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LUPITA NYONG’O

LA REINE AFRICAINE DE HOLLYWOOD

L’actrice kenyane s’est imposée au cœur de la capitale mondiale du cinéma. Récit. DOSSIER

L’AUTRE MALI

Spécial 24 pages

ENVIRONNEMENT

Les forêts en zone rouge TUNISIE

UN CHOIX POUR DEMAIN Les électeurs veulent renverser «« le le système système ». ». Pour quels objectifs ?

AÉRIEN

Comment les compagnies internationales se partagent le continent

EXCLUSIF

Manu Dibango « C’est le destin qui nous pousse » RENCONTRE

Mounia Meddour « Je veux insuffler l’amour de ma vie » N° 397 - OCTOBRE 2019

M 01934 - 397 - F: 4,90 E - RD

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0

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12ÈME ÉDITION Biennale Africaine de la Photographie 30.11.2019 – 31.1.2020

A N S

www.rencontres-bamako-12.com Federal Foreign Office


édito PAR ZYAD LIMAM

UNE BATAILLE AMÉRICAINE Un voyage aux États-Unis, spécialement à New York, revêt toujours une part d’aventure. New York, the « Big Apple », l’un des centres du monde occidental et de la puissance. New York et son aéroport international, hors d’âge, JFK (John Fitzgerald Kennedy), saturé, avec ces attentes interminables pour passer la frontière, toujours à la merci d’un agent de l’immigration ultra-zélé, prêt à vous rembarrer, feuilletant toutes les pages de votre passeport, surtout si vous êtes né quelque part au sud, et plus précisément quelque part dans le monde musulman. Ou d’un autre, étonnamment accueillant, avec le sourire : welcome to New York, welcome to America! B ienvenue dans la ville de l ’énergie créative, de la finance, de Wall Street, de l’argent, du pouvoir, du rêve américain, des élites, des gratte-ciel avec appartements luxueux au 75e étage. Bienvenue aussi dans la ville des inégalités, de la pauvreté, des gens qui dorment dans la rue, des homeless, des sans-abri. Bienvenue dans une ville d’une incroyable mixité, raciale, culturelle, linguistique, religieuse, celle où les premiers immigrants sont arrivés, à Ellis Island. Une histoire qui a imprimé l’âme de la ville. Comme celle de la tragédie du 11 septembre, avec ces images stupéfiantes, les tours du World Trade Center qui s’effondrent. Et un monde qui bascule. Rising from the ashes, se relevant des cendres, un orgueilleux One World Trade Center domine à nouveau le sud de la ville. À ses pieds, deux immenses bassins de granit noir, pour les deux tours perdues, avec le nom de chacune des victimes gravées sur le pourtour. New York est encore plus séduisante, chaotique, en surmenage lors de l’Assemblée générale des Nations unies, courant septembre. Le monde entier débarque dans la ville-monde. Circulation saturée. Rues bloquées. Hôtels de luxe barricadés. Des milliers de policiers de la NYPD (New York City Police Department) tentent de faire face, avec une relative bonne humeur. Chefs d’États, ministres, déléAFRIQUE MAGAZINE

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gations, hommes et femmes d’affaires, aventuriers, lobbyistes, journalistes, activistes, militants, opposants se croisent. Un immense carnaval finalement assez réjouissant et épuisant. Dans la rue, on peut croiser des chefs d’États quasi incognito, comme le président nigérien Issoufou Mahamadou, qui se rend à pied à un rendez-vous dans un hôtel voisin, ou le président rwandais Paul Kagame, qui doit presque enjamber une barrière de sécurité pour rejoindre les Nations unies. À l’intérieur du bâtiment, inauguré en 1951, le protocole, c’est que tous les chefs se valent. On se croise sans parfois se reconnaître, sauf pour le président des États-Unis, accompagné d’une armada de gros bras. Au siège de l’ONU se tiennent les réunions formelles et les discours parfois interminables. Un peu partout dans la ville se tiennent dîners, cocktails, rendez-vous discrets, réunions ou late night drinks dans des endroits branchés. Toute la ville est dans une immense discussion globale. Cette année, on aura beaucoup parlé climat. Comme avant, comme d’habitude, comme ailleurs. La jeune Suédoise Greta Thunberg aura marqué les esprits, interpellant avec audace les leaders de la planète. Mais pourtant, dix-sept ans après le sommet de Johannesbourg et la célèbre phrase de Jacques Chirac – « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » –, reste ce sentiment que le débat tourne en rond, malgré l’urgence. La menace est là. Presque tout le monde le reconnaît. Mais personne n’est réellement d’accord sur les moyens d’agir. Personne n’est vraiment d’accord pour financer les transitions écologiques. Ou pour modifier son mode de vie. Personne n’est vraiment d’accord pour soutenir le Sud, aux prises avec la nécessité d’inventer un autre modèle de développement. Et puis, tout cela est bien trop vaste, overwhelming, pour notre esprit humain. Finalement, les discours catastrophistes, les prédictions cataclysmiques ajoutent au désarroi : de toute façon, tout est fichu, we are all gonna fry (« on va tous cramer »)… 3


Trump est-il pour autant fini ? Le président n’aime pas les guerres sur les terres lointaines, mais la bagarre de rue dans la vie des affaires, de la politique, il connaît. Toute sa vie a été une sorte de combat contre la justice, l’establishment, les règles. Il ne croit qu’en Trump, sa force, sa capacité à recevoir des coups et à en donner. Ce qui 4

compte pour lui, finalement, c’est lui, ce n’est pas l’Amérique, ni même son gouvernement, ni même son parti, les Républicains. Il menace, il insulte, il envoie ses missiles quotidiennement sur Twitter, ne craignant pas d’être extrême, de faire appel aux plus bas instincts du pays. Trump fait du Trump, mais il travaille aussi activement sa base électorale, à la fois populaire et droitiste. Sur les dossiers qui comptent pour ces électeurs, il agit. L’immigration, les impôts, la nomination des juges conservateurs à tous les niveaux de l’appareil judiciaire, jusqu’au sommet, à la Cour suprême. La remise en cause du droit à l’avortement. La « liberté » de porter des armes. Pourtant, les sondages ne sont pas forcément en faveur de « Donald ». Sa cote de popularité est basse. AFRIQUE MAGAZINE

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UN PHOTO/BESTIMAGE

Un expert cherche à résumer (provisoirement) la situation. Le problème est mal posé, dit-il, uniquement en termes de tout ou rien. Ce n’est pas comme cela que l’humanité fonctionne. Bloquer le processus du changement climatique, agir drastiquement sur les causes, transformer notre mode de production de manière radicale, c’est improbable, une illusion. Arrêter le système est impossible. En revanche, l’adaptation, ça marchera mieux. Les sociétés humaines vont inventer, se protéger, déconstruire ici pour reconstruire ailleurs, chercher des énergies sans carbone, élever des digues, déplacer des villes, reboiser, créer des forêts et donc de la pluie, etc. Et au moment où se discute le sort du monde, celui des États-Unis monte à la une des quotidiens et des télévisions, balayant tout sur son passage. Le 24 septembre, la Chambre des représentants a ouvert une procédure d’impeachment, de destitution de Donald Trump. À l’origine de cette action spectaculaire, une conversation téléphonique entre ce dernier et le nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Conversation qui a fuité grâce à un whistleblower, un lanceur d’alerte, visiblement installé au cœur de la Maison Blanche. Le président des États-Unis aurait fait pression sur son homologue pour obtenir des informations confidentielles et gênantes utilisables contre l’un des adversaires démocrates dans la course à la présidence, Joe Biden (dont le fils Hunter est investi en affaires en Ukraine). Pour appuyer sa « demande », Trump aurait bloqué l’aide militaire au pays (pourtant votée par le Congrès) et dépêché à Kiev des proches, dont son inénarrable avocat Rudolph Giuliani. L’affaire est grave. Une demande de faveur pour des raisons de politique intérieure, le blocage de l’aide militaire. Et le cover up, la dissimulation subséquente, lorsqu’il s’agit d’isoler le transcript de la conversation sur un serveur secret, en dehors des procédures habituelles. On est loin des complexités et des subtilités de l’enquête du procureur Robert Muller sur la possible implication russe dans l’élection de 2016. Là, le président américain est pris les doigts dans le pot de l’abus de pouvoir clair et net…


édito

Discours du président des États-Unis lors de la 74e assemblée générale de l’ONU à New York, le 24 septembre 2019.

L’Amérique paraît comme épuisée par ses foucades, ses tweets, ses éclats, le climat de tension permanente, le radicalisme de la Maison Blanche. Y compris une partie de la droite républicaine. L’affaire ukrainienne risque d’agir comme un révélateur des pratiques de la présidence Trump, du président lui-même, mais aussi de ses associés ou de sa famille. Le fil de Kiev pourrait être tiré pour mener à d’autres dossiers. Provoquant dans les semaines et les mois qui viennent une série de révélations sur une présidence turned rogue, une présidence de coquins. La procédure d’impeachment reste, au fond, une bataille très politique, et l’opinion tranchera. Bill Clinton avait survécu. Richard Nixon préféra démissionner avant une humiliation au Sénat. Trump, AFRIQUE MAGAZINE

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lui, mènera un combat où tous les coups seront permis. Son calcul sera de rassembler sa base, ses troupes, dans un combat contre les « élites » de Washington. Certain de triompher. Un Trump sans limite, en quelque sorte. En remontant dans l’avion vers Paris apparaît toute l’ampleur du moment. Ce qui se joue aux États-Unis, c’est une bataille frontale entre la démocratie institutionnelle et la tentation « illibérale » fortement teintée de pouvoir personnel et de pratiques à peine légales. C’est la croyance dans l’État de droit qui est remise en cause. Et l’affaire ne concerne pas que l’Amérique, parce que l’Amérique, qu’on le veuille ou non, est au centre du monde. ■ 5




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ÉDITO Une bataille américaine

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par Zyad Limam

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par Zyad Limam avec Frida Dahmani

ON EN PARLE

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Lupita Nyong’o, sans fard ni répit

Emel Mathlouthi, le chant salvateur

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Les forêts en zone rouge

PARCOURS Mehdi Hadj Khalifa

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C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

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par Cédric Gouverneur par Cédric Gouverneur

par Fouzia Marouf

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CE QUE J’AI APPRIS Habib Koité

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par Astrid Krivian

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VINGT QUESTIONS À… Oum par Astrid Krivian

DOSSIER SPÉCIAL : L’autre Mali par Emmanuelle Pontié, Diénéba Dème, Célia Dédé d’Almeida, Boubacar Sidiki Haidara et Aurélie Dupin

C’EST COMMENT ? Rentrée-chaos par Emmanuelle Pontié

52

TEMPS FORTS Une nouvelle Tunisie ?

Manu Dibango : « C’est le destin et la chance qui nous poussent » par Astrid Krivian

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Mounia Meddour : « Nos parents évitaient de parler de la décennie noire » par Fouzia Marouf

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Portfolio : 1-54, rendez-vous à Londres !

P.88

P.54 Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps. Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

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AFRIQUE MAGAZINE

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PATRICK CARPENTIER/SAIF IMAGES - HAHN LIONEL/ABACA - EMMANUEL DAOU BAKANY

par Zyad Limam


P.94 FONDÉ EN 1983 (35e ANNÉE) 31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com Zyad Limam DIRECTEUR DE LA PUBLICATION DIRECTEUR DE LA RÉDACTION zlimam@afriquemagazine.com Assisté de Maya Ayari

mayari@afriquemagazine.com RÉDACTION Emmanuelle Pontié DIRECTRICE ADJOINTE DE LA RÉDACTION epontie@afriquemagazine.com Isabella Meomartini DIRECTRICE ARTISTIQUE imeomartini@afriquemagazine.com Jessica Binois PREMIÈRE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION sr@afriquemagazine.com Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Jean-Marie Chazeau, Célia Dédé d’Almeida, Frida Dahmani, Diénéba Dème, Aurélie Dupin, Catherine Faye, Virginie Gazon, Glez, Cédric Gouverneur, Boubacar Sidiki Haidara, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Magali Luzé, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont,

BUSINESS 94

À qui profite le ciel africain ? par Jean-Michel Meyer

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par Luisa Nannipieri

VIVRE MIEUX 118 Eczéma, comment aider la peau à se réparer 119 Comment se remettre au sport 120 Hygiène : De bonnes habitudes à prendre 121 Analyses de sang : Comprendre les principaux résultats par Annick Beaucousin et Julie Gilles

VIVRE MIEUX Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF

ABONNEMENTS Com&Com/Afrique Magazine 18-20, av. Édouard-Herriot 92350 Le Plessis-Robinson Tél. : (33) 1 40 94 22 22 Fax : (33) 1 40 94 22 32 afriquemagazine@cometcom.fr

LUPITA NYONG’O

LA REINE AFRICAINE DE HOLLYWOOD

L’actrice kenyane s’est imposée au cœur de la capitale mondiale du cinéma. Récit. DOSSIER

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ENVIRONNEMENT

TUNISIE

UN CHOIX POUR DEMAIN Les électeurs veulent renverser «« le le système ». système ». Pour quels objectifs ?

Les forêts en zone rouge

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ

AÉRIEN

Comment les compagnies internationales se partagent le continent

TUNISIE UN CHOIX POUR DEMAIN

EXCLUSIF

Manu Dibango « C’est le destin qui nous pousse »

Les électeurs veulent renverser « le système ». Pour quels objectifs ? STAR

RENCONTRE

Mounia Meddour « Je veux insuffler l’amour de ma vie »

Lupita Nyong’o La reine africaine de Hollywood

N° 397 - OCTOBRE 2019

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« C’est le destin qui nous pousse »

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AFRIQUE MAGAZINE EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR

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ENVIRONNEMENT

Les forêts en zone rouge

RENCONTRE MOUNIA MEDDOUR

SIPHIWE SIBEKO/REUTERS - DR

« Je veux insuffler l’amour de ma vie »

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31, rue Poussin - 75016 Paris. SAS au capital de 768 200 euros. PRÉSIDENT : Zyad Limam.

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PHOTOS DE COUVERTURES : AFRIQUE-INTERNATIONAL : BENOÎT TESSIER/REUTERS MAGHREB : SHUTTERSTOCK

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Compogravure : Open Graphic Média, Bagnolet. Imprimeur : Léonce Deprez, ZI, Secteur du Moulin, 62620 Ruitz. Commission paritaire : 0224 D 85602. Dépôt légal : octobre 2019. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rédactionnelles sont données à titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction. © Afrique Magazine 2019.

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ON EN PARLE C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode et du design

MUSIQUE

Emel Mathlouthi Le chant salvateur C’est aux États-Unis que la CHANTEUSE TUNISIENNE a enregistré ce nouvel album, un folk électronique aussi contemplatif qu’ENGAGÉ.

L’OUVERTURE, MAJESTUEUSE et hypnotique, de « Rescuer », le suspense sonore de « Wakers of the Wind », l’élégance indéniable de « Merrouh »… 10 chansons sur Everywhere We Looked Was Burning et autant de pierres précieuses longuement taillées pour le troisième album de l’auteure-compositrice et chanteuse Emel Mathlouthi. Depuis le milieu des années 2000, cette native de Tunis œuvre pour la liberté d’expression, tant musicale que politique, depuis son pays natal jusqu’aux États-Unis, à New York, où elle a récemment élu domicile. Parce qu’il est parfois dur de se faire entendre… Ainsi, si elle a toujours aimé chanter en arabe, l’anglais est la langue dominante d’Everywhere We Looked Was Burning. « Avec la maturité musicale que j’ai acquise ces dernières années, je me suis enfin sentie prête pour tenter cette aventure, explique l’artiste. Vivre à New York a fait de l’anglais une langue très présente dans 10

mon quotidien. La transition a été assez naturelle… Je ne voulais pas écrire en anglais comme quelqu’un dont ce n’est pas la langue. » Il s’agit également de revenir à ses premières amours, dont elle s’est inspirée : de Céline Dion à Bob Dylan, en passant par Joan Baez, Jeff Buckley ou encore Sinead O’Connor. Sans oublier Portishead, fine fleur du triphop des années 1990, dont l’influence se distille tout au long de cet album. Entourée d’artistes dévoués (Steve Moore de Zombi, Ryan Seaton de Lower Dens, Amine Metani d’Arabstazy, Ash Koosha et Karim Attoumane), Emel s’est laissée porter par une musique entre électro, pop et folk : « La diversité de mon héritage ainsi que celle de mes collaborateurs font la richesse de ce que j’entreprends. J’ai donné libre cours

aux mots et aux mélodies avant d’y trouver une unité. La nature a été le fil conducteur… » En effet, enregistré dans la verdure de Woodstock, Everywhere We Looked Was Burning évoque de

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JAMES MOUNTFORD - DR

nombreux enjeux sociopolitiques : « La crise migratoire dans la Méditerranée, l’effondrement climatique, toutes les valeurs qui s’écroulent dans un monde où le profit est le mot d’ordre », commente Emel. « Cet album s’est fait au milieu d’automnes différents, ajoute-

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t-elle, et a été témoin des transformations diverses du paysage. Il est né d’un hommage à la nature, mais parle aussi de la situation des hommes, tantôt bourreaux, tantôt engloutis dans la colère de la Terre. » Et le chant d’Emel, lui, s’avère salvateur. ■ Sophie Rosemont

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EMEL MATHLOUTHI, Everywhere We Looked Was Burning,

Partisan Records. 11


ON EN PARLE

Camille Lepage, au nord de Bangui, le 21 février 2014.

CINÉ

Ci-dessus, l’affiche du film qui relate son histoire. Ci-dessous, Pure colère, un ouvrage paru en 2017, qui témoigne de ses valeurs.

DANS LE VISEUR

LA FIN DU FILM est déjà dans les premières images : dépassant d’une bâche à l’arrière d’une camionnette, les pieds aux ongles peints en rouge d’une jeune femme blanche au milieu de ceux, noirs, d’autres cadavres… Le 12 mai 2014, Camille Lepage, 26 ans, était tuée par balle alors qu’elle accompagnait des miliciens anti-balaka dans la brousse centrafricaine. Elle était à leurs côtés pour les photographier et mieux les comprendre : des chrétiens avides de vengeance après les massacres perpétrés par les rebelles majoritairement musulmans de la Séléka, qui avait pris le pouvoir à Bangui en faisant régner la terreur un an plus tôt. L’histoire vraie d’une idéaliste qui n’avait pas froid aux yeux, incarnée à la perfection par une comédienne qui fait passer dans les yeux de son personnage toute la sensibilité d’une photographe quasi débutante, à la recherche de traces d’humanité dans les pires atrocités. Camille se sent à sa place en République centrafricaine, même si elle explique à ses proches lors d’un Noël en France qu’« être blanche là-bas, c’est merdique ». Elle va au contact, se forge une carapace, veut témoigner du drame qui se joue. 12

Le film de Boris Lojkine s’est monté avec la collaboration de la famille de la jeune femme et dans l’esprit des valeurs de cette dernière : en immersion dans le pays, avec des techniciens et des apprentis comédiens centrafricains formés par l’équipe du réalisateur. Le résultat, à la fois prenant et informatif, incorpore à cette reconstitution des dernières années de sa courte vie les photos de la « vraie » Camille Lepage, rendant ainsi hommage à son bel, mais fatal entêtement humaniste. Un témoignage porté depuis par sa mère, qui a publié en 2017 Pure colère (éditions de la Martinière), signé de sa fille car l’on y trouve ses photos, ses mails et des textes de ses amis. Ses parents et son frère ont également créé l’association Camille Lepage - On est ensemble afin de promouvoir son travail, d’aider les populations dans des zones de guerre, et de contribuer à protéger les journalistes qui y risquent leur vie. Un prix à son nom est aussi décerné chaque année au festival de photojournalisme Visa pour l’image, à Perpignan. ■ Jean-Marie Chazeau CAMILLE (France-République centrafricaine) de Boris Lojkine, avec Nina Meurisse, Fiacre Bindala, Grégoire Colin. AFRIQUE MAGAZINE

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FRED DUFOUR/AFP - DR (2)

La fulgurante et mortelle trajectoire d’une photojournaliste française plongée dans la guerre civile CENTRAFRICAINE.


David Shongo, œuvre sans titre, 2019.

DAVID SHONGO

ART CONTEMPORAIN

Latitude zéro

La jeune SCÈNE ARTISTIQUE CONGOLAISE nous invite à la Biennale de Lubumbashi.

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POUR LA SIXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, la ville de Lubumbashi, en République démocratique du Congo, va vibrer pendant un mois à l’occasion de sa biennale, tournée vers la photographie et l’art vidéo. Sous la direction artistique de Sandrine Colard, cette nouvelle édition, intitulée « Généalogies futures », invite les artistes à redessiner la cartographie du monde. La RDC est l’un des sept pays africains traversés par l’équateur terrestre, ce qui le place au cœur de l’Afrique, mais aussi à l’intersection des hémisphères nord et sud. La Biennale cherche ainsi à retrouver son profond enchevêtrement avec le monde et sa position centrale, passée et présente. Lancé en 2008 à l’initiative de l’association Picha (« image », en swahili), ce rendez-vous met en lumière la jeune création contemporaine en RDC et constitue aujourd’hui l’un des événements artistiques les plus dynamiques et expérimentaux du continent. ■ Catherine Faye

BIENNALE DE LUBUMBASHI,

République démocratique du Congo, du 24 octobre au 24 novembre 2019. biennaledelubumbashi.org

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ON EN PARLE

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STREET ART

NARDSTAR, REINE DU GRAFFITI Cette Sud-Africaine met LES FEMMES À L’HONNEUR.

NARDSTAR (2)

DÉJÀ CONNUE SUR PLUSIEURS CONTINENTS pour ses fresques d’animaux et d’éléments naturels, son style géométrique et ses couleurs vives, la Sud-Africaine Nardstar peint des femmes noires sur les murs, dans la rue, depuis 2016. Elle-même femme dans un monde dominé par les hommes, celui du street art, elle a ajouté ces portraits à son portfolio après avoir longuement réfléchi à son rôle d’artiste : « Je voulais célébrer les femmes, leur donner confiance en elles, les aider à s’émanciper et à se sentir appréciées. » Rien de mieux pour cela que de les afficher en pleine rue, tout en hauteur, avec le double but d’égayer l’espace public et d’offrir un sujet de conversation et de réflexion aux habitants. Que ce soit le visage d’une amie, d’une passante ou d’une activiste, le travail de Nardstar met en valeur l’énergie, la joie et la fierté de ses sujets et invite à s’identifier à elles. nardstar.com ■ Luisa Nannipieri

L’artiste peint des femmes noires sur les murs, depuis 2016. Ci-contre et ci-dessus, les rues du Cap.

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ON EN PARLE

La Femme d’ombre, 2019. La Voyageuse, 2018.

EXPO

LE FIGURO-ABSTRO SELON

Alioune

Diagne

Le CRÉATEUR de ce mouvement raconte sa démarche artistique à Paris.

DAVID AROUS (2) - WE ART PARTNERS

« CONSTRUIRE UNE IMAGE FIGURATIVE à partir d’éléments abstraits. Voilà ce à quoi est voué le figuro-abstro », explique Alioune Diagne, artiste sénégalo-français à l’origine de ce mouvement pictural. Créateur solidaire et engagé, Alioune Diagne, 35 ans, souhaite que son art rende compte de faits de société, qu’il réveille les consciences sur certains comportements, des oublis, des traditions. Pour sa première exposition parisienne, il donne toutes les clés pour comprendre son mouvement. En appliquant sur une forme figurative, porteuse d’un message, l’expression d’un sentiment ou d’une pensée abstraite, l’artiste raconte son pays, ce qu’il voit, ce qu’il ressent, et permet au visiteur de se le raconter à son tour, selon ses propres perceptions. ■ C.F. «PERCEPTIONS », 80 bis rue de Turenne, Paris (France),

du 30 octobre au 29 novembre 2019. aliounediagne.com 16

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MUSIQUE

Makeba forever DR

Un regard, un sourire, une voix unique : PATA PATA, l’album mythique de la chanteuse sud-africaine est réédité.

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EN 1967, le label américain Reprise publie Pata Pata. Ses prises de position contre l’apartheid l’ayant contrainte à s’installer aux États-Unis, Miriam Makeba mise beaucoup sur ce disque, qui devrait confirmer l’envergure internationale de sa carrière. Banco : inspiré des danses des townships, le titre éponyme est un tube qui fait bouger le monde entier. Nourri de mélodies traditionnelles africaines comme de sonorités cabaret, l’album offre des bijoux tels que « Yetenlu Tizaleny », « West Wind » ou encore « A Piece of Ground ». Avec ce disque, elle prouve qu’elle peut varier de registres et d’humeur, entre mélodies xhosas, effluves jazz enfumées et échos de musiques traditionnelles mexicaines. Un classique instantané donc, aujourd’hui remastérisé à partir des bandes originales. Si la gloire de Pata Pata a souffert après le mariage de Makeba avec le leader des Black Panthers, Stokely Carmichael, sa musique reste vivace. « Ma vie, ma carrière, toutes mes chansons, tous mes concerts et la lutte de mon peuple ne font qu’un », disait-elle… ■ S.R. MIRIAM MAKEBA, Pata Pata, Strut Records.

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ON EN PARLE Fille de musiciens, l’artiste commence à chanter à 17 ans, les yeux rivés sur le monde de la mode.

C R É AT R I C E

QUEEN TAWA ET LE PAGNE SENSATION Avec LIPUTA SWAGGA, la designeuse et chanteuse congolaise crée des tenues extravagantes avec des tissus traditionnels.

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Les courbes audacieuses et les ailes imposantes font la force des modèles de la marque.

le public et leur unicité est célébrée par de nombreux adeptes. Après avoir obtenu plusieurs prix, comme le trophée Sanza de Mfoa (qui récompense les créateurs culturels congolais) dans la catégorie Mode, et été décorée Chevalier dans l’ordre du mérite par le Premier ministre en 2018, elle a entrepris une tournée internationale qui se terminera cet hiver. Actuellement en résidence artistique au Maroc, elle présentera ses créations à la Congo Fashion Week, à Kinshasa à la mi-octobre, avant de se rendre à Abidjan en décembre. Voyageuse inlassable, Queen Tawa se considère ambassadrice de la culture congolaise sous toutes ses facettes, et n’hésite pas à la transmettre sous le prisme de l’afrofuturisme. ■ L.N. AFRIQUE MAGAZINE

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REY MANGOUTA - DR

LIPUTA SWAGGA est le nom d’une ligne de vêtements, d’une chanson, mais aussi de la marque de l’artiste éclectique Queen Tawa. De son vrai nom Tchianna Tchicou-Pembey, la « reine » est née et a grandi à Brazzaville, où elle est retournée s’installer après avoir passé une quinzaine d’années en France. Fille de musiciens, elle commence à chanter à 17 ans, les yeux rivés en parallèle sur le monde de la mode. Toujours très attentive à son image et décidée à s’habiller suivant ses goûts, elle dessine des modèles qu’elle soumet aux couturiers locaux. Pour ses créations, elle choisit le plus souvent le liputa, pagne congolais, et demande aux tailleurs d’assembler des formes coniques et extravagantes, non sans les faire sourciller. Au départ, ces tenues imposantes, avec des pointes et des ailes sensationnelles, font simplement partie de sa garde-robe pour les grandes occasions ou pour la scène, et elle n’imagine pas les vendre. Aujourd’hui, son atelier basé à Pointe-Noire ne cesse de sortir de nouveaux modèles aux graphismes audacieux et bigarrés. Ses habits ne sont pourtant pas banals : il faut une bonne dose de cran pour les porter, mais ils produisent un effet certain sur


LIVRES

Femmes de talent ! Notre sélection 100 % afro-féminine pour une rentrée littéraire différente. DOUBLE IDENTITÉ «C’EST L’HEURE où la paix se risque dehors. » Ainsi commence le premier roman de Beata Umubyeyi Mairesse, qui mêle les voix de trois générations pour raconter le génocide rwandais et ses conséquences psychiques sur l’identité et la construction de soi. Blanche vit à Bordeaux après avoir fui le génocide des Tutsis en 1994. Rwandaise, elle a construit sa vie en France, avec son mari et son enfant métis, Stokely, pris entre deux pays. Trois ans après le massacre, elle retourne dans son village d’enfance pour comprendre. Mais sa mère, Immaculata, rescapée du génocide, se mure dans le silence. Comme son héroïne, Beata Umubyeyi Mairesse, en lice pour le prix du roman Fnac, est née au Rwanda, en 1979, et a quitté son pays pendant la tragédie pour s’installer à Bordeaux. Son roman pose la question de l’identité métisse. Ce sentiment d’habiter une place ambiguë, entre l’Europe et l’Afrique. ■ C.F. BEATA UMUBYEYI MAIRESSE, Tous tes enfants dispersés, Autrement, 256 pages, 18 €.

UNE HISTOIRE DE RÉSISTANCE SON ŒUVRE est entièrement dédiée aux thèmes de la famille et à l’histoire de son pays. Ayesha Harruna Attah est née au Ghana en 1983, de parents journalistes. Après des études universitaires prestigieuses aux États-Unis, elle s’installe au Sénégal et se consacre à l’écriture. Son troisième roman, Les Cent Puits de Salaga, explore le Ghana du XIXe siècle, à travers le regard de deux femmes qui portent le nom de reines guerrières : Aminah, captive de 15 ans, et Wurche, princesse et fille têtue du chef de Salaga, la ville aux cent puits, construits pour laver les esclaves avant de les vendre. Avec le commerce entre Africains et Européens et les rivalités entre tribus comme toile de fond, ce roman aborde les relations amoureuses et les conditions de vie éprouvantes des femmes dans un pays en plein apogée du commerce d’esclaves. Une histoire de courage, de pardon, d’amour et de liberté, portée par le parcours de ces deux femmes que tout semble opposer. ■ C.F. AYESHA HARRUNA ATTAH, Les Cent Puits de Salaga, Gaïa, 256 pages, 22 €.

FAMILLE MAUDITE

DR - ITUNU KUKU - DR (2) - MARK RUSHER

LES MALÉDICTIONS ont la vie dure. Depuis que Kintu, gouverneur d’une province du Buganda, a tué accidentellement son fils adoptif d’une gifle, en 1750, un sort hante sa famille, vouant ses membres à la folie, à une mort violente ou au suicide. Trois siècles plus tard, ses descendants semblent abonnés au tragique : Suubi est harcelée par sa sœur jumelle qu’elle n’a jamais connue, Kanani est torturé par l’idée d’avoir transmis le sida à sa femme et à son fils, et Miisi est hanté par des visions où s’invitent des esprits. Chacun à son tour va être appelé dans une forêt aux confins de l’Ouganda, dans une ultime tentative de conjurer le sort… Il a fallu dix ans à Jennifer Nansubuga Makumbi pour écrire ce premier roman inattendu. Une épopée contemporaine dans une langue magnifique, mêlant époques, ambiances et un incroyable casting de personnages. Et un regard nouveau, l’écrivaine examinant le fardeau des hommes africains sans pour autant diminuer le rôle des femmes. Un grand roman ougandais, à l’aune de ce que Chinua Achebe a apporté à l’écriture nigériane. ■ C.F. JENNIFER NANSUBUGA MAKUMBI, Kintu, Métailié, 480 pages, 22 €. AFRIQUE MAGAZINE

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ON EN PARLE

SOUNDS À écouter maintenant !

❶ Naar

Safar, Barclay

CINÉ

PARCE QU’ILS EN AVAIENT ASSEZ de voir des artistes européens s’approprier leur identité visuelle, le collectif Naar, fondé par les artistes Mohamed Sqalli et Ilyes Griyeb, a décidé de remettre le Maroc au cœur de la carte géographique du rap. Et avec option trap, s’il vous plaît. Dans son premier album, Safar, « voyage » en arabe, Naar enchaîne les beats bien sentis et les collaborations, notamment avec des rappeurs français. Contemporain et efficace. ■ S.R.

URGENCES

Le siège d’ALEP filmé de l’intérieur des hôpitaux bombardés par le régime syrien. SAMA, C’EST « CIEL » EN ARABE. Celui qui surplombe la petite fille à qui est donné ce prénom le 1er janvier 2016 est bien lourd, zébré par les raids aériens des armées russes et syriennes et les barils d’explosifs largués par hélicoptère. Sa naissance a pourtant été voulue par ses parents, qui ont choisi de rester à Alep malgré les pilonnages. Ils se sont rencontrés lors des premières manifestations étudiantes contre le régime de Bachar al-Assad, dont on revoit en flash-back les images pleines d’espoir. Le père est médecin, la mère journaliste. Il y a trois ans, cette dernière a décidé de filmer l’effroyable quotidien du siège de sa ville, en guise de témoignage pour sa fille, et pour le monde entier. C’est d’abord à cette enfant qu’elle s’adresse, un bébé gardé dans une chambre capitonnée de sacs de sable. La complexité des forces engagées contre le pouvoir n’est pas vraiment évoquée, l’émotion commande l’urgence et réciproquement. Deux séquences au moins restent gravées dans la mémoire du spectateur : deux petits garçons auprès du cadavre de leur petit frère qui espèrent le voir ressusciter, et un bébé tout gris sorti du ventre d’une maman mourante, qu’un chirurgien manipule en tous sens longtemps, très longtemps, pour tenter de lui faire pousser son premier cri… La réalisatrice vit une partie de l’année 2016 avec son mari dans le dernier des neuf hôpitaux de la ville encore debout, et l’équipe médicale – ce qu’il en reste – fait ce qu’elle peut. On patauge dans le sang avec eux jusqu’à l’évacuation finale, et ce constat terrible : « Nos sacrifices ont été vains. » Mais jusqu’où aller face à la tyrannie ? ■ J.-M.C. POUR SAMA (Syrie-Royaume Uni), de Waad al-Kateab et Edward Watts.

❷ Ebo Taylor

Palaver, Tabansi Records/BBE Music

APRÈS LA SORTIE DE SON IRRÉSISTIBLE ALBUM, Yen Ara, en 2018, la légende de la musique ghanéenne revient déjà ! En effet, la maison de disques londonienne BBE Music réédite les grands enregistrements du célèbre label nigérian Tabansi Records, dont un inédit d’Ebo Taylor, Palaver. Pendant près de quarante ans, ces bandes avaient été oubliées ! Sont ainsi dépoussiérés cinq morceaux groovy, entre afrofunk et beat, sur lesquels résonnent trompettes et saxophones. ■ S.R.

Cette année, les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) fêtent

leur 30e édition et s’ouvrent au monde. À l’honneur, quatre pays aux traditions cinématographiques aussi différentes qu’innovantes : le Liban, le Nigeria, le Chili et le Japon. Reste à savoir qui succédera à Mahmoud ben Mahmoud et son Fatwa. ■ C.F. JOURNÉES CINÉMATOGRAPHIQUES DE CARTHAGE, Tunis (Tunisie),

du 26 octobre au 2 novembre 2019. jcctunisie.org 20

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ITN PRODUCTIONS - DR (4)

ÉVÉNEMENT


MARGUERITE BORNHAUSER POUR LES INROCKUPTIBLES - DR

L I T T É R AT U R E

Léonora

Miano

Un continent utopique La romancière FRANCOCAMEROUNAISE livre une fable afrofuturiste pleine d’amour et d’ironie.

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NOUS SOMMES EN 2124, à Katiopa. Un continent africain prospère, autarcique et unifié, où viennent trouver refuge les Sinistrés de la vieille Europe. Leur repli sur leurs traditions, leur incapacité à s’adapter et leurs rêves de grandeur passée inquiètent les dirigeants. Par ce changement de regard, le nouveau roman de Léonora Miano autopsie le malaise de notre temps et se positionne en puissant remède aux crispations identitaires. Depuis L’Intérieur de la nuit (2005), l’écrivaine née à Douala, au Cameroun, multiplie les récits, nouvelles, pièces de théâtre et essais pour donner à voir les déchirures du continent, ses problèmes d’identité et la mémoire oblitérée de la traite esclavagiste. Comme un trait d’union entre l’Afrique et l’Europe, où elle vit depuis 1991. C’est l’histoire d’un amour interdit entre Boya, enseignante à la peau albinos qui tire sur le rouge, et Ilunga, président de Katiopa. La jeune femme se rapproche des Fulasi, ces descendants d’immigrés qui ont quitté la France au début du XXIe siècle. Ilunga et l’impétueux chef de la sécurité intérieure sont partisans d’expulser ces populations inassimilables, qui nuisent à l’unité et à l’identité de la fédération. Boya préconise de leur tendre la main, persuadée que le continent sera d’autant plus fort s’il réussit à intégrer tous ses peuples et à digérer le poids de l’époque coloniale qui les ont tant fait souffrir. Comme un traité d’apaisement entre les nations et les cultures, Rouge impératrice renverse les codes de la domination raciale. Dans ce dixième roman, à mi-chemin entre le traité politique et le récit de science-fiction, Léonora Miano mêle l’ironie et la gravité qui lui sont propres. Et interroge le lecteur : quelles peurs nos angoisses de l’autre cachent-elles ? Ainsi, Boya va mettre toute son intelligence à convaincre Ilunga. Dans le monde utopique de la romancière, inspiré de la vitalité imaginative des séries à rebondissements, l’amour est capable de tout. Même de changer les politiques et les sociétés. ■ C.F. LÉONORA MIANO, Rouge impératrice,

Grasset, 608 pages, 17 €. 21


PARCOURS

Mehdi Hadj Khalifa SA GALERIE VENISE CADRE DE CASABLANCA bouscule les codes de l’art contemporain. Avant-gardiste, touche-à-tout, ambitieux, cet enfant de la ville blanche veut d’abord exister chez lui. par Fouzia Marouf

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egard profond et obstiné, costume croisé Tom Ford, Mehdi Hadj Khalifa a imposé son style sur la scène artistique du royaume chérifien. Son œil pour l’art s’est aiguisé dès sa prime enfance. Né à Casablanca en 1984, il est au contact d’une riche palette d’acteurs culturels. « J’ai toujours été séduit par les personnes œuvrant dans cet univers. Mes parents avaient un ami marchand d’art, sa prestance, ses toiles m’ont marqué. » Amoureux de la Biennale de Venise, il avoue sa fascination pour Vincent Van Gogh, Frantisek Kupka, Kasimir Malevitch ou Rembrandt. Étudiant aux Beaux-Arts de Paris en 2004, il vit au couvent des Récollets, où il rencontre Terry Richardson et Larry Clark : « J’avais soif de culture, je me suis retrouvé au cœur de l’art. » À 22 ans, il assiste à l’Armory Show, une exposition internationale d’art moderne qui réunit le gotha new-yorkais : « Les Américains y étaient d’une élégance rare, arrivant dans un défilé de Rolls-Royce. J’y ai croisé Warren Buffet, Bill Gates, c’était la fin de l’art moderne et le début de l’art contemporain. Cette grande messe m’a surpris », confie-t-il. Il travaille dans un premier temps en France, dans le luxe, pour de prestigieuses marques comme Persol, Chanel ou Louis Vuitton. Puis fonde avec l’entrepreneur Patrice Meignan l’agence L’Écurie, à Paris, spécialisée dans la production de contenus, et ils créent ensemble un magazine, Intersection, dédié au lifestyle et à la culture. Il rentre finalement au Maroc en 2011 avec le désir effréné de se tailler une place sur la scène culturelle. Deux ans plus tôt, il avait rencontré Anne-Laurence Sowan et lui avait proposé de créer Another Life Company, une agence d’ingénierie culturelle. Résultat des courses ? En moins d’une décennie, Mehdi Hadj Khalifa est passé maître dans l’art de révéler de jeunes talents, grâce à la galerie Venise Cadre de Casablanca (GVCC), qu’il codirige avec son associée : « Je vivais très bien à Paris, mais je n’avais pas envie d’être le bon Arabe, le bon alibi. Je voulais être important dans mon pays, j’avais à cœur de participer activement à la nouvelle histoire de l’art marocain. » Le commissaire d’exposition s’inscrit rapidement hors du cadre classique, bouscule les chasses gardées des marchands d’art au Maroc. Un projet lui apporte une nouvelle aura : « Nous avons produit Mastermind en 2011, un programme curatorial : digne d’une exposition, il réunit chaque année 14 artistes marocains selon des conditions muséales, dans le but de dénicher de nouveaux talents et de définir une véritable scène », précise-t-il. En 2017, il organise un autre projet fédérateur, Art Week Casablanca, qui soutient la création dans la métropole. Mehdi Hadj Khalifa évoque sans mal le décalage entre le premier marché et le second au Maroc : « C’est un milieu très dur, inachevé et en devenir. » Homme d’action, il a été élu président de l’Association des galeries d’art du Maroc en juin dernier. Avide de défis, il a lancé un autre chantier en octobre, GVCC Dialogue, un espace d’échanges dédié aux artistes. En décembre, il présentera l’exposition d’Adil Kourkouni, peintre marrakchi prometteur, à la galerie. Une nouvelle mise en œuvre au nom de l’art. ■ 22

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PETER LINDBERGH

Photographié par le légendaire Peter Lindbergh, qui nous a quittés le 3 septembre dernier.

«J’avais à cœur de participer activement à la nouvelle histoire de l’art marocain.»


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C’EST COMMENT ?

PAR EMMANUELLE PONTIÉ

DOM

RENTRÉE-CHAOS Franchement, j’admire les familles et les enfants qui arrivent à faire face à la rentrée des classes. On nous rebat les oreilles (évidemment, à juste titre) sur les bienfaits incommensurables de l’éducation, de l’école pour les jeunes filles, des cahiers et des bouquins garants de l’avenir des jeunes et du continent. Yep ! Alors, pourquoi tant de haine et de vents contraires aux abords des sacro-saints mois de septembre et octobre ? Chaque année, c’est le même parcours du combattant, épuisant, coûteux, décourageant. Bien sûr, je ne parle pas des nantis qui inscrivent leur progéniture dans l’école bilingue ceci ou l’école française cela. Eux ne regardent pas à la dépense et bénéficient de conditions privilégiées, comme une rentrée à l’heure, des profs à leur poste de travail, etc. La norme, quoi ! Je pense aux autres (plus de 90 % des familles africaines) qui doivent se battre, parfois en vain, pour que leurs petits puissent accéder à l’école. La rentrée, qui a lieu à des dates diverses – comme le 2 septembre au Cameroun, le 1er octobre au Mali ou au Tchad –, génère d’énormes frais. Les banques proposent des prêts à cet effet, à des taux faramineux. Et en Afrique centrale, les tontines vont bon train. Il faut payer l’inscription, les cahiers, les livres, les fournitures, le transport, voire apporter son banc. Neuf fois sur dix, les soutiens ou aides de l’État prévus sur le papier à l’intention des parents les plus démunis sont dérisoires ou ne sont pas versés. Une fois l’enfant miraculeusement fin prêt pour partir, cartable sous le bras, il faut encore compter avec les grèves des enseignants, légions en cette période. Ces derniers râlent de manière récurrente sur les retards de salaires, parfois abyssaux, dont ils sont victimes. Autre phénomène très fréquent : les écoles sans instits. Ceux-ci boudent les affectations loin des capitales et, dans les coins reculés des pays, il n’est pas rare de trouver un établissement totalement déserté, avec des herbes qui ont poussé dans les salles de classe, à l’abandon depuis des lustres. Ajoutez à cela que les zones inaccessibles pour raison de sécurité, comme en ce moment la zone anglophone du Cameroun ou certaines provinces burkinabées, peuvent priver d’enseignement la plupart des petits. Et migrer dans un établissement plus lointain, ailleurs, est souvent impossible. Bref, les programmes multiples, les espoirs réels et la volonté affichée des gouvernements semblent témoigner d’un souhait général que la rentrée ait bien lieu et dans de bonnes conditions. Dans les discours. Dans la réalité, ça reste l’enfer. Pour combien d’années encore ? ■ AFRIQUE MAGAZINE

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élections

UNE NOUVELLE TUNISIE? 26

La révolution s’essouffle. Les promesses d’un ordre social meilleur se sont engluées dans la paralysie du « système » et des « élites ». Le peuple choisit donc de se faire entendre, dans une série de scrutins qui redessinent les contours du pays. par Zyad Limam avec Frida Dahmani A F R I Q U E M A G A Z I N E I 397 – OCTOBRE 2019


Le 17 janvier 2019 à Tunis lors de la grève nationale du secteur public. Les manifestants réclament des hausses de salaire.

ZOUBEIR SOUISSI/REUTERS

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l y a eu comme une accélération symbolique de l’histoire. Avec le décès, en juillet, du président Caïd Essebsi, perçu comme un héritier légitime du bourguibisme. Puis le décès, en exil, le 19 septembre, de l’ancien président Ben Ali, l’héritier « illégitime », en quelque sorte. Une page s’est tournée définitivement sur le passé au moment où le processus révolutionnaire engagé en 2011 semble jouer un nouvel acte. La Tunisie est plongée dans un processus électoral aussi incertain que stupéfiant. À l’heure où ces lignes sont écrites, fin septembre, personne ne peut vraiment spéculer sur le destin à court terme du pays. Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle du 15 septembre, tout paraît possible. Recours divers, second tour de la présidentielle, invalidation, contentieux, un candidat élu en prison, chamboulement législatif, etc. Depuis 2011, les promesses des uns et des autres n’ont pas apporté de changement à ceux qui ont porté la révolution. La corruption et l’informel prolifèrent, les fractures entre régions se creusent et les indicateurs économiques augurent d’un avenir austère et difficile. Seuls effets formidables de ces années postrévolutionnaires, le pluralisme et la liberté d’expression se sont installés. Le peuple a donc choisi la manière la plus démocratique de se faire entendre, celle des urnes. Ce vote de la Tunisie d’en bas contre les nantis, cette débâcle des partis traditionnels face à des candidats dits « populistes » soulignent une évolution de fond. Un nouvel acte de la révolution paraît enclenché. 27


ÉLECTIONS

Le vote des citoyens s’apparente à un rejet de la classe politique. Le sens d’une « insurrection électorale » Le 15 septembre donc, les résultats du premier tour de la présidentielle ont fait l’effet d’un séisme politique. Le vote des Tunisiens va au-delà de la simple sanction du gouvernement sortant. Il s’apparente à un rejet de la classe politique dans sa globalité. Une sorte d’insurrection électorale qui pourrait être assimilée à une Kasbah III, dans la succession des mouvements protestataires Kasbah I et II, en 2011, qui ont conduit à la Constituante et à l’élimination définitive de « l’ancien régime ». Les périodes se ressemblent, avec cette stratification, cette accumulation de ressentiment, cette défiance majeure vis-àvis des gouvernants. Depuis plusieurs mois, les citoyens ne cachaient pas leur insatisfaction, notamment face à la baisse de leur pouvoir d’achat, aux différentes difficultés socio-économiques du pays, mais aussi à la déliquescence de secteurs fondamentaux de l’action publique, comme l’éducation, la santé, la sécurité. Le pouvoir, aussi bien le gouvernement que l’Assemblée, est resté sourd au malaise exprimé par l’opinion. Les partis traditionnels post-2011, y compris les néo-islamistes d’Ennahdha, n’ont pas vu venir une défaite pourtant annoncée par les différents sondages depuis mars 2019. À travers le vote, les Tunisiens ont simplement signifié qu’ils voulaient être entendus et ne se fiaient plus aux promesses électorales ; ils ont choisi deux candidats hors système, « populistes » : Kaïs Saïed et Nabil Karoui. Mais ce choix reste relatif, comme en attente. Le taux d’abstention reste élevé, plus de 50 %. Et à eux deux, les finalistes ne représentent que 35 % des votants.

La « faillite » de l’élite ? Ce qui n’empêche pas que le procès public est en place. Les élites du pays auraient « failli ». Les intellectuels, les hauts fonctionnaires, les entrepreneurs, les hommes d’affaires, ces générations d’hommes et de femmes qui ont largement contribué à la création d’un État moderne ont été sourds aux douleurs du peuple. La fonction publique s’est inscrite dans ses certitudes d’un autre âge, la classe business s’est retranchée dans ses villas cossues du bord de mer, comme indifférente au sort de l’autre Tunisie. Et une grande partie du monde intellectuel est restée comme sidérée par l’impact de 2011, par la découverte d’un pays entièrement différent de son apparence officielle. Un pays où la pauvreté reste une réalité structurelle, un pays plus conservateur aussi, travaillé par les questions identitaires, le conformisme religieux. Un pays révolutionnaire d’où, pourtant, des milliers de jeunes sont partis au djihad, en Syrie ou ailleurs. Cette rupture entre « élite » et « peuple » recoupe la rupture entre la Tunisie côtière et relativement opulente et la 28

Tunisie du centre-sud, abandonnée à elle-même. Elle recoupe un conflit de générations, entre ceux, plus âgés, qui sont aux commandes du pays et ceux, plus jeunes, diplômés, au chômage, qui restent en marge des profits et des responsabilités. Un conflit culturel entre une population multilingue, tournée vers l’extérieur, vers l’Occident, et une population arabisée soucieuse de réaffirmer une identité traditionnelle. C’est aussi le clivage entre l’économie de service, celle du tourisme et des start-up, et l’écosystème ravagé des industries, des mines de phosphate, d’un secteur public plombé, d’un appareil législatif antique. Si l’élite a failli, c’est surtout dans cette mauvaise lecture de la Tunisie réelle.

« Populisme » version Kaïs Saïed Arrivé en tête avec un score de 18,4 % au premier tour, le constitutionnaliste Kaïs Saïed était l’outsider de ce scrutin. Atypique, celui que l’on surnomme Robocop pour sa diction saccadée a fait campagne avec des moyens très limités (on se demande tout de même comment) et a surtout pu compter sur l’appui d’une armée de jeunes bénévoles, « idéologisés » et motivés. Un électorat composé d’étudiants et de diplômés chômeurs, dont l’âge moyen est de 26 ans. Des troupes qui ont façonné via les réseaux sociaux la campagne de ce juriste à l’allure ascétique, avec notamment 13 pages à 280 000 abonnés chacune. Le candidat a sillonné le pays depuis 2011. Du haut de son pupitre universitaire, il a participé à la formation de centaines d’étudiants juristes. Ses interventions à la télévision sont régulières. Le principal projet du candidat est d’opérer, via un référendum, une refonte du régime avec une hyper-décentralisation et la création de « comités locaux ». Une démocratie institutionnelle du « bas vers le haut », qui redonnerait la souveraineté au peuple. Ultra-conservateur pour ce qui est des questions sociétales, il s’oppose à l’égalité successorale entre hommes et femmes, à la dépénalisation de l’homosexualité et à l’ouverture des cafés durant le jeûne de ramadan. Il demeure flou sur la diplomatie et la sécurité nationale, qui sont les prérogatives du président, mais affirme un souverainisme pointilleux. Son discours, en arabe classique et pas toujours facile à suivre, plaît car il parle de sincérité et des oubliés du développement. Le mystère demeure. On dit qu’il est soutenu par les révolutionnaires radicaux (héritiers des fameuses ligues post2011) et/ou par les islamistes d’Ennahdha, et qu’il reconnaîtrait le rôle de la charia dans la législation… Son blitz électoral mérite le respect. Mais on ressent chez lui comme une volonté de disruption idéologique, comme une volonté de renouer avec le parcours révolutionnaire. Au moment où la Tunisie aurait probablement besoin de jeunesse, d’idées neuves, audacieuses. AFRIQUE MAGAZINE

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NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE

Sans parti, l’outsider Kaïs Saïed est arrivé en tête du premier tour du scrutin présidentiel.

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ÉLECTIONS

Nabil Karoui, le 1er juin 2019, lors d’une action organisée par son association, Khalil Tounes, dans une banlieue populaire de la capitale.

NICOLAS FAUQUÉ/IMAGESDETUNISIE

Il sillonne le pays déshérité, entouré de camions, de médecins, de denrées, se substituant aux services publics défaillants.

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« Populisme » version Nabil Karoui

La campagne de Salwa Smaoui

Comment faire campagne lorsque l’on est en prison ? Comment défendre ses idées lorsque l’on ne peut pas débattre, donner d’interviews, ni s’exprimer ? Le cas de Nabil Karoui, en « détention préventive » pour blanchiment d’argent et évasion ur les 26 candidats à l’élection présidentielle, fiscale depuis le 23 août, est sans précédent dans les annales on ne comptait que deux femmes électorales. Pour une bonne partie de l’opinion publique, cet – Abir Moussi et Selma Elloumi –, mais entrepreneur, publicitaire, créateur de Nessma TV, aura été mis c’est pourtant Salwa Smaoui qui a raflé au placard, jugé « trop dangereux pour l’establishment ». Avec les suffrages. L’épouse de Nabil Karoui, un tel dispositif, son score de 15,6 % au premier tour est mériingénieure formée aux États-Unis, a fait toire. L’homme est au cœur de la politique depuis la révolution. campagne avec une rare pugnacité à la place À ses proches, il n’a jamais caché ses ambitions politiques. Il fut de son mari, lequel est en détention préventive depuis longtemps le communicant très influent de Béji Caïd Essebsi. Et le 23 août pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. l’un des artisans du rapprochement entre le parti de « Si Béji » « C’est une lionne dans une arène politique où tous les et le leader islamiste Rached Ghannouchi. Le consensus était coups sont permis », estimait un militant après le coup né. La mort accidentelle, cruelle, de son fils Khalil en 2016 le d’envoi de la campagne présidentielle, le 2 septembre. projette dans l’action humanitaire, avec son association Khalil Ce soir-là, s’adressant à Nabil Karoui en patois, Tounes. Il sillonne la Tunisie déshéritée, entouré de camions, Salwa Smaoui a galvanisé le public de Gafsa, sa ville de médecins, de denrées. Et il s’éloigne dans le même procesd’origine, se faisant avec conviction son porte-parole. sus du président et de la coalition au pouvoir. Répercutée par Meurtrie par la perte d’un fils en 2016, elle est devenue Nessma TV, la caravane qu’il mène sur le terrain provoque pour les Tunisiennes le symbole de la battante, une formidable adhésion populaire. Il se substitue aux sertandis que les Tunisiens admirent sa solidarité avec vices publics défaillants. son mari. Elle incarne une idée Le 15 septembre 2019, après les résultats du premier tour, Comme pour Kaïs Saïed, il de la femme à la fois émancipée Salwa Smaoui lit à la presse une lettre de son époux y a chez lui quelque chose incarcéré. et protectrice de sa famille. d’assez radical dans l’apSans moyens, la directrice générale proche, dans la volonté de Advertising & Online de Microsoft rompre avec les habitudes pour l’Afrique et le Moyen-Orient et l’organisation du « sysaurait pu se tenir à l’écart de l’action tème ». Mais « NK » est un politique, mais elle a tenu à sillonner self-made-man qui croit le territoire. « Avec le gel des avoirs en lui, un ambitieux qui se de Nabil et de sa famille imposé dope aux objectifs. Il croit par le juge d’instruction, nous avons en une Tunisie modernisée, fait au mieux », raconte Dhouha, émergente, efficace, à une de l’équipe de Kalb Tounes, le parti rénovation qui permettrait fondé par Karoui. Ni meetings aux classes défavorisées dispendieux, ni spectacles, Salwa d’entrer dans le wagon du développement. Il y a aussi de l’équiSmaoui a couru les cafés et les marchés, abordé les librisme dans cette approche. Il s’agit, à la fois, de parler à la citoyens, s’est dépensée sans compter, et a convaincu Tunisie des déshérités et d’engager une transformation éconoses interlocuteurs. Résultat, le 15 septembre, Nabil Karoui mique par le haut. On est dans la disruption économique, pragremportait son ticket pour le second tour avec 15,6 % matique, loin finalement de tout discours postrévolutionnaire des voix. Depuis, elle s’active pour les législatives au sein ou idéologique. Cloué au pilori par les partis et une certaine du parti et poursuit son combat pour que son époux bourgeoisie, qui le jugent avant même que les magistrats ne se – contre lequel rien n’a encore été retenu – soit libéré, soient prononcés, « NK » avance dans l’adversité. Faute de visiau nom de la présomption d’innocence et qu’il bénéficie bilité, il perd du terrain. Mais son épouse, Salwa, le représente, de l’égalité des chances face à son adversaire, Kaïs transmet ses messages, fait campagne, suscitant une certaine Saïed. Une bataille contre les méandres de la justice admiration dans l’opinion. Son parti, Kalb Tounes (« Au cœur et les décisions arbitraires, qui a l’allure d’un quitte de la Tunisie »), est totalement mobilisé en vue des élections ou double. La libération de Nabil Karoui pourrait législatives de début octobre. Et dans les sondages, la formation changer totalement la donne électorale. ■ Frida Dahmani est souvent en tête.

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Le 6 octobre, les formations post-2011 La Tunisie ingouvernable ?

Le malaise d’Ennahdha En 2011, à sa réapparition publique sur la scène politique, le mouvement islamiste Ennahdha s’impose comme un mastodonte monolithique que rien ne paraît pouvoir ébranler, ni contourner. Mais à l’épreuve du pouvoir, dans cette coalition de consensus, les fissures sont apparues. Le parti a perdu, au fil des scrutins, en huit ans, 1,1 million d’électeurs et son candidat, l’avocat Abdelfattah Mourou, vice-président sortant de l’ARP, n’est pas au second tour de l’élection présidentielle. Pour Ennahdha, les élections législatives du 6 octobre apparaissent déjà comme un test majeur. Selon de nombreux observateurs politiques, le « consensus » se fait au détriment de l’évolution du pays, et il faudrait clarifier les rôles, avec une majorité « séculière » et une opposition « néo-islamiste ». Un résultat médiocre 32

Rached Ghannouchi cumule trente ans à la tête d’Ennahdha.

du parti de Rached Ghannouchi au scrutin du 6 octobre ne ferait qu’accélérer le moment du bilan. La mainmise du président sur les structures du parti, sa volonté d’impulser les orientations qu’il souhaite, au détriment des décisions collectives, ont fini par créer un malaise et réveiller de vieilles dissensions. Deux mouvances finalement s’opposent : les « exilés », menés par Rached Ghannouchi – qui cumule trente ans à la tête du parti –, et le groupe de « l’intérieur », soudé, qui est resté en Tunisie et a subi les répressions successives. Ces derniers, sans être de la génération des fondateurs, veulent représenter la relève idéologique du parti, sortir de l’islamisme politique pour se présenter comme des « musulmans démocrates ». Les divisions s’expriment ouvertement, et certains n’hésitent plus à remettre en cause le leadership du chef. Le parti devrait solder ses comptes internes lors de son prochain congrès, à l’automne 2020.

Quel renouveau pour les bourguibiens-modernistes ? En cette fin d’année 2019, le camp « moderniste » apparaît comme un champ de ruines et d’espoirs déçus. Avec le décès de Béji Caïd Essebsi disparaissait l’un des derniers acteurs majeurs du bourguibisme, mouvement fondateur de la Tunisie moderne. Un départ, on l’a dit, vécu comme un moment symbolique, comme une page qui se tourne. Les partis se réclamant de l’héritage, eux, sont en crise, divisés, sans leader incontesté. La mouvance a proposé plusieurs candidats au premier tour de l’élection présidentielle, s’auto-éliminant dans un combat fratricide entre le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et son ministre de la Défense, Abdelkrim Zbidi. Les années de pouvoir, à partir de 2014, auront laissé l’opinion désabusée. Élu sur une base anti-islamiste, Caïd Essebsi a finalement choisi une alliance avec Ennahdha pour « sauver le pays du chaos ». Son parti, Nidaa Tounes, a été fracturé par de multiples querelles intestines. La AFRIQUE MAGAZINE

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Le second tour de l’élection présidentielle se déroulera le 13 octobre, mais le scrutin législatif aura lieu le 6 octobre, avec la désignation sur un tour par scrutin de liste des représentants à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Et c’est là que se jouera le rapport de force, la définition des équilibres politiques qui vont gouverner la Tunisie pour les cinq ans à venir. Pour les partis, la bataille est essentielle. Le régime quasi parlementaire adopté par la Constitution de 2014 a conduit la Tunisie à l’immobilisme – faute d’une majorité claire dans l’hémicycle – et aux jeux d’appareil permanents. Une formule qui montre ses limites mais favorise le parti d’Ennahdha, au centre de toutes les combinaisons. Faute de front commun, les législatives à venir, prises en étau entre les deux tours de la présidentielle anticipée, devraient conduire à une configuration morcelée de l’ARP. Sans majorité franche. En cause, l’abstention qui se profile, une offre pléthorique pour 33 circonscriptions (1 572 listes et 15 737 candidats), avec un éparpillement des voix prévisible et des programmes pas toujours visibles. Et le souffle du « dégagisme » issu du premier tour de l’élection présidentielle. Autre paramètre justement, l’influence de ce premier tour, qui met en avant des micro-partis, jusque-là peu actifs, et des indépendants, pour la plupart inconnus, qui soutiennent le candidat Kaïs Saïed. À ceux-là s’ajoutent les nouveaux mouvements, tels 3ich Tounsi, animé par Olfa Terras Rambourg, et Kalb Tounes, le parti de Nabil Karoui. Ils bouleversent une donne déjà complexe, dans laquelle les formations politiques post-2011 jouent aussi leur survie et leur influence. Effet prévisible : une majorité « introuvable », qui devra pourtant adouber le chef de gouvernement et le gouvernement… Certains experts rappellent déjà que le parlement peut être dissous si, dans les quatre mois, il n’accorde pas sa confiance à un exécutif. Ces jeux d’équilibrisme parlementaire semblent assez surréalistes, au moment où la Tunisie a surtout besoin de s’engager dans une voie de réformes claire.


joueront leur survie et leur influence. situation économique s’est dégradée, les divisons du pays se sont accentuées. Au bilan, aussi, peu ou pas de grandes réformes sociétales. Les propositions de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), dont la fameuse égalité femmes-hommes dans l’héritage, sont restées des vœux pieux. Le sécularisme bourguibien s’est affaibli, laissant émerger un conservatisme ultra, fortement teinté de connotation religieuse. La charia reste une référence pour de nombreux jeunes. Tout comme la possibilité d’une révolution à la fois plus à gauche sur le plan social et plus « réac » sur le plan sociétal. Le modèle libéral occidental n’attire pas un pays désorienté par la crise économique et l’affaiblissement de l’État, et en recherche de repères. Comme souvent, tout dépend aussi d’un chef, d’une personnalité, en prise avec l’opinion, et surtout décidé à assumer, à incarner un véritable projet de société inclusif. Et moderniste.

La crise économique et sociale, toujours Le tourisme ne va pas si mal (avec un prévisionnel de 9 millions de visiteurs et de 1,25 milliard d’euros de recettes sur 2019). L’agriculture non plus, selon les années. Mais pourtant, la Tunisie roule sur les jantes, sans véritable plan à moyen terme, à part celui de trouver les financements pour reremplir en permanence les caisses de l’État. Résultat, une dette publique à hauteur de 72 % du PIB en 2018. Et une augmentation de 110 % de l’impôt en huit ans. Une situation d’immense fragilité pour un pays « seul au monde ». Personne ne sera là pour payer une partie de la facture… La révolution avait porté des revendications de développement, qui n’ont pas été concrétisées, et le pays s’est enlisé dans une crise économique sévère. Malgré des indicateurs en léger mieux, dont une inflation à 6,5 % en 2019, contre 7,1 % en 2018, la croissance reste molle, les investisseurs, notamment tunisiens, sont timorés, tandis que l’augmentation du coût de la vie et la dépréciation du dinar affectent les consommateurs, surtout les plus fragiles. Sous observation du Front monétaire international (FMI), qui lui a servi en juin 245 millions de dollars – cinquième tranche d’un prêt d’un montant global de 2,9 milliards de dollars –, la Tunisie devrait sortir à l’automne du classement des pays « sous surveillance » par le Groupe d’action financière (Gafi), organisme intergouvernemental qui lutte contre le blanchiment des capitaux. Mais les problèmes structurels restent inchangés faute de mise en place des réformes, notamment pour réduire le déficit public en agissant sur la masse salariale, la gouvernance des entreprises publiques, la collecte des impôts et la réduction des subventions à l’énergie. Et la situation sociale est explosive. En 2019, la Tunisie a compté au moins quatre mouvements sociaux. Sans parler des mouvements de colère hors contrôle, comme les blocages de routes (comme on l’a vu récemment à la suite d’inondations et de coupures de l’approvisionnement en eau).

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Une constitution impraticable ? Après cinq ans d’application, « la plus belle constitution du monde », comme disait en 2014 le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar, montre ses failles et ses limites. La loi fondamentale, dont la rédaction a pris trois ans, s’avère, à l’usage, conduire à des impasses… constitutionnelles. L’exemple le plus marquant est celui des amendements au code électoral (la fameuse loi d’exclusion), que le défunt Béji Caïd Essebsi n’a pas signé, éventualité que le texte fondamental n’avait pas envisagée. Tout comme il ne prévoit pas qu’un candidat soit incarcéré, comme c’est le cas de Nabil Karoui pour la présidentielle. Ni même ce qui se passerait si ce candidat était élu. Et puis, à force de vouloir diluer les centres de pouvoir entre le président, le chef du gouvernement et l’ARP, on voit les conflits se multiplier… De toute façon, le pays fonctionne sans cour constitutionnelle. Durant tout le mandat, les partis et les députés n’ont pas réussi à s’accorder sur ses membres. Un vide symbolique en haut de la pyramide juridique du pays. Il en va de même de la plupart des instances constitutionnelles provisoires, legs de la transition, qui n’ont pas été pérennisées, telle la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), régulateur de l’audiovisuel. D’autres ont été créées mais sont restées des coquilles vides faute de membres élus, telle l’Instance du développement durable et des droits des générations futures (IDDDGF). Autre frein, l’inadéquation des lois avec les fondements constitutionnels, notamment sur le chapitre des libertés et égalités. Ainsi que l’absence de promulgation des décrets d’application, qui empêche les décisions d’être effectives. C’est le cas du code des collectivités locales adopté en avril 2018, dont l’absence de publication bloque la gestion municipale, alors que la décentralisation est l’un des axes de la constitution.

Révolution et démocratie. Il ne suffisait pas d’une révolution et du départ de Ben Ali pour que la démocratie s’installe. Il ne suffit pas de voter, surtout si l’abstention est élevée, pour que le système fonctionne. La démocratie, « le moins mauvais des systèmes », comme disait Winston Churchill, est un processus. Un processus long, où les acteurs doivent s’entendre sur une règle du jeu institutionnelle. Un processus qui favorise la liberté, l’État de droit, une justice impartiale. Mais aussi le développement économique, la justice sociale, en particulier dans les pays émergents. Dans les pays en développement, le politique et l’économique doivent fonctionner main dans la main. Le chemin sera long, très long. Et les retours de bâton toujours possibles. La Tunisie fait encore exception dans le monde arabe. Le processus est vivant. Mais les désillusions peuvent tout remettre en cause. Huit ans après la révolution, les Tunisiens et les Tunisiennes ont besoin de sortir du labyrinthe et de l’inertie. Le pays ne pourra pas se permettre cinq ans de plus de semi-paralysie politique, économique et sociale. ■

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la course solidaire du Groupe Bolloré C’est désormais une tradition, le dernier jeudi de septembre, les collaborateurs GH WRXWHV OHV ÀOLDOHV GX *URXSH %ROORUp FRXUHQW RX PDUFKHQW NP SRXU OD ERQQH FDXVH De Los Angeles aux Iles Fidji en passant par Paris et Douala, 17 402 personnes se sont mobilisées cette année pour soutenir l’association SOS Villages d’Enfants.

Johannesbourg (Afrique du Sud).

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olidarité, cohésion et esprit d’équipe sont les maîtres mots du Marathon Day, un événement festif imaginé il y a quelques années par Cyrille Bolloré, Président-directeur général du Groupe qui porte son nom. Ce rendez-vous interne est devenu incontournable pour les collaborateurs qui attendent impatiemment ce moment « hors temps » qui leur permet de se rassembler quel que soit leur métier, leur zone géographique ou leur entité, le même jour à la même heure. Chaque année, l’évènement prend de l’ampleur. Ils sont de plus en plus nombreux à participer et à porter haut les valeurs de leur groupe.

Des plages de Dubai, aux artères de Manhattan en passant par les rues de Brazzaville, les « marathoniens » étaient tous réunis pour la bonne cause le 26 septembre dernier. Certains ont couru, d’autres ont marché, se sont initiés à la Zumba ou se sont adonnés à un cours de gym géant dans un stade. Humilité, excellence, courage, solidarité, agilité, innovation pouvait-on lire sur les t-shirts des participants cette année. Chaque pays donne sa tonalité au Marathon Day : « color run » en Asie ou maillot customisé au Brésil, les collaborateurs, de chez Bolloré Transport & Logistics, Canal +, Universal, Havas, Gameloft,Vivendi, Bluesystems, IER, ont tous joué le jeu.

Courir pour la bonne cause

Si l’événement est avant tout festif, il est églament solidaire. Pour la deuxième année consécutive, le Groupe Bolloré a décidé de dédier le Marathon Day à l’association SOS Villages d’Enfants. « La jeunesse est l’axe central de la politique de mécénat mise en place par le Groupe Bolloré. Nous sommes donc heureux de pouvoir participer aux efforts de SOS Villages d’Enfants qui, depuis plus de 60 ans, œuvre à la protection des plus jeunes. » explique Cyrille Bolloré. L’an dernier, la mobilisation GHV FROODERUDWHXUV DYDLW SHUPLV OH ÀQDQFHPHQW GH SURMHWV LQWHUQDWLRQDX[ portés par l’association SOS Villages d’Enfants. Les équipes d’Universal Music à Londres (Angleterre).


PUBLI-REPORTAGE

907 collaborateurs réunis au siège social du groupe Bolloré à Puteaux (France).

Un engagement local fort

Dans cette même logique, depuis l’an dernier les collaborateurs qui sont au plus près du terrain peuvent se mobiliser pour apporter un VRXWLHQ PDWpULHO RX ÀQDQFLHU DX[ FRPPXQDXWpV ORFDOHV Entre 2018 et 2019, ce sont plus de 100 actions qui ont été conduites sur le terrain. Distribution de matériel scolaire, réfection de salles de classe, nettoyage des rues, distribution de maillots et de ballons de foot neufs, dons d’ordinateurs, vente de gâteaux pour soutenir un orphelinat…

Distribution de divers équipements pour l’association CACAJ en Angola.

Les initiatives ne manquent pas. Humainement et économiquement impliqués dans le développement des pays dans lesquels il exerce ses activités, le Groupe Bolloré a toujours contribué à l’essor des économies locales, en développant des infrastructures modernes, en créant des emplois, en formant ses collaborateurs locaux et en soutenant les populations. L’implication forte de ses collaborateurs le jour du Marathon en est un parfait exemple.

Échauffement à San Pedro, avec plus de 200 participants à la course (Côte d’Ivoire).

Depuis plus de 60 ans, SOS Villages d’Enfants a pour mission de prendre en charge des enfants sans soutien parental ou en risque de le perdre, en France et dans le monde. Présente dans 136 pays, SOS Villages d’Enfants International prend en charge plus de 89 000 enfants et jeunes dans 572 villages d’enfants SOS. Avec au total plus de 2 600 projets sociaux, éducatifs et de santé, l’association vient en aide à plus d’un million et demi de EpQpÀFLDLUHV KRUV SURJUDPPHV G·XUJHQFH Elle est apolitique, non-confessionnelle et a un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations-Unies. Pour plus d’informations : www.sosve.org

marathon-day.com

SC BTL-09/19

La solidarité fait partie de l’ADN du Groupe Bolloré qui depuis près de 200 ans a toujours eu à cœur de redonner une partie de ce qu’il avait eu la chance de recevoir. Ainsi, chaque année, le Groupe soutient dans le monde entier des associations œuvrant principalement dans le domaine de l’éducation et de la santé via sa plateforme EarthTalent.


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LUPITA NYONG’O SANS FARD NI REPIT KIRK MCKOY/LOS ANGELES TIMES/CONTOUR RA BY GETTY IMAGES

Pour la troisième fois, elle est à l’affiche de Star Wars, dont le neuvième opus (L’Ascension de Skywalker) sort sur les écrans français en décembre prochain. Révélée par ses rôles dans 12 Years a Slave et Black Panther, Lupita Nyong’o est la plus grande actrice africaine de l’histoire de Hollywood. On vous explique pourquoi. par Cédric Gouverneur 36

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« Il y a encore un long chemin à faire pour combattre les préjugés contre les femmes noires, leur couleur de peau et la texture de leurs cheveux. » En 2007, dans un centre commercial new-yorkais.


ANNA WEBBER/GETTY IMAGES FOR SAKS FIFTH AVENUE

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amais à cours de projets, Lupita Nyong’o va porter au petit écran Americanah, de la Nigériane Chimamanda Ngozi Achidie : l’histoire d’une Africaine qui s’exile aux États-Unis. « Ce magnifique roman me passionne depuis que je l’ai lu en 2013, a-t-elle expliqué au site Deadline. C’est un conte à la fois d’actualité et intemporel. » Elle sera l’héroïne de cette série en dix épisodes diffusée sur la chaîne HBO, qu’elle coproduira avec l’actrice américaine d’origine zimbabwéenne Danai Gurira. Elles se sont rencontrées sur le tournage de Black Panther. Qui, mieux que Lupita Nyong’o, pour interpréter une Africaine rêvant d’Amérique ? La différence, c’est que le personnage finit par rentrer à Lagos après s’être efforcé pendant quinze ans de se faire une place chez l’Oncle Sam. La jeune femme, elle, s’est assez rapidement imposée comme l’une des actrices les plus influentes de Hollywood. Sans jamais oublier d’où elle vient, ni qui elle est. D’origine kenyane, Lupita Nyong’o est née en 1983 au Mexique. Pays où son père avait jugé plus prudent d’emmener sa famille, après la « disparition » d’un oncle. L’un de ces assassinats qui, encore aujourd’hui, déciment les leaders de l’ethnie Luo, exclue du pouvoir depuis l’indépendance du Kenya, dominé par les Kikuyus. Lupita, c’est le diminutif de Guadalupe, prénom inspiré de la « Vierge de Guadalupe », apparue à un Amérindien pendant la conquête espagnole. Une icône populaire qui a gal-

vanisé l’indomptable peuple en armes pendant toutes ses révoltes : un prénom approprié pour une actrice aussi engagée. Son père, Peter Anyang’ Nyong’o, a écrit dans les années 1980 plusieurs essais sur la démocratie en Afrique. Durant un temps ministre, il est aujourd’hui sénateur de Kisumu, troisième ville du Kenya et fief des Luo. Sa mère, Dorothy Nyong’o, est l’une des directrices de l’Africa Cancer Foundation. « Je suis issue d’une famille politique », dit souvent l’actrice. Peu après sa naissance, elle retourne au Kenya avec ses parents et ses cinq frères et sœurs, et grandit à Nairobi, où « être Luo était parfois inconfortable ». Au collège, un professeur d’anglais la fait monter sur les planches. À 14 ans, elle décroche le rôle de Juliette au Kenya National Theatre. Après un détour par le Mexique, elle part étudier aux États-Unis. Le début du rêve américain, mais sans jamais perdre l’Afrique de vue : au Hampshire College (Massachusetts), elle fait le choix d’étudier l’histoire et la sociopolitique du continent. Et sa première rencontre avec Hollywood, en 2005, prend la forme d’un poste d’assistante de production sur un film tourné au Kenya : The Constant Gardener. Une œuvre militante, qui dénonce le comportement des multinationales de l’industrie pharmaceutique dans les pays émergents. DES PREMIERS RÔLES CONVAINCANTS

De nouveau au Kenya, elle enchaîne les expériences des deux côtés de la caméra : réalisation d’un clip de la chanteuse Wahu, rôle dans la série Shuga… Mais c’est dans un documentaire qu’elle démontre toute la force de ses convictions : In My Genes, en 2009, rassemble les témoignages de huit personnes albinos, dans une région où ceux qui naissent avec la peau dépigmentée sont encore trop souvent victimes de préjugés et de crimes rituels. Il sera primé au festival du film africain de Mexico – une récompense idéale pour l’enfant de ces deux cultures. Ses débuts d’actrice aux États-Unis ont parfois été délicats… Dans une tribune publiée par le New York Times 39


en octobre 2017, Lupita a raconté sa rencontre avec le tristement célèbre Harvey Weinstein, producteur accusé d’avoir harcelé sexuellement et violé des dizaines de femmes. En 2011, la Kenyane étudie l’art dramatique à l’université de Yale, et sa situation est plus que précaire : elle ne possède pas encore la green card, la carte de résident permanent aux ÉtatsUnis. Elle fait alors la connaissance de l’influent producteur, qui se montre « au départ très charmant », faisant croire que seul son talent l’intéresse. Il la convie chez lui, mais très vite, l’entretien sort du cadre professionnel : le colosse de trente ans son aîné veut la masser. La jeune actrice retourne la situation en lui proposant d’inverser les rôles : « Cela me permettait de garder le contrôle physiquement. » Elle prend la fuite quand il retire son pantalon… Quelques mois plus tard, l’homme l’invite au restaurant. Ce qu’elle accepte, dans l’espoir de décrocher un rôle. Il lui propose de coucher avec lui et met cartes sur table : « Pour devenir actrice, tu devras faire ce genre de choses. » Elle le repousse. Mais peu après cette expérience malheureuse, la chance va tourner : elle passe une audition pour Steve McQueen. Ce réalisateur noir britannique, homonyme d’un monstre sacré de Hollywood, vient de faire une entrée fracassante dans le cinéma avec Hunger : caméra d’Or 2008 à Cannes, ce drame politique décrit l’agonie de Bobby Sands, membre Film d’époque, comédie, épouvante… la comédienne touche à tous les genres.

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de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), résume l’actrice Sarah Paulson, sa partemort d’une grève de la faim à la prison naire dans 12 Years a Slave. de Belfast, en 1981. En 2012, le cinéaste En 2015, elle joue un personnage prépare 12 Years a Slave, l’adaptation de improbable dans la saga Star Wars : l’autobiographie Douze ans d’esclavage Maz Kanata, une pirate extraterrestre de Solomon Northup, un homme noir né de 1,20 mètre ! L’actrice est alors filmée libre qui fut kidnappé et réduit en esclaen motion-capture, ce qui consiste à vage en Louisiane, en 1841. Il cherche enregistrer les mouvements du visage une actrice pour interpréter la jeune et à les transposer en 3D. En 2016, elle esclave Patsey. Et c’est Lupita Nyong’o décroche le premier rôle dans Queen qui est choisie parmi un of Katwe, success-story sur millier de candidates. Elle l’édifiant destin de Phiona donne alors la réplique à Mutesi, championne d’échecs l’Anglo-Nigérian Chiwetel ougandaise née au début des Ejiofor, à Michael Fassbenannées 1990 dans le bidonder et à Sarah Paulson. ville de Katwe, à Kampala. Et Dans une scène insoutrouve son deuxième grand tenable, le maître oblige rôle dans un blockbuster Solomon à la fouetter… avec Black Panther, un film Pour cette incarnade superhéros résolument tion aussi tragique que africain [voir encadré]. sublime, elle obtiendra pas Cette année, elle s’est fait moins de 19 récompenses, Elle va adapter Americanah, remarquer dans Us, thriller dont l’Oscar de la meilleure de Chimamanda Ngozi d’épouvante de Jordan Peele, Achidie, en série pour HBO. actrice dans un second rôle réalisateur du terrifiant Get en 2014. C’est la consécraOut (2017), qui avait pour tion. « Pas un instant, il toile de fond le racisme. ne m’échappe que tant de Elle apparaîtra dans Little joie dans mon existence Monsters, une « comédie de provient de tant de soufzombies » sur les écrans ce frances dans l’existence mois-ci. Et en décembre, de quelqu’un d’autre ! », elle incarnera pour la troilance-t-elle dans son poisième fois Maz Kanata dans gnant discours de remerStar Wars. ciement. Cette autre, c’est Décidément éclectique, Patsey, née et morte en elle a aussi prêté sa voix captivité, et dont on ignore à une louve dans un film jusqu’au nom de famille. Son oscar sera d’animation de Disney en 2016 : dans son sésame pour vivre aux États-Unis. cette nouvelle adaptation du Livre de Sa notoriété explose. Elle joue avec Liam la jungle, de Rudyard Kipling, elle est Neeson dans Non-Stop, l’un de ces films Raksha, la cheffe de meute qui élève d’action bruyants et interchangeables, Mowgli comme son propre petit. Lupita vite regardés et aussitôt oubliés… Nyong’o, elle, n’a pas d’enfant. Ni, officiellement, de vie de couple. Quoique la rumeur lui ait prêté des liaisons succesUNE CARRIÈRE ÉCLECTIQUE sives avec Michael B. Jordan (à l’affiche Plus symbolique : celle qui a toujours de Black Panther), Jared Leto, et même su s’habiller avec grâce et distinction avec la chanteuse de soul Janelle Monáe. devient cette même année la première En mai dernier, au bal costumé annuel égérie noire de Lancôme. Et est élue organisé à New York par Anna Wintour, « plus belle femme du monde » par le la complicité affichée des deux femmes a magazine américain People. « Lupita fait jaser sur les réseaux sociaux. D’autant est la personnification de la destinée », AFRIQUE MAGAZINE

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JAMIE MCCARTHY/GETTY IMAGES FOR GREY GOOSE

« Je suis issue d’une famille politique.» Avec son père, Peter Anyang’ Nyong’o, ancien ministre et aujourd’hui sénateur de Kisumu, au Kenya.

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lack Panther est un film de superhéros inclassable. L’action se déroule en Afrique et quasiment tous les personnages sont noirs – mis à part un honnête agent de la CIA un peu falot et un affreux trafiquant qui se fait vite occire. Le pitch est aussi improbable que séduisant : il y a des millions d’années, une météorite s’est écrasée en Afrique, provoquant l’apparition du vibranium, un métal aux propriétés infinies. Depuis, le royaume du Wakanda offre deux visages : aux yeux du monde entier, c’est un pays pauvre (inspiré du Lesotho, avec ses bergers habillés de couvertures), mais en réalité, caché derrière ses montagnes, il vit dans l’opulence grâce à ses technologies futuristes développées grâce au vibranium : médecine de pointe, transports ultrarapides… Le drame se noue lorsque revient au pays un héritier du trône, qui a connu la misère et le racisme des ghettos afro-américains : ce prince veut utiliser le vibranium pour libérer ses frères africains… et dominer le monde. Concentré d’action et d’humour, Black Panther est une parabole sur le pillage des matières premières du continent, le racisme, le développement… Son titre fait évidemment référence au mouvement révolutionnaire du Black Panther Party. Cette superproduction des studios Marvel a connu un succès, aussi bien critique que public, faramineux : plus de 1,3 milliard de dollars de recettes engrangées au box-office à travers le globe et une flopée de récompenses. C’est le premier film de superhéros à être nommé pour l’oscar du meilleur film et à décrocher trois statuettes ! Lupita Nyong’o y incarne Nakia, une agente secrète qui, fidèle à ses valeurs, se rebelle contre le nouveau roi mégalomane. Un rôle fait pour elle. « Il existe beaucoup de gens [à Hollywood] qui ont eu une représentation faussée de l’Afrique, expliquait l’actrice à la BBC lors de la promotion du film. Mais ils respectent le continent, veulent le réétudier et le présenter sous un jour nouveau. » Film de superhéros « en prise avec le monde réel », Black Panther peut être « un exemple et une inspiration » pour le public noir, afin de « réinventer le futur », poursuit-elle. En février 2018, lors de l’avant-première kenyane, à Kisumu, la ville de ses parents, elle a été reçue comme une reine. L’actrice souligne en outre que Black Panther a été tourné sous la présidence de Barack Obama, mais qu’il a rencontré le public sous l’ère de Donald Trump : « Nous avons fait ce film dans une ambiance politique tellement différente de celle où il est sorti ! » ■ C.G. Cette superproduction des studios Marvel a connu un succès aussi bien critique que public.

UNE FEMME DE COMBATS

Là où d’autres stars étalent leur vie intime, Lupita Nyong’o mène sans faille ses combats. En 2017, l’édition britannique du magazine Grazia croit bon de raccourcir, au moyen du logiciel Photoshop, les cheveux de l’actrice, apparemment trop crépus pour son lectorat. N’ayant pas été consultée, elle riposte en publiant sur les réseaux sociaux ses portraits retouchés et non retouchés : « Il y a encore un long chemin à faire pour combattre les préjugés inconscients contre les femmes noires, leur couleur de peau et la texture de leurs cheveux. » Elle est bien décidée à lutter sur tous les fronts contre ces préjugés : véritable touche-à-tout, elle signe le scénario d’un livre pour enfants, publié aux ÉtatsUnis en octobre. Sulwe (« étoile » en luo) raconte l’histoire d’une petite fille dont la peau est la plus foncée de tout son entourage, et qui s’en trouve complexée. L’actrice a eu l’idée de ce livre en 2014, peu après avoir prononcé un discours au cours d’un brunch réunissant des consœurs afro-américaines : « J’ai reçu ce courrier d’une jeune fille. Et je voulais vous en lire un extrait : “Chère Lupita, je pense que tu as beaucoup de chance d’être cette Noire qui réussit à Hollywood. Je m’apprêtais à acheter une crème pour éclaircir ma peau, lorsque tu es apparue sur la carte du monde. Et que tu m’as sauvée.” » Cette stigmatisation de la pigmentation, la jeune femme ne la connaît que trop bien : parce que sa peau était considérée comme trop noire, elle s’est vue refuser des rôles au Kenya. Et pourtant : « Je ne crois pas avoir déjà vu un visage aussi empli de lumière, dit d’elle Sarah Paulson. Elle est la définition même de la lumière intérieure. » ■

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Quand Black Panther renverse le monde

que Janelle Monáe, bisexuelle, est depuis peu célibataire. « Je pense qu’il y a des aspects de moi-même que je souhaite partager [avec le public] et d’autres non », a pudiquement commenté la comédienne à nos confrères du magazine américain Vanity Fair, dont elle a fait la couverture en septembre dernier.


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bilan

LES FORÊTS EN ZONE ROUGE

Les gigantesques incendies en Amazonie ces dernières semaines ont rappelé à l’opinion combien sont menacés les « poumons verts » de la planète. Comment concilier aspirations au développement et préservation de l’environnement ? État des lieux sur le continent africain. par Cédric Gouverneur 44

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Le sanctuaire Lola Ya Bonobo, situé en République démocratique du Congo, menacé par la déforestation.

GILLES BASSIGNAC/DIVERGENCE

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es derniers mois, les images des incendies en Amazonie ont bouleversé le monde entier. L’indifférence assumée du président brésilien Jair Bolsonaro face à l’agonie du premier « poumon vert » de la planète a scandalisé. En absorbant du dioxyde de carbone et en rejetant de l’oxygène lors de la photosynthèse, les arbres nous rendent un fier service. Néanmoins, pour l’homme politique d’extrême droite – un climatosceptique, raciste et misogyne, surnommé « Capitaine Tronçonneuse » par ses opposants –, la forêt tropicale n’est pas un patrimoine mondial à préserver mais une ressource à exploiter, où l’on se contenterait d’épargner quelques parcs nationaux pour plaire aux touristes… Et pourtant, il y a urgence : selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 12 % des émissions de gaz à effets de serre (GES) proviennent de la déforestation. Au Brésil, depuis l’élection de Bolsonaro en 2018, le rythme de la déforestation a doublé, les éleveurs brûlant la jungle pour planter du soja qui nourrira les bovins destinés aux assiettes des Occidentaux. En Indonésie et en Malaisie, la forêt est sacrifiée au profit de l’huile de palme, qui entre dans la composition de moult produits de l’industrie agroalimentaire. Mi-septembre, les incendies

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de forêts s’avéraient si intenses sur les îles de Sumatra et de Bornéo qu’un nuage de cendres rendait l’air irrespirable dans toute la région. Et qu’en est-il du deuxième poumon vert de la Terre, les forêts d’Afrique centrale ? En août, une photo publiée par la NASA a pu laisser croire que, là aussi, la jungle était livrée aux flammes. Même le président français Emmanuel Macron s’y est fait prendre, twittant le 26 août : « La forêt brûle également en Afrique subsaharienne. » En réalité, les incendies ne touchaient pas le bassin du Congo, mais la savane plus au sud (Angola, Zambie…), enflammée périodiquement par la paysannerie afin de pratiquer l’agriculture sur brûlis, qui enrichit le sol en sels minéraux grâce à la combustion de biomasse. Or, la savane se régénère vite. Pas de quoi cependant se rassurer : les forêts africaines sont menacées. Les activités humaines soumettent le bassin du Congo – plus de 2 millions de km2 – à une pression croissante. Les experts estiment que le rythme de la déforestation pourrait tripler dans la prochaine décennie. Le couvert végétal de la RDC a chuté de 67 à 54 %, entre 2003 et 2018. Rien qu’en 2014, le pays a perdu 1,1 million d’hectares. Ce qui amène son président, Félix Tshisekedi, à prédire qu’à ce rythme, la forêt aura disparu en 2100 ! Autre zone critique : Madagascar, où disparaissent chaque année

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et le troisième début septembre. En visite à Paris, le président congolais Denis Sassou-Nguesso a obtenu, au nom de la préservation des forêts du pays (70 % du territoire), un financement de 65 millions de dollars (38,9 milliards de francs CFA). « Il est temps de prendre conscience que l’urgence climatique n’est pas seulement en Amazonie », a déclaré à cette occasion la ministre du Tourisme et de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault. Plate-forme pour coordonner les actions, la CAFI est financée par l’Union européenne, la Norvège et les bailleurs internationaux. « L’objectif est la préservation des forêts et la réduction de la pauvreté », précise Berta Pesti, responsable du secrétariat de CAFI. Le 23 septembre, lors du Sommet Action Climat à New York, le président Félix Tshisekedi a présenté, au nom de l’Afrique centrale, les engagements pris. Il a précisé que, si la forêt du bassin du Congo disparaissait, 52 % des pluies du continent en feraient autant…

Le Tridom, gisements de fer et biodiversité

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cheval entre le Gabon, le Cameroun et la République du Congo, la zone du Tridom s’étend sur 178 000 km2, est couverte à 96,8 % de forêts et est quasiment inhabitée, les populations de Bantous et de Bakas (pygmées) se concentrant le long des rares routes. Un écosystème unique, parmi les mieux préservés du continent, refuge de trois espèces en danger d’extinction (gorille des plaines, chimpanzé et éléphant de forêt), se trouve menacé, des gisements de fer ayant été détectés dans son sous-sol, entre les parcs nationaux de Minkébé (Gabon), d’Odzala-Kokoua (Congo) et de Nki (Cameroun). Comparativement aux monocultures, les mines ne provoquent que le défrichage d’une superficie relativement limitée : « Au Congo, par exemple, celle de Nabeba n’entraînerait la déforestation directe que de 20 km2 », écrit Fabien Quétier, ingénieur agronome du CIRAD et spécialiste des écosystèmes. Mais l’impact serait néanmoins important : « Les infrastructures associées (rail, route, barrage hydroélectrique, ligne électrique), les effets indirects (afflux de population) » et leurs cumuls en raison de plusieurs projets « pourraient fragmenter irréversiblement le Tridom, jusqu’à ce que ne subsistent que des îlots protégés incapables d’assurer le maintien de processus écologiques à grande échelle, comme le déplacement d’éléphants ». Seule solution : que les sociétés minières évitent l’installation des employés et de leurs familles aux abords, et se concentrent sur les villages déjà existants. Et les routes d’accès aux sites miniers doivent être fermées au public. À défaut, la forêt est grignotée : « La route de 65 km construite par Core Mining pour accéder au gisement de fer d’Avima a conduit à l’installation de près de 2 000 personnes, avec seulement 10 % de Congolais », dont nombre vivent de l’orpaillage clandestin et du braconnage. La baisse des cours du minerai, dépendant de la demande chinoise, a pour le moment geler les projets dans le Tridom. Mais il suffirait d’un simple changement de conjoncture pour que ce petit paradis transfrontalier se trouve de nouveau menacé… ■ C.G.

jusqu’à 200 000 hectares de forêt. Principale victime : le bois de rose, exporté vers la Chine. Le pape François, lors de sa récente visite, n’a pas hésité à fustiger cette déforestation effrénée, nourrie par la corruption. Un signe d’espoir : après des années d’impunité, deux trafiquants de bois de rose ont été arrêtés en février. Et l’une des personnes interpellées n’est autre que la secrétaire d’un ancien ministre de l’Environnement… Des mécanismes existent afin de préserver la forêt. Depuis 2008, les Nations unies coordonnent le REDD+ (Réduction 46

DES PROBLÈMES DE GOUVERNANCE

des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière), qui s’appuie sur des incitations financières pour réduire les émissions de CO2. Dans cette logique a été lancée en 2015 l’Initiative internationale pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI), qui rassemble, sous l’égide du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), six pays : Cameroun, République du Congo, RDC, République centrafricaine, Gabon et Guinée équatoriale. La RDC, le Gabon et le Congo ont tous trois signé une lettre d’intention : le premier dès 2016, le deuxième en 2017

Au Gabon, le couvert forestier représente 87 % du territoire, dont 13 % de parcs nationaux, tel l’arboretum Raponda Walker, près de Libreville. Pour Claude Garcia, spécialiste en écologie forestière à l’École polytechnique fédérale de Zürich et membre du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), le cas gabonais est la preuve que « la volonté politique a permis d’agir et de créer des zones de conservation. Certes, il ne faut pas oublier les particularités du pays : une population peu nombreuse et la rente pétrolière ». Reste que cette préservation est entachée par des affaires de corruption : en mars, des containers remplis de 5 000 m3 de kevazingo, un bois rare, étaient interceptés sur le port d’Owendo, à Libreville. Des documents trafiqués cherchaient à duper les douaniers en présentant le bois comme de l’okoumé, moins rare… Les responsables du port ont été arrêtés, mais une partie de la cargaison s’est volatilisée ! Le scandale fut tel que le ministre des Forêts et

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GOUJON/ANDIA.FR

Les activités humaines soumettent le bassin du Congo à une pression croissante. AFRIQUE MAGAZINE

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Production artisanale d’huile de palme, au Burundi.

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e 28 juillet dernier, une opération nationale de plantation d’arbres était organisée en Éthiopie : écoliers, fonctionnaires, militants du parti au pouvoir et même de certains partis d’opposition, soit des centaines de milliers de citoyens, ont planté un total déclaré de plus de 350 millions d’arbres à travers le pays. Si ce nombre n’est pas (trop) exagéré, il serait sept fois plus élevé que le précédent record : 50 millions d’arbres plantés en une journée dans l’État d’Uttar Pradesh, en Inde. En mobilisant la population entre mai et octobre, les autorités éthiopiennes auraient ainsi fait planter quatre milliards d’arbres, élevés en pépinières ou importés. Avec cette campagne environnementale baptisée Green Legacy Initiative, le géant de l’Afrique de l’Est entend lutter contre sa déforestation dramatique : les forêts ne couvrent plus que 15 % du pays, contre 40 % il y a un demi-siècle. Dans l’intervalle, la population a bondi de 30 millions d’habitants à plus de 108 ! La croissance urbaine, l’agriculture et le pastoralisme grignotent inexorablement le couvert végétal… Signataire de l’accord de Paris sur le climat de 2015, l’Éthiopie apparaît de l’avis général comme l’un des pays les plus déterminés à remplir ses engagements pour lutter contre le réchauffement climatique. Reste que planter des arbres ne pourrait suffire à contrebalancer les impacts de la déforestation, rappelle Claude Garcia, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Coauteur d’un article sur la question paru dans la prestigieuse revue Science, « The global tree restoration plantation », l’ingénieur agronome estime que planter des arbres pour sauver la planète constitue « une vision simpliste et déformée » : « Promettre de planter des arbres ne doit pas servir d’alibi pour en couper. Laisser pousser la forêt est, quoi qu’il en soit, toujours moins risqué et toujours moins onéreux. » ■ C.G. Une jeune fille participe à l’opération nationale de plantation le 28 juillet dernier, à Addis-Abeba, en Éthiopie.

DES COMPENSATIONS INSUFFISANTES

Le bassin du Congo est d’autant plus difficile à protéger qu’il regorge de richesses… « Le défi majeur pour les pays de la région est de concilier leurs objectifs de développement et la préser-

MICHAEL TEWELDE/AFP

Replanter des arbres : une fausse bonne idée ?

de l’Environnement a perdu son poste… CAFI se dit consciente des limites posées par les problèmes de gouvernance : « Sans engagement de la part des gouvernements à mettre en place les réformes nécessaires (en matière de sécurisation foncière, de transparence en matière d’affectation des terres, de gestion durable des ressources naturelles, etc.), les investissements seuls auront peu d’impact réel sur le terrain », explique Berta Pesti. En RDC, une évaluation est en cours, et ses conclusions sont attendues en octobre. « On sait d’ores et déjà que, bien que des progrès aient été enregistrés dans de nombreux domaines, d’autres ont pris du retard, par exemple en ce qui concerne la gouvernance forestière, glisse Berta Pesti. Les processus, quand ils sont réellement inclusifs et participatifs et qu’ils visent à provoquer des changements profonds dans la manière dont les terres sont utilisées, prennent du temps. » Une certitude : « Il n’y aura pas de changement sans la participation des populations locales, qui défrichent pour cultiver leur nourriture. CAFI parie sur des méthodes de culture plus économes en terres forestières. » Par exemple, des semences améliorées pour cultiver sur moins de surface. Des pépinières de nouvelles variétés de palmiers nains viennent de voir le jour. À noter que le secteur privé demande « une amélioration du climat des affaires, et des incitations positives pour les entreprises engagées » sur le plan environnemental, qui font « face à la concurrence d’acteurs privés opérant dans les limites du cadre légal »… L’économiste Alain Karsenty, du CIRAD, conclut : « CAFI est une initiative intéressante, car abordant la problématique de manière multisectorielle (agriculture, foncier, démographie). Il lui manque néanmoins un conseil scientifique indépendant. »


PATRICK ROBERT - CAPTURE D’ÉCRAN NASA

vation de leurs ressources, résume Berta Pesti. Cela nécessite des arbitrages entre différents secteurs, que peu d’États réalisent encore à ce jour. » D’autant qu’il n’y a guère besoin de défricher de vastes superficies pour nuire à Dame Nature : dès lors que des zones jadis enclavées deviennent accessibles, que se multiplient les infrastructures, que s’érigent les villes-champignons pour les travailleurs, et que s’établissent les commerces susceptibles de répondre à leurs besoins [voir encadré sur le Tridom], tout l’écosystème est en péril. « Le diable se niche dans les détails, explique Claude Garcia. Si vous ouvrez un gisement, vous aurez besoin d’infrastructures pour y accéder, puis y faire venir la population… » Sous la pression des défenseurs de l’environnement, les investisseurs et les institutions financières internationales ont intégré la biodiversité à leurs projets, formulant des exigences environnementales applicables aux initiatives qui sollicitent des financements. Au total, 80 institutions, couvrant 70 % des dettes privées des pays émergents, ont adhéré à ces principes d’obligation de compensation des impacts : évitement ou réduction des impacts environnementaux et compensation, en plantant des arbres ou en finançant la lutte contre le braconnage. Ainsi, le Business and Biodiversity Offsets Program (BBOP), créé par les ONG Wildlife Conservation Society et Forest Trends, regroupe des dizaines de sociétés et d’institutions financières. Mais ces compensations s’avèrent insuffisantes au regard de l’urgence : « Les entreprises ont, peu à peu, pris des engagements, rappelle Claude Garcia. Mais on ne voit aucun effet sur le cours de la déforestation mondiale. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas sérieuses, mais elles n’y parviennent simplement pas. C’est au-delà de leurs capacités d’action individuelle. » Ce système de compensation pose en outre un débat éthique : « Je m’absous moralement en sauvant un éléphant après avoir provoqué la mort de chimpanzés ? », résume, cinglant, le spécialiste. Le cas le plus polémique est

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celui de l’industrie pétrolière. Frédéric Amiel, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), estime qu’en prospectant dans la jungle tout en finançant des parcs nationaux, « les compagnies pétrolières retirent d’une main ce qu’elles donnent de l’autre ». Ainsi, la Fondation Total promet de mettre sur la table 100 millions d’euros en 2020 pour préserver des puits de carbone et la reforestation. Mais son PDG, Patrick Pouyanné, vient de demander aux députés français de rétablir l’avantage fiscal des agrocarburants à base d’huile de palme (que plus personne n’ose appeler « biocarburants »). Le groupe lorgne aussi sur le parc national Murchison Falls, en Ouganda ! « Total fait du greenwashing et nage en pleine contradiction, fustige

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Le président Denis Sassou-Nguesso à la conférence de signature pour la création du Fond Bleu pour le bassin du Congo, le 9 mars 2019.

Il n’y a guère besoin de défricher de vastes superficies pour nuire à Dame Nature.

Carte publiée par la NASA en août dernier. On y voit une forte prolifération des feux en Amazonie, mais également en Afrique. Mais sur le continent, c’est la paysannerie qui enflamme périodiquement la savane, dans le cadre de l’agriculture sur brûlis.

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Le chocolat, un ennemi

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e cacao fait partie des éléments destructeurs de la forêt », admettait Alain-Richard Donwahi, ministre ivoirien des Eaux et Forêts dans notre numéro 395-396. Depuis les indépendances, la Côte d’Ivoire et son voisin le Ghana, qui produisent les deux tiers du cacao mondial, ont perdu 80 % à 90 % de leur couvert végétal. Il est plus que temps d’inverser la tendance : en novembre 2017, ils ont signé l’Initiative Cacao et Forêts (ICF) avec 34 entreprises représentant 85 % de la consommation mondiale de chocolat. « Nous prenons l’engagement de ne plus convertir une seule forêt en plantation de cacao », explique Ethan Budiansky, directeur de l’environnement de la World Cocoa Foundation. Les géants de l’agroalimentaire (Nestlé, Cargill, Unilever ou encore Ferrero) s’engagent à ne plus acheter de fèves venues de forêts classées – reconnaissant ainsi que c’était le cas auparavant. Bémol : les signataires sont aussi souvent de gros consommateurs d’huile de palme, ce qui a littéralement tondu l’Indonésie et la Malaisie, et notamment la mythique forêt vierge de l’île de Bornéo… « L’ICF est une réaction à notre tapage médiatique », fulmine Etelle Higonnet, directrice de campagne de l’ONG Mighty Earth. En 2017, elle est partie enquêter en Côte d’Ivoire et en a tiré un rapport cinglant, « La déforestation amère du cacao », dans lequel elle dénonçait le défrichage illégal au cœur de parcs nationaux et de forêts dites « classées », ainsi que la quasi-disparition des éléphants et des chimpanzés. Un an après la mise en place de l’ICF, sa concrétisation tardait à se manifester sur le terrain. « La destruction se poursuit », écrivait l’ONG dans un autre rapport, « Mensonges sous emballage », en 2018 : « Des cultivateurs qui déboisent pour cultiver le cacao peuvent vendre ouvertement leur marchandise, sans être sanctionnés. Le secteur et les gouvernements doivent s’attaquer à ce décalage inacceptable entre les engagements et leur mise en œuvre. » « Nous avons tiré les leçons du passé et de l’expérience d’autres secteurs, dans lesquels les promesses globales se sont avérées difficiles à appliquer, admet Ethan Budiansky. Cela demande du temps et des analyses détaillées afin d’être efficace. En Côte d’Ivoire, les traders locaux sont les premiers acheteurs de cacao en zone protégée… Nous avons établi la traçabilité de toute notre chaîne d’approvisionnement. » Le pays s’est engagé à reconstituer le couvert végétal sur 20 % de son territoire sur trente ans. L’ICF mise sur l’agroforesterie, qui respecte mieux la biodiversité et permet au cultivateur de diversifier ses revenus. « Nous allons développer 396 000 hectares d’agroforesterie avec 215 000 planteurs, et d’autres engagements seront pris en 2020 », annonce Ethan Budiansky. Une nouvelle catégorie sera ainsi créée dans le code forestier ivoirien : la CAFAD (concession agroforestière d’aménagement durable). « La solution serait d’assurer des revenus décents aux planteurs », soupire Etelle Higonnet, rappelant le scandale du travail des enfants dans le secteur. « La plupart des planteurs vivent avec moins de 1 dollar par jour », assure-t-elle. En juillet dernier, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont, malgré la suspension de leurs ventes en juin, échoué à imposer aux industriels un prix minimum garanti de 2 600 dollars la tonne. ■ C.G.

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Alain Karsenty, du CIRAD. La compensation carbone est une belle escroquerie intellectuelle. » Total vient d’ailleurs de se voir attribuer dans le nord du Congo des blocs de prospection dans le secteur du parc national de Nouabalé-Ndoki et de tourbières qui emprisonnent 30 milliards de tonnes de CO2, soit trois années d’émission à l’échelle mondiale. Alain Karsenty précise avoir proposé à la Fondation d’épargner cette zone… Une proposition restée sans réponse. Dans un discours donné le 15 août dernier, Denis Sassou-Nguesso s’est voulu rassurant : « Dans la revendication assumée de son droit au développement, le peuple congolais s’est placé dans le sens du devoir, au service de l’humanité, en matière de sauvegarde des écosystèmes. Le Congo reste parfaitement attentif et conscient de la nécessité de préserver les tourbières, au regard de leur incidence sur l’équilibre climatique mondial et la protection de la biodiversité. Notre pays n’a jamais enfreint l’obligation de protéger les tourbières dans ses zones lacustres. Il n’a nullement l’intention de le faire à l’avenir. » AFRIQUE MAGAZINE

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NABIL ZORKOT

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Usine de cacao à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

LE MONDE DOIT SE MOBILISER

Les géants de l’agroalimentaire se sont engagés à ne plus acheter de fèves provenant de forêts classées.

« La lettre d’intention de la République du Congo est très explicite : aucune tourbière ne pourra être ni drainée ni asséchée, quelle que soit l’activité entreprise, précise Berta Pesti, de CAFI. L’État congolais se trouve face à un défi complexe, avec peu de données à disposition. L’urgence est de l’appuyer à évaluer les conséquences socioenvironnementales des activités sur cet écosystème. » La moindre activité est déjà de trop aux yeux des écologistes : la responsable de la campagne Forêt de Greenpeace Afrique, Irène Wabiwa Betoko, « dénonce fermement la lettre d’intention signée entre CAFI et le Congo. Les tourbières doivent être des “no-go zones’’ pour toutes les activités industrielles ». Le bassin du Congo demeure jusque-là relativement préservé, mais le point de bascule peut vite être atteint : après avoir ravagé la Malaisie et l’Indonésie, la monoculture de palmiers à huile pourrait se tourner vers l’Afrique centrale… Idem pour le cacao, principal responsable de la quasi-disparition des

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forêts du Ghana et de Côte d’Ivoire [voir encadré]. « On n’a pas encore dévalé la pente, mais le risque est bien là », résume Claude Garcia. La lutte contre la déforestation est « un enjeu d’action collective, entre acteurs qui sont souvent à couteaux tirés, où les profits de l’un sont les marges de l’autre », poursuit-il. La solution : qu’agissent de concert les entreprises, les États, les collectivités et communautés locales et les ONG afin de mettre en place « une véritable gouvernance de la forêt ». La bonne nouvelle, c’est que c’est possible : « À Brazzaville, en 2017, le CIRAD est parvenu à mettre tout le monde d’accord, à trouver une solution où chacun sort gagnant : l’écolabel FSC (Forest

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Stewardship Council), pour la préservation des PFI (paysage forestier intact) dans le bassin du Congo. » La mauvaise nouvelle serait que le profit à court terme puisse, comme au Brésil, l’emporter sur le destin commun : « Les forêts sont des machines à pluie, s’alarme Etelle Higonnet, directrice de campagne de l’ONG américaine Mighty Earth. Sans elles, plus de pluies, et donc pas d’agriculture. Cela ne suffit pas d’essayer de les sauver : il faut réussir. » Et pour cela, le monde entier doit se mobiliser : « Les fonds actuels ne suffisent pas, tranche Berta Festi. La RDC a chiffré à 1 milliard de dollars ses besoins, et CAFI n’en couvre actuellement qu’un cinquième. » ■

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CE QUE J’AI APPRIS

Habib Koité C’EST LE GRIOT MODERNE, UN GUITARISTE rare à l’écoute de son pays meurtri. Son nouvel album, Kharifa, célèbre les richesses culturelles du Mali, l’espoir et l’effort de s’en sortir malgré la situation de crise permanente. propos recueillis par Astrid Krivian

« Wara » (« lion », en bambara) est une chanson inspirée par la situation actuelle à Bamako. J’attribue la puissance de cet animal à cette population venue des villages, très pauvre, souvent jeune, animée par la rage de vivre, de gagner sa croûte. À cause du chômage dans le Sud, de la guerre dans le Nord, des attaques terroristes dans le centre dernièrement, beaucoup se réfugient à la capitale. Le trafic routier est saturé de tricycles motorisés venus de Chine, transportant marchandises, bagages… Les charrettes tirées par les ânes tendent ainsi à diminuer. Soulagés de ces corvées, ils retrouvent leur place, pour des travaux des champs… On pense qu’ils peuvent supporter n’importe quelle charge, c’est de la maltraitance. Au crépuscule, la poussière monte, les lampadaires s’allument dans cette atmosphère de fumigène d’une ville subsaharienne où grouille l’effort de vivre, de s’en sortir. « Symbo » (également « lion », en malinké) fait l’éloge de Soundiata Keita, fondateur de l’empire mandingue au XIIIe siècle. L’épopée de ce personnage historique essentiel est célébrée encore aujourd’hui à travers un répertoire musical pluriséculaire. Des influences culturelles, religieuses, des images venues d’ailleurs miroitent devant nos yeux, dans nos esprits. Elles risquent de nous faire oublier notre identité, notre histoire. C’est très important de garder dans notre mémoire collective de telles références et de rester nous-mêmes. Ce n’est pas une régression passéiste. Il faut préserver notre culture, nos coutumes, nos valeurs sociales, comme l’union familiale, l’entente entre les communautés, le rôle conciliateur des griots. Sinon, ce sera perdu pour nos enfants.

Comme je le chante dans « Hakilina », le Mali est dans un terrible pétrin politique et religieux… C’est comme si l’on nous tirait dessus, les balles fusent de partout. Je n’ai pas l’espoir que cela se règle demain. Mais tel un rêve, je prie pour qu’une idée lumineuse jaillisse un jour et nous réunisse pour changer les choses. Une baguette magique, qui nous sortirait de ce cauchemar. Entre les Peuls et les Dogons existe un lien historique très fort, ils ont toujours vécu ensemble, se mariaient. Même leurs langues se sont mélangées. Et ce sont eux qui s’entre-tuent aujourd’hui, jusqu’à décimer tout un village… Il y a toujours eu des querelles entre communautés, pour des histoires de champs, de troupeaux. Mais pas de génocide ethnique… Personne n’a compris. D’où viennent précisément les tensions ? Beaucoup pensent qu’ils ont été manipulés. Par qui, et pourquoi ? On ne sait pas.

J’appelle mon style de musique le danssa-doso. Danssa, c’est le rythme du Khasso, ma région natale. Doso, ce sont les chasseurs, ils ont une musique très méditative, qui parle de bravoure. Mais je puise aussi dans toutes les musiques du terroir, en chantant en peul, bobo, songhaï, etc. Je compose à partir d’une mélodie ou d’un rythme populaire d’une ethnie et je lui donne un cachet inhabituel, nouveau.

Mes « guitar-heroes » ? Sékou Diabaté – présent sur mon CD –, Kanté Manfila, Mark Knopfler (Dire Straits), Santana, David Gilmour (Pink Floyd), Jimi Hendrix, ou encore Boubacar Traoré, originaire de ma région, et dont je revisite un blues en mode mandingue sur « Ntolognon ». ■ En concert le 18 octobre au New Morning, à Paris. 52

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MICHEL DE BOCK

«Je prie pour qu’une

idée lumineuse

jaillisse un jour et nous réunisse pour changer les choses.»


L’AUTRE

MALI

Sur fond d’insécurité et de conflits divers, Bamako résiste et avance. Ses ressources humaines,

EMMANUEL DAOU BAKARY

DOSSIER


Le président Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre Boubou Cissé (cravate rouge), le 22 septembre, place de l’Indépendance à Bamako, lors des cérémonies de la fête nationale.

jeunes et entreprenantes, décomplexées et plutôt confiantes en l’avenir, se forment, créent, innovent.

Elles dessinent les contours du pays de demain, lorsque la paix sera revenue… par Emmanuelle Pontié, envoyée spéciale


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remière évidence en arrivant à Bamako, la même depuis des années : le pays est en guerre. Beaucoup d’hommes en tenue, comme on dit ici, déambulent dans les environs. Sur la route qui relie l’aéroport au centre-ville, des policiers ont placé des barrages, surtout le soir, sur les ponts, en bord de fleuve, sur le rond-point qui jouxte la cité administrative. On contrôle chaque voiture, scrutant les boîtes à gants à la lampe torche. Dans les maquis, les membres de la Minusma prennent un peu de bon temps avant de remonter dans les dunes brûlantes du Nord, où les attaques djihadistes sont légion, régulières, meurtrières. L’armée française, et sa force Barkhane, transite aussi régulièrement dans la capitale, se repose au Grand Hôtel ou ailleurs, ses imposants 4X4 alignés au cordeau devant l’entrée. Dans les journaux, à la télé, on parle de tel accord conclu puis jamais appliqué avec les rebelles, de telle avancée dans telles négo56

ciations. On s’inquiète de la montée des conflits ethniques et des violences qu’ils entraînent, entre Dogons et Peuls dans le Centre, entre autres groupes ailleurs… Pourtant, contrairement à ce que l’on peut imaginer depuis l’extérieur, où seule l’image d’un pays fragile et dangereux est véhiculée par les médias et les dépêches des agences internationales, il existe aussi un autre quotidien, un autre Mali. Une réalité forte qui se dessine au gré des rencontres et des conversations. On constate très vite que, en marge de la question sécuritaire et de ses répercussions sur des pans entiers de l’économie, Bamako résiste. Et ses habitants, les jeunes en tête, avancent, innovent, croient en l’avenir. Il y a une véritable liberté d’expression chez eux. Ici, on critique le pouvoir, on fustige l’inaction gouvernementale dans tel domaine social ou on râle sur telle réforme qui n’entre pas assez vite en vigueur. La société civile est particulièrement active et les associations de femmes, de jeunes, de telle ou telle corporation fleurissent tous les jours. Mais surtout, à Bamako, AFRIQUE MAGAZINE

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Quartier d’affaires de l’ACI 2000. En arrière-plan, l’immeuble de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications/TIC et des postes.


AGENCE POUR LA PROMOTION DE L’EMPLOI DES JEUNES

L’

APEJ est un établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, et placé sous la tutelle du Ministre en charge de l’Emploi. Organe d’exécution du Programme Emploi Jeunes (PEJ), l’APEJ a pour mission de concourir à la création d’emplois pour les jeunes (de 15 à 40 ans) en milieux urbain et rural, notamment en facilitant leur accès au marché du travail et au crédit.

Le Programme Emploi Jeunes (PEJ) Le PEJ a trois composantes :

• Renforcement de l’employabilité des jeunes

sont apportés aux jeunes sélectionnés comprennent la sensiLe Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, bilisation sur l’entrepreneuriat, en compagnie de M. Yaya DAO (DG) et de M. José Pierre Félix l’encadrement sur l’élabora- Coulibaly (DGA). tion de plans d’affaires simplifiés et la fourniture de fonds de démarrage Il s’agit d’un dispositif d’information et tout en facilitant leur accès au microcrédit, d’orientation professionnelle des jeunes afin l’assistance opérationnelle et l’encadrement de les accompagner dans la construction de sur 12 mois. Globalement, 10 000 jeunes ont leur projet professionnel. été déjà formés. • Le Projet de Renforcement de la Sécurité Ali-

Ses axes d’intervention sont : l’apprentissage, les stages de qualification et de formation professionnelle, la reconversion/adaptation à un poste • Le 3e Programme Indicatif de Coopération de travail, les chantiers-écoles HIMO. du Grand-Duché de Luxembourg (PIC III). • Développement de l’esprit Le PIC III intervient dans plusieurs domaines dont la formation et l’insertion professiond’entreprise chez les jeunes nelle. Dans ce cadre, l’APEJ cible les jeunes Ses axes d’intervention sont : l’information et la des Centres et Instituts de formation professensibilisation, les formations entrepreneuriales, sionnelle des Cercles de Barouéli, Bla, San, l’accompagnement des jeunes financés à travers Ségou, Tominian (Région de Ségou) et de le développement de systèmes de coaching et Yorosso (Région de Sikasso). d’incubateur/pépinière d’entreprises, et le renforcement des capacités des bureaux d’études.

• Renforcement du dispositif de financement des projets Ses axes d’intervention sont : le financement et/ ou la garantie des projets, l’identification et la mobilisation de lignes de crédits pour assurer le financement et/ou la garantie des plans d’affaires des jeunes.

Partenariats Outre le PEJ, l’APEJ pilote d’autres projets visant à promouvoir l’emploi des jeunes, notamment avec l’appui de partenaires techniques et financiers. Pour exemple : • Le Projet de Développement des Compétences et Emploi des Jeunes (PROCEJ), financé par la Banque Mondiale, dédié à la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes ayant une éducation limitée. Les appuis qui

• Le projet Formation professionnelle, Insertion et appui à l’Entrepreneuriat des jeunes Ruraux (FIER) pour la réalisation de chantiers-écoles en HIMO financé par le FIDA. Ce projet poursuit la mise en œuvre des activités d’appui aux initiatives économiques des jeunes ruraux dans le cadre du développement de l’approche HIMO à travers notamment la réalisation de pistes rurales.

mentaire et Nutritionnelle dans la Région de Koulikoro (PRESAN-KL), financé par la BAD. Le projet recherche l’allègement de la pauvreté et le renforcement de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans la Région de Koulikoro. Les jeunes retenus dans le cadre du projet sont formés et assistés pour la création et la gestion de GIE en machinisme agricole. • Le Projet Régional d’Appui au Pastoralisme au Sahel (PRAPS), sur financement de la Banque Mondiale. Il vise à améliorer l’accès à des moyens et services de production essentiels et aux marchés pour les pasteurs et agro-pasteurs dans des zones transfrontalières. La composante confiée à l’APEJ est relative à la mise en œuvre des Activités Génératrices de Revenus (AGR) en élevage et aviculture.

• Le projet l’Emploi des Jeunes crée des Oppor- • Le Projet d’Appui aux Jeunes Entrepreneurs tunités ici au Mali (EJOM), financé par l’UE, Ruraux de la Région de Koulikoro (PAJERla SNV et l’APEJ. KO), financé par ENABEL. Lancé en septembre 2017, il touchera Ce projet va renforcer l’employabilité des 8 620 bénéficiaires des Régions de Kayes, jeunes dans le secteur rural à travers l’entreKoulikoro, Gao et le District de Bamako dans preneuriat agropastoral. Il cible les jeunes les secteurs de l’horticulture, la gestion de qui mènent déjà des activités au sein d’un déchets, l’agroalimentaire et l’artisanat maillon de la filière élevage (embouche boutilitaire. vine, boucherie, aliment bétail et tannerie) dans les cercles de Banamba, Nara, Kolokani • Le dispositif Espaces Orientation Jeunesse mis en œuvre en partenariat avec Swisscontact. et Dioïla.

CONTACT : Bamako - Hamdallaye ACI 2000 • Avenue du Mali-Près du Monument de l’Obélisque, Côté Ouest Tél : (+223) 20 29 64 55 / 20 29 64 56 • Fax : (+223) 20 29 64 59 | BP : E2584 Bamako – Mali www.apej.ml • E-mail : contact@apel.ml


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on cherche à s’en sortir. L’esprit d’entrepreneuriat et le goût pour développées dans la capitale. Et par ailleurs, autre phénomène l’indépendance ont le vent en poupe. Dans un pays où 54 % culturellement très malien, une diaspora jeune formée à l’étrande la population a moins de 18 ans et 65 % moins de 45 ans, ger rentre investir dans son pays, apporte son expérience et crée l’État et la batterie de programmes de formation et d’aides à des entreprises. Elle n’est pas impressionnée par la situation l’auto-emploi qu’il a mis en place encouragent aussi la jeunesse sécuritaire qui ne s’arrange pas vraiment depuis le début de dans cette voie. Résultat, des domaines comme les nouvelles la guerre, en 2012, et parie résolument sur l’avenir. Car mine technologies sont pris d’assaut et les inventeurs d’applis intellide rien, et c’est bon de le rappeler, le Mali d’Ibrahim Boubacar gentes se lancent dans la commercialisation de services en tous Keïta, au pouvoir depuis août 2013 et qui vient d’achever la genres. Dans le domaine de l’agriculture, premier pourvoyeur première année de son second quinquennat, affiche un taux de de revenus au Mali, des paysans new generation, qui évoluent croissance assez stable, qui tourne autour de 5 % depuis six ans. à leur compte, profitent de la mécanisation grâce aux aides à Son économie est arrimée au secteur minier qui se porte plutôt l’équipement mises en place ou, encore récemment, ont testé bien, et à la production du coton, dont la saison 2017-2018 a avec succès la distribution électronique des engrais. D’autres été excellente, avec 700 000 tonnes récoltées, ce qui a replacé le initiatives, dans le domaine agro-industriel, portent leurs fruits. pays au rang de premier producteur d’or blanc en Afrique. 15 % L’exemple le plus fréquemment cité parmi les success stories du budget national sont consacrés à l’agriculture, une part très locales est le trentenaire Boureïma Doumbia, qui a commencé importante comparée aux portefeuilles des pays voisins, et de comme petit vendeur au marché avant de lancer la nombreux programmes d’aménagement et d’irrigamarque de condiments Bara Musso, il y a quelques tion de milliers d’hectares de terres, comme le projet années. Il a (presque) réussi à détrôner dans les sur le Seuil de Djenné ou celui de l’Office du Moyen cuisines les légendaires bouillons cube Maggi et du budget Bani, commencent à porter leurs fruits, promettant Jumbo, et se trouve aujourd’hui à la tête d’une entre- national sont un réel développement des capacités de production. prise de 200 employés. En parallèle des réussites consacrés à De quoi créer des emplois et de la richesse. Dans pluautodidactes, les écoles de formation, plus pointues, autres domaines, le gouvernement soutient l’agriculture. sieurs plus pro, souvent privées et internationales se sont la création d’entreprises, l’initiative ou l’accès à la propriété, en zone rurale comme en zone urbaine. Des efforts pour tenter de réduire le chômage, certes. Mais peu à peu, cette politique semble surtout avoir créé une nouvelle génération de ressources humaines, décomplexée, qui sait prendre des risques, finalement assez confiante en des lendemains meilleurs. Et quelque part, c’est aussi cet étonnant ADN qui fait avancer le Mali. À Bamako, sur le rooftop de Bamako Kitchen, à la table raffinée du Loft ou autour du savoureux brunch de Comme chez soi, une jeune business generation parle affaires, investissement, pouvoir, avenir. Elle est fière d’être malienne, n’envie rien ailleurs et respecte volontiers la nouvelle mode lancée par le gouvernement : made in Mali ! Où chacun consomme, se meuble, s’habille local. Le week-end, elle part en Depuis 1965, avec l’Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée (IFP/Ifra, à Katibougou), l’État investit famille se baigner dans les jolies piscines en bord de fleuve de dans le développement de l’agronomie. Badalalodge ou vers Koulikoro, au campement de Nanagaléni. Sur les hauteurs du palais de Koulouba, on parie aussi sur cet autre Mali. Le président IBK arpente les conférences internationales sur la résolution des conflits, les G5 Sahel et autres réunions sur les accords de paix, à la recherche de solutions qui se font attendre. En attendant, il sait que sa nation, frappée de plein fouet par la menace islamiste qui a changé la face, à des degrés divers, de la sous-région, peut aussi compter sur le système D malien, sur une profonde capacité de résilience économique et sur la vitalité de ses ressources humaines. Ce sont elles qui construisent, en parallèle à la guerre, le Mali de demain. Et lorsque l’on quitte Bamako, en décollant de l’aéroport international flambant neuf Modibo-Keïta, c’est bien l’image de cet autre Mali que l’on a envie d’emporter avec soi. ■ 58

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FAFPA

Organe Central de la mise en œuvre de la Politique du Gouvernement en matière de financement de la formation professionnelle au Mali

Remise de distinction par le Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle aux meilleures organisations paysannes, pour le concept « Champs Écoles Paysans », dans l’exécution du Projet LuxDev, à Ségou.

Des démarches nouvelles pour plus d’efficience Le Fonds d’Appui à la Formation Professionnelle et à l’Apprentissage (FAFPA) a été créé en 1997 par le gouvernement de la République du Mali pour pallier le manque de main-d’œuvre qualifiée et doter le pays de ressources humaines compétentes, à travers le financement public pérenne des besoins en formation professionnelle des entreprises. L’objectif du FAFPA est de relever le niveau de compétences des travailleurs en activité et d’assurer la qualification professionnelle de la main-d’œuvre et de la population active en quête d’emplois économiques viables. De sa création à ce jour, le FAFPA a accompagné plus de 6 000 projets de formation à travers son assistance technique et grâce à un apport financier de plus de 26 milliards de FCFA, toutes cibles confondues et dans tous les secteurs et sous-secteurs de l’activité économique au Mali. La Direction Générale du FAFPA, à l’occasion de ses 20 ans en 2017, a adopté grâce à l’accompagnement de ses partenaires stratégiques des approches nouvelles de financement et de gestion de la formation professionnelle. Elles s’inscrivent dans la vision du changement et des objectifs prioritaires pour la promotion de l’emploi et le développement de la formation professionnelle souhaitée par le Président de la République, Son Excellence Ibrahim Boubacar KEÏTA.

Une vision De 2013 à 2018, le FAFPA a formé 20 672 actifs, dont 9 501 femmes, dans le domaine de l’apprentissage, soit un investissement de plus de 5 milliards de FCFA pour 60 000 emplois créés. L’intervention du FAFPA a concerné toutes les régions administratives du Mali. Dans le cadre de la mise en œuvre des Accords de Paix, le FAFPA n’est pas resté en marge des actions du gouvernement. Dans les régions du nord du Mali (Tombouctou, Taoudéni, Gao, Kidal et Ménaka), 43 projets de formation à fort impact économique accompagnés de kits d’insertion ont été financés. L’effectif total est de 1 772 actifs, soit un montant global de 245 millions, pour une part FAFPA de 220 millions de FCFA. En dépit des conditions difficiles de mobilisation de ses ressources au titre de l’année 2018, le FAFPA a pu exécuter les engagements

pris à la hauteur des mobilisations notifiées par la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DNTCP). Sur 185 actions/plans et projets de formation prévus, 145 ont été réalisés, soit un taux d’exécution technique de 78,37 %, et 67,91 % pour le taux d’exécution budgétaire.

Des actions concrètes La Direction Générale du FAFPA a axé son intervention vers des mécanismes adéquats de recouvrement et de mobilisation de ses ressources. Il s’agit de mécanismes contribuant au développement du capital humain, de l’employabilité, de l’emploi des jeunes et de l’autonomisation des femmes à travers la compétitivité de nos PMI-PME. Le projet de plan d’action proposé par la Direction Générale du FAFPA au titre de l’année 2019 s’articule autour des priorités suivantes : 1. Formation de la population active par le financement des actions, plans et projets pour un coût total de 1,467 milliard de FCFA, pour 4 000 actifs formés tous secteurs économiques confondus ; 2. Programmes de soutien à la formation (Ingénierie et Communication) ; 3. Renforcement du capital humain, matériel et physique des Antennes Régionales.

Des résultats encourageants Parmi les bons résultats obtenus au titre de l’année 2019, nous pouvons citer, entre autres, le lancement de la formation-insertion de 600 jeunes membres de l’Association pour la Formation Professionnelle, l’Apprentissage et l’Emploi des Jeunes au Mali (AFPAJM) dans la Commune rurale de Mandé, dans le domaine de l’aviculture, de la pisciculture et de l’embouche bovine, sous la haute présidence de Jean-Claude SIDIBÉ, Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, de la formation de 500 Avocats membres de l’Ordre des Avocats du Mali sous la haute présidence de Docteur Boubou CISSÉ, Premier Ministre et Chef du Gouvernement. Par ailleurs, le FAFPA a signé avec la Coopération luxembourgeoise une convention de partenariat pour le renforcement des compétences des organisations paysannes dans la région de Ségou et le Cercle de Yorosso. À cet effet, les organisations paysannes ont initié des formations dans le domaine agricole suivant le concept de « Champs Écoles Paysans », sanctionnées par des compétitions à la fin de la campagne, selon des critères basés sur les techniques de production et de rendement. Des distinctions honorifiques ont été remises aux lauréats du concours de Champs Écoles Paysans de la campagne agricole 2017-2018 au cours d’une cérémonie officielle à Ségou, présidée par Jean-Claude SIDIBÉ, Ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. Il était accompagné par Madame la Représentante Résidente de la Coopération luxembourgeoise, du Directeur Général du FAFPA, ainsi que des personnalités administratives et politiques de la région de Ségou.

Le FAFPA, parce que le développement est une affaire de compétences.


DOSSIER MALI

Fondée en 2015 à Bamako, la Solektra Solar Academy forme des spécialistes du photovoltaïque pour le programme d’électrification Akon Lighting Africa, initiative du chanteur Akon.

Formation des jeunes Adapter les compétences à la demande Pour faire face aux difficultés d’accès au marché de l’emploi, STRUCTURES PRIVÉES et programmes publics se multiplient. par Diénéba Dème

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en public, etc. », indique Yacouba Garba Lompo. Les formations u Mali, selon les chiffres 2018 de la Banque mondiale, spontanées sur des sujets donnés, ainsi que le développement 9,57 % des jeunes sont au chômage. Ce taux a connu personnel et le renforcement du leadership, attirent les jeunes. une baisse de 1 % depuis 2006. Plusieurs réformes ont Ces séances périodiques sont préparées des semaines, voire des été mises en place par le gouvernement afin de faciliter l’accès mois à l’avance, pour attirer plus de monde. Les structures qui des jeunes à des emplois plus stables et rentables, en fonction s’en occupent n’attendent pas de rentabilité importante avant de la demande sur le marché. De nombreux centres de formaun à deux ans de pratique soutenue. Les bénéficiaires sont soution ont vu le jour, comme le cabinet YGL, créé par Yacouba vent des étudiants en fin de cursus, ou des diplômés récents en Garba Lompo en 2015. Âgé de 35 ans, Yacouba a mis au point recherche active d’emploi. un système de formations à « moindre coût », entre Les centres de langue fleurissent également 5 000 et 10 000 francs CFA pour une journée (soit Les centres dans la capitale malienne, résultat d’une grosse 10 à 15 euros). de langue demande pour l’apprentissage de la langue anglaise. « Lors de mon cursus universitaire, je voulais me anglaise Chacun y va de sa méthode. former et acquérir des compétences autres que celles Aboubacar Touré a obtenu son diplôme que j’avais acquises dans ma formation de base. Les fleurissent d’anglais à l’université de Bamako. Ce jeune offres des cabinets spécialisés étaient exorbitantes dans la traducteur-interprète, né en 1989, a ouvert le (entre 30 000 et 40 000 francs CFA pour une jour- capitale. centre Translations and English Language Center née, soit 45 à 50 euros), pour qui connaît le niveau (TELC) en 2018. « J’ai constaté qu’il existait plusieurs centres de vie d’un étudiant malien. Donc il était parfaitement norau Mali, notamment à Bamako, qui forment aux langues étranmal pour moi, après quelques expériences professionnelles, de gères. Parmi elles, la plus convoitée est bien entendu l’anglais. m’intéresser à ce domaine. En quatre années d’existence, le Pourtant, la plupart des personnes qui apprennent dans ces cabinet a formé 1 327 participants. Nous avons pu intervenir à centres arrivent difficilement à s’exprimer en anglais. Or, c’est Bamako, Sikasso, Ségou et Gao. Les formations ont porté sur le but de leurs formations », explique-t-il. Comme Aboubacar, le montage, le suivi et l’évaluation de projets, la prise de parole


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de nombreux jeunes font face à des difficultés pour accéder au marché de l’emploi : « Au début, je n’avais que des contrats de courte durée pour des projets qui ont tous pris fin. C’était un éternel recommencement, et il fallait toujours chercher du travail, encore et encore, c’était épuisant. Au moins, avec le centre, je suis mon propre chef », indique-t-il. Le centre a formé environ 30 personnes en langue anglaise et deux anglophones vivant au Mali en langue française. « À côté de l’interprétariat et de la traduction, nous apportons un plus en aidant les jeunes à participer, une fois par semaine, à des discussions en anglais sur divers sujets d’actualité. C’est une méthode très efficace », souligne-t-il pour marquer la particularité de TELC. Plus généralement, des structures comme l’Agence pour la promotion de l’emploi des jeunes (Apej) ont été créées par l’État en vue d’absorber la demande croissante d’emploi. Cette agence, dont les activités ont démarré le 24 février 2004, a « pour mission de concourir à la création d’emplois pour les jeunes, hommes et femmes de 15 à 40 ans, en milieu rural ou urbain, résidants ou expatriés en facilitant leur accès au marché du travail et au crédit », peut-on lire sur son site Internet. Depuis sa création, l’Apej a soutenu 4 800 projets, avec 25 000 bénéficiaires du programme. Un Fonds national pour l’emploi des jeunes (Fnej) est également disponible et permet d’appuyer ces derniers, qu’ils soient ruraux ou urbains, dans le financement de leurs entreprises. À travers cette structure et d’autres entités, l’État continue d’intensifier sa politique pour l’emploi, dont les premières concertations ont eu lieu en 2006. Cela avait ensuite été l’occasion pour l’Apej de former 1 000 jeunes en entrepreneuriat, entre autres actions. Autre outil, le Fonds d’appui à la formation professionnelle et à l’apprentissage (Fafpa), un organisme gouvernemental qui met à la disposition des postulants des fonds pour financer leurs études ou des formations complémentaires. Créé en 1997, le Fafpa a pour mission d’apporter une assistance technique et financière aux entreprises et autres opérateurs économiques des secteurs modernes et non structurés, ainsi qu’aux organismes de formation privés et parapublics de droit malien. Entre 2013 et 2018, le Fafpa a investi plus de 5 milliards de francs CFA pour 60 000 emplois créés, et a financé le cursus d’apprentissage de 20 672 personnes, dont 9 501 01 femmes. L’organisation des examens de fin d’apprentissage, prentissage, en janvier 2019, soutenue par le Projet de développement loppement des compétences et d’emploi des jeunes (Procej), ), a concerné 1 450 apprenants, dont 464 femmes, répartis sur l’ensemble du territoire national. Depuis 2015, le Procej est financé par la Banque mondiale à hauteur de 2,5 milliards iards de francs CFA. Ce programme a permis d’accompampagner environ 250 jeunes porteurs de projets de 2016 à 2019, dans des domaines aussi variés que ue l’économie numérique, l’énergie renouvelablee ou encore la transformation de coton. ■

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3 questions à…

Jean-Claude Sidibé Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle

« Nous cherchons à encourager la culture de l’entrepreneuriat » AM : Quels sont les principaux axes de la politique pour l’emploi au Mali ? Jean-Claude Sidibé : La politique de l’emploi offre

quatre types de dispositifs. Le premier consiste à développer l’auto-emploi, favoriser la création de petites entreprises, en facilitant l’accès aux facteurs de production (crédit, terres, équipements). Le deuxième couvre les travaux publics, qui garantissent une rémunération en échange d’une activité entreprise pendant un temps limité. Le troisième concerne les secteurs de la formation et de l’apprentissage. Leur but est de donner aux participants les compétences requises sur le marché du travail. Le quatrième type, enfin, couvre les mesures destinées à encourager une meilleure adéquation de l’offre à la demande. Par ailleurs, nous travaillons à développer le secteur privé, source principale de création de postes. Nous cherchons aussi à encourager la culture de l’entrepreneuriat et l’auto-emploi. Enfin, nous menons des actions spécifiques pour les femmes, les jeunes ou les personnes souffrant d’un handicap pour faciliter leur insertion dans le monde du travail. Les outils en matière de formation sont nombreux. Quels résultats avez-vous obtenus ?

Nos différents programmes de formation et d’insertion ont pour but d’améliorer les qualifications professionnelles de milliers de jeunes, notamment les jeunes ruraux déscolarisés. Ils se déroulent sur l’ensemble du territoire national, et surtout dans les zones touchées par l’insécurité. Et nous avons ajouté, comme nouvelles mesures, des accompagnements à travers la formation à l’entrepreneuriat, la mise à disposition de kits ainsi que des accès à des financements. Quels secteurs recrutent le plus ?

L’agriculture et l’agroalimentaire, le BTP et les TIC, la maintenance, l’industrie sont les domaines porteurs du moment. Mais l’emploi rest reste dominé par le secteur informel et rural. Le gouvernement gouv travaille actuellement à actuelle moderniser notre économie, é afin d’augmenter lla part de l’emploi formel. ■ propos recueillis par Emmanuelle Emmanue Pontié

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Agence pour la promotion des investissements au Mali L’Agence pour la Promotion des Investissements au Mali (API-Mali) est un établissement public à caractère administratif, créé en 2005 et placé sous la tutelle du ministère en charge de l’Investissement. L’API-Mali, à travers son guichet unique, offre un point d’entrée unique pour toutes les procédures de création d’entreprises, d’assistance aux investisseurs et de délivrance d’autorisations d’exercice et d’agréments au Code des investissements du Mali.

Selon une enquête de la Banque mondiale, l’Agence pour la Promotion des Investissements au Mali est notée 4/5 pour la qualité de son accompagnement des investisseurs (soit 80 % de taux de satisfaction). Depuis février 2015, date à laquelle Moussa Touré a été nommé Directeur Général de l’API, de nombreuses avancées ont pu avoir lieu :

• Restructuration de l’Agence avec mise en place d’une meilleure organisation et arrivée de nouveaux talents ;

L’API-MALI PRIMÉE À DUBAÏ : UNE RECONNAISSANCE DU TRAVAIL DE L’AGENCE

• Début de dématérialisation des processus ayant permis la réduction du temps de traitement des dossiers et la transparence ;

• Relance des activités de promotion et d’amélioration de l’image du pays ;

• Organisation avec succès du Forum Invest in Mali 2017, avec plus de 1 000 participants, 30 nationalités, 37 milliards de FCFA d’investissement ;

• Multiplication par 3 du volume des investissements agréés au Code et des ressources propres de l’Agence ;

• Rapprochement des services du guichet unique aux usagers avec ouverture de 4 Antennes Régionales (Kayes, Ségou, Sikasso, Mopti), et une 5 e en cours d’ouverture à Gao ;

• Plus de 30 000 entreprises créées, 400 milliards d’investissements générés et devant créer plus de 8 000 emplois ;

• Réduction de la mauvaise perception sur la destination Mali et amélioration des connaissances sur les opportunités d’investissement et l’environnement des affaires ;

• Amélioration de l’image et de la reconnaissance de l’API-Mali.

Le 8 avril, lors du dîner de gala de la 9e édition de l’Annuel Investment Meeting (AIM 2019), l’API-Mali a reçu un award pour la qualité de son travail de promotion économique du Mali. « API-Mali vient d’être récompensé pour le travail effectué dans la promotion de la destination Mali. Nous sommes fiers du Mali ! », a déclaré Moussa Touré, Directeur Général de l’API. L’Annual Investment Meeting de Dubaï est l’une des premières rencontres mondiales dédiées aux investissements directs étrangers (IDE). L’événement, initié par le ministère de l’Économie des Émirats arabes unis, se déroule sous le haut patronage de Son Altesse le cheikh Mohammed Bin Rashid Al Maktoum, Vice-Président des Émirats arabes unis, Premier Ministre et Souverain de Dubaï.


Au-delà d’une vision, un plaidoyer pour des actions concrètes Le Directeur Général de l’API-Mali, Mo u s s a To u ré , e s t c a n d i d a t e n octobre 2019 au poste de représentant régional du WAIPA pour l’Afrique subsaharienne. Il milite pour un WAIPA et des API d’Afrique renforcés et autonomes. Son programme se décline en trois grands axes :

1. Renforcer l’organisation et l’ancrage institutionnel des API et les doter d’une plus grande autonomie financière ;

2. Former et renforcer les capacités des ressources humaines des API ;

3. Créer plus de synergie et de coopération entre les API pour optimiser les investissements régionaux.

L’intégration régionale est essentielle pour promouvoir l’innovation technologique et économique en Afrique, notamment par le transfert de « knowhow ». L‘Afrique de l’Ouest redouble d’efforts, à cet effet, pour intégrer les économies régionales et améliorer le climat d’investissement avec le soutien du Groupe de la Banque mondiale. Powering Africa: Summit 2018

Nous devons orienter une grande partie des flux financiers des Africains de la diaspora vers des investissements productifs sur le continent. Forum des diasporas 2018


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Start-up Le succès croissant des applications mobiles Encouragés par le gouvernement, les jeunes diplômés se tournent en nombre vers L’AUTO-EMPLOI, surtout dans le domaine des new tech. par Diénéba Dème

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chaque dernier vendredi du mois. Les deux premières éditions se sont tenues en août et septembre 2019. L’idée est de créer un cadre pour que les « jeunes esprits les plus brillants » viennent y exposer leurs innovations et gagner des prix, qui vont de 1 à 5 millions de francs CFA pour les trois projets retenus chaque mois. Des incubateurs de start-up (Donilab, Impact Hub) participent aussi à la phase de présélection, ainsi qu’au coaching et au suivi-évaluation des projets des candidats et candidates. LES SIX APPLIS OU PROJETS DONT ON PARLE

Lenali : parler les langues locales Lenali a été ouvert au public le 4 mars 2017. C’est un réseau social dont la particularité est de privilégier la communication orale entre les usagers. Plus de 76 000 abonnés y sont enregistrés à ce jour. Ces derniers n’ont pas besoin d’être instruits pour avoir accès à cette application car elle utilise la voix comme support de premier choix. Elle met différentes langues nationales à leur disposition en plus du français (langue officielle du Mali), à savoir : le bamanankan, le soninké, le songhaï, le poular. Malgré sa notoriété, « le produit n’est pas encore officiellement lancé », rapporte Mamadou Sidibé, son initiateur, en raison d’un problème de « financement et de ressources humaines ». Mamadou Sidibé a créé un réseau social vocal pour les locuteurs de langues non écrites.

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hez les jeunes Maliens, l’auto-emploi a le vent en poupe. Souvent dans le domaine du numérique. En cinq ans, les applications mobiles ont poussé comme des champignons, certaines déjà bien connues et qui cartonnent. « Vu le nombre croissant des jeunes diplômés et la rareté des offres sur le marché de l’emploi, tant dans le secteur public que dans le privé, on se tourne naturellement vers l’auto-employabilité. Les jeunes créent volontiers leur propre entreprise. Devenir entrepreneur répond également à des aspirations personnelles comme la soif de liberté, le goût de l’aventure professionnelle, l’envie de faire preuve d’audace. Une réponse plutôt innovante de nos jours », reconnaît Aliou Kamissoko, 33 ans, employé dans le secteur des mines et désireux de créer sa propre société. Les entreprises fleurissent dans tous les domaines prisés du moment, mais aussi La plate-forme de diffusion dans d’autres secteurs, moins des œuvres attendus. C’est le cas de l’art et Agansi a été de la culture, avec par exemple fondée par la plasticienne le succès la plate-forme Agansi. Massira Touré. Surnommée Miss Agansi, l’artiste plasticienne Massira Touré, âgée de 27 ans, a lancé une plateforme Web de diffusion des arts plastiques en 2017. Elle permet aux artistes maliens de montrer et vendre leurs travaux sur Internet. « Les artistes, surtout les jeunes, sont très prolifiques. Mais leurs œuvres ne sont mal- Tech Fridays : le ministère heureusement pas connues. On de l’Économie numérique dit souvent que les artistes sont prime les projets innovants. dans leur monde. J’ai donc décidé d’emmener le travail des artistes vers le reste du monde, qui se trouve aujourd’hui sur Internet », explique Massira. Et dans le secteur des nouvelles technologies, l’accompagnement de l’État est de plus en plus concret. Pour exemple l’organisation des Tech Fridays par le ministère de l’Économie numérique et de la Prospective. Il s’agit d’une compétition de pitchs (présentations de projet) organisée

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SÉBASTIEN RIEUSSEC - CAPTURE D’ÉCRAN (2) - DR - CAPTURE D’ÉCRAN

L’incubateur Impact Hub, qui participe au projet des Tech Fridays, est soutenu par la Banque mondiale (représentée ici par Alexandre Laure).

Map Action : pour la préservation de l’environnement Accessible au public depuis février 2018, Map Action est une innovation technologique du cabinet Kaicedra-consulting, spécialisé dans la géolocalisation des problématiques ou zones d’intérêt, la cartographie, le suivi et la mise à disposition de bases de données dans les domaines de l’environnement et du développement durable. Map Action est également utilisée dans le secteur agropastoral, les ressources naturelles (gaz, pétrole, mines…), la foresterie, la gestion des infrastructures et équipements, etc. L’application, présentée lors de la 23e Conférence internationale sur les changements climatiques (COP23), à Bonn (Allemagne), comme solution climatique innovante aux pavillons du Mali, de la Francophonie et de l’ONG internationale Energie50, compte plus de 500 abonnés sur Android. Doctix : prendre rendez-vous chez le médecin Doctix est né du site Web Malisanté, créé en 2009 par Tidiane Ball, alors étudiant en médecine. Il s’agit d’une application mobile de prise de rendez-vous pour les patients qui ont des difficultés à entrer en contact avec des médecins, notamment des spécialistes. Doctix existe depuis février 2017. Avec cet outil, grâce à un numéro de téléphone enregistré, le patient peut donc choisir son thérapeute selon sa spécialité et prendre rendez-vous en indiquant l’heure qui lui convient. Une courte présentation des médecins inscrits sur la plate-forme est disponible, souvent accompagnée d’une photographie. Allô Mairie : rapprocher le citoyen des services L’application mobile Allô Mairie a été lancée officiellement en août 2019. C’est un outil numérique citoyen. Il crée un lien

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entre administrations et administrés en leur permettant de communiquer en temps réel. Une première en Afrique. Allô Mairie permettra aux municipalités de recouvrer des recettes fiscales grâce à son système de paiement à distance des taxes et vignettes. L’application donnera aussi la possibilité aux administrés de signaler des anomalies sur la voie publique (accident, poteau électrique endommagé, fuite d’eau, etc.) aux services compétents, ou de suggérer des solutions aux problèmes constatés dans leur localité. Fibaraa.com : bientôt une application mobile pour livrer des plats Marie Louise Kéïta, une jeune entrepreneure, a lancé le site Fibaraa.com en juillet 2019. L’idée lui en est venue dans la foulée de la création de son blog culinaire Bons plans bouffes (bpbmaryloo.com), il y a trois ans. Bientôt, une application mobile verra le jour pour rendre accessibles tous les plats de la majorité des restaurants de la capitale malienne via un service de livraison. Fibaraa cible essentiellement les Maliens actifs, employés ou employeurs, et les expatriés, qui ne savent pas forcément où aller manger. À ce jour, le site compte une centaine d’abonnés. Ses services sont limités pour l’instant à Bamako, mais la jeune dame ambitionne de les étendre aux capitales régionales du Mali et des pays environnants. Mali Quiz Culture : questions-réponses éducatives Mali Quiz Culture est un projet qui a pour objectif la promotion de la culture africaine. Créé en 2018 par Abdoulaye Sall, un jeune entrepreneur et expert en programmation, il consiste, grâce à une application téléchargeable sur Android, à tester la culture générale à travers des questions-réponses relatives à un thème culturel concernant le Mali (architecture, arts plastiques, musique, danse, artisanat, etc.). Les abonnés pourront s’amuser en apprenant, ou en confirmant leur connaissance de la culture malienne. Des découvertes sont à la clé, grâce à la variété des photographies du pays disponibles sur l’application. Mali Quiz Culture compte environ 200 abonnés. ■

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Agriculture La modernisation est en cours La majorité des producteurs mettent en valeur leurs TERRES FAMILIALES, pour lesquelles le gouvernement déploie des actions de soutien. par Célia Dédé d’Almeida

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producteurs, des dizaines de milliers d’agriculteurs ont ainsi pu lors que l’hivernage s’achève, les agriculteurs s’activent s’équiper. Pour le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Agridans les champs, qui pour surveiller la maturation des culture, chargé de l’Aménagement et de l’Équipement rural, plants et les protéger des prédateurs, qui pour récolter. Adama Sangaré, la modernisation est LE défi de l’agriculture Si la saison des pluies a finalement donné satisfaction, le vrai malienne. « Cette vision politique est clairement définie dans le défi auquel sont confrontés les paysans reste la modernisation Programme d’action gouvernementale […]. Sa mise en œuvre des pratiques et des outils de travail. Sous le soleil de cette fin passe par la maîtrise de l’eau, à travers l’aménagement des terres de septembre, Maïmouna nettoie les allées entre les plants de agricoles, la modernisation des moyens de production agricole maïs de sa parcelle. À Kamalen, village situé à une quarantaine et la mécanisation de l’agriculture. » Depuis 2015, rappelle-t-il, de kilomètres de Bamako en allant vers la frontière guinéenne, 15 % du budget national sont alloués au secteur. « D’autres cette mère de famille d’une cinquantaine d’années est l’une des actions concrètes ont été menées, comme la mise en œuvre du rares de la communauté à posséder une superficie aussi imporprogramme de subvention des équipements et matériels agritante : 1,5 hectare, l’héritage de son mari, qu’elle exploite seule. coles Toguna Mali-Tracteurs », ajoute le ministre, qui invite les Elle confie : « Avant, je partageais les tâches sur cette parcelle agriculteurs maliens à être « au rendez-vous de qui était le champ familial. Avec mon mari et nos fils, nous avions des céréales et de l’arachide en Le financement la révolution agricole ». En effet, lors de la campagne 2017-2018, quelque 300 tracteurs issus de contre-saison. À son décès, en 2005, il a été très des l’usine du géant malien de l’agrobusiness Toguna difficile pour moi de garder cette terre qui me équipements, Industries ont été livrés par sa filiale. nourrit. » Ce qui a pesé dans la balance en faveur c’est un de Maïmouna, c’est la loi d’orientation agricole votée en 2006, et surtout la volonté des autorités DES AIDES POUR LES EXPLOITATIONS chantier dans de la commune rurale de Siby de renforcer le leaÀ Kamalen, le retour de la pluie préoccupe lequel s’est dership des femmes dans la gestion de la terre. Maïmouna et ses pairs. Un peu partout à travers lancé l’État le pays, la saison pluvieuse qui s’achève a été avec ses pour le moins inégale. Fortes averses rapproDES ÉQUIPEMENTS SUBVENTIONNÉS chées ont alterné avec période d’intense chaDepuis qu’elle est propriétaire, la cultivatrice partenaires. leur, provoquant des inondations puis le séchage se sent pousser des ailes. Elle a réussi à acquérir prématuré des plants. « Il faut trouver une solution au manque 1 hectare supplémentaire auprès de son cousin, voisin. Elle y de pluie », confie-t-elle. Le puits creusé grâce à l’appui d’une cultive hors hivernage des produits maraîchers, mais sa fierté, ONG locale vient en appoint, d’autant mieux qu’elle a réussi c’est le riz pluvial à cycle court qui y verdit pendant l’hivernage. à y adjoindre une pompe solaire, financée sur fonds propre. « Ce ne serait pas possible si je n’avais pas de machine », assure Le financement des équipements, c’est l’autre chantier dans la cultivatrice, qui montre, dans un coin du champ un semoir lequel s’est lancé l’État avec ses partenaires. Le 27 septembre manuel et une batteuse petit format posés sous un arbre. Der2019, Safia Boly, ministre de la Promotion de l’Investissement rière lequel vient se garer un tracteur. Depuis une dizaine d’anprivé, des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Entrepreneunées et l’opération de vulgarisation des machines agricoles, dont riat national, rappelait que le secteur agricole, contribuant à certaines sont de fabrication locale, il n’est plus rare de trouver 40 % au produit intérieur brut (PIB), est en majorité constitué dans les champs de l’Office du Niger (le plus grand bassin céréd’exploitations familiales de moins de 5 hectares, peu équialier du pays) ou bien dans les plantations de mil ou de sorgho pées. Avec le Fonds international pour le développement agrides tracteurs made in Mali. Avec l’appui de la Banque nationale cole (Fida), le royaume du Danemark et le gouvernement du de développement agricole, qui endosse les prêts octroyés aux 66

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Les nombreuses fermes avicoles de la région de Baguineda produisent quotidiennement des milliers d’œufs frais et de poulets de chair.

Canada, le gouvernement a lancé le projet Inclusif, dont l’objectif est d’accroître l’inclusion financière des petits producteurs et des petites et moyennes entreprises (PME) agroalimentaires. Cette initiative permettra, grâce à une enveloppe de 58 milliards de francs CFA pour une durée de six ans (2019-2024), de doter 440 000 ruraux de fonds pour financer leurs activités et se développer.

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L’AVICULTURE REMPLACE

À quelques dizaines de kilomètres de Kamalen, dans la commune de Baguineda, ce ne sont plus les vergers qui ont la cote, eux qui avaient drainé les investissements locaux quand la filière mangue était en plein essor, il y a une dizaine d’années. Ce sont maintenant les fermes avicoles qui ont le vent en poupe. Elles s’étendent à perte de vue le long de la route nationale Bamako-Ségou et ravitaillent la capitale en milliers

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d’œufs frais et de poulets de chair tous les jours. « Notre défi ici reste la maîtrise des épizooties », confie Kassim Coulibaly, le promoteur de l’une de ces fermes. Ses 20 000 poules sont surveillées par deux jeunes vétérinaires. « Ils sont formés dans les institutions nationales et sont de mieux en mieux qualifiés pour une demande de plus en plus exigeante », se réjouit l’aviculteur, qui considère que la recherche et le monde académique sont de plus en plus à l’écoute des besoins des producteurs maliens. L’innovation est le maître mot du secteur. Ainsi, pour la campagne agricole 2018-2019, les producteurs de quatre cercles [divisions administratives, ndlr] ont testé la distribution électronique d’engrais. Cette action pilote, qui s’étendra lors de la prochaine campagne, contribue à assurer la transparence dans un domaine où les affaires de corruption et de détournement font la une de l’actualité, ainsi qu’à moderniser le secteur, en vue d’assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire au Mali. ■

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Sports La dynamique de la victoire Sélection U-19 en finale de la Coupe du monde 2019, équipes féminines régulièrement sur le podium : le basket est au top. Et côté ballon rond, tous les espoirs sont de nouveau permis. par Boubacar Sidiki Haidara

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POURVOYEUR DE TITRES

Depuis vingt ans, le Mali a remporté 18 trophées. La palme revenant aux sélections féminines, qui ont été sacrées lors des six éditions de l’Afrobasket U-16. Depuis dix ans, c’est le seul pays du continent à avoir participé à toutes les compétitions des catégories jeunes. Cette dynamique a été enclenchée sous Hamane Niang, ancien président de la Fédération malienne de basket-ball, ex-ministre des Sports aujourd’hui à la tête de la Fiba, l’instance mondiale du basket. Hamchétou Maïga, championne d’Afrique 2007, se souvient. « Sous Hamane Niang a démarré une politique de conférences des cercles [équivalents des départements, ndlr] et des régions. Les jeunes avaient l’occasion de jouer et cela les motivait. Avant, dans les petites catégories, il arrivait de passer toute une saison sans compétition. Cette politique se poursuit et elle porte ses fruits. » Formation continue des entraîneurs, camps animés par d’anciennes gloires, ouverture de centres de formation (plus de 150 dans le pays), le Mali s’est donné les moyens d’atteindre ces probants résultats. UNE PREMIÈRE CAN POUR OBJECTIF

En dehors des parquets, le football met également les Maliens en joie. Beaucoup ont cru que la coupe d’Afrique des nations (CAN) 2019, disputée en Égypte, serait la bonne. Il va 68

Les Aiglons, en février 2018, au palais des sports de Bamako.

falloir attendre. En dépit d’un jeu léché et offensif, le Mali est tombé dès les huitièmes de finale devant la Côte d’Ivoire (0-1). Manque de maturité, d’expérience ? De chance plutôt, pour le néo-international malien Sékou Koita, qui a intégré l’équipe durant cette CAN. Il est convaincu que « cette génération remportera la première CAN de l’histoire du pays ». Emmenée par des jeunes issus de l’académie Jean-Marc-Guillou, ouverte en 2006 à Bamako, qui forme l’élite du football malien, une des plus prometteuses d’Afrique. Les jeunes en sont conscients. « Nous avons une très belle génération. Après les victoires en jeunes, c’est le moment de viser plus haut », renchérit Koita, qui évolue au Red Bull de Salzbourg (Autriche). Le Mali a glané deux fois le trophée chez les moins de 17 ans (2015, 2017). À ce palmarès s’ajoute une finale de Coupe du monde U-17 au Chili en 2017 (perdue 0-2 contre le Nigeria), une médaille de bronze à la Coupe du monde des moins de 20 ans en 2015 (Nouvelle-Zélande) et un titre de champion d’Afrique dans la même catégorie en 2019 au Niger. Ces succès cachaient une crise qui a couvé quatre ans. Déclenchée sous le mandat de Boubacar Baba Diarra (2013-2017), dont la gestion a été décriée par certains, elle a valu au pays une suspension par la Fifa en 2017, une interruption du championnat national durant plus de deux ans ainsi qu’une menace d’exclusion de la CAN 2019. La situation s’est normalisée ces dernières semaines et un nouveau président a été élu le 29 août, qui prend la suite du comité de normalisation installé par la Fifa le 10 janvier 2018. Le championnat a repris et le pays peut désormais avancer sereinement vers les prochaines échéances qui l’attendent. ■ AFRIQUE MAGAZINE

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EMMANUEL DAOU BAKARY

Héraklion, en Grèce, le 7 juillet 2019, la sélection U-19 (les moins de 19 ans) du Mali a affronté les États-Unis en finale de la Coupe du monde de basket-ball. Jamais une équipe africaine, toutes catégories confondues, n’était arrivée si loin. Chez les U-19, aucune sélection africaine n’avait fait mieux qu’une onzième place ! Ce jour-là, les « Aiglons » se sont inclinés 93-79 face aux Américains mais ils ont gagné le cœur des Maliens et le respect de leurs pairs. « Nous avons montré au monde entier le potentiel du basket malien », assurait Martin Diakité, le capitaine de l’équipe qui avait battu, durant son parcours, celle du Canada, championne en titre, et la France, qui a terminé troisième de la compétition. Parmi les cinq meilleurs joueurs du tournoi, deux Maliens : Oumar Ballo, meilleur rebondeur et contreur, avec « seulement » cinq matchs joués sur sept, et Siriman Kanouté, dernière perle d’une famille de grands joueurs.


AGENCE NATIONALE POUR L’EMPLOI UN INSTRUMENT EFFICACE DE PROMOTION DE L’EMPLOI AU MALI UN INSTRUMENT EFFICACE DE PROMOTION DE L’EMPLOI AU MALI

L’ANPE en chiffre : L’ANPE en chiffre :

¾ 1 Siège Social à Bamako ¾ 1 Siège Social à Bamako ¾ 11 Directions Régionales ¾ 11 Directions Régionales ¾ 1 Agence Comptable ¾ 1 Agence Comptable ¾ 9 Départements Techniques ¾ 9 Départements Techniques ¾ ¾1 Service de 1 Service deContrôle ContrôleInterne Interne ¾ ¾Des Conseillers Des Conseillersdu duDG DGet etAssistants Assistantsdu du DGA DGA ¾ ¾Des Correspondants Locaux Des Correspondants Locaux ¾ ¾1 centre de 1 centre deFormation FormationààBamako, Bamako,Kayes, Kayes, Sikasso, Ségou, Sikasso, Ségou,Mopti, Mopti,Gao Gao(BT, (BT,BPB, BPB, Licence Licence Professionnelle) Professionnelle) ¾ ¾1 Atelier Ecole 1 Atelier EcoleààKayes Kayes(AEK) (AEK) ¾ ¾1 partenaire 1 partenaireTechniqueFinancier TechniqueFinancier(FARE) (FARE) ¾ ¾1 Cellule d’Etudes 1 Cellule d’EtudesProspectives Prospectives NOS PARTENAIRES NOS PARTENAIRES: : Conseil d’Administration Conseil d’Administration: Tripartisme, : Tripartisme,état, état, Patronat, Patronat, Syndicat Syndicat ADRESSE ADRESSEDIRECTIONS DIRECTIONSREGIONALES REGIONALES KAYES (liberté) KAYES (liberté) KOULIKORO (koulikorobaCité Citédu duHaut-Commissariat) Haut-Commissariat) KOULIKORO (koulikoroba SIKASSO (WayermaIIIIquartier quartierAdministratif) Administratif) SIKASSO (Wayerma SEGOU (Centre Commercialrue rue24 24Porte Porte222) 222) SEGOU (Centre Commercial MOPTI (komoguelIIIIquartier quartiercommercial) commercial) MOPTI (komoguel GAO(Château (Château SecteurI)I) GAO Secteur TOMBOUCTOU(Djingareïber) (Djingareïber) TOMBOUCTOU KIDAL (Etambar) KIDAL (Etambar) TAOUDENIT TAOUDENIT MENAKA MENAKA

LeDirecteur DirecteurGénéral GénéralIbrahim Ibrahim NOCK Le AgAg NOCK BP BP 118 118 21 21 204 204 158 158 165 165 38 38 45 45 60 60

MINISTERE L’EMPLOI,DE DELA LAFORMATION FORMATIONPROFESSIONNELLE. PROFESSIONNELLE. MINISTERE DEDE L’EMPLOI,

AGENCENATIONALE NATIONALEPOUR POURL’EMPLOI L’EMPLOI AGENCE

Siège : AVENUE MOUSSA TRAVELE - QUARTIER DU FLEUVE Siège : AVENUE MOUSSA TRAVELE - QUARTIER DU FLEUVE BP-211 Bamako, Mali BP-211 Bamako, Mali

: 00 (223)202022 2231 3187 87ou ou20 2022 2283 83 54 54 TélTél : 00 (223) E-mail : anpe@anpe-mali.org E-mail : anpe@anpe-mali.org

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CONTACT CONTACT 2153531616 21 5353 21 8787 2126262121 21 6060 2162620303 21 32 03 8888 21 32 03 2143 1111 21430202 2178 3939 21789191 2121791293 791293 2178 21784524 4524


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Portfolio Moments choisis

FRANÇOIS LAFITE/DIVERGENCE

INSTANTANÉS en ville et ailleurs pour un tour d’horizon des ambiances typiquement… maliennes.

CAPITALE DES DEUX ROUES Deux hommes en scooter à Bamako.

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14 E SIÈCLE La mosquée de Djingareyber, à Tombouctou.

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FASHION WEEK Les modèles streetwear du styliste ivoirien Barros Coulibaly, dans les rues de Bamako.

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SAISON SÈCHE Cultures sur les rives du fleuve Niger. Au loin, le siège de la BECEAO et le célèbre hôtel de l’Amitié.

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TOURISME Mali Pirogue propose des excursions sur le Djoliba (fleuve Niger). La balade est très prisée le soir, pour admirer le coucher du soleil.

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NICOLAS RÉMÉNÉ (2)

AMBIANCE Soirée kora au maquis La Source, dans le quartier Faso Kanu.


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Feel Africa


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Bamako Capitale de la photo Pour fêter leur 25e anniversaire, les célèbres RENCONTRES doublent le nombre de leurs sites d’exposition et réunissent 85 artistes. par Emmanuelle Pontié

Le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, prend la pose lors du lancement officiel de l’événement au palais de Koulouba, le 26 juillet 2019.

plus que les années précédentes – sont invités. Les sites d’exposition ont eux aussi doublé. En plus du Palais de la culture Amadou-Hampâté-Bâ, du Musée national, du conservatoire ou de la galerie Medina, des images seront exposées dans des lieux inhabituels, comme le lycée de jeunes filles Aminata-Bâ, le vieux cinéma El Hilal ou encore le musée de la Femme Muso-Kunda. Pour la première fois, l’impression des 1 500 clichés à exposer se fera au Mali, grâce aux équipes du Centre de formation en photographie et de la Maison africaine de la photo. Le cru 2019 sera supervisé par le commissaire d’exposition camerounais indépendant Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, accompagné de trois autres commissaires : la Tunisienne Aziza Harmel, la Franco-Malienne Astrid Sokona Lepoultier et le Ghanéen Kwasi Ohene-Ayeh. « L’autre innovation de cette édition, c’est le lancement officiel des Rencontres, qui a eu lieu au palais de Koulouba le 26 juillet, en présence du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui a même posé sur un scooter pour une photo ! Le chef de l’État soutient avec vigueur l’événement, auquel il invitera ses homologues de la sous-région. C’est un homme passionné de culture. Il était au Fespaco 2019 à Ouagadougou. Il a été nommé coordinateur des arts et de la culture, en février dernier, à Addis-Abeba, par l’Union africaine », rappelle Igo. La présente édition des Rencontres de Bamako, qui ont vu le jour en 1994, aura pour thème « Les courants de conscience ». Selon leur délégué général, pas moins de 5 000 exposants, visiteurs, invités et journalistes sont attendus dans la capitale. ■

COLLECTIF YAMAROU - DR

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éjeuner d’un maffé-poulet sur le pouce avec Igo Diarra à l’African Grill, le restaurant du Musée national de Bamako. Le directeur de la galerie Medina et des éditions Balani’s, figure culturelle du Mali, porte aujourd’hui une nouvelle casquette. Il a été nommé délégué général des Rencontres de Bamako, la biennale africaine de la photographie devenue incontournable au fil des ans, et qui fête son 25e anniversaire, du 30 novembre 2019 au 31 janvier 2020. Les journées professionnelles se tiendront, elles, jusqu’au 3 décembre 2019. Deux mois avant le jour J, Igo cherche encore des financements. Il aimerait bien doubler le budget initial de 500 000 euros – financé pour moitié par l’Institut français – et tente de mobiliser des mécènes et des collectionneurs africains privés, en marge de l’Union européenne ou de la coopération suisse, qui ont déjà répondu présent. Pour cette 12e édition, 85 photographes venus d’Afrique et de la diaspora – deux fois


Le long-métrage a été tourné près de Kita et dans les environs de Bamako.

Nogochi Une chasse au trésor en costume La conquête coloniale de l’Afrique de l’Ouest sert de décor au film événement du Franco-Malien TOUMANI SANGARÉ. par Aurélie Dupin

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On retiendra également de cet ovni du cinéma malien, e la terre rouge, du sang, de la chair, une peau que l’on tourné en 2016 dans de spectaculaires décors naturels vers caresse, un cou que l’on tranche, des cauris que l’on Kita, à l’ouest du Mali, et à une quarantaine de kilomètres de frotte, un pied qui foule fermement le sol, un fétiche Bamako, des costumes que l’on doit au talent multidisciplinaire dont la bouche se tord sont autant d’ingrédients qui nous transd’Abdou Ouologuem, mais aussi des effets spéciaux qui partiportent dans l’univers unique de Nogochi, le premier long-mécipent à l’atmosphère fantastique. Il aura fallu une gestation trage de Toumani Sangaré. d’une dizaine d’années pour que cette œuvre paraisse à l’écran. À la fin du XIXe siècle, un bateau transportant des esclaves Toumani Sangaré en a mûri chaque détail sur une route artisaméricains affranchis fait route vers une Afrique de l’Ouest en tique qu’il a bâtie en France en 1995 avec le collectif Kourtrajmé, pleine conquête coloniale. Le jeune Stevenson, jeté par-desdont il est un membre fondateur avec Romain Gavras (Le Monde sus bord, s’échoue sur la plage d’une terre dont il est issu et à est à toi) et Kim Chapiron (Sheitan). Il a réalisé plusieurs clips laquelle il retourne. Le chasseur qui le recueille lui donne le et courts-métrages puis, en 2013, un documentaire nom de Sibiri. Initié, il devient quelques années Cet ovni sur Gaël Faye. Avec sa partenaire dans la vie comme plus tard le pisteur le plus remarquable de la confrérie des Donso. Waraba, elle, est fille de fordu cinéma derrière la caméra, Emma Sangaré, il crée Banko Production à Bamako en 2015. Elle dirige la producgeron. Et ce sont les traces de son père qu’elle veut se sent, tion, il réalise, notamment la shortcom Taxi Tigui, suivre. Mais, seule survivante après l’attaque de se regarde qui compte déjà deux saisons. Toumani Sangaré a son village, elle devient un fauve parmi les fauves. avec tout également réalisé plusieurs épisodes de Sakho et Et puis il y a le colon renégat, ce roitelet blanc Mangane, une série produite par Canal+. Nogochi qui se taille un bout d’empire sur lequel il règne le corps. est un film qui ressemble à ce Franco-Malien, haravec brutalité et mysticisme. Trois destins qui se monieuse synthèse de plusieurs mondes, du Wassulu à la région croisent et s’entrechoquent sur une musique omniprésente qui parisienne, d’expériences créatives multiples et de cette ambirythme les battements du cœur du spectateur telle une omnistion de dynamiser la production cinématographique malienne. ciente guideline émotionnelle. Car Nogochi est un film qui se Après une avant-première à guichets fermés le 19 septembre, le sent, qui se regarde avec tout le corps. Une perception instincfilm sort officiellement le 10 octobre à Bamako. Il sera visible tive, primale, qui laisse finalement peu de place au jugement, prochainement dans d’autres pays de la sous-région. ■ à la prise de parti.

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Le dernier-né, le Sheraton, a ouvert en 2018, avec 200 chambres et 32 suites.

Sortir Une offre qui monte en gamme En pleine forme, le secteur de l’HÔTELLERIE-RESTAURATION essaime aux quatre coins de la ville, et au-delà pour les amateurs de nature.

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ertes, c’est un style particulier… À Bamako, ville soumise en permanence à une menace d’attentats, on évolue dans un univers peuplé d’hommes en treillis et hérissé de rideaux de fer. En particulier autour des hôtels, restaurants, lodges et piscines. Et, c’est sûr, la cohabitation entre le maillot de bain et la kalachnikov, c’est un peu spécial. Mais totalement entré dans les mœurs. Résultat : on se sent globalement en sécurité (même fragile), y compris lorsque l’on sirote un cocktail sur le rooftop à ciel ouvert de Bamako Kitchen, l’une des adresses les plus prisées par les expats. Ou encore lorsque l’on passe la journée en famille dans la très jolie piscine en forme de cœur (historique…) du vieil hôtel de l’Amitié. Contrairement à ce que l’on imagine, la capitale malienne et ses environs offrent douces opportunités de farniente, agapes variées et loisirs à la carte. Depuis le dernier sommet Afrique-France, en janvier 2017, l’offre hôtelière est montée d’un cran. Trois beaux établissements tiennent le haut du pavé. Le Radisson, totalement restauré et sécurisé depuis le tragique attentat dont il avait été victime en novembre 2015, est implanté dans le quartier des affaires ACI 2000, à quinze minutes de l’aéroport international Modibo-Keïta. Prisé par une clien78

tèle business de passage, il propose des chambres confortables et des prix maîtrisés. L’hôtel Azalaï, entièrement rénové, avec 92 chambres et quatre suites, offre au quartier du Fleuve, face à la cité administrative, un très bon restaurant gastronomique, une large palette de salles de réunion, une des plus belles piscines de la capitale et un spa hyper-pro au rez-de-chaussée. Enfin, on peut choisir le Sheraton, dernier-né à Bamako, cossu, moderne, situé à l’ACI 2000. Plusieurs tables, pour tous les goûts et tous les portefeuilles, sont ouvertes toute la semaine aux amateurs de cuisine locale ou exotique. Impossible de toutes les citer. Mais s’il faut une sélection, subjectivité assumée, la voici. Le Loft, au quartier Quinzambougou, est une institution. Incontournable. Son choix de mets français, revisités par les produits locaux, est l’un des plus savoureux de Bamako. Clientèle mixte. Autre lieu prisé par les « patrons » maliens, le Canoé. Sollo vous accueille dans sa salle climatisée en bord de fleuve ou la nouvelle terrasse étoilée qui la surplombe. Une belle carte, très tradi-french. Service soigné. Autre ambiance, typiquement bamakoise : le Bla Bla, le resto à grillades succulentes qui ne désemplit pas à Badalabougou. Tout le monde y va, du « grand quelqu’un » à l’étudiant. C’est bon, pas très cher, branché. Enfin, AFRIQUE MAGAZINE

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par Emmanuelle Pontié


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Grillades au Bla Bla (ci-dessous), respiration au bord du fleuve à l’hôtel Nanagaléni, à Koulikoro (ci-dessus)… Les propositions abondent.

il faut accorder une mention spéciale au Soukhothaï et à sa cuisine thaïlandaise ultra-raffinée, qui séduit au quartier du Fleuve la « up class » business comme politique. Midi et soir. Ambiance climatisée ou jardin fleuri. On peut aussi apprécier de dîner un peu plus roots, à l’Espace Kora, dans le quartier Faladie, pour écouter des talents maliens de passage qui se produisent en live. Pour encore plus de culture, la chanteuse Rokia Traoré a ouvert, à proximité du troisième pont, un centre culturel et trois salles de concert, dont il faut guetter la programmation. Plus loin, à Bakodjicoroni, le centre Blonba présente régulièrement des pièces de théâtre et organise chaque 31 décembre une mégafête très courue par les Bamakois. Pour les amateurs d’expos, le Musée national propose ses collections permanentes de statues, masques et textiles anciens au quartier Dar Salam. Dans un autre style, la galerie Medina, dans le quartier du même nom, animée par Igo Diarra, présente des expositions plus modernes, d’art contemporain ou de photos. Et beaucoup plus tard le soir, il faut tout de même signaler, trois adresses pour les fêtards. Ibiza, la discothèque pour les jeunes, rénovée, avec son rooftop Sky. Ou encore le Byblos, où l’on danse tout en jouant au bowling si l’on veut. Et puis le Chicago, la dernière boîte de nuit à la mode, née sur les cendres de l’ancien Monte-Cristo. Enfin, les Bamakois prisent fort les escapades dans des lodges divers autour de Bamako, pour un week-end ou juste un dimanche après-midi. Comme Kangaba, en ville mais sur

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la route de Ségou, avec ses trois piscines à fleur de roche. Mention spéciale au Badalodge, havre de verdure à Kalabanbougou, pour sa belle piscine en bord de fleuve, son bar branché et sa table savoureuse. Et enfin, un peu plus loin, après Koulikoro, le petit campement Nanagaléni attire ceux qui ont besoin de débrancher : paix assurée, petite piscine et salle de restauration sur pilotis en bord de fleuve (toujours…). L’établissement, d’apparence modeste, est très bien tenu, les plats sont savoureux et l’accueil particulièrement jovial. ■

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interview

MANU DIBANGO

« C’EST LE DESTIN ET LA CHANCE QUI NOUS POUSSENT » Soixante ans de carrière, et toujours ce même souffle passionné. Le saxophone bien accroché, il traverse notre époque avec le rythme. Et son rire inimitable. Rencontre avec une légende qui évoque les grands moments et les douleurs de sa vie. propos recueillis par Astrid Krivian 80

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INTERVIEW

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AM : Présentez-nous ce Safari Symphonique… Manu Dibango : Il unit ma formation avec l’orchestre sym-

phonique Lamoureux. C’est bien de faire rencontrer les djembés et les koras, mais c’est intéressant aussi de les mêler à des orchestres avec une mentalité, une esthétique musicale occidentale. Un dialogue différent se crée. Le mot « safari » réveille un imaginaire, c’est un voyage ludique, épicurien à travers les sons. À la place des animaux, on trouve des notes [rires] ! Comment garder intact le désir de musique durant toutes ces décennies ?

Si l’on se pose la question, c’est qu’il y a un problème. Cela doit être naturel. La question est : que vais-je faire demain ? Qui vais-je rencontrer ? Je suis content d’avoir eu beaucoup de hiers. Mais ce sont les demains qui comptent. La curiosité ne doit pas 82

Manu Dibango, le Soul Makossa Gang et l’orchestre symphonique Lamoureux dirigé par le chef Martin Fondse, à la salle Colonne, à Paris, le 4 juillet 2019.

seulement être tournée vers le passé, c’est une dynamique vers le présent. On doit accompagner l’évolution naturelle, ne pas rester figé dans une époque. Quel est votre lien avec votre saxophone ?

Il est le prolongement de ma voix. Car les instrumentistes aussi en ont une, il n’y a pas que les chanteurs. L’instrument est un véhicule de notes, mais aussi de l’âme. Pas un saxophoniste ne joue pareil. J’aime la forme et le son du saxo. C’est ma voix et ma voie ! Pour moi, c’est le plus sexy des instruments. Vous avez commencé à jouer de la mandoline, puis du piano, des instruments qui ne sont pas camerounais…

Je ne fais pas de la musique parce que je viens du Cameroun, mais parce que je suis musicien ! Les musiciens se comprennent toujours grâce au solfège, même s’ils ne parlent pas la même AFRIQUE MAGAZINE

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EWANÉ NJA KWA

on légendaire saxophone en bandoulière, il a traversé les époques avec un amour indéfectible pour son art, s’appropriant les musiques pour forger son style, singulièrement hybride, au groove imparable. Né au Cameroun, à Douala, en 1933, il s’éprend de la musique au temple protestant durant son enfance, puis découvre le jazz à l’adolescence lors de ses études en France. À ses débuts, dans les années 1960, il est membre du célèbre orchestre de Joseph Kabasele, l’African Jazz. Ses pérégrinations le mèneront au Congo belge (actuelle RDC), en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Nigeria… Il y dirige des orchestres, puise dans les rythmes du continent pour les croiser avec des musiques d’Occident, impulse une professionnalisation du secteur. En 1972, il vit son rêve américain grâce au succès phénoménal de « Soul Makossa » – samplé encore aujourd’hui par les popstars –, ouvrant le monde aux musiques africaines. De ses collaborations avec la variété française (Dick Rivers, Nino Ferrer dont il fut le chef d’orchestre…) à ses expériences reggae en Jamaïque, ce multi-instrumentiste de génie a toujours défié les étiquettes, tant musicales qu’identitaires, pour atteindre sur scène une « communion universelle ». Mû par une constante quête d’innovation et une puissante énergie (difficile de croire à son âge, 85 ans…), il fêtera en octobre ses soixante ans de carrière lors d’un concert exceptionnel, Safari Symphonique. Dans une brasserie de l’Est parisien, sirotant son thé Darjeeling, « Papa Groove » revient sur ce parcours hors normes, plonge dans ses souvenirs, partage sa philosophie de vie, des confidences rythmées par de généreux éclats de rire. Après l’entretien, il se pressera de rentrer chez lui, en banlieue, pour faire sa promenade quotidienne le long de la rivière, observer les poissons, les arbres… « Dans une autre vie, j’aurais été paysagiste. Depuis toujours, la nature me fascine. »


langue. Bien sûr, on peut percevoir un peu mon origine dans ma musique. Mais je suis avant tout musicien. Parce qu’être limité à « musicien camerounais », ça ne veut rien dire. Tu peux être populaire à Douala et pas à Yaoundé, en raison des 232 ethnies du pays. Si tu es né à Douala, tu n’as pas le droit d’écouter Sergueï Rachmaninov ? Tu dois te contenter du makossa ? Ce sont des fantasmes que l’on met dans l’esprit des gens. Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?

On magnifie toujours l’enfance, car tout est nouveau : nos sensations, les couleurs, les sons sont magnifiques. J’étais au paradis en écoutant l’harmonium au temple protestant, alors que c’est un petit instrument… Tout est à construire, donc on est plus ouvert et disponible. En tout cas, j’ai eu une enfance heureuse. Mes parents m’aimaient. Je n’ai jamais été frustré.

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« Les musiciens se comprennent toujours grâce au solfège, même s’ils ne parlent pas la même langue. » 83


INTERVIEW

« Étudiants, on ne connaissait pas le mot “indépendance”. » Mon seul regret est de ne pas avoir eu de frère ni de sœur. Être enfant unique, ça marque.

ans, et on utilisait encore les tickets de rationnement. J’allais chercher du lait à la ferme avec mes sabots…

Vous faites le parallèle entre votre voyage en bateau vers la France pour vos études et celui de votre père, quittant son village d’origine en pirogue pour la ville de Douala…

Comment vous êtes-vous adapté à ce monde étranger ?

Nous sommes des gens d’eau. Mon père venait d’un village à 40 km de Douala. Deido est le premier quartier dans lequel il est arrivé. Il a épousé ma mère et s’y est installé. Certains continuent leur périple, d’autres s’arrêtent au premier amour [rires] ! En 1949, à 15 ans, après un voyage de 21 jours en bateau, vous débarquez en France pour y poursuivre votre scolarité dans l’enseignement supérieur…

Oui. À l’époque, il n’existait pas d’avion pour ce type de transport. C’était un voyage initiatique. On quitte un monde pour un autre, en y allant crescendo, car en 21 jours, on s’arrête dans de nombreux ports. Quand on arrive, dans notre esprit, on est déjà très loin de notre point de départ. Aller en France pour moi était naturel, car il ne faut pas oublier que nous étions alors français. Les immigrés dans l’Hexagone étaient polonais, italiens, portugais… Nous, les Africains, étions les enfants de la France libre. Rappelons que la capitale de cette France était Brazzaville. On parle de l’appel de Londres de Charles de Gaulle, mais en réalité le général est parti de Brazzaville, et Leclerc aussi… C’est un pan de l’histoire peu évoqué. Après la Seconde Guerre mondiale, en Afrique francophone, l’administration coloniale permettait aux parents d’envoyer leurs enfants à la « mère patrie » pour leurs études. À condition d’avoir les moyens de les confier à un correspondant. Je suis arrivé dans la Sarthe, à Saint-Calais, dans une famille de la France profonde. La guerre était finie depuis quatre

J’ai quitté ma famille, mon monde noir, pour arriver dans un monde de Blancs, qui ne connaissaient les Noirs qu’à travers les tirailleurs sénégalais ou les militaires américains. On ne se connaissait donc pas. Dans cet environnement, on est naturellement en manque de quelque chose. On éprouve le blues de la solitude. Ça vous travaille une bonne partie de votre vie. On peut être entouré de tout ce que vous voulez, la solitude demeure. C’est lors de colonies de vacances que vous rencontrez d’autres Africains ?

Oui. Elles étaient organisées pour les jeunes Africains en France. À 15 ans, on connaît à peine sa ville d’origine, même le gars de Yaoundé, on ne le connaît pas. Alors, les Sénégalais, les Togolais… encore moins. La seule chose qui te reliait à l’Afrique, c’était le livre pédagogique Mamadou et Bineta, que tous les élèves francophones avaient pour apprendre le français. On suivait ces deux enfants, un garçon et une fille, à travers leur voyage au Dahomey [actuel Bénin, ndlr], au Togo, etc.. On apprenait à connaître l’Afrique par ce livre. Mais on ne s’était jamais vus ni rencontrés, et ces colonies le permettaient. On a alors construit un imaginaire, la notion de l’Afrique est née à ce moment. C’est en partie en Occident que le panafricanisme est apparu. Vous placiez l’Afrique au-dessus de vos pays ?

On est Africains, mais finalement, ça ne veut rien dire. Être Européen non plus ; vous n’avez rien à voir avec les Roumains, que je sache [rires] ! Et vous ne parlez pas européen, tout comme je ne parle pas africain. On a toujours l’impression que l’Afrique est un pays… Quand on est étudiant, on est ouvert, on se construit. On rencontrait beaucoup de gens, c’était une époque extraordinaire et créative, on rêvait très fort. On ne connaissait pas le mot « indépendance ». On a commencé à en parler au milieu des années 1950. Mais on était trop jeunes pour adhérer à ce concept un peu vague à l’époque. On était en train de se construire. Avec ma bande de copains, on s’éclatait à SaintGermain-des-Prés, on allait écouter Boris Vian, Serge Gainsbourg, les jazzmen américains, Miles Davis, Juliette Gréco, Jeanne Moreau… J’ai vécu cette belle époque.

Au domicile familial, à Douala, en 1973.

Oui, car il n’y avait pas encore de figures africaines. On s’identifiait aux musiciens noirs

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Vos références musicales étaient plutôt afro-américaines qu’africaines ?


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À Paris, en 1984, avec sa femme, Coco, décédée en 1995.

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INTERVIEW

« Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Ensuite, vous êtes parti en Belgique, à Bruxelles, où vous avez intégré l’orchestre de Grand Kallé, l’un des maîtres de la rumba congolaise…

C’est le facteur chance de ta vie qui se manifeste, là où ton destin se construit. Je jouais dans des cabarets, sans avoir de plan de carrière. Et sans le savoir, l’histoire croise mon chemin. En 1960 a lieu la table ronde sur l’indépendance du Congo belge. Les hommes politiques de l’époque, cités dans l’emblématique morceau « Indépendance Cha Cha », traitent avec le roi et le gouvernement belge sur les moyens d’obtenir l’indépendance. Et le soir, ils s’amusent dans les cabarets. Patrice Lumumba s’est déplacé avec l’un des plus grands orchestres du Congo, l’African Jazz de Joseph Kabasele. Voilà le destin qui me tombe dessus : son saxophoniste, malade, n’a pas pu venir. Kabasele apprécie mon jeu, il m’invite à faire des disques, qui rapportent un énorme succès. En 1961, je pars alors au Congo belge, à Léopoldville [actuelle Kinshasa, ndlr]. J’y reste deux ans, me produisant avec les meilleurs musiciens. Une décennie plus tard, « Soul Makossa » est un triomphe aux ÉtatsUnis, en 1973. La raison de ce succès ne peut être que mystique, dites-vous…

africaines. Grâce à ce morceau, j’y suis resté deux ans. Encore aujourd’hui, il est constamment repris – dernièrement par Beyoncé dans son spectacle. Il fait partie du Hall of Fame américain, c’est devenu un standard. C’était une revanche sur la France, qui n’était alors pas encore ouverte aux musiques d’Afrique ?

Oui, mais la France n’a pas la même histoire. Ce morceau a été enregistré ici, à Paris. Mais légalement, à l’époque, les disques africains n’avaient pas le droit d’être distribués en France. On les imprimait ici et on les renvoyait en Afrique. Il y avait deux ou trois magasins qui prenaient des disques en import. Le succès de « Soul Makossa » a ouvert la porte à ce marché. La plus célèbre reprise de ce morceau est celle de Michael Jackson, « Wanna Be Startin’ Somethin’ », sans votre autorisation…

Il lui a donné une autre vie. Il ne l’a pas aimé de façon légale, mais il l’a aimé ! Quincy Jones, l’arrangeur du morceau, un grand seigneur, que j’ai revu l’autre jour, m’a dit que c’est le titre le plus vendu de l’album Thriller. Ça prouve qu’il n’y a pas que nous qui écoutions leur musique, eux aussi écoutaient la nôtre. C’est le bon côté de l’histoire. L’autre versant, ce sont les procès, un problème d’avocats. Ça ne m’a pas empêché d’aimer sa musique. Il est l’un des plus grands artistes du siècle dernier.

C’est un conte de fées. J’avais composé l’hymne national du Cameroun pour la huitième Coupe d’Afrique des nations Vous évoquez souvent le destin. de football. Je suis venu l’enregistrer en Vous y croyez ? France. Cette chanson, « Soul Makossa », ne Forcément. C’est le destin qui vous pousse. me servait à rien : j’ai écrit l’arrangement Je n’ai jamais eu de plan de carrière, mais je dans l’avion et je l’ai mis sur la face B du me suis toujours adapté aux situations. Le 45 tours. Le Cameroun a perdu la coupe, destin n’est pas un concept rigide, il y a une donc personne ne voulait entendre parsouplesse, une interaction entre lui et vous. ler du disque. Mais le destin, encore une Aujourd’hui, êtes-vous heureux ? fois, a frappé à ma porte. Des producteurs Heureux, c’est un grand mot… Il y a des Safari Symphonique se jouera noirs américains, en quête de leurs racines bons et des mauvais jours, ça évolue. Et on au Grand Rex, à Paris, le 17 octobre. africaines, sont venus à Paris dénicher des peut être heureux dans un domaine de notre morceaux du continent. C’était le début de la blaxploitation au vie, et malheureux dans un autre… Ce que l’on appelle le boncinéma, l’époque de Shaft, James Brown chantait « I’m black and heur n’est pas à sens unique. Je suis plutôt partisan des petits bonI’m proud »… Ils sont repartis avec des disques sous le bras. And heurs. On peut vivre un bonheur de 10 secondes [rires] ! Comme the winner is… [Rires.] déguster un bon croissant le matin en tournée, dans un bel hôtel entouré de beaux paysages, avec des arbres, en bord de mer. Ou La promotion américaine vous présentait ainsi : alors une idée qui vous arrive… Quel est ce phénomène à l’ori« Le premier musicien africain arrive. » Vous êtes gine de l’inspiration musicale, qui me vient en ce moment même, en tout cas le premier Africain à se produire sur la scène et ne serait peut-être pas arrivé si je discutais avec quelqu’un mythique de l’Apollo Theater, à Harlem. Vous incarnez d’autre ? Est-on propriétaire de ça, ou est-on un capteur ? pour eux l’Afrique renaissante, conquérante… Oui. « Soul Makossa » a d’abord été un succès auprès des Donnez-vous un sens aux expériences Noirs. Mais j’ai su plus tard que les Blancs le jouaient aussi. C’est douloureuses, aux échecs ? un peu compliqué les États-Unis : Blancs, Noirs, métisses… C’est Cela se fait naturellement. L’idée est de toujours sortir sa tête cloisonné. Les Portoricains et les Cubains du Spanish Harlem de l’eau, quelles que soient les circonstances. Ou alors vous vous m’ont également adopté, car ma musique parlait à leurs racines noyez… Quels sont les mécanismes à l’œuvre ? On ne sait pas. 86

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américains qui passaient à la radio. Ou les basketteurs, comme les Globetrotters de Harlem, qui magnifiaient l’identité noire.


Je me suis toujours adapté aux situations. » Mais on constate que l’on s’en sort ou pas. Il faut essayer d’être lucide avec soi-même, de ne pas se mentir. Comprendre comment fonctionne le monde et essayer de tirer le meilleur des mauvaises cartes que vous avez. On n’a pas toujours le joker, on le cherche. Vous avez vécu pendant près de quarante ans avec votre épouse, Coco. Vos disputes constantes étaient la preuve de votre amour, dites-vous…

Absolument ! Quand un invité arrivait à la maison, il croyait que c’était la guerre ! On s’engueulait, et en même temps, elle me cuisinait des crêpes [rires] ! J’étais têtu, orgueilleux, pétri de certitudes. Avec le recul, je comprenais qu’elle avait raison. Elle posait un regard sur ma carrière que je n’avais pas. Elle était mon ange gardien, et elle l’est toujours. J’ai vécu le grand amour une fois, je n’ai pas eu la chance d’en vivre un autre. On a toujours des amours, mais un grand, c’est différent ! Même ma famille l’aimait beaucoup. Pourtant, à l’époque, être avec une Blanche en Afrique n’était pas chose facile. Coco veille sur moi, je vois sa

Vous affichez une belle santé et une énergie impressionnante. Quel est votre secret ?

Je ne peux pas te dire, c’est un ensemble de choses. J’ai la chance d’être là et de fonctionner encore, je cohabite avec mes 85 ans [rires] ! Être occupé est notre meilleure chance. Je fais des disques, des featurings avec de jeunes musiciens. Ils me sollicitent pour avoir un son ancien, mettre un peu de vie dans leur son propre, numérique et un peu chiant [rires] ! Ils découvrent les instruments à vent, c’est terrible ! Un lien intergénérationnel se crée. Dans la rue, des jeunes de l’âge de mes petits-enfants me reconnaissent. Vous transmettez la passion de la musique à vos petits-enfants ?

Nous avons des goûts très différents. En voiture, j’écoute toujours TSF Jazz, et ça les endort ! Et il suffit que je mette Skyrock [radio de rap et r’n’b, ndlr] pour qu’ils se réveillent, chantent, ils sont contents, ça m’éclate ! À travers eux, je vis la musique différemment, j’observe quels sons les émeuvent. Ils me donnent le relief de l’actualité. Ils n’ont pas de vedette établie, ça change toutes les semaines ! C’est très excitant en même temps, d’où le bonheur d’avoir des petits-enfants, c’est extraordinaire. Un jour, j’ai sorti un vinyle à la maison, mon petit-fils était fasciné ! C’est là que tu réalises à quel point le monde a changé. D’ailleurs, ils n’écoutent pas la musique, ils la consomment. Nous, on écoutait les graves, les aigus, les médiums. Aujourd’hui, les MP3 compressent tous les sons. C’est jetable, éphémère. Ils ont de la musique partout, ils sont même étonnés qu’on en achète [rires] !

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Vous comprenez cette époque ?

Je suis en admiration [rires] ! On a abordé la vie différemment. La leur est numérique, ils croient que l’on peut tout obtenir avec un smartSoixante ans de carrière de ce multi-instrumentiste de génie phone. Je les incite à lire des livres, plutôt que résumés en quelques pochettes d’albums. de le faire avec leur bazar, avec lequel il n’y a plus photo tous les jours. C’est difficile d’oublier. Voudrait-on même de sensations, de sensualité. Je n’aime pas cet appareil, j’ai seuoublier… Je ne crois pas. Comme dit le poète Birago Diop, les lement un téléphone fixe. Pourtant, j’en ai fait des pubs pour des morts ne sont pas morts. smartphones ! Mais j’ai envie de garder mon petit jardin secret. Là, tu vois que j’ai vraiment 85 ans [rires] ! Quel regard portez-vous sur le continent ? C’est une époque de gestation, donc très difficile, mais je Dans votre autobiographie, Balade en saxo : crois à l’Afrique. Il y a tout à faire. L’Occident est arrivé au bout Dans les coulisses de ma vie (paru en 2013, d’un cycle, il doit changer son logiciel car il ne tourne plus. aux éditions L’Archipel), vous confiez votre souhait Et le continent est en train de fabriquer le sien. Une jeunesse d’être le premier artisan de la gloire de votre père. africaine rêve désormais d’Afrique, et non plus d’Europe. Des Estimez-vous avoir réussi ? jeunes, ambitieux, montent des start-up, trouvent des moyens En tout cas, j’ai veillé à soigner son nom, à ne pas le salir. Mon de soulager la population, consomment africain. Au Rwanda, père était l’être le plus extraordinaire, je l’ai toujours admiré. Je des drones envoient des médicaments dans les villages… Il y dis souvent à mes enfants : « Faites-vous un prénom, mais laissez a beaucoup d’innovation aujourd’hui, ce n’est plus l’Afrique de le nom tranquille. » Je préfère que l’on m’appelle Manu. Dibango papa ou de grand-papa. est un patrimoine commun. Je n’aime pas que l’on y touche. ■

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Mounia Meddour « Nos parents évitaient de parler de la décennie noire » Avec Papicha, son premier long-métrage, la cinéaste retrace sans concession le combat des femmes dans l’Algérie des années 1990. Rencontre avec celle qui a été acclamée par la critique à Cannes. propos recueillis par Fouzia Marouf

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AM : Comment est née l’idée de Papicha ? Mounia Meddour : J’ai vécu en Algérie dans les années 1990,

j’avais alors 18 ans et j’étais étudiante en journalisme. À cette période, je partageais ma chambre avec cinq jeunes filles. Nous étions très assidues. Parmi nous, il y avait celles qui rêvaient de partir à l’étranger, celles qui voulaient se réaliser professionnellement, ou encore celles qui aspiraient à se marier. C’est pourquoi je tenais à insuffler cette complicité intense et cet incroyable amour de la vie, que j’avais partagés en les côtoyant durant plusieurs années, aux personnages féminins de mon film. Comme le climat de tension ressenti au quotidien à Alger par toutes les jeunes femmes qui ne portaient pas le voile, qui se faisaient harceler dans la rue. C’est ce sentiment d’oppression constant que j’ai voulu traduire par le biais de la campagne d’affichage des terroristes prônant le port du voile. Nedjma, l’héroïne principale du film, passionnée de mode et de couture, se bat pour lancer sa marque de vêtements dans un environnement violent et hostile à toute forme de féminité. Avez-vous connu ce genre de situation ? ? ? ssss

« Je tenais à insuffler cette complicité intense et cet incroyable amour de la vie que j’avais partagés. » de petits réchauds dans nos chambres – en raison du bromure mélangé aux repas servis à la cantine à cette époque. Vous brossez le portrait de femmes de différentes générations, notamment à travers le personnage joué par Nadia Kaci, garant d’un modèle institutionnel et éducatif voué à disparaître. Une métaphore entre l’ancienne et la nouvelle Algérie…

Cette directrice d’université est la gardienne des valeurs propres à l’Éducation nationale, mais c’est aussi une femme tiraillée entre l’envie de liberté de ses étudiantes et la rigidité qu’elle doit incarner et appliquer au sein de cette jeune communauté. Nadia Kaci est ici aux antipodes de ses précédents rôles dans le septième art algérien, où elle débordait de féminité et de sensualité. Dans Papicha, elle révèle une facette très masculine, voire ambivalente, comme lorsqu’elle ferme les yeux sur la circulation des paquets de cigarettes entre les filles. Car elle n’est pas dupe, elle a conscience du danger permanent, du fait que si elle leur accorde le moindre souffle de liberté, les terroristes ne leur feront aucun cadeau, ni à elle ni à ses étudiantes. Elle a conscience du glissement progressif de la violence au sein de la société et de son université, comme en milieu carcéral.

La drague insistante dans l’espace public faisait partie de mon quotidien, ce que je m’attache à dépeindre dans l’histoire de Nedjma. On faisait le mur et on dansait beaucoup durant Nedjma reste envers et contre Une œuvre récompensée au Festival la guerre, sur les tubes pop des années 1990. du film francophone d’Angoulême par tout un symbole de résistance le prix du scénario et celui du public. On écoutait les New Kids on the Block, on avait et de liberté pour les Algériennes une forte capacité à rire, en dépit de la dimension d’horreur et violées, torturées, assassinées durant la décennie de terreur permanente. On sortait toute la nuit afin d’éviter le noire, mais aussi pour les « moudjahidates », couvre-feu et on rentrait au petit matin. Dans mon film, j’ai qui ont combattu au plus fort de la révolution. voulu retranscrire la vie au sein de la cité universitaire, reflet Oui. J’ai choisi le prénom de Nedjma [le terme arabe pour du microcosme de la société algérienne, et ses aléas : l’entraide « étoile », ndlr] en hommage à l’héroïne du même nom de l’écriféminine, les avortements clandestins, la cuisine préparée avec vain Kateb Yacine, car mon personnage est l’étoile qui scintille 90

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la terrasse d’un café parisien, Mounia Meddour discute avec des étudiants algériens de la décennie noire qu’a connue leur pays. La fille d’Azzedine Meddour – fer de lance du septième art berbère –, née à Moscou en 1978, est une cinéaste engagée. Qui signe un opus politique ravivant le devoir de mémoire de ses concitoyens : présenté dans la section Un certain regard au 72e Festival de Cannes et sélectionné aux oscars sous les couleurs algériennes, Papicha lève le voile sur une société qui, durant treize ans, a été aux prises avec une guerre civile, laquelle a fait 200 000 morts. En retraçant le quotidien de Nedjma (Lyna Khoudri, révélée dans Les Bienheureux en 2017), qui refuse le terrorisme au nom de sa liberté, la cinéaste montre le visage jouissif et tragique de son pays, à l’image d’Alger, qui sert de décor au film*.


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De gauche à droite, les actrices Amira Hilda Douaouda et Lyna Khoudri, la cinéaste, et les comédiennes Zahra Doumandji et Shirine Boutella.

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CINÉMA

dans le ciel. Toutes les autres filles gravitent autour d’elle au fil du récit. Elle est également le symbole des femmes qui ont aidé activement les hommes, au prix de leur vie, pendant la guerre d’Algérie, et que l’on cite rarement dans l’histoire. On leur accorde encore peu de reconnaissance eu égard à leur évidente implication. Vous l’abordez de façon très subtile à travers la mère (Aïda Guechoud) de Nedjma, laquelle porte fièrement le haïk, véritable outil qui lui servait à transporter des armes à l’insu des soldats français…

Le haïk correspond à la libération des femmes algériennes. Il incarne la résistance, le courage jamais démenti qui lui a permis de combattre le colonialisme. Et même dans les années 1990, une jeune étudiante comme Nedjma en saisit l’héritage et la portée dans les confidences et les souvenirs que sa mère ravive. Lorsque Nedjma s’en empare pour créer des tenues, le haïk dépasse la notion de vêtement traditionnel qui embellit les femmes pour être un emblème d’espoir. Officiellement, la décennie noire a fait 200 000 morts, dont des journalistes, des écrivains, des artistes comme Tahar Djaout, Saïd Mekbel, Cheb Hasni. Vous êtes-vous interdit de montrer certains aspects trop violents de la réalité, notamment lors de la scène brutale qui montre l’assassinat de Linda, jeune journaliste et sœur aînée de Nedjma ?

Cette séquence rappelle la réalité. La disparition irréparable de journalistes et d’intellectuels atrocement assassinés pendant cette guerre et que l’on n’évoque jamais. Ils étaient souvent tués d’une balle dans la tête, mais, pour des raisons esthétiques, je souhaitais garder le visage de Linda dénué de sang et le filmer dans toute sa beauté et sa jeunesse. Comment les actrices ont-elles réagi à l’idée de la scène du lavage mortuaire de Linda selon la tradition de l’islam avant son enterrement ?

C’est une scène clé. Un moment de patriotisme, un hommage à tous les journalistes abattus au nom de l’obscurantisme pendant cette période dramatique. Les comédiennes ont d’emblée compris l’enjeu de ce moment tourné dans le confinement et le silence. D’autant qu’Aïda Guechoud avait réellement perdu un proche la veille. Elle a par conséquent insufflé une dimension très intense à la scène. Mon film est dédié à mon défunt père, Azzedine Meddour, qui m’a toujours poussée à travailler dur, à être endurante. Je me suis lancée dans la production de son dernier long-métrage, La Montagne de Baïa, à 19 ans, en 2000, en créant ma société Yasso Prod, afin d’assurer la vie de son ultime œuvre juste après sa disparition. Pourquoi Papicha a-t-il nécessité cinq années de travail avant sa réalisation ?

Il s’agit d’une histoire particulièrement personnelle, doublée d’un sujet sensible, historique pour lequel j’ai fait le choix d’une entière liberté artistique. Je souhaitais trouver les meilleurs partenaires et je suis parvenue à m’entourer de producteurs et coproducteurs qui m’ont laissé carte blanche pour mener l’intégralité de mon premier long-métrage. Je ne voulais pas que mon film soit celui de quelqu’un d’autre. J’ai suivi toutes les étapes du processus, de l’écriture de mon scénario au montage. Sa dimension violente résulte hélas d’un souci de véracité. Et le trait d’humour algérois qui ponctue la narration est intact. Pour ce qui est de la caractérisation des personnages, de l’élan fraternel qui lie ces jeunes femmes les unes aux autres face au pire, elle s’inscrit aussi dans une quête de réalisme. Papicha n’a pas bénéficié de l’avance sur recettes du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) français, mais d’un fonds de financement en provenance de Belgique. Que vous ont inspiré les prix du scénario et du public, qui ont récompensé Papicha lors du 12e Festival du film francophone d’Angoulême, et celui de la meilleure comédienne, pour Lyna Khoudri ?

FAYCAL BEZZAOUCHA

« Je me suis entourée de producteurs et coproducteurs qui m’ont laissé carte blanche. » Sur le tournage de Papicha.

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Nous en sommes encore très heureuses, d’autant que nous étions toutes présentes, les comédiennes (notamment Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda et Zahra Doumandji) et moi-même, pour la présentation du film. Nous avions été un peu déçues après notre passage au 72e Festival de Cannes, puisque Papicha avait eu un excellent accueil mais aucune récompense. J’ai été très touchée par ce prix du scénario à Angoulême, car l’écriture de ce film est le fruit de quinze années de travail et de maturation. J’ai 40 ans et je n’ai fait aucun compromis. C’est également le prix de la liberté. En ce qui concerne le prix du public, il est intéressant de constater qu’une thématique féminine et algérienne parle à tout le monde. Cela démontre la teneur universelle du propos. Nous étions présentes lors des cinq projections, et de nombreuses femmes ont tenu à échanger leurs sentiments avec nous après les séances. Enfin, le prix qui a récompensé Lyna Khoudri a salué son travail acharné. Elle a appris la couture, le dialecte algérien durant quatre ans et a porté avec force le rôle de Nedjma. J’ai aussi été ravie que Les Hirondelles de Kaboul, film d’animation adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra, soit couronné du Valois de diamant. C’est une belle reconnaissance pour la création algérienne.

inStargram Son compte Instagram, @mounia.meddour, affiche plus de 6 000 followers.

CAPTURES D’ÉCRAN INSTAGRAM MOUNIA MEDDOUR

Votre film fait écho à la révolution citoyenne en Algérie, emmenée chaque vendredi depuis février dernier en grande partie par des femmes de tous âges, voilées ou non, francophones ou arabophones, et issues de diverses catégories socioprofessionnelles…

C’est un pur hasard ! J’étais loin de me douter qu’éclaterait la révolution du sourire. J’ai commencé à travailler à l’écriture du scénario il y a plus de six ans, et j’avoue qu’il m’a fallu une période de réflexion afin de penser ce noyau constitué de femmes à la reconquête de leurs droits dans l’espace public, de surcroît porteuses d’un esprit contestataire. Nos parents évitaient de parler de la décennie noire, mais il est important pour la jeunesse de savoir ce qui s’est réellement passé. Actuellement, il n’y a aucun leader politique pour représenter dignement l’Algérie et nos jeunes. Nous avons tous conscience d’un essoufflement. J’ai trouvé méprisant pour le peuple qu’Abdelaziz Bouteflika se soit représenté, et j’ai évidemment été de ceux qui ont grossi les rangs des manifestants dans la capitale française.

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Passionnée de photographie, elle poste ses coups de cœur (le dernier cliché, ci-dessus, est de Lee McQueen), mais aussi ses propres travaux.

Que faites-vous quand vous n’êtes pas au milieu d’une manifestation ou en train de travailler sur un projet ?

[Sourire.] J’adore la street photography et le photojournalisme. J’ai été amenée à présenter mes séries dans différentes expositions, notamment aux Rencontres de la photographie d’Arles. J’aime aller au cinéma, je suis une fervente admiratrice de Ken Loach et des frères Dardenne. Et je voyage, surtout à Cuba. Sa lumière, ses ruelles me rappellent beaucoup Alger, une ville au charme décati qui dégage la même énergie. ■ * Une mauvaise nouvelle est tombée durant le bouclage de ce numéro : l’avant-première à Alger, le 21 septembre dernier, a été annulée. Nous ne savons pas ce qu’il en sera de la sortie nationale. Le film est néanmoins projeté dans les salles françaises depuis le 9 octobre.

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BUSINESS Aérien

À qui profite le ciel africain ?

La Côte d’Ivoire

se rêve en industriel du cacao

Standard Bank

en route vers l’Afrique de l’Ouest

Le cannabis médical en discussion au Maroc

Les patrons en proie au doute

À qui profite le ciel africain ? Une étude britannique révèle que huit des dix liaisons aériennes africaines les plus rentables sont assurées par des transporteurs internationaux. Pour inverser la tendance, une stratégie d’alliance des compagnies locales s’impose. par Jean-Michel Meyer

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ne mauvaise nouvelle tombée du ciel. Les compagnies aériennes africaines sont largement devancées par les transporteurs venus d’autres continents dans l’exploitation des plus rentables destinations assurées avec l’Afrique (les vols long-courriers). Un constat révélé par le cabinet britannique OAG. Ce spécialiste de l’aérien démontre, dans son top 10 des liaisons du continent les plus profitables, que les figures de proue nationales (Ethiopian Airlines, Kenya Airways ou South African Airways) font, au mieux, de la figuration. Sur ces dix destinations [voir tableau] – dont la moitié relie l’Afrique du Sud à l’Europe ou à l’Asie –, OAG n’a recensé que deux compagnies locales : South African Airways, grâce à sa liaison nationale Le CapJohannesbourg, et le transporteur 94

angolais TAAG, pour Luanda-Lisbonne. Le reste du classement étant phagocyté par des compagnies internationales. Pour établir son top 10, OAG a analysé le trafic opéré sur le continent d’avril 2018 à mars 2019. Le grand gagnant, Emirates, exploite quatre de ces destinations, dont la plus rentable, Johannesbourg-Dubaï, qui a généré un chiffre d’affaires de 315,6 millions de dollars sur cette période. En ajoutant ses trois autres dessertes depuis Dubaï (Le Caire, Le Cap et Maurice), le transporteur a engrangé 837,6 millions dollars de revenus sur le continent en une année. « Cette compagnie dispose d’un réseau très dense en Afrique et propose des connexions vers d’autres ensembles régionaux », justifie John Grant, auteur de l’étude. De son côté, British Airways arrive deuxième avec la ligne JohannesbourgLondres, engrangeant 295 millions

de dollars sur un an. Saudi Arabian Airlines décroche la troisième marche du podium grâce à la desserte Le Caire-Djeddah, qui lui a rapporté 242 millions de dollars. De manière surprenante, aucun vol depuis le Nigeria ne figure dans le top 10. Et pour l’Afrique de l’Ouest, seule Air France s’y invite avec sa liaison Abidjan-Paris, qui a dégagé 175 millions de dollars de revenus sur une année. Des performances très éloignées des résultats sur les autres continents. Selon OAG, la liaison transatlantique entre Londres-Heathrow et New YorkJFK est la plus rentable au monde. British Airways, qui exploite plus de 600 vols par mois sur cette route, fréquentée par de nombreux businessmen et businesswomen, a réalisé un chiffre d’affaires record de 1,15 milliard de dollars sur une année. Des écarts qui rappellent qu’en 2018,

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SIPHIWE SIBEKO/REUTERS

Grâce à sa connexion Le Cap-Johannesbourg, South African Airways est dans le top 10.

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BUSINESS LES 10 ROUTES AÉRIENNES D’AFRIQUE LES PLUS RENTABLES

En millions de dollars (avril 2018-mars 2019) Emirates (Johannesbourg-Dubaï)

315,6

British Airways (Johannesbourg-Londres)

295

Saudi Arabian Airlines (Le Caire-Djeddah)

242

TAAG Angola Airlines (Luanda-Lisbonne)

231,6

South African Airways (Le Cap-Johannesbourg)

185

Emirates (Le Caire-Dubaï)

181,3

Emirates (Le Cap-Dubaï)

176,7

Air France (Abidjan-Paris)

175

British Airways (Le Cap-Londres)

174,6

Emirates (Maurice-Dubaï)

164

l’Afrique n’a représenté que 2,2 % d’un marché mondial qui a transporté par les airs 4,3 milliards de voyageurs. Mais qu’est-ce qui caractérise une ligne rentable ? « Difficile de répondre, reconnaît John Grant. Chaque compagnie, chaque ligne a ses coûts propres et ses fournisseurs, qui ont des prix différents. Généralement, les routes les plus rentables comptent une large proportion de voyageurs en classe business, qui paient un prix élevé, ou bien un large marché de passagers en classe tourisme tout au long de l’année. » « Les lignes les plus rentables sont celles où le mix tarifaire est le plus élevé, avec un nombre important de places à haute contribution, comme les classes affaires et premières », complète Cheick Tidiane Camara, président du conseil d’administration d’Ectar, un cabinet d’experts indépendant dans le secteur. « De fait, grâce à leur réseau international et à leurs

(Source : OAG Aviation)

RÉPARTITION DES PASSAGERS SELON LES DESTINATIONS (2017)

27,16 %

49,48 %

23,36 % Intercontinental Intra-Afrique National (Source : AFRAA)

plates-formes de correspondances, les compagnies étrangères attirent davantage de passagers à haute contribution », ajoute-t-il. Ainsi, la ligne Abidjan-Paris Charles de Gaulle transporte des Ivoiriens et des Français, principalement dans les classes économiques ou à des tarifs touristiques. Mais la rentabilité de la desserte est garantie par des hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires.

Généralement en provenance de Londres, de New York ou de Bruxelles, ces derniers sont « aspirés » vers le hub de Roissy, d’Air France, pour rejoindre le continent. « Ce ne sont pas forcément les passagers les plus nombreux, mais ce sont ceux qui paient leur billet le plus cher, avec en général un tarif supérieur de 50 % pour les hommes d’affaires », note Cheick Tidiane Camara. Autre source d’étonnement : le manque de compagnies africaines phares dans le top 10. En fait, si les long-courriers, qui génèrent le plus de recettes, sont aux mains des transporteurs internationaux, « les court et moyen-courriers sont majoritaires sur le continent », relève John Grant. Et ces derniers sont dominés par les compagnies locales, qui transportent moins de passagers avec moins de fréquences de vols. Leur rentabilité est donc moindre. Même le leader africain Ethiopian Airlines est confronté à cette tendance. Il dessert un total de 123 destinations, dont 63 liaisons intra-africaines et 22 domestiques, combinant « des fréquences moins élevées, des trajets plus courts et une capacité moindre en passagers en classe affaires », détaille John Grant. De plus, les compagnies africaines subissent d’importantes taxes, barrières réglementaires (douanières, sanitaires, etc.), sans oublier les coûts plus élevés des assurances et du carburant. Selon l’Association des compagnies

DENNIS

Un Boeing 777-300ER de TAAG Angola Airlines.

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SHUTTERSTOCK (2)

aériennes africaines (AFRAA), « les billets d’avion coûtent deux fois plus cher en Afrique qu’en Europe ou qu’aux États-Unis pour les mêmes distances, et trois fois plus cher qu’en Inde ». Conséquence ? Comme en 2018, les compagnies africaines cumuleront une perte de 100 millions de dollars en 2019, selon l’Association du transport aérien international (IATA) : « Chaque passager transporté devrait coûter 1,54 dollar aux transporteurs en 2019, ce qui devrait donner une marge nette de -1 %. » Comment changer de cap ? Dans une lettre ouverte publiée en août, l’AFRAA milite pour un « projet d’alliance des compagnies aériennes africaines, qui aura des effets positifs sur la connectivité, le commerce et le tourisme intra-africain ». L’association est convaincue que « le renforcement de la coopération commerciale constitue un moyen sûr pour résoudre la non-rentabilité du secteur ». Car elle « entraînera des rendements et des taux d’occupation de sièges plus élevés, ce qui permettra aux transporteurs africains de réduire les tarifs, d’attirer davantage de passagers, d’accroître les revenus et de regagner des parts de marché sur les transporteurs internationaux ». CQFD. Mais l’Afrique peine à coopérer. En 2018, un accord de Marché unique du transport aérien africain (MUTAA) a été adopté. Le processus piétine. Seuls dix pays (Éthiopie, Ghana, Nigeria, Togo, etc.), sur les 28 qui y ont adhéré – représentant près de 80 % du trafic aérien du continent –, adaptent actuellement leur réglementation à ce nouveau marché. Faute d’entente et à ce rythme, les compagnies locales ne récolteront encore que les miettes d’un marché, qui devrait croître de 5 % par an dans les années à venir. ■

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LES CHIFFRES 100 millions

C’est le nombre de litres de bière que les Marocains consomment chaque année.

300 millions de dollars

60 % C’est le taux de jeunes sans emploi sur le continent d’après la Banque africaine de développement.

C’est le montant mobilisé par la Banque mondiale pour financer la lutte contre l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo. SUR SES 2,2 MILLIARDS DE FRANCS CFA DE RECETTES EN 2018,

Les investissements dans des infrastructures plus résilientes dans les pays à revenu faible offrent un rendement QUATRE FOIS supérieur à la mise de départ.

LA VILLE DE BANGUI N’A INVESTI QUE 13 MILLIONS

DE FRANCS CFA.

En 2018, plus de 700 projets d’investissements directs étrangers étaient actifs en Afrique, ce qui représente 120 000 emplois et plus de 75 milliards de dollars de capital, selon le cabinet britannique EY.

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BUSINESS Grandes manœuvres dans le secteur des logiciels intégrés Les rapprochements se multiplient sur ce marché en plein essor.

L’Indonésie choisie pour construire l’immeuble.

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Le fournisseur sud-africain IsoMetrix accueille à son capital le fonds Carlyle.

sud-africain de solutions de gestion des risques pour la santé et la sécurité au travail, racheté en 2018 par Carlyle. « Le marché des logiciels EHS entre dans une nouvelle phase de croissance. Les fournisseurs subiront une pression croissante pour accroître rapidement leurs parts de marché. En conséquence, nous assistons à une augmentation des fusions, acquisitions et investissements sur un marché qui devrait atteindre 1,9 milliard de dollars en 2024 », explique Yaowen Jean Ma, analyste principal chez Verdantix. ■ J.-M.M.

C’est parti pour la 5G au Nigeria Mais elle reste peu accessible pour l’instant.

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a Commission des Communications du Nigeria (NCC) a accordé des fréquences aux opérateurs télécoms pour tester les services 5G. « Le Nigeria rejoint le très petit nombre de pays africains qui se préparent à la prochaine révolution technologique mondiale, attendue d’ici 2020 », s’est félicité Umar Garba Danbatta, le vice-président exécutif de la NCC. Il rejoint ainsi le Maroc, l’Afrique du Sud, le Lesotho et l’Algérie dans cette démarche. Toutefois, le haut débit ne concerne que 30 % du pays, et la 5G n’est, pour l’instant, accessible qu’à des abonnés qui peuvent s’acheter des téléphones à 700 dollars en moyenne. Pour les experts, l’initiative nigériane stimulera l’intérêt pour la 5G en Afrique de l’Ouest. ■ J.-M.M. 98

a société publique indonésienne Pt Wijaya Karya (détenue à 65 % par l’État) a conclu un accord-cadre avec le gouvernement sénégalais pour l’édification de la tour de Gorée. Le groupe est déjà présent en Afrique du Nord et construit des logements en Algérie et en Libye. Ce projet d’envergure, qui sera lancé en décembre prochain en présence du président indonésien Joko Widodo, doit mobiliser un investissement de 250 millions de dollars, supporté par l’Indian Eximbank. Cet accord a été signé en marge du dialogue sur les infrastructures en Afrique, qui s’est tenu à Bali. Investissement majeur ces dernières années, la tour de Gorée a vocation à soutenir le secteur du tourisme, notamment dans la perspective des Jeux olympiques de la jeunesse d’été qui se tiendront en 2022. Ce bâtiment multifonctionnel comprendra plusieurs résidences et un hôtel, ce qui permettra de doubler les arrivées sur l’île. ■ J.-M.M.

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DR

e fonds d’investissement américain Carlyle, qui gère 223 milliards de dollars d’actifs dans le monde, a pris une participation majoritaire dans IsoMetrix, l’un des plus importants fournisseurs de logiciels intégrés EHS (environnement, hygiène et sécurité), dont le siège social est à Johannesbourg. L’opération s’est conclue via Carlyle Africa Buyout, doté de 698 millions de dollars, et qui investit depuis 2011 à travers le fonds Carlyle Sub-Saharan Africa. Le montant de la transaction n’a pas été divulgué. Toutefois, le cabinet d’analyses indépendant Verdantix estime que Carlyle a déboursé entre 30 et 45 millions de dollars pour cette prise de participation. Avec cette opération, IsoMetrix, qui emploie 185 salariés et s’est installé aux États-Unis, au Canada et en Australie, compte sur le fonds pour financer son développement. Il pourra compléter son offre avec celle de NOSA, un fournisseur

Sénégal : une tour à 250 millions de dollars


Le premier producteur mondial de fèves vise une capacité de broyage de 942 246 tonnes en 2022, contre 746 000 tonnes aujourd’hui.

La Côte d’Ivoire se rêve en industriel du cacao Le pays pousse à l’industrialisation de la filière pour rééquilibrer le rapport de force.

NABIL ZORKOT (2)

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remier producteur mondial, avec une récolte record de 2 millions de tonnes de fèves la saison passée, la Côte d’Ivoire voit plus grand. Si les graines du cacaoyer représentent près de 50 % de ses recettes d’exportation, le pays pousse à l’industrialisation de la filière pour remonter dans la chaîne de la valeur ajoutée mondiale. C’est dans ce but que se déroule actuellement l’extension de l’usine de broyage de fèves de cacao de Micao, appartenant au groupe américain Cargill et installée dans la zone industrielle de Yopougon. Spécialisé dans la fabrication de poudre et de beurre de cacao, le site

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passera d’une capacité pacité annuelle de broyage age de 110 000 tonness à 170 000 tonnes en n 2021. Le chantierr représente un investissement de 110 millions d’euros pour Cargill. « Au-delà d’être le premier producteur de fèves de cacao, la Côte d’Ivoire sera aussi le premier pays broyeur au monde », a assuré le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, au cours d’une visite du chantier. L’extension de l’usine doit favoriser la création d’une centaine d’emplois directs, et autant

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d’emplois indirects. Pour Cargill, elle générera 198 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire. Le groupe agroalimentaire a annoncé son projet d’agrandissement en avril 2018. Cette décision s’insère dans la stratégie du géant américain du négoce de cacao d’accroître son activité de transformation de fèves de 2 à 3 % par an. Cette volonté coïncide avec les ambitions de la Côte d’Ivoire « de porter le taux actuel de première transformation du cacao de 33 % à 50 % à l’horizon 2020 », afin « de capter toutes les ressources financières issues de la chaîne de production », précisait l’ex-ministre ivoirien de l’Agriculture Mamadou Sangafowa Coulibaly, en septembre 2018. Pour cela, le gouvernement a conclu depuis 2017 des accords avec les opérateurs présents dans le pays. De son côté, le fabricant suisse Barry Callebaut affiche une capacité de broyage a de d plus de 200 000 tonnes à Abidjan et à San-Pédro. Le défi d’une répartition équitable de la valeur ajoutée au sein de la filière est une tendance de fond, a rappelé le vvice-président ivoirien Daniel Kablan Duncan, le 10 septembre 2019, Kab lors de la 100e session du conseil de l’Organisation internationale l du ccacao, qui s’est tenue à Abidjan. « Sur S les 100 milliards de dollars que représente l’industrie du cacao, seulement 6 milliards reviennent aux pays producteurs », a-t-il insisté. Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, six multinationales (dont Cargill et Barry Callebaut) ont la main sur 90 % de la transformation mondiale du cacao. La Côte d’Ivoire veut rééquilibrer le rapport de force. Et vise une capacité de broyage de 942 246 tonnes à l’horizon 2022. Contre 746 000 tonnes aujourd’hui. ■ J.-M.M.

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BUSINESS

Standard Bank en route vers l’Afrique de l’Ouest

Déjà installé dans une vingtaine de pays, le géant sud-africain, premier groupe bancaire du continent, passe à l’offensive.

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Les revenus de l’établissement sont largement tributaires des implantations extérieures.

« L’objectif recherché par cet accord est de l’année, passant à 531 succursales). extrêmement important. De nombreux La contribution des autres régions échanges commerciaux en Afrique d’Afrique au revenu global du se déroulent de manière informelle, groupe a triplé depuis 2010, pour et ce que nous croyons pouvoir faire atteindre 1,6 milliard d’euros en 2017, en partie, c’est faire migrer ce pan avec 5,2 millions de clients actifs, informel vers le secteur formel », notamment grâce aux implantations indiquait, début septembre, Sola en Angola, au Ghana, au Kenya, au David-Borha, la directrice générale Mozambique, au Nigeria, au Malawi, des régions africaines du groupe. au Zimbabwe et en Ouganda. Déjà bien implanté D’une manière Pour se développer en Afrique australe et de générale, le groupe l’Est, le premier groupe bancaire attend avec dans la région, bancaire du continent impatience l’essor la société compte cherche naturellement de la Zone de libresur le dynamisme à partir à la conquête échange continentale ivoirien. de l’ouest francophone. africaine (Zlecaf). AFRIQUE MAGAZINE

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STOCKFOLIO/ALAMY STOCK PHOTO

énalisé par l’atonie d’une économie sud-africaine en crise, Standard Bank, basé à Johannesbourg, cherche de l’oxygène dans le reste du continent pour stimuler son activité. Le premier groupe bancaire du continent, avec un total d’actifs de 142 milliards d’euros au 30 juin 2019 et un résultat net de 913 millions d’euros (+6 %), met le cap sur l’Afrique de l’Ouest. Standard Bank vient de créer une filiale au Sénégal. Il s’agit de la vingtième implantation du groupe hors de la nation arc-en-ciel. « La stratégie centrée sur l’Afrique a permis une croissance continue du résultat net du groupe », a expliqué son patron, Sim Tshabalala, lors de la présentation des résultats semestriels, en juin dernier. « Bien que certains marchés soient défavorables, la diversité de nos activités et l’étendue de notre assise nous mettent à l’abri. Nous prévoyons que la croissance du bilan dans les régions africaines continuera de dépasser celle de l’Afrique du Sud », précisait le directeur général de la banque, qui emploie 54 000 personnes sur le continent. Le contraste est saisissant avec la situation sud-africaine, où le leader africain rationalise ses activités. Et accélère la numérisation des opérations bancaires tout en fermant ses agences (98 au cours des six premiers mois


GLEZ

« Cette zone était l’un des chaînons manquants du groupe », précisait, fin août, à l’agence Bloomberg, Joël Touré, nommé le 15 juillet dernier directeur général de la filiale ivoirienne de Standard Bank. Présente en Côte d’Ivoire depuis 2013, la banque sud-africaine y a obtenu une licence d’établissement bancaire en 2016. Quant à la nouvelle filiale sénégalaise, elle ne devrait obtenir son autorisation d’exercer que vers la fin de l’année prochaine. « La véritable accélération de la croissance du groupe en Afrique de l’Ouest francophone interviendra après 2020 », annonce Joël Touré. Pour se développer dans la région, le groupe compte sur le dynamisme de l’économie ivoirienne, avec une croissance attendue à 7,5 % en 2019, selon le FMI. Elle serait de 6,8 % au Sénégal en 2018, avec un rythme identique en 2019 et 2020, d’après la Banque mondiale. À partir de ces deux têtes de pont, c’est l’ensemble des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), l’une des zones les plus dynamiques du continent, avec une croissance prévue à 6,8 % en 2019, que cherche à conquérir le leader africain du secteur bancaire. Dans ce but, Hervé Boyer, qui a cédé son fauteuil en Côte d’Ivoire à Joël Touré, a été nommé directeur du développement régional de la banque pour l’UEMOA. Pour se développer, Standard Bank mise sur les multinationales présentes dans la région, en particulier les groupes chinois et les entreprises d’État. Le sud-africain a des atouts dans ce domaine puisque son actionnaire majoritaire, avec 20,1 % du capital, est la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC), la plus grande banque du monde. ■ J.-M.M.

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LES MOTS « En Afrique, Internet peut faire plus que bien des programmes d’aide au développement imaginés dans le passé. » JACK MA, FONDATEUR DU SITE INTERNET DE COMMERCE ÉLECTRONIQUE CH CHINOIS ALIBABA.COM BABA.COM

« J’ai commencé à prendre d des mesures pour éviter le les tracasseries de tous oordres dont les entreprises ssont l’objet de la part de ccertains services de l’État. » F FÉLIX TSHISEKEDI, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE D DU CONGO D GO

« Le royaume du Maroc appelle app à un choc de financement pour le développement de l’Afrique. » MOHCINE JAZOULI, MINISTRE MAROCAIN DÉLÉGUÉ CHARGÉ DE LA COOPÉRATION AFRICAINE

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«L Le charbon n’a plus sa place en n Afrique, l’avenir est aux én énergies renouvelables. » AK AKINWUMI ADESINA, PRÉSIDENT DE LA BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT

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BUSINESS Le cannabis médical en discussion au Maroc L’exploitation thérapeutique de la plante à la réputation sulfureuse est à l’étude dans le royaume. Une légalisation qui rapporterait plus de 6 milliards d’euros au continent. dans le cannabis médical. Certes, deux propositions de loi destinées à légaliser une production à but thérapeutique avaient déjà été enterrées, en 2012 et 2018. Mais aujourd’hui, le contexte mondial est plus favorable. Une trentaine de pays (Canada, Israël, Allemagne, Pays-Bas, 33 États des USA, Uruguay, etc.) l’autorisent. Ce qui devrait représenter un marché mondial de 49 milliards d’euros en 2025 – cinq fois plus qu’en 2015 –, selon les chiffres 2017 du cabinet Grand View Research. L’enjeu est de taille pour le royaume, qui est selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) le premier producteur et exportateur

TOP 10 DES PAYS AFRICAINS DONT LE SCORE DE L’INDICE DE CONFLIT EST LE PLUS ÉLEVÉ INDICE DE CONFLIT

INDICE DE TERRORISME

Pays

Score

Rang

Score

Rang

Libye République centrafricaine (RCA) République démocratique du Congo (RDC)

100 %

1

74 %

2

91 %

2

57 %

9

87 %

3

65 %

6

Nigeria

86 %

4

84 %

1

Mali

74 %

5

66 %

4

Cameroun

51 %

6

58 %

8

Soudan

45 %

7

65 %

5

Égypte

45 %

8

73 %

3

Éthiopie

45 %

9

43 %

14

Niger

43 %

10

42 %

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mondial de cannabis. En 2017, assure l’office onusien, 80 % de la production était exportée. Et malgré l’interdiction qui frappe la plante dans le pays, « la tolérance de cette activité illégale » en fait la principale source de revenu de 90 000 à 140 000 familles. La filière emploierait 800 000 personnes et générerait 10 milliards de dollars Il reste illégal dans la plupart des pays.

Risques terroristes en hausse La Coface a publié une nouvelle évaluation.

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a Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) a titré son dernier panorama des risques politiques « La température monte sur le continent africain ». L’assureur-crédit signale aux entreprises les dix pays (Libye, République centrafricaine, RDC, Nigeria, Mali, Cameroun, Soudan, Égypte, Éthiopie et Niger) les plus fragilisés par des conflits ainsi que le risque terroriste lié à ces derniers. Ils sont le fait de groupes islamistes ou d’origine politique, auxquels se mêlent parfois des enjeux ethniques, religieux ou linguistiques. La Coface en a recensé, en 2018, près de deux fois plus qu’en 2008. Le nombre de victimes a été multiplié par deux, dépassant le seuil des 70 000 décès par an pour la troisième fois depuis trente ans. ■ J.-M.M. AFRIQUE MAGAZINE

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e débat sur la légalisation de la production de cannabis s’invite à nouveau au Maroc. Le Conseil de la région de TangerTétouan-Al Hoceïma, dans le nord du pays, qui couvre en partie le Rif, où se produit l’essentiel du cannabis marocain, a décidé de financer pour 90 000 euros une étude de faisabilité sur l’exploitation des propriétés thérapeutiques et pharmacologiques de la plante. Le volet scientifique de l’étude sera réalisé en coopération avec l’Institut scientifique de Rabat, rattaché à l’université Mohammed-V. Il reviendra ensuite au ministère de l’Intérieur de décider si oui ou non le Maroc se lance


MICHELUCCI

de revenus illégaux, selon le réseau marocain pour l’utilisation industrielle et médicinale de cannabis. En cherchant à légaliser la production à destination thérapeutique et pharmacologique, le Maroc, tout en modifiant son image, s’inscrit dans une tendance inédite sur le continent. « Le cannabis n’est pas un nouveau venu dans les fermes africaines, même s’il reste illégal dans la plupart des pays », souligne le réseau médical européen du cannabis. Selon l’ONU, « plus de 38 000 tonnes sont produites chaque année en Afrique, rapportant des milliards de dollars ». Toutefois, comme ailleurs dans le monde, la légalisation de la production à visée thérapeutique progresse. Après le Lesotho, qui a légalisé la culture du cannabis à usage médical en juin 2017, puis le Zimbabwe, qui l’autorise depuis avril 2018 à des fins de recherche ou médicales, l’Afrique du Sud l’a légalisée pour un usage récréatif, et bientôt médical, en septembre 2018. De plus, des campagnes pour dépénaliser la plante ont lieu au Kenya, en Égypte, au Malawi, au Ghana, etc. « L’Afrique est en train de devenir un acteur dans le domaine du cannabis médical à un rythme spectaculaire. Ce secteur pourrait valoir 6,2 milliards d’euros d’ici à 2023 si la législation est mise en œuvre sur l’ensemble du continent », a estimé, en mars 2019, le cabinet américain Prohibition Partners dans son rapport sur l’industrie légale du cannabis en Afrique. « Avec des terres abordables et une main-d’œuvre agricole bon marché et expérimentée, l’Afrique offre d’énormes possibilités […]. La demande internationale est une excellente occasion de libérer la valeur potentielle du cannabis produit légalement en Afrique », assure Prohibition Partners. ■ J.-M.M.

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SAVOIR-FAIRE

Amina Bouzguenda-Zeghal Directrice générale de l’université Paris-Dauphine/Tunis

Êtes-vous e-mail, WhatsApp ou téléphone ?

À quelle heure êtes-vous au travail et que faites-vous en premier ?

Êtes-vous plutôt réunion ou one to one ?

MBA ou expérience ?

Quelle attitude pour mobiliser ses collaborateurs ?

WhatsApp sans hésiter ! De préférence en ajoutant la fonction vidéo pour plus d’interaction. Pas très tôt, car je suis plutôt quelqu’un qui veille. Par ailleurs, j’aime l’idée de préserver l’instant petit déjeuner en famille. Quand j’arrive sur le campus, mon premier réflexe est de faire un petit tour des bureaux ou des espaces de cours pour prendre la température de la journée en étant à l’écoute des équipes. Les deux sont nécessaires et ont chacun leur intérêt : le one to one est plus efficace ; les réunions me permettent d’intégrer la dynamique de groupe. Cela est complémentaire… Finalement, il s’agit d’un enrichissement par la théorie et la pratique.

Être toujours en soutien de leurs initiatives. Le leur dire et le leur démontrer.

Plutôt en voyage ou au bureau ?

La clé du succès pour une patronne ?

Plutôt au bureau, entre Tunis et Paris… J’aime beaucoup voyager, par ailleurs !

Une vision claire de sa stratégie avec beaucoup d’empathie pour ses collaborateurs, une connaissance acérée du marché, un positionnement différentié par rapport aux concurrents et une prise de risque calculée avec un certain goût pour l’aventure. ■

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Les patrons africains

doutent

L’optimisme des PDG recule, selon le rapport « Africa Business Agenda » du cabinet PwC.

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e moral en berne. « Les chefs d’entreprises africains sont moins optimistes qu’il y a un an, quand ils évoquent la vigueur de l’économie mondiale et la capacité de leurs entreprises à augmenter leurs revenus, tant sur le court que sur le moyen terme. Un quart des PDG africains est convaincu que l’économie mondiale connaîtra un déclin au cours des douze prochains 104

mois. » C’est le constat plutôt pessimiste qui ressort de la 7e édition du rapport « Africa Business Agenda » du cabinet d’audit et d’expertise comptable PwC, présenté à l’occasion du Forum économique mondial sur l’Afrique, qui s’est tenu en septembre au Cap (Afrique du Sud). Concernant leur propre activité à court terme, les PDG africains ne sont ainsi que 27 % à être « très confiants » dans l’évolution de la croissance des

revenus de leur entreprise au cours de l’année à venir. Et ils sont seulement 39 % à être « très confiants » sur les performances de leur entreprise dans les trois prochaines années. Dans le détail, le rapport explique que leurs principales sources d’inquiétude résident dans les menaces sociopolitiques et économiques. Ils sont « extrêmement préoccupés » par les incertitudes entourant la croissance (41 %), le chômage (33 %), le populisme (33 %), la volatilité des taux de change (42 %) et le manque d’infrastructures de base (35 %). Concernant les menaces dans leur environnement commercial, 43 % d’entre eux déclarent être « extrêmement préoccupés » par une réglementation excessive, 35 % par les cybermenaces et 45 % par la pénurie de compétences clés. « Globalement, les chefs d’entreprises africains font preuve de prudence. Et bien que l’on assiste à une baisse de leur optimisme, ils voient quelques opportunités sur le continent », a assuré, au Cap, Dion Shango, le PDG de PwC Africa. À plus long terme, en effet, les chefs d’entreprises africains sont 93 % à être « assez confiants » ou « très confiants » dans les perspectives de croissance des revenus de leur entreprise au cours des trois prochaines années, un chiffre supérieur à la moyenne mondiale des patrons sur cette question, qui s’établit à 85 %. Pour justifier cette croyance en l’avenir, les PDG africains invoquent la montée de leur efficacité opérationnelle (80 %), la croissance organique (76 %) et le lancement d’un nouveau produit ou service (58 %). Et alors que les pays du continent échangent peu entre eux, ils regardent de manière très positive la mise en place de la Zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf) pour doper leur activité dans les années à venir. ■ J.-M.M.

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6E CONFÉRENCE SUR LES BTP ET INFRASTRUCTURES FACE À LA NÉCESSITÉ de construire des infrastructures en Afrique, la 6e conférence sur les BTP et infrastructures, qui se tiendra les 10 et 11 octobre 2019, dans le Centre de conférences des Nations unies à Addis-Abeba (CCNU-AA), en Éthiopie, s’est fixé plusieurs priorités : développer les partenariats public-privé (PPP), élargir les actions en matière d’investissements, promouvoir le continent africain auprès des investisseurs et dynamiser le secteur des infrastructures et du BTP. Des pointures du financement des infrastructures sont annoncées, comme Oluwatoyin Sanni, la PDG d’Emerging Africa Capital, Mimi Alemayehou, la directrice générale de Black Rhino Group, et Moustapha Sow, le PDG de SF Capital. ■

4E ÉDITION D’AFRICA IT EXPO LA FÉDÉRATION MAROCAINE des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring du Maroc (Apebi) organise, les 24 et 25 octobre 2019, à l’hôtel Sofitel Jardin des Roses à Rabat, la 4e édition d’Africa IT Expo, vitrine du secteur des technologies de l’information pour le continent. Avec pour thème « Le numérique, moteur de croissance pour l’Afrique », différents sujets seront débattus : l’innovation inversée, le futur du travail, les technologies de rupture et leur impact (IA, 5G, IOT…), la cybersécurité, etc. La République du Congo et la Chine seront les invités d’honneurs de cette édition. L’année dernière, l’événement avait réuni plus de 1 200 participants. ■

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LES 3 0 ET 31 O C TO B R E

LA BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT (BAD), par l’intermédiaire de son Centre africain des ressources naturelles (CARN), participera à la 15e assemblée générale annuelle du forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable. La réunion aura lieu du 7 au 11 octobre 2019 au Palais des Nations à Genève, en Suisse. Le forum, intitulé « L’exploitation minière face aux changements climatiques », permettra de nouer le dialogue avec les gouvernements de plus de 70 pays membres du forum, avec des représentants du secteur privé, d’organisations multilatérales, de la société civile et du monde universitaire. ■

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15E FORUM SUR L’EXPLOITATION MINIÈRE, LES MINÉRAUX, LES MÉTAUX ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

par Jean-Michel Meyer

LES 24 ET 25 OCTOBRE

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L’AGENDA

2E ÉDITION D’AMBITION AFRICA APRÈS LE TRÈS GRAND SUCCÈS de sa première édition en 2018, les rencontres d’affaires AfriqueFrance d’Ambition Africa se dérouleront de nouveau cette année à Bercy (Paris), dans les salles de conférences du ministère de l’Économie et des Finances. Piloté comme en 2018 par les équipes de Business France et placé sous le haut patronage du président de la République française, Emmanuel Macron, l’événement se déroulera les 30 et 31 octobre prochains. Outre les rencontres BtoB, une très grande diversité de thèmes sera abordée : l’environnement des affaires, la mobilité urbaine, le mix énergétique, le capitalinvestissement, l’eau ou encore les déchets. Plus de 1 000 participants sont attendus, dont les représentants de 400 sociétés africaines venues de 38 pays du continent. ■

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PORTFOLIO

1-54 : RENDEZ-VOUS À LONDRES !

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ébut octobre, c’est l’heure de notre escapade londonienne traditionnelle. De notre voyage pour aller se perdre dans l’univers foisonnant de 1-54, la grande foire d’art contemporain africain. Pour sa 7e édition british, elle a encore pris de l’ampleur, avec la participation de 45 galeries venues de 19 pays d’Afrique et d’ailleurs, permettant de découvrir près de 140 artistes. Des « special projects », comme celui de Mary Sibande, exposée pour la première fois au Royaume-Uni, des conférences, des forums enrichissent le programme. Sans parler de la fameuse installation dans la cour de la vénérable Somerset House, réalisée par l’artiste angolais Kiluanji Kia Henda. Fondée par Touria El Glaoui en 2013, 1-54 s’est imposée comme le rendez-vous de cette scène contemporaine africaine, en pleine explosion créative. Prochaine étape, devenue non moins incontournable : Marrakech, en février 2020 ! par Zyad Limam

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Chourouk Hriech • Les Apparitions #1, 2019. L’Atelier 21 (Casablanca, Maroc) AFRIQUE MAGAZINE

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Godfried Donkor • Battle Royale: Last Man Standing, 2019. Gallery 1957 (Accra, Ghana)

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Jellel Gasteli • Barkhanes No.I, 2018. Courtesy Jellel Gasteli & Selma Feriani Gallery (Sidi Bou Saïd, Tunisie)

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Anton Kannemeyer • On the Nelson Mandela Bridge (Black Scream), 2015. Huberty & Breyne Gallery (Bruxelles, Belgique)

Alexandria Smith • Meeting of the Minds, 2018. Courtesy of the artist and Galleria Anna Marra (Rome, Italie)

Ouattara Watts • OTÊ-FÊ, 2018. Courtesy Galerie Cécile Fakhoury (Abidjan-Dakar, Côte d’Ivoire) 110

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Mary Sibande • They Don’t Make Them Like They Used To, 2008. Courtesy SMAC Gallery, (Stellenbosch, Afrique du Sud)

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Attachez vos ceintures, partez en voyage, prenez votre temps

Le Radisson Blu Hotel & Conference Center est le premier établissement 5 étoiles de marque internationale du pays.

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NIAMEY REVIVAL

D É PA R T

Propulsée sur le devant de la scène grâce au DERNIER SOMMET de l’Union africaine, la capitale du Niger se donne de nouvelles ambitions.

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ICI, NOUS SOMMES À L’EXTRÊME OUEST de cet immense pays saharien. Le lieu apparaît dans les premiers rapports coloniaux à la fin du XIXe siècle, au cours des missions hydrographiques le long du fleuve Niger. Selon la légende, la ville se serait construite autour d’un arbre (« Nia ») au bord d’un rivage où l’on puise de l’eau (« Me » en langue djerma). Aujourd’hui, la capitale compte près de 1 300 000 habitants. C’est le centre névralgique du pays, mais aussi une cité fragile aux portes du désert, soumise aux caprices des moussons, comme l’ont montré les récentes crues majeures du fleuve. Niamey doit aussi faire face aux défis sécuritaires, à la menace qui touche toute la région sahélienne. Cette dureté n’empêche pas l’ambition. Et la volonté de s’inscrire comme une ville majeure, portée par le programme économique du gouvernement. L’organisation du sommet extraordinaire de l’Union africaine en juillet dernier a entraîné une véritable renaissance de la capitale, avec l’inauguration d’un nouvel aéroport, de voies rapides et de structures hôtelières de niveau international. L’inauguration du Noom Hotel, en juin, a marqué la progression de l’enseigne haut de gamme du groupe africain Mangalis. L’établissement de luxe a été agencé par le cabinet d’architecture GCA, avec des tonalités chaudes et énergisantes. Autre happening majeur, le Radisson Blu Hotel & Conference Center s’affiche comme le premier hôtel 5 étoiles possédé par un groupe international dans le pays. Finalisé en moins d’un an pour un coût de 28 millions d’euros, le Radisson s’élève sur 17 niveaux et comprend 189 chambres, dont une suite présidentielle et une suite royale, un spa de 870 m2 et un centre de conférence de plus de 1 000 m2. À ne pas rater, la vue imprenable sur le fleuve Niger depuis le Zaxi Rooftop Lounge & Bar ainsi que la piscine sur la terrasse du restaurant international. Niamey, au cœur du Sahel, peut accueillir les entrepreneurs qui viennent y séjourner. Mais aussi les touristes, les curieux, les voyageurs attirés par ses contrées exigeantes et chaleureuses. ■ Luisa Nannipieri

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LES VRAIES ADRESSES

Le QG. Le QG. L’une des meilleures tables de la capitale, au cœur du quartier sécurisé des ministères. On y goûte une multitude de plats régionaux, déclinés selon les goûts de la maison et le marché du jour, comme les gambas de Cotonou cuites au lait de coco ou le poulet yassa revisité à la sauce sahélienne. La grande mosquée. Une bâtisse exceptionnelle et envoûtante, avec trois dômes qui surplombent une enceinte richement décorée et un minaret dont la hauteur dépasse les 20 mètres. Le musée national Boubou Hama. Avec ses sept pavillons en style hausa, ses merveilles historiques, comme le squelette de tyrannosaure découvert dans la région d’Agadez, ainsi que son parc zoologique qui frôle le fleuve, le musée Boubou-Hama conjugue relaxation et culture à deux pas du centre-ville. On y trouve également un grand centre d’artisanat couvert dédié aux traditions et aux techniques du Sahel .

museenationalduniger.ne

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NEWS

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Le Pride of Africa relie l’océan Indien à l’Atlantique en deux semaines,

VIP

D’UN OCÉAN À L’AUTRE

Traverser l’AFRIQUE AUSTRALE dans un train de luxe, une nouvelle expérience coast to coast. DEUX SEMAINES de voyage à travers quatre pays pour relier l’océan Indien à l’Atlantique, de Dar es Salaam, en Tanzanie, à Lobito, en Angola, ou vice-versa. C’est la proposition inédite de Rovos Rail, qui a organisé cet itinéraire idyllique à bord des luxueuses voitures du Pride of Africa. Après plus de deux ans de travail, l’été dernier, un train voyageurs a emprunté pour la première fois la route de la ceinture du cuivre sur ce tracé estouest. Un parcours qui comprend une excursion dans la réserve de Selous, l’une des plus vastes du continent, un safari aérien de deux nuits dans le parc de South Luangwa, en Zambie, et une visite

de Lubumbashi. Cette bouillonnante ville à taille humaine, dans le sud de la RDC, est un centre artistique et culturel cosmopolite, ainsi que le chef-lieu d’une région connue pour ses mines de cuivre et de cobalt. Des paysages aux nuances jaunes et ocre à admirer depuis le carrosse panoramique du Pride of Africa, confortablement assis dans un fauteuil ou un canapé. Les voyageurs peuvent séjourner dans des suites climatisées Pullman, Deluxe ou Royale, ces dernières étant dotées chacune d’une baignoire sur pattes de style victorien. Pour un voyage à vitesse réduite, mais tout en confort. À partir de 12 820 $ par personne l’expérience. rovos.com ■ L.N.

SPOTLIGHT

L’île Maurice.

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septembre son rapport sur les pays les plus compétitifs en matière de tourisme et de voyage. L’indice de compétitivité, publié tous les deux ans, mesure un ensemble de 90 facteurs qui concourent au développement durable du secteur. Dans le top 5 mondial: l’Espagne (1er), la France (2e), l’Allemagne (3e), le Japon (4e) et les États-Unis (5e). Dans le top 5 africain, on retrouve l’île Maurice (54e place), l’Afrique du Sud (61e), les Seychelles (62e), l’Égypte (65e) et le Maroc (66e). ■ Zyad Limam AFRIQUE MAGAZINE

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Le Forum économique mondial a publié début


ARCHI

LA MÉDINA DES ENFANTS Le projet d’URKO SANCHEZ est adapté à un climat extrême et offre un abri aux plus vulnérables.

JAVIER CALLEJAS

QUAND URKO SANCHEZ, basé à Mombasa, a été approché par une ONG qui voulait créer un accueil pour des orphelins, il a tout de suite été confronté aux problématiques environnementales. Le village, composé de 15 maisonnettes, devait surgir à Tadjourah, sur la côte de Djibouti, où l’on enregistre les plus hautes températures du monde. Comment créer un lieu de vie sûr, dans lequel les enfants pourraient s’épanouir ? L’architecte a choisi de reprendre la forme traditionnelle de la médina, favorisant la ventilation et la création naturelle d’espaces ombragés par un réseau de ruelles étroites, où les voitures ne peuvent pas circuler. Soit une immense aire de jeux. Destiné à une communauté à la culture nomade, le village se caractérise par l’abondance d’espaces ouverts et perméables et par une forte présence végétale. Au fil des ans, les arbres vont pousser et générer de l’ombre. Livré en 2014, le projet a reçu de nombreux prix et a été présélectionné pour le prix Aga Khan d’architecture 2019. ■ L.N.

Au fil du temps, les arbres vont pousser et générer de l’ombre.

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SPOTS

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Ikoyi

Le goût africain et étoilé d’une nouvelle narration culinaire. IL A SUFFI d’à peine un an pour que ce resto londonien obtienne sa première étoile Michelin. Projet de Jeremy Chan et Iré Hassan-Odukale, amis d’enfance, Ikoyi échappe à toute définition : ici, pas de fusion, pas de redécouverte d’une tradition familiale oubliée, le véritable maître est le goût. Celui des épices et des ingrédients, qui donnent vie à une cuisine profonde et originale, sans être prétentieuse. Son unicité vient de cette capacité à utiliser les éléments de la cuisine africaine, à partir de leur saveur mais en les sortant du contexte, réécrivant chaque plat selon l’inspiration du chef. Ou comment se laisser surprendre par des parfums connus. ■ L.N. 1 ST JAMES’S MARKET, LONDRES (ROYAUME-UNI). ikoyilondon.com

S.LIANOZOFF MAISON DE CAVIAR

Le tout premier centre culinaire panafricain du continent a ouvert ses portes à Abidjan.

AVEC SES 1 200 M2 dédiés à la promotion, l’innovation et la transmission des différentes cuisines d’Afrique et de la diaspora, le Panaf est un espace inédit au cœur de la capitale ivoirienne. Le restaurant Migrations, du chef Loïc Dablé, est un laboratoire culinaire, mais aussi un lieu de réinsertion sociale pensé en priorité pour les femmes et les jeunes de retour de migration. Une cantine panafricaine chic pendant la journée, qui devient un restaurant exclusif, seulement sur réservation, le soir. Mais le Panaf propose aussi un bar lounge, un musée et un concept store, un café, un espace de coworking et, bientôt, un bed & breakfast gastronomique. Du petit-déjeuner au dîner, en passant par le déjeuner et le goûter, les hôtes seront conviés à un juteux voyage dans la vie des Ivoiriens. ■ L.N. AVENUE JEAN MERMOZ, RUE C27, COCODY, ABIDJAN (CÔTE D’IVOIRE). panafabidjan.com 116

L’AMBIANCE RAFFINÉE du Casablanca Hôtel offre un décor parfait pour découvrir les meilleurs produits de la maison russe S.Lianozoff. Ouvert en janvier, le premier caviar club marocain est une boutique en journée et un club privatisable en soirée, où l’on peut savourer du Béluga d’Iran, de l’Ossetra Impérial de Russie et du Sibérien 1873, mais également des saumons fins et du crabe royal du Kamchatka. Les œufs d’esturgeons ont de plus en plus d’adeptes, et la maison Lianozoff compte bien en profiter : un deuxième caviar club verra bientôt le jour à Marrakech, et la possibilité de s’implanter à Dakar est déjà sur la table. ■ L.N. 19 BOULEVARD MOULAY RACHID, CASABLANCA (MAROC). lianozoff.ru AFRIQUE MAGAZINE

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Le Panaf

La maison Lianozoff invite à déguster ses délicatesses dans le premier « caviar club » du royaume.


CHEMIN DE TRAVERSE

LA TUNISIE EN MODE CAMPING La communauté Tunisian Campers permet de (re)découvrir le pays de manière discrète et en se reconnectant avec l’environnement naturel. IL N’EST PAS BOY-SCOUT, mais Mohamed Temimi défend des valeurs de solidarité et de respect de l’environnement. Après avoir sillonné le monde, ce spécialiste en logistique de transport de produits pétroliers et exportateur d’huile essentielle de figue de Barbarie comprend que son pays est un territoire surprenant, à redécouvrir hors des sentiers battus. En 2015, il lance la communauté Tunisian Campers. Le globe-trotter de 28 ans, qui écrit une « belle histoire authentique qui s’écrit au rythme de la nature », traduit son goût pour le sport en un concept où l’écoresponsabilité prime : des randonnées sportives en dehors des circuits connus. « La Tunisie regorge de lieux incroyables », s’enthousiasme-t-il. Très vite, le besoin de se ressourcer s’impose : aux loisirs sportifs se greffe alors une dimension de bien-être spirituel, avec des activités comme le yoga. Pour un jour ou une semaine, l’immersion est totale avec, en prime, une rencontre avec les locaux. « Nous ne faisons pas que passer ; nous consommons uniquement les produits de la région, n’apportons aucune matière nuisible et essaimons à travers nos actions de la solidarité et de l’inclusion, avec l’ambition d’en faire des embryons de développement », indique le rando-campeur. Cette nouvelle forme de tourisme vert et alternatif séduit, mais elle reste confidentielle. « Notre objectif est de faire découvrir une Tunisie autre, mais il faut aussi la préserver », précise Mohamed Temimi. facebook.com/Tunisiancampers.official ■ Frida Dahmani

LULU FAIT VIBRER DAKAR C’est certainement l’un des lieux les plus cosmopolites de la capitale sénégalaise. RENDEZ-VOUS chez Lulu, une oasis urbaine créée par deux cousins belges en hommage à leur grand-mère bien aimée enterrée à Cap Skirring. Un concept store de 850 m2 posé sur la corniche ouest, avec restaurant et terrasse cool. Et le portrait bien accroché de Lulu. Antoine et Mathieu, accompagné par deux amis de longue date, font vivre cet endroit étonnant où l’on peut déguster un bon petit plat, tout en découvrant le best de la création sénégalaise et africaine. ■ Z.L. CORNICHE OUEST, RUE 8, DAKAR (SÉNÉGAL). lulu.sn

EN FRANCE, C’EST L’AFRIQUE FUSION C’est rapide et c’est bon! Poulet braisé, bœuf, attiéké, agneau

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ou encore acras de morue et alokos… Dans les six restaurants de cette chaîne de fast-food africain, l’une des premières du genre dans le pays, on sert une cuisine variée, copieuse et de qualité. Créée en 2010 par trois amis d’origine sénégalaise, Afrik’N’Fusion a tout de suite trouvé son public et su garder le cap : sur place ou à emporter, on peut faire confiance au chef. ■ L.N.

PARIS ET PROCHE BANLIEUE (FRANCE). afriknfusion.fr AFRIQUE MAGAZINE

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VIVRE MIEUX Pages dirigées par Danielle Ben Yahmed, avec Annick Beaucousin et Julie Gilles

ECZÉMA, COMMENT AIDER LA PEAU À SE RÉPARER CETTE DERMATITE EST DIVERSE, « DE CONTACT », ELLE CONCERNE PLUTÔT LES ADULTES, « ATOPIQUE », ELLE TOUCHE LES ENFANTS. ELLE SE DÉVELOPPE SOUVENT AUX PLIS DES COUDES, AUX MAINS, DERRIÈRE LES GENOUX ET, CHEZ LES NOURRISSONS, AU SIÈGE. LA PEAU EST ROUGE, CHAUDE ET DOULOUREUSE.

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peau peut accroître les altérations de la barrière cutanée. C’est dire si l’eczéma est un problème multifactoriel. Mais il faut tordre le cou à des idées reçues : ce n’est pas une maladie psychologique (même si le stress peut parfois favoriser des crises), et elle n’est pas liée à un manque d’hygiène ! UN TRAITEMENT EN DEUX TEMPS

Lors des poussées, le suivi rigoureux de la prescription du médecin est gage de réussite du traitement. De trop nombreuses personnes ne respectent pas les doses prescrites ou interrompent trop vite les soins, ce qui peut entraîner un effet rebond, avec une nouvelle poussée et des complications AFRIQUE MAGAZINE

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L’ECZÉMA EST CAUSÉ par une anomalie génétique de la barrière cutanée. Outre sa très grande sécheresse, la peau est anormalement perméable aux allergènes de l’environnement (acariens, poussières, animaux…). Cela génère une inflammation par poussées : des croûtes ou des plaques rouges sèches ou suintantes avec des vésicules apparaissent, et de fortes démangeaisons s’y associent. Quand l’on souffre d’eczéma, la peau réagit facilement à diverses agressions, comme le chaud, le froid et des substances irritantes. La pollution, notamment les polluants présents dans l’air intérieur, peut l’aggraver. Il est établi que le contact direct de polluants atmosphériques sur la


(aggravation, surinfection). Classiquement, on utilise des crèmes corticoïdes pour leur action anti-inflammatoire : elles doivent être appliquées sur les lésions jusqu’à leur disparition complète et que la peau soit redevenue douce et de couleur naturelle. Le tacrolimus, une molécule anti-inflammatoire, sous forme de pommade nécessite une application aussi rigoureuse. Pour les cas les plus sévères, on peut prendre des médicaments par voie orale. Et de nouveaux traitements prometteurs devraient bientôt arriver. En dehors des poussées, il y a un autre soin capital : le traitement de la sécheresse cutanée. Tous les jours, après la douche, on hydrate sa peau avec une crème émolliente, sans parfum ni conservateur, sur le corps encore humide. Plus elle est hydratée, plus cela restaure sa fonction barrière, et mieux elle se défend contre les agressions. Grâce à ce réflexe, beaucoup de personnes constatent une réelle amélioration.

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RÈGLES ET PRÉVENTIONS

Évitez tout ce qui peut entretenir l’eczéma ou l’aggraver. Côté toilette, il est préférable de prendre des douches courtes et tièdes et d’utiliser un savon doux sans parfum, ni conservateur, le contact prolongé avec l’eau et l’utilisation de produits non adaptés pouvant être responsables de l’apparition de plaques. Et l’on sèche sa peau sans frotter, en tapotant en douceur. Pour les vêtements, on privilégie le coton et le lin ; les matières rêches, la laine et les fibres synthétiques peuvent irriter. À l’intérieur, attention à la température excessive, aux polluants libérés par le tabac, les produits diffusant des senteurs et les bougies parfumées. En cas de remise à neuf (revêtement des sols et murs, meubles neufs en bois aggloméré), on aère au maximum. Et pour limiter les acariens, on privilégie le parquet ou le carrelage à la moquette. Si l’on constate qu’un animal domestique favorise des poussées, on évite de le toucher et on lui interdit l’accès à la chambre. En cas d’eczéma des mains, il faut éviter l’excès de chaleur – lavages pas trop fréquents, à l’eau tiède – et porter des gants pour éviter le contact avec les produits ménagers, tout en ne les gardant pas trop longtemps non plus (moins de 20 minutes), sous peine de macération et d’irritation. Contrairement à une crainte, l’eczéma n’est pas provoqué par une allergie alimentaire – sauf rare exception chez le jeune enfant, en cas d’allergie aux protéines du lait de vache, se manifestant par des diarrhées et une perte de poids. Et le phénomène de mode qui consiste à supprimer le gluten de son alimentation (sauf bien sûr en cas de maladie cœliaque, c’est-à-dire intolérance avérée) n’apporte aucun bénéfice cutané. ■ Annick Beaucousin

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COMMENT SE REMETTRE AU SPORT VOICI QUELQUES RÈGLES DE PRUDENCE POUR ÉVITER LA SURCHAUFFE ! UNE FOIS DÉCIDÉ à réattaquer l’activité physique, on a envie de foncer ! Mauvaise idée, car gare aux douleurs, blessures, et à l’épuisement… Premier impératif, on ne fait pas l’impasse sur l’échauffement : il faut préparer les muscles à l’effort pour ne pas risquer de se blesser. Ensuite, pas d’objectifs trop ambitieux dès le début, sous peine de courbatures, de fatigue du corps et, très vite, d’énergie en berne. Il faut reprendre le sport progressivement, à raison de deux séances par semaine, espacées de trois jours. Au bout d’un petit mois, on peut passer à une séance de plus et allonger sa durée. Quant aux efforts, là également, on commence avec modération – on ne doit pas être essoufflé –, puis on augmente. Si l’on a été inactif longtemps, avant d’aller courir par exemple, on peut attaquer par des séances de marche rapide. Pour des activités intenses, et d’autant plus après 40 ans ou si l’on souffre d’une affection, on voit un médecin avant. Dans tous les cas, avoir des courbatures très douloureuses indique que l’effort a été trop brutal. Et à la moindre douleur, on stoppe la séance. ■ A.B.

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VIVRE MIEUX En bref

HYGIÈNE DE BONNES HABITUDES À PRENDRE TRÈS SOUVENT NÉGLIGÉES, ELLES SONT POURTANT INDISPENSABLES. 1. Nettoyer son téléphone portable régulièrement. On le touche sans cesse, on le pose partout… C’est l’un des objets les plus sales qui soient ! Un coup de propre avec n’importe quel nettoyant ou une lingette s’impose. Conseil qu’il serait d’ailleurs bien d’appliquer au clavier et à la souris d’ordi, aux télécommandes…

2. Laver les vêtements neufs, avant de les porter. Parce qu’ils ont été touchés, essayés, mais également parce qu’ils sont enduits de substances chimiques, lesquels peuvent provoquer des irritations de la peau, voire parfois des boutons ou des réactions allergiques.

que quelques fois, en la rinçant à chaque fois. Quand l’eau a un goût différent, il est plus que grand temps de la jeter. Mais le mieux est de se procurer une gourde, ce qui réduira en outre vos déchets.

4. Sécher sa brosse à dents. Lorsqu’elle reste humide, les germes buccaux prolifèrent dessus. Ce qui peut favoriser une mauvaise haleine ou aggraver un souci de gencives. Le réflexe à avoir : bien rincer sa brosse, la secouer, et la sécher avec un mouchoir en papier.

5. Renoncer aux sprays ménagers. Les produits pour faire le ménage participent à la pollution de nos intérieurs. Et c’est encore pire avec les sprays, qui répandent leurs composés chimiques nocifs dans l’air. Donc on les évite, et on revient le plus possible à des nettoyants naturels basiques, tels que le savon noir, le vinaigre blanc… ■ Julie Gilles

Pour éloigner le diabète ◗ Selon deux études présentées au congrès de l’American Diabetes Association, suivant plus de 250 000 personnes, remplacer les boissons sucrées (gazeuses, édulcorées, énergisantes, jus de fruits) par du thé ou du café, et augmenter sa consommation de yaourts (par rapport au fromage) diminue notablement le risque de développer un diabète à l’âge adulte.

Prendre la route en forme ◗ Une étude de l’association Attitude Prévention a analysé, pour la première fois en France, l’influence de l’alimentation sur le comportement des conducteurs. Résultat : un repas trop copieux altère les capacités de freinage et diminue significativement la vigilance chez 60 % des chauffeurs. Un repas léger et une bonne hydratation sont donc conseillés !

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3. Changer souvent de bouteille en plastique. On la remplit de multiples fois pour s’en servir au bureau, dans les transports… Le plastique n’est pas fait pour cela. Il faudrait n’utiliser sa bouteille 120

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CONSTIPATION : CHRONIQUE OU OCCASIONNELLE, IL FAUT D’ABORD BIEN S’ALIMENTER LA CONSTIPATION EST UN SUJET TABOU, souvent difficile à évoquer, même avec un médecin. Elle se définit par aller à la selle moins de trois fois par semaine. Mais en dehors de ce chiffre, des selles dures, difficiles à évacuer, et un inconfort abdominal sont aussi les signes d’un transit anormalement ralenti. Il faut agir sur plusieurs fronts. Et non pas ponctuellement comme on le fait souvent, et ne pas avoir recours systématiquement aux laxatifs. On commence par s’hydrater correctement, et donc boire 1,5 litre par jour. Une eau plate riche en magnésium, comme Hépar, a prouvé son action bénéfique sur le transit. Et boire un verre d’eau bien fraîche le matin à jeun permet de stimuler l’intestin. Côté alimentation, il faut une bonne dose de fibres ! Alors que souvent, on en est loin… Au quotidien, on met deux à trois portions de crudités ou de légumes cuits au menu, deux à trois fruits (sauf les bananes), ainsi que du pain complet ou aux céréales, voire des biscottes au son. Les pruneaux (deux à trois par jour), les légumes secs (minimum deux fois par semaine), ainsi que les yaourts aux bifidobactéries (au moins deux par jour) sont aussi excellents. Ne pas oublier de bien mastiquer. Par ailleurs, l’activité physique est indispensable car elle booste les contractions de l’intestin : 30 minutes de marche rapide par jour sont un minimum. Bouger a un autre atout : lutter contre le stress, lequel bloque souvent le transit. Enfin, il est conseillé d’aller aux toilettes à heures régulières et de surélever un peu ses pieds (avec un marchepied, un gros livre) pour retrouver une position physiologique, et ainsi faciliter la progression des selles. En cas de transit difficile, on peut ponctuellement recourir à des aides, comme une cuillère à café de son de blé dans un yaourt une fois par jour, une cuillère d’huile d’olive à jeun le matin ou quelques graines de psyllium. ■ J.G.

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ANALYSE DE SANG

COMPRENDRE LES PRINCIPAUX RÉSULTATS LEUR SIGNIFICATION RESTE SOUVENT FLOUE POUR LES PATIENTS. DÉCRYPTAGE. LA GLYCÉMIE À JEUN sert à rechercher le diabète. Cette maladie est diagnostiquée à partir d’un taux de 1,26 g/litre et au-delà, sur deux analyses. Entre 1,10 g/litre et 1,25 g/litre, on est en état dit « prédiabétique », c’est-à-dire à risque de devenir diabétique. Mais modifier son alimentation sur les conseils du médecin et faire de l’activité physique peut permettre un retour en arrière, ou du moins retarder la survenue de la maladie. LE BILAN LIPIDIQUE cerne le risque cardiovasculaire. Il comporte le dosage du cholestérol total, qui normalement est inférieur à 2 g/litre. Mais surtout les dosages du cholestérol LDL (le « mauvais »), qui encrasse les artères, et du HDL (le « bon »), protecteur vis-à-vis du précédent danger, affinent les données : le LDL doit être inférieur à 1,6 g/litre et le HDL supérieur à 0,4 g/ litre. À noter : en présence de facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension, diabète, tabagisme), le mauvais cholestérol devrait être le plus bas possible. Quant aux triglycérides (autres graisses présentes dans le sang), leur taux devrait être inférieur à 1,5 g/ litre, un taux élevé augmentant le risque cardiovasculaire. LE BILAN THYROÏDIEN est destiné à rechercher un trouble de fonctionnement de la glande thyroïde, qui régit beaucoup de fonctions du corps. Pour cela, on dose l’hormone TSH, dont le taux normal est compris entre 0,4 et 4 mUI/l (millième d’unité internationale par litre). Un taux trop haut évoque une hypothyroïdie (sécrétion insuffisante d’hormones) et un taux trop bas une hyperthyroïdie (sécrétion excessive d’hormones). ■ A.B.

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Entre les deux : l’aube et le crépuscule, d’un grand mystère et d’une beauté extraordinaire.

Oum

Entre sonorités arabes et sahraouies, jazz, soul et électro, le troisième album de la CHANTEUSE MAROCAINE, Daba (« maintenant »), rappelle en beauté l’urgence de s’ancrer dans le présent, ce temps collectif. propos recueillis par Astrid Krivian

11 Twitter, Facebook, e-mail, coup de fil ou lettre ? Téléphone pour la famille. Pour mes fans, Facebook, puis Instagram.

12 Votre truc pour penser à autre chose, tout oublier ? Déplacer le mental vers le sensoriel. Comme un arbre, un chat.

13 Votre extravagance favorite ? Mon rire, puissant et aigu ! Mais je n’aime pas l’extravagance. Nul besoin de provoquer pour exister.

14 Ce que vous rêviez d’être quand

vous étiez enfant ? 1 Votre objet fétiche ? Une pierre, la cornaline. Mémoire de la terre, elle émet des vibrations. Bénéfique pour la concentration et la créativité.

2 Votre voyage favori ? Cuba, Madagascar et l’île Maurice. Leur nature m’a touchée, appelée.

3 Le dernier voyage que vous avez fait ? Séoul, en Corée du Sud. Malgré une perte de repères et des codes très différents, on retrouve l’humain !

4 Ce que vous emportez toujours

avec vous ? Mes percussions, mes pierres, de l’encens et du bois de santal. Ils m’accompagnent comme des témoins.

5 Un morceau de musique ? « Makan », de la Palestinienne Kamilya Jubran.

6 Un livre sur une île déserte ? Le Livre du dedans, de Djalâl-ud-Dîn Rûmî.

Médecin. Un faux rêve qui n’était pas le mien, influencé par un modèle de société.

15 La dernière rencontre qui vous

a marquée ? Le chorégraphe, danseur et modèle marocain Amine Messaoudi. Une signature très personnelle, il s’exprime avec son âme !

16 Ce à quoi vous êtes incapable de résister ? La gourmandise. Et peindre, manger de la couleur !

17 Votre plus beau souvenir ? Quand j’ai étreint mon fils pour la première fois. C’était le moment le plus fort, le plus intense. Des sensations inconnues… Troublant, grandiose.

18 L’endroit où vous aimeriez vivre ? Au nom de tous, j’aimerais que la Terre soit notre maison, que l’on soit libre de s’y déplacer, au-delà des frontières et des visas.

7 Un film inoubliable ?

19 Votre plus belle déclaration d’amour ?

Into the Wild, de Sean Penn.

Celle de mon mari, sous un saule pleureur. Et ma chanson « Chajra », dédiée aux arbres.

8 Votre mot favori ? « Merci », dans toutes les langues. Pour tout ce qui va bien et que l’on oublie de voir.

20 Ce que vous aimeriez que l’on retienne

9 Prodigue ou économe ?

Un sourire ! Que mes proches ne soient pas tristes quand je ne serai plus là. ■

Ça dépend des périodes, des coups de cœur ! 122

de vous au siècle prochain ?

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3 9 7 – O C T O B R E 2 019

LAMIA LAHBABI - DR

LES 20 QUESTIONS

10 De jour ou de nuit ?


6 e ÉDITION

ACCÉLÉRER LA CROISSANCE DES PME À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE

500 PARTICIPANTS DE HAUT NIVEAU 2 JOURS POUR CONNECTER LES PME AFRICAINES, ACCÉDER

À DE NOUVEAUX MARCHÉS ET AUX FINANCEMENTS INNOVANTS

12 & 13 N O V E M B R E 2 0 1 9

H O T E L H I LT O N / S A N D T O N JOHANNESBOURG | AFRIQUE DU SUD

WWW.AFRICA-SMECHAMPIONS.COM



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