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ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

SAHEL

FACE AUX ARMÉES DE L’OMBRE ENQUÊTE

La tragédie du vol 302 d’Ethiopian INTERVIEWS ◗ Tiken Jah Fakoly ◗ Nawel Ben Kraïem ◗ Yasmina Khadra ARTS

BUSINESS

Huawei

investit l’Afrique

Béji Caïd Essebsi, président de la République.

« IncarNations » : Sindika Dokolo expose à Bruxelles

www.afriquemagazine.com

TUNISIE

ET MAINTENANT? Crise politique, dérive économique, incertitudes… Comment sortir de l’impasse.

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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N ° 3 94 - JUILLET 2019

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ÉDITO par Zyad Limam

UN SOMMET À NIAMEY

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u 4 au 8 juillet, Niamey, capitale du Niger, sera le centre du continent. Pour un sommet extraordinaire de l’Union africaine. Près de 25 chefs d’État et des milliers de participants viendront marquer la naissance de la Zleca, la zone de libre-échange continentale africaine. On pourrait croire à la naissance d’un nouveau « machin », pour reprendre une expression fameuse du général de Gaulle (à propos des Nations unies). Pourtant, il y a là quelque chose de nouveau, et peut-être de « transformateur ». L’arrivée de la Zleca pourrait bouleverser la donne. Elle renforcera l’idée que l’Afrique est « une », que les opportunités de son marché intérieur, c’est-à-dire de ses forces propres, peuvent porter un ambitieux schéma de développement. Menée à bien, en surmontant les difficultés, la Zleca donnerait naissance au plus vaste espace de libre-échange au monde. Un ensemble de plus d’un milliard d’habitants, représentant près de 2 500 milliards de dollars de produit intérieur brut, s’étendant de la Méditerranée aux mers du Sud, entre océan Atlantique et océan Indien. Évidemment, l’objectif sera de dépasser l’idée de « marché » pour s’orienter vers la notion de coopération active. Le système doit permettre d’augmenter les échanges interafricains (aujourd’hui 16 % du total, alors qu’en Europe, on atteint 70 %), de favoriser l’industrialisation et la prise d’ampleur des services. Et surtout sortir du piège des « spécialisations ». Aujourd’hui, la plupart des pays africains produisent la même chose (en général des matières premières ou des produits semi-transformés). Ils sont concurrents entre eux et s’appauvrissent dans le marché global, trop « petits » pour progresser dans la chaîne de valeur. Les obstacles sont encore nombreux, immenses. Le sommet de Niamey sera un point de départ. Il faudra négocier des années, définir des normes communes, des règles douanières, valables pour une cinquantaine d’États, aborder la question des barrières non tarifaires, l’équilibre entre pays côtiers et pays enclavés, la mise en place des chambres de compensation pour des devises AFRIQUE MAGAZINE

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différentes. Certains pays, comme le Nigeria, se méfient d’un accord qui pourrait in fine ouvrir les frontières intérieures à des produits venus d’Europe ou d’Asie, via des « pays de transit » peu regardants… Ces débats ne sont pas vains, et rien n’est gagné d’avance. L’exemple de la construction européenne montre à quel point le chemin peut être ardu. Et le commerce à lui tout seul ne pourra pas résoudre toutes les urgences africaines. Le continent a besoin d’infrastructures, d’énergie. D’investir massivement dans le secteur social, éducation et santé. De se préparer au réchauffement climatique. Mais l’unité peut créer la force. Et révéler des opportunités. Le sommet de Niamey et la naissance de la Zleca marquent une étape, une borne dans l’histoire. Soixante ans après les indépendances, l’Afrique cherche à se réunifier économiquement, pour accélérer sa croissance et se départir de son mal-développement. C’est une utopie qui prend consistance, « un grand rêve en avant » [voir AM no 393] qui pourrait mobiliser une ou deux générations de jeunes Africains. Et puis, il y a le cas du Niger. Pays immense (1,268 million de km2, soit deux fois la France), enclavé au cœur du désert, de ce Sahara aux confins indéfinissables. Un pays pauvre, engagé dans une véritable bataille pour le développement. Un pays « au front » aussi, face aux djihadismes et aux milices [voir page 22]. L’effort national a été conséquent en matière d’infrastructures : hôtels, aéroports, routes… On mesure aussi l’effort invisible pour la sécurité. Et enfin l’effort politique et diplomatique. Le président Issoufou Mahamadou s’est pleinement engagé dans le projet. Les cycles de négociations se tiennent à Niamey, au bord du fleuve Niger. Les ratifications du traité ont été diplomatiquement négociées par la présidence et son équipe. Et il y a quelque chose de fortement symbolique dans cette capitale transformée, dans cette ouverture à l’Afrique, dans la tenue de ce sommet ici, sur ce thème précis. Là où les dangers sont encore plus présents, là où les défis du développement sont encore plus prégnants, rien n’empêche, au contraire, d’investir dans l’avenir, dans une vision collective et ambitieuse du futur. ■ 3


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SOMMAIRE

Juillet n° 394

par Zyad Limam

AFRIQUE MAGAZINE

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

EN VENTE CHAQUE MOIS

ON EN PARLE 8

Livres : Fred Vargas, une planète en urgence

TEMPS FORTS 22 Sahel : Face aux armées de l’ombre par Cherif Ouazani

36

par Catherine Faye

10 Musique : Africa Express, entre deux continents

SAHEL

FACE AUX ARMÉES DE L’OMBRE

par Sophie Rosemont

BUSINESS

Huawei

ENQUÊTE

La tragédie du vol 302 d’Ethiopian

investit l’Afrique

INTERVIEWS Z Tiken Jah Fakoly Z Nawel Ben Kraïem Z Yasmina Khadra

Béji Caïd Essebsi, président de la République.

ARTS

TUNISIE

ET MAINTENANT? Crise politique, dérive économique, incertitudes… Comment sortir de l’impasse.

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

N ° 3 94 - JUILLET 2019

par Jean-Marie Chazeau

ÊTRE EN AFRIQUE ÊTRE DANS LE MONDE

01/07/19 19:42

AFRIQUE MAGAZINE EN VENTE CHAQUE MOIS

Des Casques bleus tchadiens, à Tessalit, au nord du Mali.

16

Événement : « Prête-moi ton rêve », songes itinérants

21 C’EST COMMENT ? Chaud devant ! par Emmanuelle Pontié

Les pays du G5 mènent un combat vital contre la violence et la pauvreté. État des lieux au moment où se tient le sommet de Niamey, porteur d’espoir.

N ° 3 94 - JUILLET 2019

M 01934 - 394 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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72 LE PORTFOLIO « IncarNations », un voyage dans le temps par Zyad Limam

01/07/19 19:34

PHOTOS DE COUVERTURES : TUNISIE : MOISES SAMAN/THE NEW YORK TIMES/REDUX/REA SAHEL : MARCO DORMINO/MINUSMA

98 VINGT QUESTIONS À… Zoulikha Bouabdellah par Fouzia Marouf

Un avion dangereux ? La tragédie du vol ET302 par Cédric Gouverneur

60

Yasmina Khadra : « Une œuvre n’est jamais totalement achevée » par Fouzia Marouf

66

Nawel Ben Kraïem : « Le droit de prendre la parole » par Astrid Krivian

par Astrid Krivian

SAHEL

Tiken Jah Fakoly : « L’Afrique unie gagnerait tous les combats » par Astrid Krivian

52

34 CE QUE J’AI APPRIS Claudy Siar

FACE AUX ARMÉES DE L’OMBRE

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par Fouzia Marouf

TIKEN JAH FAKOLY :

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par Catherine Faye

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INTERVIEW

« UNE AFRIQUE UNIE RELÈVERAIT TOUS LES DÉFIS ! » TUNISIE ET MAINTENANT? ENQUÊTE LA TRAGÉDIE DU VOL 302 D’ETHIOPIAN BUSINESS HUAWEI INVESTIT L’AFRIQUE ARTS «INCARNATIONS»: SINDIKA DOKOLO EXPOSE À BRUXELLES

14 Agenda : Le meilleur de la culture

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AM394 COUV MAgh-Intern.indd 1

par Zyad Limam, Frida Dahmani et Francis Ghilès

12 Écrans : Grosse chaleur à Brooklyn

« IncarNations » : Sindika Dokolo expose à Bruxelles

Tunisie : À la recherche d’un nouveau souffle

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Huawei : L’Afrique comme forteresse ? par Jean-Michel Meyer

AFRIQUE MAGAZINE

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394 – JUILLET 2019

AMANDA ROUGIER - LINDSEY WASSON/REUTERS

3 ÉDITO Un sommet à Niamey


AFRIQUE MAGAZINE

FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

zlimam@afriquemagazine.com

Assisté de Maya Ayari

mayari@afriquemagazine.com

p. 78

RÉDACTION

Emmanuelle Pontié

DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION

epontie@afriquemagazine.com

Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com

Jessica Binois

PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

sr@afriquemagazine.com

Amanda Rougier PHOTO

arougier@afriquemagazine.com

MADE IN AFRICA 88 91 92

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Juliette Bain-Cohen-Tanugi, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Cécile Espérou-Kenig, Catherine Faye, Francis Ghilès, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, JeanMichel Meyer, Luisa Nannipieri, Cherif Ouazani, Sophie Rosemont.

Escapades : Tanger, en renaissance Carrefours : Black Rock Sénégal Fashion : Mantsho, la « fierté noire » dicte la mode

VIVRE MIEUX RÉDACTRICE EN CHEF

Danielle Ben Yahmed

par Luisa Nannipieri

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES

QILAI SHEN/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES - COURTESY OF THE ARTIST, KENDELL GEERS

VIVRE MIEUX 94 95 96 97

Stop à la malbouffe ! Jeunes enfants : on limite les écrans Intestin irritable : les solutions pour soulager Céphalées répétitives : quelles en sont les causes ?

EXPORT Laurent Boin Tél.: (33)6 87 31 88 65 France Destination Media 66, rue des Cévennes - 75015 Paris. Tél.: (33)1 56 82 12 00

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot - 92350 Le Plessis-Robinson Tél.: (33)1 40 94 22 22 - Fax: (33)1 40 94 22 32

afriquemagazine@cometcom.fr

p. 72

par Annick Beaucousin et Julie Gilles

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ regie@afriquemagazine.com AM International 31, rue Poussin - 75016 Paris Tél.: (33)1 53 84 41 81 – Fax: (33)1 53 84 41 93 AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Plus d’un an ! Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

AFRIQUE MAGAZINE

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31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT: Zyad Limam Compogravure: Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur: Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.

Commission paritaire : 0224 D 85602 Dépôt légal : juillet 2019. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.

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Fondation Congo Assistance Au chevet du troisième âge Depuis plus de trente ans, la Fondation Congo Assistance que dirige l’épouse du chef de l’État, Antoinette Sassou N’Guesso, consacre l’essentiel de ses activités dans la mise en œuvre d’un programme visant à soulager la souffrance des plus démunis. D’où la création de structures adéquates pour les personnes âgées, souvent bannies de la société dont elles sont pourtant les piliers. Pour preuve, la présidente de la Fondation Congo Assistance a mis à leur disposition la Maison des Seniors, située à Mfilou, dans le 7e arrondissement de Brazzaville, où l’on trouve des services qui témoignent du respect qu’on leur porte et toutes les conditions nécessaires pour avoir une fin de vie agréable. L’hospice des seniors de Mfilou a été inauguré le 9 décembre 2015 par Antoinette Sassou N’Guesso, présidente de la Fondation Congo Assistance. Les travaux de construction et d’équipement ont coûté environ 2,3 milliards de FCFA, dont 90 % financés sur fonds propre de la Fondation. La construction de ce centre est le fruit des dividendes que la Fondation a récoltés lors de la célébration de son 30e anniversaire.

La lutte contre le VIH/sida Dans les différents départements du Congo, l’épouse du chef de l’État organise des campagnes de sensibilisation sur l’élimination de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, et parfois des séances de vaccination contre le cancer du col de l’utérus. Estimant que la réduction de nouvelles infections au VIH passe non seulement par l’information, mais aussi par l’administration aux patients d’un traitement antirétroviral précoce, Antoinette Sassou N’Guesso offre des médicaments antirétroviraux aux malades.

AFRIQUE MAGAZINE

PUBLI-INFOS

Le Centre national de référence de la drépanocytose À l’occasion de la célébration du 30e anniversaire de la Fondation Congo Assistance, l’épouse du chef de l’État avait procédé le 6 mai 2015 à l’inauguration du Centre national de référence de la drépanocytose « Maman Antoinette Sassou », construit dans l’enceinte du Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Brazzaville. Le Centre national de drépanocytose a, entre autres missions, la coordination des activités de dépistage et de prise en charge de la drépanocytose ; la documentation épidémiologique ainsi que la formation des spécialistes en hématologie et des diplômés spécialisés dans la

Le couple présidentiel lors de la soirée de charité de la Fondation Congo Assistance, le 22 juin 2019.

drépanocytose. Il est aussi destiné à la recherche fondamentale, en tant que clinique, et à la coordination des essais thérapeutiques. Initiatrice du projet, Antoinette Sassou N’Guesso, qui se dit être fière d’avoir donné au Congo et à l’Afrique ce bijou, a rappelé que le centre du CHU a une vocation sous-régionale (Afrique centrale), conformément aux conclusions des premiers états généraux tenus à Brazzaville en 2005.

Deux enfants sur 100 au Congo touchés par la forme totale de la drépanocytose « Au Congo, à travers le Centre de référence de la drépanocytose, nous voulons créer les conditions d’une prise en charge efficiente des malades et d’une recherche appliquée, féconde et innovante », a déclaré la présidente de la Fondation Congo Assistance. Par son statut et ses capacités, le Centre national de référence de la drépanocytose a pour mission de permettre la coordination des activités de lutte contre cette maladie génétique, en s’appuyant sur le programme national et la Fondation Congo Assistance. Au Congo, selon le ministère de la Santé, la maladie dans sa forme partielle touche 25 % de la population et deux enfants sur 100 sont touchés dans sa forme totale. Les estimations soulignent que plus de 50 000 personnes (enfants et adultes) vivent avec la forme totale de cette maladie. Une forme très symptomatique, avec un risque élevé de mortalité durant la période infantile. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui appuie le Congo dans le processus de dépistage et de prise en charge, a proposé un ensemble d’interventions de santé publique. Elle préconise d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins, de renforcer les services cliniques, de laboratoire, de diagnostic et d’imagerie médicale, afin de les rendre efficaces et adaptés aux différents niveaux de système de santé.


Antoinette Sassou N’Guesso honorée par l’OMS Pour ses efforts consentis dans la lutte contre la drépanocytose, l’épouse du chef de l’État congolais a été récompensée le 20 mai, à Genève, par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors de l’ouverture de la 72e assemblée mondiale de la santé. Antoinette Sassou N’Guesso, présidente de la Fondation Congo Assistance, a reçu le diplôme des mains du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui l’a félicitée de vive voix pour son engagement. Pour ce dernier, cette distinction « si bien méritée » est étroitement liée à la contribution de l’épouse du chef de l’État, « hautement appréciée dans la lutte contre la drépanocytose dans la région africaine de l’OMS ». « Sur le plan thérapeutique, des progrès significatifs, certes inégaux, sont désormais à la portée des malades. L’équité voudrait que ces progrès soient partagés par tous, et notamment dans les pays les moins nantis où se concentre la grande majorité des malades », a expliqué Tedros Adhanom Ghebreyesus. Recevant sa distinction, Antoinette Sassou N’Guesso a réaffirmé sa détermination dans la lutte contre la drépanocytose et autres maladies, même s’il existe encore quelques faiblesses aggravées par des difficultés financières. Elle a, en outre, remercié l’OMS pour sa reconnaissance, sans oublier le chef de l’État, Denis Sassou N’Guesso, pour « son appui constant et ses conseils pertinents dans la mise en œuvre de ce combat ». C’est depuis les années 2000 que la Première Dame du Congo, en collaboration avec sa consœur Viviane Wade, ancienne Première Dame du Sénégal, a commencé son plaidoyer, tant sur le plan national qu’international, pour la prévention et la prise en charge de cette maladie génétique très répandue dans le monde et reconnue aujourd’hui comme une priorité de santé publique.

Pour l’Afrique « Nous, qui sommes d’une génération qui a connu la colonisation et lutté pour les indépendances et ensuite pour l’émancipation de la femme, avions toujours à cœur l’idéal panafricain. Nous pensions, et nous pensons toujours, que l’Afrique devait occuper une place de choix sur l’échiquier international et que ses peuples devaient accéder à une bonne éducation, à des soins de santé de qualité et que les problèmes de malnutrition devaient être résolus définitivement. En somme, nous continuons à rêver d’une Afrique qui parle d’égal à égal avec les autres continents. Que l’Afrique puisse se doter d’une vision prospective et se projeter sur les cinquante prochaines années, avec la conviction de peser dans les affaires du monde, sera le challenge des générations futures. Nous avons adopté plusieurs stratégies depuis les années 1980 et, au bilan, malgré quelques avancées, nous avons l’impression d’être statiques. En écho avec les préconisations de l’Agenda 2063, nous appelons la société africaine à travailler ensemble pour construire une Afrique prospère et unie, fondée sur des valeurs communes et un destin commun. Je pense que la femme africaine doit être plus que jamais associée à la définition et à la mise en œuvre des plans d’action, en ce sens qu’elle est souvent pragmatique et de bon sens. Poursuivre la lutte contre les grandes pandémies comme le sida pour aboutir à leur élimination totale, notamment le sida pédiatrique. Améliorer la prise en charge d’une maladie qui me tient à cœur et pour laquelle je m’investis chaque jour, à savoir la drépanocytose. Combattre ardemment les cancers féminins et réduire la mortalité maternelle et infantile sur notre continent. Enfin, donner plus de confort à nos anciens qui sont les dépositaires et les gardiens de notre savoir ancestral, voilà mon credo. Les Africains doivent aujourd’hui, plus qu’hier, avoir foi et confiance en leur génie créateur et aux potentiels qu’ils ont. Mon Afrique, celle qui se cherchait et qui a commis des erreurs, doit préparer celle de l’estime de soi et de la fierté. »

ANTOINETTE SASSOU N’GUESSO

Contacter la Fondation Les Premières Dames des deux Congos, lors de la journée mondiale de sensibilisation de la drépanocytose le 19 juin 2019, à Brazzaville.

Brazzaville : +242 06 687 01 37 / +242 05 041 99 89 info@fondationcongoassistance.com fondationcongoassistance.com


« L’HUMANITÉ É EN PÉRIL : VIRONS DE BORD, TOUTE ! »,

Fred Vargas,

L’une des écrivaines LES PLUS VENDUES EN EUROPE troque ses enquêtes contre un réquisitoire pour l’écologie. par Catherine Faye C’EST MAINTENANT OU JAMAIS ! L’auteure de polars change de registre et livre un essai dans lequel elle exhorte à agir pour sauver la planète. Seul point commun avec les investigations du commissaire Adamsberg, son personnage phare : le crime. Mais cette fois-ci, elle s’attaque aux crimes contre la planète, à l’épuisement des ressources naturelles. Et contrairement à ses enquêtes policières, les coupables sont vite démasqués. En tête de liste, gouvernants « apparemment impuissants », milliardaires à la tête des lobbies, tenus comme responsables de la désinformation et du désastre. Nous y sommes… « Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal », écrit-elle. L’engagement, elle en connaît un rayon. On se souvient notamment de son implication dans l’affaire Cesare Battisti, où elle n’eut de cesse de militer pour la libération de l’écrivain italien, ex-activiste d’extrême gauche, condamné pour quatre meurtres. Aujourd’hui, c’est un appel à la mobilisation et à la révolution qu’elle lance. Pour l’avenir de la Terre et de l’humanité. Rien d’étonnant à ce que la reine du polar français – Quand sort la recluse (2015) a été écoulé à 540 000 exemplaires et à 195 000 en poche – prenne à bras-le-corps l’état d’urgence écologique. 8

Écrire n’est pas sa première vocation. C’est d’abord l’archéozoologie (une discipline qui collecte des informations sur les sociétés passées à partir d’ossements d’animaux) qui la passionne. L’histoire médiévale aussi. Pour se détendre, après ses heures de fouilles archéologiques, elle écrit un premier roman, L’Homme aux cercles bleus, publié en 1991. Le deuxième, L’Homme à l’envers, remporte le Grand prix du roman noir de Cognac en 2000. Si sa nature scientifique la pousse à inventer des enquêtes minutieuses, l’auteure est tout aussi tournée vers l’avenir. Surtout vers celui de la planète, qui la préoccupe au plus haut point. Épuisement des matières premières, pénurie d’eau, déforestation, émissions de gaz à effet de serre, rien n’échappe à l’inquiétude de Fred Vargas, son nom de plume, en écho à celui de sa sœur jumelle, la peintre Jo Vargas. L’hommage de cette dernière à Maria Vargas, personnage au destin funeste de La Comtesse aux pieds nus, pourrait bien aujourd’hui entrer en résonance avec les déboires terriens. Qu’à cela ne tienne, l’auteure de Pars vite et reviens tard (2001), chercheuse pendant quinze ans au CNRS, s’est plongée dans la science climatique, avec l’idée de mettre toutes les informations disponibles à portée de ses lecteurs. L’élément déclencheur ? D’abord, la démission de Nicolas Hulot, paralysé par le gouvernement, lui-même au service des grands lobbies et des multinationales. Puis, la COP24 sur le climat, en 2018, qu’elle qualifie d’« échec catastrophique ». L’Humanité en péril est une bouteille jetée à la mer, grâce à laquelle chacun peut, à son échelle, mesurer l’ampleur du désastre annoncé et adopter de bonnes pratiques au quotidien. Pour tenter d’enrayer le processus de dégradation de la Terre. Et changer de cap. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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394 – JUILLET 2019

ASTRID DI CROLLALANZA/FLAMMARION

Fred Vargas Une planète en urgence

Flammarion, 256 pages, 15 €.


ON EN PARLE livres vieux manuscrits À PRIX D’OR

IL EST ENCORE POSSIBLE aujourd’hui de visiter la synagogue Ben Ezra, l’une des plus anciennes d’Égypte, dont les gardiens, les « veilleurs », étaient traditionnellement des musulmans. C’est là que se trouve une pièce secrète, « un cimetière sans âge de manuscrits entassés pêle-mêle du sol au plafond, datant parfois d’un millénaire ». L’auteur nous entraîne au Caire sur les traces de deux chercheuses de Cambridge, à la fin

« LE DERNIER VEILLEUR DU VIEUX CAIRE », Michael

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David Lukas,

BAS LES MASQUES

Mercure de France, 272 pages, 23,80 €. du XIXe siècle, prêtes à tout pour se procurer des textes anciens. Et notamment des rouleaux de la Torah, dont le plus précieux excite les convoitises des chercheurs et des musées du monde entier… ■ C.F.

« POLITIQUE »,

Mazen Kerbaj,

Actes Sud BD, 128 pages, 22 €.

histoire italienne

DR - MAZEN KERBAJ - DR (3)

LE FEU AUX POUDRES

CE LIVRE EST PLUS QU’UN ROMAN. Il apporte un éclairage sur l’Italie actuelle et sur celle des années Berlusconi, dans leurs rapports complexes avec la période fasciste. Tout commence par l’arrivée d’un Éthiopien sur le palier de l’appartement d’Ilaria, Italienne d’une quarantaine d’années. « Je cherche Attilio Profeti », annonce le jeune homme, sur les traces de son grand-père. Or, c’est le père d’Ilaria. Tout un pan occulté AFRIQUE MAGAZINE

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DE LA DÉRISION, de l’autodérision et beaucoup de vitriol. Ajoutez à cela un fond de tendresse… Voici un portrait drôle et amer du Liban et de ses voisins syriens et israéliens que nous livre Mazen Kerbaj, dessinateur, trompettiste et éditorialiste libanais. Dans ce recueil d’histoires courtes, il a réuni douze années de strips, pages et bandes dessinées sur la situation de son pays, publiées dans la presse francophone et arabophone libanaise et internationale. Un panorama sans concession, où l’histoire semble se répéter à grande vitesse. Guerre, immigration, liberté de la presse, écologie… rien ne lui échappe. ■ C.F.

roman

TAMBOUR BATTANT

« TOUS, SAUF MOI »,

Francesca Melandri,

Gallimard, 576 pages, 24 €.

de l’histoire italienne rejaillit alors à travers cette histoire familiale : la conquête et la colonisation de l’Éthiopie par les Chemises noires de Benito Mussolini, de 1936 à 1941. ■ C.F.

394 – JUILLET 2019

« LE TAMBOUR DES LARMES »,

Beyrouk,

Elyzad poche, 248 pages, 9,90 €.

SON ŒUVRE est entièrement dédiée au Sahara. Après Je suis seul, paru en 2018, où l’auteur imagine un homme enfermé dans une chambre au milieu d’une ville occupée par les djihadistes, voici la réédition en petit format du Tambour des larmes, prix Ahmadou Kourouma en 2016. Dans cette épopée du désert mauritanien, menée par la jeune Rayhana, qui troque l’univers clos du campement contre le tumulte des villes d’Atar et de Nouakchott, se télescopent modernité et traditions ancestrales, État et codes tribaux, téléphones portables et tam-tam. Une ode à la liberté, à la dignité et à l’humanité tout entière. ■ C.F. 9


Avec son projet collaboratif, le leader de Gorillaz (au centre) veut créer un pont entre l’Occident et l’Afrique.

Africa Express Entre deux continents

« EGOLI », Africa Express,

Africa Express/K7.

LE LEADER DE BLUR et de Gorillaz a toujours pensé que l’avenir de la musique se trouvait en Afrique. En 2006, ce multi-instrumentiste hyperactif fondait aux côtés de Martha Wainwright et de Fatboy Slim un collectif de musiciens pour créer un pont entre Occident, Orient et Afrique. Depuis un premier disque en 2009 – où apparaissaient aussi bien Oumou Sangaré que Rachid Taha –, Africa Express a sorti plusieurs albums : Maison des jeunes (2013), Terry Riley In C Mali (2014) ou encore The Orchestra of Syrian Musicians M (2016). Aujourd’hui, nous offre Egoli, il nou dont lles 18 titres été enregistrés ont ét à Johannesbourg, Joha en une semaine. convoqué ce qu’il Y est con y a de plus excitant dans la musique da actuelle : a éélectropop, ttrap, funk, 110 0

Otim Alpha et Moonchild Sanelly.

house, disco, rap, folk… Quant à la liste des invités, elle donne le tournis. Côté africain, on croise le collectif BCUC, Blk Jks, Dominowe, Faka, Phuzekhemisi, Infamous Boiz, DJ Spoko, Mahotella Queens, Moonchild Sanelly, Morena Leraba, Nonku Phiri, Radio 123, Sibot, Zolani Mahola et la rappeuse Sho Madjozi… Côté anglo-saxon, on retrouve donc Damon Albarn, mais aussi Blue May, Gruff Rhys (du groupe de pop indé Super Furry Animals), la batteuse et chanteuse Georgia, Ghetts, Mr Jukes ou encore Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs. Tout ce beau monde s’est entendu à merveille, avec l’objectif d’aligner des titres intemporels et résolument dansants, hormis quelques exceptions. Ça commence tout en douceur avec le bien nommé « Welcome », fort de l’intervention du guitariste virtuose Phuzekhemisi, avant de partir sur les chapeaux de roues avec le sémillant « City in Lights ». Deux tubes arrivent vite : « Johannesburg » et un imparable « Become the Tiger ». Plus loin, on saute dans tous les sens avec « Mama », où s’illustre entre autres Otim Alpha, on se laisse porter par le rap immédiat de « No Games », le groove chaleureux de « Morals » ou les beats lancinants de « Sizi Freaks ». Enfin, le mélodieux « See the World » est un hymne à l’ouverture et à l’amour, auquel on ne peut résister. Merci Damon ! ■ AFRIQUE MAGAZINE

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DENHOLM HEWLETT - DR - DENHOLM HEWLETT

S’ouvre aujourd’hui un nouveau passionnant chapitre pour DAMON ALBARN, dont le collectif brasse tous les genres et toutes les humeurs. par Sophie Rosemont


ON EN PARLE musique

« LE SON D’APRÈS »,

Lala &ce,

All Points/ Believe.

R’n’B

MABEL, DU PEDIGREE ET DU TALENT

hip-hop

LALA &CE, DU HAUT NIVEAU

Avec ce premier album, la rappeuse entre dans la cour des grands. MAÎTRISANT LE TERRAIN du cloud rap avec bagout et dotée d’un beau timbre grave, Mélanie Berthinier a été révélée grâce au crew du rappeur lyonnais Jorrdee et vit désormais à Londres, mais ses origines sont à chercher du côté de la Côte d’Ivoire. Avec son premier album, Le Son d’après, elle s’impose instantanément parmi les grandes du rap contemporain. Dans le titre « Serena (Botcho) », elle rappelle la beauté des postérieurs africains et la puissance des femmes noires dans un monde trop mince, trop blanc, trop aseptisé, bref, un monde qui n’a plus lieu d’être. Toutes avec Lala &ce ! ■ S.R.

DEPUIS SA PREMIÈRE MIXTAPE, Ivy to Roses, on suit de près la fille de Neneh Cherry et de Cameron McVey (producteur, entre autres, de Massive Attack et de Portishead). Son terrain de jeu ? Un R’n’B synthétique, de la pop attitude, et beaucoup d’âme, qui bénéficie aujourd’hui à son premier album, High Expectations. Des ballades mélancoliques (« I Belong to Me », « Trouble ») aux titres plus entraînants (« Selfish Love », « Bad Behaviour », « Don’t Call Me Up »), toutes les chansons de l’opus témoignent du beau brin de voix de Mabel, enfant de la balle qui voit se dessiner devant elle l’autoroute de la gloire. ■ S.R. « HIGH EXPECTATIONS »,

Mabel, Polydor.

tekno kintueni

KOKOKO!, ELECTRO FROM KINSHASA

AMANDA SEARLE - DR (4)

Un nouveau genre musical à la conquête du monde. À LA CRÉATION DE KOKOKO! en 2017, ses membres n’avaient pas les moyens de se procurer les instruments qu’ils souhaitaient. Ils en ont donc bricolé à partir de bouteilles ou de bidons trouvés dans la rue. Ajoutez-y la boîte à rythmes culte de la techno, la TR-808, et vous obtenez ce genre inédit, la tekno kintueni, qui mêle l’électro la plus radicale à des mélodies dansantes. Produit par le Français Débruit, le premier album du groupe, Fongola, exporte l’effervescence de Kinshasa sur toutes les scènes du monde. ■ S.R. « FONGOLA », Kokoko!, Transgressive Records/Pias. AFRIQUE MAGAZINE

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« 28 », Doks,

Urban Pias.

afrorap

DOKS, L’ÉNERGIE MÊME NÉ IL Y A 27 ANS À BRAZZAVILLE, Doks grandit au son de la rumba congolaise et passe son temps à jouer au football, à chanter et à danser. Au début des années 2000, direction la France, où il ne perd pas son envie de bouger. Ce qui ne manque pas de s’entendre dans 28, son premier album solo, lequel arrive après la poignée de singles qui ont ultra-buzzé de son groupe, Shakalewa. On y compte pas moins de 18 titres (de « Shaina » à « Papa Wemba »), ainsi que trois chansons bonus. Énergique et prolifique, Doks impose son chant haut perché autotuné comme ses beats afro. ■ S.R. 11


Dix-huit mois après une première saison remarquée, voici le retour de l’héroïne de Spike Lee sur Netflix. Dans la suite de cette série au casting 100 % « black » et interdite aux moins de 16 ans pour cause de scènes de sexe sans fausses pudeurs, NOLA DARLING n’en fait toujours qu’à sa tête… par Jean-Marie Chazeau ON AVAIT LAISSÉ NOLA DARLING réunissant ses trois amants pour pouvoir mieux les quitter, on la retrouve dans les bras de sa compagne. Et Spike Lee de filmer un premier épisode saphique et torride… Mais cette nouvelle saison est (un peu) moins centrée sur la liberté sexuelle de la belle artiste noire aux yeux clairs. La jeune peintre est régulièrement prise entre deux feux : être une seconde mère pour la fille de sa maîtresse ou se comporter comme sa grande sœur, développer sa création artistique sans argent ou céder ses peintures à une société qui les veut pour faire sa publicité, ou encore accepter une bourse généreuse réservée aux artistes afro-américains même si elle est financée par un odieux personnage (blanc).

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Reste qu’entre deux séances chez sa psy, elle n’a pas sa langue dans sa poche. Ainsi, ce dialogue avec un beau sculpteur nigérian, qui a fait réagir : après avoir écorché les noms des comédiens anglo-nigérians Chiwetel Ejiofor (Twelwe Years a Slave, Seul sur Mars…) et John Boyega (Star Wars, épisodes VII et VIII), la jeune femme les accuse de voler les rôles des comédiens afro-américains en étant moins chers qu’eux, allusion directe à des propos tenus il y a deux ans par Samuel L. Jackson. Le débat se poursuit autour de la traite négrière et de l’esclavage, avant de se terminer… au lit ! L’échange a fait réagir John Boyega sur Twitter, et les connaisseurs de l’Afrique ont remarqué en passant que le sculpteur en question, présenté comme nigérian donc, portait dans son atelier une tenue traditionnelle du Ghana… Quand il la porte, car il sculpte nu. C’est qu’il fait chaud dans bien des épisodes, lesquels nous entraînent de la plage de Coney Island jusqu’à Porto Rico, dont on découvre la communauté noire. Chaude ambiance également dans l’hommage de la rue new-yorkaise à Prince, filmé comme un documentaire, ou dans les tensions entre les riches blancs, qui participent à la gentrification de tout un quartier, et une partie de la population multiethnique, chassée par les prix des loyers qui flambent. En 1986, la version cinématographique racontait une guérilla urbaine poussée par la canicule. Trente-trois ans plus tard, la chaleur continue de monter autour de Nola Darling… ■ « NOLA DARLING N’EN FAIT QU’À SA TÊTE, SAISON 2 » (États-Unis) de Spike Lee. Avec DeWanda Wise,

Michael Luwoye, Anthony Ramos.

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DAVID LEE/NETFLIX - DR

Grosse chaleur à Brooklyn


ON EN PARLE écrans

road movie

Quand les parallèles se croisent UN JEUNE ANGLAIS qui vient de fêter ses 18 ans au Maroc en famille vole le camping-car de son beaupère dans l’optique de rejoindre son père en France. Il rencontre en route un jeune Congolais de son âge (Stéphane Bak, très demandé depuis son rôle dans La Miséricorde de la jungle), sans papiers, qui cherche à gagner l’Europe pour retrouver son frère à Calais. Les voilà qui franchissent sans encombre, ou si peu, les frontières et les étapes, en apprenant à se connaître. Entre l’ado anglais fanfaron mais à l’enfance douloureuse et l’ado congolais qui se fait discret pour éviter les ennuis va naître une belle amitié. Une autre vision des « migrants » en Europe, mais le scénario réserve trop d’invraisemblances pour que l’on y adhère totalement. ■ J.-M.C.

thriller

« ROADS » (France-Allemagne) de Sébastien

Schipper. Avec Fionn Whitehead, Stéphane Bak, Ben Chaplin.

Cherchez l’intrus

DANS SON CINQUIÈME FILM en tant que réalisateur, Roschdy Zem se donne le rôle d’une brute épaisse, un type collant et suffisamment malin pour s’incruster dans la vie de deux jeunes entrepreneurs qui ont eu le malheur de faire appel à ses services et qui vont vite le regretter. Ce remake d’un thriller brésilien (L’Intrus, de Beto Brant, sorti en 2001) est transposé dans un Sud où les gitans jouent les gros bras et où l’on peut tomber sur un tripot à l’arrière d’une épicerie arabe. On y croise aussi une femme fatale (Hafsia Herzi), des promoteurs et des politiques forcément pourris… Les rebondissements s’enchaînent jusqu’à un final très série B. Mais c’est aussi, mine de rien, une dénonciation de l’avidité qui mène le monde, résumée par cette réplique sans appel : « Sans la jalousie, on se contente de ce qu’on a ! » ■ J.-M.C. « PERSONA NON GRATA » (France) de Roschdy Zem. Avec lui-même,

Nicolas Duvauchelle, Raphaël Personnaz, Hafsia Herzi.

superproduction

DR - KAZAK PRODUCTIONS - DR (2) - 2019 CTMG

Les hippies à Hollywood LE 8 AOÛT 1969, les membres d’une communauté hippie tuent dans sa villa Sharon Tate, 26 ans, enceinte de six mois, épouse du réalisateur Roman Polanski… Cinquante ans plus tard, Tarantino nous refait le coup d’Inglourious Basterds où Hitler mourrait avant l’heure, en jouant avec la réalité historique. Mais ici, le récit est centré sur les voisins de l’actrice : un acteur sur le déclin (Leonardo DiCaprio), toujours flanqué de sa doublure cascade (Brad Pitt), qui est aussi son homme à tout faire. Les comédiens sont au sommet de leur art, et la reconstitution des tournages – où l’on rencontre un Bruce Lee en furie – est un régal et fait presque oublier une fin problématique… ■ J.-M.C. ONCE UPON A TIME IN… HOLLYWOOD

(États-Unis) de Quentin Tarantino. Avec Brad Pitt, Leonardo DiCaprio, Margot Robbie.

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Moment de prière dans le désert algérien, en 2009. Salif Keita présentera en ouverture son dernier opus, Un autre Blanc.

sens et conscience

Rétrospective d’une œuvre qui FAIT ÉCHO aux valeurs humanistes portées par le lieu. SOIXANTE-DIX ANS après la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée au palais de Chaillot, l’exposition consacrée au Brésilien Sebastião Salgado illustre plusieurs articles du texte de 1948. L’accrochage est exceptionnel. Une trentaine d’images en grand format, prises tout au long de ses quarante ans de carrière dans une vingtaine de pays, notamment sur le continent, courent le long des murs du musée de l’Homme, un lieu ancré dans l’engagement humaniste et universaliste. Moment de prière dans le désert algérien, camp de rapatriés du Zaïre et du Burundi au Rwanda, chaque photo claque, tant par la texture que par la composition. Mais c’est surtout le souffle qui s’en dégage qui saisit. L’homme seul, l’homme multiple, l’homme face à l’immensité, l’homme face à l’adversité. Les photos de Salgado informent. Provoquent le débat. Et, plus que jamais, donnent sens au premier article de la Déclaration : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » ■ Catherine Faye

voyage musical

UN FESTIVAL À LA RENCONTRE DES CULTURES D’AFRIQUE, DES CARAÏBES ET D’AMÉRIQUE LATINE

TREIZE JOURS pour une célébration planétaire.

C’EST LE PLUS GRAND rendez-vous des musiques du monde sur le continent américain. Avec plus de 700 artistes d’une trentaine de pays, des centaines de milliers de festivaliers, treize jours de concerts dans six salles de spectacles à Montréal et un village éphémère au cœur du centre-ville, le festival, fondé par la légende montréalaise Lamine Touré, accueille les grands noms de la scène internationale, comme les nouvelles générations de musiciens émergents. Du Malien Salif Keita, qui ouvrira le festival, à la chanteuse montréalaise d’origine sud-africaine Lorraine Klaasen, en passant par le légendaire groupe de kompa haïtien Tabou Combo ou encore Mamadou Diabate, accompagné de Zal Sissokho lors de la Nuit de la kora, la programmation se fait l’écho de la ville francophone la plus peuplée d’Amérique, cosmopolite, multiculturelle. Un terreau fertile pour la musique du monde. ■ C.F.

« DÉCLARATIONS. SEBASTIÃO SALGADO », musée

33E ÉDITION DU FESTIVAL INTERNATIONAL NUITS D’AFRIQUE, Montréal, Canada, du 9 au 21 juillet 2019.

museedelhomme.fr

festivalnuitsdafrique.com

de l’Homme, Paris, France, jusqu’au 11 novembre 2019.

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SEBASTIÃO SALGADO - DR (3)

L’ŒIL DE SALGADO CÉLÈBRE LES DROITS DE L’HOMME


ON EN PARLE agenda

mouvement intemporel

Barouh, de Ouattara Watts, 1994.

À bras-le-corps

Une fête sonore et visuelle empreinte de SPIRITUALITÉ animiste. OUATTARA WATTS PEINT avec des brosses, des pinceaux, avec la main, avec son corps. Des chants pygmées à Mark Rothko, de Cy Twombly à Fela Kuti, de John Coltrane à Basquiat… Ses œuvres, parfois monumentales, rappellent que le génie artistique est intemporel et ne connaît pas de frontières. Une virée initiatique et une explosion de sons et de couleurs à la hauteur de l’énergie et de la générosité de la peinture de l’Ivoirien, new-yorkais depuis trente ans. ■ C.F. « OUATTARA WATTS. RÉSONANCES », Eymoutiers, France, jusqu’au 17 novembre 2019. espace-rebeyrolle.com

concordance des temps

DR - ITALO RONDINELLA 2019 - DR

Vichy explore le dynamisme de l’art au Congo-Kinshasa DE GRANDS NOMS de la République du Congo, connus et reconnus, comme Cheri Samba, Cheri Cherin, Pierre Bodo, Mbiya, y côtoient la nouvelle génération – Peter Tujibikile, Sam Ilus, Moke Fils, Amani Bodo, Mika, Bodo Fils, Jean Claude Lofenia, Shula… Tableaux, sculptures, vidéos, mode, musique made in RDC, pour une exposition sémillante, dans un ex-établissement thermal du XIXe siècle. En faisant cohabiter art contemporain et art ancien traditionnel, la scénographie crée le dialogue et ancre l’événement dans l’histoire mondiale de l’art. ■ C.F. « CONGO PAINTINGS », musée des Arts d’Afrique et d’Asie, Vichy, France, jusqu’au 31 octobre 2019. musee-aaa.com AFRIQUE MAGAZINE

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Détail d’une tenture d’El Anatsui réalisée avec des bouchons de bouteille.

mondes parallèles

À VENISE, LES AFRICAINS BRILLENT PAR LEUR ORIGINALITÉ

Et réveillent la SCÈNE ARTISTIQUE contemporaine. LE CONTINENT N’AVAIT pas fait autant parler de lui à Venise depuis 2015. Et pour leur première participation, les pavillons du Ghana et de Madagascar frappent fort. Le premier, avec des artistes comme Ibrahim Mahama, El Anatsui ou le célèbre architecte anglo-ghanéen David Adjaye. Madagascar, avec l’œuvre de Joël Andrianomearisoa, réalisée avec 50 000 feuilles de papier de riz noir. « On veut démystifier l’Afrique et montrer aux yeux du monde que nos artistes sont aussi bons que les autres », confie Raphael Chikukwa, commissaire du pavillon du Zimbabwe. Parmi les 89 nations qui rivalisent cette année dans l’espoir de décrocher un Lion d’or ou, à défaut, une visibilité exceptionnelle auprès des décideurs les plus influents (critiques, musées, collectionneurs), citons la reine sudafricaine Zanele Muholi, la jeune peintre nigériane Njideka Akunyili Crosby, l’Éthiopienne Julie Mehretu ou encore les quatre Égyptiens, Ahmed Chiha, Ahmad Abdel Karim, Islam et Moataz Abdallah. Preuve du dynamisme de l’art contemporain africain. ■ C.F. 58E BIENNALE D’ART, Venise, Italie,

jusqu’au 24 novembre 2019. labiennale.org 15


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Songes itinérants

par Fouzia Marouf, envoyée spéciale DÎNER CONVIVIAL AU BORD DE L’OCÉAN, à Casablanca, le 17 juin. Freddy Tsimba, sculpteur congolais au trait politique, et Bill Kouélany, à la veine radicale, également congolaise, échangent longuement. Tsimba, natif de Kinshasa, connaît le Maroc et a déjà créé en résidence artistique à Ifitry, sous l’impulsion du photographe Mustapha Romli, comme ses homologues Barthélémy Toguo et Soly 16

Premières dates sur l’agenda : du 18 juin au 31 juillet 2019, à Casablanca, à la Villa d’Anfa ; en septembre-octobre 2019, à Dakar, au musée des Civilisations noires ; en juin-juillet 2020, à Marrakech. Cissé, également présents. « Si, en Europe, les biennales et les foires d’art contemporain ont le monopole de l’art issu du continent, c’est à nous de montrer la création artistique née en Afrique », précise Simo Chaoui, directeur associé de La Galerie 38, connue pour ses vernissages aux allures de show dans la métropole. Quant à Fihr Kettani, secrétaire général de la Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA), créée en janvier 2019, il rappelle l’objectif de « Prête-moi ton rêve » : « Fédérer les principaux acteurs de la scène culturelle en collaborant sous le prisme panafricain. » Un pari né il y a trois ans lors d’une discussion informelle entre Simo Chaoui et Yacouba Konaté, ancien commissaire AFRIQUE MAGAZINE I 3 9 4 – J U I L L E T 2 0 1 9

FM-FDCCA - DR

Le projet est ambitieux. Réunir des artistes africains en résidence au Maroc, puis partir sur la route pour une exposition continentale. Six pays sont prévus pour cette caravane. Objectif : rapprocher l’œuvre de son premier public ! « Prête-moi ton rêve » a donc été lancée à CASABLANCA les 18, 19 et 20 juin derniers. Une visite comme si vous y étiez.


À gauche : les œuvres d’une étonnante vitalité du Marocain Mohamed Melehi dialoguent avec celles, inspirées, (sur le mur du fond) du Camerounais Barthélémy Toguo.

ON EN PARLE événement

Ci-dessous, de gauche à droite : l’artiste Abdoulaye Konaté, Arnaud Laubhouet, cofondateur de la FDCCA, le commissaire général Yacouba Konaté et Brahim Alaoui, commissaire artistique.

FM-FDCCA - FOUAD MAAZOUZ

Jems Robert Koko Bi, figure montante de l’art contemporain en Côte d’Ivoire, en résidence à Casablanca.

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de la Biennale de Dakar et actuel commissaire général de l’événement. « Persiste la méprise qu’il ne se passe rien de propre à l’Afrique », lâche sans ambages Konaté, qui a été le maître d’œuvre de l’exposition et dont l’ambition est d’inverser le rêve Nord-Sud pour montrer comment l’Afrique offre un terrain fertile à la création. Le projet de « Prête-moi ton rêve » : réunir en résidence une trentaine d’artistes de 15 nationalités différentes, créer des œuvres originales et se lancer dans une grande caravane continentale. Une ambition soutenue et partagée dès le début par le prince Moulay Ismaïl, qui prend la présidence de la FDCCA, en cultivant la discrétion. En tout cas, le 18 juin, le vernissage crée la surprise à la Villa d’Anfa, un somptueux espace avec piscine. On y retrouve avec plaisir l’œuvre d’El Anatsui, natif du Ghana, pur orfèvre de l’art du recyclage. On salue la présence du Sud-Africain Wiliam Kentridge, du Marocain Mohamed Melehi et des incontournables Chéri Samba (RD Congo) et Abdoulaye Konaté (Mali). Sans oublier Yazid Oulab (Algérie), dont les aquarelles s’inspirent autant de la poésie soufie que du monde ouvrier français. Le 19 juin, ce parcours pluridisciplinaire en plusieurs actes s’est poursuivi à la galerie Shart, fondée par Hassan Sefrioui, qui a défriché la jeune école des artistes marocains, puis à la galerie Venise Cadre (devenue GVCC), à Casablanca, offrant un jus vintage avec, aux commandes, Mehdi Hadj Khalifa, jeune curateur mordant apparu sur le marché de l’art en 2009, spécialiste de la scène artistique émergente. À l’origine du programme Mastermind, qui mettait déjà en lumière les jeunes talents africains, Hadj Khalifa a lancé en juin l’Association des galeries d’art du Maroc (Agam). Enfin, soucieuse d’accompagner la création locale, « Prête-moi ton rêve » a concocté une exposition parallèle, « Carte blanche », située dans un nouvel espace de la médina de Casablanca au nom évocateur, Rue de Tanger. Sa curatrice, Siham Weigant, a cherché à réveiller les consciences sur le thème de l’amour. Une belle idée itinérante à suivre dans ses prochaines étapes, qui célèbre avec talent la liberté de l’artiste en Afrique. ■

Abdoulaye Konaté, devant l’une de ses œuvres. Le Malien s’intéresse au textile, dont il aime tirer parti du relief.

Adel El Siwi, principale figure de l’art contemporain en Égypte. 18

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Vitshois Mwilambwe Bondo, natif du RD Congo.


ON EN PARLE événement

Ci-contre, de gauche à droite, au premier plan : le Congolais Freddy Tsimba, le Burkinabé Ky Siriki, Chéri Samba, également de RD Congo, et le Camerounais Barthélémy Toguo, à la Villa d’Anfa, à Casablanca, le 18 juin.

À gauche, l’Algérien Yazid Oulab, passionné de poésie soufie, aborde aussi bien la vidéo, la photo, le dessin que la sculpture.

FM-FDCCA - DR - FOUAD MAAZOUZ (2)

Joseph-Francis Sumégné, sculpteur originaire du Cameroun. Féru de la fusion d’objets trouvés, il s’adonne également à la vannerie et au tissage.

Sculpture d’homme avec masque en fer gris, signée par Joseph-Francis Sumégné.

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C’EST COMMENT ? par Emmanuelle Pontié

CHAUD DEVANT !

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ctualité brûlante fin juin en France : six jours de « canicule »… Les médias tournent en boucle : définition du phénomène, qui est déclaré lorsque les températures de la nuit culminent à moins de 10 °C au-dessous de celles de la journée, qui montent, elles, autour de 37 °C, avec un « ressenti » pour le pauvre citoyen qui flirte avec 40 °C ; conseils d’experts en suffocation et malaises, etc. Les Parisiens, entre autres, étouffent dans une ville bétonnée et errent la bouche ouverte à la recherche d’un lieu climatisé, d’une terrasse ventée ou d’un jardin rafraîchi. Les maires appellent leurs citoyens du troisième âge au téléphone, à leur domicile, à l’aide d’un disque enregistré qui serine qu’il faut boire beaucoup d’eau et martèle les numéros d’urgence en cas de déshydratation. L’épreuve du brevet des collèges a été reportée pour que les jeunes puissent composer sous des températures plus clémentes. On ferme les écoles. Les agriculteurs découvrent la sécheresse et pleurent les récoltes qui meurent avant maturation. Et là, vous avez toujours un copain bien intentionné qui vous dit : « Ah, mais toi, tu ne dois pas avoir chaud. Tu es habituée, car tu vas souvent en Afrique ! » Grave erreur ! Ce que les Français ne savent pas, c’est qu’en Afrique, justement, tout est fait pour éviter la chaleur. Quand on a les moyens, évidemment. Les hôtels, les bureaux, les villas sont climatisés. Personne ne marche sous le soleil. Du coup, la chaleur, on choisit de la subir quand on va à la mer ou à la piscine. Point. Tout est prévu, disponible en cas de canicule. En France, on est totalement démunis, ridicules. Les Parisiens se ruent sur les ventilateurs et les climatiseurs portatifs, qui sont en rupture avant même que les températures ne s’embrasent. Pourtant, ce n’est pas la première vague de chaud qui s’abat sur l’Hexagone. Et si l’on écoute un peu les pythies de la météo et les experts en affolement du climat pour les années AFRIQUE MAGAZINE

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à venir, il faudrait que le pays se réveille vite côté équipements antifournaise en série. Ainsi, préparés, les Français tourneraient la page des lamentations, et les services d’urgence qui accueillent les grands déshydratés désempliraient. Et surtout, les restaurateurs radins qui ne veulent pas investir dans un système de refroidissement ou les pouvoirs publics obtus qui interdisent d’installer une clim dans un immeuble haussmannien pour ne pas dénaturer la pierre de taille devraient tous partir en stage à Ouagadougou ou à Yaoundé. Là, on leur apprendra comment lutter contre une canicule. Et accessoirement, l’image d’Épinal d’une Afrique où tout le monde crève de chaud dans une hutte posée sur une steppe brûlante cesserait de hanter certains Français. Sur ce sujet, c’est bien eux qui sont en retard, comparé à notre continent surentraîné ! ■

Ils devraient tous partir en stage à Ouaga ou à Yaoundé. Là, on leur apprendra comment lutter contre une canicule.

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À LA UNE

SAH FACE AUX ARMÉES Pour la première fois depuis sa création, en 2003, l’Union africaine tient son sommet dans un pays du « Sahel central ». Niamey, capitale du Niger, accueillera, du 6 au 8 juillet 2019, une session extraordinaire consacrée à la mise en œuvre de la zone de libre-échange africaine. Un agenda positif tourné vers l’avenir. Les chefs d’États, et en particulier ceux de la région, ne manqueront pourtant pas d’évoquer la profonde crise sécuritaire

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HEL

Censée combattre le terrorisme, la traite humaine et le narcotrafic, la force conjointe tarde à devenir opérationnelle, sur fond de massacres interethniques.

MEHDI CHEBIL/HANS LUCAS

DE L'OMBRE

par Cherif Ouazani

qui fragilise toute la zone sahélo-saharienne et les pays voisins. Et où les populations sont souvent les premières victimes. Comment aider cinq pays parmi les plus pauvres de la planète, organisés en ensemble régional, le G5, à faire face au péril islamiste, à la criminalité transfrontalière et à la pauvreté extrême de certains de leurs citoyens ? Comment mobiliser réellement la communauté internationale ?

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À LA UNE SAHEL : FACE AUX ARMÉES DE L'OMBRE

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n février 2014, à l’initiative du président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, cinq pays du Sahel (Mauritanie, Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad) ont décidé de se constituer en ensemble régional, le G5 Sahel, afin de conjuguer leurs efforts face au sous-développement de leurs économies, à l’extrême pauvreté qui touche leurs populations, au péril djihadiste et à la menace de la criminalité transfrontalière. Quatre ans plus tard, une force conjointe (FC G5 Sahel) est devenue, en mai 2018, opérationnelle. Cela n’a pas ralenti l’inexorable descente aux enfers. Depuis la création du G5 Sahel, la région est confrontée à une violence sans précédent avec un bilan meurtrier : près de 5 000 victimes, au Burkina, au Mali, au Niger et au Tchad, soit une moyenne annuelle de 1 000 personnes tuées. Majoritairement des civils, des villageois, des élus locaux, des enseignants ou des agents des services publics. Les violences intercommunautaires (plus d’un millier d’incidents interethniques enregistrés les cinq premiers mois de 2019) font craindre un embrasement de la situation. Le massacre, en mars 2019, à Ogossagou, dans le centre du Mali, de 160 villageois peuls, imputé à des chasseurs traditionnels dogons, a provoqué, le 10 juin, une incursion punitive contre le village dogon de Sobane, dans la zone de Bandiagara, qui a fait une centaine de morts. Cependant, les tueries massives et les vendettas entre communautés ne concernent pas uniquement le Mali. En mai 2018, au Niger, à Inates, situé à moins de 2 km des frontières maliennes, des hommes armés, manifestement touaregs, ont froidement exécuté 17 villageois peuls. En janvier dernier, au Burkina, des Koglweogo (groupe d’autodéfense de cultivateurs mossis, ethnie majoritaire) ont attaqué le hameau peul de Yirgou, pour se venger d'une attaque terroriste menée par des assaillants se réclamant d’Ansarul Islam, un groupe salafiste fondé par le Peul Ibrahim Malam Dicko. Principales victimes de ses tueries massives : les Peuls, assimilés à tort à une communauté prédisposée à l’islam radical [voir encadré « La question peule »]. Les violences interethniques au Sahel ne sont pas nouvelles, mais elles ont pris une tournure de guerre civile avec l’avènement, au début des années 2000, du phénomène djihadiste. Aujourd’hui, la menace islamiste au Sahel a un triple visage. La secte nigériane Boko Haram, à l’est (Niger, Nigeria et Tchad), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) au centre (Burkina, Mali et Niger), et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) plus à l’ouest (Burkina, Mali et Mauritanie). Les attaques de terroristes dans les villages ne concernent plus uniquement le septentrion malien, mais également le centre du pays. Désormais, les groupes armés

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frappent à moins de 200 km de Bamako. Le nord et l’est du Burkina Faso ne sont pas épargnés non plus. Et le Niger est pris entre deux feux : à l’ouest, le péril vient de l’EIGS, et à l’est, notamment la région de Diffa, sur la rive occidentale du Lac Tchad, les expéditions nocturnes de Boko Haram sont de plus en plus régulières. Touaregs, Maures ou Dogons, Peuls, Mossis, Yorubas ou Kanouris, chrétiens, musulmans ou animistes. Aucune ethnie ni communauté religieuse n’échappent à la folie terroriste. Bien que majoritairement civiles, les victimes portent également parfois l’uniforme. Les embuscades contre les militaires, les attaques à l’aide d’engins explosifs improvisés se multiplient et provoquent chaque mois des dizaines de morts parmi les soldats nationaux, régionaux et internationaux. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) est l’opération onusienne la plus meurtrière sur le plan humain, avec 198 Casques bleus tués. Les terroristes ciblent les symboles de l’État : administrations, dispensaires ou écoles. Selon Alpha Barry, chef de la diplomatie burkinabé, « au Mali et Burkina réunis, on

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enregistre plus de 500 000 enfants désormais privés d’école, car leurs établissements ont dû être fermés. On dénombre 150 000 personnes déplacées dans le seul territoire burkinabé ». Composé des cinq pays parmi les plus pauvres de la planète, et outre les difficultés sécuritaires, le G5 Sahel est en situation d’urgence humanitaire absolue. Cependant, imputer ce constat d’échec à son bras armé, la force conjointe, serait profondément injuste.

a un triple visage : Boko

Haram à l’est, l’EIGS au centre et le GSIM à l’ouest. Les Casques bleus de la Minusma en opération à Tessalit, dans la région de Kidal, au nord du Mali.

MARCO DORMINO/MINUSMA

UNE FORCE ET DES FAIBLESSES En février 2014, le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, alors président en exercice de l’Union africaine (UA), a donc invité quatre de ses homologues du Sahel pour leur suggérer l’idée d’unir leurs pays dans un ensemble régional : le Burkinabé Blaise Compaoré (qui sera « démissionné » par un soulèvement populaire le 31 octobre de la même année), le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, le Nigérien Issoufou Mahamadou et le Tchadien Idriss Déby Itno. Objectif : faire face au péril djihadiste et à la menace de la criminalité transfrontalière. Les Sherpas des cinq chefs d’État ont élaboré une stratégie pour le développement

La menace islamiste au Sahel

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et la sécurité dans une organisation régionale caractérisée par l’extrême pauvreté de sa population – 70 millions d’habitants vivant dans une étendue désertique de plus de 5 millions de kilomètres carrés. Les pays composant ce G5 étant en queue dans le classement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en matière de développement humain. La stratégie se base sur quatre piliers : défense et sécurité, gouvernance, infrastructures, et lutte contre la pauvreté. Mais les bailleurs de fonds ne s'intéressent qu’au premier, la lutte contre le péril islamiste et la montée de la criminalité transfrontalière, obsessions du moment de la communauté internationale et menaces pour les intérêts des grandes puissances. C’est pour cette raison que les médias et les diplomates n’évoquent le G5 que par le biais de ce qui est devenu son bras armé, la force conjointe, son sigle (FC-G5S) étant réduit à celui de l’ensemble régional. La France s’est engagée militairement au Mali en janvier 2013. Menacé par une inquiétante avancée sur la capitale de troupes rebelles d’indépendantistes touaregs alliées à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), le gouvernement malien avait alors appelé Paris au secours pour une intervention militaire. Ayant pris la mesure de la menace, le

président de l'époque, François Hollande, avait décidé d’envoyer l’armée pour éviter la chute de Bamako, qui aurait fait du Mali un Afghanistan au Sahel. L’opération fut baptisée « Serval » [voir encadré « Un bourbier français »]. Six ans plus tard, la France est pressée de passer la main à une force armée africaine. L’Europe, les États-Unis et l’ONU espèrent, de leur côté, un règlement rapide des crises sahéliennes à répétition. Et tous misent sur le G5. L’espace sahélien est divisé en trois zones : un fuseau oriental, impliquant le Niger et le Tchad, un central, concernant le Burkina, le Mali et le Niger, et un autre occidental, couvrant le Mali et la Mauritanie. Chacune des trois régions dispose de son propre poste de commandement, tous sous l’autorité du quartier général (QG) basé à Sévaré, au Mali. Mais avant même d’avoir été totalement opérationnel, celui-ci a partiellement été détruit lors d’une attaque kamikaze, le 29 juin 2018. Un an plus tard, la force conjointe ne dispose toujours pas de QG. Sa délocalisation vers la capitale a provoqué, le 22 mai dernier, des manifestations populaires. Les Bamakois refusent de voir les soldats censés les défendre loin de la ligne de front. Par ailleurs, la multiplication des bavures des hommes en uniforme, la brutalité des opérations de ratissage en brousse ont fini par couper le lien entre la population et l'armée. Ce qui

Most wanted!

Ce sont les cinq chefs islamistes les plus recherchés dans la région. IYAD AG GHALI

L’ex-rebelle touareg devenu djihadiste est né à la fin des années 1950, à Boghassa, dans la région de Kidal, au nord du Mali. Cet ancien indépendantiste, ex-membre de la Légion Verte du colonel Kadhafi et militant laïc s’est converti à la pensée salafiste au début des années 2000. Fondateur d’Ansar Dine en 2012, il dirige désormais l’alliance la plus sanguinaire du Nord-Mali, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Originaire de Niafunké, dans la région de Tombouctou, ce prédicateur salafiste s’est fait un nom en diffusant des prêches sur une radio locale. Il militait pour l’instauration de la charia et faire du Mali un État islamique. Il a créé, en 2012, la Katiba Macina, aussi appelée Front de libération du Macina, organisation membre du GSIM.

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CAPTURES D’ÉCRAN

AMADOU KOUFA


500 km

Mauritanie Nouakchott

Mali Niger

Dakar

Sénégal

Gambie Banjul Bamako Bissau

Guinée-Bissau

Niamey

Burkina Faso

Tchad Soudan N’Djamena

Ouagadougou

Guinée Bénin

Conakry

Côte d’Ivoire

Freetown

Sierra Leone Monrovia

Liberia

Yamoussoukro

Abuja

Togo Ghana

Nigeria

Porto-Novo

République centrafricaine

Lomé Cotonou

Abidjan

Accra

Lagos

Cameroun Bangui

Douala

Formellement déconseillé

L’EXTENSION DES PÉRILS

Déconseillé sauf raison impérative

Vigilance renforcée

Yaoundé

POUR SES CONSEILS AUX VOYAGEURS, le ministère français des Affaires étrangères ne fait pas dans la demi-mesure : « Aucune zone du Sahel ne peut plus désormais être considérée comme totalement sûre. » La couleur rouge (« formellement déconseillé ») recouvre plus de la moitié de la superficie des pays composant le G5, et le reste est orange pour « déconseillé sauf raison impérative ». La carte révèle aussi l’évolution de la menace vers les pays côtiers. Avec des premières zones rouges au nord du Bénin. Au sud, toute la région est gratifiée d’une couleur jaune (« vigilance renforcée ») qui n’a rien de rassurant. Dans ce contexte, le président ivoirien Alassane Ouattara a ouvert le débat sur la nécessité de dépasser le cadre du G5 et de la Minusma pour arriver à une meilleure sécurité collective. Reste à savoir avec quels moyens renforcés.

JAFAR DICKO

Frère cadet d'Ibrahim Malam Dicko, fondateur d’Ansarul Islam en 2016, dans la province de Soum, au nord du Burkina Faso, il succède à celui-ci après son élimination, en 2017, par l’armée burkinabée. Jafar Dicko consolide alors l’organisation et étend le théâtre des opérations au sud du pays et dans la capitale, Ouagadougou.

Ex-lieutenant de Mokhtar Belmokhtar, ce natif de Laayoune est un ancien combattant du Front Polisario, groupe indépendantiste du Sahara occidental. Il rejoint les djihadistes au Sahel, et devient porte-parole du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). En 2015, il fait allégeance à l’État islamique en créant la branche Grand Sahara (EIGS).

ABOU ABDULLAH IBN OMAR AL-BARNAOUI

On dispose de peu d’éléments biographiques sur lui. Il a été nommé en mars 2019 à la tête de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), groupe dissident de Boko Haram ayant fait allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi, calife de l’État islamique en Irak et en Syrie.

CHRISTOPHE CHAUVIN - CAPTURES D’ÉCRAN (2)

ADNAN ABOU WALID AL-SAHRAOUI

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rend inefficace et presque impossible l’indispensable travail de renseignement. Sous-équipée, mal aimée, armée de soldats en guenilles, la force conjointe en a les faiblesses, avec des effectifs faiblement rémunérés, mal formés. La motivation de ses troupes dans le combat se résume à l’instinct de survie. Le budget prévisionnel est de 430 millions de dollars par an, soit le tiers du budget de la défense des cinq pays réunis (représentant 1,2 milliard de dollars). ADVERSITÉ DIPLOMATIQUE Les engagements des bailleurs restent le plus souvent au stade de promesse. La solution serait que cette force soit placée sous le Chapitre 7 des Nations unies, autrement dit que ses soldats deviennent des Casques bleus et que son budget soit assuré par l’ONU. Au Conseil de sécurité, ni Washington ni Londres ne veulent en entendre parler. Les États-Unis et la Grande-Bretagne, gros contributeurs au budget de l’ONU, refusent en effet de financer une force africaine dont ils doutent de l’efficacité et lui refusent donc pareil statut. Cela semble incompréhensible, le péril terroriste étant une grave menace pour la survie des États du Sahel. Pire : les menaces de contagion des régions voisines sont bien réelles. On assiste à une inquiétante extension du domaine de la violence djihadiste. Désormais, les pays côtiers voisins (Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana et Togo) semblent à portée de kalachnikov des combattants du GSIM, conduit par le Malien Iyad Ag Ghali, et de ses subdivisions locales, comme Ansar al-Islam au Burkina Faso. Confinés dans des espaces plus enclavés, Boko Haram et l’EIGS ne constituent pas, du moins pour l’heure, une menace directe pour les pays côtiers, à l’exception notable du Cameroun dans sa partie Nord, où le premier opère des incursions régulières. Le rapt de deux touristes français, le 1er mai 2019, et l’exécution de leur guide béninois dans le parc national de la Pendjari est la parfaite illustration des risques de contamination au sud de la bande sahélo-saharienne. Les faits ont établi la jonction entre les différentes organisations terroristes et la criminalité transfrontalière : trafic de drogue, traite humaine, juteux commerce de faux médicaments… Les retards à l’allumage de la force conjointe sont-ils responsables de « l’élargissement du péril islamiste » ? Plaidant la cause des États du Sahel devant le Conseil de sécurité, le 16 mai dernier, le chef de la diplomatie burkinabé Alpha Barry a tenté de convaincre l’auditoire des efforts accomplis. « Même si elle n’a pas encore atteint sa pleine capacité opérationnelle, la force conjointe est passée d’une étape de conceptualisation à celle de la concrétisation. » Sur les sept bataillons prévus, six sont sur pied mais restent en phase d’équipement. Le manque de moyens logistiques, de recon28

Outre les bataillons du G5, de

multiples forces internationales sillonnent le désert. Une zone immense aussi vaste que l’Europe.

naissance, de télécommunications ainsi que d'armement lourd (blindés et moyens aéroterrestres) constitue un handicap réel pour qu’elle atteigne sa vitesse de croisière. Si la coopération avec Barkhane semble sur les rails, elle est plus problématique avec la Minusma. « L’accord technique entre les Nations unies et la force conjointe du G5, explique Alpha Barry, permet à la Minusma d’apporter un concours direct dans le soutien des opérations de la force conjointe, mais dans la limite du seul territoire malien. » Cela revient à dire que le soutien ne concerne que deux bataillons sur les six constitués. Or, les faits montrent que la menace plane sur tout le Sahel, et au-delà. Sensible à cet argumentaire, António Guterres, secrétaire général de l'ONU, s’est engagé à élargir le soutien de la Mission multidimensionnelle aux bataillons basés en dehors du Mali. Cependant, pour respecter le mandat onusien qui limite la compétence de la Minusma au seul territoire malien, António Guterres suggère de mettre à disposition de la force conjointe des moyens matériels et logistiques, à charge de trouver d’autres partenaires pour les acheminer aux bataillons basés au Burkina, au Niger, au Tchad ou en Mauritanie. DE LA LOGIQUE DU SAGE À CELLE DU PLUS FORT Les concepteurs de la FC-G5S lui ont assigné trois missions : les luttes contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et le trafic d’êtres humains. Censée être un dispositif souple et modulable, elle a plusieurs champs d’action : la frontière entre la Mauritanie et le Mali, le triangle du Liptako-Gourma (les trois frontières nigérienne, malienne et burkinabée) et celle entre le Tchad et le Niger. La jonction entre les djihadistes et la criminalité transfrontalière a donc été établie : les narcotrafiquants et les passeurs de migrants, dont les convois traversent les territoires AFRIQUE MAGAZINE

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JOE PENNEY/REUTERS

Karidjo Mahamadou (au centre), alors ministre nigérien de la Défense, lors d’une cérémonie de clôture d’une mission de formation internationale dirigée par les Américains pour des militaires africains, à Niamey, le 9 mars 2014. sous contrôle des groupes terroristes, paient à ces derniers une sorte d’impôt pour leur protection. En janvier 2013, les groupes djihadistes coalisés avec la rébellion indépendantiste touarègue sont arrivés aux portes de Bamako. Cet événement a montré la porosité entre les mouvements islamistes et les organisations séculaires. Par ailleurs, la faillite des États sahéliens dans la gestion des zones reculées a nourri des tensions sociales. Les contentieux entre éleveurs et paysans, nomades et sédentaires ne se règlent plus à l’amiable ou, au pire, à coups de bâtons et de machettes, mais à la kalachnikov. La logique du sage a laissé place à celle du plus fort. Et en dehors des centres urbains où l’État est présent, même s’il est peu efficace, celui-ci est indésirable, tant ses agents, en uniforme ou en civil, sont assimilés à des prédateurs, disqualifiant ainsi l’autorité centrale au profit de ceux qui la combattent : rebelles et islamistes. C’est pourquoi les groupes de toute obédience n’ont aucun mal à recruter, renouveler leurs effectifs ou trouver des candidats kamikazes. La frustration des jeunes est telle que la simple perspective de détenir une kalachnikov vaut mieux que tous les arguments idéologiques ou religieux. L’obsession de disposer d’une arme pour défendre son troupeau, sa récolte, sa famille ou sa vie s’est nourrie de la crise libyenne, qui a inondé le Sahel de matériel de guerre. « Pour une chèvre, tu as une kalachnikov et deux chargeurs pleins. Tu n’as pas de chèvre ? Voles-en une », raconte Samba, jeune combattant de Ganda Izo, milice d’autodéfense de paysans luttant contre les rezzous de brigands touaregs. Les groupes d’autodéfense constituent l’autre drame du Sahel. La faillite des États à assurer la sécurité de leurs populations face au terrorisme, aux rébellions et à la criminalité a incité les communautés locales à se doter de milices armées. Tolérées dans un premier temps pour faire face à la défaillance des forces de sécurité, elles constituent aujourd’hui une AFRIQUE MAGAZINE

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EMBOUTEILLAGES MILITAIRES MÊME s’il est aussi vaste que l’Europe, le Sahel se distingue par une pléthore de dispositifs militaires. Outre les forces de défense et de sécurité nationales de chacun des pays qui le composent ainsi que les bataillons de la force conjointe du G5, on y croise : ● ●

L’opération Barkhane de l’armée française et ses 4 500 soldats [voir encadré page suivante]. Un corps expéditionnaire américain de quelques centaines de GI et de commandos marine, au Niger. Basé à Niamey, ce détachement fait tourner ce qui constitue les grandes oreilles de l’Oncle Sam au Sahel. Des drones et des systèmes sophistiqués d’écoute permettent de surveiller les communications des djihadistes. Une mission onusienne de stabilisation, la Minusma. Avec ses 15 000 hommes (13 200 soldats et près de 2000 policiers), elle a la charge d’appuyer le gouvernement malien pour restaurer l’autorité de l’État dans le nord et le centre du pays et d’assurer la protection des populations civiles. Elle est dirigée, depuis 2015, par l’ancien chef de la diplomatie tchadienne, Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial du secrétaire général de l'ONU. Une mission militaire de l’Union européenne (UE) en charge de la formation de l’armée. Son effectif est de 600 officiers et sous-officiers issus d’une vingtaine de pays membres de l’UE. Sur les 15 000 hommes que compte l’armée malienne, 10 000 ont connu des cycles de formation. Huit bataillons ont été formés et équipés par la mission européenne. La Force multinationale mixte (FMM), qui regroupe, depuis 2012, les armées du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, avec 2 000 hommes chacune. Son objectif est de combattre Boko Haram et la faction de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), au Nigeria, dans le nord du Cameroun, ainsi qu’autour du Lac Tchad. ■ C.O. 29


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SOLLICITÉE par le gouvernement malien, menacé par une avancée sur Bamako de combattants sécessionnistes touaregs alliés aux islamistes d’Aqmi, la France est intervenue militairement au Sahel le 11 janvier 2013, à travers l’opération Serval. Outre le mérite d’avoir mis en déroute les assaillants, celle-ci a réussi à décapiter Aqmi en éliminant son émir, Abdelhamid Abou Zeïd, et à libérer les trois grandes villes du Nord-Mali qui étaient tombées sous le contrôle des djihadistes, Gao, Kidal et Tombouctou. Le 1er août 2014, l'opération Serval a été remplacée par Barkhane. La différence entre les deux ? La première avait un objectif assigné, qui en a déterminé la durée. La seconde est plus large et n’est pas limitée dans le temps : elle doit lutter contre le péril djihadiste et protéger la communauté des expatriés dans les pays du Sahel. Barkhane est le plus important déploiement français en opération extérieure : 4 500 hommes, dotés de 300 véhicules blindés, huit mirages 2000, 17 hélicoptères de combat, cinq drones et huit avions de transport. Son bilan est assez flatteur. Selon Florence Parly, ministre française des Armées, 600 djihadistes ont été neutralisés – tués ou arrêtés – depuis 2015. Plusieurs chefs terroristes ont été éliminés, dont Hassan al-Ansari, numéro deux du GSIM, en 2018. Plus récemment, en février 2019, l’Algérien Djamel Okacha, alias Abou al-Hamman, émir du Sahara pour Aqmi, a été tué dans la région de Tombouctou par un détachement de Barkhane. Ces bonnes nouvelles n’empêchent pas les mauvaises. Malgré les promesses des partenaires européens, aucun autre pays de l’UE ne participe de manière directe aux opérations de sécurisation du Sahel. Il y a bien deux bataillons allemands au Mali, mais sous couvert de la Minusma, ce qui les épargne d’être en première ligne de confrontation. Par ailleurs, le casse-tête logistique que pose l'opération est très coûteux et est exclusivement supporté par le budget de l’État français. Au sentiment de solitude se greffe donc celui de l’ingratitude. Les populations maliennes perçoivent de plus en plus les sauveurs d’hier comme une force d’occupation. Le tout avec une dégradation de la situation sur le plan militaire et des conditions météo qui mettent à mal les hommes et le matériel. Le manque de perspective de sortie de crise influe sur le moral de la troupe. Pour Barkhane, le Sahel est plus un marécage hostile peuplé d’ennemis invisibles qu’un paisible désert aux paysages lunaires. Et pour la France, un bourbier. ■ C.O. Les drones de Barkhane sont pilotés au plus près des opérations. Ici, sur la base aérienne de Niamey.

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sérieuse menace pour la cohésion nationale. Incontrôlables, elles ont entraîné des contentieux intercommunautaires, jadis réglés à l’amiable, des vendettas à répétition faisant planer sur le Sahel le spectre de la guerre civile, au grand bonheur des groupes terroristes, qui se nourrissent de l’instabilité des États. Si les milices relèvent d’une gestion par chacun des gouvernements, la préoccupation commune demeure le péril islamiste. UNE ASYMÉTRIE BUDGÉTAIRE Quand, en février 2017, le G5 a décidé le lancement de sa force conjointe de 5 000 hommes, le leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, a annoncé le 1er mars suivant la création du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Cette alliance regroupe les principaux acteurs du mouvement djihadistes au Sahel : Ansar Dine donc, mais aussi les brigades sahéliennes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, les francs-tireurs d’Al-Mourabitoune, le Front de libération de Macina et Ansarul Islam. La dichotomie qui caractérise la nébuleuse terroriste mondiale entre Al-Qaïda et l’État islamique est reproduite à l’échelle sahélienne. Ancien porte-parole du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao, emporté par l’opération Serval), Adnan Abou Walid al-Sahraoui fait, en 2015, allégeance au calife Abou Bakr al-Baghdadi, alors au faîte de sa gloire, contrôlant une grande partie de la Syrie et de l’Irak, en annonçant la création de la faction de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Son dernier fait d’arme ? L’attaque meurtrière, le 14 mai dernier, contre une patrouille de la force conjointe du G5, embuscade qui a coûté la vie à 28 soldats nigériens. Quant à la cible Boko Haram, un autre dispositif militaire régional a la charge de la combattre : la Force multinationale mixte (FMM), qui regroupe, depuis 2012, les armées du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad. Le théâtre de ses opérations se situe au Nigeria, autour du Lac Tchad et dans le septentrion camerounais. La FMM dispose des moyens budgétaires du Nigeria. Mais ce n’est pas le cas de la force conjointe. Si le G5 a des soucis de fins de mois pour payer la solde de ses effectifs, le GSIM et l’EIGS ne semblent, eux, avoir aucun problème budgétaire. Iyad Ag Ghali et ses troupes contrôlent le narcotrafic et le juteux marché des otages occidentaux. Quant à Adnan Abou Walid al-Sahraoui, il tire grand profit de sa zone d’influence, qui va de la passe de Salvador (aux frontières nigéro-libyennes) au triangle du Liptako-Gourma. Ce vaste territoire lui permet de prélever des taxes sur les passeurs de migrants vers l’ex-Jamahiriya et les ventes d’armes des arsenaux à ciel ouvert de feu Kadhafi. Au Sahel, l’asymétrie entre G5 et djihadistes est aussi militaire que financière. Ce clivage grève lourdement l’efficacité de la force conjointe. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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FRED MARIE/HANS LUCAS

UN BOURBIER FRANÇAIS


La question

Marche silencieuse organisée par le Mouvement peul et alliés pour la paix, à Bamako, le 30 juin 2018.

peule

Une grande communauté transfrontière au centre des enjeux de la région.

L

NICOLAS RÉMÉNÉ/LE PICTORIUM

’écrasante majorité des victimes civiles des tueries massives au Sahel est issue de la communauté peule. Pourquoi cette ethnie de près de 40 millions de personnes, présente dans les 16 pays qui composent la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), constitue-t-elle la cible privilégiée de la violence ? « Nous sommes pour Afrique de l’Ouest ce qu’ont été les juifs pour l’Europe au cours de la première moitié du siècle dernier : une communauté à exterminer », indique Fatou Barry, jeune entrepreneuse de Conakry. Ce propos, tenu en mars 2019 après le massacre d’Ogossagou (centre du Mali), qui a coûté la vie à 160 villageois peuls, est sans doute provoqué par la colère et l’émotion. Cette ethnie n’a vécu aucun pogrom dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Et le Sénégal et le Nigeria, deux des États les plus importants de la Cedeao, sont dirigés par des Peuls, respectivement les présidents Macky Sall et Muhammadu Buhari. Mieux : dans toute la région, une grande partie de l’élite politique, économique, universitaire, artistique (la diva malienne Oumou Sangaré, par exemple) ou militaire provient de cette communauté. D’où vient alors cette tendance à la victimisation qu’exprime Fatou Barry et que partagent de nombreux Peuls ? FRUSTRATION ET DÉSIR DE VENGEANCE Les tensions intercommunautaires ne datent pas des crises récentes du Sahel. Elles sont très anciennes, nourries par les incessants litiges entre éleveurs nomades, généralement peuls, et les agriculteurs sédentaires issus des autres communautés. Dans un espace où les ressources sont rares, les pasteurs peuls se plaignent de l’extension des terres dédiées aux cultures et au maraîchage, au détriment des aires de pâturage. Quant aux paysans, ils reprochent aux éleveurs de ne pas respecter les espaces cultivés, piétinés par leurs troupeaux. Aux conflits ancestraux s’est aussi greffé un nouveau phénomène : l’appel au djihad. Très tôt islamisés, les Peuls ne prônent pas pour autant un islam radical, mais l’apparition des groupes djihadistes comme acteurs majeurs dans le Sahel, leur espace vital, a bouleversé la donne sociopolitique.

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Le fonctionnaire prédateur, le militaire coupable d’abus, ainsi que le rebelle touareg voleur de bétail sont autant d’ennemis des Peuls mis en déroute par l’avancée des nouveaux venus. De nombreux jeunes nomades, fatigués d’être regardés de haut par leurs voisins dogons, soninkés, mossis ou yorubas, et d’être rackettés par des hommes en uniforme ou des agents de l’administration taxant sans retenue, se sont empressés de rejoindre les camps de formation militaire qu’offraient les djihadistes. C’était le meilleur raccourci pour disposer d’une arme, apprendre à se défendre et prendre enfin une revanche sur ceux qui les dépossédaient et les raillaient. Un fait historique ainsi que la notoriété récente de trois personnalités expliquent l’enracinement de l’idée que les Peuls auraient trahi leur pays au profit des terroristes. Ce peuple a créé la première théocratie dans la région avec l’avènement, au XIXe siècle, de la Dina, un califat subsaharien, à l’image de l'empire de Sokoto dans le nord du Nigeria. Quant aux trois personnalités sahéliennes qui ont conforté l’idée que les Peuls sont prédisposés à l’islamisme radical, il s’agit de deux Maliens et d’un Burkinabé. Les premiers sont Amadou Koufa, ancien prédicateur de Mopti devenu émir de la Katiba Macina [voir l’encadré « Most wanted! »], et Mahmoud Dicko, président de l’organisation officielle et constitutionnelle du Haut Conseil islamique du Mali (HCI) et incarnation du courant salafiste dans ce pays. Le troisième est Boureïma Dicko, alias Ibrahim Malam Dicko, le fondateur d’Ansarul Islam, principal groupe terroriste endogène au Burkina Faso, recrutant principalement parmi la communauté peule. L’idée que les Peuls seraient prédisposés au radicalisme religieux est totalement fausse. Non seulement, les Peuls ne constituent pas l’essentiel des recrues des groupes terroristes, qui recrutent dans toutes les communautés sahéliennes, mais chacune des armées qui composent le G5 compte en son sein de brillants officiers peuls, et leur ardeur au combat ne souffre d’aucune contestation. En outre, si les Peuls sont majoritairement musulmans, on y trouve également de nombreux chrétiens, à l’image de l’ancien président du Burkina Faso, Thomas Sankara, ou de l’homme politique malien Blaise Sangaré. ■ C.O. 31


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Cinq chefs d’État au front Ils sont au cœur des crises et doivent relever un défi multiple : militaire, sécuritaire, économique. par Cherif Ouazani

Issoufou Mahamadou Président du Niger

Ibrahim Boubacar Keïta Président du Mali

LA NATION FRAGMENTÉE RÉÉLU EN AOÛT 2018 à la présidence du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, 74 ans, peut-il éviter la dislocation de son pays ? L’État qu’il dirige s’est avéré incapable de se redéployer dans les régions du Nord. Aujourd’hui, le centre est en train d’échapper au contrôle de la République avec une multiplication des conflits interethniques. La force Barkhane et la Minusma maintiennent une forme d’unité au-delà de la capitale Bamako. Au cœur de la région, avec un territoire immense, zone de prédilection des groupes djihadistes, le Mali apparaît comme une nation fragmentée, en péril. 32

À 67 ANS, L’ANCIEN INGÉNIEUR des Mines devenu chef de l’État, en avril 2011, a fait de la si rustique Niamey une cité moderne, capable d’accueillir, en juillet 2019, un événement de l’ampleur d’un sommet de l’Union africaine (UA). Capacité hôtelière, inauguration d’un aéroport moderne, infrastructures de base… le pays se transforme. Le président est parvenu par ailleurs à apaiser les relations entre le pouvoir politique et une armée réputée putschiste. Malgré la récente embuscade, qui a coûté la vie à 28 soldats nigériens de la force conjointe, le 14 mai, on peut dire que le Niger s’impose comme le maillon stable de l’alliance, ou le moins vulnérable des cinq qui composent le G5. Un résultat d’autant plus méritoire si l’on relève que la menace sur la sécurité du pays vient du nord, avec une Libye hors de contrôle, de l’ouest, avec un Mali en butte à ses démons contagieux, mais aussi du sud, avec un Nigeria dépassé par l’effet Boko Haram. AFRIQUE MAGAZINE

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HENRI SZWARC/ABC/ANDIA.FR - STEPHEN SHAVER/UPI/ABACAPRESS.COM

LE MAILLON « STABLE »


Roch Marc Christian Kaboré Président du Burkina Faso

UN SENTIMENT D’IMPUISSANCE

SOPHIE GARCIA/HANS LUCAS - AMMAR AWAD/REUTERS - FRÉDÉRIC REGLAIN/DIVERGENCE

LE BURKINABÉ, 62 ANS, est arrivé aux affaires le 29 décembre 2015, soit presque deux ans après la création de l’ensemble régional, en février 2014. Il assiste, impuissant, à une inexorable descente aux enfers du Burkina Faso, sous les assauts terroristes et les massacres interethniques. L’armée et les services de sécurité ne se sont pas relevés de la chute de l’ex-président, Blaise Compaoré, et des épurations qui ont suivi. La grande fragilité du Burkina et la porosité de ses frontières pèsent sur ses voisins côtiers immédiats : Togo, Bénin, Côte d’Ivoire. Depuis février 2019, le président assure la présidence en exercice du G5 Sahel.

Idriss Déby Itno Président du Tchad

À BOUT DE SOUFFLE AU POUVOIR DEPUIS 1990, il a assuré la présidence en exercice du G5 en 2016, au moment où la force conjointe était encore au stade de la conceptualisation. Le Tchadien, 67 ans, est à la tête du plus gros contributeur de soldats dans les opérations de paix dans la région (Centrafrique, Mali, Nigeria et Soudan). Ses soldats ont acquis une solide réputation de combativité, notamment au Mali en secondant avec efficacité les Français des opérations Serval et Barkhane. Cette expertise n’empêche pas Boko Haram de solidifier ses bastions dans la région du Lac Tchad. Et l’économie nationale est rendue exsangue par une gouvernance approximative et la chute des cours du baril. AFRIQUE MAGAZINE

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Mohamed Ould Abdelaziz Président de la Mauritanie

LE CHANT DU DÉPART AYANT ACHEVÉ son second et dernier mandat à la magistrature suprême en Mauritanie, le général devenu président, 62 ans, n’aura pas pu ou voulu modifier la Constitution pour briguer un nouveau mandat. Son successeur, Mohamed Ould Ghazouani (à droite sur la photo), élu le 22 juin dernier au premier tour, est déjà contesté par ses rivaux de l’opposition, qui ont organisé des manifestations violemment réprimées par les forces de l’ordre. Les autorités de Nouakchott accusent un complot venant des pays voisins, dont le Mali. Véritable incubateur de l’ensemble régional, Mohamed Ould Abdelaziz quitte le devant de la scène, laissant derrière lui un G5 dans la tourmente. 33


CE QUE J’AI APPRIS propos recueillis par Astrid Krivian

Claudy Siar il se bat contre les injustices et pour le devoir de mémoire. Inspirée par son mouvement citoyen, sa web-série Génération consciente* met en avant de jeunes Africains engagés qui œuvrent au quotidien pour faire évoluer la société au travers de leurs réalisations professionnelles.

* Génération consciente est diffusée sur le site Internet de TV5 Monde (Afrique.tv5monde.com) ainsi que sur l’application officielle de la chaîne. 34

❱ Connectée au monde, la jeunesse africaine a soif de réussite. Elle convoque le passé pour comprendre le présent et construire un autre avenir. Génération consciente fait le portrait de ces jeunes qui, à travers leur parcours, aident les autres et bâtissent le continent. Ni footballeurs, ni artistes, ni grands industriels, ce sont des modèles de réussite accessibles. À partir de rien, issus de milieux très défavorisés, ces talents parviennent à imaginer, créer leur monde et à impacter leur environnement. Et il y a autant de femmes que d’hommes : on parle de patriarcat, mais les femmes sont le ciment de ces sociétés. ❱ L’esprit de Génération consciente ? Malgré les affres de l’histoire et les difficultés, on appartient à ce « Tout-monde » d’Édouard Glissant : on n’est pas en réaction négative face à l’autre. L’informel, l’action citoyenne font fonctionner beaucoup de pays. Il y a parfois une démission ou une déconnexion du politique face aux réalités. ❱ J’ai organisé en 1993 une marche en France pour commémorer l’abolition de l’esclavage. C’est essentiel d’honorer nos ancêtres. On subit encore les résidus nocifs de cette déportation d’Africains : discriminations, ségrégations, racisme… Cette commémoration questionnait la société française : quel modèle souhaitait-elle pour ses enfants, de toutes les couleurs de peau ? Et je voulais que les Antillais se réapproprient cette histoire. Car hélas, à cette époque, beaucoup d’entre eux la refusaient, ainsi que leur lien à l’Afrique. ❱ D’origine guadeloupéenne, né à Paris, j’ai grandi dans un village du Sud. Ainsi, je regarde le monde à 360 degrés. C’est une chance extraordinaire d’avoir plusieurs cultures et fonctionnements intellectuels. La Guadeloupe est une terre africaine. Les gens ont les mêmes comportements ! Elle est également gorgée d’européanité et d’indianité, avec ces contrats d’engagés, qui furent exploités au XIXe siècle. Mais le socle de mon identité, c’est mon africanité. Ce n’est pas une passion que j’ai pour l’Afrique : c’est juste ce que je suis ! ❱ Depuis vingt ans, je me bats pour la création en Afrique d’une journée officielle de recueillement à la mémoire des millions de personnes déportées. Il est temps que les instances l’instaurent, qui plus est sur un continent qui voue un culte aux ancêtres. L’Afrique doit écrire cette histoire, elle ne doit pas laisser à l’Europe, à la France, le soin de le faire. L’histoire des peuples afro doit être pansée. Trop de traumatismes expliquent aussi les rapports difficiles entre Occidentaux et Africains. Par l’histoire, on peut apaiser et tisser un nouveau lien. C’est important de se réunir pour se dire : « Plus jamais ça », et construire un autre monde. L’Afrique étant le berceau de l’humanité, elle doit porter cet humanisme. ❱ La musique accompagne les peuples afro de leur naissance à leur mort, et rythme chaque épisode de leur vie. Qu’elle soit festive ou militante, elle permet d’exprimer nos désirs de changement. C’est ce que Couleurs Tropicales, sur RFI, met en exergue. Elle traduit ainsi l’évolution des sociétés. C’est pour cela qu’elle dure depuis vingt-quatre ans et qu’elle est l’émission quotidienne la plus ancienne de la station. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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NATHALIE GUYON

Producteur, animateur, militant guadeloupéen,


« Par l’histoire, on peut apaiser et tisser un nouveau lien. C’est important de se réunir pour se dire : “Plus jamais ça”, et construire un autre monde. » AFRIQUE MAGAZINE

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Tunisie

DANIELLE VILLASANA/REDUX-REA

À la recherche d’un nouveau souffle

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C’est finalement la seule exception démocratique issue des Printemps arabes. Avec une liberté relative et chèrement gagnée. Pourtant, tant sur le plan politique qu’économique, le pays paraît épuisé, comme dans l’attente d’un acte II salvateur. par Zyad Limam

Sur les toits de la médina de Tunis. AFRIQUE MAGAZINE

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endant quelques heures, ce jeudi 27 juin 2019, la Tunisie a semblé comme suspendue, au bord du précipice. Un double attentat suicide secouait la capitale, Tunis, dont l’un sur l’avenue Bourguiba, épicentre symbolique de la révolution de 2011. Bilan, un mort, Mehdi Zammali, un jeune policier de 25 ans, devenu martyr, et quelques blessés. L’impact paraît relativement limité, mais le message est clair, en particulier en ce début de grande saison estivale. Une attaque qui rappelle à quel point la Tunisie reste menacée par les mouvements djihadistes, malgré les efforts réels en matière de sécurité. Et à quel point elle demeure fragile dans un environnement éruptif et instable : une Libye à l’agonie, une Algérie en plein bouleversement, une frontière sud qui s’ouvre vers le Sahara et le Sahel [voir page 22], les luttes d’influences au sein du monde arabe… Et presque au moment où les djihadistes cherchaient à infliger tragédie et douleur au pays, le palais de Carthage annonçait dans des communiqués surréalistes que le président Béji Caïd Essebsi (92 ans) avait fait un malaise « grave » et avait été transféré à l’hôpital militaire. Pendant quelques heures, rumeurs et contre-rumeurs sur l’état de santé du président vont se répandre, envahir les médias et les réseaux sociaux, accentuant une ambiance de crise de nerfs. Théories du complot diverses : une histoire d’empoisonnement, une autre développant un coup d’État institutionnel à la chambre des représentants du peuple, et surtout la sensation d’un immense vide constitutionnel, au cas où… Au moment où ces lignes sont écrites, dans les dernières heures de juin, l’état de santé du président reste mystérieux. Le palais et le gouvernement n’ont plus donné de communiqués. On a de l’empathie pour le destin et l’épreuve de l’homme, mais Béji Caïd Essebsi est aussi chef de l’État. Les inconnues sont multiples, les angoisses sous-jacentes, mais le pays a repris son train-train presque habituel. Il y a en Tunisie une réelle force, forme de résistance, une union nationale face au terrorisme. Une forme de résilience aussi visà-vis d’une situation quotidienne qui semble dériver négativement, lentement et sûrement. Et puis, il y a des femmes et des hommes qui tiennent aussi la machine à des échelons divers. Comme le montrent les articles de Frida Dahmani et de Francis Ghilès plus loin, la Tunisie démocratique, la Tunisie post-révolutionnaire est à bout de souffle. La liberté est là, relativement, une société civile est née, une génération d’enfants qui a vécu la révolution arrive à l’âge de la majorité, mais le processus démocratique tant vanté est presque à l’arrêt à

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« Une large partie du pays se sent abandonnée, prête au changement, au “dégagisme”. » quelques mois des élections législatives (octobre) et présidentielles (novembre) cruciales. En ces moments d’incertitudes, la Tunisie n’a toujours pas de Cour constitutionnelle, pourtant prévue par la Constitution avant-gardiste de 2014. Une aberration que l’on doit largement aux partis de gouvernement incapables de s’entendre et peu soucieux de se limiter par une instance supérieure. Les mêmes partis de gouvernement et leurs élus à la Chambre des représentants du peuple ont fait voter une loi rétroactive pour éliminer de la compétition des personnalités « hors système », des trouble-fêtes [voir Afrique Magazine no 393] qui ont la faveur des sondages. La loi est devant les tribunaux. Le président peut la signer. Ou pas. Et tout cela encore dépend de son état de santé. Les mêmes sondages (que les uns et les autres accusent contradictoirement d’être manipulés) soulignent l’affaiblissement notable du parti néo-islamiste Ennahdha. Un parti largement préoccupé par son congrès de 2020, et la possible succession de son chef charismatique Rached Ghannouchi (78 ans). Le parti présidentiel Nidaa Tounes, porté au pouvoir sur la base d’une rupture avec ces mêmes islamistes, s’est autodétruit à cause de son alliance avec les… islamistes, les guerres d’ego, les querelles de chefs et de succession. Le parti conçu pour lancer sur orbite présidentielle le chef du gouvernement Youssef Chahed, Tahia Tounes, s’est installé dans les eaux basses des sondages. Et l’émergence d’une personnalité comme Nabil Karoui ne doit finalement rien au hasard. Le publicitaire, fondateur de Nessma TV, est aussi un homme politique qui aura joué un rôle certain auprès de Béji Caïd Essebsi (et de Rached Ghannouchi). Le décès accidentel de son fils Khalil et la création de l’association Khalil Tounes auront projeté ce personnage hors norme, par nature ambitieux, sur toutes les routes du pays. Une opération d’ampleur assez stupéfiante de « charity » visà-vis d’une population appauvrie et délaissée par la puissance publique. Nabil Karoui répond à un manque, à une urgence. Car ce qui rend le discours et les ambitions des partis de gouvernement largement inaudibles, c’est avant tout la situation socio-économique du pays. Hors la liberté relative, les AFRIQUE MAGAZINE

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FETHI BELAID/AFP

Le président Béji Caïd Essebsi a fait un malaise « grave » le jour des attentats.

promesses de la révolution sont restées largement lettre morte. En particulier sur la question des inégalités régionales. Plus que jamais, la Tunisie est divisée, coupée en deux, entre son Ouest pauvre, à l’abandon des politiques de développement, et son Est, accroché aux grandes villes côtières, comparativement opulentes. Globalement, la Tunisie est plus pauvre aujourd’hui qu’il y a dix ans. Son revenu baisse. Le niveau de vie de ses habitants aussi. L’État et les services publics (éducation et santé) qui faisaient l’honneur de la République sont en crise profonde. Une large partie du pays se sent abandonnée, prête au chanAFRIQUE MAGAZINE

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gement, au « dégagisme », dans une sorte d’acte II, électoral de préférence. La première clé réside dans le processus démocratique, son maintien, dans le respect des règles principales, et donc dans une compétition électorale transparente ouverte à tous. La seconde clé réside dans l’émergence d’une nouvelle gouvernance, d’un consensus national, capable de relancer les ambitions de développement et l’économie du pays. L’exception tunisienne, s’il y en a une, est là. Continuer l’aventure, faire coïncider un fonctionnement relativement démocratique avec l’efficacité économique et la solidarité sociale. ■ 39


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L’urgence électorale

Les scrutins législatif et présidentiel sont prévus pour la fin de l’année. Un véritable défi pour une jeune démocratie fragilisée.

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l y a peu de temps, un ami, parmi ceux que l’on estime bien informés, disait à qui voulait bien l’entendre : « J’ai l’impression d’être dans une machine infernale qui s’est emballée ; qui peut couper le courant ? Quand est-ce que ça s’arrête ? ». Il exprimait ainsi tout le malaise qui prévaut en Tunisie et qui n’a rien d’imaginaire. La sensation qu’un présent, qui échappe et va dans tous les sens, n’augure pas d’un avenir serein et alimente les rumeurs les plus folles, faute d’une communication politique efficace et raisonnée. Cette atmosphère délétère est alimentée par une sévère crise politique et économique qui rend légitimes toutes les inquiétudes. Le 27 juin, deux attentats et l’hospitalisation en urgence du président de la République, Béji Caïd Essebsi, ont fait ressentir aux Tunisiens la fragilité du pays. L’état de santé du président, présenté comme alarmant dans les premières heures, a suscité la crainte d’une vacance de pouvoir. « Dans la rue, les gens n’étaient pas bouleversés par les attaques terroristes, qui ont quand même ciblé le cœur de Tunis, mais bien par le malaise du président et la crainte d’un vide à la tête de l’État », précise un commerçant. Les Tunisiens ont perçu la fragilité des institutions, et l’absence d’une instance constitutionnelle supérieure. « Tout est question de perception », assène régulièrement le chef de l’État. Il n’a pas tort : depuis plusieurs semaines s’est installée la sensation que le projet démocratique de la Tunisie était au risque d’une sortie de route. En cause, le passage en force d’amendements ’amendements coercitifs de la loi électorale,

lancé par l’exécutif à l’Assemblée. Une manœuvre mal venue à cent jours du scrutin, qui illustre la tension extrême de la classe politique peu encline à faire place à de nouveaux venus. « Cette promptitude à exclure relève d’une dictature. Même Ben Ali y aurait mis les formes », s’insurge ce cadre tunisois. La montée fulgurante dans les sondages, publiés depuis avril dernier, de l’homme de médias Nabil Karoui, du mouvement collectif Aïch Tounsi, du professeur Kaïs Saïed et de la présidente du Parti destourien libre (PDL) Abir Moussi, a provoqué un phénomène de rejet de la part des formations politiques. « Cette précipitation fait tomber les masques », explique Mahmoud Ben Romdhane, économiste et leader du mouvement Kadiroune. Malgré l’adoption de la loi, la tendance dans les sondages est persistante. Dans tous les cas, les chiffres soulignent le rejet des électeurs des partis traditionnels et leur souhait d’un renouvellement du personnel politique. « Les Tunisiens ont eu le sentiment d’être grugés par ceux auxquels ils ont confié le pouvoir », explique le politologue Youssef Cherif. Cela vaut surtout pour l’exécutif de Youssef Chahed, chef du gouvernement, qui avait bénéficié au départ d’un a priori positif assorti d’un large soutien populaire. En bout de course, la lutte contre la corruption n’a pas porté ses fruits, et peu de choses ont été concrétisées, en tout cas pas celles attendues. La perte de confiance se généralise, et l’insatisfaction croît. La classe moyenne elle-même peine à joindre les deux bouts et ne pardonne pas l’absence de d services publics minimums et

Abir Moussi Youssef Chahed Rached Ghannouchi Nabil Karoui

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ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS - ONS ABID - ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS - ONS ABID

par Frida Dahmani


la panne de l’ascenseur social. C’est à ce malaise que répond la soudaine popularité de Nabil Karoui ; pendant deux ans, il a sillonné la Tunisie profonde et a pris la mesure du déficit de services publics et de la propagation de la misère. Sa promesse d’éradiquer la pauvreté a toutes les chances d’être entendue, voire d’être plébiscitée. Les indicateurs de la Tunisie sont au rouge, indiquait le 31 mai la Banque centrale de Tunisie (BCT) en annonçant un déficit budgétaire à hauteur de 9,3 % du PIB, un taux de croissance atone de 1,1 % (contre 2,7 % en 2018), une inflation qui stagne à 6,9 % et des avoirs nets en devises de 74 jours d’importations. Et la dévaluation du dinar, qui change toutes les prévisions. Un tableau qui n’est pas si noir qu’il n’y paraît ; une reprise du tourisme et une excellente année céréalière et oléicole laissent présager une fin d’année meilleure. Suffisamment en tout cas pour permettre à la prochaine législature d’entamer plus sereinement sa mission. Mais il lui faudra aussi prendre en charge le service de la dette qui, selon Nefaa Ennaifer, président du Centre tunisien de veille et d’intelligence économique a atteint près de 25 % du budget de l’État en 2019, avec une hausse de près de 8 milliards de dinars, d’une année à une autre. Ces résultats économiques impactent sévèrement les Tunisiens, mais ils sont plus sensibles à la décrépitude du secteur de la santé publique et aux difficultés rencontrées par l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Des piliers de la Tunisie moderne qui peinent à être réformés, bien que les compétences y soient nombreuses. Des rééquilibrages sont nécessaires et même urgents. Ils dépendront des marges de manœuvre de l’Assemblée et du gouvernement issus des urnes. Les élections, malgré toutes les rumeurs de report, auront bien lieu, même si elles sont légèrement différées. Dans tous les cas, il est certain que chaque événement, chaque prise de position seront prises en compte par les électeurs. LES ÉLECTIONS AURONT BIEN LIEU « Il faut encore s’attendre à des surprises », indique le politologue Larbi Chouikha, mais les élections auront bien lieu. Plutôt que d’être une opération anodine, elles vont prendre l’envergure d’une étape historique. Celle de la maturité des électeurs, décidés à prendre leur destin en main, à faire le choix qui leur convient sur le marché politique et à déjouer les chausse-trappes de certains politiciens. Un scrutin important, d’autant que le contingent du corps électoral compte 1,5 million de nouveaux inscrits, pour la plupart des jeunes, témoins de la révolution. « Depuis 2011, nous faisons un apprentissage permanent, et dans l’urgence, mais nous avons gagné la liberté et elle est non négociable. La Tunisie est dans une sorte de singularité naturelle historique et géographique, qui fait qu’elle n’est pas disposée à revenir en arrière », explique Hassen Zargouni, patron du cabinet Sigma Conseil, qui AFRIQUE MAGAZINE

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AU CŒUR DU MONDE ARABE

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es deux attentats concomitants du 27 juin à Tunis ont rappelé que les menaces proférées par Abou Bakr al-Baghdadi, le fondateur autoproclamé de l’État islamique (EI), en avril 2019, à l’encontre de la Tunisie, alors qu’il invitait ses troupes à un repli en Libye, sont une réalité que le pays doit prendre en compte. Depuis les terribles attentats de 2015, la Tunisie a nettement augmenté son niveau et ses moyens de vigilance sécuritaire. La violence est pourtant restée endémique, en particulier dans les régions montagneuses de l’ouest du pays, où des katibas obscures lancent régulièrement des attaques contre les forces de l’ordre. Le contexte régional n’aide pas non plus à la stabilité. Entre le chaos libyen et le bouillonnement algérien, la Tunisie doit se frayer un chemin vers une démocratie qu’elle a choisie. Un défi et un pari que l’unique survivant des Printemps arabes doit remporter. En inventant un nouveau modèle. L’attrait global de l’islamisme politique est en recul, y compris en Turquie avec les récents déboires électoraux du tout-puissant président Erdogan. Un échec de l’expérience démocratique tunisienne renforcerait l’école conservatrice et autoritaire, le club des « faucons » que représentent l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et leur allié égyptien. Une réussite ferait de ce parcours atypique un point fort pour un pays de la région et un exemple pour les forces progressistes et démocratiques. Les événements en Algérie (et au Soudan, plus lointain) soulignent l’importance de ces aspirations modernistes et libérales qui traversent le monde arabe. La Tunisie peut jouer un rôle clé. Elle a été élue, fin juin, membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, et y siégera à partir du 1er janvier 2020 pour deux années. Elle devrait normalement organiser, si tout se passe bien, le XVIIIe sommet des chefs d’État et de gouvernement francophone en octobre 2020, année du 50e anniversaire de l’Organisation internationale de la francophonie… ■ F.D.

réalise des sondages. Celui qui est surnommé l’oracle pour ces prévisions assure que la démocratie ne cesse de naître en Tunisie, parfois dans la douleur, mais que ses fondamentaux sont acquis, même si certains, las des incessantes diatribes, en appellent aux militaires pour mettre bon ordre dans le chaos politique. « On croyait que le fleuve de la révolution avait regagné son lit avec la promulgation de la Constitution ; on se rend compte qu’il peut encore déborder à tout moment et y retourner… le cours normal des choses sans vouloir banaliser les crises actuelles », commente un observateur à l’Assemblée. ■ 41


RÉVOLUTIONS TUNISIE : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU SOUFFLE

En attendant les récifs…

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e pays présentera cet été un visage souriant aux millions de touristes qui se presseront, on l’espère, sur la côte entre Hammamet et Mahdia, et, plus au sud, sur l’île de Djerba. Ce pays a toujours été tolérant et ouvert au monde, et en cet été 2019, ses habitants seront soulagés que les visiteurs étrangers aient retrouvé les hôtels, quatre ans après les attentats du musée du Bardo et de Sousse. Et ce, malgré les récentes attaques de Tunis. Aux Européens qui connaissent le pays depuis longtemps, aux Algériens et aux Libyens qui apprécient aussi les hôtels de leur voisin immédiat, s’ajoutent les Russes qui découvrent le pays pour la première fois. Ils

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seront sans doute plus de 700 000 à y venir cette année. Les Tunisiens sont également nombreux à fréquenter les plages en été, durant lequel la vie sociale semble émigrer de Tunis vers le sud. Le secteur du tourisme est un gros employeur de main-d’œuvre et a rapporté 1,32 milliard de dollars en 2018. Néanmoins, les statistiques que l’État publie, de plus en plus tronquées, masquent mal une chute des recettes en devises par nuitée touristique et le raccourcissement de la durée des séjours. Au Maroc, chaque touriste rapporte dix fois plus qu’en Tunisie. Et en 2008, le tourisme rapportait 2 milliards de dollars. Depuis 2015, les transferts de la diaspora ont détrôné ceux du tourisme. AFRIQUE MAGAZINE

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GUILLAUME LE BAUBE/DIVERGENCE

Depuis la chute de l’ancien régime, l’État et les élites se sont montrés incapables de relancer une économie marquée par les inégalités régionales, l’affaissement des revenus et le manque de projets. Reste à savoir jusqu’à quand le pays pourra vivre à crédit… par Francis Ghilès*


La plage de Monastir, en juillet 2011, le premier été après la chute de Ben Ali.

Le mésusage croissant des statistiques que souligne l’économiste Hachemi Alaya (« La Tunisie prise au piège d’une addiction aiguë à la chiffrite », Ecoweek no 21, 27 mai 2019) illustre le brouillard politique et économique dans lequel est plongé le pays à l’approche des élections législatives et présidentielles de l’automne prochain. Pour beaucoup, et notamment pour les nombreux jeunes au chômage, la démocratie tunisienne a un goût amer. Ils sont plus pauvres aujourd’hui qu’ils ne l’étaient en 2010. Il n’y a pas eu de révolution à proprement parler en 2011, mais une révolte qui a décapité le système et confisqué en partie les biens de la famille de l’ancien dictateur Ben Ali. Les actifs industriels, financiers, immobiliers et agricoles n’ont guère changé de propriétaires depuis, quoique le parti islamiste Ennahdha ait réussi à s’approprier une part du gâteau. Le chômage reste un mal chronique, fragilisant l’économie et le corps politique. Le fossé économique, social et éducatif entre un littoral relativement aisé et un arrière-pays plus pauvre existe toujours. La Tunisie est, sur le plan économique comme social, éducatif et sanitaire, divisée en deux tribus distinctes qui ne se connaissent pas. La liberté est palpable, mais un horizon économique apparemment bouché pousse de nombreux jeunes diplômés à fuir le pays, majoritairement vers la France, l’AlAFRIQUE MAGAZINE

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lemagne, l’Italie, le Canada et les pays du Golfe. Et d’autres à tenter la terrible traversée de la Méditerranée. Riches ou pauvres, ils sont désillusionnés quant au futur de ce qu’ils ont appelé avec humour Jumhurriyat al-shaykhayn (la République des deux patriarches), c’est-à-dire la gérontocratie du président Béji Caïd Essebsi et du leader islamiste Rached Ghannouchi. Que les autorités préfèrent l’expression « mobilité des compétences » à « fuite des cerveaux » ne change rien à la réalité. Selon un rapport de l’OCDE, 95 000 cadres ont quitté le pays depuis 2011, y compris 200 à 300 médecins spécialistes et 1 500 ingénieurs. Une bureaucratie pesante s’ajoute aux autres difficultés et pousse les plus entreprenants à refaire leur vie ailleurs. Multiplier les séminaires officiels qui soulignent l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers relève, à ce stade, de l’incantatoire. La démocratie s’épanouit rarement quand les estomacs sont vides. L’une des statistiques les plus éloquentes aujourd’hui est que 20 % de la population est pauvre. C’est la conséquence inévitable de l’effondrement de la richesse nationale (PIB), passée de 44,8 milliards de dollars en 2008 à seulement 40 milliards l’an dernier. Elle devrait encore décroître à 35,2 milliards en 2020. Le PIB par habitant, qui a diminué d’un cinquième depuis 2011, s’établit aujourd’hui légèrement au-dessus de 4 000 dollars et devrait, selon les prévisions du FMI, chuter sous cette barre à partir de 2020. La Tunisie a cessé d’investir et dépense allègrement l’argent qu’elle ne gagne pas pour soutenir la consommation. L’investissement, qui a culminé à plus de 30 % du PIB durant les années 1980 et qui se maintenait au niveau respectable de 25,6 % à la veille de la chute de Ben Ali, a chuté à 20 % l’an dernier. Le taux d’épargne, à 8,9 %, a baissé de plus de la moitié en dix ans. S’ajoute à cette dérive alarmante une croissance rapide de l’endettement extérieur. Elle est la conséquence inévitable de l’absence de stratégie économique et de l’incapacité du gouvernement, dirigé depuis août 2016 par Youssef Chahed, de mener des réformes. LE NIVEAU D’ENDETTEMENT RESTE ACCEPTABLE L’économie tunisienne est maintenue à flot par une perfusion permanente d’aides internationales. Cette année, elle aura besoin de 10 milliards de dinars tunisiens, selon les estimations du gouvernement. Le coût des emprunts a augmenté en 2018 par rapport à 2017 et devrait continuer à croître cette année, mais le FMI estime que le niveau d’endettement du pays reste acceptable, notamment parce qu’une grande partie de la dette, contractée auprès de ce dernier, de l’Union européenne, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, bénéficie de taux d’intérêt peu élevés et jouit de maturités longues. Le conseil d’administration du FMI a approuvé, le 12 juin, la cinquième revue du programme dont bénéficie la Tunisie, mais considère que les risques demeurent « très élevés » du fait « des vulnérabilités macroéconomiques 43


RÉVOLUTIONS TUNISIE : À LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU SOUFFLE

persistantes ». La satisfaction du FMI face à la consolidation du déficit budgétaire, qui est passé selon le ministère tunisien des Finances de 6,1 % du PIB en 2017 à 4,8 % l’année dernière, ne peut masquer l’énorme augmentation du coût de la masse salariale publique (112 % entre 2010 et 2017), qui consomme la moitié du budget, et surtout l’évolution de la dette publique (de 39 % du PIB en 2010 à 71,7 % en 2018). Pendant ce temps, la Banque mondiale organise des séminaires sur la digitalisation des paiements, en complet décalage avec les principaux enjeux. Et il n’y a aucune volonté politique d’augmenter les taxes sur les catégories professionnelles, telles que les médecins et les avocats, sans parler des milliers de cafés dont la charge fiscale est beaucoup moins lourde que celle qui pèse sur les salariés. Les recettes fiscales de l’État, notamment celles issues de l’augmentation des taxes sur l’essence, ont fait augmenter le coût du transport, ce qui, conjugué à des prix alimentaires plus élevés, affecte de manière disproportionnée les Tunisiens à revenu faible ou moyen. Les jeunes entrepreneurs ont de grandes difficultés à obtenir un prêt lorsqu’ils n’ont pas de biens immobiliers à offrir en garantie : 46 % des microentreprises empruntent de façon informelle, et celles qui ont un compte en banque limitent au minimum leurs transactions, selon Hachemi Alaya (« Un sous-développement financier néfaste et indigne », Ecoweek no 22, 3 juin 2019). Les banques tunisiennes sont heureuses de faire des affaires avec les clients bien établis, mais montrent peu d’intérêt pour le menu fretin. Le secteur bancaire jouit de rendements records sur le capital et les bénéfices. La BIAT, l’une des principales banques du pays, réalise une marge comprise entre 15 % et 20 %. LES TRANSFERTS DE LA DIASPORA EN BAISSE Une question reste posée : que se passera-t-il si les prêts et l’aide, qui supportent actuellement l’activité économique et un endettement croissant, ne sont pas accompagnés par des réformes économiques et financières d’envergure ? Si les dirigeants politiques, la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) et les hommes d’affaires proches du pouvoir continuent de traiter l’État comme une vache à lait, la Tunisie continuera de s’appauvrir. S’il est vrai que les investissements étrangers augmentent depuis dix-huit mois, le pays attire moins qu’avant, surtout comparé au Maroc. Les troubles en Algérie et en Libye ont amené un flux de devises étrangères dans le vaste secteur informel qui soutient l’activité et dont les chiffres n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. Mais les transferts de la diaspora tunisienne, qui rapportent au pays plus que les recettes touristiques, ont chuté, eux, de 9 % au cours du premier trimestre 2019 par rapport à la même période l’an dernier, ce qui n’est guère un signe de confiance dans l’avenir. Malgré un maigre bilan depuis quatre ans, les principaux responsables politiques assurent que, d’ici 2020, 44

« Le secteur de l’agriculture a été sacrifié au bénéfice du tourisme et des industries offshore. Une aberration. » de sérieuses réformes économiques seront entreprises, mais ces promesses sont peu convaincantes, pour ne pas dire inaudibles. Et quelle valeur politique pourrait bien avoir des élections pour lesquelles une majorité des Tunisiens de moins 30 ans ne votent même pas, comme ce fut le cas lors des élections municipales de mai 2018 ? Quelle sera la valeur politique d’une élection dont on cherche par ailleurs à exclure certaines personnalités ? Peut-il résulter de telles élections une majorité de députés bénéficiant d’un solide mandat pour réformer ? Les investisseurs, les employeurs, les travailleurs et le gouvernement ont besoin de confronter leurs idées, de discuter, d’imaginer le futur de la Tunisie. En l’absence de tels débats, il n’y a aucune chance de sortir de ce qui ressemble fort à un cul-de-sac. Certaines actions sont immédiatement réalisables. Dans le secteur de l’agriculture, sacrifié depuis les années 1960 au développement du tourisme et des industries offshore, il faut absolument revisiter la question des fermes d’État et des terres domaniales. Celles-ci représentent près de 500 000 hectares et occupent quelques-unes des plus riches terres du pays. Des milliers d’hectares demeurent inexploités. Le secteur agricole emploie 20 % de la population, mais ne représente que 10 % de la valeur des exportations. Il reste le parent pauvre du développement économique : les ruraux représentent un tiers de la population, mais ils sont de plus en plus marginalisés. L’investissement privé et la privatisation des terres domaniales sont pourtant la réponse pour créer des emplois à l’intérieur et aider à réparer cette fracture sociale et économique entre les deux Tunisie. Elle permettrait de redonner de l’espoir aux régions pauvres du centre-ouest, du nord et du nord-est. Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais c’est sans doute le mépris que beaucoup de Tunisiens – notamment dans la capitale et la fonction publique – ont pour l’agriculture qui empêche de voir ce qui crève les yeux. Le découplage entre production agricole et régime alimentaire est profondément ancré, souligne Leith Ben Becher, qui a créé après 2011 le Syndicat des agriculteurs de Tunisie (Synagri), un syndicat indépendant. Ce qui prime, « c’est la préférence accordée aux consommateurs aux dépens des producteurs ». Cela se traduit AFRIQUE MAGAZINE

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L’huile d’olive, produite localement, n’est pas subventionnée.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE

par d’immenses aberrations, comme une subvention accordée aux huiles de graines importées (environ 200 000 tonnes par an), et pas à l’huile d’olive produite localement ! Idem pour le déclin de l’élevage ovin au profit des filières bovine et avicole (où le maïs et le soja importés représentent 60 % de la ration alimentaire). Dans ce secteur, l’État marche sur la tête alors qu’il devrait inventer un triptyque, qui serait bâti sur trois piliers : agriculture, alimentation et ruralité. L’érosion des sols, la rareté de l’eau et le changement climatique plaident plus encore pour une véritable « révolution agraire ». ATTIRER DES TOURISTES DE MEILLEUR STANDING D’ambitieuses politiques dans les transports pourraient également stimuler fortement l’économie. Le gouvernement tunisien attend la mise en place de l’open sky, qui permettra à des compagnies low cost (y compris tunisiennes) d’opérer librement entre Nord et Sud. Mais du fait de l’opposition de l’UGTT, l’aéroport de Tunis-Carthage, qui est de loin le plus dynamique du pays, a été exclu de l’accord. Et un certain nombre de paramètres de concurrences ont été préservés pour protéger Tunis Air, qui connaît une véritable hémorragie financière et offre un service qui peut être décrit comme une insulte permanente à ses clients. Pour couronner le tout, un tout nouvel aéroport, qui a été terminé il y a une dizaine d’années à Enfidha, à près de 100 kilomètres au sud de Tunis, ne voit que rarement un avion atterrir. La construction d’une liaison ferroviaire rapide et la fermeture progressive de Tunis-Carthage auraient pourtant révolutionné le transport aérien dans le nord du pays. L’aéroport de la capitale occupe 1 000 hectares de terres de choix au cœur de Tunis. Si ces terrains pouvaient être réaménagés de manière à restructurer le cœur d’une capitale désespérément en manque d’espaces verts et où la congestion routière est permanente, les bénéfices en matière d’environnement seraient AFRIQUE MAGAZINE

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énormes. On attend aussi une politique ambitieuse quant au transport maritime et aux infrastructures portuaires, pour un pays qui se trouve au centre de la Méditerranée, à deux heures de Gênes et de Marseille… Le troisième secteur qui nécessite une politique rénovée est le tourisme. La réalité, c’est que 8 millions de touristes en Tunisie rapportent annuellement 1 milliard de dinars, tandis que le voisin marocain gagne l’équivalent de 12 milliards de dinars pour quelque 12 millions de touristes. Améliorer l’image du pays pour attirer des touristes de meilleur standing est urgent. Mais le soleil et la plage à prix coûtant restent les fondements du secteur. La croissance du nombre de maisons d’hôtes suggère que les Tunisiens ont individuellement compris dans quelle direction il faut aller. Ils sont bien conscients du caractère attrayant des riches sites archéologiques hérités des Romains et des Carthaginois, des mosquées et des vieilles forteresses, des oasis au milieu du désert et des séjours gastronomiques avec huile d’olive et produits locaux. Un nouveau produit intégrerait aussi les technologies de l’information et le tourisme médical. Au demeurant, ces deux domaines engagent tous deux un niveau moyen d’éducation élevé. Tant que les dirigeants resteront convaincus qu’ils peuvent s’en tirer en faisant la quête auprès des bailleurs internationaux, il y a peu de chances que des réformes économiques sérieuses soient menées. L’argument que le pays est la seule démocratie du monde arabe agace de plus en plus les prêteurs étrangers. Les sommes prêtées à la Tunisie sont faibles, en valeur absolue, ce qui explique que les débiteurs peuvent oublier le pays la plupart du temps. Tôt ou tard, l’économie se vengera. La classe politique serait d’autant plus impardonnable que la Tunisie n’a pas, contrairement à ses voisins, une armée prédatrice avec laquelle elle doit composer. ■ * Chercheur associé au Barcelona Centre for International Affairs. 45


Tiken Jah Fakoly

INTERVIEW

« L’Afrique unie gagnerait tous les

combats »

Toujours aussi engagé, le chanteur ivoirien revient avec un nouvel album. Il y dénonce l’inaction des politiques à propos du réchauffement climatique. Entretien garanti sans langue de bois. propos recueillis par Astrid Krivian, photos d’Amanda Rougier pour AM


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INTERVIEW TIKEN JAH FAKOLY : « L’AFRIQUE UNIE GAGNERAIT TOUS LES COMBATS »

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ébardeur révélant une carrure athlétique, pendentif en bois à l’effigie de l’Afrique, Tiken Jah Fakoly s’exprime d’une voix calme et posée. Malgré ses révoltes, une sagesse et une force tranquille émanent de cet artiste résolument optimiste, mais lucide sur l’ampleur des combats sociétaux encore à mener. « Africa Unite » chantait Bob Marley, père spirituel dont il reprend depuis vingt-cinq ans le flambeau du reggae militant. Originaire d’Odienné, ce fervent défenseur du panafricanisme, seule issue selon lui pour relever les défis du continent, se présente comme africain d’origine ivoirienne. Né Moussa Doumbia, il est le descendant du chef de guerre Fakoly Koumba Fakoly Daba – dont il a adopté le patronyme –, héros de la reconquête du territoire mandingue aux côtés de l’empereur Soundiata Keïta au XIIIe siècle. Pour lutter contre les injustices, Tiken Jah Fakoly a choisi son arme : la musique. Depuis son premier album, Mangercratie (1997), ses messages au verbe affûté éveillent les consciences, incarnent l’espoir du changement. Engagé dans l’éducation, porte-parole du peuple et des opprimés, il dénonce le néocolonialisme, la Françafrique, la corruption, la mauvaise gouvernance. À la faveur d’un reggae roots mâtiné de délicates sonorités traditionnelles (kora, balafon, ngoni…), son dixième disque, Le monde est chaud, alerte sur le réchauffement climatique, les dangers de l’immigration clandestine, l’esclavage moderne. Il l’a enregistré en Côte d’Ivoire (une première depuis vingt ans) dans son « ambassade du reggae », à Abidjan. De 2002 à 2007, il fut contraint à l’exil : d’appartenance dioula (ethnie du nord du pays), il est menacé par les escadrons de la mort lors de la guerre civile, sous le régime de Gbagbo. L’artiste s’installe alors à Bamako, au Mali, où il a désormais élu domicile. On peut le croiser au volant de sa rugissante Coccinelle, évidemment peinte en vertjaune-rouge, les couleurs du rastafarisme.

AM : L’urgence d’agir contre le réchauffement climatique estelle à l’origine de votre nouvel album, Le monde est chaud ? Tiken Jah Fakoly : Oui. Nous devons écouter les signes que la planète nous envoie : les tsunamis, la fonte des glaces, les récentes inondations à Bamako et au Canada… Un continent de sacs plastiques est en train de se former dans la mer. Il est temps de changer de comportement ! Je pense à mes petitsenfants : si notre planète est polluée, ce sont eux qui le paieront demain. J’ai fait cet album pour sensibiliser les populations et attirer l’attention des gouvernants, dénoncer leur inaction. Quand Donald Trump, le président d’un pays moteur du monde, déclare ne pas croire au réchauffement climatique, 48

c’est inquiétant. Avec nos voix, on peut neutraliser un peu les discours de ces fous. En Afrique, quelle peut être l’action des citoyens ? Il faut les informer des dégâts des sachets plastiques qui ne sont pas traités et envahissent l’espace, de l’importance des arbres, des fleuves, et leur dire de ne pas y jeter n’importe quoi… L’Afrique est la première victime de cette situation ! Car ce sont les usines, les moyens de production et de développement de l’Occident, qui polluent le plus. La planète est notre maison à tous, et si elle s’écroule, ce sera sur tout le monde. Dans « Pourquoi nous fuyons », vous dissuadez les Africains d’immigrer en Occident. C’est mon devoir. Quand je chantais « Ouvrez les frontières » [en 2007, ndlr], ce n’était pas pour inciter les jeunes à quitter leur pays, mais pour dénoncer une injustice, qui devrait être rapportée à la tribune des Nations Unies. Les Occidentaux viennent en Afrique quand ils veulent, s’y installer s’ils veulent, prendre ce qu’ils veulent. Mais quand un Africain veut aller en Occident, c’est un problème : on exige des visas et tellement de papiers que les gens abandonnent ou sont obligés de passer par des voies suicidaires. « Pourquoi nous fuyons » appelle la jeunesse à rester, pour ne pas abandonner le continent. En partant, on fuit les problèmes qui seront toujours là dans vingt ans, et qui en seront les victimes ? Nos enfants. Si nos ancêtres s’étaient tous exilés, peut-être que l’esclavage existerait encore AFRIQUE MAGAZINE

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« Pour combattre la corruption et la mauvaise gouvernance, le peuple doit avoir la parole. »

ou que nous serions encore colonisés. C’est à nous de poser les bases si nous voulons que nos enfants grandissent dans une Afrique différente de la nôtre. Pour combattre la corruption et la mauvaise gouvernance, qui retardent le développement, et tout mettre en œuvre pour que nos pays soient démocratiques, que le peuple ait la parole. Nous avons l’exemple de l’Algérie aujourd’hui : sans casser ni tuer, le peuple avance ensemble et demande le remplacement du système. Au Soudan aussi, les gens refusent les militaires au pouvoir. Vous dites que l’identité africaine doit être panafricaine, et vous vous présentez vous-même comme africain d’origine ivoirienne. Croyez-vous à la création des États unis d’Afrique ? Bien sûr. Aucun pays africain ne s’en sortira seul. Qu’est-ce que le petit Mali peut dire à la grande Russie ? Ou la Côte d’Ivoire aux États-Unis ? Même l’ambassadeur américain est craint en Côte d’Ivoire car il représente 50 États ; quelque part, il est plus important que le président ivoirien, qui n’en représente qu’un. Mais ensemble, les 54 pays africains gagneraient toutes les batailles : nous possédons les matières premières dont les pays occidentaux ont besoin pour leur développement, nous sommes une population jeune, nous serons 2 milliards AFRIQUE MAGAZINE

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en 2050, le soleil est là tous les jours, on a la mer dans la majorité des pays… C’est un continent qui a tout pour s’imposer. Représentés par un président, respecté et soutenu, nous pourrions dicter nos règles à l’Occident, décider du prix de nos produits – ce que Trump fait actuellement. 75 % de la production mondiale de cacao provient d’Afrique, avec la Côte d’Ivoire (40 %), le Ghana (20 %), le Nigeria (15 %). Imaginez si ces pays étaient réunis et refusaient de vendre leur cacao au monde ! Les États unis d’Afrique sont notre seule porte de sortie. L’organisation de l’Union africaine vous semblet-elle jouer un rôle dans ce processus d’unité ? Elle ressemble plutôt à une union de copains chefs d’État. Si elle était efficace, elle aurait pu éviter les quelque 3 000 morts en Côte d’Ivoire [violences post-électorales de 20102011, ndlr]. Or, elle a tergiversé, pris position à un moment, mais n’avait finalement aucun pouvoir. Faites un microtrottoir en Côte d’Ivoire ou au Mali et demandez aux gens ce 49


INTERVIEW TIKEN JAH FAKOLY : «L’AFRIQUE UNIE GAGNERAIT TOUS LES COMBATS »

qu’elle a fait pour eux, quel acte marquant elle a posé, vous verrez les réponses… Votre chanson « Libya » s’indigne de la situation découverte dans ce pays : des Africains subsahariens esclavisés… Nous avons tous été choqués par ces images. Aujourd’hui, sur les terrains de foot, beaucoup de frères africains nous font honneur. Barack et Michelle Obama se sont installés à la Maison-Blanche, et grâce à eux, l’image de l’homme noir esclave est derrière nous. Mais en voyant de jeunes Noirs africains être de nouveau dans cette situation, ça nous a fait régresser. Ce n’est pas acceptable. Avec cette chanson, je tire la sonnette d’alarme, pour dire à mes frères que si le prix pour l’Europe est de se faire humilier, il y a un problème. J’attire leur attention avant qu’ils ne prennent leur décision de passer par ce pays : ils seront réduits en esclavage, travailleront sans être payés, seront traités comme des bêtes. Il y a même du trafic d’organes avec les corps des migrants. « Dieu nous attend » critique certaines attitudes de vos concitoyens, que vous estimez immobilistes. C’est un message assez nouveau, mais c’est très important, car on remet tout à Dieu. Le carburant vendu en Afrique est nocif, tous les médias du monde en parlent, mais il n’y a aucune réaction chez les Africains. Quand, intoxiqués, ils tombent malades, ils prient Dieu. On Lui demande secours. Moi qui suis croyant, je le fais aussi, mais je prends des initiatives et je Lui demande de m’accompagner. Dieu n’aide que les actions. Dans leur salon, les Africains ont des paroles très véhémentes. Mais dès qu’une marche est organisée pour améliorer les soins de

la construction de la septième, au Liberia ou en Sierra Leone. Mon rêve est de construire une école dans chaque pays africain. Quand je me suis rendu dans le village burkinabé pour annoncer la construction d’un établissement, j’ai été frappé par le nombre de jeunes filles de 14-15 ans qui portaient déjà un bébé sur leur dos. Mais à l’ouverture, il y a eu plus de filles inscrites que de garçons. De cette façon, elles ont 90 % de chance d’échapper à un mariage précoce. Car les parents d’une fille non scolarisée cherchent très vite à la marier pour des questions financières, avoir la dot, etc. Si elle va à l’école, ça change la donne. Avec un travail, elle connaît ses droits et demandera à choisir son mari. Quand la majorité des Africains sauront lire et écrire, les choses évolueront. Un peuple éveillé se laisse difficilement manipuler. Aujourd’hui, nous le sommes par le système occidental et par nos dirigeants. Certains politiciens véreux peuvent obtenir la voix de personnes analphabètes contre des T-shirts, 1 000 francs CFA, etc. L’Afrique, c’est l’avenir, dites-vous. Vous êtes donc optimiste ? Oui, car nos pays n’ont que cinquante-sept ans d’indépendance, ils sont jeunes ! Regardez le temps que la France a pris pour s’émanciper. Il y a cent cinquante ans, on y trouvait sur les routes des paysans réfugiés avec leurs charrettes, comme aujourd’hui en Centrafrique ou au Mali. Depuis le début de ma carrière, j’ai observé l’évolution des mentalités, certains changements concernant les dirigeants. Désormais, aucun ne peut espérer s’installer trente ans au pouvoir. À l’époque, je ne pouvais pas dire : « Arrête de gouverner » à Houphouët-Boigny, on m’aurait assassiné le lendemain [rires] ! Les réseaux sociaux ont contribué au réveil de l’Afrique. Les actes des politiques sont bien plus surveillés. Retournez-vous parfois en Côte d’Ivoire, que vous avez dû fuir pour raisons politiques de 2002 à 2007 ? Oui, régulièrement. Je ne suis plus en exil. Le pays a fait un bond en avant. Et le président, un travail formidable. Aujourd’hui, c’est un État stable, avec de nombreuses infrastructures, mais les Ivoiriens réclament leur part du gâteau. Tant que le peuple n’est pas satisfait, nous, artistes, ne le sommes pas non plus, car nous sommes leur porte-voix. Il n’a pas encore ressenti les retombées de la croissance sur son niveau de vie. Je demande aux politiques d’être proches de la population et de ne pas se contenter des comptes rendus des ministres. Au cours de votre carrière, vous avez toujours rappelé l’importance de connaître l’histoire africaine… C’est essentiel. Quand on nous raconte l’histoire d’un peuple réduit en esclavage, on se pense alors en sous-homme. Mais si on sait qu’avant l’esclavage et la colonisation, il y avait

« On n’a pas appris aux universitaires français qui sont les grands hommes africains. » santé ou interdire la vente de ce carburant toxique, on trouve 200 personnes, là où il en faudrait 2 millions. C’est seulement ainsi que nos gouvernants changeront les lois. Et puis, je ne généralise pas, mais beaucoup d’Africains pensent d’abord au salaire quand ils effectuent une tâche et n’ont pas le goût du travail bien fait. Pouvez-vous nous présenter votre programme Un concert, une école, initié en 2007 ? J’ai créé cette association pour contribuer à la promotion de l’éducation, et montrer aux enfants et aux parents que c’est important. Nous avons construit six écoles : deux en Côte d’Ivoire, une au Burkina Faso, une au Niger, une en Guinée Conakry, et un collège au Mali. À la fin de cette tournée, nous ferons un concert dont les recettes seront consacrées à 50

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des civilisations et des puissants, comme le roi Soumangourou Kanté, l’empereur Soundiata Keïta en terre mandingue, le roi zoulou Chaka en Afrique du Sud, qui ont remporté des guerres, ou encore le chef Samory Touré, qui a résisté pendant des années à la colonisation française en Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle, alors on est fier et on se sent fort ! Et on comprend que nous ne combattions pas à armes égales : les armes à feu de l’Europe contre nos arcs… Si vous interrogez un universitaire ivoirien sur Napoléon ou de Gaulle, il maîtrise. Mais on n’a pas appris à un universitaire français qui sont ces hommes africains. Il faudrait produire des films avec des acteurs noirs américains à l’affiche, car avec des acteurs africains, il est hélas plus difficile de diffuser une œuvre dans certains pays. Un Denzel Washington incarnant Soundiata Keïta, et on aurait tous les Occidentaux dans les salles de cinéma qui apprendraient la vraie histoire de l’Afrique. Cela véhiculerait une autre image de l’homme noir. Votre ancêtre, le lieutenant Fakoly Koumba Fakoly Daba, a ◗ Le monde est chaud, justement combattu auprès de 2019 (Barclay) Soundiata Keïta au XIIIe siècle… ◗ Racines, 2015 (Barclay) Il m’a inspiré, et je m’en ◗ Dernier appel, sens l’héritier, car il s’est battu 2014 (Barclay) ◗ Le Caméléon, contre l’injustice. Son oncle, 2008 (Barclay) Soumangourou Kanté, qui lui avait ravi son épouse, avait annexé l’empire mandingue de Soundiata Keïta. Il a lutté aux côtés de ce dernier pour le reconquérir et le libérer. Puis, à la fin du XIXe siècle, les circonstances ont amené le griotisme dans ma famille [la pratique de la musique était réservée à la caste des griots, dont Tiken n’est pas issue, ndlr]. Le résistant Samory Touré avait enrôlé les hommes de Gbéléban, où vivait mon aïeul, et lui avait confié la garde du village. Pour se protéger de l’attaque d’animaux sauvages, il a alors créé un orchestre familial : le soir, ça chantait et jouait des percussions pour faire croire que le village était habité ! C’est ainsi que la musique est entrée dans ma famille. Vos parents vous ont-ils soutenu dans votre démarche artistique ? Non, j’ai dû m’imposer. Pour la génération de mon père, puis de mon grand frère quand celui-ci est décédé, faire de la musique était très grave. Soi-disant, la religion musulmane l’interdisait. Jusqu’à sa mort, mon père n’a jamais su que je chantais. Ma mère m’a fait des bénédictions à condition que je m’engage à ne pas boire d’alcool, ce que j’ai toujours respecté.

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discographie sélective

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J’ai tout fait moi-même, j’ai vendu mes cassettes. Je n’attendais pas assis que Dieu vienne m’aider. J’étais toujours en action, et c’est là qu’Il m’a donné la force d’y arriver. Hormis la musique, avez-vous d’autres passions ? J’ai une ferme à Siby, à 45 km de Bamako, dans laquelle je me retire souvent. Là, j’oublie tout. Je suis musulman, mais je n’ai pas besoin de porter un boubou. Le bon musulman, c’est Dieu qui le connaît. J’élève des poules, des paons, des autruches, des cailles, des biches, qui circulent librement sur presque un hectare clôturé. Sinon, je lis peu, j’ai hérité d’une culture de tradition orale. Je préfère regarder des documentaires sur les chaînes Histoire et Planète. Et je fais beaucoup de sport, du footing. J’ai une salle à la maison car si je cours à Bamako, je suis sans cesse interrompu par les rencontres. Quelle est cette « ambassade du reggae » que vous avez ouverte à Abidjan, dans le quartier de Yopougon ? Elle regroupe une radio, un studio d’enregistrement, deux salles de répétition et une bibliothèque consacrée au reggae, au rastafarisme et au panafricanisme. Depuis Bob Marley, cette musique a toujours lutté pour l’unité du continent. Grâce aux livres, les jeunes renforcent ainsi leurs connaissances. Ce genre a été inscrit en 2018 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. C’est une véritable reconnaissance, la preuve que nous avons contribué à l’éveil des consciences des peuples africains. Il y a quarante ans, Bob Marley disait : « Un jour, le reggae retournera à sa source, et il prendra sa vraie place. » Sa prophétie s’est réalisée. Aujourd’hui, ce n’est plus en Jamaïque, mais en Afrique que l’on trouve un reggae avec un message fort. Sinon, à Bamako, j’ai aussi un studio, deux salles de spectacle, et je rêve d’y ouvrir une radio. J’espère que les autorités me donneront la fréquence. Bob Marley chantait également des chansons d’amour. Ce sujet ne vous inspire pas ? Ce n’est pas mon truc, je n’ai pas les mots qu’il faut. Je suis peut-être un mauvais dragueur [rires] ! Je préfère me consacrer au combat collectif. ■ Le monde est chaud, Barclay, 2019. Tiken Jah Fakoly sera en concert les 14 et 15 novembre prochains à l’Élysée Montmartre, à Paris, et en tournée dans toute la France.

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DRAME

TIKSA NEGERI/REUTERS

Le 10 mars, le vol Ethiopian Addis-Abeba - Nairobi s’écrasait peu après son décollage, fauchant 157 vies humaines. En cause, sans doute un défaut de conception sur le 737 MAX, dernier-né de Boeing. Une catastrophe aérienne qui touche aussi l’Afrique tout entière. Éléments de l’enquête.

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UN AVION DANGEREUX ?

LA TRAGEDIE DU VOL ET302 par Cédric Gouverneur

Sur les lieux du crash, près de la ville de Debre Zeit, au sud-est de la capitale.

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DRAME UN AVION DANGEREUX ? LA TRAGÉDIE DU VOL ET302

imanche 10 mars 2019, 8 h 30. Ciel dégagé au-dessus du tarmac de l’aéroport Bole d’Addis-Abeba. Le vol ET302 s’apprête à décoller pour Nairobi. Les huit membres d’équipage du Boeing 737 MAX flambant neuf – livré cinq mois auparavant – transportent vers la capitale kényane 149 passagers. Ceux-ci auraient dû être 150 : à deux minutes près, Antonis Mavropoulos a raté l’avion. « L’embarquement était fermé à mon arrivée », a ensuite raconté le miraculé sur les réseaux sociaux, postant pour preuve la photo de sa carte d’embarquement. Derrière les vitres, il a « vu les passagers monter à bord… ». Le scientifique grec se rendait à une conférence du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) au Kenya. Tout comme 22 employés d’agences des Nations unies, tels le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR)… Anne-Katrin Feigl, une jeune Allemande travaillant pour l’OIM, « apportait de la joie » à ses collègues. Le Sicilien Sebastiano Tusa était un archéologue réputé, missionné par l’Unesco. L’ex-patron de la Fédération kényane de football, Hussein Swaleh, était à bord. Ainsi que le journaliste Anthony Ngare et Cedric Asiavugwa, étudiant de la prestigieuse université américaine de Georgetown, tous deux kényans. Deux Marocains étaient également présents : Ahmed Ben Chihab, directeur régional du développement durable de la région Drâa-Tafilalet, et El Hassan Sayouti, professeur à l’université Hassan-II de Casablanca. Canadien d’origine nigériane, Pius Adesanmi dirigeait l’Insti-

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MAHEDER HAILESELASSIE/REUTERS - S TEPHEN BRASHEAR/GETTY IMAGES

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tut d’études africaines de l’université Carleton d’Ottawa. Le Franco-Tunisien Karim Saafi avait fondé le Forum de la jeunesse de la diaspora africaine en Europe. En tout, des citoyens de 35 nationalités avaient pris place dans la funeste carlingue. À 8 h 38, le vol ET302 décolle de la piste numéro 7. À 8 h 40, alors que le Boeing n’est encore qu’à 350 m d’altitude, il pique du nez à plusieurs reprises… Le pilote, Yared Getachew (29 ans, mais déjà 8 000 heures de vol à son actif), alerte la tour de contrôle et demande à faire demi-tour. Malgré leurs tentatives désespérées, lui et son copilote, Ahmed Nur Mohammed Nur (25 ans), ne parviennent pas à dompter l’avion. Ils tentent même de relever mécaniquement le nez de l’appareil, tournant à la main les deux manivelles de réglage situées entre leurs sièges. En vain. « Ça ne marche pas ! » hurle Mohammed Nur. Le Boeing plonge vers le sol avec un angle de 40 °. À 8 h 44, l’avion s’écrase à 52 km de la capitale éthiopienne. Sa masse est de 72 tonnes : l’impact est d’une violence effroyable. Il n’y a aucun survivant. Les deux boîtes noires – en réalité orange, afin d’être bien visibles – sont vite retrouvées. Addis-Abeba ne disposant pas des technologies pour en lire les contenus (paramètres du vol et voix dans le cockpit), les enregistreurs de vol sont expédiés non pas aux États-Unis – patrie de Boeing –, mais en France, au Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation (BEA) : le président-directeur général d’Ethiopian Airlines, Tewolde GebreMariam, a beau assurer dans un communiqué que sa compagnie « croit en Boeing », la prudence – pour ne pas dire la méfiance – semble de mise… AFRIQUE MAGAZINE

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Un moment de recueillement en mémoire du personnel navigant, à Addis-Abeba.

Il n’y a aucun

survivant.

Dennis Muilenburg, PDG de Boeing. AFRIQUE MAGAZINE

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En tout, des citoyens de 35 nationalités avaient pris place dans la funeste carlingue. 55


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Une flotte pourtant réputée sûre.

LA BATAILLE DU MOYEN-COURRIER

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ancé en 1968, le Boeing 737 est l’avion le plus vendu au monde. Sa quatrième et ultime mouture, le 737 MAX, est construite sur les gigantesques chaînes de montage de Renton, près de Seattle, qui produisaient les bombardiers pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus de 5 000 Boeing 737 MAX ont été commandés depuis 2011 et environ 380 ont parcouru les cieux entre mai 2017 et le crash d’Addis… Pour l’avionneur états-unien, l’enjeu commercial est énorme : le MAX devait concurrencer l’A320neo, du rival européen Airbus, écoulé quant à lui à 6 000 exemplaires ! Le créneau des moyen-courriers (6 500 km de rayon d’action) représente 42 % des profits et deux tiers des commandes de l’avionneur américain : entre le crash de Lion Air en Indonésie, en octobre 2018, et celui d’Ethiopian Airlines en mars 2019, le carnet de commandes de Boeing s’est encore enrichi de pas moins de 248 appareils de type MAX… dont quatre ont été achetés par la Royal Air Maroc (RAM). Refroidi par l’échec commercial du (trop) gros-porteur A380, Airbus a contre-attaqué en présentant en juin, au Salon du Bourget, l’A321XLR : un avion de 200 places qui, avec un rayon d’action étendu à 8 700 km, se classe entre le moyen et le long-courrier. Le concept a séduit : 229 appareils ont été commandés en quelques jours, notamment par American Airlines, l’australienne Qantas et la libanaise Middle East Airlines. Visiblement décontenancé par la commande surprise de 200 Boeing 737 MAX par International Airlines Group (British Airways, Iberia…), Airbus a aussi réclamé au groupe britannique la possibilité de présenter une « contre-offre ». La guerre commerciale entre avionneurs a de beaux jours devant elle… ■ C.G.

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Car les soupçons se portent sur l’avion : un Boeing 737 MAX 8. En quelques mois, c’est la seconde catastrophe aérienne impliquant ce tout nouveau modèle : le 29 octobre 2018, un MAX de la compagnie indonésienne Lion Air s’était abîmé en mer au décollage, entraînant la mort de ses 189 occupants. Mais les compagnies aériennes qui sillonnent l’archipel indonésien ne sont guère réputées pour leur fiabilité : celles-ci subissent en moyenne un crash par an et ont longtemps figuré sur la « liste noire » de l’Union européenne… Rien à voir donc avec la très respectée Ethiopian Airlines : véritable porte-drapeau dans les airs de tout le continent, elle vient encore d’être sacrée – pour la troisième année consécutive – meilleure compagnie d’Afrique [voir encadré page suivante]. Ni ses pilotes ni sa maintenance ne peuvent être suspectés. D’autant que le crash a eu lieu entre deux des métropoles les plus dynamiques d’Afrique. Dans le même communiqué, GebreMariam exprimait AFRIQUE MAGAZINE

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LINDSEY WASSON/REUTERS

Le tarmac de l’usine de Renton, aux États-Unis, où sont fabriqués les fleurons du constructeur.


STR/EPA-EFE

Tewolde GebreMariam, PDG d’Ethiopian Airlines, réceptionne le 2 juillet 2018 le premier des 30 appareils 737 Max, commandés par la compagnie.

Les données erronées « forcent » l’avion à plonger, même quand les pilotes tentent de le redresser manuellement. AFRIQUE MAGAZINE

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sa crainte que la tragédie ne renforce « les stéréotypes négatifs » qui – hors du continent – collent hélas encore trop souvent à l’image de son pays. La preuve avec ces accusations suintant le racisme d’un élu trumpiste du Missouri : Sam Graves s’imagine que des pilotes américains auraient réussi, eux, à maîtriser un 737 MAX devenu fou… Le crash a suscité une intense émotion sur le continent, les Africains exprimant leur solidarité avec les victimes sur les réseaux sociaux. VINGT MILLIARDS DE DOLLARS DE MANQUE À GAGNER Les jours suivants, les compagnies clouent une à une au sol leurs Boeing 737 MAX : Royal Air Maroc (RAM) est l’une des premières à réagir, remisant au garage son unique MAX juste après le crash. La Chine fait de même le lendemain. Et, dès le mercredi 13 mars, les 737 MAX sont interdits de vol sur tout le globe. Les pertes financières sont considérables : vols annulés ou reportés, remboursement des passagers, paiement des loyers dans les aérogares, location d’autres appareils, etc. Norwegian Air Shuttle, furieuse que « des avions flambant neufs ne puissent pas voler », jure d’envoyer l’ardoise à Boeing. Les compagnies ont « sans doute perdu 20 milliards de dollars de revenus et 1 milliard de dollars de marges », nous précise Didier Bréchemier, spécialiste du transport aérien au cabinet français Roland Berger. Un coup dur pour Boeing, qui comptait sur le MAX pour concurrencer Airbus [voir encadré précédent]. Dès avril, le constructeur chiffre le coût de cette immobilisation à 1 milliard de dollars. Sans compter le traumatisme que représentent ces 346 vies fauchées : « Je connais bien les gens de Boeing, nous confie Michel Merluzeau, expert

chez Air Insight Research, basé à Seattle, siège de l’avionneur. Ces hommes et ces femmes sont très affectés par ces tragédies. Il n’y a pas une seule personne qui ne se sente pas responsable à son niveau. » « LE TRAVAIL N’A PAS ÉTÉ FAIT CORRECTEMENT » L’enquête devrait prendre douze mois. Mais Addis-Abeba a rendu public le 4 avril un rapport préliminaire. Le scénario de la catastrophe est a priori le suivant : le MAX dispose de moteurs plus lourds que les anciens modèles de 737. Afin de compenser, un système baptisé MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System) stabilise l’avion. Cette compensation est calculée par des sondes AOA (Angle of Attack). Or, la sonde située à droite donnait un angle de 15 °, mais celle de gauche, un angle de 74 °. Un chiffre incohérent. A-t-elle été endommagée par une collision avec un oiseau ? Toujours est-il que le sys-

viennent aussitôt la pallier pour éviter le crash… « Ce n’est pas correct d’attribuer à un seul événement » ces accidents, s’est mollement défendu en avril le PDG de Boeing, Dennis Muilenburg. Que l’on se rassure : il est désormais prévu que le système MCAS se désactive si les deux sondes AOA lui apportent des données contradictoires… Reste que le Wall Street Journal a dévoilé que, dès 2018, la FAA (Federal Aviation Administration) américaine avait envisagé de clouer au sol les 737 MAX après avoir appris que Boeing avait rendu optionnel – et payant ! – le signal alertant d’un dysfonctionnement du MCAS. Pire : à la mi-mai, le New York Times et CBS News ont révélé que le 27 novembre 2018, peu après le crash en Indonésie, des pilotes d’American Airlines avaient supplié le vice-président de Boeing, Mike Sinnett, de corriger ce fameux MCAS, expliquant que leurs infortunés collègues de Lion Air « ne savaient même pas que ce damné système était installé

Le continent a exprimé sa solidarité avec les victimes sur les réseaux sociaux.

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tème MCAS s’est fié à ces données erronées… et a obstinément forcé l’avion à plonger, même quand les pilotes ont tenté de le redresser à coups de manivelle ! « L’équipage a effectué à plusieurs reprises toutes les procédures fournies par le fabricant » sans être « en mesure de reprendre le contrôle », a indiqué la ministre éthiopienne des Transports, Dagmawit Moges. Or, dans le cas du crash en Indonésie, l’une des sondes AOA était elle aussi défectueuse. Pourtant les avions sont en principe conçus sur le principe de la « redondance » : c’est-à-dire que lorsque surgit une défaillance, d’autres systèmes

sur l’avion ». Peu après ces révélations, Boeing reconnaissait que le simulateur de vol formant au pilotage des 737 MAX ne pouvait recréer les conditions ayant entraîné la tragédie d’Addis… « Le travail n’a pas été fait correctement, c’est clair, nous glisse Michel Merluzeau. Ils n’ont pas anticipé le problème. » LE PROCESSUS DE CERTIFICATION AURAIT ÉTÉ BÂCLÉ L’avocat américain de plusieurs proches de victimes, Nomaan Husain, entend demander à l’avionneur 276 millions de dollars de dommages et intérêts. Soit une journée de revenus bruts AFRIQUE MAGAZINE

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AMR ABDALLAH DALSH/REUTERS

du groupe… « Le coût total pour Boeing devrait être compris entre 3 et 5 milliards de dollars, nous déclare Richard Aboulafia, vice-président du Teal Group Corporation, cabinet d’études américain spécialisé dans le secteur aérien. Les assurances en prendront une partie en charge. Et Boeing gagnant 10 milliards de dollars par an, cela ne menace pas sa survie à long terme. » Richard Aboulafia estime même que « le 737 MAX volera de nouveau d’ici à la fin de l’année ». Mais en guerre commerciale contre les États-Unis, « la Chine pourrait traîner des pieds pour des raisons politiques ». Au Salon du Bourget, en juin, le groupe britannique International Airlines Group (IAG) a annoncé la commande de deux cents 737 MAX, pour 24 milliards de dollars ! « Pour Boeing, c’est l’engagement d’un client important, disposant d’un département ingénierie respecté, souligne Aboulafia. IAG a obtenu des remises. » En France, le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) met en garde l’Agence européenne de la sécurité aérienne (Aesa) quant à un éventuel feu vert des autorités étatsuniennes au retour du 737 MAX, doutant de l’impartialité de ces dernières : « Les seuls points de vue de Boeing et de la FAA ne sauraient suffire. » Ce n’est rien de le dire : selon les informations du Seattle Times du 17 mars, qui cite des ingénieurs de Boeing, la FAA aurait, en 2015, bâclé le processus de certification du MCAS, pressée de faire voler le 737 MAX pour damer le pion au rival européen Airbus ! Et pourtant : Chelsey Sullenberger, le pilote héroïque qui, en 2009 à Manhattan, a sauvé les passagers de son avion en se posant sur la rivière Hudson, a essayé le simulateur de vol du 737 MAX. Son verdict ? Il dit « comprendre pourquoi les pilotes [des deux crashs, ndlr] ont manqué de temps »… Autre souci pour l’avionneur : à la fin de juin, CNN révélait que des tests montreraient un autre problème au sein du MAX, un AFRIQUE MAGAZINE

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La compagnie, en tête des classements pour la troisième année consécutive, inspire confiance.

LES AILES DE L’AFRIQUE

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e crash du Boeing 737 MAX a frappé une compagnie aérienne en pleine forme : Ethiopian Airlines est la première du continent. Elle a dépassé en août 2018 la barre symbolique des 10 millions de passagers transportés par an, loin devant ses concurrentes RAM et South Africa Airways (environ 7 millions de passagers chacune). Ethiopian Airlines dessert désormais 119 destinations à l’international, dont New York, Chicago et Buenos Aires, et compte 12 000 salariés. Sa flotte comprend plus de 100 appareils et devrait doubler d’ici à 2025. L’aéroport Bole d’Addis-Abeba a dépassé Dubaï en tant que porte d’entrée en Afrique : d’importants travaux de rénovation, terminés en janvier, vont lui permettre de tripler ses capacités pour accueillir 22 millions de passagers par an. Forte d’un chiffre d’affaires de 3,2 milliards de dollars, Ethiopian Airlines, propriété de l’État éthiopien, signe par ailleurs des partenariats tous azimuts avec les pays africains souhaitant (re)lancer leur compagnie nationale… en échange d’une prise de participation minoritaire : Guinée, Guinée équatoriale, Ghana, Tchad, Mozambique, Zambie… Elle détient également 40 % du capital de la compagnie privée togolaise Asky. ■ C.G.

défaut dans un microprocesseur qui serait, lui aussi, susceptible de faire plonger l’avion ! Mais lorsqu’il revolera, le 737 MAX sera cent pour cent sûr, assure Didier Bréchemier : « Boeing ne peut se permettre un troisième crash et sera très vigilant sur la sécurité. D’autant que les pilotes vont exiger des garanties. » Michel Merluzeau rappelle que ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’aviation qu’un modèle subit une série de crashs : « Mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, Boeing est confronté à un environnement communicationnel très différent. » Internet a une mémoire

infaillible, le client est un roi exigeant, et les passagers pourraient y regarder à deux fois avant de réserver un vol sur un MAX… « Pour des raisons commerciales, confrontées à une méfiance du public envers ce modèle, on peut imaginer que certaines compagnies se tournent vers la concurrence », estime Didier Bréchemier. Un signe qui ne trompe pas : Ethiopian Airlines, malgré ses liens historiques avec les États-Unis – la compagnie fut fondée en 1945 avec l’appui de Trans World Airlines (TWA) –, envisage désormais de compléter sa flotte avec des Comac C919… chinois. ■ 59


INTERVIEW

Yasmina Khadra

« Une œuvre n’est jamais totalement achevée » GÉRALDINE BRUNEEL

Avec son polar magistral L’Outrage fait à Sarah Ikker, l’auteur algérien inclassable crée de nouveau la surprise et nous entraîne dans les ruelles mystérieuses de Tanger. Sa plume trempée dans le vitriol reste intacte. par Fouzia Marouf

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AM : Où est née l’idée de votre nouvel ouvrage, qui se déroule dans les venelles sombres de Tanger ? Yasmina Khadra : À Tanger justement, lors du salon du livre il y a trois ans. Des Marocaines étaient venues me proposer d’écrire un roman sur leur ville. Et je leur avais promis d’y réfléchir, car Tanger m’a toujours fasciné. C’est une cité antique, hantée par son passé et désireuse d’aller de l’avant. Elle a su concilier la mémoire de ses vieilles ruelles et la projection futuriste de ses quartiers modernes. Elle dispose d’un port où se sont amarrés autant de navires que de légendes. Ces faubourgs d’autrefois grouillent encore de fantômes de marins venus de différents horizons, avec leurs cultures et leurs mentalités, de flibustiers au regard ténébreux, d’aventuriers hallucinés, de conquistadors convalescents et de femmes mystérieuses tapies dans les portes cochères en quête de pères de famille à pervertir. Il y avait aussi des poètes, 62

des troubadours, des charmeurs de serpents et des badauds, quelques roitelets naufragés et des seigneurs désargentés. Cette ville a tout pour enchanter. Malgré la muflerie des âges, elle demeure aussi attachante qu’une vestale vieillissante qui refuse de croire qu’elle est finie. Depuis ma première rencontre avec Tanger en 2003, j’ai eu envie de la raconter. Comme son histoire m’échappe, j’ai décidé de l’inventer à travers l’histoire de Sarah et Driss Ikker. Est-ce une façon de rendre hommage à vos oncles indépendantistes, qui ont combattu aux côtés des Rifains ? Je ne crois pas. J’ai toujours eu une passion pour le Maroc. Lorsque j’étais soldat, je priais pour n’avoir jamais à croiser le fer avec un Marocain. La guerre froide qui polluait les rapports de nos pays ne parvenait pas, dans mon esprit, à scinder en deux notre même nation. Notre histoire est commune, comme l’est notre destin. Ma tribu entretenait des relations séculaires avec les tribus rifaines et les sultanats chérifiens successifs. Une bonne partie de nos épouses venait du Rif, scellant ainsi des alliances indéfectibles. Deux de mes oncles sont partis rejoindre le chef Abdelkrim el-Khattabi et se sont illustrés durant l’insurrection rifaine, en particulier mon

BIBLIOGRAPHIESÉLECTIVE ◗

2019 : L’Outrage fait à Sarah Ikker, Casbah et Julliard

2005 : L’Attentat, Julliard

2002 : Les Hirondelles de Kaboul, Julliard

oncle paternel, Abderrahim Moulessehoul, dit MohandAmokrane, un guerrier intrépide qui avait promis d’étendre l’insurrection d’el-Khattabi jusqu’en Algérie en soulevant les spahis contre l’armée coloniale. Il ne s’est d’ailleurs jamais relevé de l’échec de sa mission avortée et est mort en 1993, pauvre, misérable et aveugle à Bidon deux [ville désormais appelée Béchar, en Algérie, ndlr]. Le personnage principal, le commissaire Driss Ikker, est un Rifain au sens de l’honneur très élevé, dont les caractéristiques morales rappellent celles du commissaire Llob, incorruptible, qui apparaît dans plusieurs de vos livres. Hormis leur berbérité, les deux sont aux antipodes l’un de l’autre. Llob est une sorte de héros désabusé, un ancien maquisard qui n’oublie pas le serment fait aux martyrs et qui, malgré la déconfiture de la nation, s’évertue à défendre les AFRIQUE MAGAZINE

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idèle à sa veine empreinte de véracité, l’écrivain et ex-officier algérien (il a passé trente-six ans dans l’armée), Mohamed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra, signe un nouveau polar, L’Outrage fait à Sarah Ikker. Publié le 2 mai dernier en France, en Algérie et en Tunisie, ce récit haletant et syncopé qui a comme décor la mythique cité du détroit, Tanger, suit un jeune commissaire, Driss Ikker, brisé par l’agression de sa femme, Sarah. L’auteur y parle une langue âpre et poétique, renouant avec l’œuvre l’ayant révélé au grand public, L’Automne des chimères. Celle-ci clôturait en 1998 sa trilogie policière, précédée de Double blanc et Morituri, qui se déroulaient dans une Algérie exsangue, au plus fort de la décennie noire. En 2001, il publie le récit autobiographique L’Écrivain, dans lequel il retrace son destin atypique. Vivant désormais en France, cet auteur prolifique traduit dans une cinquantaine de pays poursuit sa quête obstinée d’universalité à travers des œuvres singulières, comme Les Sirènes de Bagdad, L’Attentat ou encore Khalil, saluées sur la scène littéraire internationale. Khadra y dissèque sans complaisance l’endoctrinement, le terrorisme et le fanatisme. Dans son dernier polar, il est question de soif de justice dans la société marocaine, faisant écho à la révolution citoyenne algérienne.


BENSALEM-APP/ANDIA.FR

Pour l’écrivain, le peuple algérien a décidé de se réapproprier les espaces qui lui ont été confisqués. Ici, une manifestation contre le prolongement du quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, à Alger, le 15 mars 2019. valeurs ancestrales. Driss, lui, a rejoint le corps de police pour changer de vie, se bâtir une carrière et divorcer d’avec la misère des damnés de la terre. Il n’a pas d’idéal, il a une condition sociale à améliorer. Certes, il est honnête, mais c’est aussi un ambitieux peu regardant sur la manière d’arriver à ses fins. Dans L’Outrage fait à Sarah Ikker, vous exposez sans complaisance les petits arrangements, la corruption et le recours à la hogra [« mépris », ndlr] des nababs envers les petites gens, dans une société tangéroise où voyous et ripoux trouvent leur compte… Je n’ai pas écrit ce livre pour dénoncer la corruption qui sévit au Maroc, et que l’on retrouve en Algérie, au Brésil, en Chine, en Russie, en Europe, et jusqu’au Vatican. La corruption, dans mon roman, n’est qu’un décor, un ingrédient incontournable dans la recette du polar. Il s’agit d’une approche sociologique et culturelle vis-à-vis du couple maghrébin, de la place qu’occupent les femmes dans notre société – trône ou siège éjectable – et de l’influence de la communauté sur l’intimité et l’intégrité des individus. Chez nous, le sens de l’honneur – que la prédation outrancière et les manœuvres scélérates de la survie dans un monde à la dérive ont littéralement torpillé –, ou bien ce qu’il en reste, recouvre sa plénitude lorsqu’il s’agit de jeter l’opprobre sur les femmes. C’est Sarah qui a été agressée, mais c’est Driss qui est à plaindre. Mon roman s’arAFRIQUE MAGAZINE

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ticule autour de cette méprise grossière, injuste et hypocrite. Bien sûr, il y a anguille sous roche, et les lecteurs sont invités à traquer tout cela. Vous y évoquez aussi le sort peu enviable des migrantes originaires d’Afrique subsaharienne, en errance et en souffrance, contraintes de se prostituer car elles sont sous le joug de leurs aînés dénués de scrupules… Là encore, il s’agit d’une escale dans les turbulences de notre époque. J’essaye d’apporter un regard plus large sur le naufrage d’un continent. Sans trop m’attarder non plus dessus, puisque le sujet de mon roman est ailleurs. Lorsque j’écris, il m’arrive de convoquer certains détails périphériques pour mieux cerner mon terrain de manœuvre. Je ne me contente pas de raconter une histoire, je la situe dans son espace et son temps. Est-ce l’onde de choc du mouvement #MeToo qui vous a poussé à aborder au fil de ce récit la question du viol, sujet tabou dans la société arabo-musulmane encore conservatrice ? Pas du tout. J’avais besoin de m’évader, de vivre une autre expérience. Après Khalil, un ouvrage qui m’a sévèrement épuisé, j’ai opté pour un polar afin de me réinventer. J’ai voulu partager un autre voyage avec mes lecteurs. Tanger est une destination intéressante, un dépaysement nécessaire pour un écrivain qui aime se diversifier. 63


INTERVIEW YASMINA KHADRA : « UNE ŒUVRE N’EST JAMAIS TOTALEMENT ACHEVÉE »

Les femmes de cette intrigue policière, un brin manipulatrices, révèlent un certain cynisme… Manipulatrices ? Je ne crois pas, non. Elles sont victimes des traditions et tentent de se serrer les coudes. Un rien les fragilise, et le moindre faux pas les voue aux gémonies. Elles ont beau faire montre d’une maturité évidente, elles demeurent subordonnées aux hommes, même lorsque ces derniers ne sont que l’ombre d’un improbable pouvoir. Les femmes, chez nous, sont une fausse donne, et les hommes, un atout qui s’oublie sous la manche. Mais je suis convaincu que dans ce jeu de cartes brouillées, ce sont les femmes qui emporteront la der. Leur combat est juste et nécessaire. Nos sociétés ont besoin de s’émanciper, et aucune émancipation n’est possible sans celle des femmes. Ceci est valable en Occident également, car les femmes ne sont épargnées nulle part, d’où le malheur de l’humanité entière. Votre œuvre singulière, riche en sagas, romans, polars, met en scène des héroïnes complexes : Zunaïra, avocate interdite d’exercer, dans Les Hirondelles de Kaboul (2002), Sihem, kamikaze secrète et déterminée, dans L’Attentat (2005), ou encore Aïda, prostituée, dans Les anges meurent de nos blessures (2013)… Les femmes sont omniprésentes dans mes ouvrages. Parce qu’elles sont omniprésentes dans la vie. En Occident comme en Orient, moins on les voit, plus on mesure l’étendue de leur absence et, par voie de conséquence, celle-ci n’en devient que plus pressante, un peu comme un manque chez les victimes d’addiction. Je n’arrive pas à situer les raisons de la disqualification des femmes chez nous, ni la dépréciation de leur apport dans les sociétés dites modernes. C’est d’un arbitraire insoutenable ! Malheureusement, les mauvaises habitudes ont la peau dure, et beaucoup s’y complaisent. Que faire pour aider les hommes à recouvrer la raison ? Je l’ignore. Nous avons plus de chances d’apprivoiser un crocodile que d’assagir un abruti. Après l’adaptation de votre roman Ce que le jour doit à la nuit (2008), une histoire d’amour qui a inspiré un long-métrage du même nom en 2012, un autre de vos récits, Les Hirondelles de Kaboul, sur l’obscurantisme cette fois-ci, vient d’être adapté en film d’animation par Zabou Breitman. Quel a été l’accueil qui lui a été réservé au 72e Festival de Cannes, où vous étiez présent ? Nous avons eu droit à une émouvante standing-ovation. Je ne suis pas resté longtemps à Cannes. Je suis rentré chez

moi dès la fin de la projection, car j’avais un emploi du temps particulièrement chargé. Vous avez également été approché par des sociétés de production américaines, séduites par votre souffle romanesque. Où en êtes-vous de ce côté ? Au point mort. Certains projets cinématographiques mettent beaucoup de temps à se mettre en place, d’autres se perdent en chemin. Il m’est arrivé de travailler durant dix-huit mois sur une série pour une grosse boîte, avant que le projet ne tombe finalement à l’eau. Sans être payé. Un gros producteur m’a sollicité pour une autre série autour d’un personnage paradoxal, un dictateur décrié partout. Quand le producteur a obtenu de moi ce qu’il voulait, il m’a écarté du projet. Tout simplement. C’est un monde terrible, l’audiovisuel. Il faut être assez solide pour tenir le coup. Par ailleurs, j’ai refusé l’adaptation de deux de mes romans, Qu’attendent les singes (2014) et Les anges meurent de nos blessures, parce que je n’ai pas été convaincu par les réalisateurs. Je préfère attendre que m’enthousiasmer pour quelque chose qui pourrait me décevoir. Que faites-vous pour vous déconnecter, pour faire le vide après avoir achevé l’écriture d’un roman ou d’un scénario ? On ne fait jamais le vide d’un texte que l’on vient de commettre. Il continue de tourner en boucle dans notre tête. On ne recouvre un semblant de répit que lorsqu’il est publié. Et encore, lorsque je relis les épreuves non corrigées, et parfois le texte édité, je me dis que j’aurais pu ajouter une phrase par-ci, élaguer un peu par-là. Une œuvre n’est jamais totalement achevée. Puisqu’elle n’est pas jamais parfaite. Pour échapper à ce « reliquat » envahissant, je débranche mon ordi. Pendant plusieurs jours, je ne lis plus rien, ni presse ni livres. S’il fait beau, je sors me dégourdir les jambes et l’esprit. J’aime marcher au hasard, m’asseoir sur un banc public, ou bien m’attabler à la terrasse d’un café et passer un moment à observer les badauds. Par temps de grisaille, je reste chez moi, face à la télé, à zapper tous azimuts, jusqu’à ce que mon épouse me rappelle à l’ordre. J’oublie mes soucis en regardant un match de foot ou un documentaire animalier. Il m’arrive de m’emmurer chez moi pendant plusieurs jours, à ne rien faire. Après, je me sens ressourcé, et je me surprends à écrire un nouveau livre. C’est parce que je m’ennuie que j’écris tout le temps : des poèmes, des nouvelles, des articles pour la presse. Parfois, j’ai deux ou trois romans en chantier, et je m’en veux de ne pouvoir me concentrer sur un seul.

« C’est parce que je m’ennuie que j’écris tout le temps : des poèmes, des nouvelles, des articles… »

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DR - LES ARMATEURS (2)

Sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, Les Hirondelles de Kaboul, adapté par Zabou Breitman, a eu droit à une standing-ovation.

Est-ce que vous vous ennuyez autant à Oran qu’à Paris ? À Oran, je n’ai pas le temps de m’ennuyer. J’ai tellement d’amis à retrouver, tellement de choses à rattraper. Je me lève assez tôt et vais au café d’à côté, certain d’avoir aussitôt de la compagnie. On m’arrête dans la rue, on m’invite autour d’une tasse de café, et on bavarde, on papote, on fait et on défait le monde. Les Algériens veulent comprendre. Ils ne se posent pas toujours les bonnes questions, mais exigent des réponses à tout. Ma journée commence et finit de la même façon, dans un café. Et puis, il y a la famille, les anciens voisins, les quelques visages perdus de vue. Pour moi, c’est une formidable cure. Je m’enrichis de chaque sourire, de chaque clin d’œil. J’ai la chance d’être soutenu par les miens. C’est d’ailleurs grâce à mes lecteurs que je tiens debout. Croyez-vous au renouveau d’une république algérienne populaire plus démocratique, qui rendrait sa place aux femmes, ayant combattu lors de la guerre de libération, et à la jeunesse, qui a impulsé les premiers mouvements de contestation dès le 22 février dernier ? Croire pourrait n’être qu’un vœu pieux si l’on se contentait d’attendre au lieu d’aller chercher. Aujourd’hui, le peuple algéAFRIQUE MAGAZINE

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rien a décidé de réinvestir la place et de se réapproprier les espaces qu’on lui a confisqués. Il veut recouvrer sa dignité, qu’on lui restitue les moyens de ses aspirations. Certes, il a mis du temps, mais il n’est jamais trop tard pour se reprendre en main. Le régime voyoucratique, qui a sévi pendant des décennies, a laissé des traces, voire des traumatismes très sérieux, dans les esprits. Après avoir corrompu jusqu’aux consciences, banni l’excellence pour promouvoir la médiocrité, bafoué les valeurs et privilégié l’infamie, après avoir défiguré notre image dans le concert des nations et appauvri nos énergies, faussé nos repères et désavoué nos prières, le voilà qui s’entête à s’accrocher à son épave. Il refuse de céder la place. Cela va être très difficile de le déloger, mais nous sommes obligés de nous débarrasser de lui. Notre problème est de taille : le mouvement populaire n’arrive toujours pas à se faire incarner par des personnes en mesure d’accélérer la fin du système. Il y a une cacophonie assourdissante qui chahute le débat. Chaque fois qu’une figure du hirak est proposée pour conduire la marche du peuple, on lui sort des casseroles hautement tintinnabulantes, comme si, dans notre pays, tout le monde était contaminé. Ajoutons à cela les manœuvres de division, les mouches électroniques qui saturent les réseaux sociaux, l’ignorance du peuple d’en bas, que n’importe quelle rumeur emporte comme une crue, les traditionnelles rancœurs… Enfin, toutes ces incompatibilités qui donnent du fil à retordre et empêchent de se rassembler autour d’un destin commun. Rien ne relève d’une sinécure lorsqu’il s’agit de faire renaître un monde meilleur, mais toutes les épreuves sont surmontables lorsque l’on y met du cœur. Et les Algériens ont un cœur plus grand que l’océan. ■ 65


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INTERVIEW

Nawel Ben Kraïem « Le droit de prendre la parole »

Phénomène de la pop orientale, la chanteuse franco-tunisienne séduit dans le monde arabe comme en Europe. Par mon nom, son nouvel EP, explore avec force et poésie ses identités multiples et mêle les sonorités des deux rives de la Méditerranée. propos recueillis par Astrid Krivian

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INTERVIEW NAWEL BEN KRAÏEM : « LE DROIT DE PRENDRE LA PAROLE »

« On peut faire bouger des choses par cet endroit de l’intime, de manière presque plus forte que par le discours politique. »

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est une voix éraillée, rauque, au grain rare et singulier, qui se distingue dans le brouhaha strident du café parisien où on la rencontre. Tatoué discrètement, un poisson orne son poignet, symbole de protection en Tunisie contre le mauvais œil, ces « énergies du monde visible et invisible qui interfèrent et peuvent nous désaxer », précise-t-elle. Un triangle berbère, que sa grand-mère arborait au visage, accompagne le motif. La filiation fait sens pour cette artiste inspirée par ses racines. Auteure-compositrice-interprète, elle se présente comme hybride : petite-fille de paysans évoluant dans les capitales modernes ; Franco-Tunisienne aux cheveux blonds et lisses qui revendique son africanité ; éclectisme musical allant du grunge de Nirvana aux chansons d’amour de Warda, en passant par le hip-hop ; férue de poésie, du style cru de Charles Bukowski au lyrisme de Mahmoud Darwich. Patchwork d’influences, sa musique est à l’image de celle qui a grandi sur les deux rives de la Méditerranée. Née d’un père tunisien et d’une mère française, elle quitte Tunis pour la France à l’âge de 16 ans. On l’a vue également comédienne, aux côtés de Hafsia Herzi dans L’Amour des hommes (2018), de Mehdi Ben Attia, et dans Indignados (2012), de Tony Gatlif. Après Navigue (2015), un premier EP déjà prometteur, elle présente le très réussi Par mon nom, où les rythmes urbains électroniques rencontrent les sonorités organiques de la mandole et du guembri… Ses mélodies catchy et ses textes poétiques (sur la double culture, l’exil, le patriarcat…) ajoutent à ses mots français la puissance métaphorique de la langue arabe. Nawel Ben Kraïem nous invite à faire une force de notre identité plurielle, à la transcender, à la réinventer.

AM : Vous présentez votre chanson « Par mon nom » comme une réflexion sur l’identité. En quoi un nom peut-il générer des projections dans le regard de l’autre ? Nawel Ben Kraïem : Malgré nous, notre nom, notre origine, notre religion, notre sexe portent des schémas sociaux – auxquels on s’identifie ou non – qui nous « coordonnent » dans ce monde et nous définissent aux yeux de l’autre. En avoir conscience permet 68

aussi de s’en libérer, de faire un pas de côté, de réinventer un modèle. Par mon nom, ma filiation, j’appartiens à une communauté maghrébine et je porte malgré moi l’histoire de la France avec le Maghreb et ses anciennes colonies… Parfois, j’ai envie de le raconter, d’explorer cet héritage, car c’est une richesse. Mais j’ai aussi envie de m’en défaire, de dire que ce n’est pas mon problème, car je n’ai pas choisi ces coordonnées. Je fais de l’art sans doute pour cela : tordre les lignes, réinventer les choses. Qu’avez-vous hérité de votre famille de militants ? Votre père, professeur, le seul de sa fratrie à ne pas être devenu berger, plaçait l’éducation au centre de tout… J’ai acquis une aptitude et une habitude à évoluer dans le collectif. Déjà, avec quatre enfants, il y avait beaucoup de monde à la maison. Le milieu militant exige de collaborer avec l’autre, dans un rapport constant au groupe. Cela m’a habituée à écouter des points de vue différents et à être sensible aux revendications de justice. Nous vivions dans le contexte d’une Tunisie élitiste, sous un dictateur [Ben Ali, ndlr] très attaché à la façade : maintenir un pays propre pour les touristes, des partenariats économiques avec l’Europe en bon fonctionnement, mais à l’intérieur les populations, en particulier rurales, étaient délaissées, dénigrées. Ce chef ne portait pas une vision socialiste, encore moins communiste. De plus, nous habitions Tunis. Ville de privilèges pour privilégiés, à l’époque, avec un entre-soi de grandes familles tentaculaires dirigeant tout. Ma propre famille était à l’opposé de cela. Mon père avait eu accès aux études sous Bourguiba [président de 1957 à 1987, ndlr]. Il m’a transmis cette conscience aiguë de ce que sont un dominé et un dominant, une classe défavorisée, un milieu sans privilèges. Pour mes parents, il fallait faire entendre les voix de ceux qui le méritaient. Et puis, j’ai compris aussi ce que représentait socialement un nom, justement. Qu’il soit celui d’une grande famille de Tunis ou celui d’une moins aisée, le nom, dans ce pays, permet de te situer. En quoi vos origines rurales vous ont-elles construite ? Mes grands-parents, français et tunisiens, étaient tous paysans. Leur savoir-vivre et leur simplicité sont des repères pour moi. Leur regard sur le monde m’a forgée dans ce rapport à la terre, la connexion aux saisons, qu’on oublie dans un monde industrialisé, citadin, rythmé par les hommes et non plus par la nature. La terre questionne aussi l’identité en nous AFRIQUE MAGAZINE

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rappelant à quel point les frontières sont arbitraires. La poésie raconte avec force cet attachement. L’un de mes poètes favoris est d’ailleurs le Palestinien Mahmoud Darwich. Qu’est-ce qui vous a attirée dans le théâtre, votre première passion artistique ? Le langage de l’intime, une rencontre avec l’âme humaine. Me glisser dans la peau de personnages, raconter des émotions… Un manque parfois, au sein d’une famille nombreuse, où l’on parlait beaucoup du groupe, de la société. Avec ma sensibilité, je ne trouvais pas ma place pour dire des émotions non politiques, comme la solitude, la mélancolie. Sur scène, mon moi profond s’exprimait. On peut faire bouger des choses par cet endroit de l’intime, de manière presque plus forte que par le discours politique. Si je ne l’incarne pas à travers un fil intérieur, mon regard plus politique sur le monde ne me parle pas. Ensuite, avant d’oser élever la voix pour chanter, je déclamais des poèmes en musique, puis les mettais en mélodie. C’est ainsi que j’ai commencé la musique : par les mots et leurs sonorités, plus que par le chant. Est-ce aussi la langue arabe, qui vous a appris l’amour de la poésie ? Oui. C’est une langue très imagée. Tout est un peu symbolique. Je traduis en musique cette façon de parler. Comme en littérature francophone africaine, où l’on sent un imaginaire venu d’ailleurs. Une rencontre entre une façon de penser et une langue. C’est un territoire très intéressant à explorer. Au niveau émotionnel, heureusement que j’ai l’arabe, qui est beaucoup moins cérébral. Dans les chansons comme dans le malouf, on répète plusieurs fois le même couplet, la musicalité vient beaucoup des inflexions et des accents, on n’a pas peur d’être au service de la mélodie. Au contraire de la chanson française, qui cultive cet attachement aux mots, passionnant aussi. J’explore un abandon, un lâcher-prise dans la langue arabe et j’essaie de le rattacher aux mots français. Pour leur ajouter de la vibration. C’est important pour vous d’inverser l’image négative de cette langue, qui persiste encore en France ? Oui. J’ai été confrontée à une violence systémique. Certaines radios me demandaient d’enlever la partie de ma chanson en arabe pour la diffuser. Comme si cette langue charriait l’imaginaire d’une culture agressive, barbare, terroriste, rétrograde, avec des femmes soumises… Plutôt que de donner AFRIQUE MAGAZINE

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la voix à des figures positives, liées à la poésie, à la douceur, à la générosité, à la force, on préfère effacer nos spécificités. J’aimerais valoriser cet imaginaire. Je ne suis pas dans le déni, il y a dans le monde arabe des combats à mener, auxquels je prends part. Mais il y a aussi tant de choses positives que portent cette langue, ces gens. J’aimerais que ce soit plus représenté, car c’est tellement apaisant. Cette visibilité de figures positives est importante pour que les jeunes puissent s’y identifier. Comment est née votre voix de chanteuse au grain rocailleux ? Petite, je sentais qu’elle sortait du lot, et j’aurais préféré qu’elle soit plus fine. Mes sœurs ont des voix plus classiques, et quand on chantait ensemble je faisais toujours le chœur des hommes. Ce grain prenait trop de place, je ne savais pas quoi en faire, donc je ne me projetais pas du tout comme chanteuse. J’ai mis du temps à m’assumer, mais j’ai compris plus tard à quel point nos singularités sont des forces. J’ai pris des cours de chant sur le tard pour être performante en tournée et acquérir des outils techniques (vocalises, respiration…). J’aime ce rapport instinctif au chant et à la musique, avec l’idée d’un parcours autodidacte. Arrivée en France à l’âge de 16 ans, avez-vous mis du temps à vous sentir légitime dans le fait de porter un regard sur votre second pays ? Oui. Ce n’était pas conscient, je m’assignais le rôle de celle qui débarque de Tunisie et a juste le droit de dire ce qui se passe là-bas, mais pas celui de donner son avis sur les injustices ici, sur son vécu d’une double culture. En musique, on était renvoyés à une catégorie de niche, comme la « world music », en marge de la prise de parole dominante. En participant au projet Méditerranéennes, de la chanteuse Julie Zenatti, ma voix a eu un écho auprès d’une audience plus large. Un soulagement : je pouvais être une chanteuse française, pas seulement écoutée par ceux qui étaient initiés au monde arabe, avec le droit de prendre la parole pour tous, et pas uniquement pour ma communauté. Donc je n’ai pas hésité quand une maison de disques plus mainstream m’a fait une proposition et m’a encouragée à chanter en français. Plus jamais, je ne me priverai de cela, car c’est vraiment un plaisir d’être comprise. Si à la fois les émotions et le discours passent, c’est très agréable. Avez-vous connu des déconvenues à vos débuts dans le milieu du cinéma et du théâtre ? À Paris, j’ai très vite rencontré une agente qui m’a dit : « Soit vous vous teignez en brune, soit vous changez de nom. » J’ai compris qu’on continuait à nous assigner des stéréotypes. Alors que, justement, si on est attiré par le théâtre, c’est qu’on a

envie de jouer d’autres personnages, on s’intéresse au langage des émotions, à ce qu’il y a au-delà d’un nom, d’un physique. C’était violent. J’ai fait un pas de côté et continué à m’exprimer dans ma musique. Au lieu de mon profil hybride, il aurait été plus facile d’avoir le type brunette, voire banlieusarde, je serais rentrée dans leur moule… Maintenant, je suis apaisée. L’hybridité est riche et peut être déclinée en images, dans la mode, en sonorités… Elle peut être une marque ! Vous dites que le métier d’auteur-compositeurinterprète est un métier d’homme… Dès qu’il y a un musicien à mes côtés, on me prend pour l’interprète. Comme si l’on était perçue d’office comme la voix, voire le physique ou la marionnette de la pensée d’un autre. Il y a cette expression commune : derrière chaque grand homme se cache une femme. Mais on pourrait dire aussi que devant chaque grande femme, il y a un homme qui lui fait de l’ombre ! [Rires.] Dans toutes les sphères de la société et dans les milieux professionnels, ce sont majoritairement des hommes qui occupent les postes de pouvoir. Parfois, les femmes intériorisent ce sentiment : pendant longtemps, je n’osais pas m’affirmer réalisatrice ou coréalisatrice de mes clips, par exemple, et je laissais mes idées aux autres, souvent des hommes. Mon approche consiste toujours à apporter de la lumière, de la force et de l’humour, malgré un constat amer. D’où ma chanson « Monde d’hommes », ou comment la figure d’une femme qui danse, créatrice et puissante, est positive. Quelles figures féministes vous ont inspirée ? La militante égyptienne Nawal el-Saadawi, une pionnière dans le monde arabe, à l’origine de nombreux combats, comme celui contre l’excision. Mes parents m’ont appelé Nawel en hommage à elle. L’afroféministe américaine Bell Hooks m’intéresse beaucoup aussi. En France, je suis sensible à l’approche intersectionnelle de Christine Delphy : elle élargit sa réflexion sur le champ de l’humanité pour comprendre d’autres formes d’oppression, comme le racisme. Quels clichés perdurent en France au sujet des femmes dans les pays arabes ? Quand on est une femme arabe, on cumule deux discriminations. Si l’on nous parle de sexisme, c’est pour mieux dévaloriser, dénigrer notre culture, la juger arriérée… Ça devient du racisme ! Il ne s’agit pas d’être dans le déni des problèmes du monde arabe. Mais parler des femmes arabes dans le monde arabe pour faire avancer les choses, c’est différent que d’en parler dans un pays qui a colonisé certains de ces territoires, et qui lui-même a encore des choses à régler avec son propre

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CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE - DR

Extrait de la vidéo de « Dérangés », tournée à l’occasion de Chouftouhonna, le festival d’art féministe de Tunis.

des concerts… Et c’est à ce moment-là que j’ai assumé de faire patriarcat. Parfois, on a envie de dire : de quoi tu te mêles ? Si ce un projet solo, une carrière avec mon regard, mes chansons, n’est pas pour valoriser mais au contraire entretenir cette image mes choix de collaborateurs… Car apparaissaient des espaces de la femme soumise, beaucoup continueront à s’y identifier. possibles pour le faire, et un intérêt. Ce fut donc un tournant. Ça ne fait pas avancer la lutte ! Donnez plutôt la parole à des Quels sont vos endroits favoris en Tunisie ? femmes inspirantes, fortes, et rappelez, par exemple, que la J’adore le centre-ville de Tunis et mon quartier, Denden, Tunisie a donné le droit de vote aux femmes avant la France… très familial, populaire, ancien, qui a beaucoup d’âme. Je Présentez-nous Chouftouhonna, le festival d’art féministe n’aime pas ces quartiers neufs, clinquants, de Tunis, où vous officiez régulièrement inspirés de Dubaï. Dans la banlieue nord, en tant que membre du jury… en bord de mer, belle mais parfois un peu C’est une programmation artistique snob, la Goulette a su rester populaire pluridisciplinaire, avec un angle militant. tout en conservant son charme. On y sent Au cours de conférences, de rencontres, encore l’âme cosmopolite de cet ancien on réfléchit, par exemple, aux questions quartier juif. Nous avons tourné le clip de genre, au fait de penser un féminisme de « Dérangés » dans des endroits publics relié à un contexte culturel précis. phares de la capitale, où la danseuse Pendant longtemps, des voix se sont militante Ari De B effectue le waacking, élevées pour déterminer ce qu’était « une une danse politique d’empowerment issue femme libre ». Mais il y a des spécificités des milieux gays « racisés » aux États-Unis. de classe, de culture, d’ethnie… Notre Mon pays, ainsi que l’Algérie m’inspirent génération est l’héritière de visions plus La musique des mots sur celle du guembri beaucoup, stimulent mes sens. La lumière nuancées, de voix multiples du féminisme et des karkabous… du Maghreb, très particulière, le rythme – afro-américaine, musulmane… des gens, les sonorités des rues… me mettent dans un état de Comment avez-vous vécu disponibilité. Ce sont des pays moins saturés, aussi. la révolution tunisienne, en 2011 ? Ressentez-vous aussi cette part d’africanité en vous ? Je vivais déjà en France et je suis retournée en Tunisie pour Bien sûr. Nous partageons notamment la culture tribale. quelques mois. Pendant mon enfance régnait une peur réelle Mes grands-parents viennent du sud de la Tunisie, d’une tribu de la dictature, qui emprisonnait certains collègues ou amis de bergers qui constituait le village. Notre nom tribal est de mes parents. On pensait que ça ne changerait jamais, qu’il d’ailleurs Frigui, qui signifie « l’Africain ». Parce que le nom fallait partir, que la cause était perdue. Mais même quand c’est « Afrique », Ifrîqiyya, désignait à l’origine la Tunisie et une partie très rigide – comme aujourd’hui en Algérie –, le système n’a de l’Afrique du Nord, avant de s’étendre au reste du continent. jamais les pleins pouvoirs. Cela donne beaucoup d’espoir, efface Pour mon EP, j’ai choisi des instruments comme le guembri, ce sentiment d’impuissance. Chacun a le droit de dire ce qu’il les karkabous, issus des musiques de transe des confréries veut réinventer. Cela a valorisé l’humain et eu un écho intime d’origine subsaharienne : le stambeli en Tunisie, le diwan en très fort chez moi. Cet événement a aussi ouvert une place pour Algérie, le gnawa au Maroc. Leurs rythmes très terriens, leurs les artistes de la nouvelle génération qui chantaient en arabe. répétitions mènent à cet abandon que je recherche sur scène. ■ Il y avait une émulation artistique, des créations d’associations, de festivals, des relais dans le monde arabe, avec une scène alternative en Égypte, donc j’ai participé à des compilations, à Par mon nom, Nawel Ben Kraïem, Capitol, 2018. AFRIQUE MAGAZINE

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PORTFOLIO par Zyad Limam

Un voyage dans le temps

C’est à Bruxelles, au Bozar, le palais des beaux-arts de la capitale belge, que se découvre « IncarNations », exposition majeure et expérience artistique africaine unique, novatrice et ambitieuse. Avec un duo à la manœuvre. Kendell Geers, plasticien sud-africain de renom et bruxellois d’adoption, a pu plonger dans la collection de l’entrepreneur congolais Sindika Dokolo. En sélectionnant 150 œuvres parmi une collection de plus de 5 000 pièces, l’une L’exposition se tiendra des plus importantes au monde. L’objectif : jusqu’au 6 octobre 2019, au interroger cet art par une approche africaine, Bozar, à Bruxelles (Belgique). le comprendre en tant que tel, sans le prisme de l’éloignement ni par les grilles de la lecture occidentale. Et puis surtout, aussi, fusionner dans un même espace l’art contemporain et l’art classique. Faire se répondre et correspondre des œuvres à tr travers le temps et l’histoire, dans une fusion émot émotionnelle et spirituelle. Comme le so soulignent Geers et Dokolo, « la p la particularité d’une œuvre d’art afr africaine, c’est que, quand vous la regardez, elle vous fixe droit Kendell d dans les yeux en retour ». Geers

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Sindika Dokolo

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DR - LYDIE NESVADBA - DR

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Yinka Shonibare CBE • How to blow up two heads at once, installation, 2006. © Yinka Shonibare, courtesy of Stephen Friedman Fine Art. AFRIQUE MAGAZINE

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Kendell Geers • Twilight of the Idols, fétiche, 2002. © Courtesy of the artist.

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Samuel Fosso • Sixsixsix, autoportraits au Polaroïd, 2015-2016. © Courtesy Jean Marc Patras Paris. AFRIQUE MAGAZINE

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Anonyme • Sans tit S titre, masque mano de Côte d’Ivoire. © Paso Doble, studio Philippe de Formanoir.

Kehinde Wiley • Hunger, huile sur canevas, 2008. © Kehinde Wiley, courtesy of Deitch Project.

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Mohau Modisakeng • Passage, vidéo, 2017. © Courtesy of the artist and Whatiftheworld. AFRIQUE MAGAZINE

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LE DÉBAT

HUAWEI

L’AFRIQUE COMME FORTERESSE ? La guerre technologique entre Washington et Pékin se cristallise sur le « roi de la 5G ». Orchestré par les États-Unis, l’isolement du géant chinois s’intensifie. Celui-ci pourrait faire du continent sa principale terre de repli à l’international. Une nouvelle « négociation » sino-africaine s’engage… par Jean-Michel Meyer 78

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e monde change, et nous faisons face à de nouveaux défis. Mais Huawei gardera le cap. » Malgré les nuages noirs, soufflés depuis les États-Unis et qui s’amoncellent au-dessus du groupe chinois, Liang Hua, le président du conseil d’administration, réaffirmait, dans le rapport annuel 2018, la détermination de la firme, basée à Shenzhen, à conquérir la planète. Le géant est dans le viseur des autorités américaines depuis l’ère Obama. Et Liang Hua ne peut que constater que, en 2019, les attaques s’intensifient contre l’un des principaux fournisseurs mondiaux d’infrastructures et d’appareils intelligents dans le domaine des technologies de l’information et des communications (TIC). Peut-il garder son cap ? Au plus fort de la guerre commerciale entre Washington et Pékin, Huawei est confronté à un blocus américain depuis le 16 mai 2019. Suspecté d’espionnage au AFRIQUE MAGAZINE

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QILAI SHEN/BLOOMBERG/GETTY IMAGES

Ren Zhengfei, fondateur et PDG de la marque (au centre), à Shenzhen, en janvier 2019.

profit des autorités de Pékin, le groupe est sur une liste noire aux États-Unis, interdisant au deuxième fabricant mondial de smartphones, après Samsung, d’acheter des produits comportant au moins 25 % de composants issus d’une technologie ou de matériaux américains. Il devrait être privé de l’utilisation pour ses smartphones et ses tablettes du système d’exploitation Android, de Google, ainsi que de nombreuses applications : Gmail, YouTube, Google Maps ou bien Messenger, WhatsApp ou Instagram.

L’ÉTAU SE RESSERRE

Le groupe de Shenzhen a obtenu un sursis de quatrevingt-dix jours, jusqu’au 19 août, pour trouver des solutions avec ses 263 fournisseurs américains. Mais l’étau se resserre. Washington maintient la pression pour exclure le chinois, aux États-Unis et auprès de ses alliés, des réseaux 5G – la AFRIQUE MAGAZINE

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prochaine génération de téléphonie mobile, qui transmettra davantage de données et plus rapidement –, qu’il domine largement. L’Australie, la Nouvelle-Zélande le Canada, le Japon et la Grande-Bretagne ont ainsi restreint l’usage des équipements de Huawei dans leurs réseaux de télécommunications et leurs systèmes d’information. Inquiète, l’Union européenne s’interroge encore. Au moment même où la puissance américaine s’abat sur le géant, il signait, le 31 mai 2019, un accord avec l’Union africaine (UA), peu ébranlée par les attaques de Donald Trump. Celui qui se présente comme le « partenaire stratégique pour la numérisation de l’Afrique » marque des points en renouvelant pour trois ans cet accord avec l’UA, afin de renforcer leur collaboration dans le haut débit, l’Internet des objets (IoT), le cloud computing, la 5G et l’intelligence artificielle. Et pourtant… Huawei est suspecté depuis 2018 d’avoir aspiré vers 79


63 milliards d’euros dans la recherche et développement. Plus de 80 000 salariés, soit 45 % de l’effectif, sont dédiés à l’innovation. La société détenait à la fin de 2018 un portefeuille de 87 805 brevets, dont 44 434 hors de Chine. L’intense effort de recherche du champion chinois des équipements numériques est payant. En 2018, le roi mondial de la 5G a franchi la barre des 100 milliards de dollars de revenus, avec une hausse du chiffre d’affaires de 19,5 %, à 105,2 milliards de dollars. Huawei grossit tout en confortant sa rentabilité. Son bénéfice d’exploitation a progressé de Huawei, un acteur incontournable 30 % l’an passé, à 10,7 milLa marque occupe désormais plus du tiers du marché chinois des smartphones. liards de dollars, tandis que 1er trimetre 2018 1er trimetre 2019 son bénéfice net grimpait de 25,1 %, à 8,6 milliards de dol35 % lars. Avec 19 % du marché du 30 % smartphone de la planète au 25 % premier trimestre de 2019, 20 % loin devant Apple (13 %), la 15 % société avait annoncé qu’elle 10 % ravirait cette année la place de 5% numéro un mondial au coréen Samsung (22 %), selon le cabi0 HUAWEI OPPO VIVO XIAOMI APPLE AUTRES net Strategy Analytics. Porté Source : Canalys par le boom de ses mobiles, le groupe de Shenzhen, qui a Chiffre d’affaires 2018, par activité et par zone géographique livré 206 millions de smart(En millions de yuans) Amériques 47 885 phones en 2018, programmait 21,3 % d’en vendre 250 millions en 6,6 % 2019 et 300 millions en 2020 ! Activités Asie-Pacifique Équipements Chine 11,4 % grand public Une ambition qui lui vaut ses 81 918 de réseaux 372 162 40,8 % 348 852 15,1 % 294 012 19,1 % 48,4 % ennuis actuels ? 51,6 % 45,1 % 1,3 % Depuis le 16 mai, l’entreEurope, prise a reconnu qu’elle repousMoyen-Orient 28,4 % 10,3 % et Afrique sait son objectif de devenir le 204 536 Équipements numéro un mondial. « Huawei 24,3 % pour les entreprises va avoir une année très dif74 409 ficile. Ses rivaux sabrent le 23,8 % Source : rapport annuel de Huawei champagne. Nos derniers pointages indiquent que la demande pour ses téléphones a signifirôle majeur dans la construction de notre avenir numérique », cativement baissé en Europe », résume Neil Mawston, analyste justifiait de son côté, peu suspicieux, Thomas Kwesi Quartey, chez Strategy Analytics. De son côté, la société se prépare à vice-président de la Commission de l’UA. Tout à l’inverse de une baisse de 40 % à 60 % de ses livraisons de smartphones l’Occident, où l’ascension irrésistible du groupe de Shenzhen à l’étranger. Pour compenser, elle se replie en Chine pour y fait peur. Fondé en 1987 par le général Ren Zhengfei, celui-ci conquérir 45 % du marché des smartphones en 2019, contre est actif dans 170 pays et emploie 188 000 personnes. Huawei 30 % à 35 % actuellement. Dans cette tourmente, la marque est une entreprise privée détenue à 100 % par ses employés trouve aussi des alliés. « Huawei travaille d’arrache-pied dans grâce à un programme d’actionnariat. Le temps où les salad’autres régions du monde, comme la Russie et l’Afrique, » riés désossaient les équipements des concurrents occidentaux explique Neil Mawston. pour les dupliquer est révolu. En dix ans, la marque a investi «

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Pékin, de 2012 à 2017, les données du siège de l’UA, à AddisAbeba – offert par la Chine en 2012 et dont la marque chinoise est le fournisseur quasi exclusif de solutions informatiques (stockage local de données, serveurs, wi-fi, cloud, etc.). Un épisode effacé le 31 mai. « À travers ce partenariat, nous souhaitons également mettre un terme aux rumeurs de fuite de données provenant des équipements Huawei », martelait Philippe Wang, vice-président du groupe pour l’Afrique du Nord. « Cette collaboration montre que nous sommes prêts à jouer un

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La firme est le deuxième fabricant mondial de smartphones derrière Samsung. Des ingénieurs éthiopiens, en formation à Shenzhen.

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PROJETS DE VILLES INTELLIGENTES

Le continent pourrait devenir l’une des principales bases de repli international du groupe, où il est présent depuis 1998 et actif dans 40 pays. « Huawei a identifié le marché africain et l’a conquis grâce à une stratégie très agressive, s’appuyant sur des financements bon marché et une mise en œuvre rapide. Le fait qu’il équipe l’UA est révélateur », observe Aly-Khan Satchu, analyste indépendant basé au Kenya, pour l’AFP. Le deuxième vendeur de smartphones sur le continent (12,75 % de part de marché, selon IDC) y est fournisseur de fibre optique et assure plus de 50 % de son réseau 4G. Il y déploie des technologies pour des projets de villes intelligentes (smart cities) et sûres (safe cities). L’île Maurice a ainsi installé 4 000 caméras « intelligentes » sur 2 000 sites, avec l’appui de l’entreprise. Laquelle, en avril, a signé un accord de 155 millions d’euros avec le gouvernement kényan pour construire un centre de stockage de données informatiques et une ville intelligente. Au Sénégal, à la mi-mai, c’était au tour de l’Agence de l’informatique de l’État (Adie), de se rendre au siège de Shenzhen dans le cadre du volet safe city du projet Smart Senegal, financé par la Chine (133 millions d’euros). Très actif, le groupe déploie la technologie 5G, comme en Égypte, à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations, du 21 juin au 19 juillet prochains. Et, en Afrique du Sud, il a lancé un programme de cours spécialisés sur la 5G destiné aux étudiants des universités les plus prestigieuses. Mais quel est l’intérêt pour l’Afrique de s’allier à une société torpillée par la puissance américaine ? AFRIQUE MAGAZINE

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Le géant des télécoms développe son propre système d’exploitation, Hong Meng OS, afin de s’affranchir d’Android. Huawei est loin d’être mort. Malgré les manœuvres américaines, le chinois a engrangé dans le monde plus de 30 contrats dans la 5G et livré plus de 40 000 stations radios destinées aux nouvelles générations de mobiles. De plus, il développe son propre système d’exploitation, du nom de Hong Meng OS, qui lui permettra de s’affranchir d’Android. Il serait disponible à l’international au début de 2020. « Si Huawei risque de perdre des parts de marché à moyen terme, la musique pourrait être tout autre dans cinq à dix ans, avec un groupe renforcé et complètement intégré », prédit une analyse de juin 2019 de S&P Global Ratings. Et si la guerre technologique entre Pékin et Washington se poursuivait ? « Ce n’est pas notre combat », a expliqué à la BBC Harriet Kariuki, spécialiste kényane des relations sino-africaines. « C’est probablement le moment où l’Afrique peut envisager de développer ses propres technologies au lieu d’être un consommateur passif. Je veux voir les pays africains s’unir et repousser cette colonisation numérique rampante. » ■ 81


FOCUS

LA FISCALITÉ AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT ? L’Afrique n’a plus le choix. Elle doit mobiliser des ressources domestiques pour financer ses projets. Une nécéssité et un sacré défi pour le continent qui prélève le moins d’impôts et de taxes au monde. par Jean-Michel Meyer

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a machine fiscale est en route. Personne n’y échappera. Particuliers, commerçants, patrons de PME, de sociétés de services ou de multinationales. Même les acteurs du secteur informel devront payer impôts et taxes. Si l’Afrique a longtemps été considérée comme une terre hostile à la levée de l’impôt, la détermination des dirigeants évolue. Les pays n’ont plus le choix. Tout conduit à renflouer les caisses avec des recettes domestiques. Des efforts ont déjà été menés depuis les années 2000, même si la progression est en dents de scie. Le total des recettes publiques collectées sur le continent, y compris celles tirées des ressources naturelles, est passé de 25,2 % du PIB en 2000 à 31,4 % en 2008, avant de chuter à 18,6 % en 2016 sous l’effet de la crise financière mondiale, puis de remonter à 21,4 % en 2018, souligne la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), dans son rapport « La politique budgétaire au service du financement du développement durable », publié le 26 mars. Dans le détail, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) représente 29,3 % des recettes fiscales prélevées, un chiffre en hausse de 4,9 % depuis 2000, selon des données de 2018 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), portant sur 21 pays africains. Mais ce sont les impôts sur les revenus et les bénéfices des sociétés, totalisant 34,3 % des recettes à l’échelle du continent, qui sont le principal moteur de la croissance des prélèvements fiscaux depuis le début du siècle, passant de 2,6 % du PIB en 2000 à 6,2 % en 2016. Il n’empêche, en 2018, « l’Afrique a affiché le plus faible ratio recettes publiques totales/PIB de toutes les régions du monde », relève la CEA. Une position qui s’explique, selon elle, « par des facteurs structurels, tels que la faiblesse du revenu par habitant, l’étendue du secteur informel, l’importance de l’agricul-

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ture paysanne et la faiblesse de l’industrie manufacturière et des services modernes, ce qui signifie une très faible efficacité de l’assiette de l’impôt». Pour positiver, le continent dispose donc d’un solide potentiel fiscal à exploiter. « Les pays africains peuvent accroître les recettes publiques de 12 % à 20 % du PIB en mettant en œuvre une politique budgétaire contracyclique, en taxant les secteurs difficiles à atteindre, en prélevant des recettes non fiscales, en introduisant la fiscalité électronique et en luttant contre l’évasion et la fraude fiscales, en particulier dans le secteur des ressources naturelles », énumère la CEA.

UNE CROISSANCE QUI NE SUFFIRA PAS SEULE

Tout justifie cet effort supplémentaire : remontée inquiétante de la dette et des dépenses publiques, rétrécissement de la marge de manœuvre budgétaire des États, trop grande dépendance à l’égard des revenus du sous-sol, déclin de l’aide internationale, besoins considérables de financements, et volonté des pays africains d’être maîtres de leur destin pour favoriser la stratégie de développement du continent, à travers les Objectifs de développement durable (ODD) et l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Dans ce but, l’amélioration des capacités nationales de recouvrement des impôts et des autres recettes constitue d’ailleurs l’objectif 17 des ODD. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a estimé à 210 milliards de dollars les besoins de financement annuel du continent pour les infrastructures de base, la sécurité alimentaire, la santé et l’éducation. Et la CEA a évalué que les besoins de financement supplémentaire pour réaliser les ODD représentent entre 614 et 638 milliards de dollars par an, entre 2015 et 2030. L’appel à l’impôt s’impose. Car la croissance économique, de 3 % à 4 % par an actuellement, ne suffira AFRIQUE MAGAZINE

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La part des recettes publiques en Afrique : Ratio impôts/PIB en 2016

pas seule à générer autant de ressources. « L’Afrique aurait besoin d’une croissance trois fois plus rapide pour atteindre les ODD », relève la CEA. « Grâce à des réformes fiscales globales, elle pourrait générer chaque année des recettes supplémentaires représentant 3 % du PIB. Soit 72 milliards de dollars par an. […] Les gouvernements doivent élargir l’assiette fiscale en soumettant à l’impôt des secteurs difficiles à taxer, notamment l’agriculture, l’économie informelle, l’économie numérique et le secteur des ressources naturelles. » Des initiatives voient le jour dans ce but. Pour intégrer les petites et microentreprises ainsi que le secteur informel dans le système fiscal, le Kenya a lancé en 2017 un impôt forfaitaire de 15 % sur le revenu de ces entreprises au chiffre d’affaires inférieur à 50 000 dollars. « Les recettes perçues ne sont peut-être pas très importantes, mais l’impôt forfaitaire constitue un pas important vers l’intégration du secteur informel dans le régime fiscal », assure la CEA. Autre activité : l’économie numérique. Depuis 2014, l’Afrique du Sud oblige les fournisseurs étrangers (musique, livres, paris, jeux en ligne et logiciels), qui échappaient jusqu’à présent à l’impôt et aux taxes, de s’enregistrer auprès du fisc. Entre juin 2014 et septembre 2017, plus de 200 sociétés étrangères se sont ainsi fait connaître et ont réglé près de 2 milliards de rands. Inventer de nouveaux prélèvements n’aura qu’un effet limité si les administrations fiscales ne se modernisent pas. Car le coût moyen du recouvrement de l’impôt en Afrique est le plus élevé au monde. Il représente 1 % à 4 % des sommes totales perçues. « L’amélioration de l’administration des recettes par l’élargissement de l’assiette fiscale et la simplification du recouvrement pourraient aider à rapporter plus de 99 milliards de dollars chaque année sur les cinq prochaines années », soutient Vera Songwe, secrétaire exécutive de la CEA. Des gains qui passent par la numérisation, gage d’une meilleure gouvernance, et de davantage de transparence et d’efficacité dans la collecte de l’impôt. 23 pays ont lancé des programmes d’identification

La CNUCED a estimé à 210 milliards de dollars les besoins de financement annuel pour les infrastructures de base. AFRIQUE MAGAZINE

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RD Congo Ouganda

Botswana Cameroun

Niger Égypte Eswatini Congo Mali Rwanda Côte d’Ivoire Ghana

Burkina Faso Kenya Moyenne Afrique Cap-Vert Maurice Sénégal Togo Maroc Afrique du Sud Tunisie

Moyenne OCDE

7,6

13,1 14,0 14,4

14,4 15,2 15,5 16,0 16,1 16,6 17,4 17,6 18,1 18,1 18,2 19,0 20,0 22,0 22,2 26,4 28,6 29,4 34,3

numérique depuis 2000, tandis que 18 États ont mis en place des systèmes de dépôt des déclarations et de paiement électroniques. Le Trésor kenyan a ainsi bénéficié de l’essor du système de transfert de fonds M-Pesa, qui possède une application en ligne pour l’administration fiscale (i-Tax), permettant aux contribuables de produire et de payer leurs impôts. La numérisation des opérations de TVA a également permis d’accroître les recettes de plus de 1 milliard de dollars entre 2016 et 2017. Mais comme souvent, les cordonniers sont les plus mal chaussés… « Alors que les autorités fiscales africaines se sont modernisées de manière à améliorer leur capacité de taxer le secteur privé, rares sont celles qui ont l’autorité ou le soutien politique nécessaires pour inciter d’autres administrations à devenir de bons contribuables, soucieux de civisme fiscal », relève la CEA. Des défis demeurent… ■ 83


PERSPECTIVES La compagnie emblématique du Cameroun traverse une sérieuse crise de trésorerie.

TR ANSPORTS

CIEL PERTURBÉ POUR L’AFRIQUE CENTRALE

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e destin des compagnies aériennes d’Afrique centrale serait-il de mordre la poussière ? Année après année, des acteurs ambitieux s’élancent pour finalement atterrir en catastrophe, le temps de retrouver des actionnaires ou de cesser toute activité, les caisses vides. Compagnie aérienne emblématique de la région, la Camair-Co, qui a pour actionnaire l’État du Cameroun, traverse en 2019 une sérieuse crise de trésorerie qui plaque au sol la moitié de sa flotte, en panne. En 2016 pourtant, un spécialiste reconnu du ciel africain, Ernest Dikoum, avait été nommé à la tête du transporteur pour le relancer. Il a été remercié le 27 mai 84

dernier et remplacé par Louis Roger Njipendi Kouotou, jusqu’ici président du conseil d’administration de la compagnie, qui en devient donc le sixième directeur général en huit ans ! Mais il n’est pas sûr que cela change grand-chose. « La Camair-Co est la fille de Cameroon Airlines. La compagnie a changé de nom, mais a hérité de ses passifs, ne serait-ce que son personnel, nombreux [545 employés, ndlr]. Elle pourrait fonctionner à moins. Ce n’est pas raisonnable », souligne Délia Bergonzi, DG d’Ectar, cabinet d’experts indépendant. La Camair-Co est loin d’être un cas unique. Depuis le 30 avril 2019, les appareils de Solenta Aviation Gabon sont AFRIQUE MAGAZINE

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JEAN-PIERRE KEPSEU

Solenta Aviation Gabon, Equatorial Congo Airlines, Camair-Co… Le secteur aérien ne compte plus les sociétés moribondes dans la région. Une défaillance locale chronique qui profite à des acteurs plus performants, comme Ethiopian Airlines ou RwandAir. par Jean-Michel Meyer


bloqués au sol. La compagnie à capitaux sud-africains, dans le pays depuis 2001, s’est vue retirer son certificat de transport aérien (CTA) pour non-respect des normes de sécurité. Encore à Libreville, la bataille judiciaire entre les différents actionnaires de la Nationale régionale de transport (NRT) s’achevait le 5 mars dernier sous l’œil du ministre des Transports, Justin Ndoundangoye. Ils ont créé deux entités distinctes : la National Airways Gabon (NAG) et la NRT renouvelée. Dans ce contexte, le marché gabonais, affaibli par l’arrêt des désertes de South Africa Airways (SAA) et par les difficultés de Trans Air Congo, notait une baisse de 3,2 % du nombre de passagers transportés en 2018, avec 789 514 voyageurs. Seule Air France notait une bonne tenue de son trafic. Chez le voisin, Equatorial Congo Airlines (ECAir), « la fierté nationale » du Congo-Brazzaville selon la formule de Fidèle Dimou, le ministre de tutelle, a été liquidée en avril 2018. « Quand les politiques interviennent dans le business plan des compagnies, on est sûr que l’entreprise va au-devant de difficultés », relève un observateur du secteur.

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DES ENTREPRISES SOLIDES INVESTISSENT

De plus, en Afrique, « les coûts d’exploitation sont plus importants que partout ailleurs, sans parler des taxes qui doublent le prix du transport, ainsi que le coût du fuel et des assurances », énumère Délia Bergonzi. Et en Afrique centrale, tout est encore plus cher ! Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les États de cette partie du continent prélèvent en moyenne 100 dollars sur le billet d’avion, ce qui en fait la région où ils sont « les plus chers en Afrique ». Conséquence ? Des compagnies aux reins solides investissent le marché. RwandAir a inauguré le 17 avril son premier vol vers Kinshasa, cherchant à faire de Kigali le hub de l’Afrique centrale. Ethiopian Airlines déploie à son tour son réseau. En août 2018, celle-ci (49 %) et l’État tchadien (51 %) ont lancé Tchadia Airlines. « Le nouveau transporteur national du Tchad servira de plaque tournante solide en Afrique centrale grâce à une connectivité aérienne nationale, régionale et éventuellement internationale vers les principales destinations au Moyen-Orient, en Europe et en Asie », indiquait Tewolde GebreMariam, directeur général du groupe Ethiopian Airlines. Une mauvaise nouvelle pour les compagnies locales. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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CHIFFRES

par Jean-Michel Meyer

Les financements octroyés par les six premières banques de développement du monde à la finance climatique ont atteint le montant record, en 2018, de 43,1 milliards de dollars. EN MAI 2019,

LA MARQUE AFRICAINE LA PLUS APPRÉCIÉE SUR LE CONTINENT EST LA SUD-AFRICAINE MTN, suivie de

l’Éthiopienne Anbessa Shoe et de la Nigériane Dangote.

Le Programme panafricain, l’instrument financier de l’Union européenne, prévoit de créer 10 millions d’emplois sur cinq ans en Afrique.

l’inflation a atteint son plus haut niveau depuis dix ans au Zimbabwe : 97,85 %.

À LA SUITE D’UN CONFLIT IMMOBILIER, Georges Ouégnin, l’ancien chef de protocole ivoirien de feu Félix HouphouëtBoigny, a été dédommagé par la Banque africaine de développement (BAD) à hauteur de 2,3 milliards de francs CFA, fin mai 2019.

D’après la BAD, les flux financiers illicites pourraient faire perdre à l’Afrique plus de 50 milliards de dollars par an. 85


PERSPECTIVES

MATIÈRES PREMIÈRES

Avec ou sans OGM?

Chassé des rangs des principaux producteurs de coton depuis la suspension du Bt de Monsanto en 2016, le Burkina Faso réfléchit à son retour.

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troisième rang, avec une production de 461 197 tonnes. Le pays devance son voisin burkinabé, où la récolte a perdu 30 % pour atteindre 436 000 tonnes, contre une prévision de 800 000 tonnes ! La sécheresse et les problèmes sécuritaires expliquent notamment cette contreperformance. Cette mauvaise campagne a rallumé le débat autour du coton génétiquement modifié. Introduit en 2009 pour lutter contre les insectes ravageurs, le Bt de Monsanto (aujourd’hui Bayer) a été suspendu en 2016. À l’origine de cette décision, une forte baisse de la production imputée à une faible pluviométrie, la qualité médiocre des engrais et la réduction de la longueur de la fibre, plus courte de 0,8 mm. Un phénomène qui a plombé les exportations. « Notre coton était de grande qualité grâce à sa longue fibre. On faisait la différence », regrette Karim Traoré, président de l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB). Le retour précipité au coton convention-

nel en 2016 a eu un impact négatif sur les récoltes, destituant le pays de son titre de leader. La décision du retour du Bt appartient à l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina (AICB). Outre la résistance croissante des insectes et la dégradation de la qualité de la fibre, les anti-OGM dénoncent aussi la contamination de l’environnement et le brevetage très onéreux de la semence : le sachet de 30 kg coûte 26 000 francs CFA, contre 800 à 1 000 francs CFA pour le conventionnel. De leur côté, les pro-OGM invoquent

la chute des rendements et leur plus grand endettement depuis 2016. Ils ajoutent que le conventionnel exige de pulvériser 7 millions de litres de pesticides, sur 600 000 hectares de champs. Si rien ne dit quand l’AICB tranchera, le Kenya introduira, lui, le coton OGM dans les prochains mois. Et le Nigeria, en 2018, a autorisé sa première culture de Bt. Pour la prochaine campagne, 1 000 agriculteurs cultiveront son successeur, le Bollgard II, aussi de Monsanto. La bagarre entre pro et anti-OGM est loin d’être close. ■ J.-M.M.

COMMERCE EN LIGNE

Jumia, la licorne malmenée

Accusée d’avoir truqué les chiffres sur son activité, la start-up se tourne vers la Chine.

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érie de coups durs pour Jumia. Le 12 avril 2019, la première licorne africaine (elle a atteint le milliard de dollars de valorisation en 2016) réussissait avec brio son introduction au New York Stock Exchange (NYSE). La valeur de son action atteignait

19 dollars le premier jour – la valorisant à 1,5 milliard de dollars –, soit bien au-dessus du cours d’introduction de 14,50 dollars, lui permettant de lever 200 millions. Très vite, le titre de la licorne se hissait parmi les 10 valeurs les plus perfor-

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ongtemps, le match entre le Mali et le Burkina a dominé la filière de coton pour désigner le premier producteur en Afrique, qui représente 10 % de la production mondiale. Un combat révolu pendant un temps, le Burkina ayant lâché prise. Mais aujourd’hui, les cartes sont rebattues. Le podium accueille le Bénin, suivi du Mali et de la Côte d’Ivoire. Durant la campagne 20182019, la production béninoise s’est élevée à 678 000 tonnes de coton-graine. Contre 350 000 tonnes quatre ans plus tôt ! « C’est la reprise en main de la filière depuis trois ans qui a permis de payer rapidement les producteurs et d’avoir une filière verticale intégrée, gérée depuis le plus haut sommet de l’État », a analysé sur RFI Gérald Estur, un expert du secteur. Avec une production de 656 548 tonnes, le Mali occupe la deuxième place. Le nouveau ministre de l’Agriculture, Moulaye Ahmed Boubacar, a annoncé une production record de 800 000 tonnes pour 2019-2020. De son côté, la Côte d’Ivoire s’est hissée au

Une récolte au Bénin, leader du marché africain.


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mantes du NYSE en 2019. Son action frôlant les 50 dollars à son plus haut, début mai. Lancé en 2012 par les Français Sacha Poignonnec et Jérémy Hodara, le géant du commerce en ligne est basé au Nigeria. Sur un continent où la pénétration d’Internet reste faible et la population sous-bancarisée, Jumia a inventé son modèle. Elle a élaboré sa place de marché et une chaîne logistique, développé son propre système de paiement, Jumia Pay, et accepté que les acheteurs règlent à la livraison. En outre, la start-up est active dans la livraison de repas et les réservations hôtelières. Présent dans 14 pays, Jumia a revendiqué un chiffre d’affaires de 828 millions d’euros en 2018 (en hausse de 63 % sur un an). Les revenus tirés de la place de marché ont atteint 47,4 millions d’euros (+122 %). Seule ombre au tableau : les pertes cumulées depuis sa création avoisinent le milliard de dollars. Mais le 9 mai, Citron Research, un spécialiste de la vente à découvert, révélait des « divergences importantes » entre les chiffres présentés à des investisseurs en octobre 2018 et ceux dans le dossier d’introduction remis à la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine. La start-up aurait ainsi AFRIQUE MAGAZINE

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gonflé le nombre de ses utilisateurs (2,7 millions contre 2,1 millions) et des vendeurs tiers (53 000 contre 43 000). Elle aurait aussi occulté le fait que 41 % des commandes ont été annulées, retournées ou non livrées. Toutefois, le fondateur de Citron Research, Andrew Left, a été condamné en 2016 à cinq ans d’interdiction de courtage pour avoir délivré des affirmations « fausses et trompeuses ». Reste que l’action a perdu près de 25 % les cinq jours suivant ces accusations. La publication, le 13 mai, des résultats trimestriels (en hausse) ont fait remonter le cours à 26,60 dollars, mais les ennuis s’accumulent. Le 14 mai, le cabinet Gainey McKenna & Egleston a annoncé son intention de déposer une plainte collective le 16 juillet prochain, contre les dirigeants de Jumia. Est-ce pour cela que la start-up intensifie les contacts en Chine ? « De nombreuses marques n’ont pas de canal de vente en Afrique, ce qui nous donne une occasion de coopérer », précisait en mai Jérémy Hodara, lors d’un déplacement à Pékin, Shenzhen et Shanghai. Jumia a déjà conclu des accords de coopération avec Huawei, Xiaomi, Skyworth et Haier. La fin du rêve américain et le début de la conquête de la Chine ? ■ J.-M.M.

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LES MOTS « Le moteur de l’Afrique dort en République démocratique du Congo. » RAILA ODINGA,

ANCIEN PREMIER MINISTRE DU KENYA ET DÉSORMAIS ENVOYÉ É SPÉCIAL DE L’UNION AFRICAINE (UA) POUR LE DÉVELOPPEMENT DES INFRASTRUCTURES EN AFRIQUE UE

« Les grands et puissants lleaders sont ceux qui rreconnaissent la valeur des jeunes et qui d ss’intéressent à leur avenir. » T TONY ELUMELU, DIRECTEUR DE LA FONDATION TONY D ELUMELU ET ENTREPRENEUR E NIGÉRIAN N

« Nous ne pouvons pas parler d’une Afrique prospère sans énergie au cœur de celle-ci. […] Nous ne jouirons tout simplement pas de la ZLECA sans une énergie suffisante et fiable. » VERA SONGWE, SECRÉTAIRE EXÉCUTIVE DE LA COMMISSION ÉCONOMIQUE POUR L’AFRIQUE (CEA)

« À la Banque mondiale, nous pensons que l’économie digitale est l’une des façons par lesquelles l’Afrique peut se développer… Mais le coût de l’Internet y demeure très élevé. »

ALBERT ZEUFACK, ÉCONOMISTE EN CHEF DE LA BANQUE MONDIALE POUR LA RÉGION AFRIQUE 87


destination

TANGER, EN RENAISSANCE

Le concept-store Las Chicas est également un salon de thé.

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D’UN CÔTÉ, le détroit de Gibraltar et les eaux calmes de la Méditerranée, de l’autre, des étendues de sable clair, des vagues impressionnantes et le littoral sauvage de l’Atlantique. Surplombant les deux, le port de Tanger et sa médina, à flanc de coteau, avec ses maisonnettes cubiques qui dégringolent en escalade vers la mer. L’ex-capitale diplomatique du royaume chérifien est aujourd’hui une ville bouillonnante, libre, curieuse et ouverte sur le monde. Les visiteurs marocains et étrangers apprécient l’atmosphère chaleureuse et artistique de ce pôle commercial stratégique dès l’Antiquité, ainsi que son architecture. Un melting-pot de styles où l’on observe côte à côte islamisme, orientalisme, Art déco, modernisme, Bauhaus, baroque, et même rococo prussien. Chaque coin de rue cache une surprise, chaque terrasse a un charme particulier. La nuit, les cafés et les boulevards fourmillent de jeunes gens venus siroter un jus d’amande frais, le jour, on peut se poser sur la plage, les pieds dans l’eau. Ceux qui craignent les températures estivales trouveront la fraîcheur en sortant de la ville, dans les vallées orangées du Rif, où se niche la ville bleue de Chefchaouen, ou le long de la côte. Que l’on arrive à Tanger en voiture depuis l’Espagne, à moins de 20 km à vol d’oiseau, ou que l’on en loue une sur place, la route côtière méditerranéenne qui relie la ville à Saïdia (à la frontière avec l’Algérie) peut faire le bonheur des amoureux du road trip. Une corniche de 500 km, parsemée d’une multitude de petits ports de pêche, stations AFRIQUE MAGAZINE

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SHUTTERSTOCK - FACEBOOK LAS CHICAS

L’ANCIENNE CAPITALE CULTURELLE du Maroc a gardé tout son charme. Un endroit idéal pour une pause entre mer, montagne et océan. par Luisa Nannipieri


MADE IN AFRICA escapades Les maisonnettes cubiques de la ville dégringolent en escalade vers le port. LES BONNES ADRESSES

balnéaires et forts coloniaux, mais aussi de criques aux eaux turquoise. Plutôt tentés par une sortie dans la journée ? Le village de Ksar Sghir, avec sa belle baie et son site archéologique, est particulièrement animé pendant l’été et accueille un ravissant marché face à la plage tous les samedis. Un peu plus loin, passée l’enclave espagnole de Ceuta, la route longe les plages de sable blanc et la mer calme de Tamuda Bay, double le Cabo Negro et le mont Taifor et rejoint l’ancienne ville andalouse de Tétouan, surnommée « Paloma Blanca ». On peut aussi quitter Tanger vers l’ouest, pour une courte balade dans la réserve du Cap Spartel et ses falaises. Les plus sportifs pousseront jusqu’aux Grottes d’Hercule, où l’on raconte que le héros s’était reposé après avoir tué le dragon qui gardait le jardin des Hespérides. Le site préhistorique est devenu très touristique, mais l’entrée de ces cavernes naturelles, qui rappelle la forme de l’Afrique, est une curiosité qui mérite le détour. En poursuivant en direction de Rabat, on entre dans le parc forestier de la Forêt diplomatique. À seulement 30 minutes de route du centre-ville, au-delà des arbres, s’étend une plage magnifique, et l’on y trouve même un petit resto à tomber par terre : Chez Abdou est géré par un ancien funambule, qui a transformé sa paillote en refuge éclectique et un peu kitch, où même Patti Smith et Mick Jagger aiment déguster du poisson frais et des crevettes à la plancha. Rien de mieux pour se sentir vraiment en vacances. ■

Marina Bay : l’ex-Rif, hôtel mythique, a été entièrement rénové, mais est toujours chargé d’histoire ✔ Café-restaurant Cap Spartel : pour y déguster des crêpes les yeux rivés sur la mer et l’océan en même temps ✔ Madini : le plus ancien parfumeur de Tanger ✔ Chez Abdou : pour le poisson frais les pieds dans l’eau ✔ Las Chicas : un concept-store pour découvrir des créateurs locaux contemporains et boire un thé

NABIL ZORKOT

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L’objectif des 2,5 millions de voyageurs en 2019 est atteignable.

Abidjan, plaque tournante des airs L’aéroport international FÉLIX HOUPHOUËT-BOIGNY consolide sa place de hub en Afrique de l’Ouest. PLUS DE 500 000 passagers se sont envolés de la capitale économique ivoirienne dans le premier trimestre de l’année, ce qui équivaut à une hausse de 8,2 % du trafic et laisse imaginer que l’objectif de 2,5 millions de voyageurs en 2019 sera atteint comme prévu. La progression assez soutenue, engagée depuis 2012, a subi une accélération en raison de la réouverture de l’aéroport de la ville de San Pedro, dans le sud-ouest du pays, boostant les vols internes. Mais Abidjan est également devenue l’une des principales portes d’entrée sur le continent africain depuis l’Europe, avec 18 vols directs pour Paris par semaine (proposés par Air France et Corsair), sept à destination de Bruxelles et quatre pour Lisbonne ou Istanbul. Et le succès du vol direct d’Ethiopian Airlines avec l’aéroport de Newark (New Jersey), à proximité de New York, inauguré l’année dernière a convaincu la compagnie de programmer trois nouveaux vols hebdomadaires sans escale à destination de Washington et de New York-JFK. De quoi encore faire augmenter l’attractivité de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny. ■ L.N. 89


L’exposition met à l’honneur le savoir-faire des tisserandes de la tribu Aït Khebbach.

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Désert : sous les dunes, les tapis

LA NOUVELLE EXPOSITION temporaire du musée Yves Saint Laurent de Marrakech met à l’honneur le tapis berbère et le savoir-faire des tisserandes marocaines. Dans une salle conçue comme une vitrine spécialement dédiée à la création contemporaine, on peut admirer une trentaine de tapis tressés par les Aït Khebbach, une tribu qui vit aux portes du Sahara. Malgré l’environnement hostile du désert oriental, où ces derniers se partagent des abris en terre crue, aux murs nus et bruts, sans peinture ni meubles, les créations de ces femmes possèdent une vivacité et une modernité surprenantes. Les couleurs contrastées des tapis sont obtenues à partir de matériaux de récupération, comme des anciens pulls détricotés. Déployés pour accueillir les hôtes, ils habillent l’espace et le transforment en paysage fantasque. Le propos 90

de l’exposition est d’illustrer la genèse et l’évolution de ce style tribal, qui a traversé les époques. La scénographie a particulièrement été soignée par le designer marocain Younes Duret, lequel a souhaité faire vivre aux visiteurs le moment inattendu où le désert monochrome se transforme en étendue bariolée. Le parcours est imaginé selon un jeu de contrastes des sens qui provoque un tourbillon émotionnel, au fil de la découverte de ces « tapis-tableaux ». Ode à l’esprit créatif, l’expo invite à rencontrer les tisserandes de la tribu dans un espace où leurs âmes semblent vibrer à l’unisson. ■ L.N.

«Désert Design », musée Yves Saint Laurent, Marrakech (Maroc), jusqu’au 8 octobre 2019, puis au musée Bargoin, Clermont-Ferrand (France), du 22 novembre 2019 au 5 avril 2020. AFRIQUE MAGAZINE

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RACHID BOUZIDI (3) - ÉRIC OSSART

Le musée YVES SAINT LAURENT de Marrakech valorise une autre facette de la créativité et du patrimoine marocains.


MADE IN AFRICA carrefours insolites

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Black Rock Sénégal

La nouvelle résidence artistique de KEHINDE WILEY est un luxueux havre de paix pour les créateurs. LE BOUILLONNANT artiste afro-américain Kehinde Wiley, connu entre autres pour avoir peint le portrait de Barack Obama, vient d’inaugurer une résidence artistique près de Dakar. Le bâtiment, qui comprend des ateliers, l’appartement privé de Wiley, ainsi que trois autres villas à disposition des artistes résidents, a été construit par l’architecte sénégalais Abib Djenné près de la commune traditionnelle de Yoff, en bord de mer. Pour ce projet, celui-ci a choisi une approche minimaliste, qui met en valeur la puissance de la nature : les murs extérieurs sont noirs, comme les rochers, mais lisses, ce qui crée un contraste avec la côte crénelée de Ngor. Le portail, en Amazakoué, bois du Cameroun au teint jaune-brun, tourne le dos à la porte du « voyage sans retour » de Gorée. À travers ses œuvres, Wiley nourrit la réflexion sur les liens entre l’Afrique et les Amériques. Le luxuriant jardin tropical comprend une piscine à débordement avec vue sur la mer, et la déco a été conçue par l’artiste en collaboration avec la designer sénégalaise

L’Afro-Américain est connu pour avoir peint le portrait de Barack Obama. Aïssa Dione et la fille de l’architecte, Fatiya Djenné. On retrouve sur les murs des œuvres d’artistes locaux, comme Ngimbi Luve ou Soly Cissé, ou encore une table en verre et pierres volcaniques signée Ousmane Gueye. Lors de la session inaugurale de Black Rock, de juin 2019 à février 2020, les résidents vivront et travailleront sur place pour une période allant d’un à trois mois. Ils auront également à disposition une cuisine, où les chefs sont invités à brouiller les frontières entre art et gastronomie. ■ L.N.

LE LIEU : MÉNÉLIK QU’EST-CE ?

Plus qu’un restaurant, une institution.

KYLIE CORWIN (2) - DR

ET SINON ?

La cérémonie du café, les vendredis et samedis soir. POUR QUI ?

Pour toutes les poches.

Les restos éthiopiens se multiplient à Paris, mais le Ménélik, ouvert depuis 1996, est un incontournable, et on vient de loin pour s’y attabler. Le patron, Solomon Yitbark, a appris la cuisine en observant sa mère et fait venir des vins du pays dans sa cantine. À la carte, beaucoup de viande, comme le kifto (bœuf cru finement haché mélangé avec du mitmita) ou des grillades. Mais les végétariens ne seront pas déçus avec les assortiments imaginés pour eux. Les plats sont servis avec des injeras, des galettes légèrement acidulées à base de blé ou de teff, qui servent de couverts et d’accompagnement. ■ L.N.

4, rue Sauffroy, 75017 Paris. menelikrestaurant.com AFRIQUE MAGAZINE

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La série reprend des coupes classiques de la maison, comme les pantalons taille haute ou les kimonos.

créateur

Mantsho,

la « fierté noire » dicte la mode

À UNE ÉPOQUE où la haute couture s’intéresse de plus en plus aux créatifs africains, les groupes de prêt-à-porter grand public cherchent également à collaborer avec les designers du continent. Dernier en date, le partenariat entre H&M et Mantsho pour une collection spéciale disponible dans une sélection de 61 boutiques et en ligne à partir du 15 août prochain. Pour son premier projet made in Africa, le groupe suédois, qui a déjà travaillé avec Karl Lagerfeld, Stella McCartney ou encore Sonia Rykiel, est allé piocher dans le creuset sud-africain, où les designers talentueux sont légion. C’est à Johannesbourg que Palesa Mokubung a créé sa griffe en 2004, et c’est dans sa boutique de Melville, 92

quartier branché de la ville, que le destin lui a donné un coup de pouce : la première costumière noire oscarisée, Ruth E. Carter, en a poussé la porte juste avant la sortie de Black Panther et est tombée amoureuse de l’une de ses longues robes en bogolan, noire avec des rayures blanches et beiges et un décolleté profond et raffiné, qu’elle a portée le jour de la première du film. En sesotho, Mantsho signifie « le noir est beau » et dans le vocabulaire de Palesa Mokubung, ce mot a un sens profond, celui de la « fierté noire » : « Le Black is beautiful caractérise une attitude que je porte dans mon travail et attire des femmes à la recherche de quelque AFRIQUE MAGAZINE

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La marque sud-africaine adepte du « Black is beautiful » a charmé H&M, qui propose cet été une collection capsule signée Palesa Mokubung. par Luisa Nannipieri


MADE IN AFRICA fashion Sur le sac, la fleur signature de la marque, un motif dessiné par le frère graphiste de la designer.

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Le col caractéristique Mantsho avec des volants et un gros nœud vient compléter cette robe imprimée.

chose d’excentrique et d’unique. » Une caractéristique qui a déjà fait le succès de la marque auprès des artistes et célébrités sud-africaines, et qui lui vaut à présent une reconnaissance internationale. L’histoire à succès de la créatrice mélange hasard, compétence et passion : pendant ses études, elle rentre dans la boutique de Nkhensani Nkosi, fondatrice de la marque Stoned Cherrie. La designer aime tellement la jupe de la jeune fille qu’elle lui offre un emploi. Avec elle, la future directrice de Mantsho apprend sur le tas et développe son sens du style. Trois ans plus tard, à 22 ans à peine – elle en a 38 aujourd’hui –, elle gagne un concours de mode et s’envole vers New York et Mumbai, avant de revenir à la maison pour ouvrir son atelier. Pour affiner ses connaissances, elle retourne à l’école en 2011 et décroche une licence de mode, obtenant des bases solides pour le futur de son entreprise. Dans ses collections, elle travaille particulièrement les couleurs, les coupes et les imprimés et propose des pièces avant-gardistes et audacieuses qui jouent avec les formes féminines et les valorisent. Et n’oublie jamais AFRIQUE MAGAZINE

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les accessoires, comme les sacs, les chaussures, les boucles d’oreilles ou les cols. Tous sont strictement fabriqués maison. L’abondance de volants, les manches courtes ou trois-quarts évasées, les longues jupes serrées à la taille avec des ceintures qui habillent la silhouette et confondent les volumes, mais aussi les kimonos ou les ensembles souples et légers, modulables au choix, figurent parmi les signes distinctifs des pièces Mantsho. On retrouvera certains de ces éléments dans la capsule pour H&M : 14 vêtements et 10 accessoires déclinés en bleu, marron, noir, rose et rouge ambré. Un imprimé qui s’inspire de la culture basotho, combiné avec la fleur symbole de la griffe sud-africaine, a aussi été spécialement conçu pour l’occasion. Cette collaboration offre à Palesa Mokubung la possibilité de se confronter pour la première fois au marché des productions en série à prix raisonnable et de s’appuyer sur une solide structure industrielle. Lorsque ses créations seront en vente en magasin et sur le site de H&M, la designer aura réussi l’exploit de faire connaître une esthétique contemporaine proprement africaine à un public mondial : « Cette collection comprend les meilleures pièces de ma garde-robe, et elle est ma lettre d’amour pour le monde depuis l’Afrique. » ■ 93


Les aliments industriels se caractérisent souvent par une qualité nutritionnelle moindre.

Stop à la malbouffe !

L’équilibre du corps est lié à ce que l’on mange… On le sait, mais souvent l’on n’en tient pas compte, et pourtant la CONSOMMATION GRANDISSANTE de produits transformés cause bien des dégâts. Il est temps de manger mieux et sain.

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travaux récents pointent du doigt les risques pour la santé des aliments industriels dits ultra-transformés, lesquels peuvent parfois représenter plus de la moitié des apports !

Qu’entend-on par aliments ultra-transformés ? À côté des transformés (comme les soupes liquides en brique préparées avec des légumes, des herbes et des épices, ou les compotes de fruits avec seulement du sucre ajouté), la liste des ultra-transformés est longue : sodas sucrés ou édulcorés, légumes marinés conservés avec sauces contenant des additifs, viandes fumées avec nitrites et conservateurs ajoutés (comme les saucisses, le jambon), soupes déshydratées, steaks végétaux reconstitués avec ajout AFRIQUE MAGAZINE

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EN 2017, UN DÉCÈS PRÉCOCE SUR CINQ dans le monde – soit 11 millions – était lié à une mauvaise alimentation. C’est ce qu’a révélé une étude réalisée dans 195 pays, publiée en avril dernier dans la revue scientifique The Lancet. En cause, les maladies cardiovasculaires, les cancers ou le diabète, souvent associé à l’obésité. Autre donnée alarmante de l’étude : 255 millions de personnes voient leur qualité de vie altérée par la malbouffe (consommation excessive de sel, de sucre, de viande et de mets industriels). Les habitudes alimentaires se sont beaucoup modifiées, tant dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. Partout, on consomme de plus en plus de produits industriels. Et justement, de nombreux


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pages dirigées par Danielle Ben Yahmed avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

d’additifs, plats cuisinés congelés ou prêts à consommer, brioches et pains industriels, confiseries et barres chocolatées, et tous les produits transformés avec des conservateurs autres que le sel (nitrites, par exemple) ou principalement constitués de sucre, de matières grasses et d’autres substances telles que les huiles hydrogénées, amidons modifiés, colorants, émulsifiants, texturants, édulcorants… Ces aliments ultra-transformés se caractérisent souvent par une qualité nutritionnelle moindre : ils sont riches en graisses saturées, en sel, en sucre, et contiennent moins de vitamines et de fibres que les aliments bruts. Sans oublier la présence d’additifs et de composés provenant des emballages. Les problèmes qu’ils engendrent sont malheureusement nombreux : des études ont montré un risque accru d’excès de graisses dans le sang, de surpoids, d’obésité et d’hypertension. Ont aussi été observés des risques plus élevés de cancers, de troubles digestifs, et même de symptômes dépressifs. Une nouvelle étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) publiée fin mai dans le British Medical Journal, et menée en France auprès de plus de 100 000 personnes, montre également un risque accru de maladies cardiovasculaires : une simple augmentation de 10 % (en comparant deux personnes consommant respectivement 15 % et 25 % de leurs aliments sous forme ultra-transformée) est associée à des hausses de 13 % de maladies touchant les artères coronaires et de 11 % de maladies cérébrales vasculaires !

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Revenir à du plus sain Pour lutter contre la malbouffe et ses dangers, les recommandations sont logiquement de privilégier les aliments bruts, comme les fruits et les légumes (cinq par jour), les féculents (complets si possible, car riches en fibres), les légumes secs (deux fois par semaine) et les céréales, et de manière raisonnable les œufs, le poisson et la viande (500 g par semaine, hors volailles), en alternant les variétés maigres et grasses. Manger plus sain, c’est diversifier au maximum ses menus, avec des produits frais, de saison, et préparés avec des modes de cuisson courts (vapeur, étouffée) pour préserver au mieux les qualités nutritionnelles. Autrement dit, on se rend au marché pour cuisiner traditionnel et on délaisse le plus possible les rayons des supermarchés. La consommation d’aliments ultratransformés devrait être l’exception, et non la règle ! Si l’on en achète, on les choisit avec une liste d’ingrédients courte, le moins d’additifs possible (indiqués par la lettre E), un taux de protéines plus important que celui de lipides, et allégés en sel si c’est possible. ■ Julie Gilles AFRIQUE MAGAZINE

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JEUNES ENFANTS : ON LIMITE LES ÉCRANS !

La PASSIVITÉ entraîne une sédentarité néfaste, surtout pour les moins de 2 ans. L’EXPOSITION AUX ÉCRANS des petits suscite des inquiétudes depuis un certain temps déjà. D’où les recommandations publiées récemment par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à partir de l’analyse de données scientifiques, qui recommande purement et simplement de les bannir chez les moins de 2 ans. En effet, les enfants les plus jeunes sont souvent passifs devant. Des activités plus diverses, comme la lecture d’histoires, les jeux ou encore les chants, sont bien plus bénéfiques pour éveiller, développer le vocabulaire, préparer à l’après. L’OMS conseille ensuite, pour les enfants entre 2 et 5 ans, de limiter l’usage des écrans à 1 heure par jour. Ceux-ci induisent une sédentarité néfaste, laquelle favorise un surpoids de plus en plus fréquent chez les petits (qui peuvent voir des maladies en découler). On les accuse également d’avoir un impact négatif sur le sommeil. Et rappelons que bien dormir et bouger favorisent une bonne santé, un bon développement moteur et cognitif, ainsi que les apprentissages. ■ Annick Beaucousin 95


Intestin irritable : les solutions pour soulager Ces troubles DOULOUREUX sont aussi désagréables que pénibles. Voici ce que vous pouvez faire.

EN BREF Des postures de yoga pour faire du bien Cette pratique renforce les membres inférieurs, redresse le dos et aide à mieux respirer. Le yoga apporte un bien-être certain et peut aider à soigner certains maux ou à prévenir leur apparition. On trouve ici 40 postures expliquées ainsi que des positions pour traiter de douleurs courantes (dos, épaule, hanche, genou, pied…). « Soignez-vous en pratiquant le yoga », par Marc Michnowski, éd. Leduc.s, 19 euros.

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persévérer. Et il faut essayer un régime après l’autre pour voir. Prendre des probiotiques sur conseil d’un médecin ou d’un pharmacien est une option pour rééquilibrer la flore. On fait alors une cure d’un mois pour en constater l’effet, et s’il n’y en a pas, ce n’est pas la peine de poursuivre. En cas de stress déclenchant ou majorant les troubles, on mise sur l’activité physique (qui, en plus, aide à la régulation du transit) et la relaxation. À noter que l’hypnose aide à mieux gérer le stress et qu’elle est également efficace pour apaiser les maux. Côté traitements, des antispasmodiques contre les douleurs et des régulateurs de transit sont utilisés pour soulager. Leur efficacité variant d’une personne à l’autre, il faut les tester pendant deux mois pour juger de leurs bénéfices. Bon à savoir : l’huile essentielle de menthe poivrée est aussi un bon antispasmodique. Enfin, faute de soulagement insuffisant, des antidépresseurs à faibles doses peuvent être prescrits : pas pour une action antidépressive, mais parce qu’ils calment les douleurs abdominales. ■ J.G.

Un dispositif pratique pour profiter de l’eau Avec une otite ou un tympan percé, impossible de se baigner habituellement ! Sauf avec cette protection conçue pour faire barrière à l’eau et aux bactéries. Ce film p de polyuréthane est à appliquer avec un gel adhésif d eet peut tenir jusqu’à sept jours. Transparent, ne gênant pas l’audition, il est fiable : ses propriétés g d’étanchéité ont en effet été validées par les d médecins de la Marine française. Il peut en outre m ss’utiliser en prévention par les personnes sujettes aux otites externes, dites « du baigneur ». a Protections Watearproof, Propharma, vendues P en e pharmacie, 9,80 euros la boîte de quatre.

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DOULEURS ABDOMINALES, ballonnements, troubles du transit (constipation ou diarrhée), tels sont les symptômes du syndrome de l’intestin irritable (SII). Il peut être lié à une hypersensibilité de l’intestin (provoquant un ressenti de douleurs pour des sensations minimes), à une perméabilité de sa paroi, ou à des contractions trop rapides ou trop lentes. Un déséquilibre de la flore intestinale ainsi que du stress peuvent aussi intervenir. Cette affection n’a rien de grave, mais pour en soulager les maux, il faut essayer différentes stratégies. Côté alimentation, on se méfie des mets gras : ils accentuent les troubles. En revanche, il n’y a aucune raison de se priver de fruits et de légumes. Parfois, un régime sans gluten apporte une amélioration. Diminuer certains Fodmap (petits sucres, comme le fructose, pouvant fermenter dans l’intestin) peut aussi permettre un mieux. Mais il ne faut pas se contraindre à des régimes pour rien ! Sans diminution des troubles au bout de quinze jours à un mois maximum, il est inutile de


VIVRE MIEUX forme & santé CÉPHALÉES RÉPÉTITIVES : QUELLES EN SONT LES CAUSES ?

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Avoir souvent mal à la tête n’est pas anodin. QUELQUES CONSEILS.

LA PREMIÈRE RAISON des maux de tête à répétition est la tension nerveuse ou musculaire liée au stress, à l’anxiété : la douleur touche en général l’ensemble du crâne et se produit comme une compression. Attention alors à l’abus d’antidouleurs, qui entraîne une dépendance et finit par entretenir les céphalées. Les solutions : un sommeil suffisant, de l’activité physique, de la détente et relaxation, et au besoin, une brève thérapie pour apprendre à mieux contrôler le stress, voire des médicaments contre l’anxiété. Autre cause fréquente, un problème visuel ignoré ou mal corrigé – d’autant plus lorsqu’il est question de travail sur écran. Là, la douleur survient plutôt en fin d’aprèsmidi, au niveau du front. On programme alors un contrôle ophtalmologique. Des maux de tête survenant surtout le week-end, eux, peuvent être dus à un changement d’horaires (nuit courte, grasse matinée, décalage des repas) : on essaie de ne pas trop p modifier son rythme de vie. Si vous us consommez beaucoup de caféine en semaine, il est possible que le manque de cette substance déclenche le mal : il faut ainsi progressivement réduire les doses durant la semaine. On ne fait pas toujours le rapprochement, mais certains aliments peuvent aussi déclencher des maux de tête : mets chinois, charcuterie, aliments gras, fromages fermentés, chocolat, fruits séchés, vin blanc… Souvent à cause d’additifs (glutamate, nitrites, sulfites…). Si vous constatez réellement un lien, supprimez le ou les coupables. Quant aux raisons plus rares, il faut faire le point avec un médecin, en décrivant bien ses symptômes. ■ J.G. AFRIQUE MAGAZINE

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HALLUX VALGUS : QUE FAIRE CONTRE CETTE BOSSE QUI DÉFORME VOTRE PIED ? Elle apparaît

sur le côté, à la base du GROS ORTEIL, et peut être gênante. L’HALLUX VALGUS, appelé « oignon » dans le langage courant, correspond à une déviation de l’os à la base du gros orteil : peu à peu, il forme une bosse qui peut être source de douleurs et poser des difficultés pour se chausser. Plusieurs éléments favorisent ce problème, survenant surtout après 50 ans : une grande élasticité des ligaments qui « tiennent » les os du pied (notamment chez les femmes), un pied dit « égyptien » (dont le gros orteil est plus long que les autres) et un surpoids. Le fait de porter souvent des talons hauts ou des chaussures à bouts étroits (qui malmènent l’avant du pied) est aussi un facteur et accélère le processus. Quand l’on commence à avoir ce souci, afin d’éviter qu’il ne s’accentue, il est conseillé d’opter pour des chaussures qui ne serrent pas à l’avant et avec un talon raisonnable, pour que le pied ne se retrouve pas trop à la verticale. On surveille aussi son poids. À la maison, marcher en tongs peut faire travailler le gros orteil de façon bénéfique. Il existe des écarteurs de doigts de pied en vente libre ou faits sur mesure par les podologues : maintenant le gros orteil plus droit, ceux-ci peuvent soulager, mais ne feront pas disparaître la déformation. En cas de douleurs sous le pied, des semelles orthopédiques réalisées sur mesure peuvent également apaiser. Quant à la chirurgie, elle est indiquée en cas de douleurs récurrentes ou gênant la marche, et de grandes difficultés à trouver des chaussures. Mais il est déconseillé de se faire opérer pour des raisons uniquement esthétiques. ■ A.B. 97


LES 20 QUESTIONS propos recueillis par Fouzia Marouf

1. Votre objet fétiche ? La khamssa, que l’on appelle de façon erronée la main de Fatma. J’aime la porter en bijou, non par superstition mais pour perpétuer une tradition nord-africaine. Cette main est un héritage berbère, juif et musulman.

3. Le dernier voyage que vous avez fait ? Alger, afin de manifester aux côtés de mes compatriotes. J’ai vécu un moment aussi formidable qu’intense. Le peuple algérien démontre depuis le 22 février dernier sa détermination : celle de fonder une autre Algérie, où il sera enfin possible de rêver. 4. Ce que vous emportez toujours avec vous ? De l’espoir. 5. Un morceau de musique ? « Don’t Stop Me Now », de Queen. Je suis une fan de Freddie Mercury. J’adore l’histoire de ce garçon parti de Zanzibar qui a attiré les foules d’Angleterre et du monde entier. 98

14. Ce que vous rêviez d’être quand vous étiez enfant ? Une chanteuse de raï. 15. La dernière rencontre qui vous a marquée ? Les militantes féministes algériennes. Pétries de courage, d’intelligence, de force…

Zoulikha Bouabdellah Les installations et vidéos de cette FrancoAlgérienne installée à Casablanca interrogent les icônes dominantes. Un témoignage inédit et subversif sur la sexualité et la condition des femmes dans la société contemporaine. L’artiste, récompensée par le prix de la Villa Médicis Hors les murs, expose au musée des Beaux-Arts de Rennes depuis juin et sera à la Biennale d’art contemporain de Rabat en septembre. 6. Un livre sur une île déserte ? Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. L’histoire que raconte ce roman est toujours d’actualité. Nous vivons une époque où la lutte des classes est incessante. 7. Un film inoubliable ? Autant en emporte le vent, de Victor Fleming. 8. Votre mot favori ? Tergiverser.

9. Prodigue ou économe ? Cela dépend des jours. 10. De jour ou de nuit ? De jour, sauf si je dois finir une œuvre dans l’urgence. 11. Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Tout à la fois, sauf Twitter. 12. Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Je fais du yin yoga. Et j’écoute Chopin et Schubert.

16. Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? Danser, si la musique me plaît, même si le lieu ne s’y prête pas. 17. Votre plus beau souvenir ? J’ai vécu un moment d’émotion lors du pèlerinage d’El Rocío, en Andalousie. C’est un hameau où l’on se déplace à pied ou à cheval. Les défilés de processions rejoignent l’église, entre chants et danses. Les femmes exhibent fièrement leurs belles robes de flamenco en agitant leurs éventails. 18. L’endroit où vous aimeriez vivre ? Un palazzo à Naples. 19. Votre plus belle déclaration d’amour ? Je n’ai pas encore fait de déclaration d’amour. 20. Ce que vous aimeriez que l’on retienne de vous au siècle prochain ? Mon œuvre. ■

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PATRICE PATTEE

2. Votre voyage favori ? L’Italie, véritable musée à ciel ouvert. J’y apprends la contemplation grâce à la beauté des paysages, de l’architecture et des œuvres d’art. J’y ai découvert récemment les mosaïques de Pompéi au Musée archéologique national de Naples.

13. Votre extravagance favorite ? Un dîner concocté par un chef étoilé.


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