de cette génération. Avec l’avènement d’Internet, on obtient cette génération de « cybercitoyens » qui transforme, avec ses propres codes, le pays. « Dieu merci, aujourd’hui, il y a Internet ! » lâche Edith Brou, la plus célèbre influenceuse digital d’Abidjan. « On ne peut plus nous blaguer. Nous sommes capables de réagir en temps réel, de faire du fact-checking, même si malheureusement il y a aussi beaucoup de fake news. C’est un peu un couteau à double tranchant. Mais maintenant, en Afrique, et surtout dans mon pays, la jeunesse, les moins de 30 ans ont cette possibilité de dire ce qu’ils pensent, en tant que citoyens numériques, d’être des relais d’information ou des diffuseurs. Ils débordent de créativité grâce à cet outil numérique et s’en saisissent pour tourner en dérision des personnes qui se sont mal conduites. » Loin de se limiter à commenter, c’est une génération qui agit. « Les jeunes ont compris qu’ils peuvent tout faire, et notamment répondre à des problèmes sociétaux d’en bas. 57
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« Ils ne vont pas réinventer la roue. Ils prennent ce qu’ils ont et essaient de l’adapter à leur milieu. Ils ont une approche très pragmatique. Nous, les aînés, on a un peu plus de mal, on est toujours dans la nostalgie du passé. »
Ils savent désormais que l’État ne peut pas tout résoudre seul », ajoute Edith Brou. En matière de business également, Internet se veut un accélérateur pour ces entrepreneurs 2.0. « Avec la technologie, l’aide de la communauté virtuelle, vous pouvez avoir un projet qui soit relayé et structuré de bout en bout sur les réseaux, vous pouvez le rendre visible dans les espaces internationaux, et ainsi obtenir des financements pour le mener à bien. » Et si la communauté se mobilise, c’est parce que cette génération, ivoirienne, panafricaine et fière de l’être, encourage le « made in Côte d’Ivoire ». « Je prends le cas de jeunes entrepreneurs que je soutiens, comme Yvan Akré et AxelEmmanuel Gbaou qui se sont lancés dans la fabrication du chocolat : ils démontrent à travers le monde entier qu’il est possible d’être de jeunes Ivoiriens et de s’approprier la fabrication et la production de chocolat de notre pays. La révolution numérique va nous permettre de pouvoir changer les choses. D’autant que des jeunes entrent en politique également pour pouvoir changer les choses de l’intérieur. La génération des années 1980 à 2000, on a grandi ensemble, et aujourd’hui, on participe au changement dans notre pays. » Des éveilleurs de conscience Un rajeunissement de la scène politique, réel, est également en cours, mais encore limité selon Mariama, trentenaire, conseillère en communication qui travaille pour le compte de personnalités locales : « C’est sur la scène privée que les choses avancent réellement. Les jeunes commencent, à leur façon, à chercher à s’en sortir sans attendre les politiques. Ce qui est dommage, c’est que ces derniers ne leur laissent pas toujours la place. Même quand on regarde les institutions publiques, il y a peu de jeunes. Il y a bien un changement de mentalité, mais si on ne fait pas partie des décideurs, comment changer les choses ? » déplore Mariama. Ceci dit, rien ne décourage la jeunesse. Pour les élections municipales, la jeune génération est bien représentée, observe-t-elle. Même si, pour elle aussi, c’est sur le volet social qu’elle est la plus visible : « Les influenceurs
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de la Toile s’activent et activent les choses dans le milieu social essentiellement. Quand il y a des sinistrés, des inondations, une solidarité se crée, portée par cette nouvelle génération de cybermilitants, souligne Mariama. Nous, qui avons connu la guerre en Côte d’Ivoire, où l’on est restés cloîtrés chez nous, on a pris l’habitude, pour s’informer, de partager des informations, de passer par les réseaux sociaux, ce qui a créé des liens entre des personnes qui ne se connaissaient pas. La crise a accentué ce phénomène. Ce sont des éveilleurs de conscience, mais comment mesurer réellement leur impact ? » une jeunesse qui s’impose Pour Fanta Bernath de Font-Réaulx, PDG d’Adwowi Africa, la Côte d’Ivoire n’échappe pas à une tendance continentale : la jeunesse s’impose. « Les jeunes prennent leur place et changent la face de la Côte d’Ivoire, comme celle du continent. Ils ne vont pas réinventer la roue. Ils prennent ce qu’ils ont et essaient de l’adapter à leur milieu. Ils ont une approche très pragmatique. Nous, les aînés, on a un peu plus de mal, on est toujours dans la nostalgie du passé. On serait prêts à ralentir le progrès, alors qu’eux anticipent sur l’avenir. Aujourd’hui, quand on voit tous ces jeunes entrepreneurs, on note la même volonté de bénéficier de cette technologie que nous envoie l’Europe, associée à nos traditions africaines de solidarité et de partage. À travers leur projet, ils manifestent la préoccupation de répondre à des besoins. Il y a un côté spirituel à la façon dont les jeunes se déploient aujourd’hui. Ils se sentent envoyés, en mission, en charge du salut de leur pays. À nous de nous appuyer sur la jeunesse pour évoluer. Pas seulement pour l’avenir de la Côte d’Ivoire, mais aussi pour celui de l’Afrique, et du monde finalement… » C’est par ailleurs le message lancé par le président Alassane Ouattara lors de ses vœux à la nation du 31 décembre 2017 : « Ne vous lancez pas à l’aventure, au péril de vos vies. Vous êtes mieux au pays, et le pays a besoin de vous. Jeunes, vous êtes notre plus grand atout. […] Vous êtes la Côte d’Ivoire de demain. » ■ AFRIQUE MAGAZINE
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L’emploi, un défi majeur pour le gouvernement La lutte contre le chômage des jeunes, avec la mise en place de tout un écosystème performant, est une bataille essentielle sur la route de l’émergence. par Ouakaltio Ouattara
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surtout en Afrique – représentent la population la plus touchée par le chômage, le sous-emploi et la précarité. Le secteur informel offre dans un tel contexte la majorité des opportunités, là où le secteur privé formel ne propose qu’une faible proportion des emplois, bien loin du secteur public. Depuis 2011, sous l’impulsion du président Alassane Ouattara, l’exécutif multiplie les initiatives et les dispositifs en faveur de la population jeune. Reste à pouvoir compter sur des traductions concrètes, des effets réels des nombreuses politiques de soutien. Selon les chiffres officiels, environ 80 % de la population ivoirienne a moins de 35 ans, avec un accroissement démographique soutenu. Les efforts publics ne sont pas encore suffisamment perceptibles. De cette portion, 35,1 % sont âgés de 15 à 24 ans. Selon l’enquête nationale sur la situation de l’emploi et le secteur informel (Ensesi) de 2016, la population ivoirienne en âge de travailler est estimée à 14 870 704 personnes, sur une population totale projetée de 23 681 171, soit une proportion de 62,8 %. Elle est … à son bureau du Plateau, et dans une école de la ville.
INSTAGRAM D’AMADOU GON COULIBALY
Sur l’Instagram du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly : le PM à la clôture de la CGECI Academy 2018…
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a question de l’emploi, et particulièrement l’emploi des jeunes, est l’une des grandes priorités du gouvernement. À cet égard, j’annonce la mise en place prochaine d’une task force État-secteur privé sur la question. Il s’agit de réfléchir ensemble aux réponses concrètes à apporter à tous les niveaux : éducation, formation professionnelle, entrepreneuriat, financement, etc. » Cette phrase programme du Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly, prononcée à la clôture de la CGECI Academy le 27 septembre dernier, a fortement résonné dans une salle de l’hôtel Sofitel d’Abidjan, prise d’assaut par des jeunes en quête d’opportunités. Ce rendez-vous annuel entre le patronat ivoirien, des hommes d’affaires et des jeunes entrepreneurs a été une nouvelle fois l’occasion de riches débats autour de la problématique de l’emploi et souligne l’implication directe du Premier ministre dans cette bataille. Combien de chômeurs compte la Côte d’Ivoire ? Difficile de le dire avec exactitude. Les statistiques les plus récentes remontent à 2016 et indiquent que les jeunes – comme partout ailleurs dans le monde, mais
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« Dans un pays comme le nôtre, où l’économie repose sur la culture de la terre, il est difficile de comprendre que nous n’arrivons pas à former davantage de jeunes pour s’insérer dans le monde agricole. »
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relativement jeune (63,0 %), avec un âge variant entre 14 et 35 ans. Toujours selon l’étude, cette population est constituée de 50,5 % d’hommes et de 49,5 % de femmes. Elle réside majoritairement en milieu urbain (52,8 %, dont 21,3 % à Abidjan et 31,5 % dans les autres villes) et enregistre une forte proportion de personnes sans aucun niveau d’instruction (47,1 %). Le chômage, essentiellement urbain et de longue durée, affecte davantage les jeunes diplômés. Les experts en la matière s’accordent pour souligner que cette situation est la résultante d’une « forte inadéquation entre la formation et l’emploi. » Le professeur Clément Kouadio Kouakou, enseignant-chercheur en sciences économiques et de gestion et directeur du Centre de recherches microéconomiques de développement (CREMIDE), note que les entreprises, portées par une croissance globale et dynamique sont constamment, mais sans succès, à la recherche de personnel qualifié. Les patrons sont nombreux à pointer un manque de compétences, attribué à la faiblesse du système éducatif. Les élèves qui sont par exemple formés dans le secteur de l’artisanat n’ont pas les outils nécessaires pour exercer des métiers pourvoyeurs d’emplois. Des élèves dans les filières de brevet de technicien supérieur (BTS), et même des ingénieurs, sont mis sur le marché de l’emploi avec des connaissances théoriques seulement. Titulaire d’une licence en sciences de l’environnement, Hervé Iritié, 33 ans, a plusieurs échecs pour s’insérer dans le monde du travail à son actif : « J’ai été obligé de passer le concours d’instituteur adjoint, de niveau BEPC, pour avoir un emploi. C’est un moyen d’éviter les critiques des parents et des amis. Je travaille, mais ce n’est vraiment pas ce que je voulais. » Son exemple n’est pas un cas isolé. Nombreux sont les titulaires de diplômes de niveau bac+2, et parfois de maîtrise, qui se rabattent sur les concours d’instituteur, de la police, de la gendarmerie, pourtant ouverts aux titulaires du BEPC. Selon le professeur Clément Kouakou, « l’État
a certes élaboré la politique nationale d’emploi, mais la mise en œuvre de cette politique nécessite des connaissances spécifiques. Il y a par exemple des insuffisances en matière de suivi et d’évaluation des politiques déjà déployée, et il faut bien déceler les vraies sources des dysfonctionnements avant de s’engager dans de nouvelles politiques d’emploi ». Kouassi Konan, directeur exécutif du Mouvement pour l’éducation, la santé et le développement (MESAD), aborde la question sous un autre angle : « Dans un pays comme le nôtre, où l’économie repose sur la culture de la terre, il est difficile de comprendre que nous n’arrivons pas à former davantage de jeunes pour s’insérer dans le monde agricole. » un secteur pourvoyeur d’emplois Les différentes études sur l’emploi font ressortir que le secteur agricole demeure le plus gros pourvoyeur d’emplois avec 43,5 % du total. Il est suivi par les services (26,4 %) et le commerce (17,6 %). Ainsi, seuls 9 % des emplois se trouvent dans le secteur formel privé et public, dont 3,3 % dans des entreprises privées formelles. C’est dans cette logique que le gouvernement ivoirien avait lancé le Programme national d’investissement agricole (PNIA) sur la période 2012-2015, reconduit d’ailleurs jusqu’à 2020, dont l’objectif est de créer plus de 2 millions d’emplois. « L’émergence de la Côte d’Ivoire passe également par une agriculture performante et moderne, susceptible de combler les besoins nationaux, pour ce qui est des produits vivriers, et de favoriser un accroissement substantiel des recettes d’exportation », souligne le gouvernement. C’est en cela que de plus en plus les gouvernants optent pour la transformation sur place des produits de rente, comme le cacao, le café et la noix de cajou. À la Primature, en tous les cas, on surveille de près l’évolution de tous ces dossiers, qui ont un impact direct sur l’emploi des jeunes. Une bataille essentielle sur la route de l’émergence. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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L’entrepreneuriat, c’est l’avenir ! Jusqu’à peu, le parcours d’excellence se faisait dans la fonction publique. Aujourd’hui, on rêve entreprises et business. Une tendance qui change la donne économique. par Lilia Ayari
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Le Co-Lab, à Abidjan, accompagne les jeunes patrons.
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ncubateurs, fab lab et autres se multiplient dans la capitale. Si les concepts divergent, l’objectif est le même : accompagner les jeunes entrepreneurs en herbe. Situé au cœur d’Abidjan, rue des Jardins, le Co-Lab est un espace de coworking d’un nouveau genre. Adossé à l’agence de communication Piment bleu qui a pignon sur rue, l’établissement accueille de jeunes entrepreneurs, rien de nouveau jusque-là, mais avec la particularité de leur offrir une fenêtre sur le monde réel. Une mixité qui change toute la donne et qui est au cœur du concept. « Le Co-Lab est un espace d’innovation, résume Penda Cissé, la fondatrice. L’originalité est d’appartenir à un grand groupe. Le concept ne se résume pas à un espace de travail. Notre valeur ajoutée réside dans la mixité avec l’agence. Nous sommes parfaitement intégrés dans la ville, dans son environnement, entourés de jeunes. » Cette proximité lui permet de mieux identifier les besoins : « Savoir pitcher [résumer et présenter son projet à des investisseurs potentiels, ndlr] notamment.
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Les entrepreneurs ont beaucoup d’idées. Mais, sans doute en raison de la faiblesse du système éducatif, ils peinent à expliquer leur projet. » Et les femmes davantage encore, selon elle : « Pour des raisons d’ordre culturel notamment, les femmes demeurent encore trop réservées, elles manifestent moins de confiance en elle. C’est leur talon d’Achille. Il faut par conséquent leur donner des outils pour gagner en assurance. Grâce au Co-Lab, elles peuvent bénéficier d’un accompagnement. » Adopter les outils du futur reste le principal leitmotiv de la fondatrice : « Il faut sortir des sentiers battus et innover pour avoir de l’avance sur les autres. La créativité permettra à la jeunesse de se distinguer. L’innovation dans nos pays doit être stimulée chaque jour. » En Côte d’Ivoire, il semble que le processus est en marche. Les plates-formes de coworking, incubateurs et autres pépinières pour futurs entrepreneurs et start-up continuent de se multiplier dans le paysage local. Un phénomène arrivé tardivement dans le pays, dopé aujourd’hui par la croissance et l’attractivité du pays. « Si nos aînés cherchaient plutôt à faire carrière dans la fonction publique, qui était la voie royale jusqu’à la crise, pour notre génération, à peine sortie de l’école, on va plutôt chercher à monter notre projet. » Achille, 28 ans, en est la démonstration vivante. Ce dernier d’une fratrie de six enfants, dont l’adolescence et le parcours scolaire ont été marqués par la crise, ne pense que « business ». « On voit ce qui se passe aux États-Unis, en Europe, chez nos voisins en Afrique. Partout, c’est le même constat. Plus on a de diplômes, moins on trouve d’emploi. Notre génération, malheureusement ou heureusement, doit 61
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créer son propre travail et son propre avenir. Et c’est ce qu’on fait. » Lui a déjà posé une première pierre à son édifice entrepreneurial. Après avoir fait des études de commerce, il travaille sur une application qui, assure-t-il, va révolutionner le secteur de l’agrobusiness, en Côte d’Ivoire comme ailleurs dans le monde. Des plus ambitieux, Achille ne souhaite pas en dire plus et est prudent : « On ne veut pas se lancer trop vite. On veut tout baliser, le concept, le business plan, l’étude de marché… » des chiffres en forte progression C’est un fait. L’économie ivoirienne doit créer 2 millions d’emplois d’ici 2020. Entre 2011 et 2015, plus d’un million a déjà été créé, notamment en milieu rural grâce à la redynamisation des filières agricoles. Et 95 000 emplois dans le secteur formel sur l’année 2017. Si les chiffres sont en forte progression, ils restent insuffisants aujourd’hui. Ils le seront davantage demain. Des données saisies par les jeunes, résolument orientés vers la création d’entreprises, qui, comme leurs aînés aujourd’hui, sont de plus en plus nombreux à monter leur propre affaire. Selon les statistiques du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), 7 145 nouvelles sociétés ont été créées de janvier à juin 2018, contre 6 267 de janvier à juin 2017. Et le nombre moyen d’entreprises créées quotidiennement de janvier à juin 2018 est de 67, contre 56 au premier semestre 2017. Parmi lesquels une forte propension d’entrepreneurs de moins de 40 ans. Dans ce domaine, le plus dur n’est pas de créer, mais de durer. En Côte d’Ivoire, le taux de disparition des entreprises est de 70 à 80 % lorsqu’elles ne sont pas accompagnées. C’est dans ce contexte que les autorités ivoiriennes, sous l’égide du ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, ont décidé de mettre en place un réseau d’incubateurs, dont la vocation est de permettre aux porteurs de projets ou jeunes entreprises de bénéficier d’un appui adapté. ■ 62
MAMADOU TOURÉ : « Lutter contre la précarité, investir sur la formation » propos recueillis par Ouakaltio Ouattara Depuis le 10 juillet 2018, le ministre de la Promotion de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes a pour mission de mettre en œuvre la politique nationale en matière de promotion de la jeunesse en facilitant l’insertion socioprofessionnelle, l’autonomisation et l’auto-emploi. Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle de janvier 2017 à juillet 2018, Mamadou Touré a également été conseiller technique chargé de la Jeunesse et des Sports à la présidence de la République de 2011 à 2016.
AM : Quel est l’état des lieux de l’emploi en Côte d’Ivoire ? Mamadou Touré : Depuis 2011, et conformément au plan national de développement (PND), le gouvernement ivoirien s’est lancé dans la lutte contre la pauvreté à travers des investissements massifs dans les secteurs sociaux, la transformation structurelle de l’économie et la promotion de la jeunesse et des femmes. Il est observé que le taux de chômage de la population est en constante baisse depuis 2012, passant de 6,1 %, à 5,3 % en 2014, puis à 2,8 % en 2016.
De même, le chômage des jeunes (14-35 ans) décline, passant de 12,2 % en 2012, à 9,6 % en 2015, puis à 3,6 % en 2016. Ce taux relativement bas cache une autre réalité, qui reste pour nous un défi : la précarité de beaucoup de postes. En effet, le taux combiné de chômage et d’emplois précaires tourne autour de 26 %, et plus de 90 % des emplois sont encore dans le secteur informel. Dans un tel contexte, comment comptez-vous gagner le pari de l’emploi jeune ? C’est une problématique transversale. À ce titre, elle nécessite une meilleure coordination des initiatives en faveur de l’emploi et le développement d’une meilleure synergie, ainsi qu’une forte interactivité avec les acteurs de l’insertion professionnelle. Les pays qui ont gagné le pari de l’emploi des jeunes présentent un secteur de la formation professionnelle performant intégré aux mesures actives de promotion de l’emploi. C’est pourquoi nous allons mobiliser les partenaires techniques et financiers et renforcer la corrélation entre l’emploi et la formation, notamment l’interaction avec la ministre de la Formation
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professionnelle et tous les autres ministères dans la mise en œuvre des projets et programmes d’insertion. La mobilisation du secteur privé, dont le dynamisme se renforce dans notre pays, est aussi indispensable. Quelles seront alors vos priorités ? Consolider la dynamique d’amélioration continue de la situation de l’emploi des jeunes. En substance, nous mettrons l’accent sur le renforcement des capacités des jeunes et acteurs de jeunesse, l’amélioration de l’environnement socio-éducatif et des relations avec la jeunesse, et la redynamisation de l’action en faveur de l’emploi des jeunes, conjuguée au développement d’une politique de vulgarisation de son offre de services dans les territoires. Dans l’immédiat, c’est-à-dire avant la fin 2018, quels sont vos grands projets ou actions à mener ?
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demeure le secteur d’activité le plus pourvoyeur d’emplois avec 49,3 % des postes et enregistre une hausse de près de 6 points par rapport à 2014 (43,5 %). L’emploi est presque exclusivement informel (93,6 %) selon l’enquête nationale sur la situation de l’emploi et le secteur informel de 2016. Il apparaît donc clairement que l’agriculture est un grand secteur d’avenir et est de ce fait un levier stratégique pour réduire rapidement la pauvreté et le chômage des jeunes. Nous comptons développer les initiatives en cours par l’amélioration du cadre légal et réglementaire afin de sortir le maximum de ces futurs emplois du secteur informel. Il s’agira également de promouvoir les initiatives entrepreneuriales des jeunes dans le cadre des actions sociales du gouvernement, en liaison avec les ministères concernés. À très court terme, l’important Et d’une manière plus est l’organisation des états généraux générale, en matière d’appui de la jeunesse fin octobre prochain, et d’accompagnement ? qui rassemblera l’ensemble Une attention des acteurs de l’insertion particulière sera accordée professionnelle, des l’agriculture partenaires techniques est un secteur à l’opérationnalisation du fonds d’appui aux initiatives et financiers et des d’avenir et des jeunes (FAIJ), et jeunes et associations un levier au lancement de la deuxième de jeunesse. Il s’agira stratégique édition de l’opération principalement de faire pour réduire spéciale « Agir pour les l’évaluation des politiques rapidement jeunes », avec un objectif d’emplois en faveur des la pauvreté et de 20 000 jeunes au lieu jeunes et de prendre le chômage. de 8 000 lors de la première les mesures nécessaires phase. Nous travaillons également pour obtenir plus de résultats. Nous sur la définition d’un statut d’autoenvisageons également de lancer un entrepreneur, avec d’importantes audit organisationnel et la réforme mesures d’incitation à l’attention de l’Agence emploi jeunes (AEJ). des jeunes. Il s’agira entre autres Comment comptez-vous rendre d’exonération ou d’allégement le secteur de l’agriculture et le secteur de charges fiscales, d’assistance informel plus attractifs ? technique, et d’appui à la recherche La description de la population de marchés et de financements. ■ active montre que l’agriculture
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Sans complexes
ivoirienne. La technique, simple, consiste à confectionner des crêpes à base de mets locaux, tels que de la banane plantain frite, appelée « alloco » à Abidjan. « Nous voulons créer une franchise et être les leaders de la crêpe en Afrique de l’Ouest », déclarentils, confiants. Le duo s’associe à quelques start-up qui prospèrent dans la chocolaterie afin de gagner la confiance des Abidjanais. Et les choses se passent plutôt bien pour ceux qui ont tout abandonné en France pour tenter l’expérience africaine. O.O.
Bac en poche, elle entre au Centre des études supérieures des affaires d’Abidjan. En deuxième année, elle se spécialise en systèmes électroniques et informatiques, puis intègre très rapidement les communautés de la scène technologique ivoirienne et crée son blog, « Mon aventure de geekette », avant de lancer, avec des amis d’Abobo, sa commune de naissance, Baby Lab, un laboratoire d’idées et de production qui offre aux jeunes délaissés un espace de travail collectif et créatif. En 2016, elle y fonde EG, sa propre marque, de bijoux fabriqués à partir de produits recyclés. À 28 ans, elle est aujourd’hui directrice générale de PerformAddict, une agence digitale spécialisée dans l’accompagnement de projets d’innovation, récemment sélectionnée pour devenir l’un des ambassadeurs de Digital Grassroots, un programme soutenu par les Nations unies qui promeut les bonnes pratiques de l’Internet. « Petite, je me souviens avoir entendu l’expression “empire commercial” et je rêvais de régner sur cet empire. Je nourris encore cette envie au fond de moi. » D.B.M.
Edwige Gbogou, « be chic, be geek ! »
Pehah Jacques Soro, l’art en 3D
La « geekeuse d’Abidjan », comme elle s’est baptisée, est passionnée de technologie depuis son enfance. « Mon père avait ramené un ordinateur à la maison. Je voulais voir comment cela fonctionnait, par curiosité, alors je m’y suis mise. »
À tout juste 30 ans, Pehah Jacques Soro, artiste peintre qui réalise des œuvres à effet optique (3D), révolutionne le monde de l’art. « Je suis né à Korhogo. J’ai commencé mes premiers pas dans le dessin dès ma classe de CP. » Le jeune homme est
Au centre, Akadji Gbongbadjé et Bahi Degui.
Bahi Degui et Akadji Gbongbadjé, le duo de la crêpe Investir dans la gastronomie en Côte d’Ivoire, en particulier dans une crêperie, n’avait rien d’une entreprise évidente. Il leur aura fallu du temps, de l’énergie et de la persévérance pour donner naissance à Marin, une crêperie unique en son genre puisqu’elle marie les habitudes alimentaires bretonnes et ivoiriennes. Bahi Degui (37 ans) et Akadji Gbongbadjé (27 ans), tous deux diplômés en commerce, ont évolué dans des univers différents, automobile et immobilier pour le premier, banque et marketing pour le second. Avec Marin, ils se sont lancé le pari de démocratiser la crêpe en en faisant un produit de consommation populaire. Pour y parvenir, ils ont développé leur enseigne autour de valeurs familiales, qui reflètent les signes extérieurs de la civilisation 64
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Ambitieux et innovants, ils et elles incarnent une nouvelle Côte d’Ivoire : 14 portraits, 14 projets.
sorti major de sa promotion au lycée d’enseignements artistiques d’Abidjan, puis a décroché un master 2 à l’école nationale des Beaux-Arts d’Abidjan ; un parcours des plus classiques pour un amateur d’art. Son travail, en revanche, est loin d’être commun. « Je peins des scènes de vie quotidienne en lien avec la femme, l’enfant, la religion… Ces scènes, je les veux vivantes et fascinantes, afin que mes messages ne passent pas inaperçus. C’est ce désir de singularité qui m’a poussé à présenter une technique picturale influencée par le cubisme européen et les icônes de la peinture ivoirienne, telles que James Houra et Soro Pehouet Patrick. » Pour donner plus de « relief » à son expression artistique, il la fait vivre en 3D. « Un artiste ne peint pas parce qu’il a simplement envie de peindre, mais plutôt parce qu’il est motivé par quelque chose et qu’il a une idée à véhiculer. J’ai remarqué que pendant longtemps l’œuvre d’art est restée prisonnière de son support technique. Et comme l’art est le domaine par excellence où réside la liberté, j’ai donc décidé de libérer les différents éléments de mes compositions du cadre de leur support technique, d’ouvrir une porte ou une fenêtre qui constituerait un “pont” grâce auquel les différents éléments de la toile peuvent sortir du cadre pour nous visiter et nous permettre de faire partie nous aussi du tableau. » D.B.M.
Penda Cissé, fondatrice de Co-Lab
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« J’ai passé la première partie de ma vie entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Ces déménagements successifs, liés à la carrière diplomatique de mon père, n’ont jamais été un problème. J’aime bouger et faire bouger les choses. » De ces voyages aux quatre AFRIQUE MAGAZINE
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coins du monde, Penda Cissé, fille d’un diplomate sénégalais, a puisé une inspiration intarissable. Après de brillantes études en France, elle s’expatrie au Canada, puis à New York, où elle intègre l’univers du luxe made in France, avant de revenir sur le continent. « Pour moi, le retour en Afrique était en lien étroit avec l’entrepreneuriat. Je souhaitais rentrer pour exprimer ma créativité. Il me semblait avoir acquis toutes les bases pour monter une entreprise viable. » Avant de l’exprimer dans sa totalité, à travers son agence de communication globale Piment bleu, elle devra s’adapter à son environnement et trouver ses marques. « Quand je suis arrivée en Côte d’Ivoire en 2011, un espoir immense marquait le pays, considéré comme une terre d’opportunités, qui reprenait sa place de moteur dans la sous-région ouestafricaine, après des années de crise. Je pensais que cela serait un bon point de départ pour monter un business », se souvient Penda, avant de nuancer. « Je dois reconnaître avoir connu des difficultés d’adaptation au début. Car manager des équipes en Afrique est 66
Djélika Yao, femme plurielle « Partir de rien pour devenir quelqu’un ! » Tel est le slogan de l’émission que Djélika Yao a créée. Depuis plusieurs années, elle est le visage de l’entrepreneuriat féminin en Côte d’Ivoire. Directrice de l’agence Pluriel communications, elle anime l’émission Entreprenantes et dynamiques diffusée un dimanche sur deux sur la première chaîne ivoirienne, la RTI 1, qui connaît depuis plusieurs années un grand succès en Côte d’Ivoire. « Elle est produite et financée en fonds propres à partir des bénéfices de Pluriel Communications. Ce slogan illustre le véritable ADN de notre société. Il dit tout de notre démarche et de ma personne : il est possible de réussir en partant de rien, si l’on s’en donne les moyens et que l’on travaille nuit et jour. La persévérance et le travail constituent les clés de la réussite. » Djélika Yao, qui représente cette réussite, a fondé son agence de communication en 2008.
Situé dans le quartier huppé des Deux Plateaux, à Abidjan, Pluriel communications place l’entrepreneuriat féminin au cœur de ses activités professionnelles. Le leitmotiv de sa fondatrice : encourager les femmes à prendre leur destin en main à travers l’entrepreneuriat. Pour ce faire, Djélika Yao s’appuie sur son parcours personnel. « En tant que présidente de la récente Fédération ivoirienne de mini-football, je suis fière de notre équipe, qui a gagné la première Coupe d’Afrique des nations, dont la finale s’est disputée le 12 mai dernier à Tripoli, en Libye. Grâce à notre cohésion et à un coach hors pair, Eugène Beugré Yago, nous avons remporté de haute lutte cette compétition en battant le Sénégal aux tirs au but. Rien ne présageait cette victoire. Nous sommes partis d’Abidjan sur la pointe des pieds parce que nous avions un effectif réduit par rapport à nos adversaires et étions sans grands moyens. » Un exemple à l’image de son propre parcours. D.B.M.
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un véritable challenge quand on a été comme moi formé à l’étranger. En Europe ou en Amérique du Nord, la liberté de parole prime. Alors qu’en Afrique, il faut avoir un management paternaliste, avec plusieurs niveaux de validation… Cela m’a effrayée à l’époque. Il m’a fallu prendre en compte un environnement qui m’était étranger. » Elle a donc dû s’adapter, avant de laisser parler sa créativité et d’innover avec Co-Lab, un espace de coworking d’un nouveau genre. « La création de l’agence a été conjointe à celle de Co-Lab, un lieu d’innovation, qui fournit des espaces de travail en collaboration connectés, que nos clients, les co-labeurs, peuvent utiliser de manière très flexible. » D.B.M.
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Ashley Gnahoua, alias OKédjè « Quand j’étais petite, j’alignais mes peluches et j’imitais la maîtresse pendant des heures. Je faisais aussi des discours devant une assemblée de déodorants et de parfums. » Si Ashley Gnahoua, une Franco-Ivoirienne de 31 ans, commence son parcours de façon classique, elle revient très vite à la communication, un domaine pour lequel elle développe un talent quasi inné. Blogueuse, photographe, animatrice d’événements, sous le pseudonyme OKédjè, elle inonde le Web. « Grâce à mon blog, OKédjè’s AFRIQUE MAGAZINE
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Testimony, je partage mon quotidien. Raconter les échecs et les réussites que je rencontre peut aider ceux qui me lisent, leur donner une motivation, du réconfort. J’ai aussi été rédactrice pour plusieurs webzines. Un jour, en allant représenter l’un d’eux, Ayana, pour le compte d’Amie Kouamé, la directrice générale d’Ayana & Compagnie, aux Adicom Days, je suis entrée en contact avec l’entreprise pour laquelle je travaille aujourd’hui. Je souhaitais venir en Afrique, j’ai toujours voulu y vivre, particulièrement en Côte d’Ivoire. » Aujourd’hui, community marketing manager Afrique de la deuxième plate-forme internationale d’hébergement de vidéos, elle met à profit ses compétences acquises sur la Toile. « Mon travail consiste à gérer les réseaux sociaux de la plateforme en assurant la promotion des contenus intégrés par nos partenaires ou que nous réalisons nous-mêmes. Je gère également la notoriété et l’implémentation relationnelle sur le continent africain. » En parallèle, elle monte un programme de coaching. « J’ai eu à cœur de fonder Deviens ton talent, un programme permettant de découvrir ses grâces cachées et d’accomplir sa destinée. Pourquoi ? Pour s’épanouir et devenir une source d’épanouissement pour les autres. Je propose des master class publiques et gratuites, ainsi que des séances d’accompagnement individuel. » D.B.M.
dans le cacao tout petit. « J’ai grandi à l’ombre des cacaoyers en Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao au monde. Mais je ne supportais plus de ne pas voir de marques de tablettes de chocolat ivoiriennes dans les rayons des supermarchés. Il fallait agir et vite. » Ainsi, après de brillantes études de droit et sciences politiques à l’université d’Abidjan suivi d’un master en fiscalité et un début de carrière prometteur en tant que banquier, il plaque tout pour suivre son rêve. « Depuis tout petit, je rêvais d’avoir mon entreprise et d’être mon propre patron. » Le cacao lui permet de concrétiser ce souhait. Champion de Côte d’Ivoire et vice-champion d’Afrique de chocolat-pâtisserie, Axel-Emmanuel a d’autres ambitions. « Malheureusement, je suis l’un des rares chocolatiers ivoiriens, mais je ne compte pas le rester. J’espère former beaucoup de jeunes. Il y a de la place pour une centaine de chocolatiers en Côte d’Ivoire, autant que de partis politiques. » En attendant, Instant Chocolat prépare une nouvelle collection de tablettes de chocolat, emballées dans du pagne. « À la fin de l’année 2019, j’espère exporter les premières tablettes fabriquées dans un autre pays d’Afrique… Le projet semble un peu insolite et les recettes sont innovantes. Nous préparons la #CocoaRevolution ! » D.B.M.
Axel-Emmanuel Gbaou, la #CocoaRevolution Instant Chocolat. C’est le nom de l’une des rares marques de chocolat 100 % made in Côte d’Ivoire qui rayonne aujourd’hui à l’international. Un succès local porté par AxelEmmanuel Gbaou, 34 ans, tombé 67
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Aboubacar Karim (22 ans) tisse sa toile dans un domaine où il espère servir de boussole aux jeunes de son âge. « Dans le secteur agricole, la technologie aura un rôle important dans les années à venir, et il faudra produire de manière plus précise », confie le jeune homme, fondateur et directeur général, depuis janvier 2017, d’Investiv Group qui propose un modèle de gestion d’exploitation agricole en phase avec la révolution technologique. Pionnière dans l’utilisation des drones en agriculture en Afrique de l’Ouest, la start-up fournit à ses clients des solutions techniques et innovantes alliant productivité, performance et gain de temps. Ces solutions leur permettent de réduire les pertes liées aux problèmes phytosanitaires, puis de connaître avec précision l’état et les dimensions de leurs terres et, enfin, de suivre l’évolution de leur activité et de procéder à des études techniques préalables à la mise en œuvre de leur projet. Diplômé en agroéconomie de l’université de Laval en 2016, avec à son actif plusieurs stages au Conseil café-cacao (Abidjan) et au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, il a pour ambition de « permettre aux producteurs agricoles de mieux connaître leurs terrains, leurs besoins, et d’adapter leurs pratiques de production aux indicateurs appropriés ». Sa technique consiste à utiliser des drones pour diagnostiquer les plantations et mesurer avec exactitude la superficie des terrains et les besoins en eau et en engrais. Il caresse le rêve « de faire de la Côte d’Ivoire un pays où l’agriculture sera moins dépendante du climat, grâce à la précision ». O.O. 68
Daniel Oulai, stimuler l’innovation agricole Bénévole pour plusieurs programmes dans l’agriculture, Daniel Oulai (29 ans) a remporté, fin août, le prix Castel de Solibra qui valorise les entrepreneurs dans le domaine agricole. Son projet consiste à créer, selon ses termes, une « grainothèque rurale de semences d’utilité communautaire » ayant pour but de préserver le patrimoine génétique des espèces nourricières africaines en voie de disparition. Celle-ci serait accompagnée d’un « fonds documentaire thématique, disponible en numérique et en physique, qui explique le processus de semence ». Parmi les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs ivoiriens, on peut citer les pertes post-récolte et les problèmes de stockage qui causent un manque à gagner de 40 à 50 % en moyenne ; une problématique à l’origine de la création de Grainothèque en 2016. Cette « entreprise sociale et solidaire vise à stimuler l’innovation et la transformation durable de l’agriculture paysanne », explique Daniel Oulai. Avec la création de cinq emplois directs à temps plein et d’une centaine d’emplois indirects, le jeune lauréat voit grand et mobilise des fonds pour « déployer un système d’agriculture intégrée qui permettra à 10 000 jeunes
d’être insérés dans les chaînes de valeur agricole ». Titulaire d’un master spécialisé en développement agricole et d’une licence en marketing et management, il avait déjà, en 2016, remporté le prix Entrepreneur vert Afrique francophone, doté du trophée Initiative Climat, à la COP22 de Marrakech, au Maroc, ainsi que le prix des 100 projets pour le climat. En 2017, il a également été lauréat du prix de la Fondation Tony-Elumelu. O.O.
Raïssa Banhoro, au service de l’alphabétisation Raïssa Banhoro est un nom qui fait grandement écho dans le monde très sélect des développeurs d’applications mobiles en Afrique. Ingénieur en sciences informatiques, celle qui a remporté le prix de la meilleure développeuse Web de Côte d’Ivoire en 2015, puis raflé le premier prix du Hackaton régional en Égypte en 2016 et le prix RFI Challenge App en 2017, apporte sa pierre à l’édification d’un monde sans analphabète. Sa création, nommée Lucie (pour Leçon unique conçue pour l’innovation dans l’enseignement), a pour but
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Aboubacar Karim, des drones pour l’agriculture
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d’apprendre aux femmes à lire grâce à une technique d’alphabétisation qui s’adapte à leur profil et à leurs besoins. Pour ce faire, les apprenantes ont à disposition plusieurs modules de cours dotés d’une assistance vocale, qui leur permet d’acquérir de bonnes pratiques dans leurs activités quotidiennes. « La plupart des filles qui n’ont pas été scolarisées exercent des petits métiers. Il existe des cours d’alphabétisation à suivre le soir, mais elles n’ont pas le temps d’y prendre part. Grâce à l’application, à l’heure du déjeuner par exemple, elles pourront faire leur apprentissage », explique Raïssa Banhoro. Un système d’évaluation permet aux développeurs d’évaluer les progrès des utilisatrices et ainsi de leur envoyer des textes d’encouragements. Si l’application est en partie gratuite, l’accès aux modules plus avancés coûte quant à lui 76 centimes d’euros tous les mois. O.O.
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Didier Assouakon, pour une digitalisation des soins de santé Diplômé de l’Institut national polytechnique Félix-HouphouëtBoigny de Yamoussoukro, l’un des plus prestigieux établissements du pays, et faisant partie des trente meilleurs jeunes promoteurs de start-up et de PME du patronat ivoirien en 2017, Didier Assouakon (34 ans) a mis sur pied deux plates-formes : Femmivoire et RDVMedecine.com. La première est une page Facebook de vente en ligne de sacs et chaussures de grandes enseignes européennes. Les articles proposés sont essentiellement à destination des femmes. Depuis janvier 2015, plus de 5 000 articles ont été livrés dans tout le pays vers plus de 1 000 clientes. Le business fonctionne sur commande. La seconde AFRIQUE MAGAZINE
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est une plate-forme numérique de recherche et de prise de rendez-vous médicaux ; un projet conçu depuis octobre 2015 et amélioré au fil du temps. En collaboration avec une centaine d’établissements sanitaires privés, le jeune entrepreneur a réussi à adapter l’application aux exigences des usagers et les tests, effectués dans une dizaine de centres de santé, ont permis d’apporter de nouvelles fonctionnalités au site, qui vise entre autres à offrir un agenda de gestion et d’organisation de la patientèle aux praticiens ainsi qu’à « digitaliser le parcours de soins du patient et à améliorer le quotidien des professionnels de santé », comme l’explique Didier Assouakan. Une innovation de taille dans un pays où les archives des patients n’existent presque pas et où les antécédents médicaux de ces derniers sont peu connus des médecins. À raison, puisque la plupart des Ivoiriens ne peuvent se payer le luxe d’avoir leur médecin. O.O.
Évariste Akoumian, de la lumière pour les élèves défavorisés Évariste Akoumian (35 ans) a eu l’ingénieuse idée de concevoir des cartables multifonctionnels qui permettent de transporter des manuels scolaires le jour et fournissent une source de lumière à la tombée de la nuit. Le Solarpak, destiné aux élèves des villages ivoiriens ne disposant pas de l’électricité, est muni d’un petit panneau solaire qui emmagasine l’énergie à l’intérieur d’une batterie rechargeable incorporée, d’un port USB et d’une ampoule ; un assemblage léger que les élèves peuvent transporter sans peine. Cet outil magique comporte une plaquette solaire de 3 W, rechargeable. Grâce à cette invention, « l’écolier peut gérer son temps d’étude, lui évitant ainsi d’avoir besoin de la lampe de
poche ou de la lampe-tempête de la famille. » Le premier test, pour lequel avaient été mis en place 400 exemplaires dans différentes régions de la Côte d’Ivoire, a été passé haut la main en 2017 ; le projet a en effet séduit plusieurs responsables d’établissements scolaires et parents d’élèves. Cependant, à 12 000 francs CFA l’unité (moins de 20 euros), le Solarpak est encore loin de la bourse des parents d’élèves des zones rurales. Cette invention, qui intéresse l’Unesco et la Banque mondiale, pourrait être plus accessible d’ici 2020 si les coûts d’accès sont réduits. O.O.
Paterne Messon Gbeli, pour la sécurisation des récoltes « Depuis mon enfance, je m’intéresse au monde rural. J’ai toujours respecté l’effort des paysans. » Paterne Messon Gbeli, 30 ans, a orienté sa carrière dans ce sens en créant Kouady, une organisation engagée dans la lutte contre la pauvreté, visant à garantir la sécurité alimentaire des populations démunies de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Elle promeut ainsi l’entrepreneuriat jeune dans le secteur agricole, par la mobilité, le renforcement de capacités, la recherche de l’innovation et la culture du numérique. Titulaire d’une licence professionnelle en marketing et communication, consultant
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Ly Lagazelle, photographe sans frontières Artiste photographe autodidacte de 35 ans, Phillis Lissa, de son vrai nom, rêvait enfant « de partir vivre loin, dans une aventure [qu’elle s’inventait] fantastique ». Curieuse et extravertie, cherchant sa propre identité, elle participe en décembre 2007 au Festival des arts visuels de la Fondation Donwahi, à Abidjan, en tant qu’hôtesse. « Côtoyer de si près le milieu artistique a éveillé ma curiosité. L’impression d’éternité révélée à travers une photographie, ce moment unique 70
capturé si précisément par l’objectif, l’émotion transmise, les ombres qui entre elles dansent et s’entremêlent en laissant furtivement la place à la lumière qui les définit… Toute cette dynamique me passionne. » Avec le temps, les œuvres de Sebastião Salgado, Josef Koudelka, Raymond Depardon et Seydou Keïta, découvertes au gré de longues immersions au cœur de leurs différents univers, au fond d’une bibliothèque, contribueront à affermir Ly dans sa conviction d’embrasser une carrière de photographe. La photographie documentaire dirige sa sensibilité artistique et la mène vers plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, de la Mauritanie au Ghana, en passant par le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire ou encore au Mali, et jusqu’à Myanmar. Aujourd’hui, Ly Lagazelle consacre le plus clair de son temps au traitement des images réalisées au cours de ses voyages. Après sa récente exposition au jardin-musée Anima autour du projet Les Silencieuses, à Marrakech, elle revient sur sa terre natale pour présenter son œuvre dans le cadre de Cité des Arts #3, à travers une exposition baptisée Instinctiv, à l’image de celle qui l’a inspirée. Son travail, qui traduit sa perpétuelle quête identitaire, résolument moderne, est aujourd’hui enrichi par le numérique, qui offre un large éventail de possibilités dans le traitement des prises de vues qu’elle souhaite profondément expressives. D.B.M.
Serif Tall, la tontine des temps modernes À 28 ans, Serif Tall, natif d’Adiaké, dans le Sud-Est ivoirien, est devenu un véritable influenceur. Ingénieur en pétrole et gaz de formation, il s’est orienté vers l’agriculture afin d’agir au plus près des communautés. C’est tout le sens du programme de financement participatif qu’il a créé, Bêdêmin, qui signifie en langue malinké « Aidons-nous ». « Ce projet consiste à réunir des personnes qui ont peu de moyens financiers. Nous sommes soixante-dix. Ensemble, nous recherchons des jeunes qui sont porteurs de projets. Nous étudions le projet, puis nous présentons ce dernier à la plate-forme et nous lui trouvons un financement », explique Serif Tall. La particularité est que « le porteur du projet ne touche pas de cash. On négocie avec lui afin qu’il ouvre son capital. À la fin, les financiers ont un retour sur investissement. C’est en quelque sorte une modernisation de la tontine que nos mamans font entre elles dans les marchés. » Une idée née sur le terrain : « J’ai rencontré un homme [Axel-Emmanuel Gbaou, ndlr] qui fabrique du chocolat. Le produit existe depuis longtemps mais est méconnu du grand public. J’ai pris des photos que j’ai postées sur les réseaux sociaux. Il a ainsi triplé son chiffre d’affaires. C’est de là qu’est partie l’idée du financement participatif. » D.B.M. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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et formateur en renforcement organisationnel, Paterne est parti d’un double constant. « Mes parents ont longtemps vécu en zone rurale. J’y ai constaté les ravages de la déforestation et, par conséquent, l’appauvrissement des populations, à l’origine de ces destructions. » Alors que le couvert forestier est passé de 10 millions à moins de 2 millions d’hectares selon le gouvernement, le jeune homme se jette dans un projet d’éducation à l’environnement : « J’ai imaginé installer une école pilote du développement durable, un centre de formation associé à une fermeécole et des jardins pédagogiques, destinés à présenter des solutions efficaces aux jeunes agriculteurs, afin d’assurer leur sécurité alimentaire, d’améliorer leur niveau de vie et de mieux les sensibiliser à la protection environnementale. » Il s’agit, selon lui, d’un « modèle de développement alternatif pour l’Afrique ». Deux cent cinquante producteurs de maïs, de cacao et d’huile de palme ont été formés en un an et demi d’existence du projet. « Il y a de bonnes réactions, mais nous avons besoin de financement pour aller plus loin. » D.B.M.
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LEÏLA ALAOUI
Portrait de 2009 signé Leïla Alaoui, photographe franco-marocaine assassinée lors des attentats de Ouagadougou (15 janvier 2015). AFRIQUE MAGAZINE
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FAOUZI BENSAÏDI
« JE CROIS EN L’HUMAIN » Dans Volubilis, le réalisateur et acteur marocain met en scène l’amour et l’intime. Un long-métrage, qui a reçu une pluie de récompenses, et qui porte également un regard acéré sur la société actuelle. propos recueillis par Astrid Krivian
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’est une belle histoire d’amour, sensuelle, romantique. Dans le Maroc d’aujourd’hui, à Meknès, deux jeunes mariés, Malika, employée de maison, et Abdelkader, vigile, s’aiment malgré les difficultés : ils sont logés chez leurs familles, leurs salaires ne leur permettant pas d’avoir un nid conjugal. Un jour, Abdelkader va vivre une grande humiliation à son travail qui va bouleverser leur relation. Présenté à la Mostra de Venise et primé au Festival national de cinéma de Tanger ainsi qu’aux Journées cinématographiques de Carthage, Volubilis est le quatrième long-métrage du réalisateur et acteur marocain Faouzi Bensaïdi. Dans une société où les inégalités entre les classes sociales se creusent, il démontre comment les pressions socio-économiques finissent par attaquer l’intime. Sans misérabilisme, avec une touche d’humour et le goût du romanesque, empruntant au mélodrame arabe, le film est aussi une critique de la violence du monde actuel, régit par ce libéralisme sauvage qui fabrique de la pauvreté. Le cinéaste, également metteur en scène de théâtre, révèle la dimension dramatique de chaque décor où il chorégraphie ses héros, de la villa luxueuse au terrain vague. En 1997, son court-métrage La Falaise, raflant 23 prix dans les festivals internationaux, diffusait déjà son regard singulier sur le Maroc contemporain à travers une recherche formelle, 73
CINÉMA FAOUZI BENSAÏDI : « JE CROIS EN L’HUMAIN »
Votre héros, Abdelkader, a parfois des propos racistes, rétrogrades, machistes. En filigrane, c’est aussi le portrait d’un homme du XXIe siècle, qui a grandi dans un monde en train de se radicaliser, où les services publics sont détruits pour les vendre à bas prix au capital. Il sort d’une école publique qui ne lui a pas donné AM : D’où vous est venue l’idée de Volubilis ? les outils pour comprendre le monde et ne pas tomber dans Faouzi Bensaïdi : Un film est le résultat d’une colère et d’un les extrémismes. Il a connu le 11 septembre 2001, le monde désir, celui de cinéma. Je suis frappé par ce qui se passe au arabe qui s’effondre, les Printemps qui deviennent des hivers, Maroc, mais aussi partout dans le monde, cette nouvelle éconoet cette économie libérale, sauvage qui bouffe tout. Abdelkader mie, où une partie de la population n’a le droit qu’au minimum a un rapport particulier à la religion, aux préceptes presque du minimum. Les salaires se réduisent comme une peau de intégristes. Mais ce n’est pas un terroriste potentiel, l’actualité chagrin, des employés n’arrivent pas à s’assurer un toit, ce qui en traite assez ! Parlons plutôt de l’homme, qui serait séduit devrait pourtant être un droit commun indiscutable ! L’humain par ces thèses extrémistes, mais qui n’est pas pour autant un ne parvient pas à subvenir à ses besoins basiques : manger à monstre. Il est capable d’être sensible, fragile, sa faim, se loger, avoir accès à la santé, à l’éduamoureux, galant avec sa femme… En France, cation… Et peu à peu, on l’accepte, ça devient il voterait Front national. Même si je ne parla norme. Quand on regarde plus avant dans tage pas ses idées, je ne veux pas le juger. Au l’histoire, il y a un siècle, les gens n’avaient pas Maroc, ou en Tunisie, pourquoi ces gens ontde vacances ni de jour de repos, pas de sécurité ils voté pour les islamistes ? Alors que c’était sociale ni de retraite, ils travaillaient jusqu’à une blague dans les années 1960 d’imaginer la mort. Le scénario catastrophique serait que un monde arabe islamiste ! Qu’est-ce qui s’est tous ces acquis disparaissent ! On transforme passé ? Je crois beaucoup à la défaillance de l’humanité en une main-d’œuvre pour la prol’éducation, de l’école, le rôle de la télévision duction d’un capital, débranchée de l’émanciaussi, quand on a ouvert les portes à certains pation, des désirs, du plaisir, de la dignité, du médias… Tout ça a constitué un homme du bonheur… Pourtant, l’humain ne demande pas beaucoup, si on y réfléchit. Mais l’abîme entre XXIe siècle dans le monde arabe. Mais aussi ceux qui possèdent tout et ceux qui n’ont rien ailleurs : l’Europe bascule totalement à droite, atteint un tel niveau, il ne faut pas s’étonner avec ce retour du conservatisme. Primé à Tanger et à Carthage, Volubilis est le quatrième que cela crée de la violence. La lutte des classes Pourquoi avoir imaginé qu’il soit vigile film du cinéaste. est remise en perspective, plus que jamais. dans un centre commercial ? Votre film montre comment les conditions Au Maroc, on a sauté un épisode, on a bassocio-économiques impactent une relation amoureuse. culé d’un coup dans le gigantisme avec de grands malls. Le J’observe comment l’intime est profondément occupé centre commercial, temple de la finance et de la consommapar l’économique, le social, la finance. Les divorces sont par tion, est très révélateur de ce monde de marques, de façade, exemple l’une des conséquences des licenciements : la vie du d’économie libérale, sauvage, capitaliste… Le directeur, avec couple, l’avenir des enfants, la quiétude… sont attaqués par ses méthodes brutales, n’a aucun problème avec la violence. l’économique. Dans mon film, cette belle histoire d’amour, Et la profession de mon personnage, homme de sécurité, en folle, sincère, sensuelle entre ces deux êtres est peu à peu dit long sur notre monde, régi par la peur de l’autre. Partout, détruite par le poids de leur situation respective. Comment un dans les banques, les centres commerciaux, les restaurants, il amour peut survivre au besoin, au manque permanent, à l’aby a un vigile. C’est le métier du siècle ! Les barricades sont une sence d’un espace intime ? Beaucoup de jeunes mariés vivent surenchère de ce que nous vivons déjà, tous ces check-points chez leurs familles, c’est très difficile qu’un couple s’épanouisse partout, c’est une folie… Nous sommes touchés par ça, nous ne dans ces conditions. Mes personnages, Malika, employée de pouvons pas maintenir une relation simple, ouverte avec l’autre maison, et Abdelkader, agent de sécurité, ont des semblants de en grandissant ainsi. Nous vivons dans un monde paranoïaque. salaire. Les gens se contentent de si peu, acceptent l’inaccepPourtant, « les gens n’achètent rien » dans les centres table. Lors de la crise de 2008, on nous a expliqué qu’on devait commerciaux, dit l’un de vos personnages. payer de notre bien-être pour une situation économique dont C’est malheureusement de plus en plus une sortie, au détrion n’était pas responsables. On a tous fini par payer pour que ment des parcs, des plages, des boulevards avec une archiles banques se gavent ! tecture… Dans les malls, les écrans, la publicité, les images 74
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esthétique. Son premier long-métrage, Mille mois, en 2003, narrait une enfance dans l’Atlas pendant les années de plomb, et WWW: What a Wonderful World, en 2006, revisitait à Casablanca le film noir américain dans un style décalé et burlesque.
« Nous sommes un peuple sentimental. Adolescent, j’ai assisté à des lectures de poésie, c’étaient comme des concerts de rock. » À la fois drôle et romanesque, ce mélodrame est une critique de la violence du monde actuel.
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Malika (incarnée par Nadia Kounda) et Abdelkader (Mouhcine Malzi) s’aiment dans une société qui ne les considère pas.
formatées, la consommation nous attaquent. On peut y manger, des salles de cinéma proposent un certain genre de films. C’est un monde formaté, mondialisé, sans surprise. Le capital a pris en otage le présent, il l’a confisqué. On est constamment dans un trop-plein de choses, on nous enlève ce temps, ces plages possibles à la réflexion, à la pensée. C’est fait exprès, on fait tout pour que les gens réfléchissent moins, se posent moins de questions. Par exemple, beaucoup de personnes en France n’ont pas compris le combat des grévistes de la SNCF. Alors qu’ils se battent pour les autres ! La SNCF est une étape, l’hôpital va suivre. Les gens réagissent sur Facebook, croient qu’ils se sont indignés, mais dans la rue, il n’y a personne. C’est très étrange cette époque. Mais je crois en l’humain, à un moment donné, il se passera quelque chose, il y aura une sortie. Vous vouliez aussi raconter une belle histoire d’amour, et rappeler que les peuples arabes sont lyriques, sentimentaux. Nous sommes un peuple sentimental et je trouve ça très beau. J’avais lu que l’une des choses qui a attristé Mouammar Kadhafi, parmi toutes les tensions entre lui et Nicolas Sarkozy, AFRIQUE MAGAZINE
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c’est qu’il a cru qu’il était ami avec l’ex-président français… Même lui était capable de sentimentalisme ! Les plus beaux tangos larmoyants, les plus beaux mélodrames, on les a. Adolescent, j’ai assisté à des lectures de poésie, c’étaient comme des concerts de rock : nulle part ailleurs un poète ne pouvait réunir 5 000 personnes ! L’écrivain palestinien Mahmoud Darwich devait atterrir dans un aéroport, mais l’avion a dû redécoller tellement il y avait de monde qui l’attendait ! Ce peuple-là, je l’ai vu, il y a trente ans, écouter pendant trois heures des poèmes. Je crois donc en lui, malgré ce que nous traversons de terrible, de tragique. Je voulais faire une love story marocaine, comme le cinéma, notamment arabe, a su le faire. Le cinéma a ce pouvoir de nous apprendre à aimer. Il a appris à des générations comment se comporter avec une femme, lui dire « Je t’aime », lui tenir la main, l’embrasser… Il a imaginé une manière d’aimer qui est devenue réelle, c’est très beau. Volubilis revisite le mélodrame arabe, le réinterroge, lui apporte une dimension sensuelle, érotique. Cela passe aussi par des chansons arabes des années 1960-1970, et par ce rapport entre les riches et les pauvres. Mais la paix entre les deux n’est plus possible : la violence du monde actuel est passée par là. Le rapport entre les classes sociales est très violent dans le film, et la classe aisée très cruelle, méprisante. Malheureusement, certaines réalités sont proches du cliché. Dans nos pays, la classe riche se coupe de la réalité. Les « petites gens » ne sont là que pour servir. Donc l’humanité possible de 75
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ces gens-là disparaît peu à peu. Ils sont parfois bien sous tous rapports, regardent la télé française, lisent Le Monde ou Libération, mais ne pensent pas aux ouvriers dans leurs usines, ne remarquent pas que leur personnel de maison travaille 15 heures par jour. Il y a aussi une responsabilité historique de ces classes aisées. À un moment, la vie nous place à un endroit où l’on peut un peu faire bouger les choses, il ne faut pas toujours penser à soi. Tout le monde n’est pas comme ça bien sûr, il y a une société civile qui fait bouger les lignes. Mais pour une grande partie, le rapport à l’argent est compliqué. Il suffirait pourtant de petites choses, de partager les richesses. C’est inquiétant car le monde devient ainsi. J’ai déjà observé ça au Maroc, et je le vois maintenant en Europe : l’hôpital, l’école menacent d’être détruits, et on donne tous les privilèges à cette nouvelle classe sociale très riche, que l’on ménage beaucoup. Parfois, l’économie marche bien mais ceux qui en profitent ne sont pas nombreux, et la pauvreté grandit. La bourgeoisie y apparaît comme très froide, sans émotion, cynique. Vu la réalité du monde, mon film prend clairement position, sinon ce serait lâche. Je suis pour la compréhension des personnages, et c’est vrai que ces gens très riches sont aussi malheureux – cette femme abandonnée, cet homme trompé –, donc on pourrait accéder à leur humanité. Mais au sujet de la lutte des classes, Volubilis se positionne, il est du côté des laissés-pour-compte. Il laisse à cette partie de la société, sur qui tout s’abat, ce privilège de l’émotion, de la tendresse. Cette manière avec laquelle cette famille se tombe dans les bras, ça n’a pas de prix. Il reste aux pauvres au moins cela. La plus belle histoire d’amour dans le film, c’est celle de Malika et Abdelkader. Et heureusement, car c’est ce qui les sauve. L’intrigue se déroule à Meknès, dans le nord du Maroc, non loin du site antique de Volubilis. Pourquoi avoir choisi ce titre ? D’abord parce que la séquence où mes héros se promènent à Volubilis est charnière, c’est là que tout bascule entre eux. Ces personnages simples, très préoccupés par le quotidien, traversent cette ville romaine, cette architecture : cela les connecte avec une certaine démesure, une dimension tragique, une littérature. Ce site en ruines est gagné par un tourisme mondialisé, avec cette petite scène burlesque de visiteurs chinois armés de leur perche à selfie comme des soldats romains. C’est toujours cette ligne invisible qui raconte le
monde d’aujourd’hui. L’infiniment petit dit aussi l’infiniment grand, tous mes films se construisent ainsi, aucun détail n’est jamais gratuit. Volubilis est aussi le nom d’une fleur sauvage, qui évoque le personnage de Malika, une belle fleur qui n’est pas née au bon endroit. Très intelligente, belle, pleine d’énergie positive, elle fait preuve d’une émancipation réelle, ancrée. Quand elle refuse de porter le voile, elle ne fait pas de discours ou de thèse, c’est son choix. Si elle avait eu l’opportunité de faire des études, elle aurait brillé. Mais elle n’a pas eu accès à ces droits fondamentaux, qui auraient pu faire d’elle une femme beaucoup plus indépendante. Dans votre cinéma, les personnages féminins sont souvent des femmes fortes, de caractère. Parce que ce sont les femmes que j’ai connues. Il y en a beaucoup ainsi, elles ne sont pas soumises, arrivent à s’en sortir et à déjouer les règles. Le film parle aussi de cette bataille, c’est important de la montrer. L’image stéréotypée de la femme arabe soumise, victime des hommes, m’inquiète et m’agace. Il y a des femmes fortes, tout comme il y a des hommes tendres et fragiles, qui ne sont pas tous des brutes. À l’opposé du cliché, le personnage que j’interprète est un homme trompé, mais il ne va pas pour autant tuer femme et amant ! C’est une ordure, et en même temps, il a une complexité. C’est souvent le malheur qui fait des êtres ce qu’ils sont. Certains arrivent à le dépasser, à le sublimer, à vivre avec, mais pour d’autres, c’est une vraie défaite. Le malheur rend violent. C’est jouissif de jouer les méchants, ils sont complexes, plus intéressants. Les gens heureux sont trop ennuyeux ! Les vainqueurs ne vous intéressent pas, vous préférez les personnages à la marge. Oui. Les victoires, les musiques de fête, les célébrations, le succès, les vainqueurs… c’est souvent ennuyant, ça produit de la suffisance. La faille, la défaite, la perte, la marge sont plus intéressantes. Je suis sensible aux vaincus de l’histoire. D’ailleurs, les Arabes, nous sommes aujourd’hui un peuple de vaincus. Ma génération a eu 20 ans dans les années 1980, nous prenions conscience d’un monde où un peuple avait perdu et le vivait durement. La défaite de 1967 [la guerre des Six Jours, qui a opposé Israël à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban, ndlr] avait profondément marqué les esprits. La gauche arabe était épuisée par des années de confrontation avec les pouvoirs en place, la question
« C’est jouissif de jouer les méchants, ils sont complexes. Les gens heureux sont trop ennuyeux ! »
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MORIS PUCCIO
Faouzi Bensaïdi au festival Giornate degli Autori, une sélection parallèle de la Mostra de Venise. palestinienne était loin de voir une issue juste, les utopies vacillaient, et la marche mondiale vers l’argent roi avait commencé. En Occident, Reagan et Thatcher ouvraient les vannes, les prémisses de cette économie nouvelle où le libéralisme rampant, sauvage, allait régner. L’Est s’effondrait, avec cette utopie communiste que j’ai rattrapée. Tous ces gens déçus de voir que tout s’écroulait, après avoir milité pendant vingt, trente ans… Le socialisme, cette utopie de penser collectif, n’a pas gagné, mais c’est bien plus beau que l’individualisme total et égoïste. Comment était votre enfance, seul pays auquel vous dites appartenir ? C’était très utopique. Aujourd’hui, je continue à m’accrocher à des utopies, et j’en suis content. Je fais du cinéma avec une utopie d’un certain cinéma, je n’arrive pas à accepter d’autres pratiques, moins exigeantes, plus commerciales. Je suis amoureux d’une certaine idée du monde, de l’humain et du cinéma, quitte à être déçu. Cette enfance était tellement folle, remplie d’un idéal, mais aussi d’un monde mythique. Meknès, où j’ai grandi, était une ville de murs, de légendes, de projets architecturaux incroyables – l’un d’entre eux était de la relier à Marrakech par un mur pour que les personnes aveugles puissent s’y rendre à pied… Il y avait des salles de cinéma, des ciné-clubs. J’avais beaucoup de liberté, on m’a laissé très jeune me prendre pour un inventeur, créer des spectacles. Dans un quartier populaire, j’ai grandi avec ce que l’on appelle les « petites gens ». Les portes des maisons étaient ouvertes, la rue était un théâtre où les personnes vivaient leurs drames et leurs joies. Malgré ma vie entre deux pays, je continue de faire mes films au Maroc, il m’inspire. Mes protagonistes sont AFRIQUE MAGAZINE
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inscrits dans cet environnement. Les lieux pour moi sont fondamentaux, ce sont aussi des personnages. Ma mise en scène se construit tant avec les acteurs qu’avec l’espace. Comment voyez-vous le cinéma marocain, plutôt jeune – le premier long-métrage datant de 1958 ? C’est une chance, car nous n’avons pas de compte à rendre. On est amené à être plus inventif, à ne pas être coincé par le poids de l’héritage. On n’a pas de bijoux de famille à se partager, qui seraient sujets de bagarre ou d’adoration. On dialogue avec une histoire du cinéma qui n’est pas la nôtre. C’est une liberté intéressante. Mais en même temps, ça nous empêche de nous positionner par rapport à une esthétique établie, qui pousse aussi à expérimenter. Vous aimez revisiter les genres (film noir, mélodrame, pour enfants…). Pour vous, le cinéma marocain n’a pas seulement une dimension sociale. C’est vrai, c’est l’un de mes combats. Dès mes débuts, j’en avais marre que l’on nous prenne pour des cinéastes du Sud, qui exposent des sujets brûlants, polémiques, politiques, scandaleux, mais dont la forme, le style, le genre passaient au second plan. Seules les idées défendues comptaient. Or, nous sommes des cinéastes qui portons un regard, certes, sur nos sociétés, mais aussi sur le cinéma lui-même, l’outil de travail ! C’est cette bataille qui m’a poussé à aller vers le film de genre, car il nous appartient aussi. Puisque les Asiatiques ou Jean-Pierre Melville ont revisité le film noir américain, pourquoi pas un Arabe ? ■ Volubilis (ASC Distribution) est sorti en France le 19 septembre et au Maroc le 3 octobre.
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LE DOCUMENT présenté par Catherine Faye
En Afrique, les Gaulois de l’ombre Antoine Glaser et Thomas Hofnung ont mené une enquête édifiante sur le renseignement français sur le continent. Ils révèlent les « échanges » étonnants entre dirigeants et espions, mais aussi le changement des rapports de force, la fin du monopole tricolore dans un territoire mondialisé ouvert à de nouveaux partenaires.
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Nos chers espions en Afrique Antoine Glaser et Thomas Hofnung, éditions Fayard, 235 p., 19 €. intérêts tricolores sur un continent très convoité pour ses matières premières et son potentiel humain. Là où les profits économiques priment, la France perd du terrain face aux Russes, aux Israéliens et aux Chinois. Et si au temps de la guerre froide, la France a bénéficié d’une situation de monopole dans le business, la diplomatie et la politique, elle a ensuite mal mesuré les bouleversements en Afrique, notamment depuis la mort d’Omar Bongo, en 2009. Face à cette mondialisation, ces hommes et ces femmes de l’ombre redoublent donc d’efforts pour garder la main sur les zones les plus stratégiques du continent. Et ne reculent devant rien. Édifiant. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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mpénétrable et fascinant, l’espionnage alimente tous les fantasmes. Deux ans après avoir taloché les us et coutumes des décideurs politiques et économiques de l’Hexagone sur le continent africain dans Arrogant comme un Français en Afrique (Fayard), Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique et de la Françafrique depuis trentecinq ans, cosigne un nouveau pamphlet avec Thomas Hofnung, journaliste pour le site d’information The Conversation. Une enquête menée avec minutie, qui lève le voile sur les tribulations et les petits arrangements des espions français, vingt ans après la disparition de Jacques Foccart, personnage central dans la création du concept de Françafrique. Cet écheveau diplomatique parallèle à celui du Quai d’Orsay, mêlant agents secrets et anciens diplomates, servait indistinctement les intérêts de l’État français, mais aussi de grands groupes hexagonaux. Les deux hommes se sont penchés sur les agissements de ces espions, dont certains se sont reconvertis dans la sécurité privée, et mettent en lumière les diverses querelles auxquelles se livrent les services de l’État. En 10 chapitres regorgeant de révélations croustillantes, ils démontrent combien le travail en Afrique de « nos chers espions » a évolué depuis dix ans, défendant ce qu’il reste des
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CHAPITRE VI
Nos faux-frères israéliens aux « grandes oreilles » high-tech
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ppelons-le « Haskel ». Un pseudo, tant cet homme de l’ombre ne nous pardonnerait pas d’être identifié. Ancien responsable du Mossad ou d’une unité de l’Israeli Defense Force, dédiée au réseau de la Cyberdéfense israélienne, Haskel impressionne, et pas seulement par sa musculature. Spécialiste de tout ce qui est offensif en matière d’interceptions téléphoniques et de pénétrations de données, il tient à vous mettre à l’aise : si vous le trahissez, il saura vite vous retrouver. Aussi êtes-vous soulagé qu’il passe très vite aux travaux pratiques sur les données d’autres cobayes. Que voulez-vous savoir ? On se lance : « Où se trouve en ce moment ce président d’un pays d’Afrique centrale (dont on taira le nom) qui est en visite à Paris ? » En quelques minutes, à l’aide d’un numéro GSM international, Haskel géolocalise le numéro un de ce pays. Après avoir été reçu à l’Élysée, ce chef d’État se promène actuellement dans une zone de magasins de luxe. Haskel ne s’arrête pas là. À l’aide d’une autre application, il accède à tous les contacts du répertoire téléphonique d’une proche de ce même président, en hackant son GSM. Là, vous êtes un peu gêné, un peu voyeur… Surtout quand il est capable, à partir de cette liste de contacts, de localiser n’importe qui dans les zones couvertes par des satellites.
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Après une telle démonstration, on comprend mieux l’affluence des hommes du renseignement dans les Forums de cybersécurité France-Israël-USA, organisés chaque année à Paris. Les « sécurocrates » des palais africains ne sont pas les derniers à hanter les travées et les stands de ces réunions. Mais les représentants des groupes israéliens les plus actifs en Afrique n’ont pas attendu ce rendez-vous : ils se sont déjà rendus sur le terrain pour proposer aux pouvoirs en place la panoplie complète de leurs équipements high-tech. L’éventail est large : du virus Pegasus de NSO Group, champion israélien du développement de logiciels espions, au système de neutralisation de drones ennemis au rayon laser de MCTECH Horizon Solution, sans oublier les interceptions sur les câbles de télécommunication d’Athena GS3, filiale de Mer Group, ou sur les communications en 4G d’Elbit Systems. Les néophytes pourraient s’interroger sur cette stratégie entre Israéliens et Américains à Paris. La réponse est toute simple : aux Israéliens la technologie, aux Américains les capitaux pour financer les premiers. Chaperonnés par leurs anciens services (Mossad, Shin Bet ou Israeli Sigint National Unit), « les vétérans des unités 8100 et 8200, spécialisées dans les écoutes et le hacking de précision, bénéficient d’un accès privilégié aux capitaux américains, en particulier californiens », nous apprennent nos confrères Pierre Gastineau et Philippe Vasset, qui ont
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Extraits
LE DOCUMENT
longuement enquêté sur les taupes les plus enfouies du darknet. « Une société comme le Mer Group, qui assure les interceptions Internet et télécoms pour le compte de plusieurs pays africains et dont le dirigeant de l’une des filiales, Athena G3, n’est autre que Shabai Shavit, ancien directeur du Mossad, aurait fait fuir n’importe quel business angel européen, inquiet des répercussions d’un tel investissement sur son image », écrivent Gastineau et Vasset. Ils se sont également intéressés au Californien Francisco Partners, qui a racheté deux opérateurs de surveillance israéliens : le petit groupe NSO, spécialisé dans l’exploitation de failles informatiques, ainsi que Circles, tourné vers l’interception des communications cellulaires.
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CHAPITRE VII
Nos maîtres espions diplomates Qu’y a-t-il de commun entre le conseiller Afrique du président Macron Franck Paris, le directeur du département Afrique du Quai d’Orsay Rémi Maréchaux, et l’ambassadeur de France à Dakar Christophe Bigot ? Ces trois diplomates sont passés par la case DGSE au cours de leur parcours dans les arcanes de l’État. Bien leur en a pris. Un crochet par le Boulevard Mortier apparaît de plus en plus comme un passage recommandé, sinon obligé, pour qui aspire à de hautes responsabilités dans les affaires diplomatiques. Et singulièrement dans les affaires africaines. 80
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CHAPITRE VIII
Nos patrons en guérilla à Paris Froid polaire entre la Défense et la DGSE Quand François Hollande est élu à l’Élysée, en mai 2012, la « Boîte » est dirigée par l’ancien préfet des Hauts-de-Seine, Erard Corbin de Mangoux, un « Sarkozy boy ». Pour lui succéder Boulevard Mortier, en mars 2013, le tandem Le Drian-Lewandowski a son candidat. On évoque les noms de Jean-Claude Mallet, un proche conseiller de Le Drian, ou celui de Louis Gautier, ancien conseiller à la Défense auprès de Lionel Jospin (entre 1997 et 2002) et qui sera finalement nommé en 2014 à la tête du SGDSN (Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale). Mais le président a une autre idée en tête : dès son entrée en fonction, il a appelé Bernard Bajolet à Kaboul pour le sonder sur ses intentions et, à l’orée du printemps 2013, il lui confirme sa nomination. La déception est grande du côté du ministère de la Défense. Jean-Yves Le Drian ne désarme pas pour autant, et saisit la première occasion pour rappeler à Bernard Bajolet que la DGSE est placée sous son autorité. Celui-ci fait mine d’approuver… tout en refusant de se rendre aux réunions organisées au ministère par Cédric Lewandowski. Il décide d’y envoyer systématiquement l’un de ses conseillers. Le clash est inévitable entre ces deux crocodiles placés dans le même
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marigot : il finit par se produire dans le bureau du bras droit de Le Drian, quand le numéro un de la DGSE lâche le morceau : il n’a qu’un seul patron, le chef de l’État ! Cédric Lewandowski le met littéralement à la porte. La rupture est consommée entre les deux hommes, et elle sera lourde de conséquences pour la gestion de certains dossiers, en particulier celui des otages (lire chapitre IX). Pourtant, Bajolet et Lewandowski se connaissent bien : au début du mandat de Nicolas Sarkozy, tous deux participaient aux réunions d’un club informel baptisé le « groupe de décèlement précoce ». Celui-ci se réunissait environ un samedi par mois à l’Élysée pour passer en revue tous les sujets considérés comme « stratégiques » pour le pays. Sous l’autorité de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, un aréopage de têtes pensantes phosphorait sec. Parmi eux, le criminologue Alain Bauer (un proche de Manuel Valls et de Nicolas Sarkozy), Philippe Delmas (Airbus), Valérie Derouet-Mazoyer (EADS, Areva, etc.), le diplomate Éric Danon, l’essayiste Xavier Rauffer, le patron de la police nationale Frédéric Péchenard, mais aussi Bernard Bajolet, alors coordonnateur national du renseignement, et Cédric Lewandowski, directeur de cabinet du P-DG d’EDF, François Roussely. Au début du quinquennat de Hollande, même en froid polaire, les deux hommes sont amenés à se croiser, notamment lors des conseils restreints de la Défense autour du président de la République. Les voilà contraints de se parler. Mais à l’automne 2013, c’est l’affaire de trop : la libération des derniers otages français enlevés à Arlit AFRIQUE MAGAZINE
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Le journaliste Thomas Hofnung et Antoine Glaser, ancien directeur de la fameuse Lettre du continent, suivent avec passion les dossiers africains.
au Niger trois ans auparavant. Un article paru dans Le Monde met le feu aux poudres en racontant par le menu les conditions de leur récupération, le versement d’une rançon faramineuse et l’intervention d’un ancien du Boulevard Mortier, Pierre-Antoine Lorenzi, alias PAL, activé par le cabinet Le Drian dans le dos de Bajolet. La direction de la DGSE évoque une imposture pure et simple (lire chapitre IX). En est-elle vraiment sûre ? Contraint au silence, le patron de la « Boîte » fulmine. Bajolet et Le Drian ne se verront plus en tête à tête jusqu’à la fin du quinquennat de Hollande. ■ © Librairie Arthème Fayard, 2018 81
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Akrame Benallal Le portrait du chef Son irrésistible ascension est celle d’un gamin d’Oran devenu restaurateur étoilé au guide Michelin. Serial entrepreneur, il s’est imposé à Paris, la capitale de la gastronomie. par Loraine Adam udacieux, malin, tenace, créatif et hyperactif, Akrame Benallal détient déjà, à 37 ans, une quinzaine de restaurants à Paris, Hong Kong, Manille et Bakou, spécialisés dans la viande, les vins, les fromages, la cuisine méditerranéenne ou les sandwichs de luxe. L’un de ses établissements propose même les spécialités de son enfance, comme un hommage à sa mère à qui il doit sa vocation précoce. « J’ai toujours été dans ses jupons, et tout ce qu’elle touchait en cuisine était sublime, particulièrement dans le mélange des influences française, espagnole et turque que l’on retrouve en Algérie », déclare celui que le célèbre critique gastronomique Gilles Pudlowski décrit comme « une boule de feu, un concentré d’énergie, une pile de 100 000 volts ». Bien que né en France, Akrame passe les treize premières années de sa vie en Algérie, où il connaît des années difficiles marquées par l’abandon de son père. Très jeune, l’aîné de la fratrie devient alors soutien de famille. « Pieds nus, je vendais des fruits et des légumes au marché Michelet avec ma mère. Quand on vient de là, on veut aller très loin. » En 1994, c’est le retour en France. À 14 ans, l’adolescent entre en apprentissage au Res-
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taurant de La Poste à Molineuf, dans le Loir-et-Cher. Pour cela, il n’hésite pas à effectuer chaque jour en stop les 25 kilomètres qui séparent son domicile de son lieu de travail. Déjà ambitieux, il poursuit sa formation à L’Orangerie du Château, à Blois. On le retrouve ensuite aux côtés des plus grandes sommités, comme Pierre Gagnaire, qui deviendra son mentor, Alain Solivérès, aussi discret que talentueux, ou encore Ferran Adrià, spécialisé en cuisine moléculaire, à qui il envoie en 2004 une candidature spontanée pour une saison à El Bulli, à Roses, en Espagne : « J’y ai beaucoup appris, mais pas la cuisine », déclarera-t-il par la suite. En 2005, il obtient à Tours son premier poste de chef au Château des Sept Tours. Un an plus tard, à 25 ans tout juste, il ouvre son premier restaurant, le Trendy, à Tours, qui fait faillite et demeure pour lui « une grosse leçon de vie ». En 2011, il décide alors de s’installer à Paris, avec femme et enfants. Il y ouvre dans le 16e arrondissement un établissement à son nom, lequel ne tarde pas à se faire remarquer. Distingué « Grand de demain 2011 » par Gault et Millau, le jeune talent décroche sa première étoile au guide Michelin quelques mois plus tard, en 2012. Il développe ensuite un bistrot à viandes, l’Atelier Vivanda, un concept qu’il ne va avoir AFRIQUE MAGAZINE
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VALÉRY GUEDES
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de cesse de décliner : « Ma cuisine est contemporaine, même si j’aime revisiter des recettes traditionnelles. Elle sait vivre avec son temps, elle a une signature et une identité à part. » Le chef nouvellement étoilé n’aime pas la routine. Il fonde ainsi rapidement le groupe Akrame Power, lequel a pour mission « de créer et d’opérer pour son compte ou celui de tiers des concepts dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration ». Il emploie actuellement 110 personnes à Paris : « C’est une petite PME ! Et un combat de tous les jours », déclare celui qui, passionné de Formule 1, organise deux séminaires par an sur circuit automobile pour stimuler ses équipes. En 2013, il ouvre une nouvelle adresse à Hong Kong, qu’il baptise également de son prénom. La même année, dans la capitale française, suit Brut, cave à vin et bar à fromage situé à côté de l’Atelier Vivanda. En 2014, le chef décroche une seconde étoile pour son restaurant Akrame Paris – qu’il déménagera en 2016 dans le magnifique hôtel de Pourtalès, situé à deux pas de la Madeleine, dans le 8e arrondissement. « Je suis un chef au style libre et exigeant qui vise une perfection de cuisson et de saveur. Je n’ai pas de carte fixe dans mon restaurant, car je renouvelle sans cesse mes menus. Les viandes, légumes, fruits, poissons proviennent essentiellement des terres et des côtes françaises, précise-t-il. Je dis les choses telles que je Le cuisinier aime jouer les pense, et ma cuisine est avec les matières à mon image. Je ne fais pas et les couleurs. de manières. » Les affaires vont bon train, mais en 2017, il perd une étoile. Les adresses se multiplient néanmoins à Paris, à Hong Kong, puis à Manille, aux Philippines, et à Bakou, en Azerbaïdjan. En 2017, il lance A’Plum, qui propose une restauration rapide healthy servie dans une vaisselle écoresponsable, en pulpe de canne. Suivi de Shirvan, son « Café Métisse », qui rend hommage aux saveurs méditerranéennes « du Maroc à la Grèce, jusqu’aux rives de la mer Caspienne ».
ADOUBÉ PAR SES PAIRS Béni des dieux de la cuisine, Akrame entretient des liens privilégiés avec ses mentors. 84
Travailler avec Pierre Gagnaire, « c’est comme écouter un opéra, regarder une œuvre d’art contemporaine. Cela nécessite de la culture de comprendre ce qu’il veut dire… Il est à part. J’ai une affection toute particulière pour lui. C’est en travaillant à ses côtés que j’ai compris ce qu’était une cuisine d’auteur, une véritable signature. Ce fut une révélation pour moi de donner un sens à ma cuisine. » Avec Alain Ducasse, dont la maison d’édition a édité il y a quelques mois son livre de recettes Instincts, le lien est plus d’ordre familier : « J’ai un rapport très particulier avec lui, je le considère comme un père, un membre de ma famille. Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais nous avons une relation humaine et sincère. Son expérience de vie est telle qu’il m’est très important de l’écouter. » Une autre source d’inspiration pour le jeune chef est l’artiste contemporain Pierre Soulages, le maître du noir et de la lumière. Cette couleur fascine le jeune chef au point de l’afficher dans sa tenue de cuisinier, d’en couvrir les murs de son restaurant gastronomique et de saupoudrer de charbon de bambou certains de ses mets et desserts : « J’admire son travail exceptionnel sur la matière, et la façon dont il arrive à mettre tant de lumière dans le noir. Cela fait huit ans que je travaille sur le noir, et je n’ai découvert cet artiste qu’il y a quatre ans. C’est une couleur que j’aimais déjà beaucoup, mais je n’en percevais pas toutes les nuances. Le noir est une couleur étrange qui nous plonge à la fois dans le doute, l’intensité et la profondeur. » Dans un registre différent, Akrame Benallal apprécie également le street art : « Cela m’intéresse beaucoup. Mais je me retrouve dans tous les arts, pour ainsi dire. Il y a quelque chose de très inspirant dans une œuvre. Les couleurs, les lumières et les matières sont des éléments que l’on retrouve quand on parle de gastronomie et qui développent beaucoup l’imaginaire. » Le chef nourrit les plus grandes ambitions, mais sans ne jamais oublier d’où il vient. Il a ainsi participé au proSon livre Instincts a paru chez Alain gramme humanitaire Cuisiniers sans Ducasse Édition. frontières : « Un bon plat peut donner le sourire à des gens en difficulté, en manque d’amour, de repères. La nourriture a un effet thérapeutique car elle alimente aussi l’esprit. Plus j’avance, plus je souhaite mettre mon savoir-faire au service de tous, et pas seulement d’une élite. Il y a quelques années, je suis parti avec l’asAFRIQUE MAGAZINE
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DR / VALÉRY GUEDES (X3)
AKRAME BENALLAL, LE PORTRAIT DU CHEF
Aux fourneaux avec son équipe au restaurant gastronomique Akrame, dans le 8e arrondissement parisien.
MAURICE ROUGEMONT
« Ma cuisine est contemporaine, même si j’aime revisiter des recettes traditionnelles. Elle sait vivre avec son temps. » sociation Le Recho, créée par des cuisinières professionnelles, pour servir 400 réfugiés du camp de Grande-Synthe, à côté de Dunkerque. Cette expérience m’a énormément marqué. » Son dernier grand projet remonte à début 2018. Le Printemps Haussmann à Paris inaugurait un nouvel espace appelé Le Printemps du goût : 1 700 m2 au septième et au huitième étages du Printemps de l’Homme entièrement dédiés à la gastronomie française. Akrame Benallal a investi le huitième étage, où il accommode poissons, viandes et légumes, pendant que son ami le chef pâtissier Christophe Michalak s’occupe des notes sucrées. Tout y est made in France. « C’est une chance incroyable ! s’exclame l’homme d’affaires comblé. D’une part, parce que le Printemps est pour moi la quintessence du savoirfaire français, et d’autre part, parce que c’est un luxe d’avoir un si beau marché et trois restaurants avec une vue imprenable AFRIQUE MAGAZINE
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sur Paris, à 360°. C’est une opportunité inouïe. Nous servons une cuisine de tous les jours pour des clients en général assez pressés. C’est une très belle expérience. » Pour 2019, il a prévu d’ouvrir Atelier Vivanda Burger, un nouveau concept, dans l’un des aéroports de Paris et de partir à la conquête de New York…
LE MOTEUR DE LA RÉUSSITE On aura compris son moteur : « C’est l’ambition, la persévérance, savoir rebondir dans l’échec. C’est être quelqu’un qui a toujours voulu aller jusqu’au bout de ses rêves et qui va y arriver. L’ambition n’est pas un mal, car rien n’est impossible. Il n’y a pas de recette miracle ! Mais si je la connaissais, je la divulguerais à tout le monde. Il faut surtout ne pas trop y penser. Savoir travailler, transmettre et collaborer. Avoir une vision et une identité culinaire. Le client reste seul juge et le porte-parole de votre cuisine. » Quand on lui demande quel est son plat fétiche, il répond : « Je dirais mon homard. C’est un plat que j’ai créé il y a cinq ans. Nous le cuisons devant le client dans une gourde. Je voulais un plat qui marque les esprits, aussi bien au niveau de l’exécution qu’au niveau du produit et de la logique pour conserver la quintessence du goût. » Multipliant autant les recettes que les concepts, il envisage en outre de créer en Algérie un incubateur de talents à l’attention des jeunes entrepreneurs. « Mais, faites vos projets en silence, la réussite se chargera du reste ! » lance ce chef décidément bien averti. ■ Akrame, 7 rue Tronchet, 75008 Paris Atelier Vivanda, 18 rue Lauriston, 75016 Paris La Cave Brut, 22 rue Lauriston, 75016 Paris A’Plum, 127 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris Shirvan, 5 place de l’Alma, 75008 Paris
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par Zyad Limam et Jessica Binois
Visa pour l’image
Regards sur la violence C’est clairement le grand rendez-vous des photoreporters. Chaque année depuis trente ans, le Festival international du photojournalisme de Perpignan expose le travail de professionnels du monde entier. Ils témoignent du fracas quotidien de l’humanité. Un travail courageux et toujours plus nécessaire.
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du monde
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Olivier Papegnies • Collectif Huma
Potiamanga, Burkina Faso, 14 octobre 2017. Ces cinq hommes sont des Koglweogo. À la fois policiers, juges et bourreaux, ils se sont donné pour objectif officiel d’éradiquer le grand banditisme. Cette photographie a reçu le Visa d’or de l’Information numérique.
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Paula Bronstein • Getty Images
Palong Khali, Bangladesh, 9 octobre 2017. Depuis le début de la répression contre les Rohingyas musulmans en Birmanie, pays à majorité bouddhiste, en août 2017, plus de 700 000 réfugiés ont fui le pays.
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Khalil Hamra • The Associated Press Gaza, 31 juillet 2016.
De jeunes mariés traversent la fumée de feux d’artifice. Dans la bande de Gaza, les mariages sont des moments de joie bienvenus dans un quotidien souvent tragique.
Andrea Bruce • NOOR Images pour National Geographic Magazine New Delhi, Inde, 2016. Des femmes attendent l’ouverture du seul cabinet en état de marche. Dans le monde, environ 950 millions de personnes font leurs besoins en plein air, ce qui pose un véritable problème de santé publique.
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Luis Tato • AFP Githurai,
John Wessels • AFP Beni, République
démocratique du Congo, 3 février 2018. Le « roi » et la « reine » d’une université se tiennent prêts avant la cérémonie d’accueil des étudiants de première année.
Nairobi, 23 octobre 2017. Des partisans du président Uhuru Kenyatta, élu le 8 août après une campagne électorale tendue, attendent son arrivée lors d’un rassemblement.
Samuel Bollendorff • Fort Mc Murray, Canada, 2016. Alors que le pays voit le plus grand boom minier des temps modernes, cette industrie émet à elle seule plus de gaz à effet de serre qu’un pays comme l’Autriche.
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LE GRAND DÉBAT
L’AFRIQUE, FUTURE USINE DU MONDE ?
Le cœur industriel de l’économie mondiale du XXIe siècle pourrait-il battre de Tanger à Johannesburg ? La prédiction est quasi unanime. Pourtant, la part du secteur manufacturier diminue depuis des années…
L
par Jean-Michel Meyer ’Afrique, future usine du monde, en digne héritière de la Chine industrieuse. Le scénario est validé par les plus grands décideurs et bailleurs de la planète. À Paris et à la Banque mondiale, à Moscou et au FMI ou encore à Pékin et à la Banque africaine de développement (BAD), tous misent sur le continent pour y bâtir le prochain atelier industriel du monde, le prochain blockbuster planétaire du développement. Alors que la Chine est confrontée à la hausse des salaires dans l’industrie, les activités manufacturières légères, comme le textile et l’habillement, cherchent de nouveaux pays à bas salaires ; une aubaine pour l’Afrique. La Chine emploie 25 millions de personnes dans des industries dédiées à l’exportation. Avec l’appui de Pékin, l’Afrique, à l’exemple de l’Éthiopie, a l’opportunité de capter une partie de ces emplois grâce à ses faibles coûts de main-d’œuvre. De fait, 53 chefs d’États africains ont assisté au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu à Pékin les 3 et 4 septembre 2018. La Chine a promis de débourser 60 milliards de dollars (51,6 milliards d’euros) pour l’Afrique. Les priorités : l’industrialisation et les infrastructures. Cette enveloppe profitera sans doute également aux 10 000 entreprises chinoises, selon un décompte de McKinsey, qui opèrent sur le continent dans divers domaines (infrastructures, industrie, ressources naturelles, bâtiment, services, agriculture, télécoms, etc.). Après l’Europe, les États-Unis et l’Asie, c’est
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donc au tour de l’Afrique d’emprunter la rampe de lancement de l’industrialisation qui lui permettra d’accélérer son développement. Ce serait oublier un peu vite que l’Afrique est moins industrialisée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante ans ! Les produits manufacturés représentent plus de 60 % de ses importations ; venus de Chine pour l’essentiel, ceux-ci ont contribué à asphyxier l’industrie africaine. Conséquence ? Selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, la part du secteur manufacturier dans la croissance du PIB du continent a reculé, passant de 12 % en 1980 à 11 % en 2013. « Le poids de l’industrie stagne », poursuit la CEA dans un rapport de 2016, intitulé « Politique industrielle transformatrice pour l’Afrique ».
UNE INDUSTRIALISATION EN DÉCLIN Sur le plan international, le continent se situe au plus bas de l’échelle dans la chaîne de valeur mondiale, soit l’ensemble des activités productives réalisées par les entreprises en différents lieux géographiques. L’Afrique ne représente ainsi que 1,9 % de l’industrie manufacturière mondiale. D’après le groupe de recherche britannique Economist Intelligence Unit, ce chiffre s’élevait à plus de 3 % dans les années 1970… Pendant ce temps, l’Asie a vu sa part dans la valeur ajoutée mondiale – valeur ajoutée par une économie lors de la production de biens et de services destinés à l’exportation – grimper à 39 % en 2014, en vue d’atteindre les 50 % dans les dix AFRIQUE MAGAZINE
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Brassivoire, située à Abidjan et inaugurée début avril 2017, a construit cette année sa deuxième ligne de production.
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LES CHIFFRES POUR COMPRENDRE Contribution de l’Afrique à la VA manufacturière globale (%)
PIB industriel par habitant en dollars EU (2014) < 150
1,4 1,3 1,3 1,4 1,5 1,4
150-500
1,4 1,5
1,5 1,5
500-1 500 1 500-2 500 2 500-3 500
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Le PIB industriel par habitant est inférieur à 1 500 dollars dans 45 pays africains, ce qui est plus bas que dans la plupart des autres régions.
La part de l’Afrique dans la valeur ajoutée (VA) manufacturière globale a évolué lentement ces dix dernières années, représentant 1,5 % environ du total.
Commerce africain de marchandises par type Milliards SEU (2011-2013) 581,8
Moyenne par région Asie du Sud
0,4
Afrique
0,7
Amérique latine Asie orientale et Pacifique Europe
592,1 23 %
72 %
2,5
8 % 19 %
3,4
Exportations
6,6
Amérique du Nord
1%
11,5
ou vingt prochaines années. « Depuis le XVIIIe siècle, tous les pays qui ont réussi leur industrialisation en Europe, en Amérique du Nord et en Asie de l’Est ont exploité leur avantage comparatif. L’Afrique subsaharienne est incapable de profiter de la délocalisation des industries chinoises à forte intensité de main-d’œuvre en raison de l’absence de certains facteurs essentiels au développement de l’activité manufacturière : capitaux financiers, compétences entrepreneuriales, liens avec les
4%
Matières premières Produits agricoles Biens manufacturés Autres
62 % 11 % Importations
L’Afrique reste largement dépendante des matières premières, qui représentent encore 70 % des exportations.
acheteurs et les marchés internationaux », résume sur son blog Justin Yifu Lin, ancien vice-président de la Banque mondiale de 2008 à 2012. Les freins ne manquent pas : infrastructures défaillantes, manque de main-d’œuvre qualifiée et de cadres formés, tarifs douaniers défavorables, lacunes en matière de gouvernance, instabilité politique, manque de compétences qui pénalisent le suivi des politiques publiques, etc. Pour ces raisons, à partir des années 1990, peu d’États africains sont
HAWASSA, LE PARC INDUSTRIEL « XXL » DE L’ÉTHIOPIE À 275 kilomètres au sud-est d’Addis-Abeba, le pays a construit, avec l’aide des Chinois, le plus grand site industriel d’Afrique pour le textile et l’habillement. Le gigantisme, pourtant, ne répond pas à tous les défis.
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awassa. Son lac, ses couchers de soleil légendaires et ses hippopotames. Plutôt isolée jusqu’à présent, la troisième ville d’Éthiopie, qui abrite 400 000 habitants, vit sa révolution industrielle. Située sur la route reliant la capitale Addis-Abeba à Nairobi, au Kenya, Hawassa illustre bien cette Afrique en pleine industrialisation, qui reçoit ici le soutien intéressé de la Chine. Entre 2010 et 2015, Pékin a ainsi accordé un prêt de 10,7 milliards de dollars à l’Éthiopie, selon l’université
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américaine John-Hopkins. Le 15 juillet 2018, à peine réconcilié avec l’Éthiopie, le président érythréen Isaias Afwerki profitait de sa première visite à AddisAbeba pour faire un détour par le parc industriel de Hawassa, dédié à la fabrication de textiles et de vêtements, avec l’idée de s’en inspirer pour son pays. Il annonça ensuite à son voisin éthiopien qu’il lui rouvrait l’accès au port de Massawa, tout en évoquant la construction d’un nouveau port sur la mer Rouge d’ici cinq ans, dans la baie
d’Anfile. Une aubaine pour l’Éthiopie, pays enclavé, et un sacré cadeau pour le Hawassa Industrial Park qui fêtait ses deux ans d’existence en juillet dernier. Sorti de terre en neuf mois, il a été conçu par le cabinet Beijing Shougang International Engineering Technology Co. Le chantier a quant à lui été supervisé par la China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC). Côté éthiopien, les clés ont été confiées à une entreprise publique fondée en 2014, la Société de développement AFRIQUE MAGAZINE
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de l’Afrique, qui comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050. Face à l’urgence, la BAD a érigé depuis 2015 l’industrialisation du continent parmi ses cinq priorités. Sous l’impulsion de son président, Akinwumi Adesina, elle veut doubler le PIB industriel du continent d’ici à 2025 pour le porter à 5,6 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros), avec l’appui du secteur privé.
L’AGRICULTURE, UN TREMPLIN ? La banque mise aussi sur l’agriculture, qui représente 16,2 % du PIB du continent et fournit du travail à plus de 60 % des Africains ; elle pourrait ainsi servir de tremplin à l’industrialisation grâce à la transformation des produits agricoles. Le défi est immense pour un continent qui importe du fil de coton, du concentré de tomates, etc. Chaque année, l’Afrique, qui possède 65 % des terres arables non cultivées dans le monde, importe l’équivalent de 35 milliards de
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parvenus à diversifier leur économie en profitant des revenus dégagés par les prix élevés des matières premières. Quelle en est la cause ? Si plus de 50 % des pays africains affichent une stratégie industrielle, recense la CEA, « la majorité d’entre eux n’ont pas les capacités de la mettre en œuvre ». Le déclin de la filière du caoutchouc au Nigeria est frappant à ce titre. Les importations de pneumatiques chinois ont précipité le départ de Michelin en 2007. L’industrie de cette matière première était alors à son apogée : 100 000 tonnes étaient exportées chaque année, et la filière industrielle comprenait 54 entreprises. Les exportations ont fondu entre 60 000 et 80 000 tonnes l’an, et seulement 20 entreprises ont survécu. Le Nigeria importe ses pneumatiques de Chine, un marché s’élevant à 4 millions de produits par an ! Au début des années 2000, le gouvernement prit la décision de relancer la filière en libérant 20 000 hectares pour la plantation d’arbres et en aidant financièrement les agriculteurs pour qu’ils se lancent. Cependant, les gouvernements successifs n’ont pas soutenu ce plan et ont préféré donner la priorité aux cultures vivrières… Qu’en est-il aujourd’hui ? Favorise-t-on l’industrialisation du continent ? « L’Afrique n’a pas d’alternative », résume Mihoub Mezouaghi, directeur de l’Agence française de développement (AFD) au Maroc. L’économie africaine crée 3 millions d’emplois par an ; un chiffre qui devra être compris entre 10 et 12 millions dans les années à venir. L’industrie est en effet la seule arme économique capable de générer des emplois en masse, répondant ainsi à la croissance démographique
ALAMY STOCK PHOTO
À partir des années 1990, peu d’États sont parvenus à diversifier leur économie en profitant des prix élevés des matières premières.
des parcs industriels (Industrial Parks Development Corporation, IPDC). Modèle XXL de zone économique spéciale (ZES), le parc Hawassa se veut exemplaire : il comprend plus de 400 000 m² de hangars, promet de créer 60 000 emplois et annonce 1 milliard de dollars d’exportations à la fin de cette année (soit un tiers des recettes d’exportation de biens de l’Éthiopie). Le pays aurait investi 250 millions de dollars, notamment pour que le site respecte l’environnement (énergies renouvelables, traitement des eaux usées, etc.). Les résultats sont là. Grâce à des droits de douane réduits ou nuls pour l’Europe et les ÉtatsAFRIQUE MAGAZINE
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Unis, l’Éthiopie est devenue une porte d’entrée vers ces marchés qui séduit les industriels du textile de Chine et d’Inde. Les 52 ateliers-entrepôts du parc ont été loués par 18 entreprises. Sélectionnés par la Commission éthiopienne pour l’investissement (EIC), les investisseurs arrivent de Hong Kong, de Chine, d’Inde, du Bangladesh, d’Indonésie, d’Espagne, de Grande-Bretagne et des États-Unis. Le parc a même attiré un poids lourd de la mode mondiale, l’Américain PVH Corp., qui détient les marques Calvin Klein et Tommy Hilfiger. Les industriels étrangers
L’infrastructure éthiopienne comprend plusieurs usines, allant du traitement du fil à la fabrication de vêtements.
se plaignent toutefois du manque de qualification des ouvriers éthiopiens et du très fort turnover. Ils déplorent aussi le coût élevé du transport ; acheminer un conteneur par route et voie ferrée jusqu’au port de Djibouti, à 600 kilomètres, peut être facturé jusqu’à 2 000 dollars. L’UE s’est par ailleurs engagée, au titre de sa politique migratoire, à investir 500 millions de dollars dans les parcs industriels éthiopiens. À condition qu’un tiers des emplois soit attribué à des réfugiés. L’Éthiopie en accueille 900 000 issus de toute la région. ■ J.-M.M. 95
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dollars en denrées alimentaires – 100 milliards d’ici à 2030. Pour briser ce cercle vicieux, la BAD investira 24 milliards de dollars dans l’agriculture et l’agroalimentaire ces dix prochaines années, soit une hausse de 400 % des financements. À travers le programme phare « Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique », doté de 700 millions de dollars, la banque veut inciter les entreprises de l’agroindustrie à s’installer dans les campagnes pour créer des zones agro-industrielles et de transformation des cultures vivrières. « L’Afrique doit commencer par traiter l’agriculture comme un secteur d’activités commerciales et s’inspirer sans plus tarder des expériences menées ailleurs, comme en Asie du Sud-Est », déclare le président de la BAD.
l’exercice fiscal 2017-2018 les exportations de biens manufacturiers avaient atteint 487,5 millions de dollars, soit moins de la moitié de l’objectif fixé à 997,9 millions de dollars. « L’instabilité politique depuis deux ans et des contraintes logistiques expliquent ces chiffres », avait commenté le ministre de l’Industrie, Ambachew Mekonnen. L’Éthiopie suit-elle la bonne voie ? L’Afrique doit-elle inventer son modèle ? Le débat reste ouvert. « Quel modèle de développement pour l’Afrique ? Aujourd’hui, c’est la question la plus importante. Je pense que le modèle de développement asiatique qui est passé de l’agriculture à l’industrie à haute intensité de main-d’œuvre, pour ensuite passer à la haute technologie n’est plus valable aujourd’hui parce que la plupart des opportunités seront dans la haute technologie. Je suis convaincu que l’Afrique a besoin de sauter une étape et d’aller directement à la haute technologie », assurait dans une interview à L’Économiste du Faso, le 28 août dernier, Hafez Ghanem, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique depuis le 1er juillet dernier.
La Maison du chocolat ivoirien, à Abidjan. De leur côté, des États d’Afrique subsaharienne, surtout à l’est du continent (Kenya, Éthiopie, Rwanda, Tanzanie, etc.), développent un modèle industriel. Évoquer l’industrialisation de l’Éthiopie revient à se souvenir de la détermination de Meles Zenawi, qui en fut le Premier ministre de 1995 à 2012. L’homme était fasciné par la réussite des pays de l’Asie de l’Est et, plus précisément, par celle de la Corée du Sud et de Taïwan, qui ont, de façon autoritaire, conduit avec succès une politique de rattrapage industriel sur l’Occident. Dès 2011, Addis-Abeba a calqué ce modèle, l’idée étant de concilier le dynamisme du marché et une action ciblée de l’État pour développer les infrastructures, les services de base et un environnement des affaires favorable à l’essor du secteur privé. En 2016, le gouvernement a défini 14 secteurs clés (construction, tourisme, médicaments, transformation de produits agricoles, floriculture, cuir, textile, habillement, etc.) destinés à attirer dans 22 parcs industriels les investissements directs étrangers (IDE). Toutefois, le secteur manufacturier peine à décoller. En août dernier, le rapport annuel du ministère de l’Industrie éthiopien révélait qu’au cours de 96
C’est une évidence, l’Afrique subsaharienne connaît un retard considérable en matière d’accès à Internet ainsi que dans l’utilisation des technologies numériques et dans l’acquisition des compétences requises : intelligence artificielle, data, cloud computing, e-commerce, déploiement de machines intelligentes (robots et imprimantes 3D), etc. Lors d’un colloque tenu à Washington le 4 juin dernier, sur le thème « L’industrie 4.0 en Afrique », Paul Maseli, le directeur de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), esquissait un autre modèle : « L’Afrique doit trouver sa place dans l’industrie manufacturière en empruntant une double voie. D’une part, en renforçant ses positions dans les fabrications à haute valeur ajoutée dans les secteurs les moins automatisés, comme le textile, l’alimentaire, les boissons, le tabac, les métaux, le bois et le papier. D’autre part, tout en développant ses capacités industrielles, elle doit se préparer à l’avenir du numérique en investissant dans Internet, les technologies numériques et les compétences liées au développement et à l’innovation. » La révolution numérique pourrait en effet conduire à relocaliser certaines productions. D’après une étude du think tank londonien Overseas Development Institute (ODI), les robots (financement et exploitation compris) dans l’industrie du meuble aux États-Unis reviendront moins cher que les salariés d’une usine du Kenya de cette même industrie d’ici 2033 (et entre 2038 et 2042 pour l’Éthiopie). Le temps est donc compté pour former des scientifiques, des techniciens et des ingénieurs africains. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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L’INDUSTRIE 4.0
La mine à ciel ouvert de la Somaïr produit entre 2 000 et 2 500 tonnes par an.
L’uranium ne trouve plus acheteur La filière nucléaire ne se relève toujours pas de la catastrophe qui a frappé la centrale de Fukushima en 2011 et fait les frais des erreurs d’Orano (ex-Areva). Un coup dur pour le Niger, quatrième producteur mondial.
P JACQUES TORREGANO/DIVERGENCE
par Cédric Gouverneur
hilippe Knoche, directeur général du groupe nucléaire français Orano, s’est rendu au Niger fin septembre, où il a rencontré le président Mahamadou Issoufou, avant de partir visiter la mine d’uranium d’Arlit (à 240 kilomètres au nord d’Agadez). Il a déclaré à la télévision nigérienne : « Les marchés de l’uranium sont stables, nous avons fait pas mal d’efforts dans le monde. Nos concurrents canadiens ont également réduit leur production de manière significative (près de 20 %), et les prix de l’uranium ont pu se stabiliser. » Cette déclaration d’un optimisme des plus mesurés indique que la sortie du tunnel n’est toujours pas en vue… Une mauvaise nouvelle pour le Niger, qui est le quatrième producteur mondial d’uranium et fournit un tiers de la production d’Orano. Depuis l’accident survenu à la centrale nucléaire japonaise de Fukushima en mars 2011, le cours de l’uranium est tombé de 70 à 20 dollars la livre, contre 135 en 2007. La raison ? Une crise durable de surproduction. La perte de confiance de l’opinion publique AFRIQUE MAGAZINE
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a conduit des poids lourds industriels désormais payer à l’employeur leurs tels l’Allemagne et, demain, la Corée du consommations d’eau et d’électricité, Sud, à renoncer à une énergie anxiogène. jadis offertes… Jusqu’à janvier 2018, Orano était Face à cette chute de la demande, difficile pour Orano de maintenir un outil de connu sous le nom d’Areva : le groupe production nigérien coûteux : la mine à nucléaire français s’est rebaptisé afin de ciel ouvert d’Arlit, d’où sont extraits près faire peau neuve après une série d’erreurs de 2 kilos d’uranium en moyenne par stratégiques commises sous la direction tonne de minerai, connaît des coûts de d’Anne Lauvergeon – mise en examen production plus élevés que celle exploi- depuis. En 2007, Areva avait racheté tée par le géant français au Kazakhstan, pour 1,7 milliard d’euros la société canadans un contexte sécuritaire plombé par dienne UraMin, propriétaire de mines du le terrorisme. La Somaïr et la Cominak, Sénégal jusqu’en Afrique du Sud, qui se filiales nigériennes d’Orano, ont dû pro- sont toutes révélées inexploitables. Même céder à de brutales restructurations. La déconvenue avec le gisement nigérien Somaïr (société des mines de l’Aïr, déte- d’Imouramen (au sud d’Arlit), acquis en 2009 pour 900 millions d’euros, nue pour plus de deux tiers par valeur largement surestiOrano et pour un tiers mée. Enfin, les chantiers par la Société du patrides deux réacteurs moine des mines du nouvelle génération Niger) a ainsi licenCours moyen EPR, en construction cié l’an dernier de la livre d’oxyde en France et en Finun cinquième lande, accumulent de son persond’uranium, contre les retards. Le Niger nel et 500 sous70 $ en 2011 pâtit donc aussi des traitants. Signe des et 135 $ en 2007. déboires de son princitemps, les salariés pal client. ■ subsistants doivent
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INTERVIEW
MIHOUB MEZOUAGHI DIRECTEUR DE L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD) AU MAROC
« Des modèles propres à l’Afrique pourraient émerger » Entré en tant qu’économiste à l’AFD en 2006, ce docteur en sciences économiques, auteur de plusieurs ouvrages1, mène une réflexion active sur le schéma de croissance des économies africaines de demain.
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AM : L’industrie est-elle l’unique réponse à l’explosion démographique du continent ? Mihoub Mezouaghi : On pourrait se convaincre que l’Afrique est installée de manière permanente dans le sous-développement. La question n’est pas nécessairement de se demander si l’Afrique deviendra, à la place de la Chine, l’usine du monde, mais plutôt si elle parviendra, au cours du XXIe siècle, comme l’Europe au XIXe siècle et l’Asie au XXe siècle, à engager son industrialisation. Trois raisons étayent cette perspective. D’abord, la contrainte démographique exige de créer 10 à 12 millions d’emplois par an au cours des deux prochaines décennies – elle n’en crée aujourd’hui que 3 millions. Ensuite, des marchés de consommation émergent ; un potentiel exploité par certaines entreprises qui adaptent leur offre de biens et services aux spécificités économiques et culturelles de cette demande à moindre pouvoir d’achat. La réussite du mobile banking en témoigne. Enfin, des industries se distinguent dans certains pays. Le Maroc, par exemple, produit chaque année 300 000 véhicules et devrait en fabriquer près de 400 000 d’ici 2020, avec un taux d’intégration compris entre 50 et 60 %. L’industrie automobile est depuis 2015 le premier poste d’exportation du pays. AFRIQUE MAGAZINE
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ALAIN GOULARD/AFD
propos recueillis par Jean-Michel Meyer
Après les échecs passés, qu’est-ce qui permet d’envisager une industrialisation réussie du continent ? Il est vrai que les politiques industrielles conduites au cours des dernières décennies ont échoué. La plupart des économies africaines ont même connu une désindustrialisation prématurée. L’investissement a été freiné par un déficit d’infrastructures, un manque de qualification, un climat des affaires marqué par des pesanteurs bureaucratiques et, dans certains pays, par une insécurité liée à la corruption. Si ces freins ne sont pas totalement levés, des infrastructures (aéroports, ports, routes, transports) ont été modernisées au prix d’un effort budgétaire important. Deux signaux indiquent que l’attractivité africaine s’améliore : la croissance économique s’accélère depuis dix ans et atteint dans plusieurs pays entre 8 et 10 % par an ; les capitaux étrangers investissent davantage dans des secteurs productifs. Quel rôle joue la Chine dans l’industrialisation de l’Afrique ? Le dernier forum Chine-Afrique, qui s’est tenu début septembre 2018, a confirmé que l’industrialisation de l’Afrique était une priorité. L’intérêt que montre la Chine pour l’Afrique fait partie d’une stratégie globale qui vise, bien entendu, à sécuriser une source d’approvisionnement de matières premières, mais pas uniquement. Le durcissement anticipé de ses relations avec les puissances occidentales, la conviction que les marchés matures n’offriront plus les mêmes rendements et la réorientation de son modèle de croissance vers le marché domestique l’incitent à redéployer ses capacités de production à proximité des marchés en croissance. Pour ce faire sont créées des zones industrielles, qui prolongent la compétitivité de ses entreprises. C’est ainsi qu’il faut comprendre la vision stratégique chinoise qui consiste à former de « nouvelles routes de la soie », notamment en Afrique. Les industries qui délocalisent en Afrique sont à forte intensité de main-d’œuvre. On parle pourtant d’industrie 4.0. Si vous faites référence à la prédiction d’une « société robotisée » qui détruira massivement AFRIQUE MAGAZINE
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des emplois peu qualifiés, on pourrait craindre que l’industrialisation de l’Afrique soit impossible. Il s’agit de la conclusion du rapport de la Banque mondiale, intitulé Trouble in the Making? The Future of Manufacturing-Led Development2. Deux objections : la généralisation d’une « société robotisée » ne se réalisera pas aussi vite car elle exige l’utilisation de métaux rares en voie d’épuisement ; la consommation d’énergie nécessaire à extraire ces ressources et la pollution qu’elle engendre affectent la soutenabilité d’une telle perspective. La grande révolution de l’industrie du futur sera plutôt de nature organisationnelle. Les grands opérateurs d’intermédiation (GAFA) occupent une position centrale dès lors qu’ils contrôlent les données d’usage des consommateurs et sont en mesure de répondre à leur demande plus personnalisée. Ils délégueront cependant la production et la fourniture des biens et des services à de vastes réseaux d’entrepreneurs. Intuitivement, cette perspective ouvre, pour l’Afrique, des opportunités dans les activités intensives en facteur travail. L’Afrique peut-elle élaborer son propre modèle d’industrialisation ? Dans ce contexte, de nouveaux modèles d’industrialisation propres à l’Afrique pourraient émerger. Le continent est très exposé au dérèglement climatique ; il n’aura ni les marges nécessaires ni l’intérêt de reproduire un modèle à haute intensité de carbone. L’Afrique expérimentera une transition vers les énergies renouvelables, avec un accès décentralisé ou encore des modes de production, une consommation plus sobre en carbone, un potentiel d’innovation sociale basé sur l’usage des low-tech [technologies issues du recyclage et à faible consommation d’énergie, ndlr]. ■
La croissance économique s’accélère depuis dix ans et atteint dans plusieurs pays entre
8 et 10 % par an. Les capitaux étrangers investissent davantage dans des secteurs productifs.
1. Mihoub Mezouaghi est l’auteur des ouvrages suivants : Les Localisations industrielles au Maghreb. Attractivités, agglomérations et territoires (IRMC – Karthala, 2009) ; Les Territoires productifs en question(s). Transformations occidentales et situations maghrébines (Maisonneuve et Larose, 2007) ; Le Maghreb dans l’économie numérique (Maisonneuve et Larose, 2007). 2. Trouble in the Making? The Future of ManufacturingLed Development de Mary Hallward-Driemeier et Gaurav Nayyar, World Bank Group, 2017.
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PERSPECTIVES
M AT I È R E P R E M I È R E
La concurrence des producteurs asiatiques et un cours mondial très volatil affectent toute la filière africaine. Liberia et Côte d’Ivoire en premier lieu. par Jean-Michel Meyer
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oup dur pour la filière africaine du caoutchouc. Le 18 septembre, l’Américain Firestone Natural Rubber réduisait la production de son usine au Liberia, la plus grande plantation de caoutchouc naturel du pays, avec plus de 50 000 hectares exploités à l’est de Monrovia. Le groupe s’est justifié en invoquant « des pertes persistantes et insoutenables, et l’incapacité permanente de concurrencer les producteurs à faible coût sur le marché mondial ». Implantée au Liberia depuis 1926, cette
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filiale du Japonais Bridgestone avait déjà licencié 400 personnes en 2014. Les Asiatiques (Thaïlande, Indonésie, Viêt Nam, etc.), qui assurent près de 90 % de la production mondiale, et un cours du caoutchouc très instable pèsent sur les producteurs africains. Alors que le prix du caoutchouc stagnait au plus bas depuis des années, il est reparti à la hausse au cours de l’été 2016 pour atteindre un pic en février 2017, à 265,20 euros le kilo. Du jamais-vu depuis trente ans. En pleine récolte, de fortes inondations en Thaï-
lande, premier producteur mondial, avaient tendu le marché comme un élastique. Sauf qu’en 2018, le balancier est reparti à la baisse avec la même énergie. Depuis janvier 2018, le kilo de caoutchouc a chuté de 144,72 euros à 133,34 euros fin août, selon Reuters. Une tendance qui s’explique par une demande mondiale de caoutchouc plutôt stable ces dernières années, tandis que la production passait, en trois ans, de 9 à 13 millions de tonnes. Un mouvement de « yo-yo » qui affecte la Côte d’Ivoire. Premier producteur africain, avec 60 % de l’offre continentale, le pays se place au septième rang mondial. Depuis 2009, la filière, qui compte 160 000 planteurs, a été relancée grâce au « 7e plan hévéa ». De 468 000 tonnes en 2016, la production de caoutchouc a grimpé à 603 000 tonnes en 2017. AFRIQUE MAGAZINE
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SIA KAMBOU/JA
Marché très tendu pour le caoutchouc
Un ouvrier agricole procède à la saignée d’un hévéa.
Elle devrait atteindre 720 000 tonnes en 2018 et augmenter encore de 20 % dans les trois ans. Le fer de lance de la filière ivoirienne : la Société internationale de plantations d’hévéas (SIPH), détenue à 89,15 %, depuis juillet 2017, par le groupe Michelin et son allié ivoirien, SIFCA. Celle-ci exploite plus de 40 000 hectares d’hévéas en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Liberia, pour une production de 230 000 tonnes en 2017 et un objectif de 260 000 tonnes en 2018. La baisse des cours fait évidemment chuter le prix d’achat auprès des petits planteurs. La reconversion dans l’hévéa des cacaoculteurs, tentés par une activité censée être plus rémunératrice, n’a pas été suivie d’une augmentation des capacités de première transformation. D’où une surproduction de matière brute.
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UN AVENIR INCERTAIN En août dernier, les industriels ont refusé d’acheter une partie de la récolte des planteurs, car ils étaient incapables d’absorber la quantité récoltée. Un autre conflit a opposé, avant l’été, les armateurs et les producteurs pendant trois mois. Près de 20 000 tonnes d’hévéa brut étaient restées bloquées dans les ports d’Abidjan et de San Pedro. La raison ? Habituellement, le caoutchouc est exporté semi-transformé (briques déshydratées, granulés, etc.), mais pour faire face à la forte demande, le gouvernement a autorisé en janvier l’exportation du latex brut. Produit humide, il est accusé par les armateurs de souiller les cales des navires. Le conflit a été réglé, en protégeant les cales. La SIPH, qui reste optimiste, « table sur une production de 400 000 tonnes en 2025 ». Mais l’avenir de la filière se décide ailleurs. Les effets du conflit commercial entre la Chine et les ÉtatsUnis pourraient encore faire chuter la demande mondiale. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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C H I F F R E S par Jean-Michel Meyer
millions de tonnes
174 Le poids des déchets générés par l’Afrique subsaharienne en 2016, soit un taux de 0,46 kg par habitant et par jour.
50 % du PIB La dette publique des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Gabon, Cameroun, Congo, République centrafricaine, Tchad, Guinée équatoriale) a été multipliée par quatre entre 2010 et 2017. Elle est ainsi passée de 12 % à 50 % du PIB global de la zone.
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MILLIONS D’ÉLÈVES Le taux brut moyen de scolarisation en primaire a augmenté au sud du Sahara, passant de 68 % en 1990 à 98 % en 2015. Le nombre d’élèves, qui était de 63 millions, s’élève à présent à 152 millions.
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C’est le nombre de kilomètres de pipeline de gaz naturel qui devraient être installés en Afrique d’ici 2022, selon le site GlobalData.com. La construction de ces gazoducs représentera un investissement de 13,7 milliards de dollars. 16 136 kilomètres sont prévus aux États-Unis. 101
PERSPECTIVES Jean-Michel Severino soutient l’essor des PME de l’Afrique subsaharienne.
La diaspora se mobilise pour les PME Dans la plupart des pays, elles représentent neuf emplois formels sur dix.
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e Club Efficience, qui se présente comme le premier réseau économique panafricain de France et d’Europe, avec ses 700 adhérents, se lance dans la finance. Dirigée depuis sa fondation à Paris, en 2008, par Élie Nkamgeu, l’organisation a mis en place un fonds d’investissement qui devrait être actif en janvier 2019. L’EAF (Efficience Africa Fund) doit permettre de lever 50 millions d’euros auprès des membres de la diaspora afro-française pour les injecter dans des PME africaines. Suivi de près par l’Élysée et le Quai d’Orsay, l’EAF doit encore obtenir le feu vert de l’Autorité des marchés financiers (AMF), à Paris, avant de pouvoir procéder à un appel public à l’épargne. Le fonds, qui investira à hauteur de 50 % dans des fonds de capital investissement africains ou directement dans des PME africaines, vise un taux 102
de rendement interne (TRI) compris entre 6 et 8 % sur un horizon de placement de huit à dix ans. « Nous sommes persuadés que sans PME fortes, l’Afrique ne connaîtra pas un développement inclusif qui incite les populations à rester vivre dans leur pays, plutôt qu’à mourir en mer », justifie Élie Nkamgeu. Les PME sont déjà la colonne vertébrale des économies du continent. D’après l’ONU, le Nigeria recense 37 millions d’entre elles, qui emploient 60 millions de personnes environ et équivalent à 48 % du PIB. Au Ghana, elles représentent 92 % des entreprises et 70 % du PIB ! Toujours selon l’ONU, les PME situées au sud du Sahara sont à l’origine de la création de neuf emplois sur dix. Pourtant, elles affrontent au quotidien « des difficultés d’accès aux financements et aux marchés financiers », a relevé, en 2016, une enquête de l’Agence de développement des petites entreprises de l’Afrique du Sud (SEDA), un pays qui compte plus de 2,2 millions de PME, dont 1,5 million dans le secteur informel. Sensibiliser la diaspora, qui a injecté 60 milliards de dollars dans les économies africaines en 2016, pourrait enfin donner l’oxygène tant attendu par les PME du continent. ■ J.-M.M.
C A P I TA L
IPDEV 2 lève 21 millions d’euros pour soutenir l’entrepreneuriat
La structure présidée par Jean-Michel Severino monte un nouveau tour de table, soutenu en particulier par le philanthrope George Soros.
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e 24 septembre dernier, la société financière Investisseurs & Partenaires Développement 2 (IPDEV 2) a annoncé une levée de fonds de 21 millions d’euros, afin de soutenir les moyennes entreprises du continent, trop souvent ignorées des banques comme du microcrédit. Depuis son lancement en 2015, IPDEV 2 a levé cinq fonds d’impact en Afrique : Terenga Capital au Sénégal, Comoé Capital en Côte d’Ivoire, Miarakap à Madagascar, ainsi que Sinergi Burkina et Sinergi Niger. Ce nouveau tour de table devrait
permettre de sponsoriser cinq autres fonds en Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est. Le président d’I&P, JeanMichel Severino, a dirigé pendant une décennie l’Agence française de développement (AFD). Français né à Abidjan, proche d’Emmanuel Macron, il ambitionne de financer, dans les années à venir, 500 PME et start-up africaines. À noter que, pour cette levée de fonds, IPDEV 2 a reçu l’appui de la Banque africaine de développement (BAD), de BNP Paribas ainsi que du Soros Economic Development Fund, appartenant
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ANTOINE DOYEN POUR AM
FINANCE
à l’Open Society Foundations (OSF) du milliardaire et philanthrope américain George Soros. L’objectif revendiqué de la fondation, outre le développement économique, est de promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance. Ce qui lui vaut d’être régulièrement accusé d’« ingérence » par certains gouvernements à poigne : en mai, sous la pression du premier ministre hongrois Viktor Orbán, la fondation Soros a dû fermer ses bureaux à Budapest. ■ C.G.
HÔTELLERIE
En Afrique, AccorHotels s’appuie sur le Qatar Le numéro 1 mondial parie sur une hausse massive de la demande.
GLEZ
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remier groupe hôtelier français et sixième mondial, AccorHotels entend développer, avec l’aide du Qatar, ses nuitées africaines. Mark Willis, son tout nouveau directeur général pour le Moyen-Orient et l’Afrique, a déclaré fin septembre à l’agence Reuters « examiner des opportunités
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dans plusieurs grandes villes » du continent, notamment à Dakar, Abidjan, Addis-Abeba, Nairobi, Dar es Salam, Kampala et au Cap. AccorHotels s’appuiera sur le fonds d’investissement de 850 millions d’euros qu’il a créé en juillet dernier avec son partenaire Katara Hospitality, un gestionnaire d’hôtels haut de gamme appartenant au fonds souverain du Qatar. 40 nouveaux établissements devraient sortir de terre ; ils s’ajouteront aux 114 déjà gérés sur le continent par le groupe hôtelier français, sous les enseignes Ibis, Novotel, Pullman, et concentrés pour 70 % d’entre eux en Afrique du Nord. « La clé, tout particulièrement quand on possède une base de 40 millions de clients fidèles, est d’assurer sa présence dans ces destinations importantes, où les clients ont besoin de faire confiance à une marque qu’ils connaissent », a expliqué Mark Willis à Reuters. En avril dernier, AccorHotels avait déjà acquis la moitié du capital de Mantis, groupe sudafricain de lodges de luxe. À noter que les nouveaux établissements ne devraient pas être exclusivement des palaces, le directeur du groupe hôtelier observant « un manque sur le créneau des hébergements économiques et le milieu de gamme ». ■ C.G.
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LES MOTS « Si vous me demandiez de quel pays africain je pourrais louer la politique, je citerais probablement le Rwanda. » CHRISTINE LAGARDE, DIRECTRICE GÉNÉRALE DU FMI
« Aujourd’hui, l’infrastructure africaine n’est pas parfaite, elle n’est pas bonne, […] mais cette situation représente une sit opportunité à saisir. » op JACK M MA, FONDATEUR SITE INTERNET ALIBABA DU SIT BABA
« L’Afrique est d’abord notre alliée pour inventer les grands équilibres du monde de demain. » EMMANUEL MACRON, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
«L L’aide quii vient des pays vie riches doitt aller ric en prioritéé aaux pays aafricains. » B GATES, BILL PHILANTROPE P ET FONDATEUR DE MICROSOFT 103
destination
Le stade Félix-Houphouët-Boigny, dans le quartier du Plateau, contient 45 000 places.
ABIDJAN, ROCK AND ROLL
À la découverte de BABI, comme l’appellent ses habitants, cité multiple et cosmopolite. Ça pulse, ça bouge, mais « c’est pas cadeau ». C’EST MAINTENANT qu’il faut partir à la découverte orgueilleux du Plateau, les belles villas cossues de Cocody, d’Abidjan, petit village de pêcheurs devenu l’une des plus les lignes magnifiques du nouveau pont qui enjambe sans grandes mégalopoles d’Afrique ; vers le début de la saison coup férir la lagune font face à la dureté des grands quartiers sèche, au moment où les nuages lourds de pluie s’éloignent, populaires : Adjamé, Attecoubé, Yopougon et Treichville… quand le soleil éclaire la lagune et les détours de la capitale Dans toute sa diversité et dans tous ses contrastes, dans économique de la Côte d’Ivoire. Les amateurs de confort toutes ses oppositions, Abidjan est africaine. ne seront pas déçus. Depuis 2011 et l’arrivée au pouvoir Comme toute métropole qui se respecte, Abidjan offre d’Alassane Ouattara, la ville de près de 5 millions d’habitants une grande partie de son âme après le coucher du soleil. s’est ouverte au monde, incarnant de nouveau l’un des La nuit, ici, on s’encanaille ferme, en particulier à Marcory épicentres de l’émergence africaine. Ici, on l’appelle Babi et en Zone 4, ces nouvelles villes dans la ville, « au-delà – mélange d’Abidjan et de Babylone probablement… des ponts », qui délimitent les accès au Plateau et à Cocody. Tout le monde se croise, se mélange, On dîne, on lève le coude, on danse, on évite la LES BONNES se métisse. Abidjan est un melting-pot maréchaussée. Les restaurants classieux attendent ADRESSES où se retrouvent toutes les communautés le client fortuné. On passe d’une saveur à l’autre, ✔ Sofitel Hôtel Ivoire du pays, brassées par les hasards de la vie, du Liban au Viêt Nam, de la gastronomie parisienne des mariages, des opportunités. Une mosaïque ✔ Le Bar Blanc la plus chic à la chaleur d’un maquis abidjanais. ✔ Le Tôa continentale aussi, due aux nombreuses Abidjan offre aussi un point de départ unique ✔ Le Bushman Café migrations africaines. Un shaker où les vers les autres Côte d’Ivoire. L’escapade à Assinie ✔ La galerie Cécile Fakhoury « Blancs », les « Gaulois », les « Libanais », les reste un must, pour y découvrir ses kilomètres de ✔ Assinie, pour y déjeuner « Asiatiques » se retrouvent avec aisance. C’est plages immaculées qui s’étirent le long de l’océan le territoire des fameux Magic System et des Atlantique. Autre périple à portée de main : prendre « coupeurs décaleurs ». Les amateurs d’art contemporain la route vers Yamoussoukro, capitale politique inachevée, découvriront une scène renouvelée grâce à la remarquable néoclassique, très eighties, au nord d’Abidjan. Au centre de galerie Cécile Fakhoury ou les collections de la fondation cette savane verte se dresse l’impressionnante basilique de Donwahi. Ça pulse, mais « c’est pas cadeau », un peu comme la Paix. On souffle, on respire, avant de reprendre la route à Lagos, la grande sœur anglophone. Les immeubles et de se replonger dans l’univers rock and roll de Babi. ■ 104
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NABIL ZORKOT
par Zyad Limam
MADE IN AFRICA escapades Les wagons, qui datent des années 1950, ont été rénovés sans rien perdre de leur charme d’antan.
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Voyage à bord du Shongololo express
voyage
New York n’a jamais été aussi près
DÎNER EN AFRIQUE et prendre son petit-déjeuner à New York ? Pour beaucoup d’Africains, cela n’était qu’un rêve, voire un cauchemar, compte tenu des correspondances à effectuer en Europe ou ailleurs. Mais depuis quelque temps, le rêve devient de plus en plus une réalité, les compagnies aériennes du continent semblant bien décidées à croquer un morceau de la Grosse Pomme. Après Delta Airlines, qui relie depuis plusieurs années Dakar et Accra à la ville américaine, sans escale, deux à quatre fois par semaine, ce sont Ethiopian Airlines et Kenya Airways qui se lancent à la conquête du marché américain en liaison directe. La première a rétabli en mai dernier la route aérienne entre Abidjan et New York, après vingt ans d’interruption ; elle assurera trois vols par semaine à destination de la ville qui ne dort jamais, à partir de 716 dollars. La seconde inaugurera le 28 octobre le premier vol sans escale depuis Nairobi à bord d’un Boeing 787 de 234 places. Un fait inédit en Afrique de l’Est, qui permettra aux passagers de se rendre en moins de quinze heures du Kenya aux États-Unis. Le 28 octobre, Proposé dès 869 dollars, l’aller-retour Nairobila Kenya New York, qui vise une clientèle d’affaires et le Airways tourisme de luxe, est le symbole le plus criant effectuera de l’amélioration de l’aéroport Jomo-Kenyatta, son premier vol qui a obtenu la certification de l’aviation civile direct entre américaine en matière de normes de sécurité l’Afrique et les États-Unis. internationales. ■ L.N.
DR (2) - SHUTTERSTOCK - DR
Un moyen de découvrir l’Afrique UNIQUE EN SON GENRE. ENTRE WINDHOEK, en Namibie, et le Cap, en Afrique du Sud, un vieux train circule toujours : le Shongololo Express, un convoi de luxe aux boiseries sculptées reconverti pour assurer une croisière ferroviaire en Afrique australe. Remis sur les rails par une compagnie sud-africaine, il propose aux voyageurs de traverser des paysages parmi les plus beaux d’Afrique dans une ambiance décontractée, tout en profitant d’un service cinq-étoiles. Confortablement assis en cabine en acajou, en suite Art déco ou en voiture-restaurant, les passagers découvrent des villages au charme dépaysant, comme Swakopmund, une petite station balnéaire à l’architecture allemande, ou admirent les emblématiques sommets basaltiques du Spitzkoppe. Entre un barbecue préparé sur le quai et un plat de viande sauvage dégusté à bord, le circuit propose un safari au cœur du parc d’Etosha et la traversée du désert du Namib, où s’élèvent les magnifiques dunes rouges de Sossusvlei, désert de sel et d’argile. Cette croisière sur rails dure 16 jours et 13 nuits, dont huit à bord. Excursions, visites et quelques déjeuners sont compris dans le prix du billet. ■ Luisa Nannipieri
À partir de 6 990 euros par personne. Plus d’infos sur kuoni.fr
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Le mobilier conçu par Bénin Canapé est fabriqué par une trentaine d’artisans.
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La passion du sur-mesure Meubles et accessoires 100 % BÉNINOIS.
À COTONOU, plus précisément dans le quartier d’Agla, non loin de la Maison du Peuple, se trouve un showroom, le Bénin Canapé, tenu par un couple de Béninois. Passionnés de mobilier, les propriétaires souhaitent cependant « pour le moment rester discrets » car, selon eux, « ce sont les œuvres qui priment ». Soit. Revenons donc aux meubles qui ont attiré notre attention sur Facebook par leurs lignes balayant un large éventail de styles, allant de fauteuils crapauds recouverts de wax impression crevettes aux étagères inspirées des années 1950 et 1960. Ceux-ci n’excluant pas, bien entendu, des éléments de mobilier plus basiques et classiques destinés à aménager chambres à coucher et salles à manger. Notre couple mystérieux raconte : « Pendant longtemps, nous avons voyagé, côtoyé le beau et importé nos meubles, mais nous n’étions pas toujours satisfaits. C’est ainsi que nous avons commencé à les dessiner et concevoir nous-mêmes. Au tout début, nous le faisions uniquement pour notre usage personnel, puis nous avons reproduit nos modèles à l’attention de
quelques amis. Enfin, nous avons fondé notre entreprise, il y a moins d’un an. Nous tenons à souligner qu’au départ notre ambition répondait essentiellement à un souhait d’égayer le cadre de vie de nos compatriotes. » Comme tant d’autres jeunes entrepreneurs, ils remercient Facebook de faire office de vitrine : « Par le biais de nos publications, nous avons pu toucher des gens de l’autre côté de la Terre, alors que notre entreprise est encore très jeune. » Tous les meubles de Bénin Canapé, réalisés à base de bois locaux tels que l’acajou, l’acacia, l’abseria ou le milena, sont conçus par une designer béninoise et fabriqués sur place dans une usine dédiée. « Ceux qui travaillent avec nous ne sont pas considérés comme des employés, mais des collaborateurs », précise le couple, qui annonce également : « Pour ce qui est de la vente en ligne, nous sommes en train de monter une équipe qui s’en chargera. Notre site devrait bientôt être opérationnel, ce qui nous permettra de desservir davantage la sous-région et le reste du monde. » ■ Loraine Adam
LE LIEU : ÉPICURE QU’EST-CE ?
Le nouveau spot gastronomique de Johannesburg. ET SINON ?
L’Epic Bar, spécialisé dans les rhums du monde. POUR QUI ?
Ceux qui aiment la cuisine traditionnelle dressée avec élégance.
Ouvert au printemps en plein quartier des affaires de Johannesburg, le restaurant de Coco Reinharz propose à une clientèle exigeante une prodigieuse variété de plats aux noms fantaisistes. Du Burundi à l’Éthiopie, sans oublier la Côte d’Ivoire, le Maghreb, le Nigeria, l’Angola, les recettes traditionnelles se dégustent au petitdéjeuner ou le soir, en tapas, tel que le Taxi to Thohoyandou, ou en assiette à partager devant un bon verre, comme les Wonderful Wats. En plat, le chef burundais, qui a grandi entre la RDC et la Belgique, conseille le Perfect Pepe, un bouillon de viande de chèvre sur lit de bananes plantains en purée, ou le Flic en Flac Magic, un bar au vandouvan accompagné de riz noir et de tamarin. ■ L.N. À Sandton, Johannesburg.
Le chef prépare une cuisine chic inspirée des classiques africains.
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epicurerestaurant.co.za
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MADE IN AFRICA carrefours
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Un paysagiste algérien à Berlin Chez KAMEL LOUAFI, le paradis est un petit jardin.
NÉ À BATNA, en Algérie, et naturalisé allemand, Kamel Louafi est cartographe, artiste, auteur et, surtout, architecte-paysagiste. Après des études à Berlin-Ouest entre 1980 et 1986, il s’établit dans la capitale allemande, où il se consacre à l’élaboration de nombreux jardins en Europe et au Moyen-Orient, parmi lesquels ceux de l’Exposition universelle EXPO 2000, à Hanovre, et ceux du monde musulman, à La Mecque. Grâce à son projet pour la place de l’Opéra de Hanovre, il est aujourd’hui finaliste des premiers Arab Architects Awards, dont la finale se tiendra à Beyrouth du 25 au 27 octobre. L’approche que l’artiste a de son métier doit beaucoup à ses origines, qui lui sont toujours très chères : « Au départ, j’ai éprouvé des difficultés à concevoir des petits jardins dans cet immense espace qu’est l’Europe ; tout y est vert, contrairement à nos contrées arides. Là-bas, un jardin naît et se construit où il y a de l’eau, comme une île de végétation au milieu du désert, un coin de paradis. » En Algérie, où il s’engage auprès des nouvelles
générations d’architectes à l’université et en dehors – il n’hésite pas à mettre ses livres personnels à disposition des étudiants –, et où il est membre de la commission de conseil pour le projet d’aménagement de la baie d’Alger, Kamel Louafi a aussi dessiné les jardins des Zibans, le plus grand parc aquatique nord-africain, situé dans l’oasis de Biskra, au nord du désert du Sahara. L’aménagement des voies d’eau qui passent entre les palmiers imite le cours naturel et les méandres des rivières locales. Tout en s’inspirant de plusieurs civilisations (japonaise, maya, chinoise, orientale) en choisissant des plantes acclimatées à la région, le paysagiste a voulu rendre hommage à l’architecture locale avec des bâtiments sahariens, qu’il apprécie pour leur style simple et leur adaptabilité aux conditions climatiques. ■ L.N.
ERIK-JAN OUWERKERK - DR
Les jardins des Zibans, entre Biskra et Sidi-Okba, abritent 6 000 palmiers et 18 hectares de gazon.
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La designer tient à exprimer son héritage africain et son militantisme via ses coiffures.
Laetitia Ky, celle qui parlait
avec ses cheveux
Cette artiste ivoirienne dénonce avec facétie les problèmes du quotidien et n’hésite pas à s’engager pour les droits des femmes. C’EST SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX que les sculptures capillaires afroféministes de l’artiste Laetitia Ky remportent un joli succès. À l’aide de mèches synthétiques, d’aiguilles et de fils de fer, la jeune femme de 22 ans modèle ses cheveux pour raconter, avec humour, les petits gestes du quotidien, ou dénoncer le harcèlement sexuel, la violence, les diktats de la mode, et ainsi promouvoir la culture africaine, l’émancipation et l’acceptation de soi. Cette native d’Abidjan, où elle vit toujours, décroche à 15 ans un bac littéraire, avant de poursuivre une formation en commerce et administration des entreprises à l’Institut national polytechnique de Yamoussoukro. « C’était une école censée être la meilleure de Côte d’Ivoire, mais l’envie de travailler dans l’art et la mode fut plus forte. Je suis profondément attachée aux arts visuels, et j’ai toujours été fascinée par la coiffure », déclare l’artiste qui, dès 5 ans, s’amusait déjà 108
à tresser ses cheveux et ceux de ses poupées. Elle tempère néanmoins : « Nos parents faisaient déjà des choses comme ça. En comparaison, ce que je fais est d’une simplicité sans nom ! Même si certains pensent que tout est photoshopé ! » s’exclame la créatrice. « Il est important pour moi d’exprimer mon héritage africain à travers mes coiffures. Depuis 2015, je m’utilise comme une toile afin de symboliser la confiance en soi et l’amour-propre. Je me sers de mon travail pour répandre ce en quoi je crois – mon féminisme et d’autres causes que je soutiens –, et cette forme d’expression me permet d’être entendue. » Une démarche militante qui passe aussi par la liberté de se coiffer avec des perruques : « On n’en met pas forcément parce qu’on est complexée, c’est juste pour changer de tête. Les perruques et les tissages sont dits protecteurs, car le cheveu afro s’abîme et se casse facilement à l’air libre. » AFRIQUE MAGAZINE
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AUTOPORTRAITS LAETITIA KY
par Loraine Adam
MADE IN AFRICA fashion
AUTOPORTRAITS LAETITIA KY
La jeune femme est suivie par 129 000 abonnés sur Instagram. Son travail lui offre également l’opportunité de dénoncer l’utilisation nocive des produits pour éclaircir la peau. Pour l’artiste, qui se dit afropunk, l’être n’est pas uniquement lié à un look : « C’est un état d’esprit qui conduit à la tolérance, à l’acceptation des différences des autres, de modes de vie variés. Ici, en Afrique, on est très conventionnels. J’ai reçu des remarques désobligeantes, mais globalement, j’ai plutôt de bons retours. » Outre ses sculptures, Laetitia Ky détourne le wax, jusque-là exclusivement utilisée pour les vêtements et les accessoires, et a imaginé les « Ky Braids », des tresses recouvertes du fameux pagne… « Mes idées naissent comme des flashs et viennent de partout : une situation, une personne, un mot ou une image. Mais ma plus grande inspiration dans le monde de la mode est Jean-Paul Gaultier. C’est mon Dieu ! » dit-elle avec emphase. Jamais elle n’aurait pu imaginer un succès aussi fulgurant : « Les réseaux sociaux ont été un vrai levier pour moi. C’est impressionnant. Ça peut d’ailleurs être le cas pour tous ceux qui ont envie de se faire connaître. » Aujourd’hui, les selfies qu’elle publie sur Instagram (depuis fin 2015) sont suivis par plus de 129 000 abonnés. Le phénomène Laetitia Ky passionne aussi les médias internationaux, et cette dernière a signé sa toute première AFRIQUE MAGAZINE
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collaboration commerciale avec SugarBearHair, le géant américain du complément capillaire : « Ils m’ont proposé de promouvoir leur produit sur Instagram. Cela s’est concrétisé parce qu’ils sont les premiers à avoir accepté mes conditions en matière de rémunération. » En 2016, elle participait à la vidéo d’une nouvelle application Facebook. Récemment, elle a collaboré avec la chanteuse nigériane Di’Ja. Et elle se consacre désormais au lancement de sa première collection de vêtements. Passionnée de cinéma, elle travaille également à l’écriture de scénarios dont l’héroïne est une Africaine à la chevelure dotée de superpouvoirs. « Les femmes noires sont magnifiques, et dans tout ce que je fais, j’essaie de le montrer parce que dans le monde, on a tendance à leur faire croire le contraire, et c’est bien dommage », conclut-elle. Une tête bien faite et, décidément, bien pleine. ■ 109
Calculs urinaires Comment éviter ces cailloux douloureux ? Ils touchent une personne sur dix et récidivent souvent. Conseils à suivre pour se préserver de ces crises de colique néphrétiques.
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en effet, moins les reins éliminent d’eau, plus des déchets risquent de s’amasser dans l’urine et de former des cristaux, lesquels deviennent des cailloux. Quand on n’a jamais eu de calculs urinaires, il est classiquement préconisé de boire 1 litre et demi d’eau par jour (qu’elle soit du robinet, de source ou minérale). Mais s’il y a antécédent, il faut compter 2 litres – et même plus en cas de chaleur élevée ou de transpiration –, le bon indice d’une hydratation suffisante étant des urines presque transparentes. À noter : les eaux riches en magnésium sont excellentes car celui-ci lutte contre la formation des cristaux.
Des aliments pour se protéger Autre remède, un jus d’orange pressé pris au petit-déjeuner, son citrate empêchant la cristallisation des urines. Pour les calculs constitués AFRIQUE MAGAZINE
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LES CALCULS SE FORMENT peu à peu dans l’urine, et se logent ensuite dans les reins. Avec pour fâcheuse conséquence, quand ils grossissent ou ont un aspect irrégulier, de se bloquer dans les voies urinaires et de provoquer ainsi une crise de colique néphrétique : celle-ci se révèle par de très fortes douleurs dans le ventre, irradiant tout autour jusqu’aux épaules. Une telle crise conduit souvent aux urgences. Ces calculs peuvent s’éliminer avec un traitement anti-inflammatoire. Dans le cas où celui-ci ne marcherait pas, ils doivent être pulvérisés par des ondes de choc (lithotritie) à travers la peau, traités par urétéroscopie laser par les voies naturelles, ou bien, plus rarement, extraits grâce à une petite incision au niveau du dos. Pour prévenir cette affection – et les récidives survenant six fois sur dix –, il faut miser sur de bonnes habitudes. À commencer par l’hydratation :
VIVRE MIEUX forme & santé
pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles
de calcium, de loin les plus fréquents, on se limite à une tasse de thé par jour. Pour ceux, plus rares, faits d’acide urique, la bière est à éviter. Côté assiette, certains nutriments protègent, en particulier le potassium : parce qu’il diminue l’élimination de calcium dans les urines, il est préventif. Plusieurs fruits et légumes en sont une excellente source : pommes de terre, avocats, concombres, tomates, poivrons, persil, bananes, abricots, pruneaux… Ils sont à mettre le plus possible aux menus. Les jus d’orange, de pamplemousse, de citron et de tomate sont aussi une mine. Enfin, contrairement à une vieille idée, il ne faut pas éviter le calcium. Il a été découvert que bouder ce sel minéral majore en réalité le risque de cailloux… En effet, on se retrouve avec plus de substances acides dans les urines, ce qui favorise leur formation. La bonne dose préventive de calcium par jour est de 800 à 1 000 mg. Les aliments en apportant une partie, il reste donc à compléter soit avec des laitages, soit avec des eaux riches en calcium.
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Ce qui est déconseillé D’abord, les protéines animales (viande, charcuterie, poisson, œufs), car plus on en mange, plus du calcium est excrété dans les urines. Le repère : 150 g environ de viande ou de poisson par jour. Le sel, puisqu’il favorise également la présence de calcium dans les urines. On prend donc l’habitude de ne pas en remettre dans son assiette. Et on se restreint sur la charcuterie, souvent très salée, et sur tout ce qui est aliments industriels pour la même raison. On met la pédale douce sur les sucres rapides, qui augmentent grandement le risque de calculs. On évite les sodas, on limite les gourmandises sucrées. Méfiance une fois de plus vis-à-vis des plats tout prêts, qui cachent en général pas mal de fructose industriel. En revanche, on ne se prive pas de fruits frais. Enfin, une molécule, l’oxalate, en s’associant au calcium, est à l’origine de beaucoup de calculs. Le chocolat noir en regorge, mais un à deux carrés par jour restent autorisés. D’autres aliments en renferment, mais en quantité moindre : les blettes, les noix et noisettes, les brocolis, les épinards, les cacahuètes, les amandes, la rhubarbe, le poivre, les betteraves et les patates douces. Ils sont donc à consommer avec modération. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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UNE ARME SUPPLÉMENTAIRE CONTRE LE SIDA
Un traitement préventif contre le VIH confirme son efficacité. ON DISPOSAIT DÉJÀ de premières données sur l’action préventive du Truvada. Mais de nouveaux résultats, présentés lors de la 22e conférence internationale sur le VIH/sida (qui s’est déroulée à Amsterdam du 23 au 27 juillet) viennent grandement les étayer. L’étude Prévenir a suivi près de 1 500 volontaires séronégatifs, fortement exposés au risque d’infection et n’utilisant pas, pour la plupart, de préservatifs. Tous ont pris un comprimé (ou un générique) – associant deux antirétroviraux et initialement destiné aux séropositifs –, soit quotidiennement, soit ponctuellement lors de rapports à risque. Au bout d’un an, aucun cas de contamination n’a été observé avec les deux modalités de prise. Le traitement empêche le virus de se développer. Il faut néanmoins nuancer cette bonne nouvelle, puisque celui-ci est contraignant et nécessite d’être suivi de près. Il s’agit donc d’une arme supplémentaire, mais le préservatif, qui a l’avantage de préserver d’autres infections sexuellement transmissibles, reste la meilleure des préventions. ■ 111
LE CHAUD OU LE FROID POUR SOULAGER ?
On n’y pense pas toujours, pourtant ce sont de vrais remèdes pour apaiser nos douleurs. DES REMÈDES DE GRAND-MÈRE ? Pas seulement, le chaud et le froid sont recommandés médicalement pour apaiser diverses souffrances. Avec des effets différents. Il s’agit donc d’employer la méthode adaptée à chaque cas. • Le froid fait rétracter les vaisseaux sanguins, diminue la production de molécules inflammatoires par l’organisme, et ralentit la vitesse de conduction des fibres nerveuses, avec un effet anesthésiant. Cela réduit donc une inflammation, un gonflement, limite la formation d’un hématome, et soulage souvent. Il est conseillé d’y recourir pour apaiser les douleurs aiguës liées à un traumatisme type choc, foulure, entorse, et les maux dus à la répétition d’un mouvement, comme une tendinite ou un étirement musculaire. Le froid a aussi un effet bénéfique en cas de poussées d’arthrose ou de maux de tête. On peut utiliser une poche de glaçons mise dans un sac plastique entouré d’un linge, ou des packs de froid stockés au congélateur. En dépannage, une cannette glacée ou un paquet de petits pois congelés rendent également service.
• La chaleur a un effet décontractant, dilate les vaisseaux sanguins et active la circulation sanguine, améliorant ainsi l’apport en oxygène aux tissus. Elle induit un relâchement musculaire, diminue les raideurs, et donc la douleur. Il est recommandé de l’utiliser pour soulager les maux de dos qui s’accompagnent de contractures musculaires, les douleurs ou raideurs de la nuque, comme un torticolis, les contractures ou courbatures survenues par exemple après un effort ou une mauvaise position, ou encore un mal persistant suite à une crampe. Elle apaise aussi les douleurs liées aux menstruations. On peut se servir de l’eau chaude durant une douche ou un bain, d’une bouillotte, d’une serviette imprégnée. On trouve également en vente des packs chauffants (à mettre dans l’eau chaude, et pour certains au microondes), et des patchs autochauffants qui ont l’avantage d’agir plus longtemps (en général 8 heures). ■
Ménopause et solutions naturelles
Des clés anti-inflammation
Bouffées de chaleur, prise de poids, libido en berne… Ces désagréments du dérèglement hormonal peuvent être prévenus ou soulagés grâce aux plantes, aux oligo-éléments, et autres huiles essentielles. Des solutions – sans oublier l’alimentation – à découvrir dans cet ouvrage, en prévention du risque cardiovasculaire et d’ostéoporose qui s’installe. La Ménopause, par le Dr Georges Bader, éd. Grancher, 12 euros.
On parle de plus en plus de l’impact sur notre santé des inflammations dans l’organisme, pouvant être chroniques et sources de p douleur, ou silencieuses mais modifiant d le l fonctionnement des organes. Pour nombre d’affections, ce livre conseille, en complément d de d la médecine, une alimentation et un mode de d vie anti-inflammatoires. Prévenir et soigner l’inflammation, P par le Dr Catherine Lacrosnière, p ééd. Hugo, 18,50 euros.
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À LIRE
VIVRE MIEUX forme & santé MANGER UN FRUIT EST MIEUX QUE DE BOIRE UN JUS
Voici pourquoi.
Presbytie : les progrès de la chirurgie
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On peut désormais se faire opérer à tout âge.
LA PRESBYTIE SURVIENT DANS LA QUARANTAINE : la vision de près baisse car le cristallin ne fait plus bien la mise au point. On dispose maintenant d’un bon recul sur la chirurgie, réalisée sous anesthésie locale par gouttes, et permettant de reprendre ses activités dès le lendemain. Avant 60 ans, une intervention au laser permet de corriger non seulement la presbytie, mais aussi tout autre défaut visuel associé : myopie, hypermétropie, astigmatisme. Les lasers ont bénéficié de bien des progrès, et sont devenus programmables avec les données visuelles de chacun, ce qui garantit d’excellents résultats, et en même temps une sécurité. Après 60 ans, une autre technique est utilisée : le cristallin est alors remplacé par des implants. Eux aussi sont devenus plus performants, avec des corrections très précises, permettant également de traiter tout défaut visuel (et d’éviter la cataracte plus tard, puisque l’on n’a plus de cristallin). Ces opérations apportent toutes deux un très bon confort visuel, meilleur qu’avec des lunettes. Elles permettent de se passer de celles-ci la quasi-totalité du temps. C’est seulement quand il y a peu de lumière (endroit mal éclairé, conduite de nuit…) que l’on peut en avoir besoin. À savoir : lorsque l’on se fait opérer jeune au laser, on voit à nouveau moins bien avec l’âge, puisque la presbytie continue d’évoluer. Mais ce souci est réglé avec une petite chirurgie complémentaire ou avec des implants après 60 ans. La vision reste néanmoins toujours bonne avec des implants, puisque le cristallin est ôté. ■ AFRIQUE MAGAZINE
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LES FRUITS SONT DES ALIMENTS recommandés pour la santé. Quand on boit un jus de fruits, on pense donc se faire du bien. Dégustés entiers, les fruits sont riches en vitamines, en minéraux, en antioxydants (polyphénols, caroténoïdes) et en fibres. Mais lorsque l’on se prépare un jus de fruit maison, y retrouve-t-on à peu près la même chose ? Il y a les vitamines et les minéraux, néanmoins il faut le boire immédiatement, car les précieux nutriments disparaissent rapidement du fait de l’oxydation. Par rapport au fruit entier, le jus maison peut donc perdre beaucoup de fibres, et en même temps des antioxydants. Et qui dit perte de fibres, dit aussi perte de bénéfice sur le transit intestinal, le cholestérol… Qu’en est-il maintenant des jus industriels ? Les « pur jus » vendus au rayon frais sont ce qu’il y a de mieux côté vitamines et minéraux, mais même avec un peu de pulpe, on n’aura pas son compte côté fibres. Ceux qui ne sont pas conservés au froid sont un peu plus pauvres en vitamines, sauf si le fabricant en a ajouté (« teneur garantie en vitamines »). Même remarque pour les jus à base de concentré. Dans tous les cas, on garde en mémoire qu’un grand verre contient plus que l’équivalent d’un fruit, et donc pas mal de fructose. Même si ce sucre provient de fruits, il ne faut pas en abuser. Quant aux nectars, ils sont composés de sucre ajouté, parfois d’épaississants, et pas de tant de fruits que ça. Enfin, dans les boissons aux fruits, on trouve de l’eau, du sucre ajouté et un peu de concentré de fruit : aucune qualité nutritionnelle à en attendre ! ■ 113
LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Loraine Adam
13. Votre extravagance favorite ? Jouer avec ma garde-robe.
1. Votre objet fétiche ? Une petite poupée en raphia qui date de mon enfance en République démocratique du Congo. J’aime sentir sa présence avec moi lors de mes concerts.
3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Nous sommes allés en Belgique manger des moules-frites à Ostende, sillonner les canaux de Bruges sur des gondoles, nous baigner dans la mer du Nord et boire de la bière. Puis, nous avons mangé camerounais à Matonge et acheté une chemise wax pour mon homme. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Ma guitare. Éventuellement quelques valises, au cas où. 5. Un morceau de musique ? « Bofou Safou » d’Amadou et Mariam. J’adore l’énergie de ce titre. Je l’ai aimé dès la première seconde, et je suis piégée à chaque fois. Il me fait irrésistiblement danser. 6. Un livre sur une île déserte ? Soie d’Alessandro Baricco. 114
Germaine Kobo Née en RDC et adoptée très jeune en France, l’artiste autodidacte explore ses origines dans sa musique afro pop électro tribal. Elle sera sur scène le 30 octobre à Paris et prépare une tournée en Belgique, en France et en Afrique.
7. Un film inoubliable ? Philomena, de Stephen Frears, avec Judi Dench et Steve Coogan. Ce film m’a bouleversée, j’aime tellement les histoires vraies. Dans les autobiographies, il y a une forme de victoire sur la vie, de résilience. 8. Votre mot favori ? Kinshasa. Il y a de belles sonorités dans la prononciation, avec à la fois du son et du rythme. 9. Prodigue ou économe ? Plutôt épicurienne. Pourquoi se priver…
10. De jour ou de nuit ? Les deux : le jour pour travailler, et la nuit pour l’inspiration. Les journées sont trop courtes, le temps passe trop vite. 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Je suis active et présente sur les réseaux, mais à la réflexion, je serais plutôt coup de fil. Je préfère la communication orale. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Partir en pleine nature, faire un feu et jouer de la guitare sèche.
15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Bella Lawson [une artiste togolaise installée en France, ndlr] a changé le cours de mon existence. Nous formons un duo depuis cette rencontre, c’est une belle personne et une grande artiste. Grâce à elle, je profite d’un accomplissement musical sans limites. Aujourd’hui, nous avons les mêmes objectifs, les mêmes envies. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Le chocolat. 17. Votre plus beau souvenir ? La naissance de mes enfants. Cosmique. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Un monde où la couleur de peau n’a pas d’importance. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Écrire la chanson Garde du corps. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? J’aimerais que ma musique et mes mots me survivent… ■
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ROXANE RINALDO
2. Votre voyage favori ? J’adore le Portugal, la gentillesse et l’accueil des habitants. Au sud de Lisbonne se trouve le lagon de Albufeira, séparé de l’océan par un cordon de dunes. J’aime tout particulièrement cet endroit.
14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Devenir quelqu’un de bien.