AM N°392

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

www.afriquemagazine.com

N o 3 9 2 A F R I Q U E M A G A Z I N E - M A I 2 0 1 9

CÔTE D’IVOIRE

L’IMPÉRATIF SOCIAL UN DÉCOUVERTE SPÉCIAL DE 16 PAGES

TUNISIE

RENÉ TRABELSI, SAYED EL-WAZIR!

CAMEROUN

LES MYSTÈRES DE YAOUNDÉ INTERVIEW YOUSSOU N’DOUR: «JE SUIS UN HOMME LIBRE!»

Manifestation dans les rues de la capitale.

L’ALGÉRIE, DEMAIN CHANGEMENTS, NOUVELLES GÉNERATIONS ET ENJEUX D’UNE RECONSTRUCTION NATIONALE. N°392

- MAI 2019

M 01934 - 392 - F: 4,90 E - RD

Fra n ce 4 , 9 0 € – Af riq u e d u S u d 49, 9 5 ra n d s (t axes in cl .) – Alg é rie 32 0 DA – All e m a g n e 6 , 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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19 Juin 2019 au 31 Juillet


ÉDITO par Zyad Limam

MIEUX ET PLUS VITE !

L ’

Afrique est-elle riche ? Dans tous les cas, elle aligne des performances notables. En 2018, six des 10 pays à la plus forte croissance au monde étaient africains. Parfois, avec des chiffres presque records, à la chinoise (Ghana : +8,3 %, Éthiopie : +8,2 %, Côte d’Ivoire : +7,2 %, Djibouti : +7 %, Sénégal : +6,9 %, Tanzanie : 6,8 %). Et on pourrait ajouter la Guinée, présente dans le top 10 l’année précédente. Fait nouveau et presque rassurant, aucune des économies concernées n’est dépendante du pétrole ou du gaz (à l’exception du Ghana, qui reste néanmoins un exportateur modeste). On parle dorénavant d’émergence, de « lions africains », de « courbe de l’éléphant », et tout cela n’est pas dénué de vérité. Pour tous ceux qui en douteraient, il suffit de voyager dans le temps. De se souvenir de la situation de la fin des années 1970, du début des années 1980, de cette Afrique sous-peuplée, endettée, à peine construite. Et de comparer « physiquement » avec aujourd’hui. L’Afrique émerge du sol, en quelque sorte. Et contrairement aux idées reçues, elle a fortement progressé sur les besoins de base (éducation des enfants, santé primaire…), mais aussi sur certains services sophistiqués, comme les télécoms, suivant ainsi la tendance du reste du monde. Socialement, le continent se transforme. L’urbanisation est massive, elle change les modes de vie. Une classe moyenne fragile mais réelle se structure – on évoque près de 150 millions d’Africains disposant de plus de 12 dollars par jour –, avec comme corollaire le développement d’offres spécifiques. La société civile se fait entendre sur des sujets tabous. La polygamie, l’homosexualité, les mutilations sexuelles, les droits humains sont maintenant ouvertement discutés. Et les femmes luttent activement pour la parité juridique, sociale, économique. L’Afrique n’est pas immobile. Elle est en mouvement. Pourtant, cette Afrique reste désespérément pauvre. Les chiffres sont douloureux. Sans rentrer dans des précisions techniques, notre continent immense, peuplé AFRIQUE MAGAZINE

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de 1,2 milliard d’habitants, produit autant qu’un pays européen comme la France. En 1983, la Chine et l’Afrique étaient à peu près au même niveau de développement global. Aujourd’hui, la Chine « vaut » cinq fois l’Afrique. Sur le terrain, la lutte contre la grande pauvreté est un échec. D’ici 2050, 90 % des personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour seront en zone subsaharienne. Soit 400 millions de personnes… Autant qu’aujourd’hui. Pour reprendre une expression de plus en plus fréquente dans les colloques, nous vivons un véritable paradoxe, une situation de « croissance sans développement » : sa richesse globale augmente, mais la pauvreté de ses habitants ne diminue pas. En tous les cas, pas assez vite. Il y a un certain nombre d’explications objectives. Une grande partie des chiffres d’aujourd’hui sont l’effet d’un mécanisme naturel de rattrapage. L’Afrique vient de loin. Elle a beaucoup de retard et en résorbe une partie. Cette croissance quantitative, ces nouvelles richesses profitent avant tout à ceux qui ont déjà, aux élites installées dans les grandes villes côtières, qui se transforment en mégalopoles plus ou moins gérables. La bonne gouvernance reste un facteur crucial en matière de développement réel. Tout comme l’extrême importance de la formation des jeunes, de plus en plus nombreux. La natalité est toujours très vivace. La richesse augmente, mais la population augmente. Et le taux de croissance est « mangé » par le taux d’accroissement démographique. Pour reprendre un haut responsable africain, « il faudrait, à ce rythme, des décennies pour affronter l’ensemble de nos défis. Et pendant ce temps-là, le monde continue d’avancer, creuse les écarts, nous confinant éternellement dans un statut de continent accessoire ». Et de nouveaux défis complexes s’ajoutent : les révolutions techno-digitales, le changement climatique… De toutes évidences, le modèle actuel est à la fois trop lent, trop perfectible et trop « conservateur ». Il ne permettra pas une transformation réelle du continent. Il faut penser autrement, se libérer des pesanteurs, élaborer de nouveaux modèles. En clair, être plus audacieux et aller plus vite. ■ 3


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SOMMAIRE Mai n°392 18

ON EN PARLE

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AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

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par Jean-Marie Chazeau et Catherine Faye

CÔTE D’IVOIRE L’IMPÉRATIF SOCIAL

10 Musique : Angélique Kidjo, l’hommage à Celia Cruz

UN DÉCOUVERTE SPÉCIAL DE 16 PAGES

TUNISIE

RENÉ TRABELSI, SAYED EL-WAZIR!

CAMEROUN LES MYSTÈRES DE YAOUNDÉ INTERVIEW

par Sophie Rosemont

YOUSSOU N’DOUR: «JE SUIS UN HOMME LIBRE!»

Manifestation dans les rues de la capitale.

L’ALGÉRIE, DEMAIN CHANGEMENTS, NOUVELLES GÉNERATIONS ET ENJEUX D’UNE RECONSTRUCTION NATIONALE. N°392

12 Agenda : Le meilleur de la culture par Catherine Faye et Zyad Limam

- MAI 2019

M 01934 - 392 - F: 4,90 E - RD

Fra n ce 4 , 9 0 € – Af riq u e d u S u d 49, 9 5 ra n d s (t axes in cl .) – Alg é rie 32 0 DA – All e m a g n e 6 , 9 0 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

UN DÉCOUVERTE SPÉCIAL DE 16 PAGES

PERSPECTIVES L’ALGÉRIE, DEMAIN

par Emmanuelle Pontié

ÉLÉGANCE ADAMA PARIS SA MISSION, C’EST L’AFRIQUE

CAMEROUN

LES MYSTERES DE YAOUNDE

LE PAYS FAIT FACE AUX CRISES. AU PALAIS D’ÉTOUDI, É ON TIENT LA BARRE, DE MANIÈRE IMMUABLE. ENQUÊTE.

INTERVIEW

YOUSSOU N’DOUR « JE SUIS UN HOMME LIBRE ! » ’:HIKLTD=YUY^UY:?k@d@j@m@a" N ° 3 9 2 - MAI 2019

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C - DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € - Italie 6,90 € Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € - Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS TOM 990 FCFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

M 01934 - 392 - F: 4,90 E - RD

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PHOTOS DE COUVERTURES : ALGÉRIE : SIDALI DJENIDI/RÉA CAMEROUN : JEAN-PIERRE KEPSEU - YOURI LENQUETTE

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PARCOURS Noémie Lenoir

17 C’EST COMMENT ? Déguerpir ?

L’IMPÉRATIF SOCIAL

La présidence de la République.

14

par Astrid Krivian

CÔTE D’IVOIRE

BUSINESS LA FINANCE VERTE, UNE CHANCE À SAISIR

Écrans : Amours adultères à Jérusalem

03/05/19 20:00

44 CE QUE J’AI APPRIS Souleymane Bachir Diagne

L’Algérie, demain

par Zyad Limam

Livres : Un témoignage inestimable par Catherine Faye

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

TEMPS FORTS

par Zyad Limam

Les mystères de Yaoundé par Emmanuelle Pontié

36

René Trabelsi, Sayed el-Wazir ! par Zyad Limam et Frida Dahmani

64 Youssou N’Dour : « Je suis un homme libre » par Astrid Krivian

70

Désert, au rythme du marathon ! par Fouzia Marouf

74

Adama Paris : « Ma mission, c’est l’Afrique ! » par Fouzia Marouf JEAN-PIERRE KEPSEU - REUTERS/ZOUBEIR SOUISSI

3 ÉDITO Mieux et plus vite !

84 La finance verte, une chance à saisir par Jean-Michel Meyer

par Fouzia Marouf

78 LE PORTFOLIO World Press 2019 par Zyad Limam

106 VINGT QUESTIONS À… Taiye Selasi par Fouzia Marouf

AFRIQUE MAGAZINE

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392 – MAI 2019


AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Maya Ayari

p. 70

mayari@afriquemagazine.com RÉDACTION

DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

CÔTE D’IVOIRE LA PRIORITE SOCIALE

DÉCOUVERTE

C’est maintenant une véritable orientation stratégique pour le président et son équipe.

REUTERS/THIERRY GOUEGNON

Alassane Ouattara et son épouse Dominique au premier congrès du RHDP au stade Félix-HouphouëtBoigny, le 26 janvier 2019.

JOSUE FERNANDEZ - REUTERS/THIERRY GOUEGNON - MARIO EPANYA

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Carrefours : Le sport s’annonce bioclimatique

p. 47

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Anne-Marie Enescu, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Glez, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Ouakaltio Ouattara, Sophie Rosemont, Maya Roux.

EXPORT Laurent Boin Tél.: (33)6 87 31 88 65 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris. Tél.: (33)1 56 82 12 00

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél.: (33)1 40 94 22 22 - Fax: (33)1 40 94 22 32

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COMMUNICATION ET PUBLICITÉ regie@afriquemagazine.com AM International 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)1 53 84 41 81 – Fax: (33)1 53 84 41 93 AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR 31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT: Zyad Limam Compogravure: Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0224 D 85602 Dépôt légal : mai 2019.

VIVRE MIEUX

392 – MAI 2019

sr@afriquemagazine.com

VENTES

par Luisa Nannipieri

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PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

100 Fashion : Sadio Bee, la joie du « mix-tissage »

AFRIQUE MAGAZINE

Jessica Binois

03/05/19 20:36

par Luisa Nannipieri

Comment combattre le mal de dos Le soda : mauvais pour les artères Les messages de notre corps Se soigner par l’activité physique

imeomartini@afriquemagazine.com

VIVRE MIEUX

par Luisa Nannipieri

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Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE

Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

D O S S I E R R É A L I S É PA R O U A K A LT I O O U AT TA R A AV E C A L E X A N D R A F I S C H

MADE IN AFRICA Escapades : Le Ghana, entre mémoire, nature et cool attitude

epontie@afriquemagazine.com

arougier@afriquemagazine.com

par Ouakaltio Ouattara

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DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

Amanda Rougier PHOTO

47 CÔTE D’IVOIRE : LA PRIORITÉ SOCIALE 48 Lier croissance et développement pour tous 51 Un nouveau souffle pour les plus fragiles 52 Vers la fin de la corvée d’eau 54 Une énergie démocratisée 56 Couverture maladie universelle : lentement mais sûrement 58 L’université veut se décentraliser

Emmanuelle Pontié

p. 74

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.

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« BARRACOON : L’HISTOIRE DU DERNIER ESCLAVE AMÉRICAIN »,

Zora Neale Hurston,

L’écrivaine Zora Neale Hurston.

Un témoignage inestimable C’est le récit de l’ultime survivant du dernier navire négrier. Il a été recueilli en 1927 par l’une des plus grandes figures de la littérature américaine, ZORA NEALE HURSTON. Une double histoire à redécouvrir. par Catherine Faye « JE VOUDRAIS SAVOIR qui vous êtes et comment vous êtes devenu esclave », demande l’auteure et anthropologue Zora Neale Hurston à Cudjo Lewis au début de leur entretien, en 1927. Celle qui écrira en 1936 Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, l’un de ses plus célèbres romans, est alors l’une des principales figures féminines de la Renaissance de Harlem, mouvement artistique qui a transformé durant l’entre-deuxguerres ce ghetto new-yorkais en « capitale mondiale 6

de la culture noire ». Cudjo Lewis est quant à lui, à 86 ans, l’ultime survivant africain connu du dernier navire négrier américain, le Clotilda. Hurston lui rend de nombreuses visites, note scrupuleusement ce qu’il lui raconte : son enlèvement à 19 ans par des guerriers de la tribu voisine au Dahomey, puis son enfermement dans un barracoon (bâtiment utilisé pour le confinement des esclaves) sur la côte ouest africaine… Lui et quelque 120 autres personnes y sont alors achetés, puis rassemblés dans le Clotilda, pour effectuer le voyage de 1860. Pour la ressortissante d’Eatonville, en Floride, bourgade fondée par les Noirs et pour les Noirs pour y vivre à l’abri du regard des Blancs, seul compte la réalité des faits. Document historique d’une valeur inestimable, son manuscrit ne trouve pourtant pas preneur de son vivant. Est-ce à cause de la forme du récit, livré à la première personne, dans le parler de Cudjo Lewis, tel qu’elle l’entend, conservant ses tournures idiomatiques et l’aspect répétitif de son discours dans le souci d’authentifier son histoire ? Quoi qu’il en soit, Hurston, découragée, se lance dans d’autres projets, et le manuscrit finit par sombrer dans les archives de l’université Howard (surnommée « Black Harvard »). Malgré une production littéraire diverse et abondante (14 ouvrages), la première anthropologue noire, essayiste, dramaturge, passionnément féministe et indépendante, meurt dans la pauvreté à l’âge de 69 ans et est enterrée dans une tombe anonyme dans le cimetière de Fort Pierce, en Floride. Elle tombe alors dans l’oubli, jusqu’à sa redécouverte au début des années 1970 par la romancière noire Alice Walker. Son œuvre majeure, Une femme noire, est désormais sur la liste des ouvrages à lire des lycées et facs américains. Par contre, il aura fallu quatre-vingt-dix ans à Barracoon pour voir le jour, mais « à ce stade, les gens sont disposés à examiner cette question, à l’interroger […], et c’est ce que nous devons faire », a déclaré Deborah G. Plant, la spécialiste qui a édité le volume. Zora Neale Hurston est aujourd’hui considérée comme une grande figure de la littérature américaine. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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392 – MAI 2019

GRANGER NYC/RUE DES ARCHIVES - DR

JC Lattès, 250 pages, 20,90 €.


ON EN PARLE livres religion

portrait

« IL EST GRAND TEMPS de renouer avec l’esprit qui a permis à la civilisation arabomusulmane de contribuer à l’enrichissement de la civilisation humaine. » Au carrefour de l’Europe occidentale, de Byzance, de la Chine et de l’Inde, l’islam en a englobé et vivifié les apports, et a contribué par cette synthèse à l’universel. Dans cet ouvrage publié initialement en 2003, Abdelwahab Meddeb rappelle la dimension humaniste de cette civilisation et

« QUI SUIS-JE ?» se demande inlassablement Hani Mahfouz, qui vient tout juste d’être remis en liberté après sept mois de détention. Son crime ? Aimer les hommes plutôt que les femmes. À travers le témoignage de ce quadragénaire reclus dans une chambre d’hôtel, avec pour seule « LA CHAMBRE compagnie une petite araignée logée DE L’ARAIGNÉE », au fond d’un tiroir, c’est le portrait Mohammed Abdelnabi, Actes de la communauté gay, ballottée entre Sud, 320 pages, affirmation et dénégation, que nous 22,50 €. dresse le romancier égyptien. Il y explore la question de l’homosexualité sous l’angle de la persécution, en s’inspirant d’un procès qui avait scandalisé la société égyptienne en 2011 : celui de 52 hommes, raflés par la police dans une boîte de nuit flottante, le Queen Boat, puis condamnés à de lourdes peines de prison pour « perversion sexuelle ». Ce roman a été retenu en 2016 sur la short list du prix international de la Fiction arabe. ■ C.F.

LA FUSION CRÉATRICE

ENTRE AFFIRMATION ET DÉNÉGATION

« ISLAM, ISLAM LA PART DE L’UNIVERSEL »,

Abdelwahab Meddeb,

En toutes lettres, 188 pages, 13 €.

son apport considérable à des domaines comme l’architecture, les sciences ou la mystique. Le philosophe et ancien producteur de l’émission Cultures d’islam sur France Culture nous fait apparaître l’islam comme identité ouverte et non repli sur soi. Un plaidoyer plein d’optimisme. ■ C.F.

DR (4) - FRANCESCA MANTOVANI

récit

LA PAROLE LIBÉRÉE

thriller philosophique

AGRESSÉE DANS UN HALL D’IMMEUBLE un soir de réveillon, Alya parvient à échapper à un viol. Mais la peur, les insomnies et les cauchemars, la solitude dans laquelle son corps s’enferme l’éloignent de plus en plus d’elle-même. À l’ouverture de l’enquête policière, Alya livre son histoire à différents interlocuteurs, des officiers à la psychanalyste, en passant par la juge. Telle la Shéhérazade des Mille et une nuits, elle revient sans cesse à son histoire pour sauver sa vie et

DERRIÈRE L’EXPÉRIENCE D’UN LYCÉEN, devenu apprenti d’un puisatier, le temps d’un été, avant de vivre une existence marquée par la culpabilité et la nostalgie de ses jeunes années, se dissimule « LA FEMME AUX à peine le portrait d’une CHEVEUX ROUX », Turquie de plus en plus Orhan Pamuk, déchirée entre laïcité Gallimard, 304 pages, 21 €. et religion, démocratie et concentration du pouvoir. À la fois récit intimiste et thriller philosophique, cet ouvrage du prix Nobel de littérature 2006 explore brillamment les thèmes de la quête d’identité et de la filiation, du destin et de la liberté, dans un subtil mélange de références orientales et occidentales ■ C.F.

AFRIQUE MAGAZINE

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À LA CROISÉE DES MONDES

« DE MÉMOIRE É »,

Yamina Benahmed Daho, Gallimard,

144 pages, 14,50 €.

tisse un récit multiple et protéiforme. Le processus de répétition constitue un espace de réappropriation de son corps, qu’elle inscrit progressivement dans une histoire familiale, collective. Jusqu’au salut. ■ C.F.

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Saleem (Adeeb Safadi) et Sarah (Sivane Kretchner) vivent une histoire tumultueuse.

Amours adultères à Jérusalem Elle est juive israélienne, il est arabe palestinien. Tous deux mariés, ils se retrouvent clandestinement dans la ville divisée pour des étreintes aussi « scandaleuses » que passionnées. Un film audacieux et transfrontière.

se retrouver aux mains de l’armée israélienne : LE RÉALISATEUR PALESTINIEN Muayad un épisode réel à la base du scénario. Tout va Alayan avait eu les honneurs du festival alors s’écrouler pour Sarah, accusée de trahison, de Berlin en 2015 pour son premier mais aussi pour son mari… Quant à Saleem, long-métrage : Amour, larcins et autres son mariage est bien compromis, même si complications. Eh bien, des complications, son arrestation en fait un martyr de la cause les personnages de son nouveau film palestinienne… Pas de quoi pour autant deviner vont en connaître ! Il faut dire qu’ils jouent la fin de l’histoire, habilement racontée dans avec le feu : Sarah, épouse d’un haut gradé une atmosphère souvent nocturne et pesante. de l’armée israélienne et jeune mère de Hormis quelques scènes à Bethléem, le film famille, rejoint Saleem la nuit, dans sa se déroule surtout à Jérusalem, qui en devient fourgonnette, pour des ébats sexuels confinés « THE REPORTS un personnage à part entière : la ville est mais passionnés. Saleem est un chauffeur ON SARAH AND filmée aussi bien dans sa partie arabe, pauvre palestinien, qui vit avec une belle étudiante SALEEM » (Palestine) et étouffante, que du côté israélien, ce qui est dans la partie arabe de la ville et qui, chaque de Muayad Alayan. Avec rare au cinéma. Le tournage a d’ailleurs viré jour, livre du pain dans le café que tient Adeeb Safadi, Sivane au cauchemar quand l’armée de l’État hébreu Sarah à Jérusalem-ouest. Mais sa vie est Kretchner, Maisa Abd Elhadi. s’en est mêlée et, malgré les autorisations compliquée, entre la pression de sa belleinitiales, a arrêté une partie de l’équipe alors famille et les trafics auxquels il participe… qu’elle venait justement de tourner… une scène d’arrestation. On pressent dès le début que cela va mal tourner, car tout « Le cinéma palestinien comptabilise moins de 30 films dans commence par l’arrestation et l’interrogatoire musclé toute son histoire, et avec des scénarios qui ne sont pas basés de Saleem. Ses rencontres amoureuses ont été signalées à Jérusalem », souligne volontiers Muayad Alayan. Une raison et consignées dans des rapports réalisés pour le compte supplémentaire pour ne pas manquer ce beau film. ■ de milices palestiniennes. Des documents qui vont 8

AFRIQUE MAGAZINE

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DR

par Jean-Marie Chazeau


ON EN PARLE écrans

animation

La convergence des luttes 1965. LES GÉANTS DES FÊTES de Pampelune, importés du Pays basque, défilent dans les rues de New York, sauf deux, qui sont bloqués en douane : ils représentent des Noirs (Beltza en basque) et sont interdits pour cause de ségrégation raciale ! Un fait authentique dont s’est emparé le musicien et réalisateur Fermin Muguruza pour imaginer que les deux porteurs de ces têtes, déjà en lutte contre Franco en Espagne, se révoltent contre ce racisme et finissent par se retrouver aux côtés des Black Panthers à San Francisco, des espions cubains à La Havane, des indépendantistes québécois à Montréal, ou encore sur les traces de Che Guevara à Alger ! La technique animée est graphiquement élégante et inspirée, le rythme tourbillonnant, même si l’évocation historique fait un peu catalogue d’une époque. Attention à certaines scènes : c’est du dessin animé pour adultes seulement… ■ J.-M.C.

« BLACK IS BELTZA » (Espagne-France) de Fermin Muguruza. Avec les voix de

Unax Ugalde, Isaach de Bankolé, Sergi LÓpez.

cannes 2019

Un cru arabo-africain

LE GABÈS CINÉMA FEN, en Tunisie, organisait en avril une rencontre intitulée « Les cinémas arabes sont-ils (encore) le reflet d’eux-mêmes ? » Le Festival de Cannes apportera peut-être une réponse, avec les films de l’Algérienne Mounia Meddour (Papicha) et de la Marocaine Maryam Touzani (Adam), en sélection Un certain regard. En séance spéciale, la cinéaste syrienne Waad Al Kateab présentera For Sama, coréalisé avec Edward Watts. En lice pour la Palme d’or, le Palestinien Elia Suleiman (It Must Be Heaven), ainsi que deux Français d’ascendance africaine : Ladj Ly (Les Misérables), né au Mali, et Mati Diop, fille de Wasis Diop et nièce du cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety, avec son premier long, Atlantique. Ils se retrouvent en compétition avec des poids lourds comme Pedro Almodovar ou les frères Dardenne (Le Jeune Ahmed). Les sélections parallèles ne sont pas en reste avec, à la Quinzaine des réalisateurs, Tlamess du Tunisien Ala Eddine Slim, et à la Semaine de la critique, Abou Leila de l’Algérien Amin Sidi-Boumédienne, Le Miracle du Saint Inconnu du Marocain Alaa Eddine Aljem, et Tu mérites un amour, le premier film de la comédienne française Hafsia Herzi, révélée par Abdellatif Kechiche, sélectionné in extremis pour la Palme avec la suite de Mektoub, my love. ■ J.-M.C.

Le continent à New York

DR (3) - CAPTURE D’ÉCRAN

AFRICAN FILM FESTIVAL, New York, États-Unis, du 23 mai au 9 juin 2019.

africanfilmny.org I

festival-cannes.com

festival

L'Alliance d'or, de la Nigériane Rahmatou Keïta.

AFRIQUE MAGAZINE

FESTIVAL DE CANNES, France, du 14 au 25 mai 2019.

392 – MA1 2019

L’AFRICAN FILM FESTIVAL (AFF) fait son grand retour ce printemps pour sa 26e édition. Un rendez-vous réputé pour sa programmation variée, entre films contemporains, films cultes et débats avec le public. Le cinéma africain y est présenté à travers tous les genres : fiction, documentaire, film expérimental… Si, depuis 1990, l’African Film Festival se consacre à faire progresser la compréhension de la culture africaine à travers l’image en mouvement, cette édition de l’AFF célébrera le 25e anniversaire du génocide rwandais de 1994. Cette partie du programme inclura également de récents films primés d’Afrique et de la diaspora. ■ C.F. 9


« CELIA »,

Angélique Kidjo,

Verve/Universal.

Angélique

Kidjo

L’hommage à Celia Cruz IL ÉTAIT UNE FOIS la Cubaine Celia Cruz (1925-2003), destinée à devenir institutrice, jusqu’au jour où la beauté de sa voix ne put se contenter d’un simple avenir en salle de classe. Elle étudia au Conservatoire de La Havane, remporta plusieurs concours de chant et devint vocaliste en chef du groupe La Sonora Matancera. Lequel lui apporta une certaine reconnaissance, avant que n’éclate la révolution, en 1959, et que le groupe et sa chanteuse ne quittent Cuba. À New York, Celia posa ses valises et sa voix, connu des hauts et des bas, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin la gloire en interprétant de la salsa avec les musiciens du label Fania, notamment Johnny Pacheco, également son producteur… Après la traversée du désert des années 1980, Celia Cruz revint sur le devant de la scène à la fin du siècle, auréolée du prestige d’avoir offert à la salsa ses lettres de noblesse. C’est sur scène que la jeune Angélique Kidjo, devenue l’incontournable figure de la diaspora africaine que l’on connaît aujourd’hui, a découvert Celia Cruz. Elle entend chez elle ce qui la fait vibrer, elle aussi : les yorubas, la tonicité de la voix, l’énergie des mélodies. Quand, en 2015, elle reprend dans le cadre d’un festival 10

américain le corpus de Celia Cruz, l’idée germe d’en faire aussi un travail en studio. Dont acte. Enregistré à Paris par les bons soins de David Donatien, que l’on connaît pour son fidèle et complice travail avec Yael Naim, Celia témoigne de 10 pistes à l’éclatante dextérité. Angélique Kidjo reprend sans imiter, s’approprie sans emprunter. Entre ces deux personnalités à la fois féministes et universalistes, militantes et performeuses, la rencontre ne pouvait être qu’éclatante… De la musique latine aux ritournelles africaines, il n’y a qu’un pas – et non un océan. Alors, on danse sur « Bemba colora », on se laisse porter par « Yemaya », faite de chœurs et de percussions, on savoure « Elegua », on se dandine sur « Cucala ». Les invités rivalisent eux aussi de talent, de Tony Allen à Meshell Ndegeocello. Cerise sur le gâteau : la magnifique pochette signée par le Sénégalais Omar Victor Diop, qui, à 40 ans, est l’un des portraitistes africains les plus recherchés à l’international. Aussi bien influencé par le maître Keita que par la peinture du XIXe siècle, il signe là un portrait de Lady Kidjo entourée de fleurs aux couleurs vives. Parfaitement en adéquation avec le son de l’album… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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LAURENT SEROUSSI - DR

Quand la diva FRANCO-BÉNINOISE rencontre la star des musiques latines, ça ne peut être que d’une éclatante dextérité. par Sophie Rosemont


ON EN PARLE musique disco

ZIAD RAHBANI

Le retour d’Abu Ali

groove

ALTIN GÜN

Une tradition folklorique réinventée en mode funk et rock psychédélique. CONTRAIREMENT à ce que l’on pourrait croire en écoutant ses chansons chantées en turc, c’est aux Pays-Bas qu’officie ce groupe d’obédience psychédélique, qui nourrit son inspiration tant du côté des musiques traditionnelles du Bosphore que des trips sonores de Jefferson Airplane. Guitares et saz électriques, percussions : les six musiciens d’Altin Gün s’imposent définitivement avec ce deuxième album d’un groove imparable. De la flamboyante ouverture « Yolcu » à la conclusion arc-en-ciel de « Süpürgesi Yoncadan », Gece nous transporte dans un univers kaléidoscopique que l’on a bien du mal à quitter. ■ S.R. « GECE », Altin Gün, We Want Sounds/Glitterbeat/Differ-Ant.

kuduro-rock

THROES + THE SHINE

RONA LANE PHOTOGRAPHY - DR (4)

Que brille le dance-floor ! ORIGINAIRE DE PORTO, ce groupe avait déjà fait parler de lui avec Rockuduro, en 2012, lequel, comme son nom l’indique, proposait un savant mix de rock’n’roll et de kuduro, mélange de breakdance et de « ENZA », Throes semba… Avec ce quatrième album nommé + The Shine, Enza, Throes + The Shine ne perd ni sa force Sony. expressive, ni sa volonté de marier le kuduro à des sons comme l’afrobass et l’électro. Produit par Jori Collignon (Skip&Die), Enza ne baisse pas la cadence et promet d’enflammer les dance-floors (et les scènes de festivals) des saisons à venir. ■ S.R. AFRIQUE MAGAZINE

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DOIT-ON VRAIMENT présenter le musicien, pianiste, arrangeur et producteur Ziad Rahbani ? Fils de Fairouz et du pionnier de la musique libanaise moderne, Assy Rahbani, il a réussi à exister par lui-même : à 63 ans, il est l’une des plus grandes fiertés artistiques de son pays. En 1978, déjà musicien depuis quelques années, il enregistrait aux studios EMI d’Athènes le merveilleux Abu Ali, paru en tirage limité. Composé de deux suites mêlant les sonorités orientales au disco et au funk, cet album instrumental est enfin réédité, avec pochette originale et son remastérisé. Un must-have. ■ S.R. « ABU ALI »,

Ziad Rahbani,

We Want Sounds/ Modulor.

« ABEG NO VEX »,

Ekiti Sound,

Crammed Discs.

rap hybride

EKITI SOUND

Mixture anglo-nigériane EKITI, c’est l’État nigérian d’où est originaire le père de Leke (aka Chif), chanteur, rappeur, instrumentiste et producteur passé par Nollywood. Après une enfance entre le Nigeria et l’Angleterre, il évolue aussi bien dans la sphère londonienne que sur les scènes de Lagos. Impressionné par des figures comme Fela Kuti, passionné de drum’n’bass et féru de rap anglosaxon, Leke livre dans son premier album, Abeg No Vex, une mixture sonore hybride et follement énergique. Basses imposantes et « talking drums » prennent aux tripes : Ekiti Sound illustre la quête de ses racines en chantant en yoruba, en pidgin et, forcément, en anglais. À savourer : un featuring avec la talentueuse Nneka… ■ S.R. 11


Statue assise datant du XIIIe ou XIVe siècle, Nigeria (ci-contre). Atlas catalan représentant en majesté le roi Moussa du Mali, 1375 (ci-dessous).

Œuvre d’Hako Hankson, Douala Art Fair 2018.

Le métissage exubérant de la création d’Afrique centrale s’expose à DOUALA.

LA DOUALA ART FAIR met en lumière une centaine d’œuvres provenant d’Afrique centrale avec comme thème, cette année, « Flying Over Central Africa : Déjouer les clichés ». « Cette deuxième édition veut montrer le visage d’une Afrique humaine, vivante, atypique, avant-gardiste, qui s’ouvre au monde et entend désormais s’exprimer pleinement, un continent africain entré de plain-pied dans l’histoire de l’art contemporain », explique Viviane Maghela, la directrice artistique camerounaise de la foire d’art contemporain et du design. L’événement survolera le Gabon, le Cameroun, le Congo, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, l’Angola, la Centrafrique, le Tchad ou encore Sao Tomé et Principe pour rassembler peintures, sculptures, vidéos, installations… et raconter, tel un carnet de voyage, ce qui caractérise la création contemporaine dans cette région d’Afrique. Porteurs de savoir-faire et de codes spécifiques inhérents à leurs bagages culturels, la plupart des créateurs y revisitent les modèles de représentation et utilisent de nouveaux outils pour créer des métissages surprenants et personnels. Car, remarque Viviane Maghela, « si elle est un continent, l’Afrique est surtout un labyrinthe artistique, traversé de multiples élans ». ■ Catherine Faye DOUALA ART FAIR, « FLYING OVER CENTRAL AFRICA : DÉJOUER LES CLICHÉS », Cameroun, du 31 mai

au 2 juin 2019. doualaartfair.com 12

exposition n

HISTOIRE RE

L’AFRIQUE SAHARIENNE ANCIENNE ressuscitée à travers 250 pièces archéologiques. EN PLEINE CONTROVERSE sur la restitution des œuvres, c’est l’image d’une Afrique riche et influente que veut célébrer l’exposition qui se tient actuellement au Block Museum of Art, situé sur le campus de l’université Northwestern, à Evanston, dans l’Illinois. « Caravanes d’or, fragments de temps : art, culture et échanges à travers l’Afrique saharienne médiévale » est la première grande exposition américaine consacrée à l’exploration du commerce médiéval en Afrique de l’Ouest. À travers 250 œuvres d’art et pièces archéologiques originaires d’Afrique et d’Europe, répartis entre les VIIIe et XVIe siècles, elle retrace l’itinéraire des marchands d’Asie, du MoyenOrient et d’Europe en quête d’or et de sel fin, à travers le Sahara, et leurs échanges, tant commerciaux que culturels. « Caravanes d’or » puise dans de récentes découvertes archéologiques, notamment de rares fragments de centres commerciaux africains médiévaux, tels que Sijilmasa, Gao et Tadmekka. L’exposition est agrémentée de vidéos renseignant sur le contexte social et historique de l’époque, notamment le brassage des cultures, des langues et des biens. ■ C.F. « CARAVANES D’OR, FRAGMENTS DE TEMPS : ART, CULTURE ET ÉCHANGES À TRAVERS L’AFRIQUE SAHARIENNE MÉDIÉVALE », Block Museum of Art,

Evanston, États-Unis, jusqu’au 21 juillet 2019.

blockmuseum.northwestern.edu AFRIQUE MAGAZINE

DR

LABYRINTHE ARTISTIQUE

foire

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ON EN PARLE agenda itinérance

De l’art en voyage

Naplouse, en Palestine.

Une caravane sur SIX PAYS pour faire se rencontrer les créateurs et leurs publics. C’EST UNE GRANDE EXPOSITION ITINÉRANTE sur six pays réunissant une trentaine d’artistes du continent, de renommée internationale, et de 15 nationalités différentes. Un projet particulièrement ambitieux, hors norme, qui devrait aboutir à la création de 100 œuvres originales, produites spécialement par les artistes en résidence avant la grande tournée. À l’affiche, entre autres, Ouattara Ouatts, El Anastsui, William Kentridge, Chéri Samba, Barthélémy Toguo… Démarrage de l’expo voyageuse à Casablanca, mi-juin 2019, pour un périple de 12 mois avec des étapes à Dakar, Abidjan, Lagos, AddisAbeba et Cape Town, et une clôture à Marrakech en 2020. L’événement porté par la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA) présidé par le prince Moulay Ismail a comme objectif de rapprocher des artistes africains, souvent très bien cotés à Paris, à Londres ou à New York, de ce qui devrait être leur premier public, celui qui se trouve sur le continent. Aux commandes de cette odyssée, les commissaires sénégalais Yacouba Konaté et marocain Brahim Alaoui. C’est « une histoire que l’Afrique souhaite écrire pour valoriser, fédérer et célébrer son art dans sa plus belle expression », conclut, provisoirement, Fihr Kettani, cofondateur de la Galerie 38, à Casablanca, et secrétaire général de la Fondation. À suivre, donc. ■ Z.L. « PRÊTE-MOI TON RÊVE », exposition itinérante dans

six pays africains, de juin 2019 à juin 2020.

passions

DU FOOT À L’IMA !

L’Institut du monde arabe propose une exposition « ballon rond ». C’EST À DÉCOUVRIR à l’IMA, à Paris, jusqu’au 21 juillet, surtout à quelques semaines de l’ouverture de la CAN en Égypte. L’exposition « Foot et monde arabe : La Révolution du ballon rond » ouvre des portes étonnantes sur les liens entre le sport roi, la création des identités et le tissu social. Le parcours propose 11 histoires successives, 11 épopées humaines de joueurs et de supporters dans le monde arabe : l’équipe du Front de libération nationale de l’Algérie, le célèbre joueur Larbi Benbarek, l’essor du football féminin en Jordanie ou encore la ville du Caire comme capitale du football… Avec des objets, des maillots, des photos, des archives. À cette occasion, un terrain extérieur de 12x21 m, avec des gradins (124 places), est installé sur le parvis du musée. ■ Z.L. « FOOT ET MONDE ARABE, LA RÉVOLUTION DU BALLON ROND », Institut du monde arabe, Paris, jusqu’au 21 juillet 2019.

imarabe.org

fashion week

DR - AMÉLIE DEBRAY - DR

AU-DELÀ DE LA MODE

Depuis sa première édition en 2002, qui réunissait quatre créateurs, la Dakar Fashion Week a mûri et joue maintenant dans la cour des grands. Avec désormais plus de 35 créateurs, elle est devenue le rendez-vous incontournable de nombreux médias internationaux. L’occasion pour les stylistes de partager le regard qu’ils portent sur leur continent à travers les vêtements. « L’état d’esprit de la fashion week est de valoriser l’Afrique », souligne Adama Paris [voir p. 74], styliste et fondatrice de cette grand-messe de la mode. Plus encore, l’habit devient vecteur d’un engagement politico-culturel, surtout pour un continent comme l’Afrique. ■ C.F. DAKAR FASHION WEEK, Sénégal, du 5 au 9 juin 2019. dakarfashionweek.com

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PARCOURS par Astrid Krivian

Noémie Lenoir 14

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DANS SON DOCUMENTAIRE HABILLE-NOUS AFRICA, la célèbre mannequin et actrice part à la rencontre de la nouvelle mode « afro », du Cameroun au Sénégal, en passant par la Côte d’Ivoire. Un regard passionné sur un milieu créatif, avec ses forces et ses faiblesses.

VINCENT BOISOT POUR PARIS MATCH

C

heveux plaqués en chignon et grands yeux verts, nez parfaitement dessiné, la top-modèle d’origines réunionnaise, malgache, belge et corse parle avec passion et de sa voix grave d’Habille-nous Africa. Coréalisé avec Antoine Rivière, ce documentaire de deux fois 52 minutes enquête sur le secteur de la mode au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Celle qui fut toujours considérée comme une femme noire dans son métier constate une réelle évolution depuis ses débuts : les modèles noirs sont de plus en plus présents, et l’Afrique est devenue tendance. « Mais cela ne doit pas rester éphémère. La mode africaine est ancestrale et ne se limite pas aux boubous ! » rappelle-t-elle. Défiler pour les couturiers les plus prestigieux (Jean-Paul Gaultier, Yves Saint Laurent, Elie Saab) lui a appris l’amour du vêtement. Née en 1979 aux Ulis, en banlieue parisienne, enfant, elle se rêve plutôt vétérinaire que mannequin, et pleure si on lui fait porter une jupe. C’est chez une amie qu’elle découvre la mode, avec des photos sur papier glacé de la top-modèle américaine Brandi Quinones. « Elle me disait que je lui ressemblais. Moi, je ne me trouvais pas jolie, j’avais un monosourcil, un appareil dentaire. Le mannequinat, c’est une fée qui s’est penchée sur mon berceau. » Un ancien modèle la repère dans la rue alors qu’elle a 15 ans, et lui conseille de suivre le même chemin. Elle rejoint ainsi la célèbre agence Ford de New York, et la marque américaine Gap la choisit pour une campagne : elle qui devait partir quelques jours aux États-Unis y restera finalement des années. S’adapter n’a pas toujours été facile. « J’ai fait ma crise d’ado à 19 ans. Comme je ne m’entendais pas avec les filles avec lesquelles j’habitais, mon agence m’a installée dans un hôtel à Chinatown. J’avais un mur en face de ma fenêtre, des cafards au sol, mais j’étais mieux ! » Parcourant le monde entier, elle pose pour de grands photographes, travaille pour Ralph Lauren, Tommy Hilfiger, Victoria’s Secret, devient l’égérie de L’Oréal. En parallèle, elle s’essaie au cinéma (notamment Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, d’Alain Chabat, en 2002). Pour Habille-nous Africa, Noémie Lenoir a rencontré différents acteurs de la mode africaine (artisans, designers…) dans leurs ateliers ou concept-stores, recueillant leurs ambitions et leurs difficultés. Un milieu en ébullition, des jeunes stylistes comme la Dakaroise Selly Raby Kane et l’Ivoirienne Loza Maléombho – qui ont toutes deux habillé Beyoncé – aux chemises du célèbre tailleur Pathé O, à Abidjan, portées par Nelson Mandela. La réalisatrice espère voir un jour des boutiques de ces créateurs made in Africa s’exporter dans le monde. Au-delà des paillettes, la mode est aussi un formidable levier économique. Mais triste constat : le coton, matière première bio, est exporté à 95 %, effilé, égrené en Chine, puis racheté en Afrique. « Ce sont des emplois et des savoir-faire qui se perdent. Il faut faire de l’industrie textile une force. » Concilier son image publique et sa vraie personne fut longtemps compliqué : « Les gens se font une idée de moi d’après ma plastique. » Sa foi catholique, la psychanalyse, la méditation et la gratitude l’ont aidée à trouver la sérénité. Désormais mère de deux enfants (« mon fils est noir, ma fille blonde aux yeux bleus »), elle ambitionne de réaliser un nouveau documentaire. Sur la mode de son île maternelle, la Réunion ? ■

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Habille-nous Africa, de Noémie Lenoir et Antoine Rivière, est disponible en replay sur le site Internet de TV5 Monde, tv5monde.com.

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

DÉGUERPIR ?

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éguerpissement » est un mot qui est entré dans la langue officielle de tous les pays africains, avec un sens détourné. Littéralement, « déguerpir » signifie prendre ses jambes à son cou. Mais dans nos capitales, il veut plutôt dire : abandonner son logement de force, construit sur un emplacement illégal. Finalement, l’expression est bien trouvée. Libreville, Ouaga, Douala, Conakry… Absolument aucune grande ville du continent n’a échappé dans son histoire contemporaine à ces grandes vagues d’assainissement, décrétées subitement par un gouvernement qui doit lutter contre l’engorgement et l’insalubrité, élargir les routes, tenter de moderniser la cité, absorber une démographie galopante. Les bidonvilles et autres échoppes de fortune qui jalonnent les artères doivent disparaître. Sur le papier, les pauvres gens désargentés ou les bons gros filous qui ont profité du système archi-corrompu de l’attribution de parcelles sont relogés ou dédommagés. Dans la vraie vie, ils ne le sont généralement pas. Et doivent en effet littéralement déguerpir, baluchon sur le dos. Certes, la plupart n’ont pas de titres fonciers et se sont installés à la sauvage sur des terrains qu’ils se sont d’office appropriés, en construisant dessus à la va-vite une masure ou une belle maison. Mais bon nombre d’entre eux l’ont fait au nez et à la barbe de tout le monde, sans se cacher, souvent en bord de route. Durant des années, on les a laissé prospérer en toute illégalité. Aussi, lorsque l’on vient brutalement inscrire une croix à la craie sur leur mur, en guise de mise en demeure avant démolition de leur « bien », il est normal que l’indignation les gagne. Que faire donc ? Détruire pour moderniser une capitale, au risque de mettre une cohorte d’habitants sur le trottoir, ou laisser faire en continuant à gérer les cités à la mode du Moyen Âge en plein XXIe siècle ?

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La réponse est évidente : il faut avancer, assainir, et donc déguerpir. Mais il faut arrêter de se contenter de procéder aux expulsions pures et dures, sans se soucier de la mise en place effective de relogements. Et surtout, il faut veiller dans le même temps à mettre de l’ordre dans le cadastre, lutter contre la corruption passive ou active des fonctionnaires concernés, stopper les attributions fantaisistes de faux titres de propriété, et enrayer ainsi, dès le début, le phénomène des maisons champignons qui repoussent immédiatement quelques mois plus tard, un peu plus loin. Moderniser une capitale, c’est d’abord moderniser les mentalités. Penser une cité doit être un exercice global. Et les déguerpissements prendront alors tout leur sens. ■

Moderniser une capitale, c’est d’abord moderniser les mentalités. Penser une cité doit être un exercice global.

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FAROUK BATICHE/RÉA

Rassemblement pour la démission du président, le 29 mars 2019, à Alger.

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PRINTEMPS

L’ALGÉRIE, DEMAIN La chute d’Abdelaziz Bouteflika et les grandes manifestations du vendredi expriment une formidable volonté de changement. Y compris générationnelle. Avec un nouveau pays à construire. Éléments de prospective sur ce futur souhaité et redouté. par Zyad Limam

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PRINTEMPS L’ALGÉRIE DEMAIN

L’armée cherche visiblement à maintenir l’unité Donner du temps au temps. Au moment où ces lignes sont écrites, rien n’est encore joué. Une partie du « système », honni par la foule des manifestants, est tombée. Mais l’essentiel est encore largement en place, avec une élection présidentielle prévue pour le 4 juillet, des hommes du sérail aux postes clés et une armée incarnée par le général Ahmed Gaïd Salah visiblement aux commandes. La dynamique du changement est engagée, mais tout reste à faire. La route vers une nouvelle République algérienne est ouverte. Mais le chemin n’est pas tracé. Le « mouvement » en cours en dit long sur le besoin de fierté, de réappropriation de son destin par le peuple algérien. L’image la plus frappante des manifestations reste la multitude de ces drapeaux vert et blanc, portés fièrement comme un étendard. On sent bien que ce mouvement remet en cause les fondements même de la République née de l’indépendance et du combat anticolonial. Ce que veulent les Algériens, c’est un nouveau pacte social et politique, une transition générationnelle. C’est forcément puissant. Ils sont vaccinés contre le chaos, ils ont payé le prix du sang : octobre 1988, la « décennie noire » et ses 200 000 victimes, le Printemps berbère… Mais ils ont décidé de changer aussi. L’idée, en quelque sorte, serait de tourner une page de l’histoire nationale sans la déchirer, sans rompre la reliure du livre. Le processus prendra certainement des virages inattendus, mais il y a peu de « chance » que le schéma institutionnel prévu (les élections du 4 juillet) se passe comme prévu. L’Algérie a été gouvernée depuis près de soixante ans, de la même manière, par les mêmes hommes et les mêmes méthodes. L’acte 2 de l’indépendance est en cours, la seconde République est en marche, mais le processus sera long et incertain.

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IMAGESPIC/ABACA

Un nouveau rôle pour l’armée. Elle est au cœur du pays. À son origine même. L’Algérie est née de la lutte armée. L’ALN (Armée de libération nationale) est devenue le pouvoir, avec l’alliance entre Ben Bella et les militaires. Et grâce à l’entregent d’un jeune capitaine très influent… un certain Abdelaziz Bouteflika. L’armée, c’est un État dans l’État, dont la légitimité s’appuie sur l’histoire. Elle ne gouverne pas directement. Elle agit derrière « le rideau », comme le décrit le journaliste et historien Renaud de Rochebrune. Elle oppose un droit de veto, elle choisit les détenteurs du pouvoir. Elle ne cède pas à l’aventurisme extérieur. Elle Le général Ahmed se sent dépositaire d’une responsabilité. Gaïd Salah, chef Elle fonctionne sur un mode secret, type d’état-major de Politburo. Mais cette légitimité, ce rôle l’Armée nationale qu’elle s’attribue ne coïncide plus avec populaire, les attentes d’une opinion, d’un peuple à Alger, en novembre 2013. décidé au changement. AFRIQUE MAGAZINE

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du pays, à éviter le fameux « chaos ».

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PRINTEMPS L’ALGÉRIE DEMAIN

Près de soixante ans après l’indépendance, 90 % des revenus d’exportations du pays sont toujours issus de la rente énergétique. Le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, l’homme qui a lâché Abdelaziz Bouteflika, dont il était le soutien historique, a 79 ans. De nombreux généraux et haut gradés ont passé l’âge de la retraite tout en maintenant leurs képis. Ils apparaissent comme une caste conservatrice, soucieuse de ne pas perdre privilèges et honneurs. Et souvent fortune. Cet appareil militaire a accordé pour le moment peu de concessions à la rue, « au mouvement », cherchant à maîtriser le passage de flambeau en s’appuyant sur la Constitution. Ou en envoyant en prison des hommes d’affaires, des entrepreneurs proches du clan Bouteflika ou d’autres, trop indépendants. L’objectif visiblement est de maintenir l’unité du pays, d’éviter le fameux « chaos ». Le 1er mai, le chef d’état-major, devenu semble-t-il le chef d’État de facto, appelait les manifestants à s’inscrire dans un dialogue avec « les institutions de l’État ». C’est raisonnable probablement. Mais tout cela fait-il une offre politique face à l’ampleur de l’exigence ? L’armée pourra-t-elle maintenir son unité devant ces enjeux ? A-t-elle pris la mesure des vents de l’histoire ? Du changement de générations ? Du besoin de réformes fondamentales pour sortir le pays de son immobilisme politique ? Et économique ? C’est l’une des clés des mois à venir.

Vers la fin du tout pétrole. Aujourd’hui, l’Algérie demeure le 18e producteur mondial de pétrole (le 3e en Afrique). Et l’un des 10 premiers exportateurs de gaz naturel. Avec des recettes de près de 35 milliards de dollars pour 2017. La manne pétrolière a permis d’effacer les énormes dettes du passé, d’absorber des années de consommation anarchique et d’engager des dépenses d’infrastructures particulièrement ambitieuses. Le pays a aussi des capacités de raffinage majeur et ne dépend pas des importations de carburant ou de 22

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ZEBAR/ANDIA.FR

Base pétrolière de Hassi R’Mel, dans le sud.

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PRINTEMPS L’ALGÉRIE DEMAIN

Le défi démographique. Aujourd’hui, les Algériens sont un peu plus de 42 millions d’habitants. Et ils font à nouveau des enfants en nombre. Fin de la guerre civile et des violences politiques avec effet de rattrapage, « fièvre nuptiale », retour des valeurs familiales, foi inébranlable en l’avenir… ? Ce pays est un cas rare d’inversion de la « transition démographique ». Au début des années 2000, il avait enregistré 580 000 naissances par an. Pour 2016, le chiffre était de 1,1 million, soit une progression du simple au double. Avec ces perspectives, la population pourrait atteindre 44,2 millions en 2020, 51,3 millions en 2030 et 57,6 millions en 2040… Une croissance qui conduira l’Algérie à être la première puissance démographique du Maghreb et l’une des puissances majeures de la Méditerranée. Et même si les derniers éléments disponibles sur 2017 et 2018 semblent indiquer un léger ralentissement du phénomène, le pays devra faire face à un formidable défi : l’arrivée massive d’une population jeune sur le marché du travail, ainsi que l’augmentation des catégories dites dépendantes, les retraités, les personnes âgées, les jeunes enfants. Une double équation qui pèsera lourdement sur les capacités de l’État à éduquer, former, soigner. La jeunesse incarne l’énergie, mais c’est aussi la revendication, l’exigence, 24

Les années 2030-2040 risquent d’être très mouvementées si l’Algérie ne décolle pas économiquement d’ici là. AFRIQUE MAGAZINE

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BRYAN DENTON/THE NEW-YORK TIMES/REDUX/RÉA

produits raffinés. Mais ce modèle a atteint ses limites. Près de soixante ans après l’indépendance, 90 % des revenus d’exportations du pays sont issus de la rente énergétique. 90 % ! Et 65 % des recettes fiscales de l’État sont liées au secteur. Le cash pétrolier et gazier a mis des dollars dans les coffres du trésor, mais il a tué l’économie globale. C’est comme si l’agriculture, les services, le tourisme, l’industrie n’existaient pas, ou à peine. Les grands projets d’infrastructures ont avant tout profité à des entreprises étrangères, particulièrement chinoises. Pékin est devenue le premier partenaire d’Alger, sans endettement, avec des paiements cash, mais l’impact sur le développement réel et la création d’emplois et d’un tissu d’entreprises est resté faible. Le pétrole et le gaz ont soutenu le « souverainisme » algérien et ont permis d’adopter cette posture de fierté, surtout après les humiliations des années quatre-vingt et le recours au FMI (Fonds monétaire international). On est « maître chez soi » en apparence. Mais tout est relatif. Le pays est cruellement dépendant des cours du brut et du gaz, qui sont fixés bien loin d’Alger. Et surtout l’aubaine pétrolière a asphyxié une bonne partie de l’énergie créatrice du pays. Elle a fortement contribué à l’apparition d’un État centralisateur, autoritaire, détenteur de la manne, distributeur des prébendes et des privilèges. C’est le piège dont il faut sortir. La mutation concerne en tout premier lieu la Sonatrach (Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures), véritable boîte noire financière du régime et machine à scandales répétés.


Des enfants jouent au football dans la casbah d’Alger. Le pays est l’un des rares cas d’inversion de la transition démographique. AFRIQUE MAGAZINE

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PRINTEMPS L’ALGÉRIE DEMAIN

Le pays est arabe, africain, musulman, berbère, juif, chrétien, romain, et même un peu marseillais et européen ! avec un potentiel révolutionnaire si les conditions socioéconomiques ne sont pas à la hauteur des attentes. Il faudra assurer aussi la sécurité alimentaire. Les années 2030-2040 risquent d’être assez mouvementées si l’Algérie ne décolle pas économiquement d’ici là. Sans parler des impacts migratoires sur toute la région.

L’urgence d’un nouveau modèle. Les slogans des manifestants de ce « Printemps algérien » évoquent la liberté, la fin du « système », un grand changement politique. Le « peuple » ne parle pas explicitement économie. Et pourtant, les blocages politique et économique vont de pair, alimentés par un attentisme généralisé. La richesse globale baisse depuis 2013. Le revenu par habitant aussi. Il se situe aux alentours de 4 000 dollars par an et par personne (au 10e rang africain et aux environs de la 128e place mondiale). La gestion financière, le budget, la définition d’investissements prioritaires sont tous soumis à une politique de la dépense publique opaque et sans véritable planification. La perte d’opportunité est impressionnante pour un pays ouvert à la fois sur la Méditerranée et sur l’Afrique subsaharienne. Cette redéfinition d’un nouveau modèle a été tentée par une task force, rassemblée par l’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en raison de la chute des cours du Brent, passant de 100 dollars, en juin 2014, à 32 dollars, en janvier 2016. Une hémorragie conjuguée à l’explosion des dépenses sociales pour faire face au Printemps arabe de 2011, avec en conclusion des déficits budgétaires abyssaux. La task force avait proposé un certain nombre de mesures radicales sur la nécessité d’une régulation budgétaire aux normes internationales, sur l’importance de définir des secteurs prioritaires d’investissement et de limiter la lourde facture des subventions sociales. L’objectif était de positionner l’Algérie dans une véritable stratégie d’émergence à l’horizon 2030. Les propositions (novembre 2015-juin 2016) seront prestement remisées au placard avec la perspective des élections de 2019. Surtout pas de changement… Et parce que, finalement, l’ouverture économique, l’opportunité pour tous, la fin des rentes, la rationalisation du rôle de l’État, c’est aussi forcément une forme d’ouverture politique : liberté d’entreprendre, de contester, de consulter, l’apparition de contreforces face au centralisme et au souverainisme d’un État tout puissant, figé dans ces certitudes et peu enclin à évoluer. 26

L’Algérie doit produire elle-même, s’ouvrir à l’initiative privée. C’est l’un des enjeux majeurs. Créer de la richesse nationale qui ne dépende pas de l’État et de ses prébendes, de ses passe-droits, du pétrole et du gaz. Une richesse mieux distribuée, qui puisse s’émanciper de l’oligarchie d’affaires qui a su prospérer à l’abri du pouvoir. L’Algérie est une terre d’opportunités où tout est à faire, où beaucoup est à créer. Il faudrait investir dans l’éducation, pousser les jeunes à être leur propre patron, à se lancer. S’ouvrir au monde aussi, entrer dans la mondialisation, dans l’économie globale. Dans ce domaine, les chiffres sont assez explicites. Le plus grand pays d’Afrique, au cœur de la Méditerranée, passage entre le Nord et le Sud, avec un formidable potentiel, n’intéresse pas vraiment les investisseurs, refroidis par un environnement légal particulièrement peu accueillant. Selon les chiffres 2018 de la Conférence des nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le pays n’a attiré que 1,2 milliard de dollars, loin du « top five » continental. L’Égypte, seul, a bénéficié de 7,392 milliards de dollars, le Nigeria et l’Éthiopie, 3,5 milliards, le Ghana, 3,3 milliards, et le Maroc vient derrière, avec 2,651 milliards de dollars. Dans la nécessaire reconquête, le pays peut compter sur ses propres forces, mais aussi se tourner vers ses amis à l’extérieur. Faire appel à sa diaspora bien formée – elle est nombreuse –, souvent en Europe. On pourrait aussi solder les comptes de l’histoire, renouer le dialogue avec les communautés juives d’origine algérienne et, pourquoi pas, même, avec les descendants des pieds-noirs. Ouvrir la discussion avec tous ceux qui voudraient apporter leur savoir-faire à la construction de cette Algérie nouvelle.

L’une des clés serait de relancer, enfin, l’Union du Maghreb. On ne peut présager de rien, mais l’avènement d’une République plus démocratique pourrait enfin ouvrir une nouvelle ère pour le projet maghrébin. Le premier moment fondateur serait la normalisation progressive avec le Maroc, la réouverture des frontières, avant un accord stratégique, à plus long terme, sur la question saharienne. On peut rêver et espérer, mais ce réchauffement serait d’une importance majeure pour la région. Nous sommes ici sur l’une des frontières les plus brutales et les plus inégalitaires au monde. D’un côté, la forteresse Europe, AFRIQUE MAGAZINE

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Dans les rues d’Alger, le 12 mars 2019 : les femmes se sont approprié un espace que beaucoup voudraient leur interdire. riche, opulente, avec un revenu moyen par habitant de plus de 23 000 dollars par an. De l’autre, des pays du Maghreb désunis, avec des revenus moyens de 5 000 dollars, pratiquement concurrents entre eux, facilitant la tâche des grandes entreprises internationales… Entre Alger et Marseille, il y a une heure d’avion, et pourtant la mer Méditerranée paraît infranchissable. Un véritable tombeau aussi pour des jeunes migrants, y compris maghrébins, à la recherche d’un futur. Entre Alger et Rabat, Alger et Tunis, il y a aussi une courte distance par les airs, et surtout de longues frontières terrestres. Tout devrait inciter à un rapprochement fort, à des politiques communes, à la création d’un marché ouvert, avec des opportunités pour tous. Il est plus que temps de lancer ce processus, et l’Algérie a un véritable rôle historique à jouer. Au-delà même des considérations économiques, ce processus d’unification fait sens. Il y a une certaine exception maghrébine à l’Occident du monde arabe. Ici en Tunisie, en Algérie, au Maroc, il y a une tentative historique de créer un État moderne, séculier, relativement démocratique et ouvert sur le monde, capable aussi d’intégrer sa dimension politique religieuse et conservatrice. Le défi est de taille, mais c’est le seul endroit dans la sphère arabe où cette tentative de réforme est en marche. AFRIQUE MAGAZINE

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Résoudre le choix de société. Entrer dans la « réforme » implique de répondre enfin aux questions, aux interrogations du vivre ensemble, longtemps étouffé par un double conservatisme. Celui de l’État-FLN porté par la légende du nationalisme. Et celui de l’islamisme social et politique, du rigorisme religieux, qui a largement anesthésié la vie au quotidien. Mais cette société est nettement plus complexe que ces deux narrations voudraient le faire croire. L’Algérie est diverse, elle l’a toujours été. Son identité est plurielle. Comme celle de tout le Maghreb, soumis aux courants de l’histoire. Elle est arabe, africaine, musulmane, berbère, juive, chrétienne, romaine, et même un peu marseillaise et européenne ! Elle doit se réconcilier avec ses minorités et ses langues, se rapprocher des gens du Sud et de la côte, sortir des conflits stériles entre « l’Est » et « l’Ouest ». Et surtout, rendre ce qu’elle doit aux femmes, toujours en première ligne du combat : lors de la guerre de libération, de la sale guerre, et depuis les grandes manifs du « Printemps algérien ». Depuis des semaines, jeunes, moins jeunes, tête nue ou recouverte d’un foulard, elles se sont approprié la rue que beaucoup voudraient leur interdire. Dans cette seconde République en train de naître, il faudra les écouter et répondre à leurs exigences : l’égalité des droits, des devoirs, et la réforme du code de la famille. ■ 27


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LES MYSTÈRES Le Cameroun fait face aux crises. Au palais d’Étoudi,

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DE YAOUNDÉ on tient la barre, selon un système à part, immuable.

par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale

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La capitale aux sept collines compte un peu plus de 3,5 millions d’habitants.

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le rythme de travail est le même. Ses collaborateurs, qui le suivent au pied levé, valise toujours prête, en savent quelque chose. Les affaires du pays, les audiences, les décrets et décisions se gèrent à la même cadence. Point de villégiature ou d’oisiveté quelconque, n’en déplaise aux rumeurs. Ce mode de gouvernance étonnant a fait ses preuves, commente-t-on souvent dans l’entourage. « Et ce n’est pas maintenant que le président changera de braquet », ajoute un proche du pouvoir. Plus loin, en ville, on s’est aussi habitués à ce mode de fonctionnement. Les Camerounais le reproduisent à leur niveau. Les cérémonies familiales interminables, où une grande chaise aux contours dorés est dressée pour l’élite au premier rang, rappellent que le modèle du protocole empesé et des rites immuables hérités d’Étoudi (et un peu des traditions bantous où le chef est vénéré) a été durablement intégré dans le quotidien. Et comme souvent dans ces pays où le pouvoir, hyper-personnalisé, dure, on entend cette phrase : « On aime notre président, hoooo ! Il faut nous le laisser. Où en serait-on sans lui ! » prononcée ici par une jeune coiffeuse de la capitale administrative. Depuis près de quatre décennies, on a érigé, sous influence bénéfique du chef de l’État, le concept de la paix en étendard. Martelée à chaque slogan de campagne et ponctuant les discours officiels, la paix, farouchement préservée, serait une valeur particulièrement chère au cœur des Kamers. UNE ACTUALITÉ QUI INQUIÈTE Pourtant, en cette mi-avril, où chacun regardait le ciel, incrédule, en attendant les pluies salvatrices de la saison, l’ambiance à Yaoundé a changé. De manière presque indicible. Et depuis de longs mois. Car peu à peu, l’actualité, implacable, brutale, pérenne, s’employait à contredire les valeurs et les certitudes des citoyens, faisait (presque) vaciller le système AFRIQUE MAGAZINE

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aoundé. L’immuable. Mi-avril, en début de saison des pluies… où il ne pleut pas. Le palais d’Étoudi, temple de tous les secrets du président Paul Biya, 86 ans, qui gère le destin du Cameroun depuis trente-six ans, domine la capitale administrative plombée par le soleil, du haut de l’une de ses sept collines. C’est ici que tout se décide, que tout se joue pour l’un des plus grands pays d’Afrique centrale et ses 10 provinces. C’est ici que les rares proches collaborateurs du « patron » et une batterie de conseillers s’activent tous les jours jusqu’à pas d’heure dans des couloirs feutrés et silencieux aux murs recouverts de boiseries claires. Ils organisent inlassablement l’interface entre le « Sphinx » et l’extérieur, les visiteurs, le gouvernement, les nominations, le peuple, les cérémonies, les crises… Paul Biya a imposé une hyper-présidence particulière, un système à part, objet de tous les fantasmes en ville et à l’étranger, avec son lot de rumeurs et d’intox. Sa parole est rare, ses conseils des ministres rarissimes, ses sorties en public aussi. Une attitude calculée, certainement, qui laisse le champ libre aux bavardages de ceux qui croient savoir, qui ont mal vu ou « à qui on a dit ». Et qui alimente à vau-l’eau le violent déchaînement de fausses nouvelles sur le Net ou dans la presse privée. À Yaoundé, il n’est pas rare de déjeuner avec une personnalité qui a été donnée morte de source sûre par un journal ou sur un blog le matin même. Paul Biya laisse faire, laisse dire. Il ne suit jamais les prédictions des analystes locaux sur tel remaniement ou tel limogeage attendu, ni les dictatures du calendrier, ni non plus les conseils, parfois très appuyés, de telle ou telle puissance occidentale critique sur ses méthodes. « Et puis, tout à coup, il surprend. Il met untel en prison ou nomme un autre à un poste inattendu », commente un ministre en souriant. L’hôte d’Étoudi cultive le paradoxe. On le dit isolé et en même temps extrêmement informé par des sources volontairement diverses qu’il recoupe à loisir, afin de débusquer ceux qui tenteraient de l’abuser. Un vrai chef, en somme, qui ne rechigne pas à diviser pour régner, selon l’adage. Le savant équilibre ethnique, qui prévaut dans la composition du gouvernement ou dans toute nomination officielle au Cameroun depuis des lustres, crée des élites dans chacune des régions, qui se jalousent entre elles et se calomnient par médias interposés. Les détracteurs du président lui reprochent ses absences et ses longs séjours à Genève ou dans sa villa de Mvoméka, son village bulu du Sud. Pourtant, même loin de Yaoundé,

Paul Biya a imposé une hyper-présidence particulière, objet de tous les fantasmes.


Discours du chef de l’État, le 18 janvier dernier, lors de la cérémonie de triomphe de la 36e promotion de l’École militaire interarmées (Emia) baptisée « Unité et Diversité ».

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ÉCONOMIE : ENTRE CHOCS ET RÉSILIENCE

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À Douala, la politique des grands travaux et les investissements continuent. Témoin, l’achèvement du deuxième pont sur le Wouri.

et, tout au moins, engendrait une lueur d’inquiétude tenace dans les yeux de la plupart… Et pour cause. Le grand pays « en paix » est aujourd’hui exposé objectivement à trois « fronts de guerre », différents, mais tout aussi complexes à neutraliser. La guerre, menée sans relâche par la secte Boko Haram, qui terrorise l’Extrême-Nord depuis près d’une décennie, a d’abord été plus ou moins escamotée. À Yaoundé, on parlait volontiers, au début, d’une question nigériane. Mais les troupes du chef incontrôlable Abubakar Shekau ont eu vite fait d’enjamber les frontières et de sévir dans les abords du lac Tchad, d’investir les campagnes camerounaises avoisinantes, où meurtres et enlèvements se sont propagés. La riposte du pouvoir central et les troupes déployées dans la région ont finalement réussi à affaiblir la force de frappe de Boko Haram. Mais malgré quelques annonces enthousiastes du gouvernement en 2018, qui faisaient dire en ville : « Boko Haram, c’est fini ! », les actes terroristes dans la région n’ont pas cessé. Les villageois et les forces de sécurité en payent le prix régulièrement, dans une région désertée par les investissements et dévastée par une crise économique sans précédent. UNE PAIX FRAGILISÉE L’autre front, dont on parle moins, mais qui mobilise une bonne partie des effectifs d’hommes en tenue qui gardent farouchement la frontière avec la Centrafrique, c’est l’Est. Ici, plus de 160 000 réfugiés, fuyant les attaques des anti-balakas, se sont installés du côté camerounais depuis 2013, mettant en péril la stabilité de la région. Enfin, la crise anglophone, partie en 2016 de revendications corporatistes assez rapidement comblées par le pouvoir de Yaoundé, a pris de l’ampleur. Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, par la voie d’une frange ultra d’anglophones AFRIQUE MAGAZINE

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u chevet d’une économie affectée par la crise des matières premières depuis trois ans, les institutions internationales se succèdent. Dernière en date, le Fonds monétaire international (FMI), arrivé fin avril à Yaoundé pour évaluer la mise en œuvre du programme de réformes conclu en 2017. Pour Corinne Delechat, haute responsable du FMI qui conduisait cette mission incluant la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD), « on a constaté une progression nette des recettes non pétrolières et une consolidation budgétaire plus ou moins en droite ligne du programme ». Au total, le pays devrait bénéficier de 396 milliards de francs CFA pour se renflouer dans ce contexte de fortes tensions financières, qui ont conduit Standard & Poors à abaisser sa note. Pourtant, dans une zone Cemac où la crise économique a fait d’importants dégâts, le Cameroun fait figure d’exception avec une croissance de 3,8 % en 2018 quand d’autres États sont en récession. « La croissance projetée du PIB réel devrait atteindre 4,4 % en 2019 et 4,7 % en 2020 grâce à la mise en activité d’infrastructures de production, énergétique et de transport, et la remontée des cours mondiaux du pétrole », indique la BAD qui se réjouit de la bonne maîtrise de l’inflation (moins de 3 %). En interne, le gouvernement essaie de rationaliser les dépenses pour limiter le déficit. Dans une circulaire du 11 mars dernier, le ministre des Finances, Louis Paul Motazé, engageait à « éviter le gaspillage des ressources publiques et ne dépenser qu’à concurrence de ce dont le Cameroun peut disposer comme ressources financières », rappelant que « le pays est frappé de plein fouet par une crise préoccupante liée à la baisse des prix des matières premières, ce qui induit une baisse des recettes de l’État, tandis qu’au plan interne, les défis à relever sont nombreux et exigent d’importantes ressources financières ». Du côté du privé, la crise n’a pas affecté l’élan des entrepreneurs. Le 26 avril, le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, s’est rendu à Kekem, dans l’Ouest, pour inaugurer la plus grande usine de transformation de cacao, mise en place par Emmanuel Neossi avec le soutien du gouvernement et des banques. Pour Alamine Ousmane Mey, le ministre de l’Économie, « l’objectif est d’instaurer un climat des affaires et un environnement propice aux investissements rivés ». ■ François Bambou


Octobre 2018. Les soldats du bataillon d’intervention rapide (BIR) sécurisent Buéa, capitale de la région du Sud-Ouest.

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séparatistes, se sont embrasées. Là encore, la réponse sécuritaire porte diversement ses fruits. Idem pour les pourparlers de paix. Finalement, ces deux régions sont aujourd’hui en proie à l’instabilité et à l’isolement. Une économie de guerre commence à prospérer. La région du Sud-Ouest, qui a du pétrole et du gaz, aiguise les convoitises. Et les populations locales, terrorisées par la violence des Ambazoniens (séparatistes qui rêvent d’un État indépendant appelé Ambazonie) fuient les lieux, venant grossir les régions avoisinantes. REDRESSER LA BARRE COÛTE QUE COÛTE Devant ces crises qui perdurent, les voix venues d’ailleurs commencent à se faire entendre. Ce qui n’a jamais été du goût d’Étoudi, allergique à toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures. Les rapports d’organisations des droits de l’homme, alertées le plus souvent par une diaspora antiBiya plutôt active, se succèdent, dénonçant tels ou tels agissements du pouvoir ou des forces armées. L’arrestation fin janvier du candidat du MRC (Mouvement pour la renaissance du Cameroun), Maurice Kamto, ancien ministre, qui s’était autoproclamé vainqueur à la présidentielle de novembre, a fait couler beaucoup d’encre. Et la récente adoption par le Parlement européen d’une résolution visant la situation politique et les abus des droits de l’homme dans le pays, en dénonçant entre autres les dérives de la situation sécuritaire en zone anglophone ou un jugement militaire inapproprié AFRIQUE MAGAZINE

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Le pays « en paix » est exposé aujourd’hui à trois « fronts de guerre », différents, complexes à neutraliser. pour un civil, Maurice Kamto, a déclenché le courroux de la classe dirigeante. Et cette réponse cinglante du ministre de la Communication, René Sadi : « Le gouvernement camerounais s’élève radicalement contre cette résolution du Parlement européen et exprime son indignation face à un acte empreint de partialité, qui s’apparente à une kyrielle de contre-vérités, d’affirmations gratuites, de récriminations infondées et d’injonctions assorties de chantage, dirigées contre les autorités camerounaises et nos forces de défense et de sécurité ». Fin avril, la presse locale, pro comme anti-Biya, avec mesure ou virulence, soutenait d’une seule plume la réaction camerounaise, fustigeant comme à l’accoutumée toute critique venant 33


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gérie de la participation politique des femmes, Justine Diffo Tchunkam est l’une des principales figures de la société civile camerounaise. Fondatrice de More Women in Politics, une plate-forme de soutien à l’entrée massive des femmes en politique, elle œuvre à la sensibilisation des acteurs sociaux, de l’opinion et des pouvoirs publics sur la nécessité de l’implication de la gent féminine aux processus décisionnels. Elle plaide pour une parité aux postes électifs, à inscrire dans la Constitution. Si l’objectif n’est pas encore atteint, des évolutions conséquentes ont déjà été obtenues, comme l’instauration d’un quota minimal de 30 % de candidatures féminines dans les listes au Parlement, ainsi qu’aux conseils municipaux et régionaux. Justine Diffo Tchunkam agit aussi dans d’autres domaines, allant des droits humains à la protection des consommateurs, en passant par le recours judiciaire, la promotion de la santé ou encore le plaidoyer pour les problématiques climatiques. Dans ce pays qui occupe une Justine Diffo Tchunkam, bonne partie des forêts du bassin fondatrice de la plateforme de soutien More du Congo, où les impératifs du Women in Politics. monde économique se trouvent souvent en opposition avec les objectifs de développement durable et la quiétude des populations des zones forestières, l’engagement de la société civile est déterminant. Son rôle est apprécié par les populations et bénéficie souvent du soutien de l’État. En revanche, l’exercice de leurs activités est moins facile lorsqu’elles touchent à des sujets sensibles, comme la lutte contre le terrorisme et le respect strict des droits de l’homme. Dans un contexte où les terroristes de Boko Haram tuent et pillent à l’Extrême-Nord, ces rappels à l’ordre de la société civile sont diversement appréciés par le gouvernement et par une majeure partie de l’opinion publique. Cela ne décourage pas pour autant des acteurs majeurs et internationaux, tels que Maximilienne Ngo MBE, directrice exécutive du Redhac (Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale), qui multiplie les mises en garde aux autorités politiques et militaires. ■ F.B.

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de l’extérieur. L’un des rares tweets du chef de l’État tombait quelques jours plus tard, venant encourager l’élan nationaliste et populaire : « Nous n’avons qu’une patrie. Il est de notre devoir de la défendre et de la conduire, tous ensemble, sur les chemins de la grandeur et de la prospérité pour tous. » Il n’empêche, derrière le sacro-saint nationalisme et l’attachement, non plus à la « paix », mais au « retour à la paix », le bateau Cameroun traverse une tempête qui s’annonce dure. L’économie aussi commence à s’en ressentir [voir encadré]. Et les inquiétudes se partagent, dans les salons des villas particulières des officiels, où ils s’avèrent un peu plus prolixes qu’au bureau. « C’est dur aux finances… Les guerres nous coûtent cher. Le FMI nous tient à l’œil. La marge de manœuvre devient de plus en plus étroite », confie un proche du pouvoir. Un autre, plus tard, dénonce une dérive ethnique dans le pays : « Le Cameroun change. Le vivre ensemble se fissure dans le quotidien. On se jauge, on attribue trop vite tel propos ou tel acte à l’activisme de tel groupe, de telle région. On se méfie des Nordistes, des Anglo… » On se demande aussi ce qui se passera aux prochaines législatives, qui devraient se dérouler en novembre, si le parti de Maurice Kamto, ou quelques voix nouvelles de l’opposition qui sont apparues à la dernière présidentielle, marquent des points face à la machine qui semble toujours invincible du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), le parti au pouvoir. UN AVENIR « OUVERT » Dans les quartiers de Yaoundé, on veut encore croire en un Cameroun uni. Et l’on n’imagine pas l’avenir sans Paul Biya. On compte sur sa sagesse, son expérience. Le soir, on fréquente le nouvel établissement à la mode au centre-ville, le Boukarou, où les seaux à champagne continuent à fleurir les tables, entre les braisés et les sauces feuilles. On écoute en fermant les yeux l’orchestre live qui enchaîne les chansons à la mode et les ritournelles locales. Comme pour oublier que les temps sont en train d’évoluer, que les compatriotes finalement tellement éloignés de Buéa ou de Maroua font certainement moins la fête et que l’avenir n’a jamais été aussi incertain. Ouvert, aussi. 70 % de la population camerounaise a moins de 35 ans, et n’a connu que le système Biya. Au fond, chacun sait qu’un jour, peut-être après le septième septennat entamé par le président en 2018, il faudra construire un autre modèle, s’inventer un avenir. Mais aujourd’hui, à Yaoundé, on évite de se projeter trop loin, de penser à l’après, aux scénarios, aux dauphins putatifs, persuadé que la clé réside à Étoudi, que le « patron » trouvera forcément la solution aux crises du moment. Une seule obsession, au Palais comme en ville : le Cameroun doit retrouver la paix. Alors, on scrute le ciel, en attendant cette pluie programmée, qui ne tombe pas encore… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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UNE SOCIÉTÉ CIVILE EN ÉTAT D’ALERTE


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LE CENTRE MÉDICO-SOCIAL DE CAMRAIL une initiative privĂŠe au service des camerounais La structure hospitalière de Bollore Railways reprĂŠsente un vĂŠritable atout pour les salariĂŠs, leurs familles et les populations riveraines.

EngagĂŠ pour lutter contre le sida

Grâce Ă ses 7 mĂŠdecins et Ă sa trentaine de personnels soignants rĂŠpartis dans 5 centres mĂŠdicaux de Douala, YaoundĂŠ, Belabo, Mbitom et NgaoundĂŠrĂŠ, le &HQWUH PpGLFR VRFLDO DVVXUH HQ PR\HQQH 35 000 consultations chaque annĂŠe. ,O HVW GRWp Š G¡XQ ODERUDWRLUH G¡DQDO\VHV biomĂŠdicales, d’une unitĂŠ de vaccination, d’une salle de radiographie, d’une unitĂŠ de kinĂŠsithĂŠrapie, des services dentaires et ophtalmologiques, d’une pharmacie et d’un service d’urgences ĂŠquipĂŠ d’ambulances et de secouristesÂť explique le Dr Sockeng, mĂŠdecin conseil de CAMRAIL.

Paul Emmanuel Nwaha, porte-parole GHV V\QGLFDWV GX UDLO SHQVH TX¡ ÂŤ au Cameroun, les soins de santĂŠ sont le 1er poste de dĂŠpenses des mĂŠnages. Quand un employeur assure une prise en charge personnalisĂŠe de son personnel et des membres de leurs familles dans des conditions optimales d’accueil et de suivi, nous ne pouvons que nous en fĂŠliciterÂť. Ce centre s’inscrit dans la dĂŠmarche de responsabilitĂŠ sociale de BollorĂŠ Transport & Logistics. Il agit pour le dĂŠveloppement des communautĂŠs locales et contribue au bien-ĂŞtre des populations. Cette initiative de CAMRAIL a reçu le prix Marikana RSE RH par l’Institut Afrique RSE, en raison de l’exemplaritĂŠ de sa dĂŠmarche sociale.

Blandine Sockeng

MĂŠdecin conseil de CAMRAIL ÂŤ Nous sommes un service public particulier Âť ÂŤLe management de CAMRAIL a souhaitĂŠ que le Centre soit ouvert ĂŠgalement aux riverains. Nous organisons des campagnes de vaccinations au cours de l’annĂŠe. Mais il y a aussi les FRQVXOWDWLRQV GH URXWLQH DX EpQpĂ€FH des femmes enceintes ou encore des enfants en bas âge. C’est bien la preuve que nous sommes un service public assez particulier. Le Ministère a autorisĂŠ la crĂŠation d’une unitĂŠ du programme ĂŠlargi de vaccination au sein de notre centre. Elle assure les opĂŠrations de vaccination du personnel et des ayants droit de CAMRAIL, mais aussi des femmes enceintes et enfants des populations riveraines du rail.Âť

bollore-transport-logistics.com

SC BTL-04/19

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e Centre mĂŠdico-social CAMRAIL de Douala-Bassa n’Êtait encore TX¡XQH VLPSOH LQĂ€UPHULH LO \ D DQV $XMRXUG¡KXL LO IDLW OD Ă€HUWp de l’entreprise et accompagne le service public dans une de ses missions premières : veiller Ă la santĂŠ des populations. ÂŤ Nous avions voulu nous donner les moyens d’être aux cĂ´tĂŠs des employĂŠs pour leur assurer une bonne santĂŠ en leur apportant des soins mĂŠdicaux adĂŠquats. Les moyens investis, 17 milliards de FCFA depuis 1999, ont donnĂŠ Ă la politique santĂŠ, une dimension unique au Cameroun Âť, souligne Florence Epeti-Koum, Responsable des ressources humaines.

Le centre mĂŠdico-social de CAMRAIL, partenaire depuis 2005 du ComitĂŠ National de Lutte contre le Sida, assure la prise en charge Ă 100% des collaborateurs HW D\DQWV GURLW PDODGHV /H FHQWUH FRQGXLW les opĂŠrations de dĂŠpistage volontaire HW DQRQ\PH GH GLVWULEXWLRQ JUDWXLWH GH prĂŠservatifs, l’animation du rĂŠseau de 88 pairs ĂŠducateurs dont 6 pairs ĂŠducateurs conseillers... Le lecteur de CD4 acquis par CAMRAIL et qui permet le suivi biologique des personnes malades, a dĂŠterminĂŠ le Ministère de la SantĂŠ Publique du Cameroun Ă doter ce Centre, d’une unitĂŠ de prise en charge des personnes vivant avec le VIH/Sida.


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RENÉ TRABELSI SAYED EL-WAZIR !

Nommé le 5 novembre 2018, « Monsieur le ministre » du Tourisme et de l’Artisanat est un enfant de Djerba, de confession juive. Une situation que la Tunisie n’avait pas connue depuis la fin des années 1950. Et unique à ce jour dans le monde arabe. Qui ne va pas sans controverses. Portrait.

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REUTERS/ZOUBEIR SOUISSI

par Zyad Limam et Frida Dahmani


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À l’Assemblée des représentants du peuple, à Tunis, 37 le 12 novembre 2018.


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efficace. De toute façon, cela lui importe peu : « Ce qui compte, c’est la Tunisie ; et j’ai été choisi avant tout parce que je suis un professionnel du tourisme. » Son affectation a pourtant suscité une levée de boucliers, malheureusement prévisible. En Tunisie, la communauté juive est installée depuis des siècles. Cela n’empêche pas les suspicions, notamment de « sionisme », accusation souvent facile dans un pays au nationalisme pointilleux, bien plus attaché à la cause palestinienne que d’autres États arabes de la « ligne de front ». Et accusation équivalente en ces temps troublés à une mise en danger. L’OLP (Organisation de libération de la Palestine) s’est installée à Tunis après l’exode de Beyrouth, et les Tunisiens se souviennent encore du bombardement de Hammam Chott par l’aviation de Tsahal (octobre 1985) ou de l’assassinat d’Abou Jihad (Khalil al-Wazir) par un commando israélien (octobre 1988, à Sidi Bou Saïd). Dans le pays, la diversité des populations n’a jamais entraîné un réel débat de fond sur le vivre-ensemble et le multiconfessionnalisme. Les blessures du passé, pour les uns et pour les autres, n’ont jamais été véritablement évoquées, discutées, confrontées. Celles du sionisme, tout comme celles des violences antisémites ou de l’exil des juifs au lendemain de l’indépendance, ou encore de la guerre des Six Jours. René Trabelsi a perdu l’un de ses neveux, âgé de 5 ans, lorsqu’un policier a vidé son chargeur sur un groupe de juifs à Djerba. Au lendemain de l’attaque à Hamman Chott… Ces drames ne font pas partie, pour de nombreux Tunisiens, de « l’histoire de tous ». La nouvelle constitution de 2014 tente d’apporter des réponses et un cadre légal nouveau à ces coexistences. Le texte donne les mêmes droits et devoirs à tous les citoyens, protège les communautés et consacre la liberté de culte et de conscience, mais dans les faits, tout cela demeure bien fragile. UN LIEN ANCESTRAL AVEC DJERBA D’où finalement l’importance de René Trabelsi aujourd’hui, malgré les critiques de « nationalistes de tous bords » mettant en cause sa tunisianité pour cause de judaïté. Le ministre est le premier à revendiquer sa citoyenneté, son appartenance à une terre de tolérance et de diversité. Ce ne sont pas des propos creux ou des lieux communs. Ils traduisent son histoire et son lien ancestral avec Djerba : « La Tunisie m’a beaucoup donné, et c’est l’occasion de lui montrer ma gratitude. » Trabelsi n’a pas besoin d’une loi fondamentale pour se sentir chez lui ; la Tunisie est son pays, et Djerba le centre de son monde. « Je n’ai certes pas atteint le baccalauréat, mais j’ai acquis les connaissances essentielles pour être une personne productive, et AFRIQUE MAGAZINE

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i-avril au ministère du Tourisme et de l’Artisanat, au centre de Tunis. C’est un bureau sobre tout en bois ouvragé, où des objets d’artisanat sont exposés, son quartier général depuis que ce portefeuille lui a été attribué en novembre 2018. Mais René Trabelsi passe le plus clair de son temps sur le terrain ou entre deux avions. Il se dépêche d’ailleurs. Il part inaugurer le Club Med de Djerba la Douce qui marque le retour en force du voyagiste « français » (avec des capitaux chinois) sur l’un des sites mythiques, après une éclipse de près de dix ans. Un événement pour le tourisme tunisien à la veille d’une haute saison prometteuse, qui porterait le nombre de visiteurs annuels à 9 millions. Un record par rapport à l’année 2010, marqueur de référence. Pourtant, rien n’était gagné d’avance, mais, à 57 ans, l’ex-patron du tour-opérateur Royal First Travel sait compter sur son expérience. Depuis ses débuts dans le tourisme dans les années 1990, il a couru le risque de ne travailler que sur un seul produit, la destination Tunisie. Il sait affréter des avions, remplir des hôtels, gérer le réceptif. Avant lui, des personnalités comme Mehdi Houas et Amel Karboul, qui ont largement fait leurs preuves, ont essayé de redresser la barre d’un tourisme malade, avec un produit vieillissant, en panne de modèle, fragilisé par les éruptions politiques et les attaques terroristes de 2015. Mais « Monsieur René », déjà sollicité pour ce poste en 2014, a l’avantage d’avoir évolué dans le secteur, de connaître les personnes, les rouages administratifs, les problèmes des intervenants et les contraintes de terrain. En tout cas, il se sent investi d’une mission. Et ce n’est pas la politique ni les passions identitaires qui le feront reculer. René Trabelsi est né à Djerba, en 1962, d’une famille juive influente. Tunisien mais aussi français, il est le deuxième des cinq fils de Perez Trabelsi, président de la communauté juive de l’île et du comité de la Ghriba [voir encadré], plus vieille synagogue du monde arabe et lieu de pèlerinage à portée mondiale. Sa nomination va au-delà de l’aspect professionnel. Elle est fortement symbolique : un ministre de confession juive est une grande première depuis 1957, avec Albert Bessis et André Barouch. Et la Tunisie est le seul pays arabe à ce jour à compter un ministre juif dans les rangs de son gouvernement. Cette nomination témoigne évidemment de la modernité complexe de la Tunisie postrévolutionnaire. Le ministre sait qu’il est probablement aussi là pour montrer le visage d’une diversité de bon aloi, pour rassurer les investisseurs, les voyagistes et les voyageurs. La presse internationale a suivi ses premiers pas. Si opération de communication politique il y a eu, elle a été


« La Tunisie m’a beaucoup donné, et c’est l’occasion de lui montrer ma gratitude. » Juillet 2015, deux semaines après l’attentat de Sousse, les plages touristiques de Hammamet sont désertes.

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TUNISAIR À L’AGONIE

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a compagnie aérienne qui bat pavillon national a du plomb dans l’aile et provoque l’indignation des passagers avec plus de 34 % de vols en retard, le record allant jusqu’à 40 heures sur un vol Lyon-Tunis le 14 avril 2019. « Avec six avions sur 28 cloués au sol, la compagnie n’a pas les ressources pour remplacer les pièces manquantes et les moteurs, elle a du mal à honorer ses dettes et ses factures », explique Karim Elloumi, président de la Fédération tunisienne des pilotes de ligne (FTPL). Depuis 2011, le dossier Tunisair est la patate chaude que se sont passée tous les gouvernements sans apporter un début de solution, d’autant que la privatisation de la société n’est plus à l’ordre du jour après un tollé syndical. Mise à mal par la réintégration de filiales exigée par les revendications sociales, qui a porté sa masse salariale annuelle à 300 millions de dinars, elle peine à appliquer un plan de restructuration drastique et se défaire de 1 200 agents sur un total de 7 800 employés. Après les attentats de 2015, la crise du tourisme, qui représente 60 % de ses revenus, et la perte du marché libyen à la suite du conflit en Libye, Tunisair est en pleines turbulences. Autant d’avatars qui se sont répercutés sur les finances du transporteur qui ne peut plus se fournir en pièces détachées, peine à assurer la maintenance des appareils et à renouveler sa flotte. À la veille d’une haute saison, René Trabeslsi alerte : « Les retards accusés par les vols coûteront cher au tourisme tunisien. » Engluée dans les problèmes, l’entreprise, symbolisée par une gazelle rouge, s’est focalisée sur l’ouverture du ciel tunisien, qu’elle a tenté de retarder pour maintenir son monopole, et a raté le virage de son développement par absence de stratégie. Résultat, elle enregistre un recul de 2,7 % de son trafic passagers et les accords de l’Open Sky avec l’Union européenne sont en cours de signature. Sauver Tunisair d’une mort certaine exige la volonté politique de trancher dans le vif ; tout à fait improbable en année électorale. ■ F.D.

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AUTHENTICITÉ, SINGULARITÉ ET EXPÉRIENCE Tous sont d’accord : à son poste, René Trabelsi n’a pas pris la grosse tête. Ce père de trois enfants – et déjà jeune grandpère – dont l’épouse se consacre à la famille, ne s’encombre pas de protocole. À chaque passage à Djerba, il fait un détour par Hara el-Kebira, où il a été à l’école, pour déguster une brick (pâte frite farcie d’œuf et de pommes de terre) et déambule pieds nus comme lorsqu’il était enfant, dès qu’il arrive à la Ghriba. Il répond encore personnellement aux appels. « C’est le seul ministre à être facilement joignable », s’enthousiasme une correspondante étrangère. Passionné de football, il impose la grande vitesse à ses équipes. « Il sait déléguer et n’oublie rien », assure l’une de ses collaboratrices. Il parle couramment l’arabe dialectal et s’oblige à l’usage de l’arabe littéral (fusha) quand les conditions l’exigent, par exemple lorsqu’il s’exprime devant le Parlement. Celui qui endosse volontiers la jebba, habit traditionnel tunisien, n’a pas oublié qu’il est aussi chargé de l’artisanat, secteur cousin du tourisme. C’est aux souks de Tunis qu’il a réservé l’une de ses premières sorties ; l’occasion d’un état des lieux mais surtout d’affirmer qu’il « ne combat pas les produits chinois, mais la contrefaçon ». C’est grâce à son authenticité,

n’est-ce pas là le but ultime de l’instruction ? » rétorque-t-il à ceux qui lui reprochent un cursus théorique faiblard. Ce bon vivant autodidacte raconte avec gouaille et humour son arrivée à Paris au début des années 1980 et sa façon de résorber le passage du village de Hara Sghira (où il a grandi) à la capitale « gauloise ». Un choc culturel qui n’a pas empêché ce self-mademan de gérer des franchises de supermarchés Franprix, avant de se lancer dans le tourisme. Et de choisir la Tunisie comme terre d’investissement. Il vit alors entre les « trois rives » de la

Méditerranée : les côtes de Djerba, Tunis et la France. Il remplit les avions et hôtels et contribue surtout à préserver le lien entre la Tunisie et sa communauté juive. Pour cela, il s’est appuyé sur le pouvoir, aussi bien du temps de Ben Ali qu’après la révolution. Le pèlerinage de la Ghriba devenant un marqueur du lien, mais aussi de la stabilité et de la sécurité du pays. Après l’attentat contre la synagogue en 2002, au moment des troubles révolutionnaires, et après les attentats meurtriers de Sousse et du Bardo en 2015, il a fallu tenir la barre. La Ghriba est le territoire des Trabelsi, René et Perez – le patriarche –, lequel, après le grand-rabbin, fait autorité auprès de la communauté juive de Djerba. Avec une famille gardienne des lieux depuis plusieurs générations, c’est assez naturellement que René est devenu l’un des organisateurs du pèlerinage qui mobilise l’île chaque mois de mai selon les dates du calendrier lunaire. Mais les temps ont changé. Sous Ben Ali, on pouvait parler d’une sorte de judaïsme tunisien officiel, cloisonné, un accueil à l’écart du reste de la population. La révolution a tout changé. Il faut réapprendre à vivre ensemble, à se connaître vraiment. La Ghriba fait partie du processus. Cette année, le ministre compte attirer 8 000 pèlerins, comme pour signifier que le pays est en paix avec lui-même, à l’abri des violences, même si le conflit libyen s’embrase à 100 km de là. Un pèlerinage réussi est généralement annonciateur d’une grande saison estivale, 2019 étant une année particulière, puisque le pèlerinage de la Ghriba coïncide avec le Ramadan. « De quoi véhiculer l’image de tolérance et de paix de la Tunisie », souligne l’homme. On croise les doigts !

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La synagogue de la Ghriba, à Hara Sghira, est le plus ancien lieu de culte juif en Méditerranée.

La communauté juive de Djerba

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elon la légende, mais aussi de nombreux historiens, Djerba a été le refuge en Méditerranée de la première communauté juive fuyant la destruction du temple de Salomon en 586 av. J.-C. Les enfants de cette diaspora ont fait souche et vécu en symbiose avec la population locale. À la veille des grands conflits du XX e siècle, la communauté juive en Tunisie comptait 100 000 âmes ; soixante ans plus tard, ses descendants ne sont plus que 1 200, dont 700 à Djerba, établis entre Hara el-Kebira et Hara Sghira. Certains sont partis au lendemain de l’indépendance, mais ceux qui sont restés sont devenus gardiens des traditions et du temple, celui de la synagogue de la Ghriba, à Hara Sghira. Le plus ancien lieu de

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culte juif en Méditerranée, dont l’un de ses piliers recèlerait une pierre du temple détruit, s’élève sur une colline où vivait en ermite une sainte que les autochtones qualifiaient de « ghriba », « étrange » en français. Le nom est resté, comme pour marquer la dévotion particulière dont la synagogue fait l’objet. Après une brève éclipse au lendemain de l’attentat de 2002 contre la synagogue, ils étaient 6 000 pèlerins en 2018 et seront près de 8 000 en mai 2019 à venir y exprimer toute la ferveur de leur foi et célébrer la fête rituelle de Lag Ba’omer. Cet espace mystique, où résonnent les psalmodies de la Torah, a reçu des fidèles de Libye et de Tunisie pendant plusieurs siècles, puis est devenu dans les années 1980, sous l’effet du tourisme mais aussi de

la communauté, un lieu de pèlerinage clé symbole de l’attachement des séfarades à leurs traditions. Le rassemblement de la Ghriba est surtout une rencontre haute en couleurs et bon enfant ; sous les youyous des femmes, on se retrouve et s’interpelle, on danse et on rit autour de plats et de musiques traditionnelles. Ce pèlerinage qui a tout d’une fête, crée du lien d’année en année. Une sorte de retour au paradis perdu. Et une opération séduction juteuse pour Djerba qui se mobilise, se prépare, impose l’alimentation casher à certains hôtels, la plus haute sécurité dans tous les recoins, met les petits plats dans les grands pour se montrer sous son plus beau jour. Et accueillir ceux qui ne sont jamais tout à fait partis. ■ F.D. 41


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hauts fonctionnaires. Il pointe les efforts à fournir sur les plans sécuritaire et environnemental, les insuffisances en matière d’accueil et de qualité de services. Et l’impact des perturbations de Tunisair [voir encadré] sur le tourisme et l’ensemble du pays. Enfin, il agit avec les médias, l’un de ses terrains de prédilection. Il reçoit les journalistes, s’exprime, fait son métier de super-VRP. En prenant des risques. Il a convaincu Cyril Hanouna, fier de ses origines et célèbre animateur de l’émission quotidienne Touche pas à mon poste sur la chaîne française C8, de transférer pendant une semaine début mai le plateau de l’émission quotidienne en Tunisie. Le show n’est pas forcément toujours subtil, mais Hanouna a promis avant UN PRAGMATIQUE QUI A SON FRANC-PARLER tout de présenter « son pays » à « ses auditeurs ». Une opération Mais le ministre prend son rôle à cœur. Son expérience médiatique lourde qui a clairement pour objectif de séduire du tourisme ainsi qu’un carnet d’adresses très fourni ont été une nouvelle clientèle française plus jeune, en espérant dépasautant d’atouts qui lui ont permis d’être rapidement opéraser la barre du million de touristes venus de l’Hexagone en tionnel. À son investiture, il quitte ses fonctions de voyagiste, 2019 – ils étaient 800 000 en 2018. mais continue de vendre la destination Tunisie en parcourant Pour « Sayed el-Wazir », les premiers résultats sont encourale monde. « C’est son job et il prend vraiment plaisir à partageants. Au premier trimestre 2019, le tourisme a fait 27 % de ger, faire découvrir et perpétuer », assure l’un de ses amis de mieux que l’année précédente et les stations balnéaires comme Zarzis, qui le taquine en lui donnant du « Sayed el-Wazir », Hammamet, Sousse et Djerba affichent déjà quasi complet « Monsieur le ministre ». Tenu à des résultats rapides dans un pour la haute saison. Le flux habituel et salvateur pendant les années postrévolution des visiteurs algériens pourrait être ralenti par les tensions politiques du pays. Mais plusieurs marchés confirment leur retour, comme celui des Britanniques ou des Russes. Pour le ministre, pour la Tunisie, il faut assurer les chiffres pour l’année 2019 ! Reste, pour l’homme, comme ce fut le cas pour ses nombreux prédécesseurs, à dépasser le cadre du court terme et à résoudre l’équation dans la durée, à positionner la destination de manière moderne et pérenne. Le pays souhaite devenir membre du conseil exécutif de l’OMT (Organisation mondiale du tourisme), mais cela ne résoudra pas les nombreux défis structurels auxquels fait face le tourisme. Le secteur hôtelier est plombé par les dettes, le parc a vieilli, la Inauguration du Club Med Djerba la Douce, en avril 2019, avec (de gauche à droite) Henri Giscard D’Estaing, PDG de l’entreprise destination ne s’est pas suffisamment diversifiée. de loisirs, Mohamed Habib Ben Saad, PDG de la Banque de Tunisie, Et la question aérienne est devenue cruciale. Tuniet Amel Hachani, directrice de l’Office national du tourisme tunisien. sair est exsangue et le gouvernement a repoussé aux calendes grecques l’Open Sky qui pourrait doper les arrivées. contexte socio-économique particulièrement difficile, Trabelsi Quant aux aéroports, épuisés, ils ne se sont plus vraiment en ne s’est pas embarrassé de vision ou d’études ; elles ont toutes mesure d’absorber les périodes de pointe et la haute saison. été maintes fois réalisées, présentées et débattues. C’est un Bref, il faut remettre à plat l’ensemble d’un secteur clé pour pragmatique, il est là pour redresser le tourisme et déploie en l’économie. Imaginer, voir différemment. Et avoir le temps long ce sens les moyens qu’il connaît le mieux : l’offensive markepour agir. Le mandat du ministre s’achève normalement en fin ting, le lobbying professionnel, son talent de vendeur. Il met d’année. À moins qu’il ne soit reconduit dans le gouvernement à contribution la communauté juive aux quatre coins de la issu des législatives d’octobre 2019 ? Et qui sait, peut-être que planète, parcourt les salons professionnels, fait les ouvertures derrière le voyagiste de talent se cache un homme politique d’hôtels. Avec son franc-parler, il ne ménage pas non plus ses en devenir… ■ critiques, au risque d’agacer collègues du gouvernement et 42

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sa singularité, mais aussi son expérience, que Trabelsi s’est imposé dans un gouvernement où siègent des figures politiques et des technocrates. Parfois, il en fait peut-être un peu trop, et certains projets paraissent bien incertains. Réhabiliter la ville de Sfax pour en faire un pôle du tourisme d’affaires semble une utopie, compte tenu des finances du pays et des conditions environnementales de la ville. Idem pour les îles Kerkennah qu’il voudrait faire desservir par des avions légers ; de quoi perturber le fragile écosystème de l’archipel. Mais tout cela a au moins le mérite de générer un débat sur un secteur clé.


L’amphithéâtre d’El Jem est sur la liste de l’Unesco depuis 1979.

Le défi du patrimoine

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élaissé et ignoré pendant des décennies, par volonté politique et par méconnaissance des Tunisiens, le patrimoine est, depuis la révolution de 2011, l’objet d’une attention particulière et d’un véritable engouement. Comme dans un acte de réappropriation de l’histoire et de l’identité tunisienne dans sa pluralité, il n’est plus uniquement l’affaire du discours officiel ou des spécialistes, aujourd’hui interpellés et redevables de leur gestion passée, mais aussi celle de la société civile. Les arguments pour la sauvegarde et la restauration prônés par des associations contre un projet de loi visant à démolir les bâtiments jugés insalubres – dont des joyaux de l’architecture coloniale – ont été entendus par l’Assemblée, qui a

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rejeté le texte. L’association des Amis de Carthage dénonce régulièrement les dépassements sur le site classé patrimoine de l’humanité, tandis qu’à Sfax, des collectifs défendent et réhabilitent le bâti traditionnel en organisant des manifestations culturelles. En butte à un déficit des finances publiques, l’État réduit l’enveloppe destinée au patrimoine, mais la société civile reprend le flambeau et se mobilise via la visite de sites, l’organisation de voyages, de conférences et de campagnes de sensibilisation, notamment au vol d’objets antiques. Tandis que des archéologues remettent la Préhistoire sur le devant de la scène et développent des approches nouvelles, comme le thème de l’autochtonie du professeur Nabil Kallala, le patrimoine immatériel est

sous le feu des projecteurs grâce à des initiatives privées. Musique, danse, gastronomie, artisanat, art de vivre, maisons d’hôtes dans les médinas ; chaque région valorise son savoir-faire et son capital culturel à la faveur de festivals et de rencontres qui se multiplient. L’élan est tel que chaque manifestation affiche complet, aussi bien au Kef (nord-ouest) qu’à Gabès (sud). Une manière d’éclairer les futures stratégies publiques. En attendant, la Tunisie a réussi à inscrire le savoir-faire des potières de Sejnane (nord) sur la liste de l’Unesco fin 2018 ; une première pour un bien immatériel tunisien. Une autre façon de vivre le patrimoine, désormais considéré comme un pilier de développement régional qu’il faut pérenniser. ■ F.D. 43


CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Fouzia Marouf

Souleymane Bachir Diagne

d’études africaines

de l’université de Columbia, à New York. Son dernier essai, En quête d’Afrique(s), coécrit avec l’anthropologue Jean-Loup Amselle, interpelle avec vivacité les rapports entre l’Afrique et l’Occident.

❯ J’ai besoin de Saint-Louis, où je suis né. J’ai grandi en Afrique, et je suis fortement citadin. J’aime tout particulièrement l’énergie ambiante des villes. Le Sénégal est une terre de brassage et de pluralisme religieux, j’y ai appris l’altérité, qui continue de m’habiter où que je sois aujourd’hui. Être un enfant de Saint-Louis nourrit mon imaginaire. J’y suis très attaché, et je ressens la nécessité d’y retourner trois fois par an afin de m’y connecter complètement. ❯ Écrire m’a enrichi et m’a enseigné que l’écriture est une découverte incessante. Le fait de vivre et de travailler aux États-Unis, d’y parler anglais, rend le français plus vivace dans mes livres : je vis cela comme une expérience perpétuelle qui me pousse plus loin, je cherche dès lors à creuser davantage mes thématiques. ❯ La conjoncture actuelle, qui stigmatise souvent l’islam au sein des médias, m’a appris à explorer la philosophie soufie, qui en fait partie intégrante. En faisant ce choix, j’ai ravivé les valeurs de penseurs dont la réflexion est très actuelle, comme Averroès ou Ibn Tufayl. C’est une façon d’habiter le monde, et je tiens cet héritage de mon grand-père, qui était l’un des guides de la confrérie soufie au Sénégal. Aujourd’hui, j’ai conscience d’avoir été profondément imprégné par la puissance des questionnements philosophiques sur le continent africain et dans l’islam. ❯ L’enseignement est ma vocation. J’ai en moi les gestes, la passion de la transmission. À la fin de mes études, j’ai décidé de créer à Dakar un enseignement de la philosophie des sciences et un programme traitant de la philosophie en islam. Pendant vingt ans, j’ai eu le privilège de former énormément d’étudiants du département de philosophie de l’université. J’ai conscience qu’il s’agit d’une étape cruciale pour moi, mais aussi pour mon pays natal. ❯ Mes enfants m’ont appris à m’adapter aux règles d’un autre pays. Grâce à eux, j’ai compris la vie et la société aux États-Unis. Ils m’ont transmis les clés indispensables pour approcher cette culture. À travers eux, je peux avoir un regard différent sur ce qui m’entoure, et je suis à la fois curieux et émerveillé par leur façon de s’approprier le monde. Je suis habité par plusieurs perspectives, africaines et américaines. ❯ J’aime profondément New York. J’y enseigne et vis depuis onze ans. Chaque jour, j’apprends à son contact, elle est tellement cosmopolite ! Il m’a été facile de m’y sentir chez moi. J’adore arpenter ses rues : l’université de Columbia se situe dans le prolongement de Harlem, ce Little Sénégal qui ne cesse de me fasciner. J’adore l’océan et les plages de ma ville, j’aime m’y baigner, elles sont à mes yeux la représentation du repos. Après une année académique chargée, durant mes vacances, j’aime y prendre mon petit-déjeuner et lire, l’esprit libéré de toute contrainte.

En quête d’Afrique(s) : Universalisme et pensée décoloniale, Albin Michel, 2018. 44

❯ J’ai une jeunesse éternelle, je rêve encore. Au contact de mes lectures, j’apprends la vie : dans la littérature de Jean-Paul Sartre, la poésie de Pablo Neruda et de Gabriel García Márquez, ou des romans policiers américains. J’aimerais écrire une œuvre de fiction, pour laquelle je serai en total lâcher-prise… ■ AFRIQUE MAGAZINE

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GÉRALDINE ARESTEANU

Philosophe sénégalais, observateur avisé de l’aventure humaine, et spécialiste de l’histoire de la pensée en islam, il dirige depuis 2018 l’Institut


« L’enseignement est ma vocation. J’ai en moi les gestes, la passion de la transmission. » AFRIQUE MAGAZINE

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DÉCOUVERTE C O M P R E N D R E U N PAY S , U N E V I L L E , U N E R É G I O N , U N E O R G A N I S A T I O N

CÔTE D’IVOIRE LA PRIORITE SOCIALE C’est maintenant une véritable orientation stratégique pour le président et son équipe.

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Alassane Ouattara et son épouse Dominique au premier congrès du RHDP au stade Félix-HouphouëtBoigny, le 26 janvier 2019.

D O S S I E R R É A L I S É PA R O U A K A LT I O O U AT TA R A AV E C A L E X A N D R A F I S C H


DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire

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Le quartier du Plateau au cœur d’Abidjan, symbole du second miracle économique ivoirien. Comment faire en sorte que cette dynamique touche l’ensemble du pays ? AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 2 –

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NABIL ZORKOT

Lier croissance et développement pour tous


Après la relance économique, le gouvernement veut faire face aux questions sociales. À la clé, la mobilisation d’un budget de 727 milliards de francs CFA pour répondre aux attentes.

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e 2012 à 2018, la Côte d’Ivoire a enregistré un taux de croissance économique annuel moyen de 8,6 %, contre 0,8 % de 2000 à 2010. Cette dynamique, impulsée par les investissements et des réformes stratégiques, a permis d’améliorer significativement les indicateurs socio-économiques. Selon les chiffres officiels, le PIB par habitant a augmenté de 33 % de 2010 à 2017, passant de 560 300 francs CFA à 745 200 francs CFA. Cela a permis d’inverser la tendance haussière de la pauvreté, enregistrée ces dernières décennies. Le taux de pauvreté est passé de 38,8 % en 1998 à 48,6 % en 2008, pour s’établir à 51 % en 2011. Il a baissé à partir de 2012 pour atteindre 46,3 % en 2015 et devrait encore diminuer en 2018. Si les satisfecit dans beaucoup de domaines déterminent la bonne marche de l’économie, sur le plan social, AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 2 – M A I 2 0 1 9

l’État doit faire plus et plus vite. En 2012, le gouvernement avait élaboré un Plan national de développement (PND) sur trois ans, avec pour objectifs de doter le pays d’infrastructures de base dans les secteurs du transport, de l’énergie, de l’approvisionnement en eau potable, de la santé, de l’éducation, etc. D’un montant de 11 000 milliards de francs CFA, ce plan intégrait déjà une forte dimension sociale, permettant d’enregistrer des progrès en matière de restauration de la paix, de la sécurité, de la cohésion sociale et de relance de l’outil de production. La bonne tenue des cours des principales matières premières (café, cacao et anacarde) avait permis de transférer des ressources importantes vers les populations en milieu rural. Selon les chiffres officiels, les revenus du monde agricole sont passés de 3 368 milliards de francs CFA en 2012 à 5 653 milliards de francs CFA en 2015, soit une 49


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de l’action sociale (dont 12 mesures phares) », avait indiqué le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, fin mars. Au niveau de la santé et de la protection sociale par exemple, ce programme social d’ampleur prévoit les renforcements de la gratuité ciblée et du programme de vaccination, l’opérationnalisation de la phase de généralisation progressive Lors de sa conférence de presse du 21 mars, le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, de la Couverture maladie universelle a exposé les principaux éléments de ce grand plan social. (CMU), ainsi que l’augmentation du nombre de bénéficiaires du Projet filets sociaux productifs hausse de 68 %. La hausse du salaire minimum, passé (PFSP). Les défis logistiques sont énormes et, après plusieurs de 36 000 francs CFA à 60 000 francs CFA en 2014, et le reports, le gouvernement souhaite débuter en juillet 2019 déblocage du salaire indiciaire des fonctionnaires et agents les prélèvements pour la CMU, de sorte à rendre les de l’État en 2015 ont contribué au renforcement du pouvoir prestations effectives dès le 1er octobre. Ces deux projets d’achat des populations. Mais ces efforts ont connu un frein à la fin 2016 avec la chute des cours mondiaux du cacao, phares devraient permettre, concernant la CMU, d’apporter suivie en janvier 2017 d’une mutinerie et d’une grève des une réponse adéquate à la problématique sanitaire et, pour fonctionnaires et agents de l’État. Une suite d’événements qui le PFSP, d’améliorer la vie de 100 000 personnes démunies a ralenti les efforts du gouvernement et pénalisé le monde grâce à une contribution de 36 000 francs CFA par trimestre. paysan. Deux ans après, les coûts n’ont pas connu d’évolution Cette décision du gouvernement, après avoir longtemps positive. Bien au contraire, les producteurs d’anacarde privilégié l’économie, les infrastructures, le long terme, broient du noir. La reprise des grèves du corps enseignant, permettra aussi de s’intéresser aux facteurs sociaux et revendiquant principalement une amélioration des primes au court terme. Une manière de réconcilier croissance et de logement, est venue rappeler aux populations et aux développement, l’un des défis de l’Afrique contemporaine. gouvernants que de nouveaux efforts, plus spécifiques, Les chantiers sont exigeants. Les systèmes de santé ou restaient à engager sur le plan social. d’éducation ont été durement impactés par les années de crise politique. En 2017, par exemple, la BAD et le centre de Reprise en main développement de l’OCDE (Organisation de coopération et Et c’est cette priorité que le président de la République de développement économiques) indiquaient que le système Alassane Ouattara a décidé de relever. Dans son discours éducatif ivoirien était l’un des moins performants d’Afrique. à la nation du 31 décembre 2018, celui-ci a annoncé la mise Et en tous les cas, pas au niveau des ambitions nationales. en place d’un très ambitieux « programme social », d’un coût Mais le gouvernement pense avoir tiré les leçons des global de 727,5 milliards de francs CFA. Et dont l’impact échecs du passé. L’objectif est de concentrer l’énergie de ce majeur doit s’exercer sur les années 2019-2020, indiquant dernier dirigé par Amadou Gon Coulibaly sur cette priorité. le cap stratégique sur la dernière période du second mandat. Un organe de suivi des grands chantiers du Programme L’État supportera sur fonds propres quelque 300 milliards social du gouvernement (PSGouv) 2019-2020 a été mis de francs CFA, quand plus de 250 milliards de francs CFA en place, sous l’autorité du Premier ministre. Ce dispositif ont déjà été obtenus auprès de partenaires, notamment majeur sera dédié au suivi technique et opérationnel la Banque africaine de développement (BAD). Le montant des objectifs stratégiques. Cet organe sera composé des restant sera recherché sur les marchés mondiaux dans les représentants de l’administration centrale, des faîtières deux années à venir. L’enveloppe est prévue pour les secteurs des collectivités territoriales, des représentants du secteur clés, comme la santé, l’éducation, la création d’emplois, privé ainsi que de la société civile, et des partenaires au l’approvisionnement en eau potable, etc. Un soulagement développement. Il sera constitué d’un comité de pilotage, et un espoir pour les populations les plus fragiles, restées d’un comité de coordination générale et d’une cellule longtemps dans l’attente du partage des fruits de la d’exécution. Si le système ne tombe pas sous le coup croissance. « Le programme social du gouvernement de la lourdeur administrative, il devra permettre aux comprend la mise en œuvre de 156 actions, dont 67 projets populations de sentir, avant la fin de l’année, les effets majeurs, 57 réformes et 32 mesures d’accompagnement bénéfiques de ce programme. ■


DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire

Un nouveau souffle pour les plus fragiles La pauvreté se présente comme un phénomène complexe. Le Projet filets sociaux productifs (PFSP), initié depuis 2015 en faveur des plus démunis, donne déjà des résultats. Et son application va être élargie.

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d’inclusion sociale et productive ont été développées par es programmes de filets sociaux se multiplient certains après les premiers paiements. Il s’agit, entre autres, sur le continent depuis les années 2000, de la constitution en associations ou en coopératives et font aujourd’hui partie des stratégies de agricoles et de la création ou de l’agrandissement de champs, développement de certains pays. Cette expansion de fermes avicoles ou de porcheries. Au total, 5 milliards a eu lieu en même temps que d’importants de francs CFA ont ainsi été alloués à ces ménages entre 2015 investissements dans les principaux instruments de ces et 2018. Pour l’année 2019, 15 000 ménages supplémentaires plans : systèmes de ciblage, registres sociaux et mécanismes ont été enregistrés et sont pris en compte, portant ainsi de paiement. Ceux-ci ont contribué à les renforcer et le nombre de bénéficiaire à 50 000. à les rendre plus efficaces. La Côte d’Ivoire a fait son entrée dans ce vaste programme en 2015, avec une phase expérimentale concernant Dans un entrepôt 35 000 bénéficiaires parmi les plus pauvres, d’une société cacaoyère. entre 2015 et 2018. Le chef de l’État a Ne pas abandonner à leur sort les plus décidé de faire passer de 35 000 à 100 000 démunis… Le Projet filets sociaux productifs le nombre de ménages (PFSP), financé par la Banque mondiale à bénéficiaires. hauteur de 25 milliards de francs CFA pour cinq ans (avec un apport additionnel estimé à 50 milliards), cible essentiellement les populations pauvres en milieu rural. Ce sont les laissés-pour-compte de la croissance économique de ces dernières années qui forment le taux de pauvreté annuel de 46 %. Pour améliorer leurs conditions de vie, ces ménages vont bénéficier de mesures d’accompagnement et d’un apport financier de 36 000 francs CFA par trimestre jusqu’en 2020. Après une enquête de l’Institut national de statistique (INS), 73 576 ménages ont été déclarés éligibles En attendant, le partage des fruits de la croissance (sur 92 640), rapporte le coordinateur de ce programme, avance, et l’objectif du PFSP permet, en matière d’équité, Koné Kipeya. Pour sa première phase, 35 000 ménages ont de garantir que les ménages les plus vulnérables et les plus été sélectionnés dans 540 villages concernés. Et cela marche ! pauvres soient en mesure d’atteindre un niveau minimal Les administrateurs du PFSP se réjouissent : les premiers de consommation et de satisfaire leurs besoins essentiels. résultats semblent satisfaisants, et les bénéficiaires ont Cela s’avère capital dans les régions à faible revenu, explique « joué le jeu ». Dans plusieurs villages, de bonnes pratiques

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Yves Kouamé, assistant social. S’appuyant sur le cas des pays voisins, ce dernier estime que les filets sociaux permettent de stimuler la consommation et de réduire ainsi la pauvreté. Et démontre, en citant un rapport de la Banque mondiale intitulé « Les filets sociaux en Afrique : Comment réaliser pleinement leur potentiel ? », que, déjà en 2011, l’effet direct des transferts destinés aux ménages ruraux en Éthiopie, via le programme de filets sociaux productifs et de l’aide alimentaire, a été estimé à une réduction de 1,6 point du taux de pauvreté national. C’est pourquoi il se réjouit, même si le montant « peut paraître dérisoire », que les ménages ivoiriens ne consacrent pas tout l’argent des transferts monétaires reçus à l’achat de biens de consommation. « Ils en réservent une partie à des investissements productifs, à des dépenses ponctuelles, comme les frais de scolarité, ou à l’épargne. » Mais il est encore un peu tôt pour se frotter les mains, prévient Hervé Tanoh, expert des questions sociales. « Le programme est à son début. Même s’il est prometteur et semble mieux cadré, du fait du contrôle de la Banque mondiale, il faudra attendre et continuer à former un plus grand nombre d’agents communautaires en vue du suivi des bénéficiaires. Moins de 1 000 agents communautaires pour encadrer 50 000 bénéficiaires me paraît insuffisant, et il en faut plus pour de meilleurs résultats », préconise-t-il. Une volonté politique manifeste Après cette première phase satisfaisante, le chef de l’État, Alassane Ouattara, a décidé de faire passer le nombre de bénéficiaires de 35 000 à 100 000 ménages et ce, jusqu’en 2023. Les zones concernées sont le centre, le nord et l’ouest. Ce choix a été motivé au regard des taux de pauvreté les plus hauts et de malnutrition élevés, ainsi que des faibles taux d’accès aux services sociaux de base de la santé et de l’éducation. Cette volonté politique manifeste, portée par la ministre de la Solidarité Mariatou Koné, est favorisée par le fait que les données de la Banque mondiale démontrent que cette première phase a un impact productif, à travers les investissements dans le capital humain et le capital productif. Les réussites dans la mise à l’échelle rapide de ce programme sont bien présentes sur le continent, comme on peut le voir avec le Ghana, le Kenya, le Sénégal et la Tanzanie. Ces pays dépensent en moyenne 1,2 % de leur produit intérieur brut (PIB) pour les filets sociaux, là où la Côte d’Ivoire reste encore entièrement dépendante de l’aide extérieure – contribuant seulement à hauteur de 10 % du financement, soit 2,5 milliards de francs CFA. Dans sa vision, la Côte d’Ivoire mise stratégiquement sur un Registre social unique (RSU) des ménages pauvres et vulnérables, afin de mieux cerner et encadrer les bénéficiaires. ■ 52

Vers la fin de la corvée d’eau Grâce aux pluies et à son sous-sol, le pays ne manque pas de réserves. Et pourtant, plus de deux millions d’Ivoiriens ont encore des difficultés à accéder au réseau potable, malgré d’importants investissements. Le Programme eau pour tous pourra-t-il satisfaire les citoyens ?

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ous sommes en avril 2018. Plusieurs villes sont frappées par de sérieuses pénuries d’eau potable, notamment Bouaké (deuxième ville la plus peuplée du pays), Niakaramandougou, Ferkessédougou, Doropo, Odienné et Tiéningboué. La situation devient vite inquiétante, car les mois passent sans solution viable. D’importantes actions d’urgence sont menées, comme des forages de puits à Bouaké (grâce aux financements de la Banque mondiale). Un paradoxe pour un pays qui dispose de ressources assez abondantes : le volume d’eau mobilisable est d’environ 77 milliards de m3/an, dont près de 39 milliards de m3 d’eau de surface et environ 38 milliards de m3 d’eau souterraine. Cet événement souligne l’inégale répartition des ressources sur l’ensemble du territoire et pose la problématique de la capacité de leur mobilisation pour l’hydraulique humaine. À cela s’ajoutent l’impact des changements climatiques (baisse de pluies), les problèmes techniques (réseaux sousdimensionnés, déficit de production, pannes techniques) et les dégradations humaines (pollution de la ressource, occupations anarchiques des champs captant, et fraude sur le réseau de distribution). Et pourtant, entre 2011 et 2018, ce sont plus de 500 milliards de francs CFA qui ont été investis par le gouvernement pour l’accès à l’eau potable. Le Programme au pour tous, lancé en 2017, montre une prise de conscience de la part des autorités. Ce plan de grande ampleur prend en compte la réhabilitation intégrale de 21 000 pompes hydrauliques sur l’ensemble du territoire et offre la fourniture courante en eau potable AFRIQUE MAGAZINE

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Le barrage de Kossou, dans la circonscription de Yamoussoukro.

BOUAKÉ : ÇA COULE, MAIS L’INQUIÉTUDE DEMEURE

à 200 chefs-lieux de sous-préfecture. Selon le ministre de l’Hydraulique, Laurent Tchagba, 200 milliards de francs CFA doivent être investis dans la construction de 200 châteaux d’eau et 8 000 pompes villageoises pour la première phase d’exécution. Le besoin d’investissement global est évalué à 1 320 milliards de francs CFA pour porter, d’ici à 2020, la couverture en eau potable à 95 % en moyenne dans le pays. Au début de l’année, Laurent Tchagba s’est d’ailleurs réjoui des premiers résultats tangibles. Aujourd’hui, le taux de couverture nationale en eau potable est estimé à plus de 80 %. Mais ce n’est pas suffisant. 450 000 ménages doivent être raccordés au réseau de la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci). La seconde phase concerne l’ensemble des projets structurants, comme l’extension et la densification du réseau des grandes villes. Le 17 avril, un contrat a d’ailleurs été signé entre l’État et China Harbour Engineering Company Ltd (CHEC), une société chinoise spécialisée dans les travaux d’ingénierie, d’un montant de 64 milliards de francs CFA pour la réalisation de différents projets d’adduction d’eau. De quoi faire couler plus rapidement l’eau vers les consommateurs. Sont notamment concernés l’extension et le renforcement du réseau de distribution d’eau d’Abidjan, le renforcement de la production par la réalisation de nouveaux forages dans 100 localités, ainsi que l’alimentation en eau potable de 81 localités dans six régions du nord-ouest, centre-ouest et nord. Le gouvernement a changé la donne pour simplifier la vie des particuliers. Dans l’intérêt des ménages les plus pauvres, le coût des branchements sociaux AFRIQUE MAGAZINE

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n avril 2018, le gouvernement s’est retrouvé impuissant face à la grave pénurie d’eau à Bouaké, touchant un million d’habitants entre la ville et sa région. Les longues attentes devant les rares points d’eau sont un calvaire. Le prix des bouteilles d’eau flambe. Le diagnostic des premières missions est pourtant clair : la pluviométrie a baissé, le changement climatique a un impact mesurable. Et le développement anarchique des carrières de sables, qui ignorent sciemment l’interdiction préfectorale, a affecté le fonctionnement du barrage de la Loka, lequel approvisionne en eau potable plus de 70 % de la population. L’eau de ruissellement reste ainsi emprisonnée dans les carrières. « En 2017, nous avions un niveau moyen d’eau, et en 2018, nous avons connu une baisse significative, descendant à 15 mètres par rapport à la passerelle », explique Kouadio N’Guessan Konan, directeur régional de la Société de distribution d’eau de la Côte d’Ivoire (Sodeci). Depuis juin 2018, l’approvisionnement en eau de la ville s’est nettement amélioré, aidé par des pluies abondantes et providentielles. Et d’importants travaux d’infrastructures ont été lancés, comme un projet de raccordement du barrage de Kossou. ■

a été considérablement revu à la baisse début 2018, en passant de 147 000 francs CFA par mois à 1 000 francs CFA. La Sodeci a également revu la période de facturation, qui passe de trois mois à deux, afin de permettre aux abonnés d’alterner les mois de paiement pour leurs factures d’eau et d’électricité. Un coup de pouce bienvenu, pour aider les ménages à boucler leurs fins de mois. ■ 53


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Une énergie démocratisée Les délestages connus entre 2012 et 2013 sont désormais un lointain souvenir. L’objectif, dorénavant, est d’élargir l’accès. Dans le cadre du Programme électricité pour tous (PEPT), depuis février 2019, une baisse de 20 % sur les factures des compteurs de cinq ampères est effective, et le nombre d’abonnés ne cesse d’augmenter.

L’électricité dans chaque foyer La Côte d’Ivoire, c’est plus de 1 300 000 clients et un taux de couverture de la population de 80 %. L’objectif du PEPT est donc essentiellement de permettre aux populations à faibles revenus d’avoir de l’électricité à domicile. Les modalités souples d’acquisition des branchements/abonnements, lancées en 2014, ont permis à un peu plus de 420 000 ménages (sur 1 million visé d’ici 2020) d’être raccordés au réseau électrique. Avec un apport de 1 000 francs CFA, les bénéficiaires disposent d’un branchement et d’un abonnement au réseau électrique, dont le coût total (estimé en moyenne à 150 000 francs CFA) sera payé sur une période allant de trois à dix ans. Les compteurs installés dans le cadre du programme fonctionnent en mode prépayé, et le règlement du reliquat est débité par fraction sur chaque rechargement jusqu’au solde. Parallèlement, les abonnés au tarif modéré de cinq ampères (régime post-paiement) connaissent une baisse de 20 % de leur tarif de consommation depuis janvier 2019. Plus de 800 000 abonnés seraient concernés par cette mesure. 54

Entretenir le réseau Par ailleurs, fin 2019, l’État devrait finaliser son programme d’électrification de l’ensemble des localités de plus de 500 habitants, avec pour objectif de raccorder 74 % de celles-ci en 2020 et 100 % en 2025. L’autre pilier d’investissement dans ce secteur réside dans le Projet de développement et de réhabilitation du réseau électrique de Côte d’Ivoire (Proderci), lancé en juillet 2018. Il se présente comme l’un des plus grands projets jamais réalisés dans le secteur de l’énergie. Son objectif est d’améliorer considérablement l’état du réseau : 11 nouveaux postes haute tension doivent être construits, 15 existants vont être réhabilités et étendus, 1 685 km de lignes haute tension sont à construire, et 41 nouveaux départs de 30 kV et 5 nouveaux départs 15 kV vont être créés à Bondoukou et Bouna. Ce projet de haute portée sociale et économique couvre quatre zones : nord-est, centre-nord, centre-ouest et ouest. D’un coût global de 460 milliards de francs CFA, le plan est financé à hauteur de 95 % par China EximBank et 5 % par l’État, les travaux du Proderci vont s’achever en juillet 2020.

Lancement officiel du projet Proderci par le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, le 7 juillet 2018, à Dabakala, en compagnie de l’ambassadeur de Chine, Tang Weibin. AFRIQUE MAGAZINE

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uand la Côte d’Ivoire sort de la crise en 2011, ce pays producteur d’énergie – qui fournit même certains de ses voisins – est contraint d’appliquer une politique de délestage entre 2012 et 2013. Les pannes observées sur le réseau sont des interruptions de service, essentiellement dues au vieillissement des équipements et au manque d’investissement dans ce secteur sur la dernière décennie (2000-2010). La bonne qualité passe par l’amélioration du transport de l’électricité. Conscient de cet état de fait, le gouvernement lance le Programme électricité pour tous (PEPT), l’objectif étant, dans un premier temps, d’atteindre une moyenne annuelle de 12 heures de coupure d’ici 2020, puis de relier au réseau un plus grand nombre de ménages et de réduire les coûts de consommation pour les petits consommateurs.


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Centrale hydroélectrique à Taabo, dans le sud.

Le hub énergétique d’Afrique de l’Ouest Exportateur net d’électricité vers cinq pays de la sousrégion (Ghana, Burkina Faso, Togo, Bénin et Mali), la Côte d’Ivoire a une capacité énergétique en hausse de 55 % depuis 2011. Elle atteint aujourd’hui 2 200 MW, avec pour objectif de parvenir à 4 400 MW en 2020 et à 6 000 MW dix ans plus tard. Ceci grâce à un programme de réorganisation du mix énergétique, en développant l’hydraulique et le renouvelable pour réduire la part thermique (charbon, gaz, pétrole), laquelle reste prédominante avec un peu plus de 80 % du parc actuel. La question des énergies propres se pose inévitablement. L’engagement a été pris d’atteindre un mix énergétique comprenant 42 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030. Les projets concernés sont portés par le secteur privé, via des partenariats publicprivé dans lesquels l’État s’engage à acheter l’électricité qui sera produite. Le coût total de ces investissements est conséquent : 700 milliards de francs CFA, selon les chiffres officiels du ministère de l’Énergie. Un coût qui ne comprend pas AFRIQUE MAGAZINE

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les investissements visant à étendre les exportations vers le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone, estimé à 211 milliards de francs CFA, avec la construction d’une ligne à haute tension de 1 400 km en cours de réalisation. Des zones sombres Lors de l’édition 2018, en juillet, du forum Africa Energy Marketplace – organisé par la Banque africaine de développement (BAD), à Abidjan –, des recommandations ont été proposées pour la Côte d’Ivoire. Le pays doit en effet améliorer l’environnement des affaires pour les acteurs du privé exerçant dans le domaine de l’électricité, et de l’énergie solaire en particulier. Il s’agit, entre autres, de mieux contrôler les congés fiscaux et les remises tarifaires pour les fabricants d’équipements solaires et les importateurs. Autre point noir, la saturation du réseau dans certains quartiers périurbains d’Abidjan, accompagnée d’un taux relativement élevé de fraude, qui entraînerait 40 à 50 milliards de francs CFA de pertes annuelles selon les estimations. ■ 55


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Le nouvel hôpital mère-enfant de Bingerville. Un projet porté par Dominique Ouattara, et un exemple de partenariat public-privé.

Couverture maladie universelle: lentement mais sûrement Dans le souci de garantir un système sanitaire de qualité et à moindre coût, l’État se lance dans un grand chantier social : la mise en œuvre effective de la fameuse CMU. À ce jour, 1 800 000 bénéficiaires ont déjà été enrôlés, dont plus de 32 000 indigents.

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et l’assurance se charge du reste, à hauteur de 70 %, la cotisation s’élevant à 1 000 francs CFA par mois et par individu. C’est donc à l’issue d’un délai de carence, estimé à trois mois, que le patient bénéficiera des prestations. Lors d’une conférence de presse en mars dernier, le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, a rassuré en annonçant que « les prélèvements démarreront à fin avril 2019, de sorte à rendre les prestations effectives dès le 1er octobre 2019 ». Les étudiants testeurs Prévue pour six mois, la phase expérimentale au sein des résidences universitaires avait été concluante. Une étape qui s’avérait nécessaire pour éprouver le dispositif et tous les outils de gestion déployés avant sa généralisation. AFRIQUE MAGAZINE

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ystème national obligatoire contre le risque maladie, la Couverture maladie universelle (CMU) vise à garantir l’accès aux soins à moindre coût à l’ensemble de la population résidant sur le territoire. Elle comprend un régime contributif, dit régime général de base, à raison de 1 000 francs CFA par personne et par mois, pour les personnes âgées de 5 ans et plus, et un régime non contributif (régime d’assistance médicale, l’État paiera pour les personnes indigentes). Celui-ci vise les personnes économiquement faibles ou démunies qui seront choisies sur la base des données du recensement général de la population et de l’habitat (RGPH 2014) et les résultats de l’enquête sur le niveau de vie des ménages. De façon concrète, l’assuré paie un ticket modérateur de 30 %


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Dans ce cadre, 111 013 étudiants ont été enrôlés avec un dispositif de distribution des cartes déployé sur 60 sites. Leur cotisation est payée par l’État à travers la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Dans ce cadre, les étudiants ont bénéficié de prestations dans les centres de santé universitaires. Un peu plus de 30 000 personnes ont effectué environ 90 000 prestations. À partir de janvier 2020, toutes les personnes qui ont une assurance privée devront au préalable avoir été reconnues comme assuré CMU, pour pouvoir continuer à bénéficier des services et des prestations des assurances privées. La CMU se veut une assurance sociale prenant en compte le secteur formel et informel. Dans la théorie, les cotisations seront prélevées avec des organismes de gestion déléguée, chargés de faire la collecte des cotisations des assurés. « Pour ceux qui travaillent dans le privé, c’est la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) qui collecte les cotisations auprès de l’employeur. Les fonctionnaires et agents de l’État, en activité et à la retraite, seront prélevés par les soldes civile et militaire ou par la Caisse générale de retraite des agents l’État (CGRAE) », explique la Cnam.

LA SANTÉ : OBJECTIF INDÉPENDANCE

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n chiffre conséquent : 1 658 milliards de francs CFA. C’est le montant que l’État compte mobiliser entre 2020 et 2024 pour moderniser son système. Un véritable défi financier. De l’aveu des responsables du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, il est « sous-financé, malgré d’importants moyens mis à sa disposition depuis 2011 ». Le Plan national de développement sanitaire (PNDS) 2016-2020, dans sa phase opérationnelle, n’avait pu mobiliser l’enveloppe initialement prévue, consacrant ainsi un report des objectifs après 2020. La réforme va porter sur sept domaines : la santé communautaire, la qualité de soins de santé primaire, les ressources humaines, les systèmes d’information sanitaire, la chaîne d’approvisionnement, l’intégration du secteur privé et les réformes clés de financement de la santé. La mise en œuvre de ce plan devrait permettre de combler le déficit de financement dans le système de soins primaire et d’améliorer les résultats en matière de santé, Un vaste contenu principalement celle de la mère d’offre de soins et de l’enfant. 15 % à 20 % Un panier de soins a été établi sur la base du budget alloué à la santé est des pathologies ayant le plus d’impact sur la aujourd’hui affecté aux soins population en excluant ceux dits chroniques, de santé primaire, là où l’objectif explique Christian Brou, médecin et est de faire passer la proportion spécialiste de la question de la couverture à plus de 60 %. Selon une source maladie. Il se compose de 18 groupes de proche du ministère de la Santé, pathologies, notamment 170 maladies les autorités se sont engagées les plus fréquemment rencontrées et celles à consacrer dans les années à qui causent de grands dommages financiers venir 15 % du budget national au aux ménages comme le paludisme, les secteur de la santé contre 5,9 % diarrhées infectieuses chez les enfants, actuellement. Pour rappel, les fièvres infectieuses, la malnutrition. officiellement 3 000 milliards Mais pour réussir, le gouvernement La Polyclinique internationale Sainte-Anne- de francs CFA ont été investis doit aussi renforcer l’exécution de son Marie (Pisam), à Abidjan, a entrepris depuis dans ce secteur de 2014 à 2016 et programme de réhabilitation de centres de deux ans un programme de réhabilitation. l’État y a contribué à hauteur de santé, afin de rendre opérationnels quelque 26 %. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire demeure malgré tout 725 centres de santé au démarrage de la CMU. Déjà à Abidjan dépendante des dépenses directes des ménages et de et dans certaines grandes villes, le constat fait état de la l’aide extérieure. Or, le pays va devoir bientôt penser sans réhabilitation effective et la construction de plusieurs centres cette dernière. Car, en effet, au vu des performances de santé. Le projet de loi sur la réforme hospitalière, adopté économiques de ces derniers temps, il est rentré dans début avril, devra permettre une gestion optimale de ces le club exigeant des économies à revenus intermédiaires différents centres. Elle prévoit à cet effet une gestion de type et risque de perdre dans les années à venir d’importantes privé avec des objectifs visant à améliorer, non seulement aides extérieures dans le secteur de la santé. Les défis la prise en charge des patients, mais aussi à mieux gérer les sont grands mais l’État semble bien décidé à les relever. ■ ressources internes. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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L’université veut se décentraliser

Le campus Félix-HouphouëtBoigny dans la capitale économique.

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ncontournable, la principale université du pays, Félix-Houphouët-Boigny, à Cocody, l’un des quartiers résidentiels d’Abidjan, est saturée. Le campus de la faculté Nangui Abrogoua d’Abobo, également à Abidjan, tout comme le site de Bouaké n’arrivent pas non plus à contenir les quelque 250 000 à 300 000 bacheliers annuels, dont plus de la moitié provenait du privé. Jusqu’en 2013, ces trois établissements accueillaient en tout entre 80 000 et 100 000 nouveaux étudiants. Face à cette réalité, le gouvernement a initié, en 2014, un Programme de décentralisation des universités (PDU), l’objectif étant

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de rétablir plus d’égalité entre les jeunes en rendant plus accessible le système d’enseignement supérieur. Enfin, l’implantation d’un campus, au sens noble d’aménagement du territoire, a impulsé un développement local bénéfique aux capitales régionales en les dotant d’investissements forts. « Une université qui s’implante dans une ville secondaire, ce sont des personnels d’enseignement, d’encadrement technique, des étudiants, une autre population qui arrive. Donc une nouvelle richesse qui est apportée à la ville », explique Macky Dembelé, coordonnateur PDU. AFRIQUE MAGAZINE

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Partir étudier à Abidjan une fois son bac en poche ne sera plus une obligation. Face à l’effectif grandissant d’étudiants, rapprocher les études supérieures des jeunes est devenu un impératif. En 2014, le gouvernement a initié le Programme de décentralisation des universités (PDU). Cinq ans après, il présente un premier bilan avec, à la clé, trois facultés en cours de construction, et en partie opérationnelles.


CAMILLE MILLERAND

Quelque 250 000 à 300 000 bacheliers doivent s’insérer chaque année dans le système d’enseignement. AFRIQUE MAGAZINE

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a loi sur l’école gratuite et obligatoire, adoptée en 2015, a porté des fruits très rapidement. Le taux de scolarisation a progressé de 18 points entre 20112012 et 2017-2018. Un rythme qui impose de nouveaux recrutements, et surtout la construction de nombreuses infrastructures d’accueil. De l’école primaire à l’université, le déficit en personnel et l’insuffisance de salles de classe étaient tels que, souvent, les parents devaient s’organiser pour combler les manques. C’est pourquoi la ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement technique, Kandia Camara, a lancé un recrutement exceptionnel de 10 300 professeurs contractuels (primaire, collège, lycée). Les concours sont déjà lancés, et les candidats nombreux. Toujours dans le cadre du programme social du gouvernement 2019-2020, des appels d’offres ont été lancés pour fournir

Projets en continu Dans la pratique, le PDU repose essentiellement sur la construction de nouvelles infrastructures : cinq avant 2020, et encore cinq après 2020 [voir carte]. Chacune est portée par une « spécialité » adaptée à son contexte géographique. À Korhogo, l’agropastoralisme constitue le principal enseignement, alors qu’à Daloa, c’est GUINÉE l’agroforesterie. Pour Man, la géologie, les mines, les matériaux, l’agriculture. À SanPédro, c’est la construction navale, les ressources halieutiques et le génie civil. À Bondoukou, c’est la littérature, les arts et lettres et l’architecture. Ces diverses branches n’empêchent pas les cours traditionnels en licence 1, 2 et 3. Mais en master 1 et 2, les élèves sont dirigés vers la faculté qui enseigne la spécialisation souhaitée. Bien qu’il y ait urgence, les politiques ont décidé d’avancer prudemment. « Le tout n’est pas de construire des bâtiments. Il faut aussi tenir compte de la disponibilité des ressources humaines, LIBERIA et notamment des enseignants, déjà insuffisants dans les structures existantes, ainsi que du personnel universitaire », confie une source proche de la primature. Le développement des établissements de San-Pédro – le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly a lancé les travaux en novembre 2018 – et de 60

500 000 tables/bancs et réaliser 8 400 latrines. Déjà, entre 2011 et 2018, l’État avait procédé à la construction de 30 621 salles de classe dans le préscolaire et le primaire, et de 242 établissements secondaires. Amenant le parc à 2 834 écoles pour le primaire et 16 957 établissements pour le secondaire. Parallèlement, 54 318 personnels éducatifs et d’encadrement ont été recrutés, dont certains sont polyvalents. Ces derniers doivent dispenser des groupes de disciplines, tels que français-EDHC (éducation aux droits de l’homme et à la citoyenneté), histoire-géographie, français-anglais-EPS (éducation physique et sportive). Une innovation de taille afin de combler le déficit, mais contestée par certains enseignants qui estiment ne pas y trouver leur compte dans le rapport travail/rémunération. Tous ces efforts visent à atteindre un taux de scolarisation avoisinant les 100 %. Le gouvernement ne cesse donc d’investir, chaque année, des moyens financiers croissants. ■ MALI

Carte des établissements scolaires en Côte d’Ivoire.

BURKINA FASO

GHANA DAOUKRO

Ouverture des universités Avant 2011 Avant 2020 Après 2020

ADIAKÉ

QUE

s Université Félix-Houphouët-Boigny, Cocody s Université Nangui-Abrogoua, Abobo-Adjamé

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ÉDUCATION NATIONALE : INVESTIR SUR L’AVENIR


AMÉLIORER LE RENDEMENT

L L’école d’Anono, à Abidjan.

REUTERS/LUC GNAGO

Bondoukou, par exemple, est organisé en quatre « phases ». Le nombre d’étudiants devra croître progressivement à chaque rentrée : 3 000, 7 000, puis 15 000, pour atteindre 20 000 étudiants lorsque le campus sera pleinement opérationnel. Prévue pour être construite en trois étapes, l’université d’Adiaké devra, elle, former aux métiers du cinéma, de l’art, des industries culturelles et du sport. Le projet consiste à transformer cette ville du sud est en véritable hub universitaire pour la Côte d’Ivoire et la sous-région. L’idée est d’associer le secteur privé au succès de l’opération. Ce qui conduira, à terme, à la construction d’écoles maternelles, primaires et secondaires, de centres de police, de banques, de commerces, etc. Selon des sources proches du gouvernement, il n’est pas question de construire la structure d’un seul tenant. Cela se fera UFR [unité de formation et de recherche, ndlr] par UFR, étape par étape. « Par exemple, commençant par l’UFR des sciences cinématographiques, on construit les deux amphithéâtres, tous les bâtiments de travaux dirigés qu’il faut, et on laisse une zone attenante disponible pour le privé. Il s’installe et développe son activité en lien avec le cours qui est enseigné. Dans trois, quatre ou cinq ans, on voit comment cela se passe, et on essaie d’y ajouter un autre UFR », explique cette source. Des difficultés à surmonter D’une manière générale, la volonté politique est là, fortement réaffirmée par le président Alassane Ouattara lors de son discours du 31 décembre 2018. Cependant, le programme devra prendre en compte les contraintes en matière de ressources humaines et financières pour réussir. Macky Dembelé explique que cela a obligé le gouvernement à définir des tranches de réalisation puisque AFRIQUE MAGAZINE

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es réalités sur le terrain donnent parfois des frayeurs. Comme ces élèves, obligés de rejoindre leurs parents dans les champs pour avoir un déjeuner, hypothéquant leur retour l’après-midi dans les classes. Raison évoquée, le manque de cantines scolaires. Le ministère en a pris conscience et a investi pour en construire plus de 5 000. Et cela fonctionne. Dans les écoles primaires disposant d’une cantine, le taux de réussite est passé de 62,6 % en 2012 à 74,61 % en 2015. Les initiatives sont, elles aussi, citoyennes. Yves Ata est à la tête de l’une de ces écoles de fortune à Similimi, dans le département de Bondoukou (nord-est). Titulaire d’une maîtrise d’histoire depuis un an et en attendant que les portes de l’emploi s’ouvrent à lui, il a souhaité donner une chance à ses benjamins. « Le village manque de tout. J’étais là en 2008 pour les vacances. Face à la misère des parents qui sont dans une zone où le manganèse est exploité, j’ai décidé de prendre les choses en main, tout en contribuant à la construction d’une école primaire. Certes, de fortune, et avec trois classes, mais elle permet malgré tout de donner une chance à une centaine d’enfants », explique-t-il. Ceux qui veulent continuer leur scolarité doivent le faire dans un village voisin, situé à environ 5 km. Depuis 2015, 127 collèges de proximité ont été construits, permettant aux enfants des localités concernées d’être désormais dans un rayon de 5 km de leur école, contre 20 km auparavant, ce qui a sensiblement impacté le taux de transition du primaire au secondaire. Il est ainsi passé de 50 % en 2011 à près de 80 % en 2017. L’État se veut rassurant : avec ses propres efforts, ceux de partenaires comme l’Unesco, et de bonnes volontés citoyennes, de plus en plus de réponses sont apportées pour une école d’excellence. ■

les finances de l’État ne permettent pas la réalisation des travaux d’une seule université de 20 000 places en une seule et unique tranche. Selon lui, le retard dans l’exécution des projets peut être minimisé, « car quand on parle de développement, il convient d’aller à un rythme qui accorde aux acteurs en charge de sa mise en œuvre de bien comprendre ce qu’ils font eux-mêmes. Et là, il s’agit de discussions entre les spécialistes que nous engageons, les autorités administratives et politiques locales et, enfin, les populations pour valider la vision de leur université à l’horizon 2020 ». ■ 61


DÉCOUVERTE/Côte d’Ivoire

U-Man, le début d’une aventure Ouverte en 2016, la faculté de Man, située dans l’ouest, voit sa capacité augmenter progressivement, avec comme objectif d’accueillir à terme 20 000 étudiants.

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’est une ouverture partielle mais bien réelle de l’université de Man (U-Man), dans l’ouest, qui s’est déroulée en 2016. Cet établissement, créé par le décret 02015-776 du 9 décembre 2015, a pour mission principale d’assurer la formation des cadres scientifiques et techniques spécialistes du développement local rural et communautaire. Il fait partie du vaste Programme de décentralisation des universités (PDU). Sa capacité d’accueil doit augmenter progressivement pour devenir, à terme, un véritable campus de 20 000 étudiants. Des perspectives motivantes pour les lycéens des régions concernées.

responsable en Afrique de l’Ouest). L’objectif de ce dernier, fruit d’une coopération avec le laboratoire français Géosciences environnement Toulouse (GET), est de contribuer à la compréhension de la distribution des ressources minérales en Côte d’Ivoire, ainsi qu’à leur exploration et leur exploitation responsables, c’est-à-dire en tenant compte des impacts sociétaux et environnementaux. U-Man a été approchée pour faire partie du projet de l’Observatoire de recherche en environnement de Nambékaha (Oren), près de Korhogo dans le nord. Le président a également initié une ferme école, qui regroupe plusieurs activités de mise en valeur du patrimoine foncier et de recherche sur l’agriculture, avec une rizière de 7 ha, une bambouseraie, des cultures maraîchères, de l’aquaculture… Des coopérations scientifiques avec des institutions de recherche, des universités et des entreprises ont été mises en place en Côte d’Ivoire comme à l’étranger. L’occasion pour les professeurs et les élèves d’échanger et de s’enrichir mutuellement. ■ DR

Une rentrée à marche forcée À la tête de l’université, le professeur Lacina Coulibaly n’a peut-être pas eu la rentrée espérée. Contrairement à l’effectif prévu de 2 000 étudiants, elle n’a en effet reçu que 429 étudiants la première année (2016-2017). La raison est simple : les travaux de la première phase n’étaient pas bouclés. Mais la volonté d’ouvrir cette faculté était très forte. « Il a été conseillé d’accueillir un nombre restreint d’étudiants, tout en poursuivant les travaux », confie une source proche du ministère de l’Enseignement supérieur. Selon Albert Toikeusse Mabri, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, la fin des travaux de cette première phase est prévue d’ici à 2020. « Nous nous préparons à lancer la deuxième, qui va permettre d’avoir une université complète. Ce sera un investissement complémentaire de plus de 60 milliards de francs CFA, auquel l’État va consentir », explique-t-il. En attendant, les choses avancent. Pour la rentrée 2017-2018, 748 étudiants étaient inscrits, dont 123 filles. La faculté est dans une phase de structuration de ses activités de recherche. Plusieurs actions ont ainsi été menées, dont la création de l’École doctorale des sciences, technologies, énergie, agronomie et mines (Ed-Steam), ou la participation au projet du laboratoire mixte international Minerwa (pour une activité minière

Ici, on cherche à assurer la formation des cadres scientifiques et techniques, spécialistes du développement rural et communautaire.

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INTERVIEW

YOUSSOU N’DOUR « JE SUIS UN HOMME LIBRE ! » Artiste mondialement reconnu, entrepreneur ambitieux, ministreconseiller du Président… Le « boy Dakar » ne se reconnaît au fond que deux exigences : le Sénégal et sa famille ! Entretien exclusif.

YOURI LENQUETTE

propos recueillis par Astrid Krivian

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INTERVIEW YOUSSOU N’DOUR : « JE SUIS UN HOMME LIBRE ! »

AM : Pourquoi avez-vous nommé votre nouvel album History ? Youssou N’Dour : Parce que ce disque est composé de plusieurs histoires de vie. Celle de Babatunde Olatunji, percussionniste nigérian [né en 1927 et mort en 2003 aux États-Unis. Certains de ses morceaux ont été repris par Serge Gainsbourg, ndlr]. Il a laissé derrière lui des enregistrements inédits. Fan de ma musique, son neveu m’a demandé de terminer ses chansons, et j’ai donc chanté avec Baba virtuellement. Il y a aussi les histoires des artistes de la nouvelle génération : la chanteuse suédoise d’origine sénégalaise Seinabo Sey, avec qui je reprends « Birima », et le chanteur congo-suédois Mohombi sur « Hello ». Enfin, il y a la perte de mon fidèle compagnon, l’architecte de ma musique, le bassiste Habib Faye, avec qui j’ai composé énormément de morceaux, décédé l’an dernier. Vous lui dédiez le premier titre… Oui… La perte des êtres chers nous prépare et nous rappelle que la mort est un passage obligé pour tout le monde. On prie pour que cela vienne le plus tard possible. Quand cela arrive à un proche aussi essentiel à votre passion, cela 66

Youssou N’Dour et Peter Gabriel, en 1989, réunis autour de l’album Shaking the Tree.

vous interpelle. Croire en Dieu nous aide à comprendre ce rapport à la mort. Tout est écrit. Nous croyons à notre destin. Notre foi, notre religion est en nous, ses recommandations agissent et valent à chaque instant de notre vie, dans toutes circonstances. Vous êtes l’un des artistes africains les plus célèbres du monde. À chaque nouvel album, parvenez-vous à vous libérer de ce que l’on attend de vous ? J’ai la chance de venir du Sénégal avec une musique populaire, presque traditionnelle, le mbalax, originaire du folklore, et que notre génération a modernisée, urbanisée. Et dès les années 1990, j’ai rencontré des artistes extraordinaires comme Peter Gabriel, Paul Simon, avec lesquels nous avons créé ce que l’on appelle la « world music ». Il faut comprendre que celle-ci ne vient pas forcément d’Afrique. Elle est la jonction de beaucoup de musiques : africaines, anglo-saxonnes, asiatiques… J’ai donc mené deux carrières, avec ces deux courants, que je vis et crée avec la même passion. Alors, quand je sors un album, je choisis s’il est local ou world. History est world, avec cette influence urbaine africaine. La désignation « world music » n’est donc pas péjorative pour vous ? Non. Ce sont les médias de l’époque qui ont affirmé que la world music venait des pays sous-développés, pauvres, en catégorisant les artistes selon leur origine géographique. Je ne suis pas d’accord, ce genre concerne vraiment tout le monde. D’ailleurs, qui ne fait pas de world aujourd’hui ? Les popstars influentes viennent désormais de partout, on trouve des AFRIQUE MAGAZINE

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HARARI GUIDO

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lus d’une trentaine d’albums, près de cinquante ans de carrière, le chanteur et musicien à la renommée internationale, toujours aussi passionné, présente son nouveau disque, History. S’il est souvent associé au mbalax, genre traditionnel du Sénégal qu’il a modernisé et popularisé avec son orchestre Le Super Étoile de Dakar, l’artiste ne s’est jamais enfermé dans un style. Sa musique s’est toujours enrichie des formes musicales de son pays, du continent, et même au-delà, devenant l’une des figures majeures de la « world music » par ses collaborations, notamment avec Peter Gabriel, ou Neneh Cherry et leur tube « Seven Seconds » (1994). En 2005, réalisé avec des musiciens égyptiens, son album Egypt, dédié à Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie musulmane mouride à laquelle il appartient, est couronné d’un Grammy Awards. Héritier de la caste des griots, cet artiste engagé pour des causes panafricaines tout au long de sa carrière est également un homme d’affaires, patron de presse, fondateur du groupe Futur Médias (radio, chaîne de télévision, le quotidien L’Observateur – plus grand tirage du pays), qu’il a installé dans son quartier d’enfance de la Médina à Dakar. Mû par une ambition politique pour « répondre aux attentes des Sénégalais » (il avait tenté de se présenter à l’élection présidentielle en 2012), ancien ministre de la Culture et du Tourisme, il est aujourd’hui ministre-conseiller du président Macky Sall. Rencontre avec une personnalité pour qui le pouvoir et l’intégrité artistique peuvent se concilier.


« Nous sommes un pays démocratique, et tout le monde n’est pas obligé d’être d’accord avec le gouvernement. »

JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/DIVERGENCE POUR LE MONDE

Youssou N’Dour à la tribune de l’ouverture du Partenariat mondial pour l’éducation, à Dakar, en février 2018, entouré de Macky Sall, d’Emmanuel Macron et de chefs d’État africains.

percussions traditionnelles dans le rock… Toute musique est devenue world. Vous invitez des jeunes artistes sur votre album. Êtes-vous sensible et attentif à ce que la jeunesse crée sur le continent ? Oui ! C’est pour cela qu’on les retrouve sur le disque. Tous incarnent cette musique urbaine africaine, que le Nigeria a particulièrement développée. Je leur conseille de ne pas s’inspirer des Américains, je n’ai rien contre eux, mais en Afrique on a des bases tellement riches : il faut qu’ils se servent de ce terreau, de ces racines ! Nous avons de grandes compositions, des valeurs, des éléments qu’ils peuvent réactualiser. C’est le cas ici : quand on entend « Birima », qui a plus de quinze ans, AFRIQUE MAGAZINE

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reprise par Seinabo Sey et sa voix extraordinaire, à sa demande en plus… Ça montre que les jeunes ont compris qu’ils disposent de greniers ! Votre vocation s’est imposée de manière précoce : dès l’âge de 13 ans, vous chantiez, déterminé à en faire votre métier. Comment l’expliquez-vous ? Je ne sais pas. Rien n’a été calculé, il n’y avait pas de projet, d’objectif. Mais c’est vrai que je viens d’une famille griotte, du côté de ma mère. Les griots sont des conteurs, des chanteurs. Il y avait un conflit, mon père voulait que je continue mes études car ni lui ni ma mère n’avaient eu cette opportunité. Mais j’avais cette passion de chanter. Et quand après, ça devient votre métier, you are a happy man ! Même si cet héritage ne 67


INTERVIEW YOUSSOU N’DOUR : « JE SUIS UN HOMME LIBRE ! »

suffit pas, il faut beaucoup travailler. Et j’ai fait des rencontres extraordinaires, vécu des expériences, j’ai voyagé un peu partout au niveau sonore. Cela a enrichi ma musique. Votre père voulait que vous travailliez dans un bureau. Aussi, lorsque vous avez loué un local pour votre orchestre Le Super Étoile de Dakar, vous l’avez invité dans ce bureau… Oui et je lui ai dit : « Voilà, Papa, j’ai un bureau ! » Il était content, rassuré que je prenne quand même ses conseils au sérieux. Je comprends sa position à l’époque, il avait peur. Vous savez, nous avons des valeurs, une religion, mes parents étaient très pieux. Ils ne voulaient pas qu’on tombe dans la drogue, etc. Et ça m’a servi. Dans le show-biz, quand certaines choses se présentaient à moi, je pensais à mon père. Cela m’a aidé à faire attention, à savoir ce que je ne voulais pas. Aviez-vous le désir de faire carrière au-delà des frontières de votre pays, et même d’Afrique ? Non, je n’avais pas cette ambition. J’ai juste saisi les occasions quand elles se sont présentées. La première fois que je suis venu en France, en 1984, j’étais invité par l’Association des chauffeurs de taxis sénégalais à Paris. Avec mon orchestre, nous avons donné un concert à la mairie du 14e arrondissement. Je m’en souviens très bien ! Le lendemain, avec l’argent gagné, on a loué un studio d’enregistrement, et c’est là que j’ai enregistré mon premier album, Immigrés. Beaucoup d’artistes comme Jacques Higelin, Peter Gabriel l’ont écouté et adoré. Ils m’ont alors invité, j’ai découvert ce monde, jusqu’à ce que la world se crée autour de nous. Mais je n’avais rien programmé, je n’avais pas de plan de carrière. Et je n’ai jamais quitté le Sénégal. Vous n’avez jamais eu envie, comme beaucoup d’artistes, de vous expatrier ? Non. Vous savez, j’ai toujours eu besoin d’être auprès de ma mère. Je n’ai rien contre ceux qui sont partis de leur pays pour vivre ailleurs, certains ont ainsi réussi davantage, ils ont pris des raccourcis. Mais ma musique avait besoin du Sénégal. Et voir ma mère, ma famille, c’est le plus important. Dieu sait pourtant qu’il y a eu des tentations, des propositions. J’ai énormément voyagé, je fais toujours beaucoup d’allers et retours. Mais là, je finis mon interview avec vous et, je touche du bois, je prends un avion ce soir pour rentrer à la maison, à Dakar. Vous êtes ministre-conseiller de l’actuel président Macky Sall. Concrètement, en quoi consiste votre rôle ? Quand il fait appel à moi, je le conseille sur toutes sortes de sujets, ma mission est transversale. En 2012, je faisais déjà

partie du gouvernement en tant que ministre de la Culture et du Tourisme. J’en suis sorti pour retourner à ma passion, qui me manquait. Je ne suis pas son seul conseiller. Et on ne dit jamais en public ce que l’on conseille à un président. Mais ça me plaît, je suis content de ma collaboration. Je suis un homme libre, et je pense à mon peuple. J’exerce mon métier, je vis ma réussite, et la vie c’est le partage : si j’ai une expérience, un réseau que je peux mettre à la disposition de mon pays, si je peux aider la personne qui à mon sens est la plus à même de le diriger, je la soutiens, pour l’intérêt général. Je veille à sa stabilité, c’est très important, il ne faut pas aller « à l’aventure ». À ce sujet, je joue mon rôle, croyez-moi. Vous dites partager la vision du Président sur le Sénégal. Quelle est la vôtre ? Si ce pays de 15 millions d’habitants rayonne ainsi, c’est grâce à ses ressources humaines. Regardons l’histoire : Léopold Sédar Senghor, le père de la nation sénégalaise [premier président, de 1960 à 1980, ndlr], était un homme de culture, un poète, un panafricaniste. Je partage son idée selon laquelle la culture est au début et à la fin de tout développement. Je comprends que d’autres budgets comme celui de l’éducation soient plus importants et prioritaires. Mais il faut donner encore plus de place à la culture, engager des réformes pour permettre aux artistes, aux musiciens, de pouvoir vivre décemment, car c’est très difficile pour eux. Nous avons aussi des figures religieuses comme Cheikh Ahmadou Bamba, d’autres intellectuels et penseurs comme Cheikh Anta Diop. Il faut préserver ces bases, et les transmettre à la jeune génération. C’est notre force. Après, bien sûr, il faut régler les problèmes en matière d’emploi, d’éducation, de formation des jeunes… 75 % de la population a moins de 25 ans et il faut répondre aux besoins de cette jeunesse. Il faut aussi exploiter les ressources naturelles découvertes récemment, comme le gaz, le pétrole, les transformer, et définir quels secteurs vont en profiter en priorité (santé, agriculture, éducation…). Et que toute la population en bénéficie. Mais il ne faut pas dépendre seulement de ces ressources, sinon on en devient prisonniers, comme c’est le cas pour d’autres pays. Et ces richesses ne doivent pas bousculer, nous faire oublier nos valeurs, que nous devons toujours préserver pour nos enfants. C’est là où la culture doit exercer son rôle. Des rappeurs sénégalais, notamment le groupe Keur Gui, pose un regard amer et déçu envers le pouvoir, qui serait

« Je finis mon interview avec vous et, je touche du bois, je cours prendre

un avion pour Dakar. »

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Comment se déroule pour vous une journée lambda ? pour eux la continuité du précédent. Ils estiment Le week-end, je reste à la maison avec les enfants, la notamment qu’il n’y a pas de progrès au niveau social… famille, un peu les amis. Je regarde le sport à la télé, en parNous sommes un pays démocratique, et tout le monde n’est ticulier le football. Je soutiens bien sûr notre équipe nationale pas obligé d’être d’accord avec le gouvernement. Certes, tout Les Lions de la Téranga. On y croit pour la coupe d’Afrique n’est pas OK à 100 %, mais il y a eu des avancées. Chacun doit cette année ! Nous avons de bons joueurs. Sinon, en semaine, être écouté : les critiques des opposants, des rappeurs, peuvent si je ne suis pas à mon cabinet pour travailler sur mes dossiers être utiles pour les gouvernants. Il y a des pays où tu ne peux avec l’État, je fréquente le studio pour des répétitions. Je reste pas dire un mot contre l’État. Au Sénégal, tu parles toute la aussi beaucoup à la maison. Je sors un peu, mais quand on journée, tu vas même aller plus loin et insulter, et on ne te dit est connu, c’est difficile et j’aime bien rester moi-même. Renrien… Tout le monde a sa voix, sa vision. Il faut les écouter et contrer des gens, c’est important, mais je passe le maximum essayer d’améliorer, de répondre à toutes ces questions. de temps avec ma famille. Car ce n’est pas évident, je pars Vous avez fondé un studio d’enregistrement, un club, le groupe énormément en tournée, j’ai un calendrier de folie. de presse Futur Médias réunissant le quotidien L’Observateur, Que transmettez-vous à vos enfants ? une chaîne de télé, une radio… C’était aussi dans l’objectif Des valeurs comme l’humilité, très importante. Le rôle de créer une dynamique économique, des emplois ? d’un parent est de ne pas démissionOui. Le partage est une valeur très importante que l’on ner. De veiller, et rectifier ce qui ne doit cultiver. Quand on a du succès, on gagne de l’argent, alors fonctionne pas. D’abord par l’éducaon investit. Aujourd’hui, je peux me glorifier d’avoir créé plus tion à la maison, avec bien sûr le rôle de 500 emplois avec mes difféprimordial de leur maman. Après, il rentes activités. Je dois beaucoup faut qu’ils aillent à l’école, acquièrent au peuple sénégalais, et je veux des connaissances, on s’assure qu’ils répondre à ses besoins. aillent le plus loin possible dans Vous citiez précédemment ◗ History, 2019 (Naïve) les études. Car moi, j’ai arrêté l’historien et anthropologue ◗ 7 Seconds: The Best of Youssou N’Dour, 2004 assez tôt. Il faut aussi savoir les sénégalais Cheikh Anta Diop. (Columbia/Legacy) écouter, échanger avec eux. Ses écrits ont-ils eu une ◗ Joko: From Village To Lorsque le gouvernement français importance pour vous ? Town, 2000 (Columbia) décide de multiplier par seize Oui. On n’a pas assez lu ses ◗ Immigrés, 1985 (Earthworks) le montant des frais d’inscriptions œuvres, on ne l’a pas assez écouté. universitaires pour les étudiants Il nous a tout appris, sur le rôle étrangers extra-européens, et la place historique de l’Afrique qu’est-ce que cela vous inspire ? dans le monde et la contribution de Les grandes décisions qui frustrent l’homme noir à l’humanité, les solusont souvent d’ordre politique. Pour tions qui ont été trouvées bien avant tenter de stabiliser l’économie, on la colonisation… Les colonisateurs ont touche à des poches. Or, les études ne brouillé les cartes en nous imposant un doivent pas faire l’objet d’un marchandage économique. Je ne modèle. Mais dans le passé, les sociépeux pas me mêler de la politique intérieure d’un État, mais tés avaient défini elles-mêmes leur organisation, etc. Il faut y en tant que père de famille, cette décision me gêne. Fréquenchercher des éléments qui pourraient apporter des solutions à ter les grandes écoles ne doit pas être réservé à ceux qui ont ce que nous vivons. Je conseille aux jeunes qui s’interrogent, de l’argent. Le français est encore la langue officielle dans et même à ma génération, de replonger dans ses écrits. Nous le monde du travail au Sénégal. Heureusement, grâce à des n’avons pas encore réussi à transcrire et rendre accessibles ses réformes, d’autres langues comme l’arabe commencent à être idées, qui ne s’adressent pas qu’aux universitaires, intellectuels, utilisées. Mais avant ça, si vous n’alliez pas à l’école française, mais aussi à une population qui se cherche encore. vous aviez peu de chance de devenir avocat par exemple. Si en Il rappelait que l’Égypte pharaonique était noire… plus, on nous met des obstacles économiques pour continuer Sa vision m’a beaucoup encouragé, et mon album Egypt les études en France… ■ (2004) était aussi une démarche pour raviver ce lien avec l’Égypte, à travers ce mélange d’instruments acoustiques égyptiens et sénégalais. Et puis, bien sûr, l’élément sonore qui m’a History, Naïve, avril 2019. Youssou N’Dour sera en concert gratuit inspiré et poussé à réaliser ce disque : la voix d’Oum Kalthoum. le 18 mai à Vitry-sur-Seine, dans le cadre des Fêtes du Lilas.

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discographie sélective

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DÉSERT

ENDURANCE

AU RYTHME DU MARATHON ! par Fouzia Marouf, envoyée spéciale

Les participants doivent parcourir 250 kilomètres à allure libre, de jour comme de nuit. 70

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C’est devenu une aventure légendaire, une course libre et folle au cœur du désert marocain, entre les dunes, les pierres et les oueds à sec. Retour sur le 34e Marathon des sables qui a réuni, du 5 au 15 avril derniers, 800 coureurs venus de 50 pays. Et où, comme d’habitude, les runners du royaume l’ont emporté !

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Durant sept jours, aucune alimentation n’est offerte aux concurrents, lesquels apportent soupe, riz, pâtes… Seule l’eau est fournie par l’organisation, dont les membres sont marocains et français. Attentif au moindre détail, Patrick Bauer, lunettes de soleil, le sourire en bannière, est le directeur de course et homme-orchestre de cet incroyable marathon. Passionné de running, amoureux du désert marocain, il a parcouru seul 350 kilomètres dans le Sahara pendant douze jours, en 1984. Il découvre un tatouage sur son avant-bras, « Marathon des Sables, 1984 », avec le dessin d’un homme en casquette, le visage caché par un chèche, devenu le logo de la célèbre course : « Le MDS est une compétition unique au monde qui fédère des hommes, des femmes de toutes nationalités, de cultures différentes, et où toutes les langues se mélangent », nous indique-t-il.

JOSUE FERNANDEZ

ube ensoleillée au cœur des dunes parmi d’innombrables bivouacs dressés à Erfoud, ville du sud marocain, le 6 avril dernier. Créé en 1986 par Patrick Bauer, le Marathon des sables (MDS) a drainé cette année 800 coureurs issus de 50 pays, dont le Japon, l’Afrique du Sud, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la France ou encore le Canada. Rompus à l’effort physique, les runners doivent parcourir 250 kilomètres à allure libre, de jour comme de nuit, mais peuvent marcher tout au long de l’épreuve. Le parcours est modifié à chaque édition et tenu secret jusqu’à la veille du départ. Avec ses 83 ans, le Corse Claude Léonardi était le concurrent le plus âgé du peloton et participait pour la neuvième fois.

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ORIENTALISME MILLE ET UNE NUANCES

Autre défi ? Le désert et ses risques de déshydratation, de brûlures, de blessures, auxquels répondent les DocTrotter, une assistance médicale composée de médecins, de podologues, d’infirmiers bénévoles. Si le maître-mot revenant sans cesse dans le discours ambiant était « bienveillance », sur le terrain, dès le coup d’envoi du 7 avril, le Marathon des sables s’est couru avec un encadrement de 120 camions et 4x4, deux hélicoptères, quatre dromadaires et le soutien des Forces armées royales. Pour Ahmed Al Katheeri, qui représentait les Émirats arabes unis, et chargé chaque jour de son sac à dos de 10 kg, c’est une leçon de vie : « J’ai vu un coureur aidé par les guides, car il n’arrivait plus à voir les étapes, d’autres courir avec des membres artificiels, qui rappellent que rien n’est impossible à force de ténacité. Cette course au cœur des dunes, des pierres, des montagnes nous rappelle les conditions de vie difficile des Marocains, qui résistent au froid glacial depuis plusieurs années. » Alors que de nombreux participants courent au profit d’une cause afin de lever des fonds pour les plus démunis ou aider les enfants malades, d’autres comme Monique, 60 ans, et Georges, 70 ans, s’inscrivent dans le dépassement de soi. Ces Luxembourgeois en sont à leur 19e MDS ! Les terrains sablonneux, l’alternance de passages rocheux entrecoupés de dunettes, Lhoucine Akhdar, né à Zagora, dans le Sud marocain, les connaît les yeux fermés. Ce coureur qui entame son 16e MDS au sein de l’équipe 72

Terre d’Aventures a grandi au rythme des marathons. « J’ai fait ma première course en 1995, lors du 10e MDS. Je connais Patrick depuis l’âge de 11 ans. Je lui ai dit que je voulais y participer, et il m’a alors aidé à trouver un sponsor », se souvient ce talentueux coureur et guide, féru de randonnées, qui a parcouru la Lybie et la Corse. À l’issue de sept jours intenses, c’est le célèbre champion du Marathon des sables, Rachid El Morabity, originaire de Merzouga, qui a remporté sa septième victoire, suivi par son frère, Mohamed El Morabity. « L’important n’est pas de gagner, mais de vivre ce défi ensemble jusqu’au bout », nous indique Rachid. Côté féminin, Aziza Raji, 32 ans, provenant d’El Kelaa des M’Gouna, dans la Vallée des roses, est arrivée en deuxième position, derrière la Néerlandaise Ragna Debats, 40 ans. L’équipe marocaine, grand vainqueur, a été emmenée par Aziz El Akad, autre athlète émérite du MDS, et Abdelkader El Mouaziz, légende vivante ayant remporté les marathons de New York, Londres et Chicago. « On a couru à 3 000 mètres d’altitude durant quatre mois, ça renforce les globules rouges », confie-t-il. L’humilité et la solidarité ont ponctué cette course au fil du désert, des tentes montées à la façon berbère, au gré des vents, et des runners qui ont négocié avec l’adversité. Prochain challenge, la course d’endurance de 2020, qui marquera les 35 ans du Marathon des sables. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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MBACARDIT

Les enfants du désert face au champion, Rachid El Morabity, qui a remporté son septième Marathon des sables.


L’organisateur Patrick Bauer (en bleu) lance le MDS 2019.

Rachid El Morabity et Abdelkader El Mouaziz.

Ahmed Al Katheeri, qui représente les Émirats arabes unis.

JOSUE FERNANDEZ - MBACARDIT - JOSUE FERNANDEZ - VCAMPAGNIE RACEPHOTOS POUR MARATHON DES SABLES - JOSUE FERNANDEZ

Aziza Raji, arrivée deuxième du côté féminin.

Claude Léonardi, 83 ans, le vétéran de cette édition.

L’équipe marocaine, grand vainqueur, en liesse.

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INTERVIEW

Adama Paris

«Ma mission, c’est l’Afrique» Promotrice de la mode du continent dans le monde entier, la styliste vient d’ouvrir à Paris un concept store qui sera une vitrine pour les créateurs et un lieu d’échanges culturels. propos recueillis par Fouzia Marouf

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laid kényan sur les épaules, Adama Paris nous reçoit à une terrasse de café vêtue d’un haut jaune citron, d’un jean slim et de baskets rouges, création de sa collection. Frondeuse, créative, cette styliste sénégalaise de 42 ans a, en moins de vingt ans, tissé un véritable empire. Diplômée d’un DESS d’économie, elle fonde en 2002 la Dakar Fashion Week, qui a assuré sa 16e édition en juin dernier. Chevillée à l’Afrique, en 2012, elle crée la Black Fashion Week. Toujours à l’affût de nouveaux défis, elle lance en 2014 la chaîne Fashion Africa TV, première du genre, diffusée dans 46 pays africains par Canal+. Si elle vient de créer l’African Fashion Federation, un calendrier réunissant les multiples Fashion Week du continent, cette femme d’affaires débordante d’énergie et d’idées ouvrira le 11 mai Saargale, un concept store de 137 m2, à Paris : moderne, chic et dynamique, il veut offrir un nouveau regard sur des créations uniques. Sollicitée par Beyoncé, qui a porté l’une de ses pièces sur scène, la business woman, de passage dans l’Hexagone, nous a accordé un entretien. 74

AM : Parlez-nous de Saargale, votre concept store africain qui ouvrira ses portes en mai à Paris. Adama Paris : Je suis convaincue du talent de nos artistes. Actuellement, le continent regorge de créateurs et d’artisans porteurs d’une belle vitalité, et il me tient particulièrement à cœur de valoriser leur art. Cela implique de les fédérer et de présenter leurs travaux au sein d’un même lieu. Saargale a été pensé comme la déclinaison d’un Colette [célèbre concept store de luxe parisien fermé en 2017] à l’africaine, qui donnera à voir des pièces uniques de petits artisans mais aussi de créateurs plus pointus issus du continent et de la diaspora, qui se sont imposés en tant que dépositaires d’une mode éthique et chic. Cet espace proposera des pièces exceptionnelles. L’Afrique est pétrie de richesses et détient un savoirfaire unique. Cette boutique, située sous le Viaduc des Arts, zone du 12e arrondissement dévolue à l’artisanat, proposera aussi des produits culturels créés par 18 artistes et inspirés du patrimoine africain. Je souhaite mettre en avant une certaine élégance, alliée à la modernité, et s’adressant aux amateurs du « made by Africans », à travers le design, le mobilier, la photographie d’art, les bijoux, les livres, les vêtements, les chaussures et des marques, telles qu’Ousmane Mbaye Design, Bouswari Bags, Sarragale Mobilier, KikoRomeo, Royal Cuir, Samarra Shoes… Nous avons plus que jamais besoin d’accéder à l’Afrique contemporaine. Aujourd’hui, j’ouvre Saargale à Paris, avec l’espoir de faire des émules à Londres, New York, Madrid ou encore Milan. Que signifie « Saargale » en wolof ? Cela veut dire « rendre hommage ». Ce concept store, fruit de trois années de travail, est une façon de mettre en lumière la mode et le design et sera une véritable vitrine internationale pour les créateurs. J’aimerais que Saargale incarne un AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 2 – M A I 2 0 1 9


MARIO EPANYA

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INTERVIEW

Collection présentée lors de l’African Fashion International au Cap, en Afrique du Sud, en mars 2018.

Sa boutique parisienne, Saargale, qui propose design, mobilier, bijoux ou encore vêtements, ouvre ses portes en mai.

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style de vie inspiré du continent et devienne un nouveau lieu d’échanges et de rencontres, ouvert à tous, autour de journées à thème et de signatures de livres en présence d’artistes de passage à Paris. Je souhaite que ce lieu soit une part d’Afrique où chaque objet raconterait une histoire authentique. Cet espace est également doté d’un bar-terrasse, où l’on peut déguster des thés et des cafés exotiques fabriqués en Éthiopie, en Afrique du Sud, au Kenya et au Sénégal. On pourra s’y ressourcer, tout en restant connecté à la création culturelle du continent et à ses saveurs. Vous avez passé votre enfance et votre adolescence en France. Quel est votre lien avec l’Afrique ? Je me sens profondément africaine. J’y ai mes racines et ce qui participe à construire ma vie : mes parents et ma grandmère. Tout ce qui constitue l’Afrique, et que je ne peux pas décrire en quelques mots, fait que je m’y sens bien. Je pense que mon désir effréné de promouvoir le continent hors de ses frontières provient de là. C’est ma mission et ma vie. C’est à Dakar que j’ai présenté ma première collection en tant que jeune créatrice, à l’âge de 17 ans. Je m’y suis formée au fil du temps en achetant des marques, en organisant des défilés. Il me fallait commencer par ma ville, ma tribu, travailler avec les miens. En plus de l’Europe et de l’Afrique, vous avez aussi vécu en Amérique du Nord. Qu’en retenez-vous ? Mon père était diplomate et nous avons beaucoup voyagé. J’ai aimé Los Angeles et Washington, mais j’ai adoré l’énergie communicative de New York. Ce sont les Américains qui m’ont rendue forte, qui m’ont insufflé la niaque indispensable pour atteindre mes objectifs. Mes parents me disaient : « Si tu veux t’offrir des vacances, tu dois travailler. » Et à 17 ans, j’étais déjà promue responsable dans des boutiques tenues par des juifs new-yorkais alors que je n’avais pas la green card, tant ils m’appréciaient ! J’avoue que j’ai une grande capacité d’adaptation, je suis un oiseau migrateur. Vous avez créé la Dakar Fashion Week qui a assuré en 2018 sa 16e édition, puis, en 2012, la Black Fashion Week, qui se tient chaque année dans plusieurs pays. Et en 2014, vous avez lancé la chaîne Fashion Africa TV… J’ai une âme de militante. La création de la Dakar Fashion Week m’a naturellement menée à celle de la Black Fashion Week, qui se tiendra à Paris en septembre prochain, au cirque Bormann Moreno. Et j’ai entamé le projet de Fashion Africa TV après avoir constaté que les créateurs du continent manquaient cruellement de visibilité, d’autant que je suis aussi styliste. Il faut rappeler qu’elle a fait son lancement sur YouTube : au bout d’un mois, j’ai été contactée par Canal+, et nous avons négocié durant six mois. Puis, j’ai investi dans le matériel nécessaire aux tournages. Finalement, la chaîne a assuré la diffusion au sein de nombreux pays africains, ce qui a dopé le pourcentage des vues. AFRIQUE MAGAZINE

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BIZENGA DASILVIO (2) - MARIO EPANYA

ADAMA PARIS : « MA MISSION, C’EST L’AFRIQUE »


BIZENGA DASILVIO

Défilé au Cap, en mars 2018. Vous êtes entourée d’une équipe très féminine. Avez-vous grandi avec des meneuses et des femmes influentes ? Effectivement. Je suis issue d’une famille composée de femmes fortes. Ma mère a toujours été hyperactive tout en élevant ses nombreux enfants, comme ma grand-mère. Je tiens d’elles. Elle a d’abord été institutrice, puis politicienne et députée. Elle ne partageait pas les mêmes idées que mon père, bien au contraire, puisqu’elle était dans l’opposition ! Je vous laisse imaginer les débats houleux qu’il y avait à la maison. Tout était prétexte à discussion. Encore aujourd’hui, nous avons des échanges animés, mes sœurs et moi-même. C’est pourquoi je déteste la politique, à cause du souvenir envahissant des meetings et des militants qui venaient dormir chez nous, et auxquels on devait céder nos chambres… En Afrique, la politique est un univers violent. Parfois, on ne pouvait pas aller à l’école à cause d’actions engagées par ma mère, car nous étions des cibles potentielles. C’était une vraie Mère Teresa, qui nous sensibilisait à la pauvreté d’autrui. Elle est très appréciée au Sénégal. Son père, Djim Momar Gueye, doué pour les affaires, était aussi une figure emblématique, qui a travaillé aux côtés de Léopold Sédar Senghor. Je tiens de lui mon goût pour l’investissement. Créatrice de mode, femme d’affaires, vous êtes présente sur de nombreux fronts. Comment vous déconnectez-vous ? J’adore le surf et le golf, que je pratique au Sénégal et au Maroc. Mon mari et moi voyageons énormément depuis deux ans, et n’avons pas encore eu le temps de prendre de vacances. Nous n’avons même pas pu partir en voyage de noces, alors que nous nous sommes mariés l’été dernier et que nos amis AFRIQUE MAGAZINE

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nous l’ont offert. Dès que je peux, je me ressource à Dakar : lorsque je vois la mer et la corniche, je revis. Je vais manger mon tieb chez ma grand-mère, je passe du temps auprès de ma mère. J’ai peu d’amis, auxquels je suis fidèle depuis plusieurs années. Et j’aime nager dans le fleuve Sénégal et le Saloum, près desquels j’ai grandi. Avouez que vous avez un nouveau projet en tête… Absolument [rires] ! C’est un rêve auquel j’œuvre activement : l’ouverture d’une usine, à Dakar, spécialisée dans la confection de vêtements en matières naturelles – à petite comme à grande échelle –, assurée par l’atelier Saargale. Cela impliquerait le savoir-faire de tisserands, d’artisans, de brodeurs, soit l’ensemble de la chaîne de valeurs éthiques « made in Sénégal ». Ce serait un lab innovant, destiné à moderniser tous ces corps de métier. Dès lors, l’Atelier Saargale pourrait par exemple assurer des formations autour du découpage d’un tailleur. Il faut savoir que pour de jeunes stylistes africains, à l’heure actuelle, le défi est de produire en quantité suffisante pour distribuer leurs marques au sein de grandes enseignes, comme les Galeries Lafayette. On instaurerait alors un cercle vertueux, la garantie de la distribution pour les créateurs et le respect d’un cahier des charges à destination de grands groupes en Europe, ce qui pallierait l’éternel problème de la distribution sur le continent. Notre mode propulse en avant les matières bio, à nous de dynamiser nos compétences et nos connaissances. N’oublions pas que 70 % de la population du continent est jeune, et que d’ici à dix ans, nous devons pouvoir offrir de nouvelles perspectives à notre jeunesse, faute de quoi elle ira se jeter en mer pour rejoindre le Vieux Continent. ■ 77


PORTFOLIO présenté par Zyad Limam

WORLD PRESS 2019

Ainsi va notre monde Né en 1955, c’est le concours de référence du photojournalisme. Et chaque année, à chaque fois, c’est une plongée brutale dans notre actualité, un regard sans concessions, souvent émouvant, sur notre planète et la condition humaine. Pour le cru 2019, les jurés ont départagé 78 800 images soumises par 4 730 photographes venus de 129 pays. L’ensemble du palmarès et des prix est à découvrir sur worldpressphoto.org. 78

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John Moore, États-Unis (Getty Images) • Crying Girl on the Border, Photo de l’année

Après un périple d’un mois et la traversée du Río Grande… 12 juin 2018. La petite Hondurienne Yanela Sanchez, 2 ans, en larmes, avec sa mère Sandra, au moment de leur arrestation par les gardes frontières américains, à McAllen, au Texas. Une image à la fois humaine et brutale sur le drame de l’immigration. La semaine suivante, sous la pression de l’opinion publique, l’administration Trump mettra fin à sa politique plus que controversée de séparer les enfants de leurs parents clandestins…

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Chris McGrath, Australie (Getty Images) • Covering the Disappearance of Jamal Khashoggi, présélection Photo de l’année 15 octobre 2018. Un officiel tente de contenir la presse à l’arrivée des enquêteurs saoudiens au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie, après la disparition du journaliste Jamal Khashoggi. Un regard décalé sur un meurtre d’État.

Mohammed Badra, Syrie (European Pressphoto Agency) • Victims of an Alleged Gas Attack Receive Treatment in Eastern Ghouta, présélection Photo de l’année

L’interminable drame syrien et sa cohorte de victimes au quotidien. Ghouta orientale, à l’est de Damas, 25 février 2018. Un groupe d’hommes et un enfant dans un hôpital de fortune, après une attaque supposée au gaz.

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Brent Stirton, Afrique du Sud (Getty Images) • Akashinga: The Brave Ones, présélection Photo de l’année

Zimbabwe, réserve naturelle de Phundundu, juin 2018. Petronella Chigumbura, 30 ans, est membre d’une unité de rangers entièrement féminine et issue de populations défavorisées. L’Akashinga (« ceux qui sont braves ») lutte contre le braconnage et pour la défense de l’environnement. Camouflage, infiltration, une véritable image de guerre…

Marco Gualazzini, Italie • The Lake Chad Crisis, 1er prix Environnement (reportage) Ababakar Mbomi a été la cible de Boko Haram. Il a été touché par 11 balles quand les terroristes ont tenté de kidnapper sa femme en 2014. Un reportage éclairant sur la crise humanitaire et environnementale qui touche le bassin du lac Tchad.

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PORTFOLIO

Diana Markosian, Russie/États-Unis (Magnum Photos) • The Cubanitas, 1er prix Sujets contemporains (photo unique)

Pura fête ses 15 ans à La Havane, Cuba, debout dans une belle décapotable américaine des années 1950. C’est la fameuse cérémonie fastueuse de la quinceañera, l’entrée dans la féminité et dans l’âge du mariage.

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Finbarr O’Reilly, Canada/Grande-Bretagne • Dakar Fashion, 1er prix Portraits (photo unique)

31 décembre 2018. C’est là que ça se passe, dans le quartier de la Médina, à l’occasion de la Dakar Fashion Week ! Diarra Ndiaye, Ndeye Fatou Mbaye et Mariza Sakho, trois mannequins tout en élégance, portent les créations d’Adama Paris, devant des résidents plus ou moins surpris.

Ingo Arndt (National Geographic) • Wild Pumas of Patagonia, 3e prix Nature (reportage)

Nous sommes en Patagonie, au Chili, territoire de prédilection des pumas, prédateurs habiles et patients. Ici, une femelle s’attaque à un guanaco mâle, une espèce de lama sauvage.

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LE GRAND DÉBAT

LA FINANCE VERTE, UNE CHANCE À SAISIR

Des milliards de dollars pleuvent sur l’Afrique pour lutter contre le changement climatique. 3 000 milliards de dollars d’investissement sont ainsi attendus jusqu’en 2030. Encore faudra-t-il les répartir de manière coordonnée et localisée pour être efficace. par Jean-Michel Meyer

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a ville portuaire de Beira, au Mozambique. Rasée. La première grande agglomération rayée de la carte par l’effet dévastateur du dérèglement climatique se situe en Afrique. Le cyclone Idai, qui a ravagé la côte mozambicaine durant la nuit du 14 au 15 mars, a fait 602 victimes dans le pays, selon le bilan du 9 avril 2019, et 1,8 million de sinistrés. Beira, la deuxième ville du pays avec ses 530 000 habitants, et ses environs ont été « endommagés ou détruits à 90 % », a annoncé le 18 mars la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). Les cyclones du type Idai sont l’un des cataclysmes climatiques annoncés pour le continent. Comble du cynisme, le Mozambique ne produit que 0,14 % des émissions de gaz carbonique de la planète. « Le changement climatique présente un risque important pour les pays africains, particulièrement vulnérables aux sécheresses, inondations et cyclones tropicaux. Ces catastrophes fragilisent la croissance de nombreux pays et menacent les progrès réalisés de haute lutte en matière de développement », a alerté, le 30 mars 2019, à Addis-Abeba, Mohamed Beavogui, le directeur général de la Mutuelle panafricaine de gestion des risques (ARC). Or, le continent n’est responsable que de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et ne reçoit que 3 % du

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financement destiné à contrer le réchauffement de la planète ! « Après avoir été lésée par le changement climatique, l’Afrique ne doit pas l’être dans le financement de la lutte contre ce phénomène », a clamé tout au long de la COP24, en décembre dernier en Pologne, Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD). Des États africains ont pris l’initiative à travers les Contributions déterminées au niveau national (CDN), découlant de l’Accord de Paris en 2015, destinées à atténuer les effets négatifs du changement climatique. Au Ghana, les autorités ont lancé en 2017 le projet One-District-One-Factory (1D1F). « L’objectif stratégique est de fournir dans les régions du nord un accès à l’eau, tout au long de l’année, aux petits exploitants agricoles, pour qu’ils aient d’autres moyens de subsistance pendant la saison sèche », détaille le président ghanéen Nana Akufo-Addo. Lancé en 2017, le Plan d’action pour le climat en Afrique (ACBP), de la Banque mondiale, soutient directement les CDN de huit pays (Rwanda, Mali, Côte d’Ivoire, Namibie, Ouganda, Mozambique, Zimbabwe et Kenya), à travers une plate-forme qui finance 176 projets à hauteur de 17 milliards de dollars. Entre 2011 et 2015, la BAD a rassemblé 12 milliards de dollars pour développer des économies sobres en carbone et AFRIQUE MAGAZINE

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résilientes au changement climatique. Le curseur ne cesse de grimper. Avec les grandes banques multilatérales de développement (BMD) de la planète, la BAD a réuni pour l’Afrique un niveau record de 35,2 milliards de dollars en 2017, en hausse de 28 % par rapport à 2016. Des montants investis à 79 % dans des projets pour réduire les émissions nocives et ralentir le réchauffement planétaire. Les 21 % restants ont soutenu les mesures d’adaptation aux risques (inondations, sécheresses, cyclone, etc.). L’effet de levier de ces financements multilatéraux a permis, en 2018, de mobiliser 51,7 milliards de dollars supplémentaires auprès d’investisseurs publics et privés, portant l’engagement total dans la lutte contre le changement climatique sur le continent à un record de 86,9 milliards de dollars.

Le président de la BAD, Akinwumi Adesina, doublera l’action annuelle de la banque à 25 milliards de dollars entre 2021 et 2025.

« Nous devons faire davantage et plus vite, sans quoi des millions d’individus risquent de basculer dans la pauvreté », a exhorté Kristalina Georgieva, alors présidente par intérim de la Banque mondiale, lors du One Planet Summit, à Nairobi, le 14 mars 2019. Et d’annoncer le doublement de ses engagements dans des projets climatiques depuis cinq ans, pour les porter à 22,5 milliards de dollars en Afrique entre 2021 et 2025. Effort identique de la BAD qui doublera son action annuelle à 25 milliards de dollars sur la même période. En 2019, la Banque mondiale allouera à l’Éthiopie un programme de 500 millions de dollars, d’une ampleur inédite pour elle sur le continent, pour optimiser les systèmes de gestion des bassins versants et l’adminisprojection de la finance verte de la bad à l’horizon 2020 (en %) tration foncière. En tant qu’administrateur du fonds fiduciaire de l’Initiative carbone pour le développement (Ci-Dev), qui gère un portefeuille de projets de plus de 73 millions de dollars, la Banque mondiale a signé avec la Kenya Tea Development Agency Power Company Ltd (KTDA Power) un accord pour l’achat des crédits carbone de petites centrales hydroélectriques, qui fournissent de l’électricité à 350 000 petits producteurs et à 39 usines régionales de thé au Kenya, afin de réduire les émissions. « Nous devons prendre des mesures audacieuses pour contrer le changement climatique », plaide Kristalina Georgieva. Comme la Financement climatique réel Financement climatique prévu Banque mondiale l’a d’ailleurs démontré avec la révolution des green bonds, les obligations tisseurs recherchent des placements compétitifs, mais nous vertes, nés en 2008. En dix ans, l’institution a émis 150 green constatons qu’un plus grand nombre d’entre eux veulent aussi bonds. Fin 2018, 91 projets étaient éligibles au financement investir leur argent pour avoir un impact positif et mesurable de 15,4 milliards de dollars d’obligations vertes, aux deux sur la société », analyse Heike Reichelt, responsable des relatiers dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique tions avec les investisseurs et des nouveaux produits au service et les transports propres. Depuis 2008, les entreprises et les de la trésorerie de la Banque mondiale. banques, les États, les institutions supranationales ou les Mais l’Afrique est encore timide sur ce marché. Depuis municipalités ont emboîté le pas. En dix ans, 521 milliards 2013, la BAD a levé 2 milliards de dollars de green bonds, de dollars ont été mobilisés en obligations vertes. « Les inves86

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IMAGO/STUDIOX - INFOGRAPHIE, SOURCE : BAD

DES MESURES AUDACIEUSES


Dans la nuit du 14 au 15 mars, le cyclone Idai a rasé la ville portuaire de Beira, au Mozambique. finançant 36 projets. Seuls quatre pays (Afrique du Sud, Maroc, Nigeria et Namibie) ont lancé des obligations vertes, levant 2 milliards de dollars. La banque sud-africaine Nedbank a ouvert la voie sur le continent en 2012, mobilisant 481 millions de dollars pour financer des projets d’énergie renouvelable. L’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen) a suivi en 2016, en investissant environ 120 millions de dollars pour construire des centrales solaires. Fin 2017, le Nigeria a émis ses premières obligations vertes souveraines, rassemblant 30 millions de dollars pour des projets énergétiques. Et, en décembre 2018, en Namibie, la Bank Windhoek a réuni 4,74 millions de dollars. L’Égypte et le Kenya devraient suivre en 2019.

IFRC CLIMATE CENTRE/ZUMA/REA

UN PROCESSUS LOCALISÉ

« Le changement climatique représente une opportunité d’investissement de 3 000 milliards de dollars en Afrique d’ici à 2030 », et le secteur privé en sera l’un des acteurs clés, prédit Barbara Buchner, directrice exécutive du programme de financement de la lutte contre le changement climatique à la Climate Policy Initiative (CPI), un club d’experts. Pour coordonner l’action de tous les investisseurs et impliquer le secteur financier local, la BAD a mis en place en mai 2018 l’African Financial Alliance on Climate Change (Afac). « Les acteurs financiers africains doivent travailler ensemble de manière créative pour mobiliser des ressources financières mondiales à une échelle capable de soutenir l’innovation locale », a justifié le président de la BAD. AFRIQUE MAGAZINE

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« Le continent n’est responsable que de 4 % des émissions. Et ne reçoit que 3 % des financements pour lutter contre le changement climatique. » Car l’argent ne fait pas tout. Il faut savoir l’utiliser. S’assurer que ces milliards de dollars seront orientés vers les CDN et la construction d’une économie africaine durable. « L’adaptation sera un processus très coûteux, ce sera aussi un processus localisé », prévient David Jackson, le directeur du financement du développement local au Fonds d’équipement des Nations unies (Fenu). D’où « la nécessité de mettre en place des plates-formes qui rassemblent les gouvernements nationaux et locaux ». « Les solutions financières ne suffisent pas, confirme Barbara Buchner. Nous avons besoin d’un environnement propice pour attirer les investissements à grande échelle. Nous avons développé un programme avec McKinsey pour fournir aux gouvernements un soutien juridique, technique et financier afin de le favoriser. » Le sommet sur le climat qu’organiseront les Nations unies en septembre 2019, à New York, permettra peut-être de mieux organiser la riposte contre le changement climatique. ■ 87


FOCUS

À mi-chemin entre Tanger et Durban, la capitale économique ivoirienne présente tous les atouts pour s’imposer.

LE PORT D’ABIDJAN, FUTUR GÉANT D’AFRIQUE

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e compte à rebours est engagé. Le colossal projet de modernisation des installations du port d’Abidjan, qui a débuté en 2012 pour un montant de 1,6 milliard d’euros (1 100 milliards de francs CFA) d’investissement, se traduira, en août 2019, par la livraison d’un deuxième terminal à conteneurs. Poumon économique de la Côte d’Ivoire, qui génère déjà 55 000 emplois directs et indirects, le port de la capitale économique (cacao,

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manganèse, noix de cajou, etc.) changera alors de dimension pour devenir « le plus grand d’Afrique de l’Ouest », annoncent ses promoteurs. « Vous avez Tanger au nord, qui bénéficie d’une situation géographique particulière, à la sortie du détroit de Gibraltar, et à l’autre bout, Durban, sur l’océan Indien. Nous sommes situés entre les deux, et nous avons des atouts pour être un hub en Afrique. On s’apprête à partir de 2020 à être un port qui accueillera tous les plus

grands navires qui fréquentent les côtes africaines », a affirmé à l’AFP le directeur général, Hien Sié. Pour l’instant, ce sont les Chinois qui sont à la manœuvre pour la construction du nouveau terminal, financé principalement par la banque China Eximbank. « Ce chantier emploie 300 personnes, dont la plupart sont chinoises », précise Rui Zhui, responsable de la qualité pour la société China Harbour Engineering Company (CHEC). Et, à partir d’août, AFRIQUE MAGAZINE

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NABIL ZORKOT

Démarrée en 2012, la modernisation de l’infrastructure se concrétisera en août 2019 avec la livraison d’un deuxième terminal à conteneurs. D’autres investissements suivront afin d’imposer la place comme un hub incontournable.


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l’infrastructure sera exploitée par un consortium composé de Bolloré Africa Logistics, Bouygues Travaux Publics et du groupement APM Terminals du groupe danois Maersk. Car aujourd’hui, le premier terminal à conteneurs du port, exploité depuis 2004 par le groupe Bolloré, a atteint ses limites, avec un tirant d’eau de 11,5 mètres. Le terminal en construction possédera un quai de 1 200 mètres de long et de 18 mètres de profondeur, « le seul de cette profondeur sur la côte ouest-africaine. » Il sera taillé pour permettre aux navires transportant 10 000 conteneurs d’accoster, contre 3 500 jusque-là. De même, l’élargissement et l’approfondissement du canal de Vridi, qui relie à la mer le port d’Abidjan, pour un coût de 230 millions d’euros (150 milliards de francs CFA), autorisera le passage de navires de 350 mètres de long. Le poumon économique du pays représente déjà 76 % des échanges extérieurs et 73 % des recettes douanières. Le trafic dans l’infrastructure portuaire a augmenté de 7,2 % en 2018, pour atteindre plus de 24 millions de tonnes. Le port constitue également un accès à la mer pour des pays enclavés comme le Burkina Faso, le Niger ou le Mali, avec une progression du commerce de transit de 3 %. Mais le gouvernement et l’autorité portuaire d’Abidjan n’entendent pas en rester là. Un quai roulier de 300 mètres, exploité pour l’import et l’export de véhicules, a été inauguré en mars 2018. Un terminal céréalier est à l’étude. Pour décongestionner la ville, la construction d’un port sec de 100 hectares à Ferkessédougou, à 600 kilomètres au nord d’Abidjan, est envisagée. Et Maersk projetterait de réaliser une plate-forme logistique sur l’autoroute à 28 kilomètres de la capitale. C’est le prix à payer pour disputer le titre de plaque tournante commerciale régionale à Lagos (Nigeria), Tema (Ghana) ou Lomé (Togo). ■ J.-M.M. AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 2 – M A I 2 0 1 9

Portraits

Talents à suivre

Elle et ils font partie des entrepreneurs à succès du continent, résolus et inventifs. La Sénégalaise Khady Dior Ndiaye passe de la banque à l’énergie. Elle vient de rejoindre Kosmos Energy en tant que vice-présidente et directrice générale pour la Côte d’Ivoire. Elle connaît parfaitement le pays, puisqu’elle a passé ces vingt dernières années entre Abidjan et Dakar. Avant d’intégrer la société américaine Kosmos, spécialisée dans l’exploration et la production pétrolière en eaux profondes, elle travaillait chez Citibank Côte d’Ivoire SA. Depuis juin 2016, elle était en effet présidente directrice générale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre ainsi que directrice générale. Entrée dans la prestigieuse banque américaine en 1997 comme tradeuse, elle part diriger Citibank Sénégal en 2013, avant de retourner à Abidjan en 2016. Changement de cap professionnel donc pour Khady Dior Ndiaye chez Kosmos, qui a acquis, fin 2017, une participation dans cinq blocs offshore contigus, couvrant environ 17 000 km2. ■ J.-M.M.

Le jeune chef d’entreprise togolais Dodji Aglago a fait parler de lui en tant que représentant de son pays au Next Einstein Forum, une initiative de l’Institut africain des sciences mathématiques. « Mon rôle est de tout faire pour que le prochain Einstein soit togolais », lâche avec humour Dodji Aglago. Hyperactif, le physicien de formation dirige Mobile Labo, une entreprise spécialisée dans la conception et la vente de matériels d’expérimentation pour l’enseignement des sciences. Il préside également l’association Les Archimèdes, qui regroupe de jeunes scientifiques pour la promotion et la vulgarisation de cette matière. Autant de projets qui visent à combler les lacunes de l’enseignement scientifique en Afrique. En 2018, 10 laboratoires scientifiques ont été installés à Lomé dans des écoles publiques et plus de 500 000 élèves ont bénéficié d’un kit scientifique. ■ J.-M.M. Devenir milliardaire avant 30 ans, c’est le rêve d’Ibrahim Ben Aziz Konaté. Très précoce, le jeune Ivoirien de 24 ans a fondé Volaille d’or, une entreprise qui produit et distribue des volailles ainsi que des produits agricoles. Les animaux sont abattus, nettoyés, préparés et livrés le jour même directement chez les consommateurs. L’entrepreneur a démarré avec un ordinateur portable et un capital de 60 000 francs CFA. Après deux ans d’existence, son entreprise réalise plus de 3 millions de francs CFA de chiffre d’affaires par mois. Cet homme pressé est le plus jeune entrepreneur ivoirien. En attendant de devenir milliardaire en 2024, et à côté de ses activités professionnelles dans la volaille, Ibrahim Ben Aziz Konaté est conférencier. ■ J.-M.M. 89


FOCUS

ETHIOPIAN AIRLINES: CAP SUR LA CROISSANCE Avec plus de 120 destinations, la société couvre tous les continents. Et le crash du vol ET302 du 10 mars dernier n’a pas pour autant entamé sa détermination à renforcer sa position de numéro 1.

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e crash de son Boeing 737 MAX 8 près de Bishoftu, au sud-est d’Addis-Abeba, le 10 mars dernier, qui avait entraîné la mort de 157 personnes, n’a pas stoppé le plan de vol de la compagnie africaine. Ethiopian Airlines a ainsi inauguré une nouvelle destination vers Istanbul le 1er avril – une liaison attendue depuis 2016 –, et s’apprête à proposer trois vols par semaine depuis son hub d’Addis Abeba-Bole vers l’aéroport de Marseille à partir du 2 juillet, dans le prolongement de la desserte de Milan assurée depuis 2011. Le 14 juin, elle aura déjà ajouté un quatrième vol par semaine vers Genève, qui passera par Rome. La société propose désormais 19 destinations en Europe, avec 57 vols passagers hebdomadaires. Outre-Atlantique, la compagnie modifie son approche sur New York, ajoutant dès cet été la desserte de l’aéroport JFK, via Abidjan (en collaboration avec Air Côte d’Ivoire), à celle de Newark depuis Lomé. Le transporteur posera aussi ses avions à Houston, au Texas. « Les États-Unis sont l’un de nos marchés les plus importants en raison de la présence d’une très vaste communauté africaine et de ses liens commerciaux et touristiques grandissants avec l’Afrique. Notre nouvelle structure de liaisons a pour objectif de répondre à la demande du marché et d’assurer la meilleure connectivité possible vers plus de 60 destinations africaines », a justifié le président du groupe, Tewolde GebreMariam. Avec plus de 120 destinations, Ethiopian Airlines couvre tous les continents. Même si la responsabilité de la catastrophe du 10 mars dernier incombe visiblement à l’avionneur Boeing et au système de navigation du MAX, elle a pourtant été interpellée sur le possible manque de maîtrise de sa forte croissance. « J’avoue que je suis un peu bluffé par la croissance d’Ethiopian. En dix ans, elle a multiplié son trafic passager par sept ou huit ! Aujourd’hui, celui-ci doit tourner autour de 10 millions par an.

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Il devait être autour de 2 millions il y a dix ans. Au-delà de sa croissance propre, est-ce que la compagnie a suffisamment de compétences, de ressources humaines pour gérer, pour animer, pour encadrer tout ça ? Ce sont des questions qu’on peut se poser. A priori, oui », analysait le 18 mars dernier, sur les ondes de RFI, Cheikh Tidiane Camara, le président du cabinet conseil en transport aérien Ectar. Fondé en 1946, le groupe aérien répond aux standards et aux règles de sécurité de l’aviation civile mondiale. Membre de Star Alliance, le plus grand réseau mondial de compagnies aériennes du monde, il figure à la 40e place du classement 2018 des 100 meilleures compagnies mondiales établi par le cabinet britannique Skytrax, principal organisme de notation du service à la clientèle du transport aérien mondial. Très loin donc de sa grande rivale South African Airways, empêtrée dans des turbulences financières, ou de Kenya Airways et de Royal Air Maroc. Les clients n’ont pas abandonné le pavillon, et l’attachement affectif de l’Afrique aux ailes d’Ethiopian reste fort.

UNE CENTAINE D’APPAREILS

L’État détient 100 % du capital de la compagnie nationale. Il ne prélève aucun dividende, donc l’entreprise est entièrement tournée vers son déploiement mondial, sa croissance africaine et sa quête de rentabilité. De 2004 à 2014, elle a surfé sur une croissance supérieure à 10 % par an. Et a connu un exercice fiscal 2017-2018 historique. Le plus grand transporteur d’Afrique a vu son chiffre d’affaires progresser de 43 % sur un an, pour atteindre 3,2 milliards de dollars. Son bénéfice net s’est envolé à 245 millions de dollars, contre 221 millions de dollars un an plus tôt. Lors de son dernier exercice, Ethiopian Airlines a non seulement amélioré ses résultats financiers, mais également ouvert huit nouvelles destinations (Chicago, Buenos Aires, etc.) et élargi sa flotte de 14 avions, si bien qu’elle AFRIQUE MAGAZINE

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JOHAN NILSSON/SCANPIX SWEDEN/REUTERS

Le groupe aérien figure à la 40e place du classement 2018 des 100 meilleures compagnies mondiales. dépasse désormais la centaine d’appareils. Son trafic passagers, en hausse de 21 % sur un an, a enregistré un record historique à 10,6 millions de voyageurs transportés. Tandis que l’activité fret, à 400 339 tonnes, a progressé de 18 % en 2017-2018. Chantre de l’intégration africaine, Ethiopian Airlines, qui compte 16 000 salariés, poursuit aussi son déploiement sur le continent depuis sa place forte, son hub d’Addis-Abeba. L’entreprise place ses pions grâce à son aisance financière. Le groupe éthiopien possède 40 % du capital d’Asky Airlines et s’est emparé, l’an dernier, de 49 % de Guinea Airlines, en difficulté, ou de 45 % de Zambia Airways. Ethiopian détient également 49 % de la nouvelle compagnie Chadian Airlines, lancée en 2018 avec l’État tchadien, qui possède 51 % du capital. Un continent africain sur lequel l’entreprise retrouve la plupart de ses concurrents dans le monde : Qatar Airways, Emirates, Turkish Airlines ou encore Air FranceKLM. Le ciel africain est de plus en plus concurrentiel parce que de nombreux acteurs majeurs de l’aérien mondial s’y emploient et que des compagnies locales, à l’image d’Ethiopian Airlines, offrent une riposte mordante, autant sur le continent qu’ailleurs, avec des offres de connexion proposées aux voyageurs africains, via leurs

propres hubs et à des prix plus accessibles. Ce qui explique, par exemple, la perte de vitesse d’Air France-KLM, avec un chiffre d’affaires africain qui a chuté de 2,26 milliards d’euros en 2017 à 2,10 milliards d’euros en 2018. Élue meilleure compagnie en 2018 par l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa) pour la septième année consécutive, Ethiopian Airlines, plus solide et soutenue par l’État, s’est tirée jusque-là de tous les pièges d’un ciel dévastateur pour les acteurs locaux (Air Afrique, Air Zaïre, Air Gabon, Camair, Eastern Airways, etc.). Et Tewolde GebreMariam entend bien profiter à plein de la mise en œuvre effective du Marché unique de transport aérien africain (Mutaa), projet phare de l’Agenda 2063, lancé le 28 janvier 2018 par la Commission de l’Union africaine. Dans son projet Vision 2025, le groupe ambitionne de transporter 18 millions de passagers par an d’ici là. « Nous nous sommes développés plus que prévu. Nous avons dû revoir à la hausse l’objectif d’acquérir 150 avions ou plus d’ici à 2025 », s’était engagé en mai 2018 Tewolde GebreMariam. Reste à mesurer l’impact de la catastrophe du vol ET302 sur les liens aujourd’hui quasi exclusifs entre la compagnie éthiopienne et la firme de Seattle, Boeing. ■ J.-M.M.

3,2 milliards de dollars, c’est son chiffre d’affaires sur l’exercice 2017-2018.

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PERSPECTIVES

MARCHÉS

LE BREXIT, UNE AFFAIRE QUI NOUS CONCERNE

Attendu maintenant pour le 31 octobre 2019, le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne aura des conséquences pour le continent. Négatives, mais aussi quelquefois positives.

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Et le document de préciser que « les pays les moins avancés seraient frappés par des droits de douane plus élevés et d’autres obstacles non tarifaires au commerce, notamment dans l’éventualité d’un Brexit difficile et sans accord. Les simulations actuelles suggèrent que cela entraînerait, par exemple, une chute de 20 % des exportations éthiopiennes vers le Royaume-Uni et de 60 % environ pour le Malawi ». Tous les accords commerciaux, une centaine environ, que les pays africains ont conclus avec

l’UE devront être renégociés. De fait, la Grande-Bretagne ne sera plus le point d’entrée vers le marché unique européen pour de nombreux produits africains. Les producteurs de fleurs kényans devront, par exemple, négocier une nouvelle porte d’accès à l’Europe. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a calculé, dans un rapport publié le 10 avril, que « 20 pays africains perdraient 420 millions de dollars en cas d’un Brexit sans période de transi-

AFOLABII SOTUNDE/REUTERS

L

e feuilleton du Brexit tient en haleine la planète depuis le référendum du 23 juin 2016. Mais près de trois ans plus tard, le brouillard demeure toujours aussi épais. Alors, deal or no deal ? Bruxelles a accordé à la Première ministre, Theresa May, un nouveau report de la date de sortie du RoyaumeUni de l’Union européenne (UE) au 31 octobre 2019. Seule certitude, l’onde de choc de ce tremblement de terre se diffusera jusqu’en Afrique. Surtout s’il est brutal, car sans accord pour organiser les modalités du divorce. « Le Brexit pourrait bien avoir des conséquences dramatiques, en particulier pour les pays les plus pauvres […]. L’une des principales raisons est qu’ils perdront l’accès préférentiel au marché britannique, dont ils bénéficient actuellement dans le cadre de divers accords de l’UE. Comme le schéma de préférences généralisées, l’initiative Tout sauf les armes et les accords de partenariat économique », considèrent Olekseyuk Zoryana et Clara Brandi, économistes au Deutsches Institut für Entwicklungspolitik (Institut allemand de développement), dans une étude publiée le 19 janvier 2019.

La Première ministre britannique Theresa May en 2018, en visite à l’Office des Nations unies à Nairobi.

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SHUTTERSTOCK

tion pour négocier d’éventuels accords bilatéraux ». « Les pays gravitant autour de l’Union européenne seraient les plus touchés par un no deal », estime la Cnuced. Premier concerné, le Maroc, dont les pertes sont estimées par l’organisation onusienne à 97,1 millions de dollars. Le Ghana (-91 millions), la Tunisie (-49 millions), l’Égypte (-41 millions) et le Mozambique (-33 millions) suivraient. À l’inverse, dans la mesure où Londres se recentrerait vers les pays du Commonwealth et des côtes australe et est-africaine, la Cnuced pronostique qu’un Brexit sans accord profiterait à 11 pays du continent. En tête, l’Afrique du Sud, qui gagnerait plus de 3 milliards de dollars, l’île Maurice (220 millions), le Botswana (199 millions), les Seychelles (106 millions) et la Namibie (85 millions). Toutefois, plusieurs incertitudes demeurent. La baisse de la croissance britannique et de la livre sterling a déjà des répercussions sur les importations et le niveau d’investissements du Royaume-Uni en Afrique, repoussés en attendant l’issue du Brexit. Tout dépendra aussi de la stratégie britannique en Afrique. Pour de nombreux observateurs, Londres pourrait se recentrer sur son « pré carré » du Commonwealth après 2019. Depuis deux ans, le royaume britannique y est très actif. En 2018, Theresa May a affiché sa volonté de voir la Grande-Bretagne devenir le premier investisseur du G7 en Afrique d’ici trois à quatre ans. Dans ce but, l’institut de financement du développement doit investir plus de 9 milliards d’euros dans les trois ans pour stimuler les investisseurs privés du royaume sur le continent. ■ J.-M.M. AFRIQUE MAGAZINE

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CHIFFRES Près de 10 000 entreprises chinoises seraient présentes en Afrique, d’après un rapport du cabinet McKinsey. Face à elles, 440 entreprises japonaises ont été répertoriées par le cabinet Africa Business Partners.

32,9 millions d’emplois

seront créés sur le continent dans les dix ans, grâce à l’industrie du tourisme et du voyage selon le World Travel and Tourism Council (WTTC).

Les monarchies pétrolières du Golfe ont mobilisé

Les envois de fonds officiellement enregistrés vers les pays à revenu faible et intermédiaire ont atteint

de dollars en faveur de l’Égypte depuis la révolution de 2011.

soit une progression de 9,6 % par rapport au précédent record de 2017

92 milliards

529 milliards de dollars en 2018, (483 milliards de dollars), a calculé

la Banque mondiale.

LE COMMERCE EN LIGNE GÉNÉRERA 3 MILLIONS D’EMPLOIS sur le continent d’ici à 2025, selon

un rapport du cabinet Boston Consulting Group.

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PERSPECTIVES

Offensive discrète de l’Allemagne

Berlin multiplie les actions depuis l’adoption du plan Compact with Africa.

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n document de 30 pages, intitulé « Un partenariat renforcé avec l’Afrique », vient définir la nouvelle politique de l’Allemagne envers le continent. Présenté le 27 mars 2019 par le gouvernement fédéral, il s’inscrit dans le droit fil de la stratégie adoptée par Berlin depuis l’adoption du plan pour l’Afrique (Compact with Africa) lancé en 2017. « Le bien-être de l’Europe est inséparablement lié à celui de notre voisin africain », commence le rapport, tout en installant aussitôt le pragmatisme allemand : « Il est également dans l’intérêt de l’Allemagne de saisir les opportunités offertes par un partenariat avec l’Afrique. » Partenaire discret sur le continent, l’Allemagne n’en demeure pas moins un acteur très efficace sur le sol africain. Surtout avec l’explosion de la crise migratoire. Depuis le démarrage du programme Compact with Africa, la capitale allemande a signé 94

des projets d’investissement avec 11 pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo, Bénin, Égypte, Éthiopie, Guinée, Maroc, Rwanda, Tunisie, Ghana). Selon Afrika-Verein, l’association de promotion des relations économiques entre les pays africains et l’Allemagne, les 800 entreprises allemandes présentes sur le continent ont créé plus de 200 000 emplois. Ainsi, après Berlin en 2015 et Nairobi en 2017, un troisième sommet économique AfriqueAllemagne s’est tenu à Accra, au Ghana, en février 2019. Gerd Müller, le ministre fédéral de la Coopération économique et du Développement, y a déclaré que « le gouvernement allemand veut doubler le nombre d’entreprises présentes en Afrique dans les deux prochaines années ». Et il s’est engagé à créer 100 000 nouveaux emplois hautement qualifiés d’ici à 2021 sur le continent. À cet effet, la chancelière a annoncé la création d’un fonds d’un milliard d’euros. Dans un premier temps, 400 millions d’euros seront mis à la disposition d’entreprises allemandes et africaines, à travers des crédits à taux réduits, par l’intermédiaire de la Banque DEG, filiale de la Kfw, l’agence de développement allemande. Opportunités à saisir… ■ J.-M.M.

BOURSE

Un café trop amer

Les producteurs africains sont tenaillés entre les géants mondiaux et les cours de la matière première, en chute libre depuis dix ans.

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orsé, allongé ou amer. La production de café, très diversifiée sur le continent, reproduit tous les états du célèbre breuvage. À la première gorgée, la dégustation satisfait le palais : au cours des cinq dernières années, la filière caféière en Afrique a connu une croissance moyenne de 12,3 %. En Ouganda, la production s’est envolée de 36 % durant cette même période, ainsi qu’au Rwanda (+17,6 %) et en Éthiopie (+16,3 %). Une deuxième gorgée fait ressortir les différences. Au Kenya, la production n’a progressé que de 3,2 % au cours des cinq dernières années. Et c’est à la troisième gorgée que l’on comprend que l’industrie du café traverse une crise mondiale profonde, dont personne ne voit la fin. Les cours du café, déterminés sur les marchés internationaux, dévissent. Début

avril 2019, le prix du robusta a sombré à 1 395 dollars la tonne, son prix le plus bas depuis trois ans à Londres. Tandis que l’arabica échangé à New York a chuté à 91,25 cents la livre, son plus bas depuis 2005. L’arabica vaut 20 % de moins qu’au printemps 2018, et déjà 8 % de moins depuis le début de l’année. Les grands pays du café, comme le Brésil, premier producteur mondial d’arabica, ou le Viêt Nam, alimentent cette tourmente, cherchant à écouler leurs récoltes abondantes. Ce qui tire les cours à la baisse. La chute des prix s’explique aussi par la faiblesse du réal brésilien, qui incite les producteurs du pays à exporter leur café. Rémunérés en dollars, ils perçoivent un plus grand bénéfice. À l’action du Brésil, qui représente près d’un tiers de la production planétaire de café et un quart du marché à l’export,

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s’ajoute celle des fonds spéculatifs (hedge funds). Pariant sur la baisse des cours, ils contribuent à la chute des prix du café. Interrogé par l’agence Bloomberg en septembre dernier, un importateur américain n’excluait pas une nouvelle chute de la livre à 80 cents, soit une baisse probable de 13 % ! « Cette tendance à la baisse va perdurer », confirmaient fin mars 2019, les experts de F.O. Licht, cabinet spécialisé dans les matières premières. ■ J.-M.M. TÉLÉPHONIE

Les télécoms reprivatisent L’Éthiopie, le Bénin, le Togo et le Zimbabwe cèdent leurs actifs.

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elon les experts du secteur, les opérateurs panafricains, comme MTN, Orange ou Vodacom, s’intéressent de près à la privatisation d’Ethio Telecom, en Éthiopie, où les autorités du pays ont décidé de s’appuyer sur la Banque mondiale pour mener à bien l’opération. Addis-Abeba n’est pas la seule capitale où des programmes de privatisation sont à l’étude. C’est aussi le cas en Afrique de l’Ouest pour Togocom, avec la cession

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annoncée de 35 % du capital, ainsi que pour Benin Télécoms. Au Zimbabwe, le gouvernement cherche à se renflouer en tentant de se débarrasser du secteur public des télécoms, déficitaire. D’après le vérificateur général, le fournisseur de services Internet détenu par l’État, Powertel, a subi une perte avant impôts de 3 millions de dollars en 2017, et son passif actuel dépasse ses actifs de 6,4 millions de dollars. TelOne, acteur public de téléphonie fixe et à large bande, également déficitaire, est aussi à vendre. « Les restrictions réglementaires sont les plus grands obstacles et nécessitent des négociations approfondies avant qu’un accord réel ne soit conclu », tempère Arthur Goldstuck, directeur général du cabinet conseil en stratégie World Wide Worx. L’agitation gagne aussi le secteur privé, avec des perspectives de consolidation du secteur au Kenya, en Tunisie ou en Afrique du Sud. De son côté, le groupe indien Bharti Airtel prépare un premier appel public à l’épargne pour soutenir l’ensemble de son portefeuille africain. Et plusieurs sociétés de télécommunication tentent de racheter les actifs africains de Millicom, basés au Luxembourg. ■ J.-M.M.

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LES MOTS « D’ici à 2030, près de neuf personnes extrêmement pauvres sur dix seront africaines. » DAVID MALPASS, NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA BANQUE MONDIALE

« J’ai besoin d’au moins 334 visas différents pour ccirculer sur le continent. Trouvez-vous cela T normal, alors qu’on parle n d’intégration africaine ?» d A ALIKO DANGOTE, MILLIARDAIRE NIGÉRIAN M

« Si la proportion d’Africains ins extrêmement pauvres est passée de 57 % en 19900 à 43 % en 2012, le nombree de personnes vivant dans la pauvreté sur le continent nt est passé de 287,6 millionss à 388,8 millions sur cette même période. » VERA SONGWE, SECRÉTAIRE EXÉCUTIVE DE LA COMMISSION N ÉCONOMIQUE POUR L’AFRIQUE E (CEA)

« Je n’aime pas l’expression “réduction de la pauvreté”. L’Afrique doit toujours penser “création de richesse”. » AKINWUMI ADESINA, PRÉSIDENT DE LA BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT (BAD) 95


Le Fort de Cape Coast, important lieu de la traite négrière.

L’archipel compte 115 îles et îlots. Ci-contre, l’île artificielle Éden Island.

destination

LE GHANA, ENTRE MÉMOIRE, NATURE ET COOL ATTITUDE Le pays a décrété L’ANNÉE DU RETOUR, et sa capitale attire toujours plus de touristes. par Luisa Nannipieri

Le restaurant Coco Lounge (ci-dessus). Le parc national Mole (ci-dessous).

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La mosquée de Larabanga, considérée comme la Mecque de l’Afrique de l’Ouest.

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2019 A DÉMARRÉ FORT pour le Ghana : quatre cents ans après l’instauration du commerce triangulaire, le président Nana Akufo-Addo l’a déclarée « année du retour », et le pays a été cité par CNN dans sa liste des lieux à visiter en 2019. Pour attirer un maximum de membres de la diaspora, que ce soit d’outre-Atlantique ou d’Europe, le petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest a sorti le grand jeu. Il organise des événements spéciaux et reçoit l’une après l’autre des célébrités d’origine africaine, comme Idris Elba ou Naomi Campbell. En pleine croissance économique, le Ghana compte parmi ses atouts des prix imbattables, une nature sauvage et une


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MADE IN AFRICA escapades capitale branchée et bouillonnante, Accra. Pour les amoureux de nature, un séjour dans le parc national Mole, dans le nordouest, est incontournable. Il s’étend sur le plus grand corridor faunique entre le Ghana et le Burkina Faso : ici, tomber nez à nez avec un éléphant est une expérience de tous les jours. Les plus aventureux peuvent également s’avancer jusqu’à la frontière avec le Burkina, dans le village de Paga, pour rencontrer et toucher les très dociles crocodiles sacrés. Plus au sud, où la Volta se jette dans l’Atlantique, la plage d’Ada Foah offre un décor qui rappelle un rêve surréaliste, avec ses îlots et lagons bordés de palmiers. Prisée par les surfeurs, la côte offre diverses accommodations, qui vont de huttes en bambou sur la plage en échange de quelques dollars à de charmants hôtels tout confort, comme le Peace Holiday Resort. Côté culture et héritage, le pays des Ashantis accueille l’une des plus anciennes mosquées du Ghana, voire de l’Afrique de l’Ouest, située dans le petit village de Larabanga, au nord. Le pays entretient aussi la mémoire de la traite négrière, notamment à Cape Coast, où l’on peut se recueillir face à la porte de non-retour. Mais il est aussi, et surtout, la destination idéale des fêtards de tous bords, fanas du design et de la mode, toujours à l’écoute des nouvelles tendances : il suffit pour cela de poser ses valises à Accra et de se laisser emporter par le rythme frénétique de cette capitale chaotique et trendy. On n’y vient pas LES BONNES vraiment pour la beauté ADRESSES de l’architecture, mais l’on ✔ Le parc national Mole ne peut que tomber sous (entrée à 7 €) le charme du caractère ✔ Le village de Paga, accueillant et convivial pour ses dociles crocodiles de la ville. ✔ Le Republic Bar & Grill, Le quartier cosmopolite pour savourer la vie nocturne d’Osu, où se trouvent les d’Accra magasins, les bars, les cinémas ✔ La boutique d’Elle Lokko, et les restos les plus cool et à Accra, pour sa mode branchés, plaira au plus grand locale contemporaine nombre. Cet ancien village ✔ Le Coco Lounge, également de pêcheurs accueille tous à Accra, pour son menu les soirs un marché où l’on et son design peut acheter du poisson frais et des fruits de mer, ou bien se régaler avec de la street food locale, comme du bankou ou du kenkey. Le Republic Bar & Grill, spot mythique du quartier, propose des cocktails, dont le kokroko, composé d’akpeteshie (une liqueur de canne à sucre), de sobolo (une boisson à base de feuilles d’hibiscus) et de glace pilée. L’idéal pour danser toute la nuit sur les playlists des meilleurs DJ de la capitale. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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Une suite pétillante Le One&Only Cape Town propose un séjour de luxe sous le signe DU CHAMPAGNE. PREMIÈRE DU GENRE EN AFRIQUE, la suite Dom Pérignon du One&Only Cape Town permet de profiter d’une expérience d’exception au cinquième étage de ce resort de luxe. Pour l’occasion, l’une des suites de l’hôtel a fait peau neuve : du linge aux meubles sur mesure, le décor est signé de l’une des maisons de champagne les plus respectées au monde. Ici, le luxe décontracté est élevé à un niveau supérieur. Les voyageurs pourront, à leur arrivée, déguster un plateau d’huîtres accompagné d’une bouteille de Dom Pérignon 2006. Pendant leur séjour, ils se détendront autour de l’une des plus grandes piscines à débordement de l’hémisphère sud, sur une somptueuse méridienne design, en sirotant un verre de champagne rosé 2004 servi avec des tapas. Le soir, le chef Harold Hurtada les attendra chez Nobu, emblématique restaurant japonais et le seul en Afrique, où une table leur sera réservée pour un repas gastronomique en sept services, pensé pour sublimer les notes du Dom Pérignon Blanc P2 1998. Deux flacons de parfum Bulgari viennent compléter l’expérience : Man in Black, pour hommes, et Goldea, pour femmes. ■ L.N.

One&Only Cape Town, Le Cap, Afrique du Sud (prix variable en fonction des saisons, à partir de 1 800 € la nuit). oneandonlyresorts.com 97


Zineb Britel (à gauche) et Laura Pujol (à droite) ont créé la marque Zyne.

Chic babouche

design

La chaussure TRADITIONNELLE L NNELLE NELLE eest de retour. par Luisa Nannipieri PARTIR DES TECHNIQUES marocaines ancestrales et créer des babouches modernes et de luxe capables de séduire les fashionistas les plus exigeantes (dont l’iconique Meghan Markle), mission impossible ? Pas pour Zineb Britel et Laura Pujol, amies casablancaises qui ont fondé en 2016 leur marque, Zyne, et vendent aujourd’hui leurs souliers sur trois continents. Y compris à Paris, dans une boutique de ce temple de la mode qu’est la rue du Faubourg Saint-Honoré. Leur dernière collection vient de conquérir le jury de la Fashion Trust Arabia, qui a réuni à Doha fin mars de grands noms de la mode, tels qu’Olivier Rousteing (Balmain), Pierpaolo Piccioli (Valentino) ou encore Victoria Beckham. La marque doit son style, singulier et chic, à Zineb, passionnée de chaussures qui a fait des études

de design en France et a travaillé chez Christian Dior et Sonia Rykiel, en collaboration avec des artisanes qui façonnent chaque pièce à la main. Celle qui a toujours aimé donner à ses créations un petit twist n’hésite pas à incruster des dessins de perles, des broderies plus ou moins classiques, ou encore des motifs orientalistes ou déroutants sur du cuir et du satin. Et si l’une des collections les plus appréciées est celle en raphia, à l’allure plus casual, les babouches à talons apportent aussi une touche très élégante. Le secret, c’est ce petit talon qui peut se décliner sous des formes inattendues, mais assure toujours ce parfait équilibre entre originalité et confort, qui a fait le succès de Zyne. ■

À partir de 265 $ la paire. zyneofficial.com

LE LIEU : TERANGA ET SINON ?

On y déguste des snacks et trois bols de saison. POUR QUI ?

Les adeptes du fast casual.

Dans ce nouveau restaurant new-yorkais, dont le nom veut dire « hospitalité » en wolof, le célèbre chef dakarois Pierre Thiam compte bien faire découvrir aux gourmands la culture culinaire africaine dans toute sa richesse. Il réhabilite le fonio en revisitant le bowl, au goût des céréales typiques de sa région, comme le sorgho, l’attiéké ou encore le millet. On peut y déguster un bol léger au petit-déjeuner, avec des fruits secs ou du yaourt, et un plus costaud le midi ou le soir. À chacun de choisir d’ajouter du kelewele, du ndambé, du poulet ou du saumon, à arroser de sauce mafé ou yassa. ■ L.N.

Le Yassa Seasonal Bowl.

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QU’EST-CE ?

Un bout d’Afrique de l’Ouest à Harlem.

1280 Fifth Avenue, New York, États-Unis. itsteranga.com

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MADE IN AFRICA carrefours

Ce bâtiment en béton brut de 3 822 m 2, destiné à accueillir 1 500 lycéens, prend en compte son environnement naturel.

architecture

Le sport s’annonce bioclimatique

FRANÇOIS-XAVIER GBRÉ (2) - JOANA CHOUMALI

Avec son projet de gymnase, le cabinet abidjanais KOFFI & DIABATÉ sort des clichés. DES LOGEMENTS AUX BUREAUX D’AFFAIRES, en passant par les lotissements ou les opérations immobilières, rien n’est impossible pour le cabinet ivoirien Koffi & Diabaté, réputé pour construire des édifices modernes, de qualité, tout en prenant en compte le style de vie et l’identité culturelle de leurs clients. Mais c’est dans un domaine dont on parle moins que ce duo d’architectes, qui gère une équipe d’une cinquantaine de personnes, a obtenu une belle reconnaissance internationale. En novembre dernier, l’agence abidjanaise a en effet remporté le premier prix des World Architecture Guillaume Awards 2018 dans la catégorie Sport. Koffi (à gauche) et Son projet de gymnase du lycée Blaise Issa Diabaté Pascal, à Abidjan, capitale économique, (à droite). propose un nouveau standard de salle AFRIQUE MAGAZINE

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de sport, qui s’oppose à des modèles « trop souvent calqués sur ceux des zones tempérées ». Guillaume Koffi et Issa Diabaté ont conçu un bâtiment en béton brut de 3 822 m², ouvert, vivant, destiné à accueillir 1 500 lycéens, lesquels pourront pratiquer dans un gymnase bioclimatique. Ils ont notamment recouvert la structure d’un toit en tôle rouge qui, dans un contexte tropical à la température et l’humidité élevées, permet la ventilation et l’éclairage naturels. Le jeu de transparence du toit adoucit les formes géométriques de l’ensemble et donne une sensation de confort et de légèreté à la structure, construite sur un terrain incliné. Comme la brise, les regards sont libres de traverser la salle et de s’étendre sur les terrains de jeux en contrebas. ■ L.N. 99


La nouvelle capsule sportswear s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes.

créateur

Sadio Bee, la joie

du « mix-tissage »

Depuis presque vingt ans, il mélange COUPES EUROPÉENNES ET TISSUS AFRICAINS au service d’une mode pour tous les jours et toutes les poches. PARMI LES NOMBREUX COUTURIERS parisiens qui créent leurs collections de prêt-à-porter en s’inspirant de l’Afrique, Sadio Bee a une place toute particulière. Depuis qu’il a lancé sa marque dans la capitale, il y a presque vingt ans, ce travailleur méticuleux est toujours resté fidèle à son envie de mélanger les coupes occidentales et les tissus du continent. Il a été l’un des premiers à expérimenter ce mix qui permet d’être confortable dans des vêtements, faits à partir de matières naturelles, tout en revendiquant ses racines et en affichant un esprit un peu décalé. Le lin, le coton ou la laine lui servent de base en teinte unie, faisant ressortir les nuances de l’indigo, les motifs du bogolan ou du pagne tissé.

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N’en déplaise aux puristes du tissu africain, Sadio Bee travaille aussi beaucoup le wax, du moment que l’imprimé peut transmettre une sensation ou un état d’âme. Il déniche personnellement tous les morceaux de tissus qu’il utilise, chez des revendeurs de confiance ou parfois directement sur les étals des marchés de l’Afrique de l’Ouest, se fiant à son inspiration. D’après ce créatif, qui a débarqué à Paris dans les années 1990 à la suite de son père maître tailleur, les garde-robes devraient toujours s’adapter à la personnalité de leur propriétaire et mettre en avant un ou plusieurs côtés de leur caractère. Ses collections de prêt-à-porter – qui sortent à peu près tous les six mois – ne comptent AFRIQUE MAGAZINE

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DIDIER TEURQUETIL

par Luisa Nannipieri


MADE IN AFRICA fashion

Des robes de la série printemps-été. Sa dernière collection, Cocktail Soleil, s’inspire des couleurs printanières.

pas plus de quelques créations à la fois. Il consacre une bonne partie de son travail à écouter et accompagner ses clients afin de leur proposer des habits sur mesure, à mettre pour n’importe quelle occasion. Dans son atelier parisien, situé rue Sainte Marthe, près du canal Saint-Martin, il a donné forme à de nombreuses vestes, blousons, robes et ensembles aux formes souples et contemporaines, avec une touche joyeuse qui fait la différence. On fait appel à lui pour s’assurer de détonner lors d’un mariage ou d’avoir de la présence sur scène. Parmi ses clients, on compte en effet des musiciens, des animateurs télé, comme Claire Diao (sur Canal+ Afrique), ou des comédiennes à succès, telle Tatiana Rojo, alias Amou Tati. Au-delà de leur praticité, les créations de Sadio Bee plaisent à un large public. Le styliste habille aussi bien des Européens que des Afro-descendants : « Ce sont des vêtements faciles à porter, que l’on peut mettre pour une soirée, mais aussi pour une journée de travail, sans avoir besoin de trop AFRIQUE MAGAZINE

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se poser de questions », explique-t-il. Né à Dakar d’une mère sénégalaise et d’un père guinéen, Sadio Bee a grandi dans l’atelier de couture familiale. S’il a affiné son talent dans le milieu parisien, c’est là qu’il a appris l’éthique du métier, l’amour des détails. Mais c’est surtout sa capacité de satisfaire les exigences de ses clients qui a fait son succès. Encore aujourd’hui, il peut demander l’avis de son père sur une coupe ou une finition, conscient que l’expérience est un véritable trésor. Timide, l’artiste utilise son travail et sa créativité pour partager avec les autres, provoquant de nouvelles rencontres, lesquelles, dans un cercle vertueux, nourrissent toujours plus son catalogue. Sa dernière collection printemps-été, Cocktail Soleil, s’inspire des couleurs printanières et de ses balades dans Paris, et s’accompagne d’une collection capsule sportswear. Une façon de pousser un peu plus loin son concept de « mix-tissage », une mode adaptée à toutes les occasions sans renoncer à une touche joyeuse. ■ 101


Comment combattre

le mal de dos

Il est souvent qualifié de « mal du siècle ». Huit personnes sur dix en souffriront au moins une fois dans leur vie. Bouger reste l’un des meilleurs traitements.

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Pour une crise aiguë banale, il n’y a pas nécessité de réaliser des examens (radiographie, IRM) : souvent, ils n’apportent pas de réponse sur l’origine des symptômes. Oubliez l’idée également d’avoir une vertèbre déplacée ! Une vertèbre ne se déplace pas sans raison (comme un grave traumatisme lors d’un accident). L’impression d’avoir une vertèbre bloquée provient du fait que celle-ci ne peut bouger normalement à cause des muscles contracturés autour. Il n’y a donc rien à « remettre en place »…

Le repos n’est plus conseillé Quand on a mal au dos, le premier réflexe est souvent de se mettre au repos. Cela a d’ailleurs été longtemps préconisé, mais ça ne l’est plus, car c’est loin d’être le meilleur remède ! Que l’on souffre de façon ponctuelle ou chronique (depuis AFRIQUE MAGAZINE

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LE MAL DE DOS NE CACHE en général rien de grave. La plupart du temps, il s’agit d’une lombalgie, c’est-àdire de douleurs en bas du dos, au niveau des vertèbres lombaires. Il n’y a pas de lien entre l’intensité de la douleur et la sévérité. Dans l’immense majorité des cas, cette lombalgie dite « commune » (d’origine mécanique) ne vient pas d’une lésion de type hernie discale. Les douleurs sont dues à une contracture des muscles, des ligaments, avec des nerfs comprimés ou enflammés. En cause : des efforts physiques répétés, le port de charges, un mouvement mal effectué, ou simplement des gestes ordinaires de la vie quotidienne. La sédentarité est à l’origine de la plupart des maux de dos, car elle entraîne un affaiblissement des muscles qui maintiennent la colonne vertébrale – muscles qui sont donc plus fragiles, plus sujets à se « fatiguer ».


VIVRE MIEUX forme & santé

pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

plus de trois mois), le repos entretient le mal. On se rouille : la colonne devient plus rigide, on perd des muscles, de≈la mobilité, et cela aggrave la situation. Les spécialistes insistent désormais sur ce point : bouger est le traitement principal. Sauf lumbago et blocage complet du dos – imposant de se ménager quelques jours, le temps que cela aille mieux –, la lombalgie n’est pas un obstacle au maintien des activités quotidiennes. Bouger agit comme un antidouleur, aide à retrouver de la souplesse, à renforcer les muscles. Cela permet de récupérer plus vite et de prévenir les récidives. Au début, il faut doser ses efforts (exercices d’assouplissement, d’étirement…) et pratiquer de manière progressive. Marche, vélo, natation, tout est bénéfique. Même courir (à petites doses) n’est pas néfaste pour le dos.

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Du côté des traitements Des antalgiques ou anti-inflammatoires peuvent être prescrits pour calmer la douleur et permettre de se mouvoir plus aisément. Mais ces médicaments, même les plus puissants, n’ont pas d’action sur l’évolution du mal. Que penser alors de la kinésithérapie ? Les massages font du bien car ils dénouent les muscles contracturés, et ainsi apaisent – tout comme la chaleur, à laquelle on peut recourir, avec le jet de la douche, une bouillotte, un patch chauffant… Mais l’action des massages est assez ponctuelle. Ils ne permettent pas de guérir plus vite à eux seuls. En revanche, aller chez le kinésithérapeute pour apprendre des exercices adaptés pour assouplir et renforcer son dos, et avoir des conseils pour éviter de mauvaises postures, c’est une bonne idée. On peut aussi se tourner vers l’ostéopathie : manipulations douces, pressions ou étirements favorisent le relâchement des muscles autour de la colonne et diminuent, voire suppriment, les contractures, source de douleur. Lorsque le mal persiste de façon intense, d’autres traitements peuvent être proposés, comme des infiltrations d’anti-inflammatoires. Et il ne faut pas négliger certaines méthodes, comme l’acupuncture, l’hypnose ou la méditation, qui permettent de modifier la perception de la douleur, et en même temps diminuer le stress. C’est un point non négligeable, car le stress aggrave le ressenti de la douleur et peut être à l’origine de contractures musculaires. Enfin, lorsque l’on a une hernie discale qui provoque une sciatique avec une douleur dans la jambe, le plus souvent, il n’est pas nécessaire d’opérer. Dans la grande majorité des cas, la hernie diminue de volume au fil des semaines (avec une souffrance qui s’atténue, de ce fait), puis finit par disparaître. L’intervention pour l’enlever est seulement envisagée en cas de douleurs persistantes et invalidantes, ou de signes de complications (sensation de paralysie, difficultés à uriner ou à se retenir). ■ Annick Beaucousin AFRIQUE MAGAZINE

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LE SODA : MAUVAIS POUR LES ARTÈRES

En cause, le sucre de ces boissons, très vite absorbé. LES BOISSONS SUCRÉES (sodas, thés glacés industriels, jus de fruits avec sucres ajoutés…) sont accusées de favoriser les maladies cardiovasculaires. Des travaux ont précisé le mécanisme de leurs effets délétères, et leurs conséquences. Parce qu’il n’est pas associé à des fibres alimentaires, le sucre de ces boissons est aussitôt absorbé, d’où une montée du taux dans le sang. À haute fréquence, cela abîme les parois des artères, lesquelles deviennent plus sujettes aux dépôts de graisses. De plus, des chercheurs l’ont démontré : avaler une boisson sucrée diminue de manière transitoire la dilatation naturelle des artères, qui se fait selon le besoin en sang des organes. Ce qui peut augmenter le risque d’infarctus ou d’accident vasculaire cérébral. Une étude sur près de 120 000 Américains durant trente ans (revue Circulation, mars 2019) expose ce lien : les personnes buvant un ou deux sodas par jour ont un risque accru de 14 % de décéder prématurément d’une maladie cardiovasculaire, par rapport aux non-consommateurs. Et de 21 % au-delà de deux sodas par jour. ■ A.B. 103


Les messages de notre corps Gargouillis, craquement, hoquet… Nous n’avons aucune maîtrise sur ces phénomènes. Mais d’où viennent-ils ? Votre ventre gargouille. Sans cesse en mouvement, l’intestin se contracte pour assurer le transit et faire circuler l’air qui y est présent. C’est le passage de cet air à travers le contenu du côlon qui donne ces bruits. Ils sont tout à fait normaux ! Les gargouillis sont davantage perceptibles quand le tube digestif est vide, puisqu’il y a alors plus d’air. On peut également les entendre après les repas. Si cela vous gêne en société, veillez à manger assez lentement, à bien mastiquer et à réduire les boissons gazeuses. Attention, les chewinggums, qui font avaler de l’air, favorisent ce phénomène.

Votre articulation craque. On bouge et… on entend un petit craquement dans son genou ou ailleurs. Celui-ci est attribué à l’éclatement de bulles d’air, qui se produisent sous la pression dans le liquide synovial (lubrifiant l’articulation). En l’absence de douleur, ces craquements sont anodins. En revanche, si une articulation vous fait mal, ils peuvent être liés à de l’arthrose : le cartilage étant aminci, les pressions lors des mouvements peuvent engendrer ce type de bruit. Dans ce cas, il faut consulter. De même pour des craquements survenant après un traumatisme.

Vos dents grincent. C’est en général la nuit que cela se produit. On ne s’en rend en général pas compte, et c’est le voisin ou la voisine de lit qui alerte. La plupart du temps, le stress en est la cause : les mâchoires sont serrées et crispées, d’où le grincement. En cas de chronicité, le risque est d’user l’émail des dents. Le dentiste peut alors préconiser le port nocturne de gouttières pour protéger celles-ci.

Vous avez le hoquet. Il provient du diaphragme : ce muscle entre la poitrine et l’abdomen se contracte de façon involontaire, et chaque contraction entraîne une inspiration rapide d’air, ce qui provoque ce bruit. Souvent, les nerfs du diaphragme ont été « irrités » : repas avalé trop vite, trop chaud ou épicé, fou rire… La crise peut toutefois survenir sans cause. Pour faire passer le hoquet, chacun a son truc : inspirer à fond, puis bloquer sa respiration ; boire de l’eau glacée… Mais s’il dure ou se répète beaucoup, il faut rechercher une cause (par exemple, digestive). ■ Julie Gilles

Le sommeil, c’est la santé !

Thé ou café : pas trop chauds

Ce livre explique les vertus du sommeil sur l’organisme et ses fonctions (métabolisme, immunité, santé mentale, etc.), en partant des dernières connaissances scientifiques. De quoi nous laisser aller dans les bras de Morphée sans inquiétudes… De précieux conseils sont également distillés afin de tirer le meilleur parti de nos nuits et petits sommes. Quoi de neuf sur le sommeil ?, par Anne Le Pennec et le Dr Sylvie Royant-Parola, éditions Quæ, 19 euros.

Une étude publiée en mars dernier dans l’International Journal of Cancer interpelle. Elle a suivi pendant treize ans plus de 50 000 personnes et leurs habitudes de consommation de boissons chaudes. Résultat : celles qui les boivent très chaudes (plus de 60 °C) ont un risque considérablement augmenté de cancer de l’œsophage. La nature des boissons n’est nullement en cause. Un conseil pour se préserver : on prend le temps de laisser son thé, son café, sa tisane, ou autre, se refroidir un peu avant de déguster. Et pour les plus pressés, il y a la possibilité d’ajouter un nuage de lait froid.

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EN BREF


VIVRE MIEUX forme & santé SE SOIGNER PAR L‘ACTIVITÉ PHYSIQUE

Les bénéfices sont indéniables et peuvent être aussi efficaces qu’un médicament !

DIABÈTE : L’INFLUENCE IMPORTANTE DU TABAC

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Fumer favorise le développement de cette maladie chronique.

C’EST UN POINT ENCORE PEU CONNU, même par les médecins, qui a été mis en avant en mars lors du dernier congrès de la Société francophone du diabète, à Marseille. Le lien entre tabac et diabète de type 2 (survenant à l’âge adulte) est aujourd’hui validé : chez les fumeurs, le risque de développer cette affection – se caractérisant par un excès de sucre dans le sang – est en moyenne de 44 %. Et le danger est proportionnel à l’intensité de l’intoxication tabagique. Ainsi, l’augmentation du risque est de 30 % pour les personnes fumant moins d’un paquet par jour, et de plus de 60 % pour celles fumant plus d’un paquet. Comment ce lien s’explique-t-il ? Même si les fumeurs ont souvent un poids plus faible que la moyenne, ils présentent néanmoins une augmentation de la masse grasse au niveau abdominal. Cette graisse viscérale a pour conséquence de favoriser la résistance à l’insuline, hormone qui « pompe » le sucre dans le sang. Par ailleurs, la nicotine entraîne de manière directe le développement du diabète : celle-ci a un effet toxique sur les cellules du pancréas, ce qui diminue la sécrétion d’insuline par cet organe. Il est donc important, chez les fumeurs, de dépister un éventuel diabète. La meilleure prévention est bien sûr l’arrêt du tabac. S’accompagnant souvent d’une prise de poids temporaire, celui-ci est associé à une petite augmentation du risque de diabète dans les trois ans, risque qui disparaît par la suite. Afin de prévenir au maximum la prise de poids, il est préférable, avant le sevrage, de diminuer sa ration calorique et de faire plus d’activité physique. ■ A.B. AFRIQUE MAGAZINE

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UNE EXPERTISE DE L’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a fait le bilan des connaissances scientifiques dans ce domaine. Il en ressort que l’activité physique devrait être considérée comme un traitement à part entière, quels que soient l’âge et l’état de santé des malades. Elle devrait être commencée le plus tôt possible, sur les conseils d’un médecin pour une pratique adaptée aux conditions de chacun, et à raison de trois séances minimum par semaine. Les bénéfices ont été validés dans le cadre de plusieurs maladies. Outre une meilleure qualité de vie très souvent notifiée, bouger permet d’améliorer l’état et l’aptitude physique, mais également la maladie elle-même. En cas d’affection cardiovasculaire par exemple, faire du sport baisse d’un quart la mortalité après un infarctus. Après un AVC, elle diminue les séquelles neurologiques et musculaires ainsi que le risque de récidive. Pour les personnes touchées par un cancer, l’activité physique réduit les douleurs liées aux traitements et la fatigue. En cas de diabète, elle permet un meilleur contrôle de la glycémie. Quand on souffre d’arthrose des membres inférieurs ou de rhumatisme inflammatoire, elle atténue la douleur et améliore la mobilité. Elle fait également décroître les symptômes de l’asthme. Concernant l’obésité, elle permet de diminuer sa masse grasse viscérale et contribue au maintien du poids après la perte initiale. À noter que les experts préconisent que le sport soit prescrit avant tout traitement médicamenteux, quand il est question de dépression légère à modérée, de diabète de type 2, d’obésité ou encore d’artérite des jambes. ■ A.B.

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LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Fouzia Marouf

1. Votre objet fétiche ? Des gants. J’ai toujours froid aux mains, j’en ai de toutes les couleurs, en laine, en cuir.

3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Marrakech, pour y suivre une retraite de méditation. J’y ai ressenti une énergie très africaine, j’ai adoré les couleurs, les parfums, la terre ocre. Et j’ai découvert la foire 1-54 Contemporary African Art Fair : quelle formidable richesse… 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? Mon ordinateur portable. J’écris constamment, sur tout ce que je vois au cours de mes voyages. Je travaille actuellement à l’écriture de mon deuxième roman, qui se déroulera entre l’Afrique et l’Europe avec des héroïnes féminines. 5. Un morceau de musique ? « In a Sentimental Mood », de John Coltrane.

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Taiye Selasi Avec son premier roman, traduit en 17 langues, Le Ravissement des innocents, cette Londonienne d’origine nigériane s’est imposée sur la scène littéraire internationale. De passage au festival Atlantide, les mots du monde, à Nantes, elle a répondu à nos questions. 6. Un livre sur une île déserte ? Mon premier ouvrage, Le Ravissement des innocents. J’ai toujours envie de le réécrire. 7. Un film inoubliable ? Romuald et Juliette, de Coline Serreau. 8. Votre mot favori ? « Entre-deux » : comme mes livres et ma vie. 9. Prodigue ou économe ? Prodigue. Je suis, de plus, gâtée par la vie qui me le rend bien. 10. De jour ou de nuit ? De nuit, je m’y sens plus libre. L’ambiance nocturne est plus propice à l’inspiration.

11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Lettre. J’adore sa forme, l’art épistolaire, pouvoir la toucher. Elle ne se jette pas, elle se garde précieusement. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? La méditation, que je pratique chaque jour depuis neuf ans. 13. Votre extravagance favorite ? Les manteaux. Je les collectionne depuis plusieurs années. Ma dernière folie est signée Alexander McQueen…

15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Muriel Barbery. J’avais beaucoup aimé L’Élégance du hérisson. C’est une auteure très brillante. 16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? La beauté. Au Maroc, j’étais entourée de beaux espaces, de couchers et de levers de soleil merveilleux. 17. Votre plus beau souvenir ? Le futur. Le meilleur est à venir. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Accra, au Ghana. J’y suis très heureuse, j’y vais deux fois par an, j’en ai besoin. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Pour les 18 ans de mon fils, j’ai recueilli des lettres que nous avions reçues pour ses 10 ans, et je lui ai remises. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Mon rire ! ■

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ARANDA

2. Votre voyage favori ? Lamu, une île située dans l’océan Indien. J’y suis allée la première fois avec mon fils. Je n’ai jamais vu un endroit aussi beau. C’est époustouflant ! Le sable y est blanc, l’eau turquoise, et il y a une diversité des cultures. On y parle indien, arabe, swahili, c’est magique.

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Écrivaine. J’avais 4 ans quand j’ai dit à mes parents que je voulais raconter des histoires. Je ne peux plus arrêter de le faire. Je suis en suspens lorsque j’écris, entre deux états : l’absence et le présent.


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